Ce papier, peut-être le dernier de l’année 2022, sera largement consacré à cet étrange objet qu’est la « France Insoumise ». Je sais que certains de mes lecteurs me demanderont pourquoi je m’intéresse encore à cette secte, qui fait certes beaucoup de bruit mais dont la contribution passée ou prévisible à la résolution des problèmes du monde en général et de la France en particulier est limitée, et c’est un euphémisme. Je leur répondrai que LFI est à la fois une vitrine et un concentré des choix, des attitudes, des contradictions de nos classes intermédiaires et donc d’une partie dominante de nos élites politiques et médiatiques. Et à ce titre, un objet d’étude passionnant.
Prenons un exemple : ces derniers jours, les « jeunes insoumis.e.s » (sic) ont inventé quelque chose de véritablement original : la « grève du militantisme ». La décision du groupe parlementaire LFI de réintégrer Adrien Quatennens après quatre mois de purgatoire a poussé les « jeunes insoumis.e.s » (ré-sic) de Périgueux et de Bordeaux à prendre une terrible décision. Dans leur communiqué, après un rappel des faits et la dénonciation des dirigeants nationaux censés avoir jeté par-dessus bord les valeurs essentielles du mouvement, les jeunes en question annoncent leur décision : « les groupes Jeunes Insoumis.es suivants cessent dès à présent toute activité militante et ce, pour une durée indéterminée ». La grève du militantisme, en somme.
Imaginons un instant que demain une opportunité extraordinaire de faire avancer la révolution citoyenne se présente. Est-il concevable que ces militants disent « désolés, on ne peut pas faire la révolution, on est en grève » ? C’est clairement une absurdité. Un vrai militant n’est pas au service d’un dirigeant, ou même d’un Parti, mais au service d’une cause qui lui tient personnellement à cœur. Le militantisme, c’est l’engagement de travailler chaque fois qu’on le peut pour faire avancer un projet auquel vous croyez intimement. Pour un militant, faire la « grève du militantisme », c’est se tirer une balle dans le pied, c’est différer le triomphe de sa cause. C’est pourquoi l’idée même d’un militant « cessant toute activité militante » comme forme de protestation est aussi absurde que celle d’un croyant faisant la « grève de la prière ». S’il y a conflit avec un dirigeant, le militant peut protester publiquement, peut agir pour le faire remplacer, peut même changer de crémerie, mais « cesser l’activité militante » en signe de protestation ? C’est une complète absurdité…
Ou peut-être pas. Peut-être que ces « Jeunes Insoumis.e.s » ont une vision du militantisme très différente de la mienne. Peut-être pensent-ils qu’on ne milite pas au service d’une idée, d’un projet, d’une cause, mais au bénéfice d’une personne ou d’un groupe de personnes. Et dans ce cas, tout devient beaucoup plus cohérent. Si vos dirigeants sont les seuls bénéficiaires de votre action militante, cesser toute action devient un moyen de pression parfaitement logique pour obtenir d’eux qu’ils tiennent compte de votre avis.
Au détour d’une affaire somme toute mineure, on découvre un pan entier du rapport particulier qu’entretiennent les militants « insoumis » et leurs dirigeants. Loin de la logique des partis politiques dans lesquels les militants et les dirigeants par eux mandatés sont censés poursuivre les mêmes buts, chez les « insoumis » les dirigeants, qui n’ont aucun mandat des militants, apparaissent comme les principaux bénéficiaires de l’action militante. Et du coup, dans un mouvement totalement verrouillé et sans institutions démocratiques internes qui puissent permettre aux adhérents de discipliner leurs dirigeants, les militants n’ont d’autre moyen pour faire valoir leurs revendications auprès d’eux que de cesser de coller « leurs » affiches et d’organiser « leurs » campagnes.
Cette affaire est, on l’a dit, mineure. Mais elle s’inscrit dans un processus de délitement bien plus profond, qui tient à la structure même de LFI. Le mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon est un mouvement charismatique. A sa tête, un Gourou infaillible dont l’autorité n’est limitée par aucune forme institutionnelle, mais dépend exclusivement de son charisme et de son rapport personnel avec les militants. Autour de lui, un ensemble de dirigeants de second rang nommés « a divinis » par le Gourou et dont l’autorité précaire dépend de la bienveillance réelle ou supposée du Gourou envers eux, et qui disparaissent du jour où le Gourou le décide. Enfin, à la base, une piétaille ébahie croyant dur comme fer à l’infaillibilité de son leader tant dans le domaine de la tactique et de l’organisation que dans le champ intellectuel.
Mais « tide and time wait for no man » (1). La toute-puissance du Gourou ne l’empêche pas de voir le temps passer, et à 72 ans, les limites temporelles de son avenir politique deviennent de plus en plus évidentes. Sa renonciation à la candidature aux élections législatives de 2022 constitue de ce point de vue un tournant : elle ouvre symboliquement la question de la succession, ou plutôt celle de l’avenir du mouvement, tant il est évident que personne n’est en mesure de le remplacer dans le rôle du gourou charismatique. Cette constatation ne décourage pas ceux qui, dans l’entourage de Mélenchon, pensent pouvoir, à défaut de le remplacer, toucher son l’héritage. Cela ne décourage pas non plus ceux qui, plus extérieurs au cercle aulique, rêvent de gagner en influence en profitant de son effacement. Quant au Gourou, il sait que désigner formellement un héritier, consacrerait son effacement définitif, et évite donc soigneusement de le faire. Encore un instant, monsieur le bourreau…
On peut éclairer la situation à la lumière de ce que fut la succession de Lénine dans le parti bolchevik dans les années 1920. Là aussi, son éloignement des affaires pour des raisons de santé à partir de 1921 ouvre la lutte entre les successeurs possibles, à l’époque Staline, Trotski, Zinoviev, Kamenev, Boukharine. Les quatre derniers sont des orateurs puissants, des théoriciens respectés, ils ont une trajectoire révolutionnaire incontestable. Mais ils partent avec un deux handicaps importants : d’une part, Staline a reçu la demie-bénédiction de Lénine, qui en a fait le secrétaire général du Parti ; d’autre part, si Staline n’est ni un grand orateur, ni un grand intellectuel, c’est un grand organisateur, qui met sur pied l’appareil du Parti et en a le contrôle.
Bien sûr, comparaison n’est pas raison, et la situation du parti bolchévik en 1921 n’a rien à voir avec celle de LFI un siècle plus tard. Mélenchon n’est pas Lénine, et LFI n’a fait aucune révolution, et est aussi loin du pouvoir que de la lune. Si je cite cette référence, c’est parce que dans la culture trotskyste qui imprègne LFI, elle est parlante et éclaire les choix des uns et des autres. L’organisateur discret mais efficace, à la fidélité canine, est depuis longtemps installé à LFI. Il s’agit de Manuel Bompard. Pendant que les autres dirigeants de LFI montent sur les barricades médiatiques, lui œuvre dans l’ombre pour prendre le contrôle de la structure. Comme Staline, il a compris que l’essentiel du pouvoir ne se trouve pas à la tribune, mais dans les bureaux et en particulier dans ceux qui pourvoient aux nominations et aux promotions. Qui trouve-t-on à la tête du processus de désignation des candidats à l’élection européenne ? C’est Manuel Bompard, qui a profité pour promouvoir d’illustres inconnus comme Manon Aubry, qui du coup lui doivent tout, et pour pousser vers la sortie ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre, comme l’historique Charlotte Girard, où dénoncer sa mainmise, comme le remuant Thomas Guénolé. Qui dirige la campagne présidentielle de Mélenchon, une opportunité en or pour avoir l’oreille du Gourou et lui glisser des noms à promouvoir ou à barrer ? Encore Bompard. Qui dirige en coulisse les « commissions électorales » censées valider les candidatures aux législatives ? Encore lui. Ceux qui connaissent l’histoire du PCF savent que l’homme le plus puissant du Parti entre 1965 et 1990 n’était ni Duclos, ni Waldeck-Rochet, ni Marchais, mais un certain Gaston Plissonnier, obscur permanent et « secrétaire à l’organisation », l’homme chargé de la « montée des cadres », des opérations clandestines, et des lourds secrets qu’il a emportés avec lui dans sa tombe. Je ne serais pas surpris si Bompard avait un petit portrait de lui caché quelque part dans son bureau…
C’est pourquoi la prise du pouvoir par Manuel Bompard, consacrée par l’annonce de composition la nouvelle direction à l’assemblée représentative du 10 décembre – et je dis bien « annonce », parce qu’aux assemblées représentatives de LFI on n’élit pas les directions, on les annonce (2) – ne devrait surprendre personne, et surtout pas vous, mes chers lecteurs, puisque je l’avais prédit depuis longtemps sur ces colonnes. La liste des membres de la « coordination » de LFI est d’ailleurs à souligner. Les « historiques » de la mélenchonie comme Coquerel, Corbière ou Garrido, ceux qui ont une surface propre comme Chaïbi, Ruffin ou Autain sont fermement poussés dehors. Les points communs des membres de la nouvelle « coordination » ? Ce sont des militants professionnels (rares sont ceux qui ont vraiment travaillé dans leur vie, la plupart passant du militantisme étudiant au militantisme politique et social), promus et élus grâce à la promotion interne contrôlée par Bompard… autrement dit, ils lui doivent tout. Font exception le Gourou et quelques-uns de ses familiers : sa maîtresse, son gendre… La création d’un « conseil politique », sorte de comité Théodule censé faire passer la pilule auprès des recalés ne fait pas vraiment illusion : tout le monde a encore en tête le « parlement de l’union populaire », devenu le « parlement de la Nupes », instance dont la composition est incertaine et les réunions inexistantes.
Le plus drôle dans l’affaire est la réaction des exclus de la nouvelle direction. Alors qu’ils côtoient le Gourou depuis de longues années, qu’ils ont eu largement le temps de comprendre ses méthodes, pire, qu’ils ont contribué eux-mêmes à les mettre en place et à les faire fonctionner, ils font semblant de découvrir que LFI fonctionne comme une secte. La palme d’or dans ce domaine appartient certainement à Clémentine Autain qui, après avoir navigué pendant des années dans les eaux troubles du « mouvement gazeux » et en avoir tiré pas mal d’avantages, découvre tout à coup les que la démocratie institutionnalisée, ça a du bon. Elle était beaucoup moins regardante du temps où la bénédiction du Gourou à elle seule lui permettait de jouer les grands inquisiteurs – et accessoirement les maitre chanteur – comme dans l’affaire Bouhafs. Ces gens sont des hypocrites. Pendant des années, ils ont vanté le caractère « gazeux » de leur mouvement, et profité en utilisant les pires méthodes pour pousser dehors ceux qui les gênaient. Pensez à Thomas Guénolé, contre qui on monta une fausse accusation d’harcèlement sexuel pour l’écarter alors qu’il avait critiqué le fonctionnement de LFI et dénoncé, déjà, les méthodes de Manuel Bompard. Pensez à Charlotte Girard, poussée dehors par les agissements du couple Bompard/Chikirou lors de la constitution de la liste pour les élections européennes.
Mais hypocrites ou pas, l’histoire est en marche. Bompard a maintenant toutes les cartes en main. Il est suffisamment malin pour ne pas commettre l’erreur fatale, qui serait de remettre en cause trop rapidement l’autorité de Mélenchon. Sa prudence lors de l’affaire Quatennens, sa réticence à dédire le Chef, montre qu’il a compris non seulement jusqu’où on peut aller trop loin, mais aussi que, dans les mots de Shakespeare, celui qui porte le poignard ne ceint pas la couronne. De toute façon, il sait que le temps joue pour lui. Il lui suffit d’attendre et le Gourou disparaîtra de lui-même, avec de la chance, avant la prochaine grande échéance électorale. Le tout est d’éviter que pendant ce temps puisse surgir un leader pour prendre sa place.
Bien sur, de mon point de vue, cela n’a pas d’importance. Après tout, Bompard ou un autre… La grande question, la seule en fait qui ait un intérêt, est de savoir ce que pourrait être le LFI de l’après-Mélenchon. Est-ce qu’un mouvement de nature fondamentalement charismatique a un autre avenir possible que de devenir une sorte de confédération d’élus cherchant à préserver leur capital électoral ? Y a-t-il une quelconque possibilité que cette organisation s’institutionnalise et devienne un véritable « intellectuel collectif », ayant une capacité d’élaboration politique qui aille au-delà de quelques slogans ?
Personnellement, je ne le crois pas. D’abord, à cause de la faiblesse de ses cadres. On dit souvent que le niveau d’un collectif s’approche de celui du plus faible de ses membres. Lorsqu’on écoute parler les « nouvelles stars » de l’insoumission, on est frappé par la faiblesse du discours, tant du point de vue du langage que de la construction du raisonnement. Bompard, Panot, Martinet, Aubry parlent comme s’ils étaient encore dans une assemblée de l’UNEF (3). Le voudraient-ils, qu’ils ne seraient pas capables de monter d’un cran, de passer du plan de la simple tactique à celui d’une pensée globale.
Et puis, et c’est encore plus lourd, il faut tenir compte de la composition sociologique du corps militant de LFI. La volonté, exprimée à l’assemblée représentative, de chercher à établir des ponts avec les couches populaires et de concurrencer le Rassemblement National sur ce terrain est fort louable. Mais pour établir ces ponts, il faudra changer radicalement les priorités, en mettant l’accent sur les questions qui intéressent les couches populaires. Est-ce que des militants issus essentiellement des classes intermédiaires accepteront cet écart ? Accepteront-ils de mettre de côté « la régularisation de tous les sans-papiers » pour se pencher sur les effets dévastateurs de l’immigration sur les rapports salariaux ? D’oublier un instant « les violences faites aux femmes » pour se concentrer sur « les violences faites aux prolétaires » ? Qu’il me soit permis d’en douter : lorsqu’on regarde les priorités affichées par le groupe LFI à l’Assemblée nationale ou le traitement de l’affaire Quatennens, on voit bien où se situe le centre de gravité sociologique de la France Insoumise. Quand des « Jeunes Insoumis.e.s » se mettront en grève pour protester contre la prise en compte insuffisante des problématiques des couches populaires chez LFI, on en reparlera.
Descartes
(1) « la marée et le temps n’attendent personne »
(2) Je conseille vivement ceux qui sont intéressés par le fonctionnement de LFI de regarder la vidéo de « l’assemblée représentative » (https://youtu.be/LFtDEULdAn4). On peut voir la présentation de la nouvelle direction autour de la 30ème minute. On notera d’une part que les noms des dirigeants sont annoncés comme un fait accompli, sur lequel il n’est pas question de discuter, et d’autre part la maigreur des applaudissements qui accompagnent les différentes annonces… le processus est tellement grotesque qu’à la fin des annonces le présentateur, William Martinet, se sent obligé de donner une explication vaseuse de la manière dont ces noms sont sortis du chapeau.
(3) La vidéo ci-dessus contient beaucoup de moments amusants – si l’on peut dire. Le discours de Panot, rempli de fautes de français, est une pièce d’anthologie.
Tout cela, c’est l’histoire de la chute vertigineuse et historique de la Gauche, en France particulièrement, mais partout ailleurs, en vérité. Un peu comme si le Capitalisme, en tant que système historique qui régit le monde aujourd’hui, sans concurrence, a tout écrasé autour de lui (et, livré à lui-même, quasiment inconscient de ses effets destructeurs actuels, fonce dans le mur à fond à fond à fond !…).
En France, on a vu le PCF devenir un tout petit parti flou, tiraillé entre des tendances antagonistes, la ligne Hue/Buffet, la ligne actuelle, et quelques rares “nostalgiques des temps anciens et révolus”…
Le PS a force de trahir, s’est dissout tout seul comme un grand, avec ses prestigieux penseurs de haute volée, les Hidalgo, les Valls, les Hollande, et j’en passe et des plus ectoplasmiques…
Les écolos, n’en parlons pas, suffit de regarder avec consternation, les combats épiques qu’ils mènent pour sauver la planète et les faibles de ce monde : wokisme à tous les étages !
Ce qui restait de “de gauche” sincères et éparpillés, ont cru pendant un temps (oh, pas longtemps…), du temps du Parti de gauche, que Mélenchon pouvait constituer une planche de salut, un renouveau. Las, et vous l’avez souvent écrit ici, j’en conviens, on ne pouvait rien attendre de sérieux d’un tel homme politique, avec toutes les casseroles qu’il se trimballait et dont il n’a jamais fait l’effort de se se débarrasser, au contraire. Résultat, on a les Insoumis, que vous décrivez avec tant de juste cruauté (bien méritée !).
On en a déjà parlé un jour, à mon avis (avec lequel vous n’étiez pas d’accord), la gauche est quasi morte et enterrée. Il ne reste plus qu’une très grosse majorité de droite, avec 50 nuances de gris (allant du macronisme au zemmourisme en passant par le lepénisme et le sarkozisme…).
Les Insoumis, oui, ça a fini par apparaître pour ce qu’ils sont réellement, un mouvement délétère, tragiquement clownesque, qui enterre les débris de ce qui reste de la gauche. Tellement pathétique et consternant, qu’on se prendrait à penser qu’ils sont payés par l’ennemi, pour un résultat aussi terrifiant de nullité : on en reste coi !
C’est comme ça, faut faire avec, et passer à autre chose (à quoi ?). Mais ça fait mal, quand même, ce désastre de la Gauche, à un moment aussi important dans l’histoire actuelle, avec ce monde en convulsion avancée…PS (pas celui de Hollande, hein !) : j’ai bien apprécié le parallèle avec ce qui s’est passé dans la Russie révolutionnaire… Bien vu !
@ Sami
[Tout cela, c’est l’histoire de la chute vertigineuse et historique de la Gauche, en France particulièrement, mais partout ailleurs, en vérité.]
Je ne pense pas qu’on puisse raisonner en termes de « chute de la gauche ». Si l’on regarde la droite, elle n’est pas vraiment en meilleure santé… non, je pense qu’il faut plutôt se demander si la logique même de la dialectique gauche/droite n’est pas dépassée.
La dialectique entre la « gauche » et la « droite » est la traduction idéologique de l’opposition entre conservatisme et progressisme. Déjà sous la Révolution française, la « droite » était constitué de ceux qui voulaient préserver les institutions traditionnelles – l’église, la royauté, le système aristocratique – quitte à las ripoliner un peu, alors que la « gauche » regroupait ceux qui voulaient au contraire une transformation radicale. Et cette dialectique subsiste grosso modo jusqu’aux années 1970 : la droite reste le bastion du conservatisme social, de la préservation des valeurs traditionnelles qu’elles soient politiques, esthétiques, religieuses, familiales alors que la gauche prétend à un changement plus ou moins radical.
La révolution néolibérale brouille les cartes. Tout à coup, le pôle conservateur disparaît. Le combat idéologique n’est plus cadré par une dialectique entre ceux qui veulent préserver et ceux qui veulent changer, mais entre plusieurs modèles de transformation. Bien entendu, sur le plan structurel, il s’agit d’une transformation factice, qui préserve – et approfondit – le rapport capitaliste. Mais au niveau de l’idéologie, « on change tout pour que rien ne change ». En fait, l’ensemble des élites politiques est devenu peu ou prou « de gauche » : la vision multiculturelle, le rejet des hiérarchies, la contestation de valeurs comme l’effort ou la discipline, tous éléments qui faisaient partie de l’idéologie de la « gauche », sont devenus éléments du discours commun de l’ensemble de la classe politico-médiatique. On peut broder sur le fait que le PS et le PCF ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, que « la gauche » officielle est dominée par une secte gauchiste, et que l’ensemble fait à tout casser un quart des voix. Ce serait oublier que « la gauche » est au pouvoir : Macron vient de la gauche, tout comme Borne. Et on aurait du mal à dire en quoi la politique poursuivie depuis 2012 se distingue nettement de celle pratiquée à partir de 1983 par Mitterrand et consorts…
[En France, on a vu le PCF devenir un tout petit parti flou, tiraillé entre des tendances antagonistes, la ligne Hue/Buffet, la ligne actuelle, et quelques rares “nostalgiques des temps anciens et révolus”…]
Le PCF était « le parti de la classe ouvrière », et son sort est liée à celui de la classe ouvrière. Quand la révolution néolibérale a créé un rapport de forces massivement défavorable à la classe ouvrière, quand les classes intermédiaires ont rompu l’alliance traditionnelle avec cette dernière pour constituer avec la bourgeoisie un bloc dominant, le PCF a perdu sa base sociale. Il ne pouvait survivre que comme club des nostalgiques, ou comme organisation marginale regroupant quelques secteurs des classes intermédiaires mécontentes…
[Le PS a force de trahir, s’est dissout tout seul comme un grand, avec ses prestigieux penseurs de haute volée, les Hidalgo, les Valls, les Hollande, et j’en passe et des plus ectoplasmiques…]
Là, je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Le PS est au pouvoir. D’où vient Macron ? Du PS. D’où vient Borne ? Du PS. D’où vient une très large partie des cadres de la macronie ? Du PS. Le PS en tant que parti a beau être « déliquescent » – du moins sur le plan national, parce qu’au niveau des collectivités locales, il pèse encore lourd – en tant qu’organisation, mais en tant que groupe social, il reste dominant.
[On en a déjà parlé un jour, à mon avis (avec lequel vous n’étiez pas d’accord), la gauche est quasi morte et enterrée. Il ne reste plus qu’une très grosse majorité de droite, avec 50 nuances de gris (allant du macronisme au zemmourisme en passant par le lepénisme et le sarkozisme…).]
Je répète : je ne pense pas que « la gauche » soit morte ou vivante. Je pense que le concept même de « gauche » n’est plus opératoire. La ligne de fracture « gauche/droite » n’a plus de sens, elle n’existe que par habitude, parce que c’est une façon commode pour les militants et les politiques de se fabriquer un ennemi sans avoir à réfléchir. Mais dans les faits, vous auriez du mal à articuler une définition précise de ce qu’est « la droite » et « la gauche » aujourd’hui. Et la meilleure preuve en est qu’on voit des hommes et des femmes traverser allègrement la ligne de partage, aujourd’hui « à droite », demain « à gauche » et vice-versa…
[Les Insoumis, oui, ça a fini par apparaître pour ce qu’ils sont réellement, un mouvement délétère, tragiquement clownesque, qui enterre les débris de ce qui reste de la gauche. Tellement pathétique et consternant, qu’on se prendrait à penser qu’ils sont payés par l’ennemi, pour un résultat aussi terrifiant de nullité : on en reste coi !]
Pour évaluer un mouvement politique, il faut toujours se poser la question de savoir à quel besoin il répond. Autrement dit, quelle couche sociale a besoin d’un tel mouvement, et pourquoi. Je pense que LFI a pour fonction de fournir aux classes intermédiaires une justification. LFI permet aux fils de ces couches sociales de se donner l’illusion de s’insurger contre le système, tout en profitant de ses avantages. C’est en ce sens que la « grève du militantisme » est révélatrice : si les militants de LFI pensaient que leur travail militant contribue à changer la société, alors cette grève n’a pas de sens… à moins que le véritable objectif ne soit pas de changer la société.
[C’est comme ça, faut faire avec, et passer à autre chose (à quoi ?).]
C’est là tout le problème. Mais il faut regarder l’Histoire : lorsque le mode de production entre en crise, la société génère les réponses politiques qui préparent son dépassement. Mais il est difficile de mettre en place ces réponses à l’avance, avant que le système entre en crise. L’approfondissement du capitalisme se poursuit, et si l’on entend ici et là des craquements, la crise ne semble pas être imminente.
Cela étant dit, ce n’est pas parce qu’on ne peut la gagner tout de suite qu’il faut abandonner la bataille. D’abord parce que, très égoïstement, cette bataille enrichit intellectuellement ceux qui la livrent, et ensuite parce que même dans le cadre capitaliste toutes les politiques ne se valent pas, et on peut faire des choses.
[PS (pas celui de Hollande, hein !) : j’ai bien apprécié le parallèle avec ce qui s’est passé dans la Russie révolutionnaire… Bien vu !]
Le parallèle était facile… mais au fond, c’est quelque chose de très humain. La prise de pouvoir de Napoléon ou de Cromwell s’inscrivent un peu dans la même logique. Et on retrouve le même phénomène tout au long de l’histoire.
J’ajoute à mon précédent commentaire que Macron a réuni les deux fractions de la bourgeoisie qui feignaient de s’opposer sous les vocables de droite et gauche. C’est bien pourquoi ce qu’on appelle communément la droite façon LR entre autres est mort. Elles sont en parfait accord sur la nécessité d’adapter “réformer” la France à l’UE et mondialisation néolibérales dont elles ne sont pas conscientes de leurs caractères moribonds.
@ Cording1
[J’ajoute à mon précédent commentaire que Macron a réuni les deux fractions de la bourgeoisie qui feignaient de s’opposer sous les vocables de droite et gauche.]
Ce n’est pourtant pas la bourgeoisie qui l’a élu président de la République… encore une fois, vous laissez de côté les classes intermédiaires, qui ont pourtant été instrumentales dans la victoire du macronisme.
La bourgeoisie n’est pas un bloc homogène : il y a toute une palette entre la grande, la moyenne et la petite qui à des degrés divers a voté en partie dès le premier tour pour lui, au second en tous cas. Un anti-fascisme d’opérette y a largement contribué en 2017 et dans une moindre mesure en 2022.
Si l’on se fie aux analyses sociologiques de Jérôme Sainte-Marie le macronisme représente bien un bloc bourgeois droite et gauche réunies sans plus aucun souci des classes intermédiaires et populaires. Ce dernier rappelait que Macron disait en campagne électorale de 2017 qu’il ne ferait aucun compromis sur son projet politique, économique et social celui de ses mécènes, consistant à adapter la France à l’UE et la mondialisation néolibérales.
@ Cording1
[La bourgeoisie n’est pas un bloc homogène : il y a toute une palette entre la grande, la moyenne et la petite qui à des degrés divers a voté en partie dès le premier tour pour lui, au second en tous cas.]
Je pense que cette vision « englobante » de la bourgeoisie ne fait qu’obscurcir les problèmes. S’il y a, comme vous dites, une « palette » entre les différentes catégories de la bourgeoisie, si la « grande », la « moyenne » et la « petite » n’ont pas les mêmes intérêts et peuvent éventuellement s’opposer politiquement, alors que reste-t-il de « l’intérêt de classe » de la bourgeoisie ?
Si l’on veut pouvoir utiliser les instruments de la théorie marxienne, il faut définir rigoureusement les catégories auxquels ces instruments s’appliquent. Les classes au sens marxien du terme se distinguent par le fait que leurs membres occupent la même position dans le mode de production, et par conséquent ont un intérêt commun qui structure leurs actions. Si tout à coup vous avez une « classe » dont une partie empoche la plusvalue et une autre partie non, et que par conséquent les uns ont des intérêts à la préservation de l’exploitation et l’autre part, il y a un sérieux problème dans sa définition.
C’est cela qui me pousse à faire la distinction entre la « bourgeoisie », qui se caractérise par la possession d’un capital matériel qui lui permet d’extraire de la plusvalue en achetant la force de travail à un prix inférieur à la valeur qu’elle produit, et des « classes intermédiaires » à qui le capital, essentiellement immatériel, permet d’échapper à l’exploitation.
[Un anti-fascisme d’opérette y a largement contribué en 2017 et dans une moindre mesure en 2022.]
Parce que, à votre avis, s’il n’y avait pas eu cet « anti-fascisme d’opérette », qui gouvernerait le pays aujourd’hui ? Ne nous racontons pas d’histoires : même sans « anti-fascisme d’opérette », Macron est arrivé en tête au premier tour en 2017 et 2022, loin devant ses concurrents « démocratiques ». La présence du RN lui a facilité la tâche au deuxième tour, mais franchement, le voyez-vous battu par Fillon ou par Mélenchon ?
[Si l’on se fie aux analyses sociologiques de Jérôme Sainte-Marie le macronisme représente bien un bloc bourgeois droite et gauche réunies sans plus aucun souci des classes intermédiaires et populaires.]
Je n’ai pas lu les analyses de Sainte-Marie, alors je ne peux pas commenter. Je trouve l’idée d’un « bloc bourgeois droite et gauche réunies » un peu bizarre, dans la mesure où il mélange un critère structurel (celui de la classe sociale que ce bloc réunit) et un critère politique (« droite et gauche »). Mais je persiste sur un point : si Macron ne représente que les intérêts de la bourgeoisie, pourquoi bénéficie-t-il d’un soutien massif des classes intermédiaires ?
[Ce dernier rappelait que Macron disait en campagne électorale de 2017 qu’il ne ferait aucun compromis sur son projet politique, économique et social celui de ses mécènes, consistant à adapter la France à l’UE et la mondialisation néolibérales.]
Et alors ? Il n’y a pas que la bourgeoisie qui a profité de l’adaptation à l’UE et de la mondialisation néolibérale. Les classes intermédiaires y ont, elles aussi, beaucoup gagné. Pourquoi pensez-vous que cette politique « d’adaptation » se soit poursuivie quelle que soit l’alternance politique ? Parce que, en honneur de la vérité, il faut dire que cette « adaptation » n’a pas commencé avec Macron : ce fut le « grand œuvre » de Mitterrand, continué par tous ses successeurs. Mitterrand aussi représentait le « bloc bourgeois », à votre avis ?
Non : cette politique « d’adaptation » a été rendue possible par la nouvelle alliance de la bourgeoisie et des classes intermédiaires. Ce sont les classes intermédiaires qui ont porté Mitterrand au pouvoir et, après un moment de frayeur, la bourgeoisie a vite compris qu’elle n’avait pas grande chose à craindre du nouveau régime, qu’une alliance entre elle et les couches sociales qui alimentaient le mitterrandisme était parfaitement possible. L’alliance fut scellée en 1983, avec le tournant de la rigueur qui marque le triomphe du delorisme. Elle fut confirmée avec le traité de Maastricht, et régulièrement reconduite depuis.
C’est pourquoi je pense que c’est une erreur de voir dans le macronisme un avatar de « la bourgeoisie contre le peuple ». Le « peuple » est fractionné en classes, et ces classes n’ont pas les mêmes intérêts. Et une partie du « peuple » est avec Macron.
Ce que l’on appelle communément la gauche est mort. C’était la conjonction au tournant de l’affaire Dreyfus de la bourgeoisie républicaine “progressiste” ou radicale et du fort mouvement ouvrier socialiste ascendant. Cette union s’est défaite la bourgeoisie dont le macronisme est la quintessence n’a plus besoin du peuple, classes populaires et moyennes pour gouverner le pays. A fortiori depuis le chute du Mur de Berlin. Cf le livre de Denis Collin “Après la gauche”.
@ Cording1
[Ce que l’on appelle communément la gauche est mort.]
Au risque de me répéter, je pense que cette formulation est trompeuse. dire que “la gauche est morte” pourrait suggérer que “la droite”, elle, est vivante. En fait, ce n’est pas “la gauche” ou “la droite” qui sont mortes. C’est la logique même du partage “gauche/droite” qui est à remettre en cause.
[C’était la conjonction au tournant de l’affaire Dreyfus de la bourgeoisie républicaine “progressiste” ou radicale et du fort mouvement ouvrier socialiste ascendant. Cette union s’est défaite la bourgeoisie dont le macronisme est la quintessence n’a plus besoin du peuple, classes populaires et moyennes pour gouverner le pays.]
Cela dépend ce que vous appelez “classes moyennes”. Votre présentation met d’un côté “la bourgeoisie” et de l’autre côte tout le reste (un peu le “1% contre le 99%”). Mais ce n’est pas le cas: on voit bien que la bourgeoisie partage le rôle dominant avec une partie très importante des “classes moyennees” (ce que j’appelle les “classes intermédiaires”). Ce sont les classes populaires qui trinquent, mises en concurrence avec celles du reste du monde. Mais les classes intermédiaires, elles, se portent très bien, merci. Je pense qu’on ne comprend rien à la société d’aujourd’hui si on se contente d’analyser le rapport entre la bourgeoisie et les couches populaires, en oubliant la puissance qu’ont acquise au tournant des années 1970 les classes intermédiaires.
[Cf le livre de Denis Collin “Après la gauche”.]
Le livre ne m’a pas convaincu. Je trouve l’analyse de Collin foncièrement idéaliste. Il constante que Mitterrand a fait une politique favorable à la bourgeoisie, mais ne se demande pas vraiment POURQUOI. Pour lui, cela semble se réduire à un choix individuel: si Mitterrand avait choisi une autre politique, tout serait différent. C’est ignorer le processus qui s’amorce dans les années 1970, celui qui amènera la révolution néolibérale. L’idéalisme de Collin fait disparaître convenablement le rôle qu’ont joué les classes intermédiaires dans l’évolution de la politique mitterrandienne…
Une question : comment fonctionne réellement LFI ? Combien de militants sont encartés ? Y a t’il des comités départementaux, régionaux ou que sais-je ?
@ maleyss
[Une question : comment fonctionne réellement LFI ?]
Au fond, la question qui se pose ici est la suivante : pourquoi des centaines, des milliers de militants obéissent aux ordres d’un homme qu’ils n’ont pas élu et des lieutenants qu’il choisit ? Pourquoi acceptent-ils de coller des affiches, de distribuer des tracts, de participer à des meetings, bref, de consacrer leur temps et leur argent pour permettre à cette clique de se faire élire ?
Je suis bien mal placé pour vous répondre parce que je n’ai personnellement jamais éprouvé ce réflexe moutonnier. J’ai été militant dans une organisation qui écoutait ses adhérents, et du jour où j’ai eu l’impression que mes idées n’étaient plus prises en compte, je suis parti. Mais je pense que la logique de LFI est une logique profondément religieuse. Les gens qui y militent recherchent une communion, c’est-à-dire, cette illusion qu’on est avec des gens qui sont, pensent et agissent comme vous. C’est d’ailleurs pourquoi les voix dissidentes sont – comme dans toute église – intolérables : toute dissonance rompt la communion, rappelle que nous sommes tous différents. C’est ce désir de communion qui soude le groupe et lui donne sa cohésion.
Mais pour que tous pensent pareil, il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui vous dise quoi penser. Une telle organisation a besoin d’un gourou, d’un pape, d’une autorité absolue et infaillible sur laquelle la communauté s’aligne. C’est là où se trouve la source de légitimité de la direction de LFI : elle n’est pas légitime parce qu’elle représente les militants, mais parce que les militants n’osent pas la contester de peur de remettre en cause cette « communion des croyants ».
[Combien de militants sont encartés ?]
Personne n’est encarté. LFI n’a pas d’existence administrative. Tout au plus, vous pouvez vous inscrire sur le site internet des insoumis pour recevoir leurs courriers et leurs annonces. Vous pouvez aussi participer à un « groupe d’action » local, qui n’est finalement qu’un rassemblement de volontaires. Vous pouvez aussi faire un don monétaire, mais il n’y a pas de cotisation en tant que telle.
Derrière LFI il y a bien une association. Elle ne compte en fait que trois membres, tous des fidèles parmi les fidèles à Jean-Luc Mélenchon. C’est cette association qui contrôle les moyens financiers, le nerf de la guerre…
[Y a-t-il des comités départementaux, régionaux ou que sais-je ?]
Vous voulez dire des comités ELUS ? Quelle horreur ! Non, il n’y a à LFI aucune structure élue, pas plus qu’il n’y a une hiérarchie entre les institutions. Il y a les groupes d’action, qui font ce qu’ils veulent – mais qui n’ont pas de moyens – et puis il y a le gourou en haut, entouré de personnalités et d’instances dont les compétences sont imprécises. Ainsi, par exemple, il existe un « comité électoral » censé valider les candidatures, mais cela n’a pas empêché Mélenchon d’écarter le candidat validé pour se présenter lui-même à Marseille en 2017 sans même informer la commission en question, ou de transférer sa circonscription à Manuel Bompard. On sait depuis la semaine dernière que LFI a à sa tête une « coordination » dirigée par un « coordonnateur », mais on ne sait toujours pas quels sont ses pouvoirs, ni même comment il est désigné.
En fait, LFI est une structure complètement verticale : en haut, le gourou et un petit groupe autour de lui, en bas tout le reste. Et cela tient aussi longtemps que les militants accepteront cet état de fait… La question reste “pourquoi ils obéissent” ? Serait-ce la servitude volontaire façon La Boétie, qu’on invoque à tort et à travers chez les “insoumis” ?
Ce qui fait cependant la force de LFI n’est-ce pas le côté tribun de JLM et une certaine culture politique que la plupart des autres hommes politiques n’ont pas ?
@ Cording1
[Ce qui fait cependant la force de LFI n’est-ce pas le côté tribun de JLM et une certaine culture politique que la plupart des autres hommes politiques n’ont pas ?]
Il ne faudrait pas trop exagérer la “culture politique” de Mélenchon. Il a les références finalement assez communes dans tous les hommes de sa génération, et je dirais même chez tous les enseignants de sa génération. Oui, il connaît l’histoire de France comme n’importe quel professeur d’histoire de sa génération, mais guère plus. Quand on regarde avec attention ses écrits, on s’aperçoit qu’il fait pas mal d’erreurs – souvenez-vous de sa réécriture de la biographie d’Emilienne Mopty – ou de contresens.
Reste que c’est un tribun exceptionnel. Mais cela ne suffit pas: encore faut-il dire des choses que votre public a envie d’entendre. De ce point de vue, Mélenchon est plus un démagogue qu’un tribun. Pas une seule fois je ne l’ai entendu – comme j’ai pu entendre Marchais, par exemple – dire à une salle des choses qui pouvaient la dérouter ou la choquer. Non, Mélenchon fonctionne lorsqu’il s’adresse à une salle acquise, avec laquelle il peut établir une complicité. Il évite d’ailleurs soigneusement toute autre configuration. Ce n’est pas ça que j’appelle un tribun.
Je partage votre opinion sur ce mouvement la France Insoumise mais j’ajouterai plusieurs remarques.
1/ Je vous ferai remarquer que cette caractéristique de ce mouvement à savoir sa verticalité est largement partagée par ailleurs.
LREM, le RN ne sont pas plus démocratiques et tout aussi verticaux.
2/ Pour vous LREM est issu d’une fraction du PS agonisant. Je rajouterai sa fraction la plus à droite tandis que LFI serait celle plus à gauche.
Curieux cette brusque tendance à la verticalité de gens issus du PS, non?
Cela ne relève t’il pas une tendance au fond autoritaire (style petainisme ou prussianisme) d’une partie de la petite bourgeoisie?
3/ Quelle est votre opinion sur les idées de ce mouvement LFI? Avez-vous une idée de l’avenir pour les écartés?
@ SCIPIO
[Je partage votre opinion sur ce mouvement la France Insoumise mais j’ajouterai plusieurs remarques.
1/ Je vous ferai remarquer que cette caractéristique de ce mouvement à savoir sa verticalité est largement partagée par ailleurs.]
Pas tout à fait. Il y a des partis où le principal dirigeant dispose d’une grande autorité, mais il est très rare qu’il dispose d’une autorité ABSOLUE. La quasi-totalité des partis politiques, des organisations syndicales, des associations de toutes sortes ont des statuts, qui décrivent limitativement les pouvoirs de chaque instance. Je ne connais pas beaucoup où un seul homme peut à la fois nommer les dirigeants et désigner les candidats à tous les niveaux, engager les fonds de l’association, dicter la ligne politique et cela sans aucun contrôle.
[LREM, le RN ne sont pas plus démocratiques et tout aussi verticaux.]
LREM possiblement. Le RN, certainement pas. Le président du RN a beaucoup de pouvoirs, mais il n’a pas TOUS les pouvoirs. Au RN, on vote – et d’ailleurs on vote de plus en plus.
[2/ Pour vous LREM est issu d’une fraction du PS agonisant. Je rajouterai sa fraction la plus à droite tandis que LFI serait celle plus à gauche.]
Je ne sais pas ce que cela veut dire « le plus à droite » ou « le plus à gauche ». Comment établit-on cette échelle, comment on classe deux personnalités sur une échelle « plus à gauche ou moins à gauche » ? Je vous rappelle que la « fraction » qui a donné naissance à LFI a fait une campagne enthousiaste pour le « oui » à Maastricht. Est-ce que cela la place « à droite » ou « à gauche » du PS ?
Est-ce que la fraction du PS qui a suivi Macron est « la plus à droite » dans la structure du PS ? C’est loin d’être évident. La fracture des socialistes entre macronistes et non-macronistes ne suit pas vraiment une ligne de fracture idéologique. C’est plutôt une question d’intérêt, une rupture entre ceux qui voulaient – et espéraient – être ministres tout de suite, et ceux qui pensaient pouvoir attendre. Ségolène Royal était-elle « à droite » dans le PS ? Non, et elle a pourtant soutenu Macron.
[Curieux cette brusque tendance à la verticalité de gens issus du PS, non ?]
Pas vraiment. Lorsqu’une organisation devient un club d’élus, la tendance à se rallier derrière le chef qui peut vous mener à la victoire et à déposer entre ses mains la totalité du pouvoir est toujours très forte. De Gaulle dénonçait ce travers dans l’UDR, et la transformation du PS en confédération d’élus a eu à peu près le même effet. Le ralliement à Macron est moins un ralliement idéologique qu’une pure question d’intérêts…
[3/ Quelle est votre opinion sur les idées de ce mouvement LFI? Avez-vous une idée de l’avenir pour les écartés?]
Quelles « idées » ? LFI n’a pas d’idées. En dehors des idées de Mélenchon lui-même, on voit mal quelle est la contribution de LFI en tant que « intellectuel collectif ». Quand aux idées du gourou, il n’a fait qu’adapter au contexte français les idées de Laclau et Mouffe, qui ont théorisé une forme de « populisme de gauche », dernier avatar de la pensée idéaliste des soixante-huitards…
Quant à l’avenir des « écartés »… j’avoue que je n’en ai cure. J’imagine que certains – ceux qui n’ont guère de surface propre, comme Corbière ou Garrido – vont faire profil bas en espérant que leur silence et leur soumission leur permettra de revenir en cour. Ceux qui peuvent vivre sans LFI rueront dans les brancards… et attendront le premier faux pas de Bompard. « Si tu t’assieds sur le pas de ta porte et que tu attends assez longtemps, tu verras passer le cortège funèbre de ton ennemi » (proverbe chinois)
Il me semble que dès les années 2000,avec la fondation de PRS ,Mélenchon se positionnait.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pour_la_R%C3%A9publique_sociale,
L’affaire de la duplicité de Holland pour ‘les Recollements’ ( qui consistent, à l’avance à attribuer tel ou tel % aux tendances du PS) a mis Mélenchon en accepter la propositionde MGB et P.Laurent d’accepter de sortir du PS dès la fin 2008.Là,militant aux côtés des PRS ,j’ai été écarté sur la simple raison que j’ai le même nom de famille qu’un dirigeant du pcf..J’y ai vu le signe du comportement sectaire de Mélenchon,sur le très long terme.Son Gourou Pierre Lambert(alias Boussel) a fonctionné ainsi pendant 40 ans..Je ne connais pas d’autres exemples de fonctionnement bureucratique,à part la clique pro UE de dirigeants néfastes au Pays que furent Schuman et Monnet…Est ce que je me trompe ?
@ Luc
[l me semble que dès les années 2000,avec la fondation de PRS, Mélenchon se positionnait.]
Se positionnait comment ? PRS était une sorte de club, qui permettait à Mélenchon d’avoir « un pied au PS, un pied dehors » dans la perspective d’attirer des militants d’autres organisations de gauche qui ne voulaient pas intégrer le PS. L’essai n’a pas véritablement marché : aucune personnalité extérieure au PS n’a rejoint PRS.
[L’affaire de la duplicité de Hollande pour ‘les Recollements’ (qui consistent, à l’avance à attribuer tel ou tel % aux tendances du PS) a mis Mélenchon en accepter la propositionde MGB et P.Laurent d’accepter de sortir du PS dès la fin 2008.]
Je ne sais pas d’où vous sortez ça. Les élections internes du PS étaient magouillées depuis des années, et les pourcentages obtenus par chaque motion sortaient en fait de négociations autour du tapis vert, et non des urnes. Mélenchon le savait parfaitement, et a participé pendant des années à ce mécanisme. Si Mélenchon est parti, ce n’est pas du fait de la « duplicité de Hollande », mais parce qu’il était persuadé que la défaite de Ségolène Royal était le début de la fin du PS, et que le retour au pouvoir par cette voie était impossible. Il s’est d’ailleurs fourré le doigt dans l’œil : en 2012 le PS revient au pouvoir mieux qu’au bon vieux temps de Mitterrand : le PS détient une majorité à l’Assemblée et au Sénat, plus la totalité des régions moins une (l’Alsace). S’il était resté au PS, il aurait été ministre…
A cela s’ajoute un deuxième paramètre : en tombant au-dessous de 2% aux présidentielles, le PCF est devenu « opéable ». Les « notables » communistes, Buffet en tête, sont prêts à toutes les alliances pour sauver ce qui peut l’être des bastions électoraux. Très habilement, Mélenchon leur offrira sur un plateau le Front de Gauche, à une petite condition : être le candidat à la présidentielle suivante. Les dirigeants communistes, pour qui l’élection présidentielle apparaît – à tort – comme secondaire par rapport aux législatives ou aux municipales, ou le PCF a des gros intérêts, sont ravis d’accepter l’échange. Ils n’ont pas compris – à quelques exceptions près – qu’ils étaient en train de refaire l’erreur de 1965 et 1974, c’est-à-dire, de mettre en selle un « allié » qui ensuite utiliserait la légitimité que lui donnait le score à la présidentielle pour leur imposer sa loi. Ou plutôt, ils l’ont compris un peu tard, mais pas aussi tard qu’avec Mitterrand. Dès l’élection de 2012 passée, le PCF refusera l’OPA et le Front de Gauche partira aux oubliettes…
Contrairement à ce que vous dites, ce n’est pas Laurent et Buffet qui ont « proposé » à Mélenchon de quitter le PS. C’est Mélenchon, convaincu qu’il n’avait rien à gagner à rester au PS après la défaite de Ségolène Royal, qui contacte M-G Buffet – et la séduit en promettant mondes et merveilles pour s’assurer de la bienveillance du PCF au cas où il déciderait de quitter le PS.
Attention aux attaques,contre votre site.
Je viens de diffuser votre texte à des comités Lfi, j’espère que vous avez de bonnes défenses informatiques..bonnes fêtes 🌟
@ ami
[Attention aux attaques,contre votre site. Je viens de diffuser votre texte à des comités Lfi, j’espère que vous avez de bonnes défenses informatiques…]
Et vous pensez que les comités LFI auraient recours à de si basses méthodes ? Homme de peu de foi… ! En fait, votre transmission ne semble avoir provoqué de réactions. Peut-être que les « insoumis » n’ont pas fini de digérer le réveillon de noël et/ou préparent celui du nouvel an, et cela ne leur laisse ni l’envie ni le temps de réagir ? Ou peut-être est-ce le résultat de cette « grève du militantisme », qui les empêchent de répondre aux commentaires ?
Quoi qu’il en soit, depuis que j’ai publié mon article je suis tombé sur des débats proprement délirants sur la position des dirigeants de LFI au sujet de l’avenir d’Adrien Quatennens. A les lire, on dirait que ce pauvre Quatennens a tué père et mère. Je ne peux résister la tentation de reproduire ici un commentaire d’un « insoumis » anonyme : « La gifle de Quatennens envers son épouse n’est pas une maladresse, un mouvement de colère qui lui a échappé, un geste isolé qui, promis juré, ne se reproduira plus. C’est une violence physique, une tentative de réduire au silence et de soumettre l’épouse récalcitrante, l’expression d’une domination physique sur l’autre, une forme de terreur. C’est un geste commis dans un environnement qui devait lui-même être violent (sans exclure que son épouse ait pu alimenter cet environnement par sa propre violence verbale). C’est une étape parmi d’autres dans l’expression de la violence conjugale qui aboutit soit à la soumission soit à la destruction. Cessons de dire qu’une gifle, c’est rien. Aucun homme ne devrait franchir cette étape. Quatennens a été condamné et peut retrouver une activité professionnelle. Mais représenter le peuple français, c’est NON ! »
Outre le fait que c’est au peuple français, et non aux militants de LFI, de décider qui est digne de le représenter, et que c’est au juge d’estimer dans le cadre légal si Quatennens peut ou non occuper une fonction politique, on est frappé par l’immaturité de l’auteur de ce texte. Je vais vous faire une confession : lorsque nous étions jeunes mariés, lors d’une querelle, ma femme m’a donné une baffe. Et non une petite claque, une belle soufflante qui m’a laissé la marque de ses doigts sur la joue. J’ai peut-être eu tort de d’ignorer cette « tentative de réduire au silence et soumettre l’époux récalcitrant » que j’étais, de faire fi de cette « expression d’une domination physique sur l’autre », de cette « forme de terreur ». Je me suis dit – j’avoue mon tort – que « une gifle, ce n’est rien ». Je suis resté avec cette femme… et j’ai vécu quarante ans de bonheur avec elle. Parce qu’une gifle qui s’échappe dans un moment d’énervement, oui, cela arrive. Et ce n’est pas la fin du monde.
Maintenant, la question intéressante serait de savoir pourquoi une affaire somme toute assez banale prend de telles proportions. Oui, il y a dans notre société une perte de repères qui fait qu’on a du mal à hiérarchiser les problèmes, et cela se manifeste dans tous les aspects de la vie civique. Derrière chaque situation, même la plus banale, se cache une victime qui exige que son victimaire passe en cour d’assises. Mais au-delà, cette affaire semble servir d’exutoire pour la colère accumulée par les militants de LFI contre leur direction. Elle leur permet d’attaquer leur direction sans pour autant remettre en cause la ligne politique – ce qui reviendrait à mettre en cause le Gourou lui-même.
[bonnes fêtes 🌟]
Merci, et la même chose pour vous !
Vous êtes dur avec les militants de LFI. Je trouve leur attitude remarquable, leur honneur s’appelle fidélité. Mélenchon vient, non seulement, d’appeler à la violence mais de déclarer que les fachos ne font pas partie de la société. Et le fascisme commence au barbecue. Les Verts et les centristes de Macron virent ou ont viré également dans l’autoritarisme haineux. Les militants LFI ne sont-ils pas voués à devenir la milice du camp des bobos girondins?
@ Vladimir
[Vous êtes dur avec les militants de LFI.]
J’aurais tendance à vous répondre « qui aime bien châtie bien ». A quoi reconnait-on ses vrais amis ? Ce sont les seuls qui vont vous dire « tu déconnes » quand, effectivement, vous déconnez. Et je trouve que les militants de LFI déconnent à pleins tubes. Vous savez, le militantisme ce n’est pas un hobby qu’on peut prendre à la légère. La politique, c’est quelque chose de sérieux : elle peut briser des vies et changer la face du monde. Alors, il me semble qu’on est en droit d’exiger des militants politiques un minimum de responsabilité et de sens critique.
[Je trouve leur attitude remarquable, leur honneur s’appelle fidélité.]
Votre formule est à utiliser avec précaution : c’est la traduction française de la devise allemande « Meine Ehre heißt Treue », qui fut la devise des SS. Elle trouve son origine dans une lettre adressée par Hitler en 1931 à Kurt Deluege, alors chef des SS de Berlin, pour souligner la fidélité des SS envers sa personne. Himmler en fit la devise de la SS en 1932. Elle était gravée sur les boucles de ceinture et sur les dagues d’apparat des membres de la SS.
Quant à l’attitude « remarquable » des militants LFI… je la trouve surtout remarquable de bêtise. Après avoir accepté sans dire un mot l’arbitraire du gourou et sa clique pour prendre des décisions politiques souvent graves, ils font les vierges effarouchées parce que cette même direction a décidé que quatre mois d’ostracisme pour une gifle, ça suffit. C’est ce qu’on appelle avoir le sens des hiérarchies.
[Mélenchon vient, non seulement, d’appeler à la violence mais de déclarer que les fachos ne font pas partie de la société. Et le fascisme commence au barbecue. Les Verts et les centristes de Macron virent ou ont viré également dans l’autoritarisme haineux.]
C’est logique : cette dérive est logique dans une société qui se détourne du politique pour aller vers le religieux. La politique est fondée sur le fait que, pour citer Jean Renoir, « tout le monde a ses raisons » et que celles-ci sont subjectivement légitimes. La religion est fondée sur le fait qu’il n’existe qu’une seule vérité, et que tous ceux qui n’adhèrent pas sont dans l’erreur ou, pire, dans le crime. Il est donc urgent de les corriger ou de les mettre hors d’état de nuire…
Ma citation était volontaire. N’existe-t-il pas une ressemblance entre les militants LFI et ceux d’Adolf Hitler, comme le culte du chef, un ennemi désigné, déshumanisé, à faire disparaître?
@ Vladimir
[Ma citation était volontaire. N’existe-t-il pas une ressemblance entre les militants LFI et ceux d’Adolf Hitler, comme le culte du chef, un ennemi désigné, déshumanisé, à faire disparaître ?]
Il existe certainement une « ressemblance », mais cette « ressemblance » se retrouve dans tous les mouvements qui ont pratiqué le culte du chef, et cela inclut la presque totalité du spectre politique. Rares sont les partis qui n’ont pas, à un moment où un autre de leur histoire, cédé à cette facilité. Et on comprend facilement pourquoi : quel meilleur remède à l’insécurité, à la précarité de notre condition humaine que d’être dirigé par un homme qu’on croit infaillible, qui en toute circonstance trouvera la meilleure solution à tous les problèmes ? De la même manière que les passagers d’un bateau assailli par les flots veulent croire qu’ils ont le meilleur capitaine, celui qui saura à coup sûr les mener à bon port, les militants ont envie de croire que leur chef est le meilleur capitaine. Et lorsqu’on a envie de croire…
C’est pourquoi votre analogie me parait dangereuse. Elle semble suggérer un parallèle entre « insoumission » et nazisme comme si le culte du chef était caractéristique de ces deux mouvements, alors qu’on pourrait mettre dans le même paquet communistes et mitterrandiens, lepénistes et gaullistes. En fait, cela ne fait que refléter un désir tellement humain… La différence – et en cela LFI est plus proche du nazisme que ne l’étaient en leur temps gaullistes, communistes ou lepénistes – réside peut-être dans l’absence de limites, même symboliques, au pouvoir de ce chef. Même dans les pires périodes de « culte de la personnalité », ni Thorez, ni De Gaulle, ni Le Pen, ni Mitterrand n’ont prétendu détenir le pouvoir absolu. Même Staline n’a pas osé. Tous ces gens ont œuvré à l’intérieur d’institutions, de statuts, de constitutions qui limitaient, au moins formellement, leur pouvoir.
Je pense aussi que vous exagérez lorsque vous parlez d’un « ennemi déshumanisé, à faire disparaître ». Mélenchon n’a pas, à ma connaissance, jamais évoqué la destruction physique de son « ennemi ».
[Mélenchon n’a pas, à ma connaissance, jamais évoqué la destruction physique de son “ennemi”]
Dans le dernier des débats qui l’avait opposé à Eric Zemmour pendant la présidentielle (le deuxième sur le plateau de Cyril Hanouna), il avait rien de moins que traité ce dernier de “chien”, ce qui m’avait personnellement beaucoup choqué. Son agressivité, après un premier débat l’ayant opposé au même protagoniste, qui à mon sens avait été plutôt à l’avantage de Zemmour, était extrême, et pour moi l’insulte qu’il avait lancé était manifeste de cette volonté de deshumaniser Eric Zemmour.
@ Tythan
[Dans le dernier des débats qui l’avait opposé à Eric Zemmour pendant la présidentielle (le deuxième sur le plateau de Cyril Hanouna), il avait rien de moins que traité ce dernier de “chien”, ce qui m’avait personnellement beaucoup choqué.]
L’agressivité de Mélenchon dépasse souvent les bornes. Mais de là à l’accuser d’appeler ou même de vouloir la destruction physique de ses adversaires, je pense qu’il y a une nuance.
[et pour moi l’insulte qu’il avait lancé était manifeste de cette volonté de déshumaniser Eric Zemmour.]
Peut-être, mais entre déshumaniser son adversaire et vouloir le détruire physiquement, il y a tout de même un long chemin. Je vous rappelle que ce n’est pas la première fois que l’insulte a été utilisé : Marguerite Duras l’a utilisé pour se référer aux dirigeants du PCF, et Mitterrand aux journalistes. Pensez-vous qu’il y ait eu là une volonté de destruction physique ?
Bonjour Descartes.
A regarder la situation des partis politiques, je suis assez pessimiste sur l’avenir de notre pays. Surtout pour la prochaine élection présidentielle. Car c’est des partis que doivent émerger les dirigeants politiques. Je sais qu’il reste encore moins de cinq ans, mais sachant que le président en pote ne pourra pas se représenter, que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont quitté la direction de leurs partis respectifs, sans savoir s’il renonce vraiment à s’engager de nouveau à la présidentielle, je ne vois aucune perspective nouvelle à l’horizon.
Je voudrais savoir si vous aviez suivi les débats concernant l’élection à la présidence du parti Les Républicain, notamment sur LCI, il y a un mois de cela.
Personnellement, je n’ai pas trouvé les candidats très brillants. Par exemple sur l’électricité, une partie du débat traitait sur le droit de veto que devraient avoir les maires sur l’installation des éoliennes dans leur commune. Mais aucune remise en question sur le statut d’EDF et de savoir si la production de l’électricité doit être régulée par le marché ou au contraire par l’État.
C’est pour moi l’exemple le plus marquant et le plus révélateur. En effets ces candidats se revendiquent du gaullisme, or le général de Gaulle n’aurait jamais confié au marché la production de l’électricité car il avait une vision assez colbertiste de l’économie, que je ne retrouve pas chez les Républicains. Et il n’aurait jamais voulu une Europe supra national.
J’ai lu que vous connaissiez la citation « la politique économique de la France ne se décide pas à la corbeille ». Mais connaissez-vous celle-ci; un jour le général de Gaulle dit à son fils, l’amiral Philippe de Gaulle, à propos de l’économie : « Tu comprends, si je ne m’occupe pas de l’industrie lourde et que je laisse faire les Français, ils vont tous se mettre à fabriquer des porte-clefs, parce que ça se vend bien et que c’est facile à faire. Mais il nous faut aussi des poutres d’acier pour les immeubles, les rails, les ponts, des pièces d’artillerie, des coques de bateau ». (source de Gaulle Mon père Philippe de Gaulle Entretiens avec Michel Tauriac)
Je voudrais également vous demander de définir ce que c’est précisément le trotskisme, actuellement. Je sais qu’il y avait une opposition entre Staline et Trotski, le premier voulant faire la révolution dans un pays tandis que l’autre voulait au contraire l’exporter dans le monde entier. C’est juste que je vois l’utilisation de l’expression pour qualifier un certain mode d’action.
J’en profite également pour vous souhaiter d’avance, à vous et à votre famille, une joyeuse fête de fin d’année.
@ Skotadi
[A regarder la situation des partis politiques, je suis assez pessimiste sur l’avenir de notre pays.]
Je partage, mais peut-être pas pour les mêmes raisons. Les partis politiques sont plus le miroir de la société que ses organisateurs. Autrement dit, l’état calamiteux des partis politiques est plus un révélateur de l’état profond de notre société que la cause de ses malheurs. Par certains côtés, on peut dire qu’une société a les partis politiques qu’elle mérite…
[Surtout pour la prochaine élection présidentielle. Car c’est des partis que doivent émerger les dirigeants politiques.]
On peut se poser la question. De Gaulle est un bon exemple d’un dirigeant politique qui n’a pas émergé d’un parti. L’exemple de Macron montre que c’est possible même sans besoin d’une crise grave…
[Je sais qu’il reste encore moins de cinq ans, mais sachant que le président en pote ne pourra pas se représenter, que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont quitté la direction de leurs partis respectifs, sans savoir s’il renoncent vraiment à s’engager de nouveau à la présidentielle, je ne vois aucune perspective nouvelle à l’horizon.]
Du côté du RN, ils ont bien compris le problème et fait des efforts pour former des cadres capables de prendre la place de l’ancienne génération. Bardella est loin d’être un incapable, et le RN a cinq ans pour le mettre en orbite. Côté LFI, c’est l’inverse : depuis des années, Mélenchon a pris toutes les précautions possibles et imaginables pour éviter l’apparition de cadres pouvant le remplacer. Il a systématiquement émasculé tous ceux qui prenaient un peu trop d’influence. Il ne reste aujourd’hui autour du gourou que des béni-oui-oui, des petits jeunes dociles ou des bureaucrates style Bompard.
[Je voudrais savoir si vous aviez suivi les débats concernant l’élection à la présidence du parti Les Républicain, notamment sur LCI, il y a un mois de cela.]
De très loin. Je ne connais d’ailleurs pas assez la droite pour parler couramment son langage. La gauche est d’une certaine manière ma famille : lorsque j’entends un discours, j’ai les références qui me permettent de lire entre lignes. Avec la droite, c’est beaucoup plus difficile.
[Personnellement, je n’ai pas trouvé les candidats très brillants. Par exemple sur l’électricité, une partie du débat traitait sur le droit de veto que devraient avoir les maires sur l’installation des éoliennes dans leur commune. Mais aucune remise en question sur le statut d’EDF et de savoir si la production de l’électricité doit être régulée par le marché ou au contraire par l’État.]
Je partage. Je pense que nos partis politiques « de gouvernement » sont devenus très provinciaux. Que ce soit le PS ou LR, mais aussi les Vers ou le PCF, le poids des élus locaux – et donc des considérations locales qu’ils portent – est écrasant. L’interdiction du cumul des mandats a d’ailleurs accentué le phénomène, en supprimant les passerelles entre le local et le national. Et du coup, comme les candidats à la présidence de LR s’adressent d’abord aux « notables » locaux qui apportent des voix, ils tendent à prendre les problèmes par le petit bout « local » de la lorgnette.
[C’est pour moi l’exemple le plus marquant et le plus révélateur. En effets ces candidats se revendiquent du gaullisme, or le général de Gaulle n’aurait jamais confié au marché la production de l’électricité car il avait une vision assez colbertiste de l’économie, que je ne retrouve pas chez les Républicains.]
Mais mongénéral n’aurait jamais songé à se faire élire maire ou président d’un conseil régional. Pour De Gaulle, c’était l’échelon national et l’intérêt national qui primait en politique.
[Et il n’aurait jamais voulu une Europe supra nationale.]
Parce que là encore, il voyait dans la nation l’entité politique par excellence. Pour lui, l’intérêt national était suprême, et la politique étrangère, comme la politique intérieure, était à son service.
[J’ai lu que vous connaissiez la citation « la politique économique de la France ne se décide pas à la corbeille ». Mais connaissez-vous celle-ci; un jour le général de Gaulle dit à son fils, l’amiral Philippe de Gaulle, à propos de l’économie : « Tu comprends, si je ne m’occupe pas de l’industrie lourde et que je laisse faire les Français, ils vont tous se mettre à fabriquer des porte-clefs, parce que ça se vend bien et que c’est facile à faire. Mais il nous faut aussi des poutres d’acier pour les immeubles, les rails, les ponts, des pièces d’artillerie, des coques de bateau ». (source de Gaulle Mon père Philippe de Gaulle Entretiens avec Michel Tauriac)]
Je connaissais la citation sous une forme légèrement différente, mais je la trouve très juste. Et la suite lui a donné raison. Dès que l’Etat s’est désintéressé de ces questions, on s’est mis à faire des porte-clefs.
[Je voudrais également vous demander de définir ce que c’est précisément le trotskisme, actuellement. Je sais qu’il y avait une opposition entre Staline et Trotski, le premier voulant faire la révolution dans un pays tandis que l’autre voulait au contraire l’exporter dans le monde entier. C’est juste que je vois l’utilisation de l’expression pour qualifier un certain mode d’action.]
Le conflit idéologique entre « trotskystes » et « staliniens » est d’abord un conflit dans la manière de concevoir le fait national. Alors que les trotskystes considèrent la nation une invention bourgeoise qu’il faut combattre, les « staliniens » comprennent mieux la force de cette institution et la difficulté de construire une société différente sans s’y référer. Une deuxième différence concerne le rapport au pouvoir. Les « staliniens » ont été très vite théorisé l’exercice et le partage du pouvoir, alors que les trotskystes se sont placés dans une logique maximaliste qui les met en situation constante d’opposition.
Ces différences d’analyse aboutissent à des différences de méthode. Les « staliniens » ont cherché à construire des institutions fortes, les trotskystes à les parasiter par le biais de « l’entrisme ». La logique des « staliniens » est une logique collective de masses, celle du trotskysme une logique de personnalités.
[J’en profite également pour vous souhaiter d’avance, à vous et à votre famille, une joyeuse fête de fin d’année.]
Mes meilleurs vœux aussi d’un joyeux réveillon et d’une année 2023 douce et prospère.
Meilleurs vœux pour cette nouvelle année 2023.
Je profite de cette nouvelle année pour vous renouveler mes remerciements pour votre rigoureux travail d’analyse politique.