Les lecteurs qui suivent ce blog depuis longtemps ne seront pas surpris : Comme le veut la tradition, le premier papier de l’année sera consacré au bilan du blog pour l’année écoulée.
2023 aura été, sur ce blog, une petite année, un peu à l’image de l’année politique. Si le nombre de visiteurs progresse légèrement (210.000 contre 200.000 l’année dernière), je n’aurai publié cette année que 28 articles (contre 34 en 2022) qui ont donné lieu à 2175 commentaires (contre 2900 en 2022), soit une moyenne de 78 commentaires par article (contre 87 l’année dernière). On poursuit là une baisse relative qu’on avait constaté l’année dernière. Comment l’expliquer ?
J’admets avoir une partie de la responsabilité : en relisant, je ne peux que constater non seulement une réduction du nombre de papiers publiés, mais aussi un resserrement des thématiques. Ont ainsi presque totalement disparu les papiers « pédagogiques », notamment sur les questions économiques. La bonne résolution pour 2024, c’est de revenir à l’esprit original, quitte à explorer des sujets sur lesquels je suis moins à l’aise – et qui demandent donc beaucoup plus de travail.
Mais je ne peux non plus ignorer des éléments sur lesquels je n’ai guère de contrôle. Je pense au sentiment de blocage, à la conviction de plus en plus partagée que la politique telle qu’on la pratique aujourd’hui ne veut pas ou ne peut pas apporter des solutions aux problèmes, a l’impression d’un débat politique qui tourne en rond sur des question secondaires, alors que les questions vitales sont négligées. Ce sentiment, très partagé sinon dominant aujourd’hui dans la société, pèse aussi sur moi. Le ton de mes papiers s’en ressent : il est aujourd’hui beaucoup plus pessimiste, beaucoup moins joyeux qu’il ne l’était aux débuts de ce blog. Et le pessimisme, on le sait bien, n’attire pas le lecteur.
Il faut aussi mentionner le contexte d’appauvrissement du débat public. Pendant longtemps, je tirais pas mal d’idées pour mes papiers des échanges que je pouvais avoir sur d’autres blogs ou dans des contacts, notamment ceux des différents dirigeants politiques. Aujourd’hui, les lieux de rencontre sont rares et les blogs « à commentaire » ont pratiquement disparu. Ces échanges se sont taris. On dirait que la curiosité d’échanger avec des gens différents de soi est en voie de disparition. Même sur ce blog, et malgré la liberté presque absolue dont jouissent les commentateurs, on sent un manque de motivation, et l’équipe des commentateurs tend à devenir plus petite et plus homogène…
L’année 2024 sera-t-elle le début d’un changement ? L’élection européenne verra-t-elle un retour du débat ? Laissons-lui le bénéfice du doute… Et en attendant, profitons de la vie – après tout, on n’en a qu’une seule. Merci à vous tous qui lisez et commentez ce blog pour votre participation et votre soutien à cette aventure collective qui dure depuis bientôt quinze années, et permettez-moi de vous souhaiter une année de paix, bonheur et prospérité pour vous et tous ceux qui vous sont chers.
Descartes
Une très bonne année pour vous aussi, Monsieur “Descartes”. Une réponse très rapide dans un premier temps : souvent, il y a moins de débats, parce que tout “bêtement”, on est grosso modo d’accord avec vous. Ça limite le débat, par définition. Cela dit, je reviendrai plus longuement sur ce dont vous parlez ici, cette désaffection certaine pour “le politique”, une sorte de découragement, de “à quoi bon”… C’est quelque chose à mes yeux de fondamental.Encore une fois, bonne année et merci de faire vivre ce blog, parfois avec beaucoup de courage, toujours avec intelligence et conviction…
Une excellente année 2024 pour vous blog Descartes. Je vous lis depuis le début et suis à chaque parution – trop espacées- impatient d’ouvrir la page. Je partage l’avis de Sami sur le moins de débats qui vous préoccupe : votre lectorat a perdu quelque lecteurs partis guerroyer sur des terrains plus faciles; les autres , la majorité, sont soit convaincus soit partagent grosso modo vos analyses . Débattre sans pinailler quand on est d’accord est un exercice difficile .
@ Luc Capievic
[Débattre sans pinailler quand on est d’accord est un exercice difficile.]
Une démarche intéressante est de prolonger le sujet vers d’autres horizons, se poser la question de savoir si le problème traité dans le papier existe dans d’autres contextes, s’il y a des antécédents dans l’histoire… le débat ne nécessite pas toujours la contradiction!
Peut-être est-ce le format « blog » qui s’essouffle progressivement ? D’autres réseaux plus sociaux suscitent plus de trafic et de commentaires…
Je vous souhaite une excellente année 2024 ! Et merci pour votre travail remarquable.
Bonne année à vous et à vos proches, cher ami et camarade !
Je promets de rester fidèle au blog cette année encore, surtout parce que j’y trouve des éléments de réflexions qu’on ne trouve pas ailleurs.
Continuons tous ensemble !
Bonjour cher Descartes,
je vous souhaite, ainsi qu’à vos proches, une très belle année, en mettant momentanément mon pessimisme de côté.Effectivement étant globalement d’accord avec ce que vous écrivez, je ne me manifeste pas, mais avec votre pensée, je continue à toujours plus réfléchir et mieux argumenter; c’est souvent que je vous cite, ou partiellement ou totalement.
Le format blog me convient, plus paisible et argumenté que la plupart des autres réseaux.
Je vous remercie pour votre travail et c’est sûr que “c’est du boulot”. Donc je continue avec vous, et j’espère que nous serons plus nombreux à faire ainsi.
Je profite de la nouvelle année pour vous présenter mes meilleurs vœux.
Très admiratif de vos connaissances, de votre talent rhétorique, je tiens à vous remercier de la patience et de la civilité avec laquelle vous avez toujours répondu à mes messages sur ce blog, d’autant que mes positions politiques, mes points de vue sont très éloignés des vôtres (et de plus en plus), et que je n’ai pas toujours fait preuve de la même civilité que la vôtre.
Votre blog, vos billets, les commentaires, vos réponses m’ont beaucoup appris et j’espère que vous aurez le courage et l’envie de continuer.
Vous écrivez :
Je pense … à la conviction de plus en plus partagée que … les questions vitales sont négligées.
Cela dépend pour qui.
En ce qui me concerne, je me réjouis que des débats aient lieu sur l’immigration, sur l’école.
J’ai eu la divine surprise de voir Attal préconiser des cours de niveaux, de rattrapage pour les plus faibles, de respect des programmes pour les autres. Je ne sais si cela se fera, mais au moins la question est posée publiquement.
Même sur le nucléaire, le ton du débat a changé. On est passé du « moins possible » à « faisons un minimum ». C’est vraiment un changement. Cela sera-t-il suivi d’effets ? … espérons.
Enfin il y a une petite chance de voir M le Pen comme challenger sérieuse pour 2027. Il y a beaucoup de démagogie dans son programme, comme dans tous les autres, mais il est possible qu’elle devienne « raisonnable « au pouvoir.
Je n’ai pas trouvé beaucoup d’autres éléments positifs pour moi … mais j’aurai peut-être d’autres bonnes surprises.
nb : en politique extérieure, à laquelle je suis très sensible, je n’ai guère de motifs de réjouissance tant notre politique étrangère me paraît inconsistante et contre productive vis à vis de l’étranger. Mais bon, au moins Macron se met dans le sillage des USA et des réalités (il a quitté le Sahel). Sans vision géopolitique, d’une mauvaise manière, mais cela aurait pu être pire, s’il avait franchement suivi la ligne des pro-russes, influents en France, et des islamophiles, importants en France.
@ marc.malesherbes
[En ce qui me concerne, je me réjouis que des débats aient lieu sur l’immigration, sur l’école.]
Les sujets sont certes importants, mais il est dommage de voir que tout tourne autour de ces questions. Surtout que, comme j’ai essayé de le montrer, on discute sur ces questions-là des points secondaires : on passe du temps la conditionnalité des allocations ou les « classes de niveau », alors qu’on ne pose jamais la question de l’assimilation, ou celle de la revalorisation de la connaissance.
[J’ai eu la divine surprise de voir Attal préconiser des cours de niveaux, de rattrapage pour les plus faibles, de respect des programmes pour les autres. Je ne sais si cela se fera, mais au moins la question est posée publiquement.]
La question est posée pour être tout de suite oubliée… c’est malheureusement la logique actuelle : une suite d’annonces qui seront oubliées dès l’annonce suivante, sans qu’aucun suivi des réalisations ne s’organise.
[Même sur le nucléaire, le ton du débat a changé. On est passé du « moins possible » à « faisons un minimum ». C’est vraiment un changement. Cela sera-t-il suivi d’effets ? … espérons.]
En tout cas, à un an des annonces on n’a lancé le moindre chantier, et nos députés s’écharpent sur la question secondaire de l’annexion ou pas de l’IRSN par l’ASN. Tout le monde accepte comme une fatalité qu’il est impossible de construire un réacteur en moins de 10 ans. Avec ça, on n’est pas sortis de l’auberge.
[Enfin il y a une petite chance de voir M le Pen comme challenger sérieuse pour 2027. Il y a beaucoup de démagogie dans son programme, comme dans tous les autres, mais il est possible qu’elle devienne « raisonnable » au pouvoir.]
Si elle devient « raisonnable », quel est l’intérêt de l’élire ? Franchement, amener Le Pen au pouvoir pour qu’elle finisse par faire la même politique que les autres, cela me semble d’un intérêt limité.
[Je n’ai pas trouvé beaucoup d’autres éléments positifs pour moi … mais j’aurai peut-être d’autres bonnes surprises.]
Faut espérer. Et en attendant, profiter des joies que nous donne la vie. Nous avons la chance de vivre dans un pays somme toute très vivable…
[nb : en politique extérieure, à laquelle je suis très sensible, je n’ai guère de motifs de réjouissance tant notre politique étrangère me paraît inconsistante et contreproductive vis à vis de l’étranger. Mais bon, au moins Macron se met dans le sillage des USA et des réalités (il a quitté le Sahel).]
Décidez-vous : dans le sillage des USA, ou dans celui des « réalités » ? Ou bien pour vous les USA sont toujours du côté des « réalités » ?
En fait, notre politique étrangère est très « consistante » : elle consiste à suivre l’UE, et donc par élévation à faire allégeance aux USA. Tant que les USA étaient prêts à se battre jusqu’au dernier ukrainien, l’UE pouvait faire illusion. Mais quand les USA commencent à douter, l’UE a le choix entre les suivre – et s’asseoir sur les principes hautement proclamés – ou cracher au bassinet. Et c’est là que les états d’âme apparaissent. Sans compter le « deux poids deux mesures » flagrant entre la position européenne sur l’Ukraine et celle sur le moyen orient, entre la dénonciation des « crimes de guerre » des uns et le « soutien inconditionnel » aux autres.
[Sans vision géopolitique, d’une mauvaise manière, mais cela aurait pu être pire, s’il avait franchement suivi la ligne des pro-russes, influents en France,]
Personnellement, j’aurais préféré qu’il suive les pro-français qui, semble-t-il, ont beaucoup moins d’influence. Mais cela aurait impliqué de maintenir une position équilibrée, de contester l’expansion permanente de l’OTAN vers l’est, de rechercher un arrangement de sécurité collectif avec un espace « neutre » entre la Russie et l’Europe occidentale. Et cela malgré les dénonciations des pro-américains – très influents en France – qui aurait crié à la capitulation devant la Russie…
Bonjour Descartes et bonne année,
Je suis admiratif de votre blog et je partage avec vous l’atonie ambiante que tout le monde ressent. L’impression que la situation nous échappe et que la France malheureusement s’efface du train de l’Histoire.Les fêtes sont souvent l’occasion de discuter avec de la famille et comme dans toute famille, on y trouve de tout et surtout des gens qui ne partagent pas du tout nos points de vue. On y parle toujours à un moment ou à un autre de politique et des rapports internationaux. A ce titre, j’ai pu mesurer à quel point la grille de lecture marxienne avec des classes possédant du capital immatériel (classes intermédiaires) était incroyablement difficile à expliquer et donc à faire comprendre. Je vois trois écueils principaux à cela:
– La théorie en elle-même n’est pas facile à résumer en quelques phrases. Si tout le monde peut comprendre rapidement ce que sont la bourgeoisie avec son capital matériel et héritable et les couches populaires vendant leur force de travail, les classes intermédiaires sont beaucoup plus difficiles à conceptualiser (moi-même à part dire qu’elles ont du capital immatériel non transmissible et à reproduire à chaque génération, je ne sais pas trop comment les définir). On peut dire que ce sont tous ceux qui jurent la main sur le coeur qu’ils sont du côté des couches populaires et qui soutiennent la bourgeoisie, mais je ne crois pas que ça fasse avancer les choses ni que ce soit très objectif.
– C’est quand même une théorie pessimiste: si la société est règlée par des rapports de force, que ceux-ci sont ultradéfavorables aux couches populaires et qu’il faut attendre 100 ans pour qu’ils s’inversent, c’est quand même compliqué d’enthousiasmer les foules avec ça. Même si c’est conforme à la réalité qu’on observe depuis les 50 dernières années, c’est pas très vendeur et finalement on préfère se raconter des histoires en reportant la faute sur d’autres causes.
– Enfin, il y a quand même un aspect un peu complotiste: qui sont donc ces classes intermédiaires qui se réuniraient le weekend pour détruire l’ascenceur social ou confisquer les postes à responsabilité ? J’ai crû comprendre qu’il fallait adopter le concept d’aliénation, mais il faudrait expliquer ce terme et ce qu’il implique plus en détail. Pourquoi je vous raconte cela ? Parce que vous avez beaucoup parlé de transmission l’année dernière et vous dîtes que cette année, il faudra faire des papiers pédagogiques. Pourquoi donc ne pas reprendre les bases et expliquer en long, en large et en travers votre vision des rapports de force de la société ?
– Qu’est-ce qu’une société ?- Quelles sont les grandes lignes de force qui la traversent ?
– Qu’est-ce qu’une classe et un intérêt de classe ? Comment cela se traduit-il concrètement dans les politiques publiques ?
– Comment les classes intermédiaires sont-elles conscientes de leur position ? Qui sont-elles vraiment ? Quels sont les métiers concernés en priorité ?
– Comment cette théorie peut expliquer la destruction de l’école, l’immigration non contrôlée, la désindustrialisation, etc… ?
Je ne crois pas me tromper en disant que les lecteurs de ce blog (moi le premier) n’ont pas nécessairement les idées claires sur toutes ces questions.
Transmettez, transmettez, il y aura des gens pour vous lire.
@ FB
[– La théorie en elle-même n’est pas facile à résumer en quelques phrases. Si tout le monde peut comprendre rapidement ce que sont la bourgeoisie avec son capital matériel et héritable et les couches populaires vendant leur force de travail, les classes intermédiaires sont beaucoup plus difficiles à conceptualiser (moi-même à part dire qu’elles ont du capital immatériel non transmissible et à reproduire à chaque génération, je ne sais pas trop comment les définir).]
Je suis un peu surpris. L’idée que les réseaux, les connaissances et compétences rares soient un « capital » parait assez facile à faire comprendre. Ce qui est plus difficile, c’est de montrer que la différence de rémunération entre l’ouvrier et le cadre est liée à ce « capital », tout simplement parce que la théorie de la « valeur travail » – qui est d’ailleurs formulée par l’économiste libéral Ricardo, et n’a rien de spécifiquement marxiste – est contre-intuitive : nous avons tous l’impression que le travail d’un ouvrier « vaut » moins que le travail d’un cadre (au sens qu’il produit moins de valeur), alors que la valeur est liée au temps de travail, et nullement à sa nature. C’est là le point délicat. Mais si on explique cela, il s’ensuit très logiquement que si le cadre est mieux payé, ce n’est pas parce qu’il produit plus de valeur, mais parce qu’il récupère la totalité de la valeur produite et le revenu de son « capital immatériel », alors que l’ouvrier, lui, voit une partie de la valeur qu’il produit prélevée par l’employeur.
[On peut dire que ce sont tous ceux qui jurent la main sur le coeur qu’ils sont du côté des couches populaires et qui soutiennent la bourgeoisie, mais je ne crois pas que ça fasse avancer les choses ni que ce soit très objectif.]
Non, une telle définition est même contre-productive. Pour que le concept ait une utilité, il faut lui donner une définition liée à sa position dans le mode de production. Le faire à partir de ses positions sociétales – ou de ses habitudes de consommation, comme le font certains sociologues – ne fait qu’obscurcir la question.
[– C’est quand même une théorie pessimiste :]
Une théorie n’est ni pessimiste, ni optimiste. C’est une description de la réalité. Est-ce que le deuxième principe de la thermodynamique, qui prédit que le monde aura une fin, est « pessimiste » ? Non, bien sur que non. Cela étant dit, une théorie peut conduire au pessimisme…
[si la société est réglée par des rapports de force, que ceux-ci sont ultradéfavorables aux couches populaires et qu’il faut attendre 100 ans pour qu’ils s’inversent, c’est quand même compliqué d’enthousiasmer les foules avec ça. Même si c’est conforme à la réalité qu’on observe depuis les 50 dernières années, c’est pas très vendeur et finalement on préfère se raconter des histoires en reportant la faute sur d’autres causes.]
C’est juste. Mais la théorie n’est pas aussi « pessimiste » que cela. Si elle constate que les rapports de force sont « ultradefavorables aux couches populaires », elle ne dit nullement qu’il faille « attendre 100 ans pour qu’ils s’inversent ». On a vu dans l’histoire les rapports de force s’inverser dramatiquement sur des périodes relativement courtes…
[- Enfin, il y a quand même un aspect un peu complotiste : qui sont donc ces classes intermédiaires qui se réuniraient le weekend pour détruire l’ascenseur social ou confisquer les postes à responsabilité ? J’ai crû comprendre qu’il fallait adopter le concept d’aliénation, mais il faudrait expliquer ce terme et ce qu’il implique plus en détail.]
Pas tout à fait. Ce n’est pas tant l’aliénation – qui est le processus qui fait qu’une classe agit contre ses intérêts – que l’intérêt de classe qui explique une action cohérente sans besoin qu’elle soit concertée.
[Pourquoi je vous raconte cela ? Parce que vous avez beaucoup parlé de transmission l’année dernière et vous dîtes que cette année, il faudra faire des papiers pédagogiques. Pourquoi donc ne pas reprendre les bases et expliquer en long, en large et en travers votre vision des rapports de force de la société ?]
Pourquoi pas… mais peut-être qu’un tel exposé serait un peu aride pour un blog ? J’ai le projet, toujours reporté, d’écrire un bouquin sur cette question. Peut-être quand je prendrai ma retraite ?
@ Descartes
[l’intérêt de classe (…) explique une action cohérente sans besoin qu’elle soit concertée.]
J’avoue que c’est ce point qui depuis toujours me pose problème dans votre thèse. Pouvez-vous démontrer qu’il s’agit d’autre chose qu’un simple (et fragile) postulat ?Par quels mécanismes psychologiques concrets et étudiés cet « intérêt de classe » que les classes intermédiaires, qui sont totalement dénuées de l’idée d’appartenance à une classe, dénient avec (le plus souvent) la plus grande sincérité se manifeste t’il dans les urnes, dans la vie de tous les jours ? Le cynisme ne me semble pas une hypothèse valide. D’ailleurs, l’un de vos points les plus fréquents est de dire « qui parmi les électeurs de Melenchon pense vraiment qu’il appliquera son programme ? », j’ai envie de vous répondre: l’immense majorité, tout comme l’immense majorité des électeurs de Mitterand en 81, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne seront pas une immense majorité à valider un retournement de veste 2 ans plus tard, devant l’abîme pour leurs intérêts. Mais ceci n’exclut nullement qu’ils puissent marcher vers cette abîme la fleur au fusil. En d’autres termes, je conçois qu’une classe puisse jouer collectivement pour ses intérêts quand ceux ci sont directement menacés (exemple: 83) mais aujourd’hui, la position des classes intermédiaires, en tant que classe, ne me semble absolument pas en danger, et donc fort peu susceptible d’engager des comportements de préservation aussi élaborés qu’un sabotage de l’éducation pour empêcher l’arrivée de concurrents à leurs rejetons…
@ P2R
[« l’intérêt de classe (…) explique une action cohérente sans besoin qu’elle soit concertée. » J’avoue que c’est ce point qui depuis toujours me pose problème dans votre thèse.]
Sur ce point, ce n’est pas « ma » thèse, mais celle de Marx. C’est lui qui avait théorisé l’intérêt de classe – dans son contexte, appliqué à la bourgeoisie et au prolétariat. Je ne vois aucune raison qui empêcherait d’étendre le raisonnement aux classes intermédiaires…
[Pouvez-vous démontrer qu’il s’agit d’autre chose qu’un simple (et fragile) postulat ? Par quels mécanismes psychologiques concrets et étudiés cet « intérêt de classe » que les classes intermédiaires, qui sont totalement dénuées de l’idée d’appartenance à une classe, dénient avec (le plus souvent) la plus grande sincérité se manifeste t’il dans les urnes, dans la vie de tous les jours ?]
Mais d’où tirez-vous que les classes intermédiaires « soient totalement dénuées de l’idée d’appartenance à une classe » ? Les classes intermédiaires ont, comme la bourgeoisie et le prolétariat, une « conscience de classe ». Ils sont pleinement conscients du fait qu’ils représentent un groupe séparé de la bourgeoisie et du prolétariat, qui a ses propres valeurs, ses propres rites de reconnaissance, ses propres cérémonies… et ses propres intérêts.
[Le cynisme ne me semble pas une hypothèse valide.]
Moi non plus. Les vrais cyniques sont rares : la plupart des groupes génèrent plutôt une idéologie qui présente leurs intérêts comme l’intérêt général, et les classes intermédiaires ne font pas exception.
[D’ailleurs, l’un de vos points les plus fréquents est de dire « qui parmi les électeurs de Melenchon pense vraiment qu’il appliquera son programme ? », j’ai envie de vous répondre : l’immense majorité, tout comme l’immense majorité des électeurs de Mitterand en 81, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne seront pas une immense majorité à valider un retournement de veste 2 ans plus tard, devant l’abîme pour leurs intérêts.]
Ici, il faut faire une différence entre « penser » et « croire ». L’exemple de 1981 est très pertinent. Les classes intermédiaires ont « cru » que Mitterrand allait changer la vie, parce qu’ils avaient envie d’y croire. Mais lorsque vous en discutiez sérieusement, autrement dit, lorsque vous les mettiez à « penser », on arrivait souvent à la conclusion contraire. Avec Mélenchon, c’est pareil : les gens « croient » à la « règle verte », mais quand vous les amenez à réfléchir dessus, ils s’aperçoivent très vite qu’elle est tout simplement inapplicable.
[Mais ceci n’exclut nullement qu’ils puissent marcher vers cette abîme la fleur au fusil. En d’autres termes, je conçois qu’une classe puisse jouer collectivement pour ses intérêts quand ceux-ci sont directement menacés (exemple: 83) mais aujourd’hui, la position des classes intermédiaires, en tant que classe, ne me semble absolument pas en danger, et donc fort peu susceptible d’engager des comportements de préservation aussi élaborés qu’un sabotage de l’éducation pour empêcher l’arrivée de concurrents à leurs rejetons…]
Bien entendu, une classe peut avoir à un moment donné une perception faussée de ses intérêts. Il peut lui arriver de parier sur le mauvais cheval. Mais sur la question de l’ascenseur social, la menace est très réelle et perceptible aisément par tous : si vous êtes polytechnicien, et que vos enfants ne sont pas bons à l’école, vous percevez tout de suite que dans un système méritocratique vos enfants risquent de ne pas hériter votre statut social. L’intérêt de transformer l’avantage que vous a donné votre mérite à l’heure de passer le concours de polytechnique en avantage héréditaire – par exemple, en dégradant l’école des autres de manière à donner à votre rejeton un avantage, ou bien en poussant à la création de « voies de recrutement parallèles » ou les réseaux jouent à plein – est très évident. Que tous les parents qui ont ce dilemme agissent de la même manière sans avoir à se concerter est assez facile à expliquer…
Les classes intermédiaires se sentent menacées en permanence, parce que leur statut est précaire, il dépend d’un « capital » qui, contrairement à celui de la bourgeoisie, ne s’hérite pas directement : il doit être réaccumulé à chaque génération. D’où cette crainte permanente du déclassement. C’est à travers cette peur que se manifeste le plus visiblement l’intérêt de classe – et la conscience de classe, qui est son corollaire.
@Descartes
[Les classes intermédiaires ont, comme la bourgeoisie et le prolétariat, une « conscience de classe ». Ils sont pleinement conscients du fait qu’ils représentent un groupe séparé de la bourgeoisie et du prolétariat, qui a ses propres valeurs, ses propres rites de reconnaissance, ses propres cérémonies… et ses propres intérêts]
Je serai moins affirmatif que vous cependant. Pour abonder dans le sens de P2R, il me semble que leur conscience de classe est moins nette que celle de la bourgeoisie et du prolétariat. Vous disiez vous-même dans un autre commentaire, peut-être d’un autre billet, qu’elles n’ont pas d’intérêts véritablement propres. Parce qu’elles récupèrent l’essentiel de leur plus-value, elles ont des intérêts communs avec la bourgeoisie ; parce qu’elles participent à la production de plus-value, elles ont des intérêts communs avec les prolétaires. Elles n’ont donc pas d’intérêt propre puisque leur intérêt se confond toujours soit avec celui de la bourgeoisie, soit avec celui des prolétaires.
De plus, ces classes sont très composites : vous-même utilisez le pluriel pour les désigner alors que vous utilisez le singulier pour le prolétariat et la bourgeoisie. Au même moment, certains fractions vont être plus proches des intérêts bourgeois, quand d’autres vont être plus proches des intérêts prolétariens (si vous considérez le RN comme l’expression de ces derniers intérêts, alors pourquoi la dédiabolisation lui a à la fois permis de consolider sa base ouvrière et de progresser parmi les classes moyennes si leurs intérêts sont contradictoires ?). Il y a d’autres conflits internes : artisans/paysans/commerçants vont passer leur temps à se plaindre des impôts qui sont trop lourds et qui entravent l’entreprise, à réclamer la réduction des dépenses publiques là où les fonctionnaires vont au contraire porter en étendard le fait de payer beaucoup d’impôts et n’avoir rien à redire à une extension de la voilure de l’Etat.
L’hétérogénéité de ces classes fait d’ailleurs à mon sens – et je pense que vous n’allez pas être d’accord – que, si elles peuvent être globalement considérées comme faisant partie des classes dominantes, elles n’en sont que la fraction dominée. J’ai l’impression que, chez vous, les classes moyennes sont LA classe dominante, qui impose ses desiderata à la bourgeoisie, et que vous en faites votre diable de confort en exagérant son influence. Pardon mais les classes moyennes ne dominent la société que parce que et tant que la bourgeoisie le tolère : croyez-vous que, si demain les intérêts de la bourgeoisie et ceux des classes moyennes entraient en contradiction, l’arbitrage se ferait en faveur des classes moyennes et non de la bourgeoisie ? Moi je ne le crois pas : les classes moyennes possèdent des capitaux qui leur permettent de récupérer une partie de la plus-value produite mais in fine c’est la propriété des moyens de production qui commande la répartition de la plus-value, et c’est la bourgeoisie qui par définition détient les moyens de production. Les classes moyennes sont comme ces “nègres de maison” fiers d’être des laquais mais qui, fondamentalement, restent des esclaves.
[Mais sur la question de l’ascenseur social, la menace est très réelle et perceptible aisément par tous]
Pour apporter de l’eau à votre moulin, je me rappelle d’un article du Monde Diplomatique d’il y a quelques années (peut-être de Pierre Rimbert ?) au sujet des lycées et universités d’élite aux Etats-Unis. L’auteur y rapportait que, depuis une décennie, ces établissements sélectifs avaient inscrit dans leurs critères de recrutement l’idée qu’un bon élève ne devait pas seulement avoir de bons résultats scolaires mais aussi faire preuve d’originalité, de créativité, montrer sa personnalité…Or, cette nouvelle politique s’était élaborée sous la pression d’associations de parents qui s’alarmaient du nombre croissant d’élèves issus de familles originaires d’Asie du Sud ou de l’Est qui parvenaient à y entrer grâce à leurs très bons résultats scolaires. L’introduction de critères non mesurables objectivement devait permettre de tenir à l’écart ces enfants d’immigrés “trop scolaires” selon le formule consacrée.
@ Goupil
[Je serai moins affirmatif que vous cependant. Pour abonder dans le sens de P2R, il me semble que leur conscience de classe est moins nette que celle de la bourgeoisie et du prolétariat.]
Je n’ai aucun moyen de mesurer la « netteté » de la conscience de classe. Cependant, je ne peux que constater que les membres des « classes intermédiaires » ne se confondent jamais avec le prolétariat ou avec la bourgeoisie.
[Vous disiez vous-même dans un autre commentaire, peut-être d’un autre billet, qu’elles n’ont pas d’intérêts véritablement propres.]
Je n’ai certainement jamais dit pareille chose. Je soutiens exactement le contraire : que malgré la diversité des intérêts individuels, les classes intermédiaires ont, en tant que classe, un véritable intérêt commun.
[Parce qu’elles récupèrent l’essentiel de leur plus-value, elles ont des intérêts communs avec la bourgeoisie ; parce qu’elles participent à la production de plus-value, elles ont des intérêts communs avec les prolétaires.]
La plus-value n’est pas quelque chose qu’on « produit ». Le prolétaire « produit » de la valeur, et une partie de cette valeur est prélevée. Dès lors que les classes intermédiaires récupèrent l’intégralité de la valeur qu’elles produisent, elles ne « produisent » aucune « plus-value »… Non, les classes intermédiaires ont bien un intérêt propre. Hier, cet intérêt les conduisait à une alliance avec le prolétariat pour contester le pouvoir d’une bourgeoisie qui se réservait l’essentiel du gâteau, aujourd’hui il les conduit à une alliance avec la bourgeoisie qui a accepté de partager le gâteau avec elles. Mais « alliance » ne veut pas dire « identité », et leurs intérêts des alliés ne sont pas tout à fait les mêmes…
[Elles n’ont donc pas d’intérêt propre puisque leur intérêt se confond toujours soit avec celui de la bourgeoisie, soit avec celui des prolétaires.]
Non, justement. On peut s’allier avec quelqu’un sans que vos intérêts se « confondent ». Simplement, dans une conjoncture donnée, une politique qui sert les intérêts des uns sert aussi les intérêts des autres.
[De plus, ces classes sont très composites : vous-même utilisez le pluriel pour les désigner alors que vous utilisez le singulier pour le prolétariat et la bourgeoisie.]
Mais j’utilise aussi le pluriel pour parler des « classes populaires ». L’utilisation singulière ou plurielle tient plus à l’histoire du concept qu’à une véritable question de diversité. Par ailleurs, la bourgeoisie et le prolétariat sont eux aussi très composites : le propriétaire d’un atelier de réparation automobile de village et Vincent Bolloré sont tous les deux bourgeois, le mineur et l’aide soignante sont tous deux prolétaires…
[Au même moment, certains fractions vont être plus proches des intérêts bourgeois, quand d’autres vont être plus proches des intérêts prolétariens (si vous considérez le RN comme l’expression de ces derniers intérêts, alors pourquoi la dédiabolisation lui a à la fois permis de consolider sa base ouvrière et de progresser parmi les classes moyennes si leurs intérêts sont contradictoires ?).]
Cela veut dire quoi « plus proche des intérêts » ? Je vous rappelle que vous ne pouvez pas déduire les intérêts du vote : il faut tenir compte du phénomène de l’aliénation. Pensez aux ouvriers qui ont voté Mitterrand en 1981… étaient-ils « plus proches des intérêts de la bourgeoisie » que ceux qui ont voté Marchais ? En plus, tous les électeurs d’un parti ne votent pas pour lui pour les mêmes raisons, et il n’est pas évident que les classes intermédiaires qui votent pour le RN attendent de ce vote la même chose que les prolétaires qui votent pour lui.
[Il y a d’autres conflits internes : artisans/paysans/commerçants vont passer leur temps à se plaindre des impôts qui sont trop lourds et qui entravent l’entreprise, à réclamer la réduction des dépenses publiques là où les fonctionnaires vont au contraire porter en étendard le fait de payer beaucoup d’impôts et n’avoir rien à redire à une extension de la voilure de l’Etat.]
Je ne me souviens pas d’avoir entendu beaucoup de fonctionnaires demander qu’on augmente leurs impôts… non, quand il s’agit de réduire les impôts, TOUT LE MONDE se plaint de la même chose. Et TOUT LE MONDE est d’accord pour réduire les dépenses publiques – mais pas forcément les mêmes. Les « plaintes » reflètent en général des intérêts individuels, et non des intérêts de classe…
[L’hétérogénéité de ces classes fait d’ailleurs à mon sens – et je pense que vous n’allez pas être d’accord – que, si elles peuvent être globalement considérées comme faisant partie des classes dominantes, elles n’en sont que la fraction dominée.]
L’idée même de « classe » implique que, malgré l’hétérogénéité individuelle, il existe un intérêt de classe. La bourgeoisie est très hétérogène, mais tous les bourgeois partagent un intérêt commun : celui de préserver le mode de production dans lequel ils peuvent prélever une partie de la valeur produite par le travail des autres. Si vous pensez que les classes intermédiaires ne partagent pas globalement un intérêt commun, alors vous ne croyez pas à l’existence même d’une « classe » qui les regroupe. Personnellement, je ne suis pas sur cette ligne. Je pense que de la même manière que la bourgeoisie est unie lorsqu’il s’agit de préserver un mode de production qui assure la rémunération du capital matériel, les classes intermédiaires sont unies lorsqu’il s’agit de défendre la rémunération du capital immatériel…
[J’ai l’impression que, chez vous, les classes moyennes sont LA classe dominante, qui impose ses desiderata à la bourgeoisie, et que vous en faites votre diable de confort en exagérant son influence.]
Pas du tout. C’est pourquoi je parle du « bloc dominant » lorsque je parle de l’alliance entre la bourgeoisie et les classes intermédiaires. Dans un système capitaliste, la classe dominante reste celle qui détient le capital. Mais dans un contexte où le « capital immatériel » acquiert une importance considérable, la classe qui le détient a les moyens d’établir un rapport de force avec la classe qui détient le « capital matériel ». C’est ce rapport de force qui détermine le partage du pouvoir et l’influence, et bien entendu du gâteau.
[Pardon mais les classes moyennes ne dominent la société que parce que et tant que la bourgeoisie le tolère : croyez-vous que, si demain les intérêts de la bourgeoisie et ceux des classes moyennes entraient en contradiction, l’arbitrage se ferait en faveur des classes moyennes et non de la bourgeoisie ?]
Mais les intérêts des classes intermédiaires et de la bourgeoisie rentrent bien en contradiction. Le rapport entre les classes est toujours un rapport de forces. Le rapport de forces entre la bourgeoisie et les classes intermédiaires est tel qu’elles peuvent se partager le pouvoir et le gâteau – de la même façon que le rapport de forces entre la bourgeoisie et le prolétariat après 1945 avait permis un certain partage du gâteau et du pouvoir entre elles.
[Moi je ne le crois pas : les classes moyennes possèdent des capitaux qui leur permettent de récupérer une partie de la plus-value produite mais in fine c’est la propriété des moyens de production qui commande la répartition de la plus-value, et c’est la bourgeoisie qui par définition détient les moyens de production.]
Mais ce « capital immatériel » que détiennent les classes intermédiaires n’est pas assimilable à un « moyen de production » ?
[Les classes moyennes sont comme ces “nègres de maison” fiers d’être des laquais mais qui, fondamentalement, restent des esclaves.]
Je pense que vous avez une vision trop manichéenne de la lutte des classes. Ce n’est pas parce qu’une classe est « dominante » qu’elle est toute puissante. Dites-vous bien que si la bourgeoisie partage le gâteau avec les classes intermédiaires, ce n’est pas par bonté d’âme, mais parce qu’il existe un rapport de forces qui l’oblige à le faire. La bourgeoisie a besoin du « capital immatériel » que détiennent les classes intermédiaires, et celles-ci monnayent ce besoin au prix fort. C’est ce rapport de forces, et non une « coïncidence des intérêts » qui fait que le gâteau est partagé. Les alliances politiques sont la traduction du rapport de forces. Quand les classes intermédiaires se sentaient faibles, elles se sont cherchés des alliés dans les classes populaires pour créer un bon rapport de forces, quitte à leur céder une partie du gâteau. Aujourd’hui, elles se savent fortes, et du coup elles n’ont aucune raison à céder une partie du gâteau pour avoir des alliés.
@ Descartes
[« l’intérêt de classe (…) explique une action cohérente sans besoin qu’elle soit concertée. » // ce n’est pas « ma » thèse, mais celle de Marx. C’est lui qui avait théorisé l’intérêt de classe.]
Bien, mais ça ne réponds pas à ma question, par quels mécanismes sociologiques ou intellectuels se réalisent ces actions cohérentes non concertées (telles que la destruction de la méritocratie dans le cursus scolaire et universitaire) qui ont un résultat radicalement contraire aux valeurs “d’égalité des chances” portées en bandoulières par ces mêmes classes intermédiaires, sachant que vous avez vous-même écarté l’hypothèse du cynisme ?
[Mais d’où tirez-vous que les classes intermédiaires « soient totalement dénuées de l’idée d’appartenance à une classe » ?]
Je ne crois pas que le prof de collège de province, le médecin de campagne, l’ingénieur agronome, le publicitaire parisien et l’intermittent du spectacle aient le sentiment d’appartenir à la même classe sociale. Et pourtant ils votent tous très majoritairement pour Macron ou Mélenchon, soit des candidats qui détruisent ou promettent de détruire davantage encore l’ascenceur social. Moi-même appartenant à la classe intermédiaire, quand je lis des ouvrages traitant du microcosme parisien des grandes écoles, ou quand je me balade dans les quartiers bobos de Nantes, je ne me sent absolument pas appartenir au même monde que ces gens qui sont pourtant, selon leur rapport au mode de production, des classes intermédiaires par excellence, tout comme moi (profession libérale dans une ville moyenne de province). Suis-je un cas isolé ? La majorité des profs, par exemple, se sent-elle une communauté d’intérêt avec les start-upers ou avec les cadres superieurs d’une multinationale ? Qu’ils AIENT une communauté d’intérêts avec eux, oui. Qu’ils en soient conscient… j’en doute.
[Les vrais cyniques sont rares : la plupart des groupes génèrent plutôt une idéologie qui présente leurs intérêts comme l’intérêt général, et les classes intermédiaires ne font pas exception.]
C’est encore une fois le mécanisme de génération “de bonne foi” de cette idéologie qu’il m’intéresserait de décortiquer. Marx entre t’il dans les détails à ce sujet ? Comment la classe dominante se persuade-t’elle que son idéologie est d’intérêt général, sans recourir au cynisme, et contre toute évidence ? Je ne nie pas cette dissonnance cognitive, je la constate tous les jours, mais elle est telle, si évidente, si énorme, que je n’arrive pas à la relier à un mécanisme rationnel.
[Ici, il faut faire une différence entre « penser » et « croire ». L’exemple de 1981 est très pertinent. Les classes intermédiaires ont « cru » que Mitterrand allait changer la vie, parce qu’ils avaient envie d’y croire. Mais lorsque vous en discutiez sérieusement, autrement dit, lorsque vous les mettiez à « penser », on arrivait souvent à la conclusion contraire.]
Peut-être qu’en 81 il était possible d’aller au-delà de la croyance par l’argumentation pour constater sous le vernis la reconnaissance des limites de l’idéologie face aux intérêts. Malheureusement je suis très très pessimiste sur la persistance de cette distinction entre “croire” et “penser”, et les dernières discussions que j’ai pu avoir avec des supporters de LFI ne m’ont pas laissé beaucoup d’espoir à ce sujet.
[Mais sur la question de l’ascenseur social, la menace est très réelle et perceptible aisément par tous : si vous êtes polytechnicien, et que vos enfants ne sont pas bons à l’école, vous percevez tout de suite que dans un système méritocratique vos enfants risquent de ne pas hériter votre statut social. L’intérêt de transformer l’avantage que vous a donné votre mérite à l’heure de passer le concours de polytechnique en avantage héréditaire – par exemple, en dégradant l’école des autres de manière à donner à votre rejeton un avantage, ou bien en poussant à la création de « voies de recrutement parallèles » ou les réseaux jouent à plein – est très évident. Que tous les parents qui ont ce dilemme agissent de la même manière sans avoir à se concerter est assez facile à expliquer…]
Mais cette approche, telle que vous la décrivez, suggère la conscience des effets de cette politique. Or, couplée au slogan de “l’égalité des chances” mis à toutes les sauces, cette conscience de la finalité du projet politique ne pourrait être que qualifiée de cynique, hypothèse que nous avons écarté plus haut.
On pourrait faire l’hypothèse d’un mécanisme irrationnel, une sorte d’aliénation d’une classe à ses propres intérêts. Mais mener de telles politiques que celle que vous décrivez (qui ont donné leurs “fruits” au bout de plusieurs décennies !) suppose une vision de long terme, un chemin, autrement dit un projet réfléchi. Donc conscient. Donc cynique…
En aparté, je note que vous utilisez souvent, pour caractériser les classes intermédiaires, l’exemple du polytechnicien, bien que ce profil, dans la société mais aussi dans les classes intermédiaires telles que vous les décrivez, reste hyper-minoritaire, et ce même en élargissant l’exemple à l’ensemble des personnes issues des grandes écoles parisiennes). Il est donc difficile de s’appuyer sur cet exemple en le considérant représentatif. Pourquoi n’utilisez vous plutôt comme exemple le corps enseignant, numériquement (et donc electoralement) bien plus représentatif, et archétypal de cette classe sociale selon vos propres dires ?
@ P2R
[Bien, mais ça ne réponds pas à ma question, par quels mécanismes sociologiques ou intellectuels se réalisent ces actions cohérentes non concertées (telles que la destruction de la méritocratie dans le cursus scolaire et universitaire) qui ont un résultat radicalement contraire aux valeurs “d’égalité des chances” portées en bandoulières par ces mêmes classes intermédiaires, sachant que vous avez vous-même écarté l’hypothèse du cynisme ?]
Je vous l’ai dit : dès lors qu’on a le même intérêt, on peut agir dans la même direction sans nécessairement se concerter. Si j’ai un enfant qui est un cancre et que je veux qu’il hérite mon statut social, j’ai tout intérêt à court-circuiter la logique méritocratique en utilisant mes réseaux pour lui obtenir des passe-droits. Et si tous les gens de ma classe font comme moi, on réduira radicalement les chances de promotion sociale des enfants d’origine modeste, dont les parents n’ont pas ces réseaux… mais sans s’être concertés.
[« Mais d’où tirez-vous que les classes intermédiaires « soient totalement dénuées de l’idée d’appartenance à une classe » ? » Je ne crois pas que le prof de collège de province, le médecin de campagne, l’ingénieur agronome, le publicitaire parisien et l’intermittent du spectacle aient le sentiment d’appartenir à la même classe sociale.]
Je ne suis pas persuadé. Parlez-leur de la misère des « classes moyennes », et ils se sentiront tous identifiés avec elles. Parlez-leur des problèmes de déclassement, des études des enfants, et ils se sentiront tous concernés. Faites la même expérience avec un patron ou avec un ouvrier, et vous n’aurez pas le même résultat.
[Et pourtant ils votent tous très majoritairement pour Macron ou Mélenchon, soit des candidats qui détruisent ou promettent de détruire davantage encore l’ascenseur social. Moi-même appartenant à la classe intermédiaire, quand je lis des ouvrages traitant du microcosme parisien des grandes écoles, ou quand je me balade dans les quartiers bobos de Nantes, je ne me sens absolument pas appartenir au même monde que ces gens qui sont pourtant, selon leur rapport au mode de production, des classes intermédiaires par excellence, tout comme moi (profession libérale dans une ville moyenne de province). Suis-je un cas isolé ? La majorité des profs, par exemple, se sent-elle une communauté d’intérêt avec les start-upers ou avec les cadres supérieurs d’une multinationale ? Qu’ils AIENT une communauté d’intérêts avec eux, oui. Qu’ils en soient conscients… j’en doute.]
Mais quand vous lisez un article sur le problème du déclassement des classes moyennes, vous sentez-vous concerné ? Et bien, c’est aussi le cas des profs et des cadres supérieurs… autrement dit, ils se reconnaissent dans les mêmes problèmes. C’est cela aussi, la conscience de classe. Il ne faut pas exagérer l’unité de la conscience de classe : je ne suis pas sûr que le cheminot se voie comme étant de la même classe que la femme de ménage.
[C’est encore une fois le mécanisme de génération “de bonne foi” de cette idéologie qu’il m’intéresserait de décortiquer. Marx entre t’il dans les détails à ce sujet ? Comment la classe dominante se persuade-t’elle que son idéologie est d’intérêt général, sans recourir au cynisme, et contre toute évidence ? Je ne nie pas cette dissonnance cognitive, je la constate tous les jours, mais elle est telle, si évidente, si énorme, que je n’arrive pas à la relier à un mécanisme rationnel.]
Ce n’est pas « contre toute évidence ». Les idéologies dominantes sont toujours plausibles. Expliquer que le capitaliste, en investissant son bien, produit de la « valeur » et mérite donc une rémunération, reste une théorie plausible, et pour croire en elle il n’est point besoin de faire un effort particulier. Ces idéologies sont fabriquées en général par sélection. On ne paye pas quelqu’un pour l’écrire. Mais parmi toutes les élucubrations qu’on trouve sur le marché éditorial les classes dominantes choisissent assez naturellement celles qui justifient vos intérêts, qui vous donnent le bon rôle… et ce sont elles qui reçoivent les honneurs de la presse, parce que ce sont elles qui plaisent à ceux qui choisissent.
[Peut-être qu’en 81 il était possible d’aller au-delà de la croyance par l’argumentation pour constater sous le vernis la reconnaissance des limites de l’idéologie face aux intérêts. Malheureusement je suis très très pessimiste sur la persistance de cette distinction entre “croire” et “penser”, et les dernières discussions que j’ai pu avoir avec des supporters de LFI ne m’ont pas laissé beaucoup d’espoir à ce sujet.]
Peut-être parce que le « croire » pèse aujourd’hui beaucoup plus lourd que le « penser »…
[Mais cette approche, telle que vous la décrivez, suggère la conscience des effets de cette politique. Or, couplée au slogan de “l’égalité des chances” mis à toutes les sauces, cette conscience de la finalité du projet politique ne pourrait être que qualifiée de cynique, hypothèse que nous avons écarté plus haut.]
Non. Le parent « classe intermédiaire » qui exploite les passe-droit pour faire avancer ses enfants se sent coupable, parce qu’il est confusément conscient des conséquences si tout le monde fait pareil. Et voici que dans une librairie il trouve un livre qui lui explique qu’au contraire, ce que certains appellent « passe-droits » sont en fait des « voies parallèles » qui, en privilégiant la « diversité » améliorent le sort des plus modestes. Quoi d’étonnant qu’il veuille croire à cette explication, qu’il l’adopte ensuite en parfaite bonne foi…
[En aparté, je note que vous utilisez souvent, pour caractériser les classes intermédiaires, l’exemple du polytechnicien, bien que ce profil, dans la société mais aussi dans les classes intermédiaires telles que vous les décrivez, reste hyper-minoritaire, et ce même en élargissant l’exemple à l’ensemble des personnes issues des grandes écoles parisiennes). Il est donc difficile de s’appuyer sur cet exemple en le considérant représentatif.]
Je ne le considère pas comme représentatif, au contraire, je le considère comme un cas limite, qui fait apparaître le conflit d’intérêts d’une manière évidente. C’est un recours pour faciliter la compréhension de mon point. Si je prenais, comme vous le suggérez, l’exemple d’un professeur j’aurais besoin de beaucoup plus de développements pour arriver à ma conclusion…
Ne publiez pas ce commentaire, mais je suis désolé de la mise en forme qu’a pris mon commentaire précédent (aucun retour à la ligne) et qui le rend illisible et ne met pas en valeur ses questions.
@ FB
[Ne publiez pas ce commentaire, mais je suis désolé de la mise en forme qu’a pris mon commentaire précédent (aucun retour à la ligne) et qui le rend illisible et ne met pas en valeur ses questions.]
Je le publie tout de même parce que vous n’êtes pas le seul à qui cela arrive. Il semblerait que certains commentateurs utilisent pour composer leurs commentaires des éditeurs de texte (sous Linux ?) qui n’utilisent pas pour marquer le saut à la ligne les caractères “standard” utilisés par Windows. Et du coup, leurs textes arrivent en un seul paquet, sans aucun renvoi à la ligne ou découpage en paragraphes. Dans ces cas, je fais toujours un petit effort de mise en page pour rendre le texte compréhensible en ajoutant là où cela me semble pertinent des sauts à la ligne ou des paragraphes… au risque de trahir l’intention originelle de l’auteur!
Je viens régulièrement sur le site et ne m’en lasse pas. Pour ma part, de gros soucis de santé me laissent peu de disponibilité malheureusement, depuis trois ans. Ce n’est pas qu’une excuse. Je regrette en tout cas de ne pas intervenir.
Je me demande si, dans les débats sociaux, l’actualité met en exergue des sujets si clivants qu’il devient difficile d’en parler. Surtout sur le fond. En effet, la parole est vite empêchée par des questions secondaires sur lesquelles on vient se bloquer. Les rares personnes avec qui l’interrogation, l’envie de comprendre priment permettent le dialogue. Sans chercher à convaincre, simplement partager. Ce que je peux lire sur ce site m’alimente en tout cas, avant tout à hiérarchiser les enjeux.
Je peux te dire que je te fais de la pub, mais les conseils ne sont pas toujours suivis.
Je te souhaite une bonne année, ainsi qu’à tous les lecteurs de ce blog
@ Paul
[Je viens régulièrement sur le site et ne m’en lasse pas. Pour ma part, de gros soucis de santé me laissent peu de disponibilité malheureusement, depuis trois ans. Ce n’est pas qu’une excuse. Je regrette en tout cas de ne pas intervenir.]
Désolé d’apprendre que votre santé vous donne du souci. Espérons que 2024 vous apporte un peu de soulagement… et croyez que vos interventions, trop rares, sont toujours appréciées.
[Je me demande si, dans les débats sociaux, l’actualité met en exergue des sujets si clivants qu’il devient difficile d’en parler. Surtout sur le fond.]
Pourtant, si je reviens vingt ou trente ans en arrière, les sujets qui faisaient les grands débats de l’époque étaient beaucoup plus clivants. Si j’avais a hasarder une explication, je dirais que c’est plutôt le contraire. Il y a vingt ou trente ans, le débat était jugé important parce qu’on avait la conviction – ou l’illusion ? – que l’issue du débat pouvait changer quelque chose de substantiel. Prenez le choix de la filière nucléaire, entre graphite-gaz et eau pressurisée. Le débat a fait rage pendant quelques mois, mais à la clé il y avait 58 réacteurs construits. J’ai du mal à imaginer un débat dont l’issue, aujourd’hui, aurait un tel effet.
Quand l’issue d’un débat a des effets réels, les gens s’y intéressent. Les débats sur la ratification de Maastricht ou sur le TCE en sont de bons exemples (et encore, pour le TCE le vote n’a rien changé grâce au contournement par le traité de Lisbonne, si l’on excepte le point certes capital mais peu visible du statut juridique du traité). Mais en dehors de ces moments, quels sont les débats qui déterminent notre avenir, dans un contexte où tout semble verrouillé ?
Le fait est que le débat se déroule dans un ilot très petit, entouré d’une mer d’indifférence. Et ça aussi, ça a un effet sur la qualité du débat.
Exemple de débat, toujours évoqué, mais toujours esquivé par le Pouvoir depuis des décennies, et qui déterminera pourtant, concrètement, existentiellement, la fin de vie de milliers de compatriotes, atteints de maladies dégénératives incurables ou subissant des agonies interminables, celui de l’assistance médicale au suicide ou à l’euthanasie que promeuvent (vainement) bien des associations (comme l’ADMD) et mouvements citoyens.
@ claustaire
[Exemple de débat, toujours évoqué, mais toujours esquivé par le Pouvoir depuis des décennies, et qui déterminera pourtant, concrètement, existentiellement, la fin de vie de milliers de compatriotes, atteints de maladies dégénératives incurables ou subissant des agonies interminables, celui de l’assistance médicale au suicide ou à l’euthanasie que promeuvent (vainement) bien des associations (comme l’ADMD) et mouvements citoyens.]
J’ai cru comprendre en effet que des anciens de LFI ont constitué une association pour promouvoir l’euthanasie de Mélenchon…
Je ne sais pas si c’est une question « esquivée par le Pouvoir » (pourquoi un « P » majuscule ?). Mais je reste persuadé que le « Pouvoir » n’a pas à se mêler de cette question. L’idée que le « Pouvoir » aurait à permettre, aider ou même organiser la mise à mort de telle ou telle catégorie de citoyens ouvre un débat éminemment dangereux. Parce qu’une fois qu’on l’a ouvert, tous les excès sont possibles. Car après tout, qui décide qui doit mourir et qui doit vivre ?
Prenez la question du suicide assisté. Imaginez-vous qu’un adolescent en parfaite santé, mais qui vient d’avoir une peine de cœur qui le fait gravement souffrir, demande à mourir. Doit-on l’aider à le faire ? Qui décide que sa souffrance ne vaut pas celle d’un malade du cancer en phase terminale ? Vous me direz que le malade n’a que quelques mois à vivre, alors que l’adolescent a des décennies devant lui. Mais à partir de quelle espérance de vie on aurait le droit de partir avec l’aide d’un médecin ? Un mois ? Un an ? Dix ans ?
C’est pourquoi le « Pouvoir » doit se désintéresser de l’affaire. L’euthanasie, le suicide assisté ont toujours été pratiqués, et continueront à l’être quoi que dise la loi. Mais ils doivent à mon avis l’être « dans le dos du Pouvoir », parce que chaque cas est différent et ne peut être ramené à la froideur de l’application d’une loi unique. Et si cela arrive jusqu’au prétoire, les juges sont en général suffisamment intelligents pour faire la différence entre l’héritier qui fait débrancher le grand-père par intérêt, et le médecin qui, en accord avec la famille, injecte une dose excessive de morphine.
Légaliser l’euthanasie, c’est créer une « industrie de la mort assistée », avec ses modes, ses publicitaires… et la pression mise sur les gens qui souffrent de débarrasser le plancher. Parce qu’il ne faut pas non plus se voiler la face : si la question vient au-devant de la scène, c’est aussi parce que dans notre société on a de moins en moins envie de s’occuper des autres, et que l’euthanasie est une manière comme une autre d’abréger la prise en charge…
A qui voudrait éviter certaines caricatures ou aprioris anti IVV (interruption volontaire de vie), je recommanderais de prendre le temps d’aller sur le site de l’ADMD pour voir la cohérence et la prudence de leurs propositions.
@ claustaire
[A qui voudrait éviter certaines caricatures ou aprioris anti IVV (interruption volontaire de vie), je recommanderais de prendre le temps d’aller sur le site de l’ADMD pour voir la cohérence et la prudence de leurs propositions.]
Les propositions de l’ADMD sont prudentes, mais ne résolvent pas le problème fondamental, qui pour moi est le fait de savoir si l’euthanasie (je me refuse à utiliser l’expression « IVV », qui à mon sens établit un parallèle abusif avec l’IVG) est une matière sur laquelle il faut légiférer, ou bien si elle doit être pratiquée « dans le silence de la loi ».
@ Claustaire / Descartes
Pas besoin d’aller très loin sur le site pour découvrir leur crédo, à savoir (je cite)
L’Association pour le droit de mourir dans la dignité est une association française prônant « le droit pour chacun d’avoir une fin de vie conforme à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté ».
Chaque mot compte, et ce manifeste doit permettre de voir clair sur l’idéologie portée par ce mouvement au-delà des précautions oratoires destinées à amadouer le quidam: c’est une vision libertarienne radicale de la fin de vie, qui accorderait à chacun le droit de décider du moment et de la manière de mettre fin à ses jours selon des critères définis par lui unilatéralement, sans que la société ait le moindre mot à dire. C’est Soylent Green, le recyclage des corps en biscuits protéinés en moins (et le business des serial-euthanasieurs et/ou des militants pro-euthanasie en plus).
Dans l’absolu: pourquoi pas. C’est une vision libérale qui n’est pas la mienne, mais pourquoi pas. Aux seules conditions que le choix puisse être fait en toute liberté, c’est à dire d’une part indépendament de toute contrainte financière liée au fait de rester en vie (ce qui implique une prise en charge publique inconditionnelle, intégrale et optimale de la vieillesse, du handicap, de la maladie et de la dépendance) et de toute contrainte liée à un tiers (de manière active ou passive: conscience d’épuiser un proche aidant, ou de dilapider en soins ou en loyers d’établissement médicalisé l’héritage d’enfants dans le besoin), et d’autre part à la condition qu’une alternative médicale immédiate et inconditionnelle soit disponible (accès en soins palliatifs, prise en charge psychiatrique, etc).
Tant que ces critères ne sont pas garantis (ce qui est très loin d’être le cas, et ça ne va pas changer demain), une loi provoquera davantage de problèmes qu’elle n’en résoudra, et n’est donc pas souhaitable.
On parle beaucoup de la dignité des personnes, mais très peu de la dignité de notre gestion collective de la fin de vie. L’indignité, ce n’est pas de souffrir d’un cancer en phase terminale. L’indignité, c’est de n’avoir aucun lit en soins palliatifs à offrir à un malade souffrant d’un cancer en phase terminale. L’indignité, c’est de laisser moisir ses parents en EHPAD en se contentant de les visiter une fois par an. Ce qui est trop souvent une réalité, aujourd’hui, dans notre pays. Quand notre pays traitera collectivement ses vieux, ses malades et ses mourrants de manière digne et équitable, on pourra reparler des “conceptions personnelles de dignité et de liberté de chacun”.
Quoi qu’on en dise, légaliser l’euthanasie est un moyen de soulager les finances publiques via la soustraction d’un certain nombre de patients du circuit de prise en charge. On a beau prétendre que ce n’est pas l’objectif, c’est un effet collatéral qui ne permet pas d’envisager le débat sereinement. D’où l’absolue nécessité de mettre à niveau l’offre de soins alternatifs AVANT l’ouverture du débat, sans quoi celui-ci est fatalement biaisé, ou à tout le moins suspecté de l’être.
@ P2R
[Pas besoin d’aller très loin sur le site pour découvrir leur crédo, à savoir (je cite) : L’Association pour le droit de mourir dans la dignité est une association française prônant « le droit pour chacun d’avoir une fin de vie conforme à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté ». Chaque mot compte, et ce manifeste doit permettre de voir clair sur l’idéologie portée par ce mouvement au-delà des précautions oratoires destinées à amadouer le quidam : c’est une vision libertarienne radicale de la fin de vie, qui accorderait à chacun le droit de décider du moment et de la manière de mettre fin à ses jours selon des critères définis par lui unilatéralement, sans que la société ait le moindre mot à dire. C’est Soylent Green, le recyclage des corps en biscuits protéinés en moins (et le business des serial-euthanasieurs et/ou des militants pro-euthanasie en plus).]
Vous posez là une question de fond qui va beaucoup plus loin que les arguments « pragmatiques » que j’avais donné à Claustaire. La question que vous posez est celle de savoir si l’individu s’appartient, et peut décider souverainement de sa mort, ou bien si même en fin de vie il a encore des devoirs envers la société. Avons-nous le droit de mettre fin à notre vie au moment de notre choix, sans tenir compte de la peine que nous pouvons causer à ceux qui nous entourent, ou bien devons nous à ceux-là un « devoir » de prolonger notre vie autant que possible ?
On peut adopter bien entendu la première position, que vous qualifiez de « libérale ». Le problème, c’est que ce choix a une conséquence lourde : si on défend « le droit pour chacun d’avoir une fin de vie conforme à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté », pourquoi réserver ce droit aux malades en phase terminale ? Pourquoi chercher à empêcher le suicide d’un adolescent suite à une peine de cœur ? N’est-ce pas là une fin de vie « conforme à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté » ?
Le problème de l’euthanasie, c’est précisément qu’il est difficile de l’encadrer dans une règle générale et impersonnelle – c’est-à-dire, dans une loi. Intuitivement, il y a un large consensus pour faciliter le départ d’une personne atteinte d’un mal incurable qui lui cause d’atroces souffrances. D’un autre, on perçoit les dangers qu’il y a à établir un « droit à choisir sa mort » en général. C’est pourquoi l’association en question met un principe général dans sa profession de foi qui ne se retrouve pas dans sa « proposition de loi », beaucoup plus modérée…
J’ajoute un aspect que vous n’avez pas relevé dans la profession de foi de l’association. Lorsqu’on lit ce texte, on a l’impression que « le droit pour chacun d’avoir une fin de vie conforme à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté » ne concerne que la mort elle-même. Mais que se passe-t-il si « ma conception personnelle de dignité et de liberté » inclut une longue vieillesse dans une belle maison dans le midi, et une mort dans mon lit entouré d’une nombreuse famille aimante ? L’association est prête à se battre pour que j’aie une retraite décente, pour s’assurer que ma famille aura envie de se déplacer pour vivre avec moi mes derniers instants ? Je ne crois pas que ces paramètres aient été pris en compte.
[Dans l’absolu : pourquoi pas. C’est une vision libérale qui n’est pas la mienne, mais pourquoi pas. Aux seules conditions que le choix puisse être fait en toute liberté, c’est à dire d’une part indépendamment de toute contrainte financière liée au fait de rester en vie (…) et de toute contrainte liée à un tiers (…),]
Ce qui est une impossibilité. Ce que vous énoncez ici, c’est tout simplement le fait que la décision individuelle « libre » de toute contrainte n’existe tout simplement pas. L’homme étant un être matériel, il est soumis aux contraintes matérielles. L’homme étant un animal social, il est soumis aux contraintes sociales. Imaginer qu’on pourrait faire le choix de sa propre mort en faisant abstraction des unes et des autres est absurde.
[On parle beaucoup de la dignité des personnes, mais très peu de la dignité de notre gestion collective de la fin de vie. L’indignité, ce n’est pas de souffrir d’un cancer en phase terminale. L’indignité, c’est de n’avoir aucun lit en soins palliatifs à offrir à un malade souffrant d’un cancer en phase terminale. L’indignité, c’est de laisser moisir ses parents en EHPAD en se contentant de les visiter une fois par an. Ce qui est trop souvent une réalité, aujourd’hui, dans notre pays. Quand notre pays traitera collectivement ses vieux, ses malades et ses mourants de manière digne et équitable, on pourra reparler des “conceptions personnelles de dignité et de liberté de chacun”.]
Je suis tout à fait d’accord. Que le débat sur l’euthanasie vienne sur le devant de la scène au moment où la solidarité intergénérationnelle est remise en question dans une société de plus en plus individualiste ne me paraît pas être un simple fruit du hasard.
@ Descartes
[La question que vous posez est celle de savoir si l’individu s’appartient, et peut décider souverainement de sa mort, ou bien si même en fin de vie il a encore des devoirs envers la société.]
Ce n’est pas une question de devoirs de l’individu envers la société, mais d’interdits que la société s’impose. Je n’ai rien à reprocher à l’individu qui se jette d’un pont, mais je pense qu’une société qui choisit de légitimer des idées suicidaires plutôt que de tenter de les prévenir et de les traiter prends un mauvais chemin. Je n’ai rien à reprocher à la mère porteuse, mais tout à reprocher à la société qui permet son exploitation. Je n’ai rien à reprocher à la personne qui vends un rein pour financer les études de son gamin, mais tout à reprocher au système qui le permettrait. Pour cette raison, je suis moins hostile à l’assistance au suicide qu’à l’euthanasie: fournir les moyens à une personne en fin de vie d’en finir “proprement” par ses propres moyens, avec l’entière liberté de prendre ou ne pas prendre la “pilule qui tue” me semble moins problématique que de charger la société, par le bras du médecin, d’administrer la mort. Je n’ai pas dit que j’étais pour, mais il est possible d’argumenter à ce sujet, alors que pour moi la question de la légalisation de l’euthanasie est une absurdité pure.
[Avons-nous le droit de mettre fin à notre vie au moment de notre choix, sans tenir compte de la peine que nous pouvons causer à ceux qui nous entourent]
Pour moi la réponse est positive. Ce qui ne signifie pas que la société n’ait pas pour mission d’empêcher à tout prix le passage à l’acte. Et ça n’a rien de contradictoire: pour prendre un autre exemple, une jeune fille de 13 ans a tout à fait le droit de tomber enceinte, pour autant la société doit lutter contre ce phénomène.
C’est la délégation de l’acte à un tiers qui est pour moi un tabou absolu, et qui doit rester à tout prix un acte exceptionnel réalisé “dans le dos de la loi”, et où le tiers administrant la mort doit sentir peser sur ses épaules la menace d’un procès pour homicide volontaire, propre à dissuader toute prise d’initiative hasardeuse. Je préfère qu’on “oublie” d’euthanasier 100 personnes plutôt que l’on en euthanasie une à tort.
[J’ajoute un aspect que vous n’avez pas relevé dans la profession de foi de l’association. Lorsqu’on lit ce texte, on a l’impression que « le droit pour chacun d’avoir une fin de vie conforme à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté » ne concerne que la mort elle-même. Mais que se passe-t-il si « ma conception personnelle de dignité et de liberté » inclut une longue vieillesse dans une belle maison dans le midi, et une mort dans mon lit entouré d’une nombreuse famille aimante ? L’association est prête à se battre pour que j’aie une retraite décente, pour s’assurer que ma famille aura envie de se déplacer pour vivre avec moi mes derniers instants ? Je ne crois pas que ces paramètres aient été pris en compte.]
Bien vu !
[Imaginer qu’on pourrait faire le choix de sa propre mort en faisant abstraction des unes et des autres est absurde.]
C’est tout à fait mon point, d’où l’introduction de mon propos par la formule “dans l’absolu”. Imaginer, comme le clament les pro-euthanasie, que le choix des patients sera “libre” relève de l’escroquerie intellectuelle ou de la bêtise crasse, au choix.
@ P2R
[« La question que vous posez est celle de savoir si l’individu s’appartient, et peut décider souverainement de sa mort, ou bien si même en fin de vie il a encore des devoirs envers la société. » Ce n’est pas une question de devoirs de l’individu envers la société, mais d’interdits que la société s’impose. Je n’ai rien à reprocher à l’individu qui se jette d’un pont, mais je pense qu’une société qui choisit de légitimer des idées suicidaires plutôt que de tenter de les prévenir et de les traiter prends un mauvais chemin.(…)]
Vous m’avez convaincu.
[ Vous m’avez convaincu.]
la satisfaction de voir ma thèse validée par l’implacable et très rigoureux cartésien peine, je l’avoue, à l’emporter sur la déception d’un débat écourté, pour lequel je fourbissais mes armes avec soin :). Vous me donneriez presque envie de me faire moi même avocat du diable !
Cher Descartes,
Permettez-moi de vous souhaiter une belle et heureuse année, et de vous redire ici le très grand plaisir et même l’honneur que j’ai à échanger avec vous, malgré – ou peut-être à cause de – nos désaccords. Je tiens à vous remercier pour la bienveillance, la courtoisie, la patience sans faille dont vous faites preuve, ainsi que pour l’attention que vous portez aux commentaires, à tous les commentaires, et pour la rigueur dont vous faites preuve dans vos réponses.
Concernant le déclin du débat, je ne peux que constater, à mon modeste niveau, l’incapacité grandissante des gens – y compris parmi ceux qui ont un réel bagage culturel – à accepter la confrontation avec des points de vue différents. Argumenter n’est plus à la mode. L’époque est au dogmatisme borné, aux postures morales. Cela étant dit, votre blog reste une bouffée d’oxygène: on peut encore y venir, “mettre les pieds dans le plat” comme on dit, et dire des choses qui seraient considérées comme “inacceptables” ailleurs. Et l’on sera contredit, parfois avec vigueur, mais jamais traité de “facho”. Rien que cela vous honore. Je vous le dis sans ambages: il n’y a que sur votre blog que j’ai l’impression d’assister à des débats intellectuels de bonne tenue. Lorsque je compare avec ce que j’entends à la radio ou ce que j’aperçois de la télévision (je la regarde très peu)…
Sur les thèmes abordés, je suis d’accord avec vous qu’on tourne un peu toujours sur les mêmes éléments. C’est pourquoi d’ailleurs je m’efforce pour ma part d’espacer mes commentaires, d’abord parce que pour l’essentiel vous connaissez mes positions et je connais les vôtres, et ensuite parce que je ne veux pas vous lasser avec les sempiternels sujets “identitaires”. Et puis, il y a aussi une forme d’ “aquoibonisme”, je ne le nie pas. L’exercice intellectuel du débat est certes intéressant, mais, comme vous le rappelez, on finit par avoir l’impression que tout est bloqué, que “rien ne changera”. A titre personnel, je l’avoue, je tends à me réfugier dans ma passion pour l’histoire antique et médiévale, et à me couper du monde le plus souvent possible.
D’un autre côté, il semble que ces sujets là intéressent et suscitent davantage de réaction. Comme vous ne cessez de le répéter, “il faut partir de ce que les gens ont dans la tête”. Si une part croissante des Français a des préoccupations “identitaires”, on est bien obligé d’en tenir compte… Mais il me semble que vous rattachez avec une habileté certaine ces questions à des thématiques plus complexes concernant l’Etat, la nation, la définition de la citoyenneté, l’approfondissement du capitalisme, la crise de la transmission, etc.
@ Carloman
[Concernant le déclin du débat, je ne peux que constater, à mon modeste niveau, l’incapacité grandissante des gens – y compris parmi ceux qui ont un réel bagage culturel – à accepter la confrontation avec des points de vue différents. Argumenter n’est plus à la mode. L’époque est au dogmatisme borné, aux postures morales.]
C’est bien ce que je constate. Il y avait un plaisir de la dialectique, comme il y a un plaisir dans le sport. Dans un débat, on ne convainc pas l’autre à tous les coups : il y a des fois où l’on gagne, des fois ou l’on perd, et le plus souvent on fait match nul. Mais on continue parce qu’il y a le plaisir de l’échange, de parce qu’il y a le plaisir subtil à polir arguments et contre-arguments, à consulter les sources, à chercher le fait qui fait pencher l’argument de votre côté, à construire des systèmes qui donnent cohérence à votre discours. J’avais il y a quelques années parlé de se blog comme d’un « salon » au sens qu’on donnait au XVIIIème siècle, ou l’on faisait un peu de politique sans négliger les plaisirs de la sociabilité et d’abord, celui de la conversation.
Je crains, malheureusement, que ce plaisir se perde dans ce monde ou « l’essentiel, c’est de gagner », comme le dit une publicité placardée dans le métro parisien. Les gens supportent si mal la frustration que toute défaite est vécue comme une remise en cause personnelle. On voit le changement dans les clubs sportifs – j’ai longtemps animé un club de judo – où les enfants (pour ne rien dire de leurs parents…) acceptent de moins en moins bien l’idée qu’ils peuvent ne pas gagner à tous les coups. Or, cette incapacité de prendre une certaine distance et de « prendre la victoire et la défaite comme deux imposteurs » tue la joie dans le débat.
[L’exercice intellectuel du débat est certes intéressant, mais, comme vous le rappelez, on finit par avoir l’impression que tout est bloqué, que “rien ne changera”. A titre personnel, je l’avoue, je tends à me réfugier dans ma passion pour l’histoire antique et médiévale, et à me couper du monde le plus souvent possible.]
Personnellement, je trouve vos interventions sur ces sujets – qui me passionnent mais sur lesquels j’avoue mon inculture – très intéressantes. Et cela ne manque pas d’intérêt aussi pour interpréter le monde actuel. Parce que, contrairement à ce que pensent les journalistes, le monde n’est pas né hier.
[Mais je ne peux non plus ignorer des éléments sur lesquels je n’ai guère de contrôle. Je pense au sentiment de blocage, à la conviction de plus en plus partagée que la politique telle qu’on la pratique aujourd’hui ne veut pas ou ne peut pas apporter des solutions aux problèmes, a l’impression d’un débat politique qui tourne en rond sur des question secondaires, alors que les questions vitales sont négligées. Ce sentiment, très partagé sinon dominant aujourd’hui dans la société, pèse aussi sur moi.]
Il y a plus qu’un sujet d’article, un vrai sujet de recherche sur la façon dont le secondaire s’impose à nous. Ces derniers jours, la quantité de prose produite autour de l’affaire Depardieu jurait terriblement avec l’actualité, en particulier internationale. Mais quoi, l’intérêt éditorial du thème “guerre des sexes” est clair: vous ciblez deux fois la moitié de la population, donc, si l’affaire croustille, tout le monde idéalement. C’est le genre de jeux dont nous sommes obsédés. Il n’est pas si évident de s’en abstraire.
@ Geo
[Il y a plus qu’un sujet d’article, un vrai sujet de recherche sur la façon dont le secondaire s’impose à nous. Ces derniers jours, la quantité de prose produite autour de l’affaire Depardieu jurait terriblement avec l’actualité, en particulier internationale.]
La technique du “rideau de fumée” n’est pas nouvelle. De tout temps les classes dominantes ont cherché à distraire le vulgus pecum, pour éviter qu’il mette le nez dans les affaires “sérieuses”, autrement dit, dans leurs affaires. “Du pain est des jeux”, disait-on à Rome: du pain parce que quand les besoins matériels ne sont pas satisfaits, le peuple est amené à se poser des questions. Des jeux, parce que pendant qu’on discute des qualités de tel ou tel gladiateur, on ne s’occupe pas des vraies affaires. Plus près de nous, pensez au président Sivardière, le patron du club de foot de Trincamp – et PDG de la principale usine du bled – dans “Coup de Tête”: “je paye onze imbéciles pour tenir tranquilles dix-mille”.
Mais plus la société est “transparente”, plus “l’information” est abondante, et plus les tirs de barrage de la distraction sont nourris. L’affaire Depardieu est de ce point de vue symptomatique. A grands coups de tribunes (1), des soi-disant “acteurs de la culture” glosent interminablement sur le traitement à réserver à un acteur qu’ils ont eux-mêmes, en d’autres temps, porté au pinacle. Les mêmes qui, hier, se battaient pour être sur un film avec “Dipardiou”, aujourd’hui le vouent aux Gémonies, comme s’ils découvraient aujourd’hui ce côté “bestial” qui l’a accompagné pendant toute sa carrière, et qui fit son succès. Franchement, quelle importance ? Depardieu a sa carrière faite: ses grands films, si tant est qu’il y en ait – personnellement, je ne l’ai jamais aimé comme acteur – sont derrière lui. Ceux qui auront envie de les regarder iront les voir, ceux qui n’en auront pas envie n’iront pas. Quel intérêt de débattre à l’infini si on doit exclure ses films de la télé publique au motif qu’il a été grossier dans une conversation privée ?
(1) A la lecture de la liste des signataires des différentes tribunes, je suis d’ailleurs étonné de l’absence de figures connues, d’artistes de premier rang. C’est un peu comme si les figurants de troisième zone profitaient de l’affaire pour se faire une notoriété sur le dos de l’idole tombée de son piédestal…
Bonjour Descartes;
je vous adresse, ainsi qu’à vos lecteurs, mes vœux pour 2024.
Cela commence avec une bonne nouvelle, la fameuse video de l’émission de 1984, Vive la crise, est accessible sur le site de l’INA https://madelen.ina.fr/content/vive-la-crise-1984-presente-par-yves-montand-76894
Je dois avouer que je participe moins aux forums de discussion car je trouve la scène intellectuelle française viciée, ennuyante…
Je constate que dans le monde anglosaxon certains intellectuels commencent à se poser des questions intéressantes :
Charles Marohn que je ne connais pas qui publiera prochainement un livre intitulé escaping the housing trap dit
“Housing is an investment. And investment prices must go up. Housing is shelter. When the price of shelter goes up, people experience distress. Housing can’t be both a good investment and broadly affordable—yet we insist on both. This is the housing trap. ”
D’autres personnes répondent :
“we can design our housing sector around scarcity for capital appreciation, or around abundance to minimize the burdens of shelter. If we want the latter, we need a different socioeconomic governance model for housing. Exhortations won’t suffice.”
“I think a general principle that needs policy design around it is that any goods deemed vital to welfare or production shouldn’t be an object of financial arbitrage. There are several ways you can design an economy to destroy incentives for arbitrage and exploitation of scarcity.”
@ Trublion
[Cela commence avec une bonne nouvelle, la fameuse video de l’émission de 1984, Vive la crise, est accessible sur le site de l’INA (…)]
A regarder de toute urgence. C’est une émission prophétique, que beaucoup à gauche avaient balayé comme trop « alarmiste » à l’époque… il est vrai qu’en ce temps-là les sympathisants « de gauche » s’imaginaient encore que « la gauche » au pouvoir allait « changer la vie » ! Il a fallu longtemps pour qu’ils réalisent qu’ils avaient été les idiots utiles – ou les complices – du projet néolibéral… certains ne l’ont d’ailleurs toujours pas réalisé !
[Je constate que dans le monde anglosaxon certains intellectuels commencent à se poser des questions intéressantes :]
Au moins, la scène intellectuelle anglosaxonne échappe en partie au moralisme et à la sensiblerie qui encombre la nôtre. Je ne suis pas un grand partisan du pragmatisme anglosaxon, mais je le préfère infiniment au sociologisme idéaliste français.
Je me permets de reprendre les mots de Sami, non par facilité mais parce que je les trouve parfaits : “merci de faire vivre ce blog, parfois avec beaucoup de courage, toujours avec intelligence et conviction”.
Je plagie aussi Carloman pour souligner “l’attention que vous portez aux commentaires, à tous les commentaires, et pour la rigueur dont vous faites preuve dans vos réponses.”
Votre rigueur est d’ailleurs ce que j’apprécie le plus : d’accord ou pas d’accord avec vous – je le suis dans la grande majorité des cas, ce qui ne facilite pas le “débat” et ne m’incite pas à commenter -, vous ne vous laissez pas guider par les émotions et prenez toujours le recul nécessaire qui rende ce blog et vos points de vue si uniques et intéressants. On l’a vu dernièrement, par exemple, sur le brûlant sujet de Gaza.
En dernier lieu, avant tout merci du temps que vous consacrez à ce salon, comme vous le décrivez si justement. Car écrire des billets argumentés et fouillés, sans compter répondre méticuleusement aux commentaires, comme vous le faites, en prend à l’évidence beaucoup, et c’est notre bien le plus précieux à tous.
Enfin, merci aux commentateurs qui enrichissent notablement le billet de départ.
A tous, bonne et prospère année 2024 !
Bonjour,
Bonne année à vous et le meilleur pour 2024.
Pour réagir à la problématique essentiel de ce papier qui est donnée dans la phrase suivante: “On poursuit là une baisse relative qu’on avait constaté l’année dernière. Comment l’expliquer ?”, je me permettrai de donner mon point de vue.
D’abord le contenu du blog qui colle trop souvent à l’actualité telle que présentée dans les medias. Sur ce blog on a des papiers sur l’actualité du moment mais aussi sur le monde politique français avec sa médiocrité ambiante.
Il n’y a pas de sujets rarement abordés dans les médias dominants tel que la politique étrangère de tel ou tel pays peu connus, ou un point de vue plus hétérodoxe sur telle ou telle question. C’est le gros défaut des papiers de ce blog. En gros c’est Descartes écrit que…, X, T, Z, réagissent sur le contenu et Descartes répond à X, puis à Y, puis à Z mais il n’y a aucun lien entre X,Y, Z et Descartes n’en fait pas lui non plus.
A aucun moment Descartes ne fait une synthèse des avis en cours ni dans l’absolu, ni en révisant, ou relativement à son papier.
En clair, à ce compte là, le débat se clôt rapidement et chacun reste dans sa vision des choses.
Enfin, Descartes ferait aussi bien de se souvenir de la pensée du premier Descartes qui, en plein XVII, lorsque les églises étaient puissantes, avait écrit: cogito, ergo sum”. pensée hérétique aux yeux de l’église car la créature osait envisager un Dieu malin et trompeur. Notre Descartes actuel ferait bien de revenir à ce concept et mettre infiniment plus de critique dans ses écrits, envisager réellement le Dieu malin!
@ SCIPIO
[D’abord le contenu du blog qui colle trop souvent à l’actualité telle que présentée dans les medias. Sur ce blog on a des papiers sur l’actualité du moment mais aussi sur le monde politique français avec sa médiocrité ambiante.]
J’ai fait l’exercice de regarder dans mes anciens papiers quels sont ceux qui ont suscité le plus de commentaires. Sans surprise, ce sont ceux qui collent de près à une « actualité » clivante. J’ai donc du mal à être d’accord avec votre idée selon laquelle ce serait cette proximité à l’actualité qui fait baisser le nombre de commentaires…
[En gros c’est Descartes écrit que…, X, T, Z, réagissent sur le contenu et Descartes répond à X, puis à Y, puis à Z mais il n’y a aucun lien entre X,Y, Z et Descartes n’en fait pas lui non plus.
A aucun moment Descartes ne fait une synthèse des avis en cours ni dans l’absolu, ni en révisant, ou relativement à son papier.]
Je n’empêche jamais un commentateur de répondre à un autre. Mais comme je l’ai noté par ailleurs, le fait que les échanges se fassent en mode « bilatéral » avec un modérateur unique tend à rendre le débat plus « civilisé » que si les gens se répondaient les uns aux autres. Et je ne vois pas l’intérêt de faire une « synthèse » du débat : l’intérêt ici est dans l’échange plus que dans la conclusion…
[Enfin, Descartes ferait aussi bien de se souvenir de la pensée du premier Descartes qui, en plein XVII, lorsque les églises étaient puissantes, avait écrit: cogito, ergo sum”. Pensée hérétique aux yeux de l’église car la créature osait envisager un Dieu malin et trompeur.]
Je crois que vous confondez. « cogito, ergo sum » résume la constatation que, dans la mesure où nous percevons le monde à travers nos sens, et que nos sens peuvent nous tromper, nous ne pouvons être sûrs que d’une chose : de notre pensée. Et donc notre « être » se résume à cette seule certitude. Et cette affirmation n’était pas tant révolutionnaire parce qu’elle concevait un « Dieu malin et trompeur » (après tout, le Dieu de l’ancien testament ne se prive pas de « tromper »…) mais parce qu’il affirmait d’une manière détournée que la présence de Dieu n’était pas, elle non plus, une évidence…
[Notre Descartes actuel ferait bien de revenir à ce concept et mettre infiniment plus de critique dans ses écrits, envisager réellement le Dieu malin!]
Je n’ai pas très bien compris en quoi consiste ce conseil. Pourriez-vous expliciter ?
“Je n’empêche jamais un commentateur de répondre à un autre.” Soit mais je ne lis pas souvent de réponses autres que les vôtres aux commentaires laissés.
“Mais comme je l’ai noté par ailleurs, le fait que les échanges se fassent en mode « bilatéral » avec un modérateur unique tend à rendre le débat plus « civilisé » que si les gens se répondaient les uns aux autres.”
Ce qui revient aussi à perdre la spontanéité du débat
“Et je ne vois pas l’intérêt de faire une « synthèse » du débat : l’intérêt ici est dans l’échange plus que dans la conclusion…”
Je précise, une synthèse au cours du débat résumant les avis pertinents et permettant à un débatteur qui ne souhaite pas (ou ne peut pas) lire tous les échanges de se faire une idée de la direction du débat.
“(après tout, le Dieu de l’ancien testament ne se prive pas de « tromper »…) ” Oui et ceci ne concerne pas que le Dieu de l’ancien testament (Ceux que Jupiter veut perdre il commence par les rendre fous comme dit le proverbe). Mais remarquez que la tromperie est ciblé sur les ennemis de Dieu jamais sur ses fidèles là est la différence avec Descartes.
“Je n’ai pas très bien compris en quoi consiste ce conseil. Pourriez-vous expliciter ?”
Je pensai être clair pourtant. Comme je l’ai dit: mettez plus de critique dans ce que vous écrivez (cf exemple ci-dessus sur Dieu) et essayer de concevoir aussi ce qui n’est pas forcément spontanément et intuitivement concevable comme le fit jadis René Descartes.
Pour être plus pratique je vous donne un exemple. J’ai lu, et c”est en accès libre, sur le site la tribune de l’art plusieurs longs articles sur le musée Cassagne à Lyon. L’auteur y présente longuement la nullité muséographique que constitue la présentation des collections. A cette nullité muséographique (ou présentée comme telle) je présenterai une autre nullité: celle de son auteur.
Dans tous ses articles, pas une seule fois, il ne fait mention de l’importance de la place financière de Lyon sous l’ancien régime. Si Paris puis Versailles (puis Paris à l’extrême fin de l’ancien régime) fût la capitale politique en France, Lyon, jusqu’en 1750 environ fût sa capitale financière.
En France resterait-il des domaines relevant de l’impensée?
Mon exemple n’est peut-être pas parfait mais c’est le seul qui ne vient à l’esprit sur l’instant.
@ SCIPIO
[“Je n’empêche jamais un commentateur de répondre à un autre.” Soit mais je ne lis pas souvent de réponses autres que les vôtres aux commentaires laissés.]
Ca arrive pourtant souvent, mais en général cela se fait indirectement. Dans un message qui m’est en principe adressé on répond à un tiers. Mais encore une fois, si les gens ont envie de se répondre directement, je n’ai jamais empêché personne et je publie ponctuellement ce type de commentaires (dès lors qu’ils respectent les règles de courtoisie).
[“Mais comme je l’ai noté par ailleurs, le fait que les échanges se fassent en mode « bilatéral » avec un modérateur unique tend à rendre le débat plus « civilisé » que si les gens se répondaient les uns aux autres.” Ce qui revient aussi à perdre la spontanéité du débat]
Oui. Mais ce que je vois la violence et la polarisation des interventions sur d’autres blogs me fait penser que la « spontanéité » apporte plus de problèmes que d’avantages… pour tout vous dire, je m’inspire des conseils que m’a donné un ami franc-maçon, qui m’a expliqué que dans les loges la qualité du débat tient en partie à la technique de la « triangulation » : les membres de la loge, dans leurs interventions, s’adressent toujours au Maître, et jamais les uns aux autres.
[“Et je ne vois pas l’intérêt de faire une « synthèse » du débat : l’intérêt ici est dans l’échange plus que dans la conclusion…” Je précise, une synthèse au cours du débat résumant les avis pertinents et permettant à un débatteur qui ne souhaite pas (ou ne peut pas) lire tous les échanges de se faire une idée de la direction du débat.]
Mais justement, le plaisir est dans le chemin, et non dans l’arrivée…
[“(après tout, le Dieu de l’ancien testament ne se prive pas de « tromper »…) ” Oui et ceci ne concerne pas que le Dieu de l’ancien testament (Ceux que Jupiter veut perdre il commence par les rendre fous comme dit le proverbe). Mais remarquez que la tromperie est ciblé sur les ennemis de Dieu jamais sur ses fidèles là est la différence avec Descartes.]
Pas du tout. Yahvé aime bien éprouver ses fidèles, et pour cela il n’hésite pas à les tromper…
[“Je n’ai pas très bien compris en quoi consiste ce conseil. Pourriez-vous expliciter ?”
Je pensai être clair pourtant. Comme je l’ai dit: mettez plus de critique dans ce que vous écrivez (cf exemple ci-dessus sur Dieu) et essayer de concevoir aussi ce qui n’est pas forcément spontanément et intuitivement concevable comme le fit jadis René Descartes.]
Je comprends de moins en moins. Cela veut dire quoi « mettre plus de critique » ? Pourriez-vous donner un exemple précis ? Celui que vous fournissez ci-dessous ne m’aide pas vraiment à compnrendre :
[Pour être plus pratique je vous donne un exemple. J’ai lu, et c”est en accès libre, sur le site la tribune de l’art plusieurs longs articles sur le musée Cassagne à Lyon. L’auteur y présente longuement la nullité muséographique que constitue la présentation des collections. A cette nullité muséographique (ou présentée comme telle) je présenterai une autre nullité: celle de son auteur.
Dans tous ses articles, pas une seule fois, il ne fait mention de l’importance de la place financière de Lyon sous l’ancien régime. Si Paris puis Versailles (puis Paris à l’extrême fin de l’ancien régime) fût la capitale politique en France, Lyon, jusqu’en 1750 environ fût sa capitale financière.
En France resterait-il des domaines relevant de l’impensée ?]
Je ne comprends rien. L’auteur de l’article exprime son opinion, vous estimez que cette opinion est erronée – ce que par ailleurs vous transformez en une attaque ad hominem en déduisant de cette erreur la « nullité » de son auteur – parce que l’auteur ne prend pas en compte un paramètre qui vous paraît fondamental. Fort bien. Quel rapport avec votre proposition de « mettre plus de critique » dans mes articles, ou de « essayer de concevoir aussi ce qui n’est pas forcément spontanément et intuitivement concevable » ?
[Mon exemple n’est peut-être pas parfait mais c’est le seul qui ne vient à l’esprit sur l’instant.]
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire vous viennent aisément »…
Merci de vos voeux, de votre assiduité et de votre suivi des lectures et commentaires.
On vous sait gré de publier tous les commentaires qui vous sont présentés.
Mais peut-être que votre souci de les présenter tous et, surtout, de les commenter en les présentant, en rend parfois sans doute rapide votre lecture et décevant votre commentaire du commentaire.
Vous pourriez sans doute plus souvent laisser passer des commentaires sans les commenter, permettant ainsi à vos lecteurs d’en juger eux-mêmes, allégeant du même coup la lecture de votre blog.
Respects.
@ claustaire
[Vous pourriez sans doute plus souvent laisser passer des commentaires sans les commenter, permettant ainsi à vos lecteurs d’en juger eux-mêmes, allégeant du même coup la lecture de votre blog.]
Je pourrais… mais outre que cela me procure un grand plaisir de participer au débat, je pense que ce fonctionnement “bilatéral” où chaque commentateur tient un dialogue public avec le modérateur y est pour beaucoup dans le climat apaisé des échanges, en contraste à d’autres blogs où les commentateurs dialoguent directement entre eux sans intervention – sauf exception – du modérateur. Vous noterez d’ailleurs que même ici, lorsque deux commentateurs s’interpellent directement, le ton est souvent beaucoup plus violent que lorsque le dialogue se fait par mon intermédiaire…
Alors, longue vie à ces échanges et à leurs auteurs 🙂
bonne année et meilleurs voeux.
Tenez bon!
Merci René d’être toujours à votre poste ! Il est vrai que j interviens peu… Avez-vous lu le livre de Fabien Bougle je crois sur le nucleaire ?
Je vous souhaite une très belle nouvelle année
Rogers
@ Rogers
[Avez-vous lu le livre de Fabien Bougle je crois sur le nucleaire ?]
Je l’ai feuilleté, j’ai trouvé que c’est pas mal comme travail de vulgarisation, même si c’est un peu superficiel.
Bonne année !
Votre blog est d’une grande importance pour ma formation politique, je ne cesserai jamais de le dire et de vous remercier. Je commente assez rarement, je l’avoue. Ma thèse touchant à sa fin, je souhaite revenir en France et y finir ma carrière. J’en profiterai pour m’engager plus politiquement. J’espère donc m’investir d’autant plus dans votre blog. D’ailleurs, je profite de ce message pour vous poser quelques questions :
-Vous mentionnez souvent, dans les commentaires ici-même, que les classes intermédiaires « récupèrent » la totalité de la valeur qu’ils produisent. Je ne comprends pas bien comment se fait cette récupération. Admettons un ouvrier qui produit de la valeur. Si j’ai compris la théorie, cette valeur est produite car l’ouvrier apporte une plus-value. Comme elle est siphonnée par les détenteurs des moyens de production, l’ouvrier récupère moins que ce qu’il a produit, donc est exploité. Pour qu’un individu récupère la totalité de la plus-value qu’il génère, ce qui le ferait appartenir aux classes intermédiaires, il faut soit qu’il travaille « à son compte » (par exemple un artisan ou un auto-entrepreneur ?) ou qu’il troc la plus-value qu’il génère par son travail par un autre type de valeur, je présume. C’est là où je ne comprends pas bien (en partant du fait que j’ai compris le reste). Vous mentionnez que le cadre est mieux payé que l’ouvrier car il récupère toute la valeur qu’il produit, échappant à l’exploitation. Cela voudrait-il dire, admettons, qu’un ouvrier produise 3000 euros de valeur, qu’un cadre en produise 2000 euros, mais comme le cadre « récupère tout », il est payé 500 euros de plus. Qui décide de ce mécanisme si ce n’est le patron ou les investisseurs ? Ce mécanisme est-il toujours conscient ? Est-il aussi consciemment vécu ? Un cadre avouera-t-il qu’il produit moins que des ouvriers (si cela est vécu comme une forme de dévalorisation) ?
-Je suis chercheur. Mon travail consiste à générer du savoir scientifique et je suis payé par l’Etat. J’ai tendance à me dire que j’appartiens aux classes intermédiaires. Néanmoins, dans le cas de la connaissance scientifique, un chercheur produit une forme de valeur qu’il est difficile d’évaluer. Est-il possible que si je ne produis pratiquement rien en trois ans de recherche, ou que si je génère des connaissances d’une importance immense pour l’industrie ou le développement de technologie, mon statut change ? Si ce que je produis ne sera important que dans 100 ans, est-ce rétroactif ? Dans le premier cas cité, on peut dire que je reçois la totalité, ou même plus que ce que je produis, ce qui peut me classer dans les classes intermédiaires. Mais dans le deuxième, suis-je « exploité » ? Par qui ? Pourtant, vous remarquerez que dans les deux cas, mon salaire est hypothétiquement le même (par exemple si les deux cas sont des élèves doctorants qui travaillent dans le même laboratoire). D’ailleurs je reviens sur mon exemple précédent, finalement qui n’est pas si différent. Un cadre fainéant et un cadre extrêmement efficace appartiennent-ils à la même classe (si on admet qu’ils travaillent dans la même entreprise et que le cadre fainéant « passe entre les mailles ») ?
Je m’excuse si tout cela est confus. Merci encore pour votre travail. Je suis certain que ce blog a encore de beaux jours devant lui !
@ Magpoul
[Votre blog est d’une grande importance pour ma formation politique, je ne cesserai jamais de le dire et de vous remercier.]
Ce compliment me va droit au cœur. Ma grande ambition en faisant ce blog c’était bien de transmettre. Si ce que je peux écrire peut aider d’autres à se former, j’en suis comblé.
[-Vous mentionnez souvent, dans les commentaires ici-même, que les classes intermédiaires « récupèrent » la totalité de la valeur qu’ils produisent. Je ne comprends pas bien comment se fait cette récupération. Admettons un ouvrier qui produit de la valeur. Si j’ai compris la théorie, cette valeur est produite car l’ouvrier apporte une plus-value.]
Attention à la terminologie. Dans le cadre de l’économie classique, le travail est la seule source de « valeur ». L’ouvrier produit donc de la « valeur », une valeur qui est donnée par le temps qu’il investit à sa tâche, ET NON A LA NATURE DE CELLE-CI. Autrement dit, une heure de travail d’un ingénieur produit la même « valeur » qu’une heure de travail d’un ouvrier. Ce résultat, démontré rigoureusement par Ricardo, est difficile à admettre parce qu’il est contre-intuitif. Il est néanmoins logique. Le marxisme y apporte un raffinement : ce n’est pas la quantité de travail qui donne la valeur du bien, mais la quantité de travail « socialement nécessaire » – c’est-à-dire, en utilisant les meilleures techniques disponibles dans une société. Ceci permet de tenir compte de l’évolution des techniques, question plus importante à l’époque de Marx qu’à celle de Ricardo. De cette « valeur » produite, une partie est siphonnée par le détenteur du capital. C’est cette partie qu’on appelle « plus-value » ou « surplus ».
[Comme elle est siphonnée par les détenteurs des moyens de production, l’ouvrier récupère moins que ce qu’il a produit, donc est exploité. Pour qu’un individu récupère la totalité de la plus-value qu’il génère, ce qui le ferait appartenir aux classes intermédiaires, il faut soit qu’il travaille « à son compte » (par exemple un artisan ou un auto-entrepreneur ?) ou qu’il troc la plus-value qu’il génère par son travail par un autre type de valeur, je présume.]
Non. Ma théorie est que le travailleur des « classes intermédiaires » apporte non seulement du travail, mais aussi un capital : des connaissances, des réseaux, des compétences qu’il a accumulées. En d’autres termes, en tant que travailleur il produit de la plus-value, en tant que capitaliste il l’empoche. Et par ce moyen il arrive à récupérer la totalité de la valeur qu’il produit, voir plus. Autrement dit, ce qui caractérise les « classes intermédiaires » est que leurs membres sont à la fois les salariés de leurs employeurs, et leurs « associés » par le biais de l’apport de capital immatériel. D’où leur positionnement ambigu dans les luttes sociales, quelquefois du côté des salariés, d’autres fois du côté des patrons…
[C’est là où je ne comprends pas bien (en partant du fait que j’ai compris le reste). Vous mentionnez que le cadre est mieux payé que l’ouvrier car il récupère toute la valeur qu’il produit, échappant à l’exploitation. Cela voudrait-il dire, admettons, qu’un ouvrier produise 3000 euros de valeur, qu’un cadre en produise 2000 euros, mais comme le cadre « récupère tout », il est payé 500 euros de plus. Qui décide de ce mécanisme si ce n’est le patron ou les investisseurs ?]
Attention, il ne faut pas confondre « valeur » et « prix ». La « valeur » est un paramètre intrinsèque au bien produit, qui résulte du processus de production. Le « prix » est donné par un équilibre entre offre et demande dans le cadre d’un marché plus ou moins imparfait – sans compter avec les interventions administratives. C’est vrai pour les biens, c’est aussi vrai pour le travail. Deux travailleurs de même niveau de compétence ne seront pas payés la même chose si les compétences dont ils disposent sont plus ou moins rares.
[Ce mécanisme est-il toujours conscient ? Est-il aussi consciemment vécu ? Un cadre avouera-t-il qu’il produit moins que des ouvriers (si cela est vécu comme une forme de dévalorisation) ?]
Ces mécanismes sont rarement conscients. Les classes dominantes produisent une idéologie qui déguise les rapports économiques pour leur donner une apparence de justice. Ainsi, alors que la théorie de la valeur, qui nous dit que le travail est la source UNIQUE de valeur, est le produit de travaux d’économistes « bourgeois » (Smith, Ricardo…), le discours dominant fait semblant de l’ignorer pour proclamer que le capitaliste lui aussi « crée de la valeur » en investissant sagement, et que la « valeur » créée par le travail qualifié est supérieure à celle créée par le travail non qualifié. La première affirmation justifie les revenus du capital, la seconde la hiérarchie des salaires…
[-Je suis chercheur. Mon travail consiste à générer du savoir scientifique et je suis payé par l’Etat. J’ai tendance à me dire que j’appartiens aux classes intermédiaires. Néanmoins, dans le cas de la connaissance scientifique, un chercheur produit une forme de valeur qu’il est difficile d’évaluer. Est-il possible que si je ne produis pratiquement rien en trois ans de recherche, ou que si je génère des connaissances d’une importance immense pour l’industrie ou le développement de technologie, mon statut change ?]
Pensez votre situation comme celle d’une entreprise d’exploration pétrolière à qui l’état confierait la recherche de gisements dans un périmètre donné : qu’elle découvre un immense gisement ou qu’elle ne découvre qu’un puits sec, elle sera payée la même somme. Le « bien » qu’elle produit, c’est la connaissance géologique du terrain, et cette connaissance a la même valeur qu’il y ait ou non un gisement. Le gisement est là, qu’on le découvre ou pas. Il n’est pas « produit » par la recherche.
En tant que chercheur, vous explorerez des voies qui se révèleront fructueuses… et d’autres qui se révèleront sèches. Le fait d’avoir démontré qu’une théorie est fausse a la même valeur que d’avoir démontré qu’une théorie est vraie…
[Si ce que je produis ne sera important que dans 100 ans, est-ce rétroactif ?]
Non. Encore une fois, la « valeur » est une propriété du bien, qui tient à la manière dont il a été produit, et non à l’usage qui en est fait. Je vois renvoie à la distinction entre « valeur », « valeur d’usage » et « valeur d’échange » (prix).
[Un cadre fainéant et un cadre extrêmement efficace appartiennent-ils à la même classe (si on admet qu’ils travaillent dans la même entreprise et que le cadre fainéant « passe entre les mailles ») ?]
Mais un cadre « fainéant » ne produit en principe pas la même quantité de biens ou services qu’un cadre travailleur, non ? Le fait qu’ils soient payés la même chose tient à une imperfection du marché… et oui, ils appartiennent à la même classe – de la même manière que l’ouvrier fainéant et l’ouvrier travailleur appartiennent à la même classe. Car si le premier est payé la même chose que le second, c’est lié à une imperfection du marché, qui empêche l’employeur de virer l’un et de garder l’autre !
Merci pour vos réponses.
Si je comprends bien, un ingénieur génère autant de valeur qu’un ouvrier car « à équivalence de poste », tous deux génèrent du travail socialement nécessaire, l’un pour un poste d’ingénieur, l’autre pour un poste d’ouvrier. En fait, la valeur n’est pas chiffrée en termes d’argent, mais c’est une mesure normalisée de la « nécessité sociale » d’un travail ? Reste à savoir comment déterminer la nécessité sociale d’un travail. Si je vous suis pour ce qui est des classes, un ingénieur produit 1h de valeur « travail ingénieur » liée à son poste et sa fonction et récupère cette heure sur son salaire. L’ouvrier produit une heure de « travail ouvrier » mais n’en récupère qu’un certains pourcentage. Cela implique aussi qu’un ouvrier d’une entreprise X peut potentiellement être mieux payé qu’un ingénieur d’une entreprise Y en fonction de multiples paramètres (modèle économique, utilité de la marchandise produite, profits, investissements ?). Il me semble que ce cas de figure existe largement. Cela peut aussi expliquer les différences de salaires entre publique et privé (dans notre société, une heure d’ingénieur « publique » est moins rémunérée, il me semble en moyenne, qu’une heure d’ingénieur « privé », quand bien même ils pourraient exercer des activités proches. Cela permet, aussi donc d’expliquer, comme vous l’écrivez que « deux travailleurs de même niveau de compétence ne seront pas payés la même chose si les compétences dont ils disposent sont plus ou moins rares », l’un étant plus « socialement nécessaire » que l’autre.
[Ma théorie est que le travailleur des « classes intermédiaires » apporte non seulement du travail, mais aussi un capital : des connaissances, des réseaux, des compétences qu’il a accumulées. En d’autres termes, en tant que travailleur il produit de la plus-value, en tant que capitaliste il l’empoche. Et par ce moyen il arrive à récupérer la totalité de la valeur qu’il produit, voir plus. Autrement dit, ce qui caractérise les « classes intermédiaires » est que leurs membres sont à la fois les salariés de leurs employeurs, et leurs « associés » par le biais de l’apport de capital immatériel.]
J’ai du mal à cerner par quel moyen un réseau important permettrait d’empocher sa propre plus-value. Est-ce parce que cela mène à l’estime de l’employeur qui lui donnera donc cette « plus-value » sur sa fiche de paie, ou sous forme de capital immatériel (considération sociale, agrandissement du réseau…) ?
[le discours dominant fait semblant de l’ignorer pour proclamer que le capitaliste lui aussi « crée de la valeur » en investissant sagement]
Je comprends le problème, car le capitaliste ne travaille pas, donc ne créer par de la valeur. Néanmoins, je me fais avocat du diable. Un investissement n’est-il pas un certain nombre d’heure de travail, donc de valeur produite indirectement ? Un investisseur ne doit-il pas lui aussi donc « travailler » pour choisir où investir pour produire cette valeur indirecte ?
[En tant que chercheur, vous explorerez des voies qui se révèleront fructueuses… et d’autres qui se révèleront sèches. Le fait d’avoir démontré qu’une théorie est fausse a la même valeur que d’avoir démontré qu’une théorie est vraie…]
Une voie sèche peut malheureusement mener à prouver que sa propre hypothèse est fausse. C’est souvent le cas, et cela m’est arrivé pendant mes travaux. Je ne publierai jamais ce résultat, car ils ne sont pas bienvenus dans les publications scientifiques. Dans ce cas, pour cette voie précise, je ne pense pas que cela ait la même valeur que vos deux exemples. C’est comme si un ouvrier produisait une marchandise et qu’il la mettait (ou qu’on lui ferait mettre) directement aux ordures. Comment qualifier cela ? Pour ma part, c’est du gâchis.
Merci d’avance pour vos réponses. Je suis navré si je suis un peu confus. Auriez-vous des ouvrages à me recommander sur ces sujets ?
@ Magpoul
[Si je comprends bien, un ingénieur génère autant de valeur qu’un ouvrier car « à équivalence de poste », tous deux génèrent du travail socialement nécessaire, l’un pour un poste d’ingénieur, l’autre pour un poste d’ouvrier.]
Non, pas du tout. La théorie de la valeur-travail tient au contraire au fait que tous les « postes » sont « équivalents ». Autrement dit, qu’une heure du travail d’un ingénieur produit la même valeur qu’une heure de travail d’un ouvrier. Le temps de travail devient la mesure universelle de la valeur. Cette équivalence tient au fait que le travail sert à produire les biens nécessaires au renouvellement de la force de travail, et que l’ingénieur et l’ouvrier ont besoin des mêmes choses pour renouveler celle-ci.
[En fait, la valeur n’est pas chiffrée en termes d’argent, mais c’est une mesure normalisée de la « nécessité sociale » d’un travail ?]
Plus que la « nécessité sociale », on pourrait parler de « l’utilité » d’un bien. En effet, si la valeur mesure la quantité de travail nécessaire pour produire un bien donné, le fait qu’une société soit prête à investir beaucoup de travail pour produire un bien donné – travail qui lui permettrait de produire un autre bien si elle le décidait – donne une indication de l’utilité que la société en question attache au bien concerné.
[Reste à savoir comment déterminer la nécessité sociale d’un travail. Si je vous suis pour ce qui est des classes, un ingénieur produit 1h de valeur « travail ingénieur » liée à son poste et sa fonction et récupère cette heure sur son salaire. L’ouvrier produit une heure de « travail ouvrier » mais n’en récupère qu’un certain pourcentage.]
Non. Tous deux produisent une heure de valeur. Il n’y a pas de différence du point de vue de la théorie de la valeur entre le « travail ouvrier » et le « travail ingénieur ». C’est ce point qui reste contre-intuitif dans la théorie de la valeur…
[Cela implique aussi qu’un ouvrier d’une entreprise X peut potentiellement être mieux payé qu’un ingénieur d’une entreprise Y en fonction de multiples paramètres (modèle économique, utilité de la marchandise produite, profits, investissements ?).]
Ici, vous confondez « valeur » et « prix ». Le « prix » du travail – c’est-à-dire, le salaire – est fixé par un équilibre offre-demande. Un ouvrier proposant une compétence très rare peut gagner plus qu’un ingénieur proposant une compétence abondante. Mais cela n’a rien à voir avec la valeur que chacun produit.
[Il me semble que ce cas de figure existe largement. Cela peut aussi expliquer les différences de salaires entre publique et privé (dans notre société, une heure d’ingénieur « publique » est moins rémunérée, il me semble en moyenne, qu’une heure d’ingénieur « privé », quand bien même ils pourraient exercer des activités proches.]
Là encore, vous faites une confusion. Si les salaires « monétaires » sont différents entre le privé et le public, c’est souvent parce qu’il faut compter dans le salaire un certain nombre d’avantages non-monétaires. Par exemple, il faudrait valoriser la sécurité de l’emploi ou les conditions de travail… Dites-vous bien que dans la mesure où le marché du travail est un marché libre, un ingénieur choisit entre le public et le privé en fonction des avantages qu’il tire de chaque poste. Si les avantages ne s’équilibraient pas, on aurait une migration massive du public vers le privé, ou viceversa.
[Cela permet, aussi donc d’expliquer, comme vous l’écrivez que « deux travailleurs de même niveau de compétence ne seront pas payés la même chose si les compétences dont ils disposent sont plus ou moins rares », l’un étant plus « socialement nécessaire » que l’autre.]
Pas du tout. Deux travaux également « nécessaires » ne seront pas payés au même niveau selon l’abondance des candidats capables de les réaliser. C’est une pure question d’équilibre offre-demande. Le salaire ne donne aucune information sur ce qui est « socialement nécessaire », uniquement sur la difficulté de trouver des gens capables dans un domaine donné.
[J’ai du mal à cerner par quel moyen un réseau important permettrait d’empocher sa propre plus-value. Est-ce parce que cela mène à l’estime de l’employeur qui lui donnera donc cette « plus-value » sur sa fiche de paie, ou sous forme de capital immatériel (considération sociale, agrandissement du réseau…) ?]
Les deux, mon général. L’employeur a besoin du capital qui consiste dans le réseau de ses salariés, et est donc prêt à rémunérer ce capital. Pensez par exemple aux hauts fonctionnaires qui se recasent dans le privé avec des très bons salaires du fait qu’ils disposent d’un bon « carnet d’adresses ». Par ailleurs, un « carnet d’adresses » s’enrichit par accumulation (et le processus d’accumulation est essentiel dans la constitution d’un capital). C’est là aussi une forme de rémunération – et c’est pourquoi on voit quelquefois des gens accepter un poste moins bien payé parce qu’on sait qu’on s’y fait un « bon carnet d’adresses »…
[« le discours dominant fait semblant de l’ignorer pour proclamer que le capitaliste lui aussi « crée de la valeur » en investissant sagement » Je comprends le problème, car le capitaliste ne travaille pas, donc ne créer par de la valeur. Néanmoins, je me fais avocat du diable. Un investissement n’est-il pas un certain nombre d’heure de travail, donc de valeur produite indirectement ? Un investisseur ne doit-il pas lui aussi donc « travailler » pour choisir où investir pour produire cette valeur indirecte ?]
Pas nécessairement. Il peut salarier un banquier privé ou un gestionnaire de fortune qui feront ce travail pour lui. Il est important de distinguer les fonctions, même si certaines personnes peuvent en assumer plusieurs, entre l’entrepreneur, le financier, le capitaliste. L’entrepreneur crée et fait tourner une entreprise, le financier trouve les meilleurs investissements, le capitaliste possède le capital. On trouve des capitalistes qui sont aussi les financiers et même les entrepreneurs. Un entrepreneur qui possède son usine reçoit une rémunération en tant qu’entrepreneur – qui est la rémunération de son travail – et une autre en tant que propriétaire du capital, qui est un prélèvement sur le travail de ses employés.
[« En tant que chercheur, vous explorerez des voies qui se révèleront fructueuses… et d’autres qui se révèleront sèches. Le fait d’avoir démontré qu’une théorie est fausse a la même valeur que d’avoir démontré qu’une théorie est vraie… » Une voie sèche peut malheureusement mener à prouver que sa propre hypothèse est fausse. C’est souvent le cas, et cela m’est arrivé pendant mes travaux. Je ne publierai jamais ce résultat, car ils ne sont pas bienvenus dans les publications scientifiques. Dans ce cas, pour cette voie précise, je ne pense pas que cela ait la même valeur que vos deux exemples. C’est comme si un ouvrier produisait une marchandise et qu’il la mettait (ou qu’on lui ferait mettre) directement aux ordures. Comment qualifier cela ? Pour ma part, c’est du gâchis.]
Je suis d’accord avec vous. Publier un papier montrant qu’une hypothèse est fausse a une utilité réelle – celle d’éviter que d’autres équipes gâchent du temps et des moyens à la poursuivre. J’ignore dans quel camp de la connaissance vous œuvrez, mais en physique par exemple il est courant de publier des résultats négatifs (pensez par exemple aux publications négatives de tous ceux qui ont cherché à vérifier les dires de Flishmann et Pons sur la fusion froide). Pensez aussi à l’échec de l’expérience de Michelson et Morley, dont la postérité fut brillante…
[Auriez-vous des ouvrages à me recommander sur ces sujets ?]
Pas vraiment, si ce n’est les classiques : « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations » d’Adam Smith, « Des principes de l’économie politique et de l’impôt » de David Ricardo, et bien sûr « Salaire, prix et profit » de Marx.
@Descartes
Merci pour vos recommandations et vos réponses, je n’ai plus qu’à travailler.
Je suis microbiologiste. Il est fréquent de lire des papiers qui remettent en question ou contredisent des hypothèses précédemment publiées. Par contre, je n’ai pas souvenir d’avoir lu un papier publiant un échec pure et simple, aussi utile qu’il puisse être. En fait, l’échec peut être publié, mais uniquement si il sert une “histoire” qui mène au succès (nous pensions X, X est faux, alors nous avons pensé Y, Y est probable).
Ce que j’ai remarqué, c’est que les “voies sèches” étaient en réalité valorisées via le superviseur et son réseau (collaboration), et le chercheur lui-même (non, n’essaye pas X, j’ai/il a essayé et cela n’a pas marché). Néanmoins, vu que l’on ne publie pas ces voies sèches, cela finit par se perdre à moins d’avoir une excellente mémoire.
J’aimerai mener un groupe de recherche pendant ma carrière. J’ai comme objectif de fournir, avec chaque papier publié, une rubrique “voie sèche” en fichier supplémentaire, qui pourrait transmettre ces résultats aux plus curieux. Nous verrons si cela marche auprès des éditeurs. Il y a de plus en plus de consensus dans notre domaine pour publier ces voies sèches, donc il est possible que cela finisse par changer…
@ Magpoul
[Je suis microbiologiste. Il est fréquent de lire des papiers qui remettent en question ou contredisent des hypothèses précédemment publiées. Par contre, je n’ai pas souvenir d’avoir lu un papier publiant un échec pure et simple, aussi utile qu’il puisse être. En fait, l’échec peut être publié, mais uniquement s’il sert une “histoire” qui mène au succès (nous pensions X, X est faux, alors nous avons pensé Y, Y est probable).]
On peut comprendre que dans un milieu compétitif on n’aime pas présenter un simple échec, surtout dans une société centrée sur le succès individuel, et qui a oublié qu’en matière scientifique les grandes découvertes sont bâties sur un travail collectif, et que sans de nombreux échecs la grande découverte n’aurait jamais eu lieu. Einstein a beaucoup de mérite à avoir renversé le paradigme avec sa théorie de la relativité, mais il a été amené à le faire suite à l’échec des théories des autres à expliquer l’échec des expériences…
[Ce que j’ai remarqué, c’est que les “voies sèches” étaient en réalité valorisées via le superviseur et son réseau (collaboration), et le chercheur lui-même (non, n’essaye pas X, j’ai/il a essayé et cela n’a pas marché). Néanmoins, vu que l’on ne publie pas ces voies sèches, cela finit par se perdre à moins d’avoir une excellente mémoire.]
Il est regrettable que la pression individualiste d’affichage empêche de publier ce genre de résultats. Je constate d’ailleurs que selon les domaines, la vision est différente. En physique nucléaire, on n’a pas ce genre de pudeurs, et une expérience qui contredit une théorie est souvent plus valorisée qu’une expérience qui la confirme…
J’ajoute qu’il y a une technique rhétorique qui permet de publier les “voies sèches”: si l’on fait une expérience pour vérifier la théorie que A est corrélé à B, et que le résultat montre le contraire… on change la théorie. On présente dans le papier une théorie selon laquelle A n’est pas corrélé à B… et du coup l’expérience est un succès!
Bonjour,Je ne commente jamais votre blog, bien que j’en sois un lecteur assidu. Les raisons sont multiples, mais simples: Je suis Suisse et vis en Suisse; je m’intéresse beaucoup à la politique française, car je vois celle-ci en contre-exemple presque parfait (et aussi, il est vrai, parce que, comparée à la monotonie de la politique suisse, la politique française remplit la basse inclination pour un voyeurisme qui n’est pas sans rappeler celui des spectateurs de télé-réalité…). L’autre raison est que je suis dans l’essentiel d’accord avec vous.Je tiens également à vous signaler que je distribue souvent des copies de vos billets à mes élèves, adolescents pour la plupart, jeunes adultes parfois, afin de servir d’illustration quant à la manière de rédiger et de tenir un argumentaire à la fois cohérent, construit et compréhensif. Vous avez donc, en plus de ces lecteurs virtuels, des lecteurs de papier.Excellent début d’année à vous, et au plaisir de vous lire.
@ Reddawks
[Je tiens également à vous signaler que je distribue souvent des copies de vos billets à mes élèves, adolescents pour la plupart, jeunes adultes parfois, afin de servir d’illustration quant à la manière de rédiger et de tenir un argumentaire à la fois cohérent, construit et compréhensif. Vous avez donc, en plus de ces lecteurs virtuels, des lecteurs de papier.]
Merci beaucoup de cet encouragement ! Vous savez combien pour moi la question de la transmission est importante…
Bonne année à vous et à vos proches, cher René, que je n’aurai jamais oser rêver comme l’ ami etle camarade actuel sans ce blog.
Vous avez dialogué avec brio et talents sur tant de posts que votre blog constitue un élèment essentiel de ma joie de vivre.
Merci d’avoir briser ma solitude de plusieurs décennies jusqu’en 2009 où j’ai découvert votre blog.
Je resterai fidèle au blog , car j’y trouve des éléments de réflexions qu’on ne trouve pas ailleurs.
C’est la guerre provoquée et entretenue par l’Otan en Ukraine qui m’occupe à 110% aujourd’hui.
La réinformation chronophage,obligatoire et nécessaire m’a déterminé à ne plus intervenir sur votre blog.
Cependant je vous lis car le combat pour la paix passe par le combat pour la lucidité. Votre démarche exemplaire m’inspire et m’aide.
Le combat argumenté se poursuit,
bonne continuation alors à votre discours .
La victoire partielle ,de la Raison est certaine ,ici ,sur votre blog en attendant qu’elle le soit sur Terre. .
Bonjour et meilleurs voeux pour une année qui sera certainement riche en évènements pas toujours joyeux…
Vous notiez une diminution de fréquentation de votre blog, l’année dernière. Je pense qu’à des raisons déjà évoqués il faut en rajouter de trois sortes: l’effet d’une “timidité prudente” à aborder certains sujets (j’y reviendrai) tels que Gaza, Mélenchon. Une autre raison que je précise aujourd’hui, mais ne développe pas car il me faut bien y réfléchir avant de parler, tient à la difficulté du sujet abordé, qui nécessite d’y convoquer des interlocuteurs intéressés multiples… et se sentant concernés au fond d’eux-mêmes. Il s’agit de questions assez théoriques sur le marxisme. J’ai bien lu vos échanges avec Magpoul sur la question de la valeur, de la plus-value, etc… Elles sont fondamentales et pour ma part je pense qu’elles sont à creuser. Je ne comprends pas en effet certaines distinctions entre classes moyennes et prolétariennes, quant à la valeur, que vous faites. Pour résumer l’affaire, je ne comprends pas l’idée selon laquelle l’ingénieur (j’en été un avant ma retraite) serait rémunéré sans fournir au capitalisme sa quote-part de plus-value). Donc, à bientôt sur ce sujet passionnant, dont les développements sur votre site devraient y favoriser la fréquentation des internautes!…
Réponse Descartes du 7/1/24
Dans un précédent commentaire je vous précisais mon intention de revenir sur les raisons d’une certaine désaffection en 2023, que vous aviez constatée vous-même, pour les commentaires des internautes sur votre blog. Je pense, quant à moi en sus de raisons déjà invoquées par d’autres, qu’ il faut ne pas négliger deux aspects.
Au cours de cette année un sujet général a dominé dans l’information publique : Gaza et tout ce qui tourne autour. Mais une difficulté prévaut pour s’exprimer sur ce sujet, ressentie à coup sûr par beaucoup d’internautes pourtant intéressés quant au fond : c’est un sujet très sensible et qui risque de rencontrer des oppositions fortes de la part de certains lecteurs. Cela commande une grande prudence d’expression, notamment dans les aspects antisémitisme, antisioniste, anti -islamiste, etc… D’où souvent : mieux vaut se taire que s’exposer à des remontrances diverses et désagréables, voire à pire. Ce phénomène est renforcé par un climat général adopté par les média et beaucoup d’hommes politiques. Ils refusent pratiquement d’entrée de jeu une expression sur ce sujet qui ne serait pas précédée d’un « mot de passe » : le Hamas est terroriste, le 7 octobre est de sa part une action terroriste, etc… Le « terrorisme intellectuel » imputable à cette façon de faire entraine à coup sûr, chez un internaute, un réflexe de prudence renforcée : il est probable (la lecture de votre blog tend à me le confirmer) que cet effet stérilisant a pu contribuer à la (relative) désaffection du blog. Qu’en pensez-vous ?
Un autre phénomène a pu s’ajouter et renforcer le précédent, bien que moins effrayant, heureusement ! Il concerne les commentaires que sont susceptibles de provoquer les pensées de Mélenchon. Là aussi, les média, certains hommes politiques ou simplement certains internautes, ont choisi, pour éviter d’aborder des controverses au fond, de ridiculiser a priori JLM, ou certains propos de sa part, d’entrée de jeu. Quoi qu’il dise on a jeté un discrédit sur l’homme et sa pensée. Après un tel constat, il est inutile d’en savoir plus et de faire fonctionner son cerveau pour décortiquer ses assertions. Du coup, bien sûr, on peut se dispenser de discuter certaines questions : elles proviennent d’un rigolo. On peut être frustré de contourner une discussion de fond sur certains problèmes dignes de discussion approfondie et qui font polémique à propos des sujets abordés par Mélenchon … souvent voués aux gémonies dans les medias.
@ Abbé Béat
[Au cours de cette année un sujet général a dominé dans l’information publique : Gaza et tout ce qui tourne autour. Mais une difficulté prévaut pour s’exprimer sur ce sujet, ressentie à coup sûr par beaucoup d’internautes pourtant intéressés quant au fond : c’est un sujet très sensible et qui risque de rencontrer des oppositions fortes de la part de certains lecteurs. (…) Le « terrorisme intellectuel » imputable à cette façon de faire entraine à coup sûr, chez un internaute, un réflexe de prudence renforcée : il est probable (la lecture de votre blog tend à me le confirmer) que cet effet stérilisant a pu contribuer à la (relative) désaffection du blog. Qu’en pensez-vous ?]
Je n’y avais pas pensé, mais c’est une explication plausible. Mais l’effet, s’il existe, doit être marginal. D’une part, parce que l’attaque du 7 octobre arrive seulement au dernier trimestre de l’année, et d’autre part parce que, vous l’aurez remarqué, je n’ai finalement pas consacré beaucoup de papiers à cette question.
[Un autre phénomène a pu s’ajouter et renforcer le précédent, bien que moins effrayant, heureusement ! Il concerne les commentaires que sont susceptibles de provoquer les pensées de Mélenchon. Là aussi, les média, certains hommes politiques ou simplement certains internautes, ont choisi, pour éviter d’aborder des controverses au fond, de ridiculiser a priori JLM, ou certains propos de sa part, d’entrée de jeu. Quoi qu’il dise on a jeté un discrédit sur l’homme et sa pensée. Après un tel constat, il est inutile d’en savoir plus et de faire fonctionner son cerveau pour décortiquer ses assertions. Du coup, bien sûr, on peut se dispenser de discuter certaines questions : elles proviennent d’un rigolo. On peut être frustré de contourner une discussion de fond sur certains problèmes dignes de discussion approfondie et qui font polémique à propos des sujets abordés par Mélenchon … souvent voués aux gémonies dans les medias.]
Je ne vois pas en quoi cela pourrait réduire le nombre de commentaires…
Suite Rép. Descartes du 8/I/24.
Je continue ici mon précédent message, par quelques réflexions que m’inspire l’échange antérieur que vous avez eu avec Magpoul. Comme lui, je pense qu’il serait intéressant de poursuivre dans votre blog des réflexions inspirées du marxisme auquel vous avez souvent recours (bien que la référence au Maître y soit ou non explicitée !). Je me considère aussi marxiste, mais à ma façon. Cela signifie que je tire de la lecture de textes de Marx une interprétation personnelle, qui est peut-être souvent fausse ou approximative. En tout cas qui demande à être corrigée ou discutée. Il y a d’ailleurs dans les traductions de Marx en français, que l’on trouve ici ou là, de nombreuses divergences, et il peut être difficile de s’y retrouver (je ne connais pas l’allemand). Un exemple à ce titre : une petite brochure ancienne du PCF est intitulée : « Salaire, prix et profit » ; l’équivalent dans le texte de la Pléiade que je possède est : « Salaire, prix et plus-value ». Ce qui n’est pas la même chose, notamment en considération de vos remarques sur le terme « plus-value » utilisé par Marx. Le profit est un mot relevant du commerce, le second une abstraction de Marx concernant la « valeur », c’est-à-dire une quantité de travail humain « socialement nécessaire » pour réaliser un produit (matériel ou immatériel), qui lui-même sera mis sur le marché, lequel en déterminera un « prix », sur la base de la loi de l’offre et la demande. Ce sont des notions qui méritent d’être bien définies. Notamment le qualificatif de « socialement nécessaire ». Pour moi, il s’agit de l’ensemble des gestes ou pensées humaines juste suffisants à réaliser l’objet, une espèce de moyenne en somme qui incorpore du travail de chercheurs, d’ingénieurs, de travailleurs de divers corps de métier, y compris, en fin de course, de livreurs, de publicistes, d’éboueurs pour les déchets, etc… Chacun intervenant dans l’affaire dans certaines proportions. Sommes-nous en phase ?
A ce sujet, je n’ai pas compris votre exclusion des travailleurs de la « classe intermédiaire » de la chaîne du « socialement nécessaire », d’où leur exclusion du prélèvement de plus-value sur leur dos. Pour moi, ils sont aussi des travailleurs, rémunérés de différentes façons par le Capital, donc susceptibles sur cette base, de s’unir avec les plus exploités du Capital, à la base (ceux qu’on nomme les prolétaires). Donc, théoriquement pouvant s’unir avec ceux-ci pour « changer les choses », en abattant le Capital. Une union de la classe intermédiaire et de la classe ouvrière, ou populaire est donc possible pour cela, et probablement nécessaire. Mais l’expérience des « unions de la gauche » depuis Miterrand en France a bien montré que la chose n’est pas facile. Pourquoi ? Je pense que l’identification des « travailleurs intermédiaires » en une nouvelle 3ème classe, en sus des deux premières identifiées par Marx, dans une période de naissance du capitalisme, l’explique. Comme vous le dites, la classe intermédiaire balance entre deux pôles en fonction des circonstances (circonstances d’ailleurs fortement pilotées par le Capital). Cette classe entrainée par ses leaders, eux-mêmes très liés au Capital de multiples façons, trahit en somme sa destinée en permanence et bloque ainsi un rapprochement organique avec la classe ouvrière, ou populaire.
Je fais ici un aparté : le terme « classe ouvrière » me parait désormais ambigu. Comme plus haut, je me demande souvent s’il ne résulte pas à l’origine d’une mauvaise traduction de l’allemand. Pour moi, il désignerait la portion de travailleurs de base, ceux en somme qui portent le marteau et la faucille. Ce qui exclue précisément les travailleurs intermédiaires…qui, pourtant malgré votre avis, fournissent au Capital leur quote-part de plus-value, sont dons exploités. Je pense que cette confusion, sauf erreur de ma part, provient là-aussi d’une traduction peut-être erronée de Marx (au lieu de « classe ouvrière », il faudrait dire « classe des travailleurs » sous-entendu « exploités par le Capital » qui les délestent d’une part de la plus-value qu’ils créent par leur travail). Cette longue dénomination, valable pour prolétaires et classe intermédiaire…. n’a pu évidemment prévaloir, vu sa longueur, et n’a laissé substituer que les « prolétaires »(sous-entendu de base) et les « classes moyennes » ou intermédiaires. En introduisant ainsi une terminologie qui favorise la confusion. D’où, peut-être, votre assertion que les classes intermédiaires seraient exemptées de verser au Capital leur quote-part de plus-value ?
Cette ambiguïté, je la retrouve ailleurs, et cela me pose souvent des interrogations … sans conclusion certaine. Par exemple le slogan fameux : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » On peut lui donner deux interprétations. La première, communément admise seule, et d’ailleurs en phase avec sa période de création, correspondant à la gestation initiale d’une Internationale ouvrière, signifie : quel que soit votre pays d’origine, unissez-vous entre vous. La deuxième, ignorée et pourtant de plus en plus nécessaire : dans chaque pays quel qu’il soit, prolétaires (au sens ci-dessus d’exploités du Capital, ce qui inclut prolétaires de base et intermédiaires) unissez-vous ! En fait cette interprétation légitimerait, en marxisme et quant au fond, les «unions de la gauche » que l’on a connues entre « classe ouvrière » et « classe moyenne », PCF et PS. Mais je pense que ces unions n’ont pas été bâties selon ce schéma de classe… mais seulement comme des alliances électorales de circonstance. On s’est privé ainsi d’une approche d’union beaucoup plus élaborée sur le plan théorique : d’où l’échec persistant de constructions non travaillées au corps. Ne faut-il pas reprendre le problème en approfondissant cet aspect de classe ?
@ Abbé Béat
[En tout cas qui demande à être corrigée ou discutée. Il y a d’ailleurs dans les traductions de Marx en français, que l’on trouve ici ou là, de nombreuses divergences, et il peut être difficile de s’y retrouver (je ne connais pas l’allemand).]
Je pense que l’approche exégétique n’est pas la bonne. Les batailles pour savoir si le maître avait dit qu’il fallait « abolir » le capitalisme ou plutôt le « dépasser » m’ont toujours paru une perte de temps. Comprendre ce que Marx a cherché à dire est important pour l’histoire de la philosophie, mais n’a aucune importance pour celui qui cherche à analyser le réel. Pour cela, mieux vaut interpréter le texte, et voir en quoi il explique – ou pas – les phénomènes que nous observons. Et le cas échéant, corriger cette interprétation. Le fait de savoir si cette interprétation reflète ou non la pensée du Maître n’a guère d’intérêt opérationnel.
[Un exemple à ce titre : une petite brochure ancienne du PCF est intitulée : « Salaire, prix et profit » ; l’équivalent dans le texte de la Pléiade que je possède est : « Salaire, prix et plus-value ». Ce qui n’est pas la même chose, notamment en considération de vos remarques sur le terme « plus-value » utilisé par Marx.]
Au contraire : si vous suivez mon interprétation, le « profit » est issu de la « plus-value ». Le profit du capitaliste est équivalent à la somme de la plus-value extraite du travail de ses salariés. Je ne connais pas l’Allemand, mais les deux titres que vous citez sont, du moins dans une perspective marxiste, équivalents.
[Le profit est un mot relevant du commerce, le second une abstraction de Marx concernant la « valeur », c’est-à-dire une quantité de travail humain « socialement nécessaire » pour réaliser un produit (matériel ou immatériel), qui lui-même sera mis sur le marché, lequel en déterminera un « prix », sur la base de la loi de l’offre et la demande.]
Pas dans le vocabulaire marxiste. Le « profit » n’est que la traduction de la « plus-value » extraite.
[Ce sont des notions qui méritent d’être bien définies. Notamment le qualificatif de « socialement nécessaire ». Pour moi, il s’agit de l’ensemble des gestes ou pensées humaines juste suffisants à réaliser l’objet, une espèce de moyenne en somme qui incorpore du travail de chercheurs, d’ingénieurs, de travailleurs de divers corps de métier, y compris, en fin de course, de livreurs, de publicistes, d’éboueurs pour les déchets, etc… Chacun intervenant dans l’affaire dans certaines proportions. Sommes-nous en phase ?]
Non. Marx donne une définition très précise du « travail socialement nécessaire ». Ce paramètre est introduit pour une raison simple : la théorie de la valeur travail telle que formulée par Ricardo laisserait penser qu’un tapis fabriqué main et un tapis tissé par une machine, quand bien même ils seraient parfaitement identiques, auraient une « valeur » différente puisque la somme de travail nécessaire à leur production n’est pas la même. La « valeur » ne serait donc pas intrinsèque à l’objet, mais dépendrait de son histoire. A cette objection, Marx répond qu’il ne faut pas prendre la somme de travail EFFECTIVEMENT investie dans la fabrication d’un objet, mais la somme de travail nécessaire en utilisant les méthodes et techniques disponibles dans une société donnée. Ainsi, dans une société qui connait le tissage mécanique, deux tapis identiques ont la même « valeur », qui est le somme de travail nécessaire pour le produire par tissage mécanique, et cela même s’il a été fabriqué à la main. C’est cette somme de travail qui serait « le travail socialement nécessaire » à la production de votre tapis. Vous noterez que l’augmentation de la productivité diminue la valeur des objets, puisqu’il faut chaque fois moins de travail pour les produire…
[A ce sujet, je n’ai pas compris votre exclusion des travailleurs de la « classe intermédiaire » de la chaîne du « socialement nécessaire »,]
Je n’ai jamais rien dit de la sorte.
[Pour moi, ils sont aussi des travailleurs, rémunérés de différentes façons par le Capital, donc susceptibles sur cette base, de s’unir avec les plus exploités du Capital, à la base (ceux qu’on nomme les prolétaires).]
La question n’est pas de savoir si ce sont des « travailleurs », mais de savoir si leur rémunération reflète la valeur qu’ils produisent. Si cette rémunération est égale – voire supérieure – à la valeur que leur force de travail produit, alors ils n’y a pas de « plusvalue » produite…
[Donc, théoriquement pouvant s’unir avec ceux-ci pour « changer les choses », en abattant le Capital.]
Cela suppose que « changer les choses » les conduirait à améliorer leur situation. Pourriez-vous m’expliquer en quoi les « classes intermédiaires » bénéficieraient de l’abolition du capitalisme ?
[Une union de la classe intermédiaire et de la classe ouvrière, ou populaire est donc possible pour cela, et probablement nécessaire. Mais l’expérience des « unions de la gauche » depuis Miterrand en France a bien montré que la chose n’est pas facile. Pourquoi ? Je pense que l’identification des « travailleurs intermédiaires » en une nouvelle 3ème classe, en sus des deux premières identifiées par Marx, dans une période de naissance du capitalisme, l’explique. Comme vous le dites, la classe intermédiaire balance entre deux pôles en fonction des circonstances (circonstances d’ailleurs fortement pilotées par le Capital).]
Non. La « classe intermédiaire » poursuit ses INTERETS – comme les autres classes, d’ailleurs. Dans un certain contexte, deux classes peuvent avoir intérêt à soutenir les mêmes politiques : le gaullo-communisme est un exemple ou l’on a vu une bourgeoisie nationale et le prolétariat soutenir les mêmes politiques. Il est donc « possible » que les classes intermédiaires et le prolétariat puissent coïncider à un moment donné pour soutenir la même politique. Mais ce n’est certainement pas le cas aujourd’hui, parce que leurs INTERETS les mettent au contraire en conflit.
[Cette classe entrainée par ses leaders, eux-mêmes très liés au Capital de multiples façons, trahit en somme sa destinée en permanence et bloque ainsi un rapprochement organique avec la classe ouvrière, ou populaire.]
« Trahit sa destinée » ? C’est quoi, la « destinée » des classes intermédiaires ? Je ne sais pas d’où vous sortez une vision téléologique des classes intermédiaires. Les classes ont des INTERETS, elles n’ont pas une « destinée »…
[Je fais ici un aparté : le terme « classe ouvrière » me parait désormais ambigu. Comme plus haut, je me demande souvent s’il ne résulte pas à l’origine d’une mauvaise traduction de l’allemand. Pour moi, il désignerait la portion de travailleurs de base, ceux en somme qui portent le marteau et la faucille.]
Pour Marx, il n’y a pas d’ambiguïté : ce sont ceux qui produisent de la plus-value. La lecture de ses écrits ne laisse guère d’ambiguïté.
[Ce qui exclue précisément les travailleurs intermédiaires…qui, pourtant malgré votre avis, fournissent au Capital leur quote-part de plus-value, sont donc exploités.]
Autrement dit, vous pensez que si demain le capital disparaissait, et que les travailleurs recevaient la totalité de la valeur qu’ils produisent, les classes intermédiaires verraient leur niveau de vie augmenter ?
[Je pense que cette confusion, sauf erreur de ma part, provient là-aussi d’une traduction peut-être erronée de Marx (au lieu de « classe ouvrière », il faudrait dire « classe des travailleurs » sous-entendu « exploités par le Capital » qui les délestent d’une part de la plus-value qu’ils créent par leur travail).]
Encore une fois, aucun « sous entendu » n’est nécessaire. Pour Marx, la « classe ouvrière » (ou pour être plus précis, la « classe prolétarienne ») désigne ceux qui produisent de la plusvalue. Mais tous les travailleurs ne produisent pas de plusvalue. Pensez-vous par exemple que le PDG de Total – qui, rappelons-le, n’est qu’un salarié et ne possède pas le capital de son entreprise – fournit de la « plusvalue » à son employeur ? Pensez-vous que sa situation se verrait améliorée avec la fin du capitalisme ?
[D’où, peut-être, votre assertion que les classes intermédiaires seraient exemptées de verser au Capital leur quote-part de plus-value ?]
Elles en sont exemptées parce qu’elles sont autant des « salariés » que des « associés », puisqu’ils contribuent avec leur « capital immatériel » au fonctionnement de l’entreprise. Ce n’est pas une question de terminologie, mais une différence structurelle. L’ouvrier amène une compétence abondante et facilement remplaçable, qui ne lui donne aucun pouvoir de négociation. L’ingénieur amène une compétence rare et difficilement remplaçable, qui constitue un capital.
[Par exemple le slogan fameux : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » On peut lui donner deux interprétations. La première, communément admise seule, et d’ailleurs en phase avec sa période de création, correspondant à la gestation initiale d’une Internationale ouvrière, signifie : quel que soit votre pays d’origine, unissez-vous entre vous. La deuxième, ignorée et pourtant de plus en plus nécessaire : dans chaque pays quel qu’il soit, prolétaires (au sens ci-dessus d’exploités du Capital, ce qui inclut prolétaires de base et intermédiaires) unissez-vous ! En fait cette interprétation légitimerait, en marxisme et quant au fond, les «unions de la gauche » que l’on a connues entre « classe ouvrière » et « classe moyenne », PCF et PS.]
Pensez-vous vraiment que le slogan « prolétaires de tous les pays, unissez-vous » s’adresse au PDG (salarié) de Total ? Vraiment ?
Changer les définitions afin de donner aux formules consacrées le sens qui nous arrange et de légitimer n’importe quoi, c’est toujours possible. Mais à mon avis, c’est un jeu stérile. Et qui occulte la réalité. Parce que la réalité aujourd’hui, c’est que depuis la fin des années 1960 les classes intermédiaires sont passées du côté de la bourgeoisie, et n’ont pas perdu une seule opportunité de marginaliser les couches populaires en soutenant les politiques néolibérales. Pourquoi, à votre avis ? Une théorie politique doit répondre aux questions posées par le réel, plutôt que de s’échiner à justifier telle ou telle alliance politique qui vous paraitrait désirable…
[Mais je pense que ces unions n’ont pas été bâties selon ce schéma de classe… mais seulement comme des alliances électorales de circonstance.]
Mais pourquoi, à votre avis ? Quel est le mécanisme qui fait qu’une fois l’alliance arrivée au pouvoir, les classes intermédiaires trahissent systématiquement leurs alliés populaires ? Il doit bien y avoir une raison… et compte tenu du fait que cela arrive sous tous les cieux et dans tous les pays, on ne peut l’expliquer par la trahison de tel ou tel dirigeant…
[On s’est privé ainsi d’une approche d’union beaucoup plus élaborée sur le plan théorique : d’où l’échec persistant de constructions non travaillées au corps. Ne faut-il pas reprendre le problème en approfondissant cet aspect de classe ?]
C’est exactement ce que j’essaye de faire. Je reprends le problème en approfondissement l’aspect de classe, et cette reprise me convainc qu’une alliance entre les classes intermédiaires et les couches populaires aujourd’hui est tout bonnement impossible. Que voulez-vous que je vous dise : je ne vais pas jeter par-dessus bord une théorie au motif qu’elle n’aboutit pas à la conclusion que je souhaite…
@ Descartes
[Pensez-vous par exemple que le PDG de Total – qui, rappelons-le, n’est qu’un salarié et ne possède pas le capital de son entreprise – fournit de la « plus-value » à son employeur ? Pensez-vous que sa situation se verrait améliorée avec la fin du capitalisme ?]
[Pensez-vous vraiment que le slogan « prolétaires de tous les pays, unissez-vous » s’adresse au PDG (salarié) de Total ? Vraiment ?]
Excusez-moi de m’insérer ainsi dans votre discussion mais elle me rappelle un peu ce que nous disions il y a quelques jours au sujet de l’hétérogénéité des classes moyennes. Cette hétérogénéité me paraît justement importante dès lors qu’on parle d’alliance de classe. Car vous prenez ici l’exemple du PDG de Total qui fait forcément apparaître comme ridicule l’idée même d’une alliance entre lui et le prolétariat…mais cette incompatibilité me paraît nettement moins évidente si l’on prend, en exemple de classes moyennes, un technicien de laboratoire, un contremaître, une institutrice ou une infirmière. Le PDG de Total aurait peut-être beaucoup à perdre à la fin du capitalisme (et encore…même collectivisées, les entreprises auraient besoin de directeurs et il faudrait calculer assez précisément si la perte de salaire ne pourrait pas être compensée par d’autres avantages issus de la fin du capitalisme – mais bon, soyons honnêtes, je me fais là l’avocat du diable), mais les quatre emplois précédemment cités auraient-ils autant à perdre ?
[L’ouvrier amène une compétence abondante et facilement remplaçable, qui ne lui donne aucun pouvoir de négociation. L’ingénieur amène une compétence rare et difficilement remplaçable, qui constitue un capital.]
Cela m’amène à une autre question. Que faire des ouvriers dont la compétence n’est ni abondante ni aisément remplaçable ? L’histoire du mouvement ouvrier en France montre que ce sont souvent des ouvriers qualifiés qui sont à l’origine de l’organisation ouvrière : ouvriers d’art dans le bâtiment, fabricants d’instruments de musique, peintres sur porcelaine, gantiers, tailleurs, etc… Or, ces ouvriers disposaient justement de maîtrise de leur métier qui leur donnait un moyen de pression sur leur employeur (moyen de pression très puissant à Paris et Lyon, dominées jusque dans l’entre-deux-guerres par des petites entreprises en concurrence entre elles et donc où il était facile d’aller chez le concurrent ou de menacer de le faire). Pourtant, jamais personne, ni à l’époque ni aujourd’hui, ne remettait en cause leur appartenance au monde ouvrier.
@ Goupil
[Excusez-moi de m’insérer ainsi dans votre discussion mais elle me rappelle un peu ce que nous disions il y a quelques jours au sujet de l’hétérogénéité des classes moyennes. Cette hétérogénéité me paraît justement importante dès lors qu’on parle d’alliance de classe. Car vous prenez ici l’exemple du PDG de Total qui fait forcément apparaître comme ridicule l’idée même d’une alliance entre lui et le prolétariat…mais cette incompatibilité me paraît nettement moins évidente si l’on prend, en exemple de classes moyennes, un technicien de laboratoire, un contremaître, une institutrice ou une infirmière.]
Mais en quoi l’hétérogénéité est moindre dans d’autres classes ? La distance entre le PDF de Total et une institutrice est-elle plus grande que celle qu’il y a entre un capitaliste dont le capital s’évalue en milliards, et le capitaliste qui détient quelques dizaines de milliers d’euros ?
L’intérêt de la notion de « classe » tient justement à leur hétérogénéité. L’idée que des gens qui se ressemblent ont les mêmes intérêts est pratiquement tautologique. Ce qu’apporte le concept de « classe » au sens marxiste du terme est précisément l’idée que des gens qui sont dans des situations très différentes tout en occupant des positions semblables dans le mode de production ont des intérêts communs. Et cette construction théorique explique assez bien des phénomènes réels. Le PDG de Total et une institutrice vivent des situations différentes… mais tous deux ont peu de chances de voter RN, tous deux ont voté « oui » à l’Euro, et tous deux accordent une grande importance au parcours scolaire de leurs enfants. Une coïncidence ?
[mais les quatre emplois précédemment cités auraient-ils autant à perdre ?]
En l’absence d’expériences socialistes concluantes, c’est difficile à dire empiriquement. Mais si l’on veut mieux payer les couches populaires, il faudra bien que l’argent sorte de quelque part…
[Cela m’amène à une autre question. Que faire des ouvriers dont la compétence n’est ni abondante ni aisément remplaçable ? L’histoire du mouvement ouvrier en France montre que ce sont souvent des ouvriers qualifiés qui sont à l’origine de l’organisation ouvrière : ouvriers d’art dans le bâtiment, fabricants d’instruments de musique, peintres sur porcelaine, gantiers, tailleurs, etc…]
Un point de détail mais qui a son importance. Les ouvriers qualifiés sont souvent à l’origine d’organisations CORPORATIVES sur le modèle des anciennes corporations artisanales, mais pas vraiment de « l’organisation ouvrière ». Pour sortir d’une pure organisation par métiers et aller vers une organisation qui reconnaît l’unité de la revendication ouvrière il a fallu attendre au contraire les grandes industries (mines, filatures, textile, sidérurgie, chemins de fer, gaz et électricité…) où la main d’œuvre était massive et donc aisément remplaçable.
[Or, ces ouvriers disposaient justement de maîtrise de leur métier qui leur donnait un moyen de pression sur leur employeur (moyen de pression très puissant à Paris et Lyon, dominées jusque dans l’entre-deux-guerres par des petites entreprises en concurrence entre elles et donc où il était facile d’aller chez le concurrent ou de menacer de le faire). Pourtant, jamais personne, ni à l’époque ni aujourd’hui, ne remettait en cause leur appartenance au monde ouvrier.]
Marx en parle, lorsqu’il fait mention de « l’aristocratie ouvrière », qu’il appelle aussi « prolétariat bourgeois ». D’une certaine manière, on trouve quelque chose qui ressemble un peu à mon idée de « classes intermédiaires »…
“Cette guerre provoquée et entretenue par l’Otan en Ukraine”…
“le combat pour la paix passe par le combat pour la lucidité”…
Avec votre redoutable lucidité et votre puissance argumentaire, on souhaite juste que vous ne combattiez pas trop pour la paix, si vous nous permettez, humblement, de vous le suggérer.
Maurice et Patapon
@ claustaire
[Avec votre redoutable lucidité et votre puissance argumentaire,]
Votre commentaire n’est guère mieux argumenté que celui de Luc et Maurice…
Mon commentaire était juste une provocation (à la Maurice et Patapon) en réponse à une infox tout aussi provoquante. : il suffit de demander aux Ukrainiens venus se réfugier parmi nous pour savoir qui leur fait la guerre.
@ claustaire
[il suffit de demander aux Ukrainiens venus se réfugier parmi nous pour savoir qui leur fait la guerre.]
Si vous demandez aux Russes, vous aurez probablement la réponse contraire. Comment savoir qui a raison ?
Ce sont effectivement par centaines de milliers que les Russes ont fui leur pays victime de l’invasion de chars ukrainiens et de bombardements d’avions et de missiles ukrainiens. D’ailleurs le monde entier a entendu le président ukrainien annoncer une opération militaire spéciale contre la Russie et menacer de recourir à l’arme nucléaire si quelqu’un se mettait en travers de cette opération… Comment savoir ? Qui ? QAnon ?
@ claustaire
[Ce sont effectivement par centaines de milliers que les Russes ont fui leur pays victime de l’invasion de chars ukrainiens et de bombardements d’avions et de missiles ukrainiens.]
Non. Faut croire qu’ils sont beaucoup plus patriotes…
[D’ailleurs le monde entier a entendu le président ukrainien annoncer une opération militaire spéciale contre la Russie et menacer de recourir à l’arme nucléaire si quelqu’un se mettait en travers de cette opération… Comment savoir ? Qui ? QAnon ?]
Le sarcasme est souvent un argument faible. Le président ukrainien n’avait certes pas annoncé une “opération militaire spéciale”. Il a par contre annoncé une intégration dans l’OTAN/UE qui avait pour effet de créer une menace vitale aux portes de la Russie. Bien entendu, le gouvernement russe aurait pu copier le choix qu’avait fait la France en 1936, lors du réarmement de la Rhénanie: ne rien faire et laisser se constituer une menace mortelle à ses frontières. L’expérience a permis de juger de la pertinence de ce choix…
@ Claustaire
[“Ce sont effectivement par centaines de milliers que les Russes ont fui leur pays victime de l’invasion de chars ukrainiens et de bombardements d’avions et de missiles ukrainiens.”]
Tout à fait. Ou plus exactement, il s’agit de près de trois millions de “russes”, si vous entendez par là les russophones du Donbass, désormais russes à part entière, qui sont allés, si l’on en croit l’UNHCR, trouver refuge en Russie.
[“D’ailleurs le monde entier a entendu le président ukrainien annoncer une opération militaire spéciale contre la Russie et menacer de recourir à l’arme nucléaire si quelqu’un se mettait en travers de cette opération… Comment savoir ? Qui ? QAnon ?”]
Je ne sais pas. Peut-être auriez-vous une référence quant à l’existence d’une telle menace qui, je dois dire, m’avait jusqu’ici échappé ?
@ Descartes
Tous mes vœux de bonne année Descartes ! Permettez-moi de regretter que vous ne consacriez pas plus de place, dans votre blog, à la guerre en Ukraine. Personnellement, je dois dire que c’est le seul sujet qui m’intéresse en ce moment.
@ dsk
[Permettez-moi de regretter que vous ne consacriez pas plus de place, dans votre blog, à la guerre en Ukraine. Personnellement, je dois dire que c’est le seul sujet qui m’intéresse en ce moment.]
En toute honnêteté, je ne consacre pas plus de place parce que je n’ai pas grande chose à dire. J’aime réfléchir, mais pour qu’une réflexion soit valable, il faut qu’elle se fonde sur des faits établis, ou du moins probables. Or, nous savons en fait très peu de chose sur ce qui se passe REELLEMENT en Ukraine. “Le Monde”, qui fut il y a déjà quelque temps une référence mondiale en termes de rigueur et de qualité d’information, est devenu une feuille de propagande otanienne (lisez les articles de Florence Aubenas, leur envoyé spéciale à Kiev, je vous assure que c’est tellement gros que ça en devient ridicule). Les radios et les télévisions sont bourrés de pseudo-experts – officiers à la retraite, journalistes à la recherche d’une pige, “politologues” auto-désignés – qui n’y connaissent pas plus que vous et moi, mais parlent avec une belle assurance sur le mode du “pourquoi pas”. Dans ces conditions, le mieux est de suspendre le jugement et d’attendre des informations fiables.
Le seul sujet qu’on peut traiter sérieusement, ce sont les causes de la guerre, parce que nous avons des informations sérieuses sur l’histoire de la région depuis vingt ou trente années. Mais pour le reste… je préfère ne pas rejoindre le chœur de ceux qui parlent sans savoir. Tout au plus, je me permets de contre-argumenter les discours moralisateurs qui tentent de nous ramener à une vision manichéenne des rapports internationaux.
@ Descartes
[“J’aime réfléchir, mais pour qu’une réflexion soit valable, il faut qu’elle se fonde sur des faits établis, ou du moins probables. Or, nous savons en fait très peu de chose sur ce qui se passe REELLEMENT en Ukraine. “Le Monde”, qui fut il y a déjà quelque temps une référence mondiale en termes de rigueur et de qualité d’information, est devenu une feuille de propagande otanienne (lisez les articles de Florence Aubenas, leur envoyé spéciale à Kiev, je vous assure que c’est tellement gros que ça en devient ridicule). Les radios et les télévisions sont bourrés de pseudo-experts – officiers à la retraite, journalistes à la recherche d’une pige, “politologues” auto-désignés – qui n’y connaissent pas plus que vous et moi, mais parlent avec une belle assurance sur le mode du “pourquoi pas”. Dans ces conditions, le mieux est de suspendre le jugement et d’attendre des informations fiables.”]
Eh bien je pense que vous pourrez attendre longtemps avant de pouvoir “réfléchir”. Je ne vois pas pourquoi les médias, qui aujourd’hui, par incompétence autant que par parti pris antirusse ne nous délivrent pas d'”informations fiables”, se mettraient subitement à le faire dans le futur. Emmanuel Todd, en tout cas, ne semble pas partager votre point de vue, puisqu’il vient de publier, si j’ai bien compris, un livre sur le sujet.
@ dsk
[Eh bien je pense que vous pourrez attendre longtemps avant de pouvoir “réfléchir”. Je ne vois pas pourquoi les médias, qui aujourd’hui, par incompétence autant que par parti pris antirusse ne nous délivrent pas d’”informations fiables”, se mettraient subitement à le faire dans le futur.]
Pas avant la fin de la guerre en tout cas. Ce n’est qu’une fois que les canons se sont tus qu’on commence à écrire l’histoire. Tant que l’information est une arme, peu de chances qu’elle nous arrive… comme disait Churchill, « la vérité est précieuse, si précieuse qu’elle doit être protégée par une forteresse de mensonges… ».
[Emmanuel Todd, en tout cas, ne semble pas partager votre point de vue, puisqu’il vient de publier, si j’ai bien compris, un livre sur le sujet.]
Faut bien faire bouillir la marmite…
@Descartes
[Le seul sujet qu’on peut traiter sérieusement, ce sont les causes de la guerre].
Quelles sont-elles selon vous ?
@ Bob
[Quelles sont-elles selon vous ?]
J’avais fait un papier sur ces questions. Pour résumer: lors de la dissolution du pacte de Varsovie, il avait été accordé entre l’URSS et les Etats-Unis que l’OTAN n’avancerait pas sur le vide stratégique ainsi créé, ce qui de facto créait un ensemble d’états-tampon entre l’OTAN et l’URSS. Avec la dissolution de l’URSS, les Américains ont oublié leurs promesses et poussé leur avantage, avec l’adhésion successivement des états baltes, de la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie, créant ainsi une forme d’encerclement de la Russie européenne. La Russie avait protesté à cet élargissement, et avait bien marqué dans son discours qu’il y avait des “lignes rouges” à cette expansion, notamment au Caucase et en Ukraine. Le coup d’Etat – car il faut appeler un chat un chat – pro-européen fin 2013 qui renverse le président Viktor Ianoukovytch, pourtant élu dans un scrutin reconnu comme transparent et démocratique par l’OSCE, lorsque celui-ci refuse de signer l’accord d’association avec l’UE sonne une première alarme. La Russie estime que la “ligne courge” a été franchie et répond en occupant la Crimée et en favorisant le séparatisme des régions russophones.
L’élection de Zelensky à la présidence en 2019 marque une détente avec la Russie: le nouveau président négocie avec la Russie un cessez le feu dans les régions séparatistes et un échange de prisonniers, ainsi que différents accords. Cela provoque une pression accrue des milieux liés à l’UE et l’OTAN, qui finissent par infléchir la politique extérieure de l’Ukraine, aboutissant à une déclaration de Zelensky selon laquelle l’adhésion de son pays à l’OTAN et à l’UE était dans les cartes. A partir de là, la guerre était inévitable, sauf pour la Russie à perdre toute crédibilité internationale.
@ Descartes
[“Pas avant la fin de la guerre en tout cas. Ce n’est qu’une fois que les canons se sont tus qu’on commence à écrire l’histoire.”]
Fort bien. Attendons donc plutôt que tout ceci ait dégénéré en troisième guerre mondiale avant d’y “réfléchir”. En attendant, les russophobes hystériques ne se gênent pas, quant à eux, pour s’exprimer à longueur de médias. J’observe, en tout cas, que vous ne faîtes pas preuve de la même prudence de sioux quand il s’agit de vos sujets de prédilection : on s’aperçoit aujourd’hui, en effet, que la nouvelle ministre de l’éducation ne s’était en rien montrée “sincère”. C’est le problème, d’ailleurs, avec ces anciens cadres du privé : la faiblesse des syndicats faisait qu’ils leur était loisible, dans leurs anciennes fonctions, de raconter n’importe quoi impunément.
[Emmanuel Todd, en tout cas, ne semble pas partager votre point de vue, puisqu’il vient de publier, si j’ai bien compris, un livre sur le sujet.] [“Faut bien faire bouillir la marmite…”]
Je suis loin d’être un fan d’Emmanuel Todd, dont je trouve le travail de chercheur assez peu convaincant, mais votre jugement me semble tout de même excessif : je pense que son objectif est avant tout d’influer sur le débat public en instrumentalisant son statut de chercheur.
@ dsk
[Fort bien. Attendons donc plutôt que tout ceci ait dégénéré en troisième guerre mondiale avant d’y “réfléchir”. En attendant, les russophobes hystériques ne se gênent pas, quant à eux, pour s’exprimer à longueur de médias.]
Mais que suggérez-vous ? Que j’écrive sur la question alors que je n’ai accès à aucune information fiable sur ce qui se passe, que ce soit sur le terrain ou dans les chancelleries ? Je peux répéter une position de principe – que la France doit penser à ses intérêts, et pas devenir le supplétif des intérêts américains, et que notre intérêt n’est pas de voir la Russie affaiblie ou humiliée – mais je vois pas ce que je pourrais faire d’autre.
[J’observe, en tout cas, que vous ne faîtes pas preuve de la même prudence de sioux quand il s’agit de vos sujets de prédilection : on s’aperçoit aujourd’hui, en effet, que la nouvelle ministre de l’éducation ne s’était en rien montrée “sincère”.]
Relisez ma démonstration, et vous verrez que la question de la « sincérité » ne concernait pas les raisons pour lesquelles elle avait change son enfant d’école, mais son diagnostic sur la dégradation de l’école publique. Encore une fois, plus que les dires de la ministre ce qui m’intéresse est plutôt la réaction du système politico-médiatique – qui reflète pour une large part celle des classes intermédiaires. J’ai presque envie de dire que l’indignation suscitée par les déclarations ministérielles est presque totalement confinée à ces couches-là. Pourquoi ? Parce que c’est dans ces couches que se manifeste avec acuité le conflit entre les grands principes et l’envie de donner à ses enfants toutes les chances. Les ouvriers – et j’en connais quelques-uns – qui sont conscients de l’importance de l’éducation et qui envoient leurs enfants dans le privé pour les faire échapper à la détermination sociale – quitte à faire d’importants sacrifices – se posent beaucoup moins de questions existentielles…
[C’est le problème, d’ailleurs, avec ces anciens cadres du privé : la faiblesse des syndicats faisait qu’il leur était loisible, dans leurs anciennes fonctions, de raconter n’importe quoi impunément.]
Je ne pense pas que ce soit une question de faiblesse des syndicats. Mais dans le privé, l’exposition publique est minimale. Un ministre, ce n’est pas un DRH. Il a une fonction symbolique, et par conséquent ses faits et gestes sont scrutés et interprétés, ses affirmations vérifiées. C’est pourquoi les vieux routiers de la politique s’abstiennent prudemment de toute affirmation vérifiable…
[Je suis loin d’être un fan d’Emmanuel Todd, dont je trouve le travail de chercheur assez peu convaincant, mais votre jugement me semble tout de même excessif : je pense que son objectif est avant tout d’influer sur le débat public en instrumentalisant son statut de chercheur.]
Mais est-ce que la fin justifie les moyens ? Parce que le lobby américain prend des libertés avec les faits, faut-il faire la même chose au motif « d’influer sur le débat public » ? Je pense que c’est là une question qui en fait tient au rapport au temps. Mentir – ou plus banalement parler sans savoir – cela peut payer sur le court terme. Mais sur le long terme, vous perdez votre crédibilité.
@Descartes
Je réponds à votre message sur la difficulté de comprendre ce qui se passe réellement en Ukraine ici, parce que l’autre fil devient trop long.
Je dirais qu’au contraire on peut savoir beaucoup de choses, au moins jusqu’à un certain niveau de certitude. Les réseaux sociaux (Telegram, surtout) foisonnent de vidéos de et d’images, sans parler des divers témoignages des soldats ou autres partis prenants. Au niveau tactique, les techniques de géolocalisation sont assez avancées et, avec les rapports qui nous parviennent des différents reporters de guerre, on peut savoir assez précisément où se situent les combats, les lignes de front, etc. au niveau hebdomadaire sinon plus finement. On peut déduire des informations sur l’importance de tel armement ou tel facteur, par exemple : l’artillerie où la Russie a un avantage certain en termes de canons et de munitions, les drones, les mines (qui ont fait des hécatombes pendant la contre-offensive ukrainienne de l’été dernier), etc.
Plus généralement, cette guerre nous a réaffirmé (s’il en était besoin) l’importance de la masse, et que la quantité est parfois une qualité en soi. On a vu aussi que la Russie a su mobiliser son industrie afin de produire ce dont son armée avait besoin, alors que l’Occident largement désindustrialisé n’en a pas été capable (même si, il faut le reconnaître, les enjeux ne sont pas les mêmes des deux côtés). Une réflexion sur les modes de gestion respectifs de l’industrie (de l’armement, mais plus globalement aussi) en Russie et dans l’Occident serait intéressante ici. Je ne connais pas assez bien le contexte industriel russe, mais j’ai l’impression qu’ils ont gardé de la capacité de production inutilisée sous la main (en plus des stocks énormes d’armes hérités de l’URSS), afin de pouvoir rapidement augmenter la production quand le besoin se présenterait. A comparer à la gestion en Occident, où très souvent la capacité est dimensionnée en fonction des besoins de court terme et la production elle-même (de la conception jusqu’à la fabrication et la vente) a plus pour objectif de gonfler les profits des industriels plutôt qu’à satisfaire les besoins de l’armée (je pense ici surtout aux Etat-Unis avec leurs plateformes hyper-chères mais dont l’utilité peut être contestable). Me vient à l’esprit votre billet sur la non-stratégie énergétique européenne, où vous expliquez la différence entre stratégie, qui prend en considération des potentialités diverses, et le système de régulation par les seuls prix, où tout est calé sur les besoins court-terme.
Autre chose qu’on a pu apprendre depuis le début de cette guerre : les capacités d’ISR de chaque côté rendent très difficile les grandes concentrations de troupes. L’élément de surprise de l’attaquant est donc difficile à acquérir, si ce n’est au niveau tactique. Cela pourrait expliquer le choix fait par les russes de ne pas s’élancer dans de grands mouvements, et d’opter plutôt pour une stratégie d’attrition. Aussi, à pas mal de reprises (Kharkov, Kherson), on a vu les russes reculer quand le rapport de forces n’était pas en leur faveur, alors que les ukrainiens tendent à vouloir défendre coûte que coûte tout leur terrain, quitte à se laisser enfermer dans des chaudrons. A ma connaissance, les russes ne se sont jamais laissés enfermer dans un chaudron de taille importante, alors que c’est arrivé plusieurs fois aux ukrainiens. Après, quelle conclusion tirer de cette dernière observation ? Est-ce que le russes sont plus rationnels que les ukrainiens, qui se laissent dicter leurs choix par les besoins de médiatisation du conflit, ou par leurs partenaires occidentaux ? Ou est-ce que, au contraire, ils font le choix de tout défendre parce qu’il savent que toute reconquête sera extrêmement par la suite ? De manière plus générale, si tant est qu’on puisse vérifier un fait observé, quelle conclusions peut-on en tirer ?
Et c’est là où vient la plus grande difficulté, à mon avis : nous ne sommes pas sur les champs de bataille, ni dans la tête des gens qui font cette guerre. Quand bien même on sait ce que font les acteurs, on ne peut que deviner les raisons. S’ajoute à cela que le rapport bruit/signal, comme on dit, est très élevé, non seulement du fait de la propagande et des mensonges de tous côtés, mais aussi de la masse d’informations et de petits détails qui peuvent être intéressants, certes, mais qui n’apportent pas grand-chose à l’observateur lambda. Et il ne faut pas oublier aussi que la stratégie n’est pas la somme des tactiques.
Pour conclure, je pense qu’on peut apprendre, ou du moins essayer d’apprendre, pas mal de choses sur ce conflit, mais là où je vous rejoins, et vous donne in fine raison, c’est qu’il faut non seulement y consacrer un temps et une énergie considérables, mais aussi une certaine expertise de la chose militaire, et là encore on peut se tromper de bonne foi. Pour ma part, j’évite les sources primaires (vidéos et images ou autres) que j’arrive difficilement à comprendre, et me contente de suivre des gens que je considère compétents et plus ou moins honnêtes, en exerçant toujours un esprit critique bien sûr. Je suis conscient que l’image que j’en ai peut être assez éloignée de la réalité, mais en attendant que les historiens futures fassent leur travail, c’est le mieux que je puisse faire. C’est déjà passionnant et riches d’enseignements.
@ KerSer
[Je dirais qu’au contraire on peut savoir beaucoup de choses, au moins jusqu’à un certain niveau de certitude. Les réseaux sociaux (Telegram, surtout) foisonnent de vidéos de et d’images, sans parler des divers témoignages des soldats ou autres partis prenants. Au niveau tactique, les techniques de géolocalisation sont assez avancées et, avec les rapports qui nous parviennent des différents reporters de guerre, on peut savoir assez précisément où se situent les combats, les lignes de front, etc. au niveau hebdomadaire sinon plus finement.]
Je ne partage pas votre optimisme. Ce qu’on voit circuler sur les réseaux sociaux est très difficile à authentifier et à mettre dans un contexte. On voit des images, mais on ne sait pas avec certitude quand et où elles ont été prises, et si elles n’ont pas été scénarisées, modifiées ou tout simplement sorties de contexte. Les rapports qui nous parviennent des reporters sont fatalement biaisés, parce que de nos jours les armées ne laissent pas les reporters se balader comme ils le veulent, et aussi parce que ces reporters sont envoyés par des médias qui ont un intérêt dans l’affaire. Prenez par exemple le reporteur du « Monde », Florence Aubenas. Ses reportages sont tellement orientés, ils font tellement peu la différence entre l’ouï-dire et les faits constatés de visu, qu’il est impossible de leur accorder la moindre confiance.
Comme vous le dites plus bas, quelqu’un qui aurait une expertise sur ces sujets et beaucoup de temps à sa disposition pourrait peut-être extraire quelques informations de cette masse de bavardages. Et encore, j’ai mes doutes…
[On peut déduire des informations sur l’importance de tel armement ou tel facteur, par exemple : l’artillerie où la Russie a un avantage certain en termes de canons et de munitions, les drones, les mines (qui ont fait des hécatombes pendant la contre-offensive ukrainienne de l’été dernier), etc.]
Oui, sur le plan militaire, on peut tirer quelques enseignements. Mais il s’agit en général de la confirmation des choses qu’on savait déjà, à savoir, que la doctrine russe reste fondée sur une armee nombreuse et relativement « rustique », là où la doctrine occidentale repose sur des armées de métier aux effectifs relativement faibles mais hautement entraînés et disposant d’une technologie de pointe. La raison de ce choix est simple : la Russie s’est toujours préparée à combattre près de ses frontières, dans une logique fondamentalement défensive. L’occident, lui, a l’expérience des expéditions lointaines…
[Plus généralement, cette guerre nous a réaffirmé (s’il en était besoin) l’importance de la masse, et que la quantité est parfois une qualité en soi. On a vu aussi que la Russie a su mobiliser son industrie afin de produire ce dont son armée avait besoin, alors que l’Occident largement désindustrialisé n’en a pas été capable (même si, il faut le reconnaître, les enjeux ne sont pas les mêmes des deux côtés).]
Je ne suis pas sûr qu’on puisse arriver à cette conclusion. N’oubliez pas que si l’occident veut que la Russie perde la guerre, il n’a pas forcément intérêt à ce que l’Ukraine la gagne. Une Ukraine victorieuse, dont les troupes iraient jusqu’en Crimée et potentiellement entreraient en territoire russe serait un allié bien plus encombrant qu’une Ukraine sous pression, ayant un besoin désespéré de l’aide occidentale. Je ne suis pas sûr que l’incapacité de l’occident à livrer certaines armes – ou certaines quantités – soit une pure question de potentiel industriel.
[Une réflexion sur les modes de gestion respectifs de l’industrie (de l’armement, mais plus globalement aussi) en Russie et dans l’Occident serait intéressante ici.]
Il est clair que lorsqu’il s’agit de servir des priorités claires et en petit nombre, l’économie planifiée est largement plus efficiente que l’économie de marché. Ce n’est pas par hasard si même les pays les plus libéraux ont organisé des formes de planification lorsqu’il a fallu faire la guerre ou reconstruire le pays.
[Aussi, à pas mal de reprises (Kharkov, Kherson), on a vu les russes reculer quand le rapport de forces n’était pas en leur faveur, alors que les ukrainiens tendent à vouloir défendre coûte que coûte tout leur terrain, quitte à se laisser enfermer dans des chaudrons. A ma connaissance, les russes ne se sont jamais laissés enfermer dans un chaudron de taille importante, alors que c’est arrivé plusieurs fois aux ukrainiens. Après, quelle conclusion tirer de cette dernière observation ? Est-ce que le russes sont plus rationnels que les ukrainiens, qui se laissent dicter leurs choix par les besoins de médiatisation du conflit, ou par leurs partenaires occidentaux ? Ou est-ce que, au contraire, ils font le choix de tout défendre parce qu’il savent que toute reconquête sera extrêmement par la suite ? De manière plus générale, si tant est qu’on puisse vérifier un fait observé, quelle conclusions peut-on en tirer ?]
Il est extrêmement difficile effectivement, même lorsqu’on arrive à établir des faits, à en tirer des conclusions parce qu’on a très peu d’information sur les processus de décision tactique et stratégique d’un côté comme de l’autre. On peut constater que les ukrainiens se sont fait prendre dans des « chaudrons » alors que les Russes l’ont toujours évité, quitte à se retirer. Est-ce un choix délibéré, une simple erreur ? Est-ce parce que cela fait partie de la pensée tactique russe de sacrifier de l’espace pour gagner du temps – déjà au temps de Napoléon… – en profitant de la profondeur stratégique que leur donne l’énormité de leur territoire ?
[Et c’est là où vient la plus grande difficulté, à mon avis : nous ne sommes pas sur les champs de bataille, ni dans la tête des gens qui font cette guerre. Quand bien même on sait ce que font les acteurs, on ne peut que deviner les raisons. S’ajoute à cela que le rapport bruit/signal, comme on dit, est très élevé, non seulement du fait de la propagande et des mensonges de tous côtés, mais aussi de la masse d’informations et de petits détails qui peuvent être intéressants, certes, mais qui n’apportent pas grand-chose à l’observateur lambda. Et il ne faut pas oublier aussi que la stratégie n’est pas la somme des tactiques.]
Exactement mon point. C’est pour cette raison que je ne me sens pas d’écrire un papier sur cette question, ou de diriger une discussion…
@ Descartes
[“Mais que suggérez-vous ? Que j’écrive sur la question alors que je n’ai accès à aucune information fiable sur ce qui se passe, que ce soit sur le terrain ou dans les chancelleries ?”]
Eh bien oui. Plutôt, par exemple, que de consacrer un temps déraisonnable à décortiquer l’ouvrage du gourou en préretraite Mélenchon, dont tout le monde se fout, et ses adeptes en premier, vous pourriez vous intéresser à la question de savoir dans quelle mesure Poutine aurait effectivement violé le “droit international”. A entendre les antirusses, on aurait l’impression qu’il existerait une sorte de Code applicable aux Etats, qui permettrait de “sanctionner” ceux d’entre eux qui s’aviseraient de ne pas le respecter. Or, pour ce que j’en comprends, son principe de base est que les Etats étant SOUVERAINS (concept avec lequel les antirusses ont certes généralement des difficultés) ils n’ont à se soumettre qu’aux règles qu’ils veulent bien se donner. En réalité, cet argument cache assez mal, selon moi, la volonté de l’occident d’imposer sa propre “loi” au reste du monde.
[“Je peux répéter une position de principe – que la France doit penser à ses intérêts, et pas devenir le supplétif des intérêts américains, et que notre intérêt n’est pas de voir la Russie affaiblie ou humiliée – mais je vois pas ce que je pourrais faire d’autre.”]
Ah bon ? Vous n’adhérez donc pas à l’idée que si on “laisse les russes gagner”, pour reprendre l’expression de notre divin Macron, nous devrons tous bientôt nous mettre à la vodka ? Mais sur quelle “information fiable” basez-vous une telle opinion ?
@ dsk
[« Mais que suggérez-vous ? Que j’écrive sur la question alors que je n’ai accès à aucune information fiable sur ce qui se passe, que ce soit sur le terrain ou dans les chancelleries ? » Eh bien oui. Plutôt, par exemple, que de consacrer un temps déraisonnable à décortiquer l’ouvrage du gourou en préretraite Mélenchon, dont tout le monde se fout,]
Autrement dit, mieux vaut écrire sur un sujet important sur lequel on n’a aucun élément fiable que d’écrire sur un sujet secondaire qu’on connaît bien ? Comme dit une célèbre publicité de rillettes, nous n’avons pas les mêmes valeurs…
[vous pourriez vous intéresser à la question de savoir dans quelle mesure Poutine aurait effectivement violé le “droit international”. A entendre les antirusses, on aurait l’impression qu’il existerait une sorte de Code applicable aux Etats, qui permettrait de “sanctionner” ceux d’entre eux qui s’aviseraient de ne pas le respecter.]
Mais quel intérêt, bon dieu ? Tout le monde sait qu’il existe un « droit international », ensemble de règles contenues dans les traités ou dégagées par la théorie juridique et la jurisprudence, que tout le monde respecte tant qu’il y a intérêt et que tout le monde viole dès qu’il a l’intérêt et les moyens pour le faire. Il est certain que Poutine a violé le droit international, comme avant lui les Américains l’avaient fait en Irak, l’OTAN dans son ensemble en bombardant la Libye et la Serbie, les israéliens dans les territoires occupés, et je pourrais continuer longtemps. Le droit international est une sorte d’idéal, une description de ce que pourrait être le monde si l’usage de la force était banni. Et comme tous les idéals, son rapport au réel est problématique.
Après, le droit international est l’un des outils pour couvrir certaines interventions du manteau de la morale. De ce point de vue, l’intervention américaine en Irak est un bon exemple : les Américains sont allés au conseil de sécurité de l’ONU pour demander de cette vénérable institution le blanc-seing du « droit international » pour intervenir en Irak. Si le vote avait été positif, ils auraient justifié leur intervention en invoquant le droit. Mais quand cela leur fut refusé – grâce au véto de la France, il faut le rappeler – ils sont intervenus quand même, en choisissant de justifier leur intervention par la « menace » que représentaient les « armes de destruction massive » de Saddam Hussein, inventées de toutes pièces pour l’occasion. Et on attend toujours les sanctions…
Autrement dit, on sanctionne quand on a intérêt à sanctionner. Aujourd’hui, les Américains – l’UE dans cette affaire n’est qu’un supplétif – sanctionnent la Russie parce qu’ils veulent affaiblir l’état russe. Et ils ne sanctionnent pas Israël parce que les israéliens sont vus comme des alliés. Le « droit international » n’est qu’un prétexte. Se poser la question de savoir si Poutine a ou non violé le droit international est donc oisif. Bien sur qu’il l’a violé. Et alors ?
[Or, pour ce que j’en comprends, son principe de base est que les Etats étant SOUVERAINS (concept avec lequel les antirusses ont certes généralement des difficultés) ils n’ont à se soumettre qu’aux règles qu’ils veulent bien se donner. En réalité, cet argument cache assez mal, selon moi, la volonté de l’occident d’imposer sa propre “loi” au reste du monde.]
C’est quand même un peu plus compliqué que cela. Les Etats étant souverains, ils ne sont soumis qu’aux règles qu’ils se sont eux-mêmes donnés. Et donc, lorsqu’ils signent librement un traité de bonne foi, ils s’imposent à eux-mêmes de l’exécuter loyalement – c’est le principe du « pacta sunt servanda », qui fonde le droit international. Ainsi, les états qui ont signé la charte des Nations Unies – qui, rappelons-le, exclut l’usage de la force dans le règlement des conflits entre les états – y sont soumis, du moins aussi longtemps qu’ils ne l’ont pas dénoncée…
[Ah bon ? Vous n’adhérez donc pas à l’idée que si on “laisse les russes gagner”, pour reprendre l’expression de notre divin Macron, nous devrons tous bientôt nous mettre à la vodka ? Mais sur quelle “information fiable” basez-vous une telle opinion ?]
Sur des considérations de géopolitique, fondées sur un demi millénaire d’histoire. Historiquement, le problème de la Russie n’a pas été de pousser ses frontières, mais de les défendre. Pays immense et faiblement peuplé, la Russie avait déjà assez de mal à administrer son énorme territoire et en valoriser les ressources. Quel intérêt d’aller chercher une extension territoriale ailleurs ? Le problème des Russes, c’était surtout de « tenir » leurs frontières, de faire face aux invasions venues des steppes de l’Asie ou de la grande plaine européenne. Et l’obsession russe a toujours été de s’entourer d’un chapelet d’états amis ou neutres faisant « tampon » vis-à-vis des différents empires. On l’a vu lors de la constitution de la « zone d’influence » soviétique en Europe orientale, avec des états qui ont conservé une très grande autonomie dans tous les domaines qui ne touchaient pas la défense et la politique extérieure. On l’a vu après l’effondrement de l’URSS, quand la Russie a cherché à obtenir des garanties sur la « neutralisation » de l’ancien bloc de l’est. Et ce qui provoque l’intervention en Ukraine, c’est le même mécanisme qui a provoqué en 1968 l’intervention en Tchécoslovaquie, ou celle de Hongrie en 1956 : la menace de voir un état voisin rejoindre une coalition hostile.
Aucun risque donc de voir les cosaques à Paris dans l’hypothèse où la Russie gagnerait cette guerre. La dernière fois qu’on les y a vus, c’est nous qui y sommes allés à Moscou les chercher. Et même là, ils ne sont pas restés longtemps et sont vite rentrés chez eux. L’idée que la Russie pourrait chercher à dominer l’Europe occidentale est un fantasme que l’histoire contredit systématiquement.
@ Descartes
[“Autrement dit, mieux vaut écrire sur un sujet important sur lequel on n’a aucun élément fiable que d’écrire sur un sujet secondaire qu’on connaît bien ? Comme dit une célèbre publicité de rillettes, nous n’avons pas les mêmes valeurs…”]
Je dirais plutôt : mieux vaut, après avoir fait en sorte d’acquérir les connaissances nécessaires, écrire sur un sujet important, plutôt qu’écrire sempiternellement sur un sujet secondaire, que l’on connaît certes bien, mais dont on a fait le tour.
[“Mais quel intérêt, bon dieu ? Tout le monde sait qu’il existe un « droit international », ensemble de règles contenues dans les traités ou dégagées par la théorie juridique et la jurisprudence, que tout le monde respecte tant qu’il y a intérêt et que tout le monde viole dès qu’il a l’intérêt et les moyens pour le faire.”]
Vous croyez vraiment que “tout le monde sait” cela ? Je ne pense pas que ce soit le cas du grand public, en tout cas, qui subit toute la journée une propagande lui expliquant que la Russie serait, au contraire de nous autres vertueux occidentaux, un “état voyou” qu’il faudrait à tout prix mettre hors d’état de nuire. Je ne pense pas non plus que ce soit le cas de vos lecteurs russophobes, et il y en a quelques uns je crois, ni des russophobes en général, qui voient très bien la paille dans l’œil de Poutine, mais pas la poutre qui est dans le leur. A titre d’exemple d’un tel aveuglement, je vous mets en lien cet article de la fondation Robert Schuman :
La Russie, l’Ukraine et le droit international (robert-schuman.eu)
[“Autrement dit, on sanctionne quand on a intérêt à sanctionner. Aujourd’hui, les Américains – l’UE dans cette affaire n’est qu’un supplétif – sanctionnent la Russie parce qu’ils veulent affaiblir l’état russe. Et ils ne sanctionnent pas Israël parce que les israéliens sont vus comme des alliés. Le « droit international » n’est qu’un prétexte. Se poser la question de savoir si Poutine a ou non violé le droit international est donc oisif. Bien sur qu’il l’a violé. Et alors ?”]
Je suis d’accord avec vous, à ceci près que je serais moins affirmatif quant au fait que Poutine aurait “violé le droit international”. Après tout, il me semble que l’on pourrait soutenir que la violation répétée, par les USA, de l’article 2 § 4 de la charte de l’ONU aurait rendu celui-ci caduc, en quelque sorte. D’autre part, il me semble que la Russie a pris soin d’attendre que les républiques séparatistes du Donbass aient déclaré leur indépendance, puis réclament son intervention, avant d’envahir ce qui, dès lors, ne constituait plus à ses yeux le territoire de l’Ukraine.
@ dsk
[« Mais quel intérêt, bon dieu ? Tout le monde sait qu’il existe un « droit international », ensemble de règles contenues dans les traités ou dégagées par la théorie juridique et la jurisprudence, que tout le monde respecte tant qu’il y a intérêt et que tout le monde viole dès qu’il a l’intérêt et les moyens pour le faire. » Vous croyez vraiment que “tout le monde sait” cela ? Je ne pense pas que ce soit le cas du grand public, en tout cas, qui subit toute la journée une propagande lui expliquant que la Russie serait, au contraire de nous autres vertueux occidentaux, un “état voyou” qu’il faudrait à tout prix mettre hors d’état de nuire.]
Quand je disais « tout le monde », je pensais aux lecteurs de mes billets. Vous me flattez en pensant que mes écrits pourraient ouvrir les yeux du grand public… Cela étant dit, je pense que les citoyens sont moins idiots qu’on ne le pense. Ils savent très bien que les Américains sont allés en Irak en s’asseyant sur le droit international, qu’Israël viole systématiquement ce droit sans que personne ne fasse rien, et ils en tirent leurs conclusions. Les gens sont bien plus réalistes – et même cyniques – qu’on ne le pense, et ils ont l’habitude de décoder les grands discours de leurs dirigeants…
[Je ne pense pas non plus que ce soit le cas de vos lecteurs russophobes, et il y en a quelques uns je crois, ni des russophobes en général, qui voient très bien la paille dans l’œil de Poutine, mais pas la poutre qui est dans le leur. A titre d’exemple d’un tel aveuglement, je vous mets en lien cet article de la fondation Robert Schuman : (…)]
Ce n’est pas de « l’aveuglement », c’est une construction idéologique ad hoc. On pourrait écrire le même article en listant tous les instruments internationaux violés par les Etats-Unis lors de leur intervention en Irak. Seulement, quel intérêt aurait un tel article pour faire avancer les objectifs de la fondation Robert-Schuman ?
La construction européenne s’est faite autour de la sacralisation du droit. C’est d’ailleurs un élément qui montre combien cette Europe est une Europe allemande. Cette vision du droit est typiquement allemande. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, comme le signalent des grands historiens comme Nölte ou Kershaw, les juristes ont occupé une place fondamentale dans l’appareil du IIIème Reich. On voit mal un dirigeant allemand faire la réponse qu’avait faite De Gaulle à un Peyrefitte qui évoquait devant lui l’impossibilité juridique de quitter la Communauté européenne (« C’est de la rigolade ! Vous avez déjà vu un grand pays s’engager à rester couillonné, sous prétexte qu’un traité n’a rien prévu pour le cas où il serait couillonné ? Non. Quand on est couillonné, on dit : « Je suis couillonné. Eh bien, voilà, je fous le camp ! » Ce sont des histoires de juristes et de diplomates, tout ça. »).
C’est pourquoi les eurolâtres parlent de Poutine non pas comme un politique qui a pris une décision, certes discutable mais essentiellement politique, mais comme un hérétique qui aurait piétiné ce qu’il y a le plus sacré. A la rigueur, la mort de cent mille ukrainiens pourrait lui être pardonnée. Mais « la violation du droit international », vous n’y pensez pas ! Si vous lisez l’article, c’est cet acte d’apostasie, et non les dommages et les cruautés de la guerre, qui justifient une action décisive de la diplomatie européenne…
[Je suis d’accord avec vous, à ceci près que je serais moins affirmatif quant au fait que Poutine aurait “violé le droit international”. Après tout, il me semble que l’on pourrait soutenir que la violation répétée, par les USA, de l’article 2 § 4 de la charte de l’ONU aurait rendu celui-ci caduc, en quelque sorte.]
Effectivement, la question pourrait être posée. Certains diront que le fait que vous soyez attaqué par un voleur dans la rue, même de manière répétée, ne vous autorise pas à le tuer ni même à le blesser, et prétendre que la violation répétée du Code pénal le rend « caduc » n’est pas une défense très efficace. Ils ont tort, parce que contrairement au droit interne aux états, le droit international règle des conflits entre des entités souveraines qui n’ont pas, pour parler comme Hobbes, cédé le monopole de la violence légitime à une entité extérieure. Et que le droit des traités ne contraint un état à respecter les traités qu’il a signé que sous réserve de réciprocité. Cependant, la question de la réciprocité pour les instruments multilatéraux a été clairement tranchée : on ne peut pas considérer un traité multilatéral invalide à l’égard de tous les signataires du fait qu’un seul d’entre eux l’ait violé. Tout au plus on peut considérer que le signataire en question soit exclu des bénéfices du traité. Votre argument serait donc valable si la Russie avait attaqué les Etats-Unis, mais ce n’est pas le cas…
[D’autre part, il me semble que la Russie a pris soin d’attendre que les républiques séparatistes du Donbass aient déclaré leur indépendance, puis réclament son intervention, avant d’envahir ce qui, dès lors, ne constituait plus à ses yeux le territoire de l’Ukraine.]
Dans la mesure où la « déclaration d’indépendance » en question n’a pas été reconnue par les institutions issues des traités internationaux, cet argument est inopérant…
@ Descartes
[“Quand je disais « tout le monde », je pensais aux lecteurs de mes billets. Vous me flattez en pensant que mes écrits pourraient ouvrir les yeux du grand public…”]
Et pourquoi pas ? Je pense que vous avez toutes les qualités pour cela, sauf peut-être le désir d’aborder certains sujets qui intéresseraient peut-être davantage le grand public…
[“Cela étant dit, je pense que les citoyens sont moins idiots qu’on ne le pense. Ils savent très bien que les Américains sont allés en Irak en s’asseyant sur le droit international, qu’Israël viole systématiquement ce droit sans que personne ne fasse rien, et ils en tirent leurs conclusions. Les gens sont bien plus réalistes – et même cyniques – qu’on ne le pense, et ils ont l’habitude de décoder les grands discours de leurs dirigeants…”]
Je vous trouve bien optimiste. De mon côté, il me semble plutôt observer un effondrement général de l’esprit critique, que j’aurais tendance à expliquer par la chute du niveau scolaire, et qui fait qu’aujourd’hui, parmi de multiples exemples, on trouve parfaitement normale la censure de RT France, alors pourtant que, comme l’a rappelé si justement notre président, nous ne sommes pas en guerre avec la Russie.
[“C’est pourquoi les eurolâtres parlent de Poutine non pas comme un politique qui a pris une décision, certes discutable mais essentiellement politique, mais comme un hérétique qui aurait piétiné ce qu’il y a le plus sacré. A la rigueur, la mort de cent mille ukrainiens pourrait lui être pardonnée. Mais « la violation du droit international », vous n’y pensez pas !”]
Exactement. Cela me rappelle d’ailleurs, cette réflexion de Macron lors de son entretien partiellement rendu public avec Poutine : ” Je ne sais pas où ton juriste a appris le droit. Moi, je regarde les textes et j’essaie de les appliquer. Je ne sais quel juriste pourra te dire que, dans un pays souverain, les textes de loi sont proposés par des séparatistes et pas par des autorités démocratiquement élues “. On voit très bien dans cet extrait, à mon sens, que Macron se conçoit comme entièrement soumis au droit et non comme celui qui a le pouvoir, le cas échéant, de le transformer.
[“Cependant, la question de la réciprocité pour les instruments multilatéraux a été clairement tranchée : on ne peut pas considérer un traité multilatéral invalide à l’égard de tous les signataires du fait qu’un seul d’entre eux l’ait violé. Tout au plus on peut considérer que le signataire en question soit exclu des bénéfices du traité. Votre argument serait donc valable si la Russie avait attaqué les Etats-Unis, mais ce n’est pas le cas…”]
Formellement peut-être, mais l’Ukraine, armée et financée par les USA, peut bien être vue comme son “proxy” face aux russes. Or, si le droit international se montrait trop formel à cet égard, les Etats se verraient contraints de le violer pour se défendre, ce qui le rendrait rapidement “caduc” justement…
[D’autre part, il me semble que la Russie a pris soin d’attendre que les républiques séparatistes du Donbass aient déclaré leur indépendance, puis réclament son intervention, avant d’envahir ce qui, dès lors, ne constituait plus à ses yeux le territoire de l’Ukraine.] [Dans la mesure où la « déclaration d’indépendance » en question n’a pas été reconnue par les institutions issues des traités internationaux, cet argument est inopérant…]
Ah bon ? Si j’ai bien compris, pourtant, l’indépendance de Taiwan n’a été reconnue jusqu’ici que par 12 Etats, ce qui n’empêche nullement les USA de menacer la Chine d’intervenir militairement en cas de tentative d’annexion…
@ dsk
[« Quand je disais « tout le monde », je pensais aux lecteurs de mes billets. Vous me flattez en pensant que mes écrits pourraient ouvrir les yeux du grand public… » Et pourquoi pas ? Je pense que vous avez toutes les qualités pour cela, sauf peut-être le désir d’aborder certains sujets qui intéresseraient peut-être davantage le grand public…]
Malheureusement, cela ne suffit pas. Je fais des statistiques sur la lecture de mes différents articles, et je peux vous assurer que ceux qui concerne les sujets qui selon vous « intéresseraient peut-être davantage le grand public » n’arrivent pas, loin s’en faut, en tête des articles les plus lus…
[Je vous trouve bien optimiste. De mon côté, il me semble plutôt observer un effondrement général de l’esprit critique, que j’aurais tendance à expliquer par la chute du niveau scolaire, et qui fait qu’aujourd’hui, parmi de multiples exemples, on trouve parfaitement normale la censure de RT France, alors pourtant que, comme l’a rappelé si justement notre président, nous ne sommes pas en guerre avec la Russie.]
Je ne vois pas où est « l’effondrement ». Ce genre de censure n’a rien de nouveau, même si elle prend des formes différentes au vu de l’évolution des médias. Pendant toute la guerre froide, les communistes ont été considérés des « agents de Moscou », les publications communistes étaient bannies des bibliothèques publiques (sauf, bien entendu, dans les municipalités communistes), les personnalités communistes n’étaient jamais invitées sur les ondes et les journalistes communistes exclus de la radiodiffusion et de la télévision publique comme privée. On s’est même permis d’empêcher un militant communiste de s’inscrire aux concours de la haute fonction publique (c’est l’affaire Barel). Et pourtant, nous n’étions pas en guerre avec l’URSS… Comme disait Oscar Wilde, « rien n’embellit autant le passé qu’une mauvaise mémoire ». La censure dont vous parlez n’a rien de nouveau, et elle a toujours été acceptée par la plus grande partie de nos élites sans difficulté.
Au-delà de cet exemple mal choisi, je vous accorde que le citoyen moyen a beaucoup moins de moyens aujourd’hui qu’il ne les avait hier d’exercer une critique informée, d’une part du fait de l’effondrement du niveau scolaire, de l’autre parce que les structures d’éducation populaire qu’étaient les partis politiques, les syndicats et les associations ne jouent plus du tout leur rôle pédagogique. Il n’en reste pas moins que les Français restent à mon avis les champions du monde du bon sens. L’esprit voltairien existe encore chez nous, et il génère une méfiance instinctive pour tout discours du pouvoir, là où les anglosaxons, par exemple, sont prêts à tout avaler. Depuis 1914-18 (et encore) il n’y a pas eu en France de guerre qui fut « populaire ».
[Exactement. Cela me rappelle d’ailleurs, cette réflexion de Macron lors de son entretien partiellement rendu public avec Poutine : ” Je ne sais pas où ton juriste a appris le droit. Moi, je regarde les textes et j’essaie de les appliquer. Je ne sais quel juriste pourra te dire que, dans un pays souverain, les textes de loi sont proposés par des séparatistes et pas par des autorités démocratiquement élues “. On voit très bien dans cet extrait, à mon sens, que Macron se conçoit comme entièrement soumis au droit et non comme celui qui a le pouvoir, le cas échéant, de le transformer.]
Tout à fait. L’un des éléments néfastes de la construction européenne, c’est d’avoir importé chez nous et venant du monde anglosaxon une vision sacralisée du droit. Le droit, qui dans la conception française n’est qu’un outil à la main du souverain pour réguler les rapports sociaux, devient une sorte de divinité préexistant le politique, et dont le juge est l’oracle. La logique des « cours suprêmes » – celle de Washington mais aussi celle de Karlsruhe – illustrent très bien cette conception, où l’on va chercher dans des textes sacrés des réponses à des questions comme celle de l’avortement, question que leurs rédacteurs ne se sont certainement pas posées. Et notre Conseil constitutionnel, malgré toute la prudence de ses membres – qui n’oublient pas que, comme le rappelait Sarkozy, le peuple français est un peuple « essentiellement régicide » – suit cette même pente, par exemple avec son interprétation du « principe de fraternité ».
On banalise la formule, mais il faut la rappeler : pour nous, français, « la loi est l’expression de la volonté générale ». Elle n’est ni la traduction de principes sacrés, ni la sagesse des siècles, comme c’est le cas dans le monde anglosaxon. Elle est l’expression d’une volonté, collective certes, mais humaine et non divine. Et cela vient de loin. D’un Richelieu déclarant que l’art de la politique est « de rendre possible ce qui est nécessaire » à une Révolution française qui, en 1789, se refuse à proclamer des droits « absolus », subordonnant à chaque fois ces droits à la question de l’intérêt général, et qui plus tard réduit le juge à une « autorité » dont le rôle est limité à l’application de la loi.
[« Cependant, la question de la réciprocité pour les instruments multilatéraux a été clairement tranchée : on ne peut pas considérer un traité multilatéral invalide à l’égard de tous les signataires du fait qu’un seul d’entre eux l’ait violé. Tout au plus on peut considérer que le signataire en question soit exclu des bénéfices du traité. Votre argument serait donc valable si la Russie avait attaqué les Etats-Unis, mais ce n’est pas le cas… » Formellement peut-être, mais l’Ukraine, armée et financée par les USA, peut bien être vue comme son “proxy” face aux russes. Or, si le droit international se montrait trop formel à cet égard, les Etats se verraient contraints de le violer pour se défendre, ce qui le rendrait rapidement “caduc” justement…]
Je ne vois pas très bien votre raisonnement. Il ne me semble pas facile de fixer des règles qui permettraient de déterminer qui est le « proxy » de qui. La Corée du Nord serait fondée à attaquer la Corée du Sud au motif que c’est un « proxy » américain ?
[« Dans la mesure où la « déclaration d’indépendance » en question n’a pas été reconnue par les institutions issues des traités internationaux, cet argument est inopérant… » Ah bon ? Si j’ai bien compris, pourtant, l’indépendance de Taiwan n’a été reconnue jusqu’ici que par 12 Etats, ce qui n’empêche nullement les USA de menacer la Chine d’intervenir militairement en cas de tentative d’annexion…]
Vous me parliez de droit, je vous parle de droit. En droit strict, Taiwan est un morceau de la Chine, et ce qui s’y passe est une affaire intérieure chinoise. Si la Chine cherchait à incorporer Taiwan et les Américains intervenaient, on serait dans une situation semblable à l’Ukraine… et la Chine crierait à la violation du droit international… et elle aurait raison !
@ Descartes
[“Malheureusement, cela ne suffit pas. Je fais des statistiques sur la lecture de mes différents articles, et je peux vous assurer que ceux qui concerne les sujets qui selon vous « intéresseraient peut-être davantage le grand public » n’arrivent pas, loin s’en faut, en tête des articles les plus lus…”]
Il faut croire en tout cas que l’Ukraine, à laquelle je songeais plus particulièrement, est un sujet qui intéresse un large public, puisque le livre de Todd se trouve actuellement en tête des ventes.
[“Il ne me semble pas facile de fixer des règles qui permettraient de déterminer qui est le « proxy » de qui. La Corée du Nord serait fondée à attaquer la Corée du Sud au motif que c’est un « proxy » américain ?”]
Tout à fait, pour peu qu’elle ait des motifs raisonnables ne serait-ce que de le suspecter. De ce point de vue, les “règles” ne peuvent être que très compréhensives, à mon avis, les Etats se trouvant entre eux dans un “état de nature” au sens de Hobbes, dans lequel ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour assurer leur propre défense. On ne saurait donc exiger d’eux qu’ils établissent formellement la réalité d’une menace avant d’agir. Tout au plus peut-on leur demander de tenter d’abord la voie diplomatique, ce que la Russie a amplement fait dans le cas de l’Ukraine, me semble-t-il.
@ dsk
[« Malheureusement, cela ne suffit pas. Je fais des statistiques sur la lecture de mes différents articles, et je peux vous assurer que ceux qui concerne les sujets qui selon vous « intéresseraient peut-être davantage le grand public » n’arrivent pas, loin s’en faut, en tête des articles les plus lus…” » Il faut croire en tout cas que l’Ukraine, à laquelle je songeais plus particulièrement, est un sujet qui intéresse un large public, puisque le livre de Todd se trouve actuellement en tête des ventes.]
Peut-être que les sujets qui intéressent les lecteurs de Todd ne sont pas ceux qui intéressent mes lecteurs ?
[« Il ne me semble pas facile de fixer des règles qui permettraient de déterminer qui est le « proxy » de qui. La Corée du Nord serait fondée à attaquer la Corée du Sud au motif que c’est un « proxy » américain ? » Tout à fait, pour peu qu’elle ait des motifs raisonnables ne serait-ce que de le suspecter. De ce point de vue, les “règles” ne peuvent être que très compréhensives, à mon avis, les Etats se trouvant entre eux dans un “état de nature” au sens de Hobbes, dans lequel ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour assurer leur propre défense.]
Vous tombez ici dans une contradiction : après avoir disserté sur une question de droit – c’est-à-dire, les conditions dans lesquelles un état était « fondé » à attaquer un autre – vous me dites que les états sont dans un « état de nature », état qui par essence ferme toute discussion sur la question de droit. Dans l’état de nature, la question de ce qu’on est « fondé » à faire ne se pose pas : on attaque l’autre dès lors que cela nous procure un avantage supérieur au coût, point à la ligne.
Si vous vous posez la question de légitimité, alors vous n’êtes plus en « état de nature ». Que les états ne forment pas un système hobbesien, qu’ils n’aient pas transféré leur « capacité à nuire » vers une autorité commune, c’est une évidence. Mais on n’est pas tout à fait dans l’état de nature non plus. La communauté internationale s’est donnée un certain nombre de règles, et même si ces règles sont quelquefois contournées ou carrément violées, ceux qui les violent se sentent tout de même obligés à bâtir une argumentation qui conserve au système une certaine crédibilité. On peut d’ailleurs noter que le système des deux blocs, après 1945, était un système « quasi-hobbesien » : dans chaque bloc, les états avaient peu ou prou délégué leur pouvoir de nuire à un « protecteur ».
@ Descartes
[“Peut-être que les sujets qui intéressent les lecteurs de Todd ne sont pas ceux qui intéressent mes lecteurs ?”]
Peut-être, comme vous dîtes. Je comprendrais parfaitement, en tout cas, que vous souhaitiez vous éviter certains ennuis, étant donné l’ambiance maccarthyste qui règne actuellement. Todd, quant à lui, est à la retraite et ne risque donc plus grand chose…
[“Vous tombez ici dans une contradiction : après avoir disserté sur une question de droit – c’est-à-dire, les conditions dans lesquelles un état était « fondé » à attaquer un autre – vous me dites que les états sont dans un « état de nature », état qui par essence ferme toute discussion sur la question de droit. Dans l’état de nature, la question de ce qu’on est « fondé » à faire ne se pose pas : on attaque l’autre dès lors que cela nous procure un avantage supérieur au coût, point à la ligne.”]
Je ne sais pas. Même Hobbes, me semble-t-il, n’allait pas aussi loin que vous puisqu’il postulait, dans cet “état de nature”, un “droit naturel” de se “conserver” qui “légitimait”, si l’on peut dire, le droit d’attaquer autrui. Quant au droit international, il repose sur l’idée, si j’ai bien compris, qu’il existerait, dans cet “état de nature”, un “droit naturel” essentiellement fondé sur la règle “pacta sunt servanda”, celle-ci obligeant les Etats à respecter leurs engagements.
[“Si vous vous posez la question de légitimité, alors vous n’êtes plus en « état de nature ». Que les états ne forment pas un système hobbesien, qu’ils n’aient pas transféré leur « capacité à nuire » vers une autorité commune, c’est une évidence. Mais on n’est pas tout à fait dans l’état de nature non plus.”]
Je dirais que dès lors que les Etats n’ont pas transféré leur capacité de se défendre vers une autorité commune, alors il sont nécessairement entre eux dans l'”état de nature”, la seule question étant de savoir si, comme le pensait Hobbes, tout leur serait alors permis, ou s’il existerait néanmoins un “droit naturel” autre que celui de se “conserver” par tous moyens.
@ dsk
[« Peut-être que les sujets qui intéressent les lecteurs de Todd ne sont pas ceux qui intéressent mes lecteurs ? » Peut-être, comme vous dîtes. Je comprendrais parfaitement, en tout cas, que vous souhaitiez vous éviter certains ennuis, étant donné l’ambiance maccarthyste qui règne actuellement. Todd, quant à lui, est à la retraite et ne risque donc plus grand chose…]
Je vous avoue que si je réfléchis aux éventuels « ennuis » que mes textes peuvent m’attirer, ce n’est pas un paramètre dominant dans le choix de mes sujets. Je pense que la prudence avec laquelle j’aborde les sujets urticants et la relative confidentialité de ce blog devrait me garantir une certaine immunité, et je fais confiance à la justice de mon pays. Mais il est vrai que l’ambiance maccarthyste qui règne sur certains sujets incite à réflechir…
[Je ne sais pas. Même Hobbes, me semble-t-il, n’allait pas aussi loin que vous puisqu’il postulait, dans cet “état de nature”, un “droit naturel” de se “conserver” qui “légitimait”, si l’on peut dire, le droit d’attaquer autrui.]
Cela fait un certain temps que je n’ai pas ouvert mon Leviathan, mais si je me souviens bien cette « légitimation » chez Hobbes est extérieure, autrement dit, c’est le Hobbes qui ne vit pas en état de nature qui cherche à séparer le bon grain de l’ivraie en examinant de l’extérieur l’homme dans l’état de nature. Ce n’est pas un critère qui est significatif pour l’homme en état de nature qu’il observe…
[Quant au droit international, il repose sur l’idée, si j’ai bien compris, qu’il existerait, dans cet “état de nature”, un “droit naturel” essentiellement fondé sur la règle “pacta sunt servanda”, celle-ci obligeant les Etats à respecter leurs engagements.]
Je pense plutôt que le droit international repose sur l’idée qu’on est sorti de l’état de nature, et que le but – inachevé pour le moment et qui à mon avis le restera – est d’arriver à une logique hobbesienne où l’on délègue son « pouvoir de nuire » à une autorité supranationale. La première étape dans ce chemin est l’autolimitation volontaire de l’usage de la force, résumée dans le principe « pacta sunt servanda ». Autolimitation qui reste fragile, puisque le principe « salus populo suprema lex esto » reste le principe même qui fonde les états.
[Je dirais que dès lors que les Etats n’ont pas transféré leur capacité de se défendre vers une autorité commune, alors il sont nécessairement entre eux dans l’”état de nature”, la seule question étant de savoir si, comme le pensait Hobbes, tout leur serait alors permis, ou s’il existerait néanmoins un “droit naturel” autre que celui de se “conserver” par tous moyens. ]
Je pense plutôt que la logique d’autolimitation implique une sortie de « l’état de nature ». Il faudrait relire le Leviathan pour voir si c’est la vision de Hobbes ou s’il s’agit d’une lecture personnelle.
@ Descartes
[“Mais il est vrai que l’ambiance maccarthyste qui règne sur certains sujets incite à réflechir…”]
Franchement, je trouve qu’il y a là un phénomène nouveau, que j’avais qualifié précédemment, un peu maladroitement peut-être, d'”effondrement de l’esprit critique”. Vous m’aviez répondu par l’exemple du traitement réservé au PCF, mais je dois dire que ne suis pas vraiment convaincu. Je suis sidéré, par exemple, par le nombre d’intervenants sur les chaînes de télé, qui portent pourtant des titres ronflants d'”experts” ou de “chercheurs”, et qui ne prennent quasiment jamais soin de fonder leurs affirmations sur des faits, comme s’il convenait juste de les croire sur parole, tandis que toute affirmation russe ou pro-russe est systématiquement qualifiée de “désinformation” ou de “propagande”, là encore sans que l’on prenne même jamais soin d’expliquer en quoi.
[“Cela fait un certain temps que je n’ai pas ouvert mon Leviathan, mais si je me souviens bien cette « légitimation » chez Hobbes est extérieure, autrement dit, c’est le Hobbes qui ne vit pas en état de nature qui cherche à séparer le bon grain de l’ivraie en examinant de l’extérieur l’homme dans l’état de nature. Ce n’est pas un critère qui est significatif pour l’homme en état de nature qu’il observe…”]
Je ne crois pas, puisque Hobbes explique que le “droit de se conserver” donnerait à chacun tous les droits, en quelque sorte, par le fait que chacun serait “juge compétent” de ce qui lui serait nécessaire pour se conserver, ce qui semble bien impliquer une conscience, de la part de ce “juge compétent”, de ce qui serait juste ou non. On pourrait d’ailleurs se demander dans quelle mesure il serait simplement réaliste de concevoir l’homme comme totalement dépourvu de sens moral dans l'”état de nature”.
[“Je pense plutôt que le droit international repose sur l’idée qu’on est sorti de l’état de nature, et que le but – inachevé pour le moment et qui à mon avis le restera – est d’arriver à une logique hobbesienne où l’on délègue son « pouvoir de nuire » à une autorité supranationale.”]
Je dirais que c’est probablement là, en tout cas, l’espoir fervent de la plupart des antirusses, qui désespèrent de voir ce pays encore puissant qu’est la Russie refuser de déléguer son “pouvoir de nuire” au “Léviathan” américain…
[“Je pense plutôt que la logique d’autolimitation implique une sortie de « l’état de nature ». Il faudrait relire le Leviathan pour voir si c’est la vision de Hobbes ou s’il s’agit d’une lecture personnelle.”]
Certes. Mais cette autolimitation ne peut être que réciproque et définitive, sans quoi il n’y a pas de véritable sortie de l'”état de nature” puisque l’on serait obligé, à la moindre alerte, de se “réarmer”, comme dirait notre vénéré président.
@ dsk
[Franchement, je trouve qu’il y a là un phénomène nouveau, que j’avais qualifié précédemment, un peu maladroitement peut-être, d’”effondrement de l’esprit critique”. Vous m’aviez répondu par l’exemple du traitement réservé au PCF, mais je dois dire que ne suis pas vraiment convaincu.]
Vous avez peut-être oublié – ou pas connu – le néo-maccarthysme de la période 1978-1986, quand Christine Ockrent, alors présentatrice du journal télévisé le plus regardé de France recevait sur son plateau un personnage masqué à la voix déformée se présentant comme un dirigeant du PCF sous le pseudonyme « Fabien » pour livrer au public des délibérations imaginaires du Bureau politique du PCF. N’essayez pas de trouver trace de cet incident sur Google…
[Je suis sidéré, par exemple, par le nombre d’intervenants sur les chaînes de télé, qui portent pourtant des titres ronflants d’”experts” ou de “chercheurs”, et qui ne prennent quasiment jamais soin de fonder leurs affirmations sur des faits, comme s’il convenait juste de les croire sur parole, tandis que toute affirmation russe ou pro-russe est systématiquement qualifiée de “désinformation” ou de “propagande”, là encore sans que l’on prenne même jamais soin d’expliquer en quoi.]
Ca vous étonne ? Nous sommes en guerre – même si c’est par procuration – et la première victime de toutes les guerres est la vérité. Ces soi-disant « experts » – en général des retraités qui racontent leurs guerres et qui au passage se font quelques sous pour complémenter une maigre retraite – ne servent qu’à légitimer un discours de propagande.
[Je ne crois pas, puisque Hobbes explique que le “droit de se conserver” donnerait à chacun tous les droits, en quelque sorte, par le fait que chacun serait “juge compétent” de ce qui lui serait nécessaire pour se conserver, ce qui semble bien impliquer une conscience, de la part de ce “juge compétent”, de ce qui serait juste ou non. On pourrait d’ailleurs se demander dans quelle mesure il serait simplement réaliste de concevoir l’homme comme totalement dépourvu de sens moral dans l’”état de nature”.]
Pourtant, dans le raisonnement que vous attribuez à Hobbes, il n’y a pas une trace de « morale ». Le « juge compétent » n’est pas appelé à juger en droit, mais en fait. Il juge en fait de ce qui est objectivement nécessaire à l’individu pour se conserver, et non de ce qui est « juste » ou pas. C’est l’observateur extérieur qui décide qu’il est « juste » de faire ce qui est nécessaire pour se conserver.
[« Je pense plutôt que le droit international repose sur l’idée qu’on est sorti de l’état de nature, et que le but – inachevé pour le moment et qui à mon avis le restera – est d’arriver à une logique hobbesienne où l’on délègue son « pouvoir de nuire » à une autorité supranationale. » Je dirais que c’est probablement là, en tout cas, l’espoir fervent de la plupart des antirusses, qui désespèrent de voir ce pays encore puissant qu’est la Russie refuser de déléguer son “pouvoir de nuire” au “Léviathan” américain…]
Oui, mais il faut je pense avoir une vue plus générale que celle du conflit en cours. La vision idéaliste d’un monde régi par le droit – ce qui suppose non seulement un juge international, mais une force susceptible de faire appliquer ses décisions – est profondément enracinée surtout depuis le traumatisme de la première guerre mondiale. Et les échecs successifs – et désastreux – de cette illusion n’ont pas affaibli l’attraction qu’elle exerce. Je pense qu’il y a chez les partisans de cette illusion une méconnaissance profonde de ce qu’est la souveraineté et sa dynamique.
[Certes. Mais cette autolimitation ne peut être que réciproque et définitive, sans quoi il n’y a pas de véritable sortie de l’”état de nature” puisque l’on serait obligé, à la moindre alerte, de se “réarmer”, comme dirait notre vénéré président.]
Justement, la nature même de la souveraineté fait qu’aucune autolimitation « définitive » ne peut exister entre entités souveraines. C’est le sens profond de la formule de De Gaulle quand il rejette le raisonnement juridique de Peyrefitte soutenant l’impossibilité de sortir des traités européens puisque ceux-ci ne prévoient pas de mécanisme de sortie. Si l’autolimitation fait sortir les états de « l’état de nature », ils peuvent y retourner « à la moindre alerte », ou plutôt lorsque leurs intérêts sont menacés.
@ Descartes
[Je ne crois pas, puisque Hobbes explique que le “droit de se conserver” donnerait à chacun tous les droits, en quelque sorte, par le fait que chacun serait “juge compétent” de ce qui lui serait nécessaire pour se conserver, ce qui semble bien impliquer une conscience, de la part de ce “juge compétent”, de ce qui serait juste ou non. On pourrait d’ailleurs se demander dans quelle mesure il serait simplement réaliste de concevoir l’homme comme totalement dépourvu de sens moral dans l’”état de nature”.] [Pourtant, dans le raisonnement que vous attribuez à Hobbes, il n’y a pas une trace de « morale ». Le « juge compétent » n’est pas appelé à juger en droit, mais en fait. Il juge en fait de ce qui est objectivement nécessaire à l’individu pour se conserver, et non de ce qui est « juste » ou pas. C’est l’observateur extérieur qui décide qu’il est « juste » de faire ce qui est nécessaire pour se conserver.]
Vous m’obligez à me plonger dans mon vieux grimoire de Hobbes and I thank you for that comme disent les anglais. Sur cette question, je trouve en note dans le premier chapitre de De Cive le passage suivant :
“Il faut entendre ceci de cette sorte, qu’en l’état de nature il n’y a point d’injure en quoi qu’un homme fasse contre quelque autre. Non qu’en cet état-là il soit impossible de pécher contre la majesté divine, et de violer les lois naturelles. Mais de commettre quelque injustice envers les hommes, cela suppose qu’il y ait des lois humaines, qui ne sont pourtant pas encore établies en l’état de nature, dont nous parlons. La vérité de ma proposition en ce sens-là est assez évidemment démontrée aux articles immédiatement précédents, si le lecteur veut s’en souvenir. Mais parce qu’en certain cas, cette conclusion a quelque chose de dur, qui peut faire oublier les prémices, je veux resserrer mon raisonnement, afin que d’un seul coup d’œil on le puisse voir tout entier. Par l’art. VII chacun a droit de se conserver. Il a donc droit d’user de tous les moyens nécessaires pour cette fin, par l’art. VIII. Or les moyens nécessaires sont ceux que chacun 32 estime tels en ce qui le touche, par l’art. IX. Donc chacun a droit de faire, et de posséder tout ce qu’il jugera nécessaire à sa conservation. Et par conséquent la justice, ou l’injustice d’une action dépendent du jugement de celui qui la fait, ce qui le tirera toujours hors de blâme, et justifiera son procédé. D’où il s’ensuit que dans un état purement naturel, etc. Mais si quelqu’un prétend qu’une chose, à laquelle il sait bien en sa conscience qu’il n’a aucun intérêt, regarde sa conservation, en cela il pèche contre les lois naturelles; comme je montrerai bien au long au troisième chapitre.”
Il me semble donc bien qu’il résulte de la dernier phrase que l’homme, dans l’état de nature, serait censé être conscient de l’existence de ce “droit de se conserver” dans les limites duquel il devrait se tenir, faute quoi il “pêcherait contre les lois naturelles”. Je n’aurais sans doute pas dû, en revanche affirmer qu’il serait “juge compétent” de ce qui serait juste ou non, puisque ” de commettre quelque injustice envers les hommes, cela suppose qu’il y ait des lois humaines, qui ne sont pourtant pas encore établies en l’état de nature”. Voici qui tiendrait sans doute à ce que tuer ou voler son semblable, quand bien même il en irait de sa “conservation” pourrait difficilement être qualifié de “juste” ou in “injuste”…
@ dsk
[Vous m’obligez à me plonger dans mon vieux grimoire de Hobbes and I thank you for that comme disent les anglais.]
Il faut de temps en temps se replonger dans les classiques. « Quoi de neuf ? Molière ! ».
[« Donc chacun a droit de faire, et de posséder tout ce qu’il jugera nécessaire à sa conservation. Et par conséquent la justice, ou l’injustice d’une action dépendent du jugement de celui qui la fait, ce qui le tirera toujours hors de blâme, et justifiera son procédé. D’où il s’ensuit que dans un état purement naturel, etc. Mais si quelqu’un prétend qu’une chose, à laquelle il sait bien en sa conscience qu’il n’a aucun intérêt, regarde sa conservation, en cela il pèche contre les lois naturelles » Il me semble donc bien qu’il résulte de la dernier phrase que l’homme, dans l’état de nature, serait censé être conscient de l’existence de ce “droit de se conserver” dans les limites duquel il devrait se tenir, faute quoi il “pêcherait contre les lois naturelles”.]
Ici Hobbes tombe dans une contradiction, peut-être parce qu’il était impossible pour un homme du XVIIème siècle de pousser le matérialisme jusqu’aux dernières conséquences. En effet, Hobbes le matérialiste ne peut que constater que dans l’état de nature il ne peut y avoir de droit ou de morale « humaine », parce que la notion de ce qui est « juste » implique nécessairement une pensée qui ne peut surgir que dans une société organisée par autre chose que le rapport de forces nu. Mais cela le conduit logiquement à l’idée qu’il n’y a pas de morale transcendante, que la règle morale est une pure construction humaine. C’est ce pas là qu’Hobbes se refuse à franchir explicitement, alors qu’il l’a déjà franchi implicitement. C’est pourquoi il introduit l’idée qu’il existe des « lois naturelles » qui permettent une qualification morale des actes alors même qu’aucune « loi humaine » n’a pointé son nez.
En fait, Hobbes construit ici une vision qui le place « en surplomb » de l’histoire. Les « lois naturelles » permettent à l’homme d’aujourd’hui de qualifier moralement les actes des hommes d’hier. Je pense que cette construction est artificielle : elle a pour but de protéger l’auteur de l’accusation d’immoralité. Elle n’est pas cohérente avec la vision matérialiste que Hobbes soutient par ailleurs.
Ne pouvant (pour des raisons techniques) poursuivre l’échange (voir plus haut) sur l’assistance médicale en FIN DE VIE, je reviens ici, brièvement, sur cet échange, dont je remercie les participants.
Débat que je ne souhaite d’ailleurs pas prolonger, puisqu’il semblerait que nos compatriotes se soient sur cette question largement fait leur avis, depuis des décennies, même si, hélas, de puissants réseaux d’influences semblent pouvoir peser sur le Pouvoir (avec un grand P pour le distinguer du nom commun ou du verbe) et délayer une prise de décision que des présidents successifs avaient pourtant, régulièrement, évoquée durant leur campagne présidentielle.
On sait que l’assistance médicale au suicide, légalement encadrée et circonstanciée bien sûr, en fin de vie ou de maladies incurables est accordée dans des pays voisins aussi civilisés que le nôtre (Suisse, Luxembourg, Belgique, pour n’en citer que les plus proches) sans que cela ait entraîné des ‘seniorocides’ à la ‘Soleil Vert’, ni n’ait d’ailleurs multiplié les cas d’appels à de telles assistances ni les procès pour euthanasie systémique.
Je sais juste, pour suivre ces questions et lire les témoignages s’y rapportant depuis des années, que la possibilité de pouvoir disposer éventuellement de l’assurance légale d’une telle assistance calme les angoisses de bien des gens appréhendant d’être livré à des agonies ou des fins de vie parfois atroces dont de nombreuses familles peuvent témoigner.
@ claustaire
[Débat que je ne souhaite d’ailleurs pas prolonger, puisqu’il semblerait que nos compatriotes se soient sur cette question largement fait leur avis, depuis des décennies, même si, hélas, de puissants réseaux d’influences semblent pouvoir peser sur le Pouvoir (avec un grand P pour le distinguer du nom commun ou du verbe) et délayer une prise de décision que des présidents successifs avaient pourtant, régulièrement, évoquée durant leur campagne présidentielle.]
Vous savez, sur un sujet comme celui-ci vous pouvez obtenir le résultat que vous voulez dans un sondage. Il suffit de poser les questions de la bonne façon, et l’affaire est jouée, d’autant que sur une question aussi complexe le diable se cache souvent dans les détails. Il ne faudrait donc pas exagérer la fiabilité des sondages. Si nos compatriotes s’étaient « largement fait leur avis depuis des décennies », les choses auraient bougé malgré l’opposition de ce « réseau d’influences » fantasmagorique que vous n’identifiez pas. De qui parlez-vous ? Des églises ? On a vu ce que leur opposition a pesé lors du débat sur le « mariage pour tous ».
Oui, beaucoup de nos concitoyens sont en favorables à l’euthanasie dans certains contextes – qui ne sont pas forcément les mêmes pour tous. Et c’est pour cette raison qu’elle est largement pratiquée sous des formes plus ou moins extrêmes « dans le dos de la loi ». Cela n’implique nullement que ces mêmes citoyens soient d’accord sur un cadre unique qu’on pourrait inscrire dans la loi… Le débat continue et continuera donc.
[On sait que l’assistance médicale au suicide, légalement encadrée et circonstanciée bien sûr, en fin de vie ou de maladies incurables est accordée dans des pays voisins aussi civilisés que le nôtre (Suisse, Luxembourg, Belgique, pour n’en citer que les plus proches) sans que cela ait entraîné des ‘seniorocides’ à la ‘Soleil Vert’, ni n’ait d’ailleurs multiplié les cas d’appels à de telles assistances ni les procès pour euthanasie systémique.]
Je me souviens encore d’un très bel article de « The Economist » – un journal où le libéralisme impénitent et assumé ne fait pas obstacle à l’expérimentation et à l’humour – concernant une modification du code des impôts américain. La modification, qui entrait en vigueur un 1er janvier, pénalisait plus lourdement les héritages. Le journaliste s’était amusé à compiler les statistiques de mortalité : il avait constaté un « pic » de mortalité au mois de décembre précédant la mise en œuvre de la réforme, pic qui n’avait concerné que les cliniques les plus huppées et avait épargné les hôpitaux des quartiers défavorisés. La réforme en question avait été baptisée « the unplug grandmother tax » (« l’impôt « débranchez grand-mère » »).
Il n’est pas évident d’évaluer les résultats d’une telle mesure – d’autant plus qu’elle reste souvent limitée à une classe sociale relativement aisée. Vous noterez tout de même que les pays que vous donnez en exemple ont la particularité d’être des paradis fiscaux. Est-ce une coïncidence ?
[Je sais juste, pour suivre ces questions et lire les témoignages s’y rapportant depuis des années, que la possibilité de pouvoir disposer éventuellement de l’assurance légale d’une telle assistance calme les angoisses de bien des gens appréhendant d’être livré à des agonies ou des fins de vie parfois atroces dont de nombreuses familles peuvent témoigner.]
Possible. Hier, c’était la promesse du paradis et de la vie éternelle, la certitude que nos souffrances ici-bas seraient récompensées dans l’au-delà qui remplissait la même fonction. Mais il ne faut tout de même pas exagérer : lorsqu’une personne connaît une « fin de vie atroce » au point de souhaiter la mort, et que la famille est d’accord, les médecins se débrouillent pour abréger les souffrances. Ne nous voilons pas la face : l’euthanasie est d’ores et déjà largement pratiquée. La question n’est pas tant de savoir si elle doit l’être, mais si elle doit être légalisée et pratiquée ouvertement, où s’il faut lui conserver son caractère semi-clandestin.
J’ajoute qu’il y a des gens qui connaissent des « fins de vie atroces » alors même qu’ils sont en parfaite santé. Combien de vieux sont abandonnés par leurs enfants, vivent avec des retraites de misère dans des logements froids et insalubres – quand ce n’est pas dans la rue ? Proposez-vous de les euthanasier eux aussi ?
Que répondre à qui entend “Etat nazi” quand on parle d’euthanasie ?
Et quel intérêt à se mobiliser pour faire évoluer une loi dans le sens des libertés individuelles du droit à son corps, à sa vie ou à ses idées s’il suffisait d’agir “dans le dos de la loi”, pour vivre dans une démocratie humaniste digne de ce nom ?
@ claustaire
[Que répondre à qui entend “Etat nazi” quand on parle d’euthanasie ?]
Que cela vous plaise ou non, l’Etat nazi est le dernier exemple où un Etat s’est arrogé le droit de décider que certaines vies ne valaient pas la peine d’être vécues… et les conséquences de ce choix ont été désastreuses. A minima, cela devrait inciter à une certaine prudence avant de renverser ce “tabou” qui veut que l’Etat a pour mission de prolonger autant que possible la vie des citoyens, et non de la raccourcir…
[Et quel intérêt à se mobiliser pour faire évoluer une loi dans le sens des libertés individuelles du droit à son corps, à sa vie ou à ses idées s’il suffisait d’agir “dans le dos de la loi”, pour vivre dans une démocratie humaniste digne de ce nom ?]
Il y a des questions que la loi peut régler pour le plus grand avantage de tous, et des questions qu’elle ne peut pas régler, parce qu’elles impliquent une telle diversité de situations qu’il est extrêmement difficile de trouver une règle unique. Si vous voulez un exemple, prenez l’excuse de légitime défense: si un individu rentre chez vous, et que vous utilisez contre lui une arme, vous le faites “dans le dos de la loi”, qui dit qu’il est interdit de tuer ou de blesser un être humain. Et ce sera au juge d’apprécier si la situation concrète dans laquelle vous vous trouviez justifiait ou non l’usage de l’arme. L’euthanasie, aujourd’hui, est un peu pareil: les médecins la pratiquent dans les faits, et c’est au juge d’apprécier si elle se justifiait ou pas. Maintenant, si vous voulez écrire dans le code pénal ce fonctionnement, je ne dis pas non. Mais ce n’est pas tout à fait ce que vous proposez…
Bonjour,
Je pratique les soins palliatifs de cancérologie au jour le jour.
Je suis globalement d’accord avec Descartes, qui résume peu ou prou l’opinion de la plupart des spécialistes de la question, en France.
Vous parlez de Belgique et de Suisse. En 10 ans d’exercice, à ma connaissance, aucun de mes patients ne s’est dirigé vers ces pays afin d’y trouver une solution ‘propre’ à leur fin de vie. Il faut dire que les quelques cas d’échecs ou d’erreurs retentissants dont nous avons pu entendre quelques échos par les professionnels concernés incitent à la plus grande prudence.
Je ne prétends pas que la France ait trouvé LA solution au problème fondamentalement insoluble et ultime qu’est la fin de la vie… mais ce n’est pas si mal.
Deux points à ajouter qui me semblent importants:
– En premier lieu, c’est un lieu commun, mais il est parfaitement exact que la quasi totalité des patients restent jusqu’à la fin très ambivalents sur la réalité de leur volonté d’euthanasie ou, en France, de sédation terminale. Je n’ai que peu d’exemples de patients qui maintiennent jusqu’à la fin cette décision. Cela pose plusieurs questions à mon avis sur la cause et les conséquences de ce phénomène:1. Peut-on vraiment en conclure qu’effectivement, en cas de prise en charge correcte, la sédation ou bien l’euthanasie ne sont pas nécessaires ? Est-il possible que la perte de dignité figurée par le patient encore ‘bien portant’ lorsqu’il s’imagine grabataire dans le futur, ne corresponde pas au ressenti réel du patient terminal à ce propos? C’est bien possible.
2. Les patients perdent-ils peu à peu, parallèlement à leur capacité de raisonnement rationnel en fin de vie, la possibilité de conserver une autonomie de pensée suffisante pour maintenir fermement une telle volonté d’euthanasie? On sait bien en effet que le suicide dit rationnel est une rareté en psychiatrie.
3. Les soignants influencent-ils à ce point leurs patients que ceux-ci puissent en perdre justement cette capacité à la décision autonome?
– En second lieu, il me semble, au fond de moi, qu’il est illusoire de penser que la fin de vie de l’être humain puisse se dérouler, en toutes circonstances, d’une façon qui paraisse ‘correcte’ aux yeux du patient ou, surtout, de sa famille. Outre les rares douleurs réfractaires, il y a tout ce qui entoure la mort: c’est dégueulasse, au fond. Chacun a beau faire au maximum de ses capacités professionnelles, la maladie, c’est souvent bien moche, et ça commence bien avant la fin. La diversité des situations est infinie, ce qui rend à mon avis complètement illusoire l’exigence rigide de certains de nos concitoyens. Et d’autant plus malaisé la législation sur la question. Malheureusement, ce qui était une évidence il y a quelques générations, ne l’est plus vraiment pour nos concitoyens. Et effectivement, au fond de tout cela, il y a le fait que la solidarité familiale, l’exigence inconditionnelle de la présence familiale et du soin lors des derniers jours sont effectivement de plus en plus ténus.
@ kranck
[1. Peut-on vraiment en conclure qu’effectivement, en cas de prise en charge correcte, la sédation ou bien l’euthanasie ne sont pas nécessaires ? Est-il possible que la perte de dignité figurée par le patient encore ‘bien portant’ lorsqu’il s’imagine grabataire dans le futur, ne corresponde pas au ressenti réel du patient terminal à ce propos ? C’est bien possible.]
C’est bien la difficulté avec les « directives anticipées ». Pour donner un exemple moins dramatique, ma mère a toujours exprimé son souhait de ne pas dépasser les 80 ans. Aujourd’hui, elle en a plus de 90 et elle est très contente d’être en vie. Il est difficile de se projeter dans une situation qu’on n’a jamais connue.
[2. Les patients perdent-ils peu à peu, parallèlement à leur capacité de raisonnement rationnel en fin de vie, la possibilité de conserver une autonomie de pensée suffisante pour maintenir fermement une telle volonté d’euthanasie ? On sait bien en effet que le suicide dit rationnel est une rareté en psychiatrie.]
Tout à fait d’accord. C’est pourquoi la question de l’expression de la volonté n’est pas suffisante.
[– En second lieu, il me semble, au fond de moi, qu’il est illusoire de penser que la fin de vie de l’être humain puisse se dérouler, en toutes circonstances, d’une façon qui paraisse ‘correcte’ aux yeux du patient ou, surtout, de sa famille. Outre les rares douleurs réfractaires, il y a tout ce qui entoure la mort : c’est dégueulasse, au fond. Chacun a beau faire au maximum de ses capacités professionnelles, la maladie, c’est souvent bien moche, et ça commence bien avant la fin.]
Oui, et vous touchez là un problème social. Dans une société qui met la jeunesse sur un piédestal, le « moche » commence avec le vieillissement. Par ce que le vieillissement, c’est la baisse progressive des capacités : on voit moins bien, on a moins de force, et vos articulations vous font mal. Derrière l’idée d’une perte de dignité « insupportable » qui justifierait l’euthanasie, il y a au fond une difficulté a accepter cette réalité qu’est la vieillesse.
[La diversité des situations est infinie, ce qui rend à mon avis complètement illusoire l’exigence rigide de certains de nos concitoyens. Et d’autant plus malaisé la législation sur la question.]
Nous sommes d’accord.
[Malheureusement, ce qui était une évidence il y a quelques générations, ne l’est plus vraiment pour nos concitoyens. Et effectivement, au fond de tout cela, il y a le fait que la solidarité familiale, l’exigence inconditionnelle de la présence familiale et du soin lors des derniers jours sont effectivement de plus en plus ténus.]
Oui. Et malheureusement, cela ne se règle pas avec une loi. Nous avons un problème de solidarité intergénérationnelle, qui apparaît de façon de plus en plus flagrante. Personnellement, je vois ce problème dans la multiplication de jeunes aujourd’hui qui déclarent ne pas vouloir d’enfants. C’est logique : une génération qui ne se sent pas obligée envers ses anciens n’a aucune raison d’avoir des enfants, puisque ceux-ci n’auront aucune obligation envers vous.
votre point de vue : « les médecins la pratiquent dans les faits » est typique de celui de celui qui a les ressources sociales de négocier informellement une euthanasie avec de bonnes relations au sein du corps médical.
Effectivement pour tous ceux-là, pas besoin d’une nouvelle loi sur l’euthanasie.
Par contre pour tous ceux qui n’ont pas ces facilités, la grande majorité, et j’en fais partie, une évolution serait très nécessaire.
(1) il se trouve que pour un proche parent, j’ai bien vu ce qu’était de négocier informellement une euthanasie. Tout un réseau de proximité sociale, d’assurances et de contre assurances mutuelles qu’il n’y aurait pas de part et d’autre d'”histoires”. Et aussi la capacité à approcher le sujet sans jamais le dire explicitement, qu’il n’y avait pas d’intérêt d’héritage conflictuels etc … Le tout dans une hospitalisation “privée” haut de gamme et chère faite à dessein de part et d’autre, ce qui n’était pas neutre pour le praticien participant à cette clinique. Je serai incapable de refaire tout cela pour moi-même.
@ marc.malesherbes
[votre point de vue : « les médecins la pratiquent dans les faits » est typique de celui de celui qui a les ressources sociales de négocier informellement une euthanasie avec de bonnes relations au sein du corps médical.]
Pourriez-vous être plus précis ? En quoi consistent les « ressources sociales » qui permettraient de négocier informellement une euthanasie ? Je dois vous préciser que je n’ai aucune « relation » dans le corps médical. J’ai, comme beaucoup de français de toutes conditions, un médecin qui me suit depuis des années, mais c’est tout.
[Par contre pour tous ceux qui n’ont pas ces facilités, la grande majorité, et j’en fais partie, une évolution serait très nécessaire.]
Pourtant, ce qui suit montre que vous, qui n’avez pas ces « facilités », avez bien réussi à négocier une euthanasie :
[(1) il se trouve que pour un proche parent, j’ai bien vu ce qu’était de négocier informellement une euthanasie. Tout un réseau de proximité sociale, d’assurances et de contre assurances mutuelles qu’il n’y aurait pas de part et d’autre d’”histoires”. Et aussi la capacité à approcher le sujet sans jamais le dire explicitement, qu’il n’y avait pas d’intérêt d’héritage conflictuels etc …]
Et si je comprends bien, la négociation a abouti ?
[Le tout dans une hospitalisation “privée” haut de gamme et chère faite à dessein de part et d’autre, ce qui n’était pas neutre pour le praticien participant à cette clinique.]
Je ne comprends pas en quoi le fait que l’hospitalisation fut « chère » changerait quelque chose. Au contraire : les conflits d’héritage qui pourraient se traduire en dénonciations d’une euthanasie pratiquée dans le dos de la loi pour un avantage financier sont bien plus probables chez les riches que chez les pauvres…
[Je serai incapable de refaire tout cela pour moi-même.]
Mais si vous étiez dans cette situation, ne pensez-vous pas que le fait qu’il faille trouver des assurances et contre-assurances, de montrer qu’il n’y a pas de conflits d’héritage n’est pas une garantie pour éviter que vous soyez débranché contre votre volonté ?
@ Descartes
[la multiplication de jeunes aujourd’hui qui déclarent ne pas vouloir d’enfants. C’est logique : une génération qui ne se sent pas obligée envers ses anciens n’a aucune raison d’avoir des enfants, puisque ceux-ci n’auront aucune obligation envers vous.]
Je pense qu’une autre explication forte existe : la démographie mondiale est une raison fondamentale de la sur-exploitation de la planète. Ne pas avoir d’enfants, surtout eu égard à ce qu’ils devront affronter au vu de ce que les générations d’aujourd’hui vont laisser, est peut-être un écot pour ne pas aggraver la situation (au prix de ne pas avoir le bonheur d’enfanter).
@ bob
[Je pense qu’une autre explication forte existe : la démographie mondiale est une raison fondamentale de la sur-exploitation de la planète.]
La multiplication des opportunités de consommation ou les voyages en avion aussi, et pourtant les unes comme les autres ne cessent de croître, alors que la démographie s’effondre… du moins dans les pays où la culture individualiste s’est imposée et la chaîne de transmission s’est rompue. Ne trouvez-vous pas ces coïncidences éclairantes ?
Pourquoi la peur de la peur de la “surexploitation de la planète” fonctionne chez nous et pas en Inde ou au Maghreb ? Tout simplement parce que dans des sociétés ou le capitalisme est plus récent et moins développé, on a plus besoin de ses parents quand on est jeune et plus besoin de ses enfants quant on est vieux. La chaîne intergénérationnelle n’est pas rompue. Dans nos sociétés “avancées”, avoir des enfants n’améliore pas significativement votre niveau de vie: il faut investir lourdement pour les éduquer, et une fois devenus indépendants ils ne veulent pas s’occuper du “vieux”…
[Ne pas avoir d’enfants, surtout eu égard à ce qu’ils devront affronter au vu de ce que les générations d’aujourd’hui vont laisser, est peut-être un écot pour ne pas aggraver la situation (au prix de ne pas avoir le bonheur d’enfanter).]
Autrement dit, c’est un pur altruisme ? On se prive du “bonheur d’enfanter” pour ne pas “aggraver la situation” de gens qu’on ne connaît même pas ? Je trouve votre confiance dans le dévouement des gens très touchante…
à Claustaire / Descartes
[Débat que je ne souhaite d’ailleurs pas prolonger]
C’est bien dommage. Je remarque que vous n’apportez pour le moment aucun contre argument de fond, en dehors de positions morales que l’on pourrait tout à fait retourner dans l’autre sens.
[il semblerait que nos compatriotes se soient sur cette question largement fait leur avis, depuis des décennies, même si, hélas, de puissants réseaux d’influences semblent pouvoir peser sur le Pouvoir]
Des puissants réseaux d’influence qui joueraient CONTRE une légalisation de l’euthanasie ? Quels réseaux ? J’ai pour ma part plutôt un sentiment inverse: l’idéologie libérale de la toute puissance de l’individu donne à plein pour faire exploser un à un les tabous qui forgeaient notre société. Et l’administration de la mort en fait partie.
[On sait que l’assistance médicale au suicide, légalement encadrée et circonstanciée bien sûr, en fin de vie ou de maladies incurables est accordée dans des pays voisins aussi civilisés que le nôtre (Suisse, Luxembourg, Belgique, pour n’en citer que les plus proches) sans que cela ait entraîné des ‘seniorocides’ à la ‘Soleil Vert’, ni n’ait d’ailleurs multiplié les cas d’appels à de telles assistances ni les procès pour euthanasie systémique.]
Soit vous êtes aveugles, soit vous n’avez pas pris la peine de vous renseigner: les expériences Belges, Suisses, Québécoises montrent au contraire une augmentation en flèche du recours à l’euthanasie, bien au-delà des seuils attendus lors de la mise en place de la législation. Quant aux dérives, on en arrive quand même à euthanasier une jeune fille dépressive en l’absence de consensus médical en Belgique, et à en faire un business hyperlucratif en Suisse… Et pour votre gouverne, il n’y a pas de seniorocides dans Soleil Vert, juste un endroit où vous pouvez vous présenter quand vous voulez mettre un terme à votre vie. Quelle différence avec le manifeste de l’association que vous mentionniez ?
Je trouve au contraire la comparaison avec Soleil vert extrêmement pertinente: dans un monde invivable, le lieu de mort (“home”) est le dernier endroit hospitalier, où vous êtes accueilli, considéré, traité avec courtoisie, et le dernier échappatoire à une réalité atroce. Alors notre monde n’est pas (encore) celui de Soleil vert, mais quand les conditions d’un suivi médical, social, psychiatrique de votre maladie sont dégradées au point de rendre votre existence insupportable, parce que vous n’avez plus accès au bon diagnostic, aux bons traitements, au suivi psychiatrique adapté, aux soins qui permettent à votre souffrance d’être tolérable, à l’environnement social qui vous donne envie de profiter de vos enfants encore un peu, de boire un verre de plus, de voir encore un coucher de soleil, oui, la mort devient un recours désirable. Mais ce n’est pas la souffrance qui la rends désirable. C’est l’absence de prise en charge de cette souffrance.
Et fatalement, une fois le tabou tombé, on sort d’une perspective humaniste, où l’on aide et accompagne un être humain jusqu’à ce que la mort le délivre, pour rentrer dans une dialectique entre le coût des soins et la possibilité de l’administration de la mort. En d’autres termes, si vous légalisez l’euthanasie, vous créez une alternative à la prise en charge de la fin de vie, et donc votre motivation à améliorer la prise en charge des patients en fin de vie s’en trouve automatiquement réduite. En effet, si aujourd’hui, en l’absence d’alternative, on investit pas dans les soins palliatifs, comment croire qu’avec l’existence d’une alternative on investira davantage dans l’accompagnement du patient condamné ?
[Je sais juste, pour suivre ces questions et lire les témoignages s’y rapportant depuis des années, que la possibilité de pouvoir disposer éventuellement de l’assurance légale d’une telle assistance calme les angoisses de bien des gens appréhendant d’être livré à des agonies ou des fins de vie parfois atroces dont de nombreuses familles peuvent témoigner.]
Je vous conseille la lecture de “La Maladie de Sachs”. Pendant des décennies, les patients étaient suivis pendant de longues années par leur médecin de famille, sur qui ils savaient pouvoir compter, de jour comme de nuit, chez qui ils savaient trouver une personne de confiance pour les soulager de leurs souffrances, parfois au prix d’une injection fatale de morphine. Aujourd’hui où la majorité de nos concitoyens n’arrive plus à prendre un simple rendez-vous chez un toubib, qui lui-même bosse de plus en plus souvent 35h par semaine à la minute près, évidemment, créer un accès légal à l’euthanasie devient une position consensuelle. Mais il faut s’interroger sur le pourquoi de cette demande: quand on connait l’état de la médecine, de la psychiatrie en France, rien d’étonnant.
@ P2R
[Je trouve au contraire la comparaison avec Soleil vert extrêmement pertinente: dans un monde invivable, le lieu de mort (“home”) est le dernier endroit hospitalier, où vous êtes accueilli, considéré, traité avec courtoisie, et le dernier échappatoire à une réalité atroce. Alors notre monde n’est pas (encore) celui de Soleil vert, mais quand les conditions d’un suivi médical, social, psychiatrique de votre maladie sont dégradées au point de rendre votre existence insupportable, parce que vous n’avez plus accès au bon diagnostic, aux bons traitements, au suivi psychiatrique adapté, aux soins qui permettent à votre souffrance d’être tolérable, à l’environnement social qui vous donne envie de profiter de vos enfants encore un peu, de boire un verre de plus, de voir encore un coucher de soleil, oui, la mort devient un recours désirable. Mais ce n’est pas la souffrance qui la rends désirable. C’est l’absence de prise en charge de cette souffrance.]
Je n’aurais pas pu mieux argumenter. Votre remarque me fait penser à celle de Betrand Russell : « quand on me dit « la vie est dure », j’ai envie de répondre « comparée à quoi ? » ». La souffrance fait partie de la vie. Et nous la supportons parce que la vie n’est pas QUE souffrance. Parce que, comme vous le dites si bien, nous avons envie de « profiter de nos enfants encore un peu, boire un verre de plus, voir encore un coucher de soleil ». Ce n’est donc pas la souffrance qui nous donne envie de mourir, c’est la perte de l’envie de jouir des plaisirs qu’elle nous procure.
[Et fatalement, une fois le tabou tombé, on sort d’une perspective humaniste, où l’on aide et accompagne un être humain jusqu’à ce que la mort le délivre, pour rentrer dans une dialectique entre le coût des soins et la possibilité de l’administration de la mort. En d’autres termes, si vous légalisez l’euthanasie, vous créez une alternative à la prise en charge de la fin de vie, et donc votre motivation à améliorer la prise en charge des patients en fin de vie s’en trouve automatiquement réduite.]
Là encore, je n’aurais pas dit mieux. Comme pour la suite de votre commentaire.
Je ne souhaitais pas apporter à ce débat davantage d’arguments qu’une association comme l’ADMD qui s’y consacre depuis des années. Au moins qu’on ne me reproche pas ma modestie 🙂
L’ADMD est justement une association qui ne dissocie pas l’urgence d’améliorer les soins palliatifs dans notre pays de celle de permettre que des maladies ou des agonies dont la souffrance n’est pas remédiable ni estimée vivable par le patient puissent être abrégées à la demande éventuelle de la personne concernée (évidemment selon un protocole médical légalement encadré).
Vous aurez remarqué qu’on n’a pas attendu de légaliser l’assistance médicale au suicide en fin de vie ou de maladie dégénérative incurable pour que la situation médicale de notre pays soit devenue de plus en plus problématique, voire déjà parfois scandaleuse…
Il n’y aurait pas de “business hyperlucratif en Suisse” si les Français disposaient dans leur pays des mêmes droits que les Suisses ont su s’accorder…
[l’idéologie libérale de la toute puissance de l’individu donne à plein pour faire exploser un à un les tabous qui forgeaient notre société]
Cette idéologie libérale n’est-elle pas justement celle des droits de l’Homme et du citoyen accordant à l’individu le droit de penser, vivre ou mourir sans avoir à subir l’aveugle despotisme ou les “tabous” (comme vous le rappelez) d’une Raison d’Etat ou d’Eglise ? Le libéralisme n’est-il pas justement cette philosophie questionnant la dialectique entre individu et société en vue de trouver le meilleur équilibre mutuel entre l’une et les autres au profit de tous ?
@ claustaire
[Il n’y aurait pas de “business hyperlucratif en Suisse” si les Français disposaient dans leur pays des mêmes droits que les Suisses ont su s’accorder…]
Pourquoi, les Suisses ne peuvent pas payer ? Le « business » serait certainement plus petit, mais pas moins « hyperlucratif ». Et il y aurait un « business hyperlucratif » en France…
[« l’idéologie libérale de la toute puissance de l’individu donne à plein pour faire exploser un à un les tabous qui forgeaient notre société » Cette idéologie libérale n’est-elle pas justement celle des droits de l’Homme et du citoyen accordant à l’individu le droit de penser, vivre ou mourir sans avoir à subir l’aveugle despotisme ou les “tabous” (comme vous le rappelez) d’une Raison d’Etat ou d’Eglise ?]
Je vous ai posé la question, mais comme je n’ai pas eu de réponse je vous la pose à nouveau. Etes vous pour un droit au suicide et un droit à l’aide au suicide EN GENERAL (et non limitée aux personnes souffrant d’une maladie incurable) ? Réfléchissez avant de répondre. Car si vous êtes cohérent avec ce que vous écrivez là-dessus, si l’idéologie « des droits de l’homme et du citoyen » accorde « à l’individu le droit de penser, vivre ou mourir sans avoir à subir l’aveugle despotisme ou les tabous », alors on voit mal pourquoi ce droit ne devrait être reconnu à tout individu majeur. Après tout, si mon voisin de vingt ans veut se suicider parce que sa copine l’a quitté, de quel droit puis-je porter atteinte à son « droit à mourir sans avoir à subir… etc. » ?
Sauf à admettre un droit au suicide généralisé, il vous faut accepter que les droits de l’homme n’incluent pas celui de choisir sa propre mort, et que la société a une sorte de droit à vous maintenir en vie y compris contre votre volonté. Il n’est pas clair pour moi à quel moment ce droit social s’arrête, quelle est la subtile barrière qui fait que j’ai le droit d’empêcher le suicide d’autrui dans certaines circonstances et pas dans d’autres. Et je ne crois pas que ce soit possible ni même souhaitable de définir cette subtile barrière dans un texte législatif sans prendre des risques sociaux importants.
Vous semblez ignorer que le suicide est parfaitement légal dans notre pays. C’est l’encouragement ou l’assistance au suicide qui ne l’est pas. C’est pourquoi, il y a des décennies déjà qu’un livre avait été interdit après sa publication (“Suicide mode d’emploi”)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Suicide,_mode_d%27emploi)
Ce n’est plus un crime depuis que nous ne vivons plus en théocratie (l’Église interdisait le suicide, considéré comme une rupture de contrat avec Dieu, seul décisionnaire de notre mort)
@ claustaire
[Vous semblez ignorer que le suicide est parfaitement légal dans notre pays.]
Si vous voyez une personne qui cherche à sauter sur une voie ferrée, vous êtes tenu de faire ce qui est en votre pouvoir pour l’en empêcher (sous la seule limite de ne pas vous mettre vous même en danger). Si vous ne le faites pas vous pouvez être poursuivi pour non-assistance à personne en danger. Comment la loi peut-elle vous ordonner d’empêcher un acte LEGAL, alors que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui a valeur constitutionnelle, proclame que “tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché” ? Et sur quel fondement on interdit à quelqu’un d’aider l’accomplissement d’un acte LEGAL ?
Le suicide n’est plus punissable en France depuis la Révolution. Mais ce n’est pas pour autant qu’il est “légal”. Il fait partie de ce groupe d’actes qui, sans être légaux, ne sont pas punissables.
Je constate que vous ne répondez toujours pas à la question, je la repose donc sous une autre forme: si j’ai bien compris, vous reconnaissez le droit de chacun à mettre fin à ses jours quand il l’entend. Dans ces conditions, si un jeune parmi vos proches prenait un cocktail de médicaments avec l’intention de se suicider suite à une peine de cœur, appelleriez-vous les pompiers pour l’en empêcher ?
@ Claustaire
[Vous aurez remarqué qu’on n’a pas attendu de légaliser l’assistance médicale au suicide en fin de vie ou de maladie dégénérative incurable pour que la situation médicale de notre pays soit devenue de plus en plus problématique, voire déjà parfois scandaleuse…]
Je ne comprends pas votre argument. Le fait qu’il n’y ait pas de causalité entre la dégradation de l’offre de soin actuelle et une législation sur la fin de vie n’est en rien contradictoire avec mon argument qui est de dire que la dégradation de l’offre de soins favorise la tentation de la légalisation de l’euthanasie, et n’augure en rien d’un éventuel changement dans la trajectoire de l’offre de soins si une telle législation était mise en place.
[Il n’y aurait pas de “business hyperlucratif en Suisse” si les Français disposaient dans leur pays des mêmes droits que les Suisses ont su s’accorder…]
Je ne savais pas que l’euthanasie était uniquement payante pour les Français. Salauds de Suisses !
[Cette idéologie libérale n’est-elle pas justement celle des droits de l’Homme et du citoyen accordant à l’individu le droit de penser, vivre ou mourir sans avoir à subir l’aveugle despotisme ou les “tabous” (comme vous le rappelez) d’une Raison d’Etat ou d’Eglise ? ]
L’existence de tabous ne vient pas du ciel ou d’un “aveugle despotisme”, contrairement à ce que vous semblez penser. Si on retrouve à travers les civilisations et les siècles certains interdits, c’est bien entendu parce qu’ls ont une utilité sociale. Aujourd’hui on balaye tous les “tabous” en partant du principe que nos ancêtres étaient des culs-terreux à moitié demeurés, aveuglés par des croyances absurdes et des pratiques anté-diluviennes néfastes par nature… Que des jeunes aient besoin de faire leurs propres erreurs pour reconnaitre vertu à l’expérience, c’est naturel. Mais quand le processus se déroule à l’échelle d’une civilisation, vous me permettrez d’avoir froid dans le dos.
On peut remetre un interdit en question, mais d’une main tremblante, et surtout en considérant soigneusement tous les tenants et les aboutissants.. pas tellement à la mode comme démarche…
[Le libéralisme n’est-il pas justement cette philosophie questionnant la dialectique entre individu et société en vue de trouver le meilleur équilibre mutuel entre l’une et les autres au profit de tous ?]
Dans cet échange, je ne vous oppose que des arguments strictements rationnels. Je vous mets au défi de relever un seul de mes propos relevant d’une posture morale, contrairement à vous, qui répétez sans cesse “droit à mourir, droit à mourir !” sans l’ombre d’un contre-argument autre que celui du totem sacré de la liberté individuelle, et ce au total mépris de ce “meilleur équilibre mutuel” entre individu et société… Alors ça, c’est la meilleure..
@ P2R (et claustaire)
Je me permets d’intervenir dans votre échange sur un point qui me paraît fondamental :
[« Cette idéologie libérale n’est-elle pas justement celle des droits de l’Homme et du citoyen accordant à l’individu le droit de penser, vivre ou mourir sans avoir à subir l’aveugle despotisme ou les “tabous” (comme vous le rappelez) d’une Raison d’Etat ou d’Eglise ? » L’existence de tabous ne vient pas du ciel ou d’un “aveugle despotisme”, contrairement à ce que vous semblez penser. Si on retrouve à travers les civilisations et les siècles certains interdits, c’est bien entendu parce qu’ls ont une utilité sociale. Aujourd’hui on balaye tous les “tabous” en partant du principe que nos ancêtres étaient des culs-terreux à moitié demeurés, aveuglés par des croyances absurdes et des pratiques anté-diluviennes néfastes par nature… Que des jeunes aient besoin de faire leurs propres erreurs pour reconnaitre vertu à l’expérience, c’est naturel. Mais quand le processus se déroule à l’échelle d’une civilisation, vous me permettrez d’avoir froid dans le dos.]
Tout à fait d’accord. Certains interdits sont d’ailleurs antérieurs à l’existence de l’Etat ou d’Eglise organisée – pensez à certains tabous sur l’inceste ou l’endogamie, qu’on retrouve dans des tribus amazoniennes. Il y a certains « tabous » qui s’imposent parce qu’ils sont indispensables à un fonctionnement social : rares sont les groupes humains où chaque membre du groupe est libre de tuer un autre membre quand il en a envie.
J’apporterai une petite nuance à la dernière phrase de votre commentaire. L’interdit n’a pas seulement pour fonction d’éviter des « erreurs » : il structure les sociétés. A tel point que certains interdits n’ont d’autre sens que de permettre les membres d’une même société de se reconnaître entre eux, de manifester une adhésion à un cadre commun. Pensez aux interdits alimentaires attachés aux différentes religions : quelle est leur utilité ? Si, comme le pensent certains, ils étaient à l’origine des précautions sanitaires, cette problématique ne se pose plus aujourd’hui, et depuis très longtemps. Et pourtant, ils se maintiennent presque sans changement depuis des millénaires…
@ Descartes et Claustaire
Je me permet un petit addendum pour dire que j’ai probablement entretenu malgré moi une confusion entre “tabou” et “interdit”, un point qui me semble tout à fait crucial.
Selon moi, l’interdit se réfère à ce qui relève de la sphère publique, et qui est donc explicitement illégal: ainsi le meurtre, le vol, la tenue de propos haineux, le blasphème ou le crime de lèse majesté (selon les temps et les mœurs) et j’en passe. Les interdits peuvent être nommés, donner lieux à de belles et terribles histoires que l’on conte au coin du feu.
En revanche, le tabou, c’est à dire les faits sociaux dont on doit taire l’existence, concerne la sphère privée: le suicide, l’adultère, la masturbation, l’alcoolisme, la dépression, l’homosexualité et le viol il n’y a pas si longtemps..
Il y a un paradoxe intéressant dans cette différentiation: de prime abord, on pourrait croire que le tabou, ce dont on ne doit pas parler, recouvre les faits sociaux les plus terribles, or c’est de l’inverse qu’il s’agit: si certains sujets sont tabous, c’est parce qu’ils concernent sûrement quelqu’un de votre entourage et qu’on préfère ne pas en parler. Alors que parler d’histoires de crimes atroces en repas de famille est bien moins susceptible de concerner quelqu’un autour de la table.
Evidemment, la classification entre légal, interdit ou tabou est en constante évolution. L’homosexualité n’est plus un tabou dans notre société, alors qu’elle est encore un interdit dans d’autres. Le viol est un interdit dans notre pays, c’est encore un tabou dans bien d’autres. Plus le régime est totalitaire, c’est à dire tends à diminuer l’emprise de la sphère privée au bénéfice de la sphère publique, plus la liste des tabous diminue et celle des interdits augmente: dans les régimes religieux d’hier et d’aujourd’hui, l’adultère, l’homosexualité, le suicide, l’altération volontaire de conscience sont condamnés par la loi. Plus le régime est libéral, c’est à dire plus la sphère privée s’étends au dépends du public, plus la liste des tabous s’étiole, le libre choix sacralisé des individus rendant légitime par exemple l’homosexualité, le divorce, et donc potentiellement le suicide.
La question finale est l’intérêt de l’existence de tabous. Il me semble que le tabou sert à établir cette zone trouble d’actes qui isolément, peuvent être tolérés sans risquer de nuire à la société mais qui, s’ils venaient à devenir des phénomènes de masse, risqueraient de la déséquilibrer. C’est pourquoi lever le tabou sur la consommation de drogues, le suicide, les jeux d’argent, et même sur l’éclatement familial me semble risqué. Ce n’est pas parce qu’isolément, ponctuellement, ces actes étaient dénués de portée sociale significative qu’ils n’en auront pas une majeure en cas de généralisation de ces comportements.
Selon moi,
@ P2R
[Je me permets un petit addendum pour dire que j’ai probablement entretenu malgré moi une confusion entre “tabou” et “interdit”, un point qui me semble tout à fait crucial. (…)]
Je suis d’accord avec vous sur le fait que le « tabou » est d’une certaine façon une prohibition qu’on voudrait inconcevable (et par conséquent informulable) alors que « l’interdit » peut être clairement formulé et donc discuté. Par contre, je ne pense pas que l’interdit se réfère exclusivement à la sphère publique. « Tu honoreras ton père et ta mère » est bien un interdit (même si c’est formulé comme une injonction) qui relève de la sphère privée.
[Plus le régime est totalitaire, c’est à dire tends à diminuer l’emprise de la sphère privée au bénéfice de la sphère publique, plus la liste des tabous diminue et celle des interdits augmente : dans les régimes religieux d’hier et d’aujourd’hui, l’adultère, l’homosexualité, le suicide, l’altération volontaire de conscience sont condamnés par la loi. Plus le régime est libéral, c’est à dire plus la sphère privée s’étends au dépends du public, plus la liste des tabous s’étiole, le libre choix sacralisé des individus rendant légitime par exemple l’homosexualité, le divorce, et donc potentiellement le suicide.]
Je ne partage pas votre analyse. La société française aujourd’hui n’a pas moins de tabous que celle d’il y a cinquante ans. Simplement, ces tabous sont différents. On peut parler d’homosexualité, mais essayez de parler d’une hiérarchie entre les cultures ou de critiquer la parité, et vous verrez ce qui vous arrive. Qu’est ce que la « cancel culture », sinon une machine à créer des tabous ?
[La question finale est l’intérêt de l’existence de tabous. Il me semble que le tabou sert à établir cette zone trouble d’actes qui isolément, peuvent être tolérés sans risquer de nuire à la société mais qui, s’ils venaient à devenir des phénomènes de masse, risqueraient de la déséquilibrer.]
Je ne partage pas cette analyse. Je pense plutôt que les tabous existent là où existe un décalage important entre les prescriptions de l’idéologie dominante et la pratique réelle. En débattre conduirait forcément à mettre le projecteur sur le décalage entre l’idéologie et le réel, et donc à remettre en cause l’idéologie, puisque le réel continue à exister même lorsqu’on a cessé de croire. C’est pourquoi ce débat ne peut être permis.
Prenez l’exemple de l’inceste. Il était « tabou » aussi longtemps que l’idéologie dominante fondait la société sur la famille. Maintenant que chez nous l’institution familiale est remise en cause, on peut commencer à en parler. Dans les pays où la famille reste le pilier de la société, l’inceste reste souvent un tabou…
une bonne nouvelle pour ce début 2024:
Sur les onze premiers mois de l’année,le nombre de naissances a reculé de 6,8 %, … dit l’Insee
https://www.midilibre.fr/2024/01/07/nouvelle-chute-des-naissances-en-france-en-2023-avec-83-de-bebes-loccitanie-est-la-deuxieme-region-la-plus-touchee-11680756.php
la planète étant largement surpeuplée, c’est une vraie bonne nouvelle.
Surpeuplée ? oui, si l’on voulait assurer à tous les habitants de la planète le niveau de vie ne serait-ce que celui de la France avec ses nombreux pauvres, ce serait « impossible » en terme de ressources physiques, énergétiques etc … sans parler d’une accélération vertigineuse du réchauffement climatique.
Une bonne nouvelle pour la France ? Certainement si nous cessions de raisonner en capitalistes en étant obsédé de « puissance », de « PIB ». Si nous faisions comme les japonais dont la population décline pour leur plus grand bien et qui ne font pas appel à l’immigration pour “compenser”. Ils ont un niveau de vie, une sécurité, une espérance de vie qui nous dépassent déjà largement.
Il est vrai que pour que cette nouvelle soit vue comme positive par le plus grand nombre, il faudrait modifier pas mal de leurs façons de penser et de faire, influencés qu’ils sont par l’idéologie dominante. Rien ne peut satisfaire tout le monde …
@ marc.malesherbes
[une bonne nouvelle pour ce début 2024: Sur les onze premiers mois de l’année,le nombre de naissances a reculé de 6,8 %, … dit l’Insee (…) la planète étant largement surpeuplée, c’est une vraie bonne nouvelle.]
Avec le même raisonnement, vous devriez vous réjouir des pestes, des famines, des guerres, puisque ces occurrences contribuent, au même titre que la baisse de la natalité, à dépeupler notre planète si surpeuplée…
[Une bonne nouvelle pour la France ? Certainement si nous cessions de raisonner en capitalistes en étant obsédé de « puissance », de « PIB ». Si nous faisions comme les japonais dont la population décline pour leur plus grand bien et qui ne font pas appel à l’immigration pour “compenser”. Ils ont un niveau de vie, une sécurité, une espérance de vie qui nous dépassent déjà largement.]
« Largement » ? Vous devriez regarder les statistiques : l’espérance de vie pour un japonais né en 2020 était de 84 ans, contre 83 ans en France (chiffres sur le site de l’OCDE). Elle est donc supérieure au Japon, mais pas « largement ». Quant au niveau de vie, si je regarde les indicateurs de l’OCDE, le Japon est derrière la France dans presque tous les domaines : logement (6,1 au Japon contre 6,8 en France), revenu (3,6 contre 4,3), liens sociaux (5,5 contre 8,2), engagement civique (2,0 contre 5,8), santé (5,3 contre 7,7), équilibre travail-vie (3,4 contre 8,1),satisfaction générale (4,1 contre 6,1). Seuls font exception l’environnement (6,7 contre 6,0), l’éducation (7,7 contre 6,3) et l’emploi (8,3 contre 7,5). Quant à la sécurité, on est pratiquement à égalité, 8,4 contre 8,1…
statistiques intéressantes.Je n’ai pas trouvé les données sur le site OCDE.Avez-vous l’adresse internet ?nb: la baisse de natalité me paraît une méthode de baisse de la population mondiale plus “douce” que les guerres et autres catastrophes.
@ marc.malesherbes
[statistiques intéressantes.Je n’ai pas trouvé les données sur le site OCDE.Avez-vous l’adresse internet ?]
https://www.oecdbetterlifeindex.org/fr/countries/france-fr/
[la baisse de natalité me paraît une méthode de baisse de la population mondiale plus “douce” que les guerres et autres catastrophes.]
Pas évident. La baisse de la natalité a un effet catastrophique sur la pyramide des âges, parce qu’elle “tue” les générations les plus jeunes. Les catastrophes en général ont au contraire pour effet de rajeunir la société!
La majorité présidentielle présente son nouveau gouvernement comme une formation de bataille contre le RN, voulant ainsi nous enfermer à nouveau dans un choix sans débat d’idées, et ne remettant pas en cause la construction fédéraliste de l’UE.
Le PS, par la voix de Raphael Glucksman, prétendant lutter contre ce faux débat, propose encore plus d’Europe.
Les autres formations de gauche définissent le RN comme l’ennemi à abattre.
Finalement, tous vont dans le même sens.
Si l’on veut bien considérer que, dans l’état actuel des choses, aucune politique nationale n’est possible, je fais la proposition suivante: pour inverser la hiérarchie des normes, lancer un référendum d’initiative partagée qui propose ce retour à la souveraineté.
Je suis peut-être un nostalgique du référendum de 2003, qui avait été un grand moment d’éducation populaire mené avec succès.
Mais pas question de « non de gauche » ou de « non de droite ». Un succès à un tel référendum nécessiterait non seulement l’appui de députés de différentes formations politiques, mais les pétitionnaires de gauche comme de droite, extrêmes y compris, et bien sûr les électeurs. Pas d’exclusion possible. Ça aurait le mérite de clarifier la situation.
@ Paul
[La majorité présidentielle présente son nouveau gouvernement comme une formation de bataille contre le RN, voulant ainsi nous enfermer à nouveau dans un choix sans débat d’idées, et ne remettant pas en cause la construction fédéraliste de l’UE.]
C’est un hommage du vice à la vertu : aujourd’hui, même les fédéralistes se sentent incapables de défendre rationnellement un projet européen positif. Ils ne trouvent de salut que dans une campagne négative, jouant sur la peur. Songez qu’en 2022 on aurait pu célébrer le trentième anniversaire de la ratification du traité de Maastricht. Avez-vous vu des célébrations, vous ?
[Le PS, par la voix de Raphael Glucksman, prétendant lutter contre ce faux débat, propose encore plus d’Europe.]
Oui, mais son projet de « plus d’Europe » est inaudible. Que propose-t-il, à part cette « Europe sociale » qui rappelle la formule de Lewis Carroll : « marmelade hier, marmelade demain, mais jamais marmelade aujourd’hui ». Les socialistes cherchent à capitaliser les peurs de la gauche macroniste, c’est tout.
[Les autres formations de gauche définissent le RN comme l’ennemi à abattre. Finalement, tous vont dans le même sens.]
Oui, parce qu’ils ont tous le même problème. Ils ne contestent pas « l’Europe » sur le fond – leur électorat « classe intermédiaire » ne les suivrait pas – mais n’ont aucun projet à mettre sur la table. Personne ne croit à « l’autre Europe » tout simplement parce que personne ne croit à la possibilité de réformer de l’intérieur l’immense machine qu’est devenue Bruxelles, et que les traités verrouillent complètement. Alors, il ne leur reste qu’une possibilité : se trouver un diable de confort. Avec le risque que, devant un discours aussi pauvre, les gens s’abstiennent voire trouvent que le diable n’est pas si méchant qu’on le dit…
[Si l’on veut bien considérer que, dans l’état actuel des choses, aucune politique nationale n’est possible, je fais la proposition suivante : pour inverser la hiérarchie des normes, lancer un référendum d’initiative partagée qui propose ce retour à la souveraineté.]
En fait, il suffirait d’une simple modification de la Constitution. Après la formule selon laquelle les traités régulièrement ratifiés sont supérieurs aux lois, même postérieures – disposition absolument nécessaire pour que la signature de la France ait un sens – il faudrait préciser que cette règle ne s’applique qu’au corps du traité, et non au droit dérivé élaboré par les instances prévues par les traités en question, sauf ratification de ce droit dérivé dans les mêmes formes.
[Je suis peut-être un nostalgique du référendum de 2003, qui avait été un grand moment d’éducation populaire mené avec succès.]
Je suis d’accord.
[Mais pas question de « non de gauche » ou de « non de droite ». Un succès à un tel référendum nécessiterait non seulement l’appui de députés de différentes formations politiques, mais les pétitionnaires de gauche comme de droite, extrêmes y compris, et bien sûr les électeurs. Pas d’exclusion possible. Ça aurait le mérite de clarifier la situation.]
Malheureusement, je ne crois pas un seul instant que les conditions pour un tel appel soient remplies.
Je reviens à vous, et à vos éventuels lecteurs, sur cette question de l’assistance médicale en fin de vie ou en cours de maladie dégénérative incurable.
Ayant, en vue d’une réunion publique, été amené à relire les conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie (printemps 2023), et les trouvant fort pertinentes, réfléchies et prudentes, je me dis qu’elles pourraient peut-être utilement alimenter votre propre réflexion mieux que l’ADMD (dont le recours à la notion de dignité ou d’indignité prête, semble-t-il, trop le flanc à certaines méfiances ou digressions).
Voici le lien sur ces conclusions :
https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/288846.pdf
Avec mes respects.
@ claustaire
[Ayant, en vue d’une réunion publique, été amené à relire les conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie (printemps 2023), et les trouvant fort pertinentes, réfléchies et prudentes, je me dis qu’elles pourraient peut-être utilement alimenter votre propre réflexion mieux que l’ADMD]
Merci pour ce texte, que je connaissais par ailleurs. Il est très éclairant. On voit que les citoyens relativisent très fortement l’idée d’un « droit à choisir l’instant de sa mort », puisque même s’ils sont favorables à l’aide active au suicide (et bien moins favorables à l’euthanasie), ils le sont sous des conditions draconiennes pour éviter les dérives. Le problème, c’est qu’une fois qu’on a manifesté l’intention d’éviter les dérives, il reste à savoir si les conditions proposées seraient efficaces. A mon sens, la réponse est négative.
Je relève un point intéressant dans le texte : lorsqu’on parle de « pronostic vital engagé à long terme », on a l’impression que les auteurs du texte se jugent eux-mêmes immortels. Parce que, désolé de le rappeler, à long terme le pronostic vital de tout être humain est engagé…
Bonjour
Je tiens à vous souhaiter une belle année 2024 pour vous et vos proches. Je vous remercie ainsi que les commentateurs pour l’intérêt et la richesse de votre blog. J’en profite pour intervenir sur ce point de la fin de vie et vous proposer les réflexions du Pr Roger Gil disponibles sur le site de l’Espace de Réflexion éthique de Nouvelle Aquitaine.
https://poitiers.espace-ethique-na.fr/actualites_931.html
Ces billets éthiques sont pour moi un outil de réflexion que je souhaiterais partager.
Dans certains de ces billets, la question de la fin de vie est discutée et le lien est fait entre une société dont la solidarité se délite et une forte propension à envisager l’aide à mourir comme un mode de gestion. Il parle de l’exemple belge où l’euthanasie est proposée en particulier pour des dépressions.
https://poitiers.espace-ethique-na.fr/actualites_931/belgique_3528.html
https://poitiers.espace-ethique-na.fr/actualites_931/aide-a-mourir_3548.html
L’euthanasie devient un mode de gestion de la dépression qui fait perdre l’objectif de soins, d’empathie, d’accompagnement pour une gestion normative par des personnes qui sont des fervents défenseurs de l’euthanasie de personnes malades dont l’expression de la volonté est altérée par la maladie.
L’euthanasie semble être un moyen de gestion économique de pathologies et de fin de vie et permet surtout d’éviter de se poser la question de l’accompagnement des personnes en souffrance, de leurs soins. Si la solution est l’euthanasie alors pourquoi des soins coûteux, la solidarité consiste alors pour le malade de s’effacer par l’euthanasie ou le suicide assisté pour ne pas être un poids pour les autres. On peut s’attendre alors à la disparition des services de soins palliatifs remplacés par des services d’euthanasie. Mais dans ce cas, nous aurons changé de société mais j’ai malheureusement l’impression que nous y sommes déjà.
@ Bône la coquette
[J’en profite pour intervenir sur ce point de la fin de vie et vous proposer les réflexions du Pr Roger Gil disponibles sur le site de l’Espace de Réflexion éthique de Nouvelle Aquitaine.]
J’ai regardé un peu… je suis toujours un peu méfiant lorsque je vois une institution qui se prétend plurielle mais où l’on n’entend que la voix d’une seule personne. On pourrait se dire que ce « Pr. Gil » écrit un peu trop pour être honnête… Mais la qualité des textes impressionne, notamment par leur caractère nuancé sur des sujets où en général abondent les avis tranchés.
[Dans certains de ces billets, la question de la fin de vie est discutée et le lien est fait entre une société dont la solidarité se délite et une forte propension à envisager l’aide à mourir comme un mode de gestion. Il parle de l’exemple belge où l’euthanasie est proposée en particulier pour des dépressions.]
C’est pourquoi je me demande si la question de la fin de vie doit être regardée du strict point de vue éthique. Que cela pose des problèmes éthiques, je le conçois aisément. Mais sur le fond, il ne s’agit pas d’une question éthique, mais d’une question politique au sens stricte du terme. Il ne s’agit pas de raisonner en termes de ce qui est « bien » ou « mal », mais des effets que telle ou telle position peuvent avoir sur le fonctionnement de la société. Après tout, du moins dans une logique matérialiste, l’éthique dérive des besoins sociaux, et non l’inverse.
Sauf rares exceptions, toutes les sociétés humaines sont fondées sur une logique de préservation de la vie. Toutes interdisent d’ôter la vie à son prochain sauf dans des circonstances bien spécifiques, qui sont toujours liées à la préservation du groupe. Et toutes évitent de rentrer dans le débat entre les « vies utiles » qu’il faudrait préserver, et les « vies inutiles » qu’on pourrait sacrifier. Le débat actuel sur la fin de vie franchit ce tabou, et ce fait devrait nous alerter : une société qui ne se fixe pas elle-même la préservation de la vie comme objectif est-elle en train de mourir elle-même ?
[L’euthanasie semble être un moyen de gestion économique de pathologies et de fin de vie et permet surtout d’éviter de se poser la question de l’accompagnement des personnes en souffrance, de leurs soins. Si la solution est l’euthanasie alors pourquoi des soins coûteux, la solidarité consiste alors pour le malade de s’effacer par l’euthanasie ou le suicide assisté pour ne pas être un poids pour les autres.]
C’est bien cette pente fatale qui fait qu’à mon avis il est urgent de ne pas légiférer sur la question, que l’euthanasie ou le suicide assisté doivent rester, par essence, clandestins. Des actes que la société tolère, mais qu’elle ne peut approuver.
Merci pour votre blog, dont je lis tous les articles depuis 4 ou 5 ans. (Je ne lis jamais les commentaires.) Je me reconnais souvent dans votre cœur de cible : la classe intermédiaire dotée d’une sensibilité de gauche qui se caractérise par une générosité abstraite. À chaque article ou presque, vous me montrez sans condescendance que ce que je crois juste est inconséquent, voire contradictoire. Tous les un ou deux mois, je viens prendre ma claque sur votre blog en lisant la poignée de nouveaux articles. Ensuite, j’essaye de m’amender, de digérer, et je me persuade que j’y arrive… jusqu’à ce que je revienne sur votre blog et constate amèrement que mes analyses sont toujours aussi superficielles qu’avant. Re-claque !
Si je ne laisse pas de commentaires à vos articles, ne croyez pas que c’est parce qu’ils m’indiffèrent. C’est juste que je ne suis pas au niveau.
Je vous souhaite une bonne année 2024.
@ Stéphane
[Merci pour votre blog, dont je lis tous les articles depuis 4 ou 5 ans. (Je ne lis jamais les commentaires.)]
Vous devriez… les commentaires sont souvent aussi intéressants, sinon plus, que les articles…
[Tous les un ou deux mois, je viens prendre ma claque sur votre blog en lisant la poignée de nouveaux articles. Ensuite, j’essaye de m’amender, de digérer, et je me persuade que j’y arrive… jusqu’à ce que je revienne sur votre blog et constate amèrement que mes analyses sont toujours aussi superficielles qu’avant. Re-claque !]
Et vous revenez ? Vous êtes masochiste ?
Loin de moi l’idée de pousser quiconque à « s’amender ». Personne ne choisit la classe – ou la société – dans laquelle il nait, et nous sommes tous plus ou moins aliénés à une idéologie dominante. Le mieux que nous puissions faire, est d’en avoir conscience…
[Si je ne laisse pas de commentaires à vos articles, ne croyez pas que c’est parce qu’ils m’indiffèrent. C’est juste que je ne suis pas au niveau.]
Mais si, mais si. Dites vous bien que c’est en forgeant qu’on devient forgeron, même si souvent les premiers fers qu’on forge sont de travers…
Bonsoir Descartes,
Mes meilleurs vœux pour cette année 2024 à vous et à vos proches.
Je le reconnais, je suis devenu particulièrement véhément dans nos échanges l’année passée. Ce faisant, j’espère toutefois ne pas vous avoir manqué de respect. Comment dire, alors que la France avait tout pour devenir un paradis terrestre, au nom de délires idéologiques, elle est en train de s’enfoncer dans les abîmes (mais pas seulement sur les problématiques identitaires j’en conviens), et dans tout cela je me sens complètement impuissant.
Mais le fond de nos divergences d’opinions, telles que je les conçois, c’est que vous êtes un constructiviste qui pense que la pensée des individus peut être modelée par l’État, pour peu qu’il sache manier habillement le bâton et la carotte. Moi, je considère, outre le fait qu’on ne peut forcer à boire un âne qui n’a pas soif, que sauf à constituer un état totalitaire qui enlèverait les enfants à leurs parents dès leur naissance, que les structures communautaires, familiales prédomineront toujours dans la construction idéologiques des individus.
Mais à défaut de considérer l’argumentation développée par moi (et d’autres) sur votre blog comme pertinente, prenez au moins acte que mes « obsessions », si elles ne sont pas majoritaires dans ce pays, sont néanmoins de moins en moins marginales, et donc que toute politique intelligente doit composer avec. Et si de mon côté, il n’y a aucune volonté de (ne plus) faire la moindre concession, il y a encore moins de raisons pour que ça soit franchement différent de l’autre côté. Quand on considère les termes d’un accord inacceptables, ils sont inacceptables.
@ François
[Je le reconnais, je suis devenu particulièrement véhément dans nos échanges l’année passée. Ce faisant, j’espère toutefois ne pas vous avoir manqué de respect.]
Si j’avais pensé que vous l’aviez fait, je vous l’aurais dit. La courtoisie n’exclut pas la passion, et j’aime les débats passionnés. Il est vrai que quelquefois la passion peut faire dépasser certaines limites, mais avec une pincée de bienveillance, ça se gère… je vous rassure donc, rien de ce que vous avez pu écrire ne m’a offensé.
[Comment dire, alors que la France avait tout pour devenir un paradis terrestre, au nom de délires idéologiques, elle est en train de s’enfoncer dans les abîmes (mais pas seulement sur les problématiques identitaires j’en conviens), et dans tout cela je me sens complètement impuissant.]
Je comprends votre colère, et je la partage, même si chez moi les passions sont souvent froides… Cela étant dit, je pense que vous faites fausse route en pensant que cette dégradation vient des « délires idéologiques ». Les « délires » en question ne sont que l’alibi d’intérêts tout à fait matériels.
[Mais le fond de nos divergences d’opinions, telles que je les conçois, c’est que vous êtes un constructiviste qui pense que la pensée des individus peut être modelée par l’État, pour peu qu’il sache manier habillement le bâton et la carotte.]
Alors, vous m’avez très mal compris. Je ne pense pas que la pensée des individus puisse être « modélée » par l’Etat. Ce serait d’ailleurs assez contradictoire avec la vision matérialiste et marxiste que je défends ici, puisque dans ce cadre c’est d’abord les rapports matériels – les rapports de classe – qui « modèlent » la pensée des individus à travers notamment de l’idéologie dominante. Si j’étais « constructiviste », je penserais que l’Etat peut convaincre les bourgeois à renoncer à exploiter le travail. Pensez-vous que mes papiers aillent dans ce sens ?
Non : je pense que l’Etat peut, lorsque le rapport de forces le permet, organiser la société. Qu’il peut créer des règles qui nous éloignent de la loi de la jungle, modifier le partage de la valeur produite, dégager un intérêt général à partir des intérêts particuliers. Mais certainement pas changer la « pensée des individus ». Tout au plus, leur donner – à travers l’éducation – les éléments pour qu’ils pensent par eux-mêmes. Quand même il le pourrait, serait-ce souhaitable ? Je vous renvoie à la problématique évoquée dans « Orange mécanique »…
[Moi, je considère, outre le fait qu’on ne peut forcer à boire un âne qui n’a pas soif, que sauf à constituer un état totalitaire qui enlèverait les enfants à leurs parents dès leur naissance, que les structures communautaires, familiales prédomineront toujours dans la construction idéologiques des individus.]
Pourtant, vous voyez empiriquement que ce n’est pas – ou plus – le cas. Pensez à l’énorme influence qu’ont aujourd’hui les médias – que ce soit les médias de masse ou les réseaux sociaux – alors que les structures communautaires et familiales, sauf pour ce qui concerne les immigrés et encore, pèsent de moins en moins dans l’éducation des enfants.
[Mais à défaut de considérer l’argumentation développée par moi (et d’autres) sur votre blog comme pertinente, prenez au moins acte que mes « obsessions », si elles ne sont pas majoritaires dans ce pays, sont néanmoins de moins en moins marginales, et donc que toute politique intelligente doit composer avec.]
Je ne suis pas d’accord avec vous. Que la préoccupation sur ces sujets soit aujourd’hui très largement partagée, ce dont je vous donne acte volontiers, n’implique nullement qu’elles aient pour beaucoup de nos concitoyens le caractère d’une « obsession ». Et j’ajouterais que s’il faut prendre en compte ces préoccupations, c’est moins parce qu’elles sont répandus que parce qu’elles reflètent des problèmes réels.