Mais peut-être faut-il, pour nos lecteurs les plus jeunes, rappeler qui est Robert Hue, puisque les hasards de la communication politique ont réduit ce personnage à l’état de non-entité, et que sa place dans l’histoire politique est – et c’est fort mérité – négligeable. Robert Hue est un élu local – terriblement, horriblement local – que l’appareil du PCF et surtout les “notables” locaux tétanisés par les pertes électorales de la période Marchais portent au secrétariat général du Parti en 1994. Il le leur rendra bien, en imposant une modification des statuts (au 28ème congrès du PCF en 1995) qui, en abolissant le “centralisme démocratique”, donne en fait toute liberté aux “notables” locaux pour prendre le pouvoir dans les structures du PCF et gérer “leur” Parti comme bon leur semble, notamment en faisant des alliances “à la carte” selon le contexte local. Au niveau national, Robert Hue laisse libre cours à son côté playboy: plus besoin de théorie politique, quelques vagues idées social-chrétiennes, une ou deux formules (1) et deux ou trois citations de Marx (2) apprises par coeur et sorties de leur contexte suffisent.
Car, il ne faut jamais l’oublier, Robert Hue un homme de coups médiatiques. Tout chez lui est “inédite”, et rien ne vaut si on ne le fait pas pour la première fois. A chaque congrès, la direction huesque introduisit un nouveau “gadget”, à chaque élection une nouvelle mode (3), et de temps en temps elle chercha à faire les “unes” en louant le siège du PCF à Prada pour un défilé de mode, ou en organisant dans ce même lieu une “fête techno”. Le problème, c’est que les “coups” médiatiques, ça s’use vite. Et les réalités reprennent vite le terrain. Sous le règne de Robert Hue, le PCF s’étiole encore plus vite que sous Marchais: après avoir perdu entre 1994 et 2001 deux tiers de ses militants, après les désastres électoraux de “Bouge l’Europe” et surtout de la présidentielle de 2002 (4), l’appareil décida que ça suffisait comme ça, et le congédia. Avec d’ailleurs un magnifique parachute doré: un siège de sénateur et la présidence de la Fondation Gabriel-Péri, ou il recasa un certain nombre de ses fidèles (5). Ça fait toujours un peu de beurre sur les épinards.
Aujourd’hui, à travers des colonnes du “Monde” (ou il est souvent invité), Robert Hue rejoint la longue liste des vieillards malfaisants qui, du haut de leur parachute doré, expliquent à leurs successeurs ce qu’il faut faire. En oubliant opportunément leurs erreurs et leurs échecs. De ce point de vue, il faut dire que Robert Hue est remarquable: jamais, dans sa longue trajectoire de dirigeant politique, il n’a exprimé un regret ou revenu sur une erreur qu’il aurait pu commettre. Oh, bien entendu, il a des accents d’émotion pour admettre les erreurs que “nous communistes” ont commis collectivement (particulièrement quand les auteurs des erreurs en question sont morts, c’est plus commode). Mais le dirigeant Robert Hui, lui, semble infaillible. Avec une certaine tendance à vouloir déguiser ses échecs, voire de les transformer rétroactivement en succès. Ainsi, il écrit dans “Le Monde” que “le Front de Gauche [en 2009] retrouve les résultats du PCF seul en 2004 et reste en dessous de la liste Bouge l’Europe! de 1999”. L’affirmation est factuellement juste, mais trompeuse. En 1999, on votait au scrutin proportionnel de liste nationale, alors qu’en 2009 on vote par liste “régionale”. Le premier type de scrutin est bien plus mobilisateur que le deuxième, puisque dans le premier cas chaque voix compte, alors que dans le second les voix communistes ne comptent que dans les régions où il est possible d’avoir un élu…
Mais bon, me direz vous, laissons aux anciens combattants la satisfaction de conter leurs vieilles batailles. Si ça fait plaisir à Robert Hue de croire que Bouge l’Europe! fut un grand succès, pourquoi pas ? Le problème, c’est que Robert Hue ne se contente pas de raconter ses batailles, il veut les refaire. Ainsi, dans son texte il nous propose la conclusion d’un “pacte unitaire pour le peuple de gauche”. Cela ne dit peut-être rien à certains, mais ceux qui se souviennent d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître se souviendront aussi que l’un des premiers “coups” médiatiques du père UbHue en 1994 fut le lancement du “Pacte unitaire pour le progrès”. Un ovni politique censé être une alternative aux alliances “de sommet” avec le PS, et défini par son inventeur comme “Un pacte entre les citoyens eux-mêmes et, du même mouvement, entre les citoyens et les forces politiques de gauche et de progrès” (6). L’ovni en question ne décolla jamais, vu l’incapacité de ses inventeurs à expliquer comment les “citoyens eux-mêmes” allaient conclure le “pacte” en question non seulement entre eux, mais avec les “forces politiques”. Lorsque les camarades dirigeants décidèrent d’aller à la soupe de la “gauche plurielle”, quintessence de l’alliance stratégique au sommet sans débat programmatique, le cadavre sans vie du “Pacte” fut discrètement enterré. Il ne faudrait pas oublier que le dirigeant qui privilégia ainsi un accord de sommet – qui plus tard amènera le PCF a justifier les privatisations de France Télécom et d’Air France – n’était autre que ce Robert Hue, si soucieux, du moins sur le papier, de voir “les gens” prendre le pas sur les appareils politiques.
L’ennui avec Robert Hue, c’est qu’il a tout oublié et rien appris. Il nous expose aujourd’hui dans “Le Monde” son projet de “pacte unitaire pour le peuple de gauche” comme si le “pacte unitaire pour le progrès” et la “gauche plurielle” n’avaient jamais existé. Pas la moindre référence au “pacte” de naguère, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui qu’il propose aujourd’hui, et que Robert Hue lui-même laissa tomber pour se vautrer dans les délices de la Realpolitik. Pas un mot, je ne dis même pas d’autocritique, mais au moins d’analyse pour expliquer l’échec du “pacte unitaire pour le progrès” et les leçons qu’on pourrait en tirer pour ce nouveau “pacte”. Rien, absolument rien: Robert Hue croît toujours avoir le vent de l’histoire derrière lui, même lorsqu’il fait demi-tour.
Robert Hue est un homme de sont temps. L’ennui, c’est que son temps c’est mai 68. Comme beaucoup de soixante-huitards attardés, il hésite en permanence entre une vision spontanéiste ou les “hommes et femmes” se retrouveraient pour construire une alternative en dehors de la “verticalité” des “appareils politiques” vécus au mieux comme inutiles, au pire comme oppressants. Mais à côté de cette vision idéaliste, on retrouve le profond opportunisme politique du “notable” prêt à toutes les compromissions pour décrocher un portefeuille ministériel. Robert Hue est finalement un Khouchner qui n’a pas les moyens de ses ambitions (7). N’est pas Gannelon qui veut.
Descartes
(0) “Le Monde”, daté du 19 juin 2009, page 21
(1) “L’argent roi” et “l’argent pour l’argent” sont un bon exemple de syntagmes cristallisés qui parsèment la prose UbHuesque. On les retrouve pratiquement une fois par page dans son livre “Communisme: la mutation”, un ouvrage que je recommande a tous ceux qui ont envie de rigoler un bon coup.
(2) On a souvent dit que certains politiques étaient “les hommes d’un seul livre”. Robert Hue, lui, n’est que l’homme d’une seule citation.
(3) Par exemple, la “double parité” pour la liste “bouge l’Europe” aux élections européennes de 1999. Le “coup” était dans ce cas la doctrine que la liste devait être non seulement paritaire hommes/femmes, mais aussi “communistes/non-communistes”. Cette deuxième “parité” n’a bien entendu aucune justification politique, et aucune d’ailleurs ne fut proposée. Son seul but était de faire un “coup” médiatique en donnant des places sur la liste à des “personnalités” qui autrement auraient été rejetées par les militants. Elle restera un des rares cas de “quota idéologique” dans l’histoire politique française.
(4) 3,8% des voix, ce qui en fit le résultat le plus désastreux de l’histoire électorale du PCF. De plus, cette élection a failli mettre le PCF en faillite. Robert Hue fit de cette campagne l’une des plus chères jamais entreprise par un candidat communiste, ce qui s’explique non seulement par ses tendances dispendieuses et l’incompétence administrative de son entourage, mais par le fait que le faible engagement militant obligea à recruter des professionnels pour coller les affiches et faire campagne. Le mauvais résultat eut pour conséquence le non-remboursement des dépenses de campagne.
(5) La lecture de la composition des organes dirigeants de la Fondation est à ce propos éclairante. Par ailleurs, la Fondation ne répond pas aux courriers demandant communication de ses comptes ou des informations sur la rémunération de ses dirigeants. Une coïncidence, certainement…
(6) In “Communisme: la mutation”, Stock, 1995, p325
(7) A la fin de son exposé, Robert Hue ressort la menace suprême: dans les prochains jours, “un appel sera ouvert”. Pas de crainte: cet “appel” ira rejoindre les dizaines qui l’ont précédé, et les dizaines qui sans doute lui succéderont. L’histoire, mon vieux Robert, ne repasse pas les plats.