J’ai mal à la Grèce

“Puedo escribir los versos mas tristes esta noche…” (Pablo Neruda)

 

 

“Ce soir, je pourrais écrire les vers les plus tristes”, écrivait Neruda. Et je pourrais dire la même chose – avec beaucoup moins de talent, bien entendu – en regardant ce qui s’est passé ces derniers jours en Europe en général et en Grèce en particulier.

 

J’aime beaucoup la Grèce. C’est peut-être l’endroit d’Europe on l’on prend le plus profondément conscience de ce qui constitue notre “civilisation”, et combien sa singularité est liée à l’héritage greco-latin. Vous pouvez visiter l’Inde ou la Chine, et contempler des monuments et lire des textes antérieurs à ceux de la Grèce classique. Mais ces monuments et ces textes vous seront – à moins d’être un spécialiste de la question – toujours hermétiques. La pensée, la vision du monde de ceux qui les ont construits et écrits n’est pas la votre. En Grèce, par contre, vous êtes toujours surpris par la proximité du passé. Vous pouvez lire le texte écrit sur les pierres, et vous le comprendrez, comme s’il avait été écrit hier. Vous verrez des temples, et leurs formes, leur style, leurs proportions vous sont familières. Vous verrez des théâtres, et leur disposition et leur usage vous sont connus. Et les pièces qu’on y jouait peuvent être jouées aujourd’hui et restent pour nous d’une actualité que n’aura jamais, par exemple, le Maharabata ou le Popol Vuh.

 

J’ai connu avant l’Euro. C’était alors un petit pays, provincial, pauvre. Peuplé de gens gentils, courtois, et pour qui de toute évidence la productivité du travail ne constituait pas une priorité. Je l’ai connu ensuite dans l’Euro: toujours un petit pays provincial. Mais la pauvreté avait laissé pas à une frénésie de consommation. Et comme la productivité du travail restait toujours abyssale – un restaurant grec a souvent plus de serveurs que de clients – il fallait bien que cette consommation soit alimentée par quelque chose. Mais personne ne s’inquiétait à l’époque. C’était le “miracle européen” qui allait transformer le plomb en or et permettre aux grecs de vivre comme les allemands… tout en continuant à travailler comme ls grecs.

 

Connaissez-vous le cinéma Attikon ? C’est – ou plutôt c’était – le plus grand cinéma d’Athènes, et surtout le plus ancien. Ancien théâtre construit vers 1870, il avait été transformé en cinéma en 1912, il y a tout juste cent ans. C’est – ou plutôt c’était – un magnifique bâtiment de style néo-classique. A l’intérieur, une salle à l’ancienne, avec balcon et “baignoires”, un écran géant et des sièges confortables en velours rouge. L’Attikon, c’est – ou plutôt c’était – le festival du film d’Athènes et toutes sortes de manifestations culturelles. C’est – ou plutôt c’était – un cinéma dont la direction avait décidé de baisser récemment ses prix pour permettre aux grecs d’y avoir accès dans la situation actuelle.

 

Pourquoi rappeler tout ça ? Parce que l’Attikon a brûlé dimanche dernier. Comme son voisin, l’Appolon. Comme le théâtre Asty. Tous trois ont été attaqués à coup de cocktail molotov lors des manifestations contre le vote du programme d’austérité au Parlement. Le vénérable cinéma, une institution et un monument de la vie athénienne, qui avait survécu à l’occupation nazie, n’aura pas survécu à l’occupation de l’UE. Tout cela est très triste. Pour reprendre les termes de Nikos Konstandaras, rédacteur du journal “Kathimerini”: 

 

Le bâtiment néo-classique qui hébergeait le cinéma Attikon était l’un des plus beaux d’Athènes, l’un des rares à nous rappeler ce que notre ville aurait pu devenir si nous avions respecté son passé, si nous nous étions préoccupé de son présent et de son avenir. C’est peut-être un juste sacrifice, un symbole de notre volonté de détruire puisque nous ne sommes pas capables de créer, une expression de notre besoin d’abandonner notre mémoire pour passer dans un futur noirci de cendres et de rage“.

 

Il paraît, du moins si l’on écoute les discours lyriques de quelques uns de nos gauchistes nationaux – et je ne donnerai pas de noms pour ne pas faire des jaloux – que la violence dans les rues d’Athènes est “l’accoucheuse de l’avenir” en Grèce, un pu comme les émeutes de 2005 dans nos banlieues – où l’on avait aussi mis le feu à des bibliothèques et des salles de sport – devaient l’être en France. Si c’est le cas, c’est un avenir bien sombre qui se prépare. Et qu’on ne m’explique pas que toute la faute est aux “banquiers”. Quelque aient été les fautes ou les crimes des financiers, cela ne justifie pas, ne justifiera jamais, la destruction aveugle. On peut à la rigueur comprendre qu’on mette le feu à une banque: c’est un symbole. Mais à un cinéma ? une bibliothèque ? un gymnase ? En quoi la destruction de l’Attikon fait avancer la cause du prolétariat ?

 

La Grèce se débat dans une crise grave, c’est entendu. Cette crise ne peut être ramenée comme le font certains à la rapacité des banquiers ou la méchanceté des spéculateurs. Le fait est que Grèce est une économie peu productive. La faiblesse des infrastructures, de la formation, des habitudes de travail peu efficaces, l’arriération de l’outil de production se conjurent pour affaiblir la productivité. En fin de compte, l’heure de travail et l’unité de capital investi en Grèce produisent un résultat moindre qu’ailleurs. En soi, ce n’est pas un pêché. On a le droit de préférer le travail “coule” à la grecque plutot que l’obsession de l’efficacité à l’allemande. C’est un choix que chaque peuple a le droit de faire. Cela étant dit, il faut assumer les conséquences de ce choix: un pays ne peut durablement consommer plus qu’il ne produit. Si l’on choisit de travailler à la grecque, on ne peut pas vouloir le niveau de vie à l’allemande.

 

L’adhésion à l’Union Européenne puis l’Euro a donné aux grecs une “illusion de richesse”. Pendant dix ans les grecs ont pu s’offrir un niveau de vie qui n’avait pas de rapport avec leur productivité réelle. C’est aussi le cas de certaines régions françaises – la Corse, pour ne donner qu’un exemple –  me direz vous. Mais la différence est qu’à l’intérieur d’une nation cela est possible parce qu’il y a un consentement tacite des régions les plus riches à des mécanismes de péréquation (1). A l’échelle de l’Europe, cette solidarité inconditionnelle qui est inséparable de l’idée de Nation n’existe pas. Les allemands n’étant pas prêts à subventionner de manière permanente le niveau de vie des grecs, c’est par l’emprunt que ceux-ci ont financé le décalage entre leur niveau de vie et leur productivité. Et cela a été possible parce que les prêteurs, aveuglés par les discours maastrichiens de “convergence des économies européennes” ne se sont rendu compte que tardivement que le décalage de productivité allait tôt ou tard poser un problème.

 

Le fait est que les économies européennes ne convergent pas. Elles divergent même, dans la mesure où les choix de spécialisation permettent à chacun de jouer au passager clandestin: ce fut le cas de l’Irlande, attirant les entreprises avec des taxes sur les sociétés abusivement basses. Ce fut le cas de l’Angleterre, attirant à Londres les industries financières. Comment dans ces conditions faire coexister les économies aux productivités – et donc aux compétitivités – différentes ? En temps normal, ce sont les parités monétaires qui permettent de compenser. Si on les laisse flotter, elles s’ajustent de manière à réduire les déficits commerciaux: un pays déficitaire voit sa monnaie se déprécier, ce qui renchérit les produits étrangers et tend donc à réduire les importations. Un pays excédentaire voit sa monnaie s’apprécier, ce qui pénalise ses exportations.

 

La création de l’Euro a supprimé ce “stabilisateur automatique”. Avant la monnaie unique, des économies aux productivités très différentes pouvaient coexister, au prix d’une dépréciation continue des monnaies des économies les moins productives et d’une appréciation concomitante des monnaies des économies les plus productives. Mais avec la monnaie unique, cette coexistence devient impossible. Le système ne peut être stable que si la compétitivité – et donc la productivité – des différentes économies est équivalente. Autrement, il y aura toujours un excédent de l’économie la plus productive et un déficit de l’économie la moins productive, et ce déficit creusera la dette jusqu’à la crise.

 

L’existence de monnaies différentes permettait de découpler la productivité de la compétitivité en jouant sur les prix et les salaires relatifs: la dépréciation revenait en effet à diminuer simultanément les salaires et les prix internes exprimés en monnaie étrangère. Aujourd’hui ce n’est plus possible. Il ne reste donc qu’un moyen d’obtenir le même résultat: c’est la déflation des salaires et des prix. Au lieu de réduire la valeur de la monnaie dans laquelle les prix et les salaires sont exprimés, on essaye de réduire les salaires et les prix eux-mêmes. Le problème est que, sauf à instaurer le contrôle des prix, ce que les textes européens interdisent, il ne reste plus aux gouvernements qu’à faire baisser les salaires et prier que les prix baissent par baisse de la demande. Et c’est cette baisse de la demande qui pousse le pays dans la récession.

 

Que les grecs doivent se résigner à ce que leur niveau de vie diminue jusqu’à correspondre à leur productivité, cela semble inévitable. Comme je l’ai dit plus haut, la seule façon d’y échapper c’est que les pays les plus productifs consentent des transferts permanents. Et en l’absence d’une “nation européenne” – aujourd’hui pleinement évidente même pour les fédéralistes les plus convaincus – de tels transferts sont politiquement invendables. Les grecs seront forcés donc de vivre à la hauteur de leurs moyens. Mais ce sacrifice ne suffira pas: pendant les vingt ans qu’a duré l’illusion européenne, les grecs ont fait la fête à crédit. Maintenant, l’heure est venue de payer l’addition. Demander des cigales qu’elles paient pour avoir chanté et dansé tout l’été est peut-être juste, mais ce n’est pas forcément réalisable. Demander aux grecs de se serrer la ceinture non seulement pour accorder leur niveau de vie à leur productivité, mais en plus pour payer le passif, c’est leur demander un sacrifice qu’aucun gouvernement  ne réussira à vendre. Le défaut majeur du programme de sauvetage européen n’est pas tellement qu’il soit injuste, c’est qu’il est inapplicable (2). Aucun peuple n’acceptera de sacrifier une génération, quelque soit la justice de l’affaire.

 

Ce qui arrive en Grèce est une véritable tragédie, dont la destruction de l’Attikon n’est pas le moindre symbole. C’est une tragédie où par manque de courage et de vision, on détruit inutilement ce qui devrait être précieux. L’Union Européenne est en train de forcer une politique qui, tous les experts pour une fois sont d’accord, ne peut conduire qu’a une très longue et très pénible récession. Et en plus, elle ne peut pas marcher: avec une économie en récession, la Grèce ne pourra pas honorer ses dettes. On aura en fin de compte un pays en ruines, un peu comme l’Attikon.

 

Descartes

 

(1) Dont la contrepartie est l’égalité des droits. N’importe quel français peut s’installer en Corse et retrouver là bas les mêmes droits qu’il aurait dans sa région d’origine. C’est pourquoi les partisans des “statuts particuliers” et autres “corsisations des emplois” feraient bien de réflechir…

 

(2) La vulgate gauchiste veut que tout soit la faute des “panques” (la consonne explosive dans le mot “banque” est devenue un tic de langage). Mais reprocher à une banque de chercher à faire de l’argent c’est comme reprocher au renard de vouloir rentrer dans le poulailler. C’est dans sa nature. Il fallait une bonne dose d’ingénuité pour croire que les banques “dérégulées” allaient se comporter comme des entités morales ou prendre des risques gratuits. La faute, si faute il y a, est celle de ceux qui ont dérégulé les marchés financiers et créé une monnaie unique sans prêteur en dernier ressort. Mélenchon et Filoche, inter allia, fairaient bien d’y réfléchir avant de pointer le doigt…

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14 réponses à J’ai mal à la Grèce

  1. demos dit :

    Je ne sais plus où j’avais lu une comparaison entre l’euro et une drogue, mais c’est un parallele qui m’avait frappé.
    En un certain sens, ceux qui predisaient que la monnaie unique apporterait la prosperité sur le continent n’avaient pas tout a fait tort!
    Pendant une petite decennie, l’euro a permit une croissance forte dans toute l’europe du sud, l’europe faiblement industrialisée.
    C’est instructif aujourd’hui de relire des articles de 2007-2008 sur le miracle espagnol, par exemple…

    Comme tu le dis, tout se passe aujourd’hui comme si on redecouvrait que le niveau de vie d’un pays est en moyenne directement dependant de ce qu’il produit (exception faite des USA avec leur
    monnaie magique, mais pour combien de temps encore?)…
    Sauf que j’ai l’impression que le regime des changes flottants agissait avant comme un ressort de rappel, un amortisseur.
    Maintenant avec l’euro, comme à la fin du XXe siecle dans une amerique latine engluée dans la zone dollar, les oscillations autour de la moyenne sont plus amples et plus brutales.
    L’ecart-type en a pris un bon coup!

    Et en ajoutant le libre-echange par la dessus, on obtient ce monde de fou.
    Au dela de l’analyse un peu froide que tu as faite, c’est terrifiant.
    D’autant plus que je vois plutot notre pays en marche vers un desastre a la grecque, vu sa balance commerciale qui glisse doucement vers les abysses. Avec des zozos europhiles et
    libre-echangistes genre Hollande aux manettes, a quand des cocktails molotov à Paris et p’tet meme un Louvre qui flambe? 2 ans? 4 ans?
    Melenchon n’est pas parfait, mais au moins il parle parfois de protectionnisme.
    Il me semblait meme, suite a un echange avec un frontiste de gauche, que dans ses grands jours il parlait de protectionnisme national: monnaie unique, sans marché unique…

    • Descartes dit :

      Je ne sais plus où j’avais lu une comparaison entre l’euro et une drogue, mais c’est un parallele qui m’avait frappé.

      Oui, je me souviens d’avoir vu cette comparaison sous la plume de quelqu’un, mais je ne me souviens plus de qui (St Alzheimer, priez pour nous…). C’est une image très pertinente. Je dirais même
      qu’il faut la comparer à un hallucinogène…

      Pendant une petite decennie, l’euro a permit une croissance forte dans toute l’europe du sud, l’europe faiblement industrialisée.

      Tout à fait. Seulement, tout le monde a oublié qu’après le banquet il allait falloir payer la note. Tout le monde a fait semblant de croire – et la Commission plus qu’un autre – qu’il s’agissait
      d’une croissance “réelle”, alors qu’en fait c’était pour une grande part une croissance fictive alimentée par une “bulle” immobilière ou financière. Les rares trouble-fête qui ont pris la peine
      de regarder les calculs de productivité – et je suis l’un d’eux – se grattaient la tête pour essayer d’expliquer comment l’économie pouvait croître bien plus vite que la productivité… et à
      force de se gratter, on arrivait forcément à la conclusion que soit on était en train de contempler un miracle, l’immaculée conception de la richesse, ou bien on assistait à la formation d’une
      bulle qui tôt au tard allait exploser en laissant tout le monde sur le carreau. Je te laisse deviner quelle était la bonne hypothèse.

      C’est instructif aujourd’hui de relire des articles de 2007-2008 sur le miracle espagnol, par exemple…

      Il est toujours instructif de lire les journaux d’il y a dix ans. On réalise alors qu’un certain nombre d’oracles médiatiques soutiennent aujourd’hui avec la même assurance et la même conviction
      de détenir la vérité exactement le contraire de ce qu’ils soutenaient alors. C’est fou combien de pseudo-experts se maintiennent à flot grâce à la mauvaise mémoire du public…

      Sauf que j’ai l’impression que le regime des changes flottants agissait avant comme un ressort de rappel, un amortisseur.

      Ton impression est très juste. Le régime de changes flottants agissait non seulement comme une corde de rappel, mais aussi comme une alarme qui pointait les déséquilibres dès que ceux-ci
      apparaissaient. La monnaie unique permet au système de dériver sans que personne ne s’en aperçoive, et sans qu’il y ait des leviers pour agir une fois qu’on s’en est aperçu.

      Maintenant avec l’euro, comme à la fin du XXe siecle dans une amerique latine engluée dans la zone dollar, les oscillations autour de la moyenne sont plus amples et plus brutales.

      Effectivement, on pourrait apprendre des leçons fort utiles de la “dollarisation” des économies latinoaméricaines dans les années 1990, et notamment celle tentée par l’Argentine, qui s’est soldé
      par la débâcle de 2002. Mais nous avons un exemple plus proche: les déflations des années 1930 (déflation sous Tardieu et Laval en France et sous Brüning en Allemagne). A l’époque, il s’agissait
      de maintenir l’étalon or (c’est à dire, la parité fixe de la monnaie par rapport à l’or). Les résultats ont été désastreux.

      D’autant plus que je vois plutot notre pays en marche vers un desastre a la grecque, vu sa balance commerciale qui glisse doucement vers les abysses. Avec des zozos europhiles et
      libre-echangistes genre Hollande aux manettes, a quand des cocktails molotov à Paris et p’tet meme un Louvre qui flambe? 2 ans? 4 ans?

      Je n’irais pas jusque là. L’économie française est d’une autre taille, et l’écart de productivité entre la France et les “meilleurs élèves” n’est pas si grand. Par ailleurs, nous avons des hauts
      fonctionnaires qui surveillent bien mieux la conjoncture qu’en Grèce et tirent les sonnettes d’alarme. Mais on voit bien les prémisses chez nous aussi d’une politique déflationniste. De toute
      manière, ce n’est pas la peine de se voiler la face: tant qu’on restera dans l’euro, la déflation est inévitable: on ne peut réduire l’endettement que si on exporte, on ne peut exporter que si
      les prix baissent. Et des prix qui baissent, c’est la définition économique de la déflation.

      Melenchon n’est pas parfait, mais au moins il parle parfois de protectionnisme.

      Mais je ne suis pas persuadé qu’il comprenne exactement ce que cela veut dire. En particulier, je ne suis pas sur qu’il réalise que le protectionnisme – je parle bien entendu du protectionnisme
      ordinaire, pas du “protectionnisme intelligent” que j’ai proposé sur ce blog dans le papier qui porte ce titre – réduira nécessairement l’efficacité du processus global (du fait de la théorie des
      avantages comparatifs) et donc la richesse disponible. Le protectionnisme permettra à tout le monde de travailler et réduira l’endettement, mais réduira aussi le niveau de vie.

      Il me semblait meme, suite a un echange avec un frontiste de gauche, que dans ses grands jours il parlait de protectionnisme national: monnaie unique, sans marché unique…

      Il en parle. Mais il n’a jamais expliqué comment il compte réussir ce miracle…

  2. Trubli dit :

    “L’Union Européenne est en train de forcer une politique qui, tous les
    experts pour une fois sont d’accord, ne peut conduire qu’a une très longue et très pénible récession. Et en plus, elle ne peut pas marcher: avec une économie en récession, la Grèce ne pourra pas
    honorer ses dettes”

    Il est intéressant de comprendre les motivations des maastrichiens

    – sauver leurs banques nationales du risque d’un défaut grec !? On prête de
    l’argent à la Grèce pour qu’elle puisse honorer ses engagements et que les banques aient le temps de se sortir du guepier grec. 

    – gagner du temps en espérant que la croissance revienda !?! Ou gagner du
    temps jusqu’à la prochaine élection. 

    – la peur qu’une sortie de la Grèce de l’euro ne donne des idées à d’autres pays sonnant le
    glas de leur projets fou.

    – Certains ont vu dans cette crise le moment propice pour proposer le grand
    saut vers le fédéralisme …Eurobonds criaient-ils comme des cabris…c’était sans compter les réticences de l’Europe du Nord. 

     

    Il est impressionnant de voir comment ce pays, la Grèce, est maltraité et
    comment il  s’accroche – sa classe politique en tout cas
    – à un maintien dans l’Euro. C’est une phénomène sur lequel je ne
    cesse de m’étonner. Ont-ils si peu confiance en eux ? Ont-ils honte de “rejeter” la main qui les a nourri ? 

    Je pense que l’UE sait depuis longtemps que la Grèce est un pays mal géré.
    Mais les dirigeants européens ont longtemps fermés les yeux, pendant la guerre froide ce pays offrait une position géostratégique intéressante. 

    La Grèce vit au-dessus de ses moyens certes mais vous n’avez pas mentionné
    l’autre grand problème qui est celui de la fiscalité : évasion et fraude fiscale, non imposition de certaines catégories sociales. 

    • Descartes dit :

      Il est impressionnant de voir comment ce pays, la Grèce, est maltraité et
      comment il  s’accroche – sa classe politique en tout cas
      – à un maintien dans l’Euro. C’est une phénomène sur lequel je ne
      cesse de m’étonner. Ont-ils si peu confiance en eux ? Ont-ils honte de “rejeter” la main qui les a nourri ? 

      J’ai essayé d’aborder ce problème dans un autre papier. Ce qui caractérise la
      classe politique européenne en ce moment est son incapacité à la rupture. Contrairement aux générations qui ont connu les guerres mondiales ou les guerres coloniales, ils sont incapables de
      concevoir les choses différement de ce qu’elles sont. Sortir de l’euro, c’est se lancer dans l’innovation. Et l’innovation, ça terrorise les politiques.

      La Grèce vit au-dessus de ses moyens certes mais vous n’avez pas
      mentionné l’autre grand problème qui est celui de la fiscalité : évasion et fraude fiscale, non imposition de certaines catégories sociales.

      C’est l’une des manières de vivre “au dessus de ses
      moyens”…

  3. J. Halpern dit :

    Très bon article qui met bien en perspective la voie déflationniste dont la Grèce inaugure les tragiques conséquences. Tu as raison de soluligner que la faible productivité grecque ne devient
    dramatique que par la monnaie unique, qui transforme ce défaut de productivité en déflation permanente.

    Une remarque cependant. Tu écris :

    “L’existence de monnaies différentes permettait de découpler la productivité de la compétitivité en jouant sur les prix et les salaires relatifs: la dépréciation revenait en effet à diminuer
    simultanément les salaires et les prix internes exprimés en monnaie étrangère. Aujourd’hui ce n’est plus possible. Il ne reste donc qu’un moyen d’obtenir le même résultat: c’est la déflation des
    salaires et des prix. Au lieu de réduire la valeur de la monnaie dans laquelle les prix et les salaires sont exprimés, on essaye de réduire les salaires et les prix eux-mêmes.”

    C’est juste à ceci près que la réduction administrative des salaires et des prix (un moment envisagée par Tyrole, du FMI) laisse intactes les créances dont le poids continuerait à étrangler une
    économie surendettée. La dévaluation, au contraire, donne l’opportunité de déflater les dettes en les reconvertissant en monnaie nationale (du moins celles qui avaient été contractées en euro).
    Cela suppose bien entendu un bras de fer avec les créanciers, mais ceux-ci n’ont a priori pas plus à y perdre qu’en poussant les débiteurs au défaut de paiement : c’est donc jouable. Par
    ailleurs, le développement grec suppose probablement un taux d’inflation structurellement supérieur à celui de l’Allemagne, ce qui suppose un mécanisme souple d’ajustement des parités monétaires,
    plutôt que la lourder artillerie d’ajustements bureaucratiques.

    Je suis également d’accord avec toi sur la destruction des monuments d’Athènes. Si ces casseurs n’existaient pas, les eurocrates les auraient inventés – point de théorie du complot là-dedans,
    mais une convergence objective de la sottise des uns et des intérêts bien compris des autres, qui ont besoin de faire-valoir gauchistes pour se présenter en moindre mal. En France même,
    Dupont-Aignan s’est fait injurier et bousculer à la manifestation devant l’Ambassade de Grèce (vraisemblablement par des militants du NPA). Difficile de ne pas noter la convergence entre ces
    gauchistes eurolâtres et l’establishment, pour transformer la solidarité avec le peuple grec en lamentation stérile et sans perspective et intimider les véritables opposants.

     

    • Descartes dit :

      Tu as raison de soluligner que la faible productivité grecque ne devient dramatique que par la monnaie unique, qui transforme ce défaut de productivité en déflation permanente.

      Mais ne penses-tu pas que la pauvrété elle aussi était “dramatique” ? La faible productivité grecque se manifestait, avant l’euro, par la pauvrété d’une grande partie de la société grecque. La
      monnaie unique a rendu possible une “illusion de richesse” qui a conduit les gens à s’endetter sans s’en rendre compte, c’est tout. Mais le problème de fond, la faible productivité, existait
      avant l’euro. Ce que l’euro et l’Europe ont fait, c’est d’éliminer les stabilisateurs automatiques qui permettaient à ce problème de ne pas générer une bulle d’endettement.

      C’est juste à ceci près que la réduction administrative des salaires et des prix (un moment envisagée par Tyrole, du FMI) laisse intactes les créances dont le poids continuerait à étrangler
      une économie surendettée. La dévaluation, au contraire, donne l’opportunité de déflater les dettes en les reconvertissant en monnaie nationale (du moins celles qui avaient été contractées en
      euro).

      Tu as en partie raison. En partie seulement, parce que cela ne s’applique qu’aux dettes libellées en monnaie nationale. Cependant, l’expérience montre que lorsque la dépréciation monétaire est
      rapide, les économies tendent à se “dollariser”: les acteurs économiques indexent leurs contrats sur une devise, et les prêteurs internationaux n’acceptent de prêter que si les titres sont
      indexés de la même manière. L’expérience latinoaméricaine est très significative sur ce sujet.

      Cela suppose bien entendu un bras de fer avec les créanciers, mais ceux-ci n’ont a priori pas plus à y perdre qu’en poussant les débiteurs au défaut de paiement : c’est donc jouable.

      Ne nous voilons pas la face: c’est un défaut. Cela étant dit, “salus populo suprema lex est”.

      Par ailleurs, le développement grec suppose probablement un taux d’inflation structurellement supérieur à celui de l’Allemagne, ce qui suppose un mécanisme souple d’ajustement des parités
      monétaires, plutôt que la lourder artillerie d’ajustements bureaucratiques.

      Tout à fait d’accord. On ne peut pas faire de l’économie et encore moins de la politique sans tenir compte de la tradition de chaque pays. L’Allemagne peut faire de la déflation parce que les
      allemands sont familiers de ce type de politique et la fixation des prix et des salaires par négociation entre “cartels” est la règle. Mais dans des pays qui ont une tradition
      anarcho-syndicaliste forte, la déflation salariale est politiquement impossible. Ces pays ont donc besoin – pour des raisons politiques, et non économiques – d’un taux d’inflation raisonnable
      pour “absorber” les revendications salariales et les hausses de prix, autrement les premières tuent la compétitivité et les secondes la croissance. C’est là que la monnaie unique devient un
      carcan insupportable, puisqu’il s’agit d’avoir des taux d’inflation différents alors que la dévaluation est impossible.

      En France même, Dupont-Aignan s’est fait injurier et bousculer à la manifestation devant l’Ambassade de Grèce (vraisemblablement par des militants du NPA). Difficile de ne pas noter la
      convergence entre ces gauchistes eurolâtres et l’establishment, pour transformer la solidarité avec le peuple grec en lamentation stérile et sans perspective et intimider les véritables
      opposants.

      Tout à fait. L’agression de Dupont-Aignan me rappelle furieusement une scène dont j’avais été témoin à un évènnement de charité: les dames du Rotary et celles du Lyon’s en était venus au mains,
      les unes accusant les autres de leur “voler leurs pauvres”… Dupont-Aignan, qui n’a de leçons à recevoir de personne en matière de solidarité avec la Grèce – il s’y était même déplacé à Athènes
      pour participer à des réunions politiques au début de la crise – se voit chasser parce qu’il ose disputer “leurs pauvres” aux gauchistes…

      Par ailleurs, je trouve très révélatrices les considérations génêes d’un certain nombre de dirigeants de la “gauche radicale” sur cet incident. Celle de Mélenchon est pathétique. En résumé, 
      “je suis désolé qu’il ait été maltraité, mais c’est sa faute, il n’y avait qu’à pas venir”.

  4. Trubli dit :

    La comparaison de l’europ à une drogue vient soit d’un post de J. Halpern sur le blog de Laurent Pinsolle soit de cet article saisissant sur le Portugal :

    http://www.causeur.fr/l%E2%80%99euro-drogue-dure-du-portugal,10921

  5. yann dit :

    @descartes

    Je regarde votre blog depuis quelque temps déjà. C’est un blog que j’apprécie même si je pense avoir quelques divergences avec vous. Cependant je me permets ici de faire une petite intervention,
    car une de vos hypothèses me fait vivement réagir. En

    effet, vous dites en citant la thèse hautement discutable des avantages comparatifs que: ” Le protectionnisme permettra à tout le monde de travailler et réduira l’endettement, mais réduira aussi
    le niveau de vie. “

    Je mettrais ici un énorme bémol à votre affirmation qui tient tout lieu des idées reçues de l’ordre néolibéral. En effet vous semblez ignorer comme les libéraux le passage du temps et les effets
    à plus ou moins long terme des mécanismes du libre-échange ou du protectionnisme. Toutes les grandes nations industrielles se sont développées à l’abri d’une barrière douanière, c’est également
    vrai pour la Chine ou l’Inde actuelle qui en plus ont des avantages sur le plan du coût salarial énorme. En vérité il me semble que le libre-échange est une théorie de la maximisation des
    richesses à court terme. Cette théorie des avantages comparatifs a d’ailleurs été inventée à une époque où l’essentiel des échanges commerciaux était agricole. Dans le domaine agricole, la
    spécialisation géographique est pour ainsi dire définitive. Il pouvait donc semblait naguère que le libre-échange dans le cadre agricole puisse être une bonne idée. La théorie des avantages
    comparatifs est une théorie qui a pour axiome une stagnation des avantages comme si ces derniers ne devaient jamais changer. Elle ignore totalement la dynamique des sociétés humaines.

    Mais dans l’industrie il en va tout autrement, les avantages comparatifs se construisent et se modifient en fonction des gains de productivité du niveau éducatif local et de tout un tas de
    facteurs. De fait pour le secteur technique et industriel il est clair que l’avantage n’est pas quelque chose qui dure ou qui tombe du ciel. Il n’est pas naturel et géolocalisable. Cependant pour
    construire un avantage comparatif dans le domaine industriel il faut du TEMPS, il faut apprendre. On ne construit pas une industrie en une année, mais en plusieurs décennies. Dans ce cadre-là,
    l’idée selon laquelle le libre-échange augmenterait forcément la richesse est à mon avis stupide, car elle ignore les effets de l’amélioration locale du tissu productif que produirait une
    politique de protectionnisme. Pour prendre un exemple qui avait été cité jadis par Bernard Maris dans son antimanuel d’économie. La Corée du Sud, aujourd’hui nation très productive, a fait du
    protectionnisme automobile dans les années70-80 . À cette époque le FMI disait aux Coréens qu’il valait mieux pour eux acheter japonais dans le domaine de l’automobile et qu’ils se spécialisent
    dans la sidérurgie. Les Coréens finalement ont préféré  protéger leur industrie automobile quitte à acheter à court terme des voitures plus chères et moins performantes que les voitures
    japonaises. Ce faisant ils ont permis à leurs industriels de progresser et de rattraper leur retard. Ce fut certainement au prix d’une inflation plus grande, mais quelle réussite à long
    terme  ! Les Coréens grâce à ces politiques ont aussi créé d’autres secteurs de pointe, car Samsung et d’autres industriels locaux ont aussi bénéficié indirectement du protectionnisme
    automobile.

    De fait, votre hypothèse “le libre-échange crée plus de richesse” oublie les richesses potentielles qu’il détruit par son existence. Faire de lui l’alpha et l’oméga de la maximisation des
    richesses est à mon sens faire une grave erreur quant à sa tare première. Le libre-échange conduit en réalité au monopole planétaire et à la stagnation à long terme. Et si le protectionnisme
    n’est pas un remède parfait, si à court terme il peut effectivement réduire momentanément le niveau de vie potentiel. Il ne faut pas oublier qu’en même temps il permettra un redémarrage de
    l’investissement industriel et donc au final une accélération de la productivité du travail local.

    • Descartes dit :

      Je regarde votre blog depuis quelque temps déjà. C’est un blog que j’apprécie même si je pense avoir quelques divergences avec vous. Cependant je me permets ici de faire une petite
      intervention, car une de vos hypothèses me fait vivement réagir.

      Ne vous excusez pas: ce sont les divergences qui rendent l’échange intéressant. N’hésitez donc pas à intervenir chaque fois que vous en aurez envie. 

      En effet, vous dites en citant la thèse hautement discutable des avantages comparatifs que: ” Le protectionnisme permettra à tout le monde de travailler et réduira l’endettement, mais réduira
      aussi le niveau de vie”. Je mettrais ici un énorme bémol à votre affirmation qui tient tout lieu des idées reçues de l’ordre néolibéral.

      Certainement pas. Mon affirmation n’est nullement une “idée réçue de l’ordre néolibéral”, mais la conclusion d’un raisonnement que j’ai exposé. Pour le résumer très schématiquement: la théorie
      des avantages comparatifs montre comment le libre-échange permet d’optimiser l’utilisation des facteurs de production. Le protectionnisme écarte le système de cet optimum, ce qui veut dire
      qu’avec la même quantité de travail et de capital investi, on produira globalement moins, ce que j’ai résumé – schématiquement – par l’expression “réduire le niveau de vie”. Bien entendu, je ne
      suis pas entré dans la question de savoir comment cette “réduction” serait partagée entre capital et travail.

      Vous avez tout à fait le droit d’être en désaccord avec mon raisonnement. Mais il n’est pas moins pour autant un raisonnement. Le qualifer de simple “affirmation” et “d’idée réçue” me semble très
      excessif – et je reste poli.

      En effet vous semblez ignorer comme les libéraux le passage du temps et les effets à plus ou moins long terme des mécanismes du libre-échange ou du protectionnisme. Toutes les grandes nations
      industrielles se sont développées à l’abri d’une barrière douanière, c’est également vrai pour la Chine ou l’Inde actuelle qui en plus ont des avantages sur le plan du coût salarial énorme.

      Je n’ignore nullement ce fait. Et si vous avez lu mes papiers, vous aurez compris que je ne me refuse nullement à considérer la possibilité de sacrifier l’optimisation économique pour permettre
      d’atteindre d’autres objectifs politiques ou économiques jugés prioritaires. Mais il n’en demeure pas moins qu’en imposant des barrières au libre échange, on s’éloigne de l’utilisation optimale
      des facteurs de production. Et qu’il faut prendre ce “sacrifice” en compte lorsqu’on propose des politiques protectionnistes. Pour ne donner qu’un exemple, le protectionnisme dans le textile
      aurait des effets bénéfiques sur l’emploi, mais aurait aussi pour effet de pousser les prix à la hausse. On ne peut pas en même temps vouloir des T-shirts fabriqués en France, et les
      vouloir au prix des T-shirts fabriqués en Chine.

      En vérité il me semble que le libre-échange est une théorie de la maximisation des richesses à court terme.

      Non. La théorie des avantages comparatifs montre que le libre-échange optimise l’utilisation des facteurs de production. A ce titre, il conduit à maximiser la production de richesse à court,
      moyen et long terme pour une dépense de facteurs de production donnée. Elle n’aborde pas, par contre, la question du partage de cette richesse – car le libre-échange modifie le partage des
      richesses – entre capital et travail, et entre les différents pays.

      Le protectionnisme permet éventuellement à un pays donné de s’enrichir sur le long terme – ce fut le cas des puissances industrielles, comme vous le signalez – mais au prix d’une réduction de la
      richesse globale produite par rapport à l’optimum. En d’autres termes, si l’on remplaçait le système de libre-échange actuel par un système de protectionnisme généralisé, certains pays
      s’enrichiraient et d’autres s’appauvriraient, mais la somme des appauvrissements dépasserait la somme des enrichissements.

      Cette théorie des avantages comparatifs a d’ailleurs été inventée à une époque où l’essentiel des échanges commerciaux était agricole.

      Ce n’est pas exact. D’ailleur l’exemple cité par Ricardo dans sa démonstration met en jeu des produits manufacturés: du vin et du drap. Dans les échanges internationaux, l’essentiel de l’échange
      n’a jamais été la production agricole, ne serait-ce que parce que les produits agricoles “bruts” se transportent relativement mal sur des grandes distances, et parce que leur valeur ajouté
      relativement faible rendait leur transport peu rentable. Dejà dans les temps romains les marchands consacraient une large partie du commerce aux produits manufacturés: poteries, produits
      alimentaires préparés, étoffes, verres, métaux…

      Dans le domaine agricole, la spécialisation géographique est pour ainsi dire définitive.

      Pas du tout: des terres forestières peuvent être défrichées et rendues cultivables, des plantes plus résistantes ou plus rentables peuvent être apportés d’ailleurs… ainsi par exemple la pomme
      de terre était inconnue en Irlande jusqu’au XVIème siècle. Un siècle plus tard, elle constituait la principale culture de l’île et la base de l’alimentation locale, au point qu’une maladie de la
      pomme de terre était synonime de famine…

      La théorie des avantages comparatifs est une théorie qui a pour axiome une stagnation des avantages comme si ces derniers ne devaient jamais changer.

       La théorie ricardienne a été conçue à un moment de l’histoire économique et dans un pays où l’économie était bouleversée par le progrès technique et celui des transports. Croyez vous
      vraiment que dans un tel contexte Ricardo – l’économiste que Marx admirait le plus – se serait contenté d’une théorie qui “aurait pour axiome la stagnation des avantages” ?

      On peut critiquer la théorie du libre-échange sur beaucoup de points. Mais avant de la critiquer, il faut bien la comprendre. La théori des avantages comparatifs ne suppose à aucun moment que ces
      avantages doivent rester constants et “ne jamais changer”. Elle montre au contraire que le libre-échange permet d’atteindre un optimum dans l’utilisation des facteurs de production à chaque
      instant. Mais il ne faut pas lui faire dire plus que ça.

      Mais dans l’industrie il en va tout autrement, les avantages comparatifs se construisent et se modifient en fonction des gains de productivité du niveau éducatif local et de tout un tas de
      facteurs.

      Et alors ? Si les avantages comparatifs changent au cours du temps, et bien l’optimum change aussi. Dans l’exemple de Ricardo, l’optimum était trouvé lorsque l’Angleterre importait du vin du
      Portugal et exportait son drap. Si le niveau éducatif local “et tout un tas de facteurs” avait accru la productivité de l’industrie drapière portugaise suffisamment pour lui donner un avantage
      comparatif, l’optimum se déplace: il vaut mieux que le Portugal se spécialise dans le drap et l’Angleterre dans le vin. C’est tout.

      De fait pour le secteur technique et industriel il est clair que l’avantage n’est pas quelque chose qui dure ou qui tombe du ciel. Il n’est pas naturel et géolocalisable. Cependant pour
      construire un avantage comparatif dans le domaine industriel il faut du TEMPS, il faut apprendre. On ne construit pas une industrie en une année, mais en plusieurs décennies. Dans ce cadre-là,
      l’idée selon laquelle le libre-échange augmenterait forcément la richesse est à mon avis stupide,

      Et bien, vous vous trompez. Vous avez raison lorsque vous affirmez qu’il faut du temps pour construire une industrie. Et vous avez raison lorsque vous dites – implicitement – que ce développement
      peut justifier une protection de l’industrie en question le temps qu’elle se construise un “avantage comparatif”. Là ou vous avez à mon sens tort, c’est lorsque vous considérez “stupide” de
      penser que cette protection a un prix. Le prix à payer, c’est une réduction de la richesse totale produite. Je pense que votre erreur de raisonnement est que vous posez le problème en termes de
      richesse créée dans un pays donné, alors que le raisonnement ricardien est en richesse totale.

      Je vous invite à relire le raisonnement de Ricardo, et à me signaler quelle est à votre avis la faille logique dans son raisonnement. On a le droit de rejeter une théorie parce qu’on ne partage
      pas les prémisses, ou parce qu’on trouve le raisonnement erroné. Mais la rejeter seulement parce qu’elle aboutit à des conclusions qui ne vous arrangent pas, ce n’est pas très raisonnable. Et
      c’est ce que vous faites:

      Pour prendre un exemple qui avait été cité jadis par Bernard Maris dans son antimanuel d’économie. La Corée du Sud, aujourd’hui nation très productive, a fait du protectionnisme automobile
      dans les années70-80 . À cette époque le FMI disait aux Coréens qu’il valait mieux pour eux acheter japonais dans le domaine de l’automobile et qu’ils se spécialisent dans la sidérurgie
      (…)

      A lire votre exemple, on pourrait croire que la théorie des avantages comparatifs aboutit nécessairement à recommander la spécialisation. Ce n’est pas le cas. La théorie ne fait
      que montrer que la spécialisation dans le cadre du libre échange conduit à l’utilisation optimale des facteurs de production. C’est tout. La question de savoir si l’objectif
      prioritaire de la politique économique est d’optimiser cette utilisation n’est pas une question économique mais politique. La politique qui consiste à sacrifier l’optimisation économique au nom
      d’autres objectifs sociaux ou politiques – le plein emploi, l’indépendance nationale – est parfaitement légitime. Autrement, on pratiquerait l’euthanasie des retraités depuis longtemps !

      Je pense que votre critique de la théorie des avantages comparatifs est entachée d’une erreur très courante: celle de croire que les théories économiques ont un caractère  prescriptif. C’est
      faux: la théorie atomique permet de construire une bombe, mais ne vous dira jamais s’il faut l’utiliser, et sur qui. Vous n’avez pas besoin de contester la théorie ricardienne pour défendre une
      vision protectionniste. Une théorie économique peut m’expliquer comment atteindre un optimum donné, mais n’a aucune légitimité pour me dire si l’atteinte de cet optimum est un objectif politique
      ou social prioritaire. En tant que politique, j’ai le droit de faire des choix qui ne sont pas optimaux en termes économiques dans la mesure où ils me permettent d’atteindre d’autres objectifs
      que je juge prioritaires.

      De fait, votre hypothèse “le libre-échange crée plus de richesse” oublie les richesses potentielles qu’il détruit par son existence. Faire de lui l’alpha et l’oméga de la maximisation des
      richesses est à mon sens faire une grave erreur quant à sa tare première.

      Paradoxalement, vous affaiblissez l’argument protectionniste avec ce raisonnement. Finalement, vous semblez croire que si l’hypothèse “le libre-échange crée plus de richesse” était démontrée,
      alors il en résulterait nécessairement une prescription favorable aux politiques de libre-échange. C’est précisement ce raisonnement qu’il faut récuser: quand bien même le libre-échange
      optimisait la richesse produite, cette optimisation n’est pas nécessairement l’objectif prioritaire à assigner à la politique économique.

      Quant à la validité de l’hypothèse ricardienne, encore une fois je vois mal comment le raisonnement qu’il a proposé peut être logiquement contesté. A condition, bien entendu, de ne pas lui faire
      dire ce qu’il ne dit pas.

      Le libre-échange conduit en réalité au monopole planétaire et à la stagnation à long terme.

      On aimerait entendre une démonstration, un raisonnement soutenant une telle affirmation. Sans exagérer les vertus du libre-échange, on peut dire que l’affaiblissement des barrières douanières
      s’est traduit aux XVIII et XIX siècles par une augmentation considérable de la richesse disponible. Il paraît dans ces conditions difficile de considérer que le libre-échange conduit
      nécessairement au “monopole planétaire” (à supposer que cette expression ait un sens) et “à la stagnation à long terme”.

      Et si le protectionnisme n’est pas un remède parfait, si à court terme il peut effectivement réduire momentanément le niveau de vie potentiel. Il ne faut pas oublier qu’en même temps il
      permettra un redémarrage de l’investissement industriel et donc au final une accélération de la productivité du travail local.

      Je n’ai pas dit le contraire. J’ai même écrit un papier (“le protectionnisme intelligent”) pour défendre une forme de protectionnisme…

       

  6. yann dit :

    @Descartes

    Le problème c’est que l’histoire donne tort à la théorie ricardienne. Lorsque vous dites:”Et alors ? Si les avantages comparatifs changent au cours du temps, et bien l’optimum change aussi. Dans
    l’exemple de Ricardo, l’optimum était trouvé lorsque l’Angleterre importait du vin du Portugal et exportait son drap.” Vous semblez oublier qu’historiquement le Portugal à décliner alors que la
    Grande-Bretagne s’est fortement renforcé dans cette histoire d’échange.

    Le faite est que si un pays se spécialisae dans un secteur où les gains de productivités sont faibles il risque surtout de s’appauvrir vis-à-vis des autres. Empiriquement  la plupart des
    pays libre-échangiste de la fin du 19eme sont devenus des pays du tiers-monde. L’exemple le plus frappant est l’empire Ottoman qui n’avait guère de taxe a ses frontière et qui était d’ailleurs
    tenu en exemple par les tenant du libre-échange. Si l’on se fit aux travaux historiques de Paul Bairoch qui lui a mesuré dans le réel ce que donne la fameuse théorie Ricardienne on aboutit à
    l’invalidité de cette thèse.  Qui plus est vous n’êtes pas sans ignorer que comme le dit Lordon nous ne sommes pas réellement en régime de libre-échange qui reste un mécanisme bien éloigné
    des réalités empiriques. Nous sommes  plutôt en régime de protectionnisme caché. Certaines régions se protégeant par diverses manières allant du taux change trop faible en passant par la
    sous-rémunération du salariat en regard des gains de productivité. Pendant que d’autres se laissent couler.

    A cela s’ajoute en plus l’impossiblité de régulation macro-économique en régime de libre-échange théorique et une culture mondiale promulgant le mercantilisme comme meilleur moyen de s’enrichir.
    Il suffit de voir la façon dont on présente le “modèle” Allemand ou Chinois pour s’en convaincre.

    Enfin vous ne répondez pas vraiment à la question sur le développement à long terme d’un pays. Une nation qui n’aurait aucun avantage devrait-elle se laisser mourrir au nom d’un optimum
    planétaire qui n’est qu’une élucubration de penseur du dimanche. Et je continue effectivement à dire que la thèse des avantages comparatifs ignore totalement ses propres effets sur le
    développement technique d’un pays et de l’ensemble de la planète. Pour reprendre l’exemple coréen que ce serait-il passé si ces derniers avez pratiqué le libre-échange dans les années 70?

     Quant aux effets du libre-échange à l’échelle planétaire, étant donné qu’il casse la croissance en réduisant la demande mondiale par la compression des salaires vous avez votre réponse. Non
    le libre-échange n’optimise pas la dynamique mondiale. Ce qui dynamise l’économie planétaire c’est la libre-circulation des idées et des savoir-faire, pas le commerce des marchandises et la
    minimisation du cout salarial.

    Pour préciser mon propos sur l’effet du libre-échange sur la concurrence et le progré technique je laisse un lien sur un texte que j’avais écris l’année dernière sur mon propre blog à ce sujet.
     Concurrence, protectionnisme et progrès technique.

     

    • Descartes dit :

      Le problème c’est que l’histoire donne tort à la théorie ricardienne.

      Vous assénez cette affirmation comme si c’était une vérité. Pourriez vous argumenter le point ? Je ne vois pas en quoi “l’histoire” aurait donné tort à la théorie ricardienne. Mais en lisant la
      suite, j’ai surtout l’impression que vous n’avez pas très bien compris quelles sont les conclusions de la théorie en question:

      Dans l’exemple de Ricardo, l’optimum était trouvé lorsque l’Angleterre importait du vin du Portugal et exportait son drap.” Vous semblez oublier qu’historiquement le Portugal à décliner alors
      que la Grande-Bretagne s’est fortement renforcé dans cette histoire d’échange.

      Je n’oublie rien du tout. Et le fait que le Portugal ait “décliné” ne donne nullement tort à la théorie des avantages comparatifs. Je vous rappelle que la théorie ricardienne aboutit à la
      conclusion que le fait que chaque pays se spécialise dans ce qu’il sait produire le mieux dans un contexte de libre-échange conduit à la meilleure utilisation possible des facteurs de production
      (c’est à dire, à la plus grande production totale pour une quantité de travail et de capital donné). C’est tout. Elle n’affirme pas que les deux pays engagés dans l’échange deviendront
      florissants, puisqu’elle ne rentre pas dans la question du partage de la richesse ainsi produite. Que le Portugal ait décliné peut attirer l’attention sur le fait que l’optimum
      global n’est pas nécessairement l’optimum pour chacun des pays. Mais ne contredit nullement la théorie ricardienne.

      Le faite est que si un pays se spécialisae dans un secteur où les gains de productivités sont faibles il risque surtout de s’appauvrir vis-à-vis des autres.

      Ce n’est pas faux. Mais cela ne contredit pas la théorie des avantages comparatifs, qui ne dit absolument rien sur la question.

      Empiriquement  la plupart des pays libre-échangiste de la fin du 19eme sont devenus des pays du tiers-monde.

      Empiriquement, la plupart des pays protectionnistes aussi. Difficile de tirer des conclusions d’une telle statistique, si ce n’est que le facteur essentiel qui détermine si un pays deivent “du
      tiers monde” ou pas n’est certainement pas son régime commercial.

      Si l’on se fit aux travaux historiques de Paul Bairoch qui lui a mesuré dans le réel ce que donne la fameuse théorie Ricardienne on aboutit à l’invalidité de cette thèse.

      Pourriez-vous me donner une référence ? Qu’est ce que Bairoch a mesuré exactement ? Je vous avoue que je vois mal comment une “mesure empirique” pourrait invalider la théorie ricardienne, dans la
      mesure où il est assez difficile par une mesure empirique de démontrer qu’une situation donnée n’est pas un optimum…

       

       

  7. Trubli dit :

    je pense qu’on peut formuler quelques critiques quant à l’utilisation abusive de ce tte théorie par les partisans du libre-échange.

     

    Voici ce qu’écrit à ce sujet Christian Gomez, un disciple de Maurice Allais. 

    http://osonsallais.wordpress.com/2010/10/20/ch-gomez-faut-il-interdire-les-delocalisations/

     

    Théorie correcte, la démonstration de la théorie des
    coûts comparatifs supposent des conditions d’application très restrictives qui n’ont rien à voir avec les conditions d’aujourd’hui.

     

    le modèle suppose l’équilibre des taux de change

    le modèle ne prévoyait pas les investissements extérieurs
    (IDE)

    le modèle ne tient pas compte des coûts engendrés par la
    transition vers une spécialisation.

    Le modèle ne tient pas compte des conséquences sociales
    de la spécialisation.

    • Descartes dit :

      Toutes ces critiques sont parfaitement valables. La théorie des avantages comparatifs est un raisonnement très schématique et simplifié pour montrer pourquoi la spécialisation tend à optimiser
      l’utilisation des facteurs de production. Elle ne prétend pas répondre à toutes les questions, et notamment aux conséquences sociales de la spécialisation ou aux effets de change (qui expliquent
      pourquoi la richesse supplémentaire créée par la spécialisation n’est pas également repartie).

      Cela n’implique pas qu’on doive rejeter la théorie, mais plutôt qu’il faut rester prudent quant aux conclusions prescriptives qu’on peut en tirer.

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