La politique de Nostradamus

Quelqu’un pourrait m’expliquer d’où vient le millénarisme ambiant ? Chaque événement donne aujourd’hui lieu à des interprétations tellement catastrophistes qu’il est difficile de savoir s’il faut trembler de peur ou s’écrouler de rire…

 

La rétrogradation de la note du Trésor américain n’a pas dérogé à la règle. Les nouveaux oracles sont sortis de leurs huttes pour nous raconter que le monde allait s’écrouler, que l’histoire était sur le point de basculer, que le capitalisme arrivait à sa fin. Prenons un exemple de cette prose, écrite samedi dernier, juste après les annonces du week-end:

 

Qu’une seule fois il ait été dit, par une autorité du système lui-même, que les Etats-Unis ne sont plus un placement sécurisé et c’est tout un univers qui prend fin. Si le roi est nu aux yeux de tous, ne fût-ce qu’un instant, il devient impossible d’ignorer ensuite, quoi qu’il fasse, qu’il n’est qu’un homme comme les autres. Car tout l’édifice financier mondial repose en dernière instance sur un pur article de foi à propos de la valeur refuge d’une monnaie, le dollar, dont tout le monde sait pourtant qu’elle ne vaut peut-être pas le prix de l’encre et du papier avec lesquels elle est fabriquée.

 

Mon dieu!  Les bons du Trésor ne seraient plus un “placement sécurisé” et “tout un univers prend fin” ? Allons, soyons sérieux… des trois agences de notation qui ont pignon sur rue, une seule a dégradé la note américaine. Et l’a dégradé du niveau AAA au niveau AA+. A ce niveau-là, difficile de dire que “le roi soit nu”: il a tout au plus enlevé son chapeau. Le dollar ne vaudrait plus que “le prix de l’encre et du papier” ? Faut croire que non, puisqu’il s’échange encore assez facilement contre toutes sortes de produits sur le marché international.

 

Nous devons cette analyse perçante à Jean-Luc Mélenchon, dont l’habitude d’exagérer jusqu’au ridicule tout ce qui peut aller dans son sens est bien connue (1). Mais il n’est pas le seul: cette vision millénariste de l’histoire qui fait de chaque instant une bifurcation historique est chaque fois plus présent dans le langage d’une “gauche radicale” en mal d’épopée. On en avait eu déjà une illustration lors des grandes grèves de 1995. Les grandes figures de la “vraie gauche” nous ont expliqué que cette action marquait l’émergence d’une “nouvelle conflictualité” qui, promis juré, n’avait rien à voir avec ce qui se passait avant grâce à des “nouvelles formes d’organisation” qui – sous les applaudissements de la bienpensance de gauche – se faisait dans le dos des syndicats. Mais comme souvent, ces grandes figures se sont trompées: quelques années plus tard, on était revenu à la norme des conflits sociaux habituels, loin de la vision délirante – lisez les textes écrits à l’époque si ce terme vous paraît trop fort – de tel ou tel intellectuel. La même sorte d’aveuglement avait accompagné les émeutes des banlieues en 2005: les mêmes nous avaient expliqué que le vieux monde chancellait, que “rien ne serait comme avant”. Le moins qu’on puisse dire, est que ces espoirs ne se sont pas matérialisés.

 

Lamentablement, l’espoir ne remplace pas l’analyse, pas plus que l’optimisme de la volonté ne peut s’imposer au pessimisme de la raison. Le capitalisme en a vu d’autres, et de bien plus rudes. Et je ne parle pas de l’économie financière, mais de l’économie réelle. Il faut relire le livre magnifique de Galibraith, “l’ere de l’opulence”: entre 1929 et 1932 le PIB des Etats-Unis et de l’Allemagne diminue de 10% par an, celui de la France et de la Grande Bretagne de 6% par an. En quelques mois, des millions de travailleurs avaient été jetés à la rue sans ressources et sans aucun dispositif social de protection. On n’y est pas vraiment: même si la croissance est relativement anémique, elle reste positive dans tous ces pays. C’est d’ailleurs l’un des grands paradoxes de l’analyse “de gauche” de cette crise: après avoir dénoncé pendant des années le détachement de plus en plus grand entre l’économie financière et l’économie réelle, on ne s’intéresse finalement qu’à l’agitation de la sphère financière, sans regarder l’économie réelle. Comme si l’important est ce qui se passe à la corbeille, et non pas dans les usines. Or, si la bourse perd 15% en une semaine, la croissance économique, elle, ne fléchit que très partiellement. Dans ces conditions, prédire l’effondrement du capitalisme parait pour le moins prématuré.

 

 

Descartes 

 

 

(1) La suite de ce même texte, dans laquelle l’oracle joue les Cassandres, est encore plus comique:

 

Au même moment, et ce n’est pas un hasard, l’Euro trébuche une fois de plus, montrant qui avait raison entre ceux qui criaient à la guérison du fait de leur remède de cheval et ceux qui soulignait l’impasse aggravée. (…) Ah oui ! Comme nous avons en vain décrit, analysé, décortiqué et prédit, des années durant, les effets à venir de la ronde aveuglée des capitaux fictifs et des capitaux flottants !

 

Je crois me souvenir que lorsqu’en 1992 nous étions quelques uns à avoir “en vain décrit, analysé, décortiqué et prédit” les effets à venir de l’Euro. Mais à cette époque, Mélenchon n’était pas parmi nous. Il était au contraire dans la tranchée d’en face, expliquant doctement que Maastricht était un “compromis de gauche” et que la monnaie unique allait nous protéger de toutes les catastrophes. Alors, il est un peu tard aujourd’hui pour revêtir les habits de l’oracle qui a toujours eu raison.

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

9 réponses à La politique de Nostradamus

  1. Inquiet dit :

    “Quelqu’un pourrait m’expliquer d’où vient le millénarisme ambiant ?”

    De l’eschatologie chrétienne et islamique par exemple, entre autres. Notre époque et ses “tribulations” ont été décrites il y a très longtemps. Alors, on y croit ou on n’y croit pas, mais ça
    existe (au moins sur le papier, ou dans l’esprit des gens). A mon avis, ça vient de là. (Mais c’est un peu hors-sujet sur ce blog)

    Serviteur.

    • Descartes dit :

      Les eschatologies chrétienne ou islamique ont un côté millénariste, c’est vrai. Mais je ne pense pas que leur influence sur la pensée actuelle soit si forte qu’on puisse leur attribuer la
      responsabilité.

  2. julien dit :

    Il y a une sorte de Schadenfreude des observateurs des relations entre monde politique et monde financier. Même si le public n’aime en général ni l’un ni l’autre, il semble y avoir comme une
    envie envers la finance capable de sanctionner de façon immédiate et concrète – enfin, concrète à son échelle – les politiciens coupables de “préférer les paroles aux actes”, de “faire de la
    communication plutôt qu’annoncer des mesures solides”. Comme une revanche par procuration, car nous aimerions bien, nous aussi, signifier ce refus d’être pris pour des enfants d’une autre manière
    qu’un sondage IPSOS mensuel…

  3. Joe Liqueur dit :

    @Descartes

    Celui-là il est pas mal aussi dans la série “je casse l’ambiance”…

    Enfin, ce qui me plaît peut-être encore davantage, c’est le côté Mélenchon-bashing… En même temps, ce n’est pas très sport de lui jeter à la face ses errements passés, qui datent quand même de
    quelques années, et qu’il a lui-même explicitement reniés (je crois qu’on ne peut pas lui enlever ça). Mais c’est vrai que là il prête le flanc à ce genre d’attaques, tant pis pour lui.

    En lisant ce même billet mélenchonien, je suis tombé avant-hier avec une certaine stupeur sur la charte de son blog. Laquelle précise carrément, je cite :

    “La section “commentaires” qui suit chaque billet n’est pas un espace de discussion ou de débat.

    C’est un espace de publication, où les lecteurs du blog sont invités à apporter des précisions, des appréciations ou des arguments dans le cadre exclusif des sujets développés
    par l’auteur du billet”.

    C’est “cash”.

    • Descartes dit :

      Enfin, ce qui me plaît peut-être encore davantage, c’est le côté Mélenchon-bashing…

      Comme disait l’autre, il faut être sevère avec les gens qu’on n’aime pas, et encore plus sevère avec les gens qu’on aime. Et moi j’aime bien Mélenchon. Seulement, on peut aimer personnellement
      quelqu’un et constater néamoins qu’il s’est fourvoyé, et qu’il suit un chemin qui ne conduit nulle part. Ce n’est donc pas du “Mélenchon-bashing” mais plutôt une tentative – sans grand espoir –
      de faire réflechir ceux qui ont le pouvoir de lui faire changer de route…

      Mélenchon n’a toujours pas compris qu’il y a deux phases dans une campagne politique: une phase de “séduction”, où il faut capter l’attention de l’auditoire; et une phase de “conviction”, où il
      faut utiliser cette attention pour faire passer un projet. Jean-Luc a réussi magistralement la première phase, avec ses envolées lyriques et ses gueguérres avec les journalistes. Cela lui a valu
      d’être invité permanent à toute une série d’émissions. Seulement, et c’est ce message que j’ai essayé de faire passer pendant des mois, il fallait préparer la seconde phase de la campagne.
      Maintenant que Mélenchon a accès aux micros, il faut avoir quelque chose à dire. Et c’est là que le problème commence. En dehors des discours apocalyptiques, Mélenchon n’a rien de vraiment
      concret et rationnel à proposer.

      En même temps, ce n’est pas très sport de lui jeter à la face ses errements passés, qui datent quand même de quelques années, et qu’il a lui-même explicitement reniés (je crois qu’on ne peut
      pas lui enlever ça).

      Je crois que si, on peut et on doit lui enlever ça. Parce que le “reniement de ses errements” passés est beaucoup plus superficiel et moins réel que tu ne le crois. Réécoute sa “leçon” à la
      réunion de célébration du 30ème aniversaire de l’arrivée des socialistes au pouvoir en 1981. Ou plus concrètement, regarde le discours de Mélenchon vis-à-vis de l’Europe: il nous parle de sortir
      du traité de Lisbonne, mais jamais de sortir de Maastricht. Il explique même que ceux qui voudraient sortir de l’Euro sont assimilables au pétainisme. Ce n’est pas très convaincant pour quelqu’un
      qui dit, du bout des lèvres, avoir eu tort lors de la ratification de Maastricht.

      En lisant ce même billet mélenchonien, je suis tombé avant-hier avec une certaine stupeur sur la charte de son blog.

      Chacun sa manière de perdre son temps… La “charte” en question est un attrape-gogo. En fait, la véritable charte entre dans une seule phrase: je laisse publier ce que je veux, je censure ce que
      je veux. Signé: le webmestre.

      C’est très dommage. Avec sa capacité d’attraction, il fut un moment où JLM aurait pu faire de son blog un véritable espace de débat et d’explication. Mais il aurait fallu pour cela non seulement
      une politique de modération favorisant l’argumentation sérieuse, mais surtout le travail de quatre ou cinq animateurs bénévoles chargés de soutenir le point de vue de Jean-Luc (trop dur
      pour lui même de répondre à tout le monde). Malheureusement, après beaucoup d’hésitations, le choix a été de ne laisser subsister que ce qui va globalement dans le sens du discours du candidat,
      quelque soit la qualité du message. Du coup, on n’y trouve que des apocalyptiques et des lèche-bottes.

      Il reste que la lecture des commentaires dans le blog de JLM est très illustrative. On y voit exposées les idées économiques les plus absurdes enoncées comme si c’était des vérités d’évangile,
      souvent couplées à des théories de conspiration sans queue ni tête. Un excellent vaccin contre le gauchisme.

  4. Marcailloux dit :

     

    Bonjour Descartes,

     Vous écrivez en réponse au commentaire n°3 de Joe Liqueur:

    “ Mélenchon n’a toujours pas compris qu’il y a deux phases dans une campagne politique: une phase de “séduction”, où il faut capter l’attention de l’auditoire; et une phase de “conviction”, où il
    faut utiliser cette attention pour faire passer un projet. ”

    Une campagne politique peut s’assimiler à bien des égards, à une action de vente d’un produit. J’entends les puristes qui me rétorqueront que cela n’a rien à voir, qu’il s’agit d’une démarche
    noble et universelle, que l’électeur ne peut être assimilé à un acheteur de chaussettes, etc, etc….

    Or, que font la plupart des candidats avant de se lancer dans la campagne présidentielle ?

    Ils déterminent une cible électorale, le “ créneau de chalandise ” en terme markéting, quelquefois assez éloigné de leurs convictions, leurs situations passées et, ou présentes.

    Ils concoctent un programme, ou son artefact, brosse à reluire du politique, et qui joue le rôle de l’objet à vendre, crée de toute piece sans réel lien avec les besoins effectifs blottit dans
    son emballage que représente le candidat.

    Ils soignent préventivement l’emballage – packaging oblige –avec force rectification de dentition, de narines, de coiffure, de bedaine ou autres talonnettes et colifichets.

    Ils constituent un réseau de vente, aussi puissant que possible, assortit de tout les outils que cela sous-tend : blogs, livres, clubs de réflexion, universités de 4 saisons, etc….

    Les voilà enfin près à se lancer dans la bataille, et comme tout bon commerçant, ils appliquent les règles immuables, explicites ou non d’une démarche de vente.

    Celle proposée par P. Whiting me paraît à cet égard bien correspondre au problème posé qui est de vendre efficacement le projet de gouvernance du pays.

    Sommairement elle s’énonce ainsi :

    Attirer l’attention

    Eveiller l’intérêt

    Convaincre par des arguments solides

    Susciter le désir

    Conclure ( par la présentation du bulletin de commande, ou ……l’invitation au vote)

    Nous constatons, en effet que JLM n’a à ce jour pas tellement dépassé le premier stade. L’intérêt d’une démarche novatrice, ambitieuse et réaliste semble se dissoudre dans le marigot FdG
    construit contre nature, la preuve en est qu’aucun décolage dans les sondages n’a succédé à sa nomination officielle. La troisième étape ne point pas dans ce que l’on peut lire, ni dans la presse
    ni sur son blog, toujours empeint du syndrome de Caliméro, pauvre petit canard.

    Dans notre monde de brutes, la victime ne constitue plus, hélas, une rente assurée. Alors pour ce qui est du désir, se demande-t-il si on peut décemment avoir envie de s’associer à un échec sur
    toute la ligne de front ?

    Un homme comme JPChevènement, s’il se présente, ne fera surement pas mieux en terme de résultat électoral que JLM.

    Néanmoins, ses partisans auraient le sentiment de défendre une conception lucide, cohérente, courageuse de la politique, et la consolation prédilective d’avoir raison avant la grande majorité des
    citoyens.

     

    Bien à vous. 

     

  5. FD dit :

    Tout à fait d’accord avec votre billet et plus largement avec votre volonté de rompre avec le dogmatisme de la gauche (même si c’est un projet voué d’avance à l’échec). Je vaisparler de votre
    blog sur le mien.

    • Descartes dit :

      Merci beaucoup. Je n’ai pas d’illusions sur l’avenir de mon projet… mais comme disait quelqu’un, il est des batailles qui valent la peine d’être perdues.

Répondre à julien Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *