Fier d’être une victime…

“Elle a de la chance, elle est devenue une victime”
(Jean Glavany, sur Ségolène Royal)

La mode est à la “fierté”. Les homosexuels – ou plutôt les “gay, lesbiennes, bi et trans”, soyons politiquement corrects – organisent des “marches de la fierté homosexuelle”. Ou plutôt des “marches des fiertés gay, lesbiennes, bi et trans”, comme si quelqu’un risquait de confondre la “fierté” gay avec la “fierté” trans, par exemple. Faut pas mélanger les torchons avec les serviettes: à chacun a “sa” fierté, bien personnelle, qu’il ne faut pas confondre avec la “fierté” du voisin.

Mais la “fierté” ne s’arrête pas là. Pour ceux qui se déplacent dans la région PACA difficile d’échapper aux petits autocollants “fier d’être marseillais” dans les voitures. On nous a bassiné hier, lors de la finale de la Coupe de France, avec la “fierté” des bretons d’avoir gagné la coupe. Tout peut être sujet de fierté: on peut être fier de son lieu de naissance, de son orientation sexuelle, de sa religion, même de sa race…

A condition de respecter certaines limites posés par la boboïté ambiante: si je dis “je suis fier d’être noir” ou “je suis fier d’être musulman”, ça passe. Par contre, l’anathème tombera sur celui qui oserait se dire “fier d’être blanc” ou “fier d’être catholique”. On peut parfaitement se dire “fier d’être breton” ou “fier d’être corse”, mais celui qui se proclamerait “fier d’être français” serait certainement regardé avec méfiance. Et je vous laisse imaginer la réaction devant celui qui se proclamerait fier d’être à la fois français, blanc, catholique et hétérosexuel. Par contre, celui qui revendiquerait sa fierté d’être à la fois noir, musulman, transsexuel et breton (et ça existe, mes amis, ça existe…) serait certainement considéré comme quelqu’un de fort présentable dans les soirées des 4ème et 6ème arrondissements.

Ces fiertés sont des fiertés imbéciles. Elles ont pour point commun de porter sur des éléments sur lesquels la personne n’a aucun contrôle (1). Cela a un sens d’être “fier” de la maison qu’on a construit de ses mains, du diplôme qu’on a acquis avec effort, des enfants qu’on a élevé malgré les difficultés. Mais être “fier” de l’endroit où on est né ou de la couleur de sa peau est aussi idiot que d’être “fier” d’avoir gagné au loto (2). On peut être fier de ce qu’on fait; mais être fier de ce qu’on est par le hasard de la naissance ou d’un accident de la vie semble n’avoir aucun sens.

Les fiertés imbéciles sont l’autre face de l’idéologie “victimiste” qui nous entoure. Les deux concourent en un point: l’individu n’a pas le choix. D’un côté, il est tenu d’être “fier” de quelque chose sur laquelle il n’a pas le moindre contrôle, de l’autre il est victime de forces qui le dépassent. Dans les deux cas, il peut se débarrasser de la responsabilité de sa condition sur quelqu’un d’autre. C’est pourquoi il est difficile de ne pas voir dans ces fiertés imbéciles le signe de l’affaiblissement de notre modèle républicain. Modèle qui, il faut le rappeler, est bâti autour d’un individu abstrait, le citoyen, dont les droits et devoirs sont fixés par la raison et la volonté générale indépendamment de son appartenance à tel ou tel groupe, de ses opinions philosophiques ou religieuses, de ses origines ou de ses préférences sexuelles ou autres. Un citoyen fondamentalement libre de décider de sa vie et donc éminemment responsable de ce qu’il devient.

Mais cette responsabilité, justement, est un fardeau dur a porter dans la société de l’image, où le droit à l’échec n’existe pas. Et la fierté identitaire est justement une assurance-vie contre l’échec. Un examen, ça se rate. La maison qu’on construit peut s’effondrer. Mais lorsque la fierté est liée au fait “d’en être”, aucun échec ne la menace. Si on est “fier d’être marseillais”, alors on sera toujours content de soi même, parce que l’état de marseillais ne se perd jamais. Quoi qu’on fasse. Ainsi, l’individu se conçoit sous le double aspect contradictoire de la victime – qui n’a aucun contrôle sur “la vie qu’on lui fait” (3) – et du gagnant “fier” de ce qu’il est (4).

Et c’est pour cela que certaines “fiertés” sont socialement admissibles et d’autres pas. Les seules “fiertés” admissibles sont celles qui rattachent à un groupe “victimisé” (une minorité sexuelle, ethnique ou religieuse, une communauté régionale “persécutée” par le  toujours vilipendé “jacobinisme parisien”…). Les “fiertés” inadmissibles sont celles qui rattachent au contraire soit à un groupe qui ne se conçoit pas en victime  (en général les majorités: les blancs, les hétérosexuels, les catholiques), soit – et c’est beaucoup plus révélateur – aux groupes qui sont censés avoir le contrôle de leur avenir: imaginons comment serait accueilli un politicien qui déclarerait sa “fierté d’être énarque”, ou “sa fierté d’être polytechnicien”. Par contre, plusieurs ministres ont déclaré être fiers d’avoir fait des études médiocres, et ces déclarations ont été applaudies par une boboïté qui semble croire que le jour ou nous aurons un ministre analphabète nous aurons réalisé la démocratie parfaite.

Face a ces fiertés imbéciles, cultivons la vraie fierté, la seule qui vaille, celle des oeuvres que l’on accomplit. Face au discours de la “victimisation” et de l’impuissance, valorisons au contraire la “fierté” d’appartenir à des collectivités fondées non pas sur la naissance, mais “sur les grandes choses faites ensemble, et sur le désir d’en accomplir de nouvelles”.

Les français sont prêts à suivre les politiques qui s’engagent sur cette voie: Sarkozy a triomphé en grande partie parce qu’il relevé un discours volontariste qui est l’apanage de la gauche jacobine, mais que la gauche boboïsée avait laissé tomber. “Ce qui importe, c’est moins ce qu’on peut faire, mais ce qu’on veut faire… car lorsqu’on ne veut rien, on ne peut rien”.

Descartes

(1) On m’objectera que la religion échappe à cette caractéristique, puisqu’on a le choix. Ce “choix” est très relatif, notamment dans les religions qui criminalisent l’apostasie.

(2) Bien plus idiot en fait: quand on gagne au loto, on a au moins choisi les numéros.

(3) Ce n’est pas par hasard si des expressions telles que “la vie qu’on lui fait” ou “le sort qu’on lui fait” sont devenues si fréquentes dans le discours de la gauche boboïsée. Elle enferme en elle l’idée que les gens ne vivent pas la vie qu’ils se bâtissent eux mêmes, mais que d’une certaine façon leur vie est “faite” par d’autres.

(4) On pourrait ici proposer le slogan “fier d’être une victime”…

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