Bellaciao, ou le débat entre soi

Il y a des gens qui ne supportent pas la contradiction. Quand on possède la vérité, il est dur d’admettre la contradiction, et d’ailleurs tous ceux qui me contredisent sont au service d’intérêts inavouables, à moins qu’ils soient envoyés par la Grande Conspiration Qui Veut Tout Contrôler je ne peux pas vous dire plus mais vous voyez bien de qui je veux parler.

Vous trouvez que j’exagère ? Je ne fais pourtant que mettre noir sur blanc l’idéologie impérante sur un site – soi disant – de débat et libre expression bien connu de ceux qui s’intéressent à la “gauche de la gauche”, j’ai nommé, Bellaciao. Pour ce qui ne connaissent pas ce site, cela vaut la peine de faire un petit tour.

Bellaciao est à l’origine un site italien,  La succursale française est fondée par Roberto Ferrario, personnalité charismatique qui gère sa boutique comme un guru gère sa secte. Lié un temps au PCF par des accords secrets sur lesquels il y aurait beaucoup à dire (la Fédération de Paris du PCF a hébergé l’équipe Bellaciao dans son siège, et le site national du PCF avait en première page un renvoi vers le site Bellaciao, seul site extérieur au Parti bénéficiaire d’un tel honneur), Bellaciao a fini par se fâcher avec les communistes là encore pour des raisons sur lesquelles les deux parties sont restées fort discrètes. Permettant au départ un débat assez ouvert, Bellaciao s’est refermé progressivement, pratiquant une politique de censure de plus en plus sevère. Aujourd’hui, il est pratiquement impossible de poster sur le site un article ou un commentaire qui ne corresponde pas à la sensibilité de Ferrario & Co. sans être immédiatement censuré. Et c’est dommage. Il fut un temps ou le site Bellaciao était effectivement le siège de débats intéressants. Aujourd’hui, c’est devenu un club ou des gens qui pensent tous la même chose se congratulent mutuellement, entre un article sur le Grand Complot Sioniste International, un sur l’attaque du 11 septembre qui n’a jamais eu lieu et quelques uns sur la grippe porcine qui est, on le sait bien, une invention du capitalisme.

Ferrario & Co. sont victimes d’une maladie très courante aujourd’hui: le manque de curiosité. Même si on est convaincu de détenir la vérité, n’est il pas intéressant de comprendre pourquoi et comment les autres arrivent-ils à des conclusions opposées ? N’est-il pas indispensable de le faire si l’on souhaite les convaincre qu’ils se trompent ? Mais Ferrario et sa bande raisonnent comme l’inquisition: admettre que l’hérétique peut avoir quelque chose d’intéressant à dire revient à admettre que le dogme n’est pas sans défaut. Il est donc impératif de réduire l’hérétique au silence dès le départ.

Ce que la bande à Bellaciao n’a toujours pas compris, c’est qu’en coupant le sifflet à ceux qui lui déplaisent elle appauvrit le discours au point de le rendre pathétique. Il est difficile de penser tout court, et il est encore plus difficile de le faire sans contradicteur. Sans la corde de rappel que constitue la lecture critique, les congratulations croisées finissent par convaincre chacun qu’il est un génie, alors qu’il n’a fait que dire trois banalités. Ainsi on retrouve sur Bellaciao de longs articles qui prétendent réfonder la théorie marxiste –  rien que ça – ou établir, en toute modestie, un nouveau projet anticapitaliste pour la gauche. Des articles remplis de bêtises (et je suis gentil), mais dont leurs auteurs resteront persuadés qu’il s’agit de grandes créations de la pensée humaine, puisqu’ils ne liront que des commentaires élogieux, les autres étant censurés.

Comme dans la légende des habits neufs de l’empereur, Bellaciao se promène nu en croyant être superbement habillé. Et c’est comme ça qu’on finit par mourir de pneumonie.

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