PCF: fin de règne ou fin de partie ?

Les banderoles sont pliées et les tracts rangés, l’adrénaline des joutes électorales et des négociations d’arrière salle est retombée. C’est le moment pour les partis politiques de faire un bilan et de penser à l’avenir. Deux activités particulièrement déprimantes pour les dirigeants du PCF…

 

Le bilan d’abord. Il est très maigre: en termes purement électoraux, les élections régionales se traduisent par la perte de la moitié des conseillers régionaux communistes, et cela alors que la gauche dans son ensemble triomphe et que la droite est ratatinée (on n’ose imaginer ce qu’aurait pu être le résultat dans l’hypothèse inverse…). Certains dirigeants du PCF abonnés à la méthode Coué essayent de convaincre les troupes que c’est un bon prix à payer pour “l’installation du Front de Gauche dans le paysage politique”. C’est fort douteux, quant on voit à quel point les rapports à l’intérieur du Front sont tendus. A ce titre, il n’est pas inutile de se plonger sur le conflit interne entre conseillers régionaux PCF et PG en Ile de France. Le plus révélateur, ce n’est pas qu’ils n’ayent pas réussi à se mettre d’accord sur la constitution d’un groupe commun. C’est que les raisons du désaccord sont fort différents selon qu’on écoute le président PCF du groupe, qui l’attribue à un désaccord sur l’attribution des postes et prébendes (1), ou les conseillers PG, qui attribuent la rupture au refus de leurs contradicteurs d’accepter un certain nombre d’engagements politiques (2).  Peu importe qui dit la vérité, le fait est que l’un des deux (au moins…) ment effrontément, et que ni les dirigeants du PCF, ni ceux du PG n’ont pris la parole pour éclaircir cette affaire et donner aux citoyens une explication compréhensible. Il est clair qu’au Front de Gauche, l’union est un combat. Etais-ce la peine de sacrifier la moitié des conseillers régionaux PCF à la mise en place d’un “Front” aussi friable ?

 

Mais le bilan des élections ne peut s’arrêter là. Il a mis en évidence des faiblesses structurelles du PCF qui sont fort inquiétants pour son avenir. Il d’abord clair désormais que le Parti n’a plus aucune autorité sur les “notables” locaux, qui font la pluie et le beau temps à l’heure de négocier des alliances tant au premier qu’au second tour. Il n’y a plus, il faut bien le dire, de “ligne” du PCF définie au niveau national. Il y a tout au plus une vague indication de ce qui ferait plaisir à la direction, libre à chacun de jouer localement sa propre partition en fonction de ses intérêts et du rapport de force. Ce fait ne gêne pas seulement la lisibilité politique du PCF, il rendra extraordinairement difficile toute négociation pour des candidatures dans des élections au scrutin uninominal, pour lesquelles l’équilibre dépend de concessions mutuelles au niveau national…

 

Une autre faiblesse structurelle est la crainte évidente d’un grand nombre de “notables” de couler avec le navire communiste, et leur volonté de sauver leur carrière en changeant opportunément de crémerie, pour rejoindre des écuries plus susceptibles de sauver leurs sièges aux prochaines échéances. Gatignon en Seine-Saint-Denis, Hue au Val d’Oise, Gayssot et compagnie en Languedoc-Roussillon… des conversions bien entendu purement idéologiques et sans arrière-pensée carriériste, mais qui par une étrange coïncidence se trouvent récompensées ipso facto par des places éligibles sur des listes socialistes, écologistes ou “autres” (3)…

 

Or, le PCF ne survit aujourd’hui que par ses élus. Ce sont eux qui “tirent” les résultats électoraux (4). Ce sont eux qui ont les cordons de la bourse, puisque l’argent lié aux élus (que ce soit à travers la subvention publique indexée sur les résultats électoraux ou par reversement des cotisations) est essentiel pour maintenir la boutique. Ce sont eux qui représentent la seule face visible d’un parti qui a perdu l’essentiel de son implantation militante, particulièrement sur les lieux de travail. La perte des élus est donc une catastrophe qui s’auto-reproduit: moins d’élus, cela veut dire moins de moyens de reconquête, donc moins d’élus encore demain.

 

Devant ce bilan désastreux, la direction nationale applique une stratégie qui a fait ses preuves: convoquer un congrès. Mais non pas un “vrai” congrès, préparé dans les règles, avec des textes d’orientation et un véritable débat sur la stratégie. Non. On fera comme on avait fait avec le congrès convoqué après le désastre de la présidentielle, devenu au fil du temps une “assemblée générale” qui n’a servi strictement à rien. On convoquera un “congrès d’étape”, préparé selon une procédure “allégée” (que les statuts du PCF ne prévoient pas… mais après tout, qu’est-ce qu’on a à foutre des statuts ?) après deux petits mois de préparation. Congrès dont le seul but sera d’entériner la succession de Marie-George Buffet (ce sera Pierre Laurent (5), surprise, surprise…).

 

Au fonds, cela n’a aucune importance. Pierre Laurent ou l’hippopotame de Vincennes, ce serait du pareil au même (avec tout de même un petit avantage, question expressivité, pour d’hippopotame). Le problème du PCF n’est pas (seulement) son secrétaire national. C’est que la direction nationale est devenue une coquille vide. Il n’y a qu’à voir la réunion du comité national des 27 et 28 mars dernier: à l’heure du vote, il n’y avait que 87 membres présents, sur les 232 membres que compte cette auguste assemblée. Deux tiers des membres du conseil national avaient donc mieux à faire de leur week-end que de participer à la discussion sur l’avenir de leur parti. Il y avait donc une certaine ironie involontaire chez Pierre Laurent lorsqu’il déclarait dans son rapport que “[l’abstention] c’est un signe de condamnation de plus pour la politique gouvernementale, qui nourrit le désespoir des catégories populaires de notre pays qui voient s’éloigner les perspectives d’amélioration de leur quotidien”.

 

Si les conseillers nationaux du PCF ne se pressent pas pour assister aux réunions de cette instance, c’est parce qu’ils ont bien compris que cela ne sert strictement à rien. D’abord, parce que les décision nationales ne s’appliquent, et encore, que si les notables locaux le veulent bien. Dans le cas contraire, elles partent direct poubelle. D’ailleurs, les décisions nationales, y compris celles des congrès, sont le plus souvent olympiquement ignorées: les commissions mises en place en grande pompe et qui ne rapportent jamais, des statuts votés dans l’enthousiasme et qui sont piétinés dans les semaines qui suivent le vote sont devenus la règle. A quoi bon participer à un processus de décision dont les produits ne servent à rien ? Mais surtout, le Conseil national est devenu une réunion ou des mécontents peuvent râler tout en sachant qu’en bout du compte on fera ce que dit notre copine Marie-George (et demain notre copain Pierre…). Il est d’ailleurs révélateur de constater que les décisions du Conseil national sont pratiquement toujours votées dans les termes exactes de la proposition, sans qu’il soit jamais apporté en séance le moindre enrichissement, la moindre modification pour tenir compte des avis divergents. Dans ce contexte, l’utilité de cet organisme est nulle. Et deux tiers des conseillers sont suffisamment intelligents pour en avoir tiré la conclusion qui s’impose.

 

La configuration n’est donc pas optimale, et c’est peu de le dire, pour un sursaut du PCF. Et sans un sursaut, l’avenir le plus probable pour le PCF est une lente disparition par attrition, au fur et à mesure que ses “notables” et ses élus se retirent de la vie politique ou “migrent” vers des organisations plus accueillantes.

 

 

Descartes

 

 

(1) Consultable ici

 

(2) Consultable ici

 

(3) Il ne faut pas confondre ces élus qui vont à la soupe avec les coquetteries de Braouezec, Asensi, Martelli et consorts qui font le coup “retenez-moi ou je fais un malheur” à chaque élection ou presque. Les premiers cherchent à sauver leur peau devant les électeurs, les seconds à négocier avec la direction du PCF en position de force pour placer leurs “poulains”. Ce qui marche d’ailleurs de moins en moins bien: cela fait des années que tout ce beau monde a un pied à l’intérieur du PCF et un pied à l’extérieur. Est-ce que leur départ changerait vraiment quelque chose ?

 

(4) En étudiant les résultats, on observe que les résultats aux régionales sont bons là où les listes étaient dirigées par des élus communistes solidement implantés localement, et mauvais dans le cas contraire.

 

(5) L’accession de Pierre Laurent à la tête du PCF marquera sans aucun doute une rupture. Ce sera la première fois qu’un apparatchik “pur”, sans aucune expérience professionnelle ou d’élu accède à la plus haute fonction. Car en dehors du micro-monde communiste, Pierre Laurent n’a jamais travaillé pour un patron, n’a jamais dirigé un organisme, n’à jamais été élu national. Son expérience du monde se réduit au militantisme à la JC puis au PCF, au journalisme dans l’Humanité. Un horizon particulièrement étroit, si l’on compare à celui de Thorez, Duclos, Waldeck, Marchais, Hue et Buffet, qui ont tous été été ouvriers ou employés, syndicalistes pour certains et ont eu de longues expériences d’élu parlementaire avant d’occuper le secrétariat général/national.

 

 

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

6 réponses à PCF: fin de règne ou fin de partie ?

  1. Astrolabe dit :

    Bonjour,

    j’apprécie généralement vos contributions au blog de Jean-Luc Mélenchon où votre “mauvais esprit”, s’il ne vous vaut pas la sympathie générale, a le mérite de troubler quelques préjugés. Pour ma
    part je vous en remercie. On peut cependant regretter au vu de votre aisance dialogique et de votre vaste culture que votre apport aux discussions se limite la plupart du temps à cela :
    déconstruire systématiquement les opinions falsifiées peut être une entreprise de santé publique, passer la moindre affirmation au crible du doute méthodique une nécessité pour chacun que vous avez
    raison de rappeler en permanence, mais vous seriez plus audible encore si vous équilibriez votre discours entre négatif et positif (au sens de “constructif”). Vous dites n’avoir aucun programme à
    proposer, mais “une méthode”. On devine en vous fréquentant que la méthode en question ne s’applique pas exclusivement à l’échange d’arguments mais que vous avez une idée bien précise de la façon
    dont un parti doit être organisé, dont on élabore un programme… Jeune militant dans un parti de gauche radicale, je ne suis absolument pas rassuré par le traitement réservé à ces questions
    fondamentales au sein de mon organisation et vos lumières me seraient fort utiles ! Certes tout ceci n’a pas grand-rapport avec le présent billet, qui, s’il témoigne d’une connaissance intime du
    PCF, donne de sa situation un tableau bien désespérant pour qui le compterait encore parmi les “forces vives”. Ne m’en veuillez pas pour ce détournement…

    Cordialement.

    • Descartes dit :

      Je vous remercie. C’est toujours rassurant de penser que ce qu’on peut écrire est utile à quelqu’un. Comme vous l’aurez remarqué, j’ai mis un (I) à mon article “Le discours de la méthode”. Je
      prépare le (II) qui essaye de répondre à vos questions… j’espère pouvoir le mettre en ligne dans les prochains jours, et j’apprécierais vos remarques 😉

  2. marc.malesherbes dit :

    d’accord et … pas d’accord sur votre analyse

    vous écrivez:
    Le bilan d’abord. Il est très maigre:[…] Certains dirigeants du PCF abonnés à la méthode Coué essayent de convaincre les

    troupes que c’est un bon prix à payer pour “l’installation du Front de Gauche dans le paysage politique”.

    C’est indiscutable que le bilan est maigre, mais vous rejetez un peu vite l’argument que la tactique (stratégie ?) “Front de

    Gauche” est une bonne chose pour le PCF.

    En effet on peut aborder la question sous 2 angles:

    1- sur le plan tactique, combien de siège a fait perdre l’orientation Front de gauche par rapport à l’orientation précédente, union avec le PS dés le premier tour ?

    Avant de conclure sur les chiffres globaux, il faudrait distinguer les régions ou il y a eu un accord avec le PS dés le premier tour, et celles ou il n’y en a pas eu. Je suppose que cette analyse a
    été faite, mais je ne l’ai pas trouvée. Il est probable, que même en cas d’accord avec le PS dés le premier tour, le PS a du exiger une baisse du nombre d’élus PCF, car les résultats de la
    présidentielle de 2007 ont montré une baisse sensible de l’influence du PCF.
    L’orientation “Front de Gauche” a donc pu faire baisser le nombre d’élus PCF, mais pas autant qu’il n’y paraît par rapport à son alternative, un accord généralisé avec le PS.

    2- La direction du PCF a-t-elle eu raison de promouvoir l’orientation “Front de Gauche”, malgré le surcroît de pertes en nombre d’élu que cela a entraîné ?

    Toute la suite de votre post (avec lequel je suis en accord) montre que le PCF est actuellement en perte de vitesse progressive, sans espoir de rebond dans le cadre de son orientation actuelle. Il
    me paraît donc légitime (et souhaitable) que la direction du PCF cherche a définir de nouveaux axes d’intervention qui lui permette de rebondir, quitte a sacrifier quelques postes d’élu si
    nécessaires (plutôt que de mourrir à petit feu).
    En ce qui me concerne, je sais que les directions de parti disent rarement ce qu’elles comptent faire, aussi il m’est trés difficile de savoir ce que veut faire le PCF avec le front de gauche : ce
    peut être aussi bien le début d’une reconquête de l’électorat populaire, qu’une fuite en avant qui conduira à la poursuite du déclin.
    Au risque de vous contrarier, pour beaucoup de personnes qui ne sont pas hostile à priori au PCF, il n’est plus possible de mettre en avant cette référence à une expérience historique
    catastrophique (en URSS, mais aussi dans les anciens pays de l'”est”, en Chine, au Vietnam, au Cambodge, à Cuba; cela demanderait de long développement, mais je parle de la période “communiste” de
    ces pays). Dans ce cadre faire glisser l’identité “PCF” à l’identité “Front de gauche” n’est pas idiot (c’est comme le changement de logo, d’image pour une entreprise).
    Maintenant changer de nom n’est pas suffisant, il faut aussi définir la ligne politique qui va avec. Faute d’information, je ne perçois pas quelle est la nouvelle ligne, mais cela doit être connu
    des “experts”.

    Pour terminer, le PCF est encore la force politique principale à gauche du PS. Il serait vraiment dommage de la voir sombrer complètement.

    • Descartes dit :

      Plusieurs questions dans votre réponse:

      1) Sur la validité de la tactique du “Front de Gauche”: on peut toujours se poser la question de savoir ce qui ce serait passé si… mais cette question n’a pas de réponse. On ne peut savoir à
      coup sur si la stratégie d’union au premier tour avec le PS en 2010 aurait donné au PCF plus d’élus. Cependant, il y a de forts arguments pour penser que oui. Le premier de ces arguments, c’est
      le résultat de l’élection de 2004: en allant dans la grande majorité des régions avec le PS dès le premier tour, le PCF avait décroché 180 élus, contre 90 aujourd’hui. Le deuxième argument, c’est
      qu’il est toujours plus facile pour un parti marginal de négocier avec le PS avant le premier tour, quand les jeux ne sont pas encore faits, parce que dans cette hypothèse le PS achête une
      “assurance” pour le premier tour (je ne crois pas un instant que le PS aurait utilisé les résultats de la présidentielle pour réduire la place du PCF, les socialistes savent parfaitement la
      différence entre représentativité locale et représentativité nationale; pour autant que je sache, le PS était prêt à proposer la réconduction des sortants). Et finalement, il est intéressant de
      comparer les régions ou le PCF est allé ce coup-ci ensemble avec le PS avec celles ou il est allé avec le FdG…

      2) Comme vous, je trouve légitime que le PCF “cherche de nouveaux axes d’intervention, quitte à sacrifier quelques postes d’élus”. Seulement, cette recherche doit se faire en connaissance de
      cause, et en évaluant les risques. On ne peut pas raconter aux militants que grâce à cette stratégie “on gagnera de nombreux élus communistes”, pour ensuite découvrir au soir du deuxième tour
      qu’on en a perdu la moitié.

      3) Pour ce qui concerne “l’identité Front de Gauche”, je ne crois pas qu’un parti politique puisse “changer de logo” comme le fait une entreprise sans changer de substance. Un parti politique,
      contrairement à une entreprise, n’est pas une institution économique. C’est une institution symbolique. Imagine-t-on l’église catholique supprimant la croix de ses édifices sous prétexte que ce
      symbole rappelle trop l’Inquisition, et que le temps est venu de changer de “look” ? Il faut apprendre de l’église catholique, qui est une institution experte en matière de survie…

       

  3. marc.malesherbes dit :

    vous écrivez:

    “Et finalement, il est intéressant de comparer les régions ou le PCF est allé ce coup-ci ensemble avec le PS avec celles ou il est allé avec le FdG…”

    savez-vous si quelqu’un a fait le travail ?

    • Descartes dit :

      J’essaye de le faire à mon niveau, mais j’avoue que c’est très difficile d’en tirer des conclusions. D’une manière générale, le PCF a fait mieux lorsqu’il est allé avec le PS au premier tour que
      lorsqu’il est allé avec le FdG. Mais le problème, du point de vue de l’interprétation, c’est que le choix n’est pas aléatoire: on peut supposer que le PCF a choisi d’aller avec le PS là ou le PS
      lui a fait des offres particulièrement alléchantes… et du coup, cela fausse un peu la corrélation!

Répondre à Descartes Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *