Monsieur le président…

Monsieur le président, je vous écris une lettre, que vous ne lirez probablement pas car vous n’avez pas le temps.

Pendant que vous alliez à Mont… pardon, sur la Baltique rendre visite à cette chère chancelière du Reich… pardon, d’Allemagne (1), je me suis infligé le pénible devoir de lire la prose présidentielle publiée par cette vénérable institution qu’est le journal de référence de nos élites. Pour être plus précis, la tribune intitulé « L’Europe que je veux » parue dans l’édition datée du 8 mai 2014.

Il paraît que cette tribune vous a été suggérée par toutes sortes de conseilleurs – vous savez, ceux qui ne sont pas payeurs – inquiets de la mollesse de la campagne pour les élections européennes du 25 mai et du silence présidentiel sur ces questions. Que vous ayez cédé à leurs sirènes, soit. Que vous ayez choisi pour vous exprimer le journal des soi-disant élites, pourquoi pas. Mais est-ce si difficile de trouver une plume de qualité pour mettre en forme votre pensée – si toutefois vous en avez une – et en faire autre chose qu’un défilé de lieux communs ? Est-il si difficile de trouver quelqu’un capable de trouver des références historiques et littéraires consistantes, de donner au texte un souffle ?

Il est vrai que la meilleure plume du monde ne peut mettre du génie là où il n’y en a pas. Mais elle peut tout de même en donner l’illusion, et l’illusion est importante en politique. Sous la plume de François Mitterrand, l’Europe était quand même une imposture, mais une imposture lyrique. Sous celle de votre porte-plume, c’est un devoir d’ENA en deux parties et deux sous-parties. Et encore, un mauvais devoir d’énarque, parce qu’on peut reconnaître aux anciens de cette école, à défaut du style, une certaine culture littéraire et historique, ce que le rédacteur de ce texte n’a, de toute évidence, pas. Après avoir lu ce texte, on n’a pas beaucoup avancé dans la connaissance de l’Europe que vous voulez, mais on a du mal à réprimer l’impression que vous n’avez pas vous-même la moindre idée qui aille au delà des pétitions de principe du genre « la France veut une Europe de progrès » – qui voudrait une Europe de régression ? – et la répétition des poncifs habituels sur « l’Europe c’est la paix ».

D’abord, votre plume semble avoir un petit problème de géographie. Ainsi il est écrit :

« Et pourtant, le même continent, les mêmes peuples, les mêmes nations se sont relevés et connaissent depuis lors la plus longue période de paix jamais vue dans leur histoire. Les villes ont été rebâties, le niveau de vie a décuplé, la disparition des frontières a assuré la libre circulation des personnes, et la multiplication des échanges a favorisé le retour à la prospérité. L'Europe s'est élargie. Elle est devenue le plus vaste ensemble d'Etats démocratiques et la plus grande économie du monde. A quoi devons-nous cette résurrection inouïe, cette renaissance exceptionnelle ? A l'union ! A l'union des citoyens, à l'union des économies, à l'union des nations

Dans ce paragraphe, on parle de l’Europe au sens du « continent » comme il est indiqué dans la première phrase. On est donc étonné d’apprendre que l’Europe – comme continent – se serait « élargie ». Quels sont, pour vous, les pays qui ne faisaient pas partie du continent européen en 1945 et qui en sont aujourd’hui ? Mais à cette erreur géographique s’ajoute une erreur historique : si les nations se sont relevées après 1945, si elles ont rebâti des villes, si le niveau de vie a décuplé, tout cela a été une affaire largement nationale et a été achevé bien avant la naissance de l’UE et de « la disparition des frontières » et « l’union des économies ». Les « trente glorieuses » se sont faites dans un contexte de fermeture relative des frontières et de respect sourcilleux de la souveraineté économique et monétaire de chaque Etat. L’Acte Unique en 1988 et la naissance de l’UE dans les années 1990, les deux actes qui marquent « l’union » dont parle le texte marquent au contraire l’entrée de l’Europe dans une période de croissance relativement faible et une stagnation du niveau de vie moyen. On peut toujours parler du « rattrapage » des pays de l’Est européen, mais la croissance à deux chiffres en Slovénie (deux millions d’habitants) ou en Lituanie (trois millions) peine à balancer la stagnation italienne ou française (cent millions à eux deux). La croissance moyenne de l’UE est faible, et celle de la zone euro encore plus. Difficile dans ces conditions de prétendre que « l’union, c’est la prospérité ».

Et de ce poncif, on passe à un autre. Celui, inévitable, de « l’Europe, c’est la paix ». Dans ce cas, il n’y a pas comme dans le précédent d’inexactitude historique. La période de construction européenne a coïncidé avec la plus longue période de paix qu’ait connu le continent. L’erreur, c’est de voir dans cette coïncidence un rapport de cause à effet. Et cette erreur dérive d’une vision idéaliste des causes de la guerre. Voici ce qui est écrit :

« Nous devons nous souvenir, nous Français, de ce que nous devons à l'Europe. Nous devons nous rappeler l'avertissement solennel de François Mitterrand, dans son dernier discours devant le Parlement européen : « Le nationalisme, c'est la guerre ! » Nous l'avons vu il y a soixante-dix ans, quand la civilisation a failli succomber. Nous l'avons encore vu, hélas, dans l'ex-Yougoslavie déchirée par une guerre ethnique. Nous en observons encore aujourd'hui la menace, aux confins de l'Ukraine et de la Russie. Alors répétons cette évidence fondatrice : l'Europe, c'est la paix ! »

Comme souvent, il faut se méfier des « évidences », fussent-elles « fondatrices ». On ne fait pas des guerres par « nationalisme », on les fait par intérêt matériel. Dire qu’on a envoyé des millions d’hommes à la mort en 1914-18 et qu’on a récidivé en 1939-45 juste par « nationalisme », c’est se moquer du monde. La guerre en Europe a été déclenchée par des intérêts. Et jusqu’aux années 1930, c’était une bonne affaire. 1914-18 a certainement tué beaucoup de gens, mais elle a aussi enrichi pas mal de monde. Pas seulement les « profiteurs de guerre », mais aussi les intérêts coloniaux qui ont vu disparaître un concurrent et se sont partagés les restes de son empire. La guerre, disait Clausewitz, est la continuation de la politique par d’autres moyens. Et la réciproque est aussi vraie.

Mais avec la guerre de 1939-45, les choses changent. La puissance des armes et des explosifs, le caractère massif des destructions qui fait que la guerre touche non seulement les militaires payés pour la faire mais de plus en plus les civils et surtout l’appareil productif, le coût croissant du capital humain font que la guerre devient trop chère par rapport aux avantages qu’on peut en espérer. Cette réalité devient flagrante avec l’invention de la bombe atomique, arme de destruction massive par excellence. Si on ne fait plus la guerre en Europe, ce n’est pas parce qu’on est devenus « amis ». Si vous voulez voir un exemple de la fragilité de telles « amitiés », regardez la Yougoslavie : sept nations qui ont partagé pendant un demi-siècle non seulement une monnaie unique, mais un vrai gouvernement fédéral comme le rêvent nos eurolâtres. Ce qui ne les a pas empêchés de s’étriper joyeusement lorsque les intérêts des différentes nations sont devenus trop divergents.

Regardez le vaste monde. Où se fait-on la guerre ? Dans les régions ou le capital humain est bon marché – populations faiblement éduquées et démographies importantes – et le capital susceptible d’être détruit faible. Là ou la guerre risquerait de détruire des investissements humains et matériels coûteux, on trouve d’autres moyens de s’assurer une position dominante ou de contrôler et appauvrir un adversaire. La guerre économique, a remplacé les opérations militaires. C’est un progrès sans doute, mais on est très loin de pouvoir proclamer le règne de la paix. Et surtout, cela n’a aucun rapport avec « l’Europe ».

Après ces poncifs, clairs à défaut d’être consistants, le discours devient confus. Vous semblez admettre que « L'Union déçoit. Elle révèle son impuissance face à un chômage qui sévit depuis tant d'années et dont les premières victimes sont les jeunes. Elle est à la peine avec ses institutions et ses règles compliquées. Elle est décalée quand ses injonctions exigent des sacrifices au lieu de renforcer les protections. » Mais après cette admission, on s’attendrait à ce que vous tiriez des conclusions sur les mesures à prendre. Et bien, c’est exactement le contraire : après avoir dit que l’Union est impuissante et incapable de s’occuper des problèmes prioritaires, vous consacrez plusieurs paragraphes à démontrer que tous ceux qui proposent de changer quelque chose ont tort. Alors, faut-il agir ? « Oui, il faut réguler le commerce mondial. Oui, il faut défendre nos industries. Oui, il faut lutter contre le dumping social. Mais frapper de taxes nouvelles les produits que nous consommons tous les jours aux prix les plus bas, ce serait le décrochage et, bientôt, l'appauvrissement. » En d’autres termes, « oui, il faut faire quelque chose, mais sans rien toucher ». Dès lors que ça toucherait « les produits que nous consommons tous les jours aux prix les plus bas », c’est hors de question. Or, il faut se rendre à l’évidence : comment on fait pour « défendre nos industries », comment peut-on « lutter contre le dumping social » sans augmenter le prix des « produits que nous consommons au prix le plus bas » ? Le président croit-il vraiment que si les pays qui nous fournissent ces « produits au prix le plus bas » adoptaient nos normes sociales, les prix resteraient les mêmes ?

La confusion est encore plus grande lorsqu’il s’agit du contexte institutionnel. Vous expliquez que « Les Français peuvent décider et imposer souverainement leur préférence. Car il n'y a pas qu'une seule Europe possible. L'Union n'est pas une obligation. Elle laisse les nations libres. Libres de choisir l'Europe ou de la quitter. Et surtout libres de choisir une Europe frileuse ou une Europe volontaire ». Sauf qu’on voit mal comment les français pourraient « imposer souverainement leur préférence » lorsqu’il s’agit de choisir entre les « Europes possibles ». L’Europe, jusqu’à nouvel ordre, est régie par des traités ratifiés à l’unanimité, et non par les « préférences souveraines » du peuple français. La seule « préférence souveraine » que le peuple français puisse « imposer », c’est de rester dans les traités ou de les dénoncer. Tout le reste est matière de négociation, et non de « imposition ».

Et pour finir, vous avez recours à l’envolée lyrique : « A cette Europe de la dilution, j'oppose l'Europe de la volonté. Celle qui agit là où on l'attend, qui clarifie ses modes de décision, allège ses procédures, avance plus vite avec les pays qui le veulent, se concentre sur les défis à venir. Cette Europe est celle qui, à partir de la zone euro, redonne de la force à l'économie, met fin à l'austérité aveugle, encadre la finance avec la supervision des banques, fait de son grand marché un atout dans la mondialisation et défend sa monnaie contre les mouvements irrationnels. C'est une Europe qui investit sur de grands projets grâce à de nouveaux instruments financiers. C'est une Europe qui en termine avec la concurrence sociale et fiscale ». Et qui institue la semaine des sept dimanches. Pourquoi pas, après tout ? A l’heure d’écrire une lettre au père Noël, pas de raison de se priver. Mais où est la réalité de cette « opposition » ? Permettez-moi de vous rappeler qu’un président de la République, monsieur le président, n’écrit pas en philosophe, mais en homme d’action. Or, ce discours est dans le domaine de l’incantation. C’est à la portée de n’importe quel imbécile de décrire une Europe idéale, ou nous serions tous riches et heureux. On attend d’un président qu’il nous explique comment il y arrive. Comment compte-t-il par exemple persuader l’Europe de « mettre fin à l’austérité aveugle », cette même austérité aveugle que son premier ministre met en œuvre en déclarant que c’est la seule politique possible ?

A cela suit le couplet électoral : « Le 25 mai prochain, chacun sera appelé à se prononcer sur la voie à suivre. Le résultat de ce scrutin déterminera la direction que l'Europe prendra pour les cinq prochaines années, et les responsables qui l'incarneront. Pour la première fois, les électeurs, par leur vote, désigneront le futur président de la Commission européenne. Combien le savent aujourd'hui ? » Croyez-vous vraiment ça ? Pensez-vous vraiment que le résultat de ce scrutin peut changer quelque chose à la « direction que l’Europe prendra » ? Que le fait que ce soit X plutôt que Y qui préside la Commission a la moindre importance alors que la Commission n’est que la gardienne des traités – sous le contrôle sourcilleux de la Cour de Justice de l’Union – et que ces traités sont, on nous le répète, inamovibles ?

Vous affirmez avec trémolo dans la voix que « sortir de l’UE, c’est sortir de l’Histoire ». L’Histoire, vous savez, monsieur le président, est une affaire longue, très longue. L’UE n’est, à cette échelle, qu’un épiphénomène. Si ma mémoire ne me trahit pas, Mongénéral avait dit en son temps « dans cent ans, il n’y aura peut-être plus d’Union Soviétique, mais il y aura toujours une Russie ». La même chose peut être dite de l’Union européenne. Un peuple « sort de l’Histoire » lorsqu’il perd toute volonté autonome de peser sur les évènements. Lorsqu’il accepte qu’il n’y a pas de politique alternative. Lorsqu’il admet qu’on lui impose de l’extérieur des institutions, des modes de vie, des organisations qu’il n’a pas choisies. Lorsqu’il oublie qu’en tant que souverain, il n’est soumis à d’autre règle que celle qu’il fait lui-même. C’est cela, monsieur le président, « sortir de l’Histoire ». Et si c’est cela qui vous préoccupe, il est encore temps de changer de politique.

Voilà, monsieur le président, les quelques idées que j’aurais voulu faire arriver jusqu’à vous. Sans illusion, mais avec la conviction de faire mon devoir de citoyen. Veuillez croire, Monsieur le président, à l’expression du profond respect que m’impose votre investiture, sinon votre personne.

PS: si j'en crois les dernières informations, Angela Merkel a confirmé que le candidat du parti ayant obtenu le plus d'élus au parlement européen ne sera pas automatiquement nommé président de la Commission. Elle ne fait d'ailleurs que confirmer ce qu'elle avait dit déjà en octobre 2013, en faisant un lecture exacte du texte des traités. Qu'en pensez-vous, monsieur le président ? Êtes vous en mesure de garantir aux électeurs qui se rendront aux urnes que leur vote, comme vous dites, désignera le président de la Commission ? Ou c'est là encore une de ces promesses non tenues auxquelles la construction européenne nous a habitués ?

Descartes

(1) Si vous trouvez le parallèle osé, je voudrais vous poser une question: qui à votre avis à écrit «« De cette guerre surgira inévitablement une nouvelle Europe. On parle souvent d'Europe, c'est un mot auquel, en France, on n'est pas encore très habitué. On aime son pays parce qu'on aime son village. Pour moi, Français, je voudrais que demain nous puissions aimer une Europe dans laquelle la France aura une place qui sera digne d'elle. (…) Ainsi donc (…) nous voilà placés devant cette alternative : ou bien nous intégrer, notre honneur et nos intérêts vitaux étant respectés, dans une Europe nouvelle et pacifiée, ou bien nous résigner à voir disparaître notre civilisation. » ? Pas trouvé ? Il s'agit de Pierre Laval, dans son discours du 22 juin 1942. Celui-là même ou il déclare "je souhaite la victoire de l'Allemagne".

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86 réponses à Monsieur le président…

  1. Julian dit :

    Impitoyable démontage.
    Imaginons des partisans intelligents et sincères du processus actuel de la "construction" européenne lisant ce discours. Quelques abonnés au Monde…
    Comment peuvent-ils ne pas être saisis par son indigence et son incohérence ( que vous pointez parfaitement ) ?

    L’union Européenne : une cause qui n’est plus nourrie que de poncifs et d’incantations.
    L’ennui (on a vu avec les régimes de Franco et de Salazar, par exemple) c’est que les encéphalogrammes plats n’empêchent nullement les agonies longues.

  2. bovard dit :

    Ce textes très intéressant renvoient à la condition sociale.
    La mienne a étè déterminée en 1979-1980 par mon service militaire obligatoire effectué à Tübingen en RFA.
    Alors que l ‘ Urss pénétrait en Afghanistan,que Jaruzelsky ‘sauvait’ son pays,je participais à la défense de la RFA.
    L’ Europe s’est construite par cette multitude de sacrifices .
    Aujourd’hui une partie du déficit français prolonge cet l’effort considérable constitué par la force de frappe française militaire.
    Pourquoi M Hollande n’en parle t il pas ?
    Pourquoi l’endettement reste t il national comme les excédents commerciaux ?
    Par la faute de l’habituelle trahison des élites depuis la révolution française le projet social,politique de notre république disparaît.
    M Hollande sait il que l’éducation nationale est sinistrée au point qu’en Mathématiques cette année plus de 50% des postes mis au concours n’a pas été pourvu faute de candidats ?
    Cette Europe du mensonge,des inégalités et de la confusion doit être refusée.
    Merci cher Descartes d’avoir soulever quelques unes de ses contradictions dans votre beau texte et plus généralement dans votre Blog .

    • Descartes dit :

      @ Bovard

      [Ce texte très intéressant renvoie à la condition sociale. La mienne a été déterminée en 1979-1980 par mon service militaire obligatoire effectué à Tübingen en RFA. Alors que l ‘ Urss pénétrait en Afghanistan,que Jaruzelsky ‘sauvait’ son pays,je participais à la défense de la RFA.L’ Europe s’est construite par cette multitude de sacrifices .]

      Je ne comprends pas très bien ce que vous voulez dire. De quel « sacrifices » parlez vous ? Et quel rapport entre votre « condition sociale » et votre service militaire ?

      [Aujourd’hui une partie du déficit français prolonge cet l’effort considérable constitué par la force de frappe française militaire.]

      Pas tant que ça, en fait. La force de frappe nucléaire est en fait fort économique. Et très rentable si l’on tient compte des forces dont on aurait besoin pour sanctuariser notre territoire.

      [Pourquoi l’endettement reste t il national comme les excédents commerciaux ?]

      Je ne comprends pas la question. Faudrait peut-être réflechir un peu plus avant de commenter…

      [Par la faute de l’habituelle trahison des élites depuis la révolution française le projet social, politique de notre république disparaît.]

      Cette trahison n’a rien de « habituelle ». Après tout, ce sont aussi ces élites qui ont construit ce projet social, non ?

      [M Hollande sait il que l’éducation nationale est sinistrée au point qu’en Mathématiques cette année plus de 50% des postes mis au concours n’a pas été pourvu faute de candidats ? Cette Europe du mensonge,des inégalités et de la confusion doit être refusée.]

      Je vois là encore mal le rapport entre la situation de l’éducation nationale et l’Europe. Le saccage de l’éducation nationale a commencé à la fin des années 1960, bien avant que l’Union européenne voie le jour.

      [Merci cher Descartes d’avoir soulever quelques unes de ses contradictions dans votre beau texte et plus généralement dans votre Blog .]

      Merci en retour de vos encouragements.

  3. BolchoKek dit :

    Faudra écrire sur le nationalisme un jour. Moi aussi le nationalisme me fait peur. Je parle du nationalisme qui existe substantiellement sur notre territoire : corses, bretons, basques… Mais bizarrement, ces gens là se retrouvent presque récompensés par la décentralisation et la régionalisation. Car ne nous trompons pas : le "nationalisme français" n’est qu’une chimère, un épouvantail et un qualificatif injurieux pour quiconque refuserait l’Europe – à part quelques marginaux souvent royalistes, alors que les "autonomistes" (mot poli pour dire nationalistes) de tout poil ont vent debout dans l’opinion bienpensante. A croire qu’au fond, les nationalistes réels ne gênent pas vraiment… C’est cette montée-là vis-à-vis de l’indifférence au nationalisme qui m’inquiète.

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [Faudra écrire sur le nationalisme un jour. Moi aussi le nationalisme me fait peur.]

      Moi, ce serait plutôt son absence qui me ferait peur. Le nationalisme, on nous répète continuellement, est un facteur de guerre entre les nations. Ce qu’on oublie, c’est que c’est un facteur de paix à l’intérieur des états. La présidente de la République Centrafricaine a souligne dans un entretien au « Monde » le « manque de nationalisme » parmi les grands problèmes de son pays…

      [Je parle du nationalisme qui existe substantiellement sur notre territoire : corses, bretons, basques…]

      Il faut appeler les choses par leur nom. Il n’y a pas de « nationalisme » sans « nation ». Transformer les « régionalismes » en « nationalismes », c’est leur faire trop d’honneur. Par ailleurs, il ne faut pas confondre ce que peut être l’expression nationaliste dans un pays comme la France et ce qu’elle est au Royaume-Uni ou en Espagne. En Espagne, ce sont les régions riches qui veulent se séparer pour ne plus avoir à payer pour les pauvres. En France, c’est au contraire les régions pauvres qui font de l’agitation sachant que notre Etat jacobin est bonne poire et donc prêt à donner de l’argent pour les garder dans la République. D’ailleurs, certains ont commencé à réaliser que l’Etat central commençait à fatiguer, et sont passé subtilement de « l’indépendantisme » à « l’autonomisme ». C’est par exemple le cas aux Antilles, ou toute référence à « l’indépendance », si courante dans les années 1960, a disparu…

      [Car ne nous trompons pas : le "nationalisme français" n’est qu’une chimère, un épouvantail et un qualificatif injurieux pour quiconque refuserait l’Europe – à part quelques marginaux souvent royalistes,]

      Je ne partage pas votre vision. Il existe – heureusement – un « nationalisme français » jacobin qui nous vient de la Révolution et de l’Empire. Il existe aussi un « nationalisme français » réactionnaire, maurrassien et catholique qui voit la France comme une agrégation de villages.

    • BolchoKek dit :

      >Je ne partage pas votre vision.<
      En fait, je m’en rends compte, c’est que nous ne partageons pas la même définition du mot "nationalisme". Ce que tu décris par ce mot est une forme de patriotisme très républicain auquel je souscris entièrement. Pour moi, le "nationalisme" est nécessairement ethnique, c’est pour cela qu’il pourrait y avoir un nationalisme allemand, polonais… ou breton et corse, puisque ceux-ci sont basés sur une idée ethnique de la nation*. C’est dans ce sens que je dis que les partisans d’un "nationalisme français" sont des idiots, et que ceux qui s’y opposent ces temps-ci sont des manipulateurs de peurs. Je ne dis pas que les "régionalistes" soient si peu que ça en France, on en voit les drapeaux à chaque meeting du FN – ce qui d’ailleurs me débecte le plus dans ce mouvement. Mais ça reste, au final, une minorité de militants d’extrême-droite.

      *Je connais de nombreux "nationalistes bretons". En leur demandant ce qui est un breton dans leur vision, les réponses sont intéressantes. La plupart se rendent compte que les critères "être né en Bretagne" ou "se sentir breton" sont assez aléatoires. Non, ce qu’ils retiennent est quel est votre sang, qui sont vos parents.

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [En fait, je m’en rends compte, c’est que nous ne partageons pas la même définition du mot "nationalisme". Ce que tu décris par ce mot est une forme de patriotisme très républicain auquel je souscris entièrement. Pour moi, le "nationalisme" est nécessairement ethnique, c’est pour cela qu’il pourrait y avoir un nationalisme allemand, polonais… ou breton et corse, puisque ceux-ci sont basés sur une idée ethnique de la nation*.]

      Effectivement, on ne peut parler de « nationalisme » comme s’il n’y avait qu’un, alors que chaque « nationalisme » est fondé sur une idée différente de la Nation. C’est pourquoi j’ai réagi quand vous avez écrit avoir « peur du nationalisme ». En France, il la vision historiquement dominante de la Nation est celle d’un « contrat sans cesse renouvelé » et non pas fondé sur une communauté ethnique. C’est l’inverse en Allemagne.

      [*Je connais de nombreux "nationalistes bretons". En leur demandant ce qui est un breton dans leur vision, les réponses sont intéressantes. La plupart se rendent compte que les critères "être né en Bretagne" ou "se sentir breton" sont assez aléatoires. Non, ce qu’ils retiennent est quel est votre sang, qui sont vos parents.]

      Sauf que cela ne fait que déplacer le problème d’une génération… qu’est ce qui fait que vos parents sont bretons ? Le problème des régionalistes « ethniques » est qu’il n’y a pas beaucoup de régions en France qui soient ethniquement homogènes. La République, en brassant les populations, a fermé en grande partie cette porte. Les "régionalistes ethniques" en France sont un archaisme, dès lors que beaucoup de descendants de bretons vivent ailleurs en France, et que beaucoup de gens qui vivent en Bretagne ne sont pas "bretons de souche"…

    • BolchoKek dit :

      >Effectivement, on ne peut parler de « nationalisme » comme s’il n’y avait qu’un, alors que chaque « nationalisme » est fondé sur une idée différente de la Nation.<
      D’accord, mais justement, c’est ce qui fait l’originalité du nationalisme en tant qu’idéologie. Un nationalisme donné ne peut être confondu avec un autre, en y rajoutant la barrière linguistique, cela rajoute du trouble ; par conséquent, le nationalisme est anti-universaliste. En ayant cette grille de lecture, et surtout en France, on voit les tendances "autonomistes" pour ce qu’elles sont : des tendances réactionnaires

      >Sauf que cela ne fait que déplacer le problème d’une génération… qu’est ce qui fait que vos parents sont bretons ? <
      Qu’ils étaient bretons, et leurs parents étaient bretons, et les parents de ceux-ci l’étaient aussi… Ici, nous discutons à quel point le "droit du sang" dans l’idée nationale est fondée. Même si cela nous parait absurde, je te ferai remarquer par exemple que bien des "allemands de la Volga" étaient restés allemands pendant des siècles. Il est des sociétés où l’on reste entre soi, où l’autre n’est pas "un autre soi-même". C’est donc un modèle mis en pratique, même lorsque cela paraitrait absurde pour un être raisonnable.

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [D’accord, mais justement, c’est ce qui fait l’originalité du nationalisme en tant qu’idéologie.]

      C’est surtout ce qui fait qu’on ne peut pas parler de « nationalisme comme idéologie », mais qu’il faut parler de « nationalismeS ». On peut toujours dire que le nationalisme consiste à valoriser par-dessus tout la Nation, mais cela ne nous dit pas grande chose si l’on ne sait pas quelle est le type de Nation qu’on valorise.

      [Un nationalisme donné ne peut être confondu avec un autre, en y rajoutant la barrière linguistique, cela rajoute du trouble ; par conséquent, le nationalisme est anti-universaliste.]

      Pas du tout. Vous – et vous n’êtes pas le seul, rassurez-vous – confondez « nationalisme » et « chauvinisme ». Un philosophe qui dirait « la Nation est la seule communauté politique » ou « chaque individu doit être prêt à tout sacrifier aux intérêts de la Nation à laquelle il appartient » doit être considéré « nationaliste », alors que ces affirmations sont universelles puisque valables pour toute Nation, pour tout individu. On peut défendre LA Nation comme entité politique sans nécessairement établir une hiérarchie entre elles. Lorsque je soutiens une Europe qui soit un contrat entre nations souveraines, je suis « nationaliste » et pourtant universaliste puisque je reconnais aux autres nations les mêmes droits et devoirs qu’à la mienne…

      [Qu’ils étaient bretons, et leurs parents étaient bretons, et les parents de ceux-ci l’étaient aussi… Ici, nous discutons à quel point le "droit du sang" dans l’idée nationale est fondée. Même si cela nous parait absurde, je te ferai remarquer par exemple que bien des "allemands de la Volga" étaient restés allemands pendant des siècles. Il est des sociétés où l’on reste entre soi, où l’autre n’est pas "un autre soi-même".]

      Oui. Mais si les « Allemands de la Volga » ont pu le rester pendant des siècles, c’est parce que le régime tsariste n’avait pas du tout l’intention de brasser les populations. Au contraire : il avait institué un passeport intérieur pour limiter la mobilité des populations. La République française a eu le réflexe inverse : par le biais de la conscription, de l’éducation, de la gestion des nominations dans la fonction publique et de la suppression des droits locaux, elle a stimulé la mobilité. Et donc, le brassage. En dehors de régions particulièrement pauvres et isolées, il est difficile de trouver en France des populations « homogènes » vivant, étudiant et se mariant entre elles. C’est d’ailleurs pourquoi en France les mouvements séparatistes ne dépassent en général pas le stade d’un folklore plus ou moins violent.

      J’ai un certain nombre d’amis « bretonnants » qui font en permanence l’éloge de la « Bretagne éternelle ». Mais dans ces milieux, ils sont très nombreux à s’inventer des racines qui ne sont pas les leurs, à essayer d’apprendre une langue que leurs parents ne parlaient pas, à manger des choses que leurs parents ne cuisinaient pas, et à vivre dans des lieux que leurs ancêtres n’ont jamais foulé. Le cas le plus amusant est celui d’un couple, lui descendant de juifs polonais, elle d’artisans italiens, installés pas loin de Quimper. Ces gens envoient leurs enfants à l’école Diwan, émaillent leur conversation de mots bretons et ne manquent pas une manifestation « régionaliste »… et vous font l’éloge de la « celtitude » ! Faut se retenir pour ne pas rigoler…

    • @ Descartes,

      "La République, en brassant les populations, a fermé en grande partie cette porte"
      Ce n’est pas que la République qui a brassé la population, ce sont aussi les transformations économiques: quand les Bretons (justement) et les Limousins s’en vont travailler à Paris comme maçons, ce n’est pas la République qui les y pousse (ça commence sous le Second Empire) mais la nécessité de trouver un complément de revenus. Or Paris (et les grandes villes) offre des emplois. D’ailleurs, il ne faut pas négliger les migrations saisonnières, longtemps importantes en France: on voit bien que, souvent, le fait de se frotter à la vie de la capitale change les mentalités de ces "paysans-maçons" du Limousin (j’en parle car je connais un peu l’exemple) qui font entrer leur village dans une forme de modernité. Leur horizon s’élargit et devient national. Non pas que, dans un premier temps du moins, ils coupent les racines avec le village ou renoncent à prendre femme dans leur région natale. Mais le brassage pour eux est un contact long et répété avec Paris (qui est au centre de l’élaboration d’une culture "nationale").
      Je précise d’ailleurs que la République n’a fait qu’encourager un mouvement déjà commencé, timidement, sous l’Ancien Régime: grâce aux efforts portés sur les routes au XVIII° siècle par exemple, la France est un pays où l’on circule relativement bien. Disons que le brassage concerne surtout les catégories sociales aisées au début, et que la mobilité se fait sur une échelle plus modeste. Mais on connaît déjà des mouvements de population entre régions.

      Cela étant, je me demande si le brassage est toujours un antidote efficace contre le régionalisme. La Catalogne, par exemple, région industrielle et riche, possède l’une des populations les plus brassées d’Espagne d’après ce que j’ai lu: aux XIX° et XX° siècles, beaucoup d’Espagnols des autres provinces sont venus travailler en Catalogne et y ont fait souche. Je me souviens avoir débattu avec un indépendantiste catalan, qui m’avoua que sa famille était originaire… d’Andalousie! Pourtant, lui ne voyait pas de contradiction apparente à désirer l’indépendance, c’est-à-dire à devenir "étranger" à une partie de sa famille. Comment expliquer ce paradoxe?

      "je suis « nationaliste » (au sens républicain du terme)"
      Bravo! Mais tu vas te faire des ennemis…

      "J’ai un certain nombre d’amis « bretonnants » qui font en permanence l’éloge de la « Bretagne éternelle »."
      Est-il possible de garder son calme en discutant avec eux? Ou dois-je supposer que tu te résignes à ne pas évoquer les "sujets qui fâchent"?

      "Le cas le plus amusant est celui d’un couple, lui descendant de juifs polonais, elle d’artisans italiens, installés pas loin de Quimper. Ces gens envoient leurs enfants à l’école Diwan, émaillent leur conversation de mots bretons et ne manquent pas une manifestation « régionaliste »… et vous font l’éloge de la « celtitude » !"
      Je me demande: quand ces gens, sans doute sympathiques par ailleurs, sont mis en face de leurs contradictions, que peuvent-ils bien répondre? Cela m’intéresse.

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      ["La République, en brassant les populations, a fermé en grande partie cette porte"
      Ce n’est pas que la République qui a brassé la population, ce sont aussi les transformations économiques: quand les Bretons (justement) et les Limousins s’en vont travailler à Paris comme maçons, ce n’est pas la République qui les y pousse (ça commence sous le Second Empire) mais la nécessité de trouver un complément de revenus.]

      Mais d’autres nations ont une autre histoire. En Angleterre ou en Allemagne, le développement de pôles régionaux a permis un exode rural « multipolaire » sans brassage. Ainsi par exemple Liverpool a grandi… en accueillant la population du comté qui l’entoure, alors que Manchester ou Birmingham faisaient de même. Ce qui permet à Liverpool de demeurer une cité à majorité catholique, alors que ses voisines sont… protestantes. Ce n’est donc pas seulement les transformations économiques qui ont provoqué le brassage, même si elles y ont contribué.

      En France, on a choisi un mode de développement différent. Et on l’a choisi sciemment. Il n’existe pas au Royaume Uni – en dehors des périodes de guerre – de conscription nationale. Il existe par contre une conscription locale semblable à celle existant en Suisse et dont les conscrits servent dans les frontières de leur comté. Par ailleurs, les fonctionnaires en poste dans les comtés sont recrutés localement. En France, la conscription a été organisée sciemment pour déplacer les conscrits et assurer que personne ne fait son service à côté de chez lui. Quant aux fonctionnaires, ce fut aussi un choix politique que de les recruter nationalement.

      [Mais le brassage pour eux est un contact long et répété avec Paris (qui est au centre de l’élaboration d’une culture "nationale").]

      Il ne faut pas négliger le rôle que la centralité de Paris dans le « brassage » des populations. Comme je l’ai dit plus haut, certains pays ont gardé la spécificité régionale malgré l’exode rural grâce à la multiplication des poles régionaux qui permettaient aux gens de quitter leur village tout en restant « entre soi ». C’est pourquoi la décentralisation et la régionalisation sont à mon avis un retour en arrière qui risquent de défaire la République en créant un terreau fertile aux égoïsmes locaux qu’on voit fleurir en Espagne ou en Grande Bretagne.

      [Je précise d’ailleurs que la République n’a fait qu’encourager un mouvement déjà commencé, timidement, sous l’Ancien Régime: grâce aux efforts portés sur les routes au XVIII° siècle par exemple, la France est un pays où l’on circule relativement bien. Disons que le brassage concerne surtout les catégories sociales aisées au début, et que la mobilité se fait sur une échelle plus modeste. Mais on connaît déjà des mouvements de population entre régions.]

      Tout à fait. On croit souvent que la République représente en France une rupture totale, alors qu’en fait elle a souvent porté une vision de l’Etat et de la Nation qui a commencé à se former bien avant. Par beaucoup de côtés, Richelieu n’aurait pas renié la vision de l’organisation territoriale portée par la République.

      [Cela étant, je me demande si le brassage est toujours un antidote efficace contre le régionalisme. La Catalogne, par exemple, région industrielle et riche, possède l’une des populations les plus brassées d’Espagne d’après ce que j’ai lu: aux XIX° et XX° siècles, beaucoup d’Espagnols des autres provinces sont venus travailler en Catalogne et y ont fait souche.]

      La Catalogne a accueilli beaucoup de gens venant d’autres régions, mais les Catalans eux-mêmes sont sortis très peu. Le brassage, cela implique des mouvements dans les deux sens. Contrairement à ce que certains pensent, on ne devient pas universaliste en accueillant des immigrés, on le devient en voyageant soi-même. Par ailleurs, la Catalogne a accueilli des travailleurs pauvres, venant des régions les plus misérables de l’Espagne, et qui se sont donc assimilés sans nécessairement contribuer à faire évoluer la culture catalane.

      [Je me souviens avoir débattu avec un indépendantiste catalan, qui m’avoua que sa famille était originaire… d’Andalousie! Pourtant, lui ne voyait pas de contradiction apparente à désirer l’indépendance, c’est-à-dire à devenir "étranger" à une partie de sa famille. Comment expliquer ce paradoxe?]

      Simple : c’est le processus d’assimilation. De la même manière que beaucoup d’immigrés sont devenus français, certains « immigrants » andalous sont devenus catalans. Le brassage, ce n’est pas cela : lorsqu’un breton allait travailler en Alsace et se mariait avec une provençale, il ne devenait ni alsacien, ni provençal. Il devenait français.

      [« je suis « nationaliste » (au sens républicain du terme) ». Bravo! Mais tu vas te faire des ennemis…]

      Ca ne me dérange pas. J’aime bien jouer les Cyrano…

      [« J’ai un certain nombre d’amis « bretonnants » qui font en permanence l’éloge de la « Bretagne éternelle ». » Est-il possible de garder son calme en discutant avec eux? Ou dois-je supposer que tu te résignes à ne pas évoquer les "sujets qui fâchent"?]

      Pourquoi pas ? Mon avantage, c’est que j’aime beaucoup écouter les gens. Même lorsqu’ils disent des énormités. Surtout quand ils disent des énormités. J’adore essayer de comprendre pourquoi et comment ils en arrivent là. Quand vous discutez avec les gens sans chercher à imposer vos idées et sans mépriser celles des autres, on arrive toujours à établir le dialogue. J’ai passé des heures, du temps ou je faisais des porte-à-porte, à discuter avec des gens aussi différents qu’un ancien para d’Algérie passé par l’OAS, un mystique catho qui pensait que les juifs avaient une queue et des cornes comme les diables, un centriste persuadé que « Hitler a été le premier européen », des admirateurs d’Action Directe… et un certain nombre d’autonomistes bretons, corses ou basques. Et je ne me suis jamais ennuié…

      [Je me demande: quand ces gens, sans doute sympathiques par ailleurs, sont mis en face de leurs contradictions, que peuvent-ils bien répondre? Cela m’intéresse.]

      Il est difficile de les mettre devant leurs contradictions parce que dans leur univers mental il n’y a pas à proprement parler de contradiction possible. Leur système de pensée est fondé sur l’idée « la réalité, c’est ce que je veux ». C’est le règne du « parce que je le veux bien », et « ce que je veux » est la mesure de toute chose. Si je veux être breton, alors je suis breton. Si je veux sentir que les celtes sont mes ancêtres, la réalité de mon grand père tailleur à Varsovie disparaît pour être remplacé par un druide. Si je décide que les déodorants qui contiennent de l’aluminium sont « mal » alors que ceux à la pierre d’alun sont « bien », c’est ainsi même si l’alun n’est qu’un hydroxyde double de potassium et d’aluminium.

    • BolchoKek dit :

      >Un philosophe qui dirait « la Nation est la seule communauté politique » ou « chaque individu doit être prêt à tout sacrifier aux intérêts de la Nation à laquelle il appartient » doit être considéré « nationaliste », alors que ces affirmations sont universelles puisque valables pour toute Nation, pour tout individu.<
      Mais alors, quelle est la différence entre nationalisme et patriotisme ? Pour mon idée du nationalisme, je m’étais toujours fié à De Gaulle qui disait "Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres". "Chauvinisme" m’a toujours paru comme un synonyme vieillot de "nationalisme"…

      >Mais dans ces milieux, ils sont très nombreux à s’inventer des racines qui ne sont pas les leurs<
      Tu confirmes ce que je dis : le "nationalisme breton" est fondamentalement lié, malgré ce que certains disent, à une obsession du sang, puisque pour devenir breton, il faut s’inventer des origines. Comme il n’y a pas d’entité équivalente à l’autorité Tsariste – qui au final a défini ce qu’était un "Allemand" – la définition de ce que signifie "être breton" est laissée au consensus. Et le consensus semble être avoir des origines bretonnes.

      >Faut se retenir pour ne pas rigoler…<
      Ne m’en parle pas. J’ai une fois connu un Tugdual qui avait un nom algérien… Il m’a dit que les bretons et les kabyles avaient des "proximités génétiques" et que c’était "scientifiquement prouvé"…
      Mais outre cela, quand j’entends ce genre de discours, je me souviens de ce que les "vieux" de ma famille m’ont dit – car j’ai la chance d’en avoir encore en vie, et je les écoute toujours attentivement, tant on peut remonter le temps en écoutant les histoires que leurs "vieux" à eux leur ont racontées. Bien nombreux sont les néo-bretons qui se plaignent du "sabot passé en bricole" par les instituteurs pour avoir parlé breton. Peu parlent de la pression des parents, qui souvent parlaient mal le français, pour parler français même à la maison ; c’est que les parents en question n’avaient pas eu la chance d’aller à l’école… On ne comprend pas la disparition subite du breton dans la population sans se rendre compte que la population y était globalement favorable.

    • BolchoKek dit :

      @NJ

      >D’ailleurs, il ne faut pas négliger les migrations saisonnières, longtemps importantes en France: on voit bien que, souvent, le fait de se frotter à la vie de la capitale change les mentalités de ces "paysans-maçons" du Limousin<
      C’est un très bel exemple, qui illustre aussi autre chose : le progrès technique, ici au service des infrastructures de transport, sert le progrès social. Si ces gens là n’ont pas été maçons à Paris avant, ce n’est pas parce qu’ils étaient moins pauvres, mais parce que le chemin de fer rendait cette activité faisable.

      >Je me souviens avoir débattu avec un indépendantiste catalan, qui m’avoua que sa famille était originaire… d’Andalousie!<
      C’est le cas pour beaucoup de catalans, j’en connais certains qui parlent des andalous comme de "singes"… Et pourtant, la contradiction ne semble pas les gêner.

      >Est-il possible de garder son calme en discutant avec eux?<
      Franchement, j’ai moi-même beaucoup de mal avec les plus extrêmes. J’en suis venu aux mains plus d’une fois, et c’est mes seules discussions qui se soient terminées ainsi. Et pourtant, je discute souvent avec des royalistes, des atlantistes et des écolos…

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [Mais alors, quelle est la différence entre nationalisme et patriotisme ?]

      Bonne question. Pour moi, la « Patrie » fait plus référence à une filiation – c’est d’ailleurs l’étymologie du mot – tandis que la « Nation » fait référence à un rapport plus « contractuel ». La Patrie est un rapport charnel, presque familial, là où la Nation est un rapport politique. D’ailleurs la notion de « Patrie » est plus ancienne que celle de « Nation », et désigne pendant longtemps la terre où l’on est né et où l’on a ses aïeux. Mais je vous accorde que depuis que les Etats-nations sont devenus prédominants, les deux notions se recouvrent assez largement.

      [Pour mon idée du nationalisme, je m’étais toujours fié à De Gaulle qui disait "Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres".]

      C’est la boutade d’un homme de droite pour qui le poids « du sang et des morts » n’a jamais été tout à fait négligeable qui au fond de son cœur n’a jamais tout à fait accepté le concept de « Nation » au sens de Renan. Mais je me refuse à utiliser le mot « nationalisme » dans ce sens justement parce que derrière cette question sémantique il s’agit de jeter le discrédit sur le concept même de « nation »…

      [Tu confirmes ce que je dis : le "nationalisme breton" est fondamentalement lié, malgré ce que certains disent, à une obsession du sang, puisque pour devenir breton, il faut s’inventer des origines. Comme il n’y a pas d’entité équivalente à l’autorité Tsariste – qui au final a défini ce qu’était un "Allemand" – la définition de ce que signifie "être breton" est laissée au consensus. Et le consensus semble être avoir des origines bretonnes.]

      Beh non, justement, puisque ces « origines bretonnes » peuvent être imaginaires. En fait, le « nationalisme breton » oscille entre une vision étroite du sang et de la naissance à une vision œcuménique ou toute personne déclarant son amour de la Bretagne et son adhésion inconditionnelle aux présupposés idéologiques de la « bretonnitude » devient une sorte de « breton naturalisé ». On n’a pas besoin d’avoir des ancêtres qui parlaient breton, il suffit d’avoir envie d’avoir eu des parents qui parlaient cette langue.

      [Ne m’en parle pas. J’ai une fois connu un Tugdual qui avait un nom algérien… Il m’a dit que les bretons et les kabyles avaient des "proximités génétiques" et que c’était "scientifiquement prouvé"…]

      Quand les gens ont envie de croire, ils arrivent à gober n’importe quoi. La question qui me paraît intéressante, c’est de savoir pourquoi les gens ont aujourd’hui tellement envie de croire à ce genre de sornettes. Pourquoi tout à coup les gens ont autant besoin de se forger une « identité minoritaire » ? Cela tient à mon avis au statut que notre société donne aux « victimes ». De mon temps, les enfants qui jouaient aux cow-boys et indiens voulaient tous être le cow-boy. Aujourd’hui, ils préfèrent se trouver des ancêtres indiens qui leur permettent de revendiquer le statut de « victime » et les excuses et réparations qui vont avec. Etre fort, c’est être maître de son destin et donc responsable de ses choix. Etre faible, c’est être victime des choix des autres et donc totalement irresponsable. Notre société est une société qui fuit la responsabilité comme la peste.

      [Mais outre cela, quand j’entends ce genre de discours, je me souviens de ce que les "vieux" de ma famille m’ont dit – car j’ai la chance d’en avoir encore en vie, et je les écoute toujours attentivement, tant on peut remonter le temps en écoutant les histoires que leurs "vieux" à eux leur ont racontées.]

      Il faut toujours écouter les anciens. D’une part, on apprend des choses intéressantes, et d’autre part on marque ainsi des points pour se faire écouter quand on sera nous mêmes anciens… « ne pas respecter les anciens c’est mettre le feu à la maison où on doit coucher le soir » (proverbe breton) 😉

      [Bien nombreux sont les néo-bretons qui se plaignent du "sabot passé en bricole" par les instituteurs pour avoir parlé breton. Peu parlent de la pression des parents, qui souvent parlaient mal le français, pour parler français même à la maison ; c’est que les parents en question n’avaient pas eu la chance d’aller à l’école… On ne comprend pas la disparition subite du breton dans la population sans se rendre compte que la population y était globalement favorable.]

      Tout à fait. Les générations d’aujourd’hui ont un problème d’identité, et projettent ce problème sur les générations qui les ont précédé. La sauvegarde de la langue bretonne apparaît aujourd’hui aux néo-bretons comme quelque chose de fondamental, identitaire. Mais leurs grands-parents n’avaient pas besoin de ça pour se sentir bretons. Tout les y ramenait. Ils étaient nés dans cette société, et ils avaient toutes leurs chances d’y vivre et d’y mourir. Ils n’avaient pas besoin de béquilles pour se « sentir » bretons parce qu’ils « étaient » bretons sans avoir besoin pour cela de parler une langue, porter un costume ou manger des galettes.

      Mais pour cette génération, être breton, ce n’était pas seulement les chapeaux ronds et les coiffes qu’on mettait les jours de fête. C’était la misère noire, l’ignorance, le pouvoir du curé pour vous dire ce que vous deviez faire, penser, voter. C’était les maladies qu’on ne savait pas prévenir ou soigner. Et tout à coup arrive l’école publique. Une école qui parle un autre langue, un langue qui permet de communiquer avec le reste du pays, de recevoir des nouvelles. Avec cette langue, on peut quitter son village, aller travailler là où il y a du travail et où l’on paye mieux sans se faire escroquer par des indélicats. On peut passer les concours et devenir fonctionnaire de l’Etat. On peut lire des livres et des brochures qui vous expliquent comment prévenir ou guérir certaines maladies. On peut commander à distance du matériel et des biens inconnus au village. D’un côté, la tradition, les galettes, la coiffe, l’isolement et la misère noire. De l’autre la prospérité, les services publics, l’intégration au reste du pays. Comment cette population aurait-elle pu « être défavorable » ?

      Lorsqu’on parle de politiques « d’assimilation », il faut se souvenir que celles visant les immigrés ont été précédées par des politiques visant à « assimiler » à la communauté nationale les différentes « minorités » qui composaient cette mosaïque qu’était la France de l’ancien régime. Et que, comme toute politique d’assimilation – et d’une manière générale, toute politique d’éducation -, elle a un volet répressif au niveau individuel. Mais si ce volet est accepté, c’est bien parce qu’au niveau global la population en question voit un intérêt au processus et y est globalement favorable. Le breton, comme l’occitan, n’aurait jamais disparu aussi vite si on avait eu recours aux dragonnades.

    • @ Descartes,

      On s’éloigne (un peu) du sujet, mais comme l’opposition jacobins/girondins est structurante dans la politique française, et que nous en parlons souvent, je voudrais soulever une question qui me taraude: on classe les gaullistes, traditionnellement, parmi les jacobins. Mais le qualificatif est-il pleinement mérité pour de Gaulle lui-même? Le général a tout de même démissionné suite à un référendum dans lequel il proposait une régionalisation aux Français.

      Et voici ce qu’il déclarait, quelques jours avant le scrutin:
      "Sachez que votre réponse dimanche va engager son destin parce que, d’abord, il s’agit d’apporter à la structure de notre pays un changement très considérable. C’est beaucoup de faire renaître nos anciennes provinces, aménagées à la moderne sous la forme de régions, de leur donner les moyens nécessaires pour que chacune règle ses propres affaires, tout en jouant son rôle à elle dans notre ensemble national, d’en faire des centres où l’initiative, l’activité, la vie s’épanouissent sur place. […]"
      De tels propos, dans la bouche d’un jacobin, ont de quoi surprendre. De Gaulle connaissait parfaitement le sens des mots et n’était pas homme à les utiliser à la légère: or il parle de "faire renaître nos anciennes provinces", de leur donner les moyens de jouer un rôle, tout cela au nom d’une certaine modernité. Voilà un discours qu’un girondin n’eût point renié… Raffarin et tous les partisans de la décentralisation ne disent pas autre chose. Je me demande même en entendant ces propos si de Gaulle n’aurait pas fini par supprimer les départements. Le jacobinisme de de Gaulle n’est-il pas sujet à caution?

      Voici un lien vers l’intervention intégrale:

    • Courtial des Pereires dit :

      @ Descartes

      [[[
      Mais pour cette génération, être breton, ce n’était pas seulement les chapeaux ronds et les coiffes qu’on mettait les jours de fête. C’était la misère noire, l’ignorance, le pouvoir du curé pour vous dire ce que vous deviez faire, penser, voter. C’était les maladies qu’on ne savait pas prévenir ou soigner. Et tout à coup arrive l’école publique. Une école qui parle un autre langue, un langue qui permet de communiquer avec le reste du pays, de recevoir des nouvelles. Avec cette langue, on peut quitter son village, aller travailler là où il y a du travail et où l’on paye mieux sans se faire escroquer par des indélicats. On peut passer les concours et devenir fonctionnaire de l’Etat. On peut lire des livres et des brochures qui vous expliquent comment prévenir ou guérir certaines maladies. On peut commander à distance du matériel et des biens inconnus au village. D’un côté, la tradition, les galettes, la coiffe, l’isolement et la misère noire. De l’autre la prospérité, les services publics, l’intégration au reste du pays. Comment cette population aurait-elle pu « être défavorable » ? ]]]

      Je vous ai déjà fait cette réflexion, mais il y a dans ce discours une proximité frappante avec une idéologie que vous semblez pourtant combattre d’habitude : le mondialisme.

      Qu’est-ce qui vous différencie de ceux qui voudraient que votre récit s’applique à la terre entière ? Uniformiser le monde, par la langue, les progrès, etc., ce sera formidable, fini la misère, fini la guerre, tous bons consommateurs avec des emballage en une seule langue ! Mais attention, tout ça pour la bonne cause, pour sauver les gens d’une misère noire ! Et les gens applaudiront ! Sauf que d’habitude… c’est un peu vous qui ronchonnez…

      Où alors, prenez vous le passé pour acquis simplement, en citant cet exemple sans en faire une généralité ?

      Une partie de ma famille est de Bretagne, c’est une région pour laquelle j’ai beaucoup d’affection. Cela étant dit, je pense qu’elle a toute sa place en France, que l’indépendance n’aurait pas de sens, 500 piges après le rattachement et au vu des brassages et des horreurs (les guerres) qui ont, selon moi, soudés les régions du pays. Toutefois, je suis en faveur d’une identité culturelle régionale forte, il ne faut pas perdre ce qui faisait de la Bretagne la Bretagne, et l’apprentissage des langues régionales, si elle ne doit pas passer devant le Français, est à mon avis une bonne chose.

      Le nationalisme Breton s’entend pour ceux qui souhaitent une nation bretonne. Je serai plus enclin comme vous, Descartes, à parler de régionalisme, jusqu’à ce qu’ils parviennent à leur objectif. Au sujet de la différence entre patriotisme et nationalisme, je dirai que les deux sont semblables pour moi, il ne s’agit pas de détester le pays des autres, il s’agit d’aimer le sien et de considérer qu’il faut faire de notre mieux pour préserver son image, ses intérêts et la qualité de vie de son peuple. Le nationalisme est polymorphe, c’est le problème, on peut être nationaliste républicain et considérer que le facteur ethnique n’a aucune importance, ou nationaliste identitaire et penser qu’un peuple est avant tout une ethnie. Personnellement, j’aurai bien du mal à choisir, je crois que j’y mets un peu des deux. Qu’en pensez-vous ?

      Parenthèse : l’attachement à la France est difficile pour moi aujourd’hui, quand je vois un Fabius parler en mon nom et dire à Obama qu’il fallait frapper la Syrie… bon…

      Oh, et il ne fait pas bon être européen aussi si l’on veut passer pour des gens censés, puisque le petit fils de Rudolph Höss fait de la propagande pro-UE alors que l’UE deal tranquillement avec Praviy Sektor et Svoboda (nationalistes ethniques et anti-sémites de première)…

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [On s’éloigne (un peu) du sujet, mais comme l’opposition jacobins/girondins est structurante dans la politique française, et que nous en parlons souvent, je voudrais soulever une question qui me taraude: on classe les gaullistes, traditionnellement, parmi les jacobins. Mais le qualificatif est-il pleinement mérité pour de Gaulle lui-même? Le général a tout de même démissionné suite à un référendum dans lequel il proposait une régionalisation aux Français]

      Oui, mais il faut replacer le projet de régionalisation de 1969 dans son contexte. D’abord, c’était une régionalisation sans décentralisation. En d’autres termes, une régionalisation dans un pays ou subsistait le contrôle à priori des décisions des collectivités par le représentant de l’Etat. La loi proposée au référendum en 1969 instituait d’ailleurs des préfets de région qui exerçaient une tutelle étroite sur les régions, et qui assumait l’entière responsabilité de la mise en œuvre des décisions des organes délibérants. Voici l’article en question :

      Article 5 : Un préfet de région est le délégué du gouvernement pour la région. Il assure l’instruction préalable des affaires soumises au conseil régional ainsi que l’exécution des décisions de celui-ci dans les conditions prévues au chapitre IV. Il prend toutes dispositions nécessaires à l’administration de la région.

      Le Chapitre IV est encore plus explicite : Le conseil régional « est consulté » sur un certain nombre de Plans (art 24), il vote le budget à partir d’un projet préparé par le Préfet (art 25). Et c’est le Préfet qui a autorité sur les services créés par la région, qui signe les actes en son nom, qui la représente en justice, etc (art 30). Par ailleurs, les décisions les plus importantes sont soumises à une approbation préalable du Préfet avant de devenir exécutoires (art 31).

      Par ailleurs, les conseils régionaux ne sont pas élus. Y siègent les députés, les représentants désignés par les conseils généraux et municipaux, et des « conseillers socio-professionnels » corporatifs. Ce sont donc des émanations des communes et des départements, et leur légitimité démocratique est limitée.

      On ne peut dnc pas assimiler la « régionalisation » gaullienne à un quelconque « fédéralisme » girondin. Elle se limite à la création d’une instance délibérante vaguement démocratique, et surtout à l’institution d’un représentant de l’Etat puissant capable de coordonner certaines politiques publiques de l’Etat au niveau régional. Rien à voir avec la « régionalisation » qu’on nous propose aujourd’hui. En fait, il s’agit plus d’une réorganisation de l’action de l’Etat central qu’autre chose.

      Tu peux trouver le texte intégral de la loi soumise à référendum ici: http://www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=19690403&pageDebut=03315&pageFin=&pageCourante=03315

    • Descartes dit :

      @ Courtial des Pereires

      [Je vous ai déjà fait cette réflexion, mais il y a dans ce discours une proximité frappante avec une idéologie que vous semblez pourtant combattre d’habitude : le mondialisme. Qu’est-ce qui vous différencie de ceux qui voudraient que votre récit s’applique à la terre entière ? Uniformiser le monde, par la langue, les progrès, etc., ce sera formidable, fini la misère, fini la guerre, tous bons consommateurs avec des emballage en une seule langue ! Mais attention, tout ça pour la bonne cause, pour sauver les gens d’une misère noire ! Et les gens applaudiront ! Sauf que d’habitude… c’est un peu vous qui ronchonnez…]

      Mais… si je pensais que l’utopie mondialiste était possible, que tous les hommes pouvaient un jour constituer une seule nation, parler une seule langue, être soumis à un seul droit, je serais peut-être « mondialiste ». Ce qui me sépare des « mondialistes », c’est que je ne crois pas cette utopie possible, à supposer même qu’elle soit désirable.

      Il y a une grande différence entre « l’assimilation » des minorités ethniques et linguistiques telles qu’elle a été menée par la République, et l’uniformisation que proposent les « mondialistes ». Le projet de la République était un donnant-donnant : la perte de la spécificité locale se trouvait compensée par la possibilité d’entrer comme citoyen dans la communauté nationale avec toutes les possibilités et les droits qui s’y rattachent. Le petit Breton qui apprenait le français gagnait le droit d’aller travailler à Paris ou de passer le concours de receveur des postes. Le « mondialisme » ne propose rien de tel. Les mexicains qui adoptent au Mexique la langue anglaise et le « american way of life » ne voient pas l’Etat américain construire des routes et des écoles pour eux. Ils n’acquièrent pas la possibilité d’aller vivre à New York ou de devenir fonctionnaires à Washington. Seulement une vague promesse qu’adopter la langue des pays riches et leur mode de vie pourrait peut-être leur attirer des investissements américains qui payeront des salaires un peu meilleurs que les employeurs locaux. Rien d’autre. C’est là toute la différence.

      [Une partie de ma famille est de Bretagne, c’est une région pour laquelle j’ai beaucoup d’affection. Cela étant dit, je pense qu’elle a toute sa place en France, que l’indépendance n’aurait pas de sens, 500 piges après le rattachement et au vu des brassages et des horreurs (les guerres) qui ont, selon moi, soudés les régions du pays. Toutefois, je suis en faveur d’une identité culturelle régionale forte, il ne faut pas perdre ce qui faisait de la Bretagne la Bretagne, et l’apprentissage des langues régionales, si elle ne doit pas passer devant le Français, est à mon avis une bonne chose.]

      Moi, je crois à la liberté. Si des français ont envie de consacrer leur temps et leur argent à apprendre le breton, alors ils en ont le droit. Que ce soit en Bretagne ou ailleurs : si le breton est une langue belle, utile, si en l’apprenant on peut lire des beaux textes, pourquoi restreindre son apprentissage aux seuls bretons ? Par contre, je ne vois pas très bien ce que vous voulez dire par « une identité culturelle forte » ou « ne pas perdre ce qui faisait de la Bretagne la Bretagne ». La langue n’a pas « fait de la Bretagne la Bretagne », puisque la moitié des habitants du territoire historique du Duché de Bretagne n’ont jamais parlé le Breton. Pas plus que les sabots, qui étaient portés par les paysans de toutes les régions de France. Alors, c’est quoi qui « a fait de la Bretagne la Bretagne » ? L’Ankou ? Les crêpes ?

      Ce que vous appelez « une identité culturelle forte » n’est qu’une construction a posteriori. Il n’y a jamais eu en fait « d’identité culturelle forte » unique à l’ensemble de la Bretagne. Les coiffes du Léon, ne sont pas les mêmes qu’au Trégor, on ne parlait pas Breton à Rennes et même dans la « Bretagne bretonnante », les dialectes changeaient d’un évêché à l’autre. Cette « identité culturelle forte », c’est une invention de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, lorsque les réactionnaires sont allés se chercher une légitimité pour s’opposer à la modernité portée par la République jacobine. C’est alors qu’on a fabriqué les mythes d’un « Duché de Bretagne » idéal qui en fait ne faisaient que projeter sur le moyen âge les idées modernes de l’Etat-nation. C’est alors qu’on commence à parler d’une « langue bretonne » comme s’il s’agissait d’une langue nationale, par exemple, alors que les institutions politiques bretonnes parlaient en fait en français et cela bien avant l’édit de Villers-cotterêts et du rattachement du duché de Bretagne à la France.

      Alors, si l’on veut préserver des éléments imaginaires qui permettent aux gens de se sentir liés à leur région, pourquoi pas. A condition de bien être conscient qu’ils relèvent du folklore, et non d’une « identité ».

      [Le nationalisme est polymorphe, c’est le problème, on peut être nationaliste républicain et considérer que le facteur ethnique n’a aucune importance, ou nationaliste identitaire et penser qu’un peuple est avant tout une ethnie. Personnellement, j’aurai bien du mal à choisir, je crois que j’y mets un peu des deux. Qu’en pensez-vous ?]

      La Nation est avant tout une notion subjective, liée à l’idée de communauté de destin. La Nation, c’est une collectivité de gens convaincus d’avoir un destin commun qui se construit collectivement, avec les solidarités anonymes et inconditionnelles que cela implique. Et cette conviction peut se construire de plusieurs façons en fonction de l’histoire de chacun. On peut être convaincu qu’on a un destin commun avec les gens parce qu’on partage des ancêtres communs, et on peut être convaincu qu’on partage un destin commun avec des gens parce qu’on s’est mis d’accord avec eux.

      La France n’a pas d’unité ethnique. C’est un pays qui s’est construit par agrégation autour d’un Etat fort de peuples d’origines différentes. Dans ce contexte, difficile de fonder la Nation sur « une ethnie ». Il n’y a pas de « ethnie française ».

      [Parenthèse : l’attachement à la France est difficile pour moi aujourd’hui, quand je vois un Fabius parler en mon nom et dire à Obama qu’il fallait frapper la Syrie… bon…]

      Fabius n’est pas la France. Les gouvernements passent, la France demeure…

    • @ Descartes,

      "La France n’a pas d’unité ethnique. C’est un pays qui s’est construit par agrégation autour d’un Etat fort de peuples d’origines différentes. Dans ce contexte, difficile de fonder la Nation sur « une ethnie ». Il n’y a pas de « ethnie française »"
      Eh bien je suis en désaccord avec ce constat. A partir du moment où, par le brassage de population au cours du XIX° siècle (mais il a commencé lentement avant, nous en avons parlé), les Français des différentes régions se sont mélangés, on peut considérer qu’une "ethnie française" est apparue. D’ailleurs, c’est exactement le moment où, comme par hasard, la République pense utile de "fabriquer" nos ancêtres mythiques que sont les Gaulois. La France a donc connu une "ethnogenèse" comme on dit, et le modèle est le même depuis l’Antiquité (j’ai travaillé sur quelques exemples de cette époque): des populations diverses, à un moment donné, s’unissent autour d’ancêtres communs (souvent mythiques d’ailleurs), d’une langue, d’un culte (un sanctuaire "national"), d’institutions politiques aussi. Et ils se désignent par un nom commun. Il me paraît important de rappeler qu’il n’existe en Europe aucun peuple qui soit fondé sur une "race" pure. Même les ethnies "régionales" de l’ancien royaume de France étaient le fruit de mélanges et d’apports complexes.

      En France au XIX°, il était d’ailleurs courant de parler d’une "race française" (souvent opposée à l’allemande d’ailleurs). Je pense qu’on exagère beaucoup les différences de conception entre la nation "à l’allemande" et la nation "à la française". On oublie aussi qu’elles se sont influencées réciproquement. La différence tient à la place de chaque élément, en relation avec l’histoire du pays: en France, la Révolution fait que la nation est d’abord et avant tout politique, l’identité "ethnique" n’apparaissant que plus tard, et son importance reste secondaire; en Allemagne, nation désunie politiquement jusqu’en 1870, le facteur ethnique a pris une dimension plus importante, et l’identité politique s’est construite ensuite.

      Mais si l’on admet qu’il n’y a plus guère de lignées "pures" dans les différentes régions françaises, alors il faut admettre que les vieilles ethnies "provinciales" se sont d’une certaine manière fondues dans une nouvelle ethnie plus large, l’ethnie française métropolitaine. Et cette ethnie est d’autant plus en train de prendre conscience qu’elle existe, à mesure que d’autres étalent leurs propres origines ethniques (africaines, maghrébines). L’ "ethnie française" est à présent en train de se définir par opposition aux minorités ethniques justement, qui lui contestent sa prééminence et son droit historique à construire l’identité du pays. Car si l’on n’est ni noir, ni arabe, ni asiatique, ni métis, ni même pur breton ou pur alsacien, il faut bien être quelque chose, non?

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [Eh bien je suis en désaccord avec ce constat. A partir du moment où, par le brassage de population au cours du XIX° siècle (mais il a commencé lentement avant, nous en avons parlé), les Français des différentes régions se sont mélangés, on peut considérer qu’une "ethnie française" est apparue.]

      Non. Il faudrait des siècles de mélange, et de mélange en vase clos, pour créer une « ethnie ». Parler « d’ethnie », c’est parler d’un groupe humain aux caractères physiques reconnaissables et transmissibles génétiquement. Quels sont ces caractères pour le français ? A-t-il les yeux clairs ou foncés ? Les cheveux noirs ou blonds ? Est-il grand ou petit ?

      On peut parler trouver des définitions ethniques pour des peuples qui ont vécu isolés ou qui ont de fortes règles d’endogamie. On peut parler d’un « type scandinave », d’un « type irlandais », à la rigueur d’un « type allemand »… mais il faut vraiment pousser mémère dans les orties pour parler d’un « type français ». On reconnaît les français à beaucoup de choses, mais certainement pas à leur type physique.

      [D’ailleurs, c’est exactement le moment où, comme par hasard, la République pense utile de "fabriquer" nos ancêtres mythiques que sont les Gaulois. La France a donc connu une "ethnogenèse" comme on dit, et le modèle est le même depuis l’Antiquité (j’ai travaillé sur quelques exemples de cette époque): des populations diverses, à un moment donné, s’unissent autour d’ancêtres communs (souvent mythiques d’ailleurs), d’une langue, d’un culte (un sanctuaire "national"), d’institutions politiques aussi. Et ils se désignent par un nom commun.]

      Bien entendu. Le « mythe des origines communes » est bien plus facile à manier comme facteur d’unité, bien plus graphique que celui de la « communauté de destin », et c’est pourquoi tout le monde y a peu ou prou recours. Mais cela n’implique pas, contrairement à ce que vous pensez, un raisonnement ethnique. Ainsi, par exemple, les pays d’immigration comme les Etats-Unis ou l’Argentine font du « bateau » d’où les immigrants sont descendus l’origine commune qui fait le ciment de la nation (la formule complète étant « l’homme descend du singe, l’américain du bateau »). Une expérience partagée peut elle aussi servir comme « mythe des origines » sans aboutir à la fiction d’un ancêtre commun.

      En France, le processus « d’ethnogenèse » symbolique a été en fait très artificiel, plus volontariste que réaliste. Faire répéter « nos ancêtres les gaulois » a des enfants qui de toute évidence ne pouvaient pas avoir des ancêtres gaulois – les juifs de France, par exemple – mais à qui la République reconnaissait sans restriction la qualité de français relevait d’un acte symbolique d’adoption. Et non d’une volonté de convaincre que les gaulois étaient effectivement nos ancêtres. Par ailleurs, la République a, tout en revendiquant les ancêtres gaulois, repris l’essentiel de sa symbolique chez les vainqueurs des gaulois, c’est-à-dire, les romains. Contrairement à l’Allemagne ou l’Angleterre, qui à divers moments de leur histoire ont repris effectivement l’héritage saxon ou germanique, la République en France est résolument classique.

      [Il me paraît important de rappeler qu’il n’existe en Europe aucun peuple qui soit fondé sur une "race" pure. Même les ethnies "régionales" de l’ancien royaume de France étaient le fruit de mélanges et d’apports complexes.]

      Une « race pure » n’a pas de sens. Mais il y a en Europe des peuples qui ont des caractères ethniques plus marqués que les autres. Les scandinaves me semblent un bon exemple.

      [En France au XIX°, il était d’ailleurs courant de parler d’une "race française" (souvent opposée à l’allemande d’ailleurs). Je pense qu’on exagère beaucoup les différences de conception entre la nation "à l’allemande" et la nation "à la française". On oublie aussi qu’elles se sont influencées réciproquement. La différence tient à la place de chaque élément, en relation avec l’histoire du pays: en France, la Révolution fait que la nation est d’abord et avant tout politique, l’identité "ethnique" n’apparaissant que plus tard, et son importance reste secondaire; en Allemagne, nation désunie politiquement jusqu’en 1870, le facteur ethnique a pris une dimension plus importante, et l’identité politique s’est construite ensuite.]

      Il n’y a pas que la Révolution. Les différences entre la conception allemande et française viennent de beaucoup plus loin. En France, l’Etat précède la Nation. En Allemagne, c’est le contraire. En France, la monarchie a réussi à mettre au pas les nobles locaux et constituer une unité avec des provinces dont les traditions juridiques, politiques, religieuses, ethniques et linguistiques étaient très diverses. En Allemagne, le roi n’est qu’un « primum inter pares » et ce qui fait l’unité du pays – toujours branlante – c’est au contraire l’homogénéité des traditions et des langues. L’espace allemand, pour les allemands, est celui de la langue allemande. On le voit avec les problèmes posés par les minorités de langue allemande en Europe centrale. Pour les français, l’espace français est celui ou s’exerce le pouvoir de l’Etat français. C’est pourquoi, contrairement à l’Allemagne, nous n’avons jamais considéré comme français les belges ou suisses francophones, et cela ne nous a pas non plus gêné d’incorporer à la France des territoires ou l’on ne parlait pas à l’origine français (Nice, Savoia, Corse…). Et cette conception est très ancienne : les Allemands de la Volga continuaient à s’appeler « Allemands ». Les francophones du Quebec ne se sont jamais appelés eux-mêmes « français du Quebec ».

      [Mais si l’on admet qu’il n’y a plus guère de lignées "pures" dans les différentes régions françaises, alors il faut admettre que les vieilles ethnies "provinciales" se sont d’une certaine manière fondues dans une nouvelle ethnie plus large, l’ethnie française métropolitaine.]

      Ou qu’elles aient disparu. Pourquoi voulez-vous que tout le monde doive appartenir à une « ethnie » ?

      [Et cette ethnie est d’autant plus en train de prendre conscience qu’elle existe, à mesure que d’autres étalent leurs propres origines ethniques (africaines, maghrébines).]

      Si prise de conscience il y a, c’est celle d’appartenir effectivement à une catégorie ethnique qui est celle du « caucasien » (nom poli pour « blanc européen »). Mais c’est une catégorie qui n’a rien de « française ». Je crains que vos tentatives de constituer une catégorie ethnique qui corresponde aux frontières de la France est vouée à l’échec. Les frontières françaises ne sont pas ethniques, mais politiques.

      [Car si l’on n’est ni noir, ni arabe, ni asiatique, ni métis, ni même pur breton ou pur alsacien, il faut bien être quelque chose, non?]

      Franchement, je n’en vois pas la nécessité… pourquoi voulez-vous à tout pris qu’il "faille" être quelque chose ? On a les yeux de telle ethnie, les cheveux d’une autre, la peau d’une troisième. Et on ne peut être classe vraiment dans aucune, sauf à inventer le groupe ethnique des inclassables…

    • @ Descartes,

      "Il faudrait des siècles de mélange, et de mélange en vase clos, pour créer une « ethnie »."
      Ce qui revient à dire qu’il n’y aurait pas d’ethnie sur Terre… à part les Aborigènes d’Australie et quelques populations isolées, insulaires ou vivant dans des montagnes inaccessibles et des déserts reculés.

      "Parler « d’ethnie », c’est parler d’un groupe humain aux caractères physiques reconnaissables et transmissibles génétiquement."
      Pas du tout. Encore une fois, tu confonds "race" et "ethnie", alors que ce sont deux choses différentes.

      Voici la définition d’ethnie: "Ensemble d’individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation, notamment la communauté de langue et de culture" (Petit Robert de la langue française, 2010, p.946, soyons rigoureux…). Où lis-tu qu’il soit question de "caractères physiques"?

      Et le même dictionnaire précise pour le mot "race": "1. Ensemble d’êtres humains qui ont en commun la couleur de la peau […]; 2. Dans la théorie du racisme, Groupe naturel d’humains qui ont des caractères semblables (physiques, psychiques, culturels, etc) provenant d’un passé commun, souvent classé dans une hiérarchie." (p.2098)

      Tu peux constater que les deux définitions sont différentes: l’ethnie est culturelle, la race biologique. Oui, je pense qu’il y a une ethnie française, qui d’ailleurs déborde légèrement le cadre de la France, puisque les Wallons, les Romands suisses et les Québécois peuvent se rattacher à cette ethnie française. Cette ethnie est de mon point de vue distincte de la nation française, laquelle comprend d’autres ethnies que celle que je viens d’évoquer: noire antillaise, polynésienne, réunionaise… lesquelles ont des traditions différentes bien qu’elles soient francophones. En revanche, je ne crois pas qu’il y ait une "race" française avec un aspect physique reconnaissable.

      "On peut parler d’un « type scandinave », d’un « type irlandais », à la rigueur d’un « type allemand »… mais il faut vraiment pousser mémère dans les orties pour parler d’un « type français »."
      Là encore, je trouve que tu vas un peu vite en besogne. Je dirai qu’il existe un "type nordique" qui est dominant (mais pas unique) en Scandinavie, mais qu’on rencontre aussi en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, et même en France, on peut trouver des grands blonds aux yeux bleus. Tu en connais sûrement… Mais, puisque je crois me rappeler que tu es allé en Suède, tu as pu constater je pense qu’il y a des Suédois "de souche" qui sont bruns aux yeux marron. Quant au "type allemand", je crois que c’est une blague: pour avoir visité la Rhénanie il y a plusieurs années de cela, j’avais trouvé que globalement l’Allemand "de souche" n’était pas si différent du Français "de souche". Après, tu me diras peut-être qu’il en est autrement au nord et à l’est de l’Allemagne, je ne connais pas ces régions. En ce qui concerne les Français natifs, ils appartiennent au "type intermédiaire", entre le type nordique (cheveux et yeux clairs) et le type méditerranéen (cheveux foncés et teint plus mat). Mais ce type physique n’est pas propre à la France, nous sommes d’accord.

      "Mais cela n’implique pas, contrairement à ce que vous pensez, un raisonnement ethnique"
      Justement si, puisqu’une ethnie repose sur des fondements culturels plus que biologiques.

      "Une expérience partagée peut elle aussi servir comme « mythe des origines » sans aboutir à la fiction d’un ancêtre commun."
      Je suis d’accord. Mais en France, nous sommes allés jusqu’à la fiction des ancêtres communs, et c’est le propre de la démarche ethnique.

      "En France, le processus « d’ethnogenèse » symbolique a été en fait très artificiel, plus volontariste que réaliste"
      Encore une fois, tout processus d’ethnogenèse est symbolique et ne recouvre que rarement une réalité biologique. Je vais te donner un exemple: lors de mes études, j’ai travaillé sur les Lucaniens, un peuple antique d’Italie du Sud. Ce que l’archéologie (et dans une moindre mesure les textes) nous apprenait, c’est que l’apparition de cet ethnos (puisque le terme est employé par les Grecs) découlait d’un processus complexe au cours duquel des populations d’origine différente se sont unifiées autour d’une certaine conception de la société, de sanctuaires communs, d’une langue apportée par des migrants venus des Abruzzes (l’osque), le tout sous influence grecque. Il est d’ailleurs intéressant de constater que des variantes locales (visibles dans les trousseaux funéraires par exemple) persistaient même après la relative unification culturelle et la création d’institutions politiques communes. La structuration de cette ethnie a pris un siècle tout au plus et ne s’est pas opérée en vase clos, mais justement au contact (et pour une bonne part en opposition) à une autre population, celle des cités grecques de la côte. Or les Grecs ont perçu ce changement, ils en témoignent.

      "des enfants qui de toute évidence ne pouvaient pas avoir des ancêtres gaulois – les juifs de France, par exemple"
      La plupart des juifs européens descendent pour une part d’Européens convertis au judaïsme dans l’Antiquité. On l’oublie aujourd’hui, mais le judaïsme a connu dans le passé des phases de (modeste) prosélytisme. Beaucoup d’historiens (dont Maurice Sartre) estiment que la prodigieuse expansion de la communauté juive entre le II° siècle av. J.-C. et le II° siècle de notre ère ne s’explique pas uniquement par la diaspora et la vitalité démographique: il y a vraisemblablement eu pas mal de conversions (c’est aussi la thèse de Shlomo Sand dans son bouquin sur "l’invention du peuple juif"). Par conséquent, il ne faut pas exclure que certains juifs français descendent de Gallo-romains convertis…

      "Les scandinaves me semblent un bon exemple"
      Les Scandinaves peut-être. Mais les Allemands… Et pourtant la dimension ethnique est forte dans l’idée nationale allemande. C’est pour une bonne part un mythe.

      "En France, l’Etat précède la Nation. En Allemagne, c’est le contraire"
      Je ne dis pas autre chose: en France, la politique d’abord, en Allemagne, la culture et la "race" en premier lieu. Mais ce que tu as du mal à voir, c’est qu’en construisant un peuple politique, l’Etat français aboutit à opérer une forme d’ethnogenèse. Ce que je veux dire, c’est que l’unification du peuple français n’a pas qu’une dimension politique, mais également une dimension culturelle, linguistique… et même biologique d’une certaine façon (avec le brassage, on y revient)!

      "c’est au contraire l’homogénéité des traditions et des langues."
      Une homogénéité dont il y aurait beaucoup à dire… Au XIX° siècle, entre un Bavarois catholique et un Prussien luthérien, il y a comme qui dirait quelques différences.

      "C’est pourquoi, contrairement à l’Allemagne, nous n’avons jamais considéré comme français les belges ou suisses francophones,"
      Jamais? Les territoires dont tu parles ont été annexés lors de la Révolution et de l’Empire, et départementalisés. Certes, c’est arrivé à d’autres territoires non-francophones (Flandres, Pays-Bas, Piémont). Encore une fois, ces francophones ne sont pas membres de notre nation, mais l’on peut considérer qu’ils font partie d’une ethnie française. Entre Wallons et Français, il y a quand même une proximité culturelle. De même que les Autrichiens sont ethniquement des Allemands tout en constituant une nation à part du fait des péripéties de l’histoire.

      "Les francophones du Quebec ne se sont jamais appelés eux-mêmes « français du Quebec »"
      Jusqu’à nos jours, le terme "Canadiens-français" est employé… Je crois que tu prends quelques libertés avec la réalité historique.

      http://fr.wikipedia.org/wiki/Canadiens_fran%C3%A7ais
      Cet article de Wikipédia donne des indications sur l’essor de ce terme à partir de la fin du XIX° siècle.

      "Pourquoi voulez-vous que tout le monde doive appartenir à une « ethnie » ?"
      Parce qu’on se rattache tous à une communauté humaine, avec ses références historiques, littéraires, etc.

      "pourquoi voulez-vous à tout pris qu’il "faille" être quelque chose ?"
      C’est une bonne question. J’ai l’impression que beaucoup de gens ont envie d’ "être quelque chose". Ils aiment bien mettre les autres dans des cases et savoir dans laquelle ils sont. Les hommes ont depuis longtemps la passion de la classification. Je pense que peu de gens en fait ont vraiment envie d’être "inclassables", bien que le terme soit à la mode.

    • Albert dit :

      ["Les gouvernements passent, la France demeure…"]. Ce fut le cas jusqu’ici mais….

      Vous me donnez là l’occasion d’évoquer un sujet trop esquivé: que veut dire "la France demeure" aujourd’hui?
      On ne change pas un peuple, dit-on ça et là. C’est aussi ce que dit Dupont-Aignan. J’ai des doutes.
      En effet, si l’on opère une substitution rapide et importante de peuple, minoritaire d’abord, puis majoritaire, par l’immigration et la démographie, simultanément avec la destruction progressive de l’Etat ancien qui constituait le ciment de la France, pourra-t-on encore dire que "la France demeure"? Comme "géographie", peut-être, et encore…!
      Je suis souverainiste par conviction républicaine, mais rien ne m’agace autant que tous ces gens qui croient à la France éternelle. Rien n’est éternel sur terre. Il y a seulement des longévités différentes.

    • Descartes dit :

      @ Albert

      [En effet, si l’on opère une substitution rapide et importante de peuple, minoritaire d’abord, puis majoritaire, par l’immigration et la démographie, simultanément avec la destruction progressive de l’Etat ancien qui constituait le ciment de la France, pourra-t-on encore dire que "la France demeure"? Comme "géographie", peut-être, et encore…!]

      Faut pas exagérer le pessimisme. La machine à assimiler marche mal, mais elle marche encore. Les médias ont tendance à mettre les projecteurs sur ce qui ne marche pas. Mais le fait qu’ici ou là se constituent des ghettos ne doit pas cacher le fait que la grande majorité des immigrés s’assimilent et intègrent les valeurs de la France. Et il ne faut pas exagérer : il s’en faudrait de beaucoup pour que l’immigration devienne « majoritaire »…

      [Je suis souverainiste par conviction républicaine, mais rien ne m’agace autant que tous ces gens qui croient à la France éternelle. Rien n’est éternel sur terre.]

      A notre échelle, si…

    • Albert dit :

      [" il ne faut pas exagérer : il s’en faudrait de beaucoup pour que l’immigration devienne « majoritaire »…"]

      Avez-vous déjà regardé , dans les journaux régionaux, le "carnet des naissances"? C’est très instructif quant à la dynamique en cours et va dans le même sens que les études gardées confidentielles d’organismes très sérieux comme l’INED. Et puis, de très fortes minorités peuvent suffire à changer un corps social si la majorité manque de cohésion.

      Pour ce qui est de l’intégration, elle fonctionne encore un peu certes, mais vous conviendrez qu’elle n’a plus le vent en poupe- c’est le moins qu’on puisse dire. Et je ne parle même pas de feu l’assimilation!
      Là aussi je m’attache plus au mouvement, à la dynamique, qu’à l’approche apparente, statique.

    • Descartes dit :

      @Albert

      [Avez-vous déjà regardé , dans les journaux régionaux, le "carnet des naissances"?]

      Oui. Et alors ?

      [C’est très instructif quant à la dynamique en cours et va dans le même sens que les études gardées confidentielles d’organismes très sérieux comme l’INED.]

      Comment le savez-vous, puisqu’elles ont été « gardées confidentielles » ? Cette remarque sent le complotisme…

      [Et puis, de très fortes minorités peuvent suffire à changer un corps social si la majorité manque de cohésion.]

      Pourriez-vous donner un exemple ?

      J’avoue que j’ai du mal à partager cette logique de « chérie fais moi peur » avec l’immigration. L’immigration pose un certain nombre de problèmes, que nos dirigeants en général et ceux de gauche en particulier refusent de voir. Il y a la question de la pression à la baisse sur les salaires. Il y a la question des ghettos. Il y a la question de la laïcité. Tous ces problèmes doivent être discutés. Mais je trouve qu’on pollue ce débat lorsqu’on joue la partition de la « peur de la submersion » par le biais de la démographie. L’expérience historique montre que ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Une civilisation s’impose à une autre non par le poids du nombre, mais par sa capacité à résoudre les problèmes qui se posent à elle. Les britanniques étaient infiniment moins nombreux que les indiens, et pourtant ils ont dominé l’Inde et imposé leurs coutumes, leur organisation politique, leur langue.

      [Pour ce qui est de l’intégration, elle fonctionne encore un peu certes, mais vous conviendrez qu’elle n’a plus le vent en poupe- c’est le moins qu’on puisse dire. Et je ne parle même pas de feu l’assimilation!]

      En fait, au délà des discours idéologiques, l’assimilation continue à fonctionner. Je crois que c’est Finkielkraut qui remarque combien les partisans du voile dans notre pays défendent ce vêtement non pas avec des considérations religieuses, mais sur le fondement des droits de l’homme et de la liberté à s’habiller comme on veut, qui sont des arguments fondamentalement laïques. La plupart des descendants d’immigrés installés en France sont terriblement « français » dans leur vision du monde.

    • Albert dit :

      ["Comment le savez-vous, puisqu’elles ont été « gardées confidentielles » ? Cette remarque sent le complotisme…"]

      Pas du tout! J’ai souvenir, notamment, d’une étude de l’INED qui faisait déjà état, il y a une vingtaine d’années de chiffres déjà significatifs concernant la proportion d’immigrés ou enfants de… chez les moins de 20 ans dans les 3 ou 4 départements entourant Paris. C’était déjà, de mémoire, de l’ordre de 30%, voire plus.
      Quand je dis "confidentielles", je veux dire qu’elles n’ont pas été ébruitées à l’époque et ont vite disparu du paysage.

      ["Pourriez-vous donner un exemple ?"]
      Je ne suis pas un expert (Kosovo peut-être?) mais ça me semble évident, surtout si l’on replace la question dans un contexte géopolitique international favorable (ce qui est le cas indéniablement, voir les préconisations de diverses instances internationales et/ou Onusiennes préconisant un rééquilibrage des populations entre l’Afrique et l’Europe.)

      [" Une civilisation s’impose à une autre non par le poids du nombre, mais par sa capacité à résoudre les problèmes qui se posent à elle."]
      Ce que vous dites n’est pas faux, mais en même temps il est difficile de nier le rôle du facteur démographique dans le cours de l’Histoire. Quand Boumedienne disait à la tribune de l’ONU :"nous conquérrons l’Europe avec les ventres de nos femmes", s’agissait-il de fantasmes?

      [" les partisans du voile dans notre pays défendent ce vêtement non pas avec des considérations religieuses, mais sur le fondement des droits de l’homme et de la liberté à s’habiller comme on veut, qui sont des arguments fondamentalement laïques."]
      Et vous y croyez, vous? Pas moi.

    • Albert dit :

      ["Je crois que c’est Finkielkraut qui remarque combien les partisans du voile dans notre pays défendent ce vêtement non pas avec des considérations religieuses, mais sur le fondement des droits de l’homme et de la liberté à s’habiller comme on veut, qui sont des arguments fondamentalement laïques."]

      J’ai été un peu rapide et laconique hier dans ma réponse sur ce point. Permettez que j’y revienne.

      D’abord je suis étonné que vous citiez Finkielkraut à ce sujet, lui qui déclarait encore récemment (et s’est fait incendier par les bien-pensants) qu’en France aujourd’hui tout un chacun peut dire la fierté de ses origines -à l’exception des "Français de souche", le terme même étant infamant.
      Donc, si même il a dit ce que vous écrivez, je pense qu’il faudrait voir le contexte. Il est vrai que l’argument que vous évoqué (droits de l’homme et liberté…) est présent dans le débat, et peut-être sincère chez certains, mais il ne fait aucun doute que chez beaucoup il n’est qu’un paravent. Ce qui n’a rien d’exceptionnel en cette époque où le sens de tant de mots est perverti (inversé).C’est même à mon avis ce qu’il y a de plus inquiétant: la pensée devenue crème de marrons (ou de tout autre fruit si vous préférez).

      (Cela étant je ne suis pas fanatiquement hostile à tout port de voile, mais il y a voile et voile et je ne l’aime pas quand il est manifestation de rattachement à des valeurs ou traditions extérieures et refus d’intégration aux valeurs républicaines, dont l’égalité homme-femme fait partie.)

    • Descartes dit :

      @ Albert

      [Pas du tout! J’ai souvenir, notamment, d’une étude de l’INED qui faisait déjà état, il y a une vingtaine d’années de chiffres déjà significatifs concernant la proportion d’immigrés ou enfants de… chez les moins de 20 ans dans les 3 ou 4 départements entourant Paris. C’était déjà, de mémoire, de l’ordre de 30%, voire plus.]

      Sauf que les trois ou quatre départements entourant Paris, ce n’est pas la France, et que l’enquête ne nous dit rien sur l’assimilation des fils d’immigrés en question. Moi même, j’ai des parents immigrés, et je ne pense pas être une grande menace pour l’identité française…

      ["Pourriez-vous donner un exemple ?" Je ne suis pas un expert (Kosovo peut-être?) mais ça me semble évident,]

      Que la terre est plate a « semblé évident » à des dizaines de générations humaines. Et c’était faux quand même. Le Kossovo est un mauvais exemple : il n’y a pas eu de « substitution de population ». En fait, dans les exemples qu’on peut observer c’est plutôt l’inverse : un groupe qui devient minoritaire tend au contraire à préserver plus fortement ses éléments « identitaires » que le groupe majoritaire.

      [surtout si l’on replace la question dans un contexte géopolitique international favorable (ce qui est le cas indéniablement, voir les préconisations de diverses instances internationales et/ou Onusiennes préconisant un rééquilibrage des populations entre l’Afrique et l’Europe.)]

      Pourriez-vous citer un exemple d’une telle « recommandation » ?

      [Ce que vous dites n’est pas faux, mais en même temps il est difficile de nier le rôle du facteur démographique dans le cours de l’Histoire. Quand Boumedienne disait à la tribune de l’ONU :"nous conquérrons l’Europe avec les ventres de nos femmes", s’agissait-il de fantasmes?]

      Il s’agissait d’une déclaration politique, qui d’ailleurs a été démentie par les faits. Encore une fois, il faut regarder les réalités. Boumedienne n’a rien conquis avec les ventres de ses femmes. Et je ne connais pas d’exemple historique où une culture se soit imposée à une autre par le simple effet de la démographie. L’histoire mondiale est plutôt celle des peuples démographiquement faibles qui se sont imposées grâce à leur organisation sociale et leur avance technologique et scientifique a des peuples bien plus dynamiques sur le plan démographique. Si « le ventre des femmes » était si efficace comme arme, l’Inde aurait conquis l’Angleterre, et non l’inverse.

      [" les partisans du voile dans notre pays défendent ce vêtement non pas avec des considérations religieuses, mais sur le fondement des droits de l’homme et de la liberté à s’habiller comme on veut, qui sont des arguments fondamentalement laïques." Et vous y croyez, vous? Pas moi.]

      Ce n’est pas une question de croire, c’est une question de constater. Les arguments défendus devant les conseils de discipline et devant le Conseil d’Etat ont été à chaque fois fondés sur le principe de liberté, et non sur des arguments théologiques. On a invoqué la liberté de s’habiller comme on l’entend, de manifester ses croyances, de culte. On ne nous a jamais dit qu’il fallait autoriser le voile pour ne pas encourir la colère d’Allah. Lors de l’affaire des caricatures de Mahomet, on a ressorti l’argument du « respect » du aux différents cultes, pas la peur de la colère divine ou le blasphème.

    • Albert dit :

      ["Moi même, j’ai des parents immigrés, et je ne pense pas être une grande menace pour l’identité française…"]

      C’est un peu facile! L’immigration antérieure à ,disons 1960, n’était effectivement pas "dislocatoire" pour la France. Les temps ont changé et l’immigration ultérieure présente au moins des "risques", pour diverses raisons. Sans vous offenser, un homme de votre niveau intellectuel ne peut pas ne pas le voir, sauf à ne pas vouloir le voir.
      D’une façon générale, ce n’est pas parce que quelque chose n’est encore jamais arrivé dans l’Histoire que cela n’arrivera jamais. Les totalitarismes du XXème siècle ont pu advenir aussi parce qu’il étaient inédits.

      ["Pourriez-vous citer un exemple d’une telle « recommandation » ?"]
      Absolument! il faut juste que je retrouve mes sources et je vous les communiquerai.
      Je rappelle qu’il s’agit de perspectives quantitatives, indépendamment de l’aspect intégration.

      ["…qui d’ailleurs a été démentie par les faits."]
      Vous ne concluez pas un peu trop vite? -étant entendu que Boumedienne ne limitait pas son propos aux seuls Algériens, mais à l’ensemble du Maghreb, voire plus. Et qu’il n’a pas dit que cela se ferait en 30 ans.

      [ "Les arguments défendus devant les conseils de discipline et devant le Conseil d’Etat ont été à chaque fois fondés sur le principe de liberté, et non sur des arguments théologiques."]

      Sans vouloir encore vous offenser, cet argument me parait un peu naïf. Les tenants de l’islamisme ne sont pas stupides. Ils savent bien utiliser comme paravent des notions de droit qui sont les nôtres. Bruno Etienne, non suspect d’islamophobie, écrivait il y a déjà plus de 20 ans que "pour un vrai musulman la notion même de droits de l’homme est incompréhensible". D’accord, faisons la part des choses, il n’empêche: L’instrumentalisation des droits de l’homme par les islamistes est une spécialité où ils excellent, tant aujourd’hui la pensée occidentale est brouillée par la perversion et l’inversion de sens des mots. Dans des tas de domaines d’ailleurs. Cela n’a pu vous échapper.
      J’avais d’ailleurs prolongé mon commentaire par un autre, à propos justement des idées de Finkielkraut, mais il s’est évaporé.?

    • Descartes dit :

      @Albert

      [J’ai été un peu rapide et laconique hier dans ma réponse sur ce point. Permettez que j’y revienne.]

      Avec plaisir…

      [D’abord je suis étonné que vous citiez Finkielkraut à ce sujet, lui qui déclarait encore récemment (et s’est fait incendier par les bien-pensants) qu’en France aujourd’hui tout un chacun peut dire la fierté de ses origines -à l’exception des "Français de souche", le terme même étant infamant.]

      Quel rapport ? Il m’arrive souvent de citer Finkielkraut, dont je trouve les réflexions intéressantes même lorsque je ne partage pas les conclusions. Finkielkraut note à mon avis à juste titre que derrière le voile il y a une revendication identitaire et politique, et non pas une revendication religieuse. Et il justifie cette conclusion par le fait que l’argumentation utilisée par les partisans du port du voile est construite non pas autour d’arguments théologiques, mais autour d’arguments qui appartiennent au registre du droit séculier. En d’autres termes, même les partisans du voile sont aujourd’hui sécularisés. Cela ne contredit en rien le commentaire que vous citez : le fait qu’une certaine « bienpensance » privilégie certaines « identités » par rapport à d’autres n’invalide en rien que la question est identitaire, et non religieuse.

      Finalement, les seuls qui utilisent l’argumentaire théologique sont, paradoxalement, certains adversaires du voile qui cherchent à nous convaincre que « le voile n’est pas une obligation religieuse de l’Islam ». Ce qui paradoxalement suppose que si c’en était une, leur position serait différente…

      [Donc, si même il a dit ce que vous écrivez, je pense qu’il faudrait voir le contexte. Il est vrai que l’argument que vous évoqué (droits de l’homme et liberté…) est présent dans le débat, et peut-être sincère chez certains, mais il ne fait aucun doute que chez beaucoup il n’est qu’un paravent.]

      Je ne le crois pas. Le propre des fanatiques c’est justement qu’ils ne se cherchent pas des paravents. Je pense que la remarque de Finkielkraut est juste : l’immense majorité de nos concitoyens d’origine maghrébine est « sécularisée », au sens qu’elle ne croit pas que les lois de dieu soient supérieures aux lois de la République. Pour ces gens, observer le Ramadan ou aller à la mosquée le vendredi est souvent plus une manière de revendiquer une appartenance communautaire qu’une question religieuse. La meilleure preuve en est que lorsqu’une obligation religieuse devient un obstacle au bien-être matériel, elle est mise de côté. Pensez au prêt d’argent à intérêt… combien de fils d’immigrés connaissez vous qui refusent de recourir à l’emprunt pour acheter leur appartement ou leur commerce, ou qui refusent un emploi dans une banque sous prétexte qu’on le pratique ?

      Ce qui est à craindre chez les immigrés et leurs descendants, c’est plus le communautarisme que la religion. La religion n’est souvent qu’un prétexte pour maintenir la communauté soudée et isolée.

      [Cela étant je ne suis pas fanatiquement hostile à tout port de voile, mais il y a voile et voile et je ne l’aime pas quand il est manifestation de rattachement à des valeurs ou traditions extérieures et refus d’intégration aux valeurs républicaines, dont l’égalité homme-femme fait partie.]

      Je ne suis pas contre le port du voile per se. Pendant des siècles nos paysannes ont porté un foulard sur la tête, surtout pour aller à l’Eglise, alors que les hommes devaient au contraire s’y découvrir. S’il est porté librement, pourquoi pas. Ce n’est pas le voile qu’on a interdit d’ailleurs, c’est le symbole. Dès lors que ce voile devient un symbole de rejet de la République et d’isolement communautaire, il doit être impitoyablement chassé de la sphère publique. Par contre, je ne vois pas très bien ce que vient faire ici "l’égalité homme-femme".

    • Descartes dit :

      @Albert

      [« Moi même, j’ai des parents immigrés, et je ne pense pas être une grande menace pour l’identité française… ».C’est un peu facile! L’immigration antérieure à ,disons 1960, n’était effectivement pas "dislocatoire" pour la France.]

      Mes parents sont arrivés en France à la fin des années 1970… j’appartiens donc à ces vagues d’immigration que vous considérez « dislocatoires »…

      [Les temps ont changé et l’immigration ultérieure présente au moins des "risques", pour diverses raisons. Sans vous offenser, un homme de votre niveau intellectuel ne peut pas ne pas le voir, sauf à ne pas vouloir le voir.]

      Pas de chantage affectif, s’il vous plait. Non, je ne vois pas en quoi le maghrébin pré-1960 présenterait plus de « risques » que le maghrébin post-1960. Si vous en voyez les raisons, exposez les au lieu d’utiliser le gambit « un homme de votre niveau intellectuel devrait les trouver de lui même ».

      Si « risque » il y a, c’est de l’évolution de la société française qu’il vient, et non de l’évolution de l’immigré. Si nous avions des institutions fortes, si l’ascenseur social fonctionnait et la méritocratie était la règle, si les classes moyennes étaient prêtes à payer le prix de l’assimilation, alors l’immigration ne poserait pas de véritable problème. Elle en pose parce qu’on a systématiquement affaibli toutes les institutions qui encadraient le processus d’assimilation, parce qu’on a cassé l’ascenseur social et organisé la promotion des « fils de » à tous les niveaux, parce que les classes moyennes ne veulent pas payer pour les autres. Si le fils de l’Algérien a accès à une école de qualité, à un travail digne, à un logement dans un quartier mélangé, et à la perspective que son fils accède à Polytechnique s’il travaille bien à l’école, alors je peux vous garantir qu’il arrêtera d’aller à la mosquée, apprendra le français, mangera du saucisson et avec un peu de chance votera FN en quelques années. Et que l’envie d’aller faire le Jihad en Syrie ne lui viendra même pas.

      [D’une façon générale, ce n’est pas parce que quelque chose n’est encore jamais arrivé dans l’Histoire que cela n’arrivera jamais. Les totalitarismes du XXème siècle ont pu advenir aussi parce qu’il étaient inédits.]

      Certes. Demain peut-être les pommes tomberont de bas en haut. Mais le fait qu’elles soient toujours tombées de haut en bas rend très raisonnable la prédiction qu’elles continueront à le faire à l’avenir.

      ["Pourriez-vous citer un exemple d’une telle « recommandation » ?" Absolument! il faut juste que je retrouve mes sources et je vous les communiquerai.]

      J’attends avec impatience…

      ["…qui d’ailleurs a été démentie par les faits." Vous ne concluez pas un peu trop vite? -étant entendu que Boumedienne ne limitait pas son propos aux seuls Algériens, mais à l’ensemble du Maghreb, voire plus. Et qu’il n’a pas dit que cela se ferait en 30 ans.]

      Il est évident que si l’on ne fixe aucun délai, il ne risque pas d’être démenti par les faits… on pourra toujours se dire qu’un jour, peut-être, cela arrivera. Mais je pense qu’un demi siècle c’est une période d’essai suffisamment longue, et qu’on n’observe aucun processus de « conquête » s’amorcer. Et comme ce type de « conquête » ne s’est jamais matérialisé dans l’histoire et qu’on ne voit pas très bien par quel mécanisme il pourrait fonctionner, on peut raisonnablement conclure que l’affirmation de Boumediene n’était qu’un effet de manche à la tribune, et rien de plus.

      [« Les arguments défendus devant les conseils de discipline et devant le Conseil d’Etat ont été à chaque fois fondés sur le principe de liberté, et non sur des arguments théologiques. » Sans vouloir encore vous offenser, cet argument me parait un peu naïf. Les tenants de l’islamisme ne sont pas stupides. Ils savent bien utiliser comme paravent des notions de droit qui sont les nôtres.]

      S’ils ne sont pas stupides, s’ils sont capables de se mettre à notre place, il faut alors conclure qu’ils sont bien moins « fanatiques » qu’on pourrait le penser. S’ils sont capables de construire une argumentation non pas en fonction de leurs croyances, mais en fonction des croyances de l’autre, c’est qu’ils pensent rationnellement. Et dès lors qu’on pense rationnellement, on est dans le domaine séculier.

      [Bruno Etienne, non suspect d’islamophobie, écrivait il y a déjà plus de 20 ans que "pour un vrai musulman la notion même de droits de l’homme est incompréhensible".]

      Bien sur. Mais si j’applique cette formule à la lettre, je dois conclure que puisque ces « islamistes » semblent très bien comprendre la notion, ils ne sont pas aussi « vrais musulmans » qu’ils le prétendent.

      [D’accord, faisons la part des choses, il n’empêche: L’instrumentalisation des droits de l’homme par les islamistes est une spécialité où ils excellent, tant aujourd’hui la pensée occidentale est brouillée par la perversion et l’inversion de sens des mots. Dans des tas de domaines d’ailleurs. Cela n’a pu vous échapper.]

      Non. Mais il ne vous aura pas échappé non plus que cette « instrumentalisation » n’est pas, loin de là, l’apanage des islamistes. Au fur et à mesure que le « droitdelhomisme » a été institué comme idéologie officielle, toutes sortes de groupes et factions ont réalisé le profit qu’elles pouvaient tirer en les invoquant. Il n’empêche que cette instrumentalisation relève d’une conception rationnelle, et non pas religieuse, de la politique.

      [J’avais d’ailleurs prolongé mon commentaire par un autre, à propos justement des idées de Finkielkraut, mais il s’est évaporé.?]

      Rien ne s’évapore sur ce blog… il suffit d’avoir un peu de patience !

    • Courtial des Pereires dit :

      @ Descartes

      Désolé, je vous répond avec gros décalage.

      [[[ Mais… si je pensais que l’utopie mondialiste était possible, que tous les hommes pouvaient un jour constituer une seule nation, parler une seule langue, être soumis à un seul droit, je serais peut-être « mondialiste ». Ce qui me sépare des « mondialistes », c’est que je ne crois pas cette utopie possible, à supposer même qu’elle soit désirable. ]]]

      "peut-être mondialiste", "à supposer même qu’elle soit désirable", voilà de sérieux doutes pour vous qui avez l’habitude de camper des positions bien ancrées. Dans tous les cas, moi je suis sûr (pour une fois…) que je refuserais une uniformisation, même si cela était possible. Peut-être aurais-je été "girondin" à l’époque de l’affrontement avec les jacobins. Quoi qu’il en soit, je prends la France comme elle est aujourd’hui, unifiée, et j’aimerais qu’elle ne soit pas diluée dans un monde occidental unifié culturellement, sous la houlette des USA.

      Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’une certaine partie des élites est international-jacobine, qu’ils aimeraient arrivé à une uniformisation du monde, pour diverses raisons d’ailleurs (pour pouvoir vendre plus, parce que les nations c’est la guerre, parce que les femmes sont mal traitées dans les pays du tiers monde, parce que les homosexuels n’ont pas le droit de se marier en Russie, etc.), et qu’ils mettent en œuvre des moyens colossaux pour vendre cette uniformisation grâce aux médias, aux associations et lobbies, Hollywood, des ONG, blablabla.

      Je me lance là dans une discussion qui peut être interminable et dont je pense ne pas pouvoir cerner tous les aspects, mais j’ai ce dilemme en moi, qui me fait penser d’un côté que certaines valeurs de l’occident et de la France – donc les miennes – sont ce qui se fait de mieux, mais que je n’ai pas le droit de l’imposer aux autres. Et voilà, seulement, lorsqu’on voit certaines conditions dans d’autres pays, on est pourtant bien enclins à aller les "sauver", bien gavé au sentimentalisme que je suis. Une partie de moi me dit que tout le monde devrait bien vivre, et une autre que c’est de toutes façons impossible et qu’il faut déjà se préoccuper de notre proximité, c’est à dire le bien des Français, puisque nous représentons déjà des millions de personnes et que tout n’est pas réglé chez nous.

      [[[ Moi, je crois à la liberté. Si des français ont envie de consacrer leur temps et leur argent à apprendre le breton, alors ils en ont le droit. Que ce soit en Bretagne ou ailleurs : si le breton est une langue belle, utile, si en l’apprenant on peut lire des beaux textes, pourquoi restreindre son apprentissage aux seuls bretons ? Par contre, je ne vois pas très bien ce que vous voulez dire par « une identité culturelle forte » ou « ne pas perdre ce qui faisait de la Bretagne la Bretagne ». La langue n’a pas « fait de la Bretagne la Bretagne », puisque la moitié des habitants du territoire historique du Duché de Bretagne n’ont jamais parlé le Breton. Pas plus que les sabots, qui étaient portés par les paysans de toutes les régions de France. Alors, c’est quoi qui « a fait de la Bretagne la Bretagne » ? L’Ankou ? Les crêpes ?

      Ce que vous appelez « une identité culturelle forte » n’est qu’une construction a posteriori. Il n’y a jamais eu en fait « d’identité culturelle forte » unique à l’ensemble de la Bretagne. Les coiffes du Léon, ne sont pas les mêmes qu’au Trégor, on ne parlait pas Breton à Rennes et même dans la « Bretagne bretonnante », les dialectes changeaient d’un évêché à l’autre. Cette « identité culturelle forte », c’est une invention de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, lorsque les réactionnaires sont allés se chercher une légitimité pour s’opposer à la modernité portée par la République jacobine. C’est alors qu’on a fabriqué les mythes d’un « Duché de Bretagne » idéal qui en fait ne faisaient que projeter sur le moyen âge les idées modernes de l’Etat-nation. C’est alors qu’on commence à parler d’une « langue bretonne » comme s’il s’agissait d’une langue nationale, par exemple, alors que les institutions politiques bretonnes parlaient en fait en français et cela bien avant l’édit de Villers-cotterêts et du rattachement du duché de Bretagne à la France.

      Alors, si l’on veut préserver des éléments imaginaires qui permettent aux gens de se sentir liés à leur région, pourquoi pas. A condition de bien être conscient qu’ils relèvent du folklore, et non d’une « identité ». ]]]

      Et oui, et la France n’a pas toujours été la France d’aujourd’hui non plus, elle avait bien des dialectes avant que le Français soit imposé partout comme facteur d’unification. Les bretons, par simplification, ont crée une langue bretonne commune, un drapeau, etc. et c’est très bien ainsi. Vous balayez parfois bien vite tout d’un revers de main dès que votre jacobinisme et républicanisme est en jeu :). Pour moi, il y a des choses qui sont "bretonnes", qui constituent une "identité bretonne" : le billig, les galettes et les spécialités culinaires en général, la musique bretonne, la langue bretonne, etc. Certaines de ces choses sont aujourd’hui désuètes, comme les coiffes qui elles relèvent du floklore puisque leur usage c’est perdu. Cependant, je crois qu’on peut quand même parler d’identité bretonne, d’identité savoyarde, etc. Moi je ne remet pas en cause l’appartenance de la Bretagne à la France, mais je crois que certaines spécificités locales doivent être préservées, c’est tout, sans tomber dans la caricature certes, mais préservées quand même. C’est une affaire de bretons après-tout, c’est à eux de faire perdurer cela, moi je ne vis même pas en Bretagne, je n’ai pour elle qu’une affection particulière puisqu’une partie de ma famille vient de là-bas et que j’ai depuis l’enfance beaucoup d’attrait pour la musique, la nourriture et autres "fadaises" (vous n’avez jamais employé ce mot, je sais, c’est juste l’effet que ça a produit sur moi quand je vous ai lu) folkloriques. Aussi, je n’ai jamais dit qu’il faille apprendre le breton qu’aux bretons, je ne vois aucun problème à ce qu’on ouvre une école diwan à Marseille. Seulement, qu’on ne vienne pas me dire que le breton fait partie de l’identité Marseillaise…

      Vos connaissances historiques dépassent nettement les miennes, je ne peux pas parler d’égal à égal avec vous et vous envoyer pleins d’affirmations historiques, mais j’aurais au moins tenter de clarifier ma position :).

    • Albert dit :

      ["Finkielkraut note à mon avis à juste titre que derrière le voile il y a une revendication identitaire et politique, et non pas une revendication religieuse. Et il justifie cette conclusion par le fait que l’argumentation utilisée par les partisans du port du voile est construite non pas autour d’arguments théologiques, mais autour d’arguments qui appartiennent au registre du droit séculier."]

      On ne va pas faire un débat sur Finkielkraut. Pour s’en tenir à notre propos résumé ci-dessus, je serais d’accord avec la première phrase(avec réserve v.ci-dessous), mais la seconde, qui est sensée l’étayer, n’est pas convaincante. A votre avis, T. Ramadan est-il "séculier" ou "islamiste"? ça dépend de… à qui il s’adresse. Vous me direz que son discours est séculier L’habit ne fait pas le moine, même dans le discours, sans faire de mauvais procès d’intention. Il est intelligent et a l’esprit très souple – ce qui n’est finalement pas très cartésien (je ne dis pas ça pour vous personnellement).
      J’ai parlé ci-dessus de réserve à propos de la séparation entre religion et identité. La distinction est un peu factice, à mon avis. Les deux ne sont pas toujours superposables, mais le lien est souvent fort -même si cela n’exclut pas les conflits internes.
      Il n’y a pas que du rationnel dans l’esprit des humains, et donc dans leur langage – même s’ils sont de bonne foi, a fortiori quand ils ne le sont pas.

      ["S’ils sont capables de construire une argumentation non pas en fonction de leurs croyances, mais en fonction des croyances de l’autre, c’est qu’ils pensent rationnellement. Et dès lors qu’on pense rationnellement, on est dans le domaine séculier."]

      Oui et non. Etre capable de rentrer dans le discours de l’autre est une preuve d’intelligence et de subtilité d’esprit, pas forcément d’adhésion sincère audit discours. Encore trop cartésien, ou si vous préférez: occidental.

      ["il ne vous aura pas échappé non plus que cette « instrumentalisation » n’est pas, loin de là, l’apanage des islamistes. Au fur et à mesure que le « droitdelhomisme » a été institué comme idéologie officielle, toutes sortes de groupes et factions ont réalisé le profit qu’elles pouvaient tirer en les invoquant."]

      Certes, mais il s’agit toujours d’instrumentalisation, donc de détournement de pensée et ça ne garantit pas l’authenticité – même si parfois le "manipulé" y croit. Ce qui compte, ce n’est pas l’apparence mais la réalité.

      ["J’attends avec impatience…"]
      Laissez-moi le temps; je n’enregistre pas tout ce que je lis !

      Mes parents sont arrivés en France à la fin des années 1970… j’appartiens donc à ces vagues d’immigration que vous considérez « dislocatoires »…

      Mon propos était d’ordre général, soyons sérieux!

    • Descartes dit :

      @ Descartes

      ["peut-être mondialiste", "à supposer même qu’elle soit désirable", voilà de sérieux doutes pour vous qui avez l’habitude de camper des positions bien ancrées.]

      Aucun doute. Dans la mesure ou je ne crois pas que ce soit possible de créer un « état mondial », la question est réglée.

      [Dans tous les cas, moi je suis sûr (pour une fois…) que je refuserais une uniformisation, même si cela était possible. Peut-être aurais-je été "girondin" à l’époque de l’affrontement avec les jacobins. Quoi qu’il en soit, je prends la France comme elle est aujourd’hui, unifiée, et j’aimerais qu’elle ne soit pas diluée dans un monde occidental unifié culturellement, sous la houlette des USA.]

      Personnellement, je ne suis pas un conservateur. J’aurais probablement été Jacobin à la Révolution, tout comme j’aurais soutenu « l’uniformisation » apportée par Napoléon. Et je soutiendrais aujourd’hui la constitution d’un état-nation européen si je le croyais possible, même si cela supposait la dilution de la nation française. Mais voilà, je ne crois pas un instant que cela soit possible. Ou du moins pas dans l’échelle de temps qui est celle de la vie humaine.

      [Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’une certaine partie des élites est international-jacobine, qu’ils aimeraient arrivé à une uniformisation du monde,]

      « international-jacobine » est un oxymore. Les élites « mondialistes » rejettent l’idée même de nation, ce qui les met en contradiction avec l’idée jacobine de la nation comme siège essentiel de la souveraineté. Nos soi-disant élites sont tout, sauf jacobines…

      [Je me lance là dans une discussion qui peut être interminable et dont je pense ne pas pouvoir cerner tous les aspects, mais j’ai ce dilemme en moi, qui me fait penser d’un côté que certaines valeurs de l’occident et de la France – donc les miennes – sont ce qui se fait de mieux, mais que je n’ai pas le droit de l’imposer aux autres.]

      C’est tout le dilemme du droit de faire le bonheur des gens malgré eux. Je ne crois pas que ce dilemme ait une solution intellectuellement satisfaisante.

      [Et oui, et la France n’a pas toujours été la France d’aujourd’hui non plus, elle avait bien des dialectes avant que le Français soit imposé partout comme facteur d’unification.]

      Oui et non. La France avait beaucoup de dialectes populaires, mais une seule langue administrative, le français.

      [Les bretons, par simplification, ont crée une langue bretonne commune, un drapeau, etc. et c’est très bien ainsi.]

      « Les bretons » n’ont rien créé du tout. « Certains bretons » ont fabriqué une « langue bretonne » et un « drapeau breton » à partir d’éléments divers puisés dans diverses sources quand ils ne les ont purement et simplement inventés. Et ils ont décidé que cette langue et ce drapeau étaient « identitaires. Je vous le répète : dans la moitié du territoire de la Bretagne historique on n’a jamais, je répète, jamais parlé une langue qui ressemble de près ou de loin à cette « langue bretonne ». Quant au « drapeau breton », il date de années 1920.

      [Pour moi, il y a des choses qui sont "bretonnes", qui constituent une "identité bretonne" : le billig, les galettes et les spécialités culinaires en général, la musique bretonne, la langue bretonne, etc.]

      Comment « la langue bretonne » qui, je vous le répète, n’a jamais été parlé dans la moitié de la Bretagne, peut être une « chose bretonne » ? Pourquoi le français, qui était parlé dans l’autre moitié, n’est pas considéré comme une « chose bretonne » lui aussi ?

      [Certaines de ces choses sont aujourd’hui désuètes, comme les coiffes qui elles relèvent du floklore puisque leur usage c’est perdu. Cependant, je crois qu’on peut quand même parler d’identité bretonne, d’identité savoyarde, etc.]

      Pourquoi pas. Mais ce sont en général des identités inventées à partir d’un passé idéalisé, et qui n’ont qu’un rapport lointain avec ce qu’était vraiment la vie des gens.

      [Moi je ne remet pas en cause l’appartenance de la Bretagne à la France, mais je crois que certaines spécificités locales doivent être préservées, c’est tout, sans tomber dans la caricature certes, mais préservées quand même.]

      Comme je vous ai dit, je crois à la liberté des gens. Si les gens ont envie – et sont prêts à payer de leurs deniers – pour apprendre le patois local – ou n’importe quel patois qu’ils décident de qualifier comme leurs « racines » – je ne vois aucune raison de les en empêcher. Mais je vous fais remarquer que ces « spécificités » se sont effacées d’elles mêmes sans qu’il soit besoin d’envoyer l’armée arracher les coiffes des femmes et obliger les hommes à manger de la pizza. Si les gens de Quimper ont envie de manger de la choucroute, au nom de quoi faudrait-il leur dire « vous devez manger des galettes, ou alors vous êtes des mauvais bretons ».

      [C’est une affaire de bretons après-tout, ]

      Quand ils le font avec leurs sous, oui. Quand ils prétendent le faire payer par l’ensemble de la collectivité nationale, ou qu’ils utilisent ces spécificités pour discriminer ceux qui viennent d’ailleurs, cela cesse d’être « une affaire de bretons ».

      [c’est à eux de faire perdurer cela, moi je ne vis même pas en Bretagne, je n’ai pour elle qu’une affection particulière puisqu’une partie de ma famille vient de là-bas et que j’ai depuis l’enfance beaucoup d’attrait pour la musique, la nourriture et autres "fadaises" (vous n’avez jamais employé ce mot, je sais, c’est juste l’effet que ça a produit sur moi quand je vous ai lu) folkloriques.]

      Pourquoi « fadaises » ? Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. J’ai le plus grand respect pour le folklore, de la même manière que j’ai une grande estime pour les langues mortes. Mais quand le folklore cesse d’être une pratique culturelle et devient un paravent pour justifier une idéologie qui prône des discriminations et des brimades contre ceux qui n’appartiennent pas à la « communauté » et une division de la République, alors je vois rouge.

      [Aussi, je n’ai jamais dit qu’il faille apprendre le breton qu’aux bretons, je ne vois aucun problème à ce qu’on ouvre une école diwan à Marseille.]

      Et une Calandreta à Quimper ?

      [Seulement, qu’on ne vienne pas me dire que le breton fait partie de l’identité Marseillaise…]

      Le breton fait autant partie de l’identité marseillaise que de l’identité rennaise ou nantaise. Et pourtant, il y a bien une Diwan à Rennes ou l’on explique aux enfants que le breton fait partie de leurs racines…

    • Descartes dit :

      @Albert

      [On ne va pas faire un débat sur Finkielkraut. Pour s’en tenir à notre propos résumé ci-dessus, je serais d’accord avec la première phrase(avec réserve v.ci-dessous), mais la seconde, qui est sensée l’étayer, n’est pas convaincante. A votre avis, T. Ramadan est-il "séculier" ou "islamiste"?]

      Tariq Ramadan est certainement « séculier ». Le projet de Ramadan n’est pas théologique, mais politique. Son projet n’est pas de construire la cité de Dieu, mais une société des hommes, régie par des règles faites par des hommes, et non par la divinité. Ramadan est communautariste, certes. Il voudrait que dans les sociétés occidentales les communautés musulmanes puissent vivre séparées et régies par leurs propres règles traditionnelles. Mais la justification de ce projet est politique, non théologique : il faut faire cela parce que c’est dans l’intérêt bien compris des musulmans, et non parce qu’on risque le châtiment divin.

      [ça dépend de… à qui il s’adresse. Vous me direz que son discours est séculier]

      Je dirai bien plus : son projet est séculier. Le problème est que son discours « raisonnable » est repris et sert d’instrument à d’autres, qui vont beaucoup plus loin que lui. Attention, je ne dis pas que Ramadan soit un saint. Je pense que son projet communautariste doit être combattu. Mais combattu parce qu’il est communautariste, et non parce qu’il est théocratique. Il ne faut pas se tromper de combat.

      [J’ai parlé ci-dessus de réserve à propos de la séparation entre religion et identité. La distinction est un peu factice, à mon avis. Les deux ne sont pas toujours superposables, mais le lien est souvent fort -même si cela n’exclut pas les conflits internes.]

      Je pense que la distinction est nécessaire. On peut se marier à l’église parce qu’on craint la colère de Dieu si l’on vit dans le pêché, et on peut se marier à l’église pour marquer une continuité avec les générations qui nous ont précédé et qui se sont mariées à l’église. Les deux démarches ne procèdent pas du même raisonnement. Dans un cas, c’est une question religieuse, dans l’autre, une question identitaire. Regardez le problème des églises dans nos villages. Plus personne ne va à la messe, mais essayez de les désaffecter et vous aurez tout le monde contre vous. Les gens n’ont plus de religion, mais ils ont une identité et l’église du village en fait partie.

      [Oui et non. Etre capable de rentrer dans le discours de l’autre est une preuve d’intelligence et de subtilité d’esprit, pas forcément d’adhésion sincère audit discours.]

      Même si l’adhésion n’est pas sincère, entrer dans le discours de l’autre implique admettre la relativité du discours. Et si le discours est relatif, alors la divinité disparaît. Ce n’est pas par hasard si les églises ont eu tendance à envoyer au bûcher les philosophes qui ont osé dire « imaginons que dieu n’existait pas »…

      [Certes, mais il s’agit toujours d’instrumentalisation, donc de détournement de pensée et ça ne garantit pas l’authenticité – même si parfois le "manipulé" y croit. Ce qui compte, ce n’est pas l’apparence mais la réalité.]

      Ce n’est pas l’authenticité qui m’intéresse. C’est le mécanisme qui est derrière. Une personne qui se considère capable de soutenir tout et son contraire est une menace pour la foi. Souvenez-vous de l’Abbé dans le film « Ridicule » : dès lors qu’il dit devant le roi « voilà, j’ai prouvé l’existence de dieu, mais je pourrais prouver le contraire si cela plaisait à Sa Majesté », il est mis au ban. Parce qu’une fois que vous commencez à relativiser le discours, on ne peut plus savoir quel est votre discours « vrai » et quel est votre discours « faux ». Or, la religion repose sur un « vrai » incontestable.

      [« Mes parents sont arrivés en France à la fin des années 1970… j’appartiens donc à ces vagues d’immigration que vous considérez « dislocatoires »… » Mon propos était d’ordre général, soyons sérieux!]

      Mais… je suis très sérieux. Je crois que vous avez une vision trop tranchée de l’assimilation des étrangers en France. Un peu « avant 1960, ça marchait, après ça n’a plus marché ». Ce n’est pas le cas. L’assimilation marche moins bien qu’il y a vingt ou trente ans, c’est vrai. Mais l’omniprésence des médias a un effet de loupe qui, en généralisant quelques affaires bien choisies, veut nous faire croire que cela ne va plus du tout. Et ce n’est pas vrai. Les cités difficiles ou la drogue et la violence règnent concentrent quelques centaines de milliers de personnes. C’est sérieux, mais il ne faudrait pas oublier que nous sommes 66 millions. Même si dans certains quartiers 25% des jeunes sont au chômage, cela laisse 75% des jeunes qui sont au boulot. Ce 75% s’assimile encore très raisonnablement, même s’il met deux générations à accéder au niveau social qui dans les années 1960 était atteint en une seule.

    • Albert dit :

      ["Ce qui est à craindre chez les immigrés et leurs descendants, c’est plus le communautarisme que la religion. La religion n’est souvent qu’un prétexte pour maintenir la communauté soudée et isolée."]
      La religion prétexte, instrument, pour maintenir la communauté soudée et isolée…C’est pas faux, mais c’est aussi un peu l’histoire de la poule et de l’œuf. Vous parlez d’ "identité" mais l’identité ne se réduit pas aux habitudes et aux "traditions". C’est quelque chose de profond qui a sa source dans l’inconscient, individuel et collectif, ce qui a fait lien au départ- et on retrouve toujours au départ le religieux. Après, celui-ci a pu évoluer, s’estomper,…cela est plutôt vrai dans notre civilisation occidentale, beaucoup moins à l’évidence dans le monde musulman.
      Et la résurgence de l’islam, non seulement dans les pays traditionnellement musulmans, mais tout autant en pays "ex-chrétiens" est une réalité qui saute aux yeux…sauf des aveugles bien entendu. Si bien que les distinctions un peu trop rigides ex abstracto méconnaissent les réalités vraies.

      ["Je crois que vous avez une vision trop tranchée de l’assimilation des étrangers en France."]

      Pas sûr ! Ou alors par commodité de langage, et je veux bien mettre des bémols à mon propos, mais sans en renier la ligne directrice: oui, l’assimilation d’une partie non négligeables des immigrants récents, ou issus de vagues antérieures -extra-européens (appelons un chat un chat)- est plus problématique que ne le fut celle des "anciens" et c’est tellement vrai que pour beaucoup en France, aujourd’hui, le terme même d’assimilation a une connotation "colonialiste", voire "raciste", c’est dire!

      ["Une personne qui se considère capable de soutenir tout et son contraire est une menace pour la foi."]
      Oui, dans un pays religieux et théocratique. Non quand il s’exprime dans un pays d’ "infidèles" où la taqya est permise et même recommandée.

    • Descartes dit :

      @ Albert

      [La religion prétexte, instrument, pour maintenir la communauté soudée et isolée…]

      Je n’ai pas dit « prétexte ». Mais instrument, oui. Le fonctionnement sectaire est peut-être la démonstration la plus extrême de ce mécanisme.

      [Vous parlez d’ "identité" mais l’identité ne se réduit pas aux habitudes et aux "traditions". C’est quelque chose de profond qui a sa source dans l’inconscient, individuel et collectif, ce qui a fait lien au départ- et on retrouve toujours au départ le religieux.]

      Vous l’affirmez comme si c’était une évidence. Pourriez-vous argumenter le point ? Je ne vois pas franchement ce qu’il y aurait « d’inconscient » dans l’identité, et encore moins le lien entre « l’inconscient » et le « religieux ». L’identité a certainement un contenu affectif, qui échappe à la rationalité simple. Mais qui n’est pas pour autant « inconscient ».

      [Après, celui-ci a pu évoluer, s’estomper,…cela est plutôt vrai dans notre civilisation occidentale, beaucoup moins à l’évidence dans le monde musulman.]

      Je ne saisis pas le raisonnement. Comment « l’inconscient » pourrait-il « s’estomper » ?

      [Et la résurgence de l’islam, non seulement dans les pays traditionnellement musulmans, mais tout autant en pays "ex-chrétiens" est une réalité qui saute aux yeux…sauf des aveugles bien entendu. Si bien que les distinctions un peu trop rigides ex abstracto méconnaissent les réalités vraies.]

      Ah, je vois… en d’autres termes, vous seul – et ceux qui sont d’accord avec vous – avez accès à la « réalité », et seul un « aveugle » peut ne pas partager votre vision. Dans ce cas, je dois revendiquer hautement mon aveuglement. Non, je ne vois pas cette « résurgence de l’Islam » dont vous parlez. Je peux à la rigueur observer l’essor de pratiques, de traditions, d’obligations, de rituels, le port de signes distinctifs de l’Islam. Mais je ne vois pas resurgir la foi. Or, « l’islam », c’est bien la foi, pas les signes extérieurs. Et en dehors d’une couche de fanatiques, les musulmans de France sont aussi affectés par le mouvement de « sécularisation » que les autres. Combien de musulmans en France croient VRAIMENT qu’ils iront en enfer s’ils prêtent de l’argent à intérêt ? Vous connaissez beaucoup de musulmans qui refusent la rémunération de leur livret de caisse d’épargne ?

      [oui, l’assimilation d’une partie non négligeables des immigrants récents, ou issus de vagues antérieures -extra-européens (appelons un chat un chat) – est plus problématique que ne le fut celle des "anciens" et c’est tellement vrai que pour beaucoup en France, aujourd’hui, le terme même d’assimilation a une connotation "colonialiste", voire "raciste", c’est dire!]

      Ah bon ? Vous trouvez que l’assimilation des immigrants vietnamiens, par exemple, est « plus problématique » aujourd’hui qu’elle ne le fut dans les années 1930 ? Pourriez-vous indiquer quels sont les « problèmes » que pose cette immigration ? Et pourtant, j’imagine que vous ne contesterez pas qu’il s’agit d’immigrants « extra-européens », appelons un chat un chat…

      Si vous voulez dire que l’immigration maghrébine ou venant d’Afrique Noire pose des problèmes, alors appelez un chat un chat et dites le ainsi, au lieu de parler de « extra-européenne ». Cela n’a rien à voir avec « l’Europe », mais avec les traditions culturelles des immigrants. Certains sont plus proches de nous que d’autres. Assimiler un vietnamien se révèle plus facile que d’assimiler un anglais. Mais même si certains sont plus difficiles à assimiler que d’autres, la France réussissait fort bien à assimiler l’ensemble des immigrés pendant très longtemps. C’est l’affaiblissement de nos institutions, et non les immigrés, qui est le principal problème à l’heure d’assimiler.

      [« Une personne qui se considère capable de soutenir tout et son contraire est une menace pour la foi. » Oui, dans un pays religieux et théocratique. Non quand il s’exprime dans un pays d’ "infidèles" où la taqya est permise et même recommandée.]

      Révisez vos sources. La taqiya n’est « permise et même recommandée » pour l’immense majorité des musulmans que dans une situation bien particulière : pour échapper à la persécution religieuse. Elle n’est permise que lorsque la vie du croyant serait menacée s’il révélait son appartenance à l’Islam. Seules certaines sectes très minoritaires du chiisme admettent qu’on puisse utiliser celle-ci comme « ruse de guerre ».

    • Albert dit :

      ["…réalité qui saute aux yeux…sauf des aveugles bien entendu."]
      Sourions: je reprenais juste une formule d’une chanson de Brassens (la musique en moins évidemment!).

      Plus généralement, les objections que vous me faites dans cette affaire prouvent que vous êtes un redoutable bretteur, mais les points que vous marquez parfois (pas toujours!) ne font qu’égratigner mon argumentation, un peu comme des "experts" politiques, économiques, sociologiques dans les medias pendant des décennies nous ont raconté des histoires (de bonne foi souvent) apparemment imparables, scientifiques, et cependant démenties par l’expérience.
      C’est comme le coup de l’insécurité contestée et remplacée par le "sentiment d’insécurité". Et celui de l’immigration massive longtemps niée, jusqu’au jour où on nous "apprend" que la France est désormais un pays multiculturel et qu’il faudra s’y faire. Un raisonnement très astucieux peut être "imparable" en boucle, en "circuit fermé" -ce fut longtemps la force du marxisme auprès des intellectuels français – sans pour autant épuiser le sujet.

      Nous avons eu un débat intéressant, positif même je crois, mais on peut s’en tenir là sur ce sujet.

    • @ Descartes,

      Si je puis me permettre quelques remarques (j’espère ne pas polluer le débat):

      "Je peux à la rigueur observer l’essor de pratiques, de traditions, d’obligations, de rituels, le port de signes distinctifs de l’Islam. Mais je ne vois pas resurgir la foi."
      Autrement dit, de ton point de vue, l’essor de ces pratiques est totalement déconnecté de la foi. Pardon, mais ça me paraît très excessif. Je suis d’accord pour dire que tous ces signes ont une signification identitaire, et je crois que c’est une manière d’ "emm…" les autres, parce que ceux qui manipulent ces symboles savent que ça crée des crispations. Mais de là à affirmer, comme tu le fais, que ces signes extérieurs n’ont rien à voir avec "une résurgence de la foi", je ne te suis pas. Qu’est-ce qui te permet de penser que celui qui s’affirme publiquement musulman n’a pas véritablement la foi? Es-tu télépathe pour lire dans l’esprit des gens? Pourquoi ne pas leur accorder tout simplement un minimum de crédit?

      Tes exemples sur l’argent à intérêt ne me convainquent pas vraiment. Depuis longtemps, les hommes rusent avec les interdits religieux, même lorsqu’ils sont croyants. On connaît plus d’un émir musulman du Moyen Âge qui finissait ivre mort après ses victoires… sans parler de ce sultan ottoman, commandeur des Croyants, surnommé l’Ivrogne (un Sélim, je crois, mais le numéro m’échappe). Au Moyen Âge, les banquiers lombards font du prêt à intérêt déguisé, et beaucoup d’entre eux devaient avoir la foi. Je connais des catholiques croyants qui ont des relations avant le mariage, j’ai même l’exemple d’un homosexuel catholique, croyant et pratiquant, adepte du rite tridentin. Dirais-tu que ces gens n’ont pas "la foi"? On peut accepter de vivre dans le péché tout en ayant la foi, non?

      Tu évoques le prêt à intérêt, mais si ton argent est placé à la banque, ce n’est pas toi directement qui fait le prêt. Il semblerait aussi que la finance islamique (qui pratique un "prêt à intérêt" déguisé) se développe. Honnêtement, je ne sais pas où ça en est, et si ça va se répandre autant que le hallal.

      Tu nous dis en substance: "au fond, pas de panique: les musulmans de France sont très français, la preuve, ils défendent leur religion en brandissant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen!" Super! Si on commence à défendre des pratiques de ségrégation (car c’est de cela qu’il s’agit: ma nourriture, ma tenue vestimentaire indiquent à quel groupe j’appartiens) en s’appuyant sur les principes de la Révolution française, c’est qu’on a un sacré problème de lecture et d’interprétation de nos textes fondateurs. Il y a le texte et le contexte: je vois mal les révolutionnaires français d’antan, qui luttèrent contre l’emprise du clergé, soutenir à leur époque le port du voile ou faire la promotion du hallal. Comme tu l’as indiqué, un Tariq Ramadan défend un projet communautariste, or, tu le sais, le communautarisme ne génère pas la liberté le plus souvent. La logique communautariste, c’est à terme la fermeture de la communauté. Et après où est la liberté? Je pose la question: dans les quartiers complètement communautarisés des Pays-Bas ou de Grande-Bretagne, les femmes d’origine marocaine ou pakistanaise portent-elles toutes "librement" le voile? Ou bien faut-il imaginer qu’une pression communautaire s’exerce un tant soit peu sur elles?

      Les défenseurs du voile usent du mot "liberté", mais cela n’empêche pas que la réalisation de leur projet abolira de fait cette liberté individuelle, à laquelle se substituera progressivement la pression de la communauté.

      Enfin, je voudrais dire ceci: du temps où le christianisme était minoritaire dans l’Empire romain, certains auteurs chrétiens ont débattu avec les païens de l’élite. Un Saint Augustin se croit obligé de démontrer que le sac de Rome de 410 par les Goths n’a rien à voir avec le fait que les empereurs aient définitivement abandonné l’ancienne religion. Pour marquer des points auprès d’une élite frottée à la philosophie (néoplatonicienne notamment), il n’hésite pas à leur emprunter des méthodes de raisonnement et à tenir le langage de la Raison face à certains sceptiques. Mais une fois que le christianisme eut écarté toute opposition dangereuse, les chefs de l’Eglise ont cessé d’utiliser le débat rationnel: c’est par le feu et l’épée qu’ils ont imposé leurs vues. Ce que je veux dire par là, c’est que la régression est toujours possible. La "sécularisation" n’est pas nécessairement une évolution irréversible. Au IV°-V° siècles de notre ère, on est passé en quelques générations d’une société de relative tolérance religieuse où le scepticisme n’était pas absent (dans les élites surtout) à une société fort intolérante. L’idée selon laquelle les Lumières l’ont définitivement emporté sur l’obscurantisme (si je puis dire), et la liberté individuelle sur la tentation d’un ordre collectif et coercitif, me paraît très optimiste. J’admets que la liberté est très profondément inscrite dans les mentalités françaises (on a bien vu, au XX° siècle, que la France n’a pas connu l’équivalent du fascisme italien ou du nazisme allemand, malgré les crises violentes). Mais… méfiance!

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [Si je puis me permettre quelques remarques (j’espère ne pas polluer le débat):]

      Une intervention intelligente ne « pollue » jamais un débat. Tout au plus, elle l’élargit…

      [« Je peux à la rigueur observer l’essor de pratiques, de traditions, d’obligations, de rituels, le port de signes distinctifs de l’Islam. Mais je ne vois pas resurgir la foi. » Autrement dit, de ton point de vue, l’essor de ces pratiques est totalement déconnecté de la foi.]

      Tout à fait. J’ai des amis juifs qui, l’âge aidant, souhaitent reprendre les pratiques de leurs ancêtres. Lors de la mort de leurs propres parents, par exemple, ils tiennent à leur offrir un office funèbre à la synagogue et à les enterrer dans le carré juif du cimetière, entourés de la cérémonie et des chants du rabbin. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils croient en un dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre. Il ne faut pas confondre le rituel et la foi.

      [Pardon, mais ça me paraît très excessif. Je suis d’accord pour dire que tous ces signes ont une signification identitaire, et je crois que c’est une manière d’ "emm…" les autres, parce que ceux qui manipulent ces symboles savent que ça crée des crispations.]

      Chez les adolescents, cela peut être une manière d’emmerder l’entourage, que ce soit les parents ou les professeurs. Chez les adultes, cela peut être une réponse à une société qui n’offre plus de « sens ». Cela peut répondre à un besoin de consolation devant la mort d’un proche. Ou bien, dans une société aussi individualiste que la notre, de se sentir inséré dans les liens de solidarité communautaire.

      [Mais de là à affirmer, comme tu le fais, que ces signes extérieurs n’ont rien à voir avec "une résurgence de la foi", je ne te suis pas. Qu’est-ce qui te permet de penser que celui qui s’affirme publiquement musulman n’a pas véritablement la foi? Es-tu télépathe pour lire dans l’esprit des gens? Pourquoi ne pas leur accorder tout simplement un minimum de crédit?]

      Ce n’est pas une question de « crédit », mais de comportement. Si je « crois » dans l’action de la gravité, on peut raisonnablement penser que je ne sauterai par la fenêtre du vingtième étage que si je veux en finir avec la vie. Et l’expérience montre quotidiennement que c’est le cas : le nombre de gens qui sautent par la fenêtre pour s’essayer au vol plané est extrêmement réduit. Maintenait, si je crois en un dieu tout puissant qui me punira horriblement et pour l’éternité si je commets un pêché de la même manière que je crois dans l’action de la gravité, on s’attendrait à ce que le pêché ne soit commis que par ceux qui recherchent une telle punition. Or, ce n’est de toute évidence pas le cas. Il faut donc admettre que les vrais « croyants » dont donc fort peu nombreux.

      Combien de gens connaissez-vous qui ont vraiment peur du châtiment divin ? Combien de gens connaissez-vous qui préfèrent tout perdre plutôt que de briser un serment ? Pendant des siècles, le « serment judiciaire » était considéré comme une preuve recevable devant les tribunaux. Les traités étaient confirmés par un serment solennel sur des reliques. Et cela était parfaitement logique, puisque les gens avaient VRAIMENT peur des conséquences d’un parjure. Pourquoi à votre avis ces pratiques ont disparu ? Parce que le mouvement de sécularisation fait que personne n’a plus ce type de foi. En dehors d’une toute petite minorité, même les gens pratiquants – qu’ils soient catholiques, juifs ou musulmans – sont plus proches du déisme que d’une vraie foi.

      [Tes exemples sur l’argent à intérêt ne me convainquent pas vraiment. Depuis longtemps, les hommes rusent avec les interdits religieux, même lorsqu’ils sont croyants. On connaît plus d’un émir musulman du Moyen Âge qui finissait ivre mort après ses victoires… sans parler de ce sultan ottoman, commandeur des Croyants, surnommé l’Ivrogne (un Sélim, je crois, mais le numéro m’échappe).]

      En fait, pas tant que ça. La banque juive s’est construite jusqu’à la renaissance sur le fait que les catholiques ne pouvaient pas manipuler de l’argent. Les sultans surnommés « l’ivrogne » l’ont généralement été par leurs adversaires politiques, qui voulaient par là les stigmatiser aux yeux des fidèles. L’histoire est pleine de rois appelés « le sodomite » ou « l’incestueux » qui n’ont jamais commis les péchés qu’on leur a attribué.

      Par ailleurs, il ne faut pas confondre le comportement des rois et des sultans avec celui du peuple. Les rois étant en rapport direct avec dieu, le peuple et l’autorité religieuse toléraient chez eux des comportements qu’on n’aurait pas admis chez l’homme commun. Or, c’est de l’homme commun qu’il est question ici, et non des rois ou des sultans. En fait, l’existence du serment judiciaire montre que la peur du châtiment divin était une peur assez réelle dans l’homme commun, et cela jusqu’à la renaissance.

      [Je connais des catholiques croyants qui ont des relations avant le mariage, j’ai même l’exemple d’un homosexuel catholique, croyant et pratiquant, adepte du rite tridentin. Dirais-tu que ces gens n’ont pas "la foi"? On peut accepter de vivre dans le péché tout en ayant la foi, non?]

      Arriveriez-vous à vivre dans le pêché sachant que les souffre de l’enfer vous attend et cela pour l’éternité ? Je ne le crois pas un instant.

      [Tu évoques le prêt à intérêt, mais si ton argent est placé à la banque, ce n’est pas toi directement qui fait le prêt.]

      Bien sur que oui. Si je dépose de l’argent dans mon livret d’épargne et que je touche les intérêts à la fin de l’année, je suis en train de prêter de l’argent à intérêt à la banque.

      [Il semblerait aussi que la finance islamique (qui pratique un "prêt à intérêt" déguisé) se développe. Honnêtement, je ne sais pas où ça en est, et si ça va se répandre autant que le hallal.]

      Elle se développe dans les états islamiques, et pour les riches musulmans installés en occident. Pas dans les banlieues françaises. Le livret d’épargne reste l’investissement le plus courant chez nos immigrants… et là le prêt a intérêt n’est même pas dissimulé !

      [Tu nous dis en substance: "au fond, pas de panique: les musulmans de France sont très français, la preuve, ils défendent leur religion en brandissant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen!" Super!]

      Non. Je n’ai pas parlé de « défendre la religion ». J’ai parlé de défendre leurs pratiques. Justement, tout mon raisonnement sépare les pratiques religieuses de la foi religieuse. Parler de « religion » dans ce contexte ne fait que confondre les problèmes.
      [Si on commence à défendre des pratiques de ségrégation (car c’est de cela qu’il s’agit: ma nourriture, ma tenue vestimentaire indiquent à quel groupe j’appartiens) en s’appuyant sur les principes de la Révolution française, c’est qu’on a un sacré problème de lecture et d’interprétation de nos textes fondateurs.]

      Certainement. Mais ce « problème d’interprétation » est une constante de notre contexte actuel. Vous le trouvez au même titre chez les bobos partisans de la « discrimination positive », chez les intellectuels férus de multiculturalisme, chez les féministes partisanes des quotas. Je ne suis pas – et je pense que cela est très clair dans mon argumentation – en train de défendre les discours communautaristes. Ce que je soutiens, c’est qu’il ne faut pas confondre les problèmes. On veut voir une question de « foi » religieuse alors que la religion n’est qu’un outil parmi d’autres utilisé pour isoler les « communautés » et empêcher leur assimilation. C’est pourquoi il y a une convergence objective entre les « islamistes » et les « libéraux-libertaire », comme on l’a vu sur la question du voile à l’école. Tous deux, pour des raisons différentes, ont intérêt au communautarisme. Les premiers, parce qu’ils aspirent à gouverner la « communauté », les autres parce qu’enfermer les musulmans dans leur ghetto réduit le risque qu’ils viennent prendre l’ascenseur social et donc concurrencer leurs propres enfants.

      [Il y a le texte et le contexte: je vois mal les révolutionnaires français d’antan, qui luttèrent contre l’emprise du clergé, soutenir à leur époque le port du voile ou faire la promotion du hallal. Comme tu l’as indiqué, un Tariq Ramadan défend un projet communautariste, or, tu le sais, le communautarisme ne génère pas la liberté le plus souvent. La logique communautariste, c’est à terme la fermeture de la communauté.]

      Tout à fait d’accord. Mais on n’est plus là dans le registre de la foi. C’est bien mon point…

      [Les défenseurs du voile usent du mot "liberté", mais cela n’empêche pas que la réalisation de leur projet abolira de fait cette liberté individuelle, à laquelle se substituera progressivement la pression de la communauté.]

      Tout à fait. Mais encore une fois, cela n’a rien à voir avec la foi. Il ne faut pas mélanger les problèmes.

      [Ce que je veux dire par là, c’est que la régression est toujours possible. La "sécularisation" n’est pas nécessairement une évolution irréversible.]

      Cela dépend de ce que vous entendez par « sécularisation ». L’histoire n’est pas un long fleuve tranquille, et la sécularisation peut connaître des reculs. Mais sur une longue période, elle avance toujours. On ne reviendra pas à la foi telle qu’elle était à la période médiévale, ni même à celle de la contre-réforme. La science, en expliquant les phénomènes de la nature, a tué ce dieu là. Et rien ou presque ne peut le ressusciter. On peut revivre des rites, des pratiques, des interdits. Pas la foi.

      [L’idée selon laquelle les Lumières l’ont définitivement emporté sur l’obscurantisme (si je puis dire), et la liberté individuelle sur la tentation d’un ordre collectif et coercitif, me paraît très optimiste.]

      Là encore, nous sommes d’accord. Mais si un « ordre collectif et coercitif » devait revenir – comme il revient dans certains de nos quartiers – il ne sera pas fondé sur la foi. Il sera fondé sur des « racines » idéalisées, sur la continuité avec les ancêtres, sur le ressentiment paranoïaque contre une civilisation qu’on ne comprend pas, mais pas sur la foi. Nietzsche a raison : Dieu est mort.

    • Albert dit :

      ["Si je puis me permettre quelques remarques (j’espère ne pas polluer le débat)"]

      Non seulement, comme le dit Descartes, une intervention intelligente ne pollue jamais le débat, mais je pense que le débat "pluriel" est préférable souvent au "dialogue" à deux ( qui n’est pas toujours un vrai "débat" et peut aussi devenir – parce que duel – un match de ping-pong à 2) et je regrette que cela se pratique assez peu sur ce blog (ce n’est pas la faute de notre hôte, c’est comme ça.) .Donc merci à vous (et à Descartes).

  4. v2s dit :

    Descartes, Lorsque vous écrivez ça :
    [La seule « préférence souveraine » que le peuple français puisse « imposer », c’est de rester dans les traités ou de les dénoncer.]
    Ou ça :
    [C’est à la portée de n’importe quel imbécile de décrire une Europe idéale, ou nous serions tous riches et heureux. On attend d’un président qu’il nous explique comment il y arrive.]
    Vous avez mille fois raison !
    Et vous avez raison aussi de pointer du doigt la faiblesse et la médiocrité de ce texte présidentiel
    Pourquoi vous croire obligé de teinter votre propos d’un anti germanisme « primaire » qui pouvait peut-être se comprendre dans l’immédiate après-guerre, mais qui aujourd’hui fleure bon la xénophobie racoleuse :
    [Pendant que vous alliez à Mont… pardon, sur la Baltique rendre visite à cette chère chancelière du Reich… pardon, d’Allemagne]
    Les Allemands d’aujourd’hui, nés presque tous après la chute du Nazisme, n’ont pas plus de responsabilité dans la folie d’Hitler, que vous ou moi n’en avons dans la traite des esclaves ou la colonisation. Vous avez assez dénoncé la bêtise de ceux qui voudraient nous voir nous repentir ou nous voir culpabiliser, pour ne pas faire vous-même le même coup aux Allemands d’aujourd’hui.

    • BolchoKek dit :

      >Les Allemands d’aujourd’hui, nés presque tous après la chute du Nazisme, n’ont pas plus de responsabilité dans la folie d’Hitler, que vous ou moi n’en avons dans la traite des esclaves ou la colonisation.<
      Vous avez à mon humble avis mal compris. Descartes ne parle pas du tout de responsabilité, mais de perspective historique. On constate que l’Allemagne atteint, via l’Europe, l’ambition qui avait été celle des allemands depuis les rois de Prusse, et cela malgré deux guerres mondiales perdues. La conclusion logique est que c’est une ambition tenace, aussi tenace que la tendance des élites françaises à se rallier à leurs projets.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Pourquoi vous croire obligé de teinter votre propos d’un anti germanisme « primaire » qui pouvait peut-être se comprendre dans l’immédiate après-guerre, mais qui aujourd’hui fleure bon la xénophobie racoleuse :]

      Où voyez-vous le moindre « propos anti-germanique » dans mon commentaire. Montoire, ce n’est pas une faute des allemands. C’est une faute du gouvernement français. Vous pourriez à la rigueur m’accuser de propos anti-français, mais certainement pas de propos anti-germaniques. Ce que je voulais souligner, c’est que cet complexe d’infériorité par rapport à l’Allemagne qui pousse les élites françaises à considérer que la France doit se résigner à s’insérer dans un « ordre européen » germanique ne date pas d’aujourd’hui, et qu’en général c’est la marque des pires époques de notre histoire.

      Cela étant dit, il ne faut pas se raconter des histoires. L’Allemagne est aujourd’hui la puissance dominante de l’Europe. Elle a réussi à imposer aux autres sa monnaie et sa politique budgétaire. Qu’elle ait réussi à imposer sa domination sans avoir à tirer un coup de canon ne change rien au fait. Et je trouve personnellement qu’un président français qui va faire des mamours au Chancellier d’Allemagne, alors que ce même Chancellier est le fer de lance des pays qui imposent en Europe l’austérité qui est en train de nous tuer, cela rappelle de bien fâcheux souvenirs.

      [Les Allemands d’aujourd’hui, nés presque tous après la chute du Nazisme, n’ont pas plus de responsabilité dans la folie d’Hitler, que vous ou moi n’en avons dans la traite des esclaves ou la colonisation.]

      Ce n’est pas une question de « responsabilité ». Mais Hitler n’a pas surgi du néant. Ce n’est pas un corps étranger dans la culture allemande. C’est un produit de cette même culture. La conviction que la nation allemande a une base ethnique, la volonté de créer un « ordre européen » dominé par l’Allemagne, la conviction que l’Allemagne est légitime à dominer la « mitteleuropa » ne sont pas des idées inventées par le nazisme. Relisez Fichte et Schelling. Si l’on peut dire que dans chaque français il y a un Napoléon qui sommeille, on peut dire la même chose des allemands par rapport à Hitler.

      [Vous avez assez dénoncé la bêtise de ceux qui voudraient nous voir nous repentir ou nous voir culpabiliser, pour ne pas faire vous-même le même coup aux Allemands d’aujourd’hui.]

      Encore une fois, je ne vois pas en quoi ce que j’ai écrit pourrait « culpabiliser » un Allemand. Tout au plus, il pourrait « culpabiliser » un français…

    • bovard dit :

      ‘La germanophobie’ dénoncée comme abusive par v2s est fantasmatique.
      C’est un poncif utilisé par les pro-UE frénétiques qui ‘sautent comme des cabris’..
      Au contraire,c’est un prétexte basé sur la multitude d’efforts non-reconnus, pas par les allemands,mais par certains idéologues français pro UE..
      Ainsi,les Forces françaises en Allemagne n’étaient plus depuis la création de l’OTAN,des forces d’occupation.
      Il s’agissait de faire face aux forces considérables du pacte de Varsovie pendant des décennies dès la fin des années quarante.
      Les Berlinois ont érigé un mémorial en l’honneur des Forces Françaises en Allemagne,il y a quelques mois.
      La GB et les USA ont instistué une War Cold Médaille pour tous leurs soldats qui ont stationnés en RFA.Pas les français,il faut croire que ceux ci aiment œuvrer au profit des allemands sans reconnaissance..
      Les soldats français ont participé par centaines de milliers à la défense de la RFA.
      Le budget militaire national français (celui des dettes) y a dépensé des sommes considérables pendant plus de quarante ans alors que les dettes de guerre de la RFA étaient annulées par le plan Marshall ;
      ça continue avec la force de frappe française,très chère( participant actuellement aux +3% de déficit) qui sanctuarise de fait ,gratis,l’ Allemagne.
      Évoquons aussi; le déficit budgétaire très cher payé par la nation ‘France’ avec d’autres,dont le simple remboursement des intérêts dépasse le budget de notre pauvre ministère de l’EN..
      Eh oui,c’est la dimension actuelle de la ‘Nation’ ,non-ethnique,à la française,mais clientéliste,financièrement débitrice, fiable dans ses remboursements,selon l’ UE deutschbankérisée qui aime ce type de ‘Nation’ solvable.
      Car nos déficits permettent à l’Allemagne d’avoir 200 milliards d’euros par ans d’excédents..Et nous remboursons ‘rubis sur l’ongle’ !
      Nous sommes les premiers clients d’une Allemagne où règne les bas salaires ,la misère et le dumping social.
      Ne parlons pas des plans charbons,machine-outils,acier , maintenant financiers , et bientôt agricole,tous organisés au profit de l’Allemagne.
      Il me semble que c’est plus d’une attitude sacrificielle germanodôlatre doublée d’une Francophobie excessive,que souffre le discours indigent de Herr Hollande.
      Or l’Allemagne a besoin d’être critiquée dans l’intérêt de son pacte social et dans le notre.Réfléchissons y !

    • Descartes dit :

      @ Bovard

      [Ainsi,les Forces françaises en Allemagne n’étaient plus depuis la création de l’OTAN,des forces d’occupation. Il s’agissait de faire face aux forces considérables du pacte de Varsovie pendant des décennies dès la fin des années quarante.]

      Non. Le régime d’occupation français en Allemagne a pris fin par les accords de Bonn du 26 mai 1952, trois ans après la création de l’OTAN. Par ailleurs, c’était jouer sur les mots : les troupes françaises sont restées en Allemagne même après que la France ait quitté le commandement intégré de l’OTAN. Je doute fort par ailleurs que ces troupes, stationnées au sud-ouest de l’Allemagne, eussent été d’une quelconque utilité en cas d’attaque des « forces considérables » du Pacte de Varsovie. Quelque soient les appellations successives qu’on ait donné à ces troupes, il ne faisait aucun doute que dans la tête des dirigeants français elles représentaient une « assurance » contre un retour de l’Allemagne à ses vieux démons.

      [Les Berlinois ont érigé un mémorial en l’honneur des Forces Françaises en Allemagne, il y a quelques mois.]

      A votre avis, pourquoi ont-ils attendu si longtemps ?

      [La GB et les USA ont instistué une War Cold Médaille pour tous leurs soldats qui ont stationnés en RFA. Pas les français, il faut croire que ceux-ci aiment œuvrer au profit des allemands sans reconnaissance…]

      On peut aussi croire qu’ils sont un peu moins hypocrites à l’heure de se souvenir que les troupes stationnées en Allemagne n’étaient pas là « au profit des allemands » mais pour préserver les intérêts des pays qui les ont stationnées. Et si les intérêts de la Grande Bretagne et des USA se rapportaient à la « guerre froide », ceux du gouvernement français n’étaient pas tout à fait dans cette direction. Je vous fais remarquer que c’est la Grande Bretagne et les USA qui ont institué la médaille en question, pas l’Allemagne…

      [Les soldats français ont participé par centaines de milliers à la défense de la RFA.]

      A la défense contre qui ? Personne, à ma connaissance, n’a jamais attaqué la RFA…

      [Le budget militaire national français (celui des dettes) y a dépensé des sommes considérables pendant plus de quarante ans alors que les dettes de guerre de la RFA étaient annulées par le plan Marshall ;]

      Cela vous surprend ?

      [ça continue avec la force de frappe française, très chère (participant actuellement aux +3% de déficit) qui sanctuarise de fait, gratis, l’ Allemagne.]

      Vous insistez lourdement sur le fait que la dissuasion nucléaire française serait « très chère ». En pratique, elle n’est pas si chère que ça. Par ailleurs, je ne vois pas très bien en quoi elle « sanctuariserait » l’Allemagne.

  5. CVT dit :

    @Descartes,
    vous savez, aller à Canossa, ça marche aussi :-)…
    Sinon, l’allusion à la fameuse poignée de main de Montoire, c’est effectivement osé, mais en fait, pas si éloigné que ça dans l’esprit: dans la mesure où nos élites sont prêtes à servir n’importe quelle puissance extérieure qui conservera leurs privilèges, je pense que vous êtes dans le vrai…
    Le plus farce, c’est que ce sont les mêmes capitulards qui accusent ceux qui ne sont pas d’accord avec leur renoncement d’être ceux qui ramèneront notre pays "aux heures les plus sombres de notre histoire" (j’essaie de ne pas rire quand j’écris cette expression archi-éculée…).
    Pour le reste, je trouve assez scandaleux qu’on ne rappelle pas assez les vertus pour notre pays en matière de la dissuasion nucléaire, qui a fait bien plus pour la paix en Europe (n’oublions pas non plus la bombe atomique anglaise, qui n’était pas si amicale que cela avec les Américains…) et pour la mise à distance entre les Russes et les Américains que ce machin infâme qu’on appelle Union Européenne.
    A propos de la puissance de l’Europe, je viens d’entendre une vidéo d’Olivier Berruyer qui faisait le parallèle entre la mythologie grecque où Europe se fait kidnapper puis violer par Zeus, et le cri du coeur de la diplomate américaine en Ukraine V.Nuland (Fuck the EU): c’est assez graveleux, mais je trouve très ironiquement réaliste…

    • Descartes dit :

      @CVT

      [Sinon, l’allusion à la fameuse poignée de main de Montoire, c’est effectivement osé, mais en fait, pas si éloigné que ça dans l’esprit: dans la mesure où nos élites sont prêtes à servir n’importe quelle puissance extérieure qui conservera leurs privilèges, je pense que vous êtes dans le vrai…]

      Merci. Malheureusement, la période historique de la fin des années trente et du début des années quarante a été tellement instrumentalisée qu’il est difficile d’en parler sans susciter des anathèmes. Pourtant, c’est une époque qui mérite d’être étudiée sérieusement parce qu’elle fait clairement apparaître un certain nombre de nos fantasmes nationaux. Le contexte de la défaite a permis que tombent toute une série de barrières sociales et politiques, et du coup les acteurs se sont exprimés sans fard et sont allés au bout de leur logique, ce qui jette une lumière encore plus crue sur leurs motivations.

      Etudier cette époque permet de réaliser combien un certain nombre d’idées – l’admiration acritique pour l’Allemagne et d’une manière générale l’idéalisation de l’étranger, la tentation du repli dans un rôle subordonné dans un « ordre européen », la vision « petite France » qui réduirait le pays à un musée des arts et traditions populaires, comme le dénonçait justement Marc Bloch – ne sont pas nées d’hier. Lire « L’étrange défaite » de Bloch, c’est lire une critique d’outre-tombe de la vision « eurolâtre » de nos élites d’aujourd’hui.

      Rapprocher la poignée de mains de Montoire avec la visite de Hollande sur les rives de la Baltique, ce n’est pas rapprocher Merkel de Hitler. C’est rapprocher Hollande de Pétain. Et le rapprochement, j’insiste, est valide : on y trouve cette même idée que la France doit se replier sur sa logique villageoise, et laisser les grandes affaires du monde se faire ailleurs. Qu’on n’est plus un leader, mais un acteur comme les autres. C’est le refus de ce « surmoi républicain » dont parle Alain-Gérard Slama dans « le siècle de monsieur Pétain » (un livre excellent, soit dit en passant). Cela ne veut pas dire qu’Hollande soit prêt à déporter les juifs ou créer une Milice. Mais on ne comprend pas la force de la nébuleuse eurolâtre dont Hollande est un digne représentant si l’on ne comprend pas combien cette nébuleuse plonge ses racines dans une forme de « nostalgie de l’impuissance » et dans la conviction que l’universalisme jacobino-gaullien est trop coûteux pour en valoir la peine.

      [Pour le reste, je trouve assez scandaleux qu’on ne rappelle pas assez les vertus pour notre pays en matière de la dissuasion nucléaire, qui a fait bien plus pour la paix en Europe (n’oublions pas non plus la bombe atomique anglaise, qui n’était pas si amicale que cela avec les Américains…) et pour la mise à distance entre les Russes et les Américains que ce machin infâme qu’on appelle Union Européenne.]

      Le premier essai d’une arme nucléaire française date du 13 février 1960. Le « plan Fouchet » est proposé en novembre 1961. Le traité de l’Elysée est signé en janvier 1963. L’enchaînement des dates n’est pas tout à fait une coïncidence : la « réconciliation » avec l’Allemagne, dont les armées avaient traversé par deux fois la frontière française en seulement trente ans, aurait été bien plus difficile si la France n’avait pas possédé une arme qui sanctuarisait définitivement son territoire. De Gaulle l’avait bien compris lorsqu’il avait fait du développement de la bombe un préalable à sa politique d’entente européenne.

  6. Joe Liqueur dit :

    @ Descartes

    Peut-être faut-il préciser aussi qu’en acceptant de payer des produits plus cher (produits dont la production aurait été relocalisée), on permettrait aussi à terme une augmentation des salaires (via l’augmentation de la production et par l’effet mécanique de la diminution du chômage). De toute façon, dans une situation où une si grande partie de la main-d’œuvre et des moyens de production sont sous-employés, il est tout de même assez absurde d’imaginer qu’il puisse être moins cher de faire produire à l’étranger plutôt que de produire soi-même. Accessoirement, on a aussi besoin d’emplois non qualifiés, donc peu importe les avantages comparatifs : cette main-d’œuvre doit d’abord produire quelque chose plutôt que rien, cela ne peut qu’être bénéfique en terme de revenu national et donc de salaire moyen, de balance commerciale, etc. Ce que je veux dire c’est qu’à mon avis on n’est pas obligé de présenter toujours la relocalisation comme une sorte de sacrifice (même si cela peut être justifié à court terme).

    • Descartes dit :

      @ Joe Liqueur

      [De toute façon, dans une situation où une si grande partie de la main-d’œuvre et des moyens de production sont sous-employés, il est tout de même assez absurde d’imaginer qu’il puisse être moins cher de faire produire à l’étranger plutôt que de produire soi-même.]

      Et pourtant, c’est vrai. Il est moins cher de payer à rien faire un chômeur à 600 € par mois et faire produire par un chinois à 50€ par mois que de faire produire par un ouvrier français au SMIC. Et cela n’a rien de « absurde »… Par ailleurs, lorsqu’on se demande si c’est plus ou moins cher, la première question à se poser est « pour qui ? ».

      Vous avez raison de dire que le remplacement de l’ouvrier chinois à 50€ par l’ouvrier français à 1200 € est moins cher qu’il ne semble, puisque vous économisez l’allocation chômage et aussi toute une série de coûts sociaux (en termes de violence, de délitement du lien social, etc.). Mais cela reste tout de même cher, et ce prix doit être payé par quelqu’un. Mais il faut aussi regarder les effets de deuxième ordre : dans une économie qui souffre d’un problème de demande, passer des chômeurs à 650€ à des smicards à 1200 € veut dire plus de demande, et avec un protectionnisme intelligent, plus de demande pour l’industrie française. Cela veut dire plus de croissance, dont plus de richesse produite, et cette richesse contribue à faire augmenter le niveau de vie, et donc à long terme à compenser le coût initial de la relocalisation.

      [Accessoirement, on a aussi besoin d’emplois non qualifiés, donc peu importe les avantages comparatifs : cette main-d’œuvre doit d’abord produire quelque chose plutôt que rien, cela ne peut qu’être bénéfique en terme de revenu national et donc de salaire moyen, de balance commerciale, etc.]

      Votre raisonnement n’est valable que pour l’emploi non qualifié qui ne nécessite pas de capital. Mais lorsque l’activité consomme du capital, il n’est pas évident que mettre les chômeurs au travail soit à tous les coups « bénéfique », simplement parce qu’on « produit quelque chose plutôt que rien ». Encore faut-il qu’on produise plus de valeur que celle du capital utilisé.

      [Ce que je veux dire c’est qu’à mon avis on n’est pas obligé de présenter toujours la relocalisation comme une sorte de sacrifice (même si cela peut être justifié à court terme).]

      C’est toujours un sacrifice pour quelqu’un. Autrement, ce quelqu’un aurait déjà rapatrié ses activités sans qu’il soit besoin de le pousser…

    • v2s dit :

      [Et pourtant, c’est vrai. Il est moins cher de payer à rien faire un chômeur à 600 € par mois et faire produire par un chinois à 50€ par mois que de faire produire par un ouvrier français au SMIC]
      Les choses sont peut-être un peu moins caricaturales. Il existe en Chine de grandes disparités entre les régions, ainsi qu’entre les zones rurales et urbaines. Dans les régions qui nous intéressent, celles ou sont installées les industries exportatrices, c’est-à-dire les provinces côtières de l’Est, le salaire moyen en 2012 était de 300€ (pas 50 !) par mois dans le privé et 500€ dans le public. (Source bureau des statistiques chinois repris par le journal L’humanité http://www.humanite.fr/monde/nouvelle-hausse-des-salaires-chinois-542007). Le salaire moyen a continué d’augmenter en 2012 (+17%)
      Depuis 2013, et le ralentissement de la croissance des économies occidentales (nous), les salaires chinois ont continué d’augmenter, (sous l’impulsion des salaires du public). Le but : doper leur marché interne pour qu’il prenne le relais et compense la baisse de croissance en occident.

      [Mais lorsque l’activité consomme du capital, il n’est pas évident que mettre les chômeurs au travail soit à tous les coups « bénéfique », simplement parce qu’on « produit quelque chose plutôt que rien ».]
      Un des aspects dramatique des délocalisations des années 80/90/2000 et de la désindustrialisation qui s’en est suivie chez nous, c’est que les industriels, qui ont bâti des usines dans les pays émergents, l’ont fait d’une part, à la place des investissements de modernisation de leur outil « chez nous » et, de plus, ils l’ont évidemment fait avec les dernières technologies connues, donc avec la meilleure productivité possible.
      Le résultat c’est que, dans une industrie donnée, la production par salarié est aujourd’hui bien meilleure dans les usines en Tchéquie, en Pologne ou au Brésil, dans des usines construites récemment, que dans de vielles usines françaises. Ce qui permet à ces pays de rester compétitifs même après une monté de leurs salaires.
      Pour ne parler que de l’industrie de l’injection plastique, que je connais, pour un produit donné, la production par salarié avec des presses modernes (temps de cycle plus courts, changements de moule très court, temps de réglage très courts, donc changements de série très court, robots pour l’emballage en sortie de presse, nombre de pannes réduit, etc …) la production par salarié est considérablement plus haute dans ces usines neuves des pays émergents.
      Pour réduire la part de main d’œuvre dans un produit fini on peut soit payer moins cher le salarié, soit produire plus dans un temps donné, grâce à la technologie.
      Les pays émergents font l’un et l’autre, comme s’ils mettaient du beurre des deux cotés de la tartine. Le retard ainsi accumulé en France est beaucoup plus important qu’on le pense.

    • Descartes dit :

      @v2s

      [Les choses sont peut-être un peu moins caricaturales. Il existe en Chine de grandes disparités entre les régions, ainsi qu’entre les zones rurales et urbaines. Dans les régions qui nous intéressent, celles ou sont installées les industries exportatrices, c’est-à-dire les provinces côtières de l’Est, le salaire moyen en 2012 était de 300€ (pas 50 !) par mois dans le privé et 500€ dans le public.]

      Toutes mes excuses. J’ai mélange les salaires indiens avec les salaires chinois. Il faut donc dans mon commentaire remplacer « Chine » par « Inde ». Dans ce dernier pays, le salaire moyen est de l’ordre des 100€ par mois. Etant donné qu’en France le salaire moyen est grosso mode le double du SMIC, j’ai déduit que le salaire des moins qualifiés devait être de l’ordre de 50€.

      [Depuis 2013, et le ralentissement de la croissance des économies occidentales (nous), les salaires chinois ont continué d’augmenter, (sous l’impulsion des salaires du public). Le but : doper leur marché interne pour qu’il prenne le relais et compense la baisse de croissance en occident.]

      On verra ce que ça donne. Mais l’expérience du passé n’est pas très encourageante. La plupart des pays « émergents » se trouvent tôt ou tard confrontés à une situation où ils ont à choisir entre une augmentation rapide des salaires au risque provoquer des sorties massives de capitaux et la compression des salaires qui les rend socialement instables et vulnérables aux chocs extérieurs. Souvent, ils choisissent une voie moyenne qui les conduit à une stagnation durable ou à un effondrement (exemples : l’argentine des années 1970, le japon). Pour le moment, aucun n’a réussi vraiment à rattraper les pays développés…

      [Un des aspects dramatique des délocalisations des années 80/90/2000 et de la désindustrialisation qui s’en est suivie chez nous, c’est que les industriels, qui ont bâti des usines dans les pays émergents, l’ont fait d’une part, à la place des investissements de modernisation de leur outil « chez nous » et, de plus, ils l’ont évidemment fait avec les dernières technologies connues, donc avec la meilleure productivité possible.]

      « Dramatique » pour qui ? Je n’ai pas l’impression que cela soit très « dramatique » pour les industriels en question… Je trouve votre considération très idéaliste. Dès lors qu’il y a libre circulation des marchandises et des capitaux, pourquoi investir pour installer des usines dernier cri en France quand on peut installer les mêmes usines dans des pays à bas salaires, avec une productivité équivalente et des coûts et contraintes réglementaires bien inférieures ? Les capitalistes – oh pardon, les « industriels » – qui ont fait ce choix ont fait le choix économiquement le plus rationnel pour leurs intérêts. Les quelques « patriotes » qui ont investi en France ont souvent perdu leur chemise.

      [Le résultat c’est que, dans une industrie donnée, la production par salarié est aujourd’hui bien meilleure dans les usines en Tchéquie, en Pologne ou au Brésil, dans des usines construites récemment, que dans de vielles usines françaises. Ce qui permet à ces pays de rester compétitifs même après une monté de leurs salaires.]

      Temporairement. Car les usines qui sont neuves aujourd’hui seront dépassées dans vingt ans. Et dans certaines activités, bien plus vite. Si les salaires augmentent, le capital fuit.

      [Pour réduire la part de main d’œuvre dans un produit fini on peut soit payer moins cher le salarié, soit produire plus dans un temps donné, grâce à la technologie.]

      Soit les deux. Pourquoi choisir, puisque du fait de la libre circulation, on peut avoir l’un et l’autre ?

      [Les pays émergents font l’un et l’autre, comme s’ils mettaient du beurre des deux cotés de la tartine.]

      « Les pays émergents » ne font rien. Ce sont les investisseurs internationaux qui font. Et de la même manière que les investisseurs sont venus attirés par les salaires bas et les réglementation inexistantes, ils partiront dès lors qu’ils trouveront un pays ou les salaires seront encore plus bas et les réglementations encore plus coulantes. La délocalisation, cela ne touche pas que les pays dits « développés »…

      [Le retard ainsi accumulé en France est beaucoup plus important qu’on le pense.]

      Ca dépens qui « le pense ». Croyez que je suis pleinement conscient du retard pris. Et de l’impossibilité de le combler tant qu’on continuera à pratiquer la religion du libre-échange.

    • Joe Liqueur dit :

      C’est bien de l’effet sur la demande globale que je parlais… (voir ma première phrase). De même, quand je disais qu’il est absurde d’imaginer qu’il puisse être moins cher de produire rien plutôt que quelque chose, je considérais la situation au niveau du pays, c’est-à-dire au niveau de sa balance commerciale, et non pas au niveau de l’individu (consommateur). Quand tu fais produire à 50 € par un travailleur étranger, les 50 € partent dans l’économie du pays étranger (ou dans ses réserves de change) mais en tout cas ils ne restent pas dans l’économie française. Alors si tu donnes 600 € de plus à un travailleur français, les 600 € partent dans l’économie française. Il me semble que c’est la différence fondamentale. Il est clair qu’au moins dans un premier temps, le consommateur français paie le produit plus cher. Mais d’une part, s’il s’agit de l’ex-chômeur lui-même, il sera quand même gagnant, et d’autre part, à terme tout le monde est gagnant via l’augmentation de la demande globale qui permet la relance, donc la réduction du chômage et la hausse des salaires. Je pense qu’on est d’accord là-dessus. Et c’est bien ce que je voulais dire : fondamentalement la valeur ajoutée est la même, et s’il est vrai qu’on ne la paie pas le même prix, ce prix ne pèse pas non plus sur le même plateau de la balance commerciale. D’où ma proposition générale : au niveau du groupe (du pays), il est toujours moins cher de produire soi-même que de faire produire par d’autres (dans la mesure où il existe des capacités de production inutilisées). Même si, au niveau individuel, cela ne serait vrai que si l’on pouvait payer les travailleurs français à 50 € – ce qui, heureusement, n’est pas (encore) possible.

      Par ailleurs, concernant la valeur du capital utilisé, je pars évidemment du principe que celle-ci est inférieure à celle de la valeur ajoutée produite ; mais là c’est une nécessité générale quel que soit le type de production ; je ne vois pas en quoi il y aurait à cet égard une spécificité liée au cas qui nous intéresse.

    • Descartes dit :

      @Joe Liqueur

      [Quand tu fais produire à 50 € par un travailleur étranger, les 50 € partent dans l’économie du pays étranger (ou dans ses réserves de change) mais en tout cas ils ne restent pas dans l’économie française. Alors si tu donnes 600 € de plus à un travailleur français, les 600 € partent dans l’économie française.]

      Seulement si on est en économie fermée. En économie ouverte, il est parfaitement possible que le travailleur français utilise les 600€ supplémentaires pour acheter des produits étrangers. Par ailleurs, si l’on choisit de de payer 50€ au travailleur étranger plutôt que 600€ au travailleur français, les 550€ de différence ne s’évaporent pas : ils sont eux aussi injectés dans l’économie. Soit sous la forme de profits qui permettent au capitaliste de dépenser plus, soit sous la forme d’une diminution des prix des biens qui augmente la valeur réelle des autres rémunérations…

      Il est vrai, comme le constatait Keynes, que plus on est en bas de l’échelle des revenus, et plus le revenu supplémentaire est dépensé – en d’autres termes, moins forte est la thésaurisation. D’un autre côté, plus un revenu est modeste plus sa consommation tend à inclure des produits locaux. Relocaliser les activités peu qualifiés a donc un effet de stimulation sur l’économie plus fort que la relocalisation des activités qualifiées.

      [Il me semble que c’est la différence fondamentale. Il est clair qu’au moins dans un premier temps, le consommateur français paie le produit plus cher. Mais d’une part, s’il s’agit de l’ex-chômeur lui-même, il sera quand même gagnant, et d’autre part, à terme tout le monde est gagnant via l’augmentation de la demande globale qui permet la relance, donc la réduction du chômage et la hausse des salaires.]

      « Tout le monde » ? Non. L’économie est segmentée, et la « demande globale » dans un segment ne déborde pas nécessairement sur les autres. Il n’y a pas aujourd’hui de problème de « demande globale » sur les yachts et les voitures de luxe, ou sur les appartements en région parisienne. Les personnes qui exercent leurs talents dans ces segments ne bénéficieront pas – du moins sur le plan économique – alors qu’ils payeront les prix plus élevés des produits « made in France ».

      Il ne faut pas rêver. Mettre tout le monde au travail, cela revient à substituer un ressource bon marché (le travail étranger) par une ressource chère (le travail français). Et en plus, à réduire la productivité globale puisqu’on met au travail la frange des travailleurs la moins productive. Cela ne peut aboutir qu’à une diminution relative du gâteau à partager. Il ne peut donc pas avoir que des gagnants.

  7. xc dit :

    @Descartes
    Dans votre réponse à Bovard, vous dites:
    "Je doute fort par ailleurs que ces troupes, stationnées au sud-ouest de l’Allemagne, eussent été d’une quelconque utilité en cas d’attaque des « forces considérables » du Pacte de Varsovie.".
    D’après ce que j’ai lu je ne sais plus où il y a longtemps (désolé de ne pouvoir être plus précis), le rôle de ces troupes (comptant de nombreux appelés du contingent, je le rappelle) aurait justement été de se faire écrabouiller par les forces du Pacte de Varsovie, ce qui aurait suscité dans notre pays une émotion considérable, et fait basculer massivement l’opinion des Français en faveur de l’emploi de l’arme nucléaire contre les envahisseurs. Lesquels étaient sensés le savoir, et réfléchir avant d’attaquer l’Europe de l’Ouest, même par des moyens classiques.
    En somme, ces troupes étaient une composante de notre dissuasion nucléaire.
    Bien évidemment, ce n’était valable qu’à partir du moment où notre pays était doté de la force de dissuasion. Et ce n’était pas incompatible avec un autre but donné à la présence de nos soldats en RFA.

    • Descartes dit :

      @xc

      [D’après ce que j’ai lu je ne sais plus où il y a longtemps (désolé de ne pouvoir être plus précis), le rôle de ces troupes (comptant de nombreux appelés du contingent, je le rappelle) aurait justement été de se faire écrabouiller par les forces du Pacte de Varsovie, ce qui aurait suscité dans notre pays une émotion considérable, et fait basculer massivement l’opinion des Français en faveur de l’emploi de l’arme nucléaire contre les envahisseurs.]

      J’en doute beaucoup. Les troupes françaises étaient stationnées dans le Bade-Wurtemberg, c’est-à-dire, aussi loin que c’est possible en Allemagne de la frontière avec le Pacte de Varsovie. Si elles s’étaient fait écrabouiller, c’est que le Pacte de Varsovie serait arrivé sur le Rhin. Un peu tard pour utiliser l’arme nucléaire, ne trouvez-vous pas ?

      Je crains que vous ne lisiez pas trop de textes complotistes…

    • bovard dit :

      Juste une précision puisque c’est vrai,j’ai été officier de réserve au 24°GC en 1980 à Tûbingen dans le Bade Wurtemberg.
      A cette époque,les SS20 soviétiques en RDA, avec ou sans tête nucléaire étaient pointées sur les cantonnements des alliés de l’OTAN en RFA.
      Nous avions 5 minutes pour évacuer le cantonnement en cas de crises internationales et à cette époque elles ne manquaient pas:Afghanistan,Pologne,Amérique centrale etc…
      Nous dormions tout habillés avec les réservoirs des chars toujours remplis pour nous projeter en une heure à 30 km de notre cantonnement..Mais dans les plans d’état majoe,la durée de survie du régiment était évalué à 2minutes aprés le début d’éventuelles hostilités dues à une attaque des forces du pacte de Varsovie.
      Honnêtement,nous n’avons jamais été entrainé à passer à l’attaque contre les forces du pacte de Varsovie.
      Je commandais trois VTT AMX 10,servis par trente soldats.

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [Juste une précision puisque c’est vrai, j’ai été officier de réserve au 24°GC en 1980 à Tûbingen dans le Bade Wurtemberg.]

      C’est bien ce que je disais. Les troupes françaises en Allemagne sont restées cantonnées dans l’ancienne zone d’occupation française, très loin de la frontière orientale de l’Allemagne. L’idée qu’on les aurait mis là pour qu’elles se fassent écrabouiller en premier en cas d’attaque des forces du Pacte de Varsovie pour justifier l’emploi de l’arme nucléaire est donc pour le moins hasardeuse…

      [A cette époque,les SS20 soviétiques en RDA, avec ou sans tête nucléaire étaient pointées sur les cantonnements des alliés de l’OTAN en RFA.]

      J’en doute. C’eut été un gâchis de matériel, puisque le SS20 est un missile à moyenne portée ayant un rayon d’action de 5000 km. Vous savez, il ne faut pas croire toutes les bêtises qu’on vous raconte à l’armée…

      [Nous dormions tout habillés avec les réservoirs des chars toujours remplis pour nous projeter en une heure à 30 km de notre cantonnement… Mais dans les plans d’état major, la durée de survie du régiment était évalué à 2minutes après le début d’éventuelles hostilités dues à une attaque des forces du pacte de Varsovie.]

      Dans ce cas, je vois mal l’intérêt de dormir tout habillé avec les réservoirs pleins. Autant attendre le missile bien confortablement dans son lit…

      [Honnêtement, nous n’avons jamais été entrainés à passer à l’attaque contre les forces du pacte de Varsovie.]

      Franchement, à part quelques paranoïaques du genre de ceux magistralement peints par Kubrick dans « Dr Folamour », qui pouvait croire dans les années 1980 à une attaque des forces du Pacte de Varsovie en Europe ?

  8. dafdesade dit :

    Je me demandais si vous connaissiez ce site http://www.politique-autrement.org/

    On y trouve une intervention de Jean-Pierre Le Goff sur le gauchisme culturel : http://www.politique-autrement.org/IMG/mp3/JPLG29marsdefdef.mp3

    On peut y trouver une intervention très intéressante de marcel gauchet sur la décomposition des élites : http://www.politique-autrement.org/IMG/mp3/Marcel_Gauchet_Conf_29_mars_2014.mp3

    Je cite : "Les élites souscrivent à un cercle de présupposés communs (Alain Minc et son cercle de la raison). Ces élites professent une vision partagée en profondeur de ce qu’est l’état du monde, de ce que sont les bonnes règles de la marche des sociétés et des buts qu’il convient de se proposer. Elles ont en gros les mêmes idées sur quelques thèmes fondamentaux que sont la globalisation, les mécanismes du marché et la place qu’ils doivent prendre dans le fonctionnement global et sur le rôle du droit, sur la gouvernance, terme qui rassemble ces différents aspects sous une même notion…
    or c’est cette idéologie diffuse, prégnante qui sépare les élites des peuples. C’est ce corps d’évidences que partage les élites et qui les réunie qu’elles ne parviennent plus à faire passer auprès des masses, qui subissent, qui sont intimidées…mais ces masses se montrent de plus en plus réfractaires, c’est sur ce front que passe la frontière entre les opinions convenables et l’infamie populiste abondamment dénoncée par les dites élites et leurs relais médiatiques.

    Cela nous conduit à un problème d’allure pascalienne. Les peuples sont-ils fous pour résister ainsi à la sagesse des élites qui savent ? Ou bien la science des sachants les rend-elles aveugles à des réalités dont les peuples dans leur ignorance sont mieux avertis qu’eux ? Vous l’avez deviné ma réponse est tragiquement populiste, je l’avoue. ..
    Les ignorants sentent quelque chose que les savants oublient ou méconnaissent, les peuples ont le sentiment confus et souvent plus ou moins bien inspiré d’un caractère constitutif de la vie de leur société que les élites ont appris à ignorer car on peut apprendre à ignorer, voilà ce qui justifie en première approche de parler d’une décomposition des élites.
    Elles sont coupées aux yeux des peuples de la compréhension vraie de leur fonction. Ce consensus remarquable et international des élites… est le reflet de la dissolution d’une fonction sociale fondamentale, la fonction de gouvernement, nous arrivons ici au point théorique difficile… "

    Ce qu’il dit de l’Europe est aussi accablant, dans une autre intervention en 2012 de lui, il affirmait que l’Europe avait été le moyen de sortir de l’Histoire pour les européens, le contraire de ce que dit Hollande.
    http://www.politique-autrement.org/IMG/mp3/Conf_mars_2012.mp3
    à 1h 20mn
    "Cette reddition inconditionnelle devant les etats-unis s’est faite pour des motifs idéologiques purement européens, en fonction d’une utopie post politique et post national totalement éloignée de la société américaine, les européens ont été saisis d’une philosophie de l’économique comme lien de société, d’un rêve de sortie de l’histoire…"

    • Descartes dit :

      @ dafdesade

      [Je me demandais si vous connaissiez ce site http://www.politique-autrement.org/%5D

      Oui. C’est un tentative honnête de lancer un véritable « club de réflexion ». Les gens qui y sont, qu’on soit d’accord ou pas avec eux, sont toujours intéressants et publient des papiers qui font réflechir.

      [Je cite : "Les élites souscrivent à un cercle de présupposés communs (Alain Minc et son cercle de la raison). Ces élites professent une vision partagée en profondeur de ce qu’est l’état du monde, de ce que sont les bonnes règles de la marche des sociétés et des buts qu’il convient de se proposer. Elles ont en gros les mêmes idées sur quelques thèmes fondamentaux que sont la globalisation, les mécanismes du marché et la place qu’ils doivent prendre dans le fonctionnement global et sur le rôle du droit, sur la gouvernance, terme qui rassemble ces différents aspects sous une même notion… or c’est cette idéologie diffuse, prégnante qui sépare les élites des peuples.]

      Je suis en profond désaccord avec cette formulation. Je partage l’idée de l’auteur qu’il existe une « caste » regroupant des politiques, des chefs d’entreprise, des journalistes, des universitaires, des artistes, etc. qui « professent une vision partagée… ». Mais sont-elles véritablement « des élites » ? Et si oui, sont elles les seules élites, on point qu’on puisse les confondre avec « les élites » en général ?

      Sur la deuxième question, la réponse me semble être évidemment « non ». On peut difficilement accuser Jean-Pierre Chevènement, Philippe Séguin, Henri Guaino ou Pierre Bourdieu de partager la vision de Minc sur l’état du monde, sur les bonnes règles de marche des sociétés, sur les buts qu’il convient de se proposer, sur la globalisation, , la gouvernance ou le rôle du marché. Et pourtant, peut-on exclure des « élites » deux anciens ministres, un député qui fut commissaire général au Plan et conseiller écouté d’un président de la République, un ancien professeur du collège de France ? Et l’auteur de l’article, Marcel Gauchet lui-même, il se place ou ? Dans les « élites » ou en dehors d’elles ?

      Ce qui me ramène à la première question. A qui fait référence Gauchet lorsqu’il parle des « élites » ? Gauchet est trop cultivé pour ne pas savoir que l’élite ne se définit pas simplement par la possession de l’argent ou du pouvoir, mais que la notion d’élite est étroitement liée à l’idée de mérite et d’excellence. Un « militaire d’élite » n’est pas un général, mais un militaire qui, quelque soit son grade, a atteint la plus haute compétence dans son affectation. Un « corps d’élite » est un groupe structuré dont capable collectivement de prouesses inatteignables par les autres. Or, à l’évidence Gauchet ne parle pas des « élites » dans ce sens-là, puisqu’il est assez facile de trouver des individus « excellents » et ne partageant nullement les mêmes opinions. On a l’impression qu’il définit les « élites » à rebours, précisément comme étant le groupe qui « souscrivent à un cercle de présupposés communs… etc ». Ce qui transforme son commentaire en un tautologie.

      Identifier la « caste » politico-médiatico-financiero-intellectuelle qui se partage les postes et les prébendes avec « l’élite » me paraît une erreur, qui ne peut qu’alimenter un discours « anti-élitiste » qui, sous les apparences bienveillantes d’un discours égalitaire, cache en fait une attaque contre la méritocratie républicaine. Ce n’est pas parce qu’un énarque ou un corps-des-mines est un fumiste (ex : Minc) qu’il faut jeter l’opprobre sur tous ses petits camarades. A côte de ces fumistes, il y a un certain nombre d’énarques et de polytechniciens qui font marcher les choses – et pas trop mal. Et qui souvent ne partagent nullement la vision du « rôle du marché » que Gauchet leur attribue.

      [Cela nous conduit à un problème d’allure pascalienne. Les peuples sont-ils fous pour résister ainsi à la sagesse des élites qui savent ? Ou bien la science des sachants les rend-elles aveugles à des réalités dont les peuples dans leur ignorance sont mieux avertis qu’eux ? Vous l’avez deviné ma réponse est tragiquement populiste, je l’avoue. ..]

      La mienne, non. Ce que Gauchet identifie aux « élites » sont en fait souvent des beaux parleurs sans véritable compétence. Faire d’eux des « sachants » et des « élites qui savent », c’est leur faire trop d’honneur. Nous avons dans notre pays de véritables « élites » hautement qualifiées, qui ont une véritable « science ». Ces « élites », on ne les voit jamais, on ne les entend jamais. Elles travaillent pour le bien public en toute discrétion. Prenons un exemple : seriez-vous capable de me citer un seul des ingénieurs qui ont dirigé la mise en œuvre de notre programme électronucléaire ? Du programme des grands barrages ? Non ? Et pourtant, on a 58 tranches nucléaires et quelques dizaines de barrages qui marchent du tonnerre… ils me semble que ces ingénieurs inconnus méritent beaucoup plus d’être comptés dans « l’élite » qu’Alain Minc ou Jacques Attali. Et vous noterez que ces « élites » là sont souvent bien plus respectées par « le peuple » que celles auxquelles Gauchet fait référence.

      [Ce qu’il dit de l’Europe est aussi accablant, dans une autre intervention en 2012 de lui, il affirmait que l’Europe avait été le moyen de sortir de l’Histoire pour les européens, le contraire de ce que dit Hollande.]

      Je me souviens de cette intervention. Elle est tellement connue et a été tellement reprise que j’ai été surpris de voir Hollande reprendre l’expression à rebours.

    • Albert dit :

      [" il me semble que ces ingénieurs inconnus méritent beaucoup plus d’être comptés dans « l’élite » qu’Alain Minc ou Jacques Attali."]

      Vous avez raison et tort à la fois, Descartes.
      Ces ingénieurs font objectivement partie des élites.
      Mais je pense que Gauchet emploie (consciemment ou non) le terme dans le sens de "figures de proue" de notre société du théatre, leaders parce qu’ils veulent l’être (et le paraissent grâce à leurs alliances et la porosité entre ces milieux de pouvoir).

    • Descartes dit :

      @ Albert

      [Mais je pense que Gauchet emploie (consciemment ou non) le terme dans le sens de "figures de proue" de notre société du théatre, leaders parce qu’ils veulent l’être (et le paraissent grâce à leurs alliances et la porosité entre ces milieux de pouvoir).]

      Justement. C’est ce « consciemment ou non » qui me gêne. Confondre les « véritables élites » (celle des ingénieurs que je donnais en exemple) avec les « fausses élites » constituées de ces figures de proue qui se cooptent sur des bases qui n’ont rien à voir avec le mérite en les mettant toutes dans la même boite marquée « élites », c’est alimenter le discours anti-élites. Ce discours qui, à droite comme à gauche, vomit « ceux qui savent » et nous vantent le savoir immanent de « l’homme commun ».

    • Albert dit :

      Pour une fois je suis moins pessimiste que vous: je pense que le peuple dans son ensemble ne s’y trompe pas, car il "sent" plus encore qu’il ne "pense"( et ce n’est pas péjoratif !).Je suis sûr qu’il respecte le savoir des ingénieurs, des médecins, etc. (Mais il est vrai qu’il est encore très manipulé, à son corps défendant, par les "leaders", mais de moins en moins -j’espère…)

    • Descartes dit :

      @ Albert

      [Pour une fois je suis moins pessimiste que vous: je pense que le peuple dans son ensemble ne s’y trompe pas, car il "sent" plus encore qu’il ne "pense" (et ce n’est pas péjoratif !).Je suis sûr qu’il respecte le savoir des ingénieurs, des médecins, etc.]

      Je ne doute pas un instant de l’intelligence et de la sagesse du peuple français dans son ensemble. Et on peut voir quotidiennement les marques du respect qu’il porte aux grands commis de l’Etat issus de la méritocratie républicaine. Je suis toujours étonné d’ailleurs de voir qu’alors qu’on raille les hommes politiques passés par l’ENA, les gens ont un grand respect et une grande confiance dans les Préfets, au point qu’ils sont appelés comme médiateurs dans les conflits sociaux et qu’on s’adresse à eux chaque fois qu’il y a une urgence. Et pourtant, les énarques sont bien plus nombreux parmi les Préfets que parmi les politiques. Pourquoi le passage par l’ENA est pour un politique un synonyme de détachement du monde réel et de la « France d’en bas », alors qu’on reconnaît aux hauts-fonctionnaires passés par cette même vénérable école une connaissance et une intelligence du terrain ?

      Je suis persuadé – et j’ai pu en faire l’expérience personnellement plusieurs fois – que les français sont au contraire reconnaissants à ces « grands commis » qui ont souvent accepté une carrière bien moins rémunératrice que dans le privé parce qu’ils avaient le sens de l’intérêt général chevillé au corps. Et qu’ils font la différence entre ces vrais « sachants » et les soi-disant « experts » qui donnent des leçons dans le fenestron. D’ailleurs, ce ne sont pas les leaders ouvriers qui demandent la fermeture des grandes écoles. Ce sont les rejetons des classes moyennes qui n’ont pas réussi à y rentrer parce qu’elles recrutent encore au mérite…

      Le peuple sait parfaitement distinguer les "vraies" élites des fausses. C’est dommage que Gauchet les confonde.

  9. xc dit :

    Descartes,
    Les textes complotistes m’amusent généralement beaucoup 😉 , et je ne suis pas expert en stratégie. Mais il me semble que nos troupes n’auraient pas attendu l’arme au pied que les chars du Pacte soient devant leurs casernes. Il aurait effectivement été trop tard, y compris pour une riposte conventionnelle. Il me semble aussi qu’exposer nos soldats de la sorte était marquer notre confiance absolue en la force de frappe. Donc, montrer notre détermination à l’utiliser.

    • Descartes dit :

      @xc

      Ni l’une, ni l’autre. L’action diplomatique du gouvernement provisoire dirigé par De Gaulle a permis à la France de s’asseoir à la table des vainqueurs – au grand dam des américains – et obtenir une zone d’occupation en Allemagne, gage de son statut. Lorsqu’en 1949 la République fédérale d’Allemagne est créée par la fusion des zones d’occupation occidentale, la France conserve le droit de stationner des troupes dans la rive gauche du Rhin comme garantie de sa sécurité. L’opinion publique aurait en effet difficilement accepté quatre ans après la fin de la guerre, alors que les blessures de la guerre étaient encore mal cicatrisées, que l’on perde tout levier pour empêcher un nouvel réarmement de la Rhénanie. Cela n’a donc rien à voir avec la force de frappe. Au contraire, au fur et à mesure que la France se dote de l’arme nucléaire, la crainte d’un conflit armé avec l’Allemagne s’efface. C’est cet état d’esprit qui permet en 1963 la signature du traité de l’Elysée et les embrassades et visites réciproques de De Gaulle et Adenauer.

  10. JD dit :

    Analyse critique très juste et bien argumentée.
    Reste la question qui me taraude : comment un homme politique, Président de la république, qui n’est pas a priori un imbécile, même si sa personnalité intrigue pour ne pas dire plus, comment un tel homme peut-il faire paraître une tribune aussi creuse, stupide, en nous prenant ce faisant à ce point pour des débiles ?

    • Descartes dit :

      @ JD

      [Reste la question qui me taraude : comment un homme politique, Président de la république, qui n’est pas a priori un imbécile, même si sa personnalité intrigue pour ne pas dire plus, comment un tel homme peut-il faire paraître une tribune aussi creuse, stupide, en nous prenant ce faisant à ce point pour des débiles ?]

      A la vérité, je n’en sais rien. Même lorsqu’on n’a pas grande chose à dire, et qu’on veut rester dans l’ambiguïté, il y a des manières plus ou moins élégantes de noyer le poisson. Et j’imagine que quand on est président de la République, on n’a pas trop de mal à trouver une « plume » qui veuille bien travailler pour vous. Et qu’il y a dans ce pays suffisamment de « normaliens sachant écrire » (c’est ce que De Gaulle avait dit de Pompidou lorsqu’il l’a recruté) vaguement de gauche et prêts à se damner pour avoir un bureau à l’Elysée.

      Alors, pourquoi notre président néglige cet aspect ? Pourquoi continue-t-il à ânonner des textes sans saveur ni consistance (qu’il dit d’ailleurs très mal, en plaçant en permanence des césures là où elles n’ont pas lieu d’être) et à publier des textes du même acabit ? Pour moi, c’est un véritable mystère. La seule interprétation qui me vient à l’esprit, c’est un trait assez notable du caractère de Hollande : il est totalement insensible à l’esthétique. On ne lui connaît dans ce domaine aucun goût particulier. La musique, l’architecture, la peinture, la littérature ne semblent pas l’intéresser le moins du monde. Même son style vestimentaire est « passe partout » et sans la moindre touche personnelle. Sa photo officielle est plate, sans relief. Il est peut-être tout simplement insensible à la beauté d’un texte, et il n’y voit que l’aspect utilitaire. Et du coup, il en néglige l’impact sur les autres.

      J’avoue que ce n’est pas une explication très satisfaisante, mais j’en ai pas de meilleure…

  11. Timodon dit :

    Bonjour Descartes,

    Une petite réaction à cette lettre, car je me suis procuré "Le siècle de Monsieur Pétain", ouvrage que vous recommandez à plusieurs reprises (et encore ici dans les commentaires).
    J’y retrouve en effet plusieurs des thèmes que vous abordez, notamment le "surmoi républicain". J’espère que j’en comprendrai l’essence sans déformer, car j’avoue que par moment, j’ai beau m’accrocher, je décroche!

    Et à la lecture de l’introduction, un paragraphe m’avait marqué, et comme je trouve qu’il fait écho à votre papier, je le reproduis:

    "Le "Monsieur Pétain" dont il est question ici n’est donc pas le Maréchal qui a demandé l’armistice, signé les lois antisémites et mis en place le régime le plus réactionnaire que notre pays ait connu depuis 1814. Ce Maréchal n’a représenté ni la France ni son siècle. Le Pétain qui nous intéresse est celui qui fut l’archétype du "plus Français des Français", salué par ses contemporains comme un bon républicain, comme "l’homme normal" par excellence, sans rien de fasciste en lui, sans une seule ligne antisémite écrite de sa main; et qui pourtant est devenu l’incarnation même du défaitisme et a fait basculer son pays dans un ordre quasi totalitaire, parce qu’il était l’homme du compromis."

    "L’homme normal", "l’homme du compromis", "le plus Français des Français"…
    Si cette introduction avait été écrite 7 ans plus tard, j’y aurais vu un parallèle volontaire avec notre Président.
    Lecteur de ce paragraphe en 2014, je n’ai pu m’empêcher d’y penser…

    • Descartes dit :

      @ Timodon

      [J’y retrouve en effet plusieurs des thèmes que vous abordez, notamment le "surmoi républicain". J’espère que j’en comprendrai l’essence sans déformer, car j’avoue que par moment, j’ai beau m’accrocher, je décroche!]

      Persistez, persistez ! Accrochez vous, cela vaut la peine !

      ["L’homme normal", "l’homme du compromis", "le plus Français des Français"… Si cette introduction avait été écrite 7 ans plus tard, j’y aurais vu un parallèle volontaire avec notre Président. Lecteur de ce paragraphe en 2014, je n’ai pu m’empêcher d’y penser…]

      Et vous avez raison. Que vous retrouviez dans le discours d’un président de la République en 2014 le « monsieur Pétain » auquel fait référence Slama montre que l’hypothèse du livre est exacte. Il y a toujours en France un parti de « monsieur Pétain » qui, lorsque les circonstances lui sont favorables, refait surface. Hollande aujourd’hui, comme Raffarin hier, sont les archétypes de cette pensée molle, défaitiste, « normale »…

  12. v2s dit :

    Descartes
    [Cela étant dit, il ne faut pas se raconter des histoires. L’Allemagne est aujourd’hui la puissance dominante de l’Europe]
    L’industrie véhicule aussi la culture d’un pays.
    Les Allemands ne sont pas des Français et l’Allemagne n’est pas La France.
    La France a fait des choix. Elle a abandonné peu à peu la construction de machines. Il n’y a plus, en France, un seul fabricant de presses à injecter, de presses pour l’impression du papier, pour l’impression des films plastiques, plus de constructeurs de machines pour le moulage du verre, pour la fabrication d’emballages carton, pour le moulage des semelles de chaussures, l’injection des pièces en alu, en zamak etc etc. Bref nous n’avons pratiquement plus de fabricants de machines de transformation. Contrairement à l’Italie par exemple.
    Une hypothétique réindustrialisassion se ferait donc en important massivement des équipements industriels d’Allemagne, d’Italie, voire de Chine ou de Corée.
    L’Allemagne, elle, a continué d’être en pointe dans ces domaines. Et au passage, l’Allemagne, après avoir connu 20 ans de boom dans les ventes de machines aux pays émergents qui se sont équipés, connaîtrait un nouveau boom si l’occident réindustrialisait.
    Les mauvais esprits, comme moi, en concluront que la culture industrielle de l’Allemagne, de ses industriels, de ses dirigeants et des ses syndicats, fait qu’en matière de construction de machines de transformation, nous ne jouons désormais pas dans la même division que l’Allemagne.
    Et, en matière d’industrie de transformation, créatrices d’emploi non qualifiés, nous ne jouons pas non plus la même division que les pays jeunes, bien équipés. Et dans ce domaine, personne ne voit venir un retournement.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Bref nous n’avons pratiquement plus de fabricants de machines de transformation. Contrairement à l’Italie par exemple. Une hypothétique réindustrialisassion se ferait donc en important massivement des équipements industriels d’Allemagne, d’Italie, voire de Chine ou de Corée.]

      Oui. Du moins dans un premier temps , le temps de rebâtir une industrie de la machine-outil et des machines de transformation. Lorsqu’on a pris du retard, la solution rationnelle est d’aller chercher ce qui se fait de mieux et de l’adapter, et non d’attendre d’avoir réinventé la roue alors que les autres en sont déjà au char. C’est d’ailleurs ce qu’on fait tous les pays qui se sont trouvés dans cette situation. L’URSS des années 1930 a importé à prix d’or des machines allemandes, américaines et françaises pour relancer l’industrie, avant de pouvoir fabriquer ses propres machines – celles qui lui ont permis de gagner la guerre. Plus près de nous, l’Inde, la Chine, le Brésil ou le Japon ont fait de même : ils ont importé des machines et des technologies qu’ils ont ensuite reproduites et améliorées. Et nous avons fait la même chose par le passé. Pour ne donner qu’un exemple, nous avons acheté aux américains deux réacteurs PWR – ceux de Fessenheim – avant de « franciser » la filière et être capables de fabriquer nos propres équipements… et on ne peut pas dire que l’investissement n’ait pas été rentable pour l’industrie française !

      [Les mauvais esprits, comme moi, en concluront que la culture industrielle de l’Allemagne, de ses industriels, de ses dirigeants et des ses syndicats, fait qu’en matière de construction de machines de transformation, nous ne jouons désormais pas dans la même division que l’Allemagne.]

      Ils auraient tort. Ce n’est pas la « culture » qui est en cause, ce sont des décisions politiques et économiques. Ce n’est pas sa « culture » qui permet à l’Allemagne de s’imposer, c’est le fait que pendant les quarante dernières années, en acceptant les règles d’une « construction européenne » qui sont totalement étrangères à notre tradition industrielle, nous avons laissé mourir nos industries. Ce n’est pas notre « culture » qui nous inhibe, puisqu’à d’autres moments de notre histoire on a pu développer des aventures industrielles extraordinaires sans violenter notre nature. Ce qui pose problème, c’est que depuis trente ans on essaye de plaquer un modèle libéral qui n’a aucun rapport avec notre « culture ».

      Ce choix est parfaitement réversible.

  13. v2s dit :

    @Descartes
    [« Les pays émergents » ne font rien. Ce sont les investisseurs internationaux qui font]
    [… les usines qui sont neuves aujourd’hui seront dépassées dans vingt ans. Et dans certaines activités, bien plus vite. Si les salaires augmentent, le capital fuit]
    Dans un commentaire précédent vous affirmiez au sujet des délocalisations :
    [… un travailleur perd tout, un autre gagne un petit peu, et le capitaliste gagne beaucoup.]
    Certes, mais alors il faudra m’expliquer pourquoi ces investissements à l’étranger seraient (sont effectivement !) dramatiques quand ils accélèrent notre désindustrialisation non contrôlée et n’apporteraient « pas grand-chose » aux pays dans lesquels ils s’installent.
    La mondialisation tire effectivement de la misère des dizaines millions d’habitants dans des pays comme la Chine, l’Inde, l’Asie en général et bientôt l’Afrique.
    Vous pouvez ironiser sur les capitalistes délocaliseurs ‘[bienfaiteurs de l’humanité], il reste que la pauvreté recule partout, pas assez vite, mais partout.
    Je me souviens, j’étais au Brésil un peu avant l’an 2000, les ouvriers de Ford à Sao Paulo, étaient en lutte et défilaient dans les rues de la capitale de l’état, quand Ford délocalisait une partie de son usine de Sao Paulo, pour la relocaliser dans le Nordeste du pays, près de Recife, ou les salaires étaient beaucoup plus bas.
    Or, 50 plus tôt, les ouvriers Ford aux USA, défilaient dans les rues de Detroit, pour s’insurger contre les investissements de leur groupe à Sao Bernardo, banlieue de Sao Paulo.
    Il est évident qu’en quittant Detroit pour Sao Paulo, Ford a contribué de façon spectaculaire à la richesse de l’état de Sao Paulo et au développement du Brésil industriel. Générant au passage une forte culture syndicale dont est issue leur précédent dirigeant, le grand Lula ! Et de la même façon leur délocalisation dans le Nordeste booste aujourd’hui l’économie de cette zone déshéritée. Bienfaiteurs désintéressés, sûrement pas ! mais accélérateurs de croissance, sans aucun doute !
    Je suppose qu’il vaudrait mieux accepter d’accompagner les transitions liées à la mondialisation*, et de ce point de vue, une certaine dose de protectionnisme intelligent serait nécessaire (vous voyez que vos idées font leur chemin). Nous pouvons aussi soutenir nos points forts. Et nous en avons : l’énergie, les transports … nos systèmes français d’exploitation de métro régulent le trafic de Rio à Singapour en passant par beaucoup de métropoles dans le monde. La liste des domaines ou la France excelle est longue.
    *Il existe des gisements d’emplois non qualifiés, dans des activités non délocalisables que nous pourrions développer : Un grand chantier national d’isolation par l’extérieur des bâtiments publics et HLM, avec des laines de roche, ou de verre, fabriquées en France, pourraient créer des dizaines de milliers d’emploi faiblement qualifiés, tout en économisant l’énergie. La casse des ghettos, la reconstruction de logements sociaux décents, financés par l’arrêt et la refonte des scandaleux plans Duflot, Scellier, Borloo, Robien qui ne sont que des niches fiscales qui enrichissent certains contribuables (oui oui les classes moyennes !) et certains banquiers, sans jamais résoudre, depuis plus d’un demi siècle, le manque de logements sociaux.
    Le tourisme (que vous n’aimez pas trop, on ne sait pas pourquoi) est loin d’être au sommet de son développement. A coté du tourisme, beaucoup d’industries de service n’ont encore pas fait le plein.
    Vous me disiez un jour : « Vous voudriez, vous, que vos enfants deviennent pizzaïolos ? » et bien votre interrogation me laisse perplexe : visser, dans une usine, des pare-chocs sur des châssis, conduire un Fenwick, manœuvrer les vannes d’une raffinerie ou clipser des composants électroniques à l’intérieur d’une télé, d’un PC ou d’un Smartphone … , seraient donc, selon vous, des métiers plus prestigieux que de cuisiner ou livrer des pizzas, travailler dans un camping ou assister des personnes âgées ? A salaire égale, quelle est la raison objective de votre préférence ?

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Certes, mais alors il faudra m’expliquer pourquoi ces investissements à l’étranger seraient (sont effectivement !) dramatiques quand ils accélèrent notre désindustrialisation non contrôlée et n’apporteraient « pas grand-chose » aux pays dans lesquels ils s’installent.]

      Je ne comprends pas très bien la question. Je ne me souviens pas d’avoir écrit que les investissements à l’étranger soient « dramatiques ». J’ai simplement écrit que par le biais de la délocalisation, le patron licencie un ouvrier français payé 1200€, embauche un ouvrier indien payé 50€, et empoche la différence. Pour l’ouvrier indien, cela représente un gain, faible mais un gain tout de même. Pour l’ouvrier français, cela représente un perte très importante. Et pour le patron, un gain considérable. C’est peut-être « dramatique » pour l’ouvrier français, mais pour le patron, certainement pas !

      [Vous pouvez ironiser sur les capitalistes délocaliseurs ‘[bienfaiteurs de l’humanité], il reste que la pauvreté recule partout, pas assez vite, mais partout.]

      En termes absolus, oui. Et cela depuis que Neanderthal a eu la bonne idée de domestiquer le feu. So what ?

      En termes relatifs, le bilan est beaucoup moins évident.

      [Il est évident qu’en quittant Detroit pour Sao Paulo, Ford a contribué de façon spectaculaire à la richesse de l’état de Sao Paulo et au développement du Brésil industriel. (…) Et de la même façon leur délocalisation dans le Nordeste booste aujourd’hui l’économie de cette zone déshéritée.]

      Mais que deviennent, dans ce « boost » du Nordeste, les ouvriers de Sao Paulo et leur état ? Que devient la « contribution spectaculaire » que vous vantez dans votre première phrase ?

      [Je suppose qu’il vaudrait mieux accepter d’accompagner les transitions liées à la mondialisation*, et de ce point de vue, une certaine dose de protectionnisme intelligent serait nécessaire (vous voyez que vos idées font leur chemin). Nous pouvons aussi soutenir nos points forts.]

      Les « soutenir », cela ne suffit pas. Il faut aussi en créer. Et pour pouvoir les créer, il faut aussi des mesures protectionnistes. Lorsqu’on débute, on est rarement compétitif.

      [*Il existe des gisements d’emplois non qualifiés, dans des activités non délocalisables que nous pourrions développer : Un grand chantier national d’isolation par l’extérieur des bâtiments publics et HLM, avec des laines de roche, ou de verre, fabriquées en France, pourraient créer des dizaines de milliers d’emploi faiblement qualifiés, tout en économisant l’énergie.]

      Le genre de chantier dont vous parlez n’offre guère d’emplois de « faible qualification ». Il ne faut pas confondre « travail manuel » et « faible qualification ». Pour poser de l’isolation extérieure, il faut au contraire des travailleurs qualifiés.

      [Le tourisme (que vous n’aimez pas trop, on ne sait pas pourquoi)]

      Ce n’est pas une question d’amour. L’expérience a montré que le tourisme est une activité fortement dépendante de la conjoncture extérieure, qu’elle soit économique ou politique. Dépendre économiquement du tourisme crée donc une fragilité et une dépendance stratégique.

      [A coté du tourisme, beaucoup d’industries de service n’ont encore pas fait le plein.]

      Je ne sais pas ce que vous appelez « industries de services ». Si vous voulez parler des services, alors la difficulté est que celles-ci ont besoin quelque part d’une industrie pour les alimenter. Pour pouvoir payer des gens pour soigner nos personnes âgées, il faut bien qu’il y ait quelque part des industries qui produisent.

      [Vous me disiez un jour : « Vous voudriez, vous, que vos enfants deviennent pizzaïolos ? » et bien votre interrogation me laisse perplexe : visser, dans une usine, des pare-chocs sur des châssis, conduire un Fenwick, manœuvrer les vannes d’une raffinerie ou clipser des composants électroniques à l’intérieur d’une télé, d’un PC ou d’un Smartphone … , seraient donc, selon vous, des métiers plus prestigieux que de cuisiner ou livrer des pizzas, travailler dans un camping ou assister des personnes âgées ?]

      Plus prestigieux, je ne sais pas, et cela n’a pas en fait grande importance. Plus stratégiques, oui. Les pays qui fabriquent des PC, des avions ou des centrales nucléaires ont un contrôle sur leur propre avenir et un pouvoir d’influence dans le monde bien plus grand que ceux qui fabriquent des pizzas ou entretiennent des campings.

      Il n’y a pas de sot métier. Mais certains métiers sont plus stratégiques que d’autres. Et il importe que le pays conserve suffisamment d’activités stratégiques. C’est pourquoi, lorsqu’on ferme un usine de machines-outils pour ouvrir une pizzeria, le pays y perd.

    • bovard dit :

      Les gisements d’emplois sont ‘la tarte à la crème’ des politiques sans issue dans la lutte contre le chômage.
      Depuis 1973,ils sont vainements évoqués car ils ne cessent d’être taris par la concurrence libre et non faussée.
      Or,Alstom est un excellent gisement d’emploi,utile au développement de la société.
      Paradoxalement le gouvernement français ne le soutient pas .
      Pourtant les gouvernements allemands soutiennent leurs ‘gisements d’emploi’.
      Celui de Bavière participe au capital de BMW, celui du Bade Wurtemberg à Volkswagen et Porsche.
      Celui de Hambourg à Airbus,d’autres à Siemens etc.
      C’est grâce à ces participations des collectivités que l’industrie allemande prospère.
      Pourquoi,alors que la gestion à l’allemande est citée exemple ,ne pas faire de même en France ?
      Il faut en partie collectiviser Alstom,soit avec l’état soit avec les régions de l’est.

    • v2s dit :

      [C’est pourquoi, lorsqu’on ferme une usine de machines-outils pour ouvrir une pizzeria, le pays y perd.]
      C’est exact ! Monsieur De La Palisse n’aurait sans doute pas dit mieux !
      Votre vision d’un monde industriel de type « tout ou rien » est caricatural. Dans le cas de l’état de São Paulo, l’industrialisation des années 50 a permis la naissance de toute une économie, de tout un tissus de PME, une sorte d’effet boule de neige. Le départ de Ford vers la région du Nordeste a posé un problème certain aux ouvriers licenciés mais n’a pas rayé d’un coup de plume 50 ans de croissance et d’industrialisation. Entre temps Toyota, Renault, Peugeot s’étaient installés, bénéficiant de la culture industrielle automobile sur place, et des sous-traitants innombrables. Les personnels formés à la démarche qualité de l’automobile, sont facilement employables dans toute les autres industries de transformation. L’état de São Paulo reste encore le plus industrialisé, celui ou l’emploi industriel croit le plus.

      [le patron licencie un ouvrier français payé 1200€, embauche un ouvrier indien payé 50€, et empoche la différence.]
      Vous revenez toujours à votre exemple de 50€ en Inde et 1200€ en France. Mais pour avoir vécu la monté en puissance des industries de transformation dans la Pologne libérée du communisme, dans les années 90, je peux témoigner, 20 ans après, de la vigueur de ces industries polonaises. Qu’il s’agisse d’usines de télévision, d’électroménager, d’accessoires pour le bâtiment … le SMIC polonais est aujourd’hui de 350€, mais ce minimum concerne essentiellement les ouvriers agricoles et les employés de l’état. Les travailleurs dans l’industrie, dans les entreprises « occidentales » gagnent facilement le double. Ce, dans un pays ou le coût de la vie (loyer, habillement, alimentation ..), hors de la capitale Varsovie, est deux fois moindre qu’en France. Le PIB de La Pologne n’a lui, pas cessé de croître et le chômage de reculer.
      Quant à l’industrie française, quant aux décisions stratégiques, ou a l’absence de décisions stratégiques, je veux bien que vous chargiez l’Europe de tous les péchés d’Israël, mais malheureusement, là encore c’est caricatural.
      Les Français aiment inventer, créer, mais n’ont jamais été les plus forts pour standardiser, industrialiser des prototypes pour les mettre en production des séries. Le fait que nos constructeurs de machines aient peu à peu jeté l’éponge n’a pas grand-chose à voir avec la construction de l’UE. Si je repense à votre exemple des générateurs à moteurs thermiques vendus à EDF, marché perdu par ALSTOM au détriment de SIEMENS (exemple que je ne connais pas), il me fait penser à d’autres cas d’achats d’équipements où j’ai eu à choisir : presses ou extrudeuses ou cabines de peinture. Lorsque l’industrie française en proposait encore, les équipements français étaient souvent bien conçus, ingénieux mais, faute de standardisation des composants, faute de réflexion suffisante sur la mise en série, ils étaient à la fois plus chers à l’achat, moins fiables dans le temps, et plus difficiles à dépanner. Il existe bien une culture industrielle différente en Allemagne et en France. Ce qui ne veut pas dire que la France ait eu raison de ne pas faire de grands choix stratégiques depuis AIRBUS et FRAMATOME, mais qui explique notre incapacité à prendre le virage de la concurrence mondialisée dans certains domaines, dont celui des machines de transformation.

      [Pour poser de l’isolation extérieure, il faut au contraire des travailleurs qualifiés.]
      Vous exagérez, la qualification requise pour poser des panneaux isolants est réelle, mais la formation pour poser ces panneaux standardisés est courte et simple. Il est certain qu’un analphabète, de surcroît maladroit, ne sachant rien faire de ses mains, et refusant de se former, aura, dans tous les cas, beaucoup de difficultés à trouver un emploi. Même comme cariste dans une usine, ou comme monteur sur une chaîne d’assemblage, qui l’un et l’autre nécessitent aussi une formation, donc une qualification.

      Je note que vous ne contestez pas qu’il existe de nombreux domaines, hors de l’industrie de transformation, ou la France excelle dans la compétition mondialisée, qui sont pourvoyeurs d’emplois et alimentent notre exportation.
      Refabriquer un jour en France tous les produits manufacturés, des télés aux chaussures en passant par les téléphones semble peu probable, tant le retard pris est désormais immense. Mais, avec une volonté politique on pourrait très bien cibler quelques domaines, comme par exemple les meubles, les parquets, les menuiseries, ou notre pays ne manque pas de matière première (on vend du bois brut à la Chine et on achète nos meubles partout sauf en France), et se donner ainsi des objectifs ambitieux dans un petit nombre de domaines pour maintenir en France des emplois industriels, en plus de ceux, trop rares, ou nous continuons d’être très compétitifs.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [« C’est pourquoi, lorsqu’on ferme une usine de machines-outils pour ouvrir une pizzeria, le pays y perd ». C’est exact ! Monsieur De La Palisse n’aurait sans doute pas dit mieux !]

      Ce qui vous semble un truisme n’est pas considéré comme une évidence par un certain nombre de grands de ce monde. Je me rappelle encore d’un éminent dirigeant qui déclarait que « produire de l’acier ou des bonbons, c’est pareil ». Un autre avait créé le concept de « l’entreprise sans usines ». D’autres enfin nous vendaient un modèle ou l’industrie irait dans les pays « émergents » pour être remplacée chez nous par les « services à la personne »…

      [Votre vision d’un monde industriel de type « tout ou rien » est caricatural. Dans le cas de l’état de São Paulo, l’industrialisation des années 50 a permis la naissance de toute une économie, de tout un tissus de PME, une sorte d’effet boule de neige. Le départ de Ford vers la région du Nordeste a posé un problème certain aux ouvriers licenciés mais n’a pas rayé d’un coup de plume 50 ans de croissance et d’industrialisation.]

      Je ne sais pas. Mais si je juge par ce qui se passe chez nous, je dois dire que je ne partage pas votre optimisme. Chez nous, quand les usines sont parties en Roumanie, en Bulgarie, en Corée ou en Inde, elles ont laissé derrière elles des régions sinistrées. Je ne vois pas très bien pourquoi ce serait différent à Sao Paulo. Pourquoi les mêmes causes devraient elles produire des effets différents ?

      [Entre temps Toyota, Renault, Peugeot s’étaient installés, bénéficiant de la culture industrielle automobile sur place, et des sous-traitants innombrables.]

      Et eux aussi, partiront dans le Nordeste ou bien perdront la compétition avec Ford. Là encore, on connaît la musique, on a eu la même en France. Et que feront les « sous-traitants innombrables » lorsque leurs donneurs d’ordres seront partis ? Et bien, ils feront comme ils ont fait en France : ils fermeront leurs rideaux. Encore une fois, je ne comprends pas très bien pourquoi vous pensez que la « délocalisation » à Sao Paulo devrait laisser intact le tissu industriel local alors qu’on a vu les effets ailleurs…

      [Les personnels formés à la démarche qualité de l’automobile, sont facilement employables dans toute les autres industries de transformation.]

      Oui, un peu comme nos ouvriers de l’automobile. Vous êtes passé à Aulnay, récemment ? Il parait qu’être « employable » ne vous empêche pas d’être chômeur.

      [« le patron licencie un ouvrier français payé 1200€, embauche un ouvrier indien payé 50€, et empoche la différence ». Vous revenez toujours à votre exemple de 50€ en Inde et 1200€ en France.]

      Dans la mesure où il illustre parfaitement ce qui est en train de se passer, je ne vois pas pourquoi je devrais me priver.

      [Mais pour avoir vécu la monté en puissance des industries de transformation dans la Pologne libérée du communisme, dans les années 90, je peux témoigner, 20 ans après, de la vigueur de ces industries polonaises. Qu’il s’agisse d’usines de télévision, d’électroménager, d’accessoires pour le bâtiment … le SMIC polonais est aujourd’hui de 350€, mais ce minimum concerne essentiellement les ouvriers agricoles et les employés de l’état. Les travailleurs dans l’industrie, dans les entreprises « occidentales » gagnent facilement le double.]

      700 € au lieu de 2400 € (parce que le raisonnement que vous faites sur le SMIC polonais, vous pouvez le faire aussi sur le SMIC français…), avouez que pour un patron, ce n’est pas mal comme bénéfice…

      [Ce, dans un pays ou le coût de la vie (loyer, habillement, alimentation ..), hors de la capitale Varsovie, est deux fois moindre qu’en France.]

      Alors, il faudra m’expliquer pourquoi, alors qu’ils peuvent gagner des salaires aussi succulents, on trouve en Grande Bretagne, en France et en Allemagne des centaines de milliers d’immigrants polonais qualifiés qui quittent ce pays de Cocagne pour aller chercher un emploi et qui sont prêts à travailler pour des salaires nets de l’ordre de 500 € dans le cadre de la directive « travailleurs détachés », par exemple.

      [Le PIB de La Pologne n’a lui, pas cessé de croître et le chômage de reculer.]

      Peut-être. La question est de savoir à qui a profité cette croissance.

      [Quant à l’industrie française, quant aux décisions stratégiques, ou a l’absence de décisions stratégiques, je veux bien que vous chargiez l’Europe de tous les péchés d’Israël, mais malheureusement, là encore c’est caricatural.]

      Moi je ne « charge l’Europe » d’aucun péché. Les coupables, sont tous ceux qui ont accepté d’entrer dans cette Europe et de nous imposer ces règles. Si péché il y a, il a été commis par nos élus, par nos dirigeants, par ceux qui les ont investis. Pas par « l’Europe ».

      [Les Français aiment inventer, créer, mais n’ont jamais été les plus forts pour standardiser, industrialiser des prototypes pour les mettre en production des séries. Le fait que nos constructeurs de machines aient peu à peu jeté l’éponge n’a pas grand-chose à voir avec la construction de l’UE.]

      Bien sur que si. Quand « on n’est pas fort pour standardiser », on ne rentre pas dans un système ou celui qui remporte le morceau est celui qui est le meilleur dans la course à la standardisation. Quand on a une bourgeoisie rentière et que le développement industriel est étroitement lié à l’action de l’Etat, on ne rentre pas dans un système ou les aides d’Etat sont interdites et où c’est aux bourgeois de se battre devant l’autel du marché. Ce n’est pas que l’UE nous veuille du mal. C’est que l’UE est construite sur des principes qui ne sont pas les nôtres. Le nageur le plus rapide du monde n’à que s’en prendre à lui-même s’il accepte de disputer la finale olympique de boxe et qu’il ne remporte qu’un œil au beurre noir.

      [Si je repense à votre exemple des générateurs à moteurs thermiques vendus à EDF, marché perdu par ALSTOM au détriment de SIEMENS (exemple que je ne connais pas), il me fait penser à d’autres cas d’achats d’équipements où j’ai eu à choisir : presses ou extrudeuses ou cabines de peinture. Lorsque l’industrie française en proposait encore, les équipements français étaient souvent bien conçus, ingénieux mais, faute de standardisation des composants, faute de réflexion suffisante sur la mise en série, ils étaient à la fois plus chers à l’achat, moins fiables dans le temps, et plus difficiles à dépanner.]
      Dans le cas d’espèce, l’argument est inopérant : Alstom a déjà équipé des tranches nucléaires françaises avec ses moteurs, et ils sont parfaitement standardisés et faciles à entretenir. S’ils ont perdu le marché EDF, c’est tout simplement parce qu’ils étaient plus chers.

      [« Pour poser de l’isolation extérieure, il faut au contraire des travailleurs qualifiés ». Vous exagérez, la qualification requise pour poser des panneaux isolants est réelle, mais la formation pour poser ces panneaux standardisés est courte et simple.]

      Je n’exagère pas. Pour poser des panneaux standardisés sur un bâtiment en cours de construction ou cela a été prévu sur les plans, on peut se contenter d’une formation simple. Mais lorsqu’il s’agit de poser une isolation extérieure sur un bâtiment qui n’a pas été prévu pour cela, il faut avoir une très bonne technicité, puisqu’il faut en permanence résoudre des problèmes non prévus au départ.

      [Je note que vous ne contestez pas qu’il existe de nombreux domaines, hors de l’industrie de transformation, ou la France excelle dans la compétition mondialisée, qui sont pourvoyeurs d’emplois et alimentent notre exportation.]

      Ce serait absurde de le contester. Cela reste vrai même pour certaines industries de transformation, comme l’agroalimentaire. Mais cela ne peut me satisfaire. On ne peut prétendre rester une puissance et porter un message universel si l’on ne fabrique que des yaourts Danone et des sacs Vuitton, quand bien même ces industries assureraient le plein emploi.

      [Refabriquer un jour en France tous les produits manufacturés, des télés aux chaussures en passant par les téléphones semble peu probable, tant le retard pris est désormais immense.]

      Tiens, tiens… mais d’où vient ce petit fumet de défaitisme ?

      [Mais, avec une volonté politique on pourrait très bien cibler quelques domaines, comme par exemple les meubles, les parquets, les menuiseries, ou notre pays ne manque pas de matière première (on vend du bois brut à la Chine et on achète nos meubles partout sauf en France), et se donner ainsi des objectifs ambitieux dans un petit nombre de domaines pour maintenir en France des emplois industriels, en plus de ceux, trop rares, ou nous continuons d’être très compétitifs.]

      Ah oui… laissons aux autres les aciers spéciaux, l’électronique, les ordinateurs, les armes, le nucléaire, et consacrons nous aux « meubles, parquets et menuiseries »… Ce que vous proposez, c’est de « sortir de l’histoire ». Vous proposez rien de moins que de laisser aux autres les activités économiques qui poussent et alimentent la recherche et l’innovation, et garder les activités « sur lesquelles nous sommes compétitifs » pour pouvoir « garder les emplois ». A votre avis, a quoi peuvent servir des universités qui enseignent la science des matériaux, la physique nucléaire, la chimie des explosifs, si en fin de compte on ne fabrique plus chez nous que des « meubles, parquets et menuiseries » ?

      Je vais vous le dire brutalement : à l’heure de concevoir une politique industrielle, l’emploi, on s’en fout. Le but de la politique industrielle doit être de produire de la richesse, de donner au pays une base stratégique, de pousser le savoir et la recherche. Pas de fournir des emplois.

    • Albert dit :

      ["Ce qui vous semble un truisme n’est pas considéré comme une évidence par un certain nombre de grands de ce monde. Je me rappelle encore d’un éminent dirigeant qui déclarait que « produire de l’acier ou des bonbons, c’est pareil ». Un autre avait créé le concept de « l’entreprise sans usines ». D’autres enfin nous vendaient un modèle ou l’industrie irait dans les pays « émergents » pour être remplacée chez nous par les « services à la personne »…]

      J’ajouterais toutes sortes de stupidités ou de bobards du même tonneau tenus par des gens sensés être intelligents puisqu’instruits, voire experts. Tous n’étant pas de fieffés menteurs. Cela a toujours été un mystère pour moi.Et un mystère, ça s’explique pas !!!

  14. v2s dit :

    [Où voyez-vous le moindre « propos anti-germanique » dans mon commentaire]
    Votre expression [chancelière du Reich] déclenche mécaniquement chez certain lecteur un [Herr Hollande]. Je ne vois vraiment pas ce que votre raisonnement clair et parfaitement respectable gagne à cultiver ainsi ce qu’il faut bien appeler de l’anti germanisme racoleur.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Votre expression [chancelière du Reich] déclenche mécaniquement chez certain lecteur un [Herr Hollande]]

      Alors l’antigermanisme est chez dans la tête de mon lecteur, pas chez moi. Je vous rappelle que le titre « chancellier du Reich » (« Reichkanzler ») a été porté par les chefs de gouvernement d’Allemagne de 1871 à 1934. Hitler n’a en fait porté ce titre qu’un an : en 1934, suite à la fusion des postes de président et de chancelier d’Allemagne, le titre devient « Fuhrer und Reichkanzler ». Il n’est pas à mon avis par hasard que la RFA a repris le terme « kanzler » pour designer son chef de gouvernement, alors que la RDA lui donne le titre de « Vorsitzender des Ministerrats » (« président du conseil des ministres »).

      [Je ne vois vraiment pas ce que votre raisonnement clair et parfaitement respectable gagne à cultiver ainsi ce qu’il faut bien appeler de l’anti germanisme racoleur.]

      Encore une fois, aucun « antigermanisme ». La faute de Montoire a été commise par un gouvernement français, et non par un gouvernement allemand. Ce n’est pas Hitler qui a trahi les intérêts de son pays et de son peuple, ce fut Pétain.

  15. dafdesade dit :

    Vous avez été écouté Descartes, on vous lit jusqu’à l’Elysée 🙂 http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/05/14/l-etat-s-arme-pour-proteger-les-industries-strategiques_4418777_3234.html

    Arnaud Montebourd vous a entendu :

    « Le choix que nous avons fait, avec le premier ministre, est un choix de patriotisme économique. Ces mesures de protection des intérêts stratégiques de la France sont une reconquête de notre puissance, explique M. Montebourg au Monde, dans un entretien à paraître jeudi après-midi. Nous pouvons désormais bloquer des cessions, exiger des contreparties. C’est un réarmement fondamental de la puissance publique. La France ne peut pas se contenter de discours quand les autres Etats agissent. »

    S’agit-il d’un début de prise de conscience de nos "élites" ?

    • Descartes dit :

      @ dafdesade

      [Vous avez été écouté Descartes, on vous lit jusqu’à l’Elysée 🙂 http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/05/14/l-etat-s-arme-pour-proteger-les-industries-strategiques_4418777_3234.html%5D

      Honneur à qui honneur est du. Cette mesure est certainement un pas dans la bonne direction. Ma position n’a jamais été de nier l’intérêt de laisser le marché réguler un certain nombre de secteurs et d’aller vers une économie 100% planifiée. Il y a beaucoup de domaines où le marché assure une bonne allocation des facteurs de production avec un coût de gestion minimal. Par contre, je défends l’idée qu’il y a des secteurs qui soit de par leur structure qui empêche une logique de marcher de fonctionner, soit de par leur caractère stratégique – pour la défense nationale, certes, mais aussi pour la structuration de notre territoire, pour le développement de notre recherche, pour notre puissance dans le monde – doivent être régulés voire contrôlés par l’Etat.

      Que l’on sorte d’une vision étroitement « défense » pour inclure des secteurs comme l’énergie, la santé publique, l’eau, les communications électroniques ou les transports m paraît une bonne chose. Reste que ce décret n’est qu’un instrument de régulation. S’il permet à l’Etat – mais encore faut-il qu’il soit utilisé – d’empêcher la prise de contrôle et le démantèlement d’une entreprise « stratégique », il ne résoudra pas le problème des capacités d’une entreprise qui produirait en France d’obtenir des marchés lorsqu’elle est en concurrence avec des entreprises produisant dans des pays à faibles coûts. Or c’est là que se trouve la question fondamentale.

      [S’agit-il d’un début de prise de conscience de nos "élites" ?]

      Certainement. Les « élites » ont certainement « pris conscience » que si le chômage ne diminue pas, les électeurs risquent de leur botter les fesses. Je ne suis pas persuadé que la « prise de conscience » aille beaucoup plus loin. Je ne trouve pas qu’on ait commencé par exemple à comprendre qu’une politique industrielle et une politique de l’emploi ne sont pas la même chose et ne visent pas les mêmes objectifs. S’opposer à la modernisation de notre appareil de production au prétexte que les machines tuent des emplois – voir à ce sujet les propositions du genre « taxer les machines qui suppriment des emplois » – relève d’une politique de l’emploi, mais est la négation d’une politique industrielle.

    • Albert dit :

      ["Je ne suis pas persuadé que la « prise de conscience » aille beaucoup plus loin."]
      Au mieux, je suis bien d’accord avec cette formule. Au pire, je pense qu’il s’agit seulement d’un enfumage de plus à 10 jours d’un scrutin qui s’annonce catastrophique pour le PS.

    • bovard dit :

      Bien sûr,le pire est toujours envisageable voire possible.
      Cependant les économistes hors sol,dont certaines thèses sont benoîtement reprises,par certain(e) intervenant(e),dans ce blog, vont encore subir quelques salutaires retour au réel.
      Ainsi,je ne désespère pas qu’après d’autres des baffo-thérapies électorales successives,Hollande/Valls aillent dans un sens favorable au pays.
      Montebourt (élu de la région Est où se trouvent Peugeot et Alstom) a fait plus de 600000 voix ,dont la mienne,sur 3 millions à la primaire socialiste.Je ne suis pas au PS mais je profite de toutes les occasions pour aller dans le sens de la lutte contre la dérégulation démente,anachronique et hors sol que nous vivons.
      Je compte persévérer dans ce sens.
      J’estime aujourd’hui avoir eu un très petit retour sur ‘investissement’ avec le décret Alstom de Montebourg.
      Mais je n’ai pas l’habitude de faire la fine bouche.
      C’est une des vertus des ‘bafoués’,que sont les enseignants actuellement..
      Donc,pour le gouvernement notons des infimes progrès mais ..peut mieux faire.
      Mon pari est comparable à celui qui consiste pour certains à miser sur une percée du FN pour oeuvrer à la sortie de l’eurodeutshbank.
      Cette démarche est compréhensible même si mon atavisme me fait pencher de l’autre côté.
      J’ irai jusqu’à dire qu’il faut transformer l’essai le 25/05!.
      Rêvons un peu:60% d’abstentions ,un PS,une UMP en dessous de leur plus mauvais score même si je crains que la signification anti-UE soit noyé par l’aspect ‘raciste’ du FN.Malgré tout le passionnant et long débat mené ici avec brio par Descartes,je connais le pédigree historique du Lepénisme..

      L’UPR,.DLR,JLM attirent plus ma sympathie, mais le vote étant bienheureusement secret,je n’en dirai pas plus..
      L’essentiel ,c’est que la baffothérapie électorale continue.
      Mais jubilons,un peu en espérant jubiler plus..C’est le destin des patriotes français ,ceux de Valmy,de la Commune et de la vision à long terme..

    • bovard dit :

      Afin de nous guider lors de nos nuits blanches,nous concevons les textes pour le blog Descartes,quelques définitions inspirées par un dictionnaire étymologique:
      -Nation est dérivé du verbe latin:naître .Par extension,le terme ‘vivre’ en découle.La nation est l’endroit,simplement où une personne vit.La nation est un simple lieu de vie,organisé plus ou moins bien socialement occupé par une(totalitarisme) ou des ‘cultures’.
      Alors que nationaliste a un côté agressif,xénophopobe exclusif,meurtrier.

      Patrie:venant du sol du père.On croit mourir pour la patrie,on meurt pour les marchands de canon.
      Patriote: a un côté affectif plutôt attendrissant et non-agressif.

      Chauvin:tiré du soldat fanatique Napoléonien,Nicolas Chauvin.Pour les Anglais,le sens est étendu à ‘male chauvinist’ c.a.d phallocrate.Chauvin d’une équipe de foot,chauvin
      d’un parti signifie fanatique,exalté.Le lien avec le complexe militaro industriel est direct..

      Race:signifie origine biologique,racine.
      Un raciste est un chauvin,fanatique de son pédigree non -exhaustif par définition…

    • Descartes dit :

      @bovard

      Méfiez-vous de l’étymologie. Ce n’est pas parce qu’un terme voulait dire quelque chose dans la Rome antique qu’il a toujours la même signification aujourd’hui. Ainsi, par exemple, "tribun" désignait dans la Rome archaique les représentants des "tribus" romaines, puis dans la Rome impériale diverses catégories de fonctionnaires. Aujourd’hui, un "tribun" est un orateur éloquent…

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