God Save the Queen

Sa Majesté Elisabeth II, par la grâce de dieu reine du Royaume Uni est morte. Je voudrais ici lui rendre mon petit hommage. Cette déclaration étonnera j’en suis sur certains de mes lecteurs, de voir un républicain intransigeant rendre hommage à une tête couronnée, à un communiste avoué rendre hommage à celle qui mena une longue vie de privilège. Mais ceux qui savent combien je suis attaché aux institutions comprendront je pense mon point de vue. Le décès de Sa Majesté et les hommages qui ont suivi – et d’abord, ceux sans doute sincères et désintéressés des britanniques qui ont pris la peine par un soir de pluie de se réunir devant un Buckingham Palace vide ou de faire sept heures de queue (!) pour se recueillir devant son cercueil – nous disent beaucoup de choses de notre rapport aux institutions, pour peu qu’on regarde de plus près.

Quand meurt un « grand », la question qui se pose est celle de son renouvellement. Peu importe qu’il s’agisse d’un politique, d’un artiste, d’un scientifique, d’un acteur. Si ces derniers temps on a chaque fois l’impression d’une perte irréparable, c’est que la machine à fabriquer les « grands » semble aujourd’hui cassée. Notre société n’en fabrique pas à la même vitesse que naguère, si tant est qu’elle en fabrique du tout. Réfléchissez : quel personnage qui ayant aujourd’hui moins de 70 ans aura droit, le jour de sa mort, à l’hommage populaire d’une Elisabeth II, d’un De Gaulle, d’un Churchill, d’un Staline, d’un Clemenceau ?

Vous me direz que ceux-là ont été faits par la guerre, et je vous l’accorde – même si le « Tigre », par exemple, était déjà une figure bien avant 1914. Mais plus modestement, où sont les Jaurès, les Blum, les Thorez ? Et même si l’on regarde des personnages plus récents, Mitterrand – qui n’est pas, vous le savez, saint de ma dévotion – c’était tout de même autre chose que Faure ou Macron, Marchais était autre chose que Laurent ou Roussel. Même Tapie, dans son genre escroc, avait une grandeur que n’ont aucun des tristes sires qui l’ont succédé dans le rôle. Et il n’y a pas qu’en politique que le problème se pose. Où sont les Sartre, les Camus, les Bourdieu, les Joliot ou les Debré d’aujourd’hui ?

Pourtant, malgré la constance des médias à nous démontrer le contraire, les gens ne sont pas plus bêtes ou moins créatifs aujourd’hui qu’ils ne l’étaient en 1940, en 1840 ou en 1640. On pourrait dire au contraire qu’ils sont en moyenne mieux formés, plus informés, et ont à leur disposition une panoplie d’outils qui ferait pâlir d’envie leurs prédécesseurs – imaginez ce qu’aurait pu faire Colbert s’il avait eu à sa disposition les ordinateurs de l’INSEE. Alors, pourquoi sommes-nous confrontés à des élites peuplées de personnalités falotes et interchangeables – je ne donnerai pas d’exemple pour ne pas faire des jaloux, il suffit de regarder notre gouvernement actuel -, à un marais où ne ressortent vraiment que par l’agitation médiatique des hurluberlus nuisibles du genre Raoult ?

Il faut à mon sens chercher l’origine de cet état de fait dans notre rapport aux institutions. Car les grands hommes ne se font pas tous seuls. Ils ne deviennent grands que par les institutions. Et de ce point de vue, le cas d’Elisabeth II est absolument remarquable. Voici une personne qui avait certainement des qualités notables d’intelligence, d’empathie, d’organisation. Mais soyons réalistes : en quoi ces qualités ont changé la vie des britanniques ? En quoi ses idées ou ses actes ont eu une influence quelconque sur l’évolution sociale, économique, politique de la Grande Bretagne ou sur la vie quotidienne de ses sujets ? En rien. Le monarque britannique est un ambassadeur de luxe, une figure protocolaire. Son action se limite, selon le grand constitutionnaliste britannique Walter Bagehot, à « être consulté, conseiller et avertir » le premier ministre. Par convention, le monarque n’intervient dans aucun débat public. Bien sûr, c’est une convention, et le propre des conventions est qu’on pourrait passer outre dans une situation particulièrement grave. En ce sens, le roi reste en Grande Bretagne l’ultime recours en cas de crise. Mais cette situation est largement théorique, un peu comme l’article 16 de notre propre constitution.

Alors, pourquoi des gens innombrables, riches et pauvres, pleurent la disparition d’une figure qui n’a rien changé à leurs vies, dont l’œuvre – si on peut l’appeler ainsi – a consisté essentiellement à « être là » pendant longtemps ? Parce que cette personne avait une vertu capitale, une vertu qui devient rarissime aujourd’hui : celle de se confondre avec une institution. A travers le corps matériel d’Elisabeth II, les britanniques rendent hommage à l’institution séculaire qu’est la monarchie, elle-même confondue avec la nation.

Mais pour se confondre avec une institution, même une institution héréditaire, il ne suffit pas comme dirait Beaumarchais, « de se donner la peine de naître ». Il faut faire siennes les contraintes de l’institution, les faire siennes jusqu’à arriver à un total don de soi. Pour reprendre le mot magnifique d’un historien britannique, il faut « se soumettre à la tyrannie de l’institution ». Ce n’est qu’à ce prix qu’on devient soi-même uni institution. Et pour cela il faut être en fonction vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de sa vie. François Hollande regrettait amèrement que le président de la République ne puisse quitter son bureau à 18 heures comme n’importe quel employé pour retrouver sa vie privée. Imagine-t-on De Gaulle, Richelieu, Staline, Clemenceau ou Churchill laissant à 18 heures les habits du commandeur pour retrouver bobonne et leurs pantoufles ? Non, bien sûr que non. Et c’est pourquoi, à la différence de François Hollande, ils ont leur place dans les livres d’histoire.

Elisabeth II a fait ce travail. Pendant soixante-dix ans de règne, elle n’a jamais fait passer ses goûts, ses inclinaisons, ses peines et ses désirs avant sa fonction. Pendant soixante-dix ans, elle a dit ce qu’elle devait dire, fait ce qu’elle devait faire, habité là où elle devait habiter, fréquenté qui elle devait fréquenter. Elle a effacé tout choix personnel derrière sa fonction. Interrogée dans les années 1980 – elle n’avait alors que la cinquantaine et trente ans de règne derrière elle – sur ce qui l’effrayait le plus, elle avait répondu que c’était le fait de savoir que quelque part, dans un tiroir, il y avait un document prévoyant le déroulement de ses funérailles. Certes, elle a vécu dans des palais, porté de belles toilettes – du moins suivant les standards de son pays – et fréquenté les grands de ce monde. Mais accepteriez-vous de payer le prix qu’elle a payé pour bénéficier de tous ces avantages ?

Certains ne l’acceptent pas. Prenez le petit fils d’Elisabeth, Harry et son épouse Meghan. Eux voulaient profiter des privilèges sans en payer le prix. Jouir du statut d’altesse royale sans les obligations que ce statut suppose. Ce genre de parasite est un danger pour l’institution, et l’institution a réagi fortement en les excluant du cercle aulique. Et du coup, le couple est devenu une figure de la jet-set comme une autre.

Le grand homme, c’est le résultat d’une dialectique entre l’homme et l’institution. Il est plus facile de devenir un grand homme lorsque vous avez des institutions fortes sur lesquelles vous appuyer, et à l’inverse un grand homme donne force et prestige à une institution. Est-ce De Gaulle qui a donné du lustre à la fonction présidentielle, ou la fonction présidentielle qui a donné à De Gaulle la place qu’il occupe dans notre inconscient collectif ? La réponse est « les deux, mongénéral »… et cette dialectique, elle se pose à tous les étages. Il y a des « grands » rois ou présidents de la République. Il y a aussi des « grands » chefs de service hospitalier, des « grands » professeurs, des « grands » scientifiques, des « grands » directeurs. Mais à chaque fois, les paramètres sont les mêmes : aucun « grand » ne se fait si ce n’est dans un rapport dialectique avec l’institution.

C’est pourquoi notre stock de « grands hommes » ne se renouvelle plus. Nous sommes dans une société qui rejette les institutions et déboulonne les statues des « grands » – preuve supplémentaire, s’il en fallait une, que les deux sont liés. Et une telle société ne peut en produire ni les uns, ni les autres. On n’aura pas de « grands » dirigeants pas plus qu’on n’aura de grandes institutions avec un discours qui prétend « concilier la vie personnelle et la vie professionnelle » : on ne devient pas Clemenceau, on ne crée pas l’ENA ou le code civil en luttant pour le droit de faire la vaisselle et de passer l’aspirateur.

Alors rendons hommage à Elisabeth II, qui risque d’être la dernière « grande » reine du Royaume Uni. Elle a tout donné à son pays et à l’institution qu’elle servait. Elle mérite largement l’hommage qui lui est rendu. Elle mériterait surtout d’être imitée.

Descartes

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

71 réponses à God Save the Queen

  1. Jacobin dit :

    Cher Descartes,
    vous avez pointé le mot-clé : “interchangeable”. Et en effet, l’interchangeabilité est institutionnalisée désormais, avec, pour les (hauts) fonctionnaires, des durées maximales à ne pas dépasser, et des primes qui augmente avec le nombre de mutation (cas du régime dit RIFSEEP en train de se généraliser dans la fonction publique). 
    Fut un temps où un ingénieur des mines pouvait être le directeur de son service pendant 30 ans ; je pense à Charles Lallemand, qui a fondé le marégraphe de Marseille (origine des altitudes françaises) en 1885 et dirigé le service le service du nivellement général de la France pendant toute sa vie (et c’était toute sa vie). Couvert d’honneurs, scientifique de rang mondial autant que meneur d’hommes, il est un exemple de ce dont on ne veut plus aujourd’hui, au profit d’ingénieurs falots et gestionnaire ; l’idée d’une vision, d’une incarnation, est révolue. Il en est de même en politique ; les LREM l’incarnent très bien : ils viennent du privé, ils passent député ou ministre (dans la majorité car, bien sûr, ils ne se verraient pas dans l’opposition), et retournent au privé.
    Ceci vient, à mon avis, de ce que la médiocrité du politique est sue par eux-mêmes d’abord (aussi parce qu’ils sont dépossédés de beaucoup de leurs prérogatives par l’européanisation, la décentralisation et les privatisations) mais qu’ils ne voudraient surtout pas laisser déborder leur reliquat de pouvoir (pour ce qu’il en reste) par des fonctionnaires, fussent-ils compétents ; c’est vrai dans l’administration centrale mais aussi dans les établissements publics techniques où le “turn-over” des dirigeants est désormais monnaie courante. Et, comme vous le dites, le système médiatique est trop heureux de sortir un mandarin nuisible (Raoult) pour détruire toute idée d’incarnation d’une institution par une personne.
    Reste une question : que les anglais soient fascinés par leur reine, incarnation de leur monarchie et de leur nation, soit ; mais pourquoi les français sont-ils aussi fascinés par elles puisqu’ils s’échinent, précisément, chez eux, à couper les têtes de leurs dirigeants en les rendant interchangeables ?
     

    • Descartes dit :

      @ Jacobin

      [vous avez pointé le mot-clé : “interchangeable”. Et en effet, l’interchangeabilité est institutionnalisée désormais, avec, pour les (hauts) fonctionnaires, des durées maximales à ne pas dépasser, et des primes qui augmente avec le nombre de mutation (cas du régime dit RIFSEEP en train de se généraliser dans la fonction publique).]

      Là, je ne vous suis pas tout à fait. D’abord, le RIFSEEP ne fait pas augmenter les primes « avec le nombre de mutations », au contraire. Le RIFSEEP regroupe les primes anciennes en une prime unique composée de deux « parts », l’une attachée au niveau du poste que vous occupez, une autre attachée à votre performance individuelle, votre « manière de servir » en langue administrative. Rien qui encourage ou qui décourage la mobilité.

      Pour ce qui concerne la durée limitée des postes… ma position est plus ambigüe que la vôtre. Bien sûr, la permanence sur un poste donne à celui qui l’occupe une capacité à agir sur le long terme, d’une part parce qu’il sera là pour recueillir les fruits de son action, et d’autre part parce que la permanence vous donne du pouvoir. Mais d’un autre côté, on a tous connus ces personnages attachés à leur poste comme la moule à son rocher, refusant tout changement, toute innovation. Le « on a toujours fait comme ça » est un ennemi au moins aussi dangereux que la logique d’impuissance attachée au changement permanent des dirigeants.

      J’aurais tendance à dire que dans ce domaine, il faut se méfier des règles automatiques. Il y a des « patrons » de service qui, au bout de trente ans, sont toujours attentifs aux changements du monde et ont toujours des idées. Et il y en a – pas nécessairement de leur faute, certains postes sont plus usants que d’autres – qu’il faut changer si l’on veut pouvoir avancer. Limiter par une règle générale la durée d’un poste ou le nombre de renouvellements, c’est absurde. Il faudrait agir au cas par cas. Qu’on réexamine les postes tous les trois, quatre ou cinq ans, pourquoi pas. Qu’on rende la prolongation du mandat impossible, c’est une absurdité.

      [Fut un temps où un ingénieur des mines pouvait être le directeur de son service pendant 30 ans ; je pense à Charles Lallemand, qui a fondé le marégraphe de Marseille (origine des altitudes françaises) en 1885 et dirigé le service le service du nivellement général de la France pendant toute sa vie (et c’était toute sa vie). Couvert d’honneurs, scientifique de rang mondial autant que meneur d’hommes, il est un exemple de ce dont on ne veut plus aujourd’hui, au profit d’ingénieurs falots et gestionnaire ;]

      Oui, mais soyons honnêtes : pour un Lallemand ou un Boiteux, combien de « patrons » incrustés dans leur poste et refusant toute innovation, toute amélioration… il faut rechercher un équilibre. Donner la possibilité aux Lallemand et Boiteux de donner le meilleur d’eux-mêmes en restant longtemps à la tête de leur service, tout en assurant la rotation de ceux qui, par leur permanence, constituent un obstacle. Pour moi, il faudrait un système de réexamen périodique – tous les cinq ans, par exemple – par un jury qui pourrait accorder la prolongation ou la refuser.

      [l’idée d’une vision, d’une incarnation, est révolue. Il en est de même en politique ; les LREM l’incarnent très bien : ils viennent du privé, ils passent député ou ministre (dans la majorité car, bien sûr, ils ne se verraient pas dans l’opposition), et retournent au privé.]

      Il y a là deux problèmes qui se conjuguent. Le premier, c’est la disparition de la notion même de « compétence », et donc de l’idée de « cursus honorum » pour l’acquérir, ce qui suppose que pour atteindre telle ou telle position il faut avoir réuni une somme d’expériences et de connaissances. Si l’on accepte – mieux, on trouve cela « cool » – aujourd’hui qu’on puisse devenir maire à 25 ans, premier ministre à 30 et président de la République à 40 ans, c’est que l’expérience et le savoir accumulé ne valent rien. Ce qu’on demande aujourd’hui à tous les niveaux, y compris les plus hauts, ce n’est pas un savoir-faire, mais un savoir-être, et surtout les réseaux qui vont avec. Nous avons des dirigeants qui peuvent briller à une tribune ou dans un cocktail, trouver les « influenceurs » dont ils ont besoin, mais qui aujourd’hui peut, comme Marcel Boiteux, publier des articles scientifiques dans des revues réputées tout en étant président d’une entreprise publique ? Combien de PDG ou de ministres ont la capacité – ou l’envie – de faire de même ?

      Le deuxième problème, très lié au premier, est que dans le public comme dans le privé les réseaux pèsent bien plus que les compétences. D’où l’intérêt de passer par des postes où l’on se fait des contacts et des obligés. Etre député ou ministre, c’est un tremplin vers les hautes fonctions dans le privé parce que cela permet d’étoffer un carnet d’adresses, d’accorder des postes ou des honneurs à des gens qui, le moment venu, vous renverront l’ascenseur. Avoir été ministre vous assure une belle carrière, que vous ayez été un bon ou un mauvais ministre, d’ailleurs – pensez à Buzyn, aujourd’hui au plus haut grade à la Cour des comptes malgré son passage calamiteux au ministère de la Santé. Etre ministre n’est donc pas une consécration – et la possibilité de réaliser les projets que vous avez mûri pendant des années – mais une étape entre autres dans une carrière montante.

      [Ceci vient, à mon avis, de ce que la médiocrité du politique est sue par eux-mêmes d’abord (aussi parce qu’ils sont dépossédés de beaucoup de leurs prérogatives par l’européanisation, la décentralisation et les privatisations) (…)]

      Mais ces prérogatives, tenaient-ils vraiment à les exercer ? Je ne peux que constater que l’européanisation, la décentralisation et les privatisations ont été poussées avec enthousiasme par ceux-là même qu’elles « dépossèdent ». Ne trouvez-vous cela curieux ? En fait, cela est conforme à l’interprétation que je fais plus haut. Le but de nos politiques en accédant à un ministère n’est pas de faire des choses, mais de se faire un carnet d’adresses, des clientèles, des obligés en préparation du poste suivant. Et pour cela, ils n’ont besoin que d’un minimum de prérogatives bien choisies, sans compter sur le fait que transférer les pouvoirs permet aussi de transférer les responsabilités.

      [Reste une question : que les anglais soient fascinés par leur reine, incarnation de leur monarchie et de leur nation, soit ; mais pourquoi les français sont-ils aussi fascinés par elles puisqu’ils s’échinent, précisément, chez eux, à couper les têtes de leurs dirigeants en les rendant interchangeables ?]

      Parce qu’on est toujours fasciné par les ouvrages qu’on n’est pas capable de faire ou de refaire. C’est toujours le même problème : on est fasciné par les institutions fortes, mais on n’est pas prêts à en payer le prix. La contrepartie de la permanence d’Elizabeth II, c’est le fait que Charles III arrive au pouvoir à 72 ans. Expliquez à un jeune aujourd’hui que pour atteindre les positions les plus exaltées il lui faut attendre et manger beaucoup de soupe… et vous verrez la réponse.

      Pour vous donner un exemple qui peut paraître banal : il y a quarante ans, un thésard universitaire avait une idée de la distance qui le séparait de son « patron » de thèse. Il savait que dans son travail la plupart des idées « originales » venaient de lui, et on trouvait parfaitement normal donc que, lorsque le thésard publiait, le nom du « patron » figure sur la publication. Et on savait que, si un jour on devenait soi-même « patron », on figurerait sur les publications de ses thésards. Parce que c’est la logique même d’une institution consacrée à la transmission. Aujourd’hui, on entend à longueur de journées des thésards qui se pensent aussi intelligents et savants – sinon plus ! – que leur « patron » et s’indignent que celui-ci prétende avoir joué un rôle important dans la naissance de « leurs » idées…

  2. Thiriet dit :

    Disons qu’elle n’a rien fait (institutions obligent), mais qu’ elle l’a BIEN fait…Indeed!

  3. cdg dit :

    je pense que l hommage a Elisabeth II est le pendant de l hommage a Johnny Halliday chez nous. Elisabeth etait le symbole de quelque chose qui n existe plus mais que les britanniques regettent : l empire sur lequel le soleil ne se couche jamais. un pays majeur et une puissance mondiale. L enterrement d elisabeth est aussi l enterrement de la grandeur de la GB. Comme chez nous l enterrement de Johnny etait l enterrement de la france des 30 glorieuses
    En ce qui concerne les institutions, il est evident qu un grand homme ne peut rien faire seul. il va juste s epuiser. Apres il faut raison garder. Louis XIV etait un grand roi mais  l administration francaise a l epoque etait embryonnaire et la royauté contesté (cf la fronde).
    Ensuite il faut aussi vivre avec son temps, ce qu elisabeth avait compris (cf son utilisation des medias). Ce qui etait possible avec une societe hierarchisee, homogene ethniquement et avec un patriotisme fort ne l est plus avec une societe individualiste, soumise a des tensions raciales (cf l ex suedois) et ou l idee de patrie n evoque plus grand chose
     
    PS: quand napoleon a voulut remettre la france en ordre, il n a pas essayé de restaurer l ancien regime mais il a cree de nouvelles institutions. Dans notre cas, il faut pas essayer de ressusciter ce qui ne marche plus (l ENA est comme la noblesse: a l origine, c etait un corps ouvert (etre chevalier qui voulait et pouvait se payer un cheval, on pouvait etre annobli sur le champs de bataille), elle payait l impot du sang et devait se battre & mourir. A la fin elle etait surtout un parasite qui bloquait toute evolution)

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [je pense que l’hommage a Elisabeth II est le pendant de l’hommage a Johnny Halliday chez nous.]

      Je ne crois pas qu’on puisse associer les deux évènements. D’abord, parce que leur portée est différente : la mort de Johnny a été accompagnée d’un cirque médiatique, mais le nombre de gens qui se sont déplacés pour aller à ses funérailles a été somme toute limité à quelques milliers de personnes. Mais surtout, parce que Johnny laisse derrière lui une œuvre. Ceux qui ont été émus par sa mort écoutent ses chansons, admirent sa voix. Elisabeth II ne laisse derrière elle aucun ouvrage connu. Elle a joué un rôle qui est purement symbolique – ce qui ne veut pas dire qu’il soit négligeable. Si les Britanniques font sept heures de queue pour se recueillir devant son cercueil, ce n’est pas pour ce qu’elle a FAIT, mais pour ce qu’elle EST.

      [Elisabeth était le symbole de quelque chose qui n’existe plus mais que les britanniques regrettent : l’empire sur lequel le soleil ne se couche jamais. Un pays majeur et une puissance mondiale. L’enterrement d’Elisabeth est aussi l’enterrement de la grandeur de la GB. Comme chez nous l’enterrement de Johnny était l’enterrement de la France des 30 glorieuses]

      Il ne faut pas tordre les faits pour les faire rentrer dans un schéma préétabli. Lorsque Elisabeth monte sur le trône en 1952, « l’empire sur lequel le soleil ne se couche jamais » n’est plus qu’un souvenir et la Grande Bretagne avait cessé d’être une puissance mondiale. Les « dominions » (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud…) sont devenus souverains dans les années 1940, en ratifiant l’un après l’autre le statut de Westminster de 1931. L’Inde est indépendante depuis 1947. Si Elizabeth symbolisait quelque chose, c’est au contraire le « petit Royaume-Uni » cherchant à se trouver une place dans le monde à l’ombre du « grand frère » Américain puis de l’UE, et non l’empire triomphant ou la puissance britannique. D’ailleurs la figure d’Elizabeth II est plus associée au stoïcisme dans le malheur qu’à une époque bienheureuse… le lien qui unit les britanniques à cette figure est plus la souffrance partagée que le bonheur partagé.

      Johnny, c’est exactement le contraire. C’est une figure solaire, à qui tout réussit. On peut alors effectivement se dire qu’en l’enterrant, on enterre d’une certaine façon « l’abondance, l’insouciance et les évidences », pour parler comme l’autre. Johnny, pour ceux qui l’ont pleuré, représente leur jeunesse, leurs heures heureuses…

      [En ce qui concerne les institutions, il est évident qu’un grand homme ne peut rien faire seul. Il va juste s’épuiser. Après il faut raison garder. Louis XIV était un grand roi mais l’administration française à l’époque était embryonnaire et la royauté contesté (cf la fronde).]

      Quand je pense au rapport entre le grand homme et l’institution, je ne pense pas seulement à la capacité de l’institution à l’accompagner, à lui éviter « l’épuisement » en lui fournissant des moyens d’agir. Je pense surtout à la légitimité institutionnelle, à la capacité qu’ont les institutions, par le simple fait qu’elles sont instituées, de légitimer et supporter l’action. Oui, la royauté était contestée… mais aucun des frondeurs n’a osé se proclamer roi. Et si l’administration française était embryonnaire, l’héritage de Richelieu et de Mazarin était loin d’être négligeable. Après, on ne peut non plus nier que la dialectique entre le grand homme qu’était Louis XIV et l’institution qu’était l’Etat monarchique a fonctionné dans le sens d’un renforcement réciproque.

      [Ensuite il faut aussi vivre avec son temps, ce qu’Elisabeth avait compris (cf son utilisation des médias). Ce qui était possible avec une société hiérarchisée, homogène ethniquement et avec un patriotisme fort ne l’est plus avec une société individualiste, soumise à des tensions raciales (cf l’ex suédois) et où l’idée de patrie n’évoque plus grand-chose]

      Curieusement, l’idée de « patrie » évoque encore quelque chose bien plus puissamment dans les pays anglosaxons que chez nous. Peut-être parce que chez eux la « patrie » est plus ancrée dans la notion d’intérêt commun que dans celle de projet commun. Et c’est pourquoi la question de l’homogénéité ne se pose pas dans les mêmes termes – vous noterez d’ailleurs que dans la queue pour rendre hommage à Elisabeth, les « minorités » sont bien représentées.

      [PS: quand Napoléon a voulu remettre la France en ordre, il n’a pas essayé de restaurer l’ancien régime mais il a créé de nouvelles institutions.]

      Jusqu’à un certain point. Il a par exemple rétabli les titres nobiliaires, la cérémonie du sacre, et ainsi de suite… même s’il a donné à ces « institutions » un contenu très différent à celui qu’elles pouvaient avoir sous l’Ancien régime. Napoléon a très bien compris justement l’intérêt d’ancrer les institutions nouvelles par une continuité symbolique avec les institutions anciennes.

      [Dans notre cas, il ne faut pas essayer de ressusciter ce qui ne marche plus (l’ENA est comme la noblesse : à l’origine, c’était un corps ouvert (être chevalier qui voulait et pouvait se payer un cheval, on pouvait être anobli sur le champ de bataille), elle payait l’impôt du sang et devait se battre & mourir. A la fin elle était surtout un parasite qui bloquait toute évolution)]

      Mais justement, pensez à votre référence à Napoléon. Qu’est-ce qu’il fait ? Il restaure les titres de noblesse abolis à la révolution. Il reprend d’ailleurs les anciennes dénominations : prince, baron, comte, etc. Bien sûr, il leur donne un sens totalement différent à celui que leur donnait l’ancien régime : on obtient ces titres par le service dans des fonctions publiques ou privées, et non par le sang. De la même manière, il faudrait rétablir l’ENA pour bénéficier d’une institution reconnue dans son projet original, pour ancrer le nouveau dans l’ancien. Ce qui n’empêche pas de réformer ce qui doit être réformé. Chez nous, on croit naïvement qu’il suffit de changer le nom pour changer la chose. Et finalement, on fait comme le Guépard: on change tout pour que rien ne change.

  4. DR dit :

    “de Gaulle, l’homme qui habitait sa statue” dixit Peyrefitte. Cet avachissement atteint la société dans toutes ses sphères. Dans la sphère publique les parlementaires EELV fournissent chaque jour leur lot d’argument aux antiparlementaires, dans la sphère privé je me souviens de Michel Onfray parlant des adultes en trottinette… N’est ce pas la prophétie de Tocqueville sur les temps démocratiques qui se confirme, avec même dans la sphère privé un délaissement des devoirs de sa charge (pensons aux parents qui n’en sont pas… ) ? L’individu devient donc seul, gouverné par ses envies et ses instincts… Je me demande toutefois si les grandes villes et la campagne ne sont pas atteints différemment, il me semble voir plus de saine vitalité (associations…)  ailleurs que dans les villes, devenus un gigantesque réservoir à désœuvrés…Paradoxalement, il me semble que chacun attend “l’homme de caractères” (de Gaulle encore !), car c’est lui qui entrainera la réussite des projets dans l’entreprise par exemple… Cette aspiration demeure vivace, me semble-t-il …

    • Descartes dit :

      @ DR

      [“de Gaulle, l’homme qui habitait sa statue” dixit Peyrefitte.]

      Formule qui montre combien la grandeur exalte. On imagine mal Macron inspirer chez n’importe lequel de ses thuriféraires une formule aussi juste. Disons que Macron est à De Gaulle ce que Castaner est à Peyrefitte.

      [N’est ce pas la prophétie de Tocqueville sur les temps démocratiques qui se confirme, avec même dans la sphère privé un délaissement des devoirs de sa charge (pensons aux parents qui n’en sont pas… ) ? L’individu devient donc seul, gouverné par ses envies et ses instincts…]

      Plus que celle de Tocqueville, c’est la prophétie de Marx qui se réalise, celle qui veut que le capitalisme réduise progressivement tous les rapports humains à des rapports d’argent… l’idée de « devoir » – que ce soit celle du politique, du parent, du professeur, du juge ou du soldat – est une idée précapitaliste, venue d’une conception aristocratique du monde.

      [Paradoxalement, il me semble que chacun attend “l’homme de caractères” (de Gaulle encore !), car c’est lui qui entrainera la réussite des projets dans l’entreprise par exemple… Cette aspiration demeure vivace, me semble-t-il …]

      Que voulez-vous, la figure du père revient par la fenêtre après avoir été chassée par la porte…

  5. Renard dit :

    J’ai pensé à vous en lisant que Mathilde Hignet voulait changer la constitution pour lui permettre de prendre un congé maternité. J’ai très peur que le dévouement que vous décrivez dans cet article soit d’un autre âge.
     
    Cependant, je m’interroge. Au fond, pour Mathilde Hignet, député est un job comme un autre. Pour François Hollande, président était un job comme un autre, qu’on pouvait quitter à 18h pour retrouver sa vie privée.
    Si mon caractère romantique et conservateur trouve un peu triste de ne plus avoir de figures d’exemples, pratiquant un don total de soit comme a pu le faire Elizabeth, mais aussi les médecins de jadis et les militaires de naguère, est-ce réellement un mal ?
    On trouvait autrefois ce dévouement absolu, car la politique était une affaire de vie ou de mort. Un mauvais choix pouvait signifier la famine ou la guerre. Par conséquent, on exigeait des dépositaires du bien commun un investissement total. Si nous laissons la chose publique se normaliser, c’est que nous considérons que nous pouvons le faire sans risque pour nos intérêts vitaux.
     
    C’est d’ailleurs valable au delà de la politique. Si mon médecin ne travaille pas en dehors de ses heures, je l’accepte parce que je sais que j’ai un service d’urgence qui ne me laissera pas tomber (oui, j’ai entendu parler des déserts médicaux, mais en ce qui me concerne, mon père a eu une urgence dans un petit village de l’Allier et il a été pris en charge à 3h du matin, je ne ressens donc pas “dans ma chair” le besoin de réformer l’hôpital). Et l’atavisme humain me conduit à me dire que, tant que ça marche, ils peuvent bien s’organiser comme ils veulent.
     
    Un exemple me conforte dans cette idée.
    M. Zelensky, est un acteur, qui a grandit dans un pays corrompu, aux institutions détruites. Et pourtant , quoi qu’on pense du personnage ou des intérêts qu’il défend, personne ne l’imagine demander des vacances ou un congé paternité. C’est la situation, l’importance des enjeux qui crée la nécessité du sacrifice, pas les institutions.

    • Descartes dit :

      @ Renard

      [J’ai pensé à vous en lisant que Mathilde Hignet voulait changer la constitution pour lui permettre de prendre un congé maternité. J’ai très peur que le dévouement que vous décrivez dans cet article soit d’un autre âge.]

      Je pense, malheureusement, que c’est d’un autre âge. Vous savez, j’arrive moi-même à un âge où il vaut mieux accepter avec une certaine gourmandise le fait d’être devenu un dinosaure. Oui, la proposition de Mathilde Hignet pousse jusqu’au ridicule ce retour à la domesticité comme idéal. Le plus drôle, c’est que pendant des décennies le combat féministe fut de sortir la femme de l’univers domestique, de faire de la femme « un homme comme les autres ». Maintenant, on assiste au phénomène inverse : non seulement les femmes veulent remettre la domesticité en tête de la hiérarchie, mais veulent forcer les hommes à faire de même !

      [Cependant, je m’interroge. Au fond, pour Mathilde Hignet, député est un job comme un autre. Pour François Hollande, président était un job comme un autre, qu’on pouvait quitter à 18h pour retrouver sa vie privée.]

      Tout à fait. Mais la proposition de Hignet contient une contradiction. Si le job de député est « un job comme un autre », alors on peut parfaitement laisser un siège à l’Assemblée inoccupé pendant trois mois – après tout, les congés maternité dans les entreprises et les administrations sont rarement remplacés. Et si le job de député est exceptionnel… à quoi rime cet alignement avec le régime général ?

      [Si mon caractère romantique et conservateur trouve un peu triste de ne plus avoir de figures d’exemples, pratiquant un don total de soit comme a pu le faire Elizabeth, mais aussi les médecins de jadis et les militaires de naguère, est-ce réellement un mal ?]

      La question est à mon sens très pertinente. Elle ne peut avoir de réponse universelle, le « bien » et le « mal » étant une question subjective. Je dirais que la réponse dépend du type de société dans laquelle on souhaite vivre. Le dévouement implique quelque part une forme de service gratuit. Lorsque le service ne va plus de soi, on entre dans la sphère marchande où il faut le payer. Je peux avoir un médecin qui visite ses patients samedi et dimanche parce que ce sont « ses » patients et qu’il estime avoir un devoir envers eux, ou je peux avoir un médecin qui fait ce travail parce que cela lui permet de toucher les heures supplémentaires.

      Maintenant, par lequel de ces deux médecins préféreriez-vous d’être soigné ? Par celui qui exerce son art parce qu’il estime être son devoir, ou par celui qui ne l’exerce que s’il en tire un profit ? Et plus profondément, lequel de ces deux médecins sera plus heureux en exerçant son métier ? Par quel président de la République préférez-vous être gouverné ? Par celui qui voit son investiture comme transcendante et l’assume vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ou par celui qui à 18 heures pose la plume, met ses pantoufles et va rejoindre bobonne ?

      [On trouvait autrefois ce dévouement absolu, car la politique était une affaire de vie ou de mort. Un mauvais choix pouvait signifier la famine ou la guerre. Par conséquent, on exigeait des dépositaires du bien commun un investissement total. Si nous laissons la chose publique se normaliser, c’est que nous considérons que nous pouvons le faire sans risque pour nos intérêts vitaux.]

      Non, je ne le crois pas. Les décisions d’un Clémenceau n’étaient pas plus une question « de vie ou de mort » que celles de Darmanin. La différence est que Clemenceau avait été formé dans une société pour laquelle le caractère tragique de l’histoire était familier. Autrement dit, ce n’est pas parce que la politique était naguère une affaire de vie ou de mort et qu’elle ne l’est plus. Elle l’est toujours. Ce qui a changé, c’est la CONSCIENCE que nos élites peuvent avoir de ce caractère tragique.

      Prenez par exemple la ratification du traité de Maastricht. Je me souviens encore des partisans du « oui » brandissant l’argument que l’a monnaie unique permettrait de voyager en Europe sans avoir à changer de devises. Autrement dit, on nous proposait de prendre une décision qui engageait « la vie et la mort » de notre souveraineté pour gagner une banale simplification administrative. Et encore aujourd’hui, un Mélenchon peut dire que sur Maastricht il s’était « trompé », comme si l’erreur était banale, comme si elle n’avait pas changé l’histoire…

      Le « risque pour nos intérêts vitaux » existe toujours. Mais nous n’en avons plus conscience. Ceux qui ont créé l’ENA ou lancé le programme électronucléaire avaient conscience de prendre des décisions qui marquaient l’histoire, qui étaient vitales pour le pays. Ceux qui ont supprimé l’ENA et affaibli la filière nucléaire n’avaient – et n’ont toujours pas d’ailleurs – conscience de la portée de leurs décisions.

      [C’est d’ailleurs valable au-delà de la politique. Si mon médecin ne travaille pas en dehors de ses heures, je l’accepte parce que je sais que j’ai un service d’urgence qui ne me laissera pas tomber]

      Autrement dit, vous substituez au dévouement de votre médecin celui des médecins du service des urgences qui acceptent, eux, de sacrifier leurs nuits et leurs week-ends pour vous servir. Mais que se passera-t-il lorsque les médecins du service des urgences n’accepteront plus, eux non plus, de travailler en dehors des heures ouvrables parce qu’ils préfèrent jouir tranquillement de leur vie de famille ? Il faudra leur payer ce supplément, et vous n’aurez donc que des mercenaires…

      [Un exemple me conforte dans cette idée. M. Zelensky, est un acteur, qui a grandi dans un pays corrompu, aux institutions détruites. Et pourtant, quoi qu’on pense du personnage ou des intérêts qu’il défend, personne ne l’imagine demander des vacances ou un congé paternité. C’est la situation, l’importance des enjeux qui crée la nécessité du sacrifice, pas les institutions.]

      Je doute que Zelenski ait pris beaucoup de vacances ou de congés paternité AVANT le début de la guerre non plus. Dans les pays d’Europe orientale, peut-être parce que l’héritage soviétique est encore très présent, les institutions sont encore très fortes et s’imposent aux individus. On imagine mal en Pologne, en Hongrie, en Serbie de faire des shorts avec le drapeau national…

  6. maleyss dit :

    [un discours qui prétend « concilier la vie personnelle et la vie professionnelle »]
    A ce propos, j’attends avec impatience votre réaction au sujet de la polémique qu’a cru bon de lancer cette pauvre  Sandrine Rousseau sur le droit à la pparesse et le travail, valeur de droite.

    • Descartes dit :

      @ maleyss

      [A ce propos, j’attends avec impatience votre réaction au sujet de la polémique qu’a cru bon de lancer cette pauvre Sandrine Rousseau sur le droit à la paresse et le travail, valeur de droite.]

      Vous tenez vraiment à me faire tirer sur les ambulances, ou pire, sur les corbillards ? Un peu de patience, je vais faire un papier sur ce sujet…

  7. CVT dit :

    @Descartes,
    je reviens d’un séjour de quelques jours au Pays de Galles (prévu de longue date), et j’y ai appris là-bas une nouvelle étrange venue de France: des maires avaient protesté pour avoir refusé… de mettre en berne le drapeau français en signe de deuil du décès d’Elisabeth II!!!!
    Même dans une région où la ferveur royale n’est pourtant pas des plus évidentes, tous les drapeaux britanniques y étaient en berne. Normal, me direz-vous, le Pays de Galles est encore britannique; mais la France?
     
    Je partage entièrement le courroux des maires réfractaires: aussi sympathique et populaire qu’elle ait été auprès des Français, il n’en demeure pas moins que la reine Elisabeth n’était pas NOTRE chef d’état et que nous avons récemment réélu comme chef d’état, un certain Macron Emmanuel.
     
    Les principes républicains ne doivent pas être instrumentés ou détournés au gré d’un titulaire de l’Elysée qui souhaite marquer SON émotion à l’égard du décès d’une célébrité. Il y en plus qu’assez de voir les honneurs républicains pour commémorer des peoples, fussent-ils royaux…
    Je dirais que tout ceci ne devrait pas me surprendre, venant de la part d’un président qui enterre des acteurs célèbres sous le dôme des Invalides, ou qui soutient les réclamations du mouvement raciste “Black Lies matter” (erreur volontaire!), mais tout de même, éviscérer à ce point le protocole et les usages républicains pour son bon plaisir est absolument révoltant: après tout, le président de la République n’est jamais que le garant  des institutions…

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [Je partage entièrement le courroux des maires réfractaires : aussi sympathique et populaire qu’elle ait été auprès des Français, il n’en demeure pas moins que la reine Elisabeth n’était pas NOTRE chef d’état et que nous avons récemment réélu comme chef d’état, un certain Macron Emmanuel.]

      Je ne suis pas d’accord. Je veux bien que Macron vous fasse pousser des boutons – c’est mon cas aussi – mais ce n’est pas une raison pour condamner TOUT ce qu’il fait. L’anti-macronisme primaire n’est pas plus sympathique à mes yeux que l’anti-sarkozysme primaire ou tout autre choix primaire…

      Dans el cas d’espèce, je trouve que mettre en berne les drapeaux tricolores n’a rien de scandaleux. D’abord, parce que la Grande Bretagne est un pays ami. Si mon meilleur ami perd sa mère, j’irais probablement à ses obsèques et j’y porterai le deuil ne serait-ce que pour partager un peu de sa douleur. Par ailleurs, outre le fait qu’Elizabeth II était populaire chez nous, elle était une vraie amie de la France. Elle aimait notre pays – elle y est venue plusieurs fois en visite privée – et parlait parfaitement notre langue. Elle tenait d’ailleurs à prononcer ses discours en français lorsqu’elle visitait notre pays, ce qui chez les anglo-saxons est plutôt rare. Je ne trouve pas disproportionné de mettre les drapeaux en berne. Si ma mémoire ne me trompe pas, on l’avait fait pour Kennedy… ce qui me semble beaucoup plus discutable.

      [Les principes républicains ne doivent pas être instrumentés ou détournés au gré d’un titulaire de l’Elysée qui souhaite marquer SON émotion à l’égard du décès d’une célébrité. Il y en plus qu’assez de voir les honneurs républicains pour commémorer des peoples, fussent-ils royaux…]

      Elizabeth II n’était pas une « célébrité » ou un « people », c’était un chef d’Etat et une institution. Je serais d’accord si cet honneur avait été accordé à Lady Di, par exemple. Mais ce n’est pas la même chose.

  8. Cording1 dit :

    Cependant de Gaulle fût un grand homme d’Etat avant les institutions de la Ve République qu’il a fondée. Ce fût dès juin 1940 qu’il le devint en portant avant tout le monde un diagnostic juste de la situation et de l’action qui devait être entreprise. Et constatant à propos du chef d’état de l’époque Albert Lebrun qu’il n’y avait pas de chef ni d’Etat pour faire face à la situation. 

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [Cependant de Gaulle fût un grand homme d’Etat avant les institutions de la Ve République qu’il a fondée.]

      Je ne sais pas. Si De Gaulle était mort en 1957, je me demande s’il occuperait une place aussi importante dans notre imaginaire collectif. Mais vous noterez que même en 1940, De Gaulle a inscrit son action dans un cadre institutionnel. Dès 1940, il commence à créer des institutions: il crée la France Libre, la dote d’un drapeau, d’un “conseil de sauvegarde de l’empire”, crée des médailles et décorations, et plus tard un “gouvernement provisoire de la République française”, le CNR…

      • DR dit :

        Anecdote : un dictionnaire Larousse de 1957 parlant de de Gaulle “Homme politique français qui structura la résistance, se retire des affaires publiques en 1947″…

        • Descartes dit :

          @ DR

          [Anecdote : un dictionnaire Larousse de 1957 parlant de de Gaulle “Homme politique français qui structura la résistance, se retire des affaires publiques en 1947″…]

          Ca fait sourire… mais en même temps, cette anecdote a un sens très profond. Les grands destins, c’est aussi de savoir attendre et saisir une occasion à laquelle personne ou presque n’y croit. Peut-être que de très grands hommes en puissance sont parmi nous, attendant une occasion qui ne se présentera peut-être jamais…

  9. bergeron dit :

    Avec les heures d’attente de milliers d’anglais pour voir un cercueil, on peut aussi se demander ce que les chinois qui travaillent dans des usines ou étudient dans les universités, vont produire pour nourrir les hommes et vendre aux sujets de Charles 3.  

    • Descartes dit :

      @ bergeron

      J’avoue que je ne comprends pas votre remarque. Vous savez, lorsque Mao est mort, les chinois ont eux aussi fait la queue pour défiler devant son cercueil. Et ils le feraient probablement aussi aujourd’hui si un grand dirigeant, chef de l’Etat pendant 70 ans, venait à mourir…

  10. Cherrytree dit :

    @Descartes
    C’est vrai que le stock de grands hommes est limité.
    Cette réflexion me remet en mémoire un titre de Hara Kiri(je crois) au lendemain du décès présidentiel. “De Gaulle, un chêne qu’on abat, Pompidou, un poireau qu’on arrache”. Si la formule est discutable par son irrévérence, elle résume me semble -t-il une part de votre réflexion. De Gaulle, même caricaturé( je pense à La Cour dans le Canard Enchaîné) ne l’était pas sans une certaine grandeur. Je dirais même parfois un brin de tendresse ( les dessins du très convenu Jacques Faisant, mais aussi Henri Tisot au lendemain de la mort  de Gaulle” Me faire ça, à Lui! “). Car en effet de Gaulle ne se serait pas laisser photographier en négligé ou faire part de ses états d’âme privés.  Ce qui n’empêchait pas son humour et son sens de la formule, d’autant plus marquant qu’il était rare et surtout bien dosé. Pompidou commit l’erreur d’appeler sa femme Bibiche devant la caméra, de relâcher son langage pour faire populaire (fin lettré pourtant, il n’hésitera pas à déclarer “il faut arrêter d’emmerder les Français”, de se laisser photographier pendant ses vacances à Cajarc… On opposera Mitterrand, à Chirac qui laisse dans le souvenir commun, et dans l’Histoire, plus l’image d’un buveur de Corona metteur de main au cul des vaches et diseur de gros mots à l’occasion, que d’un grand politique.
    J’irais, si vous le permettez, au-delà de votre analyse.  Ce dont les hommes ont besoin, c’est de la part de sacré. Que ce soit le sacré royal ou républicain, il y a des rites, un décorum, qui permettent à tout un chacun de comprendre un ordre de la société, et aussi une certaine rassurante permanence. C’est autant son quant à soi que sa longévité qu’ appréciaient les Anglais chez leur reine. Quant on vulgarise, on renoncé à une forme de reconnaissance. Un président de la République qui se laisse photographier en maillot de bain, qui fait des selfies avec des petits jeunes torse nu, qui ne se présente pas sans tenir son épouse par la main comme s’il avait peur qu’on l’a lui pique, et je parle là des trois derniers présidents, acceptent l’irrespect de leur personne, mais aussi de la fonction. Un (e) instit vient faire sa classe en bermuda, ou en jean effrangé, sera peut-être vu comme sympa, mais ce n’est pas forcément ce que son métier demande. Ce qui explique aussi pourquoi, en dehors des questions de salaire, les enseignants se plaignent tant du manque de considération. 
    Une anecdote. J’ai habité une petite ville minière dont le maire était un socialiste bon teint dans la tradition de Jaurès, ancien instit, famille paysanne.. Lorsque je le croisais dans la rue, je le saurais d’un “Bonjour monsieur le maire”, bien que je fusse communiste, et à chaque fois il répondait en se découvrant, ou en portant deux doigts à sa casquette s’il faisait très froid. Il a essuyé des oppositions, des manifs, des grèves municipales, mais personne ne lui manquait de respect même dans l’affrontement politique. Son successeur tout aussi socialiste se mit à faire des calembours plus ou moins faciles, avec un tutoiement pas forcément adapté : je peux vous garantir que les discussions ns furent rien moins que courtoises et que  les opposants se régalèrent en le chansonnant sur une feuille de chou qui fit le temps de sa parution le délice d’une bonne partie de ses administrés .

    • Descartes dit :

      @ Cherrytree

      [Cette réflexion me remet en mémoire un titre de Hara Kiri(je crois) au lendemain du décès présidentiel. “De Gaulle, un chêne qu’on abat, Pompidou, un poireau qu’on arrache”. Si la formule est discutable par son irrévérence, elle résume me semble -t-il une part de votre réflexion. De Gaulle, même caricaturé (je pense à La Cour dans le Canard Enchaîné) ne l’était pas sans une certaine grandeur.]

      Bien sûr. Et vous noterez que De Gaulle était caricaturé en Louis XIV, et non pas en Louis XVI, comme Giscard… La caricature peut parfaitement exprimer la grandeur, et on ne caricature pas de la même façon De Gaulle et Sarkozy…

      [J’irais, si vous le permettez, au-delà de votre analyse. Ce dont les hommes ont besoin, c’est de la part de sacré. Que ce soit le sacré royal ou républicain, il y a des rites, un décorum, qui permettent à tout un chacun de comprendre un ordre de la société, et aussi une certaine rassurante permanence.]

      Tout à fait. Et dans une société sécularisée, la sacralisation ne peut venir de dieu. Elle ne peut être construite que par les institutions.

      [C’est autant son quant à soi que sa longévité qu’ appréciaient les Anglais chez leur reine. Quant on vulgarise, on renoncé à une forme de reconnaissance.]

      Tout à fait : « familiarity breeds contempt » (« la familiarité cultive le mépris ») disent les britanniques, et ils ont raison. Celui qui incarne l’institution doit être « exceptionnel » si l’on veut qu’on accorde le même statut à l’institution. Et s’il ne l’est pas en lui-même, il faut qu’il s’efforce de le paraître. Si le président est « comme tout le monde », pourquoi aurait-il plus que moi le pouvoir de gouverner ?

      [Un (e) instit vient faire sa classe en bermuda, ou en jean effrangé, sera peut-être vu comme sympa, mais ce n’est pas forcément ce que son métier demande. Ce qui explique aussi pourquoi, en dehors des questions de salaire, les enseignants se plaignent tant du manque de considération.]

      Tout à fait. Je reprends la formule de l’historien britannique : « elle a accepté la tyrannie de l’institution ». Oui, en été, c’est plus confortable de venir en bermuda qu’en costume. Mais venir en costume est une manière de réaffirmer le pouvoir de l’institution – et par conséquent le statut de ceux qui la servent. Ce que les enseignants ne veulent pas comprendre, c’est qu’il est extrêmement difficile d’acquérir une autorité par soi-même. Leur autorité leur est conférée par l’institution. Et chaque fois qu’ils se désolidarisent de l’institution, ils portent atteinte à leur propre autorité. C’est comme pour la police : on respecte l’uniforme, pas l’individu qui est dedans.

  11. Eric Bonnaud dit :

    ..Bonjour Descartes.
    Je suis d’accord avec ton article, mais j’aime bien Fabien Roussel quand même. En fait sa sincérité est son point fort. Ca énerve la “gauche” qui reste encore dans la posture. Ca n’est que mon avis.

    • Descartes dit :

      @ Eric Bonnaud

      [Je suis d’accord avec ton article, mais j’aime bien Fabien Roussel quand même.]

      Moi aussi je l’aime bien. J’ai même voté pour lui!

  12. marc dit :

    Curieuse réflexion sur la figure et l’institution avec un hommage appuyé pour l’une, la reine, et l’insulte pour l’autre, Raoult. Quoi qu’il vous en déplaise, cet homme a toujours incarné son métier de médecin chercheur au niveau d’excellence, reconnu par ses pairs et par les politiques. Avec l’épisode Covid on a vu les second couteaux dans ces catégories se dresser contre lui sans réussir à le faire plier. Je lui tire mon chapeau 

    • Descartes dit :

      @ marc

      [Curieuse réflexion sur la figure et l’institution avec un hommage appuyé pour l’une, la reine, et l’insulte pour l’autre, Raoult.]

      Que voulez-vous: l’une a sacrifié ses propres choix pour servir l’institution, l’autre s’est servi de l’institution pour servir ses propres choix. D’où la différence…

      [Quoi qu’il vous en déplaise, cet homme a toujours incarné son métier de médecin chercheur au niveau d’excellence, reconnu par ses pairs et par les politiques.]

      “Toujours” ? Non. A l’occasion du COVID, on a pu découvrir que c’était un imposteur. Que “l’excellence” apparente couvrait en fait des protocoles bidonnés, des libertés prises avec la réglementation et avec l’éthique médicale. Que la “reconnaissance” des pairs tenait en partie à l’intimidation dont étaient victimes ceux qui dénonçaient ces dérives. Je doute qu’on trouve dans l’activité d’Elizabeth II ce genre de problème…

      [Avec l’épisode Covid on a vu les second couteaux dans ces catégories se dresser contre lui sans réussir à le faire plier. Je lui tire mon chapeau]

      Chacun choisit ses héros. Je me permets toutefois de vous recommander de relire les dires du votre, depuis l’époque où il affirmait que la pandémie “n’était pas plus grave qu’une grippette”, à celle où il affirmait qu’il n’y aurait pas de troisième vague, en passant par sa cure miraculeuse dont aucune étude scientifique n’a montré la moindre efficacité.

  13. Cherrytree dit :

    @CVT
    Vous savez, les drapeaux français ont été mis en berne pour la mort de Staline, de Pie XIuts de Franco, de Ronald Reagan, de Nelson Mandela… et la variété des défunts honorés n’a d’égale que la variété des présidents français qui ont ordonné cet honneur. Bon, j’avoue, comme je râlais pour Franco, j’ai manifeste, mais après on a  fait la fête et j’ai repris deux fois du dessert. 😄

    • CVT dit :

      @Cherry Tree,
       
      Drapeau en berne pour…LE CAUDILLO FRANCO? Décidément, ce cher Gischard n’en manquait une😈.
      Et pareil pour Jean-Polski? Pourtant, en 2005, Chichi n’était tellement réputé pour sa ferveur catholique😬. Quand on sait surtout les contentieux qu’il y a eu, au cours des âges, entre le Vatican et un pays qui longtemps défendu le gallicanisme, ça ne manque pas de sel…
      Pour Staline, c’est plus controversé aujourd’hui mais je dirais qu’à l’époque, on a surtout voulu saluer le vainqueur du nazisme… Et pas de trace de Winston Churchill ?
       
      D’une façon générale, je maintiens quand même mon opinion: pas de drapeau en berne pour les personnalités étrangères et/ou chef ou ex-chef d’état. La présence du Président de la République  à la messe d’enterrement vaut pour moi présentation des condoléances auprès de la nation endeuillée.

      • Descartes dit :

        @ CVT

        [D’une façon générale, je maintiens quand même mon opinion: pas de drapeau en berne pour les personnalités étrangères et/ou chef ou ex-chef d’état.]

        Je ne ferais pas personnellement de règle générale. Le seul critère est la rareté: si on met en berne le drapeau pour tout et n’importe quoi, le geste perd toute sa signification. Il faudrait donc le réserver à des personnalités civiques de tout premier plan, ayant eu avec notre pays des rapports particulièrement étroits. Et s’agissant d’un hommage de la nation entière et non du parti au pouvoir, éviter de le faire pour des personnalités dont la grandeur est reconnue par tous. Je pense qu’Elizabeth II réunit ces conditions – je serai plus sceptique pour ce qui concerne JPII… et ne parlons pas de Franco.

  14. Cherrytree dit :

    @CVT
    Ah, j’oubliais. Les drapeaux français furent aussi mis en berne pour Jean-Paul II.

  15. Cherrytree dit :

    @Descartes
    Puisque nous évoquons ici les honneurs et les pompes dues à des figures tutélaires, permettez- moi d’exprimer ma stupéfaction devant le tollé que suscite chez d’aucuns la statue de l’archange Saint Michel sur un parvis d’église. Je ne connais pas de ville plus ou moins grande, qui n’ait sa statue de Jeanne d’Arc, héroïne née aussi d’un certain nationalisme français. Personne n’a encore songe à les déboulonner ? Je m’en étonne. Au nom de la République, que n’abat-on la statue équestre de Louis XIV? Ceci dit, débaptisons le boulevard Saint Michel à Paris, la place Saint Sernin à Toulouse, et toutes les communes dont le nom les place sous un patronage céleste quelconque. Y a du boulot ! J’habite près de Gruissan ou sur le parvis, face à l’église, se trouve la réplique du monument au chevalier de la Barre, et où la Libre Pensée se rassemble chaque année. Idem à Toulouse, ou la stèle à Giordano Bruno se trouve devant l’ancienne maison de l’Inquisition, c’est à dire pile à l’entrée de l’Institut Catholique. Personne n’a encore été chercher le Conseil d’État pour mettre fin au scandale. Qui sont les ânes bâtés qui au nom de l’égalité et d’une laïcité mal comprise, entreprennent de démolir tout vestige du passé s’il n’est pas raccord avec notre présente République ? J’avoue que cette talibanisation de la pensée m’inquiète. Il y a des monarchies, certes constitutionnelles, plus démocratiques que certaines républiques: entre l’Espagne et le Venezuela, je crois qu’il n’y a pas photo. Alors que des Français s’intéressent aux obsèques d’une souveraine effectivement amie de la France, je ne suis pas choquée.
     

    • Descartes dit :

      @ Cherrytree

      [Puisque nous évoquons ici les honneurs et les pompes dues à des figures tutélaires, permettez- moi d’exprimer ma stupéfaction devant le tollé que suscite chez d’aucuns la statue de l’archange Saint Michel sur un parvis d’église. Je ne connais pas de ville plus ou moins grande, qui n’ait sa statue de Jeanne d’Arc, héroïne née aussi d’un certain nationalisme français. Personne n’a encore songe à les déboulonner ? Je m’en étonne.]

      Il faut quand même lire la motivation du jugement de la cour administrative d’appel pour comprendre le fond de l’affaire. Il ne s’agit pas ici d’une statue ancienne, qui se rattacherait à une tradition, mais une statue nouvellement installée en 2018. Ce n’est pas non plus un simple élément de décoration urbain : elle a été installée en procession et bénie par un prêtre. La cour d’appel note que « Un article du 10 octobre 2018 du Journal des Sables, produit par [la commune] elle-même, mentionne ainsi qu’après l’allocution du maire « la bénédiction a permis de rappeler qui était l’Archange, saint patron du catholicisme » ». Dans ces conditions, on peut regarder cette statue comme un monument religieux, une tentative de l’église catholique de reconquérir l’espace public au détriment de la laïcité, et à ce titre la décision de la justice administrative est parfaitement recevable.

      Il ne s’agir donc pas ici de contester la présence des signes ou décors dans l’espace publique qui se rattachent à une TRADITION chrétienne. La justice administrative – et le bon sens – considèrent ridicule de vouloir enlever les croix des monuments anciens, quand bien même ils n’auraient plus de fonction religieuse. Il s’agit ici de la volonté d’ériger un NOUVEAU monument. Et cela change tout. Je ne suis pas gêné de voir une croix au-dessus d’un hôpital historique, je serais très gêné de la voir ériger au-dessus d’un hôpital neuf. Il est absurde de chercher à nier ou effacer l’héritage catholique de la France. Mais il ne faut permettre à l’église de s’appuyer sur cet héritage pour essayer de reconquérir une place dans la sphère publique.

      [Au nom de la République, que n’abat-on la statue équestre de Louis XIV?]

      Il n’y a pas de principe de laïcité en matière politique, qui oblige l’Etat à maintenir une neutralité en la matière. Et si vous réfléchissez un instant, vous comprendrez pourquoi. Louis XIV est mort et enterré, et le fait d’ériger une statue ne fera pas revenir la monarchie absolue. Par contre, l’Eglise est une institution puissante encore aujourd’hui, et lui permettre d’occuper l’espace public n’est pas neutre.

      [Ceci dit, débaptisons le boulevard Saint Michel à Paris, la place Saint Sernin à Toulouse, et toutes les communes dont le nom les place sous un patronage céleste quelconque. Y a du boulot !]

      Encore une fois, le boulevard Saint-Michel et la place Saint-Sernin viennent d’une très ancienne tradition. Par contre, imaginons que dans une ville nouvelle on baptise une place du nom d’un saint. Là, ce serait une toute autre affaire…

      [J’habite près de Gruissan ou sur le parvis, face à l’église, se trouve la réplique du monument au chevalier de la Barre, et où la Libre Pensée se rassemble chaque année. Idem à Toulouse, ou la stèle à Giordano Bruno se trouve devant l’ancienne maison de l’Inquisition, c’est à dire pile à l’entrée de l’Institut Catholique. Personne n’a encore été chercher le Conseil d’État pour mettre fin au scandale.]

      Où est le « scandale » ? Le chevalier de la Barre et Giordano Bruno sont des figures historiques. Pas des êtres surnaturels auxquels on a le choix de croire ou non.

      [Qui sont les ânes bâtés qui au nom de l’égalité et d’une laïcité mal comprise, entreprennent de démolir tout vestige du passé s’il n’est pas raccord avec notre présente République ?]

      Encore une fois, la statue de Saint-Michel en question n’est pas un « vestige du passé », mais une construction du présent : elle a été érigée en 2018. Et elle a été érigée non pas comme monument civique, mais avec tout l’apparat d’une cérémonie religieuse. Il y a là clairement une atteinte à la laïcité.

      • @ Descartes,
         
        [Dans ces conditions, on peut regarder cette statue comme un monument religieux, une tentative de l’église catholique de reconquérir l’espace public au détriment de la laïcité, et à ce titre la décision de la justice administrative est parfaitement recevable.]
        La décision de justice est cohérente. Ce qui me gêne cependant, c’est qu’on ne pose pas la question du geste artistique. J’ai vu cette statue, elle est loin d’être laide, et par ailleurs, on pourrait arguer que les anges font partie après tout du folklore mythologique de la culture occidentale au sens large. De plus, quand je vois les horreurs estampillées “art contemporain” qu’on installe sans vergogne dans nos villes, franchement, je trouve le tribunal un peu sévère.
         
        Reste que la statue a été installée avec cérémonie religieuse et bénédiction, ce qui effectivement pose problème. Cela étant dit, faut-il bannir de notre espace public toute oeuvre artistique nouvelle qui ferait référence au catholicisme? La réponse à cette question ne me paraît pas évidente.

        • Descartes dit :

          @ nationaliste-ethniciste

          [Reste que la statue a été installée avec cérémonie religieuse et bénédiction, ce qui effectivement pose problème. Cela étant dit, faut-il bannir de notre espace public toute oeuvre artistique nouvelle qui ferait référence au catholicisme? La réponse à cette question ne me paraît pas évidente.]

          Je ne vois pas de problème à installer une œuvre d’art « qui ferait référence au catholicisme », tant que l’œuvre d’art ne constitue pas un monument religieux. Le fait que dans le cas d’espèce la statue de l’archange ait été bénie par un prêtre et que le discours du maire ait clairement pointé le contenu religieux du monument montre que, dans la tête de ceux qui l’ont érigé, le monument n’a pas le statut d’une œuvre d’art, mais bien d’un monument religieux. Si ceux-là même qui ont voulu cette statue ont voulu lui donner un sens religieux et non artistique, ce n’est pas le juge qui va dire le contraire…

          Un monument a un contenu objectif et un contenu subjectif. Placer une vierge de Raphael ou la crucifixion de Dali au Louvre, c’est placer un tableau donc le sens est objectivement religieux. Mais subjectivement, mettre un tel tableau n’a aucun sens religieux, puisque ceux qui le placent là n’ont aucune intention dans ce sens. Maintenant, si le tableau en question était accroché en présence d’un prêtre bénissant, et que le directeur du Louvre déclarait que ce tableau servira à donner aux visiteurs une éducation religieuse, alors là, ça poserait problème. C’est cette subjectivité que le tribunal a choisi, à juste titre à mon avis, de censurer.

          Vous le savez, j’essaie d’être un anticlérical intelligent. Autant je trouve ridicules ceux qui cherchent à effacer l’héritage chrétien de notre pays en défigurant des monuments où en bannissant des traditions comme les crèches de noël, autant je pense qu’il faut combattre san hésitation toute tentative de retour du cléricalisme.

          • @ Descartes,
             
            [Si ceux-là même qui ont voulu cette statue ont voulu lui donner un sens religieux et non artistique, ce n’est pas le juge qui va dire le contraire…]
            Si la même statue avait été installée sans cérémonie religieuse, et au motif qu’il s’agit d’une oeuvre d’art que la municipalité souhaite exposer au public, vous ne vous y opposeriez pas?
             
            Personnellement, j’imposerai pour ce type de monument une absence d’inscription indiquant le nom du personnage, et une stricte interdiction d’organiser une activité cultuelle autour. Après, à chacun d’interpréter l’oeuvre: si les catholiques veulent y voir Saint Michel, général des armées célestes, ils le peuvent; d’autres y verront un éphèbe ailé épris de liberté; les libres-penseurs sont même libres d’y voir le symbole de la libre pensée terrassant le dragon de l’obscurantisme putride (pourquoi pas après tout?).
             
            Pour moi, l’atteinte à la laïcité réside dans la cérémonie qui a accompagné l’installation de la statue, plus que dans la statue elle-même. Ce qui me met toujours un peu mal à l’aise, c’est que j’ai l’impression que, sous couvert de défense de la laïcité, la libre pensée mène en réalité une vendetta contre l’Eglise catholique. Rappelons que certaines associations de libre pensée réclament la démolition de la basilique du Sacré-Coeur à Paris et se sont insurgées en 2020 lorsque le monument a été proposé au classement du patrimoine.
            Je veux bien que le Sacré-Coeur rappelle les mauvais souvenirs de la répression de la Commune, mais les Fédérés ont perdu, et ils ont perdu parce que le peuple de France n’était pas prêt, cette fois-ci, à suivre les révolutionnaires parisiens, n’en déplaise à Jean Ferrat qui a écrit une chanson magnifique pour le centenaire de la tragédie. Mais je trouve les gaucho-laïcards un peu moins virulents à l’heure de réclamer la démolition de certaines mosquées où des imams prononcent des prêches incompatibles avec les “valeurs de la République”, et alors même que le salafisme a tué dans notre pays ces dernières années…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Si ceux-là même qui ont voulu cette statue ont voulu lui donner un sens religieux et non artistique, ce n’est pas le juge qui va dire le contraire… » Si la même statue avait été installée sans cérémonie religieuse, et au motif qu’il s’agit d’une œuvre d’art que la municipalité souhaite exposer au public, vous ne vous y opposeriez pas ?]

              Tout à fait. Si l’on chasse de l’espace public tout ce qui fait référence à quelque chose au prétexte que cela peut offenser quelqu’un, on va appauvrir irrémédiablement notre espace symbolique. La laïcité n’exige pas cela. La laïcité exige la neutralité RELIGIEUSE de l’Etat et de l’espace public, pas une neutralité historique ou esthétique. Mais connaissant la mentalité dans la région des Sables d’Olonne, il n’y a aucun doute sur les motivations de ceux qui ont érigé cette statue.

              [Personnellement, j’imposerai pour ce type de monument une absence d’inscription indiquant le nom du personnage, et une stricte interdiction d’organiser une activité cultuelle autour. Après, à chacun d’interpréter l’oeuvre: si les catholiques veulent y voir Saint Michel, général des armées célestes, ils le peuvent; d’autres y verront un éphèbe ailé épris de liberté; les libres-penseurs sont même libres d’y voir le symbole de la libre pensée terrassant le dragon de l’obscurantisme putride (pourquoi pas après tout?).]

              Je me souviens d’un artiste soviétique qui avait représenté Saint Georges en ouvrier terrassant le dragon du capitalisme… oui, la culture c’est aussi la réinterprétation permanente des références. Tant qu’il s’agit d’une référence culturelle et non culturelle, cela ne me pose aucun problème.

              [Pour moi, l’atteinte à la laïcité réside dans la cérémonie qui a accompagné l’installation de la statue, plus que dans la statue elle-même.]

              Pas seulement: il y a la cérémonie, mais il y surtout l’intention de ceux qui l’ont érigée et autorisé son érection. Comme le relève le juge, l’intention de tout ce beau monde était transparente. Dès lors que la statue en question a été érigée pour des mauvaises raisons, que la volonté du maire et du conseil municipal était bien de donner à ce monument un caractère cultuel, elle doit être retirée. La décision de la justice administrative me paraît donc conforme au droit.

              [Ce qui me met toujours un peu mal à l’aise, c’est que j’ai l’impression que, sous couvert de défense de la laïcité, la libre pensée mène en réalité une vendetta contre l’Eglise catholique.]

              Vous oubliez qu’il y dans la libre pensée deux courants : celui laïque, attaché à la liberté de conscience et la neutralité de l’espace public, et celui anti-religieux, dont la raison d’être est le combat contre la religion. Lorsque l’église catholique était puissante et réglait la vie du pays, ces deux courants se confondaient : établir la neutralité de l’Etat et la liberté de conscience impliquait un combat pied à pied contre la religion et ses agents. Aujourd’hui, alors qu’en dehors de quelques contextes particuliers la sécularisation est un fait et que le religieux est largement cantonné à la sphère privée, ces deux courants se différentient nettement. Pour le militant laïque que je suis, le combat est la préservation de l’espace public de toute intromission religieuse. Mais je ne cherche à imposer l’athéisme à personne.

              [Rappelons que certaines associations de libre pensée réclament la démolition de la basilique du Sacré-Coeur à Paris et se sont insurgées en 2020 lorsque le monument a été proposé au classement du patrimoine.]

              Je pense que votre exemple est mal choisi. Dans le cas du Sacré-Cœur, ceux qui veulent la démolir en font un symbole politique, et non pas religieux. C’est le symbole de la répression de la commune et non le monument religieux qui est attaqué. Si au lieu d’être une église il s’agissait d’une plaque chantant la gloire des Versaillais, le problème serait le même. Tout au plus on peut souligner l’erreur commis par l’Eglise de France d’avoir accepté de se voir associée aux secteurs politiquement les plus réactionnaires. Si l’Eglise avait compris que la République était là pour durer, qu’elle correspondait au souhait d’une majorité de Français, et avait cherché un accommodement raisonnable avec elle, on n’aurait peut-être pas eu la séparation en 1905. Pour moi, le Sacré-Cœur est autant un hommage aux répresseurs de la Commune qu’un monument à la bêtise cléricale.

              [Je veux bien que le Sacré-Coeur rappelle les mauvais souvenirs de la répression de la Commune, mais les Fédérés ont perdu, et ils ont perdu parce que le peuple de France n’était pas prêt, cette fois-ci, à suivre les révolutionnaires parisiens, n’en déplaise à Jean Ferrat qui a écrit une chanson magnifique pour le centenaire de la tragédie.]

              C’est même plus ambigu que cela. Les Fédérés ont perdu la bataille militaire, mais gagné la bataille des idées. La victoire des Versaillais ne leur a pas permis de rétablir la monarchie, pas plus qu’elle n’a permis à l’église d’éviter la séparation.

              [Mais je trouve les gaucho-laïcards un peu moins virulents à l’heure de réclamer la démolition de certaines mosquées où des imams prononcent des prêches incompatibles avec les “valeurs de la République”, et alors même que le salafisme a tué dans notre pays ces dernières années…]

              Là, je vous trouve un peu excessif. Si on avait démoli les églises dont le prêtre a tenu ou tient des discours « incompatibles avec les valeurs de la République », il n’en resterait pas beaucoup dans notre beau pays…

            • @ Descartes,
               
              [Tout à fait. Si l’on chasse de l’espace public tout ce qui fait référence à quelque chose au prétexte que cela peut offenser quelqu’un, on va appauvrir irrémédiablement notre espace symbolique. La laïcité n’exige pas cela.]
              En toute franchise, j’apprécie chez vous cette mesure et cette capacité à adopter une position équilibrée sur bien des sujets. Vous êtes un modéré, au sens noble du terme (pas au sens péjoratif de “tiède” ou “mou”). Je suis d’autant plus admiratif que je me sais incapable d’une telle modération.
               
              Mais j’ai l’impression que les gens comme vous se font rares à gauche, et je le déplore.
               
              [Mais connaissant la mentalité dans la région des Sables d’Olonne, il n’y a aucun doute sur les motivations de ceux qui ont érigé cette statue.]
              Sur ce point, je ne peux que vous donner raison. D’après ce que j’ai lu, il y avait de la part des autorités municipales une forme de provocation. Et je pense que le prêtre n’aurait pas dû accepter de prendre part à cela. D’autant que c’est au final contre-productif.
               
              [C’est le symbole de la répression de la commune et non le monument religieux qui est attaqué.]
              D’abord, ce sont les hommes qui font la répression, et non les monuments. La basilique du Sacré-Coeur est un édifice religieux d’abord dédié à la prière et à la pratique cultuelle. Je ne suis pas sûr que les gens qui s’y rendent depuis plus d’un siècle y viennent systématiquement célébrer la répression des communards.
              Ensuite, ce sont les vainqueurs qui érigent et/ou transforment les monuments: les Arabes ont bâti la mosquée d’Omar sur les ruines du Temple d’Hérode, les Turcs ont transformé Sainte-Sophie en mosquée. C’est vieux comme le monde.
               
              [Tout au plus on peut souligner l’erreur commis par l’Eglise de France d’avoir accepté de se voir associée aux secteurs politiquement les plus réactionnaires. […] Pour moi, le Sacré-Cœur est autant un hommage aux répresseurs de la Commune qu’un monument à la bêtise cléricale.]
              Je trouve que vous allez un vite en besogne, et que vous commettez l’erreur de juger l’attitude de l’Eglise au regard de ce qui s’est passé après. La loi d’utilité publique autorisant la mise en construction de l’édifice date de 1873 et à ce moment, les royalistes dominent la chambre. Le “tournant républicain” de la fin des années 1870 n’est pas forcément prévisible.
               
              Ensuite, il y a le contexte: près d’un siècle après la Révolution française, l’Eglise catholique – la plus ancienne institution du pays – est ébranlée. Elle a perdu une part de sa richesse et de son pouvoir. L’Eglise n’est pas un club de philatélie, c’est une institution que je qualifierais de “para-étatique”. Sa raison d’être est d’exercer une influence sur la société. Par ailleurs, il faut quand même rappeler que les communards aux abois exécutèrent l’archevêque Darboy (avec d’autres ecclésiastiques). Fusiller un archevêque, c’est comme tirer sur un ministre: on ne tue pas seulement un homme, on attaque une institution. Et une institution attaquée se défend. Ajoutons que Rome étant tombée aux mains des Italiens à l’occasion de la guerre de 1870, l’Eglise traverse une crise sévère. Je ne vois pas où est la “bêtise cléricale” dans la tentative de l’Eglise de réaffirmer sa force comme institution, notamment en marquant le paysage urbain parisien après ce coup rude qui lui a été porté avec l’assassinat du chef du clergé local (précisons d’ailleurs que l’initiative du chantier revient à des laïcs). Les spécialistes d’histoire religieuse parlent de “recharge sacrale”, un mouvement qui d’ailleurs embrasse tout le XIX° siècle. Que cette tentative ait échoué est une autre affaire. Mais reprocher au clergé d’une Eglise liée à l’Etat pendant quinze cents ans de ne pas s’être résigné à perdre tout pouvoir (et donc à cesser d’être une institution, car qu’est-ce qu’une institution sans pouvoir?) me paraît un peu naïf.
               
              Pour ce qui est de l’alliance de l’Eglise de France avec “les secteurs politiquement les plus réactionnaires”, ça ne date pas des années 1870. Mais là aussi, la faute n’en incombe pas uniquement à l’Eglise: la constitution civile du clergé (qui soumet l’Eglise de France à l’Etat d’une manière impérieuse, alors que, de fait, la monarchie avait toujours exercé un contrôle sur le clergé national, auquel la papauté elle-même s’était résignée) puis la violence anti-religieuse de certains révolutionnaires (peu respectueux de la liberté religieuse pourtant proclamée dans la Déclaration du 26 août 1789) a aussi poussé l’Eglise dans les bras de la réaction. Et de toute façon, l’Eglise, par l’importance qu’elle accorde à la tradition, est plutôt une force conservatrice.
               
              [La victoire des Versaillais ne leur a pas permis de rétablir la monarchie, pas plus qu’elle n’a permis à l’église d’éviter la séparation.]
              Certes. Mais je ne suis pas sûr que l’Eglise ait joué un rôle majeur dans la victoire des Versaillais même si sa sympathie allait sans doute à ces derniers.
               
              Personnellement, je suis partagé sur cette affaire. La souffrance des Parisiens durant le siège de 1870-1871, leur patriotisme, les idées généreuses de la Commune ne me laissent pas de marbre. D’un autre côté, je tiens la basilique du Sacré-Coeur pour un monument de très grande qualité (j’aime beaucoup le style romano-byzantin du XIX° siècle), et l’un des plus beaux édifices catholiques de ce pays, avec les grandes cathédrales gothiques du Moyen Âge.
               
              [Si on avait démoli les églises dont le prêtre a tenu ou tient des discours « incompatibles avec les valeurs de la République », il n’en resterait pas beaucoup dans notre beau pays…]
              On a détruit beaucoup d’abbayes pendant la Révolution, après en avoir chassé les moines… Cluny, ça vous dit quelque chose? Et ce n’est pas un exemple isolé.
              J’ajoute que plusieurs de ces monuments étaient des chef d’oeuvre architecturaux, ce qui est loin d’être le cas de la plupart des mosquées construites en France depuis trente ou quarante ans.

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [En toute franchise, j’apprécie chez vous cette mesure et cette capacité à adopter une position équilibrée sur bien des sujets. Vous êtes un modéré, au sens noble du terme (pas au sens péjoratif de “tiède” ou “mou”). Je suis d’autant plus admiratif que je me sais incapable d’une telle modération.]

              Que voulez-vous : je suis né dans la foi stalinienne, mais je suis né trop tard pour y croire vraiment. C’est peut-être cette expérience qui m’a enseigné à la fois le pouvoir de la croyance, et ses dangers. C’est pourquoi je me méfie instinctivement des idées simples et des positions tranchées. Je fais mien la remarque de Jean Renoir dans « la règle du jeu » : « ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons ».

              [Mais j’ai l’impression que les gens comme vous se font rares à gauche, et je le déplore.]

              Je ne sais pas, mais je dois dire que je suis moi-même effrayé par le sectarisme que je retrouve dans la gauche aujourd’hui. Ce n’était pas le cas du PCF bien plus stalinien que j’ai connu à mon arrivée en France. Bien sûr, on ne discutait pas le dogme… mais le dogme, c’était pour le paradis socialiste. Sur terre, pour ce qui est de l’appliquer à la vie quotidienne, c’était le bon sens populaire qui prédominait. Aujourd’hui, quand on va à une réunion à LFI ou même au PCF, on entend des discours directement délirants…

              [« C’est le symbole de la répression de la commune et non le monument religieux qui est attaqué. » D’abord, ce sont les hommes qui font la répression, et non les monuments. La basilique du Sacré-Coeur est un édifice religieux d’abord dédié à la prière et à la pratique cultuelle.]

              Pas tout à fait. C’est un édifice d’abord érigé pour « expier les crimes de la commune ». Les monuments ont un sens au-delà de leur aspect utilitaire.

              [Je trouve que vous allez un vite en besogne, et que vous commettez l’erreur de juger l’attitude de l’Eglise au regard de ce qui s’est passé après. La loi d’utilité publique autorisant la mise en construction de l’édifice date de 1873 et à ce moment, les royalistes dominent la chambre. Le “tournant républicain” de la fin des années 1870 n’est pas forcément prévisible.]

              Quand même. Après 1792, toutes les tentatives de réinstaller un régime monarchique avaient échoué. Ni la Restauration, ni le premier Empire, ni la monarchie de Juillet, ni le second Empire n’ont réussi à emporter l’adhésion populaire. La chambre de 1873 était dominée par les royalistes, mais les politiques les plus lucides avaient bien compris qu’une restauration monarchique, même si elle n’était pas impossible, n’avait pas beaucoup de chances de réussir. Et même en supposant que le « tournant républicain » ne fut pas prévisible, l’Eglise aurait été prudente de garder les deux fers au feu, au lieu de s’engager corps et âme du côté réactionnaire.

              [Ensuite, il y a le contexte : près d’un siècle après la Révolution française, l’Eglise catholique – la plus ancienne institution du pays – est ébranlée. Elle a perdu une part de sa richesse et de son pouvoir. L’Eglise n’est pas un club de philatélie, c’est une institution que je qualifierais de “para-étatique”. Sa raison d’être est d’exercer une influence sur la société. Par ailleurs, il faut quand même rappeler que les communards aux abois exécutèrent l’archevêque Darboy (avec d’autres ecclésiastiques). Fusiller un archevêque, c’est comme tirer sur un ministre : on ne tue pas seulement un homme, on attaque une institution. Et une institution attaquée se défend.]

              Oui. Mais je ne pense pas que la vengeance – et la répression de la commune fut une vengeance autant qu’une nécessité militaire – soit la meilleure défense. Justement parce que l’Eglise est une institution ancienne, elle aurait du comprendre le risque qu’il y a, dans une situation incertaine, de lier son sort trop fortement à un parti sans savoir si ce parti a des chances de l’emporter. D’ailleurs, l’Eglise a très souvent gardé plusieurs fers au feu : en Amérique Latine, par exemple, elle a laissé se développer le mouvement des « prêtres du tiers monde », nettement à gauche, tout en maintenant dans les institutions un clergé de droite réactionnaire. Comme ça, quelque soit le côté qui arrive au pouvoir, l’Eglise garde son influence. Dans la France de 1870, l’Eglise n’a pas eu cette intelligence.

              [Mais reprocher au clergé d’une Eglise liée à l’Etat pendant quinze cents ans de ne pas s’être résigné à perdre tout pouvoir (et donc à cesser d’être une institution, car qu’est-ce qu’une institution sans pouvoir?) me paraît un peu naïf.]

              Ce n’est pas cela que je lui « reproche », si on peut parler de reproche. Ce que je dis, c’est qu’elle a parié sur le mauvais cheval, ou plutôt qu’elle n’a pas eu la prudence de mettre un pari sur tous les chevaux par prudence. L’Eglise aurait conservé bien plus de pouvoir si elle avait cherché à s’acoquiner avec les républicains, plutôt que de les affronter. Comme le Guépard, elle n’a pas compris que l’ancien monde était perdu, et qu’il fallait « tout changer » si elle voulait que « rien ne change ».

              [Pour ce qui est de l’alliance de l’Eglise de France avec “les secteurs politiquement les plus réactionnaires”, ça ne date pas des années 1870. Mais là aussi, la faute n’en incombe pas uniquement à l’Eglise: la constitution civile du clergé (qui soumet l’Eglise de France à l’Etat d’une manière impérieuse, alors que, de fait, la monarchie avait toujours exercé un contrôle sur le clergé national, auquel la papauté elle-même s’était résignée) puis la violence anti-religieuse de certains révolutionnaires (peu respectueux de la liberté religieuse pourtant proclamée dans la Déclaration du 26 août 1789) a aussi poussé l’Eglise dans les bras de la réaction.]

              L’intelligence d’une institution, c’est aussi de reconnaître lorsqu’une bataille est perdue. L’Eglise n’avait aucune possibilité en 1789 de garder le pouvoir qui avait été le sien sous la monarchie. Elle avait le choix entre accepter une place plus réduite, ou tout perdre. Elle a choisi l’affrontement, et en réponse les révolutionnaires ont cherché à réduire encore plus son influence, avec la constitution civile du clergé. Si l’église avait dès le départ soutenu la révolution et accepté que le gouvernement révolutionnaire exerce le même type de contrôle que la royauté, les choses auraient pu se passer autrement…

              [Et de toute façon, l’Eglise, par l’importance qu’elle accorde à la tradition, est plutôt une force conservatrice.]

              Oui, mais là encore, l’intelligence d’un conservateur est de se rendre compte que certaines choses ne peuvent pas être conservées…

              [Personnellement, je suis partagé sur cette affaire. La souffrance des Parisiens durant le siège de 1870-1871, leur patriotisme, les idées généreuses de la Commune ne me laissent pas de marbre. D’un autre côté, je tiens la basilique du Sacré-Coeur pour un monument de très grande qualité (j’aime beaucoup le style romano-byzantin du XIX° siècle), et l’un des plus beaux édifices catholiques de ce pays, avec les grandes cathédrales gothiques du Moyen Âge.]

              Question de goût. Personnellement, je trouve le style néo-byzantin très laid. En particulier, à cause des proportions que je trouve très déséquilibrées. L’intérieur du Sacré-Cœur a sa grandeur, mais l’extérieur est franchement très moche.

              [« Si on avait démoli les églises dont le prêtre a tenu ou tient des discours « incompatibles avec les valeurs de la République », il n’en resterait pas beaucoup dans notre beau pays… » On a détruit beaucoup d’abbayes pendant la Révolution, après en avoir chassé les moines… Cluny, ça vous dit quelque chose? Et ce n’est pas un exemple isolé.]

              Je ne crois pas qu’on les ait détruites simplement parce que « le prêtre avait tenu des discours incompatibles avec les valeurs de la République »…

              [J’ajoute que plusieurs de ces monuments étaient des chef d’oeuvre architecturaux, ce qui est loin d’être le cas de la plupart des mosquées construites en France depuis trente ou quarante ans.]

              Croyez que je regrette beaucoup ces destructions. D’un autre côté, il était difficile de les conserver alors qu’ils avaient perdu leur fonction principale. Beaucoup ont été sauvés en les transformant en caserne, en prison, en lycée. D’autres, malheureusement…

            • @ Descartes,
               
              [C’est un édifice d’abord érigé pour « expier les crimes de la commune ».]
              Sauf votre respect, les “crimes de la Commune” sont bien réels: exécutions d’otage, destructions de monuments. On peut dire que les communards n’avaient pas le choix, il n’en demeure pas moins qu’il faut être deux pour se battre dans une guerre civile…
               
              J’ajoute qu’en dépit de leur patriotisme et de leurs idées progressistes (au bon sens du terme), il me semble que les communards n’ont pas échappé à une forme de “gauchisme organisationnel” qui rendait leur tentative peut-être séduisante mais peu réaliste. Il manquait à la Commune un parti communiste centralisé et structuré, si j’ose dire…
               
              [Ni la Restauration, ni le premier Empire, ni la monarchie de Juillet, ni le second Empire n’ont réussi à emporter l’adhésion populaire.]
              Je ne suis pas d’accord sur le Second Empire: Napoléon III a emporté une forme d’adhésion populaire. Mais peut-être plus sur sa personne que sur son régime, c’est vrai.
               
              [Si l’église avait dès le départ soutenu la révolution et accepté que le gouvernement révolutionnaire exerce le même type de contrôle que la royauté, les choses auraient pu se passer autrement…]
              Cela ne me paraît pas très réaliste. La “guerre” contre l’Eglise catholique a été engagée par les philosophes des Lumières, plusieurs décennies avant la Révolution. Voltaire et ses amis ont largement développé cette association entre obscurantisme et Eglise catholique, une association d’ailleurs un peu discutable, car l’Eglise a aussi produit de grands esprits, des érudits et même quelques scientifiques. Les jésuites et les oratoriens ont, dans leurs collèges, beaucoup réfléchi aux questions de pédagogie et d’apprentissage. Au XVIII° siècle, dans bien des villages, le prêtre est l’homme le plus cultivé, et il n’est pas forcément insensible aux malheurs de ses paroissiens. Les révolutionnaires sont les héritiers de Voltaire et des Lumières, et de leur vision à mon sens un peu réductrice et caricaturale de l’Eglise. Contrairement à vous, je pense que la forte hostilité de certains révolutionnaires à l’Eglise est bien antérieure à la crise provoquée par la constitution civile du clergé.  
               
              [Personnellement, je trouve le style néo-byzantin très laid. En particulier, à cause des proportions que je trouve très déséquilibrées. L’intérieur du Sacré-Cœur a sa grandeur, mais l’extérieur est franchement très moche.]
              J’ai vu le monument de loin, depuis le musée d’Orsay, et je l’ai trouvé fascinant, comme une couronne blanche coiffant Montmartre. Pour être honnête, je ne l’ai encore jamais vu de près. Mais j’aime beaucoup le style néo-byzantin, ce côté “oriental”, un peu slave, que donnent les coupoles. Sur l’intérieur, je ne dirais rien, car je n’y suis pas encore entré. Mais extérieurement, je lui trouve des formes harmonieuses.
               
              Mais ma question essentielle est: êtes-vous favorable à la démolition de l’édifice?
               
              [Si l’église avait dès le départ soutenu la révolution et accepté que le gouvernement révolutionnaire exerce le même type de contrôle que la royauté, les choses auraient pu se passer autrement…]
              Je pense que les révolutionnaires n’ont pas vu qu’ils en demandaient trop, et de manière trop brutale: la constitution civile réorganisait le clergé français de manière unilatérale, sans véritable concertation avec l’épiscopat, sans négociation avec la papauté. Chambouler de la sorte, de fond en comble, une ancienne et vénérable institution n’était pas une bonne méthode. Parce qu’il faut le rappeler: tout a été fait très rapidement, et en 1790, donc bien avant la crise terrible de 1792-1793 qui devait mettre la Révolution en péril et obliger les révolutionnaires à prendre des mesures d’exception. Ce n’est que mon avis, mais je pense que si les révolutionnaires avaient pris davantage de temps sur cette question, s’ils avaient moins été dans cette logique de la “table rase”, les choses se seraient peut-être passées différemment. Ils ont aussi leur part de responsabilité.  
               
               [Je ne crois pas qu’on les ait détruites simplement parce que « le prêtre avait tenu des discours incompatibles avec les valeurs de la République »…]
              Non, on les a détruites parce que les congrégations ont été interdites et chassées du territoire national.
               
              Comme vous le dites justement, le monde ne pouvait pas rester tel quel. La Révolution n’a pas surgi de nulle part, elle épousait les aspirations d’une part importante de la population française, c’est certain. Cela étant dit, je suis plus que réservé sur les violences anti-religieuses de certains révolutionnaires (pas tous, Robespierre par exemple ne les approuvait pas), qui ont aussi contribué à diviser durablement les Français, et à rendre quasiment impossible une réconciliation entre défenseurs de la tradition catholique et partisans de la Révolution. C’est dommage, et c’est pour moi un des ratés de la Révolution.

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« C’est un édifice d’abord érigé pour « expier les crimes de la commune ». » Sauf votre respect, les “crimes de la Commune” sont bien réels: exécutions d’otage, destructions de monuments. On peut dire que les communards n’avaient pas le choix, il n’en demeure pas moins qu’il faut être deux pour se battre dans une guerre civile…]

              Pardon : les exécutions d’otages et la destruction de monuments sont « bien réels ». Mais la qualification de ces actes en « crime » est une question subjective. Et quand bien même vous acceptez cette qualification, l’idée qu’une société construise des monuments pour « expier » ces crimes donne à ces monuments un sens particulier.

              [J’ajoute qu’en dépit de leur patriotisme et de leurs idées progressistes (au bon sens du terme), il me semble que les communards n’ont pas échappé à une forme de “gauchisme organisationnel” qui rendait leur tentative peut-être séduisante mais peu réaliste. Il manquait à la Commune un parti communiste centralisé et structuré, si j’ose dire… ]

              Je suis ravi de constater que sur ce point vous partagez le diagnostic d’un certain Karl Marx (« La guerre civile en France »), diagnostic explicité par Lénine dans « l’Etat et la révolution ».

              [« Si l’église avait dès le départ soutenu la révolution et accepté que le gouvernement révolutionnaire exerce le même type de contrôle que la royauté, les choses auraient pu se passer autrement… » Cela ne me paraît pas très réaliste. La “guerre” contre l’Eglise catholique a été engagée par les philosophes des Lumières, plusieurs décennies avant la Révolution. Voltaire et ses amis ont largement développé cette association entre obscurantisme et Eglise catholique, une association d’ailleurs un peu discutable, car l’Eglise a aussi produit de grands esprits, des érudits et même quelques scientifiques.]

              Mais la « guerre » dont vous parlez était d’abord un conflit de pouvoir : si l’église du XVIIIème siècle était « obscurantiste », c’était moins parce qu’elle rejetait la pensée rationnelle – on n’est plus à l’époque de Galilée – que parce qu’elle entendait la réserver à une petite élite qui n’aurait pas le mauvais goût de l’utiliser pour remettre en cause le statut de l’Eglise dans les institutions. Si Voltaire et ses amis sont partis en guerre, c’était plus pour contester le pouvoir bien réel de l’Eglise que l’existence de dieu. Si l’Eglise avait accepté que ce statut était condamné, elle aurait pu accompagner le mouvement – comme le firent sous d’autres cieux les églises protestantes – et éviter un conflit frontal.

              [Les jésuites et les oratoriens ont, dans leurs collèges, beaucoup réfléchi aux questions de pédagogie et d’apprentissage. Au XVIII° siècle, dans bien des villages, le prêtre est l’homme le plus cultivé, et il n’est pas forcément insensible aux malheurs de ses paroissiens. Les révolutionnaires sont les héritiers de Voltaire et des Lumières, et de leur vision à mon sens un peu réductrice et caricaturale de l’Eglise.]

              Encore une fois, cela dépend si vous parlez de l’Eglise comme institution spirituelle, ou l’Eglise comme institution de pouvoir. Beaucoup de prêtres étaient des hommes très bien, cultivés et sensibles au malheur d’autrui. Mais l’Eglise était d’abord une institution qui avait la prétention de réguler la vie des hommes du berceau au cercueil, de faire la loi en matière civile et pénale, et de conserver et agrandir ses considérables possessions financières et ses privilèges. Les révolutionnaires ont été surtout sensibles à ce dernier aspect. Ils ont compris qu’il n’y avait aucune possibilité de transformer le pays si l’on ne brisait pas ce pouvoir. Et encore, il fallut presque un siècle de luttes incessantes pour réussir à chasser l’Eglise de la sphère publique…

              [Contrairement à vous, je pense que la forte hostilité de certains révolutionnaires à l’Eglise est bien antérieure à la crise provoquée par la constitution civile du clergé.]

              Je suis d’accord sur ce point. Beaucoup de révolutionnaires étaient hostiles à l’Eglise avant la crise en question, et beaucoup de religieux étaient hostiles aux idées de changement social avant 1789. L’Eglise avait compris que le changement de régime ne pouvait qu’affaiblir son pouvoir sur les institutions et sa position financière, et à l’inverse les révolutionnaires avaient compris qu’aucun changement ne serait possible sans briser le pouvoir de l’Eglise. La collision était inévitable.

              Mon point est que l’Eglise n’a pas voulu comprendre que sa position était insoutenable, que le monde allait changer qu’elle le veuille ou non. Si elle l’avait compris, elle aurait pu accompagner le mouvement et aurait probablement conservé une certaine influence. Elle a préféré aller au conflit et elle a tout perdu. Un peu comme la monarchie : si Louis XVI s’était résigné à n’être plus qu’un monarque constitutionnel, on aurait peut-être une monarchie à l’anglaise…

              [Mais ma question essentielle est: êtes-vous favorable à la démolition de l’édifice?]

              Non. Je m’aurais opposé à sa construction, j’aurais probablement milité pour sa démolition en 1880. Aujourd’hui, elle fait partie de notre histoire, et une histoire ne s’achète pas au détail. Démolir le Sacré Cœur c’est comme déboulonner la statue de tel ou tel personnage historique. Même si certains pensent que c’est un salaud et d’autres que c’est un héros, il fait partie de notre histoire. On n’efface pas des photos de famille tel ou tel oncle au prétexte qu’il a fini au bagne…

              [Je pense que les révolutionnaires n’ont pas vu qu’ils en demandaient trop, et de manière trop brutale: la constitution civile réorganisait le clergé français de manière unilatérale, sans véritable concertation avec l’épiscopat, sans négociation avec la papauté. Chambouler de la sorte, de fond en comble, une ancienne et vénérable institution n’était pas une bonne méthode.]

              Le problème est que « l’ancienne et vénérable institution » n’était prête à faire aucune concession sur l’essentiel, et qu’elle cherchait surtout à gagner du temps en rêvant d’une restauration de ses anciens privilèges. Elle était d’ailleurs encouragée par Rome dans ce sens.

              [Comme vous le dites justement, le monde ne pouvait pas rester tel quel. La Révolution n’a pas surgi de nulle part, elle épousait les aspirations d’une part importante de la population française, c’est certain. Cela étant dit, je suis plus que réservé sur les violences anti-religieuses de certains révolutionnaires (pas tous, Robespierre par exemple ne les approuvait pas), qui ont aussi contribué à diviser durablement les Français, et à rendre quasiment impossible une réconciliation entre défenseurs de la tradition catholique et partisans de la Révolution. C’est dommage, et c’est pour moi un des ratés de la Révolution.]

              Oui, mais il faut comprendre le pourquoi de ce « raté ». A la fin du XVIIIème siècle, la noblesse comme l’église étaient ossifiées. Il y a bien entendu des exceptions individuelles, mais en tant que groupe noblesse et clergé ont refusé d’admettre que, comme vous dites, « le monde ne pouvait pas rester tel quel », que la Révolution « épousait les aspirations d’une part importante de la population française ». S’ils l’avaient admis, ils auraient pu accompagner le mouvement – comme le fit la noblesse britannique lors de la première restauration – et ils auraient gardé une partie de leurs avantages, au lieu de tout perdre.

  16. luc dit :

    Hier soir,une émission auto-panégérique sur Jane Birkin était diffusée sur la tv.
    https://www.france.tv/france-3/jane-birkin-et-nous/4057288-emission-du-vendredi-16-septembre-2022.html
    Ne croyez vous pas que si pendant 70 ans de telles émissions sont diffusées partout dans le monde Jane Birkin sera admirée à l’instar d’Elisabeth II ?
    Dans ce cas l’Hymne ‘God Save Jane Birkin’ , pourrait il devenir l’Hymne de l’ONU reconsitué autour de son image de star ?
    Comme les chiens de Pavlov,l’Humain est un mammifère conditionnable ,non ?
    Stakhanov ,en URSS  , n’a t il pas été lui aussi en son temps ‘une vedette à admirer ‘ utilisée à des fins de propagande politique ?

    • Descartes dit :

      @ luc

      [Hier soir,une émission auto-panégérique sur Jane Birkin était diffusée sur la tv.]

      Elle sort probablement un disque. Un un livre. Ou elle part en tournée. Les émissions dites « culturelles » sur ce qu’on appelle abusivement le « service public » sont devenues en fait des machines de promotion…

      [Ne croyez-vous pas que si pendant 70 ans de telles émissions sont diffusées partout dans le monde Jane Birkin sera admirée à l’instar d’Elisabeth II ?]

      Non, je ne crois pas. Et je ne vois pas d’exemple qui suggère pareille chose. Aucun artiste n’a jamais bénéficié d’un tel hommage. Même les républicains irlandais lui ont exprimé leur hommage.

      [Comme les chiens de Pavlov, l’Humain est un mammifère conditionnable, non ?]

      Non, justement. Les animaux sont de moins en moins « conditionnables » à mesure qu’ils sont moins dépendants des réflexes et plus de l’intelligence. L’être humain est relativement peu piloté par les réflexes… il comprend beaucoup plus vite que le chien que la clochette peut sonner sans que la viande apparaisse.

      [Stakhanov, en URSS, n’a-t-il pas été lui aussi en son temps ‘une vedette à admirer ‘ utilisée à des fins de propagande politique ?]

      Oui, mais Stakhanov – comme Elizabeth – n’a été une « vedette » que pour autant qu’il ait été adossé à une institution – le Plan Quinquennal – elle-même portée par une autre institution, le Parti communiste. Comme Elizabeth, Stakhanov tire son prestige de l’acceptation de la « tyrannie de l’institution », en faisant exactement ce que le Plan exigeait de lui. Pas de danger que Jane Birkin fasse de même…

  17. Cherrytree dit :

    @Descartes
    Merci pour votre réponse, c’est vrai que je ne l’avais pas vu tout à fait comme ça.
    Ceci dit, je plaisantais, un peu lourdement, mais bon.  J’ai souvent et longtemps participé aux célébrations de la Libre Pensée, qui m’a parfois horripilee par l’attitude disons …absconse de certains, donc je suis partie pour ne pas fâcher. Je trouve la loi sur la laïcité la plus belle de notre constitution, c’est un garant de paix. J’ai vécu en Irlande où le clergé a joué un grand rôle dans toutes les luttes pour l’indépendance, et en même temps, y compris après l’indépendance, a contribué par la bigoterie à l’oppression des femmes et leur exploitation, et à des crimes. (les Magdalena sisters), interdiction de contraception jusqu’à date récente, etc. Plus laïque que moi vous en trouverez rarement. Vous savez, quand j’enseignais, une liste d’oeuvres pour les examens fut proprement boycottée par mes collègues, car elle proposait des monuments pacifistes et totalement laïques de la guerre de 14, et cela dans un établissement public.
    Certes, la statue incriminée est récente et vous avez raison de le souligner. Mais voyez-vous, un sondage auprès de la population locale montre que près de 97% de la population locale n’est pas opposée à son maintien. Et dans le contexte actuel, ce genre d’attitude rigide alimente tout simplement la victimisation des tenants du Grand Remplacement. Comme quoi les meilleures intentions peuvent dans le contexte aboutir au contraire de ce qu’elles devraient susciter, c’est à dire la paix. J’aimerais que la Libre Pensée manifeste aussi fort contre la tenue de la messe dans les arènes de Béziers( espace public) à l’occasion de la Feria, avec le soutien de l’édile local, depuis trois ou quatre ans. On emm… les gens pour une statue, mais une messe en public ne gêne pas grand monde. Allez comprendre. 
    Perso, je suis très Rose et Réséda, dans ma vie privée je crois et pratique ce que je veux, dans le public je suis laïque mais sans attitude hystérique, dans le contexte actuel je suis pour la discussion. Je n’ai pas dit les mauvais compromis.

    • Descartes dit :

      @ Cherrytree

      [Ceci dit, je plaisantais, un peu lourdement, mais bon. J’ai souvent et longtemps participé aux célébrations de la Libre Pensée, qui m’a parfois horripilee par l’attitude disons …absconse de certains, donc je suis partie pour ne pas fâcher. Je trouve la loi sur la laïcité la plus belle de notre constitution, c’est un garant de paix.]

      Je pense que beaucoup à la Libre Pensée confondent la lutte pour la laïcité et la lutte contre la religion. Or, ce sont deux choses très différentes. La laïcité, c’est la neutralité religieuse de l’Etat et de l’espace public. Mais cette neutralité implique de renoncer à dire aux gens ce qu’ils doivent ou non croire à titre privé. La lutte contre la religion implique une attitude militante pour chercher à convaincre les gens que toute croyance surnaturelle est une absurdité.

      Les deux combats ont leur légitimité, mais elle est différente et jusqu’à un certain point contradictoire : utiliser les ressources de l’Etat pour un combat anti-religieux est profondément contradictoire avec l’idée même de laïcité, qui interdit précisément à l’Etat de rentrer dans ce genre de débat.

      [J’ai vécu en Irlande où le clergé a joué un grand rôle dans toutes les luttes pour l’indépendance, et en même temps, y compris après l’indépendance, a contribué par la bigoterie à l’oppression des femmes et leur exploitation, et à des crimes.]

      Mais pourquoi croyez-vous que « le clergé a joué un grand rôle dans les luttes pour l’indépendance » ? Par bonté d’âme ? Par conviction sincère ? Ou parce que la domination britannique et son héritage puritain était un défi au pouvoir de l’église ? Depuis Rinuccini, au XVIIème siècle, l’action du clergé irlandais n’a eu qu’un objectif : restaurer la toute-puissance de l’église catholique. L’échec de Rinuccini fut d’ailleurs d’exiger comme prix de son aide à Charles Ier des concessions à l’église que ce pauvre Charles ne pouvait accorder sans provoquer une révolte en Angleterre. Du coup, les catholiques irlandais n’ont pas aidé Charles, qui fut battu… et ils ont eu droit à Cromwell…

      [Certes, la statue incriminée est récente et vous avez raison de le souligner. Mais voyez-vous, un sondage auprès de la population locale montre que près de 97% de la population locale n’est pas opposée à son maintien.]

      Et alors ? Cela laisse 3% de citoyens dont les droits doivent aussi être protégés. A supposer même que ce sondage soit fiable, la loi, c’est la loi. Si 97% des citoyens veulent lyncher un de leurs concitoyens, expulser les juifs, lapider les adultères ou envoyer les filles voilées à l’école, on les laisse faire ? Je suis sûr que vous trouverez des « populations locales » favorables à toutes sortes de choses…

      [Et dans le contexte actuel, ce genre d’attitude rigide alimente tout simplement la victimisation des tenants du Grand Remplacement. Comme quoi les meilleures intentions peuvent dans le contexte aboutir au contraire de ce qu’elles devraient susciter, c’est à dire la paix.]

      Vous me faites penser à la formule Churchilienne : « la France avait à choisir entre la honte et la guerre, elle a choisi la honte, elle a eu la guerre ». On ne construit pas une véritable paix en permettant aux « communautés locales » de prendre des libertés avec la loi commune. C’est le genre de « paix » qui prépare la guerre civle.

      [J’aimerais que la Libre Pensée manifeste aussi fort contre la tenue de la messe dans les arènes de Béziers (espace public) à l’occasion de la Feria, avec le soutien de l’édile local, depuis trois ou quatre ans. On emm… les gens pour une statue, mais une messe en public ne gêne pas grand monde. Allez comprendre.]

      Qu’a dit le juge administratif sur cette affaire ?

  18. Cherrytree dit :

    @ CVT
     
    Vous avez raison, ni Giscard ni Chirac n’en loupaient une. Mais (je peux me tromper?), je n’ai pas eu connaissance de maires ou de ministres qui aient exprimé leur refus aux hommages en France à leur décès. Et pourtant, Franco, à Toulouse où j’habitais et qui comptait une forte population issue de la Retirada, cela avait fait mal. D’accord le maire (Baudis) était de droite. Mais le Conseil Général était socialiste, et la manif qui a suivi ( et les autres) ont valu à bien d’entre nous des arrestations, avec bien peu de soutien des élus. Ainsi va le monde. Donc à  quelques décennies de distance, je m’étonne qu’on ne dise rien de l’hommage à un dictateur et un boucher, et qu’on s’émeuve de l’hommage rendu à une reine qu avec sa famille i a quand même pas mal contribué au moral des Anglais pendant la seconde guerre mondiale et qui en effet était une amie de la France. J’ose dire qu’elle avait peu de droit à s’exprimer, mais qu’au moins elle n’a jamais manifesté autre chose que de la réserve envers Margaret Thatcher et Boris Johnson. Y compris dans notre pays, tous les dirigeants ne peuvent en dire autant.
    Mais ce débat est intéressant.
     
     
     

  19. Vladimir dit :

    L’institution n’est-elle pas elle-même, avant tout, la concrétisation d’un corps collectif, d’une vibration commune, d’une croyance collective? Et c’est leur disparition ou leur affaiblissement qui mettent à mal l’institution. 
    Nous avons fait “L’Europe”, ce qui expliquerait la fin ou l’affaiblissement d’un certain nombre d’institutions françaises mais je n’ai pas l’impression que l’UE ait réussi à créer des institutions soutenues par la majorité de la population. Il me semble que nous détruisons la France sans rien construire.

    • Descartes dit :

      @ Vladimir

      [L’institution n’est-elle pas elle-même, avant tout, la concrétisation d’un corps collectif, d’une vibration commune, d’une croyance collective ? Et c’est leur disparition ou leur affaiblissement qui mettent à mal l’institution.]

      C’est une très bonne question. La question est de savoir pourquoi le processus instituant, qui fut si fort entre la Libération et la fin des années 1960, s’est inversé. Je pense qu’il faut rechercher la réponse dans la transformation du capitalisme, et en particulier de son internalisation. Le « premier capitalisme », dont la base prédominante était nationale, avait besoin d’institutions fortes pour encadrer la masse des travailleurs, pour réguler pacifiquement l’interaction sociale. Dès lors que le capitalisme acquiert la capacité de mettre en concurrence les travailleurs sur toute la planète, il n’a plus besoin de ces mécanismes institutionnels. Pourquoi chercher à organiser le paysage syndical et la représentation politique des travailleurs, puisque les salaires et conditions de travail sont fixés par le marché et la concurrence ? Pourquoi protéger la famille et la filiation, c’est-à-dire les institutions qui permettent la reproduction de la force de travail, alors qu’on trouve partout dans le monde une force de travail en excès ?

      La logique de régulation du capitalisme repose sur le marché. Et le marché ne fonctionne que si l’offre et la demande sont « atomiques », c’est-à-dire, en poussant le raisonnement au bout, si chaque individu agit pour lui-même et sans concertation. C’est pourquoi l’approfondissement du capitalisme implique la dissolution des institutions, entités collectives qui régulent le comportement des individus.

      [Nous avons fait “L’Europe”, ce qui expliquerait la fin ou l’affaiblissement d’un certain nombre d’institutions françaises]

      Pardon, nous avons « fait l’Europe » POUR affaiblir les institutions nationales. Ce n’est pas là une conséquence involontaire, mais au contraire un objectif assumé dès le départ. Relisez Jean Monnet.

      [mais je n’ai pas l’impression que l’UE ait réussi à créer des institutions soutenues par la majorité de la population. Il me semble que nous détruisons la France sans rien construire.]

      Vous avez tout compris. Sauf que ce n’est pas là un effet involontaire, mais un objectif assumé. Comme je l’ai dit plus haut, les institutions – TOUTES les institutions – sont des obstacles à la « concurrence libre et non faussée ». La famille elle-même n’est-elle là pour éviter la concurrence permanente entre des partenaires sexuels en sortant le couple constitué du « marché » des prétendants ? La filiation n’est-elle construite pour figer les droits des uns et des autres en dehors de toute concurrence ?

      • Vladimir dit :

        Je vous cite, “Pourquoi protéger la famille et la filiation?”. Ce n’est plus utile aujourd’hui parce que nous avons une maîtrise totale de la fécondité et nous pouvons savoir avec certitude si nos enfants sont bien les nôtres. Vous semblez accorder une puissance absolue au capitalisme et donc, nier toute liberté à l’être humain. Cela m’effraie. On voit bien, à la surface de la planète, que les différences entre les peuples riches restent grandes. Je considère le capitalisme plutôt comme une force parmi d’autres, portée par les fameuses classes intermédiaires qui siffleraient la fin de la récréation dès qu’elle le décideront.
                Le Bassin parisien a toujours été individualiste. En 1960, je crois qu’il était normal de voir ses parents, frères et soeurs, en moyenne, tous les cinq ans. L’individualisme actuel ne les choque sans doute pas beaucoup. Je parie que vous répondrez à propos de la solidarité du PC dans cet espace mais ce parti a été brutalement abandonné par les gens du Bassin parisien. Les Bretons, par exemple, passent leur temps à vénérer leur région. Ne réagiront-ils pas si le capitalisme abime trop leur région à leur goût?

        • Descartes dit :

          @ Vladimir

          [Je vous cite, “Pourquoi protéger la famille et la filiation?”. Ce n’est plus utile aujourd’hui parce que nous avons une maîtrise totale de la fécondité et nous pouvons savoir avec certitude si nos enfants sont bien les nôtres.]

          Je ne vois pas le rapport. Que la paternité soit ou non certaine, la famille et la filiation restent les mécanismes qui permettent la reproduction sociale de la force de travail. La question est de savoir si cette reproduction est toujours nécessaire chez nous, alors qu’on trouve de la force de travail bien moins chère ailleurs…

          [Vous semblez accorder une puissance absolue au capitalisme et donc, nier toute liberté à l’être humain. Cela m’effraie.]

          Je ne nie pas TOUTE liberté à l’être humain. Mais l’être humain exerce sa « liberté » dans un cadre matériel. Pour reprendre les termes de Marx, nous entrons au royaume de la liberté en passant par le royaume de la nécessité. Je suis libre, mais si je n’ai pas de quoi mettre du pain sur la table, je ne resterai pas libre bien longtemps. Et pour pouvoir mettre du pain sur ma table, il me faut me plier aux contraintes que m’impose le mode de production dominant. Dans le capitalisme, cela veut dire trouver quelqu’un qui voudra bien acheter ma force de travail. Et pour cela, il me faudra accepter un salaire inférieur à la valeur que je produis, parce que personne n’aura intérêt à l’acheter à cette valeur, puisque c’est la différence entre la valeur produite et mon salaire qui fait le gain de mon employeur.

          Et pour que j’accepte ce qui en fait est une dépossession, il faut que je fasse mienne une idéologie qui justifie cet état de fait. Par exemple, cette idéologie qui veut que ce soit le capital – ou mieux encore, l’Idée – qui crée la richesse, et non le travail. Tout s’emboite, voyez-vous…

          [On voit bien, à la surface de la planète, que les différences entre les peuples riches restent grandes.]

          Oui, mais cela manifeste moins une « liberté » que le poids de l’histoire. Tous les « peuples riches » ne sont pas devenus « riches » de la même manière…

          [Je considère le capitalisme plutôt comme une force parmi d’autres, portée par les fameuses classes intermédiaires qui siffleraient la fin de la récréation dès qu’elle le décideront.]

          Ce n’est pas si simple. Les classes intermédiaires ont aujourd’hui intégré au bloc dominant. Pourquoi siffleraient-elles la fin de la récréation alors que la récréation est toute à leur avantage ?

          [Le Bassin parisien a toujours été individualiste. En 1960, je crois qu’il était normal de voir ses parents, frères et sœurs, en moyenne, tous les cinq ans.]

          « Toujours » ? N’exagérons rien. Je doute que du temps de Charlemagne le bassin parisien fut plus « individualiste » que le bassin rhodanien, par exemple. Je doute aussi que frères et sœurs se voient moins souvent dans le bassin parisien que dans n’importe quel autre bassin de population de taille et densité équivalente.

          [L’individualisme actuel ne les choque sans doute pas beaucoup. Je parie que vous répondrez à propos de la solidarité du PC dans cet espace mais ce parti a été brutalement abandonné par les gens du Bassin parisien.]

          Il a été bien plus « brutalement abandonné » dans d’autres bassins de population. Ce sont ses bastions de la région parisienne, au contraire, qui ont été les derniers à tomber. Je trouve cette idée d’un « individualisme parisien » opposé à une solidarité collective provinciale totalement artificielle. Les mouvements révolutionnaires en France – moments privilégiés d’action collective – sont plus souvent nés à Paris qu’ailleurs…

          [Les Bretons, par exemple, passent leur temps à vénérer leur région.]

          Beaucoup moins que les parisiens. Je n’aurais pas de difficulté à vous citer une douzaine de chansons modernes qui chantent Paris et sa banlieue. Seriez-vous capable de me trouver dans votre mémoire autant de chansons chantant la région de votre choix ? J’en doute.

          De grands poètes – Hugo, Aragon – ont chanté Paris. Où est le Breton qui écrit quelque chose de comparable au poème d’Aragon :

          C’est de ce Paris-là que j’écris mes poèmes
          Mes mots on la couleur grisâtre de ses toits,
          La gorge des pigeons y roucoule et chatoie
          J’ai plus écrit de toi, Paris, que de moi-même
          Et plus que de vieillir, souffert d’être sans toi

          Paris s’éveille et moi pour retrouver ses mythes
          Qui me brulaient le sang dans mon obscurité
          Je mettrai dans mes mains mon visage irrité
          Que renaisse le chant que les oiseaux imitent
          Et qui répond « Paris » quand on dit « liberté »…

          [Ne réagiront-ils pas si le capitalisme abime trop leur région à leur goût?]

          Mais ça veut dire quoi « abimer une région » ? Prenez le Nord : quand le capitalisme a le plus « abimé » la région ? Quand il a ouvert les filatures et les aciéries, ou quand il les a fermées ?

  20. Cherrytree dit :

    @Descartes
    La messe dans les arènes de Béziers se tient depuis 2014. De mémoire, je crois que seul Alexis Corbière et le Parti de Gauche se sont insurgés à l’époque, ça avait suscité une manif vite réduite au silence avec l’aide de policiers et de CRS. Depuis, le programme annonce “La Traditionnelle messe” précédée du Défilé de la Vierge (qui doit être bien étonnée de se voir conviée là😂). Et ça passe crème. Le juge administratif ? Ben depuis 9 ans il semble qu’on le laisse bien tranquille. Je ne connais pas l’avis des toros. Et je le redis, la Libre Pensée, qui est plus anticléricale que laïque, a des indignations fluctuantes. 
    Vous pouvez consulter la toile qui regorge de belles images et de glorieuses vidéos de la chose.

    • Descartes dit :

      @ Cherrytree

      [Le juge administratif ? Ben depuis 9 ans il semble qu’on le laisse bien tranquille.]

      Le juge ne peut s’auto-saisir. Il faut qu’il y ait un recours de déposé. Dois-je comprendre que personne n’a déposé un tel recours ?

  21. Cherrytree dit :

    @Descartes
    Nous avons évoqué ici la tenue qui doit être de règle pour qui veut se voir respecté. Le couple Macron vient apporter de l’eau à mon moulin.
    Je me suis récriée lors des obsèques de Simone Veil aux Invalides, avec madame en mini-jupe et croisant haut les jambes dans le plus pur style Sharon Stone, ou accrochée comme un panier à son Président d’époux. Je croyais que ces gens avaient des conseillers en image, pour éviter sinon le ridicule, au moins la vulgarité. Je viens de revoir les photos pour m’assurer que je ne m’émeuvais pas pour rien.
    Mais voici que conviés aux obsèques d’Élisabeth II, ils récidivent. On a pu les voir déambuler aux alentours de Westminster entourés d’un aréopage de gardes du corps, en pantalon slim, baskets, et lunettes noires . Certes ils ne sont pas entrés ainsi vêtus dans l’abbaye, mais ils avaient voulu voir la queue impressionnante de ceux qui venaient rendre hommage. Oui, oui, ces Britanniques à qui on avait recommandé une tenue correcte, et dont beaucoup avaient soigné leur toilette, par respect. Qu e notre gamin de Président  se balade en “casual”(pour parler djeun), on ne le refera pas. Qu’il se cramponne au bras de madame (à moins que ce ne soit l’inverse), bon, on a l’habitude. Que cette dame de 70 balais au printemps, se promène dans une tenue d’ado juste pubère, on se demande si elle a une idée de ce qui est convenable et de ce qui ne l’est pas,, mais bon, la encore, elle est coutumière du fait. Mais il s’agit ici d’obsèques à portée internationale, et ces gens sont censés nous représenter dans ces circonstances. Il n’y a pas à dire, Macron fait tache, et le couple a passablement choqué, ce dont la presse britannique s’est fait l’écho. C’est bien joli de démanteler la diplomatie française, mais je pense que les relations avec la Grande Bretagne en a pris un coup. Il ne se trouve donc personne  pour oser leur dire ce que ce comportement a de choquant ? Bah, au moins ils seront pour une fois d’accord avec les députés insoumis,.pour lesquels le débraillé est la marque du peuple. 

    • Descartes dit :

      @ Cherrytree

      [On a pu les voir déambuler aux alentours de Westminster entourés d’un aréopage de gardes du corps, en pantalon slim, baskets, et lunettes noires . Certes ils ne sont pas entrés ainsi vêtus dans l’abbaye, mais ils avaient voulu voir la queue impressionnante de ceux qui venaient rendre hommage. Oui, oui, ces Britanniques à qui on avait recommandé une tenue correcte, et dont beaucoup avaient soigné leur toilette, par respect.]

      Je pense qu’on est là au coeur de ce qui faisait la popularité d’Elizabeth II: si elle emportait l’admiration, c’est parce qu’elle assumait en toute circonstance- y compris les plus tragiques – le fait d’être en représentation. Elle avait bien compris que quand on est roi, on ne peut pas poser la couronne à 18h, rentrer chez soi et mettre ses pantoufles. C’est un job full time, 24/24, 7/7, 365/365 et jusqu’au dernier jour de votre vie… et même au delà. Non seulement vous n’avez pas le choix de ce que vous faites de votre vie, mais vous n’avez même pas le choix de vos propres funérailles. Macron – comme Hollande – s’imaginent qu’on peut être chef de l’Etat sans faire ce sacrifice. Et c’est pour cela qu’ils sont ridicules. Tout le monde avait rigolé quand Sarkozy avait dit que pour être président “il fallait y penser en se rasant tous les matins”. Mais sa remarque n’était pas fausse: on ne peut pas être président et prendre ses RTT…

  22. P2R dit :

    @ Descartes
     
    Je fais un aparté sur la question de la laïcité que vous abordez avec d’autres intervenants, pour faire part d’un constat que je viens de faire (sans doute suis-je un peu naïf) suite à une question d’actualité locale, à savoir le départ du dernier médecin pédiatre de l’hôpital (public) de Montluçon, service de pédiatrie qui rayonne sur un bassin de 200.000 habitants. Et en l’occurrence, ce médecin est une femme musulmane voilée, dont on peut trouver des photos sur google en blouse de service, stéthoscope autour du coup, masque sur le visage et.. voile sur les cheveux. 
     
    Qu’est-ce que cette actualité révèle ? Tout simplement que le déficit conjoint d’anticipation des besoins de notre pays (en terme de médecins mais aussi d’enseignants, etc.) conjugué au défaut d’assimilation nous mets dans une situation impossible, où le rapport de force a totalement basculé en faveur des groupes communautaires. Car si, dans une situation où l’offre de médecins serait suffisante, la population (même laïque, même catholique) serait probablement favorable à une ligne laïque ferme (pas de voile dans l’hôpital public, si vous voulez porter le voile, vous perdez votre poste), aujourd’hui, la population, ayant le choix entre un médecin voilé ou pas de médecin du tout, choisit naturellement de se plier à la revendication communautariste. Et peut-on leur jeter la pierre ? 
     
    En gros, si demain un parti au pouvoir décidait d’une politique assimilationniste volontariste, il se retrouverait face à la menace du retrait d’un nombre croissant d’agents de l’état qui bon-an-mal-an font “mieux que rien”. Et se heurterait probablement à la population, y compris aux classes laborieuses, dont l’accès au soin, pour prendre cet exemple, serait encore affaibli..
     
    Cette “révélation” en fera peut-être sourire quelques-uns, mais elle devrait en faire réfléchir d’autres pour qui il suffirait de courage politique pour régler ce problème. C’est un drame d’en être arrivés là mais nous y sommes. A vrai dire, je me demande si la situation, à ce point, est réversible. that is the question.

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [Qu’est-ce que cette actualité révèle ? Tout simplement que le déficit conjoint d’anticipation des besoins de notre pays (en terme de médecins mais aussi d’enseignants, etc.) conjugué au défaut d’assimilation nous mets dans une situation impossible, où le rapport de force a totalement basculé en faveur des groupes communautaires.]

      Tout à fait. En fait, où qu’on se tourne on voit les dégâts de plus de trente années de politique du chien crevé au fil de l’eau. Cela fait trente ans que l’Etat a renoncé à toute velléité de préparer l’avenir. Cela fait trente ans qu’on laisse les marchés décider de ce qu’il faut faire, l’Etat n’ayant d’autre rôle que de jouer les pompiers en « socialisant les pertes » crise après crise. On découvre aujourd’hui que le « marché » nous amène à une crise énergétique. Que les logiques de concurrence conduisent à une crise des compétences dans des domaines critiques – la santé, l’enseignement, mais pas que.

      Je ne partage pas votre diagnostic qui voit ici une question « communautaire ». C’est l’individu qui et ici roi. C’est une pure question de marché. S’il n’y a pas assez d’énergie pour tout le monde, alors il vous faut payer très cher pour vous en procurer. Si les médecins manquent, et qu’un médecin veut porter le voile – mais ce serait la même chose s’il s’habillait en punk à chien – et il n’y a pas d’alternative, alors on est obligé d’accepter. A l’inverse, si vous n’avez pas de compétence rare, vous êtes obligé d’accepter n’importe quel caprice de votre employeur. C’est ça, le marché…

      [En gros, si demain un parti au pouvoir décidait d’une politique assimilationniste volontariste, il se retrouverait face à la menace du retrait d’un nombre croissant d’agents de l’état qui bon-an-mal-an font “mieux que rien”. Et se heurterait probablement à la population, y compris aux classes laborieuses, dont l’accès au soin, pour prendre cet exemple, serait encore affaibli…]

      Oui, et c’est pourquoi une politique assimilationniste ne peut être faite « toutes choses égales par ailleurs ». Elle fait partie d’un tout, et ce tout est la reprise collective du contrôle sur notre environnement, sur notre société, sur notre vie. C’est finir avec la logique « le marché pourvoira ».

      [A vrai dire, je me demande si la situation, à ce point, est réversible. that is the question.]

      Il faut se poser comme principe que la réponse est positive. Parce que si on part d’une autre réponse, on n’essaiera jamais de la renverser. Et si on n’essaye pas, on ne saura jamais… nous revenons en fait à la question de l’optimisme méthodologique!

  23. GDAT13 dit :

    @Descartes
    [Elisabeth II a fait ce travail. Pendant soixante-dix ans de règne, elle n’a jamais fait passer ses goûts, ses inclinaisons, ses peines et ses désirs avant sa fonction. Pendant soixante-dix ans, elle a dit ce qu’elle devait dire, fait ce qu’elle devait faire, habité là où elle devait habiter, fréquenté qui elle devait fréquenter. Elle a effacé tout choix personnel derrière sa fonction.]
    ce que disait très bien, il y a bien longtemps, Vigny :

    “Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
    – Ah ! je t’ai bien compris, sauvage voyageur,
    Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au coeur !
    Il disait : ” Si tu peux, fais que ton âme arrive,
    A force de rester studieuse et pensive,
    Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté
    Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.
    Gémir, pleurer, prier est également lâche.
    Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
    Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
    Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.”

    Hommage à la Louve Royale

  24. Cherrytree dit :

    @Descartes
    Franchement, si pour la 9ème année consécutive Ménard se permet le défilé, la messe, la pub,  c’est que personne n’a bougé. Puisque c’est désormais annoncé comme “traditionnel”… Il se permet l’épouvantable mélange du goupillon, de l’épée, du pognon, et d’un identitarisme plus que discutable. C’est pour cela que je disais qu’on faisait bien du bruit pour une statue d’archange dans un Trifouillis les Oies quelconque., alors que pour Béziers personne ne moufte, sauf les défenseurs de la cause animale, et comme la corrida étant considérée comme tradition (ce n’est pas Dupont-Moretti qui dira le contraire), eh bien on continue à bafouer le principe républicain de laïcité. Et voilà.

    • Descartes dit :

      @ Cherrytree

      [eh bien on continue à bafouer le principe républicain de laïcité. Et voilà.]

      Il y a une question de contexte. En Vendée, l’église est encore très puissante et se mêle en permanence des affaires civiques. Lutter contre un empiètement dans l’espace public a un sens. A l’inverse, je doute que l’église ait un pouvoir important sur les biterrois. C’est pourquoi finalement tout le monde s’en fout de voir Ménard ressusciter une “tradition” qui ressemble plus à une foire qu’à un rite religieux.

  25. maleyss dit :

    Si je comprends bien, votre article expose, entre autres, deux travers de notre société contemporaine :
    – D’une part, le caractère “falot et interchangeable” du personnel politique et plus généralement de ceux qui se donnent pour “sujets d’élite”. L’important, disait parait-il de Gaulle, n’est pas de sortir de l’ENA, mais de sortir de l’ordinaire. Qui, aujourd’hui, dans le monde politique, nous donne l’impression de “sortir de l’ordinaire” ? Personne, à part peut-être Mélenchon mais pour de mauvaises raisons. Sincèrement, je plains les imitateurs, qui nous ont tant fait rire par le passé. Qui imiter, maintenant, parmi tous ces clones, sans couleur ni saveur, ni, pour l’immense majorité d’entre eux, une pointe d’accent ? Et cela ne se limite pas au personnel politique, autant les individus que les lieux ou les produits sont maintenant pensés pour éviter d’offrir la moindre aspérité ; je peux vous citer cent exemples.
    -D’autre part, le découplage entre “privilèges”, réels ou supposés, et devoirs. Dans les deux métiers, fort différents, que j’ai exercés, j’entendais sans cesse des individus se plaindre d’un prétendu “déclassement” et envier les générations passées. C’était justement ceux qui se refusaient à endosser les devoirs et inconvénients de la fonction. Depuis la tenue vestimentaire (question de moindre importance) jusqu’à l’investissement donné au détriment de son confort personnel. Les mêmes qui jalousaient le prestige et la dévotion dont bénéficiaient leurs confrères de jadis me regardaient comme un dinosaure. Pensez ! Je faisais encore des visites à domicile ! Je travaillais  le samedi matin ! 
    Qu’espérer pour  notre pays dans ces conditions ?
     

    • Descartes dit :

      @ maleyss

      [– D’une part, le caractère “falot et interchangeable” du personnel politique et plus généralement de ceux qui se donnent pour “sujets d’élite”. L’important, disait parait-il de Gaulle, n’est pas de sortir de l’ENA, mais de sortir de l’ordinaire. Qui, aujourd’hui, dans le monde politique, nous donne l’impression de “sortir de l’ordinaire” ?]

      Personne. Mais il est important de comprendre pourquoi. La politique était jusqu’à ces dix ou vingt dernières années une passion. Des gens très intelligents, très capables, qui auraient pu faire bien plus d’argent dans leurs professions se consacraient à la politique pour avoir ce frisson que seule la politique pouvait procurer. On faisait de la politique avec ses tripes, et cela donnait des personnalités peu ordinaires, qu’on aimait ou qu’on détestait, mais qui ne laissaient pas indifférent.

      Depuis une vingtaine d’années, la politique est devenue un métier de représentation. Avec des règles dictées par la communication, qui sont les mêmes pour tous. Ce sont les experts en communication, les « spin doctors », qui disent aux politiques ce qu’il faut faire, ce qu’il faut dire, ce qu’il faut penser. Les règles du « politiquement correct » s’imposent à tous, d’où cette uniformisation. Personne ne « sort de l’ordinaire » parce que le but est de permettre à « l’homme ordinaire » de s’identifier avec vous.

      [-D’autre part, le découplage entre “privilèges”, réels ou supposés, et devoirs. Dans les deux métiers, fort différents, que j’ai exercés, j’entendais sans cesse des individus se plaindre d’un prétendu “déclassement” et envier les générations passées. C’était justement ceux qui se refusaient à endosser les devoirs et inconvénients de la fonction.]

      Tout à fait. Les gens n’ont pas compris que le respect implique des contraintes. Des contraintes réelles et des contraintes symboliques. Quand un enseignant vient en costume et cravate, il montre l’importance qu’il donne à son rôle. Quand il vient en T-shirt et tongs, il le montre aussi… et ses élèves sont parfaitement capables de lire les signes.

      [Qu’espérer pour notre pays dans ces conditions ?]

      Qu’il change, bien entendu !

  26. Luc dit :

    Merci cher Descartes d’être aussi optimiste..
    L’article ci-dessous issu du pays des laïcards,la patrie de Jaurès ce 15/09/2022..c’est du jamaisvu,une école primaire,porte le nom depuis quelques jours d’un évêque où’notre dame’,la vierge Marie est présentée comme celle qui a protège la France entre 1939-1945..
    https://www.ladepeche.fr/2022/09/13/toulouse-polemique-sur-fond-de-laicite-autour-du-groupe-scolaire-jules-geraud-saliege-10541171.php
     
     
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ luc

      [L’article ci-dessous issu du pays des laïcards, la patrie de Jaurès ce 15/09/2022… c’est du jamais vu, une école primaire, porte le nom depuis quelques jours d’un évêque (…)]

      Malheureusement, je ne peux lire l’article que vous citez, celui-ci étant réservé aux abonnés. Mais je vois le problème.

      Saliège s’est distingué avant la guerre en aidant les réfugiés espagnols, et pendant l’Occupation en aidant des juifs et en exprimant une condamnation publique de la politique antisémite de Vichy et du STO. Des gestes courageux, vous en conviendrez. Si Saliège n’avait pas été religieux, vous ne verriez pas d’inconvénient, j’en suis sûr, à ce que l’on rende hommage à ces actions en baptisant une école de son nom. Après tout, on a bien des écoles au nom de Coluche, qui a fait bien moins que ça.

      Maintenant, appliquons le principe de laïcité : si l’Etat est neutre et indifférent aux religions, alors les actes de courage méritent reconnaissance INDEPENDAMMENT DE TOUTE INVESTITURE RELIGIEUSE. Le courage d’un évêque, d’un rabin ou d’un imam mérite exactement la même reconnaissance que celle d’un citoyen quelconque. Ni plus, ni moins. En refusant de baptiser un collège du nom de Saliège au motif qu’il était religieux, vous porteriez atteinte au principe même de neutralité…

      J’attire votre attention sur la déclaration d’un responsable syndical sur cette affaire : « Nous entendons le raisonnement qui a conduit à ce choix, mais ce n’est pas le meilleur, d’autant plus que, selon nos collègues Unsa de la mairie de Toulouse, Marion Lalane de Laubadère, élue en charge du dossier, avait proposé des noms de femmes. Cela n’a pas été le choix final de Jean-Luc Moudenc. C’est regrettable ». Autrement dit, le problème est moins l’investiture de Saliège, que son sexe. Si on avait choisi une bonne sœur, c’aurait été moins grave…

      [où ’notre dame’, la vierge Marie est présentée comme celle qui a protège la France entre 1939-1945…]

      Ce qui reviendrait à dire que la sainte vierge a voulu la défaite de 1940… dans le genre « protection », on fait mieux ! Je ne suis pas persuadé que ce soit là une très bonne publicité pour l’église…

  27. Cherrytree dit :

    @luc
    Il était cardinal, il était cardinal.
    Cher Luc, je fais partie des adhérents des guérilleros, de l’ARAC et de l’ANACR. Et jusqu’à mon teès récent départ pour cause de NUPES, communiste
    Cardinal c’était son titre.
    Vous n’avez pas vécu à Toulouse, ville refuge des familles de républicains espagnols. Vous ne savez rien des ” camps” faits dans la hâte et l’indifférence criminelle, pour les réfugiés espagnols de la Retirada, avec les morts de  froid et surtout de dysenterie, sur les plages de Canet, de Saint Cyprien etc, au point que le camp de Rivesaltes sembla luxueux. Vous ne savez rien des camps de réfugiés espagnols, transformés vite fait en camps d’indésirables ( sic). les ( syndicalistes, communistes, réfugiés Allemands opposés au nazisme) et à la fin camps de concentration des juifs, et là les convois (car les camps étaient le long des voies ferrées), c’était direct Auschwitz. Ces camps? En Ariège, dans l’Aude, dans la Haute Garonne y compris la banlieue de Toulouse, dans le Tarn, le Tarn et Garonne, les Pyrénées Orientales, l’Hérault. Je vous fais la liste de ces camps ! Pas de souci. Il y en a plus de 100, pour la plupart démolis
    Le cardinal Saliege a soutenu tout ce monde, y compris les Républicains espagnols bouffeurs de curés, les communistes, les prisonniers politiques, et les Juifs. Il a utilisé son titre pour être un porte-voix. Il a soutenu les Juifs au moment où chacun était bien frileux, y compris le tiède Pie XII qui a quand même eu les honneurs de la Nation lors de ses obsèques.
    Vous ne savez pas à quel point tout le monde  révëre le cardinal Saliège pour son humanité , son engagement, son anti nazisme. Vous ne savez pas à quel point, y compris les anarcho- syndicalistes l’avaient en respect et admiration. Il faut être très peu au courant de l’Histoire, et très peu connaissant du contexte, pour lui dénier à ce courageux défendeur des Droits de l’Homme, le droit d’avoir un bâtiment public à son nom . Parce que, voyez- vous, il agissait contre le gouvernement de Vichy,  mais aussi contre le Vatican. Et là, y compris pour les laïcards, total respect. Même la Libre Pensée ne trouverait rien à redire. Saliège était un Résistant, et qui a utilisons statut pour aider et protéger. Il est donc juste de, lors de célébrations ou de donner un nom à un collège, de rappeler un combat humain bien au-delà des religions
     
    Merci de m’avoir lue.
     
     
     

  28. Cherrytree dit :

    @ Descartes 
    Le cardinal Saliège est honoré comme Juste entre les nations. Pas en tant que cardinal, mais en tant que Résistant. Vous en connaissez beaucoup, vous, des dignitaires de l’Église avec une si belle action ? 
    Aprés, cardinal, c’était son titre, qu’il a mis au service de tous, y compris Juifs et incroyants. Je ne vois aucun problème à honorer sa mémoire. Moi, communiste, CGtiste, membre de l’amicale des guérilleros de l’Aude, de l’ANACR et de l’ARAC.
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Cherrytree

      Pour moi, Jules-Géraud Saliège est un citoyen français, qui a eu des gestes courageux tout au long de sa vie, protégeant d’abord les réfugiés républicains espagnols dans les années 1930, puis des juifs pendant l’occupation, en plus de dénoncer publiquement le STO et la politique antisémite de Vichy. Pour cela, il mérite d’être honoré, et cela quelque fut par ailleurs son investiture dans telle ou telle église. Si le fait d’être cardinal ne lui donne pas dans une République laïque un statut spécial, si le prêtre est un citoyen comme les autres, il serait injuste de lui refuser l’hommage qu’on aurait accordé à n’importe quel citoyen s’il avait fait de même…

      Par contre, je trouverais plus discutable qu’on donne à une école le nom de “cardinal Saliège”, puisque ce faisant on rendrait hommage non pas au citoyen héroïque, mais au prêtre. Mais dans le cas d’espèce, ce n’est pas le choix qui a été fait.

      • Abbé Béat dit :

        Non croyant et laïc (en dépit de ce que pourrait faire croire mon pseudo!) je veux d’abord dire que je partage l’opinion de Descartes.Toutefois, je reste sur ma faim, car les questions de laïcité sont quelquefois subtiles. En l’espèce: le citoyen à honorer l’est, parce que ses actes de résistance avaient un poids particulier qui était lié à sa fonction de cardinal (position hiérarchique, contexte plutôt collaborationniste de l’église à cette époque). Comment rendre compte de cette situation laconiquement dans une dénomination d’école laïque? La formulation associant le nom suivi du qualificatif de “résistant” est sans doute la meilleure, mais reste imparfaite et toujours ambigüe… S’abstenir est la solution de facilité… Je pense donc que la question est difficile à traiter. Mais on est confronté à d’autres questions analogues. Il y en a une, par exemple, qui me contrarie souvent: pourquoi, dans les média, parle-t’on toujours du Pape François, et non simplement du pape. Il y aurait deux papes? Ou est-ce parce que cela donne une impression d’intimité complice avec ce pape, y compris pour les laïcs comme moi supposés (ou obligés de) partager cette intimité?
         
         
         
         
         

        • Descartes dit :

          @ Abbé Béat

          [En l’espèce : le citoyen à honorer l’est, parce que ses actes de résistance avaient un poids particulier qui était lié à sa fonction de cardinal (position hiérarchique, contexte plutôt collaborationniste de l’église à cette époque). Comment rendre compte de cette situation laconiquement dans une dénomination d’école laïque ?]

          Votre réflexion s’applique à n’importe quel personnage public : si au lieu d’être cardinal Saliège avait été un grand écrivain célèbre ou un grand acteur, le problème aurait été le même. Il n’y a rien de spécifiquement religieux à honorer chez lui. C’est pourquoi je trouve très correct de donner à l’école le nom civil de Saliège, sans mention de son titre religieux. De la même manière qu’on donnera à un lycée le nom de « Jean-Baptiste Colbert » sans mentionner aucun de ses titres de noblesse…

          [La formulation associant le nom suivi du qualificatif de “résistant” est sans doute la meilleure, mais reste imparfaite et toujours ambigüe…]

          Mais pourquoi faudrait-il mettre un qualificatif ? Les vocatifs du lycée Colbert ou Louis-le-Grand ne mentionnent nullement le fait que le premier fut ministre et le second roi…

          [Mais on est confronté à d’autres questions analogues. Il y en a une, par exemple, qui me contrarie souvent : pourquoi, dans les média, parle-t’on toujours du Pape François, et non simplement du pape. Il y aurait deux papes ?]

          Il y en a même plus d’une centaine… car lorsqu’on parle du pape, on peut aussi faire référence à un pape mort. Mais je vous accorde que le fait de parler du « pape François » plutôt que d’utiliser son titre complet de « François Ièr » comme l’ont fait ses prédécesseurs est un choix de propagande visant à créer une forme de proximité. Est-ce qu’en choisissant son nom de règne (son nom de naissance est Jorge) il y a pensé ? Car pour que ça marche il faut choisir un nom qui n’ait été porté par aucun pape auparavant… disons que le hasard fait bien les choses.

  29. Démosthène dit :

    Pour abonder dans votre sens, c’est aussi ce que disait Napoléon (qui en connaissait un rayon sur le sujet des “grands hommes”, mais avec une certaine lucidité le rôle des circonstances dans la destinée alors qu’on ne veut souvent retenir que des qualités intrinsèques quasi “divine” dudit grands hommes…) quand il a dit : “Les hommes sont comme les chiffres, ils n’acquièrent de la valeur que par leur position”….

  30. Jopari dit :

    Il y a aussi un autre facteur à considérer: l’horizon politique d’un monarque (une génération – la sienne – plus son successeur) est plus large que celui d’un responsable élu, ce qui pourrait l’amener à traiter plus facilement de certaines questions de long-terme.

    • Descartes dit :

      @ Jopari

      [Il y a aussi un autre facteur à considérer: l’horizon politique d’un monarque (une génération – la sienne – plus son successeur) est plus large que celui d’un responsable élu, ce qui pourrait l’amener à traiter plus facilement de certaines questions de long-terme.]

      C’est tout à fait vrai. Peut-être faudrait-il imaginer un président élu à vie ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *