Fessenheim, ou la dérive gauchiste du Parti de Gauche

On savait que le Parti de Gauche avait décidé de participer à la manifestation organisée par “Sortir du Nucléaire” le 3 octobre prochain à Colmar pour la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Une décision qui, soit dit entre parenthèses, ne semble avoir fait l’objet du moindre débat interne. Mais heureusement, le Parti de Gauche a tout de même publié son argumentaire pour la fermeture de la centrale. Le voici:

Afin de pouvoir continuer à exploiter des centrales nucléaires pendant 40 ou 60 ans, alors qu’elles avaient à l’origine une durée de vie de 30 ans, les directions d’Areva et EDF veulent profiter de la troisième visite décennale pour valider le prolongement de la centrale alsacienne.

Le nucléaire n’est pas une énergie propre et sans risques. Ces risques sont aggravés avec un réacteur qui vieillit: matériaux fragilisés, composants qui tombent plus souvent en panne, risques d’accident démultipliés, sans parler de la gestion des déchets.

Le Parti de Gauche demande donc la fermeture de la centrale de Fessenheim pour son trentième anniversaire et l’arrêt de tout nouveau projet nucléaire, notamment l’EPR de Penly, afin de se mettre en situation, à cette occasion, de préparer la sortie du nucléaire tout en planifiant également celle des énergies productrices de gaz à effets de serre.

Le PG affirme donc que les centrales “avaient à l’origine une durée de vie de 30 ans”. Ce n’est pas tout à fait exact: il serait plus précis de dire que la durée de vie prévue à l’origine était de 30 ans. Et la durée de vie prévue d’une installation industrielle est un peu comme l’espérance de vie à la naissance: elle ne donne guère d’information sur l’âge réel auquel un individu donné quittera cette terre. Les centrales nucléaires du “palier” Fessenheim ont été calculées (dans les années 1960) pour vivre au moins trente ans. Mais depuis que ces calculs ont été faits, les connaissances ont évolué. Nous savons aujourd’hui que les ingénieurs qui ont fait ces calculs avec les moyens disponibles à leur époque ont pris des marges très importantes pour garantir le résultat. Avec le progrès des connaissances, on sait aujourd’hui mieux analyser l’état des composants, on a trouvé des méthodes de maintenance et d’exploitation qui étaient inconcevables à l’époque de la conception, et on a dans beaucoup de cas modifié les installations de manière à les rendre plus sûres mais aussi plus durables. Résultat: des réacteurs dont l’espérance de vie à la naissance était de 30 ans semblent (car il faut attendre tout de même le verdict de l’Autorité de sûreté nucléaire) pouvoir en fait durer plus longtemps. Au nom de quoi on jetterait à la poubelle des investissements publics de plusieurs dizaines de milliards d’euros alors qu’ils sont encore exploitables ?

Le deuxième paragraphe montre que l’intuition ne peut remplacer une connaissance du terrain, et que le PG ferait bien de consulter des experts avant de rédiger ses communiqués. Il n’est nullement évident que “les risques soient aggravés avec un réacteur qui vieillit”, ou que “les composants tombent plus souvent en panne”. Un réacteur neuf est en fait bien plus dangereux qu’un réacteur en milieu de vie, tout simplement parce qu’un réacteur qui a été exploité pendant plusieurs dizaines d’années a accumulé beaucoup d’expérience, que son comportement est connu, que les routines de maintenance et d’exploitation sont rodées. Les accidents sérieux se sont produits essentiellement au cours des premières années d’exploitation. Tchernobyl 4 (couplé au réseau en 1984) n’avait que deux ans d’exploitation lors de son accident en avril 1986. Three mile Island, lors de son accident de mars 1979 , avait six mois de fonctionnement (couplage en décembre 1978). Plus près de chez nous, l’accident le plus grave jamais arrivé en France (niveau 4 de l’échelle INES qui en compte 7), est celui de mars 1980, alors que le réacteur comptait 8 ans de fonctionnement (couplé décembre 1971)… Les faits montrent qu’une installation industrielle bien entretenue devient plus fiable à mesure qu’elle vieillit, et pas le contraire.

Mais admettons un instant le raisonnement du PG. Si l’on arrête Fessenheim pour son treintième anniversaire, pourquoi n’arrêteraient-on pas les autres tranches nucléaires du palier 900 MW atteignant cet âge ? Le problème, c’est que cela fait beaucoup: il y a six tranches qui atteignent les 30 ans cette année (les deux de Fessenheim et les quatre de Bugey), sept l’année prochaine (Gravelines 1, 2 et 3, Dampierre 1 et 2, Tricastin 1 et 2), 8 l’année suivante (St Laurent 1 et 2, Dampierre 3 et 4, Tricastin 3 et 4, Gravelines 4 et Blayais 1). Il faudrait donc arrêter l’ensemble du palier, soit 34 réacteurs, fin 2005. La France est-elle en mesure d’arrêter 30.600 MW de production, soit presque la moitié de sa puissance installée, en cinq ans ? Auxquels s’ajoute l’arrêt, demandé par le PG, des chantiers EPR, soit 3.200 MW supplémentaires. Il faudrait construire au moins 90.000 éoliennes (et encore, en supposant résolue la question du stockage de l’énergie) pour les remplacer. Soit une éolienne de construite toutes les quart d’heure, et cela pendant cinq ans. Est-ce vraiment une perspective réaliste ?

Un dernier mot sur Fessenheim: en fait, le choix de Fessenheim ne tient nullement à l’âge de la centrale (finalement très proche des réacteurs suivants, ceux de Bugey, de Gravelines, de Tricastin ou de Dampierre). Fessenheim est choisie parce que c’est la seule centrale nucléaire autour de laquelle il existe une véritable mobilisation locale, notamment à cause de sa position à la frontière avec l’Allemagne. Ce sont des considérations tactiques, et non pas techniques, qui mettent Fessenheim dans le collimateur. Organisez une manifestation à Colmar, et vous aurez quelques centaines voire quelques milliers de participants (dont une bonne moitié venue de l’autre côté de la frontière). Organisez la même manifestation à Dunkerke (pour Gravelines) ou à Montélimar (pour Tricastin), vous n’aurez personne.

Le Parti de Gauche continue donc sa dérive gauchiste, en essayant de surfer sur les revendications pour récupérer des troupes, sans faire une analyse sérieuse du sens de ces revendications. Dans le dossier nucléaire, le PG commet deux erreurs tactiques. La première erreur est de prendre parti dans un débat complexe avant d’avoir véritablement travaillé sur celui-ci. On sait bien qu’une fois qu’une organisation politique a pris une position publiquement, il lui est très couteux de revenir en arrière. Le choix affiché aujourd’hui de monter dans la galère des intégristes de “Sortir du nucléaire”, empêchera demain tout débat interne sur un programme énergétique du PG dont la conclusion ne serait pas fixée d’avance. Avec cette histoire, le PG est définitivement marqué comme “parti anti-nucléaire”.

La seconde erreur est bien plus sérieuse: cette prise de position sans nuances éloigne du PG bien plus de gens qu’elle n’en séduira. Les adversaires du nucléaire ont une présence médiatique bien supérieure à ses partisans. Mais cela n’implique nullement qu’ils soient plus nombreux ni plus représentatifs. Sans compter les centaines de milliers des travailleurs du nucléaire et leurs familles, il y a de nombreux citoyens qui estiment que l’énergie nucléaire, sans être la panacée, est une solution raisonnable à nos problèmes, et qui sont excédées par le parti-pris et le sectarisme de certains anti-nucléaires. Il y a des voix à gagner en s’affichant avec les anti-nucléaires, mais il y en a aussi beaucoup, beaucoup de voix à perdre.

Descartes

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