Remaniement: les effets pervers du quinquenat

La Vème République est morte deux fois. La première fois, ce fut en 1986, lorsqu’un Président de la République (François Mitterrand, pour ne pas le nommer) décida que malgré le désaveu infligé par le peuple dans les urnes à sa politique il pouvait continuer à exercer sa fonction. Par cet acte fondateur, il a cassé l’un des piliers de la constitution voulue par De Gaulle, qui donnait au président des pouvoirs importants mais qui lui imposait en échange de se “mettre en danger” en consultant le peuple. Ce fut le retour de cette idée si déliciéusement “IVème république”: des politiciens qui restent en place en dépit du désaveu populaire. On appela cela “la cohabitation”.

 

La deuxième mort de la Vème république eut lieu en 2000, lorsque l’union sacrée Chirac-Jospin réforme la constitution pour instaurer le quinquennat. Comme pour la cohabitation, on ne s’aperçut pas tout de suite des dommages que la nouvelle mesure faisait à notre ordre constitutionnel. La mesure ne suscita dans l’opinion une indifférence polie: le référendum approuvant la réforme connut une abstention de 70%, l’une des plus élévées tous scrutins confondus de l’histoire de la République. Elle était au contraire jugée très intéressante par la classe politique, pour qui des élections rapprochés sont toujours une bonne nouvelle.

 

Les effets du quinquennat n’ont pas été perceptibles tout de suite. Le premier président élu sous cette règle fut Jacques Chirac, pour son deuxième mandat. Sachant que ce mandat était le dernier, le gouvernement a pu gouverner et le président présider en faisant abstraction de l’élection présidentielle de 2007, qui devait voir la victoire de Nicolas Sarkozy. Ce n’est donc qu’aujourd’hui que le désastre se présente à nous. Et le remaniement qui a eu lieu ces jours-ci en est peut-être l’expression la plus flagrante.

 

Pourquoi fait-on un remaniement ? Parce que les gouvernements, en contact avec le pouvoir, s’usent. L’obligation de cohérence apparente fait qu’un gouvernement ne peut pas changer d’avis: cela reviendrait à admettre qu’on a mal analysé la situation, qu’on a commis une erreur, bref, qu’on a mal fait son boulot (1). Un gouvernement est aussi prisonnier des engagements qu’il a pris envers ses différents interlocuteurs, et plus le temps, passe, plus la masse des engagements pris est importante. C’est pourquoi au bout de quelques années un gouvernement est souvent paralysé (en France, cela arrive généralement au bout de trois à quatre ans). Le remaniement est alors la seule manière d’amener des hommes neufs sur le devant de la scène. Des nouveaux ministres qui peuvent de manière plausible défendre des analyses différentes de celles de leurs prédécesseurs ou renier certains de leurs engagements.

 

Mais la dynamique gouvernementale a ses règles. Il est difficile pour un ministre de faire quelque chose de substantiel rapidement. Le temps d’analyser, de réflechir, de faire un projet, de consulter, puis de faire approuver les textes prend généralement entre une et deux années, plus le temps de la mise en oeuvre. Un gouvernement dont la vie prévisible n’atteint pas deux ans est un gouvernement qui sait à l’avance qu’il est là pour gèrer les affaires courantes. Or, le quinquennat produit nécessairement ce type de gouvernement. Si le président de la République élu pour cinq ans garde son premier gouvernement disons trois ans (suffisament pour qu’il fasse quelque chose), son deuxième gouvernement n’aura que deux ans pour gouverner. Et si l’on compte le fait qu’il est difficile de faire quoi que ce soit de sérieux à l’approche d’une élection, ce deuxième gouvernement n’aura que douze à dix-huit mois pour travailler véritablement. Le système du quinquennat ne gouverne vraiment que deux années sur cinq. Ce n’est pas beaucoup…

 

 

Descartes

 

 

(1) Cela ne veut pas nécessairement dire qu’un gouvernement ne peut changer de politique: il peut le faire lorsque les circonstances sont profondément modifiées et rendent caduques ls hypothèses qui fondaient la politique précédente.

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6 réponses à Remaniement: les effets pervers du quinquenat

  1. Poyo dit :

    La réforme constitutionnelle de Jospin a vraiment dénaturé la Veme qui avait sa cohérence et son équilibre. Elle l’a rendu caduque. Tu dénonces dans “la première mort” de la Veme le fait que
    Mitterand ait continué ses fonctions de chef d’Etat après sa défaite électorale de 86. Le problème c’est que s’il a été désavoué et qu’il a perdu sa légitimité, l’élection ne remettait pas en jeu
    la responsabilité du président. C’est un problème et c’est ce qui me fait penser que la Veme était taillée pour De Gaulle uniquement et son idée du plébiscite du monarque républicain, même si elle
    a résisté à son départ et qu’on y est toujours plus ou moins mais avec un système politique dénaturé et déséquilibré. Mon strict avis et qu’il faudrait retrouver un équilibre proche de celui
    d’antan avec un mandat présidentielle de 6 ans et des mandats de député à l’assemblée nationale de 4 ans. Déjà ca pour l’équilibre et permettre le renforcement ou non de la légitimité de la
    politique menée et si non l’alternance et cohabitation où le vrai chef de l’exécutif devient le premier ministre.

    • Descartes dit :

      Tu as raison d’écrire que rien juridiquement n’obligeait Mitterrand a démissionner en 1988. Mais une République ne se fonde pas seulement sur des textes. Elle se fonde aussi sur une certaine idée
      de la politique. Je pense que De Gaulle ne concevait même pas une situation ou un président désavoué accepterait de rester à son poste, mais aussi – et cela est important – une situation où une
      majorité parlementaire admettrait de gouverner avec un président qui ne partageait pas ses orientations. Car la faut est double: celle de Mitterrand qui est resté, et celle de la majorité élue
      qui n’a pas eu le courage d’exiger son départ.

      Je pense comme toi qu’il faudrait réequilibrer la constitution en redonnant à l’exécutif le rôle prévu en 1958. Un retour au septennat me semble la meilleure solution. On pourrait éventuellement
      raccourcir le mandat de l’assemblée de manière à ce qu’il y ait un “test” du vote populaire tous les quatre ans.

      On a aussi introduit une bombe dans le système avec la Question prioritaire de constitutionnalité, et de ce point de vue le choix de déférer au Conseil constitutionnel la question de savoir si
      l’interdiction du mariage homosexuel est conforme à la constitution sera un test important. Je compte essayer d’écrire un papier sur ce sujet dans les prochains jours.

  2. Ruben dit :

    Je tombe sur ce papier et un point me frappe. Mettons que le président soit élu pour sept ans et reprenons votre exemple. Il garde le premier gouvernement trois ans puis en change, mais viennent alors les élections législatives au bout de deux ans. Le Gouvernement est responsable devant le Parlement et est lié de toute manière au quinquennat parlementaire, si changement de majorité cela le compromettra autant qu’une défaite à la présidentielle.

    • Descartes dit :

      @Ruben

      Oui, mais pourquoi anticiper une défaite ? Dans la logique constitutionnelle de la Vème République, le président remet régulièrement son mandat à la disposition du peuple, que ce soit par le référendum ou par l’élection législative. Le président a donc toutes les raisons de s’engager pour que son parti gagne les élections législatives et gouverner sept ans. C’est pourquoi le choix mitterrandien a profondément corrompu l’esprit de la Vème: à partir de lui, les présidents ont eu intérêt à perdre l’élection législative pour gagner la présidentielle suivante (Mitterrand en 1988, Chirac en 2002). La défaite systématique de la majorité sortante est devenue une constante après 1986 seulement…

    • Ruben dit :

      [Oui, mais pourquoi anticiper une défaite ? ]

      Pourquoi anticiper une défaite à la fin du quinquennat présidentiel ?
      L’important est comme vous l’écrivez "qu’il est difficile de faire quoi que ce soit de sérieux à l’approche d’une élection".

      [ Le président a donc toutes les raisons de s’engager pour que son parti gagne les élections législatives et gouverner sept ans.]

      Donc comme pour la fin du quinquennat où le gouvernement devra s’engager pour l’élection et n’aura même pas deux ans.

      [C’est pourquoi le choix mitterrandien a profondément corrompu l’esprit de la Vème: à partir de lui, les présidents ont eu intérêt à perdre l’élection législative pour gagner la présidentielle suivante (Mitterrand en 1988, Chirac en 2002).]

      D’accord ; mais dans le cas d’un fonctionnement comme vous le voudriez des institutions ? S’ils n’ont pas intérêt de les perdre, ils ont intérêt de s’en occuper, comme pour la présidentielle, avec le même risque de remise en cause.

    • Descartes dit :

      @Ruben

      [Pourquoi anticiper une défaite à la fin du quinquennat présidentiel ?]

      Ma question n’était pas oiseuse. La logique de la république gaullienne était d’un gouvernement soumis en permanence au scrutin du peuple, et par conséquent ayant vocation à partir lorsqu’il n’avait plus sa confiance. La conséquence de ce raisonnement est que la majorité est en principe reconduite lors des élections législatives. C’est avec la république mitterrandienne que commence la logique selon laquelle les majorités ont vocation à changer à chaque élection. Le quinquennat renforce cette logique.

      En fait, la logique de la Vème était celle "d’une droite forte au pouvoir, et une gauche forte dans la rue". L’interaction de ces deux "forces" permettait de gouverner.

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