Cette politique ne peut se faire sans débat. Tout le monde veut le débat, me direz vous… Mais là encore les mots sont trompeurs: les organisations politiques aujourd’hui passent leur temps à organiser des “débats” qui consistent en fait à réunir dans une même pièce un certain nombre (généralement maigre…) de gens qui sont d’accord sur l’essentiel pour proclamer ensemble leur accord. On n’aime pas dans ces “débats”, qui sont en fait des grandes-messes, les contradicteurs. Et on les aime d’autant moins ceux qui portent une contradiction rationnelle. On a le droit de dire “j’ai une autre opinion”, mais on n’a pas le droit de signaler les contradictions internes d’un discours, ou le fait qu’il n’est pas conforme aux faits.
Et on comprend aisément pourquoi. Cela tient à la façon dont les organisations politiques fonctionnent en fait comme des églises. Au niveau des “prêtres” (c’est à dire, essentiellement, de ceux qui en font une carrière), on ne réflechit qu’en termes de pouvoir et de rapport de forces. Et au niveau des fidèles ordinaires (c’est à dire, des militants de base), on adhère sur la base d’un dogme qui est l’objet d’une adhésion acritique. Or, ce type d’adhésion peut se concilier avec des différences d’opinion, dans la mesure ou cette autre opinion est en fait l’adhésion à un autre dogme. Par contre, ce type d’adhésion ne peut survivre à une critique rationnelle, qui conteste la cohérence du dogme lui même. On retrouve ici le paradoxe qui fait que pour une personne réligieuse celui qui adhère à une autre réligion est toujours moins haïssable que l’athée…
Voilà pourquoi le débat politique a pratiquement disparu. Et non seulement dans les enceintes des partis, mais aussi sur nos écrans. Le dicton “qui se ressemble s’assemble” a été poussé à la limite de rupture: celle ou chacun n’accepte de dialoguer qu’avec ceux qui sont d’accord avec lui. Il suffit de lire quelques forums politiques modérés pour s’en apercevoir: on permet quelquefois l’expression d’opinions divergentes, a condition qu’elles soient en elles mêmes des articles de foi. Mais dès lors qu’on s’essaye au démontage rationnel d’un raisonnement, on est impitoyablement censuré. Je ne donnerai pas d’exemples parce que je risquerait d’oublier quelqu’un…
Voilà donc pourquoi je lance ce blog. Pour essayer d’ouvrir ce véritable débat qui fait aujourd’hui tellement défaut à ceux qui voudraient changer les choses. Une grande ambition, me direz vous ? Oui… mais comme disait Cyrano, “c’est d’autant plus beau quand c’est difficile”…
PS: Hypocrite lecteur… je suis sur que tu te demanderas quel est mon engagement politique, tant il est vrai qu’il est difficile d’accepter le message sans savoir qui est le messager. Je satisfais donc ta curiosité: je refuse à me caractériser comme “de droite” ou “de gauche”, car je pense que ces étiquettes ont perdu aujourd’hui une bonne partie de leur signification. Il y a des gens “à droite” qui sont partisans de l’intervention de l’Etat dans l’économie et hostiles à l’Europe libérale, il y a des gens “à gauche” qui privatisent à tour de bras (n’oublions pas que le gouvernement Jospin reste le recordman des privatisations) et qui votent oui au traité constitutionnel… Je dirai donc seulement que j’ai milité très longtemps au PCF, et que je me suis éloigné lorsque celui-ci a cessé d’être un lieu de débat et d’éducation politique pour se vautrer dans le gauchisme post-moderne. Je revindique personnellement l’héritage des lumières, jacobin, patriote (ce qui ne veut nullement dire chauvin ou xénophobe), républicain. Je reste convaincu que la théorie marxiste reste un outil puissant d’analyse du réél pour peu qu’on l’applique avec une certaine rigueur et en évitant de lui faire dire ce qui nous arrange. J’ai dit.
Peut-être passerai-je pour un imbécile, mais il me semble que la tirade “C’est d’autant plus beau quand c’est difficile” n’apparait pas dans Cyrano de Bergerac. Vous confondez peut-être avec la
plus connue “C’est bien plus beau lorsque c’est inutile”. Je pense ne pas me tromper car en tapant votre citation entre guillemets sur google, je ne trouve que deux résultats liés à vous. Mais je
peux faire une erreur !
De toute façon ce n’est qu’un détail, j’ai trouvé certaines réponses à mes questions dans ce premier billet 🙂 Merci bien, merci pour tout d’ailleurs. J’ai découvert votre blog il y a peu, mais
j’accroche totalement, même si je suis loin d’être en accord avec tout ce que vous dîtes (et encore heureux).
Bonne journée.
Peut-être passerai-je pour un imbécile, mais il me semble que la tirade “C’est d’autant plus beau quand c’est difficile” n’apparait pas dans Cyrano de Bergerac.
Pourquoi passeriez vous pour un “imbécile” ? Vous avez le bon réflexe d’aller vérifier ce que les autres affirment, cela me paraît très sain, au contraire. J’ai repris en fait une citation qui
figure dans le livre de JF Brighelli (“La fabrique du crétin”). Je n’ai pas le texte de Rostand pour aller vérifier, mais il est très possible qu’il s’agisse d’une citation “fabriquée”…
En tout cas, merci beaucoup pour vos encouragements.
Je reste convaincu que la théorie marxiste reste un outil puissant
d’analyse du réél pour peu qu’on l’applique avec une certaine rigueur et en évitant de lui faire dire ce qui nous arrange
J’ai seulement quelques vagues connaissances dessus Est-ce que tu pourrais me conseiller des lectures ou bien faire un billet sur ce sujet
?
Ta question est un peu vaste… cela dépend des sujets qui t’intéressent. Je me souviens d’avoir fait sur ce blog un papier avec quelques idées de lecture, mais c’est en général un choix très
personnel. Mais si tu précises le domaine qui t’intéresse, je peux peut-être te donner quelques conseils. Il y a un Marx philosophe, un Marx historien, un Marx économiste…
En fait, il faut lire beaucoup… et varié. Lire Voltaire, c’est bien. Mais on ne comprend Voltaire que si l’on comprend à qui il s’adressait, et ce qu’il apportait de nouveau par rapport à son
temps. On s’appauvrit à ne lire que les gens avec qui on est d’accord. On ne comprend Keynes que si on lit les anti-keynésiens. C’est pourquoi il est souvent plus facile de lire les commentateurs
de Marx que Marx lui même. Si c’est la philosophie marxiste qui t’intéresse, je te conseille “l’introduction à la philosophie marxiste” de Lucien Sève, un livre peut-être un peu ancien mais très
pédagogique. Si c’est l’économiste, et que tu as une certaine culture économique, alors il faut lire “Le Manifeste du Parti Communiste”. Tu peux te lancer à lire “Le Capital”, qui n’est pas trop
dur.