C’est notre industrie qu’on tue

Je suis en colère, très en colère. Et la cause en est Alstom. Ou plutôt, le déferlement de bêtises que j’ai entendu ces deux dernières semaines au sujet de la situation de cette entreprise. Oui, je sais, la colère est un pêché, c’est même un pêché mortel. Mais dans la mesure où un démon serviable est probablement déjà en train de faire chauffer amoureusement le chaudron de souffre qui m’est réservé et d’aiguiser le trident avec lequel il percera mes fesses, que peut bien faire un pêché de plus ?

De plus, je suis sur que le bon dieu, s’il y en a un, me pardonnera cette colère. Car ce désastre, un de plus dans la longue liste des désastres du même genre qui se sont enchaînés depuis trente ans, n’arrive pas par hasard. Il est la conséquence d’une politique imbécile. Ou plutôt, d’une absence imbécile de politique. La réalité, c’est que depuis trente ans l’industrie n’intéresse personne. Ni les médias, ni les gouvernements, ni les politiques, ni les soi-disant « intellectuels ». En fait, tout le monde s’en fout. Que nos industries s’affaiblissent, que les lignes de produits vieillissent, qu’on consomme les investissements faits en temps meilleurs sans les renouveler, personne n’a rien à cirer. Le désastre ne fait la « une » que trop tard, lorsque le malade affaibli meurt et que l’emploi est touché. Et alors, tout le monde se découvre tout à coup capitaine d’industrie. Montebourg se passionne pour un mariage avec Siemens, mariage qui serait désastreux puisque Siemens et Alstom occupent les mêmes créneaux, mais qui a l’avantage de faire « européen ». Mélenchon déclare d’un ton mâle qu’il faut « nationaliser Alstom », comme il l’avait demandé pour Florange hier et pour Pétroplus avant-hier. Seulement, au moment ou ces gens découvrent le problème le malade est déjà mort et il ne reste plus rien à faire à part administrer les derniers rites et organiser les funérailles.

Pétroplus, Florange… et maintenant Alstom. Demain Areva, EDF, Lyondellbasel. A chaque fois c’est la même chose. Une entreprise affaiblie par la « concurrence internationale » qui l’oblige à travailler avec des marges trop faibles quand elles ne sont pas négatives et par une base industrielle insuffisante se trouve en difficulté. Les pompiers politiques arrivent, qui ne se soucient que des conséquences sociales – et donc électorales – et sont prêts à accepter n’importe quel montage pourvu que les emplois soient préservés. Une lente descente en enfer qui affaiblit l’entreprise jusqu’à provoquer sa mort.

Il n’y a pas de miracles. Pour qu’une entreprise puisse survivre, il lui faut avoir des marchés. Et pour avoir des marchés, il lui faut proposer des prix compétitifs. Pour cela, deux choix : aller chercher les meilleures conditions de production – euphémisme pour les salaires les plus bas et les législations les plus permissives – ou comprimer les marges. Or, les marges d’aujourd’hui font l’investissement de demain. Et à force de comprimer les marges, l’entreprise cesse de créer, cesse d’investir, et finit par mourir.

Alstom en est le meilleur exemple. Qu’on me permette une anecdote : après l’accident de Fukushima, EDF décide d’équiper ses réacteurs d’un groupe électrogène diesel d’ultime secours. Cela fait tout de même 58 groupes, un gros marché pour une entreprise comme Alstom. Seulement voilà, les règles européennes obligent à la mise en concurrence. Et Alstom n’arrivera pas à proposer des prix compétitifs par rapport à des concurrents qui n’ont pas les mêmes scrupules à produire dans les pays à bas salaires, que ce soit l’Europe de l’Est ou la Chine. Alstom manquera donc un marché de plusieurs milliards. Scandale, me direz vous. Encore la faute à l’Europe, qui nous oblige à mettre en concurrence. Sans cela, EDF aurait pu retenir Alstom. Mais ce n’est pas si simple. Si EDF retient Alstom, l’entreprise aurait payé plus cher. Logiquement, ce supplément devrait être passé dans le prix de l’électricité. Car s’il y a supplément, il faut que quelqu’un le paye. Dans le cas d’EDF, c’est soit le consommateur – vous et moi – soit l’actionnaire, c'est-à-dire vous et moi à travers de l’Etat. La différence sera payée soit dans les factures d’électricité, soit dans les impôts. Or, personne n’est disposé politiquement à soutenir l’augmentation des uns ou des autres. Les mêmes qui se scandalisent qu’EDF n’ait pas accordé le contrat à Alstom seront les premiers à protester hautement si les tarifs EDF augmentaient jusqu’à couvrir les coûts.

En fait, on fait à EDF la même chose qu’on fait à Alstom. On l’oblige à baisser ses prix. Pendant presque deux décennies, les prix de l’électricité ont baissé en termes réels, les hausses ne couvrant pas l’inflation. Ce n’est que depuis cinq ans, qu’on a commencé à rattraper le différentiel. EDF continue à prêter le même service pour une rémunération chaque fois inférieure. Les économies, il faut donc qu’EDF aille les chercher quelque part. Par exemple, en achetant les diesels au meilleur prix, au lieu de les donner à Alstom… et cela même si la législation européenne lui laissait ce choix. Et même en agissant ainsi, EDF s’appauvrit. Un jour, on découvrira que l’entreprise nationale est trop endettée, proche de la faillite, et ce jour-là, tout à coup, les Montebourg et les Mélenchon gesticuleront. Mais il sera trop tard.

Les gesticulations de la gauche en général et de la gauche radicale en particulier sont une immense hypocrisie. On l’avait vu dans le contexte de Pétroplus, ou les mêmes qui veulent faire baisser la consommation de carburant s’étonnent que les efforts faits dans cette direction se traduisent par une surcapacité de raffinage. Le fait est que la délocalisation et son corollaire la désindustrialisation a pour effet de réduire le prix des biens. Les consommateurs que nous sommes trouvons donc notre compte. Si nous voulons conserver des industries chez nous – et à mon sens c’est indispensable du moins dans les secteurs stratégiques – il faut donc étouffer le consommateur qui est en nous pour laisser parler le producteur qui nous enjoint d’accepter de payer nos biens et services plus cher lorsqu’ils viennent de chez nous. Au risque de me répéter : on ne peut pas vouloir une industrie textile française et prétendre payer les t-shirts au prix du chinois.

Sans poser ces questions, le débat sur le fait de savoir si Alstom doit être nationalisé, vendu à Siemens ou à General Electric n’a aucun intérêt. C’est de la gesticulation pour amuser les gogos pendant que notre industrie s’affaiblit et meurt dans la plus grande indifférence.

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26 réponses à C’est notre industrie qu’on tue

  1. v2s dit :

    Il y a beaucoup de « vrai » dans votre exposé … mais pas que !
    Dire de SIEMENS [(qu’ils) n’ont pas les mêmes scrupules à produire dans les pays à bas salaires,] c’est suggérer qu’ ALSTOM, lui, aurait des scrupules à produire dans d’autres pays. Et c’est prêter une bien grande vertu à ALSTOM, qui n’a probablement pas agi par [scrupules] mais plutôt par manque de clairvoyance et manque de réaction.
    La réalité, c’est que, à raisonner trop longtemps « franco- français » notre industrie s’est cru pour toujours à l’abri des attaques étrangères. Le juste équilibre se situe ailleurs. Par exemple, l’industrie automobile allemande à depuis longtemps approvisionné ses composants ou fait monté ses modèles hors d’Allemagne, dans des pays moins chers, et ça n’a pas tué l’industrie automobile allemande, bien au contraire.
    Il reste que vous avez raison de pointer l’indifférence des politiques et des français devant la désindustrialisation, et cette indifférence cache une grande ignorance, pour ne pas dire une grande incompétence de nos politiques.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Dire de SIEMENS [(qu’ils) n’ont pas les mêmes scrupules à produire dans les pays à bas salaires,] c’est suggérer qu’ ALSTOM, lui, aurait des scrupules à produire dans d’autres pays. Et c’est prêter une bien grande vertu à ALSTOM, qui n’a probablement pas agi par [scrupules] mais plutôt par manque de clairvoyance et manque de réaction.]

      Vous avez tout à fait raison. Si Alstom avait été « réactive et clairvoyante », elle aurait fermé depuis longtemps les usines en France pour en ouvrir en Roumanie ou en Inde. Après tout, il ne faut pas confondre patriotisme et clairvoyance. Dans l’Europe de la « concurrence libre et non faussée », être « clairvoyant » c’est comprendre que la France est condamnée à devenir un « tourist resort » et un centre administratif.

      Cependant, pour avoir connu quelques dirigeants d’Alstom à Belfort, je n’exclue pas qu’ils aient agi en grande partie par patriotisme, et qu’ils aient eu quelques scrupules à fermer des ateliers et mettre leurs ouvriers au chômage. Le capitalisme paternaliste n’a pas encore été totalement substitué par le capitalisme financier. Mais rassurez-vous, ça va venir.

      [La réalité, c’est que, à raisonner trop longtemps « franco- français » notre industrie s’est cru pour toujours à l’abri des attaques étrangères.]

      Eh oui, ils ont fait confiance au gouvernement français et à l’Europe… quelle erreur !

      [Le juste équilibre se situe ailleurs. Par exemple, l’industrie automobile allemande à depuis longtemps approvisionné ses composants ou fait monté ses modèles hors d’Allemagne, dans des pays moins chers, et ça n’a pas tué l’industrie automobile allemande, bien au contraire.]

      Vous voulez dire que cela n’a pas tué les entreprises automobiles allemandes. Ce n’est pas tout à fait la même chose… en matière d’emploi, l’industrie automobile allemande a perdu plus de dix pour cent de ses emplois en vingt ans. Mais il est incontestable que l’Allemagne a une politique industrielle bien plus rationnelle que la notre, avec des gouvernants qui ont une véritable sensibilité industrielle. A cela s’ajoute un avantage européen : une monnaie qui est gérée par la BCE en fonction des besoins de l’économie allemand, une bienveillance extrême de la commission européenne en matière d’aides d’Etat – exemple, l’exemption des industriels de la taxe finançant les énergies renouvelables – ou en matière de non-respect de la réglementation – exemple, l’utilisation de fluides de refroidissement interdits par l’industrie automobile allemande.

      [Il reste que vous avez raison de pointer l’indifférence des politiques et des français devant la désindustrialisation, et cette indifférence cache une grande ignorance, pour ne pas dire une grande incompétence de nos politiques.]

      Tout à fait. Mais ce n’est pas un hasard. Demandez-vous ou travaillent les classes moyennes en France et en Allemagne, et vous comprendrez peut-être mieux les différences…

    • v2s dit :

      [Vous voulez dire que cela n’a pas tué les entreprises automobiles allemandes. Ce n’est pas tout à fait la même chose… en matière d’emploi]
      Oui enfin … le chômage en Allemagne c’est 5,1% ! Si les ingénieurs trouvent du travail dans la RetD, et que les personnes sans qualification en trouvent dans les services ou l’administration, ce n’est pas forcément dramatique d’avoir certaines usines (pas toutes !) dans des pays aux salaires moins élevés. Demandez donc aux Polonais et aux Tchèques si leurs « bas salaires », bas en comparaison de l’Allemagne, demandez leur si ces salaires dans les industries délocalisées ne leur ont pas fait faire un bon en avant en matière de niveau de vie, de croissance, de développement.

      [Mais il est incontestable que l’Allemagne a une politique industrielle bien plus rationnelle que la notre, avec des gouvernants qui ont une véritable sensibilité industrielle]
      Bien sûr, des gouvernants et aussi des capitalistes qui ont une culture industrielle, c’est-à-dire une vision à moyen et long terme. Des industriels capables de limiter leur appétit en dividendes pour privilégier l’investissement, capables aussi de se contenter de rentabilités faibles les mauvaises années, de faire le dos rond en résistant à la tentation de tout brader, du moment que l’outil industriel reste très bien entretenu et toujours modernisé. Ils sont la preuve qu’il n’est besoin ni de nationaliser, ni de fermer les frontières pour faire une vraie politique industrielle dans l’intérêt commun des industriels et du pays.

      [A cela s’ajoute un avantage européen : une monnaie qui est gérée par la BCE en fonction des besoins de l’économie allemand, une bienveillance extrême de la commission européenne en matière d’aides d’Etat – exemple, l’exemption des industriels de la taxe finançant les énergies renouvelables – ou en matière de non-respect de la réglementation – exemple, l’utilisation de fluides de refroidissement interdits par l’industrie automobile allemande.]
      Que voulez vous dire ? Les Allemands ne bénéficient pas d’avantages différents des autres ? Je veux bien admettre que le peuple allemand n’est pas le peuple français, et qu’on ne transformera jamais nos compatriotes en Allemands, ni nos industriels français en industriels allemands, mais de là à laisser croire que l’Allemagne jouirait de privilèges dont nous serions privés, c’est faux et ça entretient un anti germanisme primaire qui n’est pas sein.

      Il n’est pas nécessaire que la France devienne un pays socialiste pour avoir une vraie politique industrielle. L’Europe doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais du cesser d’être, une simple union douanière, et, avec une souveraineté retrouvée, nous pourrons à nouveau maîtriser nos choix industriels. L’Angleterre l’a fait, elle a fortement réindustrialisée pendant ces 10 dernières années. Nous pourrions le faire aussi.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Oui enfin … le chômage en Allemagne c’est 5,1% !]

      Faudrait savoir de quoi on parle. Le chômage c’est une chose, la désindustrialisation c’en est une autre. Si les travailleurs de l’automobile trouvent du boulot comme livreurs de pizza, le chômage peut demeurer faible alors que l’industrie périclite.

      [Si les ingénieurs trouvent du travail dans la RetD, et que les personnes sans qualification en trouvent dans les services ou l’administration, ce n’est pas forcément dramatique d’avoir certaines usines (pas toutes !) dans des pays aux salaires moins élevés.]

      En d’autres termes, la désindustrialisation ce n’est finalement pas grave, à condition qu’on ait des emplois de substitution. J’ai bien compris ?

      Vous ressortez la vieille idée de « l’entreprise sans usines ». Le problème, c’est que dans la pratique cela ne marche pas. Une fois que les usines partent, la R&D et l’administration finissent par suivre. Après tout, si l’on peut trouver en inde des travailleurs au rabais, on peut aussi trouver des chercheurs. Je te rappelle accessoirement que pour garder les emplois, l’Allemagne a été obligée de comprimer radicalement les salaires. Aujourd’hui, l’Allemagne n’a pas de problème d’emploi, mais a un sérieux problème de travailleurs pauvres. C’est cela, l’avenir ? Pas étonnant que les jeunes soient dépressifs…

      [Demandez donc aux Polonais et aux Tchèques si leurs « bas salaires », bas en comparaison de l’Allemagne, demandez leur si ces salaires dans les industries délocalisées ne leur ont pas fait faire un bon en avant en matière de niveau de vie, de croissance, de développement.]

      Demandez-le aux enfants Bangladeshis qui travaillent dans les filatures, et vous obtiendrez la même réponse. Franchement, je trouve ce genre de remarque indécente : les bourgeois qui quadruplent leurs bénéfices en délocalisant passent pour des bénéfacteurs de l’humanité parce qu’ils ont augmenté les salaires polonais de vingt pour cent.

      [Bien sûr, des gouvernants et aussi des capitalistes qui ont une culture industrielle, c’est-à-dire une vision à moyen et long terme. Des industriels capables de limiter leur appétit en dividendes pour privilégier l’investissement, capables aussi de se contenter de rentabilités faibles les mauvaises années, de faire le dos rond en résistant à la tentation de tout brader, du moment que l’outil industriel reste très bien entretenu et toujours modernisé. Ils sont la preuve qu’il n’est besoin ni de nationaliser, ni de fermer les frontières pour faire une vraie politique industrielle dans l’intérêt commun des industriels et du pays.]

      Votre conclusion est risible. D’abord, l’Allemagne fait une vraie politique industrielle dans l’intérêt des entreprises. Quant à savoir si cette politique fait les affaires des travailleurs pauvres de plus en plus nombreux en Allemagne, c’est déjà moins évident. Ensuite, l’Allemagne fait une politique protectionniste fort intelligente, qui passe par des subventions à l’industrie – exemption des taxes sur l’électricité, par exemple – et surtout par le protectionnisme monétaire que lui permet le fait que la monnaie européenne est gérée dans son intérêt.

      Oui, quand on a la position géographique de l’Allemagne, l’histoire de l’Allemagne, qu’on a réussi à imposer sa monnaie et sa vision aux autres, on peut parfaitement avoir le plein emploi sans fermer les frontières et sans nationaliser. Mais supposer que ce qui marche pour l’Allemagne pourrait marcher pour la Grèce, c’est sauter un peu vite les étapes.

      [« A cela s’ajoute un avantage européen : une monnaie qui est gérée par la BCE en fonction des besoins de l’économie allemand, une bienveillance extrême de la commission européenne en matière d’aides d’Etat – exemple, l’exemption des industriels de la taxe finançant les énergies renouvelables – ou en matière de non-respect de la réglementation – exemple, l’utilisation de fluides de refroidissement interdits par l’industrie automobile allemande ». Que voulez vous dire ? Les Allemands ne bénéficient pas d’avantages différents des autres ?]

      Bien sur que si. Je vous ai donné deux exemples : les subventions aux industriels et la gestion de la monnaie européenne. Je pourrais vous en donner d’autres.

      [Il n’est pas nécessaire que la France devienne un pays socialiste pour avoir une vraie politique industrielle.]

      Le fait est qu’en France il n’y a jamais eu de politique industrielle qui n’ait pas reçu son impulsion depuis l’Etat. Ce n’est pas par hasard non plus si les plus grosses entreprises françaises ont été bâties par l’Etat (ELF-Total, EDF), ont grandi grâce à la protection de la commande publique (Dassault, Bouygues, Suez)… La France n’a pas cette bourgeoisie industrielle qui a fait le succès de l’industrie britannique ou allemande. Nos bourgeois sont avant tout terriens et rentiers.

      [L’Europe doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais du cesser d’être, une simple union douanière, et, avec une souveraineté retrouvée, nous pourrons à nouveau maîtriser nos choix industriels. L’Angleterre l’a fait, elle a fortement réindustrialisée pendant ces 10 dernières années. Nous pourrions le faire aussi.]

      Bien entendu. Quelques soient les contraintes européennes, d’ailleurs, on peut faire les choses bien ou au contraire les faire mal. Et en France on fait les choses mal, surtout depuis qu’on s’est mis en tête que le marché allait faire la politique industrielle à la place de l’Etat, alors qu’en France cela n’a jamais marché. On a voulu plaquer sur notre pays un modèle qui n’est pas le sien, et on paye le prix.

    • des dit :

      Il y a la loi concernant les inventeurs salariés en Allemagne et dans d’autres pays, récemment en Chine, rien en France qui prétend motiver les inventeurs de l’industrie et la RD. Seuls les inventeurs du secteur public francais sont concernés, pas ceux du privé, étrange discrimination :

      http://www.gesetze-im-internet.de/arbnerfg/

      http://www.inventionsalarie.com/

    • Descartes dit :

      @des

      J’avoue que j’ai du mal à voir le rapport de votre commentaire avec la choucroute. Et surtout, ce que vous voulez démontrer. Sans vouloir offenser les "inventeurs", l’innovation dans notre société complexe passe beaucoup plus par le travail d’équipes que par l’idée brillante d’un "inventeur" unique. La "rémunération des inventeurs salariés" est donc un sujet marginal.

    • Descartes dit :

      @Gugus69

      Il dit beaucoup de choses vraies… mais commet l’erreur que je dénonce, celle de croire que faire de la politique industrielle, c’est faire le pompier. Ainsi il écrit "Alstom est une entreprise rentable qui dispose de 30 mois de commandes avec une trésorerie de 5 milliards d’euros. Il n’y a donc aucune urgence". Faut-il donc que l’entreprise soit en faillite pour qu’on agisse ?

      Alstom est une entreprise saine aujourd’hui, mais on peut prévoir les difficultés qui s’accumulent pour une entreprise qui est relativement petite – et donc moins efficiente que les géants du domaine – et qui, contrairement à ce que croit Dupont-Aignan, n’est pas "adossée à l’Etat" depuis que les règles européennes obligent nos entreprises publiques de faire des appels d’offre et de retenir le moins disant. Agir maintenant, au lieu d’attendre qu’Alstom soit le dos au mur, c’est ça faire une politique industrielle.

  2. Obelix dit :

    Dire que c’est de la faute à Montebourg et en particulier à Mélenchon c’est peut être jouissif pour vous mais le raccourci est un peu léger. Effectivement,la casse de l’entreprise est en marche depuis 35-40 ans mais il avait quel age Montebourg à cette époque?
    Vous semblez sous-estimer les années Mitterand,et surtout les années de vide complet de son successeur . Bossuet je crois, disait "nous détestons les effets dont nous chérissons les causes"….

    • Descartes dit :

      @ Obélix

      [Dire que c’est de la faute à Montebourg et en particulier à Mélenchon c’est peut être jouissif]

      Peut-être. Mais ce n’est pas ce que j’ai dit. Je vous mets au défi de m’indiquer l’endroit au j’aurais écrit que « c’est de la faute à Montebourg ou Mélenchon ». Ce que je reproche à Montebourg, à Mélenchon, et en général au personnel politique de gauche, c’est de ne pas s’intéresser aux industries lorsqu’il est encore temps d’agir, pour ensuite jouer aux grands capitaines d’industrie quand la crise éclate en proposant des « solutions » absurdes à l’emporte pièce style « il faut nationaliser » ou « il faut se marier à Siemens ». Des gens qui souvent n’y connaissent rien aux sujets industriels, et qui ne font semblant de s’y intéresser que parce que l’emploi est une question sensible.

      [Effectivement,la casse de l’entreprise est en marche depuis 35-40 ans mais il avait quel age Montebourg à cette époque?]

      A quelle époque ? Montebourg est député depuis 1997. Connaissez-vous une seule expression publique de lui sur les questions de politique industrielle antérieure à 2012 ? L’a-t-on vu une seule fois critiquer l’absence d’une politique industrielle pendant le gouvernement Jospin, par exemple ? Quant à Mélenchon, il est sénateur depuis 1986. Il a donc accompagné l’assassinat de la politique industrielle française sous Mitterrand. Pas une seule fois il n’est intervenu de manière critique sur ces questions.

      [Vous semblez sous-estimer les années Mitterand, et surtout les années de vide complet de son successeur.]

      Souvenez-vous que Mélenchon est un rescapé des années Mitterrand…

      [Bossuet je crois, disait "nous détestons les effets dont nous chérissons les causes"….]

      Je ne vois pas trop le rapport avec la choucroute.

  3. bovard dit :

    Mon père a travaillé chez Alstom jusqu’en 1970 comme ouvrier ajusteur.
    A cette époque,il fallait écrire Alsthom,contraction d’Alsace et Thomson puisque cette entreprise provient de la fusion de deux autres entreprises historiquement liées à l’électrique.
    Locomotives électriques,les fameuses BB,turbines etc constituaient l’essentiel des produits fabriquées à l’époque.
    Pourtant dès cette époque des choix stratégiques furent pris par la Communauté Economique Européenne (L’Union Européenne actuelle) qui obéraient l’avenir d’Alstom.
    En effet dans la lancée du plan charbon,la Communauté Economique Européenne décida de concentrer la fabrication stratégique des machines outils,en Allemagne(RFA).
    1970,c’est bien avant les délocalisations ,la mondialisation etc..et c’est ce qui décida mon père a quité Alstomvoué à un déclin inéluctable par la Communauté Economique Européenne …

    • Descartes dit :

      @ bovard

      Que voulez-vous, l’industrie n’intéresse plus nos élites. Comparez l’espace consacré par les médias et les politiques aux débats sur les intermittents du spectacle avec celui consacré à l’avenir de telle ou telle filière industrielle.

    • Marcailloux dit :

      Bonjour,
      En contrepoint à ces constats affligeants, le comportement méprisant des classes modestes( la grande majorité de la population) au cours des 4 décennies passées, vis à vis du travail manuel, fut-il, même, de très haute qualification. Extrêmement porteur d’avenir en matière de compétences requises, notamment dans les industries de la métallurgie et particulièrement de la production de machines outils, ces métiers sont des locomotives ( sans allusion particulière à Alst(h)om) pour toute l’industrie. La population française n’a pas su le voir, sous une forme ou sous une autre, a scié la branche sur laquelle elle était assise. Et comme le élites et les élus sont et ont été plus suiveurs que meneurs, on récolte maintenant le fruit amer de la désindustrialisation.
      J’ai assisté, vers la fin des années 70 à un colloque dans le cadre de la biennale de la machine outil, au cours duquel, le ministre de l’industrie, A.Giraud, en réponse à la question d’un intervenant sur l’avenir de la machine outil française, a alors répondu qu’il ne s’agissait pas d’une priorité essentielle pour le pays.Des interventions que l’on peut retrouver sur les comptes rendus de l’Assemblée Nationale, confirment cette anecdote.
      Le rêve de tous les parents de l’époque, était, quelque soient les conditions professionnelles conséquentes, que leur progéniture revête une blouse plutôt qu’un bleu.
      Et voila comment la France est devenue un pays d’administration généralisé.

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [En contrepoint à ces constats affligeants, le comportement méprisant des classes modestes( la grande majorité de la population) au cours des 4 décennies passées, vis à vis du travail manuel, fut-il, même, de très haute qualification (…) La population française n’a pas su le voir, sous une forme ou sous une autre, a scié la branche sur laquelle elle était assise.]

      C’est un peu sévère comme constat, mais il pose une question intéressante : pourquoi les métiers manuels sont si méprisés en France, alors qu’ils le sont beaucoup moins en Allemagne ou en Angleterre. Il y a plusieurs raisons à cela, mais il y a une qui tient à la manière dont le patronat français a toujours géré l’outil de production et le capital humain. Que l’on me permette à ce propos une anecdote. J’ai travaillé quelques années en Angleterre, au début de ma carrière. Un jour, partant en mission à l’étranger, je propose à la secrétaire qui voulait me réserver un taxi de mon domicile à l’aéroport d’utiliser plutôt ma voiture personnelle. Voici sa réponse : « non, vous prendrez un taxi, parce qu’à votre retour vous serez fatigué. Imaginez que vous ayez un accident. Vous serez alors absent à votre poste pendant plusieurs jours et l’entreprise ne pourra pas compter sur vos services… ». En d’autres termes, l’employeur me payait un taxi non pas en considération de mon confort, mais parce que j’étais pour l’entreprise un investissement qu’il est profitable d’assurer contre un risque. Pour cette raison, le patronat britannique comme le patronat allemand on cherché à améliorer les conditions de travail. Non pas par générosité, mais par intérêt bien compris. Allez aujourd’hui dans une usine allemande : les gens sont habillés de bleus propres, les sols sont nettoyés, l’éclairage est agréable, les bacs de produits chimiques sont propres. Allez dans une usine française…

      Le patronat industriel français n’a jamais considéré qu’investir dans les conditions de travail était un investissement rentable. Là ou le patronat britannique ou allemand a joué à fond le paternalisme créant des logements ouvriers, des écoles de métiers et des activités associatives et culturelles attachées à l’entreprise, le patronat français passe son temps à se plaindre qu’il faut financer les comités d’entreprise et préfère ne pas franchir le seuil de 50 employés plutôt que d’en avoir un.

      La conséquence, c’est que le statut du travail manuel s’est dégradé parce que la différence entre les conditions de travail en bureau et en atelier sont terrifiantes. Là encore une anecdote : dans mon dernier poste en usine, alors qu’on travaillait dans un atelier « chaud », il m’a fallu me battre comme un lion pour obtenir l’installation d’une fontaine d’eau pour que les gens puissent se désaltérer sans avoir à quitter leur poste et marcher deux cents mètres… jusqu’aux bureaux ! Comment dans ces conditions un père ouvrier pourrait transmettre à ses enfants le désir de travailler dans les mêmes conditions ?

      Il y a un deuxième problème, c’est celui de la procéduralisation du travail. Les méthodes « qualité » ont amené dans certains cas à transformer les travailleurs en robots, tenus de suivre une « procédure » formalisée qui leur tombe d’en haut. Les ingénieurs français, de par leur formation, ont tendance à voir dans le travailleur manuel un simple exécutant, alors que l’ingénieur anglais ou allemand fera beaucoup plus confiance à l’intelligence du travailleur manuel pour faire le travail « dans les règles de l’art » qui n’ont donc pas besoin d’être écrites et imposées.

      Tout le monde parle de « revaloriser le travail manuel ». Mais la « valorisation » d’un métier ne dépend pas des discours des politiques. Elle tient aux conditions d’exercice et à la rémunération du métier en question. Aussi longtemps que nos usines et nos ateliers seront vétustes, que les conditions de travail seront détestables, que l’on ne donnera pas aux travailleurs manuels un minimum d’autonomie, les métiers manuels seront délaissés par nos jeunes.

      [J’ai assisté, vers la fin des années 70 à un colloque dans le cadre de la biennale de la machine outil, au cours duquel, le ministre de l’industrie, A.Giraud, en réponse à la question d’un intervenant sur l’avenir de la machine outil française, a alors répondu qu’il ne s’agissait pas d’une priorité essentielle pour le pays.]

      L’affaire de l’industrie de la machine-outil française est une véritable tragédie. Alors que le secteur se portait bien jusqu’aux années 1970, les politiques de l’après 1981 n’ont jamais tout à fait saisi l’importance stratégique du secteur. Peut-être parce qu’ils n’ont pas saisi l’importance d’un renouvellement continu des outils de production en général. L’industrie française souffre d’un problème terrifiant de vétusté de l’outil de production, qui tient en grande partie à l’esprit « paysan » de notre pays. Pourquoi changer un tour ou une fraiseuse alors que celle qu’on a marche encore ? C’est ainsi qu’on se trouve avec des vieux coucous pendant que les allemands sont tous équipés de machines à commande numérique.

    • CVT dit :

      @Descartes,
      c’est bien que vous insistiez sur cette spécificité du patronat français, qui est à mon sens, l’un des plus réactionnaires et des plus rétrogrades du monde occidental. Par bien des aspects, il me rappelle les nobles de l’Ancien Régime pendant la Révolution: prêts à toutes les compromissions avec les étrangers pour sauvegarder leurs rentes et leurs privilèges…
      Je me suis toujours surpris de voir à quel point les Français détestent leurs syndicats , du fait de leur caractère idéologique (en ce moment, c’est tout de même mérité, ils ne servent que de soupape pour contenir la frustration des travailleurs…). Mais celui-ci avait une raison d’être: avec un patronat aussi dur, aussi peu ouvert au dialogue, il fallait en face un syndicat guerrier, mais surtout un état qui impose des règles, là où dans d’autres pays, la cogestion est de mise. D’où l’étonnement des Français quand ils comparent leur situation en matière syndicale avec celle des pays voisins…
      Quand j’étais plus jeune, mon père disait souvent que le gros problème du patronat, en France c’est qu’il fait de la politique avant de faire des affaires… Dans un sens, c’est vrai, mais je crois surtout qu’il reste un fond de mentalité paysanne chez nous, que ce soit chez les plus humbles comme chez les plus riches. D’où une certaine absence de vision à long terme, notamment chez nos dirigeants d’entreprise, et ce côté "grippe-sou" et rentier…

    • Descartes dit :

      @CVT

      [c’est bien que vous insistiez sur cette spécificité du patronat français, qui est à mon sens, l’un des plus réactionnaires et des plus rétrogrades du monde occidental. Par bien des aspects, il me rappelle les nobles de l’Ancien Régime pendant la Révolution: prêts à toutes les compromissions avec les étrangers pour sauvegarder leurs rentes et leurs privilèges…]

      Le parallèle est intéressant. Le problème est que la France est un pays paysan, pire, de petits paysans propriétaires de leur « ça’m suffit ». Et qu’il l’est resté mentalement jusqu’à nos jours. Il y a, il est vrai, une tradition de grande industrie dans le nord et l’est de la France, mais dans les autres régions l’industrie privée a souvent été le fait d’un inventeur génial qui a installé un simple atelier qui a petit à petit grandi grâce à l’inventivité de son créateur (l’exemple le plus flagrant est celui de notre industrie aéronautique dans la première moitié du XXème siècle, dont Dautry critiquait à l’aube de la deuxième guerre mondiale l’esprit artisanal). Souvent, l’innovation de ces entreprises est morte avec leur créateur, et elles ont ensuite végété jusqu’à être dépassées par de nouvelles technologies venues d’ailleurs. Pire : préférant être la tête d’une souris que la queue d’un lion, ces créateurs ont souvent refusé toute fusion, tout accord avec d’autres entreprises qui leur aurait permis d’atteindre la taille critique. Ou alors ces fusions se sont faites dans des mauvaises conditions, construisant des ensembles peu cohérents avec de nombreux doublons.

      C’est pourquoi l’Etat a joué dans notre pays un rôle si important. C’est sous sa houlette que se sont crée souvent les grands ensembles industriels par fusion d’entreprises individuelles. C’est lui qui a assuré à certains secteurs un flux suffisant de commandes et qui dont choisissait les technologies à développer. Croire que nous aurions une industrie aéronautique ou une industrie nucléaire si on avait laissé les rênes libres au privé, c’est se bercer de douces illusions. Les seuls domaines ou le secteur privé à construit des grandes entreprises sans l’intervention de l’Etat sont certains services (et notamment la grande distribution) et – esprit paysan aidant – celui de l’agro-alimentaire.

      Certains économistes nous bassinent en permanence avec l’idée que ce serait l’intervention constante de l’Etat qui aurait « bridé » nos entrepreneurs. C’est exactement l’inverse. L’Etat est intervenu depuis l’époque de Colbert pour suppléer un secteur privé anomique, qui se contentait souvent de vivre de ses rentes et avait fort peu d’esprit d’entreprise. En Angleterre, l’aristocratie s’était reconverti aux affaires dès les tous débuts de la révolution industrielle. Et pas que des affaires financières : des investissements à très long terme. Même les aventures coloniales anglaises dès 1620 avaient été financées par des compagnies privées (la Providence company, les compagnies des Indes…) dont les dirigeants étaient des nobles grands ou petits. Pas en France, ou l’aristocratie restait attaché à perpétuer un mode de vie campagnard. Et ces traditions pèsent jusqu’à aujourd’hui. Notre patronat – mais aussi notre salariat – est réactionnaire au plus pur sens du terme : il est attaché à une vision statique de l’économie, ou l’on continue à faire comme on a toujours fait. Les récentes luttes des « thé éléphant » mis en exergue par certains à gauche illustrent parfaitement cette vision.

      [Je me suis toujours surpris de voir à quel point les Français détestent leurs syndicats , du fait de leur caractère idéologique (en ce moment, c’est tout de même mérité, ils ne servent que de soupape pour contenir la frustration des travailleurs…).]

      Je ne crois pas que les français « détestent les syndicats ». Disons plutôt qu’ils les ignorent. Le problème des syndicats en France se trouve dans l’essence même de l’universalisme français. Les conquêtes gagnées par les syndicats s’appliquent à tous, et pas seulement aux membres du syndicat, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays. Si en France on décidait que les avantages gagnés par la lutte syndicale étaient réservés aux adhérents aux syndicats, tu verrais tout de suite la différence…

      Tout le monde aujourd’hui se pâme devant la force des corps intermédiaires en Allemagne ou en Scandinavie, et c’est une opportunité de plus de se flageller sur le thème « nous français nous sommes en retard ». Mais la réalité est que si les corps intermédiaires sont si puissants dans le monde nordique, c’est parce que le citoyen n’avait aucune chance de se faire entendre directement. En France, l’Etat fort permet au citoyen d’être bien mieux représenté dans les prises de décision, et du coup il a beaucoup moins de chance de se faire entendre par d’autres voies.

      [Quand j’étais plus jeune, mon père disait souvent que le gros problème du patronat, en France c’est qu’il fait de la politique avant de faire des affaires… Dans un sens, c’est vrai, mais je crois surtout qu’il reste un fond de mentalité paysanne chez nous, que ce soit chez les plus humbles comme chez les plus riches. D’où une certaine absence de vision à long terme, notamment chez nos dirigeants d’entreprise, et ce côté "grippe-sou" et rentier…]

      Tout à fait. L’éthique protestante n’a jamais eu beaucoup de prise chez nous…il n’y a qu’à voir l’importance que revêt chez nous la propriété immobilière comme "valeur refuge"…

  4. marc.malesherbes dit :

    encore une question sur la tonalité d’expression du FN

    je n’ai vu que des extraits d’interventions de M le Pen, et j’ai écouté récemment un interview de F Philipot. J’ai été frappé de ce que leur expression est beaucoup moins tonitruante et agressive que celle de JL Mélenchon. Par exemple, l’interviewer a posé une question "peau de banane" à Philipot sur Poutine. Philipot ne l’a pas agressé en retour, et a essayé de répondre calmement à la question posée (pas très bien ?). Alors que dans des circonstance similaires, JL Mélenchon se serait emporté, aurait assassiné le journaliste, n’aurait pas répondu et aurait été brillant. JL Mélenchon a d’ailleurs théorisé que dans la situation d’exaspération actuelle, il fallait parler "dru et cru". De mon coté, quand je regarde les vieilles actualités historiques, je constate que de grands tribuns, type Hitler ou Mussolini, étaient très agressifs, et beaucoup plus proche en terme de tonalité d’un JLM que d’une MlP.

    aussi il me semble que le FN devrait prendre des leçons de communication auprès de JLM, et qu’en conséquence JLM va peut-être les doubler sur le fil. Qu’en pensez-vous ?

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [je n’ai vu que des extraits d’interventions de M le Pen, et j’ai écouté récemment un interview de F Philipot. J’ai été frappé de ce que leur expression est beaucoup moins tonitruante et agressive que celle de JL Mélenchon.]

      Dis moi comment tu parles, et je te dirai à qui tu t’adresses. Mélenchon cherche à satisfaire un électorat de classes moyennes gauchistes, qui apprécie une violence verbale qui lui donne l’illusion de la radicalité sans menacer son statut. Philippot cherche à séduire un électorat populaire qui est, lui, plutôt conservateur et apprécie une expression soignée et respectueuse. Souvenez-vous des leaders communistes du temps où le PCF était un parti ouvrier : Thorez, Duclos ou Marchais étaient de redoutables débatteurs, mais ils n’étaient jamais grossiers et évitaient soigneusement les agressions personnelles. Je n’imagine pas Marchais traitant un journaliste du service public de « salaud » devant une caméra.

  5. v2s dit :

    [Demandez-le aux enfants Bangladeshis qui travaillent dans les filatures, et vous obtiendrez la même réponse. Franchement, je trouve ce genre de remarque indécente : les bourgeois qui quadruplent leurs bénéfices en délocalisant passent pour des bénéfacteurs de l’humanité parce qu’ils ont augmenté les salaires polonais de vingt pour cent.]
    Je n’ai pas parlé du Bengladesh, lequel pose d’autres problèmes et l’avenir nous dira si les gens là-bas, au final, vont s’en sortir mieux ou pas. Leur lute est en cours. Et elle passe aussi par notre pouvoir de consommateur qui peut faire savoir à Auchan et à Beneton que, précisément, on ne croit pas qu’ils sont les bienfaiteurs qu’ils prétendent être.
    J’ai parlé volontairement des pays de l’Est européen, lesquels ont recueilli dans les années 90 / 2000 de nombreuses délocalisations industrielles allemandes, mais aussi françaises, italiennes, anglaises, hollandaises … Je n’ai pas dit que les industriels (que vous appelez bizarrement les bourgeois ??), je n’ai pas dit qu’ils aient délocalisé pour recueillir le titre de « bienfaiteurs de l’humanité », vous me faites dire ce que je n’ai pas dit. Ce qui est vrai, par contre, c’est que la croissance de ces pays est restée à 2 chiffres pendant plusieurs années et que les salaires n’ont pas augmenté comme vous le dites de 20% mais de 200 ou 300%. C’est tellement vrai que le salaire d’un polonais, qui était 20% d’un salaire français en 1990 est passé à 60 ou 70% aujourd’hui. Mettant ainsi un coup d’arrêt à la délocalisation massive dans ces pays.
    Le monde que vous semblez regretter est mort et enterré. Le temps béni des colonies ou l’on imposait à nos braves indigènes nos produits manufacturés en leur interdisant de les produire eux-mêmes, le temps ou l’Angleterre ruinait le textile indien pour faire tourner ses fabriques de Manchester, ce temps là est révolu.
    Le reste du monde émerge ou a déjà émergé.
    Nous avons déjà eu cette discussion une fois. Le recul de la pauvreté dans les pays émergents est une réalité, ce n’est pas une opinion qu’on peut contester ou discuter, c’est un fait.
    Il n’est pas impossible que des pays comme l’Indonésie ou le Brésil, qui croulent sous les matières premières, qui ont une main d’œuvre moins cher que nous, qui acquièrent des technologies soit par les délocalisations soit par l’acquisition d’équipement de pointe accompagnés de transfert de technologie, il n’est pas impossible que ces pays nous rattrapent et nous dépassent, s’ils sont bien gérés.
    Que cela [déprime notre jeunesse], et que ça déplaise au plus grand nombre d’entre nous, n’y changera pas grand-chose.
    Notre salut ne passera certainement pas par le repli sur nous même. Il nous reste des atouts, ces nouveaux grands pays nous envient nos grandes écoles, nos élites, notre organisation, et pour l’instant encore, une certaine avance technologique … et même notre démocratie.
    Faut-il négliger notre chance de devenir ou de rester un [« tourist resort »] comme vous dites, certainement pas !
    Faut-il pour autant laisser partir toute notre industrie ? Certainement pas non plus. Mais ça, nos dirigeants actuels (et passés) ne semblent pas savoir, ou vouloir, le faire.Sur ce point, je suis partage votre constat.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [« Demandez-le aux enfants Bangladeshis qui travaillent dans les filatures, et vous obtiendrez la même réponse. Franchement, je trouve ce genre de remarque indécente : les bourgeois qui quadruplent leurs bénéfices en délocalisant passent pour des bénéfacteurs de l’humanité parce qu’ils ont augmenté les salaires polonais de vingt pour cent. » Je n’ai pas parlé du Bengladesh,]

      Non, c’est moi qui en parle. Je ne vois pas pourquoi vous rejetez lorsqu’il s’applique au Bangladesh le raisonnement que vous me proposez de faire sur la Roumanie ou la Pologne. Au Bangladesh aussi la mondialisation a fait augmenter le salaire des enfants. Qu’attendez-vous pour déboucher le champagne ?

      Que ce soit en Roumanie ou au Bangladesh, la mondialisation se traduit par une augmentation de la productivité, augmentation qui bénéficie à 90% au capitaliste et à 10% au travailleur. En parallèle, le travailleur du pays à partir duquel la délocalisation se fait perd son boulot. Conséquence : un travailleur perd tout, un autre gagne un petit peu, et le capitaliste gagne beaucoup. Il n’est donc pas faux de dire que le niveau de vie des pays ou les industries sont délocalisées s’améliore. Mais globalement, cela se traduit par un transfert de richesse du travail vers le capital.

      [lequel pose d’autres problèmes et l’avenir nous dira si les gens là-bas, au final, vont s’en sortir mieux ou pas.]

      Notez cette phrase, j’y reviendrai.

      [Leur lute est en cours. Et elle passe aussi par notre pouvoir de consommateur qui peut faire savoir à Auchan et à Beneton que, précisément, on ne croit pas qu’ils sont les bienfaiteurs qu’ils prétendent être.]

      Et pourquoi ferait-on cela ? Le travailleur bangladeshi prend le boulot du travailleur français sans le moindre scrupule. Et vous demandez au travailleur français de « faire savoir » à Auchan qu’il doit mieux payer le travailleur bangladeshi ?

      [J’ai parlé volontairement des pays de l’Est européen, lesquels ont recueilli dans les années 90 / 2000 de nombreuses délocalisations industrielles allemandes, mais aussi françaises, italiennes, anglaises, hollandaises … Je n’ai pas dit que les industriels (que vous appelez bizarrement les bourgeois ??) (…)]

      Rien de « bizarre » là dedans. La bourgeoisie, c’est la classe qui possède le capital. Appeler les capitalistes « bourgeois » n’a rien de « bizarre » donc. Mais si vous préférez le terme « capitaliste », je ne vois pas d’inconvénient.

      [je n’ai pas dit qu’ils aient délocalisé pour recueillir le titre de « bienfaiteurs de l’humanité », vous me faites dire ce que je n’ai pas dit.]

      Je ne fais que tirer la conclusion évidente de ce que vous dites. En délocalisant, me dites vous, le capital a sorti des populations immenses de la pauvreté. Cela ne suffirait donc pas pour être un « bienfaiteur de l’humanité » ?
      [Ce qui est vrai, par contre, c’est que la croissance de ces pays est restée à 2 chiffres pendant plusieurs années et que les salaires n’ont pas augmenté comme vous le dites de 20% mais de 200 ou 300%. C’est tellement vrai que le salaire d’un polonais, qui était 20% d’un salaire français en 1990 est passé à 60 ou 70% aujourd’hui. Mettant ainsi un coup d’arrêt à la délocalisation massive dans ces pays.]

      Cela dépend de la période que vous considérez. Je parlais des dix dernières années, vous vous prenez sur les vingt dernières années. Mais une question me vient à l’esprit… au cours de ces vingt dernières années, de combien se sont accrus les profits des capitalistes qui ont « délocalisé » ?

      [Le monde que vous semblez regretter est mort et enterré. Le temps béni des colonies ou l’on imposait à nos braves indigènes nos produits manufacturés en leur interdisant de les produire eux-mêmes, le temps ou l’Angleterre ruinait le textile indien pour faire tourner ses fabriques de Manchester, ce temps là est révolu.]

      Je ne comprends pas pourquoi vous persistez à m’attribuer une « nostalgie » qui n’est pas la mienne. Je pense avoir dit clairement et expliqué plusieurs fois que mon projet serait un monde où chaque pays aurait une balance des échanges équilibrés. C’est-à-dire, que dans chaque pays les habitants puissent bénéficier intégralement des fruits de leur production. Tout le contraire du « monde qui est mort et enterré » que vous évoquez, non ?

      Le problème est précisément que le monde que vous évoquez n’est pas si « mort et enterré » que ça. L’économie mondiale a bien entendu changé : loin d’interdire le textile indien pour faire tourner les manufactures de Manchester, le capital installe ses manufactures en Inde… et ramène les produits manufacturés en Europe. En d’autres termes, on a remplacé les travailleurs de Manchester par les travailleurs de Bangalore, mais le produit finit toujours au même endroit, c’est-à-dire, chez ceux qui peuvent l’acheter. C’est ça, la grande contradiction du capitalisme « mondialisé » : en produisant là où il peut payer les salaires les plus faibles, le capital réussit à concentrer dans ses mains la valeur ajoutée et à réduire en permanence la part qui va au travail. Seulement, une fois qu’on a produit il faut vendre, et donc avoir des clients solvables. Et qui sont ces clients ? Pas les travailleurs des pays ou les biens sont produits, puisqu’on va produire là ou les salaires – et donc le pouvoir d’achat – est minimal. Pas les travailleurs des pays développés, mis au chômage par les délocalisations. Pas les bourgeois, qui sont trop peu nombreux même s’ils sont très riches…

      Alors, qui ? Pour répondre à cette question, on arrive à des absurdités : les chinois prêtent de l’argent qui ne sera jamais rendu aux américains puisqu’ils continuent à acheter leurs produits. Les émergents prêtent aux états développés empruntent de l’argent qu’ils ne pourront jamais rendre pour soutenir la consommation des classes moyennes. Ne trouvez-vous pas absurde que la Chine paye ses travailleurs au lance-pierres alors qu’elle donne de l’argent – car un prêt qui ne peut être remboursé est en fait un cadeau – aux classes moyennes américaines pour que celles-ci achètent les produits chinois ? N’est-ce pas aussi absurde que la ruine de l’industrie textile indienne pour faire travailler Manchester ? Chaque capitaliste va là où il peut payer ses travailleurs au minimum, tout en espérant que les autres continueront à payer leurs travailleurs au maximum pour qu’ils puissent acheter ses produits… vous voyez que ce système ne marche qu’aussi longtemps que les « délocaliseurs » ne sont pas trop nombreux. Dès lors que la délocalisation devient la norme, le système entre en crise.

      [Le reste du monde émerge ou a déjà émergé.]

      Et bien, pas tant que ça en fait. Les « émergents » sont toujours aussi dépendants du monde développé. A votre avis, pourquoi les négociations commerciales internationales tournent toujours sur la question de l’ouverture des marchés américain et européen ? Après tout, les Etats-Unis et l’Europe ne représentent à eux deux moins de 10% de la population mondiale. Seulement, c’est là que se trouvent les acheteurs solvables. Sans eux, les émergents coulent, parce que leur consommation intérieure n’est pas suffisante pour tirer leur industrie. C’est cela, le grand paradoxe : pour « émerger » dans l’économie mondialisée, il faut maintenir les salaires faibles. Or, qui dit salaire faible dit faible consommation, donc faibles débouchés internes. Ces économies ne fonctionnent donc que s’il y a quelque part une économie qui paye de bons salaires et permet donc à ses salariés d’acheter ses produits…

      [Nous avons déjà eu cette discussion une fois. Le recul de la pauvreté dans les pays émergents est une réalité, ce n’est pas une opinion qu’on peut contester ou discuter, c’est un fait.]

      Oui, et c’est vrai depuis que Neanderthal a taillé le premier silex, grosso modo. La question n’est pas tellement de savoir si la pauvreté recule, mais à quelle vitesse et surtout, comment sont répartis les fruits de la croissance de la productivité.

      [Il n’est pas impossible que des pays comme l’Indonésie ou le Brésil, qui croulent sous les matières premières, qui ont une main d’œuvre moins cher que nous, qui acquièrent des technologies soit par les délocalisations soit par l’acquisition d’équipement de pointe accompagnés de transfert de technologie, il n’est pas impossible que ces pays nous rattrapent et nous dépassent, s’ils sont bien gérés.]

      Pourquoi pas ? Cela ne me dérange pas le moins du monde. Je vous le répète : ce qui m’importe, c’est que les français puissent produire plus et jouir des fruits de cette production. Que les brésiliens fassent de même ne pourrait que me remplir de satisfaction. Ce que je n’accepte pas, c’est que les français perdent leur travail pour permettre aux capitalistes d’augmenter leurs revenus avec au passage une augmentation marginale du niveau de vie dans les pays d’accueil des délocalisations.

      [Notre salut ne passera certainement pas par le repli sur nous même. Il nous reste des atouts, ces nouveaux grands pays nous envient nos grandes écoles, nos élites, notre organisation, et pour l’instant encore, une certaine avance technologique … et même notre démocratie.]

      Mais cela, vous le dites vous-même, ne durera pas. S’ils ont l’argent, ils auront les écoles, les élites, l’organisation, l’avance technologique, et même la démocratie. Je pense que vous avez du mal à comprendre mon point de vue parce que vous concevez les rapports internationaux comme une « compétition », ou vous vous efforcez de trouver des « atouts » pour gagner, et ou il s’agit de ne pas « être dépassé ». Moi pas. Que les brésiliens ou les chinois soient plus riches que nous ne me dérange pas le moins du monde. Grand bien leur fasse. Moi, ce qui m’intéresse, comme je l’ai dit plus haut, c’est que nous restions maîtres de nos choix.

      [Faut-il négliger notre chance de devenir ou de rester un [« tourist resort »] comme vous dites, certainement pas !]

      Je ne vois pas où est la « chance ». Je n’ai pas envie de vivre dans un ecomusée et encore moins de devenir pensionnaire d’un parc zoologique.

      [Faut-il pour autant laisser partir toute notre industrie ? Certainement pas non plus.]

      Et pourquoi pas ? Je ne comprends pas comment à partir de votre raisonnement vous arrivez à cette conclusion.

  6. Timodon dit :

    Bonjour Descartes,

    Je souhaite moi aussi revenir à la notion de classe-moyenne que vous définissez, et qui est l’un des piliers de votre raisonnement.
    Si je comprends la nécessité de définir ce groupe pour l’analyse que vous faites, j’ai plusieurs questions qui me viennent (et je n’ai pas réellement trouvé la réponse dans vos différentes clarifications).
    Elles sont certainement très naïves, mais il ne faut jamais avoir peur de poser une question! Ce que j’espère, c’est que ce n’est pas trop brouillon.

    Premièrement, vous ne définissez pas les classes-moyennes par leur revenu, mais par leur place dans le processus de production.
    Soit, mais vous dîtes également que leur capital matériel ou immatériel leur permet, non seulement de retirer, tout ou grande partie, de la valeur qu’ils produisent, mais aussi à différents endroits de gagner suffisamment d’argent (ils préfèrent le temps à l’argent (cf 35h, défiscalisation des heures supplémentaires…), ils ont tout avantage à consommer beaucoup (grâce à la délocalisation)…).

    Je vois une contradiction dans cette double-facette. Un groupe de personne extrayant la totalité de la valeur produite, même si c’est peu fait-il partie des classes moyennes? Et quelqu’un gagnant très bien sa vie, mais étant exploité (selon le sens que vous donnez au mot exploité)?
    Deux exemples pour illustrer ma question:
    Un ingénieur consultant ferait partie, selon votre définition, des couches populaires (il est exploité, l’agence de consulting retirant le surplus de valeur).
    Pourtant, dans le même temps, il a un capital immatériel important (ce n’est pas difficile de changer d’entreprise, il n’y a qu’à voir le turnover dans ce genre d’entreprises), souvent un diplôme (il y a pas mal de demande dans le secteur, et le diplôme a encore une valeur), et il est plutôt bien payé.
    Et dans leurs comportements, il me semble clairement qu’ils agissent comme ceux que vous décrivez comme appartenant à la classe moyenne.

    Au contraire, les emplois jeunes pourraient-ils être assimilés à des classes moyennes suivant votre définition. Ils récupèrent une grande partie de la valeur produite, sans avoir spécialement de capital (leur capital est finalement d’être nombreux à chercher un emploi, ce qui oblige les politiques à les prendre en compte).
    L’état aide les entreprise qui ne pensent pas pouvoir retirer suffisamment de valeur, et qui ont besoin de cette aide pour les embaucher.

    A travers ces exemples (mais peut-être sont-ils biaisés), et à cause des deux facettes que vous prêtez aux classes moyennes, j’ai du mal à les situer.

    Mon deuxième point est sur la répartition.
    Les classes moyennes extraient autant de valeur qu’elles en produisent, si je vous suit.
    Et votre conclusion est qu’il faudrait qu’elles partagent plus avec les couches populaires.

    Là, je ne comprends pas vraiment. Si il y a spoliation, ce n’est pas les classes moyennes qui récupèrent la valeur produite par les couches populaires, étant donné qu’ils négocient pour ne pas être exploités (mais ne sont pas capables d’exploiter).
    Donc les classes moyennes ont, selon votre définition, un apport nul dans le rapport exploiteur/exploité. Il faudrait chercher la différence du côté de la bourgeoisie (ils sont peu nombreux, mais ils exploitent beaucoup).
    Pour pousser le vice jusqu’au bout, pourrait-on dire qu’un régime communiste est un régime composé à 100% de classes moyennes (je provoque, mais dans un tel cas, y a-t-il encore de l’exploitation?).

    Sur le deuxième point toujours, mais en pratique maintenant.
    En prenant les études faites sur le blog d’Olivier Berruyer (qui ont l’avantage d’être très visuelles):
    http://www.les-crises.fr/les-inegalites-de-patrimoine-en-france-1/
    http://www.les-crises.fr/inegalites-revenus-france-1/

    Est-ce possible de situer la classe-moyenne par les patrimoines? Et par les revenus?
    Et quand bien même ça ne serait pas possible, on voit que la plupart des inégalités se situe plus sur les patrimoines que sur les revenus.
    En admettant que les classes-moyennes + bourgeoisie représentent environ 30% de la population (je reprends ce que vous estimiez), les graphiques concernant le revenu ne montrent pas une différence significative entre les 50-70% les plus riche et les 70-90%.
    Et ceux sur l’évolution des ressources montrent plutôt une progression aux extrêmes (riches et pauvres), et une stagnation au centre.
    Les classes moyennes auraient donc perdu du terrain entre 1996 et 2002 puis 2002 et 2007? Ça ne correspond pas à votre analyse.
    Comment interprétez-vous ces données dans votre théorie?

    Le dernier point que je soulève (j’en ai d’autres en réserve, mais ça fait déjà pas mal pour un commentaire) concerne l’alliance entre classe moyenne et bourgeoisie que vous décrivez.
    Si je comprends bien, du point de vue politique, l’intérêt d’une alliance entre ces deux groupes, je ne comprends pas l’intérêt économique de certains agents à s’y plier.
    Pourquoi les entreprises ne prendraient pas en charge certaines formations, pour un temps, pour leur permettre d’éviter de se retrouver en face de classes moyennes qui n’acceptent pas de se faire exploiter (Les bougres!). Vous prenez souvent l’exemple de soudeur qualifié. Areva, DCNS, ou autres n’auraient-ils pas intérêt à former quelques promotions de soudeurs pour qu’ils ne soient plus aussi rares?
    L’école lancée par Xavier Niel (Free) suit-elle cette logique? Ca a beau être une stratégie de passager clandestin (ça fonctionne tant que ça permet de faire localement baisser l’influence des classes moyennes, mais si ça ce généralise, elles peuvent se rebeller politiquement), elle ne semble pas beaucoup appliquée.

    Comme vous l’avez dit, le capital des classes moyennes est précaire. Etonnant que personne ne réussisse à l’attaquer morceau par morceau (dans la sphère économique, pas politique où je comprends l’alliance).

    Allez, et une dernière disgression pour la route. Pour son anniversaire à l’Elysée, François Hollande aura eu l’idée saugrenue de se faire interviewer sur la matinale de RMC comme le premier député venu. C’est sur qu’avec ça, il va remonter dans les sondages… Le prestige de la fonction? Oublié…
    Il a toujours la capacité de me surprendre, mais jusqu’à maintenant, ça va plutôt dans le mauvais sens.

    En tout cas, merci de la qualité de votre blog, même s’il a la fâcheuse tendance à amener de nouvelles (bonnes) questions à chaque papier.

    • Descartes dit :

      @ timodon

      [Premièrement, vous ne définissez pas les classes-moyennes par leur revenu, mais par leur place dans le processus de production.]

      Exacte. C’est le fondement de mon raisonnement. Et le but d’une telle définition est de pouvoir appliquer aux sociétés où les classes moyennes jouent un rôle important les instruments de l’analyse marxiste.

      [Soit, mais vous dîtes également que leur capital matériel ou immatériel leur permet, non seulement de retirer, tout ou grande partie, de la valeur qu’ils produisent, mais aussi à différents endroits de gagner suffisamment d’argent (ils préfèrent le temps à l’argent (cf 35h, défiscalisation des heures supplémentaires…), ils ont tout avantage à consommer beaucoup (grâce à la délocalisation)…).]

      Non. Je me contente de la première partie : leur capital matériel et immatériel leur donne suffisamment de pouvoir de négociation (lorsqu’ils sont salariés) ou suffisamment de moyens (lorsqu’ils sont indépendants) pour récupérer la valeur qu’ils produisent. En d’autres termes, ils ne produisent pas de plus-value au bénéfice de quelqu’un d’autre, contrairement aux ouvriers.

      Pour des raisons politiques – c’est-à-dire, parce que la bourgeoisie a besoin dans une société démocratique d’alliés et qu’elle est donc prête à les acheter – les classes moyennes arrivent quelquefois à récupérer une partie de la plus-value extraite par la bourgeoisie aux ouvriers.

      [Je vois une contradiction dans cette double-facette. Un groupe de personne extrayant la totalité de la valeur produite, même si c’est peu fait-il partie des classes moyennes?]

      Oui. C’est là le point fondamental. L’appartenance aux classes moyennes, dans mon modèle, n’est pas liée au revenu mais à la position dans la production. Un artiste plasticien peut quelquefois gagner moins qu’un ouvrier spécialisé. Mais le premier appartient aux classes moyennes, pas le second. Et vous remarquerez que cette hypothèse se trouve confirmée dans les comportements politiques.

      [Et quelqu’un gagnant très bien sa vie, mais étant exploité (selon le sens que vous donnez au mot exploité)?]

      Il appartient au prolétariat. L’exploitation se traduit par le fait qu’une partie de la valeur que vous produisez se retrouve dans la poche de votre employeur, et cela même si vous êtes bien payé. Cela étant dit, vous voyez bien que pour pouvoir être bien payé et en plus laisser une plus-value à son patron, il faut que le travailleur soit extraordinairement productif… c’est pourquoi en général les exploités sont mal payés. Mais il y a des exceptions.

      [Deux exemples pour illustrer ma question: Un ingénieur consultant ferait partie, selon votre définition, des couches populaires (il est exploité, l’agence de consulting retirant le surplus de valeur).]

      Pas forcément. L’agence de consulting produit aussi un service (le fait de mettre en rapport le consultant avec l’entreprise, le fait de lui fournir une logistique…). Ce service doit être payé par le consultant, et le fait que l’agence garde une partie de l’argent versé par le client peut parfaitement être considéré comme le payement de ce service. En dernière instance, il faut toujours revenir au rapport entre la valeur produite par le salariée et la valeur qu’il reçoit sous forme de salaire. Dans un cabinet de consulting, souvent les consultants « partner » (qui possèdent le capital) sont rémunérés au dessus de la valeur qu’ils produisent – ils sont donc exploiteurs – et les consultants « junior » sont rémunérés au dessous et donc exploités.

      [Pourtant, dans le même temps, il a un capital immatériel important (ce n’est pas difficile de changer d’entreprise, il n’y a qu’à voir le turnover dans ce genre d’entreprises), souvent un diplôme (il y a pas mal de demande dans le secteur, et le diplôme a encore une valeur), et il est plutôt bien payé. Et dans leurs comportements, il me semble clairement qu’ils agissent comme ceux que vous décrivez comme appartenant à la classe moyenne.]

      Cela dépend de quels consultants vous parlez : « junior » ou « senior » ? Pour le consultant junior, son capital n’est pas suffisant. Sinon, pourquoi à votre avis accepte-t-il d’être exploité en travaillant dans l’agence de quelqu’un d’autre plutôt que d’installer sa propre agence ? Dans le consulting, il y a un capital immatériel (réputation, réseaux…) que l’agence a et que le consultant n’a pas. C’est ce capital qui permet d’extraire aux consultants « junior » de la plus-value. Mais le consultant, même junior, est un bourgeois en devenir puisqu’il accumule du capital qui lui permet, l’âge aidant, devenir « senior » ou s’installer à son compte. Son comportement est donc celui d’anticipation.

      [Au contraire, les emplois jeunes pourraient-ils être assimilés à des classes moyennes suivant votre définition. Ils récupèrent une grande partie de la valeur produite, sans avoir spécialement de capital (leur capital est finalement d’être nombreux à chercher un emploi, ce qui oblige les politiques à les prendre en compte).]

      On ne peut considérer la formation d’une classe à partir d’un statut temporaire. L’ouvrier au chômage reste un ouvrier. L’emploi jeune est un statut temporaire. Il est évident que s’il y avait un groupe social qui vivait toute sa vie de contrats aidés sur des postes à très faible productivité, ces couches finiraient par avoir un comportement collectif qu’on pourrait qualifier. Mais ce n’est pas- ou pas encore – le cas.

      [Mon deuxième point est sur la répartition. Les classes moyennes extraient autant de valeur qu’elles en produisent, si je vous suis. Et votre conclusion est qu’il faudrait qu’elles partagent plus avec les couches populaires.]

      Non. Mon raisonnement n’est pas prescriptif. Je ne dis pas « il faudrait que » ceci ou cela. Mon raisonnement est analytique. Je constate que les classes moyennes empochent la valeur qu’elles produisent et même un peu plus, et qu’elles ne veulent pas partager. C’est tout. Je ne dis pas que cela soit moral ou immoral, bon ou mauvais. C’est un fait.

      [Si il y a spoliation, ce n’est pas les classes moyennes qui récupèrent la valeur produite par les couches populaires, étant donné qu’ils négocient pour ne pas être exploités (mais ne sont pas capables d’exploiter).]

      Tout a fait d’accord. Le problème n’est pas là. Le problème, c’est que les classes moyennes, parce qu’elles récupèrent la totalité de la valeur qu’elles produisent, n’ont aucun intérêt à un changement de société. Au contraire, elles ont intérêt que tout continue comme maintenant. Et en particulier, elles ont intérêt à casser l’ascenseur social, puisque la promotion des enfants des couches populaires créerait une concurrence pour ses propres enfants qui réduirait leur pouvoir de négociation et donc leur capacité à récupérer la valeur qu’elles produisent.

      C’est d’ailleurs pour cela que les classes moyennes sont faciles à acheter par la bourgeoisie lorsqu’elle a besoin d’alliés politiques. Dans ce cas, elle leur rétrocède une partie de la plus-value qu’elle extrait des couches populaires. Et du coup, les classes moyennes ont encore moins envie que les choses changent…

      La conclusion de mon raisonnement est en fait qu’il est illusoire d’attendre des classes moyennes qu’elles jouent un rôle révolutionnaire ou même progressiste.

      [Pour pousser le vice jusqu’au bout, pourrait-on dire qu’un régime communiste est un régime composé à 100% de classes moyennes (je provoque, mais dans un tel cas, y a-t-il encore de l’exploitation?).]

      Pas tout à fait. Le communisme n’est pas un projet ou chacun reçoit ce qu’il produit, mais un projet ou chacun reçoit selon ses besoins et produit selon ses capacités. Ce n’est pas tout à fait la même chose…

      [Est-ce possible de situer la classe-moyenne par les patrimoines? Et par les revenus?]

      Pas par les patrimoines, puisque le « patrimoine immatériel » n’est pas mesuré statistiquement. Combien vaut un diplôme de polytechnicien, en termes « patrimoniaux » ? Le revenu donne une indication, parce que la productivité étant ce qu’elle est on peut donner une fourchette pour la valeur produite par un individu, mais cette fourchette est tellement large qu’il est difficile d’en tirer des conclusions.

      [Et quand bien même ça ne serait pas possible, on voit que la plupart des inégalités se situe plus sur les patrimoines que sur les revenus.]

      Oui, mais il faut faire attention lorsqu’on évalue les patrimoines. Prenons un exemple : imaginons une ville de 1000 foyers composée d’appartements identiques, chacun possédant son appartement et chaque appartement valant au prix du marché 100.000 €. Quel est le patrimoine cumulé de tous ces gens ? La réponse intuitive est « 100 millions ». Mais c’est faux : si tous les appartements étaient mis en vente en même temps, le marché s’effondrerait et la valeur qu’on retirerait serait bien moindre. En d’autres termes, il faut faire attention à ce que l’estimation du patrimoine est toujours une estimation « marginale ».

      Il y a une illusion monétaire lorsqu’il s’agit d’estimer les patrimoines. La « valeur » monétaire d’un bien est sa capacité à être transformé dans un autre bien. Or, les patrimoines estimés dépassent de très loin la quantité de biens disponibles à l’achat. Cela vous indique que la valeur estimée est virtuelle : elle n’existe qu’aussi longtemps que vous ne cherchez pas à la réaliser…

      [Les classes moyennes auraient donc perdu du terrain entre 1996 et 2002 puis 2002 et 2007? Ça ne correspond pas à votre analyse.]

      Il faut faire très attention avec ces données, parce qu’elles ne tiennent compte que du revenu monétaire pour le calcul du niveau de vie. Or, la société distribue des biens par d’autres mécanismes que le revenu monétaire. Ainsi, par exemple, nous recevons des services publics (éducation, sécurité…). Si le revenu reste constant mais que l’école des pauvres se dégrade et celle des classes moyennes non, diriez-vous que le niveau de vie est resté globalement constant ?

      Par ailleurs, Berruyer classe assez arbitrairement les « classes moyennes » dans les 4ème à 6ème déciles. Mais si l’on suppose que les classes moyennes représentent autour de 20% de la société (c’est mon hypothèse), ce sont les 9ème et 10ème décile qu’il faut regarder, la bourgeoisie étant négligeable en termes démographiques. Et on peut observer alors que si la partie la moins riche des classes moyennes perd un peu de terrain, la plus riche en gagne.

      [Si je comprends bien, du point de vue politique, l’intérêt d’une alliance entre ces deux groupes, je ne comprends pas l’intérêt économique de certains agents à s’y plier. Pourquoi les entreprises ne prendraient pas en charge certaines formations, pour un temps, pour leur permettre d’éviter de se retrouver en face de classes moyennes qui n’acceptent pas de se faire exploiter (Les bougres!).]

      Bonne question : pourquoi la bourgeoisie ne remet pas en marche l’ascenseur social, ce qui créerait une saine concurrence et réduirait le pouvoir de négociation des classes moyennes ? Seulement, chaque fois que la bourgeoisie a essayé, les classes moyennes ont montré les dents, grogné, et en dernière instance menacé de s’allier aux couches modestes. Or, c’est de cette alliance que la bourgeoisie a vraiment peur. C’est pourquoi la bourgeoisie préfère finalement payer un peu plus cher les classes moyennes pour avoir la paix.

      La bourgeoisie a tout intérêt en effet à inonder le marche de l’emploi de gens bien formés (cela fera baisser les salaires), de casser les monopoles qui profitent aux classes moyennes (notaires, médecins, avocats…). Mais elle sait qu’avancer sur cette voie c’est risquer une explosion. Mieux vaut payer et laisser les classes moyennes casser l’ascenseur social.

      [Vous prenez souvent l’exemple de soudeur qualifié. Areva, DCNS, ou autres n’auraient-ils pas intérêt à former quelques promotions de soudeurs pour qu’ils ne soient plus aussi rares?]

      C’est ce qu’elles font. La rareté n’est dans ce cas qu’un état temporaire.

      [Comme vous l’avez dit, le capital des classes moyennes est précaire. Etonnant que personne ne réussisse à l’attaquer morceau par morceau (dans la sphère économique, pas politique où je comprends l’alliance).]

      Beaucoup ont essayé. Mais justement parce que leur situation est précaire, les classes moyennes sont extrêmement réactives à toute tentative de toucher à ce capital. Il n’y a qu’à voir la violence avec laquelle toute réforme tendant à introduire la sélection à l’université ou a refaire de l’Ecole un instrument de promotion sociale est attaquée. Le chantage que font les classes moyennes au changement d’alliance reste très efficace. Pour combien de temps ?

      [Allez, et une dernière disgression pour la route. Pour son anniversaire à l’Elysée, François Hollande aura eu l’idée saugrenue de se faire interviewer sur la matinale de RMC comme le premier député venu. C’est sur qu’avec ça, il va remonter dans les sondages… Le prestige de la fonction? Oublié…Il a toujours la capacité de me surprendre, mais jusqu’à maintenant, ça va plutôt dans le mauvais sens.]

      Moi, il ne me surprend pas. Je mentirais si je disais que je suis un déçu du hollandisme, puisqu’il correspond parfaitement à ce que j’avais anticipé…

      [En tout cas, merci de la qualité de votre blog, même s’il a la fâcheuse tendance à amener de nouvelles (bonnes) questions à chaque papier.]

      Merci en retour de cet encouragement… ça m’aide à continuer !

    • Nos Jérémy dit :

      Bonjour.
      Cet échange sur la définition et la caractérisation des classes moyennes me paraît particulièrement intéressant. Permettez-moi de faire une demande catégorielle: comment considérez-vous le positionnement sociologique / politique des ingénieurs et scientifiques ? Il me semble qu’ils forment une catégorie un peu à part, dont je fais partie.
      J’aurais tendance à dire qu’ils font tous partie de la classe moyenne (ils sont quand même 1 million, me semble-t-il), mais leur comportement et leur composition me semble un peu différer de votre description générale:
      – nombre d’entre eux sont, encore, plus attachés à la méritocratie qu’aux réseaux, même si les écoles d’ingénieurs nous enseignent de plus en plus que les réseaux sont incontournables; je veux bien croire cependant qu’ils ne défendent pas avec acharnement l’école républicaine, souhaitant favoriser leurs enfants;
      – la méritocratie fonctionnant encore un peu pour cette catégorie, il me semble qu’elle est davantage composée de personnes issues des classes populaires que les autres catégories de classes moyennes; mais c’est peut-être un biais lié à mon cas particulier (mon père est technicien; ma mère est agent EDF); avec votre définition, je ne sais d’ailleurs plus vraiment si je viens de la classe moyenne, ou de la classe populaire…
      – nombre d’entre eux sont attachés à ce que la France reste industrielle, même si certains peuvent parfois rêver garder les postes d’ingénieurs en France tout en mettant les usines à l’étranger…
      Vous semblez également proches de ce milieu (vous travaillez dans le nucléaire). Quelle est votre opinion sur cette catégorie que je trouve un peu à part ?

    • Descartes dit :

      @ Nos Jeremy

      [Permettez-moi de faire une demande catégorielle: comment considérez-vous le positionnement sociologique / politique des ingénieurs et scientifiques ? Il me semble qu’ils forment une catégorie un peu à part, dont je fais partie.]

      Vous posez une question qui n’a pas de réponse. Lorsqu’on définit des catégories socio-économiques dans le cadre marxiste, c’est parce qu’on fait l’hypothèse que les individus placés dans la même situation vis-à-vis du système de production partagent – globalement – des intérêts communs et ont donc – globalement – des comportements similaires. On peut donc parler de « intérêt de classe » ou de « comportement de classe ». Non pas parce que ces intérêts ou comportements sont ceux de TOUS les membres du groupe, mais parce qu’ils déterminent EN MOYENNE le comportement du groupe.

      C’est pourquoi la question de savoir « a quelle classe j’appartient, moi-même, en tant qu’individu » n’a pas beaucoup de sens. Chacun de nous a des intérêts variés, dont certains relèvent de ce qui est « moyen » dans un groupe et d’autres d’un autre. Et même chose pour les comportements. Vous trouverez des individus bourgeois qui se mettront en quatre pour leurs ouvriers, et au contraire des individus ouvriers qui défendront à mort la libre entreprise et le droit pour chacun d’exploiter son voisin. L’une des grandes erreurs des gauchistes est de croire que l’appartenance à un groupe détermine les conduites individuelles, que tout bourgeois était par essence un ennemi. Ce n’est pas le cas : il faut distinguer une détermination générale, statistique, d’une détermination individuelle.

      [J’aurais tendance à dire qu’ils font tous partie de la classe moyenne (ils sont quand même 1 million, me semble-t-il), mais leur comportement et leur composition me semble un peu différer de votre description générale:]

      Pourquoi « tous » ? Je pense que vous faites erreur en supposant que les « ingénieurs et scientifiques » forment un groupe homogène, et qu’ils doivent donc être classés en bloc. Pensez-vous que l’ingénieur qui organise le travail d’un atelier ou l’ordonnancement d’un chantier ait la même place dans la production et les mêmes intérêts que celui qui dirige la conception d’un nouveau produit ou que celui qui travaille dans un laboratoire de recherche fondamentale ? Sans parler de celui qui dirige une entreprise ou siège dans un conseil d’administration…

      Les ingénieurs et scientifiques ont des comportements différents parce qu’ils appartiennent en fait à des classes sociales différentes. Et d’ailleurs leurs comportements politiques et électoraux ne sont pas du tout les mêmes. Vous trouverez beaucoup plus de syndiqués CGT parmi les ingénieurs de production d’EDF que parmi ceux qui forment son conseil d’administration.

      [- nombre d’entre eux sont, encore, plus attachés à la méritocratie qu’aux réseaux, même si les écoles d’ingénieurs nous enseignent de plus en plus que les réseaux sont incontournables; je veux bien croire cependant qu’ils ne défendent pas avec acharnement l’école républicaine, souhaitant favoriser leurs enfants;]

      L’ingénieur « à la française » est un pur produit de la méritocratie républicaine. Il ne faut pas oublier que la plupart des grandes écoles – le lieu de formation traditionnel des ingénieurs – ont été créées par la Revolution et l’Empire pour promouvoir les nouvelles élites qui devaient remplacer l’aristocratie ancienne. Et même sous la monarchie, les écoles comme l’école Royale des ponts et chaussées ont été créées par une monarchie consciente que le rang et la naissance nobiliaire c’était bien, mais que si on voulait des cadres compétents il fallait les chercher par sélection au mérite comme on l’a fait pour Vauban ou Colbert. C’est pourquoi, pour le moment, le monde des ingénieurs reste idéologiquement très saint-simonien et donc attaché à l’idée méritocratique : c’est après tout sur le mérite qu’il fonde sa légitimité.

      Les écoles d’ingénieurs, malgré tous les efforts pour les « libéraliser », conservent encore – pour combien de temps ? – une partie de cet héritage. Et le conserveront probablement aussi longtemps que la sélection à l’entrée se fera par concours, et que leur légitimité restera donc essentiellement méritocratique. Mais vous aurez observé les attaques contre cette forme de recrutement, et la multiplication des « filières parallèles » de recrutement sur dossier – c’est-à-dire, par réseau ou par conformité sociale.

      [- la méritocratie fonctionnant encore un peu pour cette catégorie, il me semble qu’elle est davantage composée de personnes issues des classes populaires que les autres catégories de classes moyennes;]

      Oui, mais de moins en moins. Les écoles d’ingénieurs comptaient au début des années 1960 presque 10% de fils d’ouvriers et d’employés. Ils sont moitié moins aujourd’hui, même s’ils restent, à niveau équivalent, plus nombreux que dans l’enseignement universitaire « sans sélection ». Lorsque les classes moyennes ont cassé l’ascenseur social, elles ont d’ailleurs fait des pieds et des mains pour en finir avec les classes préparatoires et les grandes écoles. Elles n’ont pas réussi, mais ont quand même réussi à limiter l’accès des concurrents par la voie des « sélections sur dossier » et autres ruses de sioux.

      [mais c’est peut-être un biais lié à mon cas particulier (mon père est technicien; ma mère est agent EDF); avec votre définition, je ne sais d’ailleurs plus vraiment si je viens de la classe moyenne, ou de la classe populaire…]

      Je vous ai expliqué plus haut pourquoi définir une « classe » pour un individu donné est un travail hasardeux et surtout, inutile. Vous êtes qui vous êtes. Ensuite, vous pouvez vous poser la question de quels sont vos intérêts. Vous trouverez que certains vous lient aux classes moyennes, d’autres au prolétariat, d’autres encore à la bourgeoisie…

      [- nombre d’entre eux sont attachés à ce que la France reste industrielle, même si certains peuvent parfois rêver garder les postes d’ingénieurs en France tout en mettant les usines à l’étranger…]

      Ou d’aller travailler dans des banques, ou concevoir des jeux vidéo. Les ingénieurs participent, malheureusement, à la désaffection générale de la société française pour son industrie. Combien de jeunes polytechniciens ou centraliens rêvent d’aller diriger une centrale électrique ou une usine métallurgique ? Fort peu, j’en ai bien peur…

      [Vous semblez également proches de ce milieu (vous travaillez dans le nucléaire). Quelle est votre opinion sur cette catégorie que je trouve un peu à part ?]

      J’ai été immergé dans le milieu des ingénieurs toute ma carrière. C’est un milieu très particulier : alors qu’il tend économiquement à se rapprocher des classes moyennes, puisque ses membres détiennent un capital important qu’ils peuvent négocier fort cher, il est du point de vue « sociétal » bien plus proche de la classe ouvrière avec laquelle elle partage un fort conservatisme sur les questions « sociétales » – pour ne donner qu’un exemple, on divorce beaucoup moins chez les ingénieurs que dans l’ensemble de la population -, une conception hiérarchique de la société et à la légitimité méritocratique. C’est aussi, parmi les couches moyennes, celle qui fréquente le plus et connaît donc le mieux le monde ouvrier, un monde qui reste un mystère fantasmé pour l’essentiel des classes moyennes. D’où un comportement socio-politique très différent de celui du reste des classes moyennes dont ils sont, économiquement, assez proches.

  7. Alain Brachet dit :

    Bonjour,
    J’ai interrompu le dialogue que nous avions entamé à la suite de votre texte « C’est la chute finale » et qui portait sur la question des couches ou classes moyennes. Je pense que nous commencions à tourner en rond, peut-être parce que je ne réussis pas à parfaitement comprendre votre point de vue ? Je découvre qu’une réflexion similaire est entamée par plusieurs de vos correspondants : v2s, Timodon et Nos Jérémy, notamment, à la suite de votre texte « C’est notre industrie qu’on tue ». Comme j’ai quelques réflexions sur ce texte, j’en profiterai pour revenir aussi sur la question des classes moyennes me disant que si ce sujet intéresse d’autres que nous, donc est l’occasion de divers débats, cela me permettra peut-être d’y voir plus clair…car je persiste à penser que cette question est importante de nos jours.
    A propos du texte chapeau « C’est notre industrie qu’on tue ».
    Pédagogie : J’ai trouvé dans votre longue réponse à v2s un passage d’une remarquable pédagogie. Elle est un exemple de ce que pourrait être l’éducation politique populaire ou l’éducation politique des adhérents d’un parti comme le PCF, car elle conjugue la « raison raisonnante » et l’approche marxisante de l’analyse du monde tel qu’il est…en vue de le changer !En outre elle est exprimée dans un langage « de tous les jours », donc compréhensible par tout le monde.
    Gaz de schiste : Je ne suis pas spécialiste. Mais je trouve votre défense des gaz de schiste par référence à l’exemple Total en France, pas très convaincante. Même si Total a fait appel à la fracturation hydraulique sur ses propres forages pétroliers, était-ce la même technique que l’actuelle, et surtout, était-ce sur une échelle suffisamment importante, permettant de mettre en évidence des « effets collatéraux » sensibles, comme cela semble le cas aux USA ? Un récent reportage américain à la télé (Arte ?) – d’ailleurs fort mal fait de mon point de vue – montre tout de même des effets peu ragoutants ! Que Total soit apte à copier les américains, est-ce suffisant pour être tout à fait tranquille ? Enfin, l’intérêt marqué par un pétrolier comme Total pour s’aligner sur ce qui se fait aux USA, n’est-il pas avant tout commercial, affaire de gros sous, et pas tellement pour l’intérêt national ?
    Nationalisation : Dans l’affaire Alstom, vous dites que la nationalisation n’a pas d’intérêt, que le problème est ailleurs. Vous avez d’une certaine manière raison car le pouvoir socialiste ou de Hollande, n’a certainement pas l’intention d’aller dans une telle direction…au plus, en paroles, se gargarise-t-il d’éventuelles nationalisations temporaires, le temps éventuel de « nationaliser les pertes, en attendant de reprivatiser les profits »…
    Je pense néanmoins que votre façon de voir assez tranchante, ne prend en compte que le versant négatif de l’affaire, évalué au seul cas considéré, probablement perdu pour toutes les raisons que vous évoquez (ce qui reste cependant à démontrer).
    Pour moi, les nationalisations pour des industries vitales dans un pays industriel ont plus que jamais à être tentées. Et d’abord, dans ce but, à être réhabilitées aux yeux de l’opinion. Car la dévalorisation de ce processus par la droite aussi bien que (surtout ?) du côté socialiste (sans parler des écolos) ne date pas d’hier et ne faiblit pas…ce qui montre bien, par l’absurde, que ce processus est redouté par le Capital (au sens de classe capitaliste et ses serviteurs zélés). Donc qu’il faut continuer à s’y intéresser, quand on veut améliorer les choses et même changer le monde…
    Ancien agent EDF, j’ai pu constater que la chose n’est pas facile, puisque le mot nationalisation est redouté par beaucoup de syndiqués CGT du syndicat actuel d’EDF (la FNME -CGT). J’ai eu diverses discussions dans ce cadre avec des adhérents plus jeunes et, il faut bien en convenir, très « formatés » par la pensée ambiante en la matière. On se refuse là à utiliser autre chose que le concept de « pôle public de l’énergie » dont on ne sait pas très bien de quoi il s’agit (y compris par ceux qui le promeuvent !) dont on n’a pas d’exemple ancien de mise en œuvre (au contraire d’une entreprise nationalisée) et dont un simulacre récent envisagé par le pouvoir socialiste pour la SNCF (la création de trois entités à la place d’une entreprise intégrée) pourrait bien préfigurer ce type de concept. A savoir : une « usine à gaz » permettant plus facilement une plus grande privatisation de l’entreprise.
    Je pense qu’il faut au contraire proposer systématiquement la nationalisation lorsque des entreprises privées ou mixtes, voire plus ou moins étatisées ou nationalisées, fonctionnant désormais comme des entreprises privées pour faire du profit, sont mises en difficulté. Et je pense qu’un type d’entreprise nationalisé est nécessaire pour les grandes entreprises fournissant des biens ou des services d’intérêt général (énergie, transport, banque, assurances, information, télécom…) pour lesquelles la notion de concurrence prise dans le bon sens (faire des produits ou services meilleurs au moindre coût) n’a pas à utiliser pour y arriver la concurrence commerciale, qui biaise toujours cet objectif, mais la recherche par des équipes compétentes, honnêtes, motivées (et pas pour le profit mais pour la qualité) de l’optimisation technique et scientifique, visant un tel résultat. Ce type d’équipes est plus facile à constituer dans une entreprise non obnubilée par le profit : ce qu’était davantage EDF… «de mon temps » !
    Pour moi, agir ainsi c’est préparer pas à pas les esprits, et tester des méthodes de gestion qui devraient un jour ouvrir la voie à ce que je nomme, avec quelques autres, un « socialisme du 21ème siècle » voire un « écosocialisme » (terme que je n’aime pas, mais qui plaît à certains, avec lesquels je crois néanmoins utile de travailler, ce qui peut impliquer de ne pas, d’emblée, les contrarier sur la terminologie…)
    L’exemple à suivre : l’Allemagne. En sus des arguments que vous développez et auxquels je souscris, il y a un aspect qui à mon avis est insuffisamment mis en avant et qui est un élément toujours présent dans le système capitaliste. C’est un système inégalitaire par essence : le riche, le puissant, l’intelligent, le cynique, l’égoïste, etc… une fois qu’il a acquis une position dominante, que ce soit au niveau individuel ou collectif (classe, nation, groupe de nations…) a acquis du même coup des atouts supplémentaires, qu’il est difficile de remettre en question, et même de copier en espérant utiliser les mêmes recettes qui ont fait leur preuves. L’Allemagne a en Europe acquis ce leadership et il est vain de vouloir la copier pour la détrôner sur son propre terrain. Donc, qu’on nous ne nous bassine pas continuellement avec cet exemple germanique à suivre. Il faut chercher autre chose. L’Allemagne tient la place et ne l’abandonnera pas pour nous faire plaisir (on le voit d’ailleurs constamment)…
    Terminologie :
    La bourgeoisie : Un de vos intervenants s’étonne de l’emploi de ce mot pour désigner la classe capitaliste. Je suis assez en accord avec cette remarque. Le mot bourgeoisie viendrait de Marx, du Manifeste de 1848, au sens précédent. Ne connaissant pas la langue allemande, j’ignore en fait si cette traduction est convenable pour aujourd’hui, et même si elle l’était du temps de Marx ? Le mot bourgeoisie de nos jours a une connotation plus sociétale : on s’embourgeoise, par exemple, quand on copie les grands de ce monde par le tape-à-l’œil, le bling bling, le boboïsme, etc… Mais tout cela n’évoque pas, et voile même, le fait majeur : l’exploitation. C’est pourquoi, pour être clair, je préfère utiliser le terme de « classe exploiteuse »… Je pense que l’on a toujours intérêt à mettre les points sur les i, quand tous les serviteurs zélés de cette classe-là, s’ingénient jusque dans le vocabulaire à noyer le poisson.
    Dans le même ordre d’idées (voir mes précédentes interventions) je pense qu’il faut continuer à parler d’abolition du capitalisme et non de son « dépassement » pour être bien compris de ceux à qui l’on s’adresse. Pour le commun des mortels le dépassement du capitalisme ne veut rien dire (ils n’ont pas lu Marx, ce qui peut-être leur permettrait de donner corps à cette subtilité…). Et puis quoi ! Le 4 août on a aboli les privilèges, on ne les a pas dépassés… Il est vrai que ceux-ci ont été plus tard remplacés par d’autres. Mais est-ce que ce retour de bâton aurait été mieux anticipé si on avait dit qu’on dépassait les privilèges ? Appelons un chat, un chat… On pourrait continuer les exemples de ce genre (j’ai cité plus haut le mot nationalisation, remplacé par « pôle public »), on pourrait même ajouter le remplacement coutumier du terme d’exploitation capitaliste par celui de « dictature des marchés financiers », etc…etc…
    Classe ouvrière : Contrairement aux exemples précédents, ce terme est toujours en vigueur, surtout à l’extrême gauche. Dans le but d’être tout à fait clair et compréhensible, je pense quant à moi que ce terme devrait être utilisé aujourd’hui avec prudence et à bon escient car, comme le terme bourgeoisie, il est désormais chargé de connotations ou significations ambiguës. Certains, surtout donc à l’extrême gauche, associent la signification de classe, et la signification sociologique. C’est particulièrement net pour un parti comme le PCOF ! Cela revient à ne voir d’opposant résolu au capitalisme (et donc capables de « faire la révolution » !) que dans les ouvriers (au sens sociologique). On restreint ainsi l’ensemble des combattants potentiels du capitalisme, à une seule fraction de ceux qui souffrent de son hégémonie, de son pouvoir d’exploitation, bien évidemment de différentes façons (voir plus loin). Et on est en difficulté quand on constate qu’une fraction importante de cette classe ouvrière se tourne vers Le Pen ! Ne comptabiliser dans les forces en présence, que la classe capitaliste d’un côté et, d’autre part, qu’une fraction, aussi combative soit-elle (les ouvriers sociologiques) n’ouvre pas de perspectives évidentes de « dépasser » (non : d’abolir un jour !) le capitalisme. C’est pourquoi j’ai proposé de parler d’une « classe des exploités en tous genres et toutes intensités », qu’on peut résumer en « classe des exploités » pour mieux rendre compte d’une situation qui n’est pas sans issue…car ceux-ci , dans leur grande variété, sont très largement majoritaires dans un pays développé comme la France aujourd’hui. Ce qui, quelle que soit la voie que l’on veut prendre (révolution pure et dure, ou « révolution citoyenne ») crédibilise statistiquement ces deux approches. Ce qui m’amène inéluctablement à rouvrir ou prolonger ce débat en revenant sur ce sujet : les classes moyennes…
    Classes moyennes : J’ai noté qu’un des intervenants développe quelques arguments pour étendre, comme je le fais, l’idée d’exploitation dans le champ de ce que l’on désigne comme couches moyennes. Il réfute votre idée qu’à ce niveau, il n’y aurait pas d’exploitation, pas de prélèvement de plus-value, qu’on y serait « payé » pour son travail exclusivement. Je ne connais pas d’études économiques ou sociologiques qui démontreraient cette assertion, mais je pense que l’on peut trouver des éléments épars qui étayent la thèse contraire (ma thèse et peut-être celle de ce correspondant ?). Je vais peut-être répéter des choses déjà dites, mais je les regroupe ici.
    1) Notion « d’exploité total », concept que je crois équivalent à celui de prolétaire, ou travailleur appartenant à la classe ouvrière. Vous m’aviez repris sur ce terme-là en disant qu’il n’y a pas d’exploité « à mort », d’exploité total, de nos jours. J’en suis bien convaincu. L’ « exploité total » est pour moi, celui de qui le Capital prélève la totalité de la plus-value qu’il fournit, pour ne lui laisser, selon la terminologie marxienne (sauf erreur) que « ce qui est nécessaire pour reconstituer sa force de travail », le strict nécessaire pour vivre et demeurer un travailleur non diminué, donc moins productif. Bien évidemment cette définition se prête à des estimations diverses ! Ce « travailleur total », dans ce sens, n’est évidemment pas le galérien d’antan qui mourait sur sa rame et dans ses excréments, et dont on peut dire qu’il était, lui, exploité «à mort » !… Je pense que cet exploité total selon mon interprétation, est « total », dans la mesure où il ne dispose d’aucun revenu suffisant pour mettre de côté des économies conséquentes. Il ne peut devenir un actionnaire significatif, et donc à ce titre, un exploiteur, même très partiel ! Pire, de nos jours, il vit très souvent à crédit car on a inventé pour lui le « crédit à la consommation », qui est un prélèvement supplémentaire sur son salaire (par les intérêts de ses remboursements de prêt). Il y a donc bien un bas de l’échelle (il y a même plus bas, mais ne compliquons pas…)
    Au dessus de ce minimum définissant d’après moi l’exploité total, on aborde la catégorie des « exploités partiels » (dans ma terminologie). Pour parler comme tout le monde je les identifie aux « couches moyennes ». Dans cette vaste marmite, il y a différentes intensités et modes d’exploitation, c’est-à-dire de prélèvement de la plus-value. Mais tout travailleur salarié étant privé de la plus-value devient de ce fait, selon moi, un exploité: il fournit sa part au Capital, qu’il soit cadre, ingénieur, « expert et compétent » au sens de Bidet ou contremaître, technicien ou simple ouvrier de base. Mais il n’en est pas forcément conscient : c’est le problème, déjà évoqué, de la représentation (j’avais utilisé les termes un peu savants de « classe en soi » pour mettre l’accent sur le fondement objectif de l’exploitation, via la plus-value ; et de « classe pour soi » pour mettre en évidence la « représentation », c’est-à-dire la manière dont un exploité, objectivement exploité, prend conscience de cet état de fait). Et c’est d’ailleurs là qu’est le problème ! Car il n’y a pas recouvrement exact entre les deux notions : il y a beaucoup d’exploités au sens objectif, qui ne se considèrent pas comme exploités mais, par exemple…couches moyennes, plus ou moins tirées d’affaire !
    A l’opposé, c’est-à-dire du côté des hauts revenus, un phénomène similaire mais de sens inverse intervient. Le cadre supérieur, dirigeant même, s’il touche un salaire (et est donc exploité en conséquence !) est rémunéré par d’autres voies en supplément (primes, intéressement, stock option, etc…) qui ne sont plus représentatives d’un salaire mais d’une redistribution par le Capital à ces couches-là, d’une part de la plus-value que ce dernier a récupéré, et dont il a la maîtrise « libre et non faussée » pour investir, ou pour récompenser ses fidèle serviteurs. Et ceux-ci, à leur tour, en raison de leurs hauts revenus, peuvent boursicoter, jouer au capitaliste pur et dur. Je ne m’étends pas plus sur une problématique que j’ai déjà développée. Mais je voudrais ajouter un point.
    Vous défendez l’idée que cet ensemble de couches moyennes (pour moi : « exploités partiels ») forment une « classe en soi » qui s’oppose en quelque sorte d’un côté à la classe capitaliste, de l’autre, à la classe, disons, ouvrière (ou des exploités totaux dans ma terminologie). Un de vos arguments est que ces couches moyennes, ne sont pas exploitées, mais rémunérées à leur juste travail. Vous considérez même, si j’ai bien compris, qu’ils disposent d’un « capital intellectuel » (leur expertise ou leur compétence au sens de Bidet). Ce qui concrètement les rapproche des capitalistes purs et durs, puisqu’ils détiennent aussi un capital. Ce qui, finalement, les met dans le même camp, opposé aux exploités réduits aux seuls ouvriers et assimilés. D’où, comme dit plus haut, un combat de classe déséquilibré au profit des cette vaste classe d’exploiteurs, on pourrait dire : en tous genres, c’est à dire, « totaux » (le Capital) et plus ou moins « partiels » (les couches moyennes).
    Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation. Et je vois pour ma part deux raisons principales à cela : 1) On ne peut plus nier qu’une vaste couche de classes moyennes salariées et plutôt intellectuelles (représentant une proportion non négligeable de cadres, ingénieurs, etc…dans notre société actuelle) est victime d’une souffrance au travail, par excès de stress, de peur de mal faire et d’être déchue de sa position acquise. 2) Je conteste d’autre part la notion de « capital intellectuel ». L’expertise et la compétence n’ont pas les caractéristiques d’un capital (productif ou financier). Je vois ainsi une différence significative à cet égard dans le fait qu’un expert et compétent au chômage, qui ne travaille pas dans sa spécialité, voit son bagage (j’ai failli utiliser le mot de capital !) d’expert et compétent, se dévaloriser. Il ne le maintient ou ne le développe significativement que lorsqu’il travaille, lorsqu’il en use. Et c’est bien lui qui en souffre ! Il n’a pas de recours véritable, même si, au chômage, il s’inscrit en fac pour se maintenir ou repartir à zéro… comme l’étudiant fraîchement émoulu. Le capitaliste, qui voit ses actions baissées en Bourse…peut les revendre et rattraper ou tenter de rattraper ses pertes ? Ce n’est pas un drame, puisque le système capitaliste est ainsi fait (et a été ainsi fait, pour lui !). S’il le veut (mais il risque de gagner moins, car le système est fait pour gagner le plus possible, et les prudents sont un peu sanctionné par le système) il peut préserver totalement son capital (sa richesse) en achetant des œuvres d’art (un Manet, un Picasso, etc… ) Dans ce monde où il y a toujours plus de gens riches et de plus en plus riches…en revendant son trésor pictural, il sera toujours gagnant ! Je ne vois pas d’équivalent à ces avantages attachés au capital productif ou financier, pour l’expert et compétent qui se dévalue en étant au chômage…
    En fait, je pense que cette notion de capital intellectuel est destinée à cacher la réalité. Le bagage d’expertise et de compétence est, dans son principe, commun à tous les travailleurs salariés (et d’autres, mais je n’ai pas regardé la question de ce côté-là). Ce bagage n’est évidemment pas le même en terme de contenu entre l’ouvrier et l’ingénieur. Mais il n’est pas qualitativement différent : c’est « la force de travail » au sens marxien. Chacun de ces travailleurs vend sa force de travail au capitaliste. Ils sont dans la même galère, ils sont « frères de classe »…tout au moins quant au fondement concret des « rapports de production ». Mai, bien évidemment, et on l’a déjà dit, la conscience qu’ils en ont, la « représentation », n’est pas tout à fait la même pour les uns et les autres. Et c’est bien là qu’il faut faire avancer les choses.
    Je me répète. Donner un fondement théorique comme je tente de le faire à l’existence de couches sociales diverses mais ayant un commun dénominateur (l’exploitation, la plus-value), c’est donner des moyens supplémentaires de les unir de leur permettre de lutter et d’abattre in fine l’exploitation, le Capital. C’est donner une autre dimension au combat de ces exploités. Car sinon, sur quoi se baser ? Sur des considérations de bon sens : l’union fait la force, plus on est nombreux meilleur c’est… Naturellement ces considérations de bon sens sont à saisir. Mais en rester là, sans vision théorique de fond, c’est ouvrir la porte à l’opportunisme : pour s’unir on fera des concessions, on cherchera à gommer des différences de fond, que la théorie bien appliquée éviterait de faire ? C’est malheureusement ce qui se passe aujourd’hui quand le PC, par exemple, cherche à tout prix à s’unir à un PS dont on peut considérer, sur la base d’un raisonnement fondé sur la démarche que je propose, qu’il n’est plus un allié possible…puisque allié au Capital !

    • Descartes dit :

      @ Alain Brachet

      [Gaz de schiste : Je ne suis pas spécialiste. Mais je trouve votre défense des gaz de schiste par référence à l’exemple Total en France, pas très convaincante. Même si Total a fait appel à la fracturation hydraulique sur ses propres forages pétroliers, était-ce la même technique que l’actuelle, et surtout, était-ce sur une échelle suffisamment importante, permettant de mettre en évidence des « effets collatéraux » sensibles, comme cela semble le cas aux USA ?]

      Oui, l’échelle est parfaitement suffisante. Lorsqu’on ne cimente pas proprement un puits, on risque de polluer la nappe phréatique. Lorsqu’on le cimente correctement, on réduit ce risque à un niveau tolérable. Mais je ne vois pas de quelle « défense des gaz de schiste » vous parlez. Ce que je « défends », c’est moins les gaz de schiste qu’une approche raisonnable et raisonnée des questions technologiques. Il y a peut-être de bons arguments pour s’abstenir d’exploiter les gaz de schiste. Mais ceux qui sont balancés dans le débat public ne sont ni raisonnés, ni raisonnables. C’est une variation de plus sur le mode du terrorisme intellectuel écolo.

      [Un récent reportage américain à la télé (Arte ?) – d’ailleurs fort mal fait de mon point de vue – montre tout de même des effets peu ragoutants !]

      Si vous analysez le monde à partir des documentaires d’Arte, vous risquez de très graves déceptions.

      [Que Total soit apte à copier les américains, est-ce suffisant pour être tout à fait tranquille ?]

      Non. Mais que Total soit capable de faire mieux que les américains, oui.

      [Enfin, l’intérêt marqué par un pétrolier comme Total pour s’aligner sur ce qui se fait aux USA, n’est-il pas avant tout commercial, affaire de gros sous, et pas tellement pour l’intérêt national ?]

      Mais d’où sortez-vous cette idée que Total veuille « s’aligner sur ce qui se fait aux USA » ? Total a au contraire toujours soutenu que l’exploitation des gaz de schiste en Europe ne pourrait pas se faire sur le modèle américain. De Margerie l’a encore réaffirmé dans un récent entretien avec les journalistes.

      [Pour moi, les nationalisations pour des industries vitales dans un pays industriel ont plus que jamais à être tentées. Et d’abord, dans ce but, à être réhabilitées aux yeux de l’opinion.]

      Je suis d’accord sur ce point. Sauf que pour moi, il ne faut pas les « tenter », il faut les réussir. Et pour les réussir, il faut que la nationalisation fasse partie d’une véritable politique industrielle. Nationaliser des canards boiteux condamnées à la faillite par la politique économique du jour, c’est non seulement jeter l’argent public par les fenêtres, mais surtout conforter le postulat libéral que « l’Etat est le pire des gestionnaires ».

      [Je pense qu’il faut au contraire proposer systématiquement la nationalisation lorsque des entreprises privées ou mixtes, voire plus ou moins étatisées ou nationalisées, fonctionnant désormais comme des entreprises privées pour faire du profit, sont mises en difficulté. Et je pense qu’un type d’entreprise nationalisé est nécessaire pour les grandes entreprises fournissant des biens ou des services d’intérêt général (énergie, transport, banque, assurances, information, télécom…) pour lesquelles la notion de concurrence prise dans le bon sens (faire des produits ou services meilleurs au moindre coût) n’a pas à utiliser pour y arriver la concurrence commerciale, qui biaise toujours cet objectif, mais la recherche par des équipes compétentes, honnêtes, motivées (et pas pour le profit mais pour la qualité) de l’optimisation technique et scientifique, visant un tel résultat.]

      Je suis plus pragmatique que vous. Si le critère était le fait qu’on rend un service d’intérêt général, alors il faudrait nationaliser les supermarchés et les stations service. Non, il faut réserver la nationalisation aux entreprises qui remplissent l’une ou plusieurs de ces conditions : ce sont des instruments stratégiques des politiques publiques (industrie de l’armement, banques systémiques) ; ce sont des monopoles naturels (électricité, gaz) ; elles échappent à la pure régulation économique (éducation, santé).

      [L’exemple à suivre : l’Allemagne. En sus des arguments que vous développez et auxquels je souscris, il y a un aspect qui à mon avis est insuffisamment mis en avant et qui est un élément toujours présent dans le système capitaliste. C’est un système inégalitaire par essence : le riche, le puissant, l’intelligent, le cynique, l’égoïste, etc… une fois qu’il a acquis une position dominante, que ce soit au niveau individuel ou collectif (classe, nation, groupe de nations…) a acquis du même coup des atouts supplémentaires, qu’il est difficile de remettre en question, et même de copier en espérant utiliser les mêmes recettes qui ont fait leur preuves.]

      De grâce, ne mélangeons pas tout. Le capitalisme est un système fondé sur une classe qui possède le capital et une autre qui est obligée de lui vendre sa force de travail. Point à la ligne. Les considérations sur les « plus intelligents, plus cyniques ou plus égoïstes » n’ont pas leur place dans une analyse sérieuse. Vous me rappelez le personnage de ce superbe film « tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes » qui déclare « quand nous aurons le socialisme, il n’y aura plus de peines de cœur ». Ne vous faites aucune illusion : sous le socialisme aussi les hommes plus beaux, les plus intelligents et les plus drôles auront plus de succès auprès des femmes que les autres. Le socialisme ne changera pas ça.

      [La bourgeoisie : Un de vos intervenants s’étonne de l’emploi de ce mot pour désigner la classe capitaliste. Je suis assez en accord avec cette remarque. Le mot bourgeoisie viendrait de Marx, du Manifeste de 1848, au sens précédent. Ne connaissant pas la langue allemande, j’ignore en fait si cette traduction est convenable pour aujourd’hui, et même si elle l’était du temps de Marx ? Le mot bourgeoisie de nos jours a une connotation plus sociétale : on s’embourgeoise, par exemple, quand on copie les grands de ce monde par le tape-à-l’œil, le bling bling, le boboïsme, etc…]

      Ceux qui font de la mécanique newtonienne parlent toujours de « travail » sans se soucier du sens qu’on donne à ce mot dans d’autres domaines. De la même manière, le marxisme est un cadre théorique qui a son vocabulaire, et on va pas commencer à la changer sous prétexte qu’il a un sens différent pour certains. D’autant plus que l’utilisation « sociétale » à laquelle vous faites référence est une déformation volontaire du concept marxiste par les gauchistes pour étendre la condamnation de la « bourgeoisie » à tout ce qui leur déplait.

      [Mais tout cela n’évoque pas, et voile même, le fait majeur : l’exploitation. C’est pourquoi, pour être clair, je préfère utiliser le terme de « classe exploiteuse »… Je pense que l’on a toujours intérêt à mettre les points sur les i, quand tous les serviteurs zélés de cette classe-là, s’ingénient jusque dans le vocabulaire à noyer le poisson.]

      A condition que vous entendiez par « classe exploiteuse » celle qui possède le capital…

      [Dans le même ordre d’idées (voir mes précédentes interventions) je pense qu’il faut continuer à parler d’abolition du capitalisme et non de son « dépassement » pour être bien compris de ceux à qui l’on s’adresse. Pour le commun des mortels le dépassement du capitalisme ne veut rien dire (ils n’ont pas lu Marx, ce qui peut-être leur permettrait de donner corps à cette subtilité…).]

      Franchement, en dehors de trois ou quatre spécialistes du pinaillage, tout le monde s’en fout. Pour que ce débat ait un sens, il faudrait préciser ce qu’on entend par « dépassement » et par « abolition » d’un mode de production. On peut « abolir » une institution juridique, mais cela veut dire quoi, exactement, « abolir » un mode de production ?

      [Et puis quoi ! Le 4 août on a aboli les privilèges, on ne les a pas dépassés… Il est vrai que ceux-ci ont été plus tard remplacés par d’autres.]

      Le 4 août on n’a pas aboli les privilèges en général. On a aboli les privilèges d’états, c’est à dire, les statuts juridiques personnels et héréditaires qui caractérisaient l’ancien régime. Croire que le 4 août la convention a voulu une société d’égalitariste, ou toute hiérarchie sociale aurait été abolie est faire un énorme contresens.

      [Classe ouvrière : Contrairement aux exemples précédents, ce terme est toujours en vigueur, surtout à l’extrême gauche. Dans le but d’être tout à fait clair et compréhensible, je pense quant à moi que ce terme devrait être utilisé aujourd’hui avec prudence et à bon escient car, comme le terme bourgeoisie, il est désormais chargé de connotations ou significations ambiguës.]

      Encore une fois, il ne faut jamais se laisser imposer la signification des mots. La bataille idéologique consiste aussi à défendre un cadre théorique avec le vocabulaire qui va avec. Au demeurant, le terme « classe ouvrière » est utilisé abusivement comme synonyme de « prolétariat », c’est-à-dire, de ceux qui n’ont pas de capital.

      [C’est pourquoi j’ai proposé de parler d’une « classe des exploités en tous genres et toutes intensités », qu’on peut résumer en « classe des exploités » pour mieux rendre compte d’une situation qui n’est pas sans issue…car ceux-ci , dans leur grande variété, sont très largement majoritaires dans un pays développé comme la France aujourd’hui.]

      C’est là ou réside notre désaccord. Dans la définition des contours exacts se cette « classe des exploités de tous genres et toutes intensités ». S’il s’agit de revenir à l’idée de prolétariat (c’est à dire, ceux qui n’ayant pas de capital suffisant retirent de leur travail une valeur très inférieure à celle qu’ils produisent), d’accord. S’il s’agit d’y inclure les classes moyennes au sens que je donne à ce terme, c’est non.

      [Le cadre supérieur, dirigeant même, s’il touche un salaire (et est donc exploité en conséquence !)]

      NON ! Il n’est exploité que si ce salaire est inférieur à la valeur qu’il produit. Vous semblez rattacher l’exploitation à la manière dont on est payé, et non au montant de la paye. L’exploitation tient à la différence entre la valeur produite et la rémunération reçue. Qu’elle soit reçue sous forme de salaire, de stock-options, de salaire différé ou tout autre manière de rémunération n’a guère d’importance.

      J’insiste : pour caractériser l’intérêt de classe, il faut toujours se fonder sur la comparaison entre la valeur produite et la valeur perçue en échange.

      [Vous défendez l’idée que cet ensemble de couches moyennes (pour moi : « exploités partiels ») forment une « classe en soi » qui s’oppose en quelque sorte d’un côté à la classe capitaliste, de l’autre, à la classe, disons, ouvrière (ou des exploités totaux dans ma terminologie). Un de vos arguments est que ces couches moyennes, ne sont pas exploitées, mais rémunérées à leur juste travail. Vous considérez même, si j’ai bien compris, qu’ils disposent d’un « capital intellectuel » (leur expertise ou leur compétence au sens de Bidet). Ce qui concrètement les rapproche des capitalistes purs et durs, puisqu’ils détiennent aussi un capital. Ce qui, finalement, les met dans le même camp, opposé aux exploités réduits aux seuls ouvriers et assimilés.]

      Votre exposé est contradictoire. Si je caractérise les classes moyennes comme « une classe en soi », alors il n’y a aucune raison qu’elles soient « dans le même camp » que la bourgeoisie et en opposition aux exploités. Cela veut dire au contraire que dans la lutte des classes, les classes moyennes ont leur propre « côté », et qu’ils peuvent s’allier avec l’une ou l’autre des autres classes en fonction de leurs intérêts, et des concessions que les autres sont prêts à leur consentir. Le problème, c’est que dans le contexte ou la bourgeoisie est la classe dominante, elle peut toujours offrir plus que le prolétariat…

      [Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation. Et je vois pour ma part deux raisons principales à cela : 1) On ne peut plus nier qu’une vaste couche de classes moyennes salariées et plutôt intellectuelles (représentant une proportion non négligeable de cadres, ingénieurs, etc…dans notre société actuelle) est victime d’une souffrance au travail, par excès de stress, de peur de mal faire et d’être déchue de sa position acquise.]

      Et alors ? Les bourgeois « souffrent » aussi. Eux aussi sont stressés à l’idée de perdre en bourse, de faire les mauvais choix et d’être « déchus ». Si je suis votre raisonnement, de ce fait il faudrait les classer parmi les exploités… Soyons sérieux : la « souffrance » n’est pas une catégorie de l’analyse marxienne. On n’est pas exploité parce qu’on « souffre ». L’exploitation est un mécanisme purement objectif.

      [2) Je conteste d’autre part la notion de « capital intellectuel ». L’expertise et la compétence n’ont pas les caractéristiques d’un capital (productif ou financier).]

      J’aimerais bien que vous développiez cette idée. Pourquoi les compétences ne seraient-elles pas un « capital » ?

      [Je vois ainsi une différence significative à cet égard dans le fait qu’un expert et compétent au chômage, qui ne travaille pas dans sa spécialité, voit son bagage (j’ai failli utiliser le mot de capital !) d’expert et compétent, se dévaloriser.]

      Un capital qui dort se « dévalorise » lui aussi. Une machine non entretenue perd de sa valeur, un bâtiment laissé à l’abandon aussi.

      [Et c’est bien lui qui en souffre !]

      Encore la « souffrance » ? Décidément…
      [Il n’a pas de recours véritable, même si, au chômage, il s’inscrit en fac pour se maintenir ou repartir à zéro… comme l’étudiant fraîchement émoulu.]

      On ne part jamais de zéro, vous le savez bien. Même lorsqu’on doit changer de domaine, celui qui a déjà une bonne formation est considérablement avantagé.

      [Le capitaliste, qui voit ses actions baissées en Bourse…peut les revendre et rattraper ou tenter de rattraper ses pertes ? Ce n’est pas un drame, puisque le système capitaliste est ainsi fait (et a été ainsi fait, pour lui !). S’il le veut (mais il risque de gagner moins, car le système est fait pour gagner le plus possible, et les prudents sont un peu sanctionné par le système) il peut préserver totalement son capital (sa richesse) en achetant des œuvres d’art (un Manet, un Picasso, etc… ) Dans ce monde où il y a toujours plus de gens riches et de plus en plus riches…en revendant son trésor pictural, il sera toujours gagnant !]

      Vous pourriez expliquer cela aux financiers qui se sont défenestrés pendant la crise de 1929… franchement, je trouve votre raisonnement tellement schématique que je ne sais par ou commencer. Non, les bourgeois ne sont guère plus assurés de leur position que les autres. Il arrive qu’un bourgeois soit ruiné. Non, les investissements ne sont pas tous sûrs, et on peut perdre beaucoup d’argent lorsqu’on se trompe. Le Manet et le Picasso que vous achetez peuvent être détruits par un accident ou un incendie, peuvent se révéler des faux…

      Le capital matériel et le capital immatériel sont en fait assez proches. Las seule différence est que le capital immatériel meurt en principe avec son propriétaire, qui ne peut le transmettre que par une voie indirecte, alors que le capital matériel, lui, est directement transmissible. Mais à part ce point, la différence est maigre.

      [Je ne vois pas d’équivalent à ces avantages attachés au capital productif ou financier, pour l’expert et compétent qui se dévalue en étant au chômage…]

      Le capital, lui aussi, se « dévalue » lorsqu’il est au chômage. Celui qui aurait mis au coffre un franc 1900 ne retrouverait pas grande chose vingt ans plus tard. Comme le capital immatériel, le capital matériel ne garde sa valeur que s’il « travaille ».

      [En fait, je pense que cette notion de capital intellectuel est destinée à cacher la réalité. Le bagage d’expertise et de compétence est, dans son principe, commun à tous les travailleurs salariés (et d’autres, mais je n’ai pas regardé la question de ce côté-là).]

      Le capital matériel, aussi. « En son principe », nous avons tous du « capital ». L’ouvrier le plus pauvre a chez lui un tournevis. Et c’est quoi un tournevis, sinon du « capital » ? Mais certains en ont plus, et d’autres en ont moins. Et c’est la même chose avec le capital immatériel.

      [Ce bagage n’est évidemment pas le même en terme de contenu entre l’ouvrier et l’ingénieur. Mais il n’est pas qualitativement différent : c’est « la force de travail » au sens marxien. Chacun de ces travailleurs vend sa force de travail au capitaliste. Ils sont dans la même galère, ils sont « frères de classe »…]

      Pas tout à fait. Parce que si ce n’était que « de la force de travail » qui était vendue, on comprendrait mal pourquoi l’ingénieur réussit à se faire payer quatre ou cinq fois plus cher que l’ouvrier. Cette différence vous montre qu’en dehors de sa « force de travail », l’ingénieur vend à son employeur autre chose, quelque chose dont l’ouvrier ne dispose pas. Ma théorie, c’est que ce que l’ingénieur propose, c’est son « capital immatériel ». C’est ce capital qui lui permet de négocier un meilleur salaire et, en dernière instance, de récupérer l’ensemble de la valeur qu’il produit.

      [Je me répète. Donner un fondement théorique comme je tente de le faire à l’existence de couches sociales diverses mais ayant un commun dénominateur (l’exploitation, la plus-value), c’est donner des moyens supplémentaires de les unir de leur permettre de lutter et d’abattre in fine l’exploitation, le Capital.]

      Oui, un peu comme « donner un fondement théorique » à l’idée qu’il n’existe pas de force de gravitation rendrait beaucoup plus facile de faire voler les avions… Je me répète : il faut se méfier des raisonnements ad-hoc, qui prétendent construire la théorie non à partir d’hypothèses sur le réel, mais à partir d’une conclusion préconçue à laquelle il faudrait à tout prix arriver. Or, c’est exactement ce que vous faites. Vous voulez à tout prix l’alliance entre les classes moyennes et le prolétariat, et alors vous construisez une théorie qui arrive à cette conclusion, même si pour cela il faut ignorer le réel…

      [Naturellement ces considérations de bon sens sont à saisir. Mais en rester là, sans vision théorique de fond, c’est ouvrir la porte à l’opportunisme : pour s’unir on fera des concessions, on cherchera à gommer des différences de fond, que la théorie bien appliquée éviterait de faire ? C’est malheureusement ce qui se passe aujourd’hui quand le PC, par exemple, cherche à tout prix à s’unir à un PS dont on peut considérer, sur la base d’un raisonnement fondé sur la démarche que je propose, qu’il n’est plus un allié possible…puisque allié au Capital !]

      Là, je ne vous comprends plus. Le PS est, en très grande majorité, un parti des classes moyennes. Vous venez de me démontrer, me dites vous, que les intérêts des classes moyennes et ceux du prolétariat sont les mêmes. Il s’ensuit, avec une impeccable logique, que les organisations qui prétendent représenter la classe ouvrière – comme le PCF – et celles qui représentent les classes moyennes – le PS – auraient tout intérêt à s’unir. Et maintenant vous me dites que le PS est « l’allié du capital » ?

      Voilà le genre de contradiction à laquelle conduisent invariablement les théories ad hoc. Comment expliquez-vous que le PS, parti dont l’immense majorité des militants et des électeurs appartiennent aux classes moyennes, soit « l’allié du Capital », alors que l’intérêt de classe de tous ces gens se trouve au contraire du côté des « exploités » ? Désolé, mais pour expliquer le positionnement du PS, on est obligé de conclure que l’intérêt des couches qui forment et soutiennent ce parti se trouve du côté du capital…

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