Rappelons d’abord les faits: Eric Woerth, ministre du budget, est invité par le PCF à participer à un débat à la Fête de l’Humanité, et accepte l’invitation. Le fait est connu depuis des semaines, et figure dans le programme des débats de la fête. Eric Woerth se présente donc au débat à l’heure dite. Un groupe minoritaire installé au fonds de salle – identifié par certains comme “portant des autocollants NPA et PG” – prend à partie le ministre, couvre les interventions de ses cris empêchant effectivement l’invité de s’exprimer, lance des projectiles, et tout cela sans que les militants communistes présents ou le service d’ordre n’interviennent pour faire cesser l’agression. Finalement, au bout de vingt minutes et devant l’impossibilité de dialoguer, Eric Woerth se retire. Rideau.
Le devoir d’hospitalité est chez l’homme une caractéristique presque anthropologique. Dans pratiquement toutes les cultures, on connaît ce devoir qui implique que celui qui est invité est placé sous la protection du maître des lieux. Dans le passé, le PCF avait déjà convié des personnalités qui pouvaient paraître contestables à certains participants de la fête. A chaque fois, le PCF avait garanti la protection de ses hôtes, les militants n’hésitant pas à prêter main forte au service d’ordre si nécessaire. Et si cette protection ne mettait pas toujours à l’abri d’une agression individuelle – on se souvient de l’oeuf lancé sur Laurent Fabius il y a de cela quelques années – les invités avaient toujours eu la possibilité de s’exprimer librement, et la direction du PCF avait toujours condamné fermement et sans ambiguïté ce genre d’actes. Pas cette fois. On a pu constater dimanche qu’un petit groupe d’activistes peut aujourd’hui en pleine Fête de l’Humanité empêcher un invité du PCF de s’exprimer ou l’agresser, dans la plus totale impunité. Et cela sans que la direction du PCF, les militants présents ou le service d’ordre ne réagissent, même au bout de vingt minutes.
Cette affaire montre l’incompétence politique profonde de la direction actuelle du PCF. L’agression dont a été victime Eric Woerth était prévisible. D’une part, parce des faits semblables avaient eu lieu le jour précédent lors de la visite de Frédéric Mitterrand, et d’autre part parce qu’il circulait depuis des jours sur plusieurs sites gauchistes des messages appelant à empêcher le passage d’Eric Woerth à la Fête. Une direction digne de ce nom aurait anticipé et pris des mesures pour déjouer ces projets (filtrage des entrées, intervention du service d’ordre). Et si de telles mesures étaient impossibles, on pouvait toujours annuler la venue du ministre sous un prétexte diplomatique quelconque. Mais non: comme cela lui est arrivé déjà plusieurs fois, la direction du PCF s’est laissé surprendre et dépasser par des évènements tout à fait prévisibles. Pour subir, en fin de compte, une humiliation absolue: en plein coeur de sa propre fête, dans une salle remplie de ses militants, elle s’est montré incapable de diriger le cours des évènements. Peut on faire confiance pour diriger le pays à une organisation qui n’est pas capable de diriger un débat ?
Mais le manque de réaction des militants pose une question bien plus inquiétante in fine pour la direction du PCF. On a du mal à imaginer une telle situation vingt ou trente ans en arrière, parce que les militants du PCF avaient à l’époque un fort sentiment d’appartenance à une institution à laquelle ils s’identifiaient. Agresser en pleine fête un invité choisi par la direction du Parti, c’eût été agresser le Parti lui même, contester le droit du Parti à choisir ses interlocuteurs, piétiner le drapeau rouge frappé de la faucille et le marteau. Et ceux qui s’y sont risqués ont fini avec quelques bleus, ce dont un certain nombre de gauchistes qui ont tenté le coup peuvent témoigner.
Qu’une salle entière, en pleine Fête, admette aujourd’hui l’agression dont a fait l’objet Eric Woerth montre à quel point le PCF est devenu une coquille vide, sans “l’esprit de Parti” et la fierté sourcilleuse qui va avec. La question n’est pas de savoir si inviter Woerth était ou non une bonne idée. La question est qu’aujourd’hui on peut piétiner symboliquement le PCF ou cracher à la gueule de ses dirigeants – et agresser leurs invités revient à faire l’un et l’autre – sans que les militants communistes s’estiment outragés. Et cela tient au fait que ni le PCF en tant qu’institution, ni la direction du PCF ne représente plus ses militants. Le PCF, parce que c’est devenu une sorte d’auberge espagnole, sans symbolique, sans idéologie, sans projet auquel les militants puissent s’identifier. Car quelques vagues “valeurs” ne constituent pas une idéologie, pas plus que “pour tout ce qui est bon, contre tout ce qui est mauvais” ne constitue un projet. Quant aux directions pléthoriques du PCF, elles sont le résultat d’un équilibre précaire entre fractions et “notables” qui se disputent les postes, les sièges et les dépouilles, sans compter les “permanents” salariés du Parti terrifiés à l’idée de devoir entrer sur le marché du travail, le vrai, qu’ils ne connaissent souvent que par la lecture de l’Humanité.
La mésaventure d’Eric Woerth sera certainement l’objet d’une crise de discrétion aiguë de la part du PCF. Il ne faut pas en effet troubler les militants en pointant du doigt des choses désagréables. Mieux vaut leur raconter des histoires édifiantes sur cette fête aux “600.000 participants” que proclame l’Humanité d’aujourd’hui. Que l’on arrive à faire entrer 600.000 participants à la Fête en vendant à peine 100.000 vignettes, voilà un véritable miracle.
Descartes