On trouve d’étranges choses en lisant les journaux. Voici ce qu’on pouvait lire sous la plume de Sylvie Kaufmann dans Le Monde daté du mardi 12 mars 2019 :
« C’est le symbole du défi européen. La décision annoncée le 6 février par Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la concurrence de bloquer la fusion des deux groupes industriels français et allemands Alstom et Siemens était à la fois juridiquement irréprochable et politiquement incompréhensible.
Irréprochable, car l’Union européenne, entité fondée sur le respect des règles et la défense de l’Etat de droit, ne peut se permettre de bafouer ce même droit lorsque ça l’arrange : ce serait nier sa propre identité. Il existe au sein de l’UE des règles strictes pour défendre la concurrence, et Mme Vestager n’avait d’autre choix que de les appliquer.
Mais incompréhensible, car, à l’heure ou l’Europe est prise en étau entre la Chine et les Etats-Unis, ou ses entreprises et ses consommateurs redoutent d’être les proies d’une mondialisation sans pitié, refuser à deux fleurons industriels la chance de devenir un champion européen capable de rivaliser avec ses concurrents à l’échelle mondiale (…) est contraire à toute logique politique – et même, probablement, à l’instinct européen de la commissaire danoise, elle même une femme très politique.»
Quiconque a un doigt de bon sens – le bien au monde le mieux partagé, paraît-il – se rend compte qu’un système ou les décisions « juridiquement irréprochables » aboutissent à des situations contraires à l’intérêt général au point d’être « incompréhensibles » a un sérieux problème. Et que dans une telle situation, c’est le droit qui doit s’incliner devant la nécessité politique, et non l’inverse. Mais ça, c’est la vision française, une vision qui fait l’objet d’un mépris à peine caché dans les couloirs du Berlaymont. Non, l’Europe est « sérieuse », et être sérieux c’est épouser la vision germanique d’un droit sacralisé jusqu’à l’absurdité.
Ian Kershaw, un historien qui a consacré sa vie à l’étude du IIIème Reich, pose dans ses ouvrages une question lancinante : comment se fait-il que les militaires, les fonctionnaires, les citoyens allemands aient dans leur immense majorité obéi aux ordres de Hitler et de ses ministres jusqu’au bout, y compris lorsque la défaite semblait assurée, qu’aucun espoir ne restait non seulement de victoire, mais même d’un rétablissement partiel de la situation qui permettrait d’améliorer la position de négociation de l’Allemagne face aux alliés ? Car à la fin du mois d’avril 1945, à quelques jours à peine du suicide du Führer, des ordres étaient donnés et obéis, et des soldats ont été fusillés par leurs camarades pour ne pas les avoir exécutées.
La réponse se trouve dans la vision germanique de sacralité du droit. Pour reprendre la formule d’un général allemand, « un maréchal prussien ne désobéit pas ». Et cela aussi absurde, aussi irrationnel que l’ordre puisse être. C’est exactement le comportement que Sylvie Kaufmann attribue à Margarete Vestager : entre le droit et la raison, elle a choisi le droit et elle ne pouvait faire autrement sans « nier sa propre identité ». Et comme le constate Kershaw, l’essentiel des hauts dignitaires nazis étaient eux-mêmes juristes de formation.
La différence entre la conception française et la conception germanique du droit n’est pas le fruit du hasard, mais de l’histoire. Car le droit n’a pas la même fonction politique dans les deux contextes. En France, le droit se construit contre un pouvoir centralisé et fort. Le but du droit, c’est de limiter le pouvoir d’un souverain puissant, dont les marges d’arbitraire étaient considérables. En d’autres termes, le juge est là pour empêcher le pouvoir de faire ce qu’il veut. En Allemagne, nation fragmentée par des luttes intestines et où l’Etat n’a jamais vraiment eu le monopole de la force légitime, le droit a pour fonction d’empêcher la société de sombrer dans le chaos et dans la guerre de tous contre tous. Il ne s’agit pas d’empêcher le prince de faire, mais d’empêcher la société de se défaire.
C’est cette différence qui explique l’obsession germanique avec « l’ordre ». En l’absence d’un Etat fort capable de maintenir l’ordre par la force si nécessaire et reconnu comme légitime dans ce rôle, le monde germanique vit dans l’insécurité d’un ordre qui ne subsiste que par la discipline sociale. Cette discipline est donc à sauvegarder à tout prix, y compris lorsqu’elle conduit à la catastrophe. Les allemands ont obéi au gouvernement du IIIème Reich jusqu’au bout parce qu’ils avaient la conviction – et certains le disent encore aujourd’hui – qu’une fois qu’on commence à désobéir, la société ne peut que se défaire dans le chaos. Là où les Français auraient déserté le navire dès lors qu’ils étaient convaincus que celui-ci allait couler, les Allemands sont restés à bord préférant le naufrage ordonné à un sauve-qui-peut désordonné.
Pour le dire autrement, les Français n’ont pas peur du désordre parce qu’ils font confiance à l’autorité de l’Etat pour le contrôler et le contenir. Les Allemands n’ont pas cette confiance dans leur capacité à maintenir le désordre dans les limites de l’acceptable, et sont donc obsédés par l’ordre. Et les deux ont raison, parce que leur raisonnement est adapté à leur contexte : La France a pu se payer un mois de barricades et de désordres en 1968 avec seulement deux morts, et ne connait dans son histoire aucun putsch militaire. L’Allemagne a, elle, une longue histoire de violence politique, de putschs réussis ou ratés, d’organisations paramilitaires s’affrontant dans les rues et aboutissant à une rupture de l’ordre institutionnel.
Dans notre tradition française, c’est le politique, représentant de l’intérêt général, qui prend le pas sur le juridique. Chaque fois qu’on a inversé ces termes – par exemple, lorsque les juges de l’ancien régime ont saboté les réformes de Turgot ou de Maupeou qui auraient pu sauver l’Ancien régime – cela s’est terminé en désastre, tout simplement parce que les Français ne sont pas prêts à accepter le principe selon lequel il vaut mieux une catastrophe ordonnée qu’un sauvetage désordonné : les Français ont préféré le désordre d’une révolution à la préservation de l’ordre ancien. C’est pourquoi on peut se demander à quoi rime l’importation en France d’une vision du droit qui nous est étrangère et qui ne correspond absolument pas à notre fonctionnement, comme celle opérée par les porteurs de l’opération médiatique « l’affaire du siècle » avec sa « plainte pour inaction climatique contre l’Etat » qui vise à faire des actions de lutte contre le réchauffement climatique – question politique s’il en est – une question de droit, dans laquelle un juge déciderait de ce que l’Etat doit ou ne doit pas faire.
Ceux qui promeuvent cette pétition ne se rendent pas compte qu’ils mettent le juge devant un dilemme. Soit le juge accepte de s’affranchir du droit, et alors il abandonne sa position de juge pour usurper celle du législateur, décidant ce qui doit ou ne doit pas être fait à sa place ; soit le juge se tient dans son rôle et cela le conduira à appliquer strictement le droit, au risque d’aboutir, comme madame Vestager, à une décision « juridiquement irréprochable » mais contraire à l’intérêt général et politiquement incompréhensible.
Cette importation traduit aussi la pénétration du modèle allemand dans l’idéologie européiste. Lorsque Sylvie Kaufman dédouanne Margrethe Vestager au nom du respect du droit et affirme que la commissaire n’aurait pas pu prendre une autre décision sans trahir « l’identité » de l’UE, elle ne fait que reprendre le discours qui sous-tend ce modèle. La construction de l’Europe est une construction juridique, et non politique. Son « identité » n’est pas à chercher du côté de la recherche de l’intérêt général, mais dans le respect strict du droit, dusse-t-il conduire à une décision absurde. Ceux qui chez nous continuent à rêver d’une « Europe politique » ont du souci à se faire.
Bien entendu, il ne faut pas être naïf. Comme tout dragon de vertu, l’UE dissimule derrière le discours sacralisant le respect du droit de bien vilaines turpitudes. Oh ! combien de vertueux commissaires appliquant sans peur et sans reproche le droit et rien que le droit on a retrouvé après la cessation de leurs fonctions dans des banques ou des entreprises des secteurs qu’ils étaient censés contrôler avec des salaires très, très confortables… et en dépit de toute considération déontologique ? Et ne parlons même pas des nominations à la légalité douteuse comme celle de Martin Selmayr au secrétariat général de la Commission. Et quand la nécessité politique est puissante, on a vu la vénérable BCE trouver un montage qui lui permettait de s’asseoir sur son mandat et acheter les dettes publiques sans perdre la face. Mais ce qui est curieux, c’est que le discours de « l’idolâtrie du droit » soit admis comme une évidence chez nous par des journalistes, des politiques, et même chez certains souverainistes comme François Asselineau, qui ne conçoit pas une sortie de l’UE autrement qu’en application des traités.
Mitterrand, l’homme des formules assassines, avait vu juste : « méfiez-vous des juges, ils ont tué la monarchie, ils tueront la République ». Le combat pour la souveraineté, c’est aussi un combat pour le primat du politique sur le juridique en acceptant le principe que Solon aurait affirmé il y a plus de deux mille ans, et qui est résumé par la formule cicéronienne : « le salut du peuple est la loi suprême ». Salut dont le politique doit être seul juge. Lorsque l’observance stricte d’une règle conduit à la catastrophe, au diable la règle.
Descartes
Parmi vos multiples facettes ,exprimant celle du collectif , ce texte relève de celle qui pourrait être incomprise.
Non une fois de plus , votre talent a permis de faire passer la pilule.Car , j’ai pensé que vous évoquiez une série de préjugés à la mode opposant une nature ‘germanique’ à une nature’gauloise’.
Une contradiction m’ apparaît surnager dans ce que j’ai pris au départ pour des clichés niais.
[ Là où les Français auraient déserté le navire dès lors qu’ils étaient convaincus que celui-ci allait couler, les Allemands sont restés à bord préférant le naufrage ordonné à un sauve-qui-peut désordonné. ]
Vous faites allusion à la différence de nature entre les droits français et allemands .
Vous précisez que l’Allemand est anxieux,pas le français .
Prenons un cas concret , comment les français et allemands régiront ils , selon votre grille de lecture , au tango du Brexit ?
@ luc
[Car, j’ai pensé que vous évoquiez une série de préjugés à la mode opposant une nature ‘germanique’ à une nature ’gauloise’.]
Certainement pas. Je ne crois pas à une « nature » nationale. C’est dans l’Histoire, et non dans une « nature » qu’il faut chercher les explications aux différences culturelles.
[Prenons un cas concret, comment les français et allemands régiront ils, selon votre grille de lecture, au tango du Brexit ?]
Tout dépend comment ce tango se termine. Je pense qu’on peut s’attendre à une réaction bien plus pragmatique des autorités françaises lorsqu’il s’agira de gérer les problèmes réels posés par le rétablissement des frontières, là où les Allemands exigeront une application stricte des règles.
Je pense que les soldats allemands en 45 se battaient surtout parce qu ils n avaient pas le choix. Etre pris en tentant de se rendre signifiait la mort immediate. Se rendre aux troupes sovietiques etait l assurance de mauvais traitements voire pire (vu le traitement des prisonniers russes on peut pas leur jeter la pierre). Cependant pour infirmer vos affirmations pas mal de villes se sont rendues sans combat (Francfort, Essen, Göttingen, Karlsruhe ou Stuttgart) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Campagne_d%27Allemagne_(1945)#Conqu%C3%AAte_de_la_Rh%C3%A9nanie_(f%C3%A9vrier-mars_1945)
Il y a eut aussi une tenative d officier superieur pour eliminer Hitler en 44. Donc le respect germanique du droit me fait doucement rire. Et je parle meme pas du respect du droit par les sbires d Hitler avant et apres leur prise du pouvoir
La sacralisation du droit est plutot une caracteristique anglo saxonne (GB et USA). Il me semble que c est du a leur systeme judiciare (basé sur la jurisprudence). mais c ets un domaine ou je suis incompetant, donc j irai pas plus loin
Plus pres de nous, je pense que la fusion Alstom/Siemens aurait ete une catastrophe. Non seulement au niveau social (pas mal de doublons aurait du etre “rationalisé”) mais aussi au niveau economique. La plupart des fusions se passent mal (pb d ego des dirigeants, divergence de vues ou de culture (ex daimler/chrysler), creation d un mastodonte bureaucratique ou tout simplement management absorbé pendant 2 ans juste a faire fusionner les 2 entités au lieu de developper le business).
Et souvent ca se termine par une absorption/liquidation de l entreprise francaise (ex recent : lafarge qui est maintenant suisse alors que c etait a l origine une fusion entre ego)
PS: je ne suis pas un fan du respect du droit comme tout bon francais (si tu n as pas le droit, prend le gauche ;-)) mais je doit reconnaitre que l alternative du droit c est la loi du plus fort (le politique faire ce qu il veut car il a l appui de la police/armée). Ce qui est pas franchement mieux.
Vous m opposerez sans doute l interet general. Mais comment le definir ? Comment eviter que la personne qui a le pouvoir use de celui ci pour son interet a lui ou de ses amis (ce qui est humain reconnaisons le). Seul le droit permet de mettre des barrieres a ces comportements. Sinon comment empecher de vendre a prix d ami un hippodrome/des autoroutes, d indemniser au prix fort le prejudice moral d un affairiste notoire …
@cdg
[Je pense que les soldats allemands en 45 se battaient surtout parce qu’ils n’avaient pas le choix. Etre pris en tentant de se rendre signifiait la mort immédiate.]
D’abord, si « être pris en tentant de se rendre signifiait la mort immédiate », cela suppose qu’il y avait quelqu’un pour la donner, cette mort. Et cela ne peut marcher que si les déserteurs sont une minorité (car n’oubliez que les déserteurs sont eux aussi armés) et qu’il y a des officiers pour réprimer la désertion. Et pourquoi ces officiers continueraient à obéir, puisqu’ils savent que leur situation est désespérée ?
[Se rendre aux troupes soviétiques était l’assurance de mauvais traitements voire pire (vu le traitement des prisonniers russes on ne peut pas leur jeter la pierre).]
Certes. Mais dans le Berlin en ruines d’avril 1945, la défaite – et donc la capture – étaient certaines. Et d’autre part, ils n’avaient pas besoin de se « rendre », il suffisait d’abandonner l’uniforme et tenter de se fondre dans la population civile. Non, la résistance allemande dans les derniers jours de la guerre est un phénomène exceptionnel, extraordinaire. Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est Ian Kershaw, qui sait de quoi il parle. Je vous conseille la lecture de ses livres, et tout particulièrement sa biographie de Hitler, qui est extraordinairement intéressante.
[Cependant pour infirmer vos affirmations pas mal de villes se sont rendues sans combat (Francfort, Essen, Göttingen, Karlsruhe ou Stuttgart) : (…)]
L’article que vous citez note que la résistance a été variable d’une ville à l’autre. Alors que Francfort, Essen, Göttingen, Karlsruhe ou Stuttgart ont peu résisté, les combats ont été à la même époque très durs à Halle, Dortmund ou Leipzig. Mais la question n’est pas de savoir si les villes ont résisté, mais si les militaires ont obéi aux ordres. Si les militaires se sont retirés d’une ville pour éviter un encerclement, par exemple, il est normal que la ville n’ait pas résisté.
[Il y eut aussi une tentative d’officiers supérieurs pour éliminer Hitler en 44. Donc le respect germanique du droit me fait doucement rire.]
Vous avez tort. Kershaw analyse la tentative de coup de 1944, et montre que les conjurés ont échoué précisément parce que la plupart des militaires ont refusé de les suivre en arguant qu’il était impossible pour un officier de désobéir (la citation « un maréchal prussien ne désobéit pas » est tiré de son bouquin). D’ailleurs, il explique comment des officiers qui étaient prêts à suivre les putschistes se sont retournés lorsqu’il est apparu que l’attentat n’avait pas réussi et qu’Hitler était vivant. En d’autres termes, il était possible de suivre les conjurés si Hitler était mort, mais impossible de désobéir tant qu’il était vivant.
[Et je parle même pas du respect du droit par les sbires d’Hitler avant et après leur prise du pouvoir]
Là encore, vous allez un peu trop vite. Pour le gouvernement du IIIème Reich, la question de la légalité n’était pas neutre et montrer au peuple allemand que la légalité était respectée était considéré vital. Le gouvernement nazi était certainement peu respectueux du droit, mais avait un grand souci d’occulter ce détail. Là encore, je vous renvoie à Kershaw.
[La sacralisation du droit est plutôt une caractéristique anglo-saxonne (GB et USA). Il me semble que c’est du à leur système judiciaire (basé sur la jurisprudence). Mais c’est un domaine où je suis incompétent, donc je n’irai pas plus loin]
Vous avez parfaitement raison. Mais la raison est la même : comme en Allemagne, le droit britannique est construit en réaction à l’arbitraire royal, et la sacralisation tient aussi à ce fait. Seulement, contrairement à l’Allemagne le droit britannique est un droit coutumier avant d’être un droit écrit et codifié. C’est pourquoi le contraste entre la situation allemande et la situation française est bien plus parlant.
[Plus près de nous, je pense que la fusion Alstom/Siemens aurait été une catastrophe.]
Fusion ou pas, Alstom est mort. La façon dont le dépècement de l’ancienne CGE puis d’Alsthom a été organisé depuis vingt ans fait que la solution de la fusion est aujourd’hui la moins mauvaise des solutions.
[PS: je ne suis pas un fan du respect du droit comme tout bon Francais (si tu n’as pas le droit, prend le gauche ;-)) mais je dois reconnaitre que l’alternative du droit c’est la loi du plus fort (le politique faire ce qu’il veut car il a l’appui de la police/armée). Ce qui est pas franchement mieux.]
J’ai dit qu’il ne faut pas sacraliser le droit, cela ne veut pas dire non plus qu’il faille le jeter aux orties. Il y a un équilibre à trouver. Je vais vous donner un exemple : prenez le problème de contrôle de constitutionnalité des lois. En Allemagne, il y a une Cour suprême et le citoyen peut avoir recours pour faire annuler une loi qui serait contraire à la Constitution. En France, avant l’introduction de la QPC nous avions un système dans lequel les lois ne pouvaient être déférées qu’avant leur promulgation et par 60 parlementaires. En d’autres textes, un texte à la constitutionnalité douteuse mais sur lequel on ne trouvait pas 60 parlementaires pour le remettre en cause – et un tel texte peut être considéré comme allant dans le sens de l’intérêt général – pouvait entrer en vigueur sans risque de contestation.
Vous voyez donc la différence d’approche : d’un côté, la Constitution est un texte sacré et la loi doit s’y conformer même si l’intérêt public dit le contraire, dès lors qu’on trouve un seul citoyen qui l’exige. Du côté français, la Constitution n’est pas sacrée et on peut s’en écarter si un intérêt public suffisant l’exige.
[Vous m opposerez sans doute l’intérêt général. Mais comment le définir ? Comment éviter que la personne qui a le pouvoir use de celui-ci pour son intérêt a lui ou de ses amis (ce qui est humain reconnaissons-le).]
Pour cela, j’ai plus confiance dans le contrôle par le peuple que dans le contrôle par le juge. Mais comme je l’ai dit plus haut, il ne s’agit pas de jeter le droit aux orties, simplement de ne pas un faire un totem. Je suis profondément attaché à l’Etat de droit, mais pour des raisons pragmatiques, et non pas spirituelles. Le droit doit être préservé parce que cela rend la société plus efficiente, plus agréable à vivre. Mais lorsque le droit devient un obstacle… il faut prévoir des mécanismes pour pouvoir le mettre de côté. De façon raisonnée et sous le contrôle du peuple souverain, certes, mais il faut le faire. Je pense par exemple à l’article 16 de la Constitution. Imaginer qu’on peut faire disparaître la raison d’Etat…
》Fusion ou pas, Alstom est mort.
》 La façon dont le dépècement de
》 l’ancienne CGE puis d’Alsthom a
》 été organisé depuis vingt ans fait
》 que la solution de la fusion est
》 aujourd’hui la moins mauvaise
》 des solutions.
Vous pourriez svp détailler un peu? Pourquoi ne pourraient ils pas se maintenir dans le ferroviaire ?
@ Vincent
[Vous pourriez svp détailler un peu? Pourquoi ne pourraient ils pas se maintenir dans le ferroviaire ?]
Parce qu’il y a une problématique de taille. Dans les industries lourdes, la taille est un élément important, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, il y a le prix des études: préparer un dossier pour un appel d’offres ferroviaire est un travail considérable, et une telle préparation coûte à l’entreprise des millions d’euros en études, en expertises, en préparation. Or, sur dix dossiers présentés, vous gagnez deux marchés et vous en perdez huit. Il faut donc présenter beaucoup de dossiers pour en gagner quelques marchés et équilibrer le système. Si vous présentez peu de dossiers, il suffit d’en perdre un ou deux de suite pour que l’entreprise soit en danger. Pour le dire autrement, une grosse entreprise peut mutualiser le risque, une petite entreprise ne le peut pas.
Une autre question est celle de la recherche. Le coût de recherche est un coût fixe, et plus l’entreprise est grosse et diversifiée, plus le coût est étalé. Une grosse entreprise comme la CGE qui touchait tous les domaines de l’électricité et de l’électromécanique pouvait se payer de gros laboratoires de recherche. Une entreprise comme Alstom ferroviaire aura une recherche bien plus faible et plus spécialisée, et finira par perdre son avance technologique. D’autant plus qu’il est illusoire d’imaginer qu’Alstom pourra bénéficier – comme le fait Bombardier ou Siemens – d’un marché national réservé…
@Descartes
Je pense que le fantasme de la taille est une erreur. Je connais pas le domaine ferroviaire (il y a des fabricants pas tres grand comme https://en.wikipedia.org/wiki/Stadler_Rail) mais mieux le domaine automobile.
Pendant longtemps il y a eut le phantasme du constructeur auto capable de vendre le meme modele de voiture partout (par ex ford avait fait la mondeo qui comme son nom l indique etait une voiture a vocation mondiale). Inutile de dire que ca n a JAMAIS marché correctement. Tout simplement parce que les besoins et les clients sont pas les memes. Le marché US et europeen sont tres differents et GM ou Ford s y sont cassé les dents (et Renault n a jamais reussi aux USA). Au final soit vous faites 2 gammes de voitures (ce que font les japonais: leurs 4*4 sont conçus uniquement pour les USA, pas pour leur marché interieur) soit vous faites des voitures avec le plus petit denominateur commun et elles n auront du succes nulle part.
PS:
1) en 45 si vous etiez un homme entre 16 et 60 ans vous etiez forcement incorporé (armee ou Volkssturm). Donc abandonner son arme et se mettre en civil etait l assurance d etre execute comme deserteur en cas de rencontre avec d autres soldats allemands.
Pourquoi les hommes (et pas que les officiers) ont obeit aux ordres ?
Je suppose que c est un melange de notion d honneur (la fidelite a la patrie et au serment donné), de peur (se faire capturer par les russes, se faire executer par des nazis comme traitre) mais aussi de haine (des bolcheviques, des juifs voire des americains qui ont rasé votre ville et tué votre famille). Signalons d ailleurs qu une bonne partie des defenseurs n etaient pas allemands : des francais de la LVF, des hollandais (https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Berlin)
2) lors du complot contre Hitler en 44, son echec etait evident quand Hitler en est sorti vivant. Donc se ranger au coté des comploteurs signifait la mort pour soi et sa famille.
3) ” j’ai plus confiance dans le contrôle par le peuple que dans le contrôle par le juge” C est quand meme le peuple qui elit regulierement Balkany (et au premier tour !!). Et qu on a un systeme institutionnel qui rend le controle par l electeur difficile (comment deboulonner un deputé maire qui en 30 ans s est fait une belle clientele electorale comme Gaudin ?)
@ cdg
[Je pense que le fantasme de la taille est une erreur. Je connais pas le domaine ferroviaire (il y a des fabricants pas très grand comme (…) mais mieux le domaine automobile.]
Je ne connais pas l’entreprise à laquelle vous faites référence, mais je note qu’il s’agit d’une entreprise suisse, c’est-à-dire, installée dans un pays connu pour protéger son marché intérieur. Lorsqu’une entreprise est assurée d’avoir les marchés publics et donc d’avoir un revenu garanti, la taille est un problème moins sensible. L’article signale d’ailleurs qu’il s’agit d’une entreprise qui fabrique des produits « de niche ».
[Pendant longtemps il y a eut le phantasme du constructeur auto capable de vendre le meme modele de voiture partout (par ex ford avait fait la mondeo qui comme son nom l indique etait une voiture a vocation mondiale). Inutile de dire que ca n a JAMAIS marché correctement. Tout simplement parce que les besoins et les clients sont pas les memes.]
La question n’est pas là. Bien entendu, les besoins, les goûts des consommateurs, les infrastructures routières, la qualité des carburants n’est pas la même et donc l’idée d’un « modèle à vocation mondiale » est une chimère. Mais une entreprise automobile de grande taille peut bâtir au niveau de la recherche des « briques » technologiques, et combiner ces briques différemment selon les besoins locaux. Une entreprise de petite taille ne pourra jamais se payer une recherche qui lui permettrait de bâtir ce type de stratégie. D’ailleurs, vous noterez que les seuls petits constructeurs qui survivent sont ceux qui fabriquent des produits de luxe, ou le prix n’a pas d’importance, et que souvent ils empruntent les « briques » les plus lourdes en recherche-developpement (comme le bloc moteur) à d’autres constructeurs.
[en 45 si vous etiez un homme entre 16 et 60 ans vous étiez forcement incorporé (armée ou Volkssturm). Donc abandonner son arme et se mettre en civil était l assurance d’être exécuté comme déserteur en cas de rencontre avec d autres soldats allemands.]
Mais encore une fois, si les déserteurs avaient « l’assurance d’être exécutés en cas de rencontre avec d’autres soldats allemands », c’est parce que « les autres soldats allemands » continuaient à obéir aux ordres. Ne trouvez-vous pas étrange que dans une ville en ruines, alors que tout espoir de rétablissement militaire est perdu et que la capitulation n’est qu’une question d’heures, des soldats continuent à obéir aux ordres non seulement à se battre, mais de fusiller ceux qui ne se battent pas ?
[Pourquoi les hommes (et pas que les officiers) ont obeit aux ordres ? Je suppose que c’est un mélange de notion d’honneur (la fidélité a la patrie et au serment donné), de peur (se faire capturer par les russes, se faire exécuter par des nazis comme traitre) mais aussi de haine (des bolcheviques, des juifs voire des américains qui ont rasé votre ville et tué votre famille).]
Admettons. Mais pour que cela marche, il faut un cadre culturel bien précis. On imagine mal français ou britanniques se battant jusqu’à la mort « pour l’honneur » ou par vengeance quand tout est perdu et que cela ne sert de toute évidence plus à rien. Ce n’est pas par hasard si la thématique du « crépuscule des dieux » n’a été reprise qu’en Allemagne et nulle part ailleurs.
[2) lors du complot contre Hitler en 44, son echec etait evident quand Hitler en est sorti vivant. Donc se ranger au coté des comploteurs signifait la mort pour soi et sa famille.]
Pourquoi ? Si l’armée, la fonction publique, la police avait été capable de désobéir à Hitler, le fait qu’il fut mort ou vivant n’aurait pas changé grande chose. Si cela faisait une différence, c’est parce que les Allemands dans leur grande majorité ne concevaient pas la désobéissance comme alternative possible aussi longtemps que l’autorité légitime était vivante. La seule façon de désobéir à Hitler, c’était de le tuer. Et on le voit bien dans sa fin : tant qu’il était vivant, les Allemands dans Berlin en ruines ont continué à obéir. Ils n’ont accepté l’inévitable qu’après sa mort.
[3) « j’ai plus confiance dans le contrôle par le peuple que dans le contrôle par le juge » C’est quand même le peuple qui élit régulièrement Balkany (et au premier tour !!).]
Les citoyens de Levallois ont toutes les informations sur les frasques du couple Balkany. S’ils sont prêts à payer un peu plus d’impôts pour lui permettre de piquer dans la caisse, on peut penser qu’ils estiment que le rapport qualité/prix est meilleur que celui de ses concurrents. Un juge pourrait tout au plus juger si Balkany a violé ou non la loi, mais il n’est certainement pas compétent pour décider si les alternatives sont meilleures…
[Et qu’on a un système institutionnel qui rend le contrôle par l’électeur difficile (comment déboulonner un député maire qui en 30 ans s est fait une belle clientele electorale comme Gaudin ?)]
Si les électeurs marseillais avaient voulu déboulonner Gaudin, il leur suffisait de mettre un autre bulletin dans l’urne. Je ne vois pas en quoi le contrôle de l’électeur serait rendu « difficile » par notre système électoral. Le contrôle est au contraire très facile : grâce aux juridictions financières, à l’opposition et à la presse, l’électeur connaît parfaitement les turpitudes de ses élus. A lui de juger si les avantages qu’il en retire valent ce que ses turpitudes lui coûtent.
La différence entre l’électeur et le juge est que l’électeur juge en opportunité, là où le juge le fait en légalité. Le juge se pose la question de savoir « est-ce légal » alors que l’électeur se demande « est-ce opportun » ? C’est en ce sens que je dis « j’ai plus de confiance dans le contrôle par le peuple que par le juge ». Parce que pour moi, l’action politique est plus une question d’opportunité que de légalité.
@cdg
“Seul le droit permet de mettre des barrières a ces comportements. Sinon comment empêcher de vendre a prix d ami un hippodrome/des autoroutes, d indemniser au prix fort le préjudice moral d un affairiste notoire …”
mdr … Non, on n’a pas su, et pire, je doute que les coupables soient punis un jour.
Mais la réponse à votre question s’appelle un code moral (à mon sens).
La philosophie du système actuel serait de mettre un flic derrière chaque personne, ce qui est numériquement impossible, et qui flique le flic ? Personne, on le sait !
Un flic à l’intérieur de chaque personne c’est la seule solution, avec la justice pour les récalcitrants. Mais nous, nous avons érigé la triche comme règle, ce qui est logique dans un système de profit (se faisant tjs au détriment de quelqu’un) où, quand les limites de la corruption sont atteintes, c’est l’atteintes aux personnes qui prend le relai.
Nous avons tous des cultures différentes mais un fonctionnement commun conditionnant “des réflexes”, et si l’on se s’attache pas à créer un système qui limite et motive (le contraire d’aujourd’hui) l’humain … On continuera sur le chemin cyclique de la destruction-reconstruction. Ce n’est que mon opinion bien sûr.
@ Elticoloco
[Mais la réponse à votre question s’appelle un code moral (à mon sens). La philosophie du système actuel serait de mettre un flic derrière chaque personne, ce qui est numériquement impossible, et qui flique le flic ? Personne, on le sait !]
Votre solution, je le crains, présente le même défaut que celle proposée par cdg. Ce « code moral », il vient d’où ? Qui décide ce qui est « moral » et ce qui ne l’est pas ? Et à supposer même que vous franchisiez l’obstacle, comment s’assurer que le « code moral » soit respecté ? Et que fait-on avec les « passagers clandestins » ?
Je crois que c’est le président Péron qui avait dit que « l’homme est naturellement bon, mais il est encore meilleur quand on le surveille ». La question est de savoir comment on organise cette surveillance, et quel compromis entre le contrôle social et la liberté individuelle. Un tel compromis suppose une séparation pleine et entière entre la sphère publique – celle ou nous sommes sujets aux règles sociales – et le domaine privé, ou nous sommes libres de faire ce qui nous chante.
[Un flic à l’intérieur de chaque personne c’est la seule solution, avec la justice pour les récalcitrants. Mais nous, nous avons érigé la triche comme règle, ce qui est logique dans un système de profit (se faisant tjs au détriment de quelqu’un) où, quand les limites de la corruption sont atteintes, c’est l’atteintes aux personnes qui prend le relai.]
D’une certaine manière, ce flic existe : c’est notre « surmoi ». Le alors que le « je » est l’individu tel qu’il se voit, le « surmoi », c’est l’individu tel qu’il voudrait apparaître à ses propres yeux. Le problème est que le « surmoi » se forme au contact de la réalité. Une société ou les tricheurs sont sacralisés – regardez la couverture complaisante que les médias accordent à des escrocs comme Tapie – et les honnêtes doivent se contenter de l’anonymat peut difficilement persuader les jeunes qu’on dort mieux avec une conscience tranquille. Et ne croyez pas que les pays dits « nordiques » soient de ce point de vue mieux lotis que nous. Ils sont juste plus hypocrites.
Il ne me paraît pas pertinent de prendre en exemple François Asselineau dans le cadre de votre démonstration. Dans son cas, le droit (en l’occurrence l’article 50 du TUE) n’est pas en contradiction avec sa position politique mais va dans le même sens, mieux : le droit garantit que les États tiers ne pourront pas entraver le Frexit et devront se conformer à une procédure définie. Si le droit est un allié, pourquoi s’en priver ?
@ Jean-Michel DUPUY
[Dans son cas, le droit (en l’occurrence l’article 50 du TUE) n’est pas en contradiction avec sa position politique mais va dans le même sens, mieux : le droit garantit que les États tiers ne pourront pas entraver le Frexit et devront se conformer à une procédure définie. Si le droit est un allié, pourquoi s’en priver ?]
Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi dans un traité écrit et voté par des eurolâtres on a inclus un article qui « garantit » à un état qui souhaite quitter l’Union que sa sortie ne sera pas « entravée » ? Pourquoi, alors qu’aucun traité européen n’avait jamais prévu la sortie d’un état membre, on s’est tout à coup intéressé à la question ?
La raison est très simple : la procédure prévue par l’article 50 est un piège. Loin de « garantir » à l’état qui décide de quitter l’Union une sortie sans entraves, elle garantit à l’UE une période de deux ans pendant laquelle toutes les manœuvres sont permises, toutes les pressions envisageables. Et on le voit avec le Brexit. Avant l’article 50, la sortie de l’Union était un acte souverain dans lequel les modalités de sortie étaient à la main de l’état qui en prenait la décision. Après, cela devient l’application simple d’un accord qui ne laisse guère de liberté.
C’est pour cette raison que le choix d’Asselineau comme exemple dans mon papier est tout à fait approprié. En sacralisant le texte, on s’interdit de faire autre chose que ce qui y est écrit.
Non vous n’avez pas bien compris pourquoi on vous fait cette objection.
Lorsque les Valois ont fait valoir la loi salique pour rejeter la prétention des Plantagenêts, ils n’étaient pas dans “la sacralité du droit”. Ils ont considéré que leurs objectifs politiques seraient mieux servi si l’on avait, en plus de la force, le droit de son côté pour faire effet de levier. Dans leur cas, ils ont utilisé le droit pour avancer politiquement parce que le droit permettait de le faire et ne s’y opposait pas. Alors pourquoi se gêner ?
On pourrait arguer aussi que leur raisonnement juridique était bien plus tarabiscoté et emprunt d’un juridisme autistique par rapport aux propositions de l’UPR. Il n’empêche que c’était bien vu de leur part.
Il en va de même pour toutes les guerres de succession entre les monarchies européennes ou chacune avait des juristes qui faisaient valoir des droits dynastiques en vertu du droit féodal là aussi pour faire effet de levier politique. Est-ce que tout ce beau monde perdait son temps en argutie juridique ? Ca fait beaucoup d’idiots dans l’histoire européenne.
Evidemment que “sortir” sans passer par l’article 50 donnerait BIEN PLUS d’opportunités à nos ennemis de nous mettre des bâtons dans les roues, puisque eux pourront se prévaloir du droit et nous non, en plus de faire passer la France pour un Etat qui viole les traités (donc perte de crédit diplomatique), alors même que ce n’était pas nécessaire (donc on passe pour des ahuris à l’internationale en bonus). D’autant qu’avec un gouvernement pro-Frexit, et en utilisant l’article 50, nous pourrions prendre des mesures d’urgence (notamment pour contrôler les mouvements de capitaux) si nous le souhaitons. Et si là quelqu’un s’amène en disant que nous serions dans l’illégalité, alors là vous pourrez lui faire ce reproche, oui.
Il n’y a aucune raison de penser que l’article 50 est un “piège” qui permettrait de “mettre des bâtons dans les roues” puisque s’il était absent, ce serait bien plus facile de “mettre des bâtons dans les roues” aux Etats qui voudraient sortir.
J’ai également des réserves concernant les explications historiques des différences de mentalités entre la France et l’Allemagne. Mais c’est un autre sujet, j’aimerais déjà voir votre réaction sur ce point.
Dans l’ensemble votre texte est intéressant, merci pour le partage.
Bien à vous.
@ Valmeysien de Bouvines UPR-Frexit
[Lorsque les Valois ont fait valoir la loi salique pour rejeter la prétention des Plantagenêts, ils n’étaient pas dans “la sacralité du droit”. Ils ont considéré que leurs objectifs politiques seraient mieux servi si l’on avait, en plus de la force, le droit de son côté pour faire effet de levier.]
L’exemple est intéressant. La « loi salique » telle que les Valois l’ont invoquée au XIVème siècle ne faisait pas partie du droit positif. Elle n’avait pas été appliquée depuis des siècles, et les Valois, pour rejeter la prétention des Plantagenêts, ont pris un article d’un texte ancien – qui plus est sorti de son contexte – pour légitimer leur position. C’est une méthode d’ailleurs habituelle pour l’époque : dans une société ou l’essentiel du droit était coutumier, l’invocation d’un précédent ancien était la principale source de légitimité. Et lorsque le précèdent n’existait pas, on l’inventait : l’exemple le plus éclatant fut la « donation de Constantin ».
Cela étant dit, en utilisant cet argument les Valois se sont lié les mains : une fois la « loi salique » invoquée, à tort ou à raison, ils étaient tenus de continuer à l’appliquer. Et on ne peut pas dire que cela fut très profitable au royaume de France, au contraire. Et c’est là où l’analogie avec la position de l’UPR est utile : utiliser l’article 50 comme légitimant la volonté de sortir de l’UE entraine comme conséquence logique d’accepter l’obligation de respecter la procédure décrite par l’article 50. Car si l’on invoque une disposition du droit pour légitimer sa position, cela revient à reconnaître à cette disposition une légitimité propre. Or, je ne crois pas un instant que la procédure décrite dans l’article 50 soit viable. Elle existe précisément pour empêcher toute sortie de l’UE.
[Evidemment que “sortir” sans passer par l’article 50 donnerait BIEN PLUS d’opportunités à nos ennemis de nous mettre des bâtons dans les roues, puisque eux pourront se prévaloir du droit et nous non, en plus de faire passer la France pour un Etat qui viole les traités (donc perte de crédit diplomatique), alors même que ce n’était pas nécessaire (donc on passe pour des ahuris à l’internationale en bonus).]
Et alors ? Vous croyez vraiment qu’un pays qui obéit à des traités aveuglement même lorsqu’ils vont contre son intérêt gagne en « crédit diplomatique » ? Soyons sérieux. Sortir sans passer par l’article 50 nous donnerait INSTANTANEMENT le contrôle de nos frontières, de notre monnaie, de notre droit, de notre politique économique. Sortir avec l’article 50 veut dire que pendant deux longues années la France restera soumise au droit européen, et que les capitaux pourront profiter de cette période pour sortir librement, que les institutions européennes auront deux ans pour continuer leur travail de sape, que le peuple qui aura voté pour un Frexit ne verra rien venir…
[D’autant qu’avec un gouvernement pro-Frexit, et en utilisant l’article 50, nous pourrions prendre des mesures d’urgence (notamment pour contrôler les mouvements de capitaux) si nous le souhaitons.]
Non. L’article 50 dit clairement que le droit européen continue à s’appliquer jusqu’à la conclusion de l’accord de sortie ou, à défaut, dans les deux ans après la notification de l’intention de quitter l’UE. Et aucune « mesure d’urgence » n’est contemplée.
Le problème est que si on veut que l’argument juridique ait sa force, on ne peut invoquer l’article 50 et ensuite le violer soi-même. Quelle aurait été la force de l’argument « salique » des Valois s’ils s’étaient empressés de mettre une reine sur le trône à la première opportunité ?
[Il n’y a aucune raison de penser que l’article 50 est un “piège” qui permettrait de “mettre des bâtons dans les roues” puisque s’il était absent, ce serait bien plus facile de “mettre des bâtons dans les roues” aux Etats qui voudraient sortir.]
Il y a au contraire beaucoup de raisons. Posez-vous la question : était-ce vraiment dans l’intention des rédacteurs du traité de Lisbonne de créer une disposition pour faciliter le départ des états membres de l’UE ? Pourquoi à votre avis a-t-on introduit cette disposition, qui ne figurait dans aucun des traités précédents ?
Je ne crois pas à la sortie par la voie juridique, mais à la voie politique. Bien que nous soyons du même avis, je me permets de vous donner la réplique
[Et c’est là où l’analogie avec la position de l’UPR est utile : utiliser l’article 50 comme légitimant la volonté de sortir de l’UE entraine comme conséquence logique d’accepter l’obligation de respecter la procédure décrite par l’article 50.]
L´UPR prône que le Frexit tira sa légitimité de l´élection de son candidat dont le programme est fondée sur cette action sans ambiguïté. Pas de plan A, B ou C.
Ce n´est donc pas l´article 50 qui légitime la sortie de la France de l´UE mais bien les urnes. Qui plus est, `a la fondation de l´UPR est en 2007, soit avant le TFUE (ie l article 50)
Après vous avoir expliqué ce que personne ne peut comprendre mise à part avoir passé pas mal de temps à l´UPR, la question est pourquoi l´article 50 est pas le droit français ou international si l´UPR tient à avoir une position formaliste? Aucune idée, sûrement le plus simple à faire comprendre et à appliquer.
L´autre question est pourquoi marteler autant l´article 50, solution parmi tant d´autres ? FA rappelle justement qu`à la création de l´UPR, la critique portée sur l´impossibilité de sortir l´UE et que ce n´était pas prévu (on nous dit encore la même chose avec l´euro comme quoi on ne peut pas en sortir).
Je rajouterai que cela permet de se distinguer des faux « eurosceptiques » à la Le Pen ou Mélenchon avec leurs divers plans.
[Sortir avec l’article 50 veut dire que pendant deux longues années la France restera soumise au droit européen, et que les capitaux pourront profiter de cette période pour sortir librement, que les institutions européennes auront deux ans pour continuer leur travail de sape, que le peuple qui aura voté pour un Frexit ne verra rien venir…]
On peut rester soumis au TFUE et contrôler les capitaux. Il suffit de le justifier par un motif d´ordre public ou de sécurité public comme à Chypre. On peut en faire des choses pour que le business se passe bien!
Donc oui avec l´article 50, on peut bricoler pour récupérer des éléments de souveraineté. Mais, pourquoi s´emmerder avec lui alors comme le montre le cas de la Grande Bretagne, l´important est que la sortie soit unilatérale et rapide.
[Le problème est que si on veut que l’argument juridique ait sa force, on ne peut invoquer l’article 50 et ensuite le violer soi-même. Quelle aurait été la force de l’argument « salique » des Valois s’ils s’étaient empressés de mettre une reine sur le trône à la première opportunité ?]
Je vous rejoins entièrement sur ce point. Le martèlement de l´article 50 va se retourner contre l´UPR. L´UPR veut sortir de l´euro avant les deux ans, ne plus contribuer au budget, etc. L´UPR veut imposer son agenda alors que l´article 50 nous indique que c´est le Conseil qui fixe les orientations à l´Etat membre sortant après avoir reçu les recommandations de la Commission. Ainsi donc, selon l´UPR, Juncker accepterait la sortie de la France de l´euro au bout de 6 mois ? Cela ne tient pas la route, et le Brexit nous le rappelle cruellement.
[Il y a au contraire beaucoup de raisons. Posez-vous la question : était-ce vraiment dans l’intention des rédacteurs du traité de Lisbonne de créer une disposition pour faciliter le départ des états membres de l’UE ? Pourquoi à votre avis a-t-on introduit cette disposition, qui ne figurait dans aucun des traités précédents ?]
Rajoutons que dans les traités précédents, la France avait proposé d´en fixer les modalités.
Pour conclure, je dirai que si l´article 50 a eu son utilité pour rendre réaliste la possibilité d´un Frexit, maintenant que le départ d´un Etat membre est reconnu de tous ; l´UPR devrait arrêter de parler de l´article 50. En insistant tellement dessus et rendant Frexit et article 50 indissociables, les autres partisans du Frexit, Philippot par exemple, se sentent obliger de parler de l´article 50 pour sortir de l´UE.
@ Barbey
[L´autre question est pourquoi marteler autant l´article 50, solution parmi tant d´autres ?]
C’est bien la question. L’UPR voulait que la France sorte de l’UE avant que l’article 50 existe. C’est donc qu’elle le croyait souhaitable et possible. Qu’est-ce que l’article 50 change ?
[On peut rester soumis au TFUE et contrôler les capitaux. Il suffit de le justifier par un motif d´ordre public ou de sécurité publique comme à Chypre.]
Sauf que c’est à la Commission et à la CJUE de décider si la « justification » est ou non suffisante. Pensez-vous que la Commission permettrait à la France d’instaurer un contrôle des capitaux pour lui permettre de quitter l’UE dans de bonnes conditions ?
> Lorsque les Valois ont fait valoir la loi salique pour rejeter la
> prétention des Plantagenêts, ils n’étaient pas dans “la sacralité
> du droit”. [etc.]
Je trouve le parallèle intéressant, et qui peut permettre d’argumenter contre la “germanisation de l’UE” ; je n’y avais pas pensé avant la lecture de votre commentaire. Je ne suis pas certain que ça ait un grand intérêt, mais je vous fais part de mes réflexions…
Sous l’ancien régime, malgré les citations de Richelieu que j’ai vues en commentaire, il y avait un principe de droit qui était sacré : la loi fondamentale du royaume, qui est celle dont vous parlez. Et sur laquelle il y avait effectivement du pointillisme juridique (au point que les dispositions testamentaires des plus grands rois ont été cassées).
Et c’est assez logique, puisqu’en définitive, ces lois fondamentales du royaume étaient le fondement de la légitimité de la monarchie. Ces questions ont perduré au XIXème siècle, où une question qui a divisé les monarchistes était de savoir si la constitution devait être accordée par le souverain, ou si c’était le roi qui devait se voir imposer une constitution.
Ici, avec l’UE, les règles de droit communautaire et les traités européens sont les seuls textes qui fondent la légitimité des décisions de l’UE. On peut donc aussi interpréter ce juridisme, non pas comme une tendance à une germanisation des esprits, mais comme la défense pointilleuse de la seule source de légitimité de l’UE, de même que la monarchie était très pointilleuse sur sa loi fondamentale.
> en plus de faire passer la France pour un Etat qui viole les
> traités (donc perte de crédit diplomatique), alors même que
> ce n’était pas nécessaire (donc on passe pour des ahuris à
> l’internationale en bonus).
On a bien forcé la France à renoncer à la vente des 2 Mistral à la Russie, en violation d’accords signés, et sans la moindre base juridique pour cela. A mon avis, en faisant cela (ou en bombardant la Lybie), la France a perdu nettement plus de crédit que tout ce qu’elle pourrait perdre en faisant valoir qu’il est de son intérêt de s’émanciper de l’UE.
Je dirais même qu’en faisant savoir haut et fort qu’elle est de nouveau indépendante, elle s’attirerait de la sympathie dans pas mal d’endroits ; et du point de vue strictement juridique, à partir du moment où elle a fait savoir à ses partenaires, à l’avance qu’elle ne se tiendrait plus tenue par les traités à compter de telle date, on ne pourra pas dire qu’elle a violé les traités, mais simplement qu’elle les aura dénoncés. Ce qui est, somme toutes, nettement plus “clean” que de les violer (vente des Mistral, même si ce n’était pas des traités ; Lybie, Syrie…) ; ou comme le fait la BCE elle même, soit dit au passage…
Et s’il s’agit de trouver des arguments juridiques pour le retrait, ce ne sera pas compliqué (les conditions économiques ne sont plus les mêmes qu’au moment de la signature, ce qui est tout de même primordial pour un traité à caractère économique ; plus le problème des migrants, et celui du chômage qui enfle qui nous oblige à prendre des mesures, plus les demandes des gilets jaunes, etc.).
En tout cas, les justifications seront très nettement moins compliquées à trouver que cela ne l’a été pour Trump de se retirer du traité sur les armes nucléaires intermédiaires ou de l’accord de Paris… Et pourtant…
@ Vincent
[Sous l’ancien régime, malgré les citations de Richelieu que j’ai vues en commentaire, il y avait un principe de droit qui était sacré : la loi fondamentale du royaume, qui est celle dont vous parlez. Et sur laquelle il y avait effectivement du pointillisme juridique (au point que les dispositions testamentaires des plus grands rois ont été cassées).]
Pas tout à fait. On ne parlait pas de « loi fondamentale » mais de « lois fondamentales ». Quelle était la nature de ces « lois » ? Il ne s’agissait pas d’un droit positif ou nous l’entendons aujourd’hui, c’est-à-dire, l’expression de la volonté générale dégagée par un législateur. En fait de lois il s’agissait plutôt de « coutumes » – d’ailleurs elles étaient appelées ainsi dans certaines régions – dont l’antiquité et la pratique constante faisaient la légitimité. Car il faut bien se rappeler que l’idée que les modernes peuvent améliorer ce qui a été fait par les anciens est une idée très « moderne »…
[Et c’est assez logique, puisqu’en définitive, ces lois fondamentales du royaume étaient le fondement de la légitimité de la monarchie. Ces questions ont perduré au XIXème siècle, où une question qui a divisé les monarchistes était de savoir si la constitution devait être accordée par le souverain, ou si c’était le roi qui devait se voir imposer une constitution.]
Oui, mais au XIXème il s’agit vraiment d’une discussion archaïque. La question du « droit divin des rois » était déjà largement tranchée au XVIIIème siècle…
[Ici, avec l’UE, les règles de droit communautaire et les traités européens sont les seuls textes qui fondent la légitimité des décisions de l’UE. On peut donc aussi interpréter ce juridisme, non pas comme une tendance à une germanisation des esprits, mais comme la défense pointilleuse de la seule source de légitimité de l’UE, de même que la monarchie était très pointilleuse sur sa loi fondamentale.]
Oui et non. Il est exact de dire que la légitimité originelle de l’UE est issue du droit, et il est normal que l’UE cherche dont dans une application pointilleuse du droit sa légitimité. Mais le fait qu’une institution ait au départ une légitimité essentiellement juridique n’implique pas qu’elle ne puisse rechercher – et éventuellement conquérir – une légitimité politique qui lui permettrait de s’affranchir du droit. Or, c’est là justement la différence historique entre la France et l’Allemagne. En France, la légitimité de la monarchie a été politique bien avant d’être juridique. L’histoire allemande est marquée par le phénomène inverse : l’unité de l’Allemagne s’est constituée non pas autour de l’Etat, mais autour du droit. L’UE choisit plutôt la voie allemande – un fédéralisme fondé sur le droit – plutôt que la voie française – une unité politique construite autour d’un Etat fort.
@Descartes
Sapir dit la même chose que vous dans son dernier article (*). Je cite :
« les péripéties du Brexit le montrent de manière de plus en plus claire, l’article 50 n’a pas été écrit pour être appliqué. Il revient à placer le pays qui veut sortir de l’UE entre les mains de cette dernière. C’est une vision profondément technocratique et apolitique du problème de la sortie de l’UE. Or, justement, la logique de l’UE a été de chercher à dépolitiser des questions politiques, de les réduire à des questions purement techniques. On le voit, il est illusoire de vouloir sortir de l’UE par des procédures que l’UE elle-même a fixées, de vouloir sortir de l’UE tout en se pliant aux normes même qu’elle a fixées.
Sur cette question on ne pourra donc pas faire l’économie d’une réflexion sur l’action exceptionnelle, une action qui est prévue dans la Constitution en particulier par l’article 16. »
(*) https://www.les-crises.fr/russeurope-en-exil-les-11-questions-sur-lunion-europeenne-de-coralie-delaume-et-david-cayla/
@ Antoine
[Sapir dit la même chose que vous dans son dernier article (*). Je cite (…)]
Les grands esprits se rencontrent… ce que je trouve curieux, c’est que les gens qui ne jurent que par l’article 50 ne se posent jamais une question pourtant simple : pourquoi diable les rédacteurs du traité de Lisbonne auraient-ils inclus dans les traités un article qui rendrait plus facile la sortie d’un état de l’UE, alors que l’objet du traité de Lisbonne est précisément d’aller vers une intégration toujours plus étroite ?
La réponse est simple : les rédacteurs du traité de Lisbonne ont bien compris que le silence des traités sur la question de la sortie devenait dangereux devant la montée de l’euroscepticisme. En effet, comme le soulignait De Gaulle, il est impossible politiquement de maintenir un état dans l’étau d’un traité dont il ne veut pas, quoi qu’en disent les juristes et les diplomates, sauf à employer la force. Le silence des traités sur ces questions ouvrait donc la porte à des sorties « à la carte », ou le pays sortant définirait ses conditions. Mieux valait donc imposer une procédure, en mettant tous les atouts du « bon » côté, c’est-à-dire, celui de l’UE. L’article 50 interdit de fait à un état de sortir sans un long préavis… qui donne aux « forces du marché » tout le temps pour dissuader les récalcitrants.
[« (…) Sur cette question on ne pourra donc pas faire l’économie d’une réflexion sur l’action exceptionnelle, une action qui est prévue dans la Constitution en particulier par l’article 16. »]
Je n’arrive pas à comprendre pourquoi Sapir fantasme sur l’article 16. Non, l’article 16 n’est pas adapté puisqu’il ne peut être actionné que lorsque « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». Si on veut être juriste, la sortie de l’UE nécessite un simple vote parlementaire retirant la ratification des traités européens (car ce qu’une loi fait, une autre peut défaire…). On peut même invoquer le fait que la Constitution donnant au président de la République le pouvoir de signer les traités, cela implique aussi le pouvoir de retirer sa signature, privant ainsi le traité de tout effet.
Mais ça, c’est des discussions de juristes. L’essentiel est et demeure la volonté politique. Si celle-ci est acquise, alors on prendra les mesures qu’il faudra, quitte à prendre des mesures illégales ou inconstitutionnelles. Comme on l’a fait après 1958. Parce que “le salut du peuple est la loi suprême”.
Commentaire supprimé ?
Ok.
Pour quelles raisons ?
@ Valmeysien de Bouvines UPR-Frexit
[Commentaire supprimé ? Ok. Pour quelles raisons ?]
Je ne vois pas de quoi vous parlez. Les seuls commentaires “supprimés” ici sont les annonces publicitaires (il en arrive un paquet depuis que ce blog a migré) et les commentaires qui ne respectent pas les règles du blog (originalité des contributions, courtoisie, respect de la réglementation en vigueur).
Peut-être n’avez-vous pas compris que ce blog est modéré. Pour éviter que cela devienne une foire d’empoigne – comme c’est le cas dans beaucoup de blogs – les commentaires ne sont publiés qu’une fois que je les ai lus.
@Descartes
“La France […] ne connait dans son histoire aucun putsch militaire.”
Il y a deux tentatives ratées (celle de Déroulède et Barrès en 1899 ; le putsch d’Alger de 1961) et une réussite, le 18 brumaire (1799).
@ Johnathan R. Razorback
[« La France […] ne connait dans son histoire aucun putsch militaire. » Il y a deux tentatives ratées (celle de Déroulède et Barrès en 1899 ; le putsch d’Alger de 1961) et une réussite, le 18 brumaire (1799).]
Je ne suis pas d’accord avec vous. La tentative de Déroulède et Barres peut difficilement être considérée comme un « putsch militaire ». C’était plus une aventure romantique : Déroulède s’est contenté d’interpeller le général Rougier, qui dirigeant les troupes de parade lors des obsèques de Felix Faure, pour l’inciter à marcher sur l’Elysée. Rougier n’a pas suivi et ça s’est arrêté là. Pour ce qui concerne le putsch d’Alger de 1961, c’était plus une rébellion qu’un putsch : les rebelles n’avaient ni un plan de gouvernement, ni un véritable projet de prise du pouvoir. Quant au 18 brumaire, c’est un coup d’Etat largement plus civil que militaire. Les organisateurs du complot sont Sieyès et Talleyrand autant que Bonaparte.
Je ne peux que vous suivre dans votre raisonnement et vos conclusions. Summum ius, summa iniuria.
Il s’agit donc de défendre “l’excès du droit commun à cause du bien public” pour reprendre la jolie formule de Richelieu rappelée par Teyssier.
Mais qui croit encore à la politique aujourd’hui parmi les politiciens (hors Sarkozy) ?
@ Ruben
[Je ne peux que vous suivre dans votre raisonnement et vos conclusions. Summum ius, summa iniuria.]
Merci, je n’avais pas pensé à cette formule, mais finalement elle résume parfaitement ma pensée.
[Il s’agit donc de défendre “l’excès du droit commun à cause du bien public” pour reprendre la jolie formule de Richelieu rappelée par Teyssier.]
Tout à fait. Ma théorie reprend beaucoup d’éléments de la théorie de la raison d’Etat dont Richelieu était un grand partisan. Mais la question ne se limite pas aujourd’hui aux agissements de l’Etat dans les « grandes affaires », elle se pose aussi par rapport aux citoyens pour les petites: quelle est la marge d’interprétation ou d’adaptation qu’on laisse à chaque citoyen à l’heure d’appliquer la loi intelligemment ? Celui qui organise une réunion publique dans une mairie et admet 51 personnes alors que la salle est habilitée pour 50 commet-il une grave faute, ou utilise-t-il intelligemment une marge d’interprétation dans l’intérêt public ? Voulons-nous une société ou les lois sont appliquées strictement ?
En France, la réponse est négative. Et les juges français ont souvent une interprétation plutôt bienveillante des règles là où le juge allemand ou britannique aurait une interprétation beaucoup plus textuelle.
[Mais qui croit encore à la politique aujourd’hui parmi les politiciens (hors Sarkozy) ?]
C’est une très bonne question. L’avènement du « nouveau monde » macronien tient pour une bonne part au fait que même les politiciens ne croient plus à la politique. Les couloirs du Parlement sont maintenant remplis de gens pour qui la politique est un métier, pas une passion. On n’imagine pas un politicien aujourd’hui démissionnant pour une affaire de conviction, ou refusant un poste au prétexte qu’il ne partage pas la politique qu’il aura à appliquer.
Rendons toutefois à César ce qui lui appartient : la citation n’est pas de Richelieu mais de Gabriel Naudé.
Je l’avais trouvé dans un ouvrage consacré au cardinal et elle m’avait frappé.
Mea culpa.
[Pour ce qui concerne le putsch d’Alger de 1961, c’était plus une rébellion qu’un putsch : les rebelles n’avaient ni un plan de gouvernement, ni un véritable projet de prise du pouvoir. ]votre affirmation cher Descartes , peut être modulé.Les 4 généraux félons , voulaient embarquer les paras et légionnaires depuis Paris , vers la Corse,la métropole , puis Paris.
C’est le contingent qui a bloqué le départ des régiments factieux en Algérie . En métropole le PCF a répondu à l’appel de Debré .
Les armes que le PCF avaient conservé après en avoir rendu des millions après la libération,sont ressorties.
Les cadres et les militants ayant une expérience militaire,ont préparé des embuscades qui n’ont jamais servies ,mais la tentative de PUTSH a existé. Un peu comme le Golpe contre Maduro , est on certain qu’il réussira ,mais il y a un coup d’état en cours ,non ?
Comment qualifier les non respects du Brexit , des Non de 2005, français et Hollandais en 2005 ?
Coup crapuleux buraucratique ?
Et le coup Macron ( pour qui j’ai voté par détestation des Lepen )? Coup de bluff Attalo-Junkeriste ?
@ luc
[Votre affirmation cher Descartes, peut être modulé. Les 4 généraux félons, voulaient embarquer les paras et légionnaires depuis Paris, vers la Corse, la métropole, puis Paris.]
Mais c’était un plan délirant, celui d’un « quarteron de généraux » sans troupes, sans appui politique, sans véritable projet de gouvernement, sans soutiens politiques. C’état un baroud d’honneur, pas un « putsch ».
[Un peu comme le Golpe contre Maduro, est on certain qu’il réussira,mais il y a un coup d’état en cours, non ?]
Non. Un « golpe » – on peut prendre celui de Pinochet au Chili en 1973, celui de Videla en Argentine en 1976 comme exemples – implique la prise de pouvoir par les militaires soutenus par de larges secteurs de la population civile. Pinochet n’a pu prendre le pouvoir que parce qu’il avait l’appui total de la bourgeoisie chilienne et des puissants classes moyennes du pays. Videla a, lors de sa prise de pouvoir, reçu l’appui presque unanime d’une population excédée par le chaos et la violence des derniers mois de la présidence constitutionnelle d’Isabel Peron. Il faut arrêter de croire que les militaires peuvent tous seuls prendre le pouvoir et s’y maintenir par la force seule, sans un soutien civil puissant.
Dans le cas de Maduro, on assiste à un phénomène inverse : un gouvernement qui a conduit par son incurie et sa corruption le pays au bord de l’abîme, mais qui a acheté les militaires par des cadeaux et concessions de toute sorte. Dans ces conditions, l’opposition même majoritaire est incapable d’attirer les militaires vers une solution qui impliquerait une rupture.
J’ajoute qu’un coup d’Etat militaire soutenu par les américains serait une bénédiction pour Maduro et ce qui reste du chavisme. Vous connaissez la formule de Kierkegaard : « le tyran meurt, et son règne s’achève ; le martyr meurt et son règne commence ». Une intervention militaire ferait de Maduro un martyr, et effacerait pour l’histoire la corruption et l’incompétence du régime, un peu comme le coup de 1955 contre Peron a fait oublier le désastre économique et social de sa deuxième présidence…
Il y a eu, en métropole, une dramatisation visant à faire croire à un débarquement, qui n’avait été alimentée que par une initiative subalterne de déplacer quelques avions de transport vers l’Algérie. Mais il n’avait pas été planifié de débarquer en France, ce qui n’aurait de toute manière eu aucun sens avec les faibles effectifs dont disposaient les putschistes.
La seule idée qu’ils avaient était que, comme cela avait fonctionné quelques années plus tôt (en 1958), ou comme cela avait permis d’amener le conseil des ministres à se diviser (semaine des barricades), la simple manifestation de mauvaise humeur des armées viendrait à faire fléchir le Général, pour leur donner satisfaction.
Mais bon, vu que le pouvoir n’avait déjà pas cédé en 1960, il était peu probable qu’il céderait en 1961, alors que l’armée avait déjà été un peu épurée (les sympathisants connus de l’Algérie Française envoyés en métropole ou en Allemagne), et que le processus politique avait continué à suivre son cours.
Au mieux, ils espéraient que ce puputch, pour reprendre une expression de je sais plus qui, finirait en accord pour reprendre la discipline, en échange de 2/3 concessions mineures aux pieds noirs.
Mais je pense, plus probablement, qu’ils n’avaient pas tellement d’idée de ce qu’ils espéraient, si ce n’est un baroud d’honneur.
Comme l’avait dit de Gaulle : « Ce qui est grave dans cette affaire, messieurs, c’est qu’elle n’est pas sérieuse ». Et on peut dire qu’il est suffisamment spécialiste en liens entre armée et pouvoir politique pour savoir de quoi il parle…
[ Il faut arrêter de croire que les militaires peuvent tous seuls prendre le pouvoir et s’y maintenir par la force seule, sans un soutien civil puissant.]
Quand même, la dictature des colonels en Grèce était très très très militaire !
Elle n’avait que peu de soutien dans la population. En revanche elle était portée à bout de bras par les USA qui voyaient en elle l’avant-garde de leurs féaux face aux Balkans rouges.
Cela dit, je vous accorde que ce pouvoir n’a pas pu se maintenir très longtemps…
@ Gugus69
[« Il faut arrêter de croire que les militaires peuvent tous seuls prendre le pouvoir et s’y maintenir par la force seule, sans un soutien civil puissant. » Quand même, la dictature des colonels en Grèce était très, très, très militaire ! Elle n’avait que peu de soutien dans la population.]
C’est là, je pense, que vous faites erreur. La dictature des colonels avait un soutien important dans les couches supérieures de la société, mais aussi dans une partie des couches populaires grâce à un discours nationaliste. D’ailleurs, la droite grecque qui ne cachait pas son admiration pour le régime des colonels est rapidement revenue au pouvoir une fois la démocratie restaurée.
[En revanche elle était portée à bout de bras par les USA qui voyaient en elle l’avant-garde de leurs féaux face aux Balkans rouges.]
Il y a dans la pensée de la « gauche radicale » – communistes inclus – une tendance au manichéisme qui efface les nuances et qui attribue à l’Ennemi une puissance diabolique qu’il n’a pas. Dans l’histoire, il y a très peu de régimes qui ont survécu une longue période sans pouvoir compter sur un certain soutien de la population, juste par la magie de la puissance militaire américaine. Bien sur, il est toujours plus commode de présenter les conflits sous la forme « peuple vs. oligarchie » ou bien « population vs. Intervention étrangère ». Mais dans la réalité, les choses sont bien plus complexes.
Bonsoir Descartes,
Merci pour ce billet, vous êtes décidément en forme en ce moment. Il faut dire que l’actualité se fait un poil plus intéressante qu’au début du mandat Macron.
Pas grand chose à ajouter, si ce n’est que les Chinois ont un proverbe qui se traduit plus ou moins par : “Les règles sont mortes, les gens sont vivants.”
De même, pas grand chose à ajouter, sinon que je suis surpris de la frilosité juridique de certaines administrations en France (voir une administration ayant fonctionné sans base légale pendant 30 ans craindre de violer une circulaire alors que la loi est sans ambiguïté en leur faveur me surprend toujours).
Après, c’est vrai qu’en France la catégorie “interdit mais tolérée” existe, et qu’elle est difficile à expliquer à un allemand (un panneau “accès interdit par arrêté municipal” suivi de “entrée à vos risques et périls, surveillez vos enfants” a permis de l’illustrer).
En proverbe plus proche de nous “le Sabbat est fait pour l’homme, et non l’homme pour le Sabbat”.
Pour rebondir sur un billet plus ancien, sur la haute administration et le politique, une tribune amusante d’un député dans le Figaro, qui se plaignait qu’une mesure certes de bon sens (gratuité des autoroutes pour les véhicules de secours) soit bloquée par l’administration, alors qu’elle est contraire aux contrats existants et devrait plus être demandée comme un geste des concessionnaires que comme un acte unilatéral porteur de contentieux (lien non lisible, à titre de référence : http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2019/03/13/31001-20190313ARTFIG00216-le-pompier-le-peage-le-depute-et-le-ministre-resume-de-la-paralysie-francaise.php)
@ Simon
[De même, pas grand chose à ajouter, sinon que je suis surpris de la frilosité juridique de certaines administrations en France (voir une administration ayant fonctionné sans base légale pendant 30 ans craindre de violer une circulaire alors que la loi est sans ambiguïté en leur faveur me surprend toujours).]
Je ne connais pas le cas auquel vous faites référence. Mais je voudrais souligner que chacun doit rester dans son rôle. L’administration est tenue par le principe de légalité, et il est normal et de bonne pratique que les fonctionnaires appliquent la loi telle qu’ils la comprennent – ce qui n’exclut pas de l’appliquer intelligemment – et attirent l’attention du pouvoir politique lorsque les demandes de celui-ci traversent la ligne rouge. A l’inverse, c’est au politique de décider si une affaire justifie, au nom de la raison d’Etat, de prendre des libertés avec la loi.
Il est d’ailleurs amusant de constater que notre droit positif consacre en fait la primauté de l’intérêt général sur la légalité : ainsi, le fonctionnaire est tenu d’obéir une instruction de sa hiérarchie, dont la tête est le décideur politique, sauf lorsque celles-ci sont « manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public» (art 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant statut des fonctionnaires). Il s’ensuit donc avec une impeccable logique que lorsqu’une instruction est conforme à l’intérêt public, elle doit être exécutée même si elle est « manifestement illégale » !
[Après, c’est vrai qu’en France la catégorie “interdit mais tolérée” existe, et qu’elle est difficile à expliquer à un allemand (un panneau “accès interdit par arrêté municipal” suivi de “entrée à vos risques et périls, surveillez vos enfants” a permis de l’illustrer).]
Oui, tout à fait. Notre pratique admet plusieurs catégories d’interdits. Il y a des interdits absolus, des interdits de précaution (on vous l’interdit, mais vous pouvez le faire à vos risques et périls), des interdits relatifs (c’est interdit sauf si ça ne dérange personne), là où la pratique germanique ne reconnait que blanc ou noir, interdit ou permis. Pour les Français, la loi doit être obéie parce qu’elle est utile, et lorsqu’elle est inutile dans un cas d’espèce particulier elle peut être violée sans remords. Pour les Allemands, la loi doit être obéie parce que c’est la loi, même lorsque cette obéissance est inutile. Je me souviens d’avoir traversé la rue à Munich : il était minuit passée, il n’y avait pas une seule voiture, mais tant que le bonhomme du feu rouge ne passait pas au vert, les gens ne traversaient pas.
[Pour rebondir sur un billet plus ancien, sur la haute administration et le politique, une tribune amusante d’un député dans le Figaro, qui se plaignait qu’une mesure certes de bon sens (gratuité des autoroutes pour les véhicules de secours) soit bloquée par l’administration, alors qu’elle est contraire aux contrats existants et devrait plus être demandée comme un geste des concessionnaires que comme un acte unilatéral porteur de contentieux (…)]
Ne pouvant pas lire l’article, j’ai du mal à commenter. De ce que je comprends, le député en question souhaiterait que l’Etat utilise son pouvoir régalien pour imposer aux sociétés d’autoroute une gratuité qui violerait leurs contrats de concession. Si c’est le cas, je trouve curieux qu’un journal libéral comme Le Figaro, qui fait en toute saison l’éloge du « contrat plutôt que la loi » prenne une telle position… car il faut savoir ce qu’on veut!
Je ne crois pas que François Asselineau renoncera à l’article 50 si les institutions UE et la BCE ne l’y obligent pas par des manœuvres de sape ou des coups tordus. Mais je ne dirais pas non plus qu’il écarte à priori cette éventualité, qu’elle le trouverait non préparé à y faire face, car il glisse de plus en plus souvent que le traité de Lisbonne est frappé d’illégitimité, puisqu’il avait été rejeté par le peuple.
Autrement dit avec l’article 50 nous nous montrons légalistes, mais si les négociations ne servent à rien parce que l’autre partie veut s’en servir seulement pour faire échouer le Frexit, nous pouvons très bien devenir légitimistes. Il s’est aussi prononcé en faveur du no deal pour le R.U. ce qui est intéressant parce que cela revient à reconnaître que les 2 ans de négociations prévues par l’article 50 du traité frappé d’illégitimité, du moins en ce qui concerne la France et les Pays-bas, n’ont été qu’une perte de temps.
Et je ne vois pas Asselineau comme un homme qui n’aurait pas en tête toutes les conséquences logiques de ce qu’il dit.
L’UE a pu se servir de l’article 50 pour saboter le Brexit parce que T. May et son parti majoritaire au Parlement étaient complices, mais je ne crois pas un instant que cela pourrait marcher pour le Frexit avec Asselineau à l’Élysée et l’UPR majoritaire à l’A.N.
Si T. May trouvait que 2 ans ce n’était pas encore assez pour enterrer le Brexit, elle y a ajouté encore de longs mois avant et réclame maintenant de longs mois après, il n’y a aucun risque que François Asselineau nous fasse le même coup.
@ VIO59
[Autrement dit avec l’article 50 nous nous montrons légalistes, mais si les négociations ne servent à rien parce que l’autre partie veut s’en servir seulement pour faire échouer le Frexit, nous pouvons très bien devenir légitimistes.]
« Je suis Oiseau : voyez mes ailes/Je suis Souris : vivent les Rats ». Je ne pense pas que sur le long terme il soit de bonne politique de tourner comme une girouette selon la direction du vent. On ne peut appeler les autres à reconnaître la sacralité de l’article 50, et s’asseoir ensuite dessus au prétexte que son application ne nous convient pas. Soit on déclare l’article illégitime – et alors on ne s’en sert pas – soit on le déclare légitime et on le respecte.
[Il s’est aussi prononcé en faveur du no deal pour le R.U. ce qui est intéressant parce que cela revient à reconnaître que les 2 ans de négociations prévues par l’article 50 du traité frappé d’illégitimité, du moins en ce qui concerne la France et les Pays-bas, n’ont été qu’une perte de temps.]
Peut-être. Mais le « no deal » arrive trop tard. L’impulsion du Brexit s’est émoussée, le système politique s’est fracturé. Une sortie rapide dont le rythme aurait été choisi par la Grande Bretagne aurait abouti à un bien meilleur résultat.
[L’UE a pu se servir de l’article 50 pour saboter le Brexit parce que T. May et son parti majoritaire au Parlement étaient complices, mais je ne crois pas un instant que cela pourrait marcher pour le Frexit avec Asselineau à l’Élysée et l’UPR majoritaire à l’A.N.]
Ce serait infiniment pire, parce qu’on devrait préparer non seulement la sortie de l’UE, mais aussi de l’Euro. Et que casser la monnaie unique en donnant deux ans de préavis aux détenteurs de capitaux et aux créanciers, c’est un suicide.
“Une sortie rapide dont le rythme aurait été choisi par la Grande Bretagne aurait abouti à un bien meilleur résultat.”
je vous vois venir avec vos gros sabots: c’est Theresa May qui avait fixé la date du 29 mars, sûrement pas l’UE.
En revanche, ce qui s’est émoussé est effectivement l’entrain des Brexiteers vu l’ampleur des dégâts qu’occasionnerait un no deal: même Rees Mogg a avoué hier que s’il avait compris en 2016 que le vote Leave entraînerait la scission de l’Ecosse, il aurait voté Remain… 😉
@ Françoise
[je vous vois venir avec vos gros sabots: c’est Theresa May qui avait fixé la date du 29 mars, sûrement pas l’UE.]
Vous parlez de quel 29 mars ? La date du 29 mars 2017 a été fixée par Theresa May. La date du 29 mars 2019 est fixée par l’article 50 du TUE, qui fixe un délai de deux ans pour les négociations du traité de sortie.
[En revanche, ce qui s’est émoussé est effectivement l’entrain des Brexiteers vu l’ampleur des dégâts qu’occasionnerait un no deal: même Rees Mogg a avoué hier que s’il avait compris en 2016 que le vote Leave entraînerait la scission de l’Ecosse, il aurait voté Remain…]
J’ignorais que Rees Moog était pour vous une référence. Mais comme d’habitude, vous lisez mal et vous comprenez ce qui vous arrange. Voilà ce qu’a dit Rees Moog : « si j’avais cru que l’Ecosse deviendrait indépendante au cas où le Royaume Uni quitterait l’UE, j’aurais voté « Remain ». Heureusement, je n’ai pas cru à ces histoires à faire peur au sujet de l’Ecosse » (source : The Daily Express, 18/3/2019).
“Heureusement, je n’ai pas cru à ces histoires à faire peur au sujet de l’Ecosse ”
votre référence est mensongère mais bon… en même temps, c’est le Daily Mail!
Interrogé sur LBC le 18 mars au matin sur sa position d’attendre la décision du DUP de soutenir ou non l’accord de retrait, Rees Mogg répond que le Royaume Uni est plus important pour lui que l’UE et que si le DUP hésite car ce deal entrainerait la division du royaume (l’Irlande du Nord avait voté contre le Brexit en 2016), alors ce deal ne doit pas être soutenu.
La seule chose qui l’aurait fait changé d’avis est que s’il avait cru en 2016 que le Brexit entrainerait la division du royaume, il aurait voté Remain; mais il ne l’avait pas cru et il était content d’avoir voté Leave (vous noterez qu’il parle au passé)
Il parle ensuite au présent et affirme qu’il ne veut pas que son royaume soit divisé donc qu’il est prêt à voter pour le “wave bill” pour éviter la scission de l’Irlande du Nord et de l’Ecosse.
De toute façon, tout ce discours est devenu caduque depuis la décision spectaculaire du Speaker lundi après midi!
Pour la date du 29 mars, Theresa May l’a déclenché en 2017, donc tardivement si on se souvient que tout commence en juin 2016, et devant l’affolement des “businesses”, elle a négocié une période de transition supplémentaire jusqu’au 1er janvier 2021, sans encore parler de l’extension de l’article 50 qu’elle va bientôt mendier à l’UE.
N’allez donc pas insinuer que ce n’est pas le Royaume Uni (et non pas la Grande Bretagne, ce qui est une erreur grossière de votre part) qui traîne les pieds.
Oseriez vous encore nous ressortir votre idée de punition de la part de l’UE?
@ françoise
[« Heureusement, je n’ai pas cru à ces histoires à faire peur au sujet de l’Ecosse » votre référence est mensongère mais bon… en même temps, c’est le Daily Mail!]
Je vous rappelle que sur ce blog la courtoisie est la règle, et que les procès d’intention ad hominem n’ont donc pas cours. Si vous n’arrivez pas à le comprendre, vous pouvez aller voir ailleurs. Dernier avertissement.
J’ajoute que moi, au moins, je donne des références. Parce que votre affirmation n’était accompagné d’aucune mention de l’origine. Et pour cause, comme on va le voir.
[Interrogé sur LBC le 18 mars au matin sur sa position d’attendre la décision du DUP de soutenir ou non l’accord de retrait, Rees Mogg répond que le Royaume Uni est plus important pour lui que l’UE et que si le DUP hésite car ce deal entrainerait la division du royaume (l’Irlande du Nord avait voté contre le Brexit en 2016), alors ce deal ne doit pas être soutenu.
La seule chose qui l’aurait fait changé d’avis est que s’il avait cru en 2016 que le Brexit entrainerait la division du royaume, il aurait voté Remain; mais il ne l’avait pas cru et il était content d’avoir voté Leave (vous noterez qu’il parle au passé)]
Vous noterez aussi que votre affirmation originale était la suivante : « Rees Mogg a avoué hier que s’il avait compris en 2016 que le vote Leave entraînerait la scission de l’Ecosse, il aurait voté Remain… ». Notez les différences : « s’il avait compris » est devenu « s’il avait cru », et la mention du fait qu’il était satisfait de son vote avait disparu.
[De toute façon, tout ce discours est devenu caduque depuis la décision spectaculaire du Speaker lundi après midi!]
Mais pas du tout. Il n’est en rien « caduc » lorsqu’il s’agit de constater que vous n’avez toujours pas appris à lire.
[N’allez donc pas insinuer que ce n’est pas le Royaume Uni (et non pas la Grande Bretagne, ce qui est une erreur grossière de votre part) qui traîne les pieds.]
Je n’ai rien à « insinuer ». Le fait est que l’intervalle de deux ans imposé entre le moment ou un pays annonce son départ de l’UE et le moment ou ce départ devient effectif figure dans les traités. Ce n’est donc pas le gouvernement de la Grande Bretagne qui choisit le moment de sa sortie.
[Oseriez-vous encore nous ressortir votre idée de punition de la part de l’UE?]
Cela paraît assez évident. Et ce n’est pas fini…
Je ne vois pas d’attaque ad hominem, j’ai même pris soin de rejeter la faute sur le tabloïd alors que, comme vous vous en doutez, je n’en pense pas moins;
en revanche vous pouvez, puisque vous avez écouté l’entrevue sur LBC (que vous traduisez soit disant de votre tabloïd), me retranscrire l’exacte minute/seconde de la video où il dit « Heureusement, je n’ai pas cru à ces histoires à faire peur au sujet de l’Ecosse »?
c’est que, voyez vous, je comprends très mal l’anglais alors je ne le trouve pas 😉
pour ma phrase compris/cru, vous remarquez que je ne traduisais pas de texte, et je ne crois pas avoir trahi son idée que ce qu’il pense en 2019 est différent de 2016 car il a réalisé grâce aux hésitations du DUP que Brexit= scission de l’Ecosse et RI
article 50-3 UE
3. Les traités cessent d’être applicables à l’État concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai.
où voyez vous que le UK était obligé d’attendre deux ans? avezvous avez une phrase exacte qui confirme vos dires, même ailleurs que dans l’article 50 ? (sans compter, je vous rappelle que May a négocié en plus une transition du 29/03/19 au 31/12/20)
pour l’article du Point, je pense que vous vous moquez de moi quand vous chipotez sur l’Elysée ou Macron, cela frise le ridicule.
punition? insinuez, insinuez, qu’on rigole un peu.
@ Françoise
[Je ne vois pas d’attaque ad hominem,]
Vous avez alors une très mauvaise vue. En réponse à mon commentaire, vous aviez répondu « votre référence est mensongère… ». M’accuser de « mensonge » ne serait donc pas une attaque « ad hominem » ?
[en revanche vous pouvez, puisque vous avez écouté l’entrevue sur LBC (que vous traduisez soit disant de votre tabloïd),]
Je ne me souviens pas d’avoir dit que j’avais « écouté » quoi que ce soit. Il m’est donc impossible de répondre à votre question.
[pour ma phrase compris/cru, vous remarquez que je ne traduisais pas de texte, et je ne crois pas avoir trahi son idée que ce qu’il pense en 2019 est différent de 2016 car il a réalisé grâce aux hésitations du DUP que Brexit= scission de l’Ecosse et RI]
Je pense surtout que c’est une très mauvaise pratique de « traduire » en fonction de ce que vous pensez que la personne aurait voulu dire, au lieu de vous limiter à ce qu’elle a dit. Rees Mogg ne dit nulle part qu’il ait « réalisé » quoi que ce soit de la sorte. Et d’ailleurs jusqu’à nouvel ordre le Brexit n’implique nullement la scission de l’Ecosse ou de l’Ulster. Ce que dit Rees Mogg, c’est que s’il avait cru la propagande des « remain » comme quoi le Brexit impliquait la scission du Royaume Uni, il aurait voté « remain », mais qu’il n’y a pas cru et qu’il ne le regrette pas.
[article 50-3 UE
3. Les traités cessent d’être applicables à l’État concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai.
où voyez vous que le UK était obligé d’attendre deux ans? avezvous avez une phrase exacte qui confirme vos dires, même ailleurs que dans l’article 50 ? (sans compter, je vous rappelle que May a négocié en plus une transition du 29/03/19 au 31/12/20)]
C’est clairement dit dans la première phrase : « les traités cessent d’être applicables à l’Etat concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou à défaut, deux ans après la notification (…) ». En d’autres termes, l’Etat concerné est obligé d’attendre deux ans sauf si l’UE, dans son immense bonté, accepte de signer un accord avant cette date.
[pour l’article du Point, je pense que vous vous moquez de moi quand vous chipotez sur l’Elysée ou Macron, cela frise le ridicule.]
Je le sais, pour vous l’exactitude est « ridicule ». Pour moi, non. Un point de plus dans nos nombreux désaccords.
[punition? insinuez, insinuez, qu’on rigole un peu.]
Je ne me souviens pas d’avoir « insinué » quoi que ce soit. Affirmé, oui. Insinué, non.
point n°1 : jusqu’à preuve du contraire, vous n’êtes pas une “référence”, cela concernait le tabloïd
point n°2 : vous n’avez pas entendu JRM donc vous supposez cette histoire de “propagande des remain” dont il ne parle absolument pas dans son intervention; en revanche il comprend maintenant les hésitations du DUP par crainte de scission, ce qu’il n’avait pas cru en 2016; toute autre interprétation est un mensonge, surtout quand on n’a pas vu la video, et prenez ça comme une attaque ad hominem, j’en serai plus que flattée.
point n°3: rien empêchait le Parliament de voter l’accord mi décembre après avoir tant chipoté sur leurs red lines transparentes, ils auraient pu sortir bien plus tôt mais ils ont la trouille.
point n°4: C’est Macron qui est à l’Elysée, au moins jusqu’aux prochaines élections. Qu’il menace une sortie sans accord ou une révocation de l’article 50, on s’en fiche, il a surtout poussé les Brits à se secouer un peu et décider enfin et rapidement, c’est l’essentiel.
@ Françoise
[point n°1 : jusqu’à preuve du contraire, vous n’êtes pas une “référence”, cela concernait le tabloïd]
Jusqu’à preuve du contraire, c’est moi qui choisis les « références » de mes commentaires. Choisir une référence qu’on sait inexacte est un choix « mensonger ». Et c’est à ce choix que votre formule fait référence. Je ne vais pas perdre plus de temps à vous démontrer l’évidence, d’autant plus que les attaques ad hominem sont chez vous assez coutumières.
[point n°2 : vous n’avez pas entendu JRM donc vous supposez cette histoire de “propagande des remain” dont il ne parle absolument pas dans son intervention;]
Je ne « suppose » rien, j’interprète ses mots, en séparant – notez le bien – ce qui tient de la citation et ce qui tient de mon interprétation.
[en revanche il comprend maintenant les hésitations du DUP par crainte de scission, ce qu’il n’avait pas cru en 2016;]
« comprendre » et « partager » sont deux choses très différentes. Et dans son expression, JRM n’indique nulle part partager les craintes du DUP.
[toute autre interprétation est un mensonge,]
Pour vous, peut-être. Moi, qui ne suis pas paranoïaque, je conçois qu’une interprétation puisse être erronée sans qu’il y ait une intention mensongère.
[point n°3: rien empêchait le Parliament de voter l’accord mi décembre après avoir tant chipoté sur leurs red lines transparentes, ils auraient pu sortir bien plus tôt mais ils ont la trouille.]
C’est vrai : si on accepte les diktats de l’UE, on peut sortir tout de suite.
[point n°4: C’est Macron qui est à l’Elysée,]
Mais j’ai cru comprendre qu’il n’y est pas tout seul.
point 2: “Je ne « suppose » rien, j’interprète ses mots, en séparant – notez le bien – ce qui tient de la citation et ce qui tient de mon interprétation.”
Vous avez cité (c’est à dire mis entre guillemets) « Heureusement, je n’ai pas cru à ces histoires à faire peur au sujet de l’Ecosse », une phrase que JRM n’a PAS prononcée.
“Et dans son expression, JRM n’indique nulle part partager les craintes du DUP.”
JRM 18/03: “the United Kingdom is my country and I don’t want it to be chopped up; so the DUP’s position is very significant.”
what else? 😉
oops j’ai oublié de répondre sur Rees Mogg qui serait ma “référence”: je lis beaucoup, j’écoute tous les arguments de tout bord, surtout sur ce débat qui m’intéresse, donc je ne vois pas pourquoi je ne suivrais pas ceux des Brexiteers;
je vais même vous faire une confidence: je lis vos élucubrations!
@ Françoise
[oops j’ai oublié de répondre sur Rees Mogg qui serait ma “référence”: je lis beaucoup, j’écoute tous les arguments de tout bord,]
Oui, mais mal. Je ne compte plus dans vos interventions les citations tronquées ou modifiées, et chaque fois dans le sens qui vous arrange.
YES! Macron refuse l’extension de l’article 50, game over.
merci qui?
@ Françoise
[YES! Macron refuse l’extension de l’article 50, game over.]
Décidément, la lecture est pour vous un art difficile : Macron n’a rien « refusé » du tout. Les services de l’Elysée (et non Macron lui-même) ont indiqué que l’extension ne serait acceptée que si elle était accompagnée d’un « projet clair » (Le Point, 20/3/2019). Autrement dit, chacun met la pression mais la négociation continue…
Je regrette infiniment d’ailleurs que vous n’ayez pas raison. Une telle position conduirait sans doute à une sortie sans accord.
> YES! Macron refuse l’extension de l’article
> 50, game over. merci qui?
J’ai l’impression qu’on se retrouve dans une situation -pas si commune- ou les partisans de deux solutions radicalement opposées se réjouissent de la même chose. Je souhaite, comme Descartes, la sortie de la France de l’UE (ou des traités, pour faire plaisir à certains, je ne chipote pas sur les mots).
Et je me réjouirais aussi, comme Descartes, que la sortie soit effectivement un “no deal” pur et simple…
Dans ces affaires, quand deux adversaires idéologiques sont d’accords sur ce qu’ils souhaitent à court terme, c’est généralement que l’un des deux s’apprête à être le dindon de la farce.
Il y a un peu plus de 2 ans, aussi bien les partisans de Macron que ceux de Fillon se réjouissaient de l’élection de ce dernier aux primaires…
Pendant les révolutions arabes, les jeunes éduqués occidentalisés se réjouissaient de la chute des dictateurs, aux cotés des islamistes…
Généralement, l’un des deux camps finit par déchanter.
@ Vincent
[« YES! Macron refuse l’extension de l’article 50, game over. merci qui? » J’ai l’impression qu’on se retrouve dans une situation -pas si commune- ou les partisans de deux solutions radicalement opposées se réjouissent de la même chose.]
Pas tout à fait. Vous vous trouvez dans une situation où l’un prend ses désirs pour des réalités, et l’autre pas. Françoise invente quand elle affirme que Macron « a refusé l’extension de l’article 50 ». Il n’a fait que dire qu’il n’accepterait l’extension que sous conditions – ce qui semble une évidence. Et pas plus tard qu’aujourd’hui il a donné son accord pour un report jusqu’au 22 mai.
[Et je me réjouirais aussi, comme Descartes, que la sortie soit effectivement un “no deal” pur et simple…]
Vous me faites dire ce que je n’ai pas dit. Je ne me « réjouis » pas que la sortie se fasse sur un « no deal ». Je suis parfaitement conscient des contraintes qu’il imposera tant aux britanniques qu’à nos propres concitoyens, et je préférerais un « deal » équilibré qui soit le meilleur compromis possible entre des intérêts contradictoires. Et je suis persuadé que ce compromis serait possible, s’il n’y avait pas le besoin obsessionnel de la bureaucratie de l’UE de punir le pays qui a osé les rejeter. Mais ce « deal » est impossible, parce que l’UE a un besoin existentiel que cela se passe au pire.
@pseudo D
“[Et je me réjouirais aussi, comme Descartes, que la sortie soit effectivement un “no deal” pur et simple…]
Vous me faites dire ce que je n’ai pas dit. Je ne me « réjouis » pas que la sortie se fasse sur un « no deal ». Je suis parfaitement conscient des contraintes qu’il imposera tant aux britanniques qu’à nos propres concitoyens, et je préférerais un « deal » équilibré qui soit le meilleur compromis possible entre des intérêts contradictoires.”
relisez ce que vous écriviez dans “il n’y a pas d’exit heureux”: dénonciation du traité… blabla… art 62 Convention de Vienne (idée démontée par Cox la semaine dernière)… blabla…
et maintenant? meilleur compromis possible? un deal équilibré ? … blablabla…..
z’auriez dû faire Prime Minister!
@ Françoise
Le droit de s’exprimer n’inclut pas le droit d’être pris au sérieux. Pour ce qui me concerne, cet échange est terminé.
> Car à la fin du mois d’avril 1945, à quelques jours à peine du
> suicide du Führer, des ordres étaient donnés et obéis, et des
> soldats ont été fusillés par leurs camarades pour ne pas les
> avoir exécutées.
La différence avec la France est effectivement qu’en France, comme cela s’est vu à partir de 1944, l’habitude en telles circonstances est à tous les niveaux de “louvoyer”, en faisant le minimum pour ne pas risquer de sanction, tout en donnant un maximum de gages pour pouvoir mieux retourner sa veste après. Le contraire d’un engagement complet. Cf. Mitterrand, mais c’était comme ça à peu près partout.
Ainsi pendant la rafle du Vel d’hiv, la police a obéi, mais les fuites se sont multipliées, pour rendre son action aussi peu opérante que possible (aucun policier n’a voulu risquer de sanction en désobéissant, mais beaucoup ont fait en sorte de s’engager au strict minimum pour ne rien risquer).
La conséquence de telles attitudes à tous les échelons est qu’à un moment, la machine ne répond plus, sans qu’il y ait aucun étage où le refus d’obéissance soit patent.
En ce sens, pour répondre à un commentaire qui évoquait l’attentat contre Hitler, je répondrais très différemment de vous : il est impensable pour un officier prussien de ne pas s’engager à fond. Et les comploteurs, au nom de leur interprétation du droit, se sont engagés à fond…
Je triais ce soir mes photos des derniers mois, quand je suis tombé sur un petit monument avec une pierre de granit assez récente, photographiée dans une ancienne forteresse en Rhénanie, et où il est écrit :
“DEN HEERESSOLDATEN DER BUNDESWEHR, DIE FÜR FRIEDEN, RECHT, UND FREIHEIT IHR LEBEN LIESSEN”
Que je traduirais, pour les non germanistes, par :
“Aux soldats de la Bundeswehr qui ont laissé leur vie pour la paix, le droit, et la liberté” (la Bundeswehr existe depuis 1955).
Cela montre bien qu’une des 3 valeurs fondamentales pour lesquelles il est légitime qu’un soldat allemand puisse mourir aujourd’hui, est justement la défense du droit… J’imagine mal une plaque similaire en France…
Pour finir, j’aurais bien choisi pour titre de cet article le proverbe suivant, bien de chez nous (ou tout au moins bien latin) : “nécessité fait loi”…
@ Vincent
[La différence avec la France est effectivement qu’en France, comme cela s’est vu à partir de 1944, l’habitude en telles circonstances est à tous les niveaux de “louvoyer”, en faisant le minimum pour ne pas risquer de sanction, tout en donnant un maximum de gages pour pouvoir mieux retourner sa veste après. Le contraire d’un engagement complet.]
Je ne crois pas que ce soit un problème « d’engagement ». Les Français sont aussi capables que les Allemands d’un engagement total (pensez aux poilus de la Grande Guerre) lorsque les circonstances l’exigent. Mais cet engagement est pragmatique : on est prêt au sacrifice lorsqu’on croit la guerre gagnable, mais on n’est pas prêt à sacrifier quoi que ce soit pour une cause perdue. C’est peut-être là la différence avec la mentalité germanique, qui reconnaît des principes sacrés au-delà de tout résultat.
[En ce sens, pour répondre à un commentaire qui évoquait l’attentat contre Hitler, je répondrais très différemment de vous : il est impensable pour un officier prussien de ne pas s’engager à fond. Et les comploteurs, au nom de leur interprétation du droit, se sont engagés à fond…]
Vous me faites penser à une formule de De Gaulle. En 1962 un chef militaire qui conjurait De Gaulle de maintenir l’Algérie Française en lui disant avec des larmes dans les yeux « mon général, l’armée s’est engagée pour vous » s’était vu répondre « l’armée ne s’engage que pour des conneries ». Encore une fois, les Français sont capables d’un engagement total, mais c’est toujours un engagement rationnel, qui tient compte de la réalité. Ce n’est jamais un engagement « spirituel ». Que voulez-vous, on est un peuple cartésien et donc sans transcendance…
[« Que je traduirais, pour les non germanistes, par : “Aux soldats de la Bundeswehr qui ont laissé leur vie pour la paix, le droit, et la liberté” (la Bundeswehr existe depuis 1955). » Cela montre bien qu’une des 3 valeurs fondamentales pour lesquelles il est légitime qu’un soldat allemand puisse mourir aujourd’hui, est justement la défense du droit… J’imagine mal une plaque similaire en France…]
Et j’en suis fort heureux. Parce que votre exemple illustre à la perfection la sacralisation du droit dans la culture politique allemande. Vous noterez d’ailleurs que lorsqu’on parle ici de la défense « du droit » on ne nous dit pas de quel « droit » il s’agit. S’agit-il du droit positif allemand ? Du droit coutumier ? Du droit international ? En fait, derrière cette formule se cache une vision « naturaliste » du droit. Il n’y a qu’un seul « droit », puisqu’il est écrit dans la nature des choses…
Bonsoir Descartes,
merci pour ce texte auquel je souscris.
J’ai l’impression que la ligne éditoriale du Monde en matière européenne suit une légère inflexion: il est désormais admis de critiquer la décision qui ne va pas dans le sens de la défense de la puissance européenne contre les US et la Chine (parfois la Russie est citée aussi quand il s’agit des manipulation d’opinion).
Inflexion que l’on retrouve dans la rhétorique du pouvoir et de certains éditorialistes qui le soutiennent – et qui n’est pas idéologiquement neutre: après tout le libre échangisme libéral n’est pas tout à fait une vision de constructions de puissances miliaires qui nous menaceraient. partagez vous ce diagnostique et comment l’interpréteriez vous si tel était le cas?
Par ailleurs, vous vous faisiez il y a de cela quelques années le chantre de Hobbes contre Rousseau tout en soutenant que l’UE n’était pas un Léviathan. J’avoue que je n’ai toujours pas compris ce qui pour vous disqualifie cette analogie: un continent que la rivalité des nations qui le composent a faillit détruire, abandonnent rationnellement une partie de leur souveraineté à une instance supérieure et commune en échange d’une sécurité. C’est en tout cas une des raisons souvent invoquées pour soutenir la construction européenne. Mais comme il se trouve qu’il n’y a pas de peuple, on le remplace par un juge comme souverain – et hop! on a un beau Leviathan Hobbesien.
Evidemment le projet fait peu de place à la démocratie – mais chez Hobbes nulle part est précisé que le souverain devait être le peuple (c’est même plutôt l’inverse). Auriez vous la gentillesse de prendre le temps de ré-expliquer pourquoi vous êtes en désaccord avec cette vision Hobbesienne de l’Europe (si tel est bien le cas bien sûr)?
Enfin vous commentez peu les évolutions politiques qui ébranlent notre démocratie récemment: si peu sur les Gilets jaunes, Grenoble et la hausse de la violence ou encore la stratégie macronienne pour les élections européennes avec sa lettre suivie de la réponse de ‘AKK’.
Je serais curieux de vous lire sur ces sujets et particulièrement sur le déploiement de la violence – j’ai lu votre papier manif de riche/manif de pauvres, mais reste sur ma faim: il me semble que le symptôme témoigne d’une généralisation du sentiment de désaffiliation de bon nombres de personnes envers nos institutions communes (banlieues à Grenoble, GJ sur les ronds points, cadres dynamiques parisiens etc) au point qu’on ne voit presque plus que les clivages derrières lesquels l’unité du peuple français – qui vous est chère me semble t il et à moi également – s’efface peu à peu. Cette fragmentation vous préoccupe-t-elle ou valide-t-elle simplement votre thèse classiste?
Bien à vous
@ Axelzzz
[J’ai l’impression que la ligne éditoriale du Monde en matière européenne suit une légère inflexion: il est désormais admis de critiquer la décision qui ne va pas dans le sens de la défense de la puissance européenne contre les US et la Chine (parfois la Russie est citée aussi quand il s’agit des manipulation d’opinion).]
« Le Monde » suit en fait l’inflexion du discours eurolâtre. Il y a dix ou vingt ans, ce discours se centrait sur tout ce que l’Europe était censée nous apporter : croissance, emploi, culture, puissance, social. Aujourd’hui, les mêmes reconnaissent que l’Europe ne nous a rien apporté de tout cela – tout autre discours devient intenable – mais qu’avec quelques réformes elle pourrait le faire. Du coup, il devient loisible de critiquer l’UE – dans sa dimension de politique extérieure mais aussi sur d’autres questions comme la gestion des migrations ou du dossier Alstom – aussi longtemps qu’on admet que les défauts qu’on critique peuvent être corrigés sans changer le cadre.
Mon interprétation est que les eurolâtres ont fini par comprendre que le discours irénique sur la construction européenne était intenable au vu du bilan de trente ans de construction européenne. Continuer dans cette veine dans un contexte où il existe un consensus global de l’opinion pour considérer que le bilan de l’UE est mitigé – et c’est un euphémisme – c’était offrir l’opinion sur un plateau aux populistes. La nouvelle stratégie des eurolâtres est donc d’épouser les critiques de l’opinion pour essayer de la canaliser.
[Par ailleurs, vous vous faisiez il y a de cela quelques années le chantre de Hobbes contre Rousseau tout en soutenant que l’UE n’était pas un Léviathan. J’avoue que je n’ai toujours pas compris ce qui pour vous disqualifie cette analogie: un continent que la rivalité des nations qui le composent a faillit détruire, abandonnent rationnellement une partie de leur souveraineté à une instance supérieure et commune en échange d’une sécurité.]
D’abord, vous noterez que dans la construction hobbesienne ce sont les individus qui sacrifient leur « puissance de nuire » pour la mettre dans les mains du Leviathan parce que celui-ci leur assure la protection contre les agissements de leurs voisins. Mais les citoyens européens n’ont jamais conclu ce type de pacte. L’Europe est le résultat d’un contrat entre les états, et non entre les citoyens.
Ensuite, quelle est la « sécurité » que nous apporte l’UE ? Sur le plan militaire, ce n’est pas l’UE qui contrôle les leviers qui assurent la sécurité des états européens. Sur le plan économique, il faudrait demander aux grecs quelle « sécurité » leur apporte l’UE. Lorsque vous vous endormez le soir tranquille dans votre lit le soir, quel est le danger dont vous vous sentez protégé par l’UE ?
Si chaque citoyen européen pouvait compter sur la solidarité inconditionnelle et impersonnelle des autres, l’UE pourrait devenir un « Leviathan » au sens hobbésien parce que chaque européen se sentirait protégé par cette solidarité, et que le contrat dans lequel on sacrifie sa « puissance de nuire » en échange de cette protection aurait un sens. Mais parce que l’Europe n’est pas une nation, aucune solidarité entre européens n’est acquise. Dans ces conditions, en quoi consiste le contrat ? Qu’est-ce que j’obtiens en échange du sacrifice de ma « puissance de nuire » ?
[Evidemment le projet fait peu de place à la démocratie – mais chez Hobbes nulle part est précisé que le souverain devait être le peuple (c’est même plutôt l’inverse). Auriez-vous la gentillesse de prendre le temps de ré-expliquer pourquoi vous êtes en désaccord avec cette vision Hobbesienne de l’Europe (si tel est bien le cas bien sûr)?]
Je l’ai expliqué plus haut. La logique hobbesienne n’est pas à proprement parler démocratique – du moins au sens procédural du terme. Mais elle fonde la légitimité du gouvernant dans le contrat social, et donc dans le consentement du peuple. Il n’est pas inutile de rappeler que cette position lui valut lors de la publication du « Léviathan » une accusation d’athéisme qui à l’époque n’était pas précisément un compliment. Pourquoi ? Parce qu’en fondant la légitimité non pas sur le droit divin mais sur le consentement du peuple il posait les bases de la souveraineté populaire. En effet, si c’est le peuple qui fait le roi, qui est le véritable souverain ?
Si l’Europe n’est pas un Léviathan au sens hobbesien du terme, c’est parce qu’il n’y a pas de « contrat » entre les citoyens européens qui fonde la construction européenne. Ce « contrat » n’existe qu’au niveau des nations qui composent l’UE.
[Enfin vous commentez peu les évolutions politiques qui ébranlent notre démocratie récemment: si peu sur les Gilets jaunes, Grenoble et la hausse de la violence ou encore la stratégie macronienne pour les élections européennes avec sa lettre suivie de la réponse de ‘AKK’.]
Je vous avoue que tout cela me laisse pensif. J’ai analysé le mouvement des « gilets jaunes » dès le départ comme un mouvement « expressif », et ce que je vois aujourd’hui ne m’a pas fait changer d’avis, au contraire. Pour ce qui concerne la question de la violence, j’essaye de faire un papier mais ma réflexion n’est pas tout à fait aboutie sur cette question.
[Cette fragmentation vous préoccupe-t-elle ou valide-t-elle simplement votre thèse classiste?]
Bien sûr qu’elle me préoccupe, car comme vous l’avez compris je suis attaché à l’idée d’affiliation de tous à des institutions communes, seule possibilité à mon sens de préserver une société pacifiée et vivable. Mais je dois dire que cette fragmentation confirme à mes yeux ma thèse « classiste ». La fragmentation est le résultat d’une transformation profonde, qui voit les « élites » – c’est-à-dire le bloc dominant composé des classes intermédiaires et de la bourgeoisie » – se séparer du reste de la société, tout simplement parce qu’elles n’ont pas besoin des autres pour vivre dans une logique de mondialisation. Et le contrecoup est la violence et la fragmentation des couches populaires. Pour reprendre la question du pacte hobbesien, quel est l’intérêt de sacrifier votre « pouvoir de nuire » si en échange la société ne vous donne plus de protection ?
@Descartes
> La nouvelle stratégie des eurolâtres est donc d’épouser les critiques de l’opinion pour essayer de la canaliser.
Une autre explication est que l’eurolâtrie s’estompe lentement chez les mêmes, et qu’ils sont tout simplement en train de tourner casaque. Il ne faut pas forcément sous-estimer la déception de Macron (et de ses partisans), qui a sincèrement cru pouvoir pousser ses grands projets européens bras dessus bras dessous avec Merkel, et qui doit maintenant encaisser un échec cuisant et probablement définitif. Macron est à peu près le dirigeant le plus européiste et anti-national que l’on puisse imaginer : il avait tout pour plaire, et pourtant ça n’a pas marché.
Je ne serais pas étonné que d’ici deux ans la France adopte une politique beaucoup plus pragmatique vis-à-vis de l’UE et de ses propres intérêts, quel que soit le discours de façade. Quant l’« Europe puissance » a échoué, la seule alternative possible, même pour des classes dominantes qui se rêvent allemandes ou américaines, est de revenir à une politique de puissance nationale.
En tout cas, là où je suis d’accord avec vous, c’est que les années à venir risquent d’être intéressantes…
@ Antoine
[Une autre explication est que l’eurolâtrie s’estompe lentement chez les mêmes, et qu’ils sont tout simplement en train de tourner casaque.]
Je ne vois pas pourquoi ils feraient cela. Est-ce que leurs intérêts ont changé ? Non ? Alors, pourquoi voulez-vous que leurs positions sur l’Europe changent, alors que l’Europe les a si bien servis ? L’eurolâtrie n’est pas irrationnelle, c’est une idéologie qui est au service d’intérêts de classe. Après, vous pouvez trouver chez tel ou tel individu une désillusion personnelle qui l’incite à changer d’opinion, mais du point de vue collectif ce sont les intérêts qui commandent.
Par contre, on pourrait se demander si l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui sert toujours efficacement les intérêts du bloc dominant, si les transformations du monde ne font pas qu’après avoir dévoré les couches populaires, le crocodile commence à s’intéresser aux classes intermédiaires. Si c’était le cas, cela expliquerait que « l’eurolâtrie s’estompe », pour reprendre votre formule, et cela ouvrirait un univers de possibilités.
@Descartes
> L’eurolâtrie n’est pas irrationnelle, c’est une idéologie qui est au service d’intérêts de classe.
J’ai l’impression que vous simplifiez un peu la question. Vous le dites vous-même dans un autre message :
« Il y a les europhiles d’intérêt, mais il y avait aussi beaucoup d’europhiles de conviction, dont l’europhilie était intimement liée à leur conviction de pouvoir construire une « Europe française ». »
Bref, il y a les intérêts, il y a aussi la perception que l’on a de ses propres intérêts, et il y a enfin les croyances et convictions qui, tout en étant corrélées aux intérêts, sont loin de l’être absolument et parfaitement…
> Par contre, on pourrait se demander si l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui sert toujours efficacement les intérêts du bloc dominant, si les transformations du monde ne font pas qu’après avoir dévoré les couches populaires, le crocodile commence à s’intéresser aux classes intermédiaires.
Pour le coup, je n’en ai pas l’impression, en tout cas pas les « classes intermédiaires » telles que vous les définissez.
Dans mon message, je pensais moins aux classes intermédiaires qu’aux classes dirigeantes, notamment les dirigeants économiques. Leur intérêt est lié à la possibilité de développer une puissance privée qui ne peut guère exister sans puissance nationale pour les protéger.
@ Antoine
[« L’eurolâtrie n’est pas irrationnelle, c’est une idéologie qui est au service d’intérêts de classe ».
J’ai l’impression que vous simplifiez un peu la question. Vous le dites vous-même dans un autre message :]
Oui, je le reconnais. La pédagogie passe par une certaine dose de simplification, et l’affaire dont nous parlons mériterait un livre – ou même plusieurs – et pas seulement un papier. Cela étant dit, je pense que mon affirmation est fondamentalement exacte. Si l’eurolâtrie de tel ou tel individu peut être liée à son éducation, à ses expériences, à ses rencontres, l’eurolâtrie comme phénomène collectif est bien liée à une question d’intérêt. J’avais abordé la question dans un papier précédent : le matérialisme historique vise à expliquer les phénomènes collectifs, il est peu intéressant à l’heure d’expliquer les réactions individuelles. Les cyniques – c’est-à-dire ceux qui ont conscience de leurs intérêts et agissent en conséquence – sont finalement minoritaires. La plupart des gens agissent par idéologie. Une idéologie qui tend – au moins au niveau collectif – à servir leurs intérêts, mais rarement d’une façon explicite.
[« Par contre, on pourrait se demander si l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui sert toujours efficacement les intérêts du bloc dominant, si les transformations du monde ne font pas qu’après avoir dévoré les couches populaires, le crocodile commence à s’intéresser aux classes intermédiaires. » Pour le coup, je n’en ai pas l’impression, en tout cas pas les « classes intermédiaires » telles que vous les définissez.]
Pas pour le moment, non. Mais les choses peuvent – vont – changer. Le modèle actuel repose sur la possibilité d’ignorer les prolétaires chez nous parce qu’on peut faire travailler des prolétaires ailleurs. Seulement, ces prolétaires agissent eux aussi pour leurs intérêts, et leurs bourgeoisies nationales ont intérêt à établir le type de pacte social que nous avons brisé chez nous. On peut imaginer que si la Chine, l’Inde et autres puissances émergentes deviennent des véritables puissances, nos « blocks dominants » seront mis en concurrence avec ceux de ces pays, et auront besoin de renforcer leur « base nationale »… On voit bien que la « mondialisation » commence à buter sur un retour des nations au niveau du monde émergent.
@Descartes
> On peut imaginer que si la Chine, l’Inde et autres puissances émergentes deviennent des véritables puissances, nos « blocks dominants » seront mis en concurrence avec ceux de ces pays, et auront besoin de renforcer leur « base nationale »…
Pour être honnête, quand je parlais de relancer une politique de « puissance nationale » en France, je n’imaginais pas forcément une politique beaucoup plus favorable aux intérêts de la classe ouvrière. Cela pourrait être par exemple une politique mercantiliste à l’allemande, très opportunistement tournée vers les intérêts économiques du pays.
En pratique, j’imagine que la simple relance économique permettrait de redonner un peu de pouvoir de négociation aux organisations ouvrières… là où elles existent, ce qui peut justement produire un paysage fracturé à l’allemande : d’un côté les industries grandes et moyennes, où les syndicats sont capables d’imposer de meilleures conditions, et de l’autre l’immense nuée de boulots mal payés, parfois pénibles, souvent précaires, éparpillés dans de minuscules unités (voire des arrangements juridiques quasi-léonins type auto-entreprenariat) où la législation laisse de plus en plus le travailleur à la merci du patron.
(au fait : pourquoi écrivez-vous « block » à l’anglaise ? un correcteur orthographique fantaisiste ?)
> On voit bien que la « mondialisation » commence à buter sur un retour des nations au niveau du monde émergent.
Et pas seulement. Il me semble qu’il n’y a que la France pour s’entêter dans un discours de fin des nations…
@ Antoine
[Pour être honnête, quand je parlais de relancer une politique de « puissance nationale » en France, je n’imaginais pas forcément une politique beaucoup plus favorable aux intérêts de la classe ouvrière. Cela pourrait être par exemple une politique mercantiliste à l’allemande, très opportunistement tournée vers les intérêts économiques du pays.]
Une politique « mercantiliste » à l’allemande – comme toute politique reposant sur des excédents – n’est pas durable, parce qu’elle suppose qu’il y ait des gens prêts à maintenir un déficit permanent. En effet, les excédents des uns sont nécessairement les déficits des autres… Et les limites du modèle commencent à apparaître, avec une croissance allemande passée derrière la croissance française.
[En pratique, j’imagine que la simple relance économique permettrait de redonner un peu de pouvoir de négociation aux organisations ouvrières… là où elles existent, ce qui peut justement produire un paysage fracturé à l’allemande : d’un côté les industries grandes et moyennes, où les syndicats sont capables d’imposer de meilleures conditions, et de l’autre l’immense nuée de boulots mal payés, parfois pénibles, souvent précaires, éparpillés dans de minuscules unités (voire des arrangements juridiques quasi-léonins type auto-entreprenariat) où la législation laisse de plus en plus le travailleur à la merci du patron.]
C’est-à-dire, revenir au modèle en vigueur à la fin du XIXème siècle, avec une « aristocratie ouvrière » capable de conquérir des droits, et un prolétariat moyen surexploité. Mais l’expérience à montré que ces situations aboutissent à la création des partis ouvriers qui utilisent le pouvoir de négociation de l’aristocratie ouvrière comme levier pour faire progresser les intérêts de l’ensemble du prolétariat.
[(au fait : pourquoi écrivez-vous « block » à l’anglaise ? un correcteur orthographique fantaisiste ?)]
J’ai beaucoup écrit en anglais à une époque, et il y a des réflexes qui restent…
@Descartes
> Une politique « mercantiliste » à l’allemande – comme toute politique reposant sur des excédents – n’est pas durable, parce qu’elle suppose qu’il y ait des gens prêts à maintenir un déficit permanent.
Question philosophique : à quel seuil fixez-vous la durabilité d’une politique ?
Une politique « non durable » peut constituer un compromis temporairement satisfaisant pour ses instigateurs, surtout que la date limite n’est pas connue à l’avance : cela peut marcher plus ou moins longtemps qu’on ne le croit.
Or, des pays prêts à maintenir un déficit de longue durée, il y en a. On peut citer en premier lieu les États-Unis, dont la balance commerciale est négative depuis… 1977.
> Et les limites du modèle commencent à apparaître, avec une croissance allemande passée derrière la croissance française.
Selon quels chiffres ? Apparemment, France et Allemagne auraient toutes deux vu leur PIB croître de 1,5% en 2018. Je me demande d’ailleurs ce qui pousse la croissance française. Probablement pas l’expansion industrielle…
@ Antoine
[« Une politique « mercantiliste » à l’allemande – comme toute politique reposant sur des excédents – n’est pas durable, parce qu’elle suppose qu’il y ait des gens prêts à maintenir un déficit permanent. » Question philosophique : à quel seuil fixez-vous la durabilité d’une politique ?]
Le mot « durable » n’est probablement pas le bon, dans le sens où il évoque une « durée ». Le mot « soutenable » serait plus approprié. Une politique n’est pas « durable » lorsqu’elle n’est pas prolongeable à l’infini.
[Une politique « non durable » peut constituer un compromis temporairement satisfaisant pour ses instigateurs, surtout que la date limite n’est pas connue à l’avance : cela peut marcher plus ou moins longtemps qu’on ne le croit.]
Bien entendu. L’immense majorité des politiques mises en œuvre ne sont pas « durables », elles sont purement conjoncturelles et on les change en fonction des circonstances. La réflexion keynésienne sur des politiques « durables » avait abouti à l’impératif de l’équilibre des échanges extérieurs (charte de La Havane) et de politiques économiques contre-cycliques. Mais la politique ne s’en est jamais saisie, précisément parce que les politiques raisonnent à court terme.
[Or, des pays prêts à maintenir un déficit de longue durée, il y en a. On peut citer en premier lieu les États-Unis, dont la balance commerciale est négative depuis… 1977.]
On pourrait objecter que lorsqu’une dette ne peut être payée, et que le créancier comme le débiteur sont conscients de ce fait, elle cesse d’être une dette et devient autre chose. Le déficit américain n’est pas un « véritable » déficit, en ce que tout le monde sait pertinemment que la dette qui en est issue ne sera jamais payée à sa valeur.
[Selon quels chiffres ?]
Il s’agit de prévisions, et non de croissance constatée.
[Apparemment, France et Allemagne auraient toutes deux vu leur PIB croître de 1,5% en 2018. Je me demande d’ailleurs ce qui pousse la croissance française. Probablement pas l’expansion industrielle…]
Non, malheureusement. En fait, c’est un effet mécanique des « stabilisateurs automatiques » keynésiens, qui sont particulièrement puissants en France. Lors d’un ralentissement économique mondiale, la sécurité sociale, la protection chômage et les autres mécanismes de redistribution font que le pouvoir d’achat diminue plus lentement qu’ailleurs, et du coup la demande se maintien, tirant la croissance. Lorsque l’économie mondiale accélère, le poids des prélèvements qui sert à financer cette redistribution a pour effet de freiner l’augmentation du pouvoir d’achat, et on croit donc plus lentement qu’ailleurs. C’est pourquoi qu’en haut du cycle la France croit plus lentement que ses voisins, alors qu’en bas du cycle elle a une croissance supérieure…
Bonjour @Descartes
Quelle fiabilité peut-on accorder aux infos du Financial Times ? Selon un article paru hier, Theresa May se dirigerait vers une sortie sans accord en cas de refus de l’accord négocié avec l’UE :
https://www.ft.com/content/c1bb68fa-4bed-11e9-bbc9-6917dce3dc62
On peut se demander si :
– c’est une conviction ferme et une décision arrêtée
– c’est une fuite délibérée dans le cadre du « game of chicken » engagé à la fois avec le parlement UK et l’UE, pour montrer qu’elle est prête à aller jusqu’au bout (acceptez mes conditions ou je fais un malheur)
@ Antoine
[Quelle fiabilité peut-on accorder aux infos du Financial Times ?]
Mon expérience me pousse à avoir une totale confiance dans les informations du FT. En effet, comme me le disait un ami, c’est un journal lu d’abord par des gens qui font des choix lourds d’investissement sur la base des informations dont ils disposent, et qui exigent donc que leur journal leur dise les faits, même lorsqu’ils sont déplaisants.
[Selon un article paru hier, Theresa May se dirigerait vers une sortie sans accord en cas de refus de l’accord négocié avec l’UE :]
Je pense que la position des institutions de l’UE ne lui laisse pas d’autre choix. On a vu ces derniers jours se mettre en marche la même « machine à humilier » qu’on avait vu à l’œuvre dans la crise grecque. Les images des dirigeants européens déclarant que le Royaume Uni n’a d’autre alternative que de se soumettre aux conditions posées par l’UE, quitte à violer pour cela deux votes de rejet parlementaires ou à changer de Premier ministre, les discours paternalistes passent très mal chez les britanniques, qui du coup voient le vrai visage de l’UE. Theresa May ne peut pas ne pas en tenir compte.
Quelle que soit l’issue de ce bras de fer, je doute beaucoup que la manière dont la Grande Bretagne a été traité redore l’image des institutions européennes…
[On peut se demander si :
– c’est une conviction ferme et une décision arrêtée
– c’est une fuite délibérée dans le cadre du « game of chicken » engagé à la fois avec le parlement UK et l’UE, pour montrer qu’elle est prête à aller jusqu’au bout (acceptez mes conditions ou je fais un malheur)]
May ne fera pas l’erreur de Tsipras, c’est-à-dire, annoncer par avance qu’on n’est pas prêt à renverser la table. Il est vrai que contrairement à Tsipras, qui aurait été balayé par ses propres électeurs s’il avait annoncé qu’une sortie de l’Euro n’était pas exclue, Theresa May sait qu’en cas de « no deal » elle serait soutenue par l’essentiel de son électorat.
Cela étant dit, je ne suis pas dans la tête de Theresa May. Je dirais qu’elle me semble une dirigeante avant tout pragmatique, et dont le principal intérêt est moins de coller à telle ou telle « conviction » que les intérêts de son pays. Elle n’était pas pour le Brexit, mais avec beaucoup de réalisme elle à compris qu’on ne pouvait pas revenir sur le vote référendaire. Elle a cherché de bonne foi à trouver un compromis acceptable pour son pays, pour découvrir que ce compromis était impossible, tout simplement parce que ni les pro- ni les anti-brexit n’étaient prêts à accepter une solution intermédiaire, et qu’un vrai Brexit était inacceptable pour l’UE. Je pense qu’elle arrive lentement à la conviction que le « no deal » est la seule voie possible sans trahir le vote de 2016, trahison dont elle connaît le prix.
> Il ne faut pas forcément sous-estimer la déception de
> Macron (et de ses partisans), qui a sincèrement cru
> pouvoir pousser ses grands projets européens bras dessus
> bras dessous avec Merkel, et qui doit maintenant encaisser
> un échec cuisant et probablement définitif.
Dès 2017, j’avais “prophétisé” que Macron, poussé par son ambition, et son idée de lui même, et face à l’échec inévitable de ses ambitions européennes, allait virer casaque, et je le voyais même, au bout de quelques années, être celui qui sortirait la France de l’euro.
Descartes n’y croyait pas, considérant que les intérêts de classe de ceux qui avaient porté Macron au pouvoir étaient -en gros- qu’on poursuive la même politique, et peu importe à la rigueur que la refonte du projet européen fonctionne ou pas.
J’avais écrit, je ne sais plus trop comment : on verra bien dans les années qui viennent qui avait la bonne interprétation.
Après 1 an et demi, ou j’avoue que la réalité a largement dépassé mes espérances en termes d’échecs de Macron :
– Gilets Jaunes,
– Déclarations explicite de l’UE pour dire qu’il n’y aura pas d’armée européenne qui ne soit autre chose que des briques nationales sous commandement de l’OTAN,
– Niet aussi sur les travailleurs détachés,
– Niet clair de l’Allemagne sur toutes les propositions de Macron, et pas la plus petite concession symbolique, alors que je pensais qu’ils en feraient quelques unes pour faire bonne figure,
– Situation économique pas très jojo.
Bref, avec tout cela, je me demande comment il peut trouver la volonté d’aller faire des trucs comme :
– torpiller tous les processus politiques mis en place ou envisagés suite à l’action de tiers (grand débat, référendums…) qui lui permettraient de reprendre la main tout en affichant des lignes rouges à l’UE,
– persister à vouloir privatiser ADP ou la Française des Jeux, bien que les français y soient opposés,
– et en plus, pour pouvoir faire cela, dévoyer ou s’asseoir sur les principes démocratiques.
Alors qu’il serait tellement plus simple, et adapté aux circonstances actuelles, de dire : “Je vous ai compris”, et de changer de politique.
La seule chose qui puisse expliquer cela est effectivement qu’il défend un intérêt de classe, et non pas une quelconque vision européenne, libérale, ou que sais-je…
@ Vincent
[La seule chose qui puisse expliquer cela est effectivement qu’il défend un intérêt de classe, et non pas une quelconque vision européenne, libérale, ou que sais-je…]
Quod erat demonstrandum… ou CQFD comme disaient les gaulois. Oui, c’était un peu ma réponse à vos « prédictions ». Si c’était une question de personnes, on pourrait imaginer en effet Macron changeant de politique. Mais Macron n’est pas seul, il répond à un groupe qui l’a amené au pouvoir, et qui lui impose ses intérêts.
Ce qu’on peut constater aujourd’hui, c’est le mélange de naïveté et d’inexpérience de Macron, un mélange détonnant chez une personnalité appelée à exercer la première magistrature du pays. Le gouvernement nécessite, qu’on le veuille ou non, une bonne dose de cynisme, parce que c’est la seule façon d’anticiper les réactions des cyniques qu’on a en face de soi. Il faut une très grande naïveté pour s’imaginer qu’il suffit de sonner les trompettes europhiles pour que tombent sans effort les murailles des intérêts de chacun.
Bonjour @Vincent (et merci d’être un de ceux qui animent ces commentaires),
> Dès 2017, j’avais “prophétisé” que Macron, poussé par son ambition, et son idée de lui même, et face à l’échec inévitable de ses ambitions européennes, allait virer casaque, et je le voyais même, au bout de quelques années, être celui qui sortirait la France de l’euro.
Pour jouer un peu au jeu des prédictions, je ne vois pas, pour ma part, Macron sortir la France de l’euro (sa base électorale, les 20% qui votent pour lui contre vents et marées, n’en voulant pas). Je le verrais plutôt adopter, vis-à-vis de l’UE, une attitude du genre de celle de Salvini : un affichage opportuniste, mi-figue mi-raisin selon les circonstances, avec la menace permanente de n’en faire qu’à sa tête pour obtenir des compromis et des assouplissements.
La question, alors, est ce que devient l’UE si, après le départ du RU, les trois plus grandes puissances restantes ont toutes un comportement de passager clandestin.
@Descartes
Alain Badiou vient de publier un texte, assez critique, sur le mouvement des gilets jaunes. Il vous rejoint sur certains points, notamment le fait que l’absence de discours positif et d’organisation chez les GJ condamne ce mouvement à l’impuissance concrète. Il mêle ce constat à certaines de ses lubies, comme de vouloir voir le drapeau tricolore remplacé par le drapeau rouge, ou que le « prolétariat nomade de nos banlieues » rejoigne le mouvement, ou encore la constitution d’une sorte d’avant-garde à partir de « cette minorité d’activistes du mouvement des gilets jaunes » qui aurait décidé de renverser le capitalisme. Enfin, sa caractérisation sociologique du mouvement me semble en partie criticable, notamment lorsqu’il parle de « classe moyenne urbaine » (alors que le mouvement GJ commence vraiment dans les périphéries).
https://www.lautrequotidien.fr/articles/2019/3/13/alain-badiou-leons-du-mouvement-des-gilets-jaunes-
@ Antoine
[Alain Badiou vient de publier un texte, assez critique, sur le mouvement des gilets jaunes.]
Franchement, je ne comprends pas qu’on continue à citer Badiou. Pour moi, il a perdu toute autorité intellectuelle lorsqu’il a publié son fameux article « Kampuchéa vaincra » en 1979. Pour rappeler le décor de l’époque : le Vietnam, allié de l’URSS, venait par une intervention militaire de mettre fin à l’expérience sanglante des Khmers Rouges soutenus par la Chine. Ce fut l’occasion pour nos chers intellectuels médiatiques – dont l’antisoviétisme était le trait marquant – de défendre becs et ongles le régime de Pol Pot, faisant par exemple campagne pour que les Khmers Rouges chassés du pouvoir continuent à occuper le siège du Cambodge à l’ONU.
A cette occasion, Badiou a pondu un article publié dans « Le Monde » du 17 janvier 1979 (https://www.gildasbernier.fr/wp-content/uploads/2011/08/Alain-Badiou-et-le-Cambodge.pdf). Je vous laisse le lire et tirer vos propres conclusions. Il a fallu trente ans à Badiou pour renier, du bout des lèvres, ce texte…
[Il vous rejoint sur certains points, notamment le fait que l’absence de discours positif et d’organisation chez les GJ condamne ce mouvement à l’impuissance concrète.]
Oui, mais pour de très mauvaises raisons. Franchement, en lisant ce texte me sont venus les mots de Talleyrand : « il n’a rien oublié, et rien appris ». Comment peut-on écrire aujourd’hui, en plein XXIème siècle parler du néo-libéralisme comme d’une « contre révolution » qui « venait en réaction aux dix « années rouges » — grosso modo de 1965 à 1975 –, dont l’épicentre français fut Mai 68 et l’épicentre mondial la Révolution Culturelle en Chine » ? Badiou n’a toujours pas compris que ce fut précisément Mai 1968 qui marque le début de la « révolution libérale » ? Il n’est toujours pas guéri de sa fascination pour la « Grande Revolution Culturelle Prolétarienne », pour lui donner son nom complet ?
Et le reste est à l’avenant. On croirait lire un – mauvais – texte gauchiste des années 1970. Il n’y a rien dans cette analyse dans laquelle je puisse me reconnaître hors la constatation, assez triviale, qu’un mouvement qui n’a pas de projet ni d’organisation pour le porter a peu de chances de changer les choses. Mais Badiou reste un gauchiste des années 1970-80 : il n’a toujours pas compris le renversement des alliances qui a conduit les « classes intermédiaires » à rejoindre la bourgeoisie pour constituer le bloc dominant, non pas par « servilité » comme il l’écrit, mais par intérêt bien compris. Et il ne veut pas comprendre les conséquences de ce renversement, à savoir, le contrôle du champ idéologique par le « bloc dominant ».
[Pour les Allemands, la loi doit être obéie parce que c’est la loi, même lorsque cette obéissance est inutile. Je me souviens d’avoir traversé la rue à Munich : il était minuit passée, il n’y avait pas une seule voiture, mais tant que le bonhomme du feu rouge ne passait pas au vert, les gens ne traversaient pas.]
Ami et camarade, je pense que c’est un mauvais exemple.
Je ne passe jamais au rouge, même comme piéton, même si aucune voiture n’est à l’horizon. Et j’ai inculqué ce principe à mes enfants, et aujourd’hui à mes petits-enfants. La sécurité routière gagne à installer des réflexes : combien de gens sont morts parce qu’ils sont passés au rouge en n’ayant eu conscience d’aucun danger imminent ? Combien sont morts en franchissant un passage à niveau ferroviaire au signal rouge ? Pourtant, un train c’est gros et ça fait du bruit !
Le code de la route doit être obéi absolument ! Si on prend des libertés, jusqu’où se les permettra-t-on ?
Les Allemands ont raison… Là-dessus.
@ Gugus69
[Ami et camarade, je pense que c’est un mauvais exemple. Je ne passe jamais au rouge, même comme piéton, même si aucune voiture n’est à l’horizon.]
En d’autres termes, à minuit dans une rue de village alors qu’il n’y a pas âme qui vive en vue, vous attendez sagement que le feu rouge passe à au vert pour traverser ? Vraiment ? Et bien, il faudrait vous empailler et vous mettre dans un musée : vous êtes un exemplaire unique !
[Le code de la route doit être obéi absolument ! Si on prend des libertés, jusqu’où se les permettra-t-on ?]
En d’autres termes, si vous avez le choix entre mordre la ligne blanche pour laisser passer un camion de pompiers toutes sirènes hurlantes ou respecter strictement le code et gêner sa progression, vous choisissez la deuxième option ?
Personnellement, je suis convaincu qu’il n’existe aucune loi à laquelle il faille « obéir absolument ». Et je mesure la santé démocratique d’une société à la capacité des citoyens à « prendre des libertés » à bon escient lorsque dans un cas d’espèce l’application « absolue » de la loi conduit à une absurdité.
> En d’autres termes, si vous avez le choix entre mordre la ligne
> blanche pour laisser passer un camion de pompiers toutes
> sirènes hurlantes ou respecter strictement le code et gêner
> sa progression, vous choisissez la deuxième option ?
Je suis obligé de vous contredire : si, effectivement, les piétons allemands, dans leur grande majorité, attendent le feu vert face à des rues désertes, ils sont aussi capables de passer légèrement un feu rouge, ou des choses comme ça quand il y a les pompiers ou une ambulance derrière.
Après, il parait que les mentalités des citoyens ont beaucoup changé depuis 20 ans, c’est peut être pour ça.
J’ai eu une explication pour les traversées au feu rouge : c’est pour montrer l’exemple, notamment aux enfants, pour que ceux ci ne soient pas perturbés quand ils voient un adulte traverser au rouge. Cet argument me semble recevable, quand je me remémore ce que disait mon fils toutes les 3 minutes à Paris quand il avait 2 ans, en telles circonstances : “la dame / le monsieur est passé ! Pas droit ! Pas bien ! Au coin !”
@ Vincent
[Je suis obligé de vous contredire : ]
Le secret du bonheur, c’est de faire en sorte de placer son devoir et son plaisir dans la même activité… 😉
[si, effectivement, les piétons allemands, dans leur grande majorité, attendent le feu vert face à des rues désertes, ils sont aussi capables de passer légèrement un feu rouge, ou des choses comme ça quand il y a les pompiers ou une ambulance derrière.]
Ce qui tendrait à prouver que même chez eux la sacralisation de la loi a des limites, même si ces limites sont bien plus strictes que les nôtres. Au demeurant, j’ai vu de mes yeux à Munich une voiture refuser le passage à une ambulance pour ne pas brûler un feu rouge.
[J’ai eu une explication pour les traversées au feu rouge : c’est pour montrer l’exemple, notamment aux enfants, pour que ceux ci ne soient pas perturbés quand ils voient un adulte traverser au rouge.]
Les enfants qui voient les adultes traverser à minuit passée dans la rue d’une banlieue de Munich sont fort peu nombreux, et les rares à qui cela arrive ne sont généralement pas à cela près en matière de mauvais exemples. L’argument serait recevable en plein jour, pas à minuit passée…
Pour compléter mon message d’hier, je signale que je viens de réaliser que : “unité, droit, et liberté” constitue le nom de l’hymne national et la devise du pays (notre “liberté, égalité, fraternité”)
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Deutschlandlied
@ Vincent
[Pour compléter mon message d’hier, je signale que je viens de réaliser que : “unité, droit, et liberté” constitue le nom de l’hymne national et la devise du pays (notre “liberté, égalité, fraternité”)]
Je n’y avait pas fait le lien, mais cela renforce mon interprétation sur la “sacralité” du droit dans la culture allemande.
@ Vincent et Descartes
[Pour compléter mon message d’hier, je signale que je viens de réaliser que : “unité, droit, et liberté” constitue le nom de l’hymne national et la devise du pays (notre “liberté, égalité, fraternité”)]
On retrouve cette devise “Einigkeit und Recht und Freiheit” de ce côté du Rhin. Si vous avez une pièce de deux euros allemande sous la main, regardez sur la tranche. C’est un assez bon symbole de ce que dit Descartes, l’Allemagne exportant sa vision via l’UE…
Bonjour,
Et donc, vous proposez de passer par la convention de Vienne (avec quels délais, quel résultat probable?), ou de ne pas s’embarrasser avec le droit, du tout, y compris la constitution je crois (est ce vendeur, profitable, sans conséquence sur les négociations des futurs traités commerciaux qui suivraient immédiatement une sortie, ni même un exemple à suivre pour les puissances?)? ou qqchose d’autre?
J’avais eu le loisir étudier ce cas il y a plus de dix ans, et votre position m’interpelle.
@ Allys
[Et donc, vous proposez de passer par la convention de Vienne (avec quels délais, quel résultat probable?), ou de ne pas s’embarrasser avec le droit, du tout, y compris la constitution je crois (est ce vendeur, profitable, sans conséquence sur les négociations des futurs traités commerciaux qui suivraient immédiatement une sortie, ni même un exemple à suivre pour les puissances?)? ou qqchose d’autre?]
Je propose quelque chose d’autre. Pour moi, c’est une erreur d’aller chercher des justifications juridiques à un acte qui est par essence politique. La seule justification valable d’un acte politique est sa nécessité, nécessité qui échappe à toute considération juridique. Prétendre trouver une justification en droit, c’est se lier les mains. Inutilement, d’ailleurs, parce que personne n’est dupe. Pour moi, il ne faut même pas entrer dans la discussion de savoir si nous avons ou non le droit de partir selon telle ou telle modalité. Dès lors qu’il est établi que c’est dans l’intérêt de la France de partir, cela suffit.
J’aurais plus de scrupules à prendre des libertés avec la Constitution, puisque c’est là la pierre fondamentale de la République. Mais heureusement, le problème ne se pose pas.
Certes, nécessité fait loi. Ce principe transparaît d’ailleurs en droit international, à ma connaissance au moins pour les cas de non respect des traités ou de répudiation de dette. Le problème étant la reconnaissance partagée, ou non, de cette nécessité.
Seulement vous passez de “nécessité” à “intérêt”. L’intérêt vital est une nécessité, comme l’exprime la phrase qui clôt votre article, mais pas le simple intérêt. Par ailleurs je ne vois nulle justification juridique dans l’invocation du droit, mais plutôt une modalité, comme vous l’écrivez ensuite.
Je ne suis pas familier avec ce type de procédure, mais donc selon vous il n’y a aucune contradiction avec le titre 5 (continuité, traités)? Car à mon sens cela fragilise à l’extrême l’exécution d’une sortie, en politique intérieure comme en politique extérieure.
Respecter la règle, oui, tant que possible, l’existence de règles internationales étant plus bénéfique que leur absence : si le politique est bien l’art des fins, les moyens sont un donné. Pour autant : “Lorsque l’observance stricte d’une règle conduit à la catastrophe, au diable la règle.”.
P.S. : Pardonnez moi d’intervenir pour la première fois sur un point somme toute secondaire, alors que cela fait bien 10 ans que je vous lis : les désaccords sont courants, mais j’ai toujours apprécié la qualité de vos billets, souvent dignes d’un éditorial de grand journal. Par exemple ici j’aurais plutôt tendance à penser que la sacralité du droit n’est que le masque mondain de ce à quoi vous l’opposez.
@ Allys
[Certes, nécessité fait loi. Ce principe transparaît d’ailleurs en droit international, à ma connaissance au moins pour les cas de non-respect des traités ou de répudiation de dette. Le problème étant la reconnaissance partagée, ou non, de cette nécessité.]
Même pas. Pensez à des pays qui ont fait « défaut » unilatéralement sur leur dette, comme l’Argentine, et qui quelques années plus tard reviennent sans difficulté sur les marchés internationaux de capitaux. Ou bien les Américains, qui sont allés à la guerre en Irak en violation de tous les principes posés par la charte de l’ONU, sans qu’à m’a connaissance personne n’ait songé à les mettre au ban des nations. La politique internationale est essentiellement une question pragmatique : si on peut faire de bonnes affaires chez vous, les investisseurs viendront quelque soient les libertés que vous aurez pris avec le droit. Si vous avez la force, alors vos turpitudes seront discrètement mises de côté.
[Seulement vous passez de “nécessité” à “intérêt”. L’intérêt vital est une nécessité, comme l’exprime la phrase qui clôt votre article, mais pas le simple intérêt.]
Dans la mesure où l’Etat est seul juge de ce qui est « vital » pour lui, la distinction n’a pas grand intérêt. Vous noterez qu’il n’existe aucune définition en droit de ce que constitue un « intérêt vital », et pour cause…
[Je ne suis pas familier avec ce type de procédure, mais donc selon vous il n’y a aucune contradiction avec le titre 5 (continuité, traités)? Car à mon sens cela fragilise à l’extrême l’exécution d’une sortie, en politique intérieure comme en politique extérieure.]
Encore une fois, les traités sont fait par les diplomates, pas par les politiques. Ils représentent une volonté – fort louable d’ailleurs – pour créer des règles qui organisent les processus dans le 99% des cas. Mais il reste le 1% qui ne peut être réglé par cette voie, parce qu’il touche aux intérêts fondamentaux de la nation. Et ce 1% se règle non pas en fonction des règles, mais des rapports de force.
Quant à « fragiliser », je ne vois pas comment cette « fragilité » pourrait se traduire. Du fait de la sortie, la France ne serait plus soumise aux cours de justice étrangères, et les cours nationales sont tenues d’appliquer la loi nationale. Je vois mal le Conseil constitutionnel décider qu’un traité dénoncé par le gouvernement français et dont la ratification serait annulée par un vote parlementaire pourrait continuer à s’appliquer. Reconnaître une telle chose ce serait reconnaître le droit d’un gouvernement de lier les mains de son successeur, et cela sans limite.
[P.S. : Pardonnez moi d’intervenir pour la première fois sur un point somme toute secondaire, alors que cela fait bien 10 ans que je vous lis :]
Je n’ai rien à vous « pardonner » : le principe sur ce blog est que chacun intervient sur le sujet qui lui tient à cœur, sans qu’il y ait hiérarchie entre les sujets. Surtout n’hésitez pas à user de cette liberté !
[les désaccords sont courants, mais j’ai toujours apprécié la qualité de vos billets, souvent dignes d’un éditorial de grand journal.]
Je vous remercie de cet encouragement à continuer. Malheureusement, aucun grand journal n’a pour le moment proposé de me publier !
Ton papier m’interpelle…
Sur le rapport au “droit”, qui resemble en fait tel que tu le decris à un rapport à l’autorité, je trouve que les idées toddiennes ont toutes leur pertinence.
L’obéissance est pour ainsi dire inscrite dans l’education et la famille allemande. Un bon indice est que le libéralisme politique est arrivé très tard en Allemagne, avec les blindés americains en 45, si on excepte la chaotique parenthèse de la République de Weimar. Quand on compare avec le reste de l’Europe occidentale et les Etats-Unis, c’est vertigineux.
c’est sur qu’à l’opposé, la France a une vieille tradition d’anarchie et de révolution. Le pouvoir de la rue est puissant (on en a encore quelques exemples, meme aujourd’hui) et on ne peut pas dire que le respect du droit est ce qui nous caractérise le plus!
Sur les coups d’Etat militaires que tu mentionnes, l’Allemagne en a certes connu dans l’entre 2 guerres, mais ils ont échoué plus ou moins lamentablement (Munich en 1923 entre autres).
La violence et les organisations paramilitaires de la societe allemande dont tu parles, c’est une exception d’une quinzaine d’année : le modèle serait plutot l’Etat prussien autoritaire et une société strictement hierarchisée.
D’un point de vue comptable le putch militaire c’est une specialité hispanique : on doit friser la 30aine en Espagne, à ajouter à ceux d’Amerique latine…
Todd rattache ça à la famille nucleaire egalitaire et à ses tendances anarchisantes qu’il faut bien contrebalancer et là aussi je le trouve convaincant.
La France n’est d’ailleurs pas epargnée : admettons que 1799 ne soit pas un vrai putch, mais Napoleon III doit son trone à un coup d’etat militaire en 1851, et meme si on ne refait pas l’Histoire et quoi que tu en dises, sans le prestige de De Gaulle, le putch d’Alger aurait pu mal finir.
En tout cas, si on peut ergoter sur l’origine et les manifestations des differences de rapport au droit en Europe, elles sont bien là, et j’ai quand meme l’impression que plus le pouvoir juridique, coercitif et tatillon de l’UE augmente et se “germanise”, plus les desillusions françaises se renforcent, y compris dans ses bastions europhiles (j’en ai un bon exemple aujourd’hui par le travail, dans une administration prefectorale).
Le temps travaillerait pour nous, et chaque abandon de souveraineté nous rapprocherait du point de rupture!
@ democ-soc
[L’obéissance est pour ainsi dire inscrite dans l’education et la famille allemande. Un bon indice est que le libéralisme politique est arrivé très tard en Allemagne, avec les blindés américains en 45, si on excepte la chaotique parenthèse de la République de Weimar.]
En fait, il n’est jamais arrivé. Même après la guerre, l’Allemagne fédérale a maintenu des proscriptions politiques qui auraient été impensables en France ou en Grande Bretagne, notamment avec les « berufsverbote », les interdictions pour les membres du parti communiste d’occuper des emplois publics.
[Sur les coups d’Etat militaires que tu mentionnes, l’Allemagne en a certes connu dans l’entre 2 guerres, mais ils ont échoué plus ou moins lamentablement (Munich en 1923 entre autres). La violence et les organisations paramilitaires de la societe allemande dont tu parles, c’est une exception d’une quinzaine d’année : le modèle serait plutot l’Etat prussien autoritaire et une société strictement hierarchisée.]
Il ne faut pas oublier que l’histoire de l’Allemagne est très courte, et celle de l’Allemagne démocratique plus courte encore. Avant 1918, un coup d’Etat militaire n’avait pas de sens, puisque les militaires contrôlaient en grande partie l’Etat. Après 1945, l’Allemagne est un pays occupé, dont l’armée a été décapitée. Pour ce qui concerne la violence politique, elle ne se limite pas à la période de la République de Weimar. Pensez par exemple à la RAF, où à la violence anticommuniste des groupes d’extrême droite dans les années 1980. Et même après : si Wolfgang Schauble se déplace en fauteuil roulant, c’est la conséquence d’un attentat en 1990. Oskar Lafontaine a été lui aussi victime d’une attaque au couteau qui a failli lui couter la vie.
[La France n’est d’ailleurs pas epargnée : admettons que 1799 ne soit pas un vrai putch, mais Napoleon III doit son trone à un coup d’etat militaire en 1851,]
A un coup d’Etat, oui. A un coup d’Etat MILITAIRE, non. Ce n’est pas par hasard si en France on appelle l’armée « la grande muette ». Depuis la Révolution française, la caste militaire – assimilée à une aristocratie – a été chassée de la scène politique. L’affaire Dreyfus a fini de détruire sa réputation. Elle n’a jamais été un facteur de pouvoir, comme c’est le cas en Espagne ou en Allemagne.
[et meme si on ne refait pas l’Histoire et quoi que tu en dises, sans le prestige de De Gaulle, le putch d’Alger aurait pu mal finir.]
Je ne le crois pas. Les généraux d’Alger n’avaient pas de projet politique. Vous imaginez Massu ou Salan président de la République ?
[En tout cas, si on peut ergoter sur l’origine et les manifestations des differences de rapport au droit en Europe, elles sont bien là, et j’ai quand meme l’impression que plus le pouvoir juridique, coercitif et tatillon de l’UE augmente et se “germanise”, plus les desillusions françaises se renforcent, y compris dans ses bastions europhiles (j’en ai un bon exemple aujourd’hui par le travail, dans une administration prefectorale).]
Bien entendu. Il y a les europhiles d’intérêt, mais il y avait aussi beaucoup d’europhiles de conviction, dont l’europhilie était intimement liée à leur conviction de pouvoir construire une « Europe française ». Pour eux, se rendre compte que la seule Europe possible est l’Europe allemande est probablement un choc.
[A un coup d’Etat, oui. A un coup d’Etat MILITAIRE, non. ]
Qu’appelles tu un coup d’etat militaire alors?
Le 2 decembre 1851, c’et l’armée qui a dispersé l’assemblée, arreté les députés opposés au bonapartisme, puis écrasé les jours suivants les resistances des republicains à Paris et dans le midi. Ok, elle était sous le controle indirect du futur Napoleon III qui n’était pas lui meme militaire, mais ca change quoi?
Si Pinochet avait agit pour le compte d’un politicien civil en 73, ca n’aurait pas été un coup d’etat militaire pour toi?
Quand a la grande muette, à la fin du XIXe siecle on ne semble pas encore en etre là, loin s’en faut : le pouvoir de la IIIe republique se mefie (affaire des fiches).
@ democ-soc
[« A un coup d’Etat, oui. A un coup d’Etat MILITAIRE, non. » Qu’appelles tu un coup d’état militaire alors?]
Une situation ou l’armée comme corps constitué rompt l’ordre légal et s’approprie tous les ressorts du pouvoir. Franco, c’était un coup d’Etat militaire. Pinochet ou Videla, c’était des coups militaires. Mais lorsque l’armée est un acteur parmi d’autres, et que le pouvoir reste par nature civil, on ne peut pas dire que ce soit un « coup militaire ».
[Le 2 decembre 1851, c’et l’armée qui a dispersé l’assemblée, arreté les députés opposés au bonapartisme, puis écrasé les jours suivants les resistances des republicains à Paris et dans le midi.]
Oui. Mais le lendemain du coup, le gouvernement est exclusivement civil, à l’exception du ministre de la guerre qui est, comme est de tradition à l’époque, un militaire.
[Si Pinochet avait agi pour le compte d’un politicien civil en 73, ca n’aurait pas été un coup d’etat militaire pour toi?]
Si Pinochet avait agi pour le compte d’un politicien civil, et qu’après le coup de 1973 l’armée s’était retirée dans les casernes et laissé le pouvoir à un gouvernement civil, oui, j’aurais considéré qu’il ne s’agissait pas d’un coup d’Etat militaire.
[Quand a la grande muette, à la fin du XIXe siecle on ne semble pas encore en etre là, loin s’en faut : le pouvoir de la IIIe republique se mefie (affaire des fiches).]
Mais cette méfiance était-elle justifiée ? Certains historiens considèrent que l’armée française n’est plus une puissance politique après l’affaire Dreyfus.
[En d’autres termes, à minuit dans une rue de village alors qu’il n’y a pas âme qui vive en vue, vous attendez sagement que le feu rouge passe à au vert pour traverser ? Vraiment ? Et bien, il faudrait vous empailler et vous mettre dans un musée : vous êtes un exemplaire unique !]
Non, je ne suis pas unique. Vous oubliez quelques millions… d’Allemands ?
[En d’autres termes, si vous avez le choix entre mordre la ligne blanche pour laisser passer un camion de pompiers toutes sirènes hurlantes ou respecter strictement le code et gêner sa progression, vous choisissez la deuxième option ?]
Laisser passer un camion de pompiers est un impératif d’urgence. Les radars de feu rouge sont ainsi contrôlés par un OPJ de telle sorte que quiconque le franchit au rouge pour laisser passer un véhicule prioritaire… n’est pas sanctionné.
Vous étiez si pressé que ça, à Munich ? Vous ne pouviez pas attendre 30 secondes que le feu passe au vert ? Prenez le temps de vivre, mon cher camarade !
[Et je mesure la santé démocratique d’une société à la capacité des citoyens à « prendre des libertés » à bon escient lorsque dans un cas d’espèce l’application « absolue » de la loi conduit à une absurdité.]
Donc attendre 30 secondes que le feu passe au vert est une absurdité qui est un symptôme de la mauvaise santé démocratique de notre société ? Je suppose que s’arrêter complètement au stop aussi ? Il suffit de passer à 10 kilomètres à l’heure ? à 20 ?
Je m’amuse à vous imaginer en train d’expliquer à un motard de la gendarmerie que “c’était la nuit, dans un village, que personne n’arrivait ni à droite ni à gauche, que (vous) connaissez bien le carrefour” et qu’en vous verbalisant, il se fait le complice d’une détérioration de “la bonne santé démocratique de notre société”…
@ Gugus69
[« En d’autres termes, si vous avez le choix entre mordre la ligne blanche pour laisser passer un camion de pompiers toutes sirènes hurlantes ou respecter strictement le code et gêner sa progression, vous choisissez la deuxième option ? » Laisser passer un camion de pompiers est un impératif d’urgence.]
Et qui vous permet de mordre sur une ligne blanche pour laisser passer un véhicule d’urgence ? Pas le Code de la route, en tout cas : l’article R. 412-19 du Code de la route précise que « Lorsque des lignes longitudinales continues axiales ou séparatives de voies de circulation sont apposées sur la chaussée, elles interdisent aux conducteurs leur franchissement ou leur chevauchement ». Il ne prévoit aucune exception pour laisser passer les véhicules de secours.
Il faut vous rendre à l’évidence : si vous « respectez strictement le code de la route », vous ne devez pas mordre sur une ligne blanche, même pour faciliter le passage d’un véhicule de secours.
[Les radars de feu rouge sont ainsi contrôlés par un OPJ de telle sorte que quiconque le franchit au rouge pour laisser passer un véhicule prioritaire… n’est pas sanctionné.]
Peut-être, mais là encore aucune disposition du Code ne vous donne le droit de passer au rouge dans de telles circonstances. L’OPJ fait preuve d’une « tolérance » qui n’est pas prévue par les textes. Si vous « appliquez strictement le Code de la route », votre devoir est de ne pas passer au rouge, quitte à bloquer les secours.
[Vous étiez si pressé que ça, à Munich ? Vous ne pouviez pas attendre 30 secondes que le feu passe au vert ? Prenez le temps de vivre, mon cher camarade !]
Non, j’avais mieux à faire de mes trente secondes que de faire le pied de grue en me pelant les miches.
[Donc attendre 30 secondes que le feu passe au vert est une absurdité qui est un symptôme de la mauvaise santé démocratique de notre société ? Je suppose que s’arrêter complètement au stop aussi ? Il suffit de passer à 10 kilomètres à l’heure ? à 20 ?]
Cela dépend du stop, de l’heure, des circonstances…
[Cela dépend du stop, de l’heure, des circonstances…]
Alors cette fois, très cher ami, essayez de tomber sur un gendarme plus attentif à la bonne santé démocratique de notre société. Sinon vous allez perdre des points.
Hem… Tout ceci est oiseux. Pour rire un peu, je rappelle que l’abrogation de la loi interdisant aux femmes le port du pantalon, à moins d’être à cheval ou à vélo, date de…février 2013. Moyennant quoi, à l’instar de mes pareilles, j’ai passé ma vie à violer la loi.
@Descartes
Je sais il est tard. Mais un petit séjour à l’hôpital, où l’on est réveillé pour tout et rien dès potron-minet jusqu’à minuit, ben…
@ Gugus69
[Je sais il est tard. Mais un petit séjour à l’hôpital, où l’on est réveillé pour tout et rien dès potron-minet jusqu’à minuit, ben…]
J’espère que ce n’est pas grave…
Bonjour Descartes,
Je viens de faire un peu d’immersion auprès de militants UPR, et ce fut instructif. Bon, j’ai pris quelques coups, mais globalement les questions et débats sont mieux reçus que chez les insoumis par exemple.
Il semblerait que vous ayez fait erreur sur leur volonté d’utilisation de l’article 50 (j’ai fais la même). A notre décharge, il règne un peu de confusion chez certains militants à ce sujet (ce qui ne manque pas de rappeler un certain plan A et plan B…).
Mais voilà, la conférence sur le sujet est assez explicite et le numéro 2 de l’UPR m’a bien reclarifié leurs intentions. L’article 50 a uniquement un rôle de notification auprès des partenaires européens. L’objectif est bien dans un délai le plus court possible (quelques semaines) de sortir de l’euro et de remettre en place le contrôle des capitaux. Et si on arrive à un accord express tant mieux, sinon tant pis. C’est à dire que la position de l’UPR est bien un “hard frexit”. L’article 50 est cosmétique, et finalement une sorte de communication qui se veut rassurante: “regardez, c’était prévu, on ne fait rien d’anormal”.
Reste les autres objections concernant le mouvement, auxquelles je n’ai pas de réponse pour le moment.
Marencau
@ Marencau
[Mais voilà, la conférence sur le sujet est assez explicite et le numéro 2 de l’UPR m’a bien reclarifié leurs intentions. L’article 50 a uniquement un rôle de notification auprès des partenaires européens. L’objectif est bien dans un délai le plus court possible (quelques semaines) de sortir de l’euro et de remettre en place le contrôle des capitaux.]
Là, j’avoue que je ne comprends pas. L’article 50 du TUE fixe un délai de deux ans, qui ne peut être raccourci que si l’UE et le pays qui entend la quitter tombent d’accord avant son expiration. Vous croyez vraiment qu’un tel accord sera atteint en « quelques semaines », alors que l’intérêt de l’UE est de le prolonger jusqu’à la limite ?
Il faut être cohérent : si on « notifie » en utilisant l’article 50, cela sous-entend qu’on a l’intention de respecter cet article. Or pour aboutir à une sortie rapide il n’existe d’autre moyen que de l’ignorer ! J’ai l’impression que le « n°2 » de l’UPR n’a pas lui non plus les idées très claires…
Non non, ils ont bien les idées claires. Aucune ambiguïté là dessus dans différents échanges ou conférences sur le sujet de “juste après le déclenchement de l’article 50”.
En revanche, leur communication à ce sujet est brouillée (pour ne pas faire peur ?) . Le plan c’est bien d’ouvrir la procédure et de dire qu’on a besoin d’un accord rapide. Comme en effet, la probabilité est quasi nulle que cela arrive, hard frexit dans la foulée.
Par conséquent, votre reproche de cohérence tient: on utilise l’article 50 sans le respecter, mais en ayant laissé une “chance” aux partenaires de trouver un accord rapide au préalable.
@ Marencau
[Le plan c’est bien d’ouvrir la procédure et de dire qu’on a besoin d’un accord rapide. Comme en effet, la probabilité est quasi nulle que cela arrive, hard frexit dans la foulée.]
Je ne suis pas convaincu que ce soit le bon choix. Qu’on puisse le faire le moment venu, pourquoi pas. Mais la communication doit être claire sur l’objectif à atteindre. C’est indispensable dans une société de communication rapide comme la notre.
@Marencau
> Mais voilà, la conférence sur le sujet est assez explicite et le numéro 2 de l’UPR m’a bien reclarifié leurs intentions.
C’est un des problèmes de l’UPR. Dès qu’on pose une question sur un sujet donné, il faut aller chercher la réponse dans une conférence ou les déclarations d’un dirigeant… Mais comment être sûr que la conférence ou la déclaration reflète bien la doctrine du parti ? Des conférences d’Asselineau, il y en a des centaines, et des déclarations de dirigeants aussi (surtout FA lui-même). Je suis sûr qu’on trouverait bien des contradictions (et aussi des élucubrations difficilement défendables) si on essayait de les consolider et de les unifier.
Mon impression a toujours été que ce mode de fonctionnement est bien commode pour décourager le débat interne sur les orientations du parti. Comment discuter sérieusement quand les positions du parti ne sont pas claires ?
(au fait, qui est le « numéro 2 » selon vous ? CH. Gallois ? V. Brousseau ? Statutairement, il y a un président, un BN et une ribambelle de « responsables », mais pas de numéro 2 désigné à ma connaissance)
@ Antoine
[Mon impression a toujours été que ce mode de fonctionnement est bien commode pour décourager le débat interne sur les orientations du parti. Comment discuter sérieusement quand les positions du parti ne sont pas claires ?]
Tout à fait. On peut faire le lien avec le modèle « égo-politique », ou tout tourne autour du discours du dirigeant. LREM, LFI ou l’UPR sont des organisations ou les dirigeants parlent – et enregistrent – beaucoup, mais écrivent très peu. La place centrale du texte caractéristique du « vieux monde » est occupée maintenant par l’oralité. Le résultat – et c’est probablement le but recherché – est de faire disparaître la réflexion derrière la simple opinion, puisqu’à l’oral on peut toujours invoquer l’erreur, le lapsus, la mauvaise interprétation.
A propos du refus de la fusion Alstom – Siemens, si j’en crois ce qui en est dit, par exemple, ici:
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/bruxelles-refuse-la-fusion-entre-alstom-et-siemens-806484.html
il n’y aurait pas eu application mécanique du Droit européen en matière de concurrence interne.
Tous les aspects de la question auraient été examinés, et les inconvénients pour l’Union de l’opération jugés l’emporter sur ses avantages. A tort ou à raison, je n’ai pas le moindre début de compétence pour trancher. Ce ne serait donc qu’incidemment que le refus de l’opération va dans le sens du respect de la “concurrence libre et non faussée”.
Je ne vois pas de protestations venant d’ailleurs que de France ou d’Allemagne. D’où j’en déduis que les autres États membres font la même analyse que la commission à la concurrence.
@ xc
[il n’y aurait pas eu application mécanique du Droit européen en matière de concurrence interne.
Tous les aspects de la question auraient été examinés, et les inconvénients pour l’Union de l’opération jugés l’emporter sur ses avantages.]
Il ne s’agit pas, bien entendu, d’une application « mécanique » du droit. Il n’y a de disposition juridique dans le droit européen qui interdise explicitement la fusion Alstom-Siemens. Mais le droit européen établit par exemple la primauté du droit de la concurrence sur toute autre considération (sauf dans certains domaines bien déterminés). La Commission n’a pas à examiner « tous les aspects de la question », à peser les avantages et les inconvénients dans tous les domaines, mais à répondre à une question simple : est-ce que la fusion proposée porte atteinte à la concurrence. La réponse étant positive, la fusion doit être interdite. Quand bien même elle apporterait d’immenses avantages dans tous les autres domaines (social, scientifique, diplomatique…).
C’est ce qu’a fait la Commission, et l’article que vous citez en référence l’explique fort bien : « “La Commission a interdit la concentration parce que les parties n’étaient pas disposées à remédier aux importants problèmes de concurrence que nous avons relevés”, a déclaré la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager ». La question n’est donc pas de savoir si les atteintes à la concurrence sont proportionnées aux avantages qu’on trouve par ailleurs (ce qui serait la démarche naturelle du juge français). La question est de savoir si on peut ou non « remédiera aux importants problèmes de concurrence » que la fusion pose. C’est donc bien une application aveugle, sacralisée, du « droit de la concurrence » européen.
[Ce ne serait donc qu’incidemment que le refus de l’opération va dans le sens du respect de la “concurrence libre et non faussée”.]
Non. Comme je l’ai montré plus haut, c’est là le cœur de la décision, sa motivation principale.
[Je ne vois pas de protestations venant d’ailleurs que de France ou d’Allemagne. D’où j’en déduis que les autres États membres font la même analyse que la commission à la concurrence.]
Ce n’est pas une question d’analyse, mais une question d’intérêt. Quel intérêt auraient les autres pays européens à protester contre cette décision ? Une politique de « champions européen » implique d’acheter chez Alstom-Siemens ce qu’on peut avoir pour moins cher chez les Chinois ou les Canadiens. C’est là le prix de la puissance. Or, la plupart des états européens – pour ne pas dire tous – n’ont aucune envie de payer ce prix. En ce sens, on peut effectivement dire qu’ils partagent tout à fait l’objectif d’une « concurrence libre et non faussée ». Les choses se gâtent quand on doit mettre en rapport le gain sur les prix avec les pertes d’emplois, de savoir-faire…
(hors sujet)
pensez-vous que nous agissons à propos vis à vis de l’Arabie Saoudite ?
Il me semble que nous n’avons fait aucune déclaration ni mené aucune action concernant les actions de l’Arabie Saoudite au Yemen, pas plus que lors de l”assassinat de Kashoggi.
Certes je comprend qu’économiquement ce soit délicat, ainsi que délicat électoralement vis à vis d’une partie sans doute significative des français musulmans.
Est-ce donc la sagesse de ne rien dire, de ne rien faire ?
@ marc.malesherbes
[pensez-vous que nous agissons à propos vis à vis de l’Arabie Saoudite ?]
Non, je pense que nous n’agissons pas. Et je ne vois pas très bien quel serait notre intérêt à le faire.
[Est-ce donc la sagesse de ne rien dire, de ne rien faire ?]
La politique internationale est une affaire d’intérêts. Quel intérêt aurions nous à intervenir ?
Et bien, on ne perd certainement pas son temps à parcourir l’article et, comme souvent ici, les débats du forum. Je soutiens pour l’essentiel les hypothèses et analyses de Descartes.
Je n’ai pour ma part que trois remarques, d’importances inégales.
La première, au sujet du débat, qui a certes déjà fait couler beaucoup d’encre numérique (l’environnement est presque sauf), portant sur l’UPR et l’article 50. Je ne vois jamais un argument qui pour moi est central dans cette affaire. D’où sort cet article que veut officiellement respecter l’UPR, cette nouveauté juridique, effectivement un piège caractérisé (vous voulez sortir ? Mais bien sûr. Par chance nous avons prévu une procédure tout spécialement pour vous. Si vous voulez bien vous donnez la peine…) ?
Il sort bien sûr du traité de Lisbonne. Du traité de Lisbonne ? Quelle est la nature et la valeur juridique du traité de Lisbonne, la reprise du TCE refusée nettement et spectaculairement par les Français lors du référendum de 2005 ? D’être issu d’un double coup d’Etat parlementaire, véritable aveu officiel que la démocratie était désormais ouvertement reniée par la classe politique (et le Conseil constitutionnel) en son entier. Double ? D’abord il prend frontalement le contre-pieds d’une décision référendaire, plus haute forme politique de décision publique après la Constitution, sans même se soucier de respecter le parallélisme des formes (ce qui a été décidé par référendum doit être modifié ou annulé par référendum). Il n’était de toute façon pas envisageable de renouveler une question référendaire sur la même question alors que la situation n’avait pas changée sur le fond. Mais encore moins de le faire par la voie parlementaire, hiérarchiquement très inférieure au référendum, où la nation souveraine s’exprime directement. Tous les parlementaires qui ont accepté cette mascarade illégitime, y compris pour voter non, se sont à tout jamais déshonoré. Ils ont prouvé par leur acte qu’ils croyaient pouvoir contredire, eux simples parlementaires, une décision formelle de la nation. Leur position est pourtant subordonnée, constituée à proprement parler. Ils ne peuvent pas voler en tirant sur leurs bottes. Ils tirent leur habilitation à décider publiquement de dispositions constitutionnelles. Cette constitution elle-même est valide juridiquement, parce que la nation souveraine, réputée seul souverain constituant, l’a approuvée, par référendum. Le fondement de leur légitimité, de leur habilitation à pouvoir décider quoi que ce soit, provient donc de la reconnaissance de la supériorité de la nation fondant tout l’échafaudage logique et symbolique de nos sociétés politiques. S’ils prouvent par leurs actes qu’ils se considèrent pourtant supérieurs à la volonté nationale régulièrement exprimée, alors ils doivent nous expliquer de quelle logique, et de quel droit ils prétendent procéder (bon courage). Ils n’en ont évidemment rien fait, faisant comme si les formes républicaines étaient dûment respectées, ce qui est pourtant intenable. C’est donc un coup d’Etat parlementaire encore plus caractérisé que le 10 juillet 1940. Ensuite (et c’est ce qui fonde la qualification de double coup d’Etat, Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit constitutionnel, a eu le courage de le dénoncer à l’époque), ils ont par leur décision déjà formellement illégitime, impactée gravement la souveraineté nationale. Or, ils ne disposent de la souveraineté nationale, mais la représentent. Ils ne peuvent déconstruire la forme républicaine du régime qui leur confère leur propre pouvoir, constitué, juridiquement limité. Ils ont donc outrepassé leur pouvoir sur le sujet étatique le plus essentiel, la souveraineté. Certes, ce faisant, il ne faisait qu’achever un processus illégitime déjà plusieurs fois perpétré, avec la complicité du Conseil constitutionnel, qui pour sa part n’outrepasse pas sa fonction mais s’assoit tout simplement dessus, systématiquement depuis 1992, par lâcheté et compromission. Mais cela n’enlève rien à la gravité de son acte. Si le Conseil constitutionnel ne protège pas la constitution, la souveraineté nationale, le régime républicain, des initiatives illégitimes du gouvernement et du parlement, alors à quoi sert-il ? A rien. Bref, un double coup d’Etat. C’est de cette forfaiture qu’est issu le traité de Lisbonne, avec son fielleux et hypocrite article 50. C’est de ce processus en tous points inacceptable que se réclame l’UPR pour justifier de la légalité (!) de sa procédure de sortie de ce traité, en avalisant et légitimant donc le vote et la ratification du coup d’Etat parlementaire qui a doublement piétiné la souveraineté de la nation…
Toujours dans la même logique, il est tout de même stupéfiant, que quelqu’un comme Asselineau, qui ne cesse de se revendiquer comme gaulliste, prétende négocier la restauration de la souveraineté de la France (car nous ne sommes plus dans les années 60, toutes les matières concrètes constituant la souveraineté nationale ont été transférées) avec des pays tiers, ce qui est pourtant la logique de l’article 50 ! Certaines choses ne se négocient pas, mais s’affirment unilatéralement, ou n’existent tout simplement pas. Quelle était la logique gaulliste sur ce sujet-là ? Asselineau le sait fort bien. En 1964, tel que le retranscrit Alain Peyrefitte dans le tome I de C’était De Gaulle : A.P. – ” Le traité de Rome n’a rien prévu pour qu’un de ses membres le quitte ” G.d.G. – ” C’est de la rigolade ! Vous avez déjà vu un grand pays s’engager à rester couillonné, sous prétexte qu’un traité n’a rien prévu pour le cas où il serait couillonné ? Non. Quand on est couillonné, on dit : ” Je suis couillonné. Et bien voilà, je fous le camp !” Ce sont des histoires de juristes et de diplomates tout ça.” Là dessus Peyrefitte propose une astuce rhétorique A.P. – ” Nous pourrions dire que ce n’est pas nous qui abandonnons le Marché commun, c’est lui qui nous abandonne.” Ce à quoi il lui répond alors ” Mais non ! Ce n’est pas la peine de raconter des histoires ! ” La logique gaulliste est on ne peut plus clairement le sens de l’Etat avant le droit… Certes, il affirme cela au sujet de l’absence d’alors de tout article permettant la sortie. Mais il se trouve qu’ici ici la couillonnade est précisément logée dans le dit article de sortie. La même logique gaulliste s’applique donc. Un grand pays (en fait tout pays qui se veut souverain) ne s’engage pas à rester couillonné uniquement par un irresponsable et plat respect de la légalité. Il met ses intérêts vitaux avant la lettre de la loi.
Mais souvenons-nous, l’illégitimité de cette loi est de surcroît parfaitement caractérisée, sur le sujet politique de tous le plus important, la souveraineté nationale. Comment se prétendre gaulliste et affirmer vouloir en passer par toutes ces violations de l’esprit et de la lettre gaulliste sur le sujet même qui constitue le cœur des convictions les plus profondes de cette figure nationale ?
Alors voilà, il ne le dirait en réalité que pour rassurer les frileux ou piéger les contradicteurs, en fait il n’en serait rien… (G.d.G. : ” Mais non ! Ce n’est pas la peine de raconter des histoires ! “). Comment en être sûr ? Comment l’électeur, dont il sollicite les suffrages, doit-il se dire : ” Asselineau soutient publiquement cette stratégie, en fait il n’en sera rien. Faisons-lui confiance sur le fait de renier sa parole publique…” Quelle est cette logique tordue et contre-productive, sur le sujet essentiel ? Celle de la FI et de Mélenchon, qu’il n’a de cesse par ailleurs de décrier, à raison : “nous prônons publiquement le plan B et le maintien dans l’UE, mais en fait nous savons cela parfaitement impossible et voulons réellement la sortie. Faites-nous confiance, nous ne ferons pas ce que nous disons, mais ce que nous voulons…” pour les militants et électeurs eurosceptiques, et pour les autres ” Mais si c’est parfaitement possible de rester dans l’UE et d’appliquer notre programme, la France n’est pas la Grèce, nous ferons plier les autres pays bla bla bla”. Cette logique est non seulement une logique perverse caractérisée, où tout le monde peut voir midi à sa porte (c’est évidemment ce pourquoi elle est mobilisée), mais en plus elle induit un double discours incompatible avec le débat public indispensable pour organiser une majorité démocratique claire sans laquelle la réussite d’une rupture avec l’ordre néolibéral n’est pas envisageable. Evidemment, il faut réellement vouloir réussir cette rupture, et non pas occuper une niche électorale ou prendre le pouvoir pour le pouvoir, comme Mitterrand, le mentor et modèle de Mélenchon.
Deuxième remarque. Pour ce qui est des différences de tradition juridique entre l’Allemagne et la France, l’histoire bien sûr doit être mobilisée. Mais il y a plusieurs strates temporelles dans les processus historiques. Celle que mobilise Emmanuel Todd ne contredit pas l’histoire institutionnelle qui explique l’importance de la norme juridique commune pour asseoir une communauté politique “allemande”, ou plutôt germanique, alors que cette dernière ne disposait pas encore d’Etat correspondant. Elle la confirme et même se propose de l’expliquer par une logique mobilisant le temps long, celui des institutions symboliques familiales, qui sont aussi des formes historiques humaines changeantes, mais dont le rythme de modification est beaucoup plus progressif. La famille souche, établie dans les régions germaniques entre le XIe siècle et le XIVe (de mémoire, sous réserve d’inventaire), établit une très stricte obéissance au père qui perdure telle quelle même lorsque le couple adulte s’établit, et même sur trois générations successive tant que le père (ici grand-père) survit. Ce qui n’est absolument pas le cas dans les pays Anglo-saxons ou en Île de France. D’autre part, l’héritage va au fils aîné, les autres devant accepter d’être déshérités, se faire manouvrier, soldat ou rentrer dans l’Eglise. La hiérarchie dans ce système familial particulier (plutôt rare, mais qui se retrouve au Japon et en Corée notamment) est donc fondamentale, et l’inégalité parfaitement intégrée.
Comment croire dès lors que cette structure logique symbolique et socialement transmise n’ait pas d’effets sur les manières conscientes d’appréhender les relations sociales et explicitement instituées ? Emmanuel Todd n’est pas déterministe. Il raconte des processus (systèmes familiaux, éducation, démographie) qui se transforment dans le temps au gré des chocs conjoncturels des différents systèmes sociaux entre eux, de l’invention humaine imprévisible, etc. Sa logique est certes “structurale” d’un point de vue formel, mais toute structure n’est pas déterministe (type processus sans sujet). Cela ne condamne pas les “Allemands” à être essentialisés dans une nature immuable. Mais ce n’est pas parce qu’il faut condamner l’essentialisation tout autant que le déterminisme qu’il faut nier pour autant les processus historiques sociaux et leur effet de sillon, certes forcément transformables mais pas du tout au tout, d’un seul coup ou n’importe comment. Si les logiques structurelles étaient immuables ou même sujettes à des transformations strictement déterminées, il ne servirait rigoureusement à rien de faire de l’histoire, qui serait en réalité une science mécanique, statique, et non humaine. Le droit germanique est donc de type transcendant, et cela s’explique. Notre droit est plutôt vécu comme politique, donc issu de décisions humaines transformables, et cela s’explique. Ce qui n’induit pour autant aucun déterminisme ou essentialisation. Juste une logique historique, lourde de conséquence mais sujette au changement et à l’invention humaine. Pour changer n’importe quel processus, encore faut-il le reconnaître comme tel et comprendre sa logique. L’alternative n’est pas entre liberté existentielle et déterminisme structural, mais entre une logique de processus, reconnue et transformable, et une posture morale axiomatique (l’homme est libre) qui se condamne aux vœux pieux (il suffirait de vouloir pour pouvoir).
Enfin, bien que n’étant pas choqué par la raison d’Etat, nous avons sans doute intérêt à ne plus soutenir inconditionnellement l’Arabie Saoudite, a fortiori dans ses campagnes militaires les plus iniques. Il n’y a pas l’intérêt de la France tel quel. Mais l’intérêt de la France dans tel ou tel contexte. Or il s’agit bien de changer le contexte. Evidemment, ce serait dans le cadre de la restauration de la souveraineté française, et donc du développement d’une politique de coopération internationale et de sortie de l’Otan, impliquant de nouvelles alliances et donc de nouvelles prises de distance. D’autre part soutenir des campagnes militaires iniques et injustifiables a toujours un coût, y compris pour la raison d’Etat.
Merci à Descartes et aux contributeurs en tout cas pour un débat particulièrement riche et stimulant…
@ Gilles Amiel de Ménard
[Il sort bien sûr du traité de Lisbonne. Du traité de Lisbonne ? Quelle est la nature et la valeur juridique du traité de Lisbonne, la reprise du TCE refusée nettement et spectaculairement par les Français lors du référendum de 2005 ?]
Je pense que vous faites là la confusion que je dénonce entre la légitimité juridique et la légitimité politique, et qui conduit à la sacralisation du droit. La « nature et la valeur juridique du traité de Lisbonne » est pleine et entière. Le traité a été rédigé, signé et ratifié dans les formes prévues par la Constitution. A partir de là, il n’y a plus de discussion juridique possible. Si vous sacralisez le droit, alors le traité de Lisbonne doit être appliqué. Ce n’est que par une contestation de la légitimité POLITIQUE du texte que vous pouvez l’écarter. Ce qui suppose que vous reconnaissiez comme hypothèse de départ que la légitimité politique prime sur la légitimité juridique…
[D’abord il prend frontalement le contre-pieds d’une décision référendaire, plus haute forme politique de décision publique après la Constitution, sans même se soucier de respecter le parallélisme des formes (ce qui a été décidé par référendum doit être modifié ou annulé par référendum).]
Pas tout à fait. Le texte soumis au référendum était un traité CONSTITUTIONNEL. Le traité de Lisbonne n’a pas cette prétention. D’un point de vue juridique, on ne peut dire que le traité de Lisbonne est de même nature que le TCE. Ce n’est donc pas un « contre-pied » à la décision référendaire.
[Il n’était de toute façon pas envisageable de renouveler une question référendaire sur la même question alors que la situation n’avait pas changée sur le fond. Mais encore moins de le faire par la voie parlementaire, hiérarchiquement très inférieure au référendum, où la nation souveraine s’exprime directement.]
Encore une fois, il ne faut pas confondre la dimension juridique et la dimension politique. La Constitution n’établit pas de hiérarchie entre la voie parlementaire et le référendum. En d’autres termes, du point de vue juridique, les deux voies sont équivalentes. L’argument que vous utilisez est de nature POLITIQUE. Et au risque de me répéter, si vous voulez pouvoir contester une fait juridique avec un argument politique, il vous faut au préalable établir comme principe la primauté du politique, ce qui était précisément mon point.
[La logique gaulliste est on ne peut plus clairement le sens de l’Etat avant le droit… Certes, il affirme cela au sujet de l’absence d’alors de tout article permettant la sortie. Mais il se trouve qu’ici ici la couillonnade est précisément logée dans le dit article de sortie. La même logique gaulliste s’applique donc. Un grand pays (en fait tout pays qui se veut souverain) ne s’engage pas à rester couillonné uniquement par un irresponsable et plat respect de la légalité. Il met ses intérêts vitaux avant la lettre de la loi.]
Tout à fait. On revient toujours à la même question : le droit doit-il primer sur le politique, ou bien l’inverse ? C’est là la contradiction dans le discours de l’UPR, qui d’un côté affirme la primauté du politique dans la droite ligne du gaullisme, et de l’autre rentre dans un débat juridique à propos de l’article 50 du TUE, article qui est justement construit pour affirmer la primauté du droit.
Chers amis, il y a quelque-chose qui me trouble :
Nous sommes nombreux ici à nous revendiquer peu ou prou du “Frexit”.
Il y a un parti en France, et un seul, qui milite avec opiniâtreté depuis douze ans pour la sortie de la France de l’UE et de l’Euro. C’est l’UPR.
Or nous passons notre temps à discuter de l’organisation interne de ce parti (dont nous ne sommes pas adhérents…), de la façon dont il compte conduire le Frexit, de la psychologie de son principal dirigeant, voire de la conception que peut avoir de l’article 50 un supposé numéro deux de ce parti…
Moi je crois qu’à deux mois des élections européennes, pour donner le plus de force possible au Frexit, on devrait voter et militer pour le vote UPR. N’est-ce pas la seule attitude clairement pragmatique et léniniste ? On verra plus tard pour l’article 50 !
Au soir du scrutin, si la liste Asselineau fait 5%, quelque-chose aura changé en France.
Si elle recueille 1%, Juncker paie sa tournée.
Je me trompe ? Je me fais des illusions ?
@ Gugus69
[Moi je crois qu’à deux mois des élections européennes, pour donner le plus de force possible au Frexit, on devrait voter et militer pour le vote UPR. N’est-ce pas la seule attitude clairement pragmatique et léniniste ? On verra plus tard pour l’article 50 !]
Le problème, mon cher Gugus, c’est qu’on ne vote pas seulement pour celui qui tient le discours qui vous plait. Si on votait comme ça, les démagogues de tout poil auraient un boulevard devant eux. Non, moi je ne vote pas seulement pour celui qui dit « il faut sortir de l’UE », j’attends de lui qu’il donne à ce projet un minimum de crédibilité. Et c’est pour ça qu’on discute non pas tant de l’organisation de l’UPR, mais de sa stratégie à long terme.
Non, voter pour l’UPR n’a rien de « léniniste ». Lénine a passé au contraire sa vie à mettre en garde contre la tradition groupusculaire des « purs », et a toujours appuyé le compromis dès lors qu’il pouvait aboutir à un rassemblement. Or, le principal reproche que je fais à l’UPR est de faire l’inverse, de consacrer une part disproportionnée de son temps à attaquer ceux qui devraient être ses alliés potentiels. Cette attitude fait penser que pour Asselineau le plus important est la santé de sa propre crémerie, plutôt qu’un véritable changement de politique.
[Au soir du scrutin, si la liste Asselineau fait 5%, quelque-chose aura changé en France.]
Ah bon ? Quoi, exactement ?
Des compromis, je veux bien et je suis d’accord !
Mais des compromis avec qui et sur quoi ?
L’UPR est seule à défendre le Frexit ! Tous les autres veulent rester dans l’UE …
Enfin pourquoi 5 % ? Parce que c’est le seuil pour avoir des élus. Et si la France envoyait à Strasbourg des députés pro Frexit, oui ça changerait la façon d’appréhender notre rapport à l’Union Européenne : l’unanimisme serait brisé.
@ Gugus69
[Des compromis, je veux bien et je suis d’accord ! Mais des compromis avec qui et sur quoi ?]
Avec tous ceux qui pensent que la nécessité politique du jour est la récupération des leviers de la souveraineté nationale. Sans AUCUNE exclusive.
[L’UPR est seule à défendre le Frexit ! Tous les autres veulent rester dans l’UE …]
Ce n’est pas vrai. Philippot, pour ne donner qu’un exemple, ne veut pas « rester dans l’UE ». Mais surtout, il ne faut pas faire de la question de « la sortie de l’UE » un fétiche alors que ce n’est qu’un moyen. L’objectif, c’est de récupérer les leviers de la souveraineté nationale : le contrôle de la monnaie, des frontières, de la politique économique. Sur cette base, on peut réunir pas mal de gens.
[Enfin pourquoi 5 % ? Parce que c’est le seuil pour avoir des élus. Et si la France envoyait à Strasbourg des députés pro Frexit, oui ça changerait la façon d’appréhender notre rapport à l’Union Européenne : l’unanimisme serait brisé.]
Franchement, je ne comprends pas votre raisonnement. Ce sont les députés à l’Assemblée nationale qui pourraient ou non décider d’un Frexit, pas ceux du parlement européen. Avoir des élus eurosceptiques au Parlement européen ne sert qu’à une chose : pouvoir bénéficier des moyens matériels et d’une visibilité – limitée – pour faire campagne.
En tout cas, Nigel Farage a su faire de son mandat de député européen une sacrée tribune !
@ Gugus69
[En tout cas, Nigel Farage a su faire de son mandat de député européen une sacrée tribune !]
Je ne sais pas jusqu’à quel point Farage doit son influence à son élection comme député européen… J’aurais tendance à penser que c’est surtout sa visibilité à la tête de l’UKIP et les bons résultats aux élections internes qui l’ont propulsé.
@Gugus69
> Si elle recueille 1%, Juncker paie sa tournée.
Personnellement, je pense que Juncker se fiche de l’UPR (contrairement à ce que pensent beaucoup de membres de l’UPR, Asselineau en premier, qui s’imaginent qu’il y a une cabale pour les neutraliser). Certes, peut-être Juncker est-il prêt à n’importe quel prétexte pour payer une tournée.
Ce qui fait plus peur à Juncker et aux européistes, AMHA, c’est la perspective de scores élevés pour des partis comme DLF ou même le RN. Ça m’attriste un peu de le dire, car ce sont des partis très à droite et au souverainisme assez changeant.
Je n’exclus donc pas de voter « utile » pour la liste de Dupont-Aignan. Cela dépendra du discours qu’il tiendra pendant la campagne (plutôt souverainiste, ou plutôt « union des droites »…). Ou alors, qui sait, je profiterai du dimanche pour faire autre chose.
Quant à l’UPR et aux Patriotes, je pense que c’est mort. Je garde de l’admiration pour Philippot et sa persistence à défendre vaillamment et sérieusement le Frexit sur les ondes, mais il n’a pas du tout cherché à structurer son parti.
@ Antoine
[Quant à l’UPR et aux Patriotes, je pense que c’est mort. Je garde de l’admiration pour Philippot et sa persistence à défendre vaillamment et sérieusement le Frexit sur les ondes, mais il n’a pas du tout cherché à structurer son parti.]
Je pense que Philippot a sous-estimé la difficulté de construire un parti ex nihilo. Et la difficulté est d’autant plus grande que son passage au FN et sa vision souverainiste font de lui un double pestiféré. Travailler avec lui, c’est s’attirer à la fois les foudres de l’extrême droite conservatrice et celles des bienpensants. C’est beaucoup pour un seul homme…
Il reste qu’il est probablement celui qui a le plus réfléchi au fond, et qui tient le discours le plus cohérent et le plus construit – et le moins démago – sur la question de la souveraineté. Et celui qui passe le moins de temps à médire des autres souverainistes…
@ Descartes
Sur le fond, je vous accorde le point.
En France à tout le moins (nous ne sommes évidemment pas les seuls), la politique prime sur le droit, et depuis la RF, la souveraineté de la nation prime sur toute autre institution décisionnelle. Que cela constitue une “fiction juridique” ne change absolument rien quand à la logique du principe, fort claire. La communauté des citoyens doit pouvoir, d’une manière acceptée par tous, être réputée à l’origine de son ordre institutionnel et légal, doit pouvoir “disposer d’elle-même”, donc être à la source de son droit. La souveraineté de l’Etat est attribuée à la nation, communauté des citoyens.
Mais si je vous suis entièrement sur le fond (la politique prime sur le droit), je ne suis pas sûr de vous suivre sur la formulation, et donc en réalité sur la manière d’interpréter “la légitimité politique prime sur la légitimité juridique”. Au plus simple, je dirai “la politique fonde le droit”, ce qui est différent, et suggère déjà la raison pour laquelle il nous semble évident qu’elle prime sur le droit.
La relation entre politique et droit, chez nous, me semble articulée hiérarchiquement, ce n’est pas juste une opinion personnelle. Ce ne sont pas des domaines séparés et séparables. Il n’y a pas de la sorte une légitimité juridique et une légitimité politique se faisant face, dont l’une est mystérieusement, ou positivement (“c’est comme cela, il n’y a pas à l”expliquer”), supérieure à l’autre, sans relation logique entre les deux. Ce n’est pas pour rien que l’usage en philosophie du droit est d’opposer légitimité et légalité, et non pas légitimité juridique et légitimité politique. Car ce n’est pas la même logique, la même réalité sociale qui permet de comprendre ces deux processus néanmoins reliés hiérarchiquement l’un à l’autre.
La légitimité est un concept sociologique ambigu (parfois descriptif et parfois prescriptif) mais crucial qui décrit, de manière bien plus large que le simple domaine du droit, les principes et la logique idéologique à la base du fait que les membres d’une société donnée obéissent aux normes sociales (toutes leurs institutions, pas seulement le droit quand il existe) qui sont les leurs. La légitimité est donc un concept englobant, concernant le système social en son entier, tous domaines confondus, tentant de rendre compte des logiques symboliques mises en oeuvre pour justifier l’ensemble des relations sociales instituées dans une société donnée, à une époque donnée. Il ne saurait donc, de ce point de vue, y avoir une légitimité juridique sans rapport avec une légitimité politique, de surcroît si les institutions politiques sont réputées supérieures à celles juridiques.
On reconnaît généralement que la légitimité la plus courante dans les sociétés antérieures était fondée sur la tradition, les ancêtres mythiques et la religion au sens ancien du terme, c’est-à-dire non pas comme une croyance parmi d’autres, mais comme la seule explication de la cosmologie, de ce qui fait que le monde est monde, les hommes ce qu’ils sont, et la société comme elle est. Toute décision collective, quel que soit le domaine social en question, était impensable et ne pouvait être acceptée comme valide s’il elle ne respectait pas cette logique traditionnelle. On peut donc parler d’une légitimité traditionnelle, hétéronome, pour résumer grossièrement ce type de société. Elle ne laisse d’ailleurs place ni au concept de politique, ni au concept de droit, si on entend par là comme maintenant des domaines possédant leur propre autonomie.
Depuis les révolutions du XVIIe et XVIIIe siècles, il est évident que nous avons changé de type global de légitimité sociale. La légitimité est devenue interne à la société, cette dernière étant présumée à l’origine de ce qui fonde les relations sociales de ceux qui la composent, sans se référer à une cosmogonie externe fondée par une puissance supérieure. Les sociétés deviennent alors, se vivent et se pensent comme consciemment autonomes. Mais ce principe général de légitimité globale des relations sociales se décline néanmoins selon bien des variantes. Certaines sociétés contemporaines, malgré l’individualisme omniprésent, reproduisent, mais cette fois-ci en leur sein, une hétéronomie transcendante de leurs normes sociales (la monnaie, le droit, le marché, la coutume, la race, la nature du peuple, le matérialisme historique déterministe, la génétique, le leader charismatique non comme représentant ou médiateur mais comme un plus qu’humain, que sais-je…), fondée certes sur la nature supposée de leur société (et non un ordre externe à proprement parler), mais néanmoins non contrôlable et modifiable par ses membres. Cette légitimité est donc non politique, y compris pour justifier la politique, qui ne saurait dans ce cadre se justifier elle-même. Elle n’est pas non plus juridique à proprement parler. Elle est de nature idéologique et transcendante. Il y a un ordre social naturalisé de telle ou telle manière, qui seul est apte à fonder les diverses activités sociales. C’est en fait une modernisation à peine voilée de l’ordre ancien. Il est bien connu que le marché est pensé par les libéraux sur la logique du Dieu caché des Jansénistes, quelles que soient par ailleurs leurs convictions (puisque c’est plus une analogie qu’une traduction d’un domaine à l’autre).
Dans la société française, très marquée par la construction de l’Etat issu de la monarchie territoriale fondée sur la loi et la souveraineté au moins depuis le XVIe siècle, donc où les orientations sociales essentielles sont présentées comme des choix souverains pris au nom du bien public commun, les institutions sont vécues profondément comme des constructions humaines, condition de possibilité pour une société vraiment politique. A partir des révolutions, ces choix publics orientant toutes les institutions principales, sont pris au nom de la nation, à laquelle on attribue la souveraineté de l’Etat, donc la capacité à statuer en toute autonomie sur tous les domaines qui concernent cette nation. C’est chez nous cette logique générale qui fonde toute la légitimité globale de notre société, politique et droit compris. Si la politique est vécue chez nous comme supérieure au droit, c’est que le droit est issu d’une décision politique de la nation, seule habilitée à fonder la forme et le contenu de nos institutions publiques, politiques et juridiques confondues. Il ne peut donc pas dans ce schéma logique de légitimité y avoir de droit qui puisse se prévaloir comme légitime (pas seulement légal donc) et qui dans le même temps contredise cette logique générale. Cela, en France, nous semble spontanément choquant et illégitime.
Il n’y a donc qu’une sorte de légitimité, qui fonde l’ensemble des pratiques sociales pour une société à un moment donné. Chez nous on peut la décrire comme une légitimité politique. Pourquoi d’ailleurs ce qualificatif ? La politique n’est pas le domaine des rapports de force concernant le pouvoir. C’est l’invention des cités grecques qui innovent radicalement en décrivant leurs institutions civiles comme… des institutions, c’est-à-dire des manières sociales de faire issues de choix purement humains. Dès lors, ils inventent des procédures pour mettre en scène cette façon de voir, en soumettant les orientations publiques au débat public, à la délibération publique, et au choix collectif lors de leur autre invention, la démocratie.
La politique n’est donc pas un domaine a-historique, que l’on retrouve partout dans toutes les sociétés. Au contraire, très rares sont les sociétés politiques. Nous avons la chance, en France, d’être une société devenue profondément politique. Notre principe de légitimité général, au fondement de notre manière de voir et de pratiquer nos institutions, est radicalement politique. Il n’y a donc pas, selon moi, une légitimité juridique qui fait face à une légitimité politique, qui lui est supérieure. Toute l’économie d’ensemble de nos institutions et du type d’idéologie qui en pense la légitimité (ce qui fait que les gens, chez nous, trouvent normal de procéder de telle manière et pas de telle autre), est donc profondément politique au moins depuis le XVIe siècle, et de surcroît démocratique depuis 1789.
Le droit ne peut se réclamer ici que de sa légalité, ce qui est déjà significatif. Car dans d’autres systèmes juridiques, il se réclame de la coutume, du Droit naturel, ou d’autres ordres transcendants. La loi, au sens de décision publique collective ou même celle du prince, est typiquement une manière politique de penser le droit. C’était déjà ce qui dérangeait, voire choquait les juristes romains (voir Aldo Schiavone, Ius, L’invention du droit en Occident, 2008). On peut consulter Nature et empire de la loi de Jean-François Courtine, 1999, pour étudier ce passage historique ou la loi elle-même, dans l’Eglise comme dans l’Etat moderne naissant, se met à être pensée comme une création ex nihilo, un pouvoir créateur.
Que le droit soit pensé chez nous comme devant respecter la légalité n’est donc pas une plate tautologie, mais au contraire une idiosyncrasie. En réalité, il doit, pour être pleinement respecté, et donc durablement et efficacement appliqué (puisque le droit n’est qu’une manière sociale d’instituer des pratiques communes), respecter notre principe général de légitimité, à savoir faire la preuve qu’il découle, d’une manière qui nous paraisse fondée et convaincante, de notre accord collectif implicite ou mieux explicite. Un référendum contredit par le pouvoir, quelles que soient par ailleurs les arguties juridiques ou politiques mobilisées, est donc vécu ici particulièrement comme une trahison du pacte social fondamental qui légitime toutes nos institutions publiques.
La concision n’est pas mon fort, et je concède qu’il était plus efficace et tout aussi valide de résumer tout cela par la politique prime le droit. Mais il n’est peut-être pas inutile de dérouler toute cette chaîne historique et logique si l’on veut bien comprendre le moment que nous vivons aujourd’hui, à savoir le retour du politique au sens fort, c’est-à-dire le retour du caractère politique de notre société, et donc de son autonomie, prenant donc frontalement à revers les choix néolibéraux et européistes de ses élites.
Toute ordre normatif est dépendant du type de légitimité qui le fonde. Le droit est incapable de s’auto-fonder. Il n’est pas un empire dans un empire, mais une institution reliée à l’ensemble d’une société, une partie qui doit trouver sa place dans un tout, en respectant la logique d’ensemble. Il doit tirer d’ailleurs que de son propre domaine la logique qui nous fait le considérer comme valable.
A ce sujet, la tentative européenne et américaine d’en faire cependant un ordre autonome contre toute évidence, date du début du XXe siècle. Le fameux “Etat de droit”, se voulant à l’abri du politique, sanctuarisé dans un espace sacralisé, dont tant de monde se gargarise est une création très récente, et qui date de la grande frayeur des notables d’alors devant la pression inédite des tous premiers partis politiques de masse forçant la porte des parlements nationaux. On peut lire à ce sujet le passionnant livre de Marie-Joëlle Redor, De l’Etat légal à l’Etat de droit, 1992. Il permet de comprendre cette tentative d’abord plutôt ratée puis progressivement hégémonique chez les élites, de modification des logiques juridiques afin de faire face à l’émergence de processus démocratiques.
L’essor international et le nouveau prestige des cours constitutionnelles, jusque-là trait singulier du fétichisme juridique américain, date de cette grande frayeur. Le néolibéralisme en est le fils naturel. L’essor des institutions “indépendantes” itou. La CEE et l’UE pareil. Mais c’est évidemment incompatible avec la souveraineté nationale. Qui chez nous est le cœur nucléaire de notre système symbolique de légitimité, de nature profondément politique. Il serait donc normal, que nous suivions de près les Anglais, qui avec nous possèdent le plus vieil Etat moderne du monde, dans le retour à des logiques politiques et souveraines.
Pour finir, la Ve République elle-même, ne possède pas que des articles, mais aussi une logique générale et un contexte particulier de mise en place, comme toute constitution, qui lui donne son intelligibilité. Si elle est la première depuis 1848 à rétablir le référendum, ce n’est pas un hasard. De Gaulle, qui avait parfaitement compris par intuition la logique symbolique française, allait cherchait le principe général de légitimité du nouveau régime qu’il établissait, directement à sa source, dans la nation souveraine. Il établissait une courroie de transmission directe entre le pouvoir, le lieu des décisions publiques, et la nation, seul véritable réservoir de légitimité chez nous. Au grand scandale des parlementaires, qui avaient fini par croire réellement que la souveraineté leur appartenait en propre.
Les Français l’ont immédiatement approuvé sur cette pente, et appuyé, en déjugeant la majorité des parlementaires, lors de la confirmation de cette logique en 1962 pour le référendum portant sur l’élection du président au suffrage universel (quoique l’on en pense par ailleurs). Il suivait là la pente “naturelle” de notre histoire institutionnelle et idéologique.
La rédaction de tel ou tel article peut bien ménager les susceptibilités des parlementaires de manière conjoncturelle (on ne peut tout bousculer d’un coup si l’on veut gagner sur le principal), il n’en reste pas moins que le G. d. G. privilégiait très nettement la supériorité de l’autorité de la nation sur toute autre considération ou institution. L’article 89 certes laisse une désolante marge de manœuvre, systématiquement exploitée par la classe politique, viscéralement hostile aux référendums politiques (non de simples natures techniques ou sur des sujets secondaires). Mais son deuxième paragraphe ne peut pas signifier autre chose que l’affirmation que la procédure normale, parce que considérée désormais comme la plus logique et légitime, vu l’esprit et la pratique du fondateur du nouveau régime, est le référendum et non pas la soumission du projet au parlement. L’économie générale de cette constitution était bien la remise en place de la nation au sommet des institutions.
Le fameux article III de la DDH résumait déjà clairement la conception typiquement française de la légitimité des institutions publiques pour notre pays : “Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation”. Toutes les procédures juridiques qui donnent une quelconque réalité à ce principe général de légitimité nous semblent spontanément justifiées. Toutes celles qui le contredisent manifestement nous semblent spontanément illégitimes. C’est tout cela qui fonde chez nous la primauté du politique sur le juridique, au grand dam des juristes et des notables de tout poil.
Si je souscris à votre conclusion et votre point principal, je ne souscris pas ainsi à votre séparation trop stricte à mes yeux entre domaine juridique et domaine politique, qui tous deux doivent répondre socialement au même principe de légitimité, qui chez nous est de nature politique. Non, Sarkozy et les parlementaires ont bien sûr réussi à donner une forme légale à leur forfaiture (tout le monde est capable de bricoler ces mesures techniques et rhétoriques transformant le plomb en or), mais ce faisant ils n’en ont pas moins frontalement contredit la logique profonde de la légitimité (juridique et politique) dans ce pays.
@ Gilles Amiel de Ménard
[En France à tout le moins (nous ne sommes évidemment pas les seuls), la politique prime sur le droit, et depuis la RF, la souveraineté de la nation prime sur toute autre institution décisionnelle. Que cela constitue une “fiction juridique” ne change absolument rien quant à la logique du principe, fort claire. La communauté des citoyens doit pouvoir, d’une manière acceptée par tous, être réputée à l’origine de son ordre institutionnel et légal, doit pouvoir “disposer d’elle-même”, donc être à la source de son droit. La souveraineté de l’Etat est attribuée à la nation, communauté des citoyens.]
Exactement. C’est la vision positiviste française qui s’oppose à la vision jusnaturaliste germanique, centrée sur l’idée d’un « droit naturel » qu’il suffirait aux hommes de « découvrir » et d’appliquer, mais qui n’a pas à être modifié. Cette idée que l’homme « découvre » le droit mais ne le fait pas trouve sa consécration dans la vision américaine de la constitution, où la Cour suprême dégage d’une constitution écrite à la fin du XVIIIème siècle la solution à des problèmes que ses auteurs ne pouvaient pas se poser.
[Mais si je vous suis entièrement sur le fond (la politique prime sur le droit), je ne suis pas sûr de vous suivre sur la formulation, et donc en réalité sur la manière d’interpréter “la légitimité politique prime sur la légitimité juridique”. Au plus simple, je dirai “la politique fonde le droit”, ce qui est différent, et suggère déjà la raison pour laquelle il nous semble évident qu’elle prime sur le droit.]
Si vous pensez être en désaccord avec moi sur ce point, j’ai du mal me faire comprendre, parce que je partage tout à fait cette idée. La légitimité du droit, dans la conception française, est issue elle-même de la politique. C’est cette origine qui empêche chez nous la sacralisation du droit. Comment en effet sacraliser ce qui est finalement une œuvre humaine et donc par essence faillible ? Et c’est aussi cette origine qui permet de justifier la raison d’Etat : en effet, comment imaginer que lorsque le législateur a fait la loi il ait entendu la rendre inviolable même dans la situation où le salut du peuple l’exige ?
Au fond, le débat se situe au niveau de savoir si la loi est d’origine humaine ou d’une origine extérieure à l’homme (que ce soit dieu ou la nature, peu importe). Si elle est œuvre humaine, alors elle n’a rien de sacré et en dernière instance est subordonnée à la nécessité sociale. Si elle est d’origine naturel ou divin, alors il est difficile de fonder un droit pour l’homme d’aller contre elle.
[Ce n’est pas pour rien que l’usage en philosophie du droit est d’opposer légitimité et légalité, et non pas légitimité juridique et légitimité politique. Car ce n’est pas la même logique, la même réalité sociale qui permet de comprendre ces deux processus néanmoins reliés hiérarchiquement l’un à l’autre.]
C’est exprès que je n’ai pas utilisé le vocabulaire de la philosophie du droit pour bien marquer que la question est celle de la légitimité, ou pour le dire autrement, la question est « pourquoi faut-il obéir à la loi ». Parler de « légitimité juridique » nous ramène à l’idée que « la loi doit être obéie parce que c’est la loi », c’est-à-dire à l’idée que l’ordre est une valeur en soi, alors que la « légitimité politique » parle du fait que « la loi doit être obéie parce que l’intérêt du peuple l’exige ». Bien entendu, dans un système politique rationnel, la loi tend à être faite pour organiser l’intérêt du peuple… et c’est là que les deux conceptions peuvent coïncider. Mais dans un système imparfait – c’est-à-dire humain – la loi peut dans un cas d’espèce contredire l’intérêt public. Dans ce cas, faut-il obéir quand même ? Du point de vue de la légitimité juridique, l’obéissance ne se discute pas.
[Il n’y a donc qu’une sorte de légitimité, qui fonde l’ensemble des pratiques sociales pour une société à un moment donné. Chez nous on peut la décrire comme une légitimité politique.]
Je pense que c’est plus complexe que cela. Même si au niveau théorique votre démonstration est impeccable, au niveau de la pratique quotidienne la logique « la loi doit être obéie parce que c’est la loi » reste prégnante, et se superpose à l’idée que la loi doit être obéie parce que c’est l’expression de la volonté générale – en d’autres termes, parce qu’elle est politiquement légitime. Pour revenir à l’origine de cette discussion, l’accent mis par Asselineau sur l’article 50 ou par les signataires de la pétition « l’affaire du siècle » sur leur recours juridique montre qu’il existe chez nous aussi des gens qui croient à une légitimité « autonome » des règles juridiques par rapport au politique.
[La politique n’est donc pas un domaine a-historique, que l’on retrouve partout dans toutes les sociétés. Au contraire, très rares sont les sociétés politiques. Nous avons la chance, en France, d’être une société devenue profondément politique. Notre principe de légitimité général, au fondement de notre manière de voir et de pratiquer nos institutions, est radicalement politique. Il n’y a donc pas, selon moi, une légitimité juridique qui fait face à une légitimité politique, qui lui est supérieure. Toute l’économie d’ensemble de nos institutions et du type d’idéologie qui en pense la légitimité (ce qui fait que les gens, chez nous, trouvent normal de procéder de telle manière et pas de telle autre), est donc profondément politique au moins depuis le XVIe siècle, et de surcroît démocratique depuis 1789.]
Je suis tout à fait d’accord. Mais je crois que nous parlons de deux choses différentes : vous parlez d’une conception théorique du droit – et sur ce point je partage votre description – qui fonde nos institutions, et moi je vous parle de ce que les gens ont dans la tête. Même si le principe d’une société « profondément politique » est inscrit dans nos institutions et dans la pensée de nos élites, il reste quand même un courant d’opinion non négligeable qui « importe » chez nous la vision américaine ou allemande d’un droit « naturel » ayant une légitimité propre, indépendante du politique.
[La concision n’est pas mon fort, et je concède qu’il était plus efficace et tout aussi valide de résumer tout cela par la politique prime le droit. Mais il n’est peut-être pas inutile de dérouler toute cette chaîne historique et logique si l’on veut bien comprendre le moment que nous vivons aujourd’hui, à savoir le retour du politique au sens fort, c’est-à-dire le retour du caractère politique de notre société, et donc de son autonomie, prenant donc frontalement à revers les choix néolibéraux et européistes de ses élites.]
Même si la concision est une vertu, j’ai beaucoup apprécié votre développement. Bien sûr, mon papier était pédagogique et donc simplificateur. La primauté du politique sur le juridique ne donne pas droit au politique de se mettre en marge de la norme à tort et à travers, parce que le droit étant issu du politique le fait de violer la norme est la négation par le politique de sa propre légitimité.
[A ce sujet, la tentative européenne et américaine d’en faire cependant un ordre autonome contre toute évidence, date du début du XXe siècle. Le fameux “Etat de droit”, se voulant à l’abri du politique, sanctuarisé dans un espace sacralisé, dont tant de monde se gargarise est une création très récente, et qui date de la grande frayeur des notables d’alors devant la pression inédite des tous premiers partis politiques de masse forçant la porte des parlements nationaux.]
Pas si récente que ça : on peut en fait tracer l’origine de cette « grande frayeur » à l’instauration du suffrage universel. Depuis cette époque, les classes possédantes se trouvent pris dans une contradiction : dieu étant mort, seul le suffrage universel peut légitimer la loi. Mais d’un autre côté, le suffrage universel met les classes possédantes en minorité. C’est cette contradiction que la sacralisation du droit – et tout particulièrement du droit de propriété – cherche à résoudre.
[L’essor international et le nouveau prestige des cours constitutionnelles, jusque-là trait singulier du fétichisme juridique américain, date de cette grande frayeur. Le néolibéralisme en est le fils naturel. L’essor des institutions “indépendantes” itou. La CEE et l’UE pareil.(…)]
Tout à fait d’accord avec votre analyse !
[Le fameux article III de la DDH résumait déjà clairement la conception typiquement française de la légitimité des institutions publiques pour notre pays : “Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation”. Toutes les procédures juridiques qui donnent une quelconque réalité à ce principe général de légitimité nous semblent spontanément justifiées. Toutes celles qui le contredisent manifestement nous semblent spontanément illégitimes. C’est tout cela qui fonde chez nous la primauté du politique sur le juridique, au grand dam des juristes et des notables de tout poil.]
Pas tous. Il ne faut pas oublier qu’il existe une école juridique positiviste française qui s’est construit à partir des postulats que vous énoncez plus haut.
Merci beaucoup pour cette contribution fort érudite. Je partage l’essentiel de votre point de vue, y compris l’idée que ce que j’appelle “légitimité juridique” est subordonnée à une légitimité politique, puisque la loi dans notre système est issu du politique.
Merci à vous pour tolérer les commentaires interminables et pour vos propres commentaires et précisions circonstanciés.
Je suis d’accord avec toutes vos remarques, et vous savez désormais mon côté pinailleur… Y compris votre remarque qui souligne que cela est plus complexe en réalité que ce que je semble décrire, où tout semble obéir à une seule et unique logique. Je vous suis aussi là-dessus.
Il n’y a donc plus qu’un simple problème de formulation. Par “légitimité politique”, nous pouvons en réalité entendre deux choses qui répondent à des logiques bien différentes. Cela peut vouloir signifier “les raisons et l’univers symbolique qui viennent justifier le domaine du politique dans une société donnée”, ou bien “tel ou tel aspect social est justifié par des raisons d’ordre politique”. Par exemple, telle loi particulière sera justifié à l’aide d’arguments de nature politique. Je mobilise le concept de légitimité dans le premier sens. Et j’affirme que ce qui fonde le domaine politique (les décisions publiques) dans notre société, est lui-même de nature politique, la politique étant alors prise au sens fort du terme, à savoir la logique symbolique qui nous fait considérer nos institutions comme des choix humains.
Ce sont toutes ces manières de parler qui me font affirmer au final “la légitimité symbolique générale de notre société est de nature politique depuis des siècles”.
En fait, je reprends une manière de parler “à la Louis Dumont”, le regretté anthropologue. Il tenta de comprendre l’esprit collectif de la civilisation indienne par le biais du concept de hiérarchie. Sa tentative est perfectible bien sûr mais était très impressionnante. Cela lui fit saisir à quel point ses propres catégories d’analyse, même quand il se croyait rigoureusement descriptif et neutre, étaient en réalité très profondément imprégnées de conceptions occidentales individualistes, qui venaient polluer son observation. Il retourna donc son analyse sur sa propre société, partiellement à l’aide des catégories de pensée indienne, telles qu’il avait pu finir par les comprendre de l’intérieur. Il comprit alors des choses profondément inscrites dans notre idéologie générale, et par là très difficiles à percevoir objectivement par nous. Puis retourna à son objet, la civilisation indienne, cette fois relativement mais significativement détaché des réflexes de nos catégories d’analyse. A partir des années 70, il retourne une fois encore, mais cette fois jusqu’à la fin de sa vie, sur la “civilisation européenne” (il n’emploie plus ce terme il me semble). Ce sont alors ses ouvrages pour moi fondamentaux Homo aequalis, Essais sur l’individualisme, et L’idéologie allemande. Sa démarche, holiste (cette notion est mal comprise généralement), fut formalisée et théorisée par le grand philosophe Vincent Descombes. C’est bien modestement que je m’inscris dans cette filiation. Ainsi, quand je parle de légitimité de nature politique pour notre société, je parle bien de l’ordre symbolique d’ensemble qui commande l’économie générale de notre idéologie, tous domaines sociaux confondus.
Mais il va de soi que chaque domaine cette fois pris à part et un à un, possèdent une logique particulière, mettent en oeuvre des logiques et des justifications particulières, qui leur sont propres. La logique juridique est bien sûr, en soi, particulière, et tente toujours de se justifier de manière autonome, ce à quoi elle n’arrive jamais (pour la bonne raison que cela est impossible). Mais cela n’empêche pas les juristes d’essayer. Et des gens bien placés de les croire sur parole, parce qu’ils ont bien compris que c’était dans leur intérêt que de découpler droit et processus démocratiques. Et d’emporter la conviction de bien des gens appartenant aux classes éduquées, par réflexe de classe ou par naïveté.
Par ailleurs, vous avez bien raison d’évoquer la tradition juridique qui s’inscrit en faux contre cette tendance, tout n’est pas d’un seul bloc, comme on pourrait le croire avec ma description bien trop synthétique (comme quoi on peut être long mais schématique). Je ne sais pas par contre si on peut la qualifier de positiviste. Les positivistes, ou ceux qui font semblant de savoir ce que cela pourrait bien vouloir dire dans le fond, avalisent la dérive auto-posée du droit (Kelsen), arguant justement que c’est bien la logique de notre droit positif, ou la contestent, de manière à vrai dire bien peu positiviste, quoi qu’ils en aient (Carré de Malberg, qui tenait à cette qualification). Il y a d’ailleurs deux Carré de Malberg. Celui du début, qui tente de formaliser positivement (cette fois dans tous les sens du terme, voulant décrire la logique générale du droit existant, et voulant aussi la justifier au-delà du raisonnable, de manière donc contradictoire) la pratique juridico-politique de la IIIe République (Contribution à la théorie générale de l’Etat). Et celui de la fin, qui démonte en règle cette même logique, la dénonçant comme une captation indue de la souveraineté de la nation par le Parlement, et prônant la généralisation du référendum (c’est donc le père spirituel de De Gaulle -ce dernier l’avait lu-, et le grand père spirituel des Gilets jaunes -ils gagneraient à le lire). Il sera suivi par le grand juriste René Capitant, qui deviendra un des principaux juristes du gaullisme, pour sa branche “de gauche”, le gaullisme social, et très attaché aux processus véritablement démocratiques. Mais la principale influence de Capitant c’est précisément le deuxième Carré de Malberg. Même si ce courant est important de par ses conséquences (on retrouve la trace de tout cela dans la Ve R.), on ne peut pas dire pour autant qu’elle soit majoritaire. Parfois le grand juriste Georges Burdeau, toujours passionnant et souvent lucide, se souvient qu’il fut son élève, mais enfin on a déjà fait plus démocrate, et c’est un euphémisme hein. Et tous les autres désormais sont des positivistes à la sauce post-Kelsen, avec plein de variantes, ou des penseurs totalement dans l’air du temps, donc hermétiques à la politique, ne comprenant même pas sa signification profonde. Et prêchent bien sûr pour leur paroisse, sans beaucoup de hauteur de vue.
Mais je pinaille encore. En tout cas la réalité est en effet bien plus complexe, et plein de gens “bien éduqués” (donc pas bien lucides), marchent dans le bluff juridique de “l’Etat de droit”, qui nous garantit, c’est sûr puisqu’on nous le dit, les libertés individuelles, amen (il n’y a qu’à voir en ce moment les miracles et autres prouesses qu’accomplit l’Etat de droit pour les sauvegarder par sa seule vertu).
Je maintiens néanmoins que cela n’annule pas pour autant l’économie générale symbolique de notre société. Et le retour au réel risque de prendre une tournure assez rude pour tous les gens “bien éduqués” et surtout les biens placés. Cela en prend la voie en tout cas, et nous sommes proches désormais d’une crise de régime caractérisée, quelle que soit par ailleurs le débouché concret des Gilets jaunes à court terme (certainement peu de choses hélas). La suite nous le dira. Je m’agite beaucoup à mon échelle pour tenter de construire un débouché politique.
Une dernière chose. Je soutiens toujours qu’il faut comprendre l’adoption du traité de Lisbonne (certes dans les formes) comme un coup d’Etat très important et très réel. La notion de coup d’Etat n’est pas réellement juridique, elle appartient à la philosophie du droit et à la science politique. La RF est techniquement un coup d’Etat, et a pourtant suivi des procédures juridiques scrupuleuses. Il y a des coups d’Etat qui viennent d’en bas, ce sont les crises de régimes et les révolutions. Et les coup d’Etat qui viennent d’en haut, provenant des militaires ou des gouvernements ou parlements eux-mêmes. A chaque fois, ces événements de fait changent le régime politique. En 2008, les évolutions fondamentales que l’on subissait depuis le marché unique jusqu’au TCE, en passant par Maastricht, ont officiellement remplacé le régime républicain précédent, finissant de dissoudre la souveraineté ou ce qu’il en restait, et ce explicitement contre l’avis de la nation, qui venait de se prononcer sur ce sujet, puisque l’enjeu de 2005 était de refuser d’entériner l’évolution qui constitutionnalisait le néolibéralisme en l’enchâssant dans des traités européens traités par la CJUE comme ayant valeur constitutionnelle depuis les années 60. Que le traité de Lisbonne se garde bien de nommer cela “constitution” n’est qu’une prudence cosmétique et symbolique. Nous avons donc changé, de fait, de régime en 2008. Et cela heurta très profondément la conscience collective du peuple français. Certes pas ses élites, qui ne bronchèrent pour ainsi dire pas, trop heureuse de se tirer du mauvais pas de 2005 à si peu de frais. La sécession des élites du regretté Christopher Lasch, analysée sociologiquement par Todd, n’est pas qu’une heureuse tournure de style. Mais la majorité des gens ne l’a pas avalé. Ce n’est pas un hasard si ce souvenir est resté comme une blessure ouverte dans notre inconscient collectif ; comme si un autre événement devait venir redresser l’affront et rétablir la situation initiale pour que nous puissions intégrer et classer cette injure dans les choses passées. Tel quel, ça ne passe pas. Et l’on comprend pourquoi. Il y a bien une profonde logique derrière tous ces sentiments collectifs diffus. Il est bien possible que les gouvernants et les idéologues qui ne la respectent pas ou pire ne la comprennent plus, seront balayés par les vents de l’histoire. Ce qui fonde la légitimité (générale) d’une société n’est pas un détail facilement interchangeable. C’est bien sûr mon espoir.
Pour l’UPR, oui je souscris entièrement à votre analyse désabusée. La stratégie n’est hélas pas du tout à la hauteur du courage de l’analyse sur l’essentiel, et du travail de fond réalisé, impressionnant et utile (je ne crache pas dans la soupe). Refus de construire le débat public sur la nécessité d’une rupture unilatérale immédiate, dont les difficultés de tout ordre imposent justement de bâtir une majorité électorale au fait de ces difficultés, et persuadée de sa nécessité. Étrange stratégie CNR refusant soit de créer des courants internes, soit d’accepter les alliances externes. Stratégie “gaulliste” où tout repose sur ses épaules, mais en l’absence d’un charisme à la hauteur qui ne s’invente pas. Etc. Pour moi c’est mort. Sinon, j’y serai depuis longtemps.
J’en profite lâchement que le commentaire ne soit pas encore modéré pour faire un petit rajout, par esprit d’escalier. J’ai été tout à fait injuste avec nos prof de droit institutionnel et de droit public. Il y a une école minoritaire en France qui ne se raconte pas d’histoire sur le lien entre politique et droit, et qui possède même un blog, plein de choses intéressantes : Jus Politicum. Il y a, notamment, le grand Olivier Beaud (bon il s’est affadi avec l’âge et les honneurs), Denis Baranger, toujours passionnant, Thomas Perroud (prometteur), Armel le Divellec, Carlos-Miguel Pimentel, et bien d’autres. On apprend beaucoup avec eux. Mea culpa donc. Ils sont tous circonspects sur le grand roman de l’Etat de droit, sur l’hagiographie convenue sur le Conseil constitutionnel (qui nous ferait enfin rentrer dans la modernité juridique, ouf!), sur le positivisme juridique, sur la néolibéralisation de l’Etat, bref ce sont des gens fréquentables.
J’allais oublier l’étonnant Stéphane Rials. Si certains, comme Olivier Beaud s’affadissent avec l’âge (alors qu’il démarra sur les chapeaux de roue avec le magistral La puissance de l’État, un livre qu’il faut lire plusieurs fois), d’autres se radicalisent étonnamment avec l’âge, ayant décidé que leur carrière était un problème du passé peut-être. Il avait toujours été un esprit étonnamment libre, mais ça ne donnait pas forcément de bons résultats (il était royaliste tendance réac). Il est pourtant un prof de droit public parmi les plus reconnus, faisant largement autorité, dirige la collection prestigieuse (et formidable) aux PUF Léviathan, sans doute la meilleure collection de droit, la revue Droits, la plus respectée avec Les archives de philosophie du droit, a fondé l’Institut Michel Villey, pépinière d’où est issus Jus Politicum, bref c’est une institution vivante. Cela pourrait le rendre prudent et mesuré. Et bien c’est tout le contraire.
sur notre sujet, récemment, je le cite :
“Il n’y a lieu de s’attarder que sur la suppression du Conseil constitutionnel. La plus partagée des illusions tient à ce que la plupart des gens n’entendent pas la question de l’ « interprétation » ; ils ne saisissent pas qu’avec des textes comme ceux de la constitution et de son préambule, les juges constitutionnels n’ « appliquent » nullement, de façon en quelque sorte « mécanique » un « texte » ; les prétendus « sages » font ce qu’ils veulent, et ne sauraient d’ailleurs faire autrement puisqu’il n’y a pas de « vérité » des textes ; or il se trouve que, dans l’ordre interne, les membres du Conseil sont les ultimes gardiens de l’ordre capitaliste globalisé qui nous opprime ; une assemblée décidée au changement les trouverait en permanence en face d’elle ; s’il appartenait au Conseil constitutionnel de « filtrer » les RIC, cela viderait une telle institution de tout son sens. Le peuple souverain doit être le seul gardien de la constitution ; aucun organe ne doit pouvoir être le juge de la justesse absolue de son jugement ; qui osera donc penser et dire que M. Fabius et quatre de ses collègues puissent avoir « raison » contre des dizaine de millions de citoyens ? Tant qu’il y aura un Conseil constitutionnel, le règne de l’oligarchie sera garanti ; l’ « État de droit », dans le contexte que nous connaissons, est, hélas, l’État des riches individus ou des sociétés, des personnes morales ; les pauvres, et même les pas très riches n’ont de toute façon pas un accès effectif et équitable à la justice.
De toute façon, si, comme le porte l’article 28 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, « Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures » – à plus forte raison, un étroit groupe de prétendus spécialistes, se revendiquant de textes ou de principes passés, ne peut donner sa loi à un peuple libre et donc souverain, et jouissant donc du droit imprescriptible et inaliénable de faire la loi et de déterminer lui-même, en permanence, son sens et sa signification.” extrait de son précieux billet de blog https://assasri.wordpress.com/2019/01/18/contribution-au-cahier-de-doleances-dhondainville-oise/
Je peux vous garantir que peu de professeurs reconnus de droit public pourrait signer publiquement un texte comme celui-là…
Bref, je bats ma coulpe, des écoles juristes qui n’oublient pas l’importance du politique, il y en a oui. Toutes ces indications étaient un peu longues, mais pour vos lecteurs curieux qui voudraient un petit point sur nos écoles juridiques hétérodoxes, c’est un point de départ.
@ Gilles Amiel de Ménard
[Je peux vous garantir que peu de professeurs reconnus de droit public pourrait signer publiquement un texte comme celui-là…]
En effet, je sens que je vais prendre l’habitude d’aller sur Jus Politicum (rien que le nom, ça parle!).
@ Gilles Amiel de Ménard
[Mea culpa donc. Ils sont tous circonspects sur le grand roman de l’Etat de droit, sur l’hagiographie convenue sur le Conseil constitutionnel (qui nous ferait enfin rentrer dans la modernité juridique, ouf!), sur le positivisme juridique, sur la néolibéralisation de l’Etat, bref ce sont des gens fréquentables.]
J’ignorais l’existence de ce blog. J’avais lu le livre de Beaud sur Karl Schmidt et le nazisme, que j’avais trouvé passionnant même s’il est un peu aride. J’avais trouvé magistral celui sur le sang contaminé où il analyse la question de la responsabilité des gouvernants. Quelqu’un de très fréquentable, en effet.
@ Gilles Amiel de Ménard
[Merci à vous pour tolérer les commentaires interminables et pour vos propres commentaires et précisions circonstanciés.]
Au vu de la qualité de vos textes, j’ai peu de mérite. D’autant qu’ils m’apprennent beaucoup. Je suis passionné de droit public, mais je ne suis qu’un autodidacte – et un praticien – de la chose. Ca m’intéresse donc particulièrement de confronter ma vision avec celle de quelqu’un qui de toute évidence à une formation universitaire sur la question.
[Il n’y a donc plus qu’un simple problème de formulation. Par “légitimité politique”, nous pouvons en réalité entendre deux choses qui répondent à des logiques bien différentes. Cela peut vouloir signifier “les raisons et l’univers symbolique qui viennent justifier le domaine du politique dans une société donnée”, ou bien “tel ou tel aspect social est justifié par des raisons d’ordre politique”.]
Je vous propose une vision alternative. Pour moi, le débat sur la légitimité pour moi cherche à répondre à la question « pourquoi la loi doit être obéie ». En d’autres termes – on ne se refait pas – je reviens à une vision matérialiste : la question n’est pas tant de savoir si l’on peut trouver des arguments pour appuyer telle ou telle norme, mais de se demander pourquoi les gens acceptent ces arguments comme fondement d’une obéissance effective.
A partir de là, je parlerais de « légitimité juridique » lorsque la réponse est « il faut obéir parce que c’est la loi », et de « légitimité politique » lorsque la réponse est « il faut obéir parce que c’est l’intérêt général qui commande ». Ainsi, à celui qui dit « il faut privatiser l’électricité parce que c’est écrit dans les traités » on peut répondre « il ne faut pas privatiser parce que ce n’est pas dans l’intérêt public ». La première réponse est « juridique » au sens qu’elle peut être tranchée par un juge. La seconde relève de l’appréciation du politique.
[Ce sont toutes ces manières de parler qui me font affirmer au final “la légitimité symbolique générale de notre société est de nature politique depuis des siècles”.]
Et je vous suis sur ce point. Dès lors que dieu – que ce soit sous la forme d’un personnage barbu ou sous la forme plus immatérielle de la « nature » – est mort, et qu’on rejette la force comme source de droit, la justification « ultime » de toute norme ne peut reposer sur l’intérêt général. La DDHC de 1789, en proclamant que « la souveraineté réside essentiellement dans la nation » ne fait que formuler cette réalité. Mais la norme, une fois faite, tend à avoir une vie propre, et les gens finissent par oublier quelle était sa motivation au départ pour lui accorder une valeur intrinsèque. On le voit bien lorsqu’on cherche à faire primer la lettre de la loi sur son esprit, lorsqu’on accorde plus d’importance à l’exégèse textuelle qu’à la recherche de la volonté du législateur dans l’interprétation des textes normatifs.
[Cela lui fit saisir à quel point ses propres catégories d’analyse, même quand il se croyait rigoureusement descriptif et neutre, étaient en réalité très profondément imprégnées de conceptions occidentales individualistes, qui venaient polluer son observation.]
On retrouve ici une idée analysée magistralement par Marx sur l’impossibilité d’accéder à la « réalité » directement. Nous ne voyons le réel qu’à travers le prisme déformant d’une idéologie qui donne un sens aux phénomènes que nous observons. Par certains côtés, on peut dire que ce que Dumont a essayé de faire est une impossibilité logique : on ne peut regarder la civilisation occidentale à travers du prisme indien, parce que l’une des caractéristiques du prisme indien est précisément de ne pas s’intéresser aux autres civilisations. Ce besoin d’aller voir ailleurs, cette curiosité qui fait qu’on va regarder comment vivent les autres est une caractéristique de cet « individualisme occidental ».
[La logique juridique est bien sûr, en soi, particulière, et tente toujours de se justifier de manière autonome, ce à quoi elle n’arrive jamais (pour la bonne raison que cela est impossible). Mais cela n’empêche pas les juristes d’essayer. Et des gens bien placés de les croire sur parole, parce qu’ils ont bien compris que c’était dans leur intérêt que de découpler droit et processus démocratiques. Et d’emporter la conviction de bien des gens appartenant aux classes éduquées, par réflexe de classe ou par naïveté.]
L’idée d’une autonomie du droit est intimement liée au projet idéaliste des Lumières, celui d’un gouvernement de la Raison capable de conduire le pays non pas en fonction des intérêts mais d’un « bien » abstrait. Marx a fait un sort à cet idéalisme, montrant combien cette vision se transforme en idéologie parce qu’elle profite à une classe sociale. L’autonomie du droit permet de mettre des limites à l’intervention du « peuple » en politique qui accompagne le suffrage universel.
[Et tous les autres désormais sont des positivistes à la sauce post-Kelsen, avec plein de variantes, ou des penseurs totalement dans l’air du temps, donc hermétiques à la politique, ne comprenant même pas sa signification profonde. Et prêchent bien sûr pour leur paroisse, sans beaucoup de hauteur de vue.]
Il faut dire que l’école post-Kelsen conclut qu’il faut donner le pouvoir aux juristes, un peu comme Platon voulait donner le pouvoir aux philosophes. Et pour être juriste on n’est pas moins humain : combien de professeurs de droit ou de juges sont prêts à dire « je ne boirais pas de ton eau » lorsque la coupe du pouvoir leur est offerte ?
Comme vous le dites, Carré de Malberg est peut-être l’exposant le plus notable d’une théorie française du droit, à l’opposé de la vision germanique de Jelinek ou de Kelsen. Tout se joue dans la question de savoir si l’Etat est souverain en lui-même (ce qui autonomise le droit par rapport à la politique) ou si l’Etat n’est que le « bras armé » de la nation souveraine (ce qui ramène à la politique).
[Mais je pinaille encore. En tout cas la réalité est en effet bien plus complexe, et plein de gens “bien éduqués” (donc pas bien lucides), marchent dans le bluff juridique de “l’Etat de droit”,]
Je serais moins sévère que vous sur l’idée de l’Etat de droit. En fait, sous cette formule on peut faire référence à des choses très différentes, qui vont du simple respect raisonnable du principe de légalité à la vision plus extrémiste d’un Etat totalement ficelé par un droit « naturel ».
[Je maintiens néanmoins que cela n’annule pas pour autant l’économie générale symbolique de notre société. Et le retour au réel risque de prendre une tournure assez rude pour tous les gens “bien éduqués” et surtout les biens placés. Cela en prend la voie en tout cas, et nous sommes proches désormais d’une crise de régime caractérisée, quelle que soit par ailleurs le débouché concret des Gilets jaunes à court terme (certainement peu de choses hélas).]
C’est aussi mon analyse. Je vois dans le mouvement des « gilets jaunes » non pas un rejet des institutions politiques – et du principe représentatif au premier lieu – mais une contestation de la logique d’impuissance dans laquelle le politique lui-même s’enferme. Car de toutes les interventions que j’ai pu voir de « gilets jaunes » – je parle des vrais, pas des militants d’extrême gauche urbains qui défilent avec le fameux gilet – une constante revient : « ce n’est pas à nous de trouver les solutions, nous payons des politiques pour ça ». Ce que les gens n’acceptent plus, c’est le discours du politique qui appelle à se résigner parce que « vous comprenez, on ne peut rien faire contre la globalisation/les normes européennes/le verdict du marché ».
[La suite nous le dira. Je m’agite beaucoup à mon échelle pour tenter de construire un débouché politique.]
Vous avez bien du courage…
[Une dernière chose. Je soutiens toujours qu’il faut comprendre l’adoption du traité de Lisbonne (certes dans les formes) comme un coup d’Etat très important et très réel. La notion de coup d’Etat n’est pas réellement juridique, elle appartient à la philosophie du droit et à la science politique.]
Je ne suis pas convaincu. L’idée de « coup d’Etat » implique une rupture dans l’ordre institutionnel. Cette rupture n’est pas nécessairement « juridique » au sens qu’on peut quelquefois dans un coup d’Etat préserver la lettre de la norme en y violant l’esprit. Mais l’adoption du traité de Lisbonne marque plus une continuité qu’une rupture dans la manière dont les décisions sont prises depuis l’Acte unique et le traité de Maastricht. Personnellement, je l’inscrit comme une marche de plus dans la dégradation des institutions que comme un véritable « coup d’Etat ». Au fond, je pense que cette affaire a mis sur la place publique un mode de fonctionnement qui reste par ailleurs caché, et qui consiste à imposer aux nations par le biais de procédures juridiques des décisions dont les nations ne veulent pas. Il a aussi mis en évidence une coupure entre le « peuple » et les « élites », et l’autisme de ces dernières.
[En 2008, les évolutions fondamentales que l’on subissait depuis le marché unique jusqu’au TCE, en passant par Maastricht, ont officiellement remplacé le régime républicain précédent, finissant de dissoudre la souveraineté ou ce qu’il en restait, et ce explicitement contre l’avis de la nation, qui venait de se prononcer sur ce sujet, puisque l’enjeu de 2005 était de refuser d’entériner l’évolution qui constitutionnalisait le néolibéralisme en l’enchâssant dans des traités européens traités par la CJUE comme ayant valeur constitutionnelle depuis les années 60.]
Je suis plus nuancé que vous. Le traité de Lisbonne tournait le dos à tout processus « constituant ». En ce sens, les parlementaires n’ont pas osé aller jusqu’au bout de la trahison de la volonté populaire, ce qui tendrait à prouver que la « souveraineté » a encore de beaux restes. Mais j’insisterais surtout sur le fait que, comme vous le dites, le traité de Lisbonne n’est qu’une pierre de plus dans l’édifice commencé au temps de l’Acte Unique et du traité de Maastricht. La volonté de la nation est violée quotidiennement, lorsque les gouvernements issus du vote populaire se voient imposer par Bruxelles des politiques qui sont à l’opposé des programmes sur lesquels ces gouvernements ont été élus. Mais parce que ces violations sont graduelles, elles sont moins visibles.
[Nous avons donc changé, de fait, de régime en 2008. Et cela heurta très profondément la conscience collective du peuple français. Certes pas ses élites, qui ne bronchèrent pour ainsi dire pas, trop heureuse de se tirer du mauvais pas de 2005 à si peu de frais. La sécession des élites du regretté Christopher Lasch, analysée sociologiquement par Todd, n’est pas qu’une heureuse tournure de style.(…)]
Encore une fois, je ne crois pas qu’on ait « changé de régime ». Nous avons changé de régime en fait en 1986 avec la première cohabitation et l’Acte Unique, puis en 1992 avec le traité de Maastricht. Le changement de 2008 est finalement mineur. S’il a un effet si puissant – et sur ce diagnostic je suis d’accord avec vous – c’est parce qu’il a mis en évidence ce qui jusqu’alors était caché, un peu comme la crise grecque a mis en évidence que derrière l’hymne à la joie et « l’amitié européenne » se cachent en fait les pires comportements d’usurier.
Bonjour Descartes,
Churchill, qui avait l’art de résumer des situations complexes par des citations liminaires, avait eu ce propos bien senti pour résumer les différences d’état d’esprit entre les différentes nations:
En Angleterre, tout est permis sauf ce qui est interdit.
En Allemagne, tout est interdit sauf ce qui est permis.
En France, tout est permis même ce qui est interdit.
En URSS, tout est interdit même ce qui est permis.
Cela résume assez bien l’article je trouve.
@ FB
[Cela résume assez bien l’article je trouve.]
Si vous trouvez cela, c’est que vous n’avez pas compris l’article.
Je sors d’un tunnel… Quelques réponses bien tardives.
[Je suis passionné de droit public, mais je ne suis qu’un autodidacte – et un praticien – de la chose.]
Euh, vous me prêtez beaucoup, merci, mais tout pareil que vous, je ne suis qu’un autodidacte, sans même être un praticien… Passionné aussi, cela sans nul doute.
[A partir de là, je parlerais de « légitimité juridique » lorsque la réponse est « il faut obéir parce que c’est la loi », et de « légitimité politique » lorsque la réponse est « il faut obéir parce que c’est l’intérêt général qui commande ». Ainsi, à celui qui dit « il faut privatiser l’électricité parce que c’est écrit dans les traités » on peut répondre « il ne faut pas privatiser parce que ce n’est pas dans l’intérêt public ». La première réponse est « juridique » au sens qu’elle peut être tranchée par un juge. La seconde relève de l’appréciation du politique.]
Oui bien sûr vous avez raison d’un point de vue de l’économie locale des ordres de justification. Je n’arrive pas à me faire véritablement comprendre (ou plus simplement peut-être nous ne sommes pas d’accord). Ce n’est pas sur ce plan que je me place. Ceux qui sont pris dans leurs profession ou situation sociale privilégient logiquement l’ordre justificatif qui correspond le mieux à ce qu’ils veulent ou doivent faire, c’est bien normal. Mais ils ne disposent pas eux-mêmes de ce qui fonde l’ensemble. Ceux qui bénéficient du pouvoir social de contrainte, ne peuvent pas décider par exemple que la logique de leur action, pour être considérée comme légitime dans notre société telle qu’elle est actuellement, sera fondée sur un commandement divin. Ils peuvent bien sûr se contenter d’une justification légaliste, platement juridique, et comme telle sanctionnée par le juge. Mais cette justification elle-même, ne peut être fondée autrement que sur la possibilité de rattacher cette norme à un consentement et même une volonté de la communauté des citoyens, ou à tout le moins sur une habilitation consciente, voulue, instituée précisément et contrôlable comme telle, de ces derniers à d’autres citoyens choisis pour décider au nom de tous.
Non pas sur l’intérêt général d’ailleurs, qui est une considération qui demande à chaque fois à être interprétée. Mais sur un arrangement temporaire d’une chaîne d’habilitations (à la base du consentement) et de décisions et mettant en jeu la responsabilité de ceux qui sont temporairement habilités à décider. Que ceux qui sont pris dans cette chaîne logique et symbolique soient portés à s’auto-justifier en permanence ne change rigoureusement rien à l’économie générale symbolique de la société dont ils font partie et dont ils sont dépendants pour être compris et acceptés comme décideurs valides, aptes à produire des effets de réel sociaux.
La tension à laquelle nous assistons aujourd’hui, de plus en plus problématique, est issue précisément de cette contradiction. La population française (et anglaise, etc.), a de plus en plus de mal, et cela va aller en s’exacerbant, à relier symboliquement les orientations publiques, toujours formellement politiques car il n’existe pas de chaîne de justification symbolique ultime de substitution, quoiqu’en ait l’oligarchie actuelle, et leur assentiment général minimum, afin de pouvoir considérer non seulement légal l’ordre actuel, mais encore légitime car consenti, au moins dans les grandes lignes. C’est précisément cette contrainte incontournable qu’avait tenté de lever le néolibéralisme. Jusque-là avec succès, mais sur la base d’un grand quiproquo social et de toute une série de dissimulations idéologiques. C’est un échec, car les dissimulations ne tiennent plus, et le principe de légitimité fondamental de nos sociétés reste le même, il n’a absolument pas été remplacé. Si les élites actuelles avouaient crûment, sans détour, la conception qu’elles ont désormais en tête (“nous décidons et vous n’avez plus à être d’accord ou pas”), elles seraient immédiatement en butte à une claire volonté de rebellion en acte. La déclaration de notre alcoolique de service européiste, Juncker, fut de ce point de vue dévastatrice pour ce qu’il restait de crédibilité des institutions européennes (“Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens”). Si les justifications juridiques n’arrivent toujours pas à voler en tirant sur leurs bottes, à s’auto-justifier, malgré les énormes et continus efforts de “l’Etat de droit” (qui n’est pas simplement un Etat où le droit doit être respecté, comme tout droit bien sûr, mais un Etat où le droit prime sur la volonté politique, sur la loi elle-même et les processus démocratiques, partant sans pouvoir réellement justifier l’autorité d’où provient ce droit auto-porté ; cette expression nouvelle n’existait pas avant cette tentative), c’est parce qu’il ne convainc pas nos sociétés, en dernier ressort, sur son objectif ultime : si les gens décident d’une chose publiquement, réellement, dans les formes, et que le droit casse cette décision, c’est le droit qui a tort et la population qui est “dans son droit”, car c’est celle-là qui fonde la légitimité de celui-ci, son autorité déléguée, constituée, du fait du monopole de la souveraineté constituante, instituante, habilitatrice, que détient en propre la communauté des citoyens. Le droit, dans nos sociétés contemporaines, n’est qu’un sous-ensemble social dans le système clôt et hiérarchisé des institutions publiques d’une communauté politique donnée.
[On retrouve ici une idée analysée magistralement par Marx sur l’impossibilité d’accéder à la « réalité » directement. Nous ne voyons le réel qu’à travers le prisme déformant d’une idéologie qui donne un sens aux phénomènes que nous observons.]
C’est effectivement le premier à saisir cette réflexion à proprement parler vertigineuse. Mais il en sort en réalité bien vite. D’abord, pour développer l’idée du “miroir déformant”, qu’il abandonne ensuite sans le dire (du moins telle quelle), car cela condamne la possibilité même de son propre discours. Puis, pour développer, au cours de son interminable critique de l’économie politique, une version beaucoup plus subtile, tellement subtile qu’elle est à vrai dire ambiguë (selon moi). Une de celle qui a courageusement tenté d’en faire une vision cohérente, et donc compréhensible, tout en suivant pas à pas son évolution sur ce sujet, est Isabelle Garo, dans son « Marx, une critique de la philosophie » (notamment chap. II et VI). Mais je ne suis toujours pas convaincu. J’ai lu attentivement (j’oserai dire laborieusement) presque toute l’œuvre de Marx, et souvent avec beaucoup de profit, mais je ne suis ni marxien ni marxiste, pour des tas de raisons centrales pour moi. Par expérience, je sais que les discussions sur Marx sont interminables et relativement stériles. Ce pourquoi je laisse cela de côté pour revenir au fond de cette question.
Je ne sais pas si l’on voit le réel à travers un prisme déformant. Quel réel ? Le réel naturel est vu ou perçu, par tout être vivant, à travers le prisme déformant, mais sans lequel il n’y a aucune perception ou appréhension du moindre réel, de son individualité particulière, à son échelle et en fonction de ses propres caractéristiques. Le point de vue sans cette déformation n’est autre que le point de vue de Dieu. Il n’existe donc pas (ni Dieu ni le point de vue en surplomb, totalisant et transparent correspondant). Le discours scientifique, quant à lui, n’est pas un discours du point de vue de la vérité, si l’on entend par là la totalité et l’infini du réel appréhendé de manière transparente et intégralement compréhensive, auquel il n’a pas accès comme tout point de vue limité. Il n’en est pas moins pour autant scientifique bien sûr.
Si l’on parle par contre du réel social, alors la 2e partie de votre 2e phrase (« qui donne un sens aux phénomènes que nous observons ») rend étrange sa 1ère partie. Le « réel social », quel que soit la signification que nous donnions à ce syntagme, est un réel humain, au sens de l’être de langage que nous sommes. Nous sommes humanisés et socialisés par le langage, et n’en sommes pas séparables. Les institutions, dans le sens large et sociologique du terme (une langue donnée elle-même est une institution, les systèmes familiaux, toutes les structures sociales), font la société proprement humaine, et leurs caractéristiques est toujours de conférer aux monde et aux actes sociaux des significations, d’instituer du sens. Un réel social sans signification, est un réel non social et non humain, à proprement parler incompréhensible car insensé. Appréhender le réel social, c’est lui donner un sens d’une manière ou d’une autre. On n’échappe ni au langage, ni à la signification. Dès lors, une signification n’est pas systématiquement réductible à une idéologie comprise comme un prisme déformant (cela existe bien sûr, mais à un niveau inférieur), c’est avant tout une proposition quelconque visant à conférer un sens à un phénomène social quelconque. Cette proposition peut être illogique, trompeuse, infondée, inadéquate. Cela se vérifie en examinant tout d’abord sa structure logique (y a-t-il une contradiction interne), et la comparaison entre son contenu et les phénomènes auxquels elle confère une signification donnée, afin de vérifier si elle en procure une meilleure compréhension, rendant justice aux phénomènes en question, que d’autres propositions. On n’obtiendra jamais un résultat plus satisfaisant que cela. Appeler cela systématiquement un prisme déformant, parce que passant par le langage et donc par des significations situées, partielles, influencées c’est vrai par un contexte qui nous rend systématiquement juge et partie, l’idéologie principale de notre société, les particulières de notre milieu social, etc., est à la fois vrai et trompeur à la fois. Vrai parce qu’un travail de mise à distance des effets de sens automatiques et non perçus les plus massifs d’une société donnée, par un travail comparatif indispensable mais évidemment non miraculeux, est indispensable si nous voulons faire autre chose que simplement décliner l’air du temps de notre époque et de notre société. Mais trompeur si l’on croit qu’il nous donnerait alors accès à une « réalité brute », qui dans un monde social, humain, ne veut strictement rien dire. Assumer la condition humaine comme basée sur le langage, instituant un monde de significations, c’est renoncer à croire qu’il y a une vérité sociale objective atteignable par une raison elle-même objective. Mais nous ne risquons pas, j’en ai peur, d’épuiser ce sujet gigantesque dans une discussion sur internet.
Quant à votre position, effectivement plus nuancée que la mienne, sur la dissolution de la souveraineté de 1986 à 2008, elle me paraît sur le fond tout à fait pertinente. C’est vous qui avez raison, le processus est graduel et progressif, sans réelle solution de continuité. Si je tiens néanmoins à le présenter de la sorte, c’est pour la valeur pratique et mobilisatrice de l’argument. Mais ce n’est pas non plus qu’une question rhétorique, ou pragmatique (favoriser l’action). Il faut bien souligner à un moment donné, que la logique du régime, quoique l’on pense de la Ve République, a été radicalement retournée, que cela soit graduel (en effet ce fut graduel) ou pas. La Ve R. a été fondamentalement pensée comme le moyen de rendre effectives l’unité de décision et la cohérence d’action gouvernementalo-parlementaire capables d’assurer l’effectivité de la souveraineté nationale, et le moyen de la légitimer en passant partiellement au-dessus des partis, en reliant plus directement les citoyens et l’orientation politique donnée au sommet. Nous arrivons à une philosophie et surtout, hélas, à une pratique en tous points inverses. Or, c’est un référendum qui a formellement scellé un accord entre ce régime et la communauté des citoyens, seul un référendum pourrait légitimer une orientation inverse, et un nouveau régime, celui dans lequel nous sommes de fait mais non de droit, puisqu’il n’a jamais été autorisé par le souverain constituant, la nation. Le seul référendum qui aurait pu légitimer ce renversement, c’est celui de 2005, perdu pour ses organisateurs. Dès lors, la tentative de passer en force et par les parlementaires, signifiait la volonté consciente et assumée de se passer de toute légitimité démocratique pour finir d’inverser intégralement le sens de la constitution et du régime politique correspondant. Il est difficile de qualifier autrement ce passage à l’acte explicite que par un coup d’État parlementaire, même si le processus était né et réalisé pour l’essentiel bien avant.
@ Gilles Amiel de Ménard
[Si les élites actuelles avouaient crûment, sans détour, la conception qu’elles ont désormais en tête (“nous décidons et vous n’avez plus à être d’accord ou pas”), elles seraient immédiatement en butte à une claire volonté de rébellion en acte.]
Mais cela a toujours été le cas. Les classes dominantes ont toujours « eu en tête » de gouverner en fonction de leurs intérêts, et d’ignorer dans la mesure du possible « l’accord » des autres. C’est ce « dans la mesure du possible » qui a changé. Hier, la bourgeoisie avait besoin des couches populaires : elle avait besoin qu’elles travaillent dans ses usines, qu’elles aillent combattre dans ses armées, et aussi d’un certain niveau d’ordre public dans ses villes et ses campagnes, parce que le désordre est mauvais pour les affaires. Elle ne pouvait donc pas se permettre d’ignorer les revendications des couches populaires, sauf à prendre le risque de tout perdre. C’est pourquoi elle était prête à céder beaucoup de choses pour légitimer la norme. En 1945, la sécurité sociale, le statut du fonctionnaire ont été acceptés par la bourgeoisie parce qu’elle a compris que c’était le minimum pour faire accepter l’ordre bourgeois comme légitime.
Aujourd’hui, le bloc dominant constitué par la bourgeoisie et les classes intermédiaires peut se dispenser de l’accord des couches populaires. Elle n’a plus besoin d’elles dans ses usines – installées en Inde, en Malaisie ou en Bulgarie. Elle n’a plus besoin d’elles dans ses armées – armées aujourd’hui professionnalisées et réservées aux opérations de maintien de l’ordre internationales. Il ne lui reste que le besoin d’ordre public, et celui-ci est bien relatif dès lors que le désordre ne touche que les quartiers populaires ou les zones périphériques. Et c’est pourquoi le bloc dominant reprend une à une les conquêtes d’un siècle de luttes. Et du coup, la norme devient de moins en moins « légitime » parce qu’elle représente de moins en moins l’intérêt de tous, et de plus en plus l’intérêt d’une section.
Et si l’offensive contre les couches populaires n’est pas complète, c’est parce qu’il y a un aspect où le bloc dominant a encore besoin des couches populaires : c’est en tant que consommateurs. C’est la raison pour laquelle on maintient un système d’allocations et transferts relativement généreux : le couper, ce serait réduire drastiquement la demande intérieure.
[Si les justifications juridiques n’arrivent toujours pas à voler en tirant sur leurs bottes, à s’auto-justifier, (…) c’est parce qu’il ne convainc pas nos sociétés, en dernier ressort, sur son objectif ultime : si les gens décident d’une chose publiquement, réellement, dans les formes, et que le droit casse cette décision, c’est le droit qui a tort et la population qui est “dans son droit”,]
Cette idée parait quasi-évidente en France, parce que notre tradition politique met le droit dans une position subordonnée. Mais ce n’est pas le cas partout. L’idée que les lois sont faites par et pour le peuple, et qu’une loi qui s’oppose au peuple est une loi inique est une idée très française, mais si vous allez en Grande-Bretagne ou aux Etats Unis (et je pense aussi en Allemagne, mais je connais moins) vous verrez que la loi est conçue non pas comme l’expression de la volonté générale, mais comme une protection de l’individu contre cette volonté. C’est pourquoi votre vision de la légitimité de la norme liée au consentement me laisse dubitatif lorsqu’on la projette en dehors de la France.
[Je ne sais pas si l’on voit le réel à travers un prisme déformant. Quel réel ? Le réel naturel est vu ou perçu, par tout être vivant, à travers le prisme déformant, mais sans lequel il n’y a aucune perception ou appréhension du moindre réel, de son individualité particulière, à son échelle et en fonction de ses propres caractéristiques.]
La question ici n’était pas celle de la PERCEPTION (on revient au débat cartésien sur la possibilité que nos sens nous trompent) mais de l’interprétation que nous pouvons faire de ces perceptions. La question de l’idéologie est celle d’un double prisme : nous percevons le réel à travers nos sens, et nous interprétons ce que disent nos sens à travers le prisme d’une idéologie.
[Si l’on parle par contre du réel social,]
Je ne sais pas ce que vous appelez le « réel social ». Quand je parle de « réel », je parle des faits, nus et constatables. La monogamie dans nos sociétés est un « fait » constatable statistiquement. Est-ce un « fait social » ? J’ai l’impression que vous sautez une étape en imaginant un « réel social » qui en fait n’est qu’une lecture idéologique particulière d’un « réel ».
[Appeler cela systématiquement un prisme déformant,]
Je n’ai jamais dit qu’il fut « déformant ». Justement, j’ai pris la précaution de dire que l’idéologie donne un SENS à la réalité observable. Pour que l’idéologie puisse « déformer » ce sens, il faudrait que ce sens préexiste, autrement on voit mal ce que le prisme pourrait « déformer ». Or, ce sens ne préexiste pas. C’est l’idéologie le crée. Et c’est pourquoi les idéologies sont épistémologiquement équivalentes. Je précise que la science n’est PAS une idéologie. Son but n’est pas de donner un sens au monde, mais de l’expliquer.
[La Ve R. a été fondamentalement pensée comme le moyen de rendre effectives l’unité de décision et la cohérence d’action gouvernementalo-parlementaire capables d’assurer l’effectivité de la souveraineté nationale, et le moyen de la légitimer en passant partiellement au-dessus des partis, en reliant plus directement les citoyens et l’orientation politique donnée au sommet. Nous arrivons à une philosophie et surtout, hélas, à une pratique en tous points inverses.]
Oui. Mais il faut comprendre le sens de cette transformation : en 1958, il y eut une alliance entre une bourgeoisie nationale et les couches populaires pour créer un pouvoir politique fort. A partir de 1981, la bourgeoisie et les classes intermédiaires se sont coalisées pour créer un pouvoir politique faible et impuissant, dans une logique néolibérale. Il fallait surtout reprendre le pouvoir issu des urnes pour le transférer au secteur privé sous le contrôle des bureaucraties.
[Or, c’est un référendum qui a formellement scellé un accord entre ce régime et la communauté des citoyens, seul un référendum pourrait légitimer une orientation inverse, et un nouveau régime, celui dans lequel nous sommes de fait mais non de droit, puisqu’il n’a jamais été autorisé par le souverain constituant, la nation. Le seul référendum qui aurait pu légitimer ce renversement, c’est celui de 2005, perdu pour ses organisateurs.]
Et je pense qu’il serait tout aussi perdu aujourd’hui. En fait, et les statistiques de participation le montrent, les Français restent attachés à un régime de puissance politique forte, et plébiscitent les deux figures qui représentent cette capacité à agir : le maire au niveau local, le président de la République au niveau national. C’est pourquoi l’impuissance du politique a été organisée dans le dos du peuple, sans lui demander son avis.
@Descartes
[Et si l’offensive contre les couches populaires n’est pas complète, c’est parce qu’il y a un aspect où le bloc dominant a encore besoin des couches populaires : c’est en tant que consommateurs. C’est la raison pour laquelle on maintient un système d’allocations et transferts relativement généreux : le couper, ce serait réduire drastiquement la demande intérieure.]
Les récents événements m’ont amené à réfléchir sur les liens que peuvent entretenir une métropole et sa périphérie, lien d’interdépendance et de conflit. La mondialisation a surtout touché la périphérie, plus tourné vers les métiers de production, tandis que la métropole, qui s’est concentré sur le secteur des services, a mieux résisté. Cette distribution des activités dans l’espace semble étrange mais c’est ce que semble démontré les différentes cartographie. Je suis arrivé à peu près à la même conclusion que vous, si les classes populaires semblent marginalisés, elles jouent encore un rôle de par leur consommation. Il semblerait que les questions de production et des débouchés vont de pair, on ne peut raisonner l’un sans l’autre. Arrive ma question, pourquoi les classes intermédiaires ne peuvent fonctionner en vase clos ? On est resté très longtemps sur un modèle de type romain ou soviétique, ou un centre exploitait sa périphérie. Or l’Angleterre dans ses colonies s’en servait surtout pour écouler sa production. Mais quel besoin avait-elle de vendre par exemple son coton en Inde ? J’espère que vous pourrez m’éclairez là dessus.
(NB) Une chose me gène dans votre notion de capital immatériel. Ce qui fait le capitaliste ce n’est pas tant la possession du capital mais son accumulation. Un ouvrier Renaud qui achète une SICAV n’en devient pas pour autant un capitaliste. Un Bernard Arnault ou une Ingrid Betancourt qui ont vu leurs biens décupler sans avoir à lever le petit doigt en font parti.
@ Jacques Use
[Je suis arrivé à peu près à la même conclusion que vous, si les classes populaires semblent marginalisés, elles jouent encore un rôle de par leur consommation. Il semblerait que les questions de production et des débouchés vont de pair, on ne peut raisonner l’un sans l’autre. Arrive ma question, pourquoi les classes intermédiaires ne peuvent fonctionner en vase clos ?]
Les classes intermédiaires fonctionnent aujourd’hui en symbiose avec la bourgeoisie. C’est la bourgeoisie qui les paye, et pour les payer la bourgeoisie a besoin de faire fabriquer des biens et de les vendre pour pouvoir extraire de la plus-value du travail humain qui sert à fabriquer ces biens. Pour le dire autrement : le cadre supérieur d’une grande entreprise n’est pas lui-même un bourgeois, il ne détient pas le capital. Mais il n’est payé que parce qu’il y a des gens en dessous de lui qui travaillent et produisent de la plus-value que le capitaliste encaisse. Si ces gens-là disparaissaient, le capitaliste n’aurait plus aucun intérêt à investir, et son poste disparaîtrait. Les « classes intermédiaires » ont besoin des couches populaires comme le gardien de prison a besoin des prisonniers : ce ne sont pas eux qui le payent, mais ce sont eux qui rendent son travail nécessaire.
[On est resté très longtemps sur un modèle de type romain ou soviétique, ou un centre exploitait sa périphérie.]
Je pense que cette vision est mythique. En général, les périphéries ont coûté plus qu’elles n’ont rapporté, du moins en termes économiques. On peut d’ailleurs observer que l’effondrement des empires ne s’est pas traduit par un enrichissement des « périphéries » enfin libres de toute exploitation, mais plutôt le contraire.
[Or l’Angleterre dans ses colonies s’en servait surtout pour écouler sa production. Mais quel besoin avait-elle de vendre par exemple son coton en Inde ? J’espère que vous pourrez m’éclairez là-dessus.]
Je ne suis pas sûr de comprendre la question. Le modèle « impérial » britannique consistait à récupérer des matières premières dans son empire, les transformer dans la métropole puis revendre dans ses colonies ses produits finis. Dans un monde de marchés verrouillés, on voit mal à qui elle aurait pu les vendre autrement…
[(NB) Une chose me gène dans votre notion de capital immatériel. Ce qui fait le capitaliste ce n’est pas tant la possession du capital mais son accumulation. Un ouvrier Renault qui achète une SICAV n’en devient pas pour autant un capitaliste. Un Bernard Arnault ou une Ingrid Betancourt qui ont vu leurs biens décupler sans avoir à lever le petit doigt en font partie.]
Un ouvrier de Renault qui achète une SICAV et qui empoche les dividendes correspondants devient un « capitaliste » en cette capacité. Bien entendu, la plus-value qu’il récupère à travers sa SICAV est négligeable par rapport à celle qu’elle fournit par son travail aux actionnaires de Renault, et ses intérêts restent donc ceux de la classe ouvrière. Mais si avec les revenus de sa SICAV il achète une autre SICAV… Je pense qu’il ne faut pas aller chercher des modèles « purs ». On peut être « prolétaire » au sens qu’on fournit de la plus-value à quelqu’un, et en même temps « capitaliste » au sens qu’on extrait de la plus-value à quelqu’un d’autre grâce à la possession d’un capital. Le fait de savoir si on est un « capitaliste » ou un « prolétaire » du point de vue de l’intérêt de classe tient au bilan entre la plus-value extraite et la plus-value fournie.
Par contre, je ne vois pas très bien ce qui vous gêne là-dedans par rapport au concept de « capital immatériel ». Le capital immatériel est, tout comme le capital matériel, du travail accumulé…
@Descartes
[Les classes intermédiaires fonctionnent aujourd’hui en symbiose avec la bourgeoisie. C’est la bourgeoisie qui les paye, et pour les payer la bourgeoisie a besoin de faire fabriquer des biens et de les vendre pour pouvoir extraire de la plus-value du travail humain qui sert à fabriquer ces biens. Pour le dire autrement : le cadre supérieur d’une grande entreprise n’est pas lui-même un bourgeois, il ne détient pas le capital. Mais il n’est payé que parce qu’il y a des gens en dessous de lui qui travaillent et produisent de la plus-value que le capitaliste encaisse. Si ces gens-là disparaissaient, le capitaliste n’aurait plus aucun intérêt à investir, et son poste disparaîtrait. Les « classes intermédiaires » ont besoin des couches populaires comme le gardien de prison a besoin des prisonniers : ce ne sont pas eux qui le payent, mais ce sont eux qui rendent son travail nécessaire.]
Je trouve votre analogie étrange, mais je pense avoir compris votre raisonnement. Si je vous suis bien, tout ça est une histoire de plus-value, la bourgeoisie a besoin de produire toujours davantage afin de faire plus de profit ?
[Un ouvrier de Renault qui achète une SICAV et qui empoche les dividendes correspondants devient un « capitaliste » en cette capacité. Bien entendu, la plus-value qu’il récupère à travers sa SICAV est négligeable par rapport à celle qu’elle fournit par son travail aux actionnaires de Renault, et ses intérêts restent donc ceux de la classe ouvrière. Mais si avec les revenus de sa SICAV il achète une autre SICAV… Je pense qu’il ne faut pas aller chercher des modèles « purs ». On peut être « prolétaire » au sens qu’on fournit de la plus-value à quelqu’un, et en même temps « capitaliste » au sens qu’on extrait de la plus-value à quelqu’un d’autre grâce à la possession d’un capital. Le fait de savoir si on est un « capitaliste » ou un « prolétaire » du point de vue de l’intérêt de classe tient au bilan entre la plus-value extraite et la plus-value fournie.]
Un ouvrier peut certes s’en servir dans une logique d’accumulation du capital, mais le plus souvent il l’utilise comme complément de revenu, ou afin de se faire une épargne en cas de risque. Très peu sont dans une logique de maximisation du profit.
[Par contre, je ne vois pas très bien ce qui vous gêne là-dedans par rapport au concept de « capital immatériel ». Le capital immatériel est, tout comme le capital matériel, du travail accumulé…]
Quand je parlais de capital accumulé, je parlais de la capacité du capital à s’auto-engendré, à produire toujours plus de capital. Il ne me semble pas que le capital immatériel créé de la valeur en tant que telle.
@ Jacques Use
[« Les « classes intermédiaires » ont besoin des couches populaires comme le gardien de prison a besoin des prisonniers : ce ne sont pas eux qui le payent, mais ce sont eux qui rendent son travail nécessaire. » Je trouve votre analogie étrange, mais je pense avoir compris votre raisonnement. Si je vous suis bien, tout ça est une histoire de plus-value, la bourgeoisie a besoin de produire toujours davantage afin de faire plus de profit ?]
Oui. Mais les « classes intermédiaires » elles aussi y gagnent, parce que la bourgeoisie a besoin d’elles pour augmenter la production.
[Un ouvrier peut certes s’en servir dans une logique d’accumulation du capital,]
Un ouvrier qui achète une SICAV a déjà « accumulé » du capital. Il a économisé sur son salaire – autrement dit, il a accumulé du travail – puis il l’a investi dans la production.
[mais le plus souvent il l’utilise comme complément de revenu, ou afin de se faire une épargne en cas de risque. Très peu sont dans une logique de maximisation du profit.]
Les ouvriers ne sont pas idiots. Lorsqu’ils achètent une SICAV, ils cherchent la SICAV qui rapporte le plus. N’est-ce pas là une « maximisation du profit » ?
[Quand je parlais de capital accumulé, je parlais de la capacité du capital à s’auto-engendré, à produire toujours plus de capital. Il ne me semble pas que le capital immatériel créé de la valeur en tant que telle.]
Mais bien sûr que si. Si vous avez des réseaux et des connaissances rares qui vous permettent de négocier un bon poste et un bon salaire, vous serez bien placé pour accroître votre réseau et vos connaissances. L’effet d’accumulation est assez évident.
@Descartes
[Je pense qu’il ne faut pas aller chercher des modèles « purs ». On peut être « prolétaire » au sens qu’on fournit de la plus-value à quelqu’un, et en même temps « capitaliste » au sens qu’on extrait de la plus-value à quelqu’un d’autre grâce à la possession d’un capital. Le fait de savoir si on est un « capitaliste » ou un « prolétaire » du point de vue de l’intérêt de classe tient au bilan entre la plus-value extraite et la plus-value fournie.]
Je pense qu’à fortiori il faut éviter l’étude de cas individuels avec les outils marxistes, qui sont largement des outils macroéconomiques.
Mais maintenant qu’on en parle, j’aimerais discuter un peu de ta description des classes intermédiaires. Tu sembles catégoriser assez souvent le travail indépendant dans les “classes intermédiaires”, ce qui pose un certain problème, le travail indépendant pour les peu qualifiés étant souvent un moyen pour les patrons d’échapper aux contraintes du contrat de travail… Il me semble que c’est un peu le revers de la médaille de la “libération des énergies” Macronienne : en effet, le statut d’indépendant peut être très avantageux pour certaines professions qualifiées, mais en même temps cela peut aussi créer du sous-prolétariat corvéable à merci pour les travaux moins qualifiés…
@ BolchoKek
[Je pense qu’à fortiori il faut éviter l’étude de cas individuels avec les outils marxistes, qui sont largement des outils macroéconomiques.]
Oui et non. Tu as raison lorsque tu dis que les instruments d’analyse marxistes sont fondamentalement macroéconomiques. Mais lorsqu’il s’agit d’expliquer la constitution d’un intérêt de classe, il faut descendre au niveau des individus pour expliquer pourquoi des gens individuellement différents ont un intérêt commun qui les transcende.
[Mais maintenant qu’on en parle, j’aimerais discuter un peu de ta description des classes intermédiaires. Tu sembles catégoriser assez souvent le travail indépendant dans les “classes intermédiaires”, ce qui pose un certain problème, le travail indépendant pour les peu qualifiés étant souvent un moyen pour les patrons d’échapper aux contraintes du contrat de travail…]
Il ne faut pas confondre une situation de facto avec une situation de jure. Lorsque je mets le travailleur indépendant dans les « classes intermédiaires », je me réfère à une situation de fait : le travailleur indépendant est celui qui DANS LES FAITS a la possibilité d’organiser son travail et un vrai pouvoir de négociation sur sa rémunération. Et cela indépendamment de sa situation EN DROIT. Même si EN DROIT certains travailleurs sont indépendants, EN FAIT ils n’ont guère de pouvoir d’organisation ou de négociation et ne sont donc pas à classer dans les « classes intermédiaires ».
J’ajoute que la jurisprudence de la Cour de cassation tend à aligner le droit sur le fait, requalifiant des contrats de prestation « indépendante » en contrat de travail.
[Il me semble que c’est un peu le revers de la médaille de la “libération des énergies” Macronienne : en effet, le statut d’indépendant peut être très avantageux pour certaines professions qualifiées, mais en même temps cela peut aussi créer du sous-prolétariat corvéable à merci pour les travaux moins qualifiés…]
Tout à fait : c’est bien le « capital immatériel » qui détermine si on tombe dans la première ou la deuxième catégorie.
Bonjour,
Djordje Kuzmanovic a créé un mouvement qui déclare “Nous, République souveraine, refusons de participer à la mascarade des européennes.” Dans sa prise de position, il écrit :”La Commission européenne décide de tout sans aucun contrôle démocratique.” Que pensez-vous de cette formulation ?
J’y est réfléchi. Dans les faits, non la “Commission européenne” non seulement ne décide pas de tout, mais décide en plus sous le contrôle notamment du Parlement européen, mais aussi du Conseil européen. Rien que pour le Parlement européen :
Le Parlement a le contrôle du volet dépenses de l’UE.
Il est un des organes législatifs et vote les directives et traités. Il a bien une compétence législative. L’accord du Parlement est nécessaire à l’adoption de tout texte législatif, il peut donc bloquer un texte.
Il approuve le Président de la Commission, ainsi que la composition de la Commission, qu’il peut forcer à démissionner par une motion de censure. Le Parlement a un rôle d’influence.
Les Députés européens posent des questions à la Commission et donc la contrôlent.
Le Parlement peut prendre l’initiative de réviser les traités et a le dernier mot pour décider si une convention doit ou non être convoquée pour préparer une future modification des traités (article 48, paragraphes 2 et 3, du traité sur l’Union européenne, TUE).
Aussi, les élections européennes me semblent bien plus qu’un sondage grandeur nature, pour ou contre Macron…
@ Gautier WEINMANN
[Djordje Kuzmanovic a créé un mouvement qui déclare “Nous, République souveraine, refusons de participer à la mascarade des européennes.” Dans sa prise de position, il écrit :”La Commission européenne décide de tout sans aucun contrôle démocratique.” Que pensez-vous de cette formulation ?]
Je pense qu’il a tort en droit, et raison dans les faits. En théorie, la Commission ne décide seule que de ce qu’on appelle les « actes délégués ». Mais en matière de réglements ou de directives, qui sont les actes les plus importants, elle ne fait que proposer les textes au Parlement et au Conseil. Mais dans les faits, le fait que la Commission ait le monopole de proposition fait que ni le Conseil ni le Parlement ne peuvent amender les textes : ils ne peuvent que proposer au cours de la négociation des modifications que la Commission est libre ou non d’accepter, et rejeter le texte que la Commission propose à l’issue de la négociation. Dans ce cas, il suffit à la commission d’attendre un meilleur moment (par exemple lorsque le Parlement ou le Conseil tiennent à voir un autre texte proposé) pour repasser le plat. Et à la fin, c’est le texte de la Commission qui passe…
[Il est un des organes législatifs et vote les directives et traités. Il a bien une compétence législative. L’accord du Parlement est nécessaire à l’adoption de tout texte législatif, il peut donc bloquer un texte.]
Parler de « compétence législative » n’a pas de sens parce qu’il n’y a pas au niveau européen de distinction entre acte législatif et acte réglementaire. Le Parlement doit donner son accord pour l’adoption de certains textes – pas tous. Mais il ne peut pas l’amender. Seule la Commission peut amender un texte. En d’autres termes, aucun texte dont la Commission ne voudrait pas ne peut être soumis au Parlement et au Conseil. Mais surtout, ce que vous oubliez est que contrairement à un parlement national, qui légifère dans le cadre d’une Constitution, le Parlement européen vote des textes dans le cadre d’un traité. Or, contrairement à une Constitution, les traités fixent des objectifs précis, par exemple, la “concurrence libre et non faussée”. En d’autres termes, le Parlement européen ne pourrait pas, quand même le voudrait-il, prendre un texte qui limiterait la concurrence…
[Le Parlement a un rôle d’influence.]
« Influence » oui. Sauf que le Parlement est composé de députés qui ne parlent pas la même langue, n’ont pas la même culture juridique, et les discussions sont donc assez superficielles.
[Le Parlement peut prendre l’initiative de réviser les traités et a le dernier mot pour décider si une convention doit ou non être convoquée pour préparer une future modification des traités (article 48, paragraphes 2 et 3, du traité sur l’Union européenne, TUE).]
Et ça sert à quoi ?
[Aussi, les élections européennes me semblent bien plus qu’un sondage grandeur nature, pour ou contre Macron…]
Cela fera bientôt un demi-siècle qu’on choisit un Parlement européen. Pouvez-vous citer un seul cas où l’existence du Parlement européen ait changé quoi que ce soit à la vie des européens ? Non ? Et bien, je pense qu’un organisme qui en un demi-siècle d’existence n’a rien changé peut raisonnablement être considéré comme inutile.
Quelques votes importants de la précédente mandature du Parlement européen. Extraits d’articles de Cabirol Michel, La Tribune du 23 avril 2019 et Maligorne Clémentine, Le Figaro du 23 avril 2019.
Auteurs et éditeurs armés face aux géants du net
Le 26 mars 2019, après deux ans et demi de débats, les eurodéputés ont adopté définitivement une directive réformant le droit d’auteur sur internet par 348 voix «pour», 274 «contre» et 36 abstentions. L’objectif: rééquilibrer le rapport de force entre les auteurs et les plateformes numériques comme Google ou Facebook. L’article 11 (renommé article 15) établit ainsi un «droit voisin» pour la presse en ligne. L’autre disposition phare de la directive est l’article 13 (renommé article 17) qui crée une responsabilité des plateformes pour le respect et la rémunération des droits d’auteur. Concrètement, cela signifie que les plateformes comme Google, Facebook ou Apple vont devoir rémunérer les éditeurs de presse dont ils référencent ou utilisent les contenus pour former des services comme Google News, via une redevance dont les modalités sont encore à définir. Ces plateformes devront aussi respecter les droits et la rémunération des auteurs et artistes. Ces textes seront transposés dans le droit français d’ici la fin de l’année, et même d’ici l’été pour le «droit voisin».
Le statut de travailleur détaché plus encadré
Le 29 mai 2018, après 27 mois d’intenses négociations, les députés du Parlement européen ont approuvé à une écrasante majorité (456 pour et 147 contre) la révision de la directive travailleurs détachés. L’objectif: encadrer le statut des personnes venues d’un pays de l’UE pour travailler de façon temporaire dans un autre, comme la France ou l’Allemagne, et qui payent des cotisations dans leur pays d’origine, avec de nombreux abus à la clé. Qu’est-ce qui va changer? Les employeurs devront verser la même rémunération aux travailleurs détachés qu’aux travailleurs locaux. Ce qui signifie qu’en plus du salaire minimum, ils devront leur payer les autres avantages, comme les primes, prévus par les conventions collectives qui s’appliquent aux locaux. En outre, ils ne pourront plus déduire du salaire les frais d’hébergement, de nourriture et de transport. Enfin, la durée maximale du détachement sera limitée à 12 mois, avec une prolongation possible de 6 mois. Cette directive, qui exclut le secteur des transports, entrera en vigueur en France le 30 juillet 2020.
Un traité de libre-échange entre l’UE et le Canada
Le 15 février 2017, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA) a été ratifié par les eurodéputés (408 voix pour, 254 contre et 33 abstentions). Controversé, cet accord vise à accroître le commerce de l’UE avec le Canada. Pour cela, il fait disparaître les tarifs douaniers sur la quasi-totalité des marchandises entre les partenaires. Le texte prévoit aussi une coopération en matière de normes sociales, sanitaires et environnementales. Il ouvre aussi aux entreprises européennes (et françaises) l’accès aux marchés publics canadiens et vice versa. Ses opposants craignent des conséquences sur l’emploi, la qualité des produits, la protection des origines protégées, la santé et l’environnement. Une grande partie du texte entrera en application provisoire dès le 1er mars 2017, le temps d’être ratifié par l’ensemble des parlements nationaux et régionaux de l’UE, ce qui prendra des années.
Les données personnelles mieux protégées
Annoncé en 2012 et adopté par le Parlement européen en 2016, le Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD), texte crucial pour la protection de la vie privée des citoyens européens, est entré en application en France le 25 mai 2018. Il remplace la loi informatique et libertés de 1978. Ce règlement fixe un nouveau cadre juridique pour la collecte, la conservation, le traitement et la sécurisation des données personnelles collectées auprès de résidents européens. Il concerne aussi bien les entreprises européennes que non européennes, même celles qui n’ont pas d’activité sur Internet, à partir du moment où elles gèrent des données personnelles. Désormais chacun peut avoir accès à ses propres données et a le droit de les modifier, mais aussi de s’opposer à leur utilisation, notamment commerciale. Aux entreprises, donc, de demander la permission à chacun en expliquant la légitimité de leur utilisation.
Fini les frais d’itinérance sur les téléphones mobiles
Par un vote définitif fin octobre 2015, les députés européens ont mis fin au «roaming», ces frais d’itinérance qui s’appliquaient en plus des forfaits aux consommateurs qui utilisent leur téléphone hors des frontières de leur pays. Concrètement, depuis le 15 juin 2017, les consommateurs européens peuvent utiliser leurs forfaits nationaux depuis un autre État de l’Union, dans les mêmes conditions – ou presque – que depuis leur pays d’origine. Ainsi, un forfait illimité en France, donne droit à des appels illimités depuis n’importe quel pays de l’Union. Si c’est un forfait avec un nombre d’heures limité, ce même nombre s’applique dans les 27 pays.
Cotons-tiges, pailles, touillettes en plastique bientôt bannis
Le 27 mars 2019, le Parlement européen a entériné (par 560 voix pour, 35 contre 28 abstentions), la fin d’une dizaine de catégories de produits en plastique, comme les cotons-tiges, pailles, touillettes à café, couverts, assiettes ou encore bâtonnets pour ballons, dans l’Union européenne. Ces produits à usage unique, qui polluent massivement les océans, seront bannis à partir de 2021, si des alternatives sont trouvées. Pour d’autres produits, notamment les emballages en plastique des aliments prêts à consommer, l’objectif est de réduire leur consommation au niveau national et d’être plus exigeant sur leur conception et leur étiquetage. La législation fixe par ailleurs un objectif de collecte de 90% pour les bouteilles en plastique d’ici 2029. Ces bouteilles devront contenir 25% de produits recyclés dans leur fabrication d’ici 2025, et 30% d’ici 2030. En France, la fin des couverts, gobelets, tasses, assiettes non compostables et des cotons-tiges a déjà été fixée au 1er janvier 2020.
La pêche électrique sera complètement interdite
Le 13 février 2019, après trois ans de lutte sur la scène européenne, les États membres et les représentants de l’hémicycle européen se sont entendus sur l’avenir de la pratique dans les eaux communautaires. Ils ont décidé de mettre fin de manière définitive aux exceptions, qui permettaient surtout à une partie de la flotte de pêche néerlandaise de pratiquer la pêche à impulsion électrique. Une technique très décriée, accusée d’épuiser rapidement la ressource halieutique. Les poissons sont littéralement décollés des fonds marins grâce à des champs électriques de faible intensité générés par les chaluts. Définitivement voté le 16 avril 2019 par le Parlement européen, l’interdiction totale de la pratique de cette pêche n’interviendra qu’au 1er juillet 2021, le temps que les pêcheurs néerlandais, les principaux concernés en Europe, puissent se reconvertir.
Création du Fonds européen de la défense
Le Parlement européen a approuvé jeudi dernier un accord partiel sur la création et la dotation financière du Fonds européen de la défense pour 2021-2027, qui vise une approche plus ”européenne” de la défense. Conclu avec les ministres de l’Union européenne (UE), cet accord a été approuvé par 328 voix pour, 231 contre et 19 abstentions. Cette somme devra toutefois encore faire l’objet de négociations dans le cadre des discussions relatives au budget à long terme de l’UE pour la période 2021-2027. Dans ce cadre, le prochain Parlement poursuivra les négociations avec les États membres sur les questions qui restent en suspens. Le Fonds européen de la défense doit en principe contribuer à la mise en place d’une base industrielle et technologique de défense européenne forte, compétitive et innovante. Le Fonds européen favorisera ainsi l’innovation technologique et la coopération dans le secteur de la défense européenne et ambitionne de positionner l’UE “parmi les quatre premiers investisseurs européens en matière de recherche et de technologie de défense”, a expliqué un communiqué du Parlement européen. Les projets seront définis en fonction des priorités de défense convenues par les États membres dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune.
@ Gautier Weinmann
[Quelques votes importants de la précédente mandature du Parlement européen.]
Je me fous des “votes importants”. La question que j’avais posée, et qui est la seule qui compte, est de savoir si l’existence du Parlement a en quelque chose amélioré les textes en question. Imaginez un instant qu’il n’y ait plus de Parlement européen, que tout se décide entre Commission et Conseil. En quoi ces directives seraient moins conformes aux intérêts des riches ?
“Pouvez-vous citer un seul cas où l’existence du Parlement européen ait changé quoi que ce soit à la vie des européens ?” C’EST FAIT ! Il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
“Savoir si l’existence du Parlement a amélioré ses textes” ? En tout cas il l’est a voté. Il y a bien un enjeu politique, donc, puisqu’il aurait pu aussi… les refuser.
D’autre part, je n’ai jamais dit que la composition politique actuelle du PA allait dans le sens des intérêts populaires. Effectivement, ça va dans le sens des intérêts des riches. Est-ce que ça vous étonne, vu les groupes en question ?
@ Gautier WEINMANN
[“Pouvez-vous citer un seul cas où l’existence du Parlement européen ait changé quoi que ce soit à la vie des européens ?” C’EST FAIT ! Il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.]
Et pas de pire aveugle que celui qui ne sait pas lire. Relisez attentivement la question : je vous demandais « ce que l’existence du Parlement européen a changé ». Et non pas ce que les normes qu’il a voté ont changé. Si le Parlement n’existait pas, les mêmes textes auraient été pris par la Commission et le Conseil, et cela n’aurait pas changé grande chose. Le Parlement n’a le pouvoir d’imposer aucun changement, puisqu’il n’a pas le droit d’amendement. Tout ce qu’il peut faire, c’est de négocier avec la Commission des changements, que la Commission doit accepter pour qu’ils soient intégrés dans le texte. Or, comme la Commission est issue de la même majorité que le Parlement, leurs points de désaccord sont minimes.
[“Savoir si l’existence du Parlement a amélioré ses textes” ? En tout cas il l’est a voté. Il y a bien un enjeu politique, donc, puisqu’il aurait pu aussi… les refuser.]
En théorie, oui. En pratique, cela n’est jamais arrivé. Et on comprend très simplement pourquoi : un Parlement libéral arrivera toujours à se mettre d’accord avec une Commission libérale pour faire des textes libéraux.
[D’autre part, je n’ai jamais dit que la composition politique actuelle du PA allait dans le sens des intérêts populaires. Effectivement, ça va dans le sens des intérêts des riches. Est-ce que ça vous étonne, vu les groupes en question ?]
Pas du tout. Mais pourrait-il en être autrement ? Le Parlement européen pourrait-il être autre chose que ce qu’il est ? Personnellement, je ne le pense pas. Et cela pour deux raisons. La première, est que la délibération nécessite la communication, et que la communication nécessite des cadres communs. Les membres des parlements français, britannique, allemand ou italien peuvent discuter, échanger, légiférer comme un corps parce qu’ils partagent un cadre de références culturelles, juridiques et, last but not least, linguistiques. Ce n’est pas le cas dans le Parlement européen. Imaginez que vous siégez à Strasbourg et que vous entendiez un député – à travers la traduction simultanée, cela va sans dire – utiliser l’expression « voici l’hiver de notre mécontentement ». Un député britannique reconnaîtrait instantanément la citation et sa signification. Mais vous, qu’est ce que vous comprenez ? Rien. Et réciproquement, un député français qui utiliserait le terme « intérêt général » ne serait pas compris – ou plutôt il serait mal compris – parce que cette expression n’évoque pas la même chose chez des gens qui n’ont pas la même culture politique.
La deuxième raison, c’est que le Parlement européen n’est pas issu d’un demos, c’est-à-dire, d’une communauté de citoyens liés par des liens de solidarité inconditionnelle et impersonnelle. Les députés allemands se foutent du sort des Grecs, et l’ont abondamment montré. Tout simplement parce que leurs électeurs allemands se foutent des électeurs grecs…
[La deuxième raison, c’est que le Parlement européen n’est pas issu d’un demos, c’est-à-dire, d’une communauté de citoyens liés par des liens de solidarité inconditionnelle et impersonnelle. Les députés allemands se foutent du sort des Grecs, et l’ont abondamment montré. Tout simplement parce que leurs électeurs allemands se foutent des électeurs grecs…]
Je me permets une intervention : les électeurs de LaREM ne s’en foutent-ils pas aussi du <>, ceux qui ne sont rien (à entendre un certain Mr. M). Ne l’ont-ils pas montré, jusqu’à manifester (en rouge!) leur haine de classe. Le lien de solidarité est-il brisé ?
Le démos Européen existent pour ceux qui ont la possibilité de traverser les frontières, a la recherche d’un cadre de vie différent ou lors d’expérience scolaires ou encouragées par les familles. C’est sans doute pour ça qu’ils se reconnaissent dans l’UE et le projet Européen.
@ Yoann
[Le démos Européen existent pour ceux qui ont la possibilité de traverser les frontières, a la recherche d’un cadre de vie différent ou lors d’expérience scolaires ou encouragées par les familles.]
Mais constituent-ils un « demos » ? J’en doute. Je ne pense pas que les citoyens allemands « qui ont la possibilité de traverser les frontières » se soient beaucoup souciés de leurs homologues grecs…
Triste actualité de cet article : le 28 août, CRRC a finalisé le rachat de l’activité de construction de locomotives de l’entreprise allemande Vossloh (https://www.europe1.fr/emissions/L-edito-eco2/le-geant-du-ferroviaire-chinois-crrc-rachete-le-groupe-allemand-vossloh-3916375).
On se souviendra qu’il y a six mois à peine, Vestager déclarait qu’il n’y a « aucune perspective d’entrée des Chinois en Europe dans un avenir prévisible ». Visionnaire !
Il faut savoir que l’analyse du respect des règles de la concurrence par la Commission prend en compte des éléments de nature économique. Ainsi, Vestager s’est rendue coupable non seulement d’une faute politique en appliquant la règle alors que ce choix n’était pas justifié (et qu’on ne dise pas que la Commission n’a pas de rôle politique et doit absolument appliquer le droit, parce qu’elle se contorsionne très bien quand ça l’arrange), mais également d’une faute technique en procédant à une analyse dépassée du marché ferroviaire.
Pourtant, Vestager ne sera jamais sanctionnée pour son double manquement, qui finira par coûter cher à l’industrie européenne.
De notre côté, Bruno Le Maire s’est empressé de faire état de ses sentiments en déclarant que cette situation était « insupportable », avant bien entendu d’ajouter qu’il « faut » changer les choses. C’est bien pratique d’être européiste : on peut récolter tous les mérites de l’UE et se décharger de toutes ses fautes, en expliquant qu’il « faudrait » quand même changer les choses (mais pas trop). Il faudrait d’ailleurs entreprendre la liste des choses que les européistes français (n’imaginons même pas à l’échelle continentale) voudraient changer dans l’UE, ce serait assez éloquent…
Finalement, qui de Vestager ou de Le Maire est responsable ? Qui des ministres ou des commissaires devront rendre des comptes ? Qui des Etats, qui de l’UE ? Aucun. La structure même de l’UE aboutit à ce que, d’une part, des décisions stupides allant à l’encontre de nos intérêts soient prises et, d’autre part, à ce que nul ne soit sanctionné pour avoir pris ces décisions stupides. Ce qui donne un système structurellement irresponsable, c’est-à-dire ouvert à toutes les dérives.
@ Advocare
[Triste actualité de cet article : le 28 août, CRRC a finalisé le rachat de l’activité de construction de locomotives de l’entreprise allemande Vossloh (…) On se souviendra qu’il y a six mois à peine, Vestager déclarait qu’il n’y a « aucune perspective d’entrée des Chinois en Europe dans un avenir prévisible ». Visionnaire !]
Un exemple de plus s’il en fallait encore un qui montre combien est illusoire d’imaginer une politique industrielle européenne qui serait compatible avec la logique « concurrence first » de la Commisison. La Commission, sur rapport de Vestager, s’était opposée à la fusion entre des activités ferroviaires de Siemens et d’Alsthom au motif qu’une telle fusion menacerait la concurrence sur le marché européen du matériel ferroviaire en créant un acteur monopolistique. L’argument selon lequel il fallait un champion européen de grande taille pour résister à la concurrence chinoise avait été balayé d’un revers de manche au prétexte que les chinois n’allaient pas débarquer sur le marché européen. On voit, avec ce rachat, ce qu’il en est.
L’obsession concurrentielle de la commission implique un marché « atomique », c’est-à-dire, où aucun acteur n’ait une taille suffisante pour influencer à lui seul les prix. C’est là l’une des conditions d’une concurrence « pure et parfaite ». Seulement voilà : cette fiction des économistes n’est pas compatible avec la logique industrielle, qui démontre une augmentation de l’efficacité économique avec la taille, particulièrement importante dans l’industrie lourde. Il est impossible de constituer des « champions européens » suffisamment petits pour satisfaire l’atomicité du marché européen et en même temps suffisamment grands pour être compétitifs devant les géants chinois.
Par ailleurs, pour aller conquérir le monde, un champion industriel doit avoir l’assurance de pouvoir amortir sa recherche sur le marché intérieur. C’est pourquoi tous les grands pays industriels réservent des pans entiers de leur marché intérieur à leurs champions industriels nationaux. Essayez de vendre aux Etats-Unis une turbine qui ne soit pas General Electric, de vendre en chine une locomotive qui ne soit pas CRRC. Il n’y a que l’Europe pour croire encore aux balivernes du genre « concurrence pure et parfaite ».
[Pourtant, Vestager ne sera jamais sanctionnée pour son double manquement, qui finira par coûter cher à l’industrie européenne.]
Si l’on ne fait pas attention, on la verra dans quelques années dans un confortable fauteuil au conseil d’administration de Vossloh/CRRC. Il y a pas mal de précédents de ce genre de renvoi d’ascenseur. Pensez à Barroso, aujourd’hui titulaire d’une sinécure fort bien payée chez Goldman Sachs. Seules les personnes mal intentionnées pourraient imaginer qu’il s’agit d’un retour d’ascenseur…
[De notre côté, Bruno Le Maire s’est empressé de faire état de ses sentiments en déclarant que cette situation était « insupportable », avant bien entendu d’ajouter qu’il « faut » changer les choses.]
C’est la même chose à chaque fois : à chaque désastre, « il faut changer les choses ». Jamais « je vais changer les choses », notez-le bien. « Il faut » suffit largement.
[Finalement, qui de Vestager ou de Le Maire est responsable ?]
Ni l’un, ni l’autre. Tous deux appliquent fidèlement une logique qui est contenue dans le traité de Maastricht. Ce sont ceux qui ont appelé à ratifier ce traité ou qui ne se sont pas opposés à cette ratification qui en portent la responsabilité. Tout comme ceux qui veulent le maintenir en vigueur. Il est trop commode de dire que c’est la faute d’untel ou d’une telle qui n’aurait pas fait correctement son travail. Ce résultat est contenu dans la logique des traités européens. Et tant qu’on ne le comprendra pas, tant qu’on continuera à imaginer que si Vestager ou Le Maire faisaient bien leur boulot on pourrait conduire une politique industrielle dans le cadre européen, les catastrophes continueront.
Tiens, et à propos d’européisme, le gouvernement italien fraîchement nommé (issu d’une alliance assez improbable entre le M5S – parti se présentant habituellement comme anti-establishment – et le PD) n’est pas en reste.
Ainsi, on apprend (*) que :
– « dans un signal d’apaisement adressé à Bruxelles après le bras de fer sur le budget engagé avec la Commission européenne par le gouvernement sortant, le démocrate Roberto Gualtieri, actuel président de la commission des affaires économiques du Parlement européen, est nommé ministre de l’économie. »
– « Le M5S et le PD ont dévoilé mardi un programme en 26 points qui met l’accent sur une augmentation des investissements pour relancer l’économie tout en demandant davantage de souplesse dans la mise en œuvre des règles budgétaires européennes, qu’ils jugent d’une « rigidité excessive ». »
(*) Source Le Monde : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/04/italie-les-anciens-partis-ennemis-parviennent-a-former-un-gouvernement_5506382_3210.html
@ Ian Brossage
[Tiens, et à propos d’européisme, le gouvernement italien fraîchement nommé (issu d’une alliance assez improbable entre le M5S – parti se présentant habituellement comme anti-establishment – et le PD) n’est pas en reste.]
Il faut se méfier du Monde, qui a une certaine tendance à prendre ses désirs pour des réalités. En fait, on voit en Italie une réplique de ce qui se passe en Grande Bretagne : la coalition de tous ceux qui, au-delà des grands discours, veulent que tout continue comme avant. On voit aujourd’hui que la « radicalité » du M5S n’était qu’une posture, que l’alliance avec les « politicards », tant décriée, devient légitime dès lors qu’il s’agit de garder le pouvoir. Les opposants à Salvini ont cela de commun avec ceux de Johnson : ils ont peur des électeurs. On sait que depuis quelques années personne n’ose plus organiser de référendum. Bientôt, ils hésiteront aussi à organiser des élections…
Pour ce qui concerne l’européisme, c’est devenu le pivot des « saintes alliances » entre une « droite » et une « gauche » qui ne sont que le faux nez des mêmes intérêts, ceux du « bloc dominant ». Le trotskyste Corbyn et le thatchérien Hezeltine votent côté à côté, le populiste Grillo et le centriste Renzi aussi.
[– « Le M5S et le PD ont dévoilé mardi un programme en 26 points qui met l’accent sur une augmentation des investissements pour relancer l’économie tout en demandant davantage de souplesse dans la mise en œuvre des règles budgétaires européennes, qu’ils jugent d’une « rigidité excessive ». »]
Les européistes qui croient que l’UE sera gentille avec eux parce qu’ils sont européistes déchantent en général assez vite. Je ne suis pas persuadé que Salvini soit le perdant de cette crise. Il y a maintenant à la tête de l’Italie un attelage improbable qui va devoir faire voter un budget dans une situation économique proche du désastre, et dans un climat de quasi-récession de la zone euro. Salvini aura beau jeu depuis son fauteuil de premier opposant de clamer que les choses auraient été différentes avec lui aux affaires.