PISA : faut-il casser le thermomètre ?

La publication cette semaine de la dernière évaluation PISA (…) a provoqué une grande agitation dans le Landerneau médiatique. Et ce n’est pas par hasard. La publication des « évaluations internationales » est devenue pour les « libéralo-déclinistes » ce que la fuite nucléaire est devenue pour Greenpeace : une opportunité d’étaler sa schadenfreude devant la déconfiture présumée de – selon l’évaluation dont il s’agit – de l’école, de l’université, de la santé, de la recherche, des services publics, en un mot, des institutions qui fondent notre République. Et bien entendu, d’accuser tous ceux qui oseraient mettre en doute l’évaluation en question de vouloir casser le thermomètre.

Il faut dire qu’en face on est souvent à côté de la plaque. La tendance naturelle chez la « vraie gauche » (qui n’est ni vraie, ni gauche, mais enfin c’est une autre histoire) est de jouer le procès d’intention. Si les agences de notation nous dégradent, c’est qu’elles ne sont pas indépendantes. Si PISA ou Shanghaï nous descend, c’est parce que les évaluateurs sont soit incompétents, soit à la solde des américains.

Je pense qu’il faut revenir aux fondamentaux. Le problème n’est pas que les évaluations soient mal faites, ou que leurs faiseurs ne soient pas indépendants. Le problème est surtout qu’on fait dire aux évaluations des choses qu’elles ne disent pas. Il ne s’agit pas de « casser le thermomètre », mais de comprendre que ceux qui prétendent lire dans le thermomètre la pression ou l’hygrométrie nous font prendre des vessies pour des lanternes.

Toute évaluation se fait par rapport à un référentiel, qui indique ce qu’on mesure et quels sont les étalons pour le mesurer. Et le choix de ce référentiel n’est jamais un choix technique ou scientifique, c’est toujours un choix politique. Il n’y a pas de « bon » ou de « mauvais » référentiel. Il y a des référentiels différents, qui dessinent chacun une conception « ideale » de l’objet qu’on évalue. Ainsi, par exemple, pour rester dans la sphère scolaire, je peux classer leurs élèves par leurs résultats académiques, mais je peux aussi les classer en fonction de leur capacité à rester immobiles et silencieux en classe. Et selon la clé de classement que je choisis, je dessine le profil d’un élève idéal : la première clé me dit que l’élève idéal est celui qui apprend ses leçons, la deuxième que c’est celui qui n’embête pas l’enseignant en classe. Aucune de ces deux clés n’est « meilleure » ou « pire » que l’autre, elles sont tout simplement différentes. Et lorsqu’elles sont utilisées pour récompenser et punir, elles ont tendance à produire des élèves conformes à « l’idéal » qui est sous-jacent dans le choix des critères d’évaluation.

La question de l’évolution est donc éminemment politique. C’est pourquoi il faut regretter qu’elle ait été laissée dans les mains des néo-libéraux. Cela a été rendu possible parce que l’héritage « libéral-libertaire » a conduit la gauche a rejeter l’idée même d’évaluation au lieu de chercher à en contrôler le processus. On chercherait en vain à gauche un débat constructif sur ce qu’il faut évaluer et comment le faire. On y trouvera par contre force propositions pour supprimer l’évaluation là où elle existe. Le mythe de « l’école sans notes » est peut-être l’exemple le plus achevé de cette tendance. Cette détestation gauchiste de l’évaluation a des racines étonnamment profondes, qui se trouvent dans le rejet de deux idées fondamentales : celles de hiérarchie et de compétition.

Le problème, c’est que l’évaluation est, dans toute société complexe, une nécessité. Et c’est une nécessité parce que toute société complexe est par essence hiérarchisée, et qu’une hiérarchie suppose une forme de compétition pour atteindre les plus hauts niveaux. Mais en faisant semblant de refuser toute évaluation, la gauche abandonne ce terrain aux autres. Ce n’est pas par hasard si pratiquement tous les instruments d’évaluation, qu’ils soient nationaux ou internationaux, proviennent des organisations, d’équipes universitaires, des « think tanks » d’orientation libérale.

On comprend alors mieux pourquoi, de Shanghai à PISA, les évaluations internationales classent aussi mal la France. La raison est que toutes ces évaluations mesurent en fait l’écart entre la réalité et un « modèle idéal » d’éducation. Seulement, ce « modèle » n’est pas le notre. L’institution d’enseignement supérieur « idéale » au sens du classement de Shanghai est une très grosse institution, ayant des prix Nobel parmi ses enseignants et donnant une grosse priorité à la recherche. Dans notre tradition, les institutions d’enseignement « idéales » sont au contraire des petites institutions, dont les enseignants sont recrutés plus pour les qualités académiques que pour leur recherche. Et ce « modèle » n’est pas pire que l’autre : il a produit une élite intellectuelle que le monde entier nous a envié pendant un siècle, et qu’on nous envie encore.

Pour le classement PISA, l’école idéale est celle qui fournit aux élèves des « compétences » plutôt que des connaissances. C’est pourquoi l’évaluation PISA se concentre sur les « compétences » et pas n’importe lesquelles. Celles qui sont immédiatement valorisables dans l’économie. L’élève qui sait remplir un formulaire administratif apportera plus de points que celui qui saura écrire une dissertation en grec ancien ou démontrer le théorème de Thalès. Cela correspond au « modèle idéal » d’une école qui forme des gens adaptés au monde du travail tel qu’il est conçu par les libéraux, c'est-à-dire, des gens immédiatement utilisables par l’économie, même si leur bagage généraliste est pauvre. Et peu importe que cette pauvreté les empêche plus tard de s’adapter aux changements économiques ou technologiques. Car c’est là le fond de la question : une école qui fournit des « savoirs » plutôt que des « compétences » est peut-être moins efficace dans le court terme, mais l’est plus dans le long terme. On n’a peut-être pas besoin de la princesse de Clèves pour remplir un formulaire, mais on a besoin pour s’adapter aux formulaires de demain, qui seront sans doute très différents de ceux d’aujourd’hui.

De la même manière, l’école « idéale » qui transparaît dans PISA est non sélective. Venant de la très néolibérale OCDE, cela peut surprendre, du moins surprendre les « libéraux-libertaires » qui croient encore que la sélection est « de droite ». En fait, les néolibéraux n’aiment pas et n’ont jamais aimé la sélection académique. Non pas qu’ils veuillent une société égalitaire. Pas du tout : ils veulent des inégalités, mais préfèrent voire ces inégalités se faire ailleurs qu’à l’école. Et cela pour une raison simple : si la sélection se fait à l’école, elle a des grandes chances de se faire au mérite. Par contre, si elle se fait par exemple dans le bureau du recruteur, il sera plus facile de faire jouer la situation de fortune ou les « réséaux » sociaux et communautaires des parents. Pourquoi croyez-vous donc que depuis trente ans on dénigre régulièrement le recrutement par concours dans la fonction publique, et qu’on propose à chaque fois plutôt un recrutement « sur entretien » dont il paraît qu’il permet de « mieux mettre en adéquation le candidat et le poste ». Ben voyons…

C’est pourquoi les mauvaises notes de la France dans PISA ne surprennent que ceux qui veulent bien être surpris. Les mauvaises notes du système français étaient prévisibles sans qu’il soit même besoin d’examiner les principes d’évaluation : aucun organisme, pas plus l’OCDE qu’un autre, ne construit une évaluation qui pourrait invalider ses propres recommandations. Et on peut faire confiance aux experts de l’OCDE pour construire une évaluation qui valide le modèle de départ et aucun autre. Connaissant le modèle scolaire défendu par l’OCDE depuis un demi-siècle, il eut été fort étonnant que le modèle contraire sorte bien noté d’une évaluation conçue par l’OCDE.

Faut-il pour autant dire que tout va bien en France ? Bien sur que non. Au contraire : l’école française se dégrade lentement mais sûrement depuis bientôt quarante ans. Elle a besoin d’une sérieuse réforme. Mais la réforme qui à mon sens s’impose ne ferait rien pour améliorer notre classement PISA. Au contraire, elle risquerait de nous faire encore perdre des places. Et combien de ministres de l’Education seraient prêts à affronter la meute médiatique qui ne jure que par les « évaluations internationales » ? Quel ministre accepterait de se voir crucifier par une « évaluation » parée par les médias de toutes les garanties de la scientificité ?

C’est là le danger de PISA: les « évaluations » médiatisées sont en fait un outil qui déguise une injonction politique derrière une façade scientifique. La faiblesse conceptuelle et le manque de courage de notre personnel politique fait le reste. Le ministre qui craint d’être « mal noté » suivra avec application les recommandations que lui transmettra l’OCDE pour améliorer ses notes. Jamais il n’osera sortir devant les caméras pour dire combien cette « évaluation » doit être considérée avec prudence.

Il faut dire que les « libéral-déclinistes » qui utilisent PISA sont très habiles. Conscients du fait que PISA peut être attaqué sur le fait qu’il n’évalue que des « compétences », ils attaquent sur un point faible de la gauche, celui de « l’égalité ». Ainsi, non seulement notre système éducatif ne fournit pas aux élèves les bonnes compétences – ce qui a la rigueur serait moins grave – mais surtout, il perpétue les inégalités sociales, voire les accroît.

Sur cette question, le discours médiatique sur le caractère inégalitaire de notre école mériterait le prix Nobel de l’hypocrisie. L’école perpétue les inégalités sociales parce que c’est exactement ce que la société lui demande. Imaginons un instant une école « égalitaire », une école où le fils du patron, celui du professeur, celui du médecin et celui de l’ouvrier auraient les mêmes chances de rentrer à Polytechnique ou à l’ENA, qui donnerait les mêmes chances à tous les enfants de devenir eux-mêmes médecins, professeurs ou patrons. Une telle école rebattrait les cartes à chaque génération. Le fils de patron, de médecin, de professeur aurait autant de chances d’accéder au statut social de leurs parents que le fils d’ouvrier. Pensez-vous vraiment que les médecins, les professeurs et les patrons sont prêtes à accepter un tel risque pour leurs enfants ? Bien sur que non. L’immense majorité de ceux qui s’indignent dans les gazettes et les sondages de notre « école inégalitaire » sont les premiers à en jouer pour préserver les chances de leurs enfants d’hériter leur statut social. Combien de fois j’ai entendu un collègue « de gauche » protester sur les inégalités scolaires puis expliquer qu’il envoie ses enfants à Notre Dame du Perpétuel Secours. « Pas que je sois bigote, non, mais tu comprends… à l’école du quartier mon gosse n’était pas heureux… les enfants étaient trop différents, il n’arrivait pas à se faire des copains… ». Les plus conscients arrivent jusqu’au « oui, je sais, ce n’est pas bien… ».

Dans une société sans croissance et où la carrière est liée au diplôme, l’école ne peut que reproduire les inégalités existantes tout simplement parce c’est ce que les classes dominantes et leurs alliés des classes moyennes – mais sur ce sujet aussi dans les couches populaires – veulent. Si l’ascenseur social scolaire fonctionne trop bien, s’il risque d’amener des concurrents leurs propres enfants, ils le cassent. Et cela est particulièrement important en France, parce que la sélection pour atteindre les positions sociales est encore très liée au mérite académique. Dans les pays où la sélection sociale se fait ailleurs, par exemple en fonction de l’argent, de la naissance, du « réséau » familial, la bourgeoisie et ses alliés des classes moyennes admettent parfaitement une école égalitaire. On peut se permettre de ne tester que des « compétences » minimales et mettre des bonnes notes à tout le monde dès lors que ces notes n’ont plus de conséquence sociale et que les élites sont assurées de pouvoir transmettre leur statut à leurs enfants même si c’est des cancres. Mais dans un système comme le notre, où le passage à l’ENA ou a Polytechnique garantissent une place enviable dans la société, il faut verrouiller.

Alors non, il ne faut pas casser le thermomètre. Mais il faut le ranger soigneusement dans un tiroir, et construire ensuite un baromètre, puisque ce qui nous intéresse à nous est de mesurer la pression, et non la température. Je rêve d’un ministre qui lancerait non pas une réforme des rythmes ou du temps de service des enseignants, mais une réflexion sur les méthodes d’évaluation de notre système éducatif, pour construire une évaluation qui mesure l’écart entre notre système réel et le « modèle idéal » que nous, peuple français, nous aurons défini. Qui n’ont aucune raison d’être le même que ceux choisis par les Finlandais, les Coréens ou les Burkinabés.

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43 réponses à PISA : faut-il casser le thermomètre ?

  1. BJ dit :

    Bonjour Descartes
    Vous voudrez bien m’excuser pour ce post qui n’a rien à voir avec le sujet de l’article, mais il me fallait un article sans commentaires.
    Quand il y a beaucoup de commentaires sur un article le chargement de la page est très, très long :
    Pour charger l’article "Du bon usage du racisme", il me faut plus de 5 min avec mon "vieux" PC, et presque 2min 30 avec le PC récent de ma fille.
    C’est long au point que je renonce a lire les commentaires quand il y en a beaucoup… et ça m’ennuie, ce blog étant devenu mon échauffement cérébral du matin 😉
    Ne pourriez-vous pas essayer de trouver une autre plateforme pour continuer votre blog ?
    Ça ne rebute peut-être pas les habitué (encore que), mais çà rebute clairement les personnes à qui je conseille ce blog qui me disent toutes ne pas avoir réussi à lire les articles.
    Merci pour ce blog et pour le travail qu’il vous demande.

    • Descartes dit :

      @BJ

      Oui, je sais… d’autres lecteurs m’ont fait la même remarque, et je suis au désespoir pour y répondre. D’une part, aller ailleurs revient à recommencer tout à zéro, parce que je n’ai aucune idée de comment transporter l’ensemble de ce blog sur un nouveau site, et cela rendrait caducs tous les liens depuis différents sites vers celui-ci. D’autre part, je ne connais pas vraiment de sites ou le service soit meilleur… peut-être des lecteurs avisés pourraient m’aider ?

    • Jean-François dit :

      Je viens de faire un essai, et il vous est possible d’exporter l’intégralité de votre blog, commentaires compris, au format XML (Manage > Settings > Import/Export > Export). Reste à choisir une autre plateforme de blogs. Je viens de faire un essai avec WordPress (où il me semble que le problème que vous rencontrez ne se pose pas) et cela semble fonctionner avec une petite manip (j’attends un email de confirmation) : http://saperlipopette.marine-landre.fr/maj/tuto-migration-dun-blog-overblog-vers-wordpress/

    • Descartes dit :

      @Jean-françois

      Merci. Je me suis replongé dans mes connaissances informatiques, j’ai installé wordpress sur un vieil ordinateur que je réserve à ce genre de manip… et ça marche. Le seul problème est que je n’arrive pas à rentrer les données over-blog dans wordpress!. En fait, la commande que vous indiquez marche bien, et produit un fichier XML "sain" (bien construit et assez facile à lire), mais ensuite je n’ai aucun moyen de faire rentrer ces données dans wordpress. Les outils d’importation disponibles ne reconnaissent pas le format produit par over-blog…

      Je ne suis pas sur d’avoir le courage de me remettre à développer un convertisseur moi même – mes connaissances en informatique furent vastes à une époque, mais elles sont très rouillées aujourd’hui – ou a attendre le miracle…

    • Jean-François dit :

      En effet, je m’en suis aperçu après mon message. Il faut soit extraire le contenu directement au format de WordPress (le lien que je vous ai indiqué contient un lien vers quelque chose pour faire cela, mais je n’ai pas réussi à le faire fonctionner correctement), soit convertir le fichier XML produit par Overblog au bon format. Je peux essayer de faire un « convertisseur » pendant les vacances de Noel si vous voulez, j’aurais juste besoin de la promesse que vous vous en servirez 🙂

    • Descartes dit :

      @jean-françois

      Ca n’a pas l’air très dur, j’ai examiné les fichiers XML produits par la sauvegarde wordpress, et ceux produits par le site Overblog. Ils ont la même structure, et les catégories de l’un semblent facilement transposables à l’autre. Mais bon, je suis pas un expert. Ce qui me refroidit un peu c’est que finalement l’éditeur des commentaires de wordpress n’a pas l’air très performant. Je me demande si SPIP n’est pas finalement mieux…

  2. Jean-François dit :

    Bonjour Descartes,

    [Le problème, c’est que l’évaluation est, dans toute société complexe, une nécessité. Et c’est une nécessité parce que toute société complexe est par essence hiérarchisée, et qu’une hiérarchie suppose une forme de compétition pour atteindre les plus hauts niveaux.]

    « Toute société complexe est pas essence hiérarchisée » est, je trouve, une phrase un peu vague. Qu’entendez-vous par « société complexe » et qu’est-ce qui dans toute « société complexe » doit être hiérarchisé pour garantir son bon fonctionnement ?

    Aussi, il ne me semble pas que la hiérarchie implique forcément la compétition. Elle est dépendante du nombre de personnes qui souhaite accéder à un niveau donné. S’il y a suffisamment peu de personnes il n’y a pas de compétition. Aussi, quelle que soit la quantité de ces personnes, il est possible dans l’absolu de se passer de la compétition en tirant au sort parmi des personnes qualifiées.

    [l’école française se dégrade lentement mais sûrement depuis bientôt quarante ans.]

    Quels critères avez-vous utilisé pour cette évaluation ? 😉

    • Descartes dit :

      @Jean-François

      [« Toute société complexe est pas essence hiérarchisée » est, je trouve, une phrase un peu vague. Qu’entendez-vous par « société complexe » et qu’est-ce qui dans toute « société complexe » doit être hiérarchisé pour garantir son bon fonctionnement ?]

      En fait, tout commence avec la division du travail. Dans des sociétés primitives, chaque individu peut maîtriser la somme des connaissances disponibles et est appelé à remplir tous les rôles sociaux. L’individu est paysan et travaille la terre, est vétérinaire lorsqu’il faut soigner les bêtes, il est chasseur lorsque l’opportunité se présente, se fait soldat s’il faut défendre le village, prêtre pour rendre culte aux dieux domestiques… Dans ce contexte, établir une hiérarchie ne remplit aucune fonction sociale. Mais dès lors que la somme des connaissances disponibles progresse et que la société recherche une plus grande efficacité, apparaît un besoin de spécialisation et de hiérarchisation. Au lieu que chacun soigne ses bêtes, prie les dieux et défende le village, on confiera ce rôle à ceux qui sont les mieux équipés et qualifiés pour le faire. Et du moment qu’on dit « mieux équipé », on établit une hiérarchie. Si chacun soigne ses bêtes, je n’ai pas de hiérarchie. Si je dois choisir un vétérinaire pour soigner les bêtes de tous, je suis obligé d’établir une hiérarchie dans la capacité de soigner.

      C’est pourquoi toute société « complexe » (au sens de la division du travail) est par essence hiérarchisée. Et plus la division du travail est poussée, plus la hiérarchisation est complexe.

      [Aussi, il ne me semble pas que la hiérarchie implique forcément la compétition. Elle est dépendante du nombre de personnes qui souhaite accéder à un niveau donné. S’il y a suffisamment peu de personnes il n’y a pas de compétition.]

      Oui. Mais dès lors que vous avez une division du travail et donc une hiérarchie, la société a un besoin réel de remplir les différents niveaux. Pour reprendre mon exemple, si vous avez un vétérinaire, vous avez intérêt à ce que ce soit le « plus apte » à soigner qui soit choisi. Et pour que le « plus apte » soit choisi, il faut qu’il y ait beaucoup « d’aptes » qui prétendent au poste. La société se débrouille donc pour qu’il y ait beaucoup de candidats, par exemple en attachant aux fonctions de vétérinaire un respect social et une rétribution matérielle exceptionnelle.

      [Aussi, quelle que soit la quantité de ces personnes, il est possible dans l’absolu de se passer de la compétition en tirant au sort parmi des personnes qualifiées.]

      Bien entendu. Au lieu de nommer Einstein professeur de physique à Princeton, vous auriez pu tirer au sort parmi tous les professeurs de physique de la terre. Vous auriez recruté certainement une personne capable de faire le job, mais pas celle capable de le faire au mieux. Et vous perdrez donc en efficacité. Il est possible donc « dans l’absolu » de se passer de la compétition, mais au prix d’un sacrifice considérable dans l’efficacité dans l’utilisation des moyens humains. Or, l’évolution des sociétés se fait par la recherche constante d’une plus grande efficacité dans l’usage des facteurs de production…

      [« l’école française se dégrade lentement mais sûrement depuis bientôt quarante ans. » Quels critères avez-vous utilisé pour cette évaluation ? ;)]

      Touché ! La question est excellente. Bien entendu, mon « évaluation » – si l’on peut dire – cache elle aussi une vision qui m’est personnelle de ce qu’est une bonne éducation. En l’espèce, je lui assigne un double rôle. Le premier, c’est celui de transmettre des savoirs et de construire les mécanismes qui permettent d’opérer sur ces savoirs (connaître par cœur le théorème de Thalès ne sert à rien si l’on n’a pas compris ce qu’est un théorème) pour permettre à chacun d’accéder au patrimoine scientifique et culturel de l’humanité. Le second, c’est de constituer une communauté de citoyens, en donnant à chaque petit français des références communes qui lui permettent de dialoguer avec les autres petits français. Je pense que sur ces deux poins, le système éducatif – et non seulement le système scolaire – a reculé désastreusement ces trente dernières années. Et, je persiste, ce n’est pas par hasard.

  3. Badaboum dit :

    Bonjour
    au sujet de Pisa, des réactions que le classement a provoqué dans la classe politique, et de la vocation inégalitaire de l’école contemporaine, je suis d’accord avec ton analyse en tout point.

    Je voudrais ajouter que personne n’a besoin de Pisa pour voir que l’école part en vrille, du moins du point de vue de ce que je trouve être sa mission, que tu définis très bien à mes yeux dans ta réponse à Jean-François.
    En tant que chercheur scientifique, je vois le niveau des jeunes que nous accueillons (2ème et 3ème cycles) baisser en continu: ces têtes archi pleines ont oublié règle de trois, calcul mental, géométrie de base (pi air deux…) etc…Les mollets, eux, vont bien ! Des collègues universitaires m’ont récemment expliqué pourquoi il FALLAIT des filières poubelles à la fac (qui a parlé un jour de "garderie pour classes moyennes" ?….euh, c’est toi Descartes), comment l’Unef était capable de saborder une filière, comment il est impossible d’échouer à la fac si on a le temps etc…
    En tant que parent d’enfants dont les dates de naissance se séparent de 20 ans, les ainés étant en filières sélectives, je ne cesse d’être surpris par la pédagogie de nos jours. Vous savez certainement tous tout cela, mais au cas où, voici quelques exemples dans des écoles irréprochables, bien jugées (cotées ?), bien fréquentées, dans une grande agglo de province: plus de conjugaison (interdit, dixit le prof de Ce1, en ajoutant "vous comprenez, cette année je suis évaluée, alors…"), plus d’expression écrite, mais de la production d’écrit, plus de tables de calcul à connaitre, des exercices de calcul où il est interdit d’utiliser les techniques opératoires au brouillon (tout en mental), plus de déroulé chronologique de l’histoire géo….sans parler de la suppression de cette dernière en première scientifique, de l’affaiblissement du formalisme mathématique en sciences physiques (dixit aussi un prof de prépa et lycée) etc…J’espère me tromper dans mon jugement et que ces approches formeront des jeunes qui seront des génies par rapport à nous.
    En revanche, "vive" les stages d’observation en 3ème ou lycée, pour lesquels vous imaginez que je suis bien sollicité, et qui ne servent à rien.
    Je voulais avec ces exemples illustrer concrètement ta prose sur le déplacement d’une sélection par le mérite vers une sélection par le réseau.
    Je suis certainement réactionnaire ou passéiste, issus que je suis de la sélection au mérite (mes parents n’avaient pas atteint le collège, j’ai fait une grande école), mais je suis persuadé que les apprentissages "bourrins" à "savoir par coeur" sont ce que l’on peut trouver de plus RASSURANT pour un enfant qui a des difficultés et STRUCTURANT pour tous.
    Alors, oui, d’accord, Pisa est juste une mesure comme une autre, et ne rend pas compte dans l’absolu du "déclin" de la France.
    Mais il n’empêche que j’ai de commun avec les déclinistes la conviction que notre société se casse(ra) la g***e tant que l’instruction, l’enseignement y sont sabordés de façon réfléchie et commune à la gauche et la droite.
    Il arrive que je me dise que je vis un cauchemar: je viens de passer à peine les 40 ans et toutes les fondations qui m’ont fait me sentir "citoyen" s’effondrent (école en danger, décentralisation ou féodalisation, laicité attaquée…) et cela, en dehors du rassurant cadre du débat politique puisque tous les partis y collaborent. Je suis sûr que je ne suis pas le seul.
    Tu as raison Descartes, la plupart des parents de 2013 (en général plus jeunes que moi), dans mon contexte classe moyenne (personne n’est parfait, la preuve, ma présence ici 😉 !) ne demandent rien d’autre que des sorties cul-culturelles et des tablettes tactiles dans les classes, et sont ravis devant le nouveau tableau blanc fait pour la videoprojection (2/3 de la surface) et un peu pour que la maîtresse puisse écrire (1/3 de la surface). (pour éviter les malentendus: je précise que je trouve que les sorties culturelles, c’est très très bien, ce qui m’énerve, c’est quand parents ne trouvent d’intérêt qu’à cela et pas aux fondamentaux)
    enfin, petite pensée spéciale à mon ancien parti, le PéGé, prompt à dire "Pisa=Standart&Poors=FMI=satan"…dans son communiqué sans avoir une seule fois en 5 ans abordé en interne (commission éducation) des débats de fond sur l’éducation et l’enseignement.
    Désolé pour ce long post où j’ai un peu tapé partout. J’étais un peu frustré après tes derniers articles passionnants, mais sur lesquels je n’avais rien de spécial à dire !
    Je vous laisse, ce blog me rend schizophrène…(classes moyennes inside :-)) )

    • Descartes dit :

      @Badaboum

      [Je voudrais ajouter que personne n’a besoin de Pisa pour voir que l’école part en vrille, du moins du point de vue de ce que je trouve être sa mission, que tu définis très bien à mes yeux dans ta réponse à Jean-François.]

      Oui, mais permets moi d’insister : pour savoir si l’école part en vrille ou pas, il est indispensable de définir au préalable ce qu’on attend de l’école. Si des gens comme Dubet peuvent aujourd’hui se réjouir des « progrès » de notre école s’améliore ce n’est pas parce qu’ils sont aveugles ou de mauvaise foi, c’est parce qu’ils assignent à l’école des objectifs différents des nôtres.

      [En tant que chercheur scientifique, je vois le niveau des jeunes que nous accueillons (2ème et 3ème cycles) baisser en continu: ces têtes archi pleines ont oublié règle de trois, calcul mental, géométrie de base (pi air deux…) etc…]

      C’est Brighelli je crois qui signale que si les élèves aujourd’hui « savent » bien plus que ne savaient les écoliers d’il y a un siècle, ils le « savent » moins bien. En d’autres termes, ils ont la tête pleine de concepts mais ils n’ont pas les mécanismes pour opérer avec eux. C’est vrai aussi pour les universitaires.

      [Des collègues universitaires m’ont récemment expliqué pourquoi il FALLAIT des filières poubelles à la fac (qui a parlé un jour de "garderie pour classes moyennes" ?….euh, c’est toi Descartes),]

      Oui, c’est moi. Et tes collègues ont raison. Si on ne veut pas de sélection à l’entrée de l’université, il faut bien faire quelque chose avec les étudiants qui n’ont ni les capacités ni la motivation pour suivre des études universitaires. Avoir des filières « garderie » (« poubelle » me paraît un peu extrême) reste la solution la moins idiote dans une situation irrationnelle.

      [comment l’Unef était capable de saborder une filière,]

      Ca… je dois dire que le syntagme « syndicat étudiant » est le plus bel les oxymore que je connaisse. L’idée que des gens qui ne produisent rien, qui ne sont là que pour recevoir un service payé par la collectivité sans rien lui apporter puissent faire valoir collectivement des « revendications » est scandaleuse. Que les étudiants se regroupent en association pour faire entendre leurs opinions, soit. Qu’ils fassent « grève » ? C’est ridicule. D’ailleurs, je ne connais pas un seul exemple ou les « syndicats étudiants » aient eu une action positive pour améliorer la qualité de l’enseignement. J’ai par contre plein d’exemples du contraire…

      [comment il est impossible d’échouer à la fac si on a le temps etc…]

      Tout à fait. Et le temps, comme on dit vulgairement, c’est de l’argent. Plus on a des parents friqués, plus on peut se permettre de « prendre le temps » en fac. Le « diplôme à l’ancienneté » est lui aussi une forme de sélection par l’argent.

      [Je voulais avec ces exemples illustrer concrètement ta prose sur le déplacement d’une sélection par le mérite vers une sélection par le réseau.]

      Tout a fait. Nous sommes d’accord sur ce point. Il faut arrêter les bêtises : nous vivons dans une société hiérarchisée, et donc sélective. Si la sélection ne se fait plus sur le mérite académique, alors elle se fera sur d’autres critères : l’argent, les « réséaux », le « succès » médiatisable. Mais en dehors de la question de la sélection, il y a aussi celle du niveau de l’enseignement et notamment de l’exigence. La connaissance est un plaisir. Mais ce n’est pas un plaisir immédiat : elle nécessite un investissement important. L’école ne peut pas être un lieu de divertissement, précisément parce que c’est l’endroit ou l’on fait cet investissement initial. Lorsque l’école capitule, lorsqu’elle renonce à enseigner sans divertir, elle prépare des jours sombres…

      [Alors, oui, d’accord, Pisa est juste une mesure comme une autre, et ne rend pas compte dans l’absolu du "déclin" de la France.]

      Non, ce n’est pas une « mesure comme une autre ». C’est une mesure qui compare le réel à un idéal bien précis, et qui n’est pas, loin de là, le notre.

      [Il arrive que je me dise que je vis un cauchemar: je viens de passer à peine les 40 ans et toutes les fondations qui m’ont fait me sentir "citoyen" s’effondrent (école en danger, décentralisation ou féodalisation, laicité attaquée…) et cela, en dehors du rassurant cadre du débat politique puisque tous les partis y collaborent. Je suis sûr que je ne suis pas le seul.]

      Non, vous n’êtes pas le seul. Mais il ne faut pas se décourager : si ceux qui sont partis à Londres en 1940 avaient confiance dans la « France éternelle », pourquoi renoncerions nous ? Mais je vous accorde que, au jour le jour, ramer contre le courant c’est dur.

      [Désolé pour ce long post où j’ai un peu tapé partout. J’étais un peu frustré après tes derniers articles passionnants, mais sur lesquels je n’avais rien de spécial à dire !]

      Ne soyez pas désolé… et gardez espoir ! Même si vous faites partie des classes moyennes, il n’y a jamais de détermination individuelle…

    • Badaboum dit :

      merci Descartes pour ta réponse
      je voulais juste préciser que l’expression "filières poubelles" n’est pas de moi mais de mon collègue universitaire, j’aurai dû l’utiliser entre guillemets.

  4. vent2sable dit :

    @Descartes

    J’ai lu avec attention votre article sur ce sujet passionnant et j’ai été saisi d’un affreux doute : « Et si Descartes avait raison, et si ce test PISA était biaisé, et si on nous faisait prendre les vessies pour des lanternes ».
    Une seule solution … dès la fin de la lecture de votre article, je me suis jeté sur les 78 pages du test 2012 de mathématiques qui ont été mises en ligne par l’OCDE.
    Et là, à ma grande surprise, je suis tombé sur des problèmes d’arithmétique très classiques. Je trouve qu’ils ressemblent aux problèmes de certificat d’études primaires, que j’ai passé en fin de 5ème, à l’âge de 13 ans.
    Deux exemples pris au hasard:

    Exemple numéro 1
    Le sentier Gotemba, qui mène au sommet du mont Fuji, est long de 9 kilomètres. Les randonneurs souhaitant effectuer les 18 km aller-retour doivent être revenus avant 20 heures. Toshi évalue sa vitesse moyenne de marche à 1,5 kilomètre par heure pour l’ascension, et le double pour la descente. Cette vitesse estimée prend en compte les différentes pauses nécessaires. Au plus tard, à quelle heure Toshi doit-il débuter son ascension s’il veut avoir terminé sa randonnée à 20 heures ?

    Exemple numero 2
    Ellen pédale de chez elle jusqu’à la rivière située à 4 kilomètres de là, trajet qu’elle effectue en 9 minutes. A son retour, elle emprunte un raccourci et ne parcourt que 3 kilomètres, qu’elle parcourt en 6 minutes. Quelle fut sa vitesse moyenne en km/h sur cet aller-retour ?

    C’est sur ce genre de problèmes que les petits Français de 15 ans se sont montrés, en moyenne, nettement moins bons que ceux de 22 autres pays de l’OCDE.

    Je ne comprends pas ou il faut voir une intention politique derrière le choix de ces problèmes.

    Par contre, il nous a été expliqué que les petits Français étaient au niveau des meilleures mondiaux, pour les meilleurs d’entre eux, mais montraient des résultats tellement bas pour les plus mauvais, que la moyenne des deux nous reléguait à la 23ème place.
    Il serait plus intéressant d’analyser cet écart exceptionnel entre les bons et les mauvais élèves, cette exception française qui s’aggrave d’une année à l’autre, plutôt que de chercher à tout prix des arrières pensés politiques derrière la forme du test, derrière le choix bien classiques de ces problèmes d’arithmétique.

    • Descartes dit :

      @vent2sable

      [J’ai lu avec attention votre article sur ce sujet passionnant et j’ai été saisi d’un affreux doute : « Et si Descartes avait raison, et si ce test PISA était biaisé, et si on nous faisait prendre les vessies pour des lanternes ».]

      Mon dieu, j’espère que je ne vous ai pas gâché le week-end…

      [Une seule solution … dès la fin de la lecture de votre article, je me suis jeté sur les 78 pages du test 2012 de mathématiques qui ont été mises en ligne par l’OCDE.]

      Pourriez-vous donner la référence du document que vous citez ? Je n’ai pas retrouvé, sur le site de l’OCDE, le test complet de mathématiques proposé pour l’évaluation PISA. J’ai retrouvé par contre un document qui donne quelques exemples de questions posées (http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/PISA-2012-results-volume-I-FR.pdf, pages 128 sq). Dans ce document figurent les exemples que vous donnez, mais avec quelques précisions importantes que de détaille dans la suite :

      [Et là, à ma grande surprise, je suis tombé sur des problèmes d’arithmétique très classiques. Je trouve qu’ils ressemblent aux problèmes de certificat d’études primaires, que j’ai passé en fin de 5ème, à l’âge de 13 ans.]

      Les problèmes sont « très classiques ». C’est le mode de réponse qui l’est moins. Pour la plupart des exercices cités, la réponse n’est pas le résultat d’un calcul, mais le « choix multiple » entre plusieurs réponses possibles. Un mode de réponse auquel les élèves français ne sont pas formés, et à juste titre à mon sens puisqu’il me semble nécessaire de former l’élève à l’exercice consistant à formuler une réponse parmi tous les possibles, et non pas à choisir parmi des réponses déterminées au préalable.

      Par ailleurs, le choix des problèmes n’est pas si « neutre » que vous le pensez : ainsi par exemple le problème sur la « porte a tambour » (page 136 du document susvisé). Entre l’enfant du centre ville, qui voit des portes à tambour tous les jours, et celui des champs qui n’en a peut-être jamais vu une, la visualisation du problème n’est pas la même. Et finalement, certains problèmes sont horriblement mal rédigés. Ainsi, par exemple, voici le préambule du problème que vous citez en exemple N°2 : « Hélène vient de recevoir un nouveau vélo, avec un compteur de vitesse fixé sur le guidon. Le compteur de vitesse indique à Hélène la distance qu’elle parcourt et sa vitesse moyenne pour le trajet ». Il faudra m’expliquer comment un « compteur de vitesse » pourrait « indiquer la vitesse moyenne sur le trajet ». Pour calculer une moyenne, il lui faudrait d’abord savoir quand le trajet commence et quand il s’arrête, et avoir une mesure de temps.

      Mais la question fondamentale n’est pas là. Si votre thèse est que le niveau de notre école se dégrade, on tombera d’accord. La question est pourquoi et en quoi elle se dégrade. Et dans ce domaine, je pense que PISA donne les mauvaises réponses. Je ne pense pas que l’école finlandaise ou sud-coréenne soit « meilleure » au sens des objectifs que moi, personnellement, je veux pour mon école, même si elles sont « meilleurs » au sens des objectifs que les experts de l’OCDE lui attribuent.

      [Je ne comprends pas où il faut voir une intention politique derrière le choix de ces problèmes.]

      Le choix des problèmes dans une évaluation est toujours « politique », parce que choisir une grille d’évaluation implique répondre à la question « qu’est ce que les enfants devraient savoir ». Et cette question est, de toute évidence, politique.

      [Par contre, il nous a été expliqué que les petits Français étaient au niveau des meilleures mondiaux, pour les meilleurs d’entre eux, mais montraient des résultats tellement bas pour les plus mauvais, que la moyenne des deux nous reléguait à la 23ème place. Il serait plus intéressant d’analyser cet écart exceptionnel entre les bons et les mauvais élèves,]

      Tout à fait. D’abord, est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Un système scolaire doit viser au moindre écart entre les meilleurs et les moins bons ou l’inverse ? Faut-il « tirer tout le monde vers la moyenne » ou au contraire permettre à chaque élève d’aller au bout de ses possibilités – ce qui implique accepter que les « possibilités » puissent ne pas être les mêmes pour tous ? Vous voyez bien que vous êtes devant un choix politique.

      [cette exception française qui s’aggrave d’une année à l’autre,]

      Pourquoi « s’aggrave » ? Au contraire, on pourrait dire « qui s’améliore »…Voici dans votre exemple la meilleure illustration du risque de PISA. Sans le moindre débat, vous acceptez comme une évidence que le but du système scolaire est de raboter les différences…

    • vent2sable dit :

      [Pourquoi « s’aggrave » ? Au contraire, on pourrait dire « qui s’améliore »…Voici dans votre exemple la meilleure illustration du risque de PISA. Sans le moindre débat, vous acceptez comme une évidence que le but du système scolaire est de raboter les différences…]

      Dans notre pays, le niveau des meilleurs reste excellent, tant mieux, le niveau des moins bons se dégrade.
      Sauf à affirmer que les plus défavorisés peuvent bien continuer à s’enfoncer dans l’indifférence générale, on ne peut que parler de dégradation.

    • Descartes dit :

      @vent2sable

      [Sauf à affirmer que les plus défavorisés peuvent bien continuer à s’enfoncer dans l’indifférence générale, on ne peut que parler de dégradation]

      N’est ce pas ?.

  5. J. Halpern dit :

    Bonjour Descartes,

    J’ai lu avec grand plaisir ton excellent article qui permet de remettre la discussion sur ses vrais enjeux. La sélection des élites doit-elle être laissée à l’héritage social ou remodelée par la méritocratie ? Le discours (à l’origine légitime) sur l’égalité des chances à tourné à l’enfumage pour camoufler une politique de nivellement des classes moyennes. C’est sans doute là-dessus que nous divergeons, car les "classes moyennes", dont tu dénonces avec constance l’influence, ne disposent pas des moyens de reproduction sociale de la grande bourgeoisie. Leurs ressources culturelles leur permettent d’optimiser le parcours scolaire de leurs enfants – mais pas davantage. La démolition persévérante de l’école républicaine depuis 68 s’est certes appuyée un certain temps sur le désir d’ouverture des chances scolaires aux petits-bourgeois. Mais une fois élargi l’accès aux compétences requises par le néocapitalisme, il ne s’agit plus, comme tu le montres très bien, que de réduire l’enseignement de masse à la préparation à la vie dans l’entreprise. La qualification, les diplômes, la culture civique fournissent des ressources sociales différentes de celles de "l’entreprise" et doivent donc être éradiquées. Les classes moyennes et populaires sont donc attaquées sur ce qui leur permet de résister un peu à la pure logique du capital financier.
    Or je suis convaincu que ces classes moyennes sont aujourd’hui, pour reprendre ta métaphore, dans la gueule du crocodile. Le temps où l’accès à l’enseignement supérieur achetait l’alliance de classes est révolu. Les diplômes en chocolat ne trompent plus grand monde. Sur ce terrain comme sur d’autres s’esquisse une convergence entre le prolétariat et les salariés diplômés.

    Tu as certainement suivi le conflit entre le ministère et les professeurs de classes préparatoires. Au delà du conflit salarial, ce qui a été remarquable c’est le populisme réactionnaire de Peillon cherchant à opposer les professeurs de ZEP aux "privilégiés" des prépas, coupable d’"élitisme" et de "conservatisme". Or ce sont précisément les "classes moyennes" qui fréquentent les prépas, qui elles-même représentent une survivance de l’enseignement traditionnel méritocratique dans le grand naufrage de l’enseignement supérieur.

    • Descartes dit :

      @J. Halpern

      [C’est sans doute là-dessus que nous divergeons, car les "classes moyennes", dont tu dénonces avec constance l’influence, ne disposent pas des moyens de reproduction sociale de la grande bourgeoisie. Leurs ressources culturelles leur permettent d’optimiser le parcours scolaire de leurs enfants – mais pas davantage.]

      Je pense que vous faites erreur. Les classes moyennes, tout comme la bourgeoisie, détiennent un capital – matériel et immatériel – qu’elles aspirent à transmettre à leurs enfants. Non seulement elles peuvent « optimiser le parcours scolaire de leurs enfants », elles ont aussi des « réseaux » qui leur permettent ensuite de s’insérer dans le milieu professionnel. Quand on a fini ses études de médecine, le fait d’avoir un père ou un oncle médecin facilite beaucoup les choses…

      [La démolition persévérante de l’école républicaine depuis 68 s’est certes appuyée un certain temps sur le désir d’ouverture des chances scolaires aux petits-bourgeois.]

      Au contraire. La démolition s’est appuyée sur le désir des classes moyennes de détruire l’outil qui leur avait permis de s’élever socialement, et qui risquait, en promouvant des nouveaux venus, de créer une concurrence pour leurs propres enfants.

      [Mais une fois élargi l’accès aux compétences requises par le néocapitalisme, il ne s’agit plus, comme tu le montres très bien, que de réduire l’enseignement de masse à la préparation à la vie dans l’entreprise. La qualification, les diplômes, la culture civique fournissent des ressources sociales différentes de celles de "l’entreprise" et doivent donc être éradiquées. Les classes moyennes et populaires sont donc attaquées sur ce qui leur permet de résister un peu à la pure logique du capital financier.]

      Mais les classes moyennes n’ont aucune raison de « résister à la pure logique du capital financier. Au contraire : c’est la financiarisation qui offre aux classes moyennes les meilleures opportunités économiques. Je crois que vous faites la même erreur qu’un certain nombre de penseurs de la « gauche radicale » en croyant que les classes moyennes pourraient être le réservoir de la « culture civique ». Les trente dernières années ont montré exactement le contraire : les classes moyennes ont embrassé avec enthousiasme – dans les faits sinon sur le plan symbolique – la révolution néolibérale. Ce sont des gouvernements solidement soutenus par les classes moyennes qui ont privatisé, financiarisé et dérégulé. Ce sont elles qui ont été le fer de lance sociologique de la construction de l’Europe libérale et maastrichienne.

      [Or je suis convaincu que ces classes moyennes sont aujourd’hui, pour reprendre ta métaphore, dans la gueule du crocodile. Le temps où l’accès à l’enseignement supérieur achetait l’alliance de classes est révolu. Les diplômes en chocolat ne trompent plus grand monde. Sur ce terrain comme sur d’autres s’esquisse une convergence entre le prolétariat et les salariés diplômés.]

      Je ne le crois pas un instant. Les « diplômes en chocolat » garantissent au contraire aux classes moyennes que leurs enfants ne trouveront pas de concurrent, puisque ce n’est plus les diplômes mais les « relations » qui font l’emploi. Ne sous-estime pas l’intelligence de la bourgeoisie : elle fera ce qu’il faut pour que le crocodile n’arrive pas aux chevilles des classes moyennes.

      [Tu as certainement suivi le conflit entre le ministère et les professeurs de classes préparatoires. Au delà du conflit salarial, ce qui a été remarquable c’est le populisme réactionnaire de Peillon cherchant à opposer les professeurs de ZEP aux "privilégiés" des prépas, coupable d’"élitisme" et de "conservatisme". Or ce sont précisément les "classes moyennes" qui fréquentent les prépas, qui elles-même représentent une survivance de l’enseignement traditionnel méritocratique dans le grand naufrage de l’enseignement supérieur.]

      Mon interprétation est à l’opposé de la tienne. Les classes préparatoires restent l’une des rares voies pour les « bons élèves » issus des couches populaires d’accéder à l’élite. Les classes moyennes les détestent, parce que leurs enfants n’ont pas de garantie de passer l’étape du concours. C’est pourquoi les Grandes Ecoles sont de plus en plus soumises à une pression irrésistible pour recruter de moins en moins par concours et de plus en plus par des « passerelles » universitaires sur entretien – et qui dit « entretien »…

    • Badaboum dit :

      100% d’accord avec Descartes

  6. vent2sable dit :

    @Descartes
    [Si votre thèse est que le niveau de notre école se dégrade, on tombera d’accord]

    Faut-il que je m’exprime mal pour que vous ayez pu imaginer que je n’étais pas d’accord avec le fait que l’école se dégrade.
    OUI, elle se dégrade. Mais elle ne se dégrade QUE dans les couches sociales les plus défavorisées ainsi que dans les catégories professionnelles, aisées ou non, issues des classes populaires (commerçants, agriculteurs …)
    Les classes moyennes, les cadres moyens et supérieurs, les ingénieurs, les enseignants, les professions libérales, voient le niveau de leurs enfants se maintenir au niveau des meilleurs mondiaux.
    Ma surprise, en vous lisant, vient de ce que, au lieu de relever l’effondrement des résultats chez les enfants des couches de la population les plus défavorisées, vous préférez vous en prendre aux tests eux-mêmes.
    Je ne comprends d’ailleurs pas bien comment vous pouvez reprocher, à juste titre, aux tenants du système éducatif d’avoir laissé le niveau se dégrader et reprocher aux mêmes d’avoir conçu, ou utilisé, des tests qui ne font que mettre en évidence la faillite du système.
    Il me semble au contraire, que nous devons nous féliciter d’avoir cet outil PISA, outil peut-être imparfait, mais outil qui commence à nous dire ou le bât blesse, à nous dire ou agir.
    PISA ne fait que révéler dans les chiffres une dégradation moyenne.
    Il n’y a pas dans ce domaine de vases communicants, réduire le nombre d’élèves en échec complet à la fin de l’école obligatoire, à 16 ans, ne changerait rien au niveau des écoles de l’élite.
    PISA n’incite pas les meilleurs élèves à régresser, il pointe l’incapacité du système à tirer le plus grand nombre vers un socle minimum.
    PISA ne dit pas qu’à terme nos grandes écoles sont menacées, PISA nous dit l’incapacité de notre système éducatif à donner à chacun un niveau en français et en mathématique suffisant pour ne pas se sentir rejeté par la société.
    Pouvoir comprendre un texte, une article de presse, savoir résoudre des problèmes simples de pourcentage, de moyenne, d’ordre de grandeur, est avant tout utile pour être un citoyen, pour comprendre les résultats d’une élection, choisir son assurance santé mutuelle ou établir le budget mensuel du foyer. Et aussi pour trouver un job ou tirer profit d’une formation professionnelle.
    Ce devrait être la base commune à tous les petits français, comme ça semble l’être pour les enfants Hollandais, Belges, Polonais ou Suisses, pour ne parler que des cultures les plus proches de nous, qui nous devancent largement aux tests PISA.

    Indépendamment du nombre de ceux qui continueront ou pas dans leurs études supérieures, tous ceux que la collectivité a gardé, à grands frais, sur les bancs de l’école jusqu’à 15 ou 16 ans, devraient (à 95 ou 98%) savoir appréhender des problèmes simples d’arithmétique et devraient comprendre la langue écrite correctement.
    C’était d’ailleurs un des objectifs que l’école s’était fixé, (cf les programmes officielles de l’école primaire et du collège) depuis des décennies. Elle a lamentablement échoué et si PISA peut provoquer un choc de prise de conscience … tant mieux.

    • Descartes dit :

      @vent2sable

      [OUI, elle se dégrade. Mais elle ne se dégrade QUE dans les couches sociales les plus défavorisées ainsi que dans les catégories professionnelles, aisées ou non, issues des classes populaires (commerçants, agriculteurs …)]

      Et ça vous étonne ? C’est le contraire qui serait étonnant. Cela montre d’ailleurs que ceux qui nous chantent depuis 1968 qu’une école plus « libertaire », moins « disciplinaire » et moins centrée sur les « savoirs » serait plus accueillante pour les couches populaires se sont fourrés le doigt dans l’œil. C’est le contraire qui est vrai : l’école « libertaire », avec la disparition de la discipline et des savoirs ne profite qu’à ceux qui peuvent acquérir la discipline et les savoirs à la maison. Pour les autres, c’est la Bérézina.

      [Ma surprise, en vous lisant, vient de ce que, au lieu de relever l’effondrement des résultats chez les enfants des couches de la population les plus défavorisées, vous préférez vous en prendre aux tests eux-mêmes.]

      Cela ne devrait pas vous surprendre. Ce n’est pas la dégradation mesurée par PISA qui personnellement m’inquiète. Une école peut être excellente selon mes critères et pourtant être mal notée par PISA. Ce qui m’inquiète, c’est la dégradation que je constate par rapport aux standards « républicains » de l’éducation. Que les bacheliers ne sachent pas ce qu’est une démonstration par l’absurde m’inquiète, alors que cela laisse de marbre les évaluateurs de PISA. Et de la même manière, cela ne m’inquiète pas particulièrement que les élèves français soient mauvais dans les questions à choix multiples, alors que pour les évaluateurs PISA c’est extrêmement important.

      [Je ne comprends d’ailleurs pas bien comment vous pouvez reprocher, à juste titre, aux tenants du système éducatif d’avoir laissé le niveau se dégrader et reprocher aux mêmes d’avoir conçu, ou utilisé, des tests qui ne font que mettre en évidence la faillite du système.]

      Justement, non. PISA ne met « en évidence » rien du tout. Le système finlandais ou coréen, si bien noté, est aussi « failli » que le notre du point de vue de ce que devrait être une école républicaine. Et pourtant ils sont bien notés. Ce que PISA met en évidence, c’est que notre système se dégrade vis-à-vis du référentiel de l’OCDE, ce qui m’est parfaitement indifférent. Bien entendu, il se dégrade aussi du point de vue du référentiel « républicain », mais cela PISA ne le voit pas. En d’autres termes, la maison brûle et PISA nous dit que la sonnette de la porte ne marche pas. Le risque, c’est que nos ministres d’éducation, au lieu de sortir les extincteurs, appellent un électricien pour réparer la sonette…

      [Il me semble au contraire, que nous devons nous féliciter d’avoir cet outil PISA, outil peut-être imparfait, mais outil qui commence à nous dire ou le bât blesse, à nous dire ou agir.]

      Justement, non. L’outil ne nous dit pas « ou le bât blesse ». Il dit en quoi notre école ne correspond pas à la vision de l’OCDE. Cela ne nous « blesse » que si nous partageons les objectifs de l’OCDE, ce qui n’est certainement pas mon cas.

      [PISA ne fait que révéler dans les chiffres une dégradation moyenne.]

      Oui, mais une « dégradation » de quoi, exactement ? PISA nous dit que les élèves ne savent plus démontrer un théorème ? Non. Que leur orthographe est désastreuse ? Non plus.
      [Il n’y a pas dans ce domaine de vases communicants, réduire le nombre d’élèves en échec complet à la fin de l’école obligatoire, à 16 ans, ne changerait rien au niveau des écoles de l’élite. PISA n’incite pas les meilleurs élèves à régresser, il pointe l’incapacité du système à tirer le plus grand nombre vers un socle minimum.]

      Malheureusement, il y a bien dans ce domaine de vases communicants : pour commencer, il y a le budget. On l’a vu avec le récent incident sur les classes préparatoires : pour mieux habiller Pierre, on a voulu déshabiller Paul. Ensuite, et c’est beaucoup plus grave, PISA pousse les systèmes scolaires à se concentrer sur les « compétences » plutôt que sur les « savoirs ». Or, si notre système de formation de l’élite est – était – si bon, c’est parce que cette élite se recrute – recrutait – très largement. Si la formation aux « savoirs » devient le privilège d’une petite partie de la population, le recrutement pour les formations d’élite se rétrécira pour aboutir au modèle anglosaxon.

      [PISA ne dit pas qu’à terme nos grandes écoles sont menacées, PISA nous dit l’incapacité de notre système éducatif à donner à chacun un niveau en français et en mathématique suffisant pour ne pas se sentir rejeté par la société.]

      Depuis quand la fonction de l’école n’est pas de donner « un niveau en français et en mathématiques suffisant pour ne pas se sentir rejeté » ? Si c’est cela le but, il y a une méthode radicale pour y parvenir à moindre coût : réduire l’exigence de « la société » plutôt qu’accroître le niveau des individus.

      [Pouvoir comprendre un texte, une article de presse, savoir résoudre des problèmes simples de pourcentage, de moyenne, d’ordre de grandeur, est avant tout utile pour être un citoyen, pour comprendre les résultats d’une élection, choisir son assurance santé mutuelle ou établir le budget mensuel du foyer. Et aussi pour trouver un job ou tirer profit d’une formation professionnelle.]

      Qui a dit le contraire ? Reste à savoir si les épreuves PISA permettent de mesurer la capacité des enfants à résoudre ces problèmes. Je ne suis pas persuadé que le fait de pouvoir calculer le temps pour monter au mont Fuji avec des hypothèses plus ou moins fantaisistes, en temps limité et par "choix multiple" soit la preuve d’une capacité à « comprendre les résultats d’une élection », de « choisir son assurance de santé mutuelle » ou de « établir le budget mensuel du foyer ».

      [Ce devrait être la base commune à tous les petits français, comme ça semble l’être pour les enfants Hollandais, Belges, Polonais ou Suisses, pour ne parler que des cultures les plus proches de nous, qui nous devancent largement aux tests PISA.]

      Vous avez bien peu d’ambition. Je pense que la « base commun de tous les petits français » qu’on peut souhaiter va bien plus loin que la capacité à « établir le budget mensuel du foyer » ou de « choisir son assurance de santé mutuelle ». Et s’il faut sacrifier un peu l’enseignement des « compétences » pour donner du temps aux « savoirs », je ne serais pas contre…

    • vent2sable dit :

      @Descartes

      Vous dites [Que les bacheliers ne sachent pas ce qu’est une démonstration par l’absurde m’inquiète, alors que cela laisse de marbre les évaluateurs de PISA.]
      Mais les évaluateurs de PISA ne testent pas des bacheliers ! Ils testent des jeunes de 15 ans, en fin de période d’école obligatoire, sur des connaissances ET des compétences qui grosso modo, correspondent au niveau de notre vieux certificat d’études primaires.
      Si les élèves en fin de 3ème maîtrisaient les objectifs du programme officiel des collèges nous passerions haut la main les tests PISA. Malheureusement l’école et le collège n’atteignent ces objectifs que pour 40% environ des élèves. Et PISA n’y est pour rien.

      Vous dites [Cela montre d’ailleurs que ceux qui nous chantent depuis 1968 qu’une école plus « libertaire », moins « disciplinaire » et moins centrée sur les « savoirs » serait plus accueillante pour les couches populaires se sont fourrés le doigt dans l’œil. C’est le contraire qui est vrai : l’école « libertaire », avec la disparition de la discipline et des savoirs ne profite qu’à ceux qui peuvent acquérir la discipline et les savoirs à la maison. Pour les autres, c’est la Bérézina.] Vous avez, là aussi parfaitement raison. ET si notre école était moins « libertaire », plus « centré sur les savoirs » et que, comme la plupart des 22 pays qui nous dépassent aux tests PISA, nous faisions respecter à nouveau la discipline à l’école, nos résultats PISA remonteraient en flèche.

      L’école a plusieurs objectifs. L’Education Nationale est l’un des tout premiers budgets de l’état, elle emploie plus d’un million de fonctionnaires, impliqués dans plusieurs missions, avec plusieurs objectifs.
      Il semblerait bien qu’elle cumule les échecs :
      1/ Le niveau des bacheliers baissent, et avec lui le niveau des études supérieures.
      2/ Mais d’autre part, l’école obligatoire jusqu’à 16 ans n’atteint pas non plus ses buts quand 25% de ceux qui « bénéficient » de cette école obligatoire sortent sans diplôme, sans formation, et osons le dire, quasi incultes.
      L’évolution négative des résultats PISA met en évidence ce second échec.

    • Badaboum dit :

      @Descartes
      tu écris en réponse à vent2sable: "Depuis quand la fonction de l’école n’est pas de donner « un niveau en français et en mathématiques suffisant pour ne pas se sentir rejeté » ?"

      Si je peux me permettre, ne voulais tu pas écrire :
      "Depuis quand la fonction de l’école EST-ELLE de donner « un niveau en français et en mathématiques suffisant pour ne pas se sentir rejeté » ?
      sinon, je ne comprends pas la suite de ta réponse….

    • Descartes dit :

      @vent2sable

      [Vous dites « Que les bacheliers ne sachent pas ce qu’est une démonstration par l’absurde m’inquiète, alors que cela laisse de marbre les évaluateurs de PISA. » Mais les évaluateurs de PISA ne testent pas des bacheliers !]

      C’est exactement mon point. Le choix de l’âge auquel on teste n’est pas, lui non plus, le fruit du hasard.

      [Ils testent des jeunes de 15 ans, en fin de période d’école obligatoire, sur des connaissances ET des compétences qui grosso modo, correspondent au niveau de notre vieux certificat d’études primaires.]

      Sauf que pour nous 15 ans n’est pas « la fin de période d’école obligatoire ». Mais la question n’est pas là. Contrairement à ce que vous écrivez, PISA ne teste pas les « connaissances ». C’est écrit noir sur blanc sur les documents de l’OCDE. On teste au contraire les « compétences », définies comme l’aptitude à appliquer les acquis dans des « situations concrètes ». Parce que pour l’OCDE, c’est cela la fonction de l’école : former des individus capables de résoudre des problèmes « concrets » dans la vie « concrète » c’est-à-dire, celle de l’entreprise.

      [Si les élèves en fin de 3ème maîtrisaient les objectifs du programme officiel des collèges nous passerions haut la main les tests PISA. Malheureusement l’école et le collège n’atteignent ces objectifs que pour 40% environ des élèves. Et PISA n’y est pour rien.]

      Comme disait ma grand-mère, si la vache était honnête, le taureau n’aurait pas de cornes… Comme vous le dites, on n’a pas besoin de PISA pour savoir que seulement 40% des élèves atteignent les objectifs du programme officiel des collèges. Les évaluations internes l’ont amplement montré depuis des années. Par contre, je ne suis nullement persuadé que si nos élèves maîtrisaient les objectifs du programme officiel ils seraient capable de passer PISA dans les premiers. La capacité à répondre à un test à choix multiples ne fait pas partie du programme, pas plus que l’application des connaissances acquises à des « cas concrets ».

      [Vous avez, là aussi parfaitement raison. ET si notre école était moins « libertaire », plus « centré sur les savoirs » et que, comme la plupart des 22 pays qui nous dépassent aux tests PISA, nous faisions respecter à nouveau la discipline à l’école, nos résultats PISA remonteraient en flèche.]

      Je ne le crois pas un instant. Je vois mal en quoi la lecture de Voltaire, l’enseignement de l’historie chronologique ou l’apprentissage des démonstrations des théorèmes classiques ferait « remonter nos résultats en flèche ». Au contraire : si le but était d’améliorer notre score PISA – et je me demande pourquoi je dis « si » – il faudrait aller vers une école moins « libertaire » certes, mais centrée non pas sur les « savoirs » mais sur les « compétences ». Cette école proposée par Philippe Mérieu où l’on apprendrait à lire sur les mode d’emploi des appareils électroménagers, et non sur les grands textes classiques.

      Le débat entre « savoirs » et « compétences » n’est pas un débat oiseux. C’est une différence fondamentale dans la conception de l’éducation en général et du citoyen en particulier. On ne peut pas le balayer d’un coup de manche. Or, le choix de PISA comme instrument d’évaluation, c’est le choix des « compétences ».

      [L’école a plusieurs objectifs. L’Education Nationale est l’un des tout premiers budgets de l’état, elle emploie plus d’un million de fonctionnaires, impliqués dans plusieurs missions, avec plusieurs objectifs. Il semblerait bien qu’elle cumule les échecs :
      1/ Le niveau des bacheliers baissent, et avec lui le niveau des études supérieures.
      2/ Mais d’autre part, l’école obligatoire jusqu’à 16 ans n’atteint pas non plus ses buts quand 25% de ceux qui « bénéficient » de cette école obligatoire sortent sans diplôme, sans formation, et osons le dire, quasi incultes.
      L’évolution négative des résultats PISA met en évidence ce second échec.]

      Non, non, non, et non. PISA ne met certainement pas en évidence le fait que les bénéficiaires de l’école sortent « sans diplôme, sans formation, quasi incultes ». D’abord, PISA ne teste ni les diplômes obtenus, ni le niveau de « culture ». PISA ne teste pas non plus la « formation ». PISA ne teste qu’une chose : les « compétences ». Et par voie de conséquence, PISA ne peut « mettre en évidence » qu’une seule chose : l’échec à transmettre des « compétences ». Tout le reste n’est que pure invention.

      Votre commentaire illustre à l a perfection les risques de l’auto-flagellation avec les résultats de PISA. On veut, désespérément dans certains cas, faire de PISA le révélateur des défaillances – bien réelles – de notre système scolaire. Le paradoxe est justement que PISA, de par sa construction, ne peut refléter ces défaillances. Si la capacité à la pensée formelle baisse, si le niveau de culture générale est en berne, si la pensée structurée est aux abonnés absents, PISA ne peut pas le voir. Ce que PISA voit, c’est l’incapacité d’appliquer certains mécanismes à certaines situations qualifiées de « concrètes ». Point à la ligne. Or, personnellement, ce n’est pas cette incapacité qui me paraît la plus préoccupante.

    • Marcailloux dit :

      @ Descartes
      Bonjour, en réponse à Vent2sable, vous écrivez :
      [ Parce que pour l’OCDE, c’est cela la fonction de l’école : former des individus capables de résoudre des problèmes « concrets » dans la vie « concrète » c’est-à-dire, celle de l’entreprise.]
      La vie abstraite….est ce la poésie? la religion ? les paradis artificiels ? l’utopie marxiste? la panacée frontnationaliste ?
      La vie concrète n’est elle pas ces mille et une petites et grandes situations où nous trouvons confrontés à des questions concrètes quantifiées, définies sémantiquement, précises scientifiquement. La carrière professionnelle, en entreprise ou non d’ailleurs, n’est qu’une de ces situations, très importante pour les individus selon l’immense majorité de nos compatriotes. Bien sur, les hyper privilégiés, à l’instar de la noblesse de l’ancien régime, n’ont pas à se mettre les mains dans le cambouis pour vivre dignement. Ils peuvent utiliser leurs larges loisirs pour pérorer, entretenir des querelles byzantines, s’obnubiler sur leur propre pérennité.
      Mais tous les autres? Ils n’existent pour le plus grand nombre, qu’à partir de leur position socioprofessionnelle. Et s’ils ne sont pas reconnus dans cet univers, ni froid ni chaud leur fera de savoir disserter sur le sexe des anges.
      Il n’est pas question, ici de dénigrer la nécessité de l’abstraction, le conceptuel, dans la formation du raisonnement.
      Si l’on souhaite privilégier le savoir pour la prééminence du savoir, il nous faudra alors développer un projet de société qui n’est plus et de loin basé sur la consommation à tous crins. Et de ce fait détrôner cette notion arbitraire qu’est le PIB et sa progression tant jugée indispensable au bonheur des peuples.
      Vos arguments, à la limite du dénigrement des entreprises, me paraissent totalement tendancieux, et pour le coup relevant de l’utopie. Si l’on considère que toute action produisant un produit ou un service marchand ou non ( une association humanitaire par exemple, est une entreprise ), le déclin, voire la disparition de celles ci nous conduit où ? C’est du pur nihilisme.

      Par ailleurs, lorsque vous répondez à J.Halpern:
      [ Les classes moyennes, tout comme la bourgeoisie, détiennent un capital – matériel et immatériel – qu’elles aspirent à transmettre à leurs enfants. Non seulement elles peuvent « optimiser le parcours scolaire de leurs enfants », elles ont aussi des « réseaux » qui leur permettent ensuite de s’insérer dans le milieu professionnel.],
      vous vous maintenez dans un flou artistique qui fait que, régulièrement, les lecteurs de votre blog vous expriment leur scepticisme. Je pense personnellement que votre thèse présente une certaine pertinence, mais elle n’arrive pas à me convaincre. Qu’attendez vous pour vous extraire du discours conceptuel, qui est le votre sur ce sujet, et présenter un document factuel, avec des chiffres et des faits à l’appui qui pourraient enfin asseoir définitivement votre argumentation. Vous m’avez donné comme exemple, il y a quelques temps, la situation d’un soudeur N1( ou N3 de mémoire) que je suppose être une classification de l’industrie nucléaire, représentant ce que peut être un membre de la classe moyenne. Et alors ? c’est un cas qui est tellement isolé qu’il n’est absolument pas représentatif dans votre démonstration. Supposez – et la loi ne s’y oppose probablement pas – qu’une offre venant de l’est propose trois fois moins cher le même service à l’employeur de votre soudeur ? Il bascule dans quelle catégorie ?….. dans celle où ses capacités d’adaptation lui permettront de gagner sa croûte !
      Pensez vous qu’il bénéficie d’un réseau relationnel et qu’il envoie ses enfants dans les écoles réservées à l’élite ?
      Je ne sais pas ce qui se passe dans la région parisienne, mais en province tout ça ne me paraît pas très visible. Or la France c’est 66 millions d’habitants, alors que Paris, c’est guère plus de 2 et la région 12, c’est à dire moins d’un Français sur 5. Et combien des classés moyens sont dans cette situation potentielle si on exclus les protégés à vie de la fonction publique ?
      Auguste Detoeuf, polytechnicien, fondateur d’Alsthom écrivait dans "Propos de O.L. Barenton, confiseur": au lieu de discuter, calculons!
      Calculons donc .

    • Descartes dit :

      @marcailloux

      @ Descartes

      [La vie abstraite….est ce la poésie? la religion ? les paradis artificiels ? l’utopie marxiste? la panacée frontnationaliste ?]

      Pour l’OCDE, le « concret » s’identifie avec les activités économiques. On peut supposer que tout le reste, l’amitié, l’amour, le plaisir, la pensée le jardin qu’on cultive pour le plaisir et la musique qu’on joue gratuitement, c’est « abstrait ».

      [Bien sur, les hyper privilégiés, à l’instar de la noblesse de l’ancien régime, n’ont pas à se mettre les mains dans le cambouis pour vivre dignement. Ils peuvent utiliser leurs larges loisirs pour pérorer, entretenir des querelles byzantines, s’obnubiler sur leur propre pérennité.]

      Pourtant, ce sont eux qui ont le plus l’habitude de calculer des pourcentages et de résoudre des problèmes de baignoires – pardon, de comptes en banque – qui se remplissent et se vident. Le « concret » de l’OCDE n’est jamais aussi bien compris et dominé que par les « hyper privilégiés ».

      [Mais tous les autres? Ils n’existent pour le plus grand nombre, qu’à partir de leur position socioprofessionnelle. Et s’ils ne sont pas reconnus dans cet univers, ni froid ni chaud leur fera de savoir disserter sur le sexe des anges.]

      Je pense que vous avez tort. Vous reprenez en fait une vieille antienne gauchiste, celle qui identifie les privilégiés à « l’esprit » alors que le prolétariat n’est que « matière ». Je ne crois pas que ce soit le cas. La discussion sur le « sexe des anges » n’est pas le privilège des privilégiés. La querelle de savoir qui, de Zidane ou de Platini est le meilleur joueur est aussi « bizantine » que n’importe quelle querelle « intellectuelle »…

      [Si l’on souhaite privilégier le savoir pour la prééminence du savoir, il nous faudra alors développer un projet de société qui n’est plus et de loin basé sur la consommation à tous crins.]

      Faudrait savoir. Vous avez écrit plus haut que le savoir était le privilège des classes privilégiées, c’est-à-dire, de celles qui consomment le plus. Si l’on suit cette idée, c’est au contraire en multipliant le nombre de ceux qui peuvent « consommer à tout crin » qu’on privilégiera le savoir…

      [Et de ce fait détrôner cette notion arbitraire qu’est le PIB et sa progression tant jugée indispensable au bonheur des peuples.]

      Le PIB est un indicateur comme un autre. Il a l’avantage de donner une bonne idée de la richesse qu’un pays produit et peut distribuer. Maintenant, si vous avez un autre indicateur à proposer, surtout ne vous gênez pas…

      [Vos arguments, à la limite du dénigrement des entreprises,]

      Je ne vois pas en quoi je « dénigrerais » les entreprises. J’ai simplement dit que ce qui intéresse l’OCDE, c’est les « compétences » demandées par les entreprises. C’est tout.

      [me paraissent totalement tendancieux, et pour le coup relevant de l’utopie. Si l’on considère que toute action produisant un produit ou un service marchand ou non (une association humanitaire par exemple, est une entreprise), le déclin, voire la disparition de celles ci nous conduit où ? C’est du pur nihilisme.]

      D’abord, une association n’est pas une « entreprise », du moins au sens de la comptabilité nationale et de la statistique publique. Ensuite, je ne me souviens pas d’avoir écrit quoi que ce soit qui puisse faire penser que je souhaite le « déclin » des entreprises. Je vous mets au défi de trouver un tel écrit de moi.

      [Qu’attendez vous pour vous extraire du discours conceptuel, qui est le votre sur ce sujet, et présenter un document factuel, avec des chiffres et des faits à l’appui qui pourraient enfin asseoir définitivement votre argumentation.]

      Une bourse de recherche, peut-être ? Préparer le document dont vous parlez implique un véritable travail de recherche à plein temps. Je l’entreprendrai peut-être lorsque je serai à la retraite, si personne ne le fait avant.

      [Vous m’avez donné comme exemple, il y a quelques temps, la situation d’un soudeur N1( ou N3 de mémoire) que je suppose être une classification de l’industrie nucléaire, représentant ce que peut être un membre de la classe moyenne. Et alors ? c’est un cas qui est tellement isolé qu’il n’est absolument pas représentatif dans votre démonstration. Supposez – et la loi ne s’y oppose probablement pas – qu’une offre venant de l’est propose trois fois moins cher le même service à l’employeur de votre soudeur ? Il bascule dans quelle catégorie ?]

      Dans celle de « prolétaire », évidement. Je ne comprends pas très bien ce que vous voulez démontrer. Il est évident que l’appartenance des gens à une classe est éminemment précaire et dépend de l’évolution économique. Le banquier qui du fait de la crise fait faillite et se trouve obligé de travailler en usine pour vivre devient prolétaire. Ce n’est guère différent de la situation du soudeur N1, dont la situation serait évidement menacée si une offre le privant de son pouvoir de négociation apparaissait.

      [Pensez vous qu’il bénéficie d’un réseau relationnel et qu’il envoie ses enfants dans les écoles réservées à l’élite ?]

      Bien sur. La plupart des « fils d’ouvrier » sortis des « écoles de l’élite » que je connais viennent de ce qu’on appelle « l’aristocratie ouvrière », c’est-à-dire de ces métiers considérés comme « ouvriers » mais qui du fait d’une situation économique particulière détiennent un pouvoir de négociation important qui leur permet de récupérer une partie ou la totalité de la valeur qu’ils produisent.

      [Je ne sais pas ce qui se passe dans la région parisienne, mais en province tout ça ne me paraît pas très visible. Or la France c’est 66 millions d’habitants, alors que Paris, c’est guère plus de 2 et la région 12, c’est à dire moins d’un Français sur 5.]

      Les soudeurs dont je vous ai parlé officient essentiellement sur les centrales nucléaires, dont aucune à ma connaissance n’est à Paris. Et vous trouverez beaucoup de situations de ce type en province : médecins, instituteurs, comptables, petits commerçants, petits paysans, transporteurs…

      [Auguste Detoeuf, polytechnicien, fondateur d’Alsthom écrivait dans "Propos de O.L. Barenton, confiseur": au lieu de discuter, calculons! Calculons donc.]

      Ce n’est pas moi qui vous en dissuadera. Mais je me demande si quand vous écrivez « calculons » vous ne pensez plutôt « calculez »…

  7. Koko dit :

    Le fait que le système scolaire français soit l’un des plus inégalitaires ne me surprend pas et confirme mes observations, à savoir qu’il y a en France d’un coté une petite élite intellectuelle extrêmement brillante – souvent plus brillante que chez nos voisins – qui tire le pays vers le haut et permet de comprendre comment la France a pu produire tant de génies au cours de son Histoire (scientifiques et autres), et de l’autre coté une grande masse de beaufs – sans doute proportionnellement plus nombreuse que chez nos voisins – qui se complait le plus souvent dans son inculture et dans sa médiocrité. Peut-on faire quelque chose contre cela ? Je ne le pense pas, sauf à vouloir faire chuter le niveau de notre élite intellectuelle (la seule véritable élite à mes yeux) ce qui ne pourrait que faire sombrer la France davantage encore et la ramener au niveau du Bangladesh (sans vouloir manquer de respect à ce pays). Quand à la masse de beaufs, elle ne veut généralement pas s’élever culturellement, le rêve des gosses du peuple est le plus souvent de devenir footballeur professionnel ou de montrer ses nichons dans Secret Story.

    • Descartes dit :

      @Koko

      [Le fait que le système scolaire français soit l’un des plus inégalitaires ne me surprend pas et confirme mes observations, à savoir qu’il y a en France d’un coté une petite élite intellectuelle extrêmement brillante – souvent plus brillante que chez nos voisins – qui tire le pays vers le haut et permet de comprendre comment la France a pu produire tant de génies au cours de son Histoire (scientifiques et autres), et de l’autre coté une grande masse de beaufs – sans doute proportionnellement plus nombreuse que chez nos voisins – qui se complait le plus souvent dans son inculture et dans sa médiocrité.]

      Je ne voudrais pas vous décevoir, mais ayant vécu la moitié de ma vie à l’étranger – dont plusieurs années dans d’autres pays européens – je peux vous assurer que nos « beaufs » sont nettement plus cultivés que les « beaufs » anglais, espagnols ou allemands, pour ne donner que trois exemples. Et je ne vous parle pas du « beauf » américain, dont une importante proportion croit encore que la terre est plate, que dieu a créé le monde en sept jours, et que le « gouvernement » est en contact avec les martiens et cache la chose.

      On peut dire beaucoup de mal de l’école française, mais on ne peut lui nier une qualité, celle d’être – et de transmettre une vision du monde – profondément cartésienne. Nos élèves ne savent peut-être pas résoudre les « problèmes concrets », mais ils partagent une vision du monde profondément laïque et rationnelle. Tiens, un paramètre que PISA n’a pas jugé nécessaire d’évaluer. Il est vrai que savoir que la terre est ronde n’est pas une « compétence »…

      [Peut-on faire quelque chose contre cela ? Je ne le pense pas, sauf à vouloir faire chuter le niveau de notre élite intellectuelle]

      Je ne le crois pas. Autant je crois profondément qu’une société a besoin d’une « élite » pour la tirer vers le haut – oui, je sais, je suis « élitiste » et j’assume – autant je suis convaincu qu’il ne faut pas laisser cette élite « en roue libre ». Il faut donner les éléments aux « beaufs » pour communiquer avec cette élite, pour apprécier ses travaux et surtout, pour avoir envie de la rejoindre. Tout le monde n’y arrivera pas, bien entendu, mais certains y parviendront et apporteront à l’élite du sang neuf.

      Que le système soit « inégalitaire » au sens qu’il existe un grand écart entre les « très bons » et les « très mauvais » ne m’inquiète pas outre mesure. Un système qui porterait chaque élève à la limite de ses possibilités serait par nature « inégalitaire », puisque les « possibilités » des uns et des autres sont très différentes. Il faut d’ailleurs remarquer que les systèmes « égalitaires » – ceux des pays nordiques, par exemple – tendent à niveler par le bas avec des programmes étudiés en fonction des élèves les moins doués. Ce qui est plus inquiétant, par contre, c’est qu’il y ait une totale identité entre les « très bons » et les couches les plus privilégiées de la société.

      [Quand à la masse de beaufs, elle ne veut généralement pas s’élever culturellement, le rêve des gosses du peuple est le plus souvent de devenir footballeur professionnel ou de montrer ses nichons dans Secret Story.]

      Je vous trouve bien sévère. Personne ou presque ne « veut » s’élever culturellement. Le savoir, avant de devenir un plaisir, est une ascèse. C’est comme l’apprentissage d’une langue : il faut de longues années à s’échiner sur les conjugaisons avant de pouvoir jouir de Dante, de Shakespeare ou de Cervantès dans l’original. Cette ascèse, personne ne la « veut ». Elle est toujours plus ou moins imposée. Dans les classes « cultivées », elle fait partie du « surmoi » des parents, et les enfants réalisent très vite combien apprendre une langue étrangère, savoir jouer d’un instrument musical ou tout simplement avoir de bonnes notes à l’école est important pour les parents. Dans d’autres couches sociales, elle apparaissait comme le moyen pour accéder à des emplois plus qualifiés, mieux payés et plus prestigieux, dans le cadre d’une méritocratie ou les institutions soutenaient l’idéal du « citoyen cultivé ».

      Le problème n’est donc pas ce que les « beaufs » veulent. C’est ce que la société, institutionnellement, veut pour eux. En trente ans nous sommes passés d’une ORTF qui était « la voix de la France » et sélectionnait ses émissions pour garder un certain niveau culturel à un ensemble médiatique régi par la loi du marché. Et cet ensemble ne donne au public que ce que le public demande, c’est-à-dire, rien. D’énormes quantités de « rien » parsemé de publicité. Et ceux qui se sont amusés – si l’on peut dire – à regarder le « Nabila show » sur NRJ12 savent de quoi je parle.

  8. Jean-François dit :

    [Bien entendu. Au lieu de nommer Einstein professeur de physique à Princeton, vous auriez pu tirer au sort parmi tous les professeurs de physique de la terre. Vous auriez recruté certainement une personne capable de faire le job, mais pas celle capable de le faire au mieux. Et vous perdrez donc en efficacité. Il est possible donc « dans l’absolu » de se passer de la compétition, mais au prix d’un sacrifice considérable dans l’efficacité dans l’utilisation des moyens humains. Or, l’évolution des sociétés se fait par la recherche constante d’une plus grande efficacité dans l’usage des facteurs de production…]

    Je laisse l’intéressé vous répondre : « La compétition illimitée conduit à un gaspillage considérable de travail et à la mutilation de la conscience sociale des individus. » La subtilité ici, à mon avis, est entre « recherche d’une plus grande efficacité » et « maximisation de l’efficacité ». Pourquoi ne pourrait-on pas simplement se contenter de la première option ? Si Einstein n’avait pas énoncé ses théories, quelqu’un d’autre aurait énoncé des théories similaires un peu plus tard, peut-être 10 ans plus tard…

    Aussi, il n’est pas si évident que cela que l’on perdrait en efficacité. Par exemple, vous parlez d’attacher une rétribution matérielle exceptionnelle pour avoir beaucoup de candidats. Or, il y a plusieurs subtilités ici aussi : quand on offre une meilleure rétribution, on a un meilleur candidat, mais selon des critères fatalement arbitraires. Ensuite, l’efficacité future de ce candidat dépendra de sa motivation, et on observe une forte corrélation entre l’importance du salaire et le manque de motivation. Un autre problème est qu’un salaire élevé attire des candidats motivés plus par le salaire que par la passion du métier, et qui peuvent par conséquent se révéler moins efficaces que des candidats moins bons mais passionnés. Enfin, de plus bas salaires permettent d’embaucher plus de candidats.

    [La question est excellente.]

    Selon moi, une question ne peut être excellente, une question est une question. Seules les réponses peuvent l’être 😉

    [Bien entendu, mon « évaluation » – si l’on peut dire – cache elle aussi une vision qui m’est personnelle de ce qu’est une bonne éducation. En l’espèce, je lui assigne un double rôle. Le premier, c’est celui de transmettre des savoirs et de construire les mécanismes qui permettent d’opérer sur ces savoirs (connaître par cœur le théorème de Thalès ne sert à rien si l’on n’a pas compris ce qu’est un théorème) pour permettre à chacun d’accéder au patrimoine scientifique et culturel de l’humanité. Le second, c’est de constituer une communauté de citoyens, en donnant à chaque petit français des références communes qui lui permettent de dialoguer avec les autres petits français. Je pense que sur ces deux poins, le système éducatif – et non seulement le système scolaire – a reculé désastreusement ces trente dernières années. Et, je persiste, ce n’est pas par hasard.]

    Je pense qu’on ne peut pas vraiment savoir. D’abord, il est difficile de savoir si le système scolaire a reculé, car, comme vous le soulignez, ce n’est pas la seule variable éducative. Surtout, il n’est pas évident que le niveau des élèves français a désastreusement baissé ces 40 dernières années. Même selon vos critères, le caractère « désastreux » me semble largement discutable. Avez-vous une référence solide sous la main pour appuyer ce propos ?

    • Descartes dit :

      @Jean-François

      [Je laisse l’intéressé vous répondre : « La compétition illimitée conduit à un gaspillage considérable de travail et à la mutilation de la conscience sociale des individus. »]

      Je ne crois pas qu’on puisse m’accuser d’être un partisan de la « compétition illimitée ». Au contraire, je suis pour la compétition des mérites, qui est une compétition très réglée, normée, délimitée.

      [La subtilité ici, à mon avis, est entre « recherche d’une plus grande efficacité » et « maximisation de l’efficacité ». Pourquoi ne pourrait-on pas simplement se contenter de la première option ?]

      On peut. Et on le fait, d’ailleurs. J’ai défendu sur ce blog l’idée que l’optimum économique n’est pas forcément l’optimum social, et qu’on peut sacrifier l’efficacité économique pour atteindre d’autres objectifs. Mais c’est là une décision politique qu’il faut que la société prenne en pleine conscience.

      [Si Einstein n’avait pas énoncé ses théories, quelqu’un d’autre aurait énoncé des théories similaires un peu plus tard, peut-être 10 ans plus tard…]

      Certes. Et si Fleming n’avait pas découvert la pénicilline, quelqu’un d’autre l’aurait fait peut être dix ans plus tard. Il faudrait demander à ceux que la pénicilline a sauvé pendant cette décennie ce qu’ils pensent de la question…

      [Aussi, il n’est pas si évident que cela que l’on perdrait en efficacité. Par exemple, vous parlez d’attacher une rétribution matérielle exceptionnelle pour avoir beaucoup de candidats. Or, il y a plusieurs subtilités ici aussi : quand on offre une meilleure rétribution, on a un meilleur candidat, mais selon des critères fatalement arbitraires.]

      Pourquoi « arbitraires » ? Lorsque j’exige que les candidats à un poste de chef d’un service de chirurgie aient un diplôme de chirurgien, je ne trouve pas que ce soit un critère « arbitraire ».

      [Ensuite, l’efficacité future de ce candidat dépendra de sa motivation,]

      Non. Un boulanger fera un chirurgien désastreux, quelque puisse être sa « motivation ». La « motivation » est un paramètre, mais pas le seul et de loin.

      [et on observe une forte corrélation entre l’importance du salaire et le manque de motivation.]

      Je n’ai pas très bien compris ce que vous voulez dire. J’ai connu des ouvriers motivés et enthousiastes, et des chirurgiens démotivés et dépressifs. Pourriez-vous indiquer d’où vous tirez cette idée de « forte corrélation » entre motivation et salaire ?

      [Un autre problème est qu’un salaire élevé attire des candidats motivés plus par le salaire que par la passion du métier, et qui peuvent par conséquent se révéler moins efficaces que des candidats moins bons mais passionnés.]

      Encore faudrait-il démontrer que la « passion » joue pour l’efficacité, et non contre elle. Les exemples sont, là encore, contradictoires. Mais surtout, je pense que vous avez oublié que le « salaire » permet d’avoir beaucoup de bons candidats, mais que dans un système compétitif tous les candidats ne sont pas retenus. C’est la sélection qui permet de retenir parmi tous les candidats celui le plus apte pour le poste.

      [Enfin, de plus bas salaires permettent d’embaucher plus de candidats.]

      Et alors ? Je doute que deux mauvais présidents valent plus qu’un bon…

      [Je pense qu’on ne peut pas vraiment savoir. D’abord, il est difficile de savoir si le système scolaire a reculé, car, comme vous le soulignez, ce n’est pas la seule variable éducative.]

      Vous avez raison au sens qu’il n’est pas toujours évident de dire si la dégradation des résultats est la conséquence de la dégradation du système scolaire, ou c’est au contraire lié à un processus social sur lequel l’école n’a aucun contrôle. Votre commentaire est très intéressant, parce qu’il ouvre une porte à laquelle je n’avais pas pensé : l’évaluation PISA évalue les ELEVES, elle n’évalue pas l’ECOLE. On déduit que parce que les enfants de 15 ans ne savent pas résoudre certains problèmes quelque chose cloche dans l’école. Mais avec le même critère on pourrait dire que quelque chose cloche dans la famille, dans la télévision, ou dans n’importe quelle institution qui participe à la formation des enfants. Curieusement, personne ne fait ce raisonnement. Merci d’attirer l’attention des lecteurs sur ce point !

      [Surtout, il n’est pas évident que le niveau des élèves français a désastreusement baissé ces 40 dernières années. Même selon vos critères, le caractère « désastreux » me semble largement discutable. Avez-vous une référence solide sous la main pour appuyer ce propos ?]

      Je vous conseille la lecture de « La fabrique du crétin » de J.C. Brighelli. Il donne de nombreux exemples tirés de sa propre pratique pédagogique et des documents officiels de l’Education Nationale, ainsi qu’une large bibliographie qui van dans le même sens.

  9. morel dit :

    Une étude réalisée sur « Pisa » par l’Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public qui, me semble-t-il ne manque pas d’intérêt :
    http://www.apmep.asso.fr/IMG/pdf/Com_PISA_FF_Francais-2.pdf
    Si l’on veut le détail des items, c’est ici :
    http://www.apmep.asso.fr/IMG/pdf/PISA_FF_francais_part1.pdf
    Etude toute en nuances, une belle phrase, à mon sens :
    « À l’opposé, comme le travail de l’école française de didactique nous a aidé à le comprendre, nous
    pensons que nombre de ruptures sont nécessaires et sont constitutives de la construction du savoir.
    Nous pouvons donc craindre que l’accent trop fort mis sur la vie réelle et sur les situations concrètes
    puisse, en retour, avoir des effets négatifs sur les apprentissages »

    • Descartes dit :

      @morel

      Merci d’avoir attiré l’attention sur ces documents. Ces études soulèvent beaucoup de points qui ont été discutés ici. Je me permets d’en retenir un. Un point auquel je n’avais pas vraiment réfléchi, mais qui a été apporté par un contributeur à la discussion – comme quoi le débat nous enrichit tous… – et qui me semble absolument fondamental maintenant qu’il a été posé: contrairement à ce qui est répété par les médias, PISA n’évalue pas les systèmes d’enseignement, mais les compétences des adolescents de 15 ans. Or, l’acquisition de ces compétences ne dépend pas exclusivement du système d’enseignement. La conclusion "mauvais résultats PISA=il faut réformer l’enseignement" est donc pour le moins prématurée.

  10. vent2sable dit :

    @Descartes
    Vous voyez de l’idéologie là ou il n’y a que du bon sens.
    Je ne vois aucune idéologie dans le fait de contrôler que, par exemple, les nombres décimaux sont maîtrisés, en posant une question simple.

    Quand la question est :
    Parmi ces quatre volumes, exprimés en litre, lequel est le plus petit ?
    4,780
    3,69
    3,810
    3,685
    Là ou 29 jeunes français donnent une mauvaise réponse, seuls 8 Suisses et 8 Canadiens ne répondent pas 3,685.
    Ou peut-on voir de l’idéologie derrière tout ça ?
    Juste un constat déprimant : 30% des jeunes français de 15 ans ne maîtrisent pas les nombres décimaux en fin de collège, alors qu’ils les apprennent, les approfondissent et les utilisent depuis les années d’école primaire.
    Et comme par hasard, les 30% qui se trompent sont majoritairement issus de classes pauvres, pour utiliser un mot plus précis que « défavorisées ».
    Encore une fois, la mission de l’éducation nationale n’est pas QUE de déceler et envoyer dans les classes prépa les futures élites.
    La mission c’est AUSSI de donner au plus grand nombre des connaissances ET des compétences de base, lire, écrire compter.
    C’est AUSSI de donner aux jeunes issues de familles pauvres, économiquement et culturellement, la possibilité d’échapper à leur condition.
    L’école se donne ces trois objectifs, sur les deux derniers elle échoue clairement. Je ne dis pas pour autant qu’elle réussisse le premier objectif.
    Nota Bene : Vous n’imaginez tout de même pas que la société serait d’accord pour consacrer le travail d’un million de fonctionnaires et le premier budget de l’état, devant la défense et tout le reste, UNIQUEMENT pour sélectionner et former nos élites ?

    • Descartes dit :

      @vent2sable

      [Vous voyez de l’idéologie là ou il n’y a que du bon sens.]

      Rien n’est aussi idéologique que le « bon sens ». La meilleure preuve en est que le « bons sens » conduit chacun à ses propres conclusions, différentes de celles du voisin.

      [Je ne vois aucune idéologie dans le fait de contrôler que, par exemple, les nombres décimaux sont maîtrisés, en posant une question simple.]

      [Quand la question est : Parmi ces quatre volumes, exprimés en litre, lequel est le plus petit ?
      4,780
      3,69
      3,810
      3,685
      Là ou 29 jeunes français donnent une mauvaise réponse, seuls 8 Suisses et 8 Canadiens ne répondent pas 3,685.]

      Pouvez-vous m’indiquer exactement d’où vous tirez la question et le résultat ?

      [Ou peut-on voir de l’idéologie derrière tout ça ?]

      Dans la déduction que parce qu’on ne sait pas classer des fractions décimales représentant des volumes (et non des « nombres décimaux », qui est autre chose) dans l’ordre on ne « maîtriserait pas » ces nombres. A la rigueur, vous pourriez en déduire que les sujets ne maîtrisent pas la notion d’ordre.

      [Juste un constat déprimant : 30% des jeunes français de 15 ans ne maîtrisent pas les nombres décimaux en fin de collège, alors qu’ils les apprennent, les approfondissent et les utilisent depuis les années d’école primaire.]

      D’où vous sortez ça ?

      [Et comme par hasard, les 30% qui se trompent sont majoritairement issus de classes pauvres, pour utiliser un mot plus précis que « défavorisées ».]

      Là encore, je voudrais bien connaître la source de vos affirmations.

      [Encore une fois, la mission de l’éducation nationale n’est pas QUE de déceler et envoyer dans les classes prépa les futures élites.]

      Quel rapport avec l’éducation nationale ? L’évaluation PISA s’adresse aux enfants de 15 ans, pas à l’éducation nationale. Et l’école n’est pas responsable de tout ce que les enfants savent ou ne savent pas.

      [La mission c’est AUSSI de donner au plus grand nombre des connaissances ET des compétences de base, lire, écrire compter.]

      C’est très discutable.

      [L’école se donne ces trois objectifs, sur les deux derniers elle échoue clairement. Je ne dis pas pour autant qu’elle réussisse le premier objectif.]

      L’école ne « se donne » aucun objectif. C’est l’autorité politique qui fixe les objectifs de l’école.

      [Nota Bene : Vous n’imaginez tout de même pas que la société serait d’accord pour consacrer le travail d’un million de fonctionnaires et le premier budget de l’état, devant la défense et tout le reste, UNIQUEMENT pour sélectionner et former nos élites ?]

      Selon vous, c’est bien ce qui se passe, non ?

    • vent2sable dit :

      @Descartes

      [Selon vous, c’est bien ce qui se passe, non ?]
      Bien sûr que non !
      Mais, j’avais cru comprendre que c’était votre suggestion.

    • Descartes dit :

      @vent2sable

      Je me demande bien ce qui a pu vous donner cette idée…

  11. Jean-François dit :

    [Je ne crois pas qu’on puisse m’accuser d’être un partisan de la « compétition illimitée ». Au contraire, je suis pour la compétition des mérites, qui est une compétition très réglée, normée, délimitée.]

    La « compétition illimitée » est-elle la seule forme de compétition qui peut conduire à « un gaspillage considérable de travail et à la mutilation de la conscience sociale des individus » ? Je dirais que toute compétition conduit par définition à un gaspillage de travail (les perdants ont travaillé pour rien) ; et que si la compétition illimitée a des effets sur la conscience sociale, alors tout type de compétition en a probablement aussi, à moindre échelle.

    [Certes. Et si Fleming n’avait pas découvert la pénicilline, quelqu’un d’autre l’aurait fait peut être dix ans plus tard. Il faudrait demander à ceux que la pénicilline a sauvé pendant cette décennie ce qu’ils pensent de la question…]

    Si le jeu en vaut la chandelle, c’est-à-dire si se contenter de la recherche d’une plus grande efficacité et mettre de côté la maximisation de l’efficacité est dans l’intérêt général, et s’ils sont suffisamment républicains, ils devraient être d’accord (surtout a posteriori !). Est-il préférable de laisser mourir plus jeunes quelques personnes pendant quelques années ou bien de « mutiler la conscience sociale » ? Aussi, on ne peut pas savoir si avec un tirage au sort parmi des candidats qualifiés, quelqu’un n’aurait pas fait cette découverte plus tôt encore. À mon avis, la recherche scientifique, de par son caractère fortement imprévisible, est un mauvais exemple.

    [Pourquoi « arbitraires » ? Lorsque j’exige que les candidats à un poste de chef d’un service de chirurgie aient un diplôme de chirurgien, je ne trouve pas que ce soit un critère « arbitraire ».]

    Arbitraires d’une part parce que les diplômes sont décernés selon des évaluations dont les critères sont fatalement arbitraires (l’exemple du chirurgien est parfait : la sélection en fin de première année de médecine est faite selon des critères particulièrement arbitraires, au point que j’ai connu une « major » étonnamment bête – et je ne dis pas cela par jalousie, je n’ai pas fait ces études), et d’autre part parce qu’il faut choisir parmi les diplômés, selon d’autres critères fatalement arbitraires. On ne peut jamais avoir la certitude que le candidat sélectionné est celui qui convient le mieux au poste. Je pense qu’il ne s’agit pas d’un doute abusif : beaucoup de personnes qui ne sont pas si efficaces que cela ont un talent incroyable à se faire sélectionner en identifiant les critères de sélection à l’avance et en se vendant en fonction de ceux-ci. La différence entre être efficace pour se faire sélectionner pour un poste et être efficace pour le poste peut être considérable, comme nous le montre actuellement un certain François.

    [Non. Un boulanger fera un chirurgien désastreux, quelque puisse être sa « motivation ». La « motivation » est un paramètre, mais pas le seul et de loin.]

    Il ne me semble pas avoir dit le contraire : la motivation est un paramètre important qui peut suffire à rendre un moins bon chirurgien plus efficace qu’un bon chirurgien.

    [Je n’ai pas très bien compris ce que vous voulez dire. J’ai connu des ouvriers motivés et enthousiastes, et des chirurgiens démotivés et dépressifs. Pourriez-vous indiquer d’où vous tirez cette idée de « forte corrélation » entre motivation et salaire ?]

    J’avoue ne pas avoir parcouru la bibliographie… Ce propos me vient d’ici : http://www.thersa.org/events/video/vision-videos/the-surprising-truth-about-moving-others
    Plus précisément, selon l’orateur, ce qui est observé est que plus la récompense est élevée, moins les participants sont performants pour effectuer des tâches complexes. Et selon lui, c’est un des résultats les plus solides des sciences sociales.

    [Encore faudrait-il démontrer que la « passion » joue pour l’efficacité, et non contre elle.]

    Mon propos n’est pas que l’on ne perdrait pas en efficacité, mon propos est qu’il n’est pas évident que l’on perdrait en efficacité.

    [Et alors ? Je doute que deux mauvais présidents valent plus qu’un bon…]

    Encore une fois, ce n’est pas mon propos : ce que je dis, c’est qu’il est possible que deux moins bons présidents vaillent mieux qu’un meilleur. Mais c’est un cas particulier, il s’agit d’un poste qui ne peut être occupé que par une personne. Un exemple plus parlant est la recherche : étant donné le caractère imprévisible de la recherche, plus on a de chercheurs, plus grande est la probabilité de découvrir la pénicilline.

    [Je vous conseille la lecture de « La fabrique du crétin » de J.C. Brighelli. Il donne de nombreux exemples tirés de sa propre pratique pédagogique et des documents officiels de l’Education Nationale, ainsi qu’une large bibliographie qui van dans le même sens..]

    Je l’ai commandé et lu, et je ne suis toujours pas convaincu. Au contraire, j’ai été une fois de plus conforté dans l’idée qu’on ne peut pas vraiment savoir. L’auteur semble vouloir donner « matière à réflexion pour les non-spécialistes ». Mais je crois qu’il est possible de faire la même chose dans les deux sens. Si je ne dis pas de bêtise, le seul ouvrage qu’il cite qui sorte de ce cadre, est cette « bibliographie exhaustive » d’Agnès Joste : http://www.cairn.info/revue-le-debat-2005-3-p-50.htm. N’étant pas « spécialiste », je ne l’ai pas lue et m’en suis remis à des « indices périphériques. » D’abord, Agnès Joste n’est pas ce que j’appellerais une « spécialiste », c’est-à-dire qu’elle n’est pas reconnue par des « spécialistes ». Elle est agrégée de lettres classiques, elle est donc qualifiée pour enseigner la littérature, pas pour autre chose. Ensuite, j’ai trouvé une critique de cette bibliographie ici : http://www.recherches.lautre.net/iso_album/013-024_coget.pdf, qui a le mérite de fournir des arguments convaincants (ou plutôt qui m’ont paru convaincants) pour invalider la neutralité, et même la qualité de cette bibliographie.

    • Descartes dit :

      @Jean-François

      [La « compétition illimitée » est-elle la seule forme de compétition qui peut conduire à « un gaspillage considérable de travail et à la mutilation de la conscience sociale des individus » ? Je dirais que toute compétition conduit par définition à un gaspillage de travail (les perdants ont travaillé pour rien) ; et que si la compétition illimitée a des effets sur la conscience sociale, alors tout type de compétition en a probablement aussi, à moindre échelle.]

      Je pense que tu as une vision caricaturale. Pense à la compétition sportive. Dirais-tu que ceux qui pratiquent un sport « gaspillent leur travail » ? Que ceux qui perdent le match « ont travaillé pour rien » ? Si tel était le cas, je me demande pourquoi on insiste régulièrement sur le caractère éducatif de la pratique sportive et l’importance de la diffuser parmi les jeunes…

      Non, les « perdants » n’ont pas travaillé en pure perte. Ils auront travaillé, ils se seront entraînés, ils se seront imposés une discipline physique, et cela leur sera utile même s’ils ne remportent pas la coupe. Et cela est vrai aussi pour la compétition intellectuelle. Tous ceux qui n’auront pas réussi le concours d’entrée à Polytechnique n’iront pas forcément s’inscrire à l’ANPE, et le fait d’avoir participé à la compétition aura été un aiguillon pour étudier, pour acquérir une discipline intellectuelle. Qui vous sera utile toute votre vie même si vous avez raté le concours de Polytechnique.

      Il y a une sorte de « politiquement correct » à gauche qui voue aux gémonies toute sorte de compétition. C’est particulièrement visible en matière pédagogique, avec tout le discours gnognon qui voudrait bannir toute évaluation qui permettrait aux élèves de se comparer, et donc toute compétition scolaire. C’est d’autant plus amusant que les partisans de la fin de l’évaluation à l’école sont en même temps d’ardents partisans de la compétition dans tous les autres domaines, mais passons. La réalité est que la compétition est inséparable du réel. Dans la mesure où le monde n’est pas une corne d’abondance ou tous nos désirs sont satisfaite, nous sommes inévitablement en compétition (imaginez-vous un monde où la compétition amoureuse serait bannie ?). Dès lors, bannir la compétition est un projet utopique. Mieux vaut travailler dans le réel, et chercher à la réguler pour en réduire les risques.

      [« Certes. Et si Fleming n’avait pas découvert la pénicilline, quelqu’un d’autre l’aurait fait peut être dix ans plus tard. Il faudrait demander à ceux que la pénicilline a sauvé pendant cette décennie ce qu’ils pensent de la question… » Si le jeu en vaut la chandelle, c’est-à-dire si se contenter de la recherche d’une plus grande efficacité et mettre de côté la maximisation de l’efficacité est dans l’intérêt général, et s’ils sont suffisamment républicains, ils devraient être d’accord (surtout a posteriori !).]

      Ils ne le pourraient pas : « a posteriori » ils seraient morts.

      [Est-il préférable de laisser mourir plus jeunes quelques personnes pendant quelques années ou bien de « mutiler la conscience sociale » ?]

      Notre différence est celle de l’idéaliste et du matérialiste. Personnellement, je cherche à bâtir un système ou l’intérêt général passe devant les intérêts individuels. Mais je me fous un peu de savoir ce qui fait agir les gens. Qu’ils servent l’intérêt général par « conscience sociale » ou par intérêt bien compris m’est indifférent.

      [Aussi, on ne peut pas savoir si avec un tirage au sort parmi des candidats qualifiés, quelqu’un n’aurait pas fait cette découverte plus tôt encore. À mon avis, la recherche scientifique, de par son caractère fortement imprévisible, est un mauvais exemple.]

      Il ne faut pas exagérer. La recherche a beau être « imprévisible », les progrès de la médecine viennent plus souvent des médecins que des boulangers, et les lois physiques sont presque toujours le produit du travail des physiciens, et non des laveurs de carreaux. Nous n’avons pas de moyen certain de sélectionner un Fléming à coup sûr, mais nous savons par expérience qu’en mettant les plus brillants biologistes à la tête des laboratoires on a une chance plus grande de tomber sur un Fleming que si l’on tirait les titulaires au hasard.

      [Arbitraires d’une part parce que les diplômes sont décernés selon des évaluations dont les critères sont fatalement arbitraires (l’exemple du chirurgien est parfait : la sélection en fin de première année de médecine est faite selon des critères particulièrement arbitraires, au point que j’ai connu une « major » étonnamment bête – et je ne dis pas cela par jalousie, je n’ai pas fait ces études), et d’autre part parce qu’il faut choisir parmi les diplômés, selon d’autres critères fatalement arbitraires.]

      Que vous ne soyez pas satisfait des critères de sélection ne les rend pas « arbitraires » pour autant. Un critère « arbitraire » est celui qui dépend de « l’arbitre », c’est-à-dire, de la volonté libre d’un homme. Ce n’est pas le cas : les critères de sélection des médecins sont ceux qui découlent d’une vision de ce que doit être un médecin et d’une certaine conception de son travail. Une conception qui n’est pas « arbitraire », mais découle elle-même d’une histoire et d’une pratique sociale. Vous pouvez penser qu’on insiste trop ou pas assez sur l’anatomie dans les études de médecine, mais si on teste les connaissances en anatomie, ce n’est pas parce que quelqu’un s’est levé du mauvais pied un jour et a décidé qu’il fallait qu’un médecin connaisse l’anatomie plutôt que l’astrologie. Quant à la « bêtise »… je demande à un médecin de savoir soigner, pas d’être particulièrement intelligent. Lui demander de ne pas être « bête » serait, pour le coup, un critère « arbitraire »…

      [On ne peut jamais avoir la certitude que le candidat sélectionné est celui qui convient le mieux au poste.]

      La « certitude », non. Mais aucun système ne vous offre cette « certitude ». Par contre, nous savons que la sélection sur des critères objectifs en rapport avec le poste ou la carrière envisagée permet d’augmenter radicalement la probabilité que le candidat soit celui qui convienne le mieux au poste.

      [Je pense qu’il ne s’agit pas d’un doute abusif : beaucoup de personnes qui ne sont pas si efficaces que cela ont un talent incroyable à se faire sélectionner en identifiant les critères de sélection à l’avance et en se vendant en fonction de ceux-ci.]

      C’est pourquoi le fondement à mon sens de la méritocratie républicaine doit rester le concours anonyme. Il est très difficile de « se vendre » dans une épreuve de droit administratif de l’ENA ou d’analyse mathématique à Polytechnique, quelque soit le « talent » qu’on puisse avoir, si l’on n’a pas les connaissances et les capacités en droit ou en mathématiques. Il y a certainement des gens capables de vendre du sable aux bédouins, mais ils sont très rares et le système de sélection les arrête assez vite.

      [La différence entre être efficace pour se faire sélectionner pour un poste et être efficace pour le poste peut être considérable, comme nous le montre actuellement un certain François.]

      Votre exemple n’a aucun rapport avec la question de la sélection. Le « certain François » dont vous parlez n’a pas été « sélectionné » au poste qu’il occupe actuellement, il a été élu. Et il ne faut pas confondre la sélection, qui s’appuie sur des critères objectifs et fixés à l’avance, de l’élection qui pour le coup est un acte purement arbitraire.

      Votre objection est par contre réelle. Mais la réponse est que le système de sélection doit être conçu et entretenu en fonction des objectifs qu’on lui assigne. Je n’ai jamais dit que toute sélection est bonne per se. Il faut bien entendu concevoir la procédure de sélection de telle manière qu’elle teste véritablement les compétences qui seront nécessaires ensuite dans le parcours que la sélection ouvre. Mais l’histoire montre que cette exigence est généralement satisfaite : les centrales nucléaires construites par nos polytechniciens fonctionnent, les trais qu’ils dessinent roulent et les ponts qu’ils bâtissent ne s’effondrent pas.

      [« Je n’ai pas très bien compris ce que vous voulez dire. J’ai connu des ouvriers motivés et enthousiastes, et des chirurgiens démotivés et dépressifs. Pourriez-vous indiquer d’où vous tirez cette idée de « forte corrélation » entre motivation et salaire ? » J’avoue ne pas avoir parcouru la bibliographie… Ce propos me vient d’ici : http://www.thersa.org/events/video/vision-videos/the-surprising-truth-about-moving-others »

      Soyons sérieux… c’est la vidéo d’un « conseiller en management », cette plaie du XXIème siècle, et il parle exclusivement du personnel qui travaille dans la fonction vente, et au passage se vend lui-même. Il essaye de nous persuader que l’on peut réduire toute activité humaine à un rapport de client/fournisseur et sort tous les poncifs de ce sorte de conférence. A supposer même que son discours soit autre chose que du vent, ce dont je doute (vous remarquerez qu’il assène en permanence des « vérités » et cite les « social scientists » sans une fois faire une référence à une quelconque recherche vérifiable) le généraliser à l’ensemble des activités me paraît pour le moins abusif.

      Je persiste : il n’existe aucune corrélation entre le niveau de rémunération et la « motivation ». La logique du marché suggère en fait une corrélation négative : moins les gens sont motivés naturellement pour faire un boulot, plus il faut les payer pour qu’ils le fassent… mais en pratique, il y a tellement de facteurs qui interviennent qu’il est difficile de la mettre en évidence.

      [« Et alors ? Je doute que deux mauvais présidents valent plus qu’un bon… » Un exemple plus parlant est la recherche : étant donné le caractère imprévisible de la recherche, plus on a de chercheurs, plus grande est la probabilité de découvrir la pénicilline.]

      Non. Plus on a des chercheurs FORMES ET COMPETENTS, plus on a des chances de découvrir la pénicilline. Mais le fait de mettre un grand nombre de boulangers et les garçons de café faire de la recherche ne change pas vraiment la probabilité de découvrir quoi que ce soit. Plus de chercheurs, oui, mais des chercheurs de qualité. Et non pris au hasard. Le problème, c’est que si vous « baissez les salaires pour avoir plus de chercheurs », il y aura un moment où vous n’aurez plus de candidats de qualité, parce que les candidats de qualité se verront offrir des opportunités bien plus alléchantes que la recherche, toujours aléatoire, de la pénicilline.

      [Je l’ai commandé et lu, et je ne suis toujours pas convaincu. Au contraire, j’ai été une fois de plus conforté dans l’idée qu’on ne peut pas vraiment savoir. L’auteur semble vouloir donner « matière à réflexion pour les non-spécialistes ». Mais je crois qu’il est possible de faire la même chose dans les deux sens.]

      Encore une fois, il faudrait s’entendre sur les critères d’évaluation. Il n’est pas possible de parler d’une « baisse du niveau » si l’on ne définit au préalable les critères de mesure de ce niveau. Si l’on prend les critères de Brighelli – qui sont grosso modo ceux de l’école « républicaine » – la baisse de niveau me paraît établie. Mais d’autres critères sont bien entendu possibles : si l’on fonde l’évaluation sur la « créativité artistique », par exemple, il est probable que le niveau se soit amélioré. Maintenant, est-ce la fonction de l’école de promouvoir la « créativité artistique » plutôt que le calcul ou l’usage de la langue ?

      [Si je ne dis pas de bêtise, le seul ouvrage qu’il cite qui sorte de ce cadre, est cette « bibliographie exhaustive » d’Agnès Joste : http://www.cairn.info/revue-le-debat-2005-3-p-50.htm. N’étant pas « spécialiste », je ne l’ai pas lue et m’en suis remis à des « indices périphériques. » D’abord, Agnès Joste n’est pas ce que j’appellerais une « spécialiste », c’est-à-dire qu’elle n’est pas reconnue par des « spécialistes ». Elle est agrégée de lettres classiques, elle est donc qualifiée pour enseigner la littérature, pas pour autre chose.]

      Elle est donc qualifiée pour évaluer le niveau des élèves en littérature, et les effets des programmes de littérature. Cela me paraît largement suffisant.

      [Ensuite, j’ai trouvé une critique de cette bibliographie ici : http://www.recherches.lautre.net/iso_album/013-024_coget.pdf, qui a le mérite de fournir des arguments convaincants (ou plutôt qui m’ont paru convaincants) pour invalider la neutralité, et même la qualité de cette bibliographie.]

      Personnellement, je ne suis jamais convaincu par un article qui procède par attaque ad hominem et par amalgame. Qualifier son adversaire de « réactionnaire » ou de « ignorant » n’a jamais constitué pour moi un argument. Je me dis que si l’on a recours à ces méthodes, c’est que les arguments sur le fonds sont particulièrement faibles.

  12. JCB dit :

    J’aime bien votre article dans l’ensemble mais je ne comprends pas pourquoi vous sembler considérer qu’il est mieux d’évaluer des connaissances que des compétences. Les compétences sont infiniment plus intéressantes car elles permettent de chercher la connaissance (les sources ne manquent pas) lorsque c’est nécessaire. En revanche les connaissances au sens de mémorisation de faits ou de recettes sont totalement inopérantes lorsque l’on est confronté à une situation différente (même légèrement) du contenu du manuel. Une éducation réussie prépare à affronter des problèmes dont la solution n’est pas dans le manuel et dont on ne sait même pas s’ils ont une solution. Apprendre sans comprendre n’est pas de l’éducation, tout au plus du bourrage de crane comme lorsque l’on psalmodie des livres sacrés.

    • Descartes dit :

      @JCB

      [J’aime bien votre article dans l’ensemble mais je ne comprends pas pourquoi vous sembler considérer qu’il est mieux d’évaluer des connaissances que des compétences.]

      Vous y répondez vous-même à la question lorsque vous écrivez plus bas que « apprendre sans comprendre n’est pas de l’éducation ». Or, justement, les « compétences » sont des comportements qui n’ont pas besoin de compréhension, tout juste d’être capable d’appliquer une procédure à une situation concrète.

      [Les compétences sont infiniment plus intéressantes car elles permettent de chercher la connaissance (les sources ne manquent pas) lorsque c’est nécessaire.]

      C’est justement ce mode de pensée mécanique que je critique. Comment savoir lorsqu’une connaissance est « nécessaire » ? Si j’ai beaucoup lu, je peux remarquer que tel problème que je rencontre ressemble à une situation du « Roi Lear » de Shakespeare, ou d’un processus de mécanique des fluides, et je peux utiliser ces « connaissances » dans l’analyse de la situation. Mais si je n’ai pas lu le « Roi Lear » ou fait de la mécanique des fluides, qu’est ce que je peux faire ? M’asseoir devant mon ordinateur et taper sur google les « mots cles » de mon problème avec l’espoir que le moteur de recherche fasse le lien entre ma situation et le « Roi Lear » ?

      Les « connaissances », ce n’est pas simplement une bibliothèque apprise par cœur. Ce sont des objets qui sont disponibles dans notre cerveau pour être mises en relation avec les questions que nous nous posons, ou que la réalité – professionnelle ou autre – nous pose.

      « En revanche les connaissances au sens de mémorisation de faits ou de recettes sont totalement inopérantes lorsque l’on est confronté à une situation différente (même légèrement) du contenu du manuel. »

      C’est encore pire pour les compétences, qui reposent bien plus profondément sur une mécanisation… c’est d’ailleurs ce qui est critiquable dans les tests PISA : comme ils mesurent des « compétences », ils sont très sensibles à la correspondance entre la question posée et le fait que l’élève testé l’ait déjà rencontrée dans sa scolarité.

      [Une éducation réussie prépare à affronter des problèmes dont la solution n’est pas dans le manuel et dont on ne sait même pas s’ils ont une solution.]

      Oui. Et c’est précisément pour cela qu’on a besoin de beaucoup de connaissances. Parce que c’est la seule manière de pouvoir appliquer à la résolution d’un problème nouveau l’ensemble du savoir accumulé lors de la résolution des problèmes anciens.

      [Apprendre sans comprendre n’est pas de l’éducation, tout au plus du bourrage de crane comme lorsque l’on psalmodie des livres sacrés.]

      J’aimerais comprendre pourquoi vous liez la transmission des savoirs à un « bourrage de crâne ». D’abord, il y a des domaines ou l’apprentissage par cœur est absolument indispensable. La langue, par exemple : imaginez-vous si chaque fois que vous avez besoin d’un mot vous deviez aller le chercher dans un dictionnaire… ce serait impossible d’ailleurs, puisque vous avez besoin de connaître par cœur des mots pour comprendre le dictionnaire. D’autre part, la compréhension nécessite d’avoir inscrit dans la mémoire un minimum d’objets. Comment comprendre le théorème de Thalès si le terme « parallèle » n’évoque rien chez vous ?

    • JCB dit :

      Nous sommes à peu près d’accord, c’est juste un problème de vocabulaire un peu différent. Ce que j’ai voulu opposer c’est une forme d’éducation favorisant l’esprit critique et l’autonomie à une autre forme d’éducation privilégiant la soumission et l’apprentissage de recettes pas nécessairement comprises. Je vous accorde que ranger la première, la plus souhaitable à mon point de vue, sous le terme de "compétence" n’est pas optimal (créativité et esprit critique sont plus des qualités que des compétences). C’est aussi une forme de connaissance mais à son plus haut niveau.
      Je ne vous suis pas complètement sur l’idée qu’un grand stock de connaissances est un prérequis pour aborder des problèmes nouveaux. Ce grand stock peut au contraire être un handicap pour avoir une vision radicalement différente. L’histoire des sciences regorge de cas de scientifiques ayant atteint le plus haut niveau mais incapable de passer ensuite à un angle différent (ex le chimiste Berthelot qui refusait la notion d’atome). D’autres bons esprits (Planck par exemple) soutenaient que les idées nouvelles ne finissaient par percer qu’avec l’extinction de la génération qui défendait les idées précédentes !
      Si l’on excepte le cas un peu limite des scientifiques les plus innovants (comme il n’y en a que quelques uns par génération), il est certain qu’une vaste culture est plutôt un atout. Attention toutefois à laisser de la place au développement de la créativité. Les résultats Pisa semblent montrer que l’on a raté quelque chose de ce coté là !

    • Descartes dit :

      @JCB

      [Nous sommes à peu près d’accord, c’est juste un problème de vocabulaire un peu différent. Ce que j’ai voulu opposer c’est une forme d’éducation favorisant l’esprit critique et l’autonomie à une autre forme d’éducation privilégiant la soumission et l’apprentissage de recettes pas nécessairement comprises.]

      Oui. Mais c’est là à mon avis ou vous faites une erreur. La « soumission » est inséparable de tout processus éducatif. Tout simplement parce que l’élève n’a aucun mayen de déterminer ce qui vaut la peine d’être connu. S’il n’accepte pas de déférer à l’autorité du maître – qui est celle de l’institution – alors il n’y a pas d’apprentissage possible. Favoriser le « sens critique » ? Pourquoi pas. Mais avant d’être « critique » envers les enseignements, pourquoi l’élève ne ferait pas preuve d’un peu « d’esprit critique » envers lui-même ? Cela lui permettrait de réaliser qu’il ne sait presque rien, et que commencer à « critiquer » les enseignements quand on ne sait rien, ce n’est pas une attitude très saine.

      Une transmission fondée sur la compréhension et non sur l’automatisme ? Tout à fait. Mais de grâce, la question de « l’esprit critique » et la « insoumission »… franchement, si l’on enseignait aux élèves un minimum de modestie, cela leur serait bien plus utile.

      [Je ne vous suis pas complètement sur l’idée qu’un grand stock de connaissances est un prérequis pour aborder des problèmes nouveaux. Ce grand stock peut au contraire être un handicap pour avoir une vision radicalement différente.]

      Sans doute. Mais une vue « radicalement différente » n’est pas nécessairement un progrès. Et puis, comment pouvez vous savoir si votre vision est « radicalement différente » si vous ne connaissez pas les « visions » de vos prédécesseurs ? Vous savez, des gens qui rédécouvrent l’eau chaude en croyant que c’est une grande invention, il y en a tous les jours…

      L’expérience a largement montré que les grandes théories scientifiques ont été généralement établies par des gens qui ont passé des années à accumuler les connaissances. La possibilité que Mme Michu énonce la théorie de la relativité générale est quasi nulle.

      [L’histoire des sciences regorge de cas de scientifiques ayant atteint le plus haut niveau mais incapable de passer ensuite à un angle différent (ex le chimiste Berthelot qui refusait la notion d’atome).]

      Oui, mais d’autres physiciens, eux aussi « ayant atteint le plus haut niveau », y sont passés. Tandis que des non-physiciens ayant inventé la notion d’atome, ça n’existe pas.

      [Si l’on excepte le cas un peu limite des scientifiques les plus innovants (comme il n’y en a que quelques uns par génération), il est certain qu’une vaste culture est plutôt un atout.]

      Même pas. Les « scientifiques les plus innovants » ont presque toujours été de gens d’une vaste culture.

      [Attention toutefois à laisser de la place au développement de la créativité. Les résultats Pisa semblent montrer que l’on a raté quelque chose de ce coté là !]

      Je ne le pense pas. Simplement, PISA est construit su rune certaine idée de ce que c’est la « créativité ». Je ne suis pas persuadé que ce soit cette « créativité » qu’il faille stimuler.

    • JCB dit :

      Je vais essayer de mieux préciser ma pensée. Je suis bien d’accord sur le fait que l’on ne peut pas construire sur rien et donc qu’il faut bien passer par une phase d’accumulation de culture et de soumission au maitre. Mais il faut aussi introduire progressivement l’idée d’une certaine méfiance envers les paradigmes dominants. Le disciple doit un jour prendre conscience du fait que le maitre peut avoir fait fausse route (ou pire essayer de le manipuler). Le disciple ne doit pas non plus être paralysé par l’idée que tant qu’il n’a pas absorbé toute la connaissance disponible (ce qui était possible à l’époque de Pic de la Mirandole mais qui ne l’est plus aujourd’hui) il ne peut pas se lancer et essayer de produire quelque chose d’original. Le cas d’Evariste gallois (un peu romancé parfois je vous l’accorde) est assez significatif. Il a fait émerger très jeune une avancée majeure (les groupes) alors que les mathématiques s’enlisaient dans une virtuosité calculatoire sans avenir.
      Bien entendu ces considérations ne valent pas pour les très jeunes enfants mais seulement à partir du moment où le minimum vital est acquis. Je persiste néanmoins dans l’idée que l’acquisition de l’autonomie et de l’esprit critique est cruciale. C’est vraisemblablement ce qui a permis le décollage de notre type de civilisation et perdre cet avantage en repoussant sans arrêt le moment où nos "jeunes" sont en situation de devenir innovants (aussi bien vrai pour les chercheurs que pour les entrepreneurs) pourrait bien être la cause réelle du déclin.

    • Descartes dit :

      @JCB

      [Mais il faut aussi introduire progressivement l’idée d’une certaine méfiance envers les paradigmes dominants. Le disciple doit un jour prendre conscience du fait que le maitre peut avoir fait fausse route (ou pire essayer de le manipuler).]

      Mais pourquoi diable faites vous une différence entre les « paradigmes dominants » et les autres « paradigmes » ? C’est là pour moi le nœud de la question. Ce n’est pas parce qu’un « paradigme » est dominant qu’il est faux, ce n’est pas parce qu’un paradigme est « marginal » qu’il est vrai. Ce serait plutôt le contraire. Si certains paradigmes sont « dominants », c’est généralement qu’il y a une bonne raison : c’est parce qu’ils sont appuyés par un corpus expérimental important, ou tout simplement qu’ils sont nécessaires socialement. A quel âge encourageriez-vous le « disciple » à « se méfier » du paradigme qu’est l’interdiction de l’inceste, par exemple ?

      Enseigner que les maîtres peuvent faire fausse route ? Soit. Mais il faut alors aussi enseigner que si les maîtres peuvent faire fausse route, ils ont une probabilité infiniment plus faible que les élèves de se trouver dans cette situation. C’est ce que j’appelle l’enseignement de la modestie. Le problème des disciples suivant aveuglement le maître se posait peut-être dans les années 1930 – ce qui n’a pas empêché des chercheurs illustres et créatifs comme Langevin, Curie, Levi-Strauss et j’en oublie de surgir – mais certainement pas dans le système éducatif d’aujourd’hui. Aujourd’hui, le problème serait plutôt l’inverse : c’est l’élève qui croit que puisqu’il n’existe pas de « vérité » qui ne soit pas relative, son « opinion » vaut celle du maître.

      Le discours de la « méfiance envers les paradigmes dominants », si pregnant après 1968, a pratiquement détruit non seulement l’école, mais l’idée même de transmission. A la place, on a droit à « l’amusement ». Puisque l’accord de élève est requis, puisque le maître ne saurait rien lui imposer sans exciter sa méfiance, il faut transformer l’apprentissage en spectacle. Effort et discipline sont bannis et remplacés par toutes sortes de jeux et autres « méthodes actives ». C’est ainsi qu’on obtient des élèves débrouillards et délurés – c’est le but de PISA – mais d’une formidable ignorance. Et surtout, d’une formidable inconscience quand à l’étendue de cette ignorance.

      [Le disciple ne doit pas non plus être paralysé par l’idée que tant qu’il n’a pas absorbé toute la connaissance disponible (ce qui était possible à l’époque de Pic de la Mirandole mais qui ne l’est plus aujourd’hui) il ne peut pas se lancer et essayer de produire quelque chose d’original.]

      « Toute » la connaissance, non. Mais une portion importante de celle-ci, oui. Et pas seulement dans la discipline où il entend être « original ». D’ailleurs, sans cette connaissance, comment saurait-il si ce qu’il fait est « original », ou s’il est en train de réinventer la roue ?

      [Le cas d’Evariste gallois (un peu romancé parfois je vous l’accorde) est assez significatif. Il a fait émerger très jeune une avancée majeure (les groupes) alors que les mathématiques s’enlisaient dans une virtuosité calculatoire sans avenir.]

      En effet, il ne faut pas romancer. Galois venait d’une famille d’enseignants – son père et son grand père étaient des directeurs d’école – et s’il a eu une scolarité chaotique, notamment parce que seules les mathématiques l’intéressaient dans un enseignement qui restait encyclopédique, c’était un dévoreur de livres. Il avait si bien assimilé les mathématiques de son époque qu’il est lauréat du concours général de mathématiques en 1827 et réussit le concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure en 1829. Franchement, croire que Galois a inventé du nouveau sans connaître l’ancien, c’est une vision très romantique des sciences…

      [Bien entendu ces considérations ne valent pas pour les très jeunes enfants mais seulement à partir du moment où le minimum vital est acquis.]

      Aujourd’hui, cela nous amène à l’âge de la retraite. Et encore…

      [Je persiste néanmoins dans l’idée que l’acquisition de l’autonomie et de l’esprit critique est cruciale.]

      Certainement. A condition que « l’esprit critique » s’applique d’abord à soi même. Autrement, on fabrique des soixante-huitards attardés, persuadés de détenir la vérité et d’être entourés de cons. Une génération qui dont la production intellectuelle est bien modeste comparée à celles qui avaient été éduquées dans le culte du maître…

      [C’est vraisemblablement ce qui a permis le décollage de notre type de civilisation]

      Faudrait savoir : Le « décollage de notre type de civilisation » est contemporain d’un système éducatif aujourd’hui régulièrement critiqué pour avoir cultivé le « culte du maître » et de la discipline plutôt que « l’autonomie » et « l’esprit critique ».

      Je pense que c’est le contraire : Ce qui a permis le « décollage de notre type de civilisation » c’est précisément le fait que les êtres « autonomes » et à l’esprit critique aiguisé ont, avant d’être autorisés à exercer ces talents, reçu une excellente éducation fondée sur le respect du maître, du savoir et de la discipline. Ce qui leur a permis d’exercer leur « esprit critique » sur les sujets qui le méritent, et de s’abstenir de démolir des idées qui forment les fondations de notre fonctionnement social.

      [et perdre cet avantage en repoussant sans arrêt le moment où nos "jeunes" sont en situation de devenir innovants (aussi bien vrai pour les chercheurs que pour les entrepreneurs) pourrait bien être la cause réelle du déclin.]

      Vous avez l’air de penser que « l’innovation » est bonne en elle-même. Que « devenir innovant » ne peut apporter que du bon. C’est là ou nous différons fondamentalement. Je pense que permettre aux ignorants de « devenir innovants » est au contraire un grand danger. Que diriez-vous du projet « novateur » d’abolir l’interdiction de l’inceste, par exemple ?

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