Les statuts du Parti de Gauche et ses mystères

La lecture des statuts d’un parti politique est toujours un exercice passionnant. Surtout pour un nouveau parti, pour lequel la rédaction et le vote des statuts sont le premier exercice “législatif” en grandeur réelle. Et c’est souvent dans ces textes qu’on peut voir la perception que les militants et les dirigeants de l’organisation ont de l’exercice du pouvoir dans une organisation. “Dis moi comment tu t’organises toi-même, et je te dirai comment tu comptes organiser la société”, en quelque sorte.

 

Le texte des statuts du Parti de Gauche ayant été rendus publics récemment (1), je me suis précipité pour les lire en détail. Et le jeu, il faut le dire, en vaut la chandelle. Parce que dans le texte on peut voir quelles sont les obsessions des rédacteurs.

 

L’obsession la plus obsessionnelle, celle qui appelle l’attention dès la première lecture, c’est le sacrifice consenti aux marottes du “féminisme de genre”. Ainsi, on retrouve partout les formes “militant-e-s”, “adhérent-e”, “élu-e” et ainsi de suite. Mais l’usage n’est guère homogène. Ainsi, si dans la partie normative du texte on retrouve cet usage systématiquement, il est absent de la déclaration de principes. Ainsi, on déclare que “Pour ce faire, il [le PG] s’appuie sur la force collective de ses militants“. Il faut croire que les “militantes” ne sont pas incluses lors qu’il s’agit de parler de principes, alors qu’elles sont omniprésentes dans la partie normative du texte. Mais on se rattrape en déclarant, toujorus dans la déclaration de principes, que le PG “présentera des candidates aux élections“. Les candidats n’ont qu’à aller se rhabiller.

 

Il serait injuste de jeter la pierre au Parti de Gauche dans ce domaine. Cette marotte se trouve maintenant dans les textes de la plupart des organisations de la “gauche radicale”. Chez le PCF cela a été poussé jusqu’à l’absurde, en doublant systématiquement les articles dans des phrases aussi magnifiques de clarté que “les adhérents et les adhérentes se réuniront pour défendre les intérêts des françaises et des français”. Il faut d’ailleurs noter que seuls les mots ayant une connotation positive (militant, adhérent, français, travailleur…) sont doublés. Les mots ayant une connotation négative (patron, exploiteur, banquier…) ne sont jamais féminisés. On combat les exploiteurs, pas les “exploiteurs et exploiteuses”…

 

L’autre marotte c’est bien entendu la “parité de genre” (le mot “sexe” est connoté, paraît-il…). l’expression figure pas moins de 14 fois, soit presque une fois par article. Quelquefois, avec des implications absurdes: ainsi l’article 15 nous explique que la commission de règlement des conflits du Parti de Gauche est “composée de 11 membres respectant la parité de genre”. En laissant de côté l’atroce outrage fait à la syntaxe française par ce texte (2), on voit mal comment une instance comptant un nombre impair de membres peut respecter une quelconque parité, qu’elle soit de genre ou autre.

 

Mais le mystère le plus remarquable, c’est la disparition de tout pouvoir exécutif. En effet, les statuts construisent une hiérarchie d’instances collectives (comités, coordinations départementale et régionale, comité national, bureau national) dont certaines disposent d’un sécrétariat. Mais le secrétariat n’est dans aucun cas un organe exécutif: il n’est là que pour “animer et coordonner” les activités, et éventuellement pour exercer l’autorité de l’instance dont il est issu entre deux réunions de celle-ci. Le problème est en fait plus vaste: si les statuts parlent d’un “pouvoir décisionnel”, il n’est pas clair quelle est la portée de ces décisions. Les adhérents sont-ils tenus individuellement de les appliquer ? On peut en douter: les statuts ne le précisent pas et les causes d’exclusion sont limitées aux cas “de non respect des règles statutaires ou des principes politiques définis dans la Déclaration de principe”.

 

A la faiblesse du pouvoir exécutif répond une vision arbitraire du pouvoir judiciaire: celui-ci est exercé (ad-référendum du Bureau National) par la commission de règlement des conflits qui peut prononcer des sanctions “si les faits à l’origine de la saisine révèlent un ou des comportements de nature à nuire aux intérêts du Parti de Gauche“. Il n’est donc point besoin que les agissements en question revèlent une volonté de nuire, ni même qu’ils effectivement causé un dommage. Il suffit qu’ils soient de nature à le causer. Vous pouvez donc être exclu pour des actes ou comportements parfaitement conformes aux statuts, mais dont la commission aura jugé qu’ils auraient pu porter tort au PG. C’est une curieuse conception de la justice.

 

Est-ce que tout cela est important ? Probablement pas si l’on se concentre sur le fonctionnement du PG. Il est peu probable que le parti, dans sa configuration actuelle, aura les moyens (et l’envie) de faire fonctionner cette architecture, et probablement continuera-t-on à prendre les décisions en coulisse. Mais dans la forme que les congressistes ont voulu donner à leur parti on peut lire leur vision de la société. Et cette vision n’est pas rassurante. La faiblesse des organes exécutifs et l’arbitraire de l’organe judiciaire confirment une dérive très générale dans la “gauche radicale”: les institutions sont perçues plus comme organisatrices de débats que comme devant gouverner. On se concentre sur les mécanismes de la prise de décision sans jamais réflechir aux moyens d’assurer l’exécution des décisions prises. Le contrôle des élus et des dirigeants est plus important que le fait qu’ils puissent faire leur office dans des bonnes conditions. Et là encore, malhereusement, le PG n’est pas seul dans cette dérive. Le PCF ne fait guère mieux…

 

Et, dernière curiosité de ces statuts, l’élection de Jean-Luc Mélenchon et de Martine Billard comme co-présidents du bureau national doit être considérée nulle et non avenue. En effet, les statuts ne prévoient pas une présidence (et encore moins une co-présidence). Et l’article 7 précise que “Tout autre structure que celles définies au sein des statuts est réputée illégitime et ne peut en aucun cas se réclamer du Parti ou représenter celui-ci sous quelque forme que ce soit“. Dont acte.

 

Descartes

 

(1) Il a fallu presque trois semaines pour que le Parti de Gauche publie les statuts qui ont été votés lors du congrès de la fin novembre. Pourquoi ? Mystère…

 

(2) Tel qu’il est rédigé, le texte ne demande pas que les membres de l’instance soient pour une moitié des hommes et pour l’autre des femmes, mais seulement que les membres éprouvent du respect pour la “parité des genres”…

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2 réponses à Les statuts du Parti de Gauche et ses mystères

  1. marc malesherbes dit :

    merci de ce billet bien triste et bien amusant

    bien triste, car il montre bien les limites du Front de Gauche (d’accord, ce ne sont pas les seuls …). Mais surtout, in fine, leur mépris de leurs propres adhérents !

    bien amusant, car, comme on dit, il vaut mieux rire que pleurer …

    nb: tout cela n’empêche pas que JL Mélenchon est souvent très bon sur son blog, surtout parce qu’il délivre une information sur ce que disent et font les dirigeants du parti socialiste, sans
    oublier qu’il est bon à la télé, comme l’était G Marchais (“El Kabbach taisez-vous !” savez-vous si on peut revoir sur internet ses anciennes interviews ?)

    • Descartes dit :

      Franchement, qu’est ce qu’on a à faire de ce que “disent et font les dirigeants du Parti socialiste” ? A quoi cela nous avance ?

      Quant à être bon à la télé… franchement, je ne trouve pas. Mélenchon est un superbe orateur. A une tribune, il est imbattable. Mais il ne passe pas bien à la télévision, parce qu’il est trop
      tendu, pas assez bonhomme, et qu’il n’a pas une distance suffisante avec son propre personnage. Tout ce que G. Marchais avait en abondance. Par ailleurs, Marchais n’insultait jamais personne et
      évitait les attaques personnelles. Mélenchon ferait bien d’en prendre graine…

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