Paris est une fête

« L’essentiel n’est pas de gagner mais de participer »
Pierre de Coubertin
, 1908

Certains de mes lecteurs s’étonneront de voir que j’ai attendu que les Jeux Olympiques de Paris commencent pour écrire un papier sur le sujet. Après tout, nous avons vécu ces deux dernières années la préparation des jeux, la construction des sites olympiques, la dépollution de la Seine, la préparation de la cérémonie d’ouverture, le tout avec leur cortège de rumeurs – et comment pouvait-il en aller autrement chez d’incorrigibles Gaulois – de polémiques et de râles divers. Un Martien qui aurait lu la presse française aurait sans difficulté conclu que les jeux n’intéressaient personne, que la circulation serait chaotique, qu’on irait d’échec en désastre.

Franchement, je ne voulais pas joindre ma voix à celle de tous ces pisse-vinaigre, qui voient toujours le verre à moitié vide, qui prédisent toutes sortes de catastrophes, qui ne sont jamais contents. Maintenant que la cérémonie d’ouverture est passée, que la mécanique olympique tourne comme une horloge, qu’on a pu nager dans la Seine, qu’on ne croise dans la rue que des gens contents, on peut commenter avec une vue un peu plus équilibrée de la chose sans risquer de se faire tancer de naïveté ou pire.

Pour commencer, on ne peut que noter à quel point le concept même des jeux olympiques est en décalage par rapport à notre monde post-moderne. Il est d’ailleurs drôle de voir combien la référence à Pierre de Coubertin a pratiquement disparu des discours. Il faut dire que le personnage n’est pas très « présentable » à l’aune des critères « woke » d’aujourd’hui. Pensez-y : passionné d’histoire ancienne, conscient de l’importance de la filiation culturelle gréco-latine, voulant par son action donner aux jeunes le goût de l’effort, passablement misogyne… tout pour plaire, quoi. Difficile d’en faire une figure « intersectionnelle »…

Anachronisme aussi, parce que les jeux olympiques restent sans ambiguïté une confrontation entre nations. Tout est fait dans le rituel olympique pour faire des athlètes des représentants de leur pays : à la cérémonie d’ouverture, ils défilent derrière leur drapeau national, à chaque compétition les drapeaux des trois premiers sont déployés, et retentit l’hymne national du vainqueur. À la fin, on compte les médailles et on classe les pays. Dans nos médias, on n’a jamais vu autant les trois couleurs, jamais entendu autant parler de « patriotisme ». Avouez que dans une société où tout est fait pour relativiser l’attachement national, il y a là une contradiction amusante. Oublié d’ailleurs le projet de faire défiler les athlètes européens derrière la bannière étoilée – non, je ne parle pas du drapeau américain, quoique… – que certains avaient proposé aux jeux précédents. Alors qu’on nous répète sur tous les tons que « nous sommes tous des Européens », nulle part on ne voit les supporters agiter des drapeaux bleus aux étoiles, ou aller supporter les athlètes bulgares ou irlandais avec le même enthousiasme que les athlètes français. Comme quoi, même si cela doit déplaire aux apôtres du post-nationalisme, l’identification nationale reste toujours aussi puissante.

Mais il y a un autre aspect sur lequel le décalage est évident : C’est la question de la victoire comme récompense de l’effort et de l’exigence. Derrière chaque athlète qui monte sur le podium, il y a des années d’efforts, de sacrifices, d’un entraînement exigeant. Et puis, pour chaque médaillé il y en a plusieurs qui ratent la marche. Dans une société qui prétend bannir la notation à l’école au motif que cela pourrait détruire la « confiance en soi » des élèves, qui prône « le succès pour tous » – ce qui suppose l’échec pour personne – la logique olympique, avec son ethos compétitif où seuls les meilleurs emportent or, argent ou bronze, demeure une rare exception.

Après, il y a aura toujours ceux qui monteront dans les tours pour dénoncer le caractère somptuaire de la manifestation olympique, l’argent dépensé pour cette fête du sport alors que nos écoles et nos hôpitaux crient misère. Encore une fois, je ne me joindrai pas à eux. L’homme ne vit pas que de pain, et les manifestations qui permettent à un peuple de mettre en avant son unité, sa force, son identité s’avèrent, sur le long terme, rentables. Parce qu’elles ont un effet ensuite sur l’efficacité globale de la société. Et la meilleure preuve en est que toutes les grandes civilisations y ont eu recours. Depuis les fêtes grecques ou romaines dont nous parlent les auteurs anciens, jusqu’aux expositions universelles et les jeux olympiques, en passant par les fêtes à Versailles sous Louis XIV ou la fête de la Fédération en 1790 et la célébration du 7 novembre ou du 1er mai en URSS.

Au-delà de ces considérations générales, on peut ensuite regarder comment ont été organisés les jeux de Paris. Et sur la préparation, je pense qu’on peut raisonnablement être fiers. D’abord, parce que tous les ouvrages prévus pour les jeux ont été livrés par la Solideo, l’établissement publique chargé de la maîtrise d’œuvre, en temps, en heure, et – et cela est plus rare – en budget. On aura dépensé pour les jeux de Paris trois fois moins que pour ceux de Londres, et quatre fois moins qu’à Tokyo. Cet exploit a été possible pour deux raisons : d’une part, parce que la région parisienne a déjà d’excellentes infrastructures, héritage d’une longue histoire d’aménagement du territoire. D’autre part, on a fait le choix de réhabiliter et d’agrandir des infrastructures existantes plutôt que de construire à neuf des éléphants blancs qu’on aurait eu du mal à valoriser ensuite. Mais aussi parce que, comme le disait si justement le directeur général de la Solideo, « la France est une Nation de bâtisseurs » qui sait encore conduire des projets. Quel dommage que nos bâtisseurs aient si peu d’opportunités de montrer leurs talents…

Après une semaine de compétitions, même les critiques les plus féroces sont obligés d’admettre que la mécanique fonctionne. Il y a bien entendu des incidents ici où là, mais globalement les athlètes arrivent à l’heure aux compétitions, le public est au rendez-vous, les transports fonctionnent impeccablement, les forces de l’ordre sont présentes sans excès, et tous les Parisiens, d’ordinaire si brusques, sont polis et même cordiaux avec la foule des visiteurs qui remplit les rues, les transports, les cafés. Ceux qui ont un peu d’expérience dans ce genre d’affaires savent que tout cela n’arrive pas par miracle : c’est le signe d’une préparation où même l’improvisation est soigneusement préparée. Et c’est aussi rendu possible par un État efficace, par une population qui, quoi qu’en disent les commentateurs, est fière de son pays et veut que celui-ci présente sa meilleure image.

Bien entendu, il y a des côtés négatifs. Pour moi, le pire est la prise de pouvoir du fric sur les Jeux. La publicité est omniprésente. Elle recouvre les tunnels du métro, les escalators, les écrans. Et les Jeux sont prétexte pour vendre absolument tout, depuis des pneus jusqu’aux services bancaires. Même la cérémonie d’ouverture contenait de la publicité pour des sponsors, au premier rang desquels LVMH.

Une autre dérive qui mérite d’être signalée, c’est l’asservissement du CIO aux intérêts politiques américains. Il est vrai que la dérive avait commencé bien avant : en 1980, pour être précis, quand Carter décide de gâcher la fête des soviétiques en proclamant un boycott des jeux olympiques de Moscou. Mais c’était là une décision d’un État, le CIO était resté dans son rôle. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : c’est bien le CIO qui a décidé d’exclure les athlètes russes de la compétition, les seuls de cette nationalité à être autorisés à concourir – et encore, sous drapeau neutre – étant ceux qui ont publiquement condamné la politique de leur gouvernement et n’ont pas de liens avec l’État russe. Et cela au motif de l’invasion russe « sans provocation » sur l’Ukraine. Curieusement, le CIO n’avait pas pris une mesure de cette nature contre les États-Unis lorsque ceux-ci avaient attaqué l’Irak « sans provocation » – ou plutôt sur la base d’une « provocation » inventée, celle des « armes de destruction massive » qui n’ont jamais été retrouvées. Pas plus qu’il n’a pris une telle mesure contre Israël, alors que ce pays occupe illégalement – la Cour internationale de justice vient de le confirmer – les territoires palestiniens depuis 1967 et se rend coupable depuis des mois de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité à Gaza. Il est clair que lorsqu’on est un allié des Américains, on peut tout se permettre sans que le CIO lève le petit doigt, alors que dans le cas inverse il se trouvera tous les prétextes utiles pour condamner l’impétrant. Sans que nos gouvernements ne trouvent à redire. La fin, avait dit quelqu’un, justifie les moyens…

Mais peut-être l’évènement à la fois le plus significatif et le plus illustratif des ambiguïtés françaises, ce fut la cérémonie d’ouverture des jeux. Une cérémonie qui était elle-même un défi technique, en termes d’infrastructure autant que de sécurité. Réunir sur les quais de Seine 300.000 personnes dans des conditions de sécurité acceptables, cela ne va pas de soi de nos jours. Et du point de vue de l’organisation, l’équipe qui depuis deux ans travaille pour préparer cet évènement mérite la médaille d’or. Ce n’est pas tout à fait le cas pour le contenu de la chose.

On peut constater que la cérémonie était essentiellement construite pour être regardée à la télévision. Organisée en tableaux, ceux qui étaient assis sur le parcours du défilé nautique ne pouvaient en effet voir qu’un seul des « tableaux », celui le plus proche d’eux, puisque ceux-ci étaient fixes et s’étalaient sur tout le parcours. Certaines séquences – danse sur les toits, parcours urbain du « fantôme » – n’étaient visibles que sur les écrans. Certains tableaux plus complexes – personnages du Musée du Louvre, séquence d’ouverture – n’étaient compréhensibles qu’à condition d’avoir vu sur écran le début. Mais la Seine faisait un fil conducteur superbe.

Sur les tableaux… il y avait du pire comme du meilleur. Commençons par le pire : comme il fallait des « stars », on a vu Lady Gaga descendre l’escalier de ses jambes lourdes en chantant « mon truc en plumes » à la manière de Mistinguett mais avec la grâce d’un plantigrade ; on a vu Aya Nakamura dans une variation sans grâce de « for me formidable » à grands renforts de paillettes, et avec l’orchestre de la Garde Républicaine dont on se demandait ce qu’elle faisait là. Comme il fallait une séquence « woke », on a eu droit aux horribles statues dorées des « grandes femmes », comme il fallait faire plaisir aux bobos parisiens, on a eu droit à la séquence « drag queen » sur la passerelle Debilly, avec un Philippe Katerine venu faire la promo de son dernier disque à poil et peint en bleu. Comme on préfère les victimes aux auteurs, la Révolution, était réduite à l’exécution de Marie Antoinette.

Mais il y eut aussi du meilleur : d’abord, la beauté des monuments de Paris mise en valeur dans ce défilé nocturne. La Marseillaise dans une magnifique version chantée du haut du Grand Palais. L’humour d’un Zidane bloqué dans le métro, ou les personnages des tableaux du Louvre accourus aux fenêtres pour regarder le défilé. Le « cavalier d’argent » et sa belle cavalcade sur la Seine. Juliette Armanet chantant « imagine » – même si les paroles de la chanson, qui en leur époque pouvaient apparaître comme progressistes, sont devenues aujourd’hui tellement bisounoursiennes que cela donne envie de vomir. L’allumage de la « vasque électrique » et son envol dans le ciel de Paris – performance à la fois artistique et technique. Et, peut-être le seul véritable moment d’émotion de cette cérémonie un peu désincarnée, la performance de Céline Dion chantant l’une des chansons les plus difficiles d’Édith Piaf, « l’hymne à l’amour », depuis le deuxième étage de la tour Eiffel.

Je dois dire que ce spectacle m’a ravi. Pourquoi ? Parce que dans la compétition entre les tableaux que je n’ai pas aimés et ceux que j’ai trouvé beaux, ce sont les derniers qui ont emporté la médaille du public. La prestation d’Aya Nakamura comme celle de Lady Gaga seront vite oubliées, comme le sera la séquence des « grandes femmes », qui était plutôt un choix de « grandes féministes », comme si la grandeur chez les femmes ne pouvait se manifester que dans la lutte pour leur propre communauté (1). Quant au festin des « drag queens », franchement, c’était d’un spectacle triste (2) et sans grand intérêt. Qu’est-ce que cela à côté de la prestation de Céline Dion ? Prestation qui, peu de commentateurs l’ont remarqué, contraste avec la logique du féminisme ambiant, celle qui ne légitime que des rapports de couple « égalitaires ». Car les paroles de l’hymne à l’amour sont loin d’être neutres :

J’irais jusqu’au bout du monde
Je me ferais teindre en blonde
Si tu me le demandais
J’irais décrocher la Lune
J’irais voler la fortune
Si tu me le demandais
Je renierais ma patrie
Je renierais mes amis
Si tu me le demandais
On peut bien rire de moi
Je ferais n’importe quoi
Si tu me le demandais

On imagine mal Sandrine Rousseau ou Sophia Chikirou chantant ça. Ce n’est pas là le chant de l’amour égalitaire, mais celui du don absolu de soi. Mais nous sommes tellement habitués à écouter des chansons dont nous ne comprenons pas les paroles… Alors qui se soucie encore de ce que les textes nous disent ?

C’est cela que le monde retiendra de cette cérémonie : le cavalier d’argent glissant sur la Seine, Céline Dion renouant avec l’émotion de l’amour le plus traditionnel, la beauté des monuments de Paris, la Marseillaise reprise en cœur, la flamme électrique – merci EDF – illuminant le ciel de la capitale. Les peuples ont souvent bien meilleur goût que leurs élites.

Maintenant, place aux jeux, aux compétitions, aux médailles, à ce sentiment si particulier qui est celui de constater que même si on ne se connaît pas, on a des choses à faire ensemble tout simplement parce qu’on est Français. Le succès de l’organisation des jeux olympiques, la mobilisation des Français autour de cette réalisation, la ferveur dans les stades montre que la nation n’est pas un vain mot, et que, malgré tous les discours de la « haine de soi », la nôtre a encore de grandes ressources dans ses citoyens, pour peu qu’on les mobilise. Quel dommage que notre société ne nous donne pas plus d’opportunités, en dehors des compétitions sportives, d’exprimer notre fierté des grandes choses faites ensemble, et notre désir d’en accomplir de nouvelles… Tiens, dans quelques jours si tout va bien on verra diverger l’EPR de Flamanville… pourquoi pas une fête populaire pour célébrer l’heureux évènement ? Avec, s’il le faut, quelques « drag queen » sur le toit du réacteur, et Aya Nakamura en salle des machines. Si c’est là le prix à payer pour que les bobos s’intéressent à l’industrie… soit. A condition qu’à la fin Céline Dion nous chante de sa voix incomparable « Ma France »…

Descartes

(1) En effet, la plupart – pour ne pas dire la totalité – des personnalités choisies l’ont été pour leur contribution non pas à l’humanité en général, mais « à la cause des femmes ». On peut d’ailleurs constater que parmi les personnalités choisies, aucune n’appartient à la Résistance, alors que la contribution des femmes est signalée. On n’avait pourtant que l’embarras du choix, et il y en avait pour tous les goûts, de Marie-Claude Vaillant-Couturier à Lucie Aubrac en passant par Géneviève De Gaulle-Anthonioz. On remarquera aussi que si une femme noire a été, conformément au canon, introduite dans la sélection, aucune femme musulmane n’a été incluse. Doit on conclure que la culture musulmane laissait aux femmes moins de possibilités que le « patriarcat » chrétien ? Une telle conclusion poserait sans doute de lourdes questions idéologiques – j’ai failli écrire « théologiques » – à une partie de l’univers « woke »…

(2) Si l’on me permet ici un aparté sur cette question, j’avoue avoir beaucoup de difficultés à comprendre l’engouement actuel pour les « drag queen ». Sous un vernis de joie et de liberté, il y a quelque chose de triste à voir des gens qui ne peuvent exister artistiquement – et élaborer leur difficulté à s’accepter tels qu’ils sont – qu’en construisant une version grotesque d’eux mêmes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est là un milieu où les conduites suicidaires sont beaucoup plus fréquentes qu’ailleurs, et si cette forme fleurit dans les périodes de crise sociale aigue – par exemple, dans l’Allemagne des années 1930. Un petit mot aussi sur la polémique qui a fait suite à cette séquence. La disposition initiale des danseurs évoquait effectivement la Cène : les danseurs assis autour d’une table, celui qui occupait la position centrale portant un costume avec un disque derrière la tête qui rappelait une auréole. Pour moi, la question n’est pas celle du blasphème : je me suis assez battu pour défendre le droit de caricaturer Mahomet pour m’insurger lorsqu’on caricature le Christ. Ce qui me gêne, c’est que la caricature est ici inintelligente. Elle n’a pas sa place – une caricature de Mahomet ne l’aurait pas davantage – dans une cérémonie qui célèbre l’unité et le dialogue au-delà des différences politiques, ethniques ou religieuses. L’art, ce n’est pas de dire les choses, mais de les dire dans le bon contexte.
Et ce que je trouve encore pire, c’est que les organisateurs ont cherché à se justifier avec l’argument que leur tableau ne faisait pas référence à la tradition chrétienne, mais au « festin de Bacchus », représenté par exemple par le peintre Jan Harmensz. van Bijlert (1590-1671). Il y a là un double contre-sens. Le premier, c’est qu’au-delà de l’intention, il y a ce qui se présente aux yeux du spectateur, et que le spectacle tel qu’il était présenté ne pouvait qu’être interprété comme une référence à la Cène, au point que sur le site officiel de France Télévisions on a fait le jeu de mots « mise en Cène ». Le deuxième, c’est que la peinture en question représente bien la Cène. Il faut savoir qu’à l’époque où van Biljert peint, les intégristes protestants ont interdit la représentation d’épisodes bibliques. Il semblerait que le peintre ait rusé en dépeignant la scène sous la forme d’un festin païen, tout en mettant dans son tableau quelques références transparentes – comme par exemple l’auréole autour de la tête de Bacchus…

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187 réponses à Paris est une fête

  1. Magpoul dit :

    Bonjour et merci pour ce papier!
    J’ai eu la chance d’assister à quelques évènements depuis le début des jeux et je dois dire que j’ai été très agréablement surpris par l’organisation méticuleuse, la sécurité, et l’atmosphère. Les salles étaient pleines et les Français très sympathiques meme envers des athlètes d’autres nations. Les bénévoles étaient de très bonne humeur et renvoyaient une fière image ! Je suis tombé sur du Football avec Israël-Mali. L’ambiance au Parc des Princes était très sympathique, et les athlètes israéliens furent un peu sifflés, bien que dans l’ensemble il n’y eu aucune violence. C’est aussi ça le sport, la canalisation de la violence en compétition. Il est regrettable que les Russes ne puissent pas participer. J’aurai été en faveur de la participation des Russes (et Biélorusses) ET des Israéliens. Cela aurait été une façon de montrer la vraie universalité du sport. C’est comme si l’on condamnait les Russes de ne s’exprimer qu’avec leurs armes. 

    J’ai remarqué comme vous que ce qui a fait l’unanimité dans la cérémonie d’ouverture était tout ce qui était universel. La sublime Marseillaise, la vasque, la cavalière, et le superbe relais final de la flamme. Ce qui me marque, c’est que la “diversité” tant vantée dans le tableau des drag queens était en fait bien plus mise en valeur par les athlètes eux-mêmes, portant tous les mêmes couleurs. Il suffisait juste de regarder ! Et après quelques jours de visionnages, je vois tant de belles choses des champions Français, qui pleurent les mêmes larmes de joie et de tristesse et portent haut le meme drapeau. Tout cela montre tellement mieux la beauté de notre pays et de notre Nation. 

    Je viens rapidement sur le tableau occupé par Gojira. Je suis amateur de Metal, et j’ai été agréablement surpris de leur présence. J’ai trouvé un certain consensus sur leur prestation parmi les amateurs de ce style musical. Je n’ai personnellement pas du tout vécu la présence de Marie-Antoinette (bizarement colorée d’ailleurs) comme une victimisation, mais plus comme une parodie. La chanson de Gojira était “Ah, ça ira”, une référence à la chanson populaire révolutionnaire. Le Metal est, je le pense, une musique qui se prête bien aux représentations violentes et Gojira est un des rares groupes français à avoir une immense notoriété internationale. L’ajout du chant lyrique et la Conciergerie étaient également bienvenus ! Je remarque que ce tableau n’a duré que 3 minutes, alors que le défilé si polémique m’a semblé duré bien plus longtemps. D’ailleurs, il y avait pendant ce défilé un bateau européen qui faisait honnêtement tache et n’avait pas sa place là. Je termine en remarquant que c’est l’une des premières fois que le Metal intègre une cérémonie de cette ampleur. Il se normalise de plus en plus sur certains de ses aspects. C’est une musique niche pour “classe intermédiaire” à mon humble avis. Avez-vous considéré analyser l’évolution de certaines musiques en fonction des rapports de classe? Le rock, le punk et le Metal peuvent fournir des éléments très intéressants je pense. 

    J’ai été très crispé par la Garde Républicaine chantant et se trémoussant aux cotés de Nakamura. Je dois dire que cela m’a gonflé bien plus que tout le reste. On casse encore et encore des symboles. Heureusement qu’il nous en reste quelques uns…

    • Descartes dit :

      @ Magpoul

      [Il est regrettable que les Russes ne puissent pas participer. J’aurai été en faveur de la participation des Russes (et Biélorusses) ET des Israéliens. Cela aurait été une façon de montrer la vraie universalité du sport. C’est comme si l’on condamnait les Russes de ne s’exprimer qu’avec leurs armes.]

      Tout à fait. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui demandent l’exclusion des athlètes israéliens. Je pense au contraire que l’esprit olympique est d’évacuer les questions politiques. Les athlètes représentent leur nation, et non leur gouvernement et sa politique. L’idée que les nations puissent se confronter pacifiquement dans l’enceinte olympique alors même qu’elles sont en guerre à l’extérieur, c’est un formidable message d’espoir en une humanité ou les nations pourraient vivre en paix. La décision d’exclure une nation se place dans une logique de « guerre totale » qui rappelle des fâcheux précédents…

      [Je viens rapidement sur le tableau occupé par Gojira. Je suis amateur de Metal, et j’ai été agréablement surpris de leur présence.]

      Moi pas. Mais leur présence ne me choque pas. Dans une cérémonie de ce type, il en faut pour tous les goûts, et leur tableau avait de la gueule et s’inscrivait bien dans l’enchaînement, avec une chanson qui était une référence à la révolution française.

      [J’ai trouvé un certain consensus sur leur prestation parmi les amateurs de ce style musical. Je n’ai personnellement pas du tout vécu la présence de Marie-Antoinette (bizarement colorée d’ailleurs) comme une victimisation, mais plus comme une parodie.]

      Certes, c’était abordé sous l’angle de l’humour. Mais pourquoi choisir Marie-Antoinette, personnage finalement secondaire et qui fut plutôt une victime inconsciente de son propre rôle qu’un véritable acteur de son époque ?

      [Le Metal est, je le pense, une musique qui se prête bien aux représentations violentes et Gojira est un des rares groupes français à avoir une immense notoriété internationale. L’ajout du chant lyrique et la Conciergerie étaient également bienvenus ! Je remarque que ce tableau n’a duré que 3 minutes, alors que le défilé si polémique m’a semblé duré bien plus longtemps.]

      Le tableau de la Conciergerie ne ma pas particulièrement plu parce que je ne suis pas amateur de Métal, mais je n’ai pas détesté non plus. Je trouve qu’il avait toute sa place dans la cérémonie, alors que le « défilé » en question aurait pu être omis sans que la qualité de l’ensemble en souffre… au contraire !

      [D’ailleurs, il y avait pendant ce défilé un bateau européen qui faisait honnêtement tache et n’avait pas sa place là.]

      Je ne l’ai pas vu. Il se situait à quel niveau ? Qui y avait pris place ? J’ajoute que je trouve aussi passablement ridicule le « bateau des réfugiés »… les athlètes, réfugiés ou pas, représentent une fédération nationale !

      [Je termine en remarquant que c’est l’une des premières fois que le Metal intègre une cérémonie de cette ampleur. Il se normalise de plus en plus sur certains de ses aspects. C’est une musique niche pour “classe intermédiaire” à mon humble avis. Avez-vous considéré analyser l’évolution de certaines musiques en fonction des rapports de classe? Le rock, le punk et le Metal peuvent fournir des éléments très intéressants je pense.]

      Je ne connais pas ces musiques suffisamment pour pouvoir entreprendre une telle tâche… mais je ne peux ne pas remarquer que les trois styles en question surgissent dans le monde anglo-saxon, c’est-à-dire, dans une culture où l’identification à une « communauté » fait partie de la construction symbolique des individus. Le rock, le punk ou le métal sont des éléments pour marquer l’appartenance à des « communautés », et sont associés à d’autres symboles (tenues, tatouages, badges, etc.). Je ne trouve pas d’équivalence dans le monde « latin », si ce n’est par importation.

      Quant au Métal… je sais bien que les goûts et les couleurs ne se discutent pas, mais personnellement je n’aime pas du tout. D’une façon plus générale, je trouve pauvres les musiques qui ne connaissent pas le “pianissimo”, qui cherchent à tout prix à saturer l’espace sonore…

      [J’ai été très crispé par la Garde Républicaine chantant et se trémoussant aux cotés de Nakamura. Je dois dire que cela m’a gonflé bien plus que tout le reste. On casse encore et encore des symboles.]

      Pensez-vous ? Je pense surtout que cette séquence sera rapidement oubliée…

      • P2R dit :

        @ Descartes et Magpoul
         
        je ne suis pas d’accord avec vous pour Aya Nakamura. autant je trouve que la faire sortir de l’académie française, c’est une provocation gratuite qui n’avait pas lieu d’être, mais la faire rencontrer la garde républicaine, qui est par définition la « propriété » de tous les français, c’était une manière habile et humoristique de symboliser l’unité de la nation au-delà des communautés.
        personnellement j’ai trouvé le symbole bienvenu, et malheureusement fort peu relevé par les commentateurs. A vrai dire, cette cérémonie était tellement pauvre sur le plan symbolique que je me demande même si les organisateurs ont « intellectualisé » cette scène au delà du pied de nez aux détracteurs de Nakamura (dont je suis !)
         
        Le tableau avec Marie Antoinette, je l’ai trouvé assez moyen. Outre le fait que diplomatiquement, faire un tableau « gore » sur cet épisode face à des dizaines de monarques étrangers invités était un peu maladroit, j’ai trouvé l’ensemble assez moche. Et d’ailleurs j’etends cette opinion a l’ensemble de la cérémonie: les tableaux, les chorégraphies, le costumes étaient, je trouve, vraiment quelconques. Heureusement qu’il y avait Paris…. 
        Pour la Cène je vous rejoins à 100%. Je me fous qu’on caricature la religion, mais quand c’est totalement gratuit c’est tout de même de peu d’interêt, et dans une cérémonie sensée être fédératrice c’est totalement déplacé. Le pire est que les organisateurs n’ont manifestement pas du tout imaginé que ça pouvait poser problème, leur déni en atteste. Quelle misère intellectuelle derrière cette cérémonie! 
        D’une manière générale j’ai été gêné par le côté « clientéliste » de la cérémonie: la un tableau pour les gays, la un tableau pour les femmes, la un tableau pour les handicapés, la un tableau pour les beaufs de province (selon l’image qu’en ont les classes dominantes) un tableau pour les metalleux, un personnage pour les « gamers » etc, mais rien de fédérateur. Très à l’image de la mentalité dominante actuelle en somme. 
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [je ne suis pas d’accord avec vous pour Aya Nakamura. Autant je trouve que la faire sortir de l’académie française, c’est une provocation gratuite qui n’avait pas lieu d’être, mais la faire rencontrer la garde républicaine, qui est par définition la « propriété » de tous les français, c’était une manière habile et humoristique de symboliser l’unité de la nation au-delà des communautés.]

          Ah bon ? Parce qu’Aya Nakamura est identifiée comme faisant partie d’une « communauté » ? Si on voulait symboliser « l’unité de la nation au-delà des communautés », il aurait fallu choisir un ou plusieurs artistes identifiés avec une « communauté » particulière, et non pas une artiste censée être « la chanteuse francophone la plus populaire dans le monde », et donc par essence dépassant et de loin une « communauté » particulière.

          Franchement, je pense que vous reconstituez a posteriori une signification « symbolique ». Avec la même légitimité, on pourrait voir un « symbole » de l’alliance de la tradition et de la modernité, de la nation française et de l’international, et ainsi de suite. Et un « symbole » dans lequel chacun peut mettre ce qui lui plait n’est pas un véritable symbole, mais ce qu’on appelle un « signifiant vide ».

          [personnellement j’ai trouvé le symbole bienvenu, et malheureusement fort peu relevé par les commentateurs.]

          Peut-être parce que les commentateurs en question ont rempli ce « signifiant vide » d’autres contenus que vous… personnellement, j’ai entendu pas mal d’interprétations divergentes. Alors, soit les concepteurs du tableau n’y voyaient aucun « symbole » là-dedans (c’est ma perception), soit s’ils en voyaient un, ils n’ont pas été clairs.

          [A vrai dire, cette cérémonie était tellement pauvre sur le plan symbolique que je me demande même si les organisateurs ont « intellectualisé » cette scène au delà du pied de nez aux détracteurs de Nakamura (dont je suis !)]

          Même pas : je pense surtout qu’ils ont parié sur l’effet d’attraction de Nakamura pour avoir plus de public. Mais franchement, j’ai trouvé la séquence sans grand intérêt, que ce soit sur le plan esthétique ou symbolique.

          [Et d’ailleurs j’etends cette opinion a l’ensemble de la cérémonie: les tableaux, les chorégraphies, le costumes étaient, je trouve, vraiment quelconques. Heureusement qu’il y avait Paris…]

          Il y avait des jolies choses quand même. Le « chevalier d’argent », pour ne donner qu’un exemple.

          [D’une manière générale j’ai été gêné par le côté « clientéliste » de la cérémonie: la un tableau pour les gays, la un tableau pour les femmes, la un tableau pour les handicapés, la un tableau pour les beaufs de province (selon l’image qu’en ont les classes dominantes) un tableau pour les metalleux, un personnage pour les « gamers » etc, mais rien de fédérateur. Très à l’image de la mentalité dominante actuelle en somme.]

          Je vous trouve sévère. Une cérémonie qui prétend fédérer non seulement les Français, mais le monde entier ne peut être que « clientéliste », parce qu’il semble difficile de trouver des sujets qui plairont à tout le monde. En ce sens, on peut comprendre qu’on fasse des « tableaux » adaptés à différents publics. La question, c’est celle du fil conducteur réunissant les différents tableaux. Les britanniques avaient choisi l’histoire, et cela leur avait réussi. Les chinois l’association tradition-modernité, et c’était très beau. Les organisateurs parisiens ont hésité entre un fil conducteur historique, et celui des monuments de Paris. Et ca donnait une impression un peu désordonnée. Heureusement, comme vous dites, que la beauté de Paris – on l’oublie souvent, surtout quand on y vit – est époustouflante…

          • Magpoul dit :

            @Descartes et P2R

            Certes, c’était abordé sous l’angle de l’humour. Mais pourquoi choisir Marie-Antoinette, personnage finalement secondaire et qui fut plutôt une victime inconsciente de son propre rôle qu’un véritable acteur de son époque ?

            Il me semble que Marie-Antoinette, via son acopryphe “qu’ils mangent du pain” a bien plus résisté à la symbolique révolutionnaire que son conjoint. Elle représente cette noblesse dédaigneuse (à tort ou à raison) dans l’imaginaire, et je crois que cela va bien plus loin que notre pays. Donc cela ne m’a pas intrigué, pour moi c’était clairement de l’humour avec ce symbole de dédain. Qu’auriez-vous mis à la place? Robespierre? Saint-Just? Je ne pense pas que le moindre étranger ne sache qui ils sont. Robespierre, à la limite, mais cela aurait été assez étrange de le trouver là, sauf si on aurait abordé le tableau sous un angle plus sérieux. Ou présenter cela comme un enchainement de guillotinage avec Robespierre à la fin? Bon, on ne referra pas le spectacle, j’admet.

            Je ne l’ai pas vu. Il se situait à quel niveau ? Qui y avait pris place ? J’ajoute que je trouve aussi passablement ridicule le « bateau des réfugiés »… les athlètes, réfugiés ou pas, représentent une fédération nationale !

            Dans mes souvenirs, il a été montré juste après le défilé ou l’arrivée de Katerine. C’était un petit bateau avec une plateforme où se dessinait le drapeau aux étoiles. Je ne trouve aucune séquence vidéo avec celui-ci et le replay de la cérémonie a été supprimé…du coup je n’ai pas de preuve directe. Peut-être que d’autres commentateurs pourront confirmer que je n’ai pas eu une hallucination eurosceptique? 

            Je ne connais pas ces musiques suffisamment pour pouvoir entreprendre une telle tâche… mais je ne peux ne pas remarquer que les trois styles en question surgissent dans le monde anglo-saxon, c’est-à-dire, dans une culture où l’identification à une « communauté » fait partie de la construction symbolique des individus. Le rock, le punk ou le métal sont des éléments pour marquer l’appartenance à des « communautés », et sont associés à d’autres symboles (tenues, tatouages, badges, etc.). Je ne trouve pas d’équivalence dans le monde « latin », si ce n’est par importation.

            C’est tout à fait vrai, mais le Metal s’est très bien exporté à différent pays et a considérablement muté depuis ses origines. Il y a bien un aspect communautaire, mais celui-ci est plus ou moins présent en fonction des groupes et des styles musicaux. J’ai assisté à pas mal de concerts et le publique était très hétérogène en âge et en tenue. Il y avait toujours des T-shirts de groupe et autres babioles, c’est vrai. Mais ce n’est pas aussi évident que ça. Beaucoup des personnes autour de moi qui écoutent du Metal ne montrent ou ne se réclament pas d’appartenir à une communauté. Ce genre de profil est d’ailleurs assez souvent ridiculisé. Je ne parle que des groupes et des personnes que je connaisse, bien sur. 

            Quant au Métal… je sais bien que les goûts et les couleurs ne se discutent pas, mais personnellement je n’aime pas du tout. D’une façon plus générale, je trouve pauvres les musiques qui ne connaissent pas le “pianissimo”, qui cherchent à tout prix à saturer l’espace sonore…

            Je comprends tout à fait, mais je vous invite à essayer divers style, car certains sont bien plus raffinés que d’autres. Je me permet de partager quelques chansons qui pourraient au moins éveiller votre curiosité: 
            https://www.youtube.com/watch?v=JTShSv-95uI  
            https://www.youtube.com/watch?v=ZlYQQn6C9js 

            Je vous admet volontiers que j’ai du batailler pour trouver des morceaux moins saturés. Il se trouve que j’aime la saturation, c’est ainsi ! Vous remarquerez qu’on a ici un groupe suédois, un néerlandais et un israélien ! Et tous chantent en anglais, n’est-ce pas merveilleux? 
            Quant à Nakamura et la garde: 

            je ne suis pas d’accord avec vous pour Aya Nakamura. autant je trouve que la faire sortir de l’académie française, c’est une provocation gratuite qui n’avait pas lieu d’être, mais la faire rencontrer la garde républicaine, qui est par définition la « propriété » de tous les français, c’était une manière habile et humoristique de symboliser l’unité de la nation au-delà des communautés.

            Je suis d’accord que j’ai relevé cette volonté de faire de cette rencontre un symbole, mais pour moi cela a été fait n’importe comment. Pourquoi la garde se trémousserait-elle sur une chanson de Nakamura? Pourquoi la mettre au centre d’un cercle? Je pense qu’il aurait été bien plus efficace, déjà qu’elle chante une chanson hors de son répertoire (ce qu’ils ont essayé de faire avec Aznavour mais avec un twist étrange et un enchainement sur Djadja), et que les deux se trouvent au même niveau, en rang, sans que les gardes aient à danser de façon ridicule ! Cela aurait été plus évident. Mais bon, ce sont des détails artistiques et ce n’est que mon avis. J’aurais été d’ailleurs en faveur de ne pas inclure la garde dans cette cérémonie. 
            Je vous rejoins tous les deux sur la beauté de Paris. J’en ai été éloigné pendant de nombreuses années et cela m’a permis de prendre du recul sur elle. Cette ville est sublime et a connu tellement d’histoires qu’elle est un véritable trésor. Ces jeux la mettent en valeur et on devrait s’en réjouir ! 

            • Descartes dit :

              @ Magpoul

              [Il me semble que Marie-Antoinette, via son acopryphe “qu’ils mangent du pain” a bien plus résisté à la symbolique révolutionnaire que son conjoint. Elle représente cette noblesse dédaigneuse (à tort ou à raison) dans l’imaginaire, et je crois que cela va bien plus loin que notre pays. Donc cela ne m’a pas intrigué, pour moi c’était clairement de l’humour avec ce symbole de dédain. Qu’auriez-vous mis à la place? Robespierre? Saint-Just? Je ne pense pas que le moindre étranger ne sache qui ils sont.]

              Vous seriez étonné. Lorsque Jean Ferrat chantait « Cet air de liberté au-delà des frontières/aux peuples étrangers qui donnait le vertige/et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige/elle répond toujours du nom de Robespierre/ma France », il ne se trompait pas. Et Robespierre est fort bien connu – et apprécié des révolutionnaires – à l’étranger. Mais je vous accorde que l’image de « l’incorruptible » est trop tragique pour figurer dans une parade festive. La question pour moi était plutôt pourquoi réduire la Révolution à la terreur ? Pourquoi ne rappeler plutôt son œuvre positive, et notamment cette « déclaration des droits de l’homme et du citoyen », que tout le monde ou presque connaît ?

              [Dans mes souvenirs, il a été montré juste après le défilé ou l’arrivée de Katerine. C’était un petit bateau avec une plateforme où se dessinait le drapeau aux étoiles]

              Ah… je l’ai vu aussi. Il ne faisait pas partie du défilé des équipes, c’était une petite barge dont le sol était composé de panneaux vidéo qui permettaient de dessiner beaucoup de motifs (dont le drapeau européen) et sur lequel une équipe de danseurs faisaient des figures…

              [Je comprends tout à fait, mais je vous invite à essayer divers style, car certains sont bien plus raffinés que d’autres. Je me permet de partager quelques chansons qui pourraient au moins éveiller votre curiosité: (…)]

              Celui de Ayreon n’est pas désagréable, et comme le chanteur a une très belle voix il arrive à créer une certaine ambiance, mais le côté « métal » des instruments est une gêne plutôt qu’autre chose. Celui de Dragonland me laisse franchement de marbre… aucune émotion, et beaucoup de bruit, c’est un vrai cauchemar… en fait, le seul morceau de métal – si on peut appeler ca métal – que j’aie vraiment apprécié est « The hell of it » de Paul Williams (c’est la dernière chanson du film « Phantom of the Paradise » de Brian de Palma, https://www.youtube.com/watch?v=U6rzVVwvlLU)

              [Je vous admets volontiers que j’ai dû batailler pour trouver des morceaux moins saturés. Il se trouve que j’aime la saturation, c’est ainsi ! Vous remarquerez qu’on a ici un groupe suédois, un néerlandais et un israélien ! Et tous chantent en anglais, n’est-ce pas merveilleux ?]

              Les paroles ont-elles une quelconque importance ?

              [Je suis d’accord que j’ai relevé cette volonté de faire de cette rencontre un symbole, mais pour moi cela a été fait n’importe comment. Pourquoi la garde se trémousserait-elle sur une chanson de Nakamura? Pourquoi la mettre au centre d’un cercle?]

              Parce que c’est elle la star, pardi. Qu’est ce que vous croyez ? La Garde républicaine n’est là que comme faire valoir. Je veux bien qu’on me dise que cette « rencontre » est un « symbole ». Mais un symbole de quoi, exactement ? Personne ne sait le dire. Les uns en font un symbole d’unité entre les « communautés » – voir l’analyse de P2R – d’autres de continuité entre tradition et modernité… franchement, un « symbole » qui finalement a le contenu que l’auditeur veut bien lui donner est un triste symbole.

              [Je pense qu’il aurait été bien plus efficace, déjà qu’elle chante une chanson hors de son répertoire (ce qu’ils ont essayé de faire avec Aznavour mais avec un twist étrange et un enchainement sur Djadja), et que les deux se trouvent au même niveau, en rang, sans que les gardes aient à danser de façon ridicule ! Cela aurait été plus évident. Mais bon, ce sont des détails artistiques et ce n’est que mon avis.]

              Pardon, mais si c’est un « symbole », alors on ne peut pas parler de « détails ». Si vous changez la disposition, si vous mettez la « star » au même niveau que la « piétaille » plutôt que de lui donner une position centrale, si vous mettez la « modernité » sur le même plan que la « tradition » au lieu d’obliger la « tradition » à se trémousser au rythme de la « modernité », le « symbole » change radicalement. Ce n’est donc pas une question de « détail artistique », mais bien de contenu. Si toutefois il s’agit bien d’un « symbole »…

              [J’aurais été d’ailleurs en faveur de ne pas inclure la garde dans cette cérémonie.]

              Je pense qu’on aurait pu garder la Garde et exclure Nakamura, et on se serait bien mieux portés.

              [Je vous rejoins tous les deux sur la beauté de Paris. J’en ai été éloigné pendant de nombreuses années et cela m’a permis de prendre du recul sur elle. Cette ville est sublime et a connu tellement d’histoires qu’elle est un véritable trésor. Ces jeux la mettent en valeur et on devrait s’en réjouir !]

              Tout à fait.

            • P2R dit :

              @ Descartes et Magpoul
               
              [ La Garde républicaine n’est là que comme faire valoir. Je veux bien qu’on me dise que cette « rencontre » est un « symbole ». Mais un symbole de quoi, exactement ? ]
              il faut je pense remettre le tableau « aya Nakamura » en perspective avec la polémique qui a précédé la cérémonie lorsque son nom a été évoqué, et où la « francité » de cette personne a été mise en question par une large partie de la droite. Des lors, la montrer partageant un tableau avec la Garde mettait les points sur les « i ».
               
              Quand à la discussion sur le metal et de l’étiquetage de « the hell of it » (merveilleux morceau, merveilleux film, justement d’une richesse incroyable en terme de symboles et de références), sans m’étaler, c’est toujours très difficile d’être catégorique. Le groupe de « metal » qui s’approcherait le plus de ce style serait pour moi Mr Bungle, groupe mené par Mike Patton, qui a vraiment ouvert un paquet de portes dans le style métal, allant du hiphop de Faith No More aux collages dadaïstes de Fantomas, en passant par les collabs avec le jazzman fou John Zorn, ou par la musique populaire italienne. Tout ça avec comme fil conducteur un sens de l’humour certain, une virtuosité évidente et une créativité exacerbée. Et où la saturation est un moyen d’expression au service des compositions, et pas l’inverse. 
              Un beau slow où la saturation n’arrive qu’à la fin 
              https://m.youtube.com/watch?v=icgFjJjkP8s
               
              Un autre morceau du même album ou le côté collage est à l’honneur. 
              https://m.youtube.com/watch?v=MU16VsOIjL4&pp=ygUkYWlyIGNvbmRpdGlvbmVkIG5pZ2h0bWFyZSBtciBidW5nbGUg
              apres, les goûts et les couleurs… je n’ai jamais rien compris au metal moderne où la constance de la vitesse et de la puissance anéantissent justement toute sensation de vitesse ou de puissance. Je suis un jeune vieux con, mais les metalleux devraient revenir plus souvent aux pères fondateurs, réécouter un « War Pigs » pour se rappeler que la musique, quelle qu’elle soit, c’est avant tout « sculpter le temps et le silence », ou un « Achille s last stand » pour faire la différence entre « pompeux » et « épique » !

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [« La Garde républicaine n’est là que comme faire valoir. Je veux bien qu’on me dise que cette « rencontre » est un « symbole ». Mais un symbole de quoi, exactement ? » il faut je pense remettre le tableau « aya Nakamura » en perspective avec la polémique qui a précédé la cérémonie lorsque son nom a été évoqué, et où la « francité » de cette personne a été mise en question par une large partie de la droite. Des lors, la montrer partageant un tableau avec la Garde mettait les points sur les « i ».]

              Mais de quels « i », précisément ? On voit mal en quoi le tableau présenté tranchait le débat de la « francité » d’Aya Nakamura. Après tout, il n’est pas obligatoire d’être français pour chanter Aznavour ou pour danser avec la Garde républicaine. Les artistes qui participaient à la cérémonie n’étaient pas censés être français ou représenter la France, la preuve, la séquence la plus émouvante était à la charge de Céline Dion, canadienne de son état. Et si la question était la couleur de peau, La Marseillaise a été chantée depuis le haut du Grand Palais par une chanteuse… métisse, sans que cela provoque la moindre réaction.

              La prestation d’Aya Nakamura n’avait rien de particulièrement « français ». On peut voir des choses très similaires dans les « conventions » américaines, y compris le mélange entre paillettes et uniformes, que les américains apprécient beaucoup. Si le but était d’en faire un « symbole » – mais un « symbole » de quoi, je repose la question – alors la seule chose que cela « symbolise » est la capacité de nos « cultureux » à refuser d’écouter une partie des citoyens au motif qu’ils seraient « de droite ».

              [Quand à la discussion sur le metal et de l’étiquetage de « the hell of it » (merveilleux morceau, merveilleux film, justement d’une richesse incroyable en terme de symboles et de références), sans m’étaler, c’est toujours très difficile d’être catégorique. Le groupe de « metal » qui s’approcherait le plus de ce style serait pour moi Mr Bungle, groupe mené par Mike Patton, (…)]

              J’ignorais qu’il y avait tant de « métalleux » parmi les commentateurs de ce blog… le « baroqueux » que je suis a du mal à suivre…

            • P2R dit :

              @ P2R
              [ On voit mal en quoi le tableau présenté tranchait le débat de la « francité » d’Aya Nakamura. Après tout, il n’est pas obligatoire d’être français pour chanter Aznavour ou pour danser avec la Garde républicaine. Les artistes qui participaient à la cérémonie n’étaient pas censés être français ou représenter la France, la preuve, la séquence la plus émouvante était à la charge de Céline Dion, canadienne de son état. ]
              En effet, cela s’entend.. j’ai probablement tellement recherché de moments de concorde dans cette cérémonie que j’ai fini par en inventer un, la ou il n’y avait probablement qu’une provocation envers les 30% de désignés « fachos » par nos élites culturelles.. j’ai été d’ailleurs particulièrement atterré du fait que toute la gauche se soit félicité du succès de la cérémonie en arguant que la plus grande preuve de son succès était d’avoir « mis les fachos en PLS »… « facho » étant entendu au sens de « quiconque émettant la moindre critique sur le moindre passage de la cérémonie », bien entendu.. Le Pape y compris, donc. 
               
              [J’ignorais qu’il y avait tant de « métalleux » parmi les commentateurs de ce blog… le « baroqueux » que je suis a du mal à suivre… ]
               
              je ne saurais m’identifier à cette étiquette. La base de ma culture musicale est à cheval entre chanson française et pop anglaise, Beatles en tête, ce qui n’empêche pas d’explorer d’autres contrées et de faire des ponts entre les styles. Côté baroque, j’ai été très enthousiasmé par la découverte récente  de Daquin (bon, je pars de loin!). Mon champ d’exploration actuel se situant plutôt du côté de compositeurs modernes comme Steve Reich ou Ligeti. 

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [« On voit mal en quoi le tableau présenté tranchait le débat de la « francité » d’Aya Nakamura. Après tout, il n’est pas obligatoire d’être français pour chanter Aznavour ou pour danser avec la Garde républicaine. Les artistes qui participaient à la cérémonie n’étaient pas censés être français ou représenter la France, la preuve, la séquence la plus émouvante était à la charge de Céline Dion, canadienne de son état. » En effet, cela s’entend.. j’ai probablement tellement recherché de moments de concorde dans cette cérémonie que j’ai fini par en inventer un, la ou il n’y avait probablement qu’une provocation envers les 30% de désignés « fachos » par nos élites culturelles…]

              Vous illustrez un peu mon propos sur les « signifiants vides ». De plus en plus, on trouve dans ce genre de cérémonies des « symboles » qui ne symbolisent rien, mais qui permettent à chacun de lui donner une signification purement individuelle. On est passé du symbole qui sert à une identification collective au faux symbole qui permet à chacun de se faire plaisir.

              [j’ai été d’ailleurs particulièrement atterré du fait que toute la gauche se soit félicité du succès de la cérémonie en arguant que la plus grande preuve de son succès était d’avoir « mis les fachos en PLS »… « facho » étant entendu au sens de « quiconque émettant la moindre critique sur le moindre passage de la cérémonie », bien entendu.. Le Pape y compris, donc.]

              Cela me rappelle une anecdote qu’on racontait au parti socialiste : « devant une réunion de 20 personnes, Jospin se demande « qui est le traître qui ne devrait pas être là ? » ; devant une réunion de 2000 personnes, Fabius se demande « qui ai-je oublié d’inviter ? » ». La logique gauchiste n’a jamais cherché à rassembler, au contraire : come Cyrano, elle tire fierté de la multiplication de ses ennemis. C’est pourquoi les partis gauchistes n’ont jamais été des partis de masse, mais des avant-gardes éclairées. Tout le contraire des partis de filiation léniniste, qui cherchent au contraire à unir les masses, quitte à faire des concessions sur la « pureté révolutionnaire » …

              [je ne saurais m’identifier à cette étiquette. La base de ma culture musicale est à cheval entre chanson française et pop anglaise, Beatles en tête, ce qui n’empêche pas d’explorer d’autres contrées et de faire des ponts entre les styles.]

              J’aime bien aussi. Je suis toujours surpris par la richesse de la chanson française, non seulement en termes musicaux, mais aussi des paroles. C’est extraordinaire de voir comment des auteurs ont pu devenir véritablement populaires en utilisant un langage cultivé et des formes grammaticales très complexes. J’aime particulièrement la chanson réaliste, celle qui raconte une histoire. La pop anglaise a aussi des choses intéressantes, mais plus côté musique que texte.

              [Côté baroque, j’ai été très enthousiasmé par la découverte récente de Daquin (bon, je pars de loin!). Mon champ d’exploration actuel se situant plutôt du côté de compositeurs modernes comme Steve Reich ou Ligeti.]

              J’avoue que la musique moderne me laisse de glace. J’ai du mal à trouver de l’émotion dans ce genre de musique. Par contre, je suis un fan du baroque, tant profane comme religieux. Bach en tête, bien entendu, avec Haendel, Monteverdi, Lully, Charpentier…

            • P2R dit :

              @descartes
               
              [Je suis toujours surpris par la richesse de la chanson française, non seulement en termes musicaux, mais aussi des paroles. C’est extraordinaire de voir comment des auteurs ont pu devenir véritablement populaires en utilisant un langage cultivé et des formes grammaticales très complexes. ]
               
              Malheureusement tout ceci se perd.. autant côté paroles que côté musique, et l’effondrement est mondial. Après guerre, même la musique ultra-populaire était arrangée par des premiers prix de conservatoire. Aujourd’hui… il n’est même pas sûr que les premiers prix de conservatoire actuels aient le niveau de leurs aînés. La différence est hurlante dans le domaine des musiques de film: que seraient les films de Spielberg sans John Williams, ceux de Leone sans Morricone, et même, pour prouver qu’une bande son originale n’est pas forcément indépassable, que serait 2001 sans Strauss et Ligeti ?  Quand je vois qu’aujourd’hui Hans Zimmer est le « gold standard » du son à l’image, ça me fout le cafard..
               
              [J’avoue que la musique moderne me laisse de glace. J’ai du mal à trouver de l’émotion dans ce genre de musique. Par contre, je suis un fan du baroque, tant profane comme religieux. Bach en tête, bien entendu, avec Haendel, Monteverdi, Lully, Charpentier] Musique moderne tous genres confondus ? Même pas Satie, Ravel, Poulenc ? Après, pour Steve Reich par exemple, j’avoue que la démarche est plus expérimentale, à la limite des sciences physiques: j’aime beaucoup la pièce « piano phase », toute simple, lors de laquelle deux pianistes (ou originellement un pianiste et un magnétophone) jouent simultanément la même phrase simple avec une très subtile différence de tempo, le déphasage faisant apparaître des harmoniques qui vont faire progressivement muter la mélodie et le rythme jusqu’à ce que les instruments retombent en phase. Mais censé plus une expérience sensorielle qu’émotionnelle. Bref. Moi c’est le jazz qui me laisse froid, à mon grand dam. Même ceux qui devraient me plaire, Coltrane, Monk, etc renoncent encore à m’ouvrir les portes de leur génie, à quelques compositions près. Ça viendra.. ou pas ! 
               
               

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Malheureusement tout ceci se perd.. autant côté paroles que côté musique, et l’effondrement est mondial. Après guerre, même la musique ultra-populaire était arrangée par des premiers prix de conservatoire. Aujourd’hui… il n’est même pas sûr que les premiers prix de conservatoire actuels aient le niveau de leurs aînés. La différence est hurlante dans le domaine des musiques de film: que seraient les films de Spielberg sans John Williams, ceux de Leone sans Morricone, et même, pour prouver qu’une bande son originale n’est pas forcément indépassable, que serait 2001 sans Strauss et Ligeti ? Quand je vois qu’aujourd’hui Hans Zimmer est le « gold standard » du son à l’image, ça me fout le cafard…]

              Tout à fait. La question pour moi serait de comprendre pourquoi. Que s’est-il passé ? Si hier on prenait la peine de faire travailler la musique par des premiers prix du conservatoire, si on utilisait dans les textes des tournures littéraires et des références gréco-latines (pensez à Brassens), c’était probablement parce que le public – y compris le public populaire – exigeait cela, autrement, pourquoi se donner la peine ? Qu’est ce qui fait que le public aujourd’hui est moins exigeant qu’hier ? Qu’il admet un langage minimal, une grammaire hésitante, un texte indigent, une musique commerciale et sans originalité ?

              On revient ici je pense à une question d’éducation. Pour reprendre l’expression très juste de Brighelli, les jeunes aujourd’hui savent beaucoup plus de choses que ceux d’hier… mais les savent beaucoup moins bien. Et surtout, avec beaucoup moins d’ambition. Les enfants des années 1930 ou 1950 faisaient des études plus courtes, mais étaient confrontés à une société bien plus rigoureuse, bien plus exigeante. A l’école, à la radio et la télévision, dans les journaux, à l’église, au cinéma, ils entendaient un langage riche et structuré. Un discours vulgaire ou ordurier n’avait pas sa place dans l’espace public. « Bien écrire », c’était un marqueur social et donc un objectif désirable.

              La dégradation du langage – dans l’expression publique, dans la musique, dans la télévision, dans le cinéma – est la traduction d’un manque d’exigence. Pourquoi faire l’effort de soigner son langage si les classes dominantes n’en font plus un critère d’identification ? Et pourquoi faire l’effort de fournir de la qualité à un public qui n’est pas en conditions de l’apprécier ? Et cette dégradation est intimement lié avec la logique de la consommation capitaliste : on peut aujourd’hui produire en série des produits culturels accessibles à tous publics…

              [Musique moderne tous genres confondus ? Même pas Satie, Ravel, Poulenc ?]

              Il y a des choses que j’aime chez Satie ou Ravel… mais c’est ponctuel et je dois dire que cela ne m’émeut pas comme peut m’émouvoir une passion de Bach, le Requiem de Mozart ou un grand aria de chez Haendel. Certains morceaux baroques ou classiques me mettent la chair de poule, je ne peux pas dire que ce soit le cas chez Satie, Ravel ou Poulenc.

              [Moi c’est le jazz qui me laisse froid, à mon grand dam.]

              Je connais mal, mais j’aime beaucoup le jazz « orchestral » des années de l’avant-guerre, que j’ai découvert en partie à travers les films de Woody Allen. Par contre, le « free jazz » me gonfle indiciblement.

            • CVT dit :

              @Descartes,

              [Qu’auriez-vous mis à la place? Robespierre? Saint-Just? Je ne pense pas que le moindre étranger ne sache qui ils sont. Robespierre, à la limite, mais cela aurait été assez étrange de le trouver là, sauf si on aurait abordé le tableau sous un angle plus sérieux. Ou présenter cela comme un enchainement de guillotinage avec Robespierre à la fin?]

              Bizarrement, le 26 juillet correspond au 8 thermidor du calendrier républicain, date qui comme chacun sait, est à fois celle de l’arrivée de l’Incorruptible à la tête du Comité de Salut Public, et également celle de sa chute exactement un an plus tard.  Je suis d’ailleurs étonné que personne n’ait relevé cette coïncidence… 
              Maintenant, la tête de Danton aurait pu être aussi de bon aloi: on aurait ainsi exaucé son dernier voeu😈😬.
              Et enfin une question: pour symboliser l’abolition de la monarchie, pourquoi exposer de la tête de l’Autrichienne plutôt que celle de son mari Louis Capet? Le féminisme est un décidément un totalitarisme…
              Trêve de plaisanterie macabre, car ce n’était ni le lieu ni le moment pour célébrer les victimes de la Terreur: pourquoi étaler urbi et orbi les divisions des Français alors qu’il fallait faire preuve d’unité devant le monde entier? Déjà que la laideur rare de certains tableaux, a fini par entacher une prestation générale ayant de grands moments de bravoure (comme vous le signalez justement), il faut en plus supporter le nombrilisme des metteurs en Cène 😏 incapable de résister à l’envie de tirer la couverture à eux.
              Pour ma part, je m’insurge contre sur son caractère anhistorique de cette cérémonie : quid de Pierre de Coubertin, systématiquement occulté, ou encore de Paris comme lieu d’histoire, histoire difficilement séparable de celle du reste du pays?
              Cette cérémonie d’ouverture fut le bal des occasions manquées; j’ai eu l’impression d’une “disneylandisation” de ma ville de naissance. Le caractère profondément anecdotique des tableaux choisis me laisse un goût amer. La dernière fois que j’ai eu une telle impression, j’avais alors 17 ans et c’était pour les festivités du Bicentenaire de la Révolution; celles-ci m’avaient paru tout aussi toc, et là encore, ce même caractère anhistorique, m’avait marqué. Cela ne doit pas être une coïncidence, puisque j’ai appris un peu tard que le triste sire Boucheron, qui a été nommé responsable de la partie historique du défilé, a affirmé une filiation directe avec des travaux de Jean-Paul Goude. Il est ironique de savoir que cet “historien” (au sens “1984” du terme) ennemi revendiqué de la filiation, s’en serve pour le pire…

              [Pardon, mais si c’est un « symbole », alors on ne peut pas parler de « détails ». Si vous changez la disposition, si vous mettez la « star » au même niveau que la « piétaille » plutôt que de lui donner une position centrale, si vous mettez la « modernité » sur le même plan que la « tradition » au lieu d’obliger la « tradition » à se trémousser au rythme de la « modernité », le « symbole » change radicalement. Ce n’est donc pas une question de « détail artistique », mais bien de contenu. Si toutefois il s’agit bien d’un « symbole »…] 

              Pour mes parents qui ont été à l’école française durant la Colonisation, AyakaMamarura aurait été considérée comme une “villageoise”, une “broussarde”, une “blédarde”.
              Désolé, mais pour moi, elle incarne la déchéance de la langue française comme exigence; elle symbolise l’aliénation de notre langue par des barbares qui la massacrent, et en faire le porte-drapeau de la francophonie, voire de la “New France”,  comme le font nos élites, est proprement injurieux pour n’importe quel Français, à commencer par les “Français de souche”.
              Ce type de récit en dit aussi long sur la condescendance de l’élite anti-nationale (post-nationale?) NFP-Macronarde envers les “afro-descendants” sur notre sol: pour eux, il y a le “français d’Aya”, parlé dans la “France des tours ” (dixit la LFI) et le “français de Ségolène” parlé dans la “France des Bourgs”. Seulement je récuse cette division car de même que la République est censé être indivisible, il ne doit y avoir qu’une seule langue française…

            • Descartes dit :

              @ CVT

              [Pour ma part, je m’insurge contre sur son caractère anhistorique de cette cérémonie : quid de Pierre de Coubertin, systématiquement occulté, ou encore de Paris comme lieu d’histoire, histoire difficilement séparable de celle du reste du pays ?]

              Pierre de Coubertin et son universalisme très XIXème siècle sont victimes de la « cancel culture ». Il n’est pas « présentable » selon les canons d’aujourd’hui, et comme il est impossible de nos jours de contextualiser les personnages historiques…

              [Cette cérémonie d’ouverture fut le bal des occasions manquées ; j’ai eu l’impression d’une “disneylandisation” de ma ville de naissance. Le caractère profondément anecdotique des tableaux choisis me laisse un goût amer. La dernière fois que j’ai eu une telle impression, j’avais alors 17 ans et c’était pour les festivités du Bicentenaire de la Révolution; celles-ci m’avaient paru tout aussi toc, et là encore, ce même caractère anhistorique, m’avait marqué.]

              C’était bien pire en 1989, parce que la célébration d’une révolution appelait bien plus que la cérémonie d’aujourd’hui à une célébration évoquant l’histoire de la Révolution et son héritage. Il faut d’ailleurs noter que la parade de 1989 n’a laissé aucune mémoire. Je ne connais personne qui soit capable de décrire rétrospectivement un seul tableau de cette parade. Je suis moins sévère avec la cérémonie des jeux, parce que la référence historique est moins pertinente. Certains tableaux n’avaient aucun intérêt, voir offensaient le sens commun. Mais il y avait quand même pas mal de belles choses.

              [Pour mes parents qui ont été à l’école française durant la Colonisation, AyakaMamarura aurait été considérée comme une “villageoise”, une “broussarde”, une “blédarde”.]

              Je ne le crois pas. Le style de Nakamura est au contraire un style très américain, et il faut vraiment beaucoup d’imagination pour voir en elle une « villageoise » ou une « blédarde ».

              [Désolé, mais pour moi, elle incarne la déchéance de la langue française comme exigence; elle symbolise l’aliénation de notre langue par des barbares qui la massacrent, et en faire le porte-drapeau de la francophonie, voire de la “New France”, comme le font nos élites, est proprement injurieux pour n’importe quel Français, à commencer par les “Français de souche”.]

              Je pense qu’elle ne mérite pas cet excès d’honneur. C’est une figure commerciale, qui prend tous les tics du produit commercial « apte tous publics ». Aucun intérêt. Je suis prêt à parier que sa prestation sera rapidement oubliée.

              [Ce type de récit en dit aussi long sur la condescendance de l’élite anti-nationale (post-nationale?) NFP-Macronarde envers les “afro-descendants” sur notre sol: pour eux, il y a le “français d’Aya”, parlé dans la “France des tours ” (dixit la LFI) et le “français de Ségolène” parlé dans la “France des Bourgs”.]

              C’est surtout intéressant si l’on se rappelle que c’est dans les pays anglo-saxons que le langage est un marqueur de classe qui vous enferme dans votre « communauté » – comme l’illustre avec beaucoup d’humour le film « My fair lady ». Ce n’est pas le cas en France, parce que l’école a imposé à tous les enfants un modèle du « français standard ». L’idée d’un « français des tours » opposé à un « français des bourgs » montre à quel point nous sommes en train de naturaliser un modèle qui n’est pas le nôtre.

          • P2R dit :

            @Descartes 
             
            [Par contre, le « free jazz » me gonfle indiciblement.]
            Vous connaissez sûrement la blague: on appelle ça du free jazz parce que jamais on aurait imaginé que des gens acceptent de payer pour entendre ça ! 

  2. Manchego dit :

    @ Descartes
    Merci et bravo pour votre analyse de ces JO, vous parvenez à faire une très bonne synthèse à laquelle je souscris.
    ***Bien entendu, il y a des côtés négatifs. Pour moi, le pire est la prise de pouvoir du fric sur les Jeux. La publicité est omniprésente. Elle recouvre les tunnels du métro, les escalators, les écrans. Et les Jeux sont prétexte pour vendre absolument tout, depuis des pneus jusqu’aux services bancaires. Même la cérémonie d’ouverture contenait de la publicité pour des sponsors, au premier rang desquels LVMH.***
    La charte olympique de Coubertin indiquait : ” L’emploi du drapeau, de la flamme, du symbole et de la devise olympique ne peut donner lieu à des opérations de nature commerciale ” mais le fossoyeur de cette charte a été le franquiste Juan Antonio de Samaranch, à partir des années 80, quand il est désigné président du CIO (même si avant lui il y avait déjà eu de nombreux coups de canif dans la charte). Cette évolution commerciale était sans doute inéluctable, mais on peut déplorer qu’il n’y ait pas une sélection plus éthique des sponsors. Par exemple, on voit l’impact de Coca-Cola sur les jeux, alors que cette marque de soda est un véritable fléau pour la santé (surtout aux USA et dans les pays sud américains, mais aussi en Europe), ils sont d’ailleurs poursuivis en justice dans de nombreux pays (mais ils sont très forts, comme les fabricants de cigarettes autrefois, ils arrivent à trouver des cautions scientifiques qui attestent que les sodas sucrés sont excellents pour la santé et ne sont en rien responsables de l’épidémie mondiale d’obésité et de diabète).
     

    • Descartes dit :

      @ Manchego

      [La charte olympique de Coubertin indiquait : ” L’emploi du drapeau, de la flamme, du symbole et de la devise olympique ne peut donner lieu à des opérations de nature commerciale ” mais le fossoyeur de cette charte a été le franquiste Juan Antonio de Samaranch, à partir des années 80, quand il est désigné président du CIO (même si avant lui il y avait déjà eu de nombreux coups de canif dans la charte).]

      Oui, enfin, Samaranch n’était pas tout seul… que cela se soit fait sous son règne et avec son approbation, c’est un fait. Mais le moins qu’on peut dire est que la résistance fut particulièrement faible… comme sera faible plus tard la résistance à la décision de permettre la participation aux jeux des athlètes professionnels, qui est à mon sens aussi regrettable.

      [Cette évolution commerciale était sans doute inéluctable,]

      Inéluctable ? Je n’irai pas jusque-là. Mais il est clair que le capitalisme tend à réduire tous les rapports humains à des rapports monétaires, et qu’il n’y a aucune raison que les jeux olympiques échappent à cette pression.

      [mais on peut déplorer qu’il n’y ait pas une sélection plus éthique des sponsors.]

      Ce qui supposerait de définir une charte éthique qui soit acceptable par tous. Vaste programme… une fois que vous aurez exclu les boissons sucrées, le énergies fossiles, le nucléaire, les plastiques, les conservateurs dans les aliments, les entreprises qui exploitent la main d’œuvre à bas coût dans le tiers monde, celles qui ne respectent la parité, celles qui discriminent les transexuels… il ne vous restera plus grand monde.

      • Glarrious dit :

        [Mais le moins qu’on peut dire est que la résistance fut particulièrement faible… comme sera faible plus tard la résistance à la décision de permettre la participation aux jeux des athlètes professionnels, qui est à mon sens aussi regrettable]
         
        Jusqu’à une certaine période les athlètes qui participaient aux jeux, était des amateurs ?

        • Descartes dit :

          @ Glarrious

          [Jusqu’à une certaine période les athlètes qui participaient aux jeux, était des amateurs ?]

          Les jeux olympiques ont été réservés aux amateurs jusqu’au congrès olympique de 1981. Les derniers jeux exclusivement amateurs ont été ceux de Moscou, en 1980. Et les premier jeux “professionnels” ont été ceux de Los Angeles, en 1984. Tout un symbole…

          En fait, l’amateurisme “pur” – celui de l’amateur qui avait un métier et s’entraînait pendant son temps libre – avait progressivement disparu. La plupart des athlètes olympiques étaient employés par leurs états respectifs – notamment par les armées – ou par des entreprises qui leur accordaient des facilités importantes pour s’entraîner. Ce n’étaient pas des “purs amateurs”, mais ils recevaient des rémunérations relativement limitées et surtout ne pouvaient pas conclure des contrats de “sponsoring”. L’ouverture aux professionnels a permis dans beaucoup de disciplines l’entrée du “sport-fric” dans l’olympisme.

  3. Cording1 dit :

    On écrit “Tokyo” svp.
    Comme l’a dit sur son compte X l’historien Eric Anceau je crains que ce ne soit qu’une “période enchantée” avant de retomber dans la médiocrité ambiante d’une époque et surtout d’une classe dirigeante qui a renoncé à toute ambition nationale sous alibi européen. De Gaulle disait que la France sans la grandeur n’est rien. Pour sa part Hegel est présumé avoir dit que rien de grand ne se fait sans passion.
    Comme ce fût le cas en 1998 lors de la victoire de la coupe du monde de football il y a une euphorie, l’expression d’un sentiment national et patriotique de bon aloi, alors qu’en temps ordinaire cela est considéré comme au mieux ringard, réactionnaire au pire comme fasciste.

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [On écrit “Tokyo” svp.]

      Si j’étais pinailleur, je dirais qu’il s’agit d’une transcription phonétique du japonais, et que par conséquent les deux orthographes sont équivalentes. Mais vous avez raison, c’est la version acceptée par l’Académie, alors on va s’y conformer. L’erreur a été corrigée.

      [Comme l’a dit sur son compte X l’historien Eric Anceau je crains que ce ne soit qu’une “période enchantée” avant de retomber dans la médiocrité ambiante d’une époque et surtout d’une classe dirigeante qui a renoncé à toute ambition nationale sous alibi européen.]

      C’est probable. Cependant, le fait que cette « période enchantée » soit possible nous montre que sous nos pieds il existe un énorme gisement d’énergie humaine qui n’attend qu’à être mis en valeur. Même si nos dirigeants préfèrent le laisser dormir – peut-être ont-ils peur de sa puissance ? – il existe bien, et cela est à mon avis encourageant. Et c’est un pied de nez formidable à tous ceux qui essayent de nous convaincre que ce gisement est épuisé, et qu’il faut s’y résigner.

      [De Gaulle disait que la France sans la grandeur n’est rien. Pour sa part Hegel est présumé avoir dit que rien de grand ne se fait sans passion.]

      Tous deux, à mon avis, ont raison.

      [Comme ce fût le cas en 1998 lors de la victoire de la coupe du monde de football il y a une euphorie, l’expression d’un sentiment national et patriotique de bon aloi, alors qu’en temps ordinaire cela est considéré comme au mieux ringard, réactionnaire au pire comme fasciste.]

      Tout à fait. Mais la question n’est pas seulement celle de l’euphorie de la victoire. Je dirais même plus : la victoire de 1998 a en partie occulté la fierté d’avoir été capables d’organiser d’une façon impeccable un tel évènement. Cette fois-ci, même la pluie de médailles n’occulte pas cette fierté collective d’avoir reçu – et très bien reçu – le monde chez nous, et de lui avoir montré notre meilleure figure. Même les serveurs dans les cafés de Paris sont devenus courtois, c’est dire…

      Je reviens su ce qui me parait l’essentiel : l’organisation des jeux a montré combien le discours de l’impuissance et de la « haine de soi » est un discours artificiel, destiné à justifier les politiques du chien crevé au fil de l’eau. Le commentateur CDG avait qualifié la France de “pays mineur” dans le concert des nations d’aujourd’hui. Cette réussite répond en partie à son objection: la France peut se permettre encore d’avoir des grandes ambitions et de les atteindre, et tant qu’on aura cette capacité, on ne sera pas un “pays mineur”. Quand la volonté politique est claire et qu’on se donne les moyens, nous sommes capables de faire des grandes choses, de tenir les délais et les budgets. Quand la volonté politique est claire et qu’on se donne les moyens, les Français râlent – c’est dans notre nature – mais acceptent les contraintes et s’engagent individuellement pour la réussite collective. Et quand je parle de « se donner les moyens », cela ne veut pas dire nécessairement « plus d’argent ». C’est aussi de mettre les gens compétents – et non les copains – aux bonnes places, puis de les laisser travailler.

      • cdg dit :

        Puisqu on parle de moi (je suis flatté), je me permet de preciser ma pensee. mineur n etait dans mon sens pas pejoratif mais refletait la realité economique. Et meme des pays mineur peuvent faire de grande chose. Si on cherche dans l histoire de Monaco ou du Vatican on doit bien trouver quelque chose de majeur (par ex l a diplomatie du vatican est bien plus importante que la taille du pays).
         
        Pour en revenir a la France, les JO n ont helas rien changé a la situation du pays. C est un peu comme si vous avez une hemorragie et qu on vous donne un anti douleur. vous vous sentez mieux mais comme vous perdez toujours du sang la situation ne fait qu empirer. a un moment l anti douleur cesse de faire effet et vous aurez encore plus mal.
        On peut certes rever que les JO soit l occasion pour nos dirigeants de cesser leurs petits calculs et pour nous qui les elisons d arreter de nier la realité. La France est embourbée et redresser la situation va demander de la sueur et des larmes (ce qui est déjà mieux que du sang churchillien)

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [Puisqu’on parle de moi (je suis flatté), je me permets de préciser ma pensée. Mineur n’était dans mon sens pas péjoratif mais reflétait la réalité économique. Et même des pays mineurs peuvent faire de grande chose. Si on cherche dans l’histoire de Monaco ou du Vatican on doit bien trouver quelque chose de majeur (par ex la diplomatie du Vatican est bien plus importante que la taille du pays).]

          J’attends avec une grande impatience que vous trouviez dans l’histoire de Monaco « quelque chose de majeur ». Quant au Vatican, son « importance » en tant qu’état est nulle. Il n’a d’ailleurs même pas les prérogatives d’un état souverain – par exemple, il est soumis à la loi civile et pénale italienne. Il ne faut pas confondre l’Etat du Vatican (qui en tant que tel n’a aucun poids) et l’Eglise catholique qui, elle, est une puissance.

          [Pour en revenir a la France, les JO n ont hélas rien changé à la situation du pays.]

          Cela dépend de ce que vous appelez « la situation du pays ». Il me semble incontestable que les JO nous ont apporté un surcroît de visibilité et de prestige international, et pas mal de sous. Mais si vous faites référence à la situation politique, sociale et économique, je suis d’accord avec vous. Mais les JO ont révélé qu’il y a toujours sous nos pieds un réservoir d’énergies et de compétences collectives endormies et qui n’attendent que le baiser d’un prince charmant politique pour se réveiller. C’est cette révélation qui me paraît importante à souligner. Oui, les JO n’ont rien changé… mais ils ont montré qu’un changement est possible. C’est déjà pas mal.

          [On peut certes rêver que les JO soit l’occasion pour nos dirigeants de cesser leurs petits calculs et pour nous qui les élisons d’arrêter de nier la réalité. La France est embourbée, et redresser la situation va demander de la sueur et des larmes (ce qui est déjà mieux que du sang churchillien)]

          Je suis persuadé que les Français sont prêts à entendre ce langage, à deux conditions : la première, que la sueur et les larmes soient équitablement partagées, et ne retombent pas toujours sur les mêmes, c’est-à-dire, sur les couches populaires. La seconde, que la sueur et les larmes qu’on demande s’inscrivent dans un projet qui ne soit pas celui d’un déclin, mais de lendemains meilleurs. Compte tenu des rapports de force, ce n’est pas pour demain.

          • cdg dit :

            [J’attends avec une grande impatience que vous trouviez dans l’histoire de Monaco « quelque chose de majeur ».]
            L oceonographie et Albert I ? Quand j étais gamin (années 70) l ecole nous avait meme amene au musee oceanographique (bon on venait d un departement proche mais quand meme c était une reference a l epoque)
            Sur un plan plus glamour, on peut comparer la ceremonie d ouverture des JO au mariage de grace kelly (TV et people)
            [Quant au Vatican, son « importance » en tant qu’état est nulle. Il n’a d’ailleurs même pas les prérogatives d’un état souverain – par exemple, il est soumis à la loi civile et pénale italienne. Il ne faut pas confondre l’Etat du Vatican (qui en tant que tel n’a aucun poids) et l’Eglise catholique qui, elle, est une puissance.]
            Il n empeche que le Vatican a une diplomatie et qu elle fait des choses qui sont sans rapport avec la taille de la population du Vatican (en s appuyant bien evidement sur les structures et le prestige de l eglise catholique)
             
            [JO nous ont apporté un surcroît de visibilité et de prestige international, et pas mal de sous.] Vrai pour la visibilité (enfin faut pas trop rever, c est fugace et il y a pas mal de gens dans le monde qui ne savent pas que paris est en France). Pour le cote financier, les JO c est pas une bonne affaire. Meme si on fait moins de deficit que Londres ou Pekin, ca restera une charge pour le contribuable
             
            {[et redresser la situation va demander de la sueur et des larmes (ce qui est déjà mieux que du sang churchillien)]
            Je suis persuadé que les Français sont prêts à entendre ce langage}
            J ai un gros doute. Regardez les dernières elections, aucun ne parlait d effort (meme les ecolos qui auraient pu dire que moins de consommation = moins de pollution). S il y avait une demande, vous pouvez être sur qu une de nos girouettes politiciennes l aurait saisie. Au contraire tous promettaient des dépenses supplementaires, des baisses d impôts, des aides …. (certes LFI parlaient de hausses d impôts, mais pour les « ultra riches » autrement dit quasiment personne electoralement parlant et qui pour sur ne suffiront pas a couvrir les depenses)
             
            [la première, que la sueur et les larmes soient équitablement partagées, et ne retombent pas toujours sur les mêmes, c’est-à-dire, sur les couches populaires]
            Je suis pas sur que le terme « couche populaire » soit le mieux adapte pour décrire ceux qui ont été les principales victimes. Par exemple si vous vous referez a la courbe de l elelephant, vous voyez que c est le milieu de la courbe qui a prit la mondialisation en pleine tete (le bas de la courbe a beneficie des prix plus bas pour consommer tout en travaillant pas/peu (les travailleurs mal payés de la courbe sont en majorité dans les pays pauvres). Exemple classique du milieu de la courbe qui a subit un declassement : un professeur qui était dans les années 70 classé plutôt parmi les classes supérieures alors qu un professeur qui debute en 2024 est au niveau d un employé
            Un autre parametre a prendre en compte est la classe d age.  Je sais pas si vous lisez le monde. Il y avait une serie d article sur une vieille dame qui a été empoisonee par la personne qui avait achete son appartement en viager. Vous avez ici une femme d origine pauvre qui était dactylo, qui a epouse un ouvrier et qui possède une maison et un appartement dans le var. Combien de personne qui ont 30-40 ans aujourd hui et un meme statut social (classe populaire) peuvent avoir en fin de vie maison et residence secondaire ? Cet exemple n est pas unique, j ai dans mon entourage des gens qui ont eut un parcours similaire en ayant beneficie des 30 glorieuses, de la flambee de l immobilier et de depart a la retraite avec des conditions très favorables
            Mais sur le fond, vous avez raison : un redressement n est possible que si l effort est partagé. C est pour cela qu il est important de bien repartir l effort et pas de se contenter de vagues categories comme bourgeoisie ou classe populaire

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« J’attends avec une grande impatience que vous trouviez dans l’histoire de Monaco « quelque chose de majeur ». » L’océanographie et Albert I ? Quand j’étais gamin (années 70) l’école nous avait même amené au musée océanographique (bon on venait d’un département proche mais quand même c’était une référence à l’époque)]

              C’est un joli musée, mais rien de plus. En tout cas, ce n’est pas l’œuvre du peuple monégasque, mais celle d’un individu qui s’ennuyait, qui avait pas mal d’argent et beaucoup de temps libre. Ce n’est pas vraiment ce que j’appellerais « quelque chose de majeur ».

              [Sur un plan plus glamour, on peut comparer la cérémonie d’ouverture des JO au mariage de Grace Kelly (TV et people)]

              Vous vous moquez de moi… pour vous le « glamour » fait « quelque chose de majeur » ? Je pense pourtant avoir été clair : ce qui est « majeur », c’est l’organisation des JO dans leur ensemble, pas la cérémonie d’ouverture.

              [« Quant au Vatican, son « importance » en tant qu’état est nulle. Il n’a d’ailleurs même pas les prérogatives d’un état souverain – par exemple, il est soumis à la loi civile et pénale italienne. Il ne faut pas confondre l’Etat du Vatican (qui en tant que tel n’a aucun poids) et l’Eglise catholique qui, elle, est une puissance. » Il n’empêche que le Vatican a une diplomatie et qu’elle fait des choses qui sont sans rapport avec la taille de la population du Vatican (en s appuyant bien evidement sur les structures et le prestige de l eglise catholique)]

              Non. C’est l’église catholique qui a un poids diplomatique et politique sans rapport avec la taille du Vatican. Ce n’est pas le Vatican qui « s’appuie » sur l’Eglise, c’est l’inverse.

              [JO nous ont apporté un surcroît de visibilité et de prestige international, et pas mal de sous.] Vrai pour la visibilité (enfin faut pas trop rêver, c’est fugace et il y a pas mal de gens dans le monde qui ne savent pas que paris est en France).]

              Personnellement, je n’ai jamais croisé quelqu’un qui ne susse pas que Paris est la capitale de la France. Est-ce que cela vous est arrivé ? Où ça ? Et non, je ne pense pas que ce soit aussi « fugace » que cela. Soixante ans plus tard, on se souvient des jeux de Mexico.

              [Pour le cote financier, les JO c est pas une bonne affaire. Même si on fait moins de déficit que
              Londres ou Pekin, ca restera une charge pour le contribuable]

              Encore une fois, tout compté (et en particulier le surcroît de recettes fiscales et sociales), je ne pense pas qu’on fasse du déficit.

              [« Je suis persuadé que les Français sont prêts à entendre ce langage » J’ai un gros doute. Regardez les dernières élections, aucun ne parlait d’effort (même les écolos qui auraient pu dire que moins de consommation = moins de pollution). S’il y avait une demande, vous pouvez être sûr qu’une de nos girouettes politiciennes l’aurait saisie.]

              D’abord, je n’ai pas dit qu’il y ait une « demande ». Je ne connais pas beaucoup de circonstances où il y ait eu une « demande » de l’électorat pour du sang, de la sueur et des larmes. Même pas dans l’Angleterre de 1940. Ce que j’ai dit que les français « étaient prêts à entendre ce langage ». Et ce n’est pas du tout la même chose. Quant au fait que les politiques ne tiennent pas ce langage, cela ne prouve nullement que les gens ne soient pas prêts à l’entendre. Tout au plus, que les classes sociales que ces partis représentent ne sont pas prêts à l’entendre. Là encore, il y a une subtile différence. Le problème, c’est que pour arriver au pouvoir il est indispensable de séduire les classes intermédiaires. Or, ce sont ces couches-là qui ne veulent pas entendre parler de « sacrifices », parce qu’elles n’en voient pas l’intérêt : pour elles, tout va bien…

              [« la première, que la sueur et les larmes soient équitablement partagées, et ne retombent pas toujours sur les mêmes, c’est-à-dire, sur les couches populaires » Je suis pas sûr que le terme « couche populaire » soit le mieux adapté pour décrire ceux qui ont été les principales victimes. Par exemple si vous vous referez a la courbe de l l’éléphant, vous voyez que c’est le milieu de la courbe qui a pris la mondialisation en pleine tête (le bas de la courbe a bénéficié des prix plus bas pour consommer tout en travaillant pas/peu (les travailleurs mal payés de la courbe sont en majorité dans les pays pauvres). Exemple classique du milieu de la courbe qui a subi un déclassement : un professeur qui était dans les années 70 classé plutôt parmi les classes supérieures alors qu un professeur qui débute en 2024 est au niveau d’un employé.]

              Sauf que là vous ne prenez en compte que les revenus monétaires. Mais qui a payé le plus lourd tribut à la précarité, à l’insécurité, à la dégradation de son cadre de vie, à l’absence de perspectives, l’étiolement des services publics ? Et comment donneriez-vous une valeur monétaire à ces paramètres pour corriger la « courbe de l’éléphant » ? Je donnerais avec joie 20% de mon revenu pour ne pas avoir un point de deal dans mon escalier, pour avoir une école de qualité et des hôpitaux qui fonctionnent. Et ces éléments hors revenu touchent massivement les couches populaires. Parce que votre professeur, qui démarre peut-être au niveau d’un employé, a toujours la sécurité de l’emploi et continue à être parmi les mieux soignés, et ses enfants parmi les mieux éduqués. La « courbe de l’éléphant » ne donne qu’une vision très schématique des choses.

              [Un autre paramètre a prendre en compte est la classe d’âge. Je ne sais pas si vous lisez le monde. Il y avait une série d article sur une vieille dame qui a été empoisonnée par la personne qui avait acheté son appartement en viager. Vous avez ici une femme d’origine pauvre qui était dactylo, qui a épousé un ouvrier et qui possède une maison et un appartement dans le var. Combien de personne qui ont 30-40 ans aujourd’hui et un même statut social (classe populaire) peuvent avoir en fin de vie maison et résidence secondaire ?]

              Dans le paragraphe précédent, vous m’expliquiez avec l’aide de la « courbe de l’éléphant » que c’étaient les classes intermédiaires qui avaient pris plein la gueule, alors que les couches les plus modestes avaient été relativement protégées. Et ici vous m’expliquez le contraire : avant la mondialisation, un couple issu des couches populaires pouvait s’offrir une maison et un appartement dans le Var, et aujourd’hui c’est impossible. Faudrait savoir…

              J’avais écrit plus haut qu’une condition pour que les gens acceptent des sacrifices était : « que la sueur et les larmes soient équitablement partagées, et ne retombent pas toujours sur les mêmes, c’est-à-dire, sur les couches populaires ». L’exemple que vous citez ici montre effectivement que « la sueur et les larmes » de la mondialisation sont tombés sur les couples comptant une dactylo et un ouvrier. CQFD

              [Cet exemple n’est pas unique, j’ai dans mon entourage des gens qui ont eu un parcours similaire en ayant bénéficié des 30 glorieuses, de la flambée de l’immobilier et de départ à la retraite avec des conditions très favorables]

              Exactement mon point… voir ci-dessus. Mais ce n’est pas le cas dans toutes les couches sociales. Dans les classes intermédiaires, le niveau de vie s’est maintenu voir a continué de monter. Bien sûr, les choix ne sont pas forcément les mêmes : hier on économisait sur tout pour constituer un patrimoine, et on pouvait s’offrir un petit appartement dans le Var. Aujourd’hui, c’est la consommation immédiate qui prend le pas sur l’accumulation patrimoniale. Mais franchement, quand j’entends mes amis des classes intermédiaires expliquer qu’on ne peut pas s’acheter un appartement de vacances alors qu’ils changent de voiture tous les deux ans et de télé tous les trois…

              [Mais sur le fond, vous avez raison : un redressement n’est possible que si l’effort est partagé.]

              Vous avez oublié le mot « équitablement » avant le mot « partagé ». Décidément…

              [C’est pour cela qu il est important de bien repartir l’effort et pas de se contenter de vagues
              catégories comme bourgeoisie ou classe populaire]

              Vraiment ? Et quel serait alors le critère pour « bien repartir » cet effort ?

  4. Magpoul dit :

    @Descartes
    Je reprend notre discussion ici.

    La question pour moi était plutôt pourquoi réduire la Révolution à la terreur ? Pourquoi ne rappeler plutôt son œuvre positive, et notamment cette « déclaration des droits de l’homme et du citoyen », que tout le monde ou presque connaît ?

    Ah, ça c’est en effet autre chose. Je crois d’ailleurs, en vous connaissant un peu par vos papiers, que la réponse est dans la question. Les “élites” et le bloc dominant ont tendance à oublier le “citoyen” dans la déclaration. Rappeler cet héritage, ce serait contre ce qu’ils combattent depuis quelques décennies. Alors, en effet, on réduit la Révolution à une parodie de la Terreur. Couper des têtes c’est la destruction, le meurtre. La déclaration, c’est la construction, l’envie de bâtir un avenir. 

    Celui de Ayreon n’est pas désagréable, et comme le chanteur a une très belle voix il arrive à créer une certaine ambiance, mais le côté « métal » des instruments est une gêne plutôt qu’autre chose. Celui de Dragonland me laisse franchement de marbre… aucune émotion, et beaucoup de bruit, c’est un vrai cauchemar… en fait, le seul morceau de métal – si on peut appeler ca métal – que j’aie vraiment apprécié est « The hell of it » de Paul Williams (c’est la dernière chanson du film « Phantom of the Paradise » de Brian de Palma, https://www.youtube.com/watch?v=U6rzVVwvlLU)

    Oui, le Metal a dans l’ensemble d’excellents vocalistes ! Mais je comprend votre point de vue, c’est déjà sympathique d’avoir prêté l’oreille. Votre morceau est très bien, je ne connaissais pas. Le côté Metal est plus dans l’héritage des premiers groupes comme Black Sabbath qui, en effet, étaient moins enclins à la saturation (si je ne dis pas trop de bêtises). Pour ma part, tout dépend de mon humeur. Si j’ai envie de me “défouler”, j’aime bien les musiques saturées et bien lourdes. Pour avoir la tête au repos, je vais chercher autre chose. 

    Les paroles ont-elles une quelconque importance ?

    Comme pour la musique, cela dépend du style de Metal ! Il y a des groupes de “folk Metal” qui partent de mythes et les mettent en récit (comme des bardes). D’autres aiment faire référence à des évènements historiques. D’autres sont simplement motivants et encouragent d’aller de l’avant face à la vie. D’autres inventent des Space Opera (comme Ayreon). C’est plus ou moins brillant, mais certains groupes se donnent du mal, donc oui, c’est important. Mais cela dépend de l’auditeur, certains s’en moquent. J’essaye d’y faire attention. 

    Pardon, mais si c’est un « symbole », alors on ne peut pas parler de « détails ». Si vous changez la disposition, si vous mettez la « star » au même niveau que la « piétaille » plutôt que de lui donner une position centrale, si vous mettez la « modernité » sur le même plan que la « tradition » au lieu d’obliger la « tradition » à se trémousser au rythme de la « modernité », le « symbole » change radicalement. Ce n’est donc pas une question de « détail artistique », mais bien de contenu. Si toutefois il s’agit bien d’un « symbole »…

    Oui, je suis d’accord. En fait, le symbole est bel et bien là, mais il est très négatif, et vous le résumez bien dans votre paragraphe. La tradition se plie à la modernité. La garde n’est que la piétaille qui se trémousse autour de la star. 

    Je pense qu’on aurait pu garder la Garde et exclure Nakamura, et on se serait bien mieux portés.

    Je ne sais pas si la Garde comme la Patrouille de France (qui a tracé un cœur dans le ciel) ne devraient prendre part à ces évènements à moins d’avoir une place d’honneur absolument essentielle. Cela me rappelle la fanfare militaire qui jouait du Daft Punk lors du défilé du 14 juillet 2017. Il y a une sorte de désacralisation qui suit le mouvement du politique. Suis-je trop rigide? 

    • Descartes dit :

      @ Magpoul

      [Ah, ça c’est en effet autre chose. Je crois d’ailleurs, en vous connaissant un peu par vos papiers, que la réponse est dans la question. Les “élites” et le bloc dominant ont tendance à oublier le “citoyen” dans la déclaration. Rappeler cet héritage, ce serait contre ce qu’ils combattent depuis quelques décennies. Alors, en effet, on réduit la Révolution à une parodie de la Terreur. Couper des têtes c’est la destruction, le meurtre. La déclaration, c’est la construction, l’envie de bâtir un avenir.]

      C’est une interprétation très pertinente…

      [Oui, je suis d’accord. En fait, le symbole est bel et bien là, mais il est très négatif, et vous le résumez bien dans votre paragraphe. La tradition se plie à la modernité. La garde n’est que la piétaille qui se trémousse autour de la star.]

      Si c’est cela le « symbole », on aurait très bien pu s’en passer…

      [Je ne sais pas si la Garde comme la Patrouille de France (qui a tracé un cœur dans le ciel) ne devraient prendre part à ces évènements à moins d’avoir une place d’honneur absolument essentielle.]

      Personnellement, je n’aime pas trop le mélange des genres. La Garde républicaine est une unité militaire, gardienne symboliquement de la sécurité des institutions. Elle a toute sa place dans les cérémonies républicaines, celles qui célèbrent nos succès comme celles qui commémorent nos morts. Mais ce n’est pas une fanfare locale qu’on appelle pour animer les fêtes et banquets.

      [Cela me rappelle la fanfare militaire qui jouait du Daft Punk lors du défilé du 14 juillet 2017. Il y a une sorte de désacralisation qui suit le mouvement du politique. Suis-je trop rigide?]

      Pour vivre dans ce monde, certainement. Mais je partage votre « rigidité ». Je ne me souviens plus quel auteur faisait de l’incapacité à établir des hiérarchies, de séparer le sacré du profane, le symbolique du réel, le signe de la décadence d’une civilisation. Sans aller jusque-là, je ne peux m’empêcher de penser que cette tendance à tout mélanger fait que tout perd sa signification, qu’on se retrouve de plus en plus devant des « signifiants vides ». Cela correspond d’ailleurs à une société de plus en plus individualiste, ou chacun se réserve le droit de donner aux « symboles » une signification personnelle, plutôt que se plier à un sens donné par la collectivité.

      • P2R dit :

        @descartes et magpoul
         
        .[ Cela correspond d’ailleurs à une société de plus en plus individualiste, ou chacun se réserve le droit de donner aux « symboles » une signification personnelle, plutôt que se plier à un sens donné par la collectivité]
         
        j’avais déjà soulevé cette idée dans un commentaire sur un précédent billet, mais pour moi, ce phénomène (l’individualisation du sens des symboles contre le sens « collectif ») marque la victoire de l’esprit du protestantisme sur le catholicisme. Ce qui n’a rien d’étonnant si l’on considère que le protestantisme est la matrice qui permet l’expansion du capital. J’hésite a ce sujet à me procurer le bouquin de Max Weber sur l’éthique protestante et le capitalisme. Me conseilleriez vous cette lecture ? 

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [j’avais déjà soulevé cette idée dans un commentaire sur un précédent billet, mais pour moi, ce phénomène (l’individualisation du sens des symboles contre le sens « collectif ») marque la victoire de l’esprit du protestantisme sur le catholicisme.]

          Je ne le crois pas. J’ai du mal à faire la relation entre l’esprit du protestantisme et le fait de vider les symboles de toute signification collective pour en faire des « signifiants vides ». Vous noterez d’ailleurs que dans les cultures protestantes les symboles et les rituels collectifs sont bien plus présents que dans les pays catholiques. Par contre, j’y vois un effet de l’approfondissement du capitalisme, et de la prophétie marxienne selon laquelle celui-ci tendait à remplacer tous les rapports humains par des rapports monétaires. Il est clair qu’un appareil symbolique défini en dehors de l’individu et ayant un sens indépendamment de lui est un obstacle à cette « monétarisation ».

          La question des “signifiants vides” est un sujet qui me passionne. Nous sommes dans une société qui semble incapable de fabriquer et de préserver des “symboles”, c’est à dire des objets, des signes ou des rituels qui ont une signification univoque pour l’ensemble d’une collectivité en dehors de leur contenu réel. Et en parallèle, se multiplient des spectacles ou des actes qui sont déclarés comme “symboliques”, mais dont personne ne sait très bien ce qu’ils “symbolisent”, et qui permettent à chacun de leur donner le sens qu’ils ont envie d’y voir.

          Pour moi, c’est catastrophique parce que la symbolique fait partie d’un langage. Comment pourrait-on se comprendre et échanger si chacun mettait dans chaque mot du langage un sens qui lui serait personnel ? Une société où les “symboles” n’ont plus le même sens pour tout le monde est une société qui perd une partie de son langage. Et on peut lier d’ailleurs cela avec l’idée post-moderne qu’il faut lutter “contre toutes les aliénations”. Le langage est une aliénation, puisque l’individu utilise des mots dont le sens lui est imposé par une histoire à laquelle il est extérieur. Refuser “toutes les aliénations”, c’est refuser ce qui permet les individus d’échanger et de se sentir membres d’une même collectivité.

          [Ce qui n’a rien d’étonnant si l’on considère que le protestantisme est la matrice qui permet l’expansion du capital. J’hésite a ce sujet à me procurer le bouquin de Max Weber sur l’éthique protestante et le capitalisme. Me conseilleriez-vous cette lecture ?]

          Oui, sans hésiter. C’est toujours intéressant de lire les classiques. Cela étant dit, Weber est d’une lecture relativement difficile, et il ne faut donc pas se décourager !

  5. Timo dit :

    @Descartes

    [Comme quoi, même si cela doit déplaire aux apôtres du post-nationalisme, l’identification nationale reste toujours aussi puissante.]

    Il faut noter que certains de ses apôtres ont du mal à s’y faire et attendent la fin des jeux avec impatience. Comme l’universitaire Mathieu Slama :
    “Moi, je veux bien, l’engouement autour des Jeux Olympiques. Ok, moi je veux bien, mais je ne suis pas à l’aise avec tout un tas de choses comme le chauvinisme ou le nationalisme. Je ne comprends pas que l’on soutienne les Français plutôt que les autres sous prétexte qu’ils sont du même pays”
    https://www.jeanmarcmorandini.com/article-579422-jo-l-essayiste-mathieu-slama-choque-sur-les-reseaux-en-affirmant-ne-pas-comprendre-pourquoi-les-francais-soutiennent-les-sportifs-tricolores-uniquement-car-ils-sont-du-meme-pays.html

    ou le député LFI Arnaud Saint-Martin :
    « La couverture chauviniste des Jeux olympique sur le service public audiovisuel et ailleurs est pénible. Tout est cadré en fonction des performances espérées des sportifs français. Feu l’idéal internationaliste porté en théorie par l’olympisme. L’heure est à la régression nationaliste »
    https://www.lejdd.fr/sport/lheure-est-la-regression-nationaliste-un-depute-lfi-accuse-le-service-public-de-trop-sinteresser-aux-performances-des-athletes-francais-148048

    • Descartes dit :

      @ Timo

      [« Comme quoi, même si cela doit déplaire aux apôtres du post-nationalisme, l’identification nationale reste toujours aussi puissante. » Il faut noter que certains de ses apôtres ont du mal à s’y faire et attendent la fin des jeux avec impatience. Comme l’universitaire Mathieu Slama :
      “Moi, je veux bien, l’engouement autour des Jeux Olympiques. Ok, moi je veux bien, mais je ne suis pas à l’aise avec tout un tas de choses comme le chauvinisme ou le nationalisme. Je ne comprends pas que l’on soutienne les Français plutôt que les autres sous prétexte qu’ils sont du même pays”]

      Je crois que le mot intéressant dans ce commentaire est « je ne comprends pas ». Il est remarquable parce qu’au-delà du fait « qu’il n’est pas à l’aise » avec un certain nombre de choses, l’universitaire avoue être devant un phénomène qui échappe à sa compréhension. Et ce n’est pas un petit phénomène : nous savons que cette identification symbolique existait déjà à l’époque de la tribu, du village, de la cité, du royaume, et que l’état-nation en a hérité à sa création. Déjà dans la Grèce antique les spectateurs des jeux venaient à Olympie supporter les athlètes de leur ville, et ceux-ci étaient fêtés comme des héros en rentrant chez eux. C’est quand même embêtant qu’un universitaire, qui se prétend philosophe et commentateur politique, avoue « ne pas comprendre » un tel phénomène.

      Sans vouloir faire de la psychologie de comptoir, je pense que le problème de Slama n’est pas qu’il ne « comprend pas », mais qu’il ne VEUT pas comprendre. Parce qu’accepter rationnellement l’explication de ce phénomène mettrait par terre l’ensemble des théories « post-nationales » en montrant combien l’identification nationale sous-tend la citoyenneté elle-même. Si les gens soutiennent « leurs » sportifs aux jeux olympiques – notez-bien que ce n’est pas le cas dans d’autres compétitions, le football par exemple, ou les équipes sont formés de joueurs sans attache particulière avec la ville, la région ou le pays qu’ils représentent – c’est parce que le protocole olympique fait des athlètes les représentants d’une nation. L’athlète olympique est certes un individu exceptionnel, mais ce ne sont pas des individus déconnectés, isolés. Ils sont portés par les structures sportives de leurs pays respectifs, ils sont repérés à l’école ou dans leur club, pris en main par la fédération, admis à l’INSEP (ou équivalent). Et une fois retraités, ils seront souvent enseignants, animateurs, dirigeants d’institutions sportives. Ils font partie d’un écosystème sportif financé par l’ensemble des citoyens et qui leur profite, et qui est éminemment « national » dans la plupart des pays.

      [ou le député LFI Arnaud Saint-Martin : « La couverture chauviniste des Jeux olympique sur le service public audiovisuel et ailleurs est pénible. Tout est cadré en fonction des performances espérées des sportifs français. Feu l’idéal internationaliste porté en théorie par l’olympisme. L’heure est à la régression nationaliste »]

      Là aussi, la réaction est intéressante. Ce député utilise le mot « internationaliste » sans se poser la question de sa signification. L’idéal olympique est un idéal INTER-nationaliste et non pas A-nationaliste. Le but de Pierre de Coubertin était de bâtir un espace de confrontation pacifique entre les nations, et non pas de les faire disparaître. C’est pourquoi le protocole olympique fait des athlètes des représentants d’une nation, et non des individus détachés, isolés. Arnaud Saint-Martin redéfinit l’olympisme à son image, et cette image est individualiste. Si on suit son raisonnement, il faudrait détacher les sportifs de toute identification nationale, c’est-à-dire, les laisser se confronter sur une base purement indivduelle…

  6. Glarrious dit :

    Pour ceux qui était sur place à la cérémonie, il a plu faute à pas de chance. Un autre évènement dont vous n’avez pas parlé dans votre billet qui est pourtant gravissime que sont les sabotages des chemins de fer. Les soupçons tendent vers des groupuscules extrêmes-gauches. En espérant que cela passe bien niveau sécuritaire. 
     
    Au sujet des épreuves comme les deux BMX et Breaking, je ne comprend pas pourquoi ils sont inscrits aux JO alors que d’autres ont été retirés par exemple: le karaté

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [Un autre évènement dont vous n’avez pas parlé dans votre billet qui est pourtant gravissime que sont les sabotages des chemins de fer. Les soupçons tendent vers des groupuscules extrêmes-gauches. En espérant que cela passe bien niveau sécuritaire.]

      Je n’en ai pas parlé parce qu’aussi longtemps que l’on ne sait pas qui est derrière ces sabotages, il est difficile de tirer une conclusion quelconque. La seule chose qu’on peut tirer de l’incident à ce stade est la capacité toujours aussi extraordinaire de nos opérateurs nationaux de service public à faire face à une situation difficile. En plein mois d’août, alors que pas mal de cheminots sont certainement en vacances, il a suffi d’une journée pour que les dégâts soient réparés. La SNCF n’a pas au de difficulté à rappeler du personnel. EDF avait déjà montré plusieurs fois sa capacité à faire de même. Est-ce qu’avec l’abolition de facto ou de jure du statut particulier de ces métiers, qui crée chez les cheminots ou les électriciens-gaziers un esprit de corps très particulier, cette capacité de réaction ne va pas disparaître ? Personnellement, je suis relativement pessimiste quand je vois par exemple la capacité de réaction des opérateurs télécom…

      [Au sujet des épreuves comme les deux BMX et Breaking, je ne comprend pas pourquoi ils sont inscrits aux JO alors que d’autres ont été retirés par exemple: le karaté]

      Le CIO a le soucis de promouvoir des nouveaux sports, pour des raisons nobles – donner de la visibilité à des activités sportives pour leur permettre de recruter des pratiquants – et moins nobles – la pression des fabricants d’équipements divers peut être très forte. Pour éviter une fuite en avant, le nombre de podiums est limité à 302. On ne peut donc rajouter des disciplines qu’en supprimant d’autres.

      • Manchego dit :

        @ Descartes
        ***La seule chose qu’on peut tirer de l’incident à ce stade est la capacité toujours aussi extraordinaire de nos opérateurs nationaux de service public à faire face à une situation difficile.***
        C’est effectivement une belle performance de la SNCF, d’après les images TV que j’ai vu il y a eu plusieurs câbles de contrôle commande et des fibres optiques qui ont été sabotés dans les chemins de câbles sous caniveaux, et les sabotages se sont faits sur plusieurs points du réseau ferré. Rétablir les connexions sous la chaleur et dans des délais aussi courts c’est très fort, sans compter que après les réparations ils ont du tout requalifier (c’est à dire faire des essais de tous les capteurs, actionneurs, signalisations…), ce qui est aussi un travail titanesque.
        Je me suis demandé si techniquement la SNCF aurait pu faire circuler les trains en mode dégradé (c’est à dire à vitesse réduite et avec communication radio entre les conducteurs et des agents postés sur les voies). Je n’ai pas la réponse, mais de toute façon je pense que la SNCF privilégie toujours la sécurité des voyageurs et de son personnel, même si cela doit engendrer des pertes financières. C’est çà aussi le service public!

        • Descartes dit :

          @ Manchego

          [C’est effectivement une belle performance de la SNCF, d’après les images TV que j’ai vu il y a eu plusieurs câbles de contrôle commande et des fibres optiques qui ont été sabotés dans les chemins de câbles sous caniveaux, et les sabotages se sont faits sur plusieurs points du réseau ferré. Rétablir les connexions sous la chaleur et dans des délais aussi courts c’est très fort, sans compter que après les réparations ils ont du tout requalifier (c’est à dire faire des essais de tous les capteurs, actionneurs, signalisations…), ce qui est aussi un travail titanesque.]

          Tout à fait. Il fallait diagnostiquer les dommages, remplacer les câbles endommagés, requalifier l’ensemble des fonctions de sécurité, vérifier qu’il n’y avait pas d’autres dommages qui n’auraient pas été détectés… et pendant ce temps, gérer les voyageurs échoués dans l’un des week-ends les plus chargés de l’année. Chapeau au personnel de la SNCF !

          [Je me suis demandé si techniquement la SNCF aurait pu faire circuler les trains en mode dégradé (c’est à dire à vitesse réduite et avec communication radio entre les conducteurs et des agents postés sur les voies).]

          C’est possible mais difficile à faire, et de toute façon avec ce mode on ne peut faire circuler qu’un tout petit nombre de trains. N’oubliez pas que la circulation des trains est une mécanique dans laquelle chaque train doit être à un endroit précis à un moment précis. Si le Paris-Marseille qui part à 8h heures met sept heures au lieu de trois pour atteindre Marseille, la rame ne sera jamais de retour à Paris à 14h pour prendre les voyageurs du train qui part à 14h30.

          [Je n’ai pas la réponse, mais de toute façon je pense que la SNCF privilégie toujours la sécurité des voyageurs et de son personnel, même si cela doit engendrer des pertes financières. C’est çà aussi le service public!]

          Tout à fait.

  7. Glarrious dit :

    [Au-delà de ces considérations générales, on peut ensuite regarder comment ont été organisés les jeux de Paris. Et sur la préparation, je pense qu’on peut raisonnablement être fiers. D’abord, parce que tous les ouvrages prévus pour les jeux ont été livrés par la Solideo, l’établissement publique chargé de la maîtrise d’œuvre, en temps, en heure, et – et cela est plus rare – en budget.]
     
    Je pense à d’autres infrastructures qui ont pris du retard comme le Grand Paris Express qui était censé être terminer pour les JO mais n’ont pas été livrés et en plus de dépasser le budget.
     
    [Il y a bien entendu des incidents ici où là, mais globalement les athlètes arrivent à l’heure aux compétitions, le public est au rendez-vous, les transports fonctionnent impeccablement, les forces de l’ordre sont présentes sans excès]
     
    Les FDO sont présentes sans excès ? Je vous rappelle que 45 000 policiers et gendarmes sont mobilisés plus l’armée pour assurer la sécurité de l’évènement alors pourquoi dites-vous “sans excès” ?
     
    [tous les Parisiens, d’ordinaire si brusques, sont polis et même cordiaux avec la foule des visiteurs qui remplit les rues, les transports, les cafés]
     
    Une bonne partie des parisiens ont quitté Paris pour les vacances dont une bonne partie sont probablement aigris donc ceux qui restent sont polis et même cordiaux avec les visiteurs. 

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [Je pense à d’autres infrastructures qui ont pris du retard comme le Grand Paris Express qui était censé être terminer pour les JO mais n’ont pas été livrés et en plus de dépasser le budget.]

      Les infrastructures du Grand Paris, pas plus que la réouverture de Notre-Dame, ne faisaient pas partie des engagements pris pour les jeux olympiques. Bien sûr, on aurait aimé les voir inaugurés avant les Jeux pour donner une image encore plus moderne de Paris, mais on savait que c’était pratiquement impossible de réussir un tel pari.

      [Les FDO sont présentes sans excès ? Je vous rappelle que 45 000 policiers et gendarmes sont mobilisés plus l’armée pour assurer la sécurité de l’évènement alors pourquoi dites-vous “sans excès” ?]

      Par « sans excès », je pensais aux contrôles tâtillons, aux incidents avec les visiteurs ou des « bandes » venues de banlieue. Malgré leur nombre, la présence des policiers et gendarmes n’est pas perçue comme oppressive ou inquiétante.

      [« tous les Parisiens, d’ordinaire si brusques, sont polis et même cordiaux avec la foule des visiteurs qui remplit les rues, les transports, les cafés » Une bonne partie des parisiens ont quitté Paris pour les vacances dont une bonne partie sont probablement aigris donc ceux qui restent sont polis et même cordiaux avec les visiteurs.]

      Je doute que les serveurs des cafés parisiens pendant les jeux soient lyonnais ou toulousains… Non, je pense qu’il y a un véritable effet « jeux », qui tient pour beaucoup à la séquence antérieure. Cela fait des années que nos élites jouent à la guerre civile, qu’ils opposent entre elles des « communautés », qu’ils crachent sur l’idée de volonté générale. La séquence de la dissolution, l’élection du bureau de l’Assemblée, qui a vu l’alliance de la carpe et du lapin avec pour objectif de priver de représentation un tiers des électeurs quitte à rendre le pays ingouvernable ont à mon avis marqué l’opinion plus qu’on ne le pense. Alors, comment s’étonner que les gens montent à bord avec enthousiasme lorsqu’on leur offre une opportunité de se rassembler et de vibrer ensemble ?

  8. Geo dit :

     
    À Descartes
    [C’est quand même embêtant qu’un universitaire, qui se prétend philosophe et commentateur politique, avoue « ne pas comprendre » un tel phénomène.]
     
    L’incompréhension est purement rhétorique: « Je suis un intellectuel, or je ne comprends pas, donc c’est stupide. »
    (Roland Barthes a écrit des choses très précises là-dessus dans son « Mythologies ».)
    Au moins, est-il prouvé que l’intellectuel n’est pas en mesure de traiter directement de con ou de facho tout le public des jeux.
    Reste que je ne crois pas qu’organiser les jeux soit faire une grande chose. Peut-on dire ça sans passer pour pisse-vinaigre, peine-à-jouir ou Dieu sait quoi d’autre ?
    Sur la cérémonie d’ouverture: c’était un énorme clip publicitaire dans l’esprit des années 80 pour Louis Vuiton et Paris. S’il est un succès, il renforcera le tourisme dont souffre la capitale au moins autant qu’elle en profite. La part de laideur du clip est celle de la publicité, et elle est grande. J’aime bien l’intervention des métaleux, décapitation comprise, le cavalier sur l’eau, quelques autres moments. J’ai suivi à Paris quelques compétitions sur un des sites avec écrans ouverts en ville, qui semblent un succès pour des sorties familiales pas cher. Un peu comme un pique-nique en ville. l’ambiance est sympathique. On pourrait même garder le même dispositif pour les prochains jeux d’été aux USA.
     
     

    • Descartes dit :

      @ Géo

      [« C’est quand même embêtant qu’un universitaire, qui se prétend philosophe et commentateur politique, avoue « ne pas comprendre » un tel phénomène. » L’incompréhension est purement rhétorique : « Je suis un intellectuel, or je ne comprends pas, donc c’est stupide. »]

      J’entends l’argument, mais est-ce vraiment le cas ? Lorsque je regarde la séquence, je m’interroge. Je pense qu’il y a une part de VERITABLE incompréhension, qui traduit un problème que j’ai abordé il y a quelques mois ici même, celui de l’empathie. Nos élites ont perdu leur capacité de voir le monde autrement que de leur point de vue. C’est pourquoi les réactions des autres leurs sont « incompréhensibles ».

      [Reste que je ne crois pas qu’organiser les jeux soit faire une grande chose. Peut-on dire ça sans passer pour pisse-vinaigre, peine-à-jouir ou Dieu sait quoi d’autre ?]

      Je ne sais pas, je me tâte…
      Mais en attendant, j’aimerais que vous argumentiez votre position. Qu’est ce qui vous conduit à penser qu’organiser des jeux olympiques d’une telle qualité est à la portée de tout le monde, que cela ne présente aucune difficulté particulière ? Parce que dès lors qu’on admet qu’une telle organisation n’est à la portée de quelques-uns, et qu’elle implique de faire face à toutes sortes de difficultés, cela devient une « grande chose »…

      [Sur la cérémonie d’ouverture: c’était un énorme clip publicitaire dans l’esprit des années 80 pour Louis Vuiton et Paris. S’il est un succès, il renforcera le tourisme dont souffre la capitale au moins autant qu’elle en profite. La part de laideur du clip est celle de la publicité, et elle est grande. J’aime bien l’intervention des métaleux, décapitation comprise, le cavalier sur l’eau, quelques autres moments.]

      Nous sommes d’accord. Il y avait dans cette cérémonie du très bon et du franchement mauvais. Il ne reste pas moins que son organisation est une gageure… et une gageure réussie.

      [J’ai suivi à Paris quelques compétitions sur un des sites avec écrans ouverts en ville, qui semblent un succès pour des sorties familiales pas cher. Un peu comme un pique-nique en ville. L’ambiance est sympathique.]

      Oui, ça c’est ce qu’on voit. Mais il y a ce qu’on ne voit pas : la mécanique impeccable qui fait que les sites olympiques sont de qualité et disponibles au bon moment, alimentés en électricité et en fluides, sécurisés. Que les athlètes sont convoyés dans des bonnes conditions de leur logement aux lieux des compétitions. Une machine logistique que tout le monde oubliera, précisément parce qu’elle marche impeccablement.

      J’ajouterai que si l’ambiance est, comme vous dites, sympathique, si les Français ont « laissé de côté leurs névroses » (pour reprendre la formule d’un grand quotidien du soir), c’est à mon avis parce qu’après des années d’un discours de « haine de soi », après une séquence politique particulièrement traumatisante où l’on a vu nos élites jouer à la guerre civile, puis se repartir les postes sans un minimum de décence, on a enfin une opportunité de vibrer tous ensemble, d’être fier de ce qu’on a fait ensemble. Je prédis d’ailleurs des réveils difficiles…

      [On pourrait même garder le même dispositif pour les prochains jeux d’été aux USA.]

      Pas simple, et pas à ce prix. Les prochains jeux auront lieu à Los Angeles. Or, contrairement à Paris, Los Angeles n’a pas de véritable centre-ville. Les quartiers centraux sont d’ailleurs les plus dégradés, ceux qui souffrent le plus de la pauvreté, des gangs, de la drogue. Los Angeles n’a pas non plus une infrastructure de transports permettant de « piétonniser » la ville. Et je ne vous parle pas des problèmes de sécurité dans un pays où les armes circulent librement, à la portée de n’importe quel illuminé.

  9. Carloman dit :

    Bonjour,
     
    Je dois dire en toute franchise que je suis perplexe à la lecture de cet article et de la plupart des commentaires. Alors je vais mettre les pieds dans le plat.
     
    Je veux bien qu’on s’auto-congratule sur l’organisation, mais qu’est-ce que cela nous dit? Cela nous dit qu’il y a des gens compétents, qui font correctement le travail pour lequel ils sont payés, parce que, quand même, les organisateurs ne sont pas tout à fait des bénévoles. Les délais ont été respectés, le budget a été respecté, tout cela est très bien. A titre personnel d’ailleurs, je ne doutais pas que d’un point de vue organisationnel, tout se passerait pour le mieux. Seulement, est-ce vraiment l’essentiel? Les Jeux Olympiques de 1936 à Berlin étaient fort bien organisés, de l’avis général. Et alors? Le système concentrationnaire du III° Reich était très bien organisé. Et alors?
     
    L’organisation, cela relève de la technique, du “comment fait-on?”. C’est important, mais de mon point de vue, c’est secondaire. Pour moi l’essentiel est “pour quoi le fait-on?” Quel message fait-on passer? Quel est l’objectif? Et là, on quitte le domaine de la technique pour celui du politique, qui est le plus important à mes yeux. Dieu sait que je n’aime pas le procès systématique qui est fait aux technocrates, mais là il faut quand même reconnaître que dans cet article, Descartes, vous vous laissez aller à admirer la manière de faire au détriment des objectifs politiques et symboliques. Et je suis désolé de le dire que la compétence ne peut pas excuser la participation à une mascarade. Les hauts fonctionnaires allemands qui ont permis le fonctionnement du système concentrationnaire étaient certainement très compétents. Faut-il pour autant les admirer? Bien sûr, je pousse le bouchon, et les JO de Paris n’ont rien de commun avec la Solution finale. Mais toute la question est de savoir: puis-je me féliciter d’avoir réaliser un bel ouvrage indépendamment des objectifs que va servir cet ouvrage? Le film “Le Pont de la rivière Kwaï” pose intelligemment cette question ce me semble: l’officier britannique finit par perdre de vue que le pont qu’il construit de manière efficace sert l’ennemi…
     
    J’ai parlé de mascarade. Je pèse mes mots. Je ne vais pas revenir sur chaque tableau de la cérémonie d’ouverture, ce qui m’intéresse davantage c’est l’impression d’ensemble. Et mon impression d’ensemble est que l’objectif politique poursuivi est on ne peut plus discutable. Oui, les monuments de Paris sont beaux – encore que on s’exagère souvent la beauté de Paris parce qu’on ignore les joyaux qu’on trouve en province mais c’est un autre débat – mais cette beauté, ce charme ont été mis au service de quoi? D’une apologie de la négritude, du métissage et de la transidentité. Il y a sûrement des gens que ça a ravi. Moi pas. J’ai vu dans cette cérémonie une volonté de faire la promotion de la France de Macron et de Mélenchon, et il se trouve que ce n’est pas ma France. D’ailleurs, la volonté de “faire la nique” aux catholiques, aux conservateurs, aux “racistes” a été publiquement assumé, et les “progressistes” de gauche ne s’y sont pas trompés: ils ont adoré les drag queens et le marivaudage bisexuel parce que ça “emmerde” les “fachos”. Et étant au nombre des “fachos”, c’est un point qui me touche. Tout le monde se désole que les LGBTQIA+, les noirs, les Arabes, les musulmans soient régulièrement critiqués, insultés, discriminés, offensés. C’est paraît-il intolérable. Mais est-ce que quelqu’un se demande parfois si “les autres” ont aussi une sensibilité? Si les autres ne sont pas parfois choqués, blessés? Que Charlie caricature le Christ, le pape, je m’en fiche. Et je m’en fiche parce que Charlie est juste: il caricature TOUTES les religions. Mais là, au JO, au sein d’une cérémonie censée être oecuménique au sens propre, on assiste à quoi? Le coup bas, la petite banderille gratuite, et pour qui? Pour les chrétiens, bien sûr. Donc c’est de l’art. Si ça avait été dirigé contre les musulmans, c’était du racisme…
     
    Maintenant au niveau purement sportif, ces JO sont avant tout une grande opération commerciale. Et j’insiste sur le “avant tout”, et cela relègue un peu au second plan l’aspect athlétique. Toutes les cinq minutes, à la télévision, Louis Vuitton et Carrefour nous rappellent qu’au fond, l’important, c’est de consommer. Et je suis désolé de la dire, mais j’ai la désagréable impression que bon nombre d’athlètes viennent autant en quête de médaille qu’en quête d’une notoriété qui leur permettra de signer de lucratifs contrats publicitaires. Où sont les belles valeurs du sport?
     
    Je n’ai jamais digéré l’éviction d’un sport comme la lutte gréco-romaine, qui en plus avait le mérite de signaler une filiation avec les JO antiques. Au profit de quoi? Je suis très content pour Djokovic qu’il ait eu l’or, mais franchement, le tennis a-t-il vraiment besoin des JO pour la notoriété et l’argent? Je ne le pense pas. Et ne parlons pas du football qui a offert un spectacle lamentable et cependant guère surprenant. Où sont les belles valeurs du sport?
     
    Je parle également de mascarade, parce que, que valent des JO lorsqu’une des grandes nations est absente? Pour moi, la non-participation de la Russie et de la Biélorussie disqualifie pour une bonne part ces Jeux. En effet de nombreux athlètes russes qui auraient pu être médaillés ne participent pas. Et ne parlons pas des pays comme la France qui en ont profité pour récupérer des athlètes russes comme la nageuse Kirpichnikova, médaillée en argent. Le bonheur des uns fait le malheur des autres. Le bel esprit olympique que voilà…
     
    Alors Paris, une fête? Oui, sans doute… Pour les adeptes de la Gay Pride, de la Black Pride et du capitalisme triomphant. Tiens, ça correspond aux valeurs défendues par la France de Mélenchon et de Macron. Une coïncidence, à n’en pas douter. 

    • Descartes dit :

      @ Carloman

      [Je dois dire en toute franchise que je suis perplexe à la lecture de cet article et de la plupart des commentaires. Alors je vais mettre les pieds dans le plat.]

      Je n’en attendais pas moins de vous.

      [Je veux bien qu’on s’auto-congratule sur l’organisation, mais qu’est-ce que cela nous dit ? Cela nous dit qu’il y a des gens compétents, qui font correctement le travail pour lequel ils sont payés, parce que, quand même, les organisateurs ne sont pas tout à fait des bénévoles. Les délais ont été respectés, le budget a été respecté, tout cela est très bien. A titre personnel d’ailleurs, je ne doutais pas que d’un point de vue organisationnel, tout se passerait pour le mieux. Seulement, est-ce vraiment l’essentiel ? Les Jeux Olympiques de 1936 à Berlin étaient fort bien organisés, de l’avis général. Et alors ? Le système concentrationnaire du III° Reich était très bien organisé. Et alors ?]

      Vous dites que « il y a des gens compétents » qui « font correctement le travail pour lequel ils sont payés » comme si cela allait de soi. Mais non, ça ne va pas de soi. Dans beaucoup de pays, on a du mal à trouver – surtout dans le service public – des gens « compétents ». Et dans beaucoup de pays ceux qui se trouvent aux postes de décision songent plus à profiter pour se remplir les poches qu’à « faire correctement le travail pour lequel ils sont payés ». Il y a dans notre pays un capital de compétence et de sens du travail bien fait dans le service public, et je ne suis pas sûr que tout le monde en ait conscience. La meilleure preuve en est que, contrairement à vous, tout le monde n’était nullement convaincu « que cela se passerait pour le mieux ». Ils étaient au contraire très nombreux les apprentis Cassandre pour prédire que ce serait un désastre.

      Non, nous ne sommes pas condamnés à nous fixer des objectifs minimaux – les partisans du déclin les appellent « réalistes ». Nous avons en France la capacité de réussir des grands projets, une capacité qu’il faut à tout prix agrandir et préserver. Si les Jeux ne permettaient que cette prise de conscience, je m’estimerais satisfait.

      Après, est-ce là l’essentiel ? Non, pas forcément. L’organisation, c’est un moyen, pas un but en soi. Mais si déjà on pouvait en finir avec les discours qui cherchent à convaincre les Français qu’il faut se contenter de peu, voir se fondre dans un ensemble plus vaste parce que, vous comprenez, « nous n’avons plus les moyens », ce serait ça de gagné.

      [L’organisation, cela relève de la technique, du “comment fait-on?”. C’est important, mais de mon point de vue, c’est secondaire. Pour moi l’essentiel est “pour quoi le fait-on?” Quel message fait-on passer ? Quel est l’objectif ?]

      Oui et non. La technique ne nous dit ce qu’il faudrait faire, mais fixe des limites à l’ambition que l’on peut avoir. Quand on n’a pas la bombe, on n’a pas à se poser la question de sur qui la balancer.

      [Et là, on quitte le domaine de la technique pour celui du politique, qui est le plus important à mes yeux. Dieu sait que je n’aime pas le procès systématique qui est fait aux technocrates, mais là il faut quand même reconnaître que dans cet article, Descartes, vous vous laissez aller à admirer la manière de faire au détriment des objectifs politiques et symboliques.]

      A chacun son boulot. Le boulot des « technocrates », c’est de donner au politique les instruments de la puissance. Comme je l’ai dit plus haut, si les « technocrates » ne développent pas la bombe, le politique n’a plus la possibilité de l’utiliser s’il l’estime nécessaire. Alors, si les « technocrates » ont bien fait leur boulot, pourquoi ne pas leur reconnaître, quand bien même les politiques en auraient fait un mauvais usage ?

      [Et je suis désolé de le dire que la compétence ne peut pas excuser la participation à une mascarade. Les hauts fonctionnaires allemands qui ont permis le fonctionnement du système concentrationnaire étaient certainement très compétents. Faut-il pour autant les admirer ?]

      Non, surtout parce que vous faites erreur. Si l’on se place du point de vue technique, le système concentrationnaire n’a pas bien fonctionné. C’était un système peu efficace, corrompu à un degré inimaginable, qui n’a guère contribué à la réalisation des buts de guerre. En fait, comme le montrent les historiens – et notamment Kershaw – le nazisme était loi d’être la machine administrative et technique de course : c’était plutôt une deux-chevaux qu’une Ferrari.

      Mais à supposer que ce fut l’inverse, la question que vous posez est celle des critères sur lesquels on évalue les hommes. A-t-on le droit d’admirer le Kissinger « technicien de la diplomatie » en oubliant le Kissinger qui fut l’instigateur des sanglantes dictatures latino-américaines et asiatiques ? A-t-on le droit d’admirer la photographie d’une Leni Riefenstahl ou le génie de l’ingénieur Willi Messerschmitt, alors qu’on sait à quoi leurs créations ont été utilisées par le politique ?

      [Bien sûr, je pousse le bouchon, et les JO de Paris n’ont rien de commun avec la Solution finale. Mais toute la question est de savoir : puis-je me féliciter d’avoir réalisé un bel ouvrage indépendamment des objectifs que va servir cet ouvrage ?]

      La question que vous posez est tout à fait légitime, mais la réponse à cette question n’a rien de trivial. D’abord, parce qu’il n’est pas toujours évident de prévoir « à quoi va servir » un ouvrage donné. Einstein pouvait-il prévoir, lorsqu’il développe au début du XXème siècle la relativité restreinte, que cette théorie ouvrirait la voie à la bombe atomique quarante ans plus tard ? Quand il a inventé son remarquable fusil automatique, Kalachnikov a-t-il réalisé qu’il servirait à défendre les causes les plus nobles et les plus ignobles ? Mais surtout, parce que répondre négativement à votre question ferait du « technocrate » une sorte de juge de l’action du politique, qu’il lui appartiendrait en quelque sorte de lui refuser les moyens d’agir. Et cela pose de sérieuses questions quant à la souveraineté politique.

      [Le film “Le Pont de la rivière Kwaï” pose intelligemment cette question ce me semble: l’officier britannique finit par perdre de vue que le pont qu’il construit de manière efficace sert l’ennemi…]

      Tout à fait. Mais si le film pose intelligemment la question, il se garde bien d’en fournir une réponse. Le personnage magistralement incarné par Alec Guinness n’est ni un héros, ni un salaud. Le spectateur tour à tour l’admire et le condamne. C’est un véritable personnage tragique. La question de savoir si l’œuvre d’un « technocrate » peut être admirée indépendamment de ce à quoi elle a été utilisée, c’est un peu comme la question de savoir qui, d’Antigone ou de Créon, a raison.

      [J’ai parlé de mascarade. Je pèse mes mots. Je ne vais pas revenir sur chaque tableau de la cérémonie d’ouverture, ce qui m’intéresse davantage c’est l’impression d’ensemble. Et mon impression d’ensemble est que l’objectif politique poursuivi est on ne peut plus discutable. Oui, les monuments de Paris sont beaux – encore que on s’exagère souvent la beauté de Paris parce qu’on ignore les joyaux qu’on trouve en province mais c’est un autre débat – mais cette beauté, ce charme ont été mis au service de quoi ? D’une apologie de la négritude, du métissage et de la transidentité.]

      Je ne suis pas d’accord. Je pense que vous exagérez le « but politique » qu’auraient eu les concepteurs du spectacle. Leur objectif en concevant un spectacle qui, ne l’oublions pas, devait durer plus de quatre heures et était destiné à être regardé par plus d’un milliard de personnes appartenant à des cultures très différentes, était d’offrir un spectacle visuel qui fasse plaisir à tout le monde, autour d’un fil conducteur qui était Paris, et qui rende moins répétitif le défilé des délégations. Contrairement à la cérémonie de Londres, construite sur un fil conducteur historique, la cérémonie de Paris est faite de tableaux disjoints, qui ne racontent aucune histoire, et dont le seul « liant » est Paris et ses monuments. Et des tableaux, il y en avait pour tous les goûts, des plus classiques – celui de Céline Dion aux plus « woke ». Je ne vois pas sur l’ensemble du spectacle une apologie « de la négritude, du métissage et de la transidentité », tout au plus une coloration « diversitaire » qui correspond au « politiquement correct » de l’époque.

      [Il y a sûrement des gens que ça a ravi. Moi pas. J’ai vu dans cette cérémonie une volonté de faire la promotion de la France de Macron et de Mélenchon, et il se trouve que ce n’est pas ma France. D’ailleurs, la volonté de “faire la nique” aux catholiques, aux conservateurs, aux “racistes” a été publiquement assumé, et les “progressistes” de gauche ne s’y sont pas trompés : ils ont adoré les drag queens et le marivaudage bisexuel parce que ça “emmerde” les “fachos”.]

      Oui… et les gens plus conservateurs ont adoré Céline Dion, le cavalier d’argent, le tableau du Louvre et la vasque. C’est ça, un spectacle « tous publics »… chacun y trouve ce qu’il aime et ce qu’il déteste. Mais peut-on dire qu’il « vend la France de Macron et de Mélenchon » ? Je suis dubitatif.

      [Et étant au nombre des “fachos”, c’est un point qui me touche. Tout le monde se désole que les LGBTQIA+, les noirs, les Arabes, les musulmans soient régulièrement critiqués, insultés, discriminés, offensés. C’est paraît-il intolérable. Mais est-ce que quelqu’un se demande parfois si “les autres” ont aussi une sensibilité? Si les autres ne sont pas parfois choqués, blessés?]

      Vous savez bien que sur ce point, je suis d’accord avec vous.

      [Mais là, au JO, au sein d’une cérémonie censée être oecuménique au sens propre, on assiste à quoi? Le coup bas, la petite banderille gratuite, et pour qui? Pour les chrétiens, bien sûr. Donc c’est de l’art. Si ça avait été dirigé contre les musulmans, c’était du racisme…]

      Oui. Mais vous noterez que la séquence « drag queen » est de très loin la moins mémorable, la plus laide, et je dirais même la plus triste. En dehors d’une petite élite snobinarde, je doute que ce soit celle qu’on se repassera d’ici un an. Par certains côtés, elle transmet un message inverse à celui que ses concepteurs ont voulu : il ne suffit pas de se moquer de la religion pour faire une œuvre d’art.

      [Maintenant au niveau purement sportif, ces JO sont avant tout une grande opération commerciale.]

      Je vous trouve sévère. J’ai contribué à animer pendant longtemps un club de Judo, et je peux vous assurer que le climat olympique a un vrai effet sur la pratique, notamment des jeunes. Ce fut le cas pour les Jeux dans le passé, et je pense que ceux-ci, parce qu’ils se passent « à domicile », auront un effet encore plus fort.

      [Je n’ai jamais digéré l’éviction d’un sport comme la lutte gréco-romaine, qui en plus avait le mérite de signaler une filiation avec les JO antiques. Au profit de quoi ? Je suis très content pour Djokovic qu’il ait eu l’or, mais franchement, le tennis a-t-il vraiment besoin des JO pour la notoriété et l’argent ? Je ne le pense pas. Et ne parlons pas du football qui a offert un spectacle lamentable et cependant guère surprenant. Où sont les belles valeurs du sport ?]

      Comme vous, je regrette la place qu’à pris l’argent dans l’univers olympique, avec l’omniprésence des sponsors, la publicité et l’entrée des sports professionnels.

      [Je parle également de mascarade, parce que, que valent des JO lorsqu’une des grandes nations est absente ? Pour moi, la non-participation de la Russie et de la Biélorussie disqualifie pour une bonne part ces Jeux. En effet de nombreux athlètes russes qui auraient pu être médaillés ne participent pas. Et ne parlons pas des pays comme la France qui en ont profité pour récupérer des athlètes russes comme la nageuse Kirpichnikova, médaillée en argent. Le bonheur des uns fait le malheur des autres. Le bel esprit olympique que voilà…]

      J’avais signalé ce point dans mon papier. Non, tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cela étant dit, je pense que le verre est quand même plus qu’à moitié plein.

      • Carloman dit :

        @ Descartes,
         
        [Je n’en attendais pas moins de vous.]
        Je suis surpris. Ou bien est-ce de l’ironie ?
         
        [Dans beaucoup de pays, on a du mal à trouver – surtout dans le service public – des gens « compétents ».]
        C’est possible. Ne soyons pas, malgré tout, trop dédaigneux avec les autres pays : à Londres, à Tokyo, à Pékin, les Jeux Olympiques ne se sont pas si mal passés. Nous verrons à Los Angeles dans quatre ans. D’autres pays ont aussi des gens compétents.
         
        Mais ce que je déplore, c’est que la compétence – bien réelle – de nos technocrates soit mise à contribution pour des projets dont l’intérêt pour la communauté nationale ne m’apparaît pas évident. Par contre, je ne partage pas l’allergie de certains pour les dépenses somptuaires, et je ne suis pas hostile à des dépenses de prestige. Encore faut-il que la grandeur nationale y gagne quelque chose. Et sur ce point, les JO 2024 me laissent dubitatif – même si, je le reconnais, leur coût est au final très raisonnable.
         
        [Alors, si les « technocrates » ont bien fait leur boulot, pourquoi ne pas leur reconnaître, quand bien même les politiques en auraient fait un mauvais usage ?]
        Mais est-ce que donner les moyens au politique de donner une image caricaturale pour ne pas dire ridicule de la société française, c’est « bien faire son boulot » ? Prenons une autre situation : un enseignant ose dire à un élève que son travail est médiocre et qu’il n’a pas assez travaillé, un autre lui explique au contraire que ce n’est pas de sa faute, et puis ce n’est pas si grave, se conformant à la « bienveillance » prônée par l’institution. Lequel a « bien fait son boulot » à votre avis ? Est-ce celui qui a le mieux obéi à son institution ?
         
        Le problème du technocrate – comme de tout fonctionnaire – c’est qu’il sert une institution. Mais que faire quand l’institution déraille ? Que faire quand l’institution trahit la nation ? On se retrouve devant ce dilemme terrible : suivre les instructions officielles ou suivre la voix de sa conscience… Faut-il être juste ou faut-il être loyal ?
         
        [Si l’on se place du point de vue technique, le système concentrationnaire n’a pas bien fonctionné.]
        Mais si on se place du point de vue répressif… Rarement un système aura réussi à mener un programme de répression, d’arrestations, de déportations et même d’extermination à une telle échelle.
         
        [En fait, comme le montrent les historiens – et notamment Kershaw – le nazisme était loi d’être la machine administrative et technique de course : c’était plutôt une deux-chevaux qu’une Ferrari.]
        Eh bien je pense que Kershaw, malgré son érudition, se trompe. Durant la guerre, Speer notamment a réussi à soutenir l’effort industriel et d’armement d’une manière habile et efficace, même lorsque les bombardements alliés ont pris de l’ampleur. Je suis d’ailleurs étonné : comment « une deux-chevaux » a réussi à subjuguer, opprimer et exploiter une bonne partie du continent européen pendant plusieurs années ? Bien sûr, le système nazi avait ses failles et ses faiblesses, comme tout système, mais il a montré malgré tout une redoutable efficacité. Je me méfie de tous ces historiens qui nous expliquent que la Wehrmacht n’était pas si forte ni si bien commandée, que le III° Reich était organisé sur un mode féodo-anarchique peu efficace, que partout régnaient l’incurie et la concussion. Que dire alors de tous les pays – à commencer par la France – écrasés militairement puis occupés et pillés par ce régime d’incompétents…
         
        [A-t-on le droit d’admirer le Kissinger « technicien de la diplomatie » en oubliant le Kissinger qui fut l’instigateur des sanglantes dictatures latino-américaines et asiatiques ? A-t-on le droit d’admirer la photographie d’une Leni Riefenstahl ou le génie de l’ingénieur Willi Messerschmitt, alors qu’on sait à quoi leurs créations ont été utilisées par le politique ?]
        On ne peut pas s’exempter de regarder les affinités idéologiques de tous ces gens. Il y a une différence entre l’ingénieur et le scientifique dont la découverte/l’innovation est d’abord guidée par la passion de la connaissance ou de la technique, sans forcément mesurer les possibles applications, et le diplomate (Kissinger) ou l’artiste (Riefenstahl) qui agit en connaissance de cause au service d’une idéologie, d’un pouvoir, d’un état, d’un parti.
         
        Et je pense qu’aujourd’hui une bonne partie de nos technocrates adhère à la vision euro-macroniste – voire mélenchonienne – du monde. Entre l’institution et la patrie, la nation, beaucoup de vos collègues ont choisi. Et le problème est que les institutions commencent à être contre la patrie et une partie du peuple. Comme vous le savez, il y a des émeutes à l’heure actuelle en Angleterre. J’entends et je lis que tout cela est l’oeuvre de l’English Defence League, de groupuscules racistes et islamophobes. J’ai un peu de mal à croire que ces groupes soient à ce point capables d’embraser l’Angleterre et de mobiliser tant de personnes. J’écoutais une manifestante, une femme d’âge moyen, et son témoignage m’a frappé : elle ne parlait pas des immigrés et de l’islam, mais elle disait en avoir assez de l’injonction permanente à avoir honte quand on est « blanc et de la classe ouvrière » (white and worker si je me souviens des termes exacts). Il ne semble pas que les autorités britanniques soient prêtes à entendre cela…
         
        [Mais surtout, parce que répondre négativement à votre question ferait du « technocrate » une sorte de juge de l’action du politique, qu’il lui appartiendrait en quelque sorte de lui refuser les moyens d’agir.]
        Un technocrate a le droit de démissionner. Comme tout le monde.
         
        [Je pense que vous exagérez le « but politique » qu’auraient eu les concepteurs du spectacle.]
        Vous croyez ? Thomas Jolly et Patrick Boucheron ont pourtant des positionnements politiques qui ne sont guère équivoques…
         
        [Je ne vois pas sur l’ensemble du spectacle une apologie « de la négritude, du métissage et de la transidentité », tout au plus une coloration « diversitaire » qui correspond au « politiquement correct » de l’époque.]
        Eh bien nous n’avons pas vu la même chose. Et j’ajoute que dans les jours qui ont précédé la cérémonie, il y a eu une volonté de mettre en avant en priorité des athlètes racisés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les deux champions chargés d’allumer la flamme étaient tous les deux noirs…
         
        [Mais vous noterez que la séquence « drag queen » est de très loin la moins mémorable, la plus laide, et je dirais même la plus triste.]
        Possible, mais cette séquence était longue, longue… La longueur en elle-même est un message. Au contraire la prestation de Céline Dion était courte.
         
        [J’ai contribué à animer pendant longtemps un club de Judo, et je peux vous assurer que le climat olympique a un vrai effet sur la pratique, notamment des jeunes.]
        Mais avec quel objectif ? Devenir célèbre, gagner des médailles et des contrats publicitaires ?
         
        [Cela étant dit, je pense que le verre est quand même plus qu’à moitié plein.]
        C’est l’optimisme qui parle. Mais je ne veux pas vous gâcher votre plaisir. Profitez bien.

        • Descartes dit :

          @ Carloman

          [« Je n’en attendais pas moins de vous. » Je suis surpris. Ou bien est-ce de l’ironie ?]

          Non, ce n’est pas de l’ironie. On n’échange pas avec des gens pendant des années sans finir par les connaître un peu. Je m’attendais donc à ce que mon commentaire suscite chez vous une réaction, et je ne doutais pas qu’elle serait empreinte de franchise. En regardant la cérémonie, j’imaginais quel type de réaction elle pouvait susciter chez vous, vous sachant attaché à une forme d’esthétique et de dignité publique que je partage assez largement, même si je n’en tire pas tout à fait les mêmes conséquences.

          Notre différence est peut-être que je me contente de peu. Comme vous, j’aurais mieux aimé une cérémonie plus esthétique, mettant en valeur l’histoire de France plutôt que des clichés comme « mon truc en plumes », qui plus est chanté par une « star » sans grâce. J’aurais aimé plus de respect véritable pour ceux qui ont fait notre pays, et moins de « politiquement correct ». Mais je me suis résigne un peu à vivre avec mon époque, et à me réjouir du peu qu’elle peut me donner. Le fait qu’il y ait eu quelques beaux tableaux – et surtout, que ce soient eux qui ont été plébiscités par le public – suffit à mon plaisir.

          [« Dans beaucoup de pays, on a du mal à trouver – surtout dans le service public – des gens « compétents ». » C’est possible. Ne soyons pas, malgré tout, trop dédaigneux avec les autres pays : à Londres, à Tokyo, à Pékin, les Jeux Olympiques ne se sont pas si mal passés. Nous verrons à Los Angeles dans quatre ans. D’autres pays ont aussi des gens compétents.]

          Je n’ai pas dit le contraire. Quelqu’un avait dit que ce qui différentie le nationaliste du chauvin, c’est que le nationaliste dit « chez moi tout est beau », alors que le chauvin dit « chez les autres tout est mauvais ». Je ne doute pas qu’il y a des gens compétents ailleurs. Cela étant dit, je ne peux que constater qu’à Londres les « gens compétents » ne se vendent pas au même prix, qu’à Tokyo les « gens compétents » ont dépensé à enveloppe ouverte. Et que dans les deux cas les Jeux ont laissé derrière eux des « éléphants blancs » qu’on n’a pas su réutiliser. Je ne saurais pas commenter sur Pékin, ne connaissant l’organisation retenue. Mais j’ai tendance à penser que la tradition chinoise étant proche de la nôtre – il n’y a pas tant de différence entre la tradition du fonctionnaire français et celle du mandarin chinois, souvenez-vous que ce sont eux qui ont inventé le recrutement par concours – leur organisation devait rassembler à celle de Paris, l’improvisation gauloise en moins.

          Cela ne veut pas dire que notre organisation ne soit perfectible. En fait, la France a une particularité bien à elle. Dans ce pays, on valorise ceux qui savent gérer des crises. En Allemagne, si vous dirigez un service où tout se passe comme prévu, où aucun incident ne se fait jour, on dira que vous êtes un bon cadre et on vous donnera une promotion. A l’inverse, si votre service va de crise en crise, on murmurera que c’est votre faute et on vous remplacera. En France, c’est l’inverse : dans le premier cas, on dira que vous n’avez aucun mérite, puisque vous avez un service « facile ». Par contre, si vous allez de crise en crise ET QUE VOUS VOUS EN SORTEZ, on vous tressera des couronnes. Le corollaire de cette logique est que, du point de vue de la carrière, il est peu rentable d’investir dans la préparation, et très rentable d’investir dans la gestion de crise. Et cela forme la mentalité de nos hauts fonctionnaires : on fait les choses à la dernière minute, en catastrophe… et on s’en sort parce qu’on a été formé et sélectionné pour cela. C’est exactement ce qui s’est passé pour la préparation de ces Jeux : on s’est réveillés tard, le travail a été hyper-intense, et on s’en sort. Alors qu’on aurait pu faire les choses tranquillement… mais ce n’est pas la même chose !

          [Mais ce que je déplore, c’est que la compétence – bien réelle – de nos technocrates soit mise à contribution pour des projets dont l’intérêt pour la communauté nationale ne m’apparaît pas évident.]

          Je le regrette comme vous. Et je peux vous assurer que pendant ma carrière j’ai eu à faire – et à bien faire – des choses dont je savais qu’elles allaient contre l’intérêt de la nation, mais qui avaient reçu l’aval des citoyens. C’est là une situation tragique qui fait la grandeur du service public – pour citer les mots de l’un de mes chefs de service. Car quelle serait l’alternative ? Vous voyez bien le danger qu’il y a à laisser les serviteurs publics – recrutés au mérite et non en fonction de critères politiques – a corriger la copie des élus de la nation.

          [Par contre, je ne partage pas l’allergie de certains pour les dépenses somptuaires, et je ne suis pas hostile à des dépenses de prestige. Encore faut-il que la grandeur nationale y gagne quelque chose. Et sur ce point, les JO 2024 me laissent dubitatif – même si, je le reconnais, leur coût est au final très raisonnable.]

          En voyant tous ces étrangers découvrir Paris avec les yeux brillants, en regardant ce que dit de nous la presse étrangère, je pense que la « grandeur nationale » y gagne. Elle aurait pu gagner plus, et comme vous je peux regretter l’opportunité perdue.

          [« Alors, si les « technocrates » ont bien fait leur boulot, pourquoi ne pas leur reconnaître, quand bien même les politiques en auraient fait un mauvais usage ? » Mais est-ce que donner les moyens au politique de donner une image caricaturale pour ne pas dire ridicule de la société française, c’est « bien faire son boulot » ? Prenons une autre situation : un enseignant ose dire à un élève que son travail est médiocre et qu’il n’a pas assez travaillé, un autre lui explique au contraire que ce n’est pas de sa faute, et puis ce n’est pas si grave, se conformant à la « bienveillance » prônée par l’institution. Lequel a « bien fait son boulot » à votre avis ? Est-ce celui qui a le mieux obéi à son institution ?]

          Ce qui était en discussion ici, c’était la question de savoir si un technicien qui reçoit une mission et l’accomplit brillamment en utilisant son savoir et sa compétence techniques est « admirable » au-delà du contenu de cette mission. Dans l’exemple que vous donnez, c’est le cas inverse : l’institution n’impose pas une « mission », mais une « technique », autrement dit, se substitue au travail du technicien. A partir de là, on ne peut plus parler de rapport entre le « technicien » qui choisit les moyens, et le « politique » qui fixe les buts, puisque le politique se mêle de prescrire la technique pédagogique à utiliser…

          [Le problème du technocrate – comme de tout fonctionnaire – c’est qu’il sert une institution. Mais que faire quand l’institution déraille ? Que faire quand l’institution trahit la nation ? On se retrouve devant ce dilemme terrible : suivre les instructions officielles ou suivre la voix de sa conscience… Faut-il être juste ou faut-il être loyal ?]

          On n’a aucun moyen de savoir ce qui est « juste ». On peut tout au plus avoir une opinion personnelle à ce sujet. Je reformulerais donc votre question : « faut-il suivre son idée de la justice, ou faut-il être loyal ? ». C’est un dilemme qui est au fondement de la tragédie, celui d’Antigone. Et la réponse à votre question ne peut être que tragique. Parce que les deux réponses peuvent conduire à des situations catastrophiques. Si chacun suit son idée de la justice, alors on arrive au chaos ou pire, à ce que chacun poursuive son intérêt – parce que nos idées de ce qui est juste correspondent souvent à ce qui nous avantage. L’obéissance aveugle, elle, peut conduire comme vous l’avez signalé aux camps d’extermination. Le statut du fonctionnaire commande l’obéissance aux ordres sauf « s’ils sont manifestement illégales et de nature à compromettre gravement un intérêt public », une formule toute en nuance qui montre la difficulté de prendre une position générale.

          [« En fait, comme le montrent les historiens – et notamment Kershaw – le nazisme était loi d’être la machine administrative et technique de course : c’était plutôt une deux-chevaux qu’une Ferrari. » Eh bien je pense que Kershaw, malgré son érudition, se trompe. Durant la guerre, Speer notamment a réussi à soutenir l’effort industriel et d’armement d’une manière habile et efficace, même lorsque les bombardements alliés ont pris de l’ampleur.]

          Habile oui, efficace non. En particulier, le système concentrationnaire a abouti à un gâchis énorme de main d’œuvre. A un moment où l’Allemagne avait besoin désespérément de soldats et de main d’œuvre, on a fait mourir par centaines de milliers des personnes en âge de travailler à travers des mauvais traitements et une alimentation insuffisante – sans même parler de l’extermination des juifs, des tziganes, des prisonniers soviétiques. Vous appelez ça une gestion « efficace » ?

          [Je suis d’ailleurs étonné : comment « une deux-chevaux » a réussi à subjuguer, opprimer et exploiter une bonne partie du continent européen pendant plusieurs années ?]

          Parce qu’elle disposait d’une aristocratie militaire aux structures et traditions solides, qui a su se protéger du chaos administratif crée par les nazis. Et parce qu’elle a pu compter avec des complicités dans les classes dirigeantes européennes, obnubilées par le danger soviétique. Je vous conseille la lecture des livres de Kershaw, notamment sa monumentale biographie de Hitler, il démonte la légende de l’efficacité de la machine administrative nazi.

          [Bien sûr, le système nazi avait ses failles et ses faiblesses, comme tout système, mais il a montré malgré tout une redoutable efficacité. Je me méfie de tous ces historiens qui nous expliquent que la Wehrmacht n’était pas si forte ni si bien commandée, que le III° Reich était organisé sur un mode féodo-anarchique peu efficace, que partout régnaient l’incurie et la concussion. Que dire alors de tous les pays – à commencer par la France – écrasés militairement puis occupés et pillés par ce régime d’incompétents…]

          Il ne faut pas aller trop loin. L’aristocratie militaire, qui était déjà le pilier de l’Allemagne impériale, restait très puissante, justement parce qu’elle a tout fait pour se protéger de l’infiltration nazi. Les officiers ont continué à être promus généralement sur des critères de compétence, et la pénétration par les idéologues nazis a été relativement limitée, au point que ceux-ci ont dû créer une « armée parallèle » à partir de la SS. C’est cette machine militaire qui a assuré l’écrasement militaire d’une bonne partie de l’Europe. Mais une fois les pays occupés, la machine nazi a été incapable de valoriser ses conquêtes, se contentant d’une logique de pillage systématique et de répression. Il est difficile de faire de la politique fiction, mais on peut se dire qu’avec une administration plus rationnelle, les Allemands auraient réussi à obtenir dans les pays occupés un soutien majoritaire des élites et d’une partie du peuple – notamment dans l’Est de l’Europe, en jouant sur la russophobie – et peut-être à construire le « nouvel ordre européen »…

          [« A-t-on le droit d’admirer le Kissinger « technicien de la diplomatie » en oubliant le Kissinger qui fut l’instigateur des sanglantes dictatures latino-américaines et asiatiques ? A-t-on le droit d’admirer la photographie d’une Leni Riefenstahl ou le génie de l’ingénieur Willi Messerschmitt, alors qu’on sait à quoi leurs créations ont été utilisées par le politique ? » On ne peut pas s’exempter de regarder les affinités idéologiques de tous ces gens.]

          Certes. Mais peut-on refuser à Céline le statut de grand écrivain, au motif qu’il avait les mauvaises « affinités idéologiques » ?

          [Il y a une différence entre l’ingénieur et le scientifique dont la découverte/l’innovation est d’abord guidée par la passion de la connaissance ou de la technique, sans forcément mesurer les possibles applications, et le diplomate (Kissinger) ou l’artiste (Riefenstahl) qui agit en connaissance de cause au service d’une idéologie, d’un pouvoir, d’un état, d’un parti.]

          Je ne suis pas sûr. Il est quelquefois difficile à savoir jusqu’à quel point les gens sont mus par l’idéologie ou par la passion de la technique. Je vous accorde que Kissinger n’avait pas pour moteur la seule passion d’exercer son art, et qu’il épousait les objectifs idéologiques de son action. Mais prenons une Riefenstahl : ce sont les nazis qui lui ont accordé des moyens quasi-illimités pour pouvoir travailler. Si au lieu des nazis, c’avaient été les communistes qui lui avaient accordé ces moyens, aurait-elle refusé au nom d’une idéologie ? Je ne sais pas. On connaît des cas où des artistes ont servi un régime donné simplement parce qu’il leur donnait les moyens de travailler…

          [Et je pense qu’aujourd’hui une bonne partie de nos technocrates adhère à la vision euro-macroniste – voire mélenchonienne – du monde.]

          Cela dépend du milieu. Au ministère de l’Intérieur ou à EDF, je peux vous assurer que ce n’est pas du tout le cas pour la majorité d’entre eux. Si vous vous promenez dans les couloirs de Bercy, vous entendrez une toute autre musique… Et cela sans compter avec ceux qui font profession d’adhérer à la vision « libérale-libertaire » parce qu’ils tiennent à leur carrière, mais qui derrière portes closes tiennent un tout autre discours – y compris devant le ministre.

          [Entre l’institution et la patrie, la nation, beaucoup de vos collègues ont choisi.]

          Vous simplifiez à l’excès le problème. « En temps troublés, la difficulté n’est pas de faire son devoir, mais de le connaître ». Il n’est pas facile de savoir objectivement ce que sont les intérêts de la patrie, de la nation. Vous et moi, nous avons notre opinion, mais ce n’est que notre opinion, et non un fait objectif. Est-il légitime, au nom d’une opinion, de s’opposer à l’institution ? Les individus que nous sommes peuvent-ils avoir raison contre la volonté du peuple exprimée dans les formes constitutionnelles ? La réponse à cette question n’a rien d’évident. Je pense que beaucoup de mes collègues – et moi aussi d’ailleurs – naviguent entre ces impératifs contradictoires.

          [Et le problème est que les institutions commencent à être contre la patrie et une partie du peuple. Comme vous le savez, il y a des émeutes à l’heure actuelle en Angleterre. J’entends et je lis que tout cela est l’oeuvre de l’English Defence League, de groupuscules racistes et islamophobes. J’ai un peu de mal à croire que ces groupes soient à ce point capables d’embraser l’Angleterre et de mobiliser tant de personnes. J’écoutais une manifestante, une femme d’âge moyen, et son témoignage m’a frappé : elle ne parlait pas des immigrés et de l’islam, mais elle disait en avoir assez de l’injonction permanente à avoir honte quand on est « blanc et de la classe ouvrière » (white and worker si je me souviens des termes exacts). Il ne semble pas que les autorités britanniques soient prêtes à entendre cela…]

          Je vais essayer de faire un papier sur ce qui arrive en Grande Bretagne, mais comme vous je ne crois pas que les groupuscules racistes et xénophobes aient par eux-mêmes un tel pouvoir de mobilisation. Tout au plus, ils exploitent un sentiment profond, qui est d’ailleurs celui qui s’était déjà exprimé lors du Brexit, celui d’un corps électoral qui a l’impression d’avoir perdu tout pouvoir sur son environnement, d’être devenu la variable d’ajustement dans son propre pays.

          [« Mais surtout, parce que répondre négativement à votre question ferait du « technocrate » une sorte de juge de l’action du politique, qu’il lui appartiendrait en quelque sorte de lui refuser les moyens d’agir. » Un technocrate a le droit de démissionner. Comme tout le monde.]

          Oui. Mais il lui faut faire bouillir la marmite, comme tout le monde… Et puis, démissionner c’est la solution de facilité, parce que c’est laisser la place à quelqu’un qui fera peut-être avec enthousiasme ce que vous-même vous ferez avec réticence…

          [« Je pense que vous exagérez le « but politique » qu’auraient eu les concepteurs du spectacle. » Vous croyez ? Thomas Jolly et Patrick Boucheron ont pourtant des positionnements politiques qui ne sont guère équivoques…]

          Oui, mais ils n’avaient pas les mains libres. Ils avaient reçu une commande, relativement précise : il fallait un show tous publics, conforme aux lignes directrices du CIO, qui n’offense personne (de ce point de vue, c’est raté : la transmission a été coupée dans un certain nombre de pays lorsque Katerine est apparu à poil). Il fallait qu’il y ait pour tous les goûts…

          [Et j’ajoute que dans les jours qui ont précédé la cérémonie, il y a eu une volonté de mettre en avant en priorité des athlètes racisés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les deux champions chargés d’allumer la flamme étaient tous les deux noirs…]

          Je pense que vous tombez vous-même dans le piège de la « racisation ». Franchement, je ne regarde pas la couleur de celui qui fait telle ou telle chose.

          [« Mais vous noterez que la séquence « drag queen » est de très loin la moins mémorable, la plus laide, et je dirais même la plus triste. » Possible, mais cette séquence était longue, longue… La longueur en elle-même est un message. Au contraire la prestation de Céline Dion était courte.]

          Peut-être, mais l’une est apparue sublime, et l’autre ridicule. Et je pense que rien que cela est un motif de satisfaction.

          [« J’ai contribué à animer pendant longtemps un club de Judo, et je peux vous assurer que le climat olympique a un vrai effet sur la pratique, notamment des jeunes. » Mais avec quel objectif ? Devenir célèbre, gagner des médailles et des contrats publicitaires ?]

          Non. Vous savez, le judo, ce n’est pas le foot. Ceux qui deviennent célèbres et gagnent beaucoup d’argent se comptent sur les doigts d’une main. Même à haut niveau, la plupart des judokas compétiteurs font une modeste carrière de professeur de sport. Mais grâce aux médailles, beaucoup de jeunes franchissent le pas de venir à un dojo, et découvrent le plaisir de la discipline – parce que le judo est une discipline, au sens strict du terme. Je ne sais pas comment c’est dans les autres sports, mais pour le Judo les Jeux ont toujours été une aubaine. J’ajoute que même les grands champions gardent un côté associatif. David Douillet, tout bardé de ses titres olympiques et de contrats publicitaires qu’il était, acceptait de faire le tour de France des clubs gratuitement pour encourager la pratique. Je l’avais eu dans mon club, j’ai même combattu contre lui – j’ai tenu exactement 10 secondes !

          [« Cela étant dit, je pense que le verre est quand même plus qu’à moitié plein. » C’est l’optimisme qui parle. Mais je ne veux pas vous gâcher votre plaisir. Profitez bien.]

          J’y compte bien ! Hier je suis allé voir la vasque de nuit. Avec l’arc du Carroussel et le Louvre pour décor, c’est un spectacle magnifique, preuve qu’on peut faire du moderne sans faire du clinquant. Encore un bon point pour EDF !

          • Carloman dit :

            @ Descartes,
             
            [En regardant la cérémonie, j’imaginais quel type de réaction elle pouvait susciter chez vous]
            Ne gâchez pas vos plaisirs pour moi…
             
            [En particulier, le système concentrationnaire a abouti à un gâchis énorme de main d’œuvre.]
            Oui, mais toute l’industrie allemande ne reposait pas uniquement sur le système concentrationnaire. Des travailleurs italiens, français, belges, néerlandais, ukrainiens, etc, sont venus travailler dans les usines allemandes. Parfois de force, mais d’autres fois non.
             
            [L’aristocratie militaire, qui était déjà le pilier de l’Allemagne impériale, restait très puissante, justement parce qu’elle a tout fait pour se protéger de l’infiltration nazi.]
            Deux remarques :
            1) Si je comprends bien, le III° Reich a vaincu et occupé une bonne partie de l’Europe « malgré » le nazisme ? J’avoue que cette thèse ne me convainc guère.
            2) Les élites militaires allemandes qui auraient tout fait « pour se protéger de l’infiltration nazie », cela me semble précisément relever pour une part de la légende, non ? Ajoutons que les officiers allemands, même issus de la vieille aristocratie, se sont parfois montrés d’une très grande brutalité à l’égard des populations. Comme pendant la Première Guerre Mondiale…
             
            [Mais peut-on refuser à Céline le statut de grand écrivain, au motif qu’il avait les mauvaises « affinités idéologiques »]
            Je ne sais pas. Mais pour des gens plus engagés, comme Drieu la Rochelle ou Brasillach, la réponse me paraît évidente, et le statut leur est refusé. Céline est un cas particulier, antisémite obsessionnel, mais un peu à la marge des milieux collaborationnistes. D’ailleurs, je ne sache pas qu’il ait jamais eu de rôle officiel. Mais s’il en avait eu un, nul doute que son sort serait scellé.
             
            [Il n’est pas facile de savoir objectivement ce que sont les intérêts de la patrie, de la nation.]
            Je suis d’accord avec vous… jusqu’à à un certain point. Parce que, pardon de vous le dire, mais il y a certaines politiques qui sont menées avec constance depuis plusieurs décennies maintenant et dont on peut faire le bilan : approfondissement de la construction européenne, démantèlement de l’école publique, affaiblissement des services publics, immigration massive, libre-échange et dérégulation, privatisation des entreprises publiques, retrait de la police de certains quartiers, discours officiel multiculturaliste et diversitaire… Est-ce que la France va mieux ? Est-ce que la société est apaisée ? Combien le RN a-t-il attiré d’électeurs aux dernières élections européennes et législatives ?
             
            Alors je veux bien que vous me disiez « mais tout est compliqué », seulement, à un moment, il faut quand même être rudement malhonnête pour penser que les choix politiques des trente ou quarante dernières années étaient « dans l’intérêt de la nation ». J’étais adolescent dans les années 90, au moment de l’euphorie post-maastrichtienne et de l’élargissement. Je me souviens très bien que des politiciens avaient alors prédit le plein-emploi, la prospérité et l’Europe-puissance. Vous je ne sais pas, mais moi je n’ai rien vu venir de tout ça…
             
            [Je pense que vous tombez vous-même dans le piège de la « racisation ». Franchement, je ne regarde pas la couleur de celui qui fait telle ou telle chose.]
            Je plaide non-coupable. La racialisation et l’ethnicisation de la société et du débat politique, c’est la responsabilité de la gauche diversitaire mais aussi d’une certaine droite libérale-communautariste, amoureuse du « modèle anglo-saxon » (et de ce point de vue, le sarkozysme n’était pas dénué d’ambiguïté). De ce processus, les blancs – particulièrement ceux « de souche » – ont été les victimes expiatoires : désignés comme « privilégiés » et oppresseurs des minorités, sans cesse sous la menace d’un procès en racisme. Ce climat délétère, ce n’est pas moi qui l’ait voulu mais quand on m’attaque, je me défends. Et l’universalisme républicain n’a aucune réponse à apporter à ce problème, parce que pour lui, ce problème n’existe pas – et c’est une erreur. Une fois semées les graines de la haine et de la discorde, il ne faut pas se plaindre que la récolte ait un goût amer…

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« En regardant la cérémonie, j’imaginais quel type de réaction elle pouvait susciter chez vous » Ne gâchez pas vos plaisirs pour moi…]

              Oh, je vous rassure, rien ne peut gâcher ce genre de plaisirs. Je tiens ce trait de caractère de ma grand-mère, noble femme qui savait tirer du plaisir de chaque petite chose de la vie. Et elle vécut une vie heureuse malgré une enfance digne des « Misérables »…

              [« En particulier, le système concentrationnaire a abouti à un gâchis énorme de main d’œuvre. » Oui, mais toute l’industrie allemande ne reposait pas uniquement sur le système concentrationnaire. Des travailleurs italiens, français, belges, néerlandais, ukrainiens, etc, sont venus travailler dans les usines allemandes. Parfois de force, mais d’autres fois non.]

              Oui. Mais la main d’œuvre étrangère, forcée ou pas, ne suffisait pas. Et puis il eut été plus rentable de faire travailler ces gens chez eux plutôt que de les déplacer dans les usines du Reich. La politique de main d’œuvre de l’Allemagne fut totalement irrationnelle : elle était faite au coup par coup, et dans le plus grand désordre du fait de l’interférence de toutes sortes d’échelons administratifs qui passaient le temps à guerroyer entre eux.

              [« L’aristocratie militaire, qui était déjà le pilier de l’Allemagne impériale, restait très puissante, justement parce qu’elle a tout fait pour se protéger de l’infiltration nazi. » Deux remarques : 1) Si je comprends bien, le III° Reich a vaincu et occupé une bonne partie de l’Europe « malgré » le nazisme ? J’avoue que cette thèse ne me convainc guère.]

              Pourtant, c’est la thèse soutenue par beaucoup d’historiens. Le régime nazi n’a pas véritablement changé l’organisation militaire allemande héritée de la tradition prussienne. En 1939, c’est encore la vieille machine militaire prussienne qui est à l’œuvre, certes, avec des moyens décuplés. Ce n’est qu’après les premières défaites en Russie que Hitler se mêlera de plus en plus des questions militaires, avec des résultats plutôt désastreux – comme par exemple les directives qui refusaient toute possibilité de retraite, même lorsque des troupes risquaient d’être encerclées, qui joua un si grand rôle dans la défaite de Paulus à Stalingrad.

              [2) Les élites militaires allemandes qui auraient tout fait « pour se protéger de l’infiltration nazie », cela me semble précisément relever pour une part de la légende, non ? Ajoutons que les officiers allemands, même issus de la vieille aristocratie, se sont parfois montrés d’une très grande brutalité à l’égard des populations. Comme pendant la Première Guerre Mondiale…]

              Ce n’est pas une légende. Alors que les nazis ont pris le contrôle de l’appareil de l’Etat et désigné aux postes de responsabilité des militants sur des critères de fiabilité idéologique et d’obéissance au Parti. L’armée a continué à recruter et promouvoir sur la base de ses critères traditionnels : l’appartenance à l’aristocratie militaire, et la compétence. Vous trouverez parmi les généraux de Hitler un très grand nombre de « Von quelque chose », alors que dans l’appareil civil vous en trouvez très peu.

              Cela n’implique en rien que la Wehrmacht fut moins antisémite ou plus tendre avec les populations civiles. Vous savez, dans l’Allemagne des années 1930, le racisme et l’antisémitisme n’étaient pas le monopole des nazis…

              [« Mais peut-on refuser à Céline le statut de grand écrivain, au motif qu’il avait les mauvaises « affinités idéologiques » » Je ne sais pas. Mais pour des gens plus engagés, comme Drieu la Rochelle ou Brasillach, la réponse me paraît évidente, et le statut leur est refusé.]

              Pas vraiment. Je ne connais personne qui conteste la qualité littéraire de Drieu ou de Brasillach. Même Aragon, qui pourtant était de l’autre rive, les admirait. Mais indépendamment de leur positionnement idéologique, personne à ma connaissance ne juge leur prose digne du statut de « grand écrivain ». Vous noterez d’ailleurs qu’on a refusé ce titre à Aragon, qui pourtant est peut-être le plus grand poète français du XXème siècle…

              [Céline est un cas particulier, antisémite obsessionnel, mais un peu à la marge des milieux collaborationnistes. D’ailleurs, je ne sache pas qu’il ait jamais eu de rôle officiel. Mais s’il en avait eu un, nul doute que son sort serait scellé.]

              Quand même, ce n’est pas pour ses beaux yeux qu’il a été emmené à Sigmaringen avec la cour de Pétain… son rôle était aussi « officiel » que celui de Drieu. Et il faut dire qu’il a été lourdement sanctionné, aucun éditeur n’acceptant pendant de très longues années de le publier. Mais même ceux qui refusaient de le publier reconnaissaient sa qualité littéraire.

              [« Il n’est pas facile de savoir objectivement ce que sont les intérêts de la patrie, de la nation. » Je suis d’accord avec vous… jusqu’à à un certain point. Parce que, pardon de vous le dire, mais il y a certaines politiques qui sont menées avec constance depuis plusieurs décennies maintenant et dont on peut faire le bilan : approfondissement de la construction européenne, démantèlement de l’école publique, affaiblissement des services publics, immigration massive, libre-échange et dérégulation, privatisation des entreprises publiques, retrait de la police de certains quartiers, discours officiel multiculturaliste et diversitaire… Est-ce que la France va mieux ? Est-ce que la société est apaisée ? Combien le RN a-t-il attiré d’électeurs aux dernières élections européennes et législatives ?]

              Mais est-ce que la France va mal à cause de ces politiques, ou bien va-t-elle mal parce qu’on n’a pas été assez loin dans leur mise en œuvre ? Je pense comme vous que la première option est la bonne, mais il y a des gens, fort nombreux, qui pensent le contraire. Que c’est parce que nous n’avons pas une Europe fédérale, que c’est parce que nous avons une école encore trop centrée sur le savoir, que c’est parce qu’on n’a pas privatisé assez et que l’Etat est trop gros qu’on est en difficulté. Et il n’y a pas de façon « objective » d’arbitrer ce débat, entre autres choses parce que tout le monde ne se fait pas la même idée de ce qu’est l’intérêt de la nation. Pour vous et pour moi, conserver les leviers de la souveraineté c’est important. Mais il y en a qui vous diront que l’intérêt national c’est au contraire d’abdiquer cette souveraineté pour rentrer dans un ensemble plus vaste qui défendra nos intérêts mieux que nous ne pouvons le faire. Qu’il vaut mieux être la queue d’un lion que la tête d’une souris.

              [Alors je veux bien que vous me disiez « mais tout est compliqué »,]

              Ce n’est pas ce que je vous dis. Ce que je vous dis, c’est que « chacun a ses raisons ». Et que, dans la mesure où il n’existe pas de critère objectif pour arbitrer entre ces raisons, on se trouve fort démuni à l’heure de désobéir à la volonté de l’autorité librement élue par le peuple. De quelle légitimité peut-on se réclamer ?

              [seulement, à un moment, il faut quand même être rudement malhonnête pour penser que les choix politiques des trente ou quarante dernières années étaient « dans l’intérêt de la nation ». J’étais adolescent dans les années 90, au moment de l’euphorie post-maastrichtienne et de l’élargissement. Je me souviens très bien que des politiciens avaient alors prédit le plein-emploi, la prospérité et l’Europe-puissance. Vous je ne sais pas, mais moi je n’ai rien vu venir de tout ça…]

              Oui, mais on vous expliquera que si les français n’avaient pas rejeté le TCE en 2005, toutes ces promesses se seraient réalisées… encore une fois, l’argument « l’Europe a échoué, preuve qu’il faut plus d’Europe » est à la fois absurde et irréfutable.

              [« Je pense que vous tombez vous-même dans le piège de la « racisation ». Franchement, je ne regarde pas la couleur de celui qui fait telle ou telle chose. » Je plaide non-coupable. La racialisation et l’ethnicisation de la société et du débat politique, c’est la responsabilité de la gauche diversitaire mais aussi d’une certaine droite libérale-communautariste, amoureuse du « modèle anglo-saxon » (et de ce point de vue, le sarkozysme n’était pas dénué d’ambiguïté).]

              Je peux vous accorder les circonstances atténuantes, mais guère plus. Ce n’est pas parce que les « libéraux-libertaires » de droite comme de gauche cherchent à racialiser le débat politique qu’il faut les suivre.

              [Et l’universalisme républicain n’a aucune réponse à apporter à ce problème, parce que pour lui, ce problème n’existe pas – et c’est une erreur.]

              L’universalisme républicain apporte pour moi la seule réponse qui vaille : celle qui consiste à n’admettre dans la sphère publique que des citoyens abstraits, et de mettre tout ce qui fait leur spécificité dans la sphère privée. Le citoyen qui réussit l’examen a le diplôme, et celui qui viole la loi va en prison. Et cela qu’il soit catholique ou musulman, riche ou pauvre, blanc ou noir. C’est ça, l’universalisme républicain. Le problème, ce n’est pas que l’universalisme républicain n’apporte pas de réponse, mais que personne ou presque ne le pratique plus aujourd’hui…

              [Une fois semées les graines de la haine et de la discorde, il ne faut pas se plaindre que la récolte ait un goût amer…]

              Ca, je ne vous le fais pas dire. Il faut suivre ce qui se passe en Grande Bretagne, parce que si l’on ne fait rien dans quelques années on aura la même chose chez nous…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [La politique de main d’œuvre de l’Allemagne fut totalement irrationnelle : elle était faite au coup par coup, et dans le plus grand désordre du fait de l’interférence de toutes sortes d’échelons administratifs qui passaient le temps à guerroyer entre eux.]
              On se perd en conjecture pour expliquer comment un tel régime a pu dominer le continent européen plusieurs années durant…
               
              [Pourtant, c’est la thèse soutenue par beaucoup d’historiens.]
              Si « beaucoup d’historiens » le disent, je n’ai plus qu’à m’incliner. Mais je me souviens de certains débats dans lesquels vous professiez beaucoup moins de respect pour ce que disent « beaucoup d’historiens », par exemple quand il était question du rôle de Pie XII pendant la guerre ou de l’appréciation portée sur le régime stalinien. Du coup, je suis obligé de m’interroger : sur quels critères vous fondez-vous pour accorder une pleine et entière confiance à certains historiens universitaires, et pas à d’autres ?
               
              La thèse que présentent ces historiens pose à mes yeux deux problèmes : le premier est que, si on va au bout de la logique, la conclusion est que, finalement, il ne faut pas trop se plaindre, les nazis auraient pu être bien plus efficaces, et donc encore plus dangereux. Vous m’excuserez de penser qu’en terme de souffrances imposées aux populations d’Europe, notamment juives, tziganes et slaves, les nazis ont été d’une redoutable efficacité ; le deuxième point est que Kershaw semble ignorer la définition nazie de l’efficacité, pourtant énoncée par Heinrich Himmler : « si mille femmes tchèques [ou polonaises, je ne sais plus] travaillent à creuser une tranchée pour le Reich, peu m’importe qu’elles meurent au travail, ce qui m’importe c’est que la tranchée soit creusée ». Peut-être faut-il admettre que les nazis raisonnaient différemment. Kershaw pense « l’efficacité » comme un économiste classique, mais les nazis ne voyaient pas les choses ainsi.
               
              [L’armée a continué à recruter et promouvoir sur la base de ses critères traditionnels : l’appartenance à l’aristocratie militaire, et la compétence.]
              Il me paraît difficile de concilier ces deux critères. Si vous êtes compétent et que vous n’appartenez pas à l’aristocratie militaire, que se passe-t-il ?
               
              [Vous noterez d’ailleurs qu’on a refusé ce titre à Aragon, qui pourtant est peut-être le plus grand poète français du XXème siècle… ]
              Je ne vois pas ce qui vous fait dire cela. J’ai étudié en cours de français des textes d’Aragon (la Rose et le Réséda par exemple) au cours de ma scolarité et Le Paysan de Paris était au programme du concours d’entrée à l’ENS lorsque je l’ai passé, excusez du peu.
              Jamais aucun texte de Drieu ou de Brasillach. Céline est un cas à part : j’ai eu un professeur de philosophie qui était un amoureux de l’oeuvre de Céline et il nous en a parlé, nous a fait lire un extrait, en dehors de toute obligation du programme. Mais jamais en cours de lettres…
               
              [Mais est-ce que la France va mal à cause de ces politiques, ou bien va-t-elle mal parce qu’on n’a pas été assez loin dans leur mise en œuvre ?]
              Il me semble que les problèmes posés par l’euro et la politique monétaire de l’UE sont aujourd’hui documentés et reconnus par nombre d’économistes. Par ailleurs, le projet européen est très ouvertement atlantiste – et les États-Unis ont montré comment ils traitent leurs vassaux, là encore ce n’est pas un mystère – et communautariste (voir les campagnes européennes de promotion du voile islamique). Or le communautarisme à l’anglo-saxonne, on voit ce que ça donne ces jours-ci au Royaume-Uni (et bien que ce dernier ait quitté l’UE).
               
              [mais il y a des gens, fort nombreux, qui pensent le contraire.]
              Il y a des gens qui se bandent les yeux et qui se bouchent les oreilles…
               
              [Oui, mais on vous expliquera que si les français n’avaient pas rejeté le TCE en 2005, toutes ces promesses se seraient réalisées…]
              Le TCE aurait-il changé la politique monétaire de l’UE ? Bien sûr que non. D’ailleurs le Traité de Lisbonne a repris une partie des dispositions du TCE pour le fonctionnement de l’Union, en abandonnant surtout la symbolique « constitutionnelle ».
               
              [encore une fois, l’argument « l’Europe a échoué, preuve qu’il faut plus d’Europe » est à la fois absurde et irréfutable.]
              Irréfutable, irréfutable… Le fait est que plus on délègue de souveraineté, plus le pays va mal. Et ça, c’est une réalité observable quand même.
               
              [L’universalisme républicain apporte pour moi la seule réponse qui vaille : celle qui consiste à n’admettre dans la sphère publique que des citoyens abstraits, et de mettre tout ce qui fait leur spécificité dans la sphère privée.]
              Oui, je connais votre position. Mais je pense que vous ne l’interrogez pas suffisamment : ce projet n’est-il pas un idéal au fond irréaliste comme la « société communiste » ? Que se passe-t-il lorsque la sphère privée et la sphère publique se heurtent ?
               
              « La République nous appelle
              Sachons vaincre ou sachons périr
              Un Français doit vivre pour elle
              Pour elle, un Français doit mourir. »
               
              Vous avez reconnu le refrain du Chant du Départ. Je ne peux pas mourir pour une République qui, lors d’une cérémonie officielle, insulte ma religion qui est la religion historique de la France. Que certains de mes compatriotes soient athées ou anticléricaux, je m’en fiche. Mais la République, elle, devrait être neutre. Je ne peux pas mourir pour une République qui explique que les noirs et les Arabes sont de manière « systémique » des victimes et les blancs des oppresseurs racistes. Que certains de mes compatriotes le pensent, c’est leur droit. Mais que des universitaires, sociologues, historiens, philosophes, titulaires de postes rémunérés par de l’argent public, développent un tel discours idéologique quasi-officiel sous couvert de « science » jusque dans les rangs du CNRS, ça ce n’est pas acceptable. Je ne peux pas mourir pour une République qui ne sanctionne pas des élus de la nation qui refusent de serrer la main à un autre élu de la nation, et qui affichent ouvertement leur volonté d’ignorer le vote de 10 millions de citoyens.
               
              [Le citoyen qui réussit l’examen a le diplôme, et celui qui viole la loi va en prison.]
              Et la voix de chaque citoyen doit être prise en compte et respectée. Qu’il vote RN ou LFI. Vous aviez oublié ce point.
               
              [Le citoyen qui réussit l’examen a le diplôme, et celui qui viole la loi va en prison.]
              La question n’est pas là. La question est de savoir sur quels critères on attribue la citoyenneté pour garantir un minimum d’homogénéité à la nation.
               
              [Il faut suivre ce qui se passe en Grande Bretagne, parce que si l’on ne fait rien dans quelques années on aura la même chose chez nous…]
              « On » ne fera rien, il suffit de voir le spectacle qui a suivi le 2ème tour des législatives. Circulez, il n’y a rien à voir, tout va continuer comme avant. Et pour emmerder les « fachos », les rageux, on va leur mettre des drag queens et des femmes à barbe à la cérémonie d’ouverture des JO, ça leur fera les pieds à tous ces cons.
              Désolé, mais pour moi, l’ère du débat courtois et civilisé est en train de se terminer.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [On se perd en conjecture pour expliquer comment un tel régime a pu dominer le continent européen plusieurs années durant…]

              La réponse est simple : il comptait avec une armée efficace, et avec des complicités bienveillantes ou agissantes très importantes dans la plupart des pays d’Europe.

              [« Pourtant, c’est la thèse soutenue par beaucoup d’historiens. » Si « beaucoup d’historiens » le disent, je n’ai plus qu’à m’incliner. Mais je me souviens de certains débats dans lesquels vous professiez beaucoup moins de respect pour ce que disent « beaucoup d’historiens », par exemple quand il était question du rôle de Pie XII pendant la guerre ou de l’appréciation portée sur le régime stalinien. Du coup, je suis obligé de m’interroger : sur quels critères vous fondez-vous pour accorder une pleine et entière confiance à certains historiens universitaires, et pas à d’autres ?]

              Contrairement à la question du rôle de Pie XII pendant la guerre ou de l’appréciation portée sur le régime stalinien, le fait de savoir si le régime nazi était ou non efficace dans l’administration de ses ressources ou dans son organisation n’a guère de charge politique ou symbolique aujourd’hui. Cela change la donne considérablement à l’heure d’examiner le travail des historiens. Par ailleurs, le fait que de nombreux historiens respectés – comme Kershaw, dont la rigueur dans l’analyse documentaire fait consensus dans la profession – soutiennent une thèse lui donne quand même une certaine crédibilité.

              [La thèse que présentent ces historiens pose à mes yeux deux problèmes : le premier est que, si on va au bout de la logique, la conclusion est que, finalement, il ne faut pas trop se plaindre, les nazis auraient pu être bien plus efficaces, et donc encore plus dangereux.]

              « Se plaindre » de quoi ? J’ajoute que les historiens qui soutiennent la thèse en question ne considèrent pas l’inefficacité administrative comme contingente. Elle était la conséquence des contradictions inhérentes au régime. C’est la conclusion de Kershaw : pour faire schématique, le régime nazi n’a pu s’installer que par l’arbitraire, or cet arbitraire est une source d’inefficacité. La logique de « agir dans la direction du Führer » conduisait nécessairement à la contradiction, parce que chacun voyait « la direction du Führer » en fonction de ses propres intérêts. Kershaw donne par exemple un exemple frappant : après 1936, Hitler ne réunira plus jamais un conseil des ministres. Chaque ministre était laissé dans la nature, ne voyant Hitler qu’épisodiquement et ne recevant des indications de lui que par des canaux plus ou moins formels. Comment dans ces conditions l’action des différents ministères pouvait-elle être coordonnée ? Sans compter que dans un pays à tradition fédérative, Hitler avait une ligne directe avec les Gauleiter, qui disputaient le pouvoir aux ministères centraux…

              [Vous m’excuserez de penser qu’en terme de souffrances imposées aux populations d’Europe, notamment juives, tziganes et slaves, les nazis ont été d’une redoutable efficacité ;]

              « Efficacité » et « efficience » ne sont pas des synonymes. Par ailleurs, point n’est besoin d’une grande organisation pour infliger d’énormes souffrances. Pensez au génocide au Rwanda. Diriez-vous que le régime politique la bas était « efficient » ?

              [le deuxième point est que Kershaw semble ignorer la définition nazie de l’efficacité, pourtant énoncée par Heinrich Himmler : « si mille femmes tchèques [ou polonaises, je ne sais plus] travaillent à creuser une tranchée pour le Reich, peu m’importe qu’elles meurent au travail, ce qui m’importe c’est que la tranchée soit creusée ». Peut-être faut-il admettre que les nazis raisonnaient différemment. Kershaw pense « l’efficacité » comme un économiste classique, mais les nazis ne voyaient pas les choses ainsi.]

              Non, Kershaw prend tout à fait à son compte cette idée d’efficacité. Seulement, Himmler faisait une grave erreur. Si mille femmes tchèques creusent une tranchée et survivent, elles peuvent en creuser une deuxième. Si vous les tuez à la tâche, vous n’aurez plus personne pour faire le travail. Or, le Reich souffrait d’une pénurie massive de main d’œuvre. L’analyse de Himmler aurait été rationnelle si le Reich avait pu disposer d’un réservoir infini de main d’œuvre. Ce n’était pas le cas.

              [« L’armée a continué à recruter et promouvoir sur la base de ses critères traditionnels : l’appartenance à l’aristocratie militaire, et la compétence. » Il me paraît difficile de concilier ces deux critères. Si vous êtes compétent et que vous n’appartenez pas à l’aristocratie militaire, que se passe-t-il ?]

              Vous n’êtes pas promu. Et si vous êtes incompétent et aristocrate, non plus. De cette façon, vous aboutissez à une élite de gens compétents ET aristocrates. Le problème de ce genre de système, c’est que votre base de recrutement est relativement étroite. C’est d’ailleurs pourquoi Hitler a été obligé souvent à rappeler des généraux qu’il avait disgracié auparavant…

              [« Vous noterez d’ailleurs qu’on a refusé ce titre à Aragon, qui pourtant est peut-être le plus grand poète français du XXème siècle… » Je ne vois pas ce qui vous fait dire cela. J’ai étudié en cours de français des textes d’Aragon (la Rose et le Réséda par exemple) au cours de ma scolarité et Le Paysan de Paris était au programme du concours d’entrée à l’ENS lorsque je l’ai passé, excusez du peu.]

              Oui, comme on étude au lycée les textes de Pierre Perret (« Lily » a été donnée au Bac, comme le raconte si bien Brighelli). Quant à l’ENS, sans vouloir vous offenser, en feuilletant les ouvres au programme, on trouve du Duras, du Colette… Difficile donc de dire que le fait d’être abordé au lycée ou au concours de l’ENS vous classe parmi les « grands écrivains ».

              [Jamais aucun texte de Drieu ou de Brasillach. Céline est un cas à part : j’ai eu un professeur de philosophie qui était un amoureux de l’oeuvre de Céline et il nous en a parlé, nous a fait lire un extrait, en dehors de toute obligation du programme. Mais jamais en cours de lettres…]

              Parce qu’ils sentent le souffre. Je ne crois pas que leur disparition soit liée à leurs qualités littéraires… dans le cas de Céline, c’est une évidence. Je ne connais personne qui mette en doute l’importance du point de vue littéraire du « Voyage au bout de la nuit ». Drieu ou Brasillach ne sont certainement pas de ce niveau… mais ils seraient probablement abordés dans les programmes officiels s’ils n’avaient pas fait le mauvais choix…

              [« Mais est-ce que la France va mal à cause de ces politiques, ou bien va-t-elle mal parce qu’on n’a pas été assez loin dans leur mise en œuvre ? » Il me semble que les problèmes posés par l’euro et la politique monétaire de l’UE sont aujourd’hui documentés et reconnus par nombre d’économistes.]

              Oui, mais sous une forme beaucoup plus ambigüe que vous ne le pensez. Ainsi, par exemple, les théoriciens des « zones monétaires optimales » s’accordent à dire que la zone Euro ne remplit pas les conditions (notamment parce que les politiques économiques et budgétaires ne sont pas alignées), mais la plupart en conclue… qu’il faudrait aligner les politiques économiques et budgétaires. Autrement dit, l’Euro ne marche pas parce qu’on ne va pas plus loin dans le fédéralisme… A partir de là, savoir si « la France va mal » à cause de l’Euro ou à cause du manque de fédéralisme n’est pas si évident.

              [Par ailleurs, le projet européen est très ouvertement atlantiste – et les États-Unis ont montré comment ils traitent leurs vassaux, là encore ce n’est pas un mystère – et communautariste (voir les campagnes européennes de promotion du voile islamique). Or le communautarisme à l’anglo-saxonne, on voit ce que ça donne ces jours-ci au Royaume-Uni (et bien que ce dernier ait quitté l’UE).]

              Certes. Mais – je me fais vous l’aurez compris l’avocat du diable – tout le monde ne considère pas le communautarisme ou la vassalisation comme un problème. Certains vous diront au contraire qu’il vaut mieux être un vassal qui s’enrichit sous la protection de son seigneur – quitte à lui payer l’hommage qui lui est du – plutôt qu’un seigneur indépendant obligé à pourvoir à sa propre défense. Et vous trouverez aussi plein de défenseurs du communautarisme – prenez par exemple les régionalistes de toute couleur. Ce que je voulais dire, c’est que l’idée que nos maux sont liés à tel ou tel choix politique n’est pas une évidence, ne serait-ce que parce que ce qui pour vous ou moi est un « mal » ne l’est pas forcément pour tout le monde.

              [« Oui, mais on vous expliquera que si les français n’avaient pas rejeté le TCE en 2005, toutes ces promesses se seraient réalisées… » Le TCE aurait-il changé la politique monétaire de l’UE ?]

              Non, mais aurait peut-être permis l’alignement des politiques économiques et budgétaires, condition sine qua non de réussite de l’Euro selon la théorie des « zones monétaires optimales »…

              [Bien sûr que non. D’ailleurs le Traité de Lisbonne a repris une partie des dispositions du TCE pour le fonctionnement de l’Union, en abandonnant surtout la symbolique « constitutionnelle ».]

              Ce n’était pas qu’une « symbolique ». Le statut « constitutionnel » aurait permis de passer par-dessus la souveraineté budgétaire des états, ce qu’un traité simple ne permet pas.

              [« encore une fois, l’argument « l’Europe a échoué, preuve qu’il faut plus d’Europe » est à la fois absurde et irréfutable. » Irréfutable, irréfutable… Le fait est que plus on délègue de souveraineté, plus le pays va mal. Et ça, c’est une réalité observable quand même.]

              Oui, mais vous savez que la réalité n’est interprétable qu’à travers d’une idéologie. On peut constater que depuis qu’on prend un médicament on va de plus en plus mal, et en conclure que c’est parce qu’on n’a pas pris une dose suffisante.

              [« L’universalisme républicain apporte pour moi la seule réponse qui vaille : celle qui consiste à n’admettre dans la sphère publique que des citoyens abstraits, et de mettre tout ce qui fait leur spécificité dans la sphère privée. » Oui, je connais votre position. Mais je pense que vous ne l’interrogez pas suffisamment : ce projet n’est-il pas un idéal au fond irréaliste comme la « société communiste » ?]
              Bien entendu. C’est un idéal vers lequel on peut aller, mais qu’on n’atteindra jamais parfaitement. Cela fait longtemps que je me suis résigné à cette idée que la perfection n’est pas de ce monde, que les idéaux politiques sont des guides pour l’action, mais qu’on ne les atteindra jamais tout à fait. Cela n’implique pas qu’ils soient inutiles ou, pour utiliser votre formule, « que cela n’apporte pas de réponse ».

              [Que se passe-t-il lorsque la sphère privée et la sphère publique se heurtent ?]

              Elle se heurtent en permanence. C’est une tension dialectique qui existe dans toutes les sociétés, et l’art du politique républicain c’est d’éviter que l’une empiète sur l’autre. Lorsque la sphère publique pend sur la sphère privée, on va vers le totalitarisme, lorsque la sphère privée empiète sur la sphère publique, on va vers « la guerre de tous contre tous ».

              [Vous avez reconnu le refrain du Chant du Départ. Je ne peux pas mourir pour une République qui, lors d’une cérémonie officielle, insulte ma religion qui est la religion historique de la France.]

              Vous ramenez dans ma mémoire cette formule d’un ancien commandant de la France Libre qui se souvenait, après le débarquement en Provence, qu’en montant avec ses hommes la vallée du Rhône, ils étaient passés dans un village ou des gens attablés le verre de rosé à la main n’avaient même pas daigné leur offrir quelque chose, et que dans un autre village le maire avait voulu leur faire payer pour pouvoir boire de l’eau à la fontaine municipale. Sa conclusion était lapidaire : « je me suis battu pour la France, pas pour les Français ». Je ne crois pas que la cérémonie d’ouverture des jeux représente « la France » ou mieux, « la République ». C’est un divertissement, et rien de plus.

              Par ailleurs, est-ce que le tableau incriminé « insultait » la religion catholique ? Je vous avoue que j’ai personnellement beaucoup de mal avec cette « culture de l’offense ». Je ne comprends pas très bien en quoi le détournement d’un élément d’iconographie religieuse pose problème. J’irai plus loin : détourner la Cène, c’est reconnaître que la Cène reste une « référence historique » de notre culture. Si au lieu de détourner la Cène on avait détourné un élément de l’iconographie bouddhiste, personne ne s’en serait aperçu. Ce qui me gène dans ce tableau, ce n’est pas le détournement : j’ai adoré le film des Monty Python « La vie de Brian » qui est construit sur le détournement d’un grand nombre de références religieuses (chrétiennes mais aussi juives), et je n’imagine que des bigots pour être « offensés » par ce film. Parce que le détournement est INTELLIGENT. Les Monty Python ne détournent pas pour choquer, mais pour faire passer un message.

              Le tableau en question m’offense non parce qu’il insulte la religion, mais parce qu’il insulte l’intelligence. Parce qu’il cherche à choquer, et non à créer une émotion intellectuelle ou esthétique. Ce qui à mon sens est infiniment plus grave.

              [Que certains de mes compatriotes soient athées ou anticléricaux, je m’en fiche. Mais la République, elle, devrait être neutre.]

              Je suis d’accord. Cela étant dit, je ne pense pas que la cérémonie en question présente le point de vue officiel de la République.

              [Je ne peux pas mourir pour une République qui explique que les noirs et les Arabes sont de manière « systémique » des victimes et les blancs des oppresseurs racistes. Que certains de mes compatriotes le pensent, c’est leur droit. Mais que des universitaires, sociologues, historiens, philosophes, titulaires de postes rémunérés par de l’argent public, développent un tel discours idéologique quasi-officiel sous couvert de « science » jusque dans les rangs du CNRS, ça ce n’est pas acceptable.]

              Là encore, je reviens à l’anecdote que j’ai citée plus haut. Il ne faut pas confondre la République et les individus, même rémunérés par l’argent public. Quelque soient les discours idéologiques, les institutions de la République sont toujours fondées sur l’idée que « [la France] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Et lorsqu’on meurt pour la France, c’est pour cela qu’on meurt. Pas pour les déblatérations de quelques sociologues, fussent-ils au CNRS.

              [Je ne peux pas mourir pour une République qui ne sanctionne pas des élus de la nation qui refusent de serrer la main à un autre élu de la nation, et qui affichent ouvertement leur volonté d’ignorer le vote de 10 millions de citoyens.]

              Là, par contre, nous entrons dans la question des sphères publique et privée. Aucune loi ne m’oblige à serrer la main à qui que ce soit. C’est un choix privé. Si le geste est répugnant, alors c’est aux électeurs de sanctionner l’élu qui s’abaisse à ce genre de comportement.

              [« Le citoyen qui réussit l’examen a le diplôme, et celui qui viole la loi va en prison. » Et la voix de chaque citoyen doit être prise en compte et respectée. Qu’il vote RN ou LFI. Vous aviez oublié ce point.]

              Je pense avoir été très clair sur ce point dans mes papiers, mais je vous le confirme.

              [La question n’est pas là. La question est de savoir sur quels critères on attribue la citoyenneté pour garantir un minimum d’homogénéité à la nation.]

              Vous connaissez je pense ma position, mais je l’explicite quand même. Pour moi le fondement de la citoyenneté – et donc de la nation – est la question de la solidarité inconditionnelle et impersonnelle entre les individus. Il faut donc que les critères d’attribution de la citoyenneté soient liés à la capacité et à la volonté – les deux sont importants – de l’individu de s’inscrire dans cette solidarité. Cela suppose donc une volonté de connaître ses concitoyens, d’acquérir les moyens de communiquer avec eux (la langue, la sociabilité, le cadre de référence), de respecter les règles communes, de renoncer à toute autre allégeance.

              Vous l’aurez compris, pour moi « l’homogénéité » n’est pas un but en soi. Dans certains domaines, c’est une condition nécessaire pour que la solidarité inconditionnelle fonctionne. Si l’on ne partage pas la même langue, les mêmes règles de sociabilité, le même cadre de référence, les mêmes repères symboliques, difficile de constituer des solidarités inconditionnelles et impersonnelles. Mais l’homogénéité dans la couleur de peau, par exemple, n’est pas pour moi un problème.

              [« Il faut suivre ce qui se passe en Grande Bretagne, parce que si l’on ne fait rien dans quelques années on aura la même chose chez nous… » « On » ne fera rien, il suffit de voir le spectacle qui a suivi le 2ème tour des législatives. Circulez, il n’y a rien à voir, tout va continuer comme avant.]

              Je partage sur ce point votre pessimisme : sauf à ce qu’une crise grave advienne, rien ne peut sortir nos élites de leur auto-satisfaction…

              [Désolé, mais pour moi, l’ère du débat courtois et civilisé est en train de se terminer.]

              Je crains, malheureusement, que sur ce point vous soyez d’un optimisme excessif. L’ère du débat courtois et civilisé n’est pas « en train » de se terminer, elle est finie depuis déjà quelque temps. Sauf dans quelques enceintes de plus en plus réduites – et j’espère que ce blog en fait partie – mais dont l’influence est minime, le débat courtois et civilisé est impossible. Je connais mal la droite, mais je peux vous assurer qu’à gauche – que ce soit au NPA, au PCF, à LFI, au PS ou chez les Ecologistes – s’écarter du « politiquement correct », même de manière spéculative, est passible de la peine de mort sociale, et il y a toujours un inquisiteur présent pour l’appliquer. Dans les réunions de militants, on se croirait à l’église : jamais une voix dissonante, jamais une pensée différente. Et si vous n’êtes pas content avec le sermon, il ne vous reste qu’à changer d’église.

              Le problème aujourd’hui est que cette incapacité au débat civilisé commence à affecter la capacité des institutions à fonctionner. On le voit bien à l’Assemblée nationale aujourd’hui. Hier, au-delà des postures électorales, les parlementaires se respectaient entre eux, et même si en public ils pouvaient se traîner dans la boue, ils pouvaient discuter de façon civilisée et courtoise en privé. En plein mai 68, les dirigeants du PCF et de la CGT ont discuté discrètement avec les dirigeants gaullistes – comme l’a raconté bien des années plus tard Georges Séguy – pour trouver des points d’entente pour éviter la spirale de la violence. Parce qu’au-delà de leurs différences, ils avaient un esprit d’institution. Aujourd’hui, je ne sais si une telle discussion serait possible. Imagine-t-on Mélenchon discutant avec Marine Le Pen pour sauver les institutions républicaines ?

              C’est en grande partie le sens de l’impasse politique ou nous sommes. A gauche, on ne peut pas discuter avec des gens qui mettent en préalable « le programme, tout le programme, rien que le programme ». A droite, on a décidé qu’on ne peut rien discuter avec le RN. Or, qu’on le veuille ou non, il n’y a pas de majorité possible sans ces deux blocs…

            • Manchego dit :

              @ Carloman
              ***De ce processus, les blancs – particulièrement ceux « de souche » – ont été les victimes expiatoires : désignés comme « privilégiés » et oppresseurs des minorités, sans cesse sous la menace d’un procès en racisme.***
              Il serait intéressant que vous précisiez ce qu’est un blanc de souche (voir de bonne souche) versus un blanc qui ne serait pas de souche.
              La biologie de l’ADN nous a appris que nous étions tous métis et uniques, mais c’est peut-être faux?

            • Carloman dit :

              @ Manchego
               
              [Il serait intéressant que vous précisiez ce qu’est un blanc de souche (voir de bonne souche) versus un blanc qui ne serait pas de souche.]
              Un “blanc de souche” est un Français blanc dont les ancêtres récents sont tous (ou très majoritairement) originaires du territoire français européen – la “métropole” dans le langage courant (y compris à une époque où les territoires en question n’étaient pas encore français, par exemple un Savoyard “de souche” peut être considéré comme un Français de souche).
               
              Un “blanc qui ne serait pas de souche” est un Français blanc dont tout ou partie des ancêtres récents sont originaires d’un autre pays d’Europe (Portugal, Espagne, Italie, Pologne pour citer les principaux). Bien sûr, il serait ridicule de remonter trop loin dans le passé: quelqu’un qui aurait un ancêtre Italien ou Allemand venu en France au XV° ou au XVI° siècle – et dont le nom de famille, bien souvent, a été francisé – peut être considéré comme “Français de souche”. Par “ancêtre récent”, j’entends grosso modo moins de deux siècles.
               
              [La biologie de l’ADN nous a appris que nous étions tous métis et uniques, mais c’est peut-être faux?]
              Je l’ignore, je ne suis pas biologiste…
               
              D’après ce que je lis ici ou là, la “biologie de l’ADN” nous a appris que nous étions issus de brassages parfois assez anciens. Par exemple, l’étude du profil ADN des Européens de l’Ouest, d’après ce que j’ai lu, fait ressortir trois grandes populations originelles: les chasseurs-cueilleurs du paléolithique (pour une petite partie, ils ne devaient pas être nombreux) arrivés en Europe il y a plus de 30 000 ans; ensuite une population d’agriculteurs arrivée au néolithique depuis le Proche-Orient (d’Anatolie d’après les études les plus récentes) et qui aurait diffusé l’agriculture sur le continent, appelée par les spécialistes les EEF (Early European Farmers) qui atteignent l’actuel territoire français entre 6 000 et 5 000 avant Jésus-Christ si j’ai bien compris; enfin, les fameux Indo-européens qui nourrissent tant de fantasmes, arrivent eux à la fin du néolithique (autour de 2 500 av. J.-C.) en provenance de la steppe pontique (sud de l’Ukraine et de la Russie) et vont “infuser” en Europe de l’Ouest jusqu’au 1er millénaire av. J.-C., amenant avec eux des dialectes qui sont à l’origine de la quasi-totalité des langues parlées aujourd’hui en Europe (sauf le basque et les langues finno-ougriennes, comme le hongrois et le finlandais). Ce groupe représenterait un apport génétique considérable: 50 à 60 % du patrimoine génétique des actuels Européens de l’Ouest proviendrait de ces Indo-européens.
               
              Je schématise un peu, mais, dans les grandes lignes, il s’agit du modèle que proposent les dernières études génétiques menées en ce début de XXI° siècle.
               
              Vous noterez donc que le dernier grand brassage génétique en Europe de l’Ouest – avant les vagues d’immigration extra-européennes de la 2ème moitié du XX° siècle – s’est déroulé il y a maintenant entre 4 500 (début des migrations indo-européennes vers l’Ouest) et 2 500 ans (arrivée des Celtes en Gaule, qui forment la dernière vague indo-européenne). Après quoi, on constate une remarquable stabilité génétique des populations ouest-européennes pendant deux millénaires.
               
              Maintenant sur la question du “métissage”, tout dépend ce que vous mettez derrière ce terme. S’il s’agit de dire que toutes les populations humaines – en-dehors de quelques groupes isolés, insulaires par exemple – sont issus de brassage, cela paraît évident. Mais ces brassages ne sont pas forcément récents d’une part, et d’autre part les populations concernées sont parfois apparentées: ainsi les Celtes, les Germains et les Latins ont des parentés génétiques, culturelles (au niveau religieux) et linguistiques. 
               
              Le métissage tel qu’on l’entend aujourd’hui, c’est un mélange entre populations originaires des quatre coins du monde. Ce n’est pas tout à fait la même chose.
               
              Quant au discours “nous sommes tous métis”, c’est un discours à mon sens réducteur et caricatural, et surtout, sans vouloir vous offenser, c’est un slogan idéologique plus qu’une affirmation scientifique. Après avoir été obnubilé par la “pureté de la race” jusqu’au milieu du XX° siècle, on veut maintenant à tout prix voir du métissage partout. Il faut à mon sens être un peu plus mesuré sur ces questions. Je ne sais pas s’il existe une (ou des) “race(s)” européenne(s), mais il existe bel et bien des phénotypes spécifiquement européens.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              Je me permets d’intervenir dans cet échange entre vous et Manchego parce que je le trouve intéressant pour comprendre votre point de vue.

              [Un “blanc de souche” est un Français blanc dont les ancêtres récents sont tous (ou très majoritairement) originaires du territoire français européen – la “métropole” dans le langage courant (y compris à une époque où les territoires en question n’étaient pas encore français, par exemple un Savoyard “de souche” peut être considéré comme un Français de souche).]

              Cette dernière précision est très intéressante. Quand, à votre avis, les « Savoyards de souche » sont devenus « Français de souche » ? Le 23 avril 1860, lorsque le plebiscite convoqué en application du traité de Turin confirme l’assentiment des Savoyards à l’intégration de la Savoie à la France, et fait des savoyards des nationaux français ? Ou bien a-t-il fallu un « stage » plus ou moins long, et si oui de combien d’années ? Appliqueriez-vous la même règle pour un italien émigré en France et naturalisé Français, mais dont le territoire d’origine n’a pas été intégré à la France ?

              J’anticipe à tort peut-être, mais je pense que vous retiendrez la première solution. Et cette précision illustre très bien votre conception de l’enracinement. Il est lié à la terre, et non aux institutions politiques. Un « savoyard de souche » devient « français de souche » dès lors que la terre où il est enraciné devient française. Autrement dit, le Français naturalisé devient « de souche » dès lors qu’il vient avec sa terre.

              Mais vous choisirez peut-être une autre solution, celle du « stage ». Elle amène avec elle des contradictions redoutables. Car vous écrivez :

              [Bien sûr, il serait ridicule de remonter trop loin dans le passé: quelqu’un qui aurait un ancêtre Italien ou Allemand venu en France au XV° ou au XVI° siècle – et dont le nom de famille, bien souvent, a été francisé – peut être considéré comme “Français de souche”. Par “ancêtre récent”, j’entends grosso modo moins de deux siècles.]

              Si vous êtes cohérent, vous devriez appliquer la même règle aux Savoyards ou aux Niçois. Or, dans les deux cas leur incorporation à la France n’a pas encore franchi la barre des deux siècles. Ils ne sont donc pas, selon vos critères, des « français de souche »…

              Je pense que nous savons intuitivement ce qu’on entend généralement par « de souche ». Mais il est très difficile d’en donner une définition, parce qu’il y a beaucoup de manières de « faire souche ». Prenez mon le cas de l’étranger assimilé. Quand il enterre ses parents en France plutôt que dans leur pays d’origine, d’une certaine façon il « fait souche ». Quand il élève ses enfants sans autre appartenance nationale que la française, lorsqu’il les marie à des familles ayant des ancêtres français sur plusieurs générations, d’une certaine façon il « fait souche ». Lorsqu’il s’investit dans l’action publique et laisse derrière lui une œuvre qui vit dans la mémoire publique, il « fait souche ». Lorsqu’il s’engage dans les armées françaises, et combat et meurt pour la Patrie, il « fait souche ». Devenir « de souche », c’est l’accumulation de beaucoup de gestes, de comportements, de manifestations de volonté qui s’enchaînent dans les générations. Mais je ne pense pas qu’on puisse trouver un critère objectif.

              [La biologie de l’ADN nous a appris que nous étions tous métis et uniques, mais c’est peut-être faux?]

              C’est certainement faux, parce que la phrase est contradictoire. L’idée même de « métissage » implique un individu produit par deux souches différentes. Autrement dit, parler de « métissage » implique qu’il y aurait une possibilité de non-métissage, autrement dit, qu’il est possible de produir un individu à partir de deux souches identiques. Or, si nous sommes « tous différents », il est impossible de trouver deux souches identiques…

              C’est là un bon exemple du « double-thinking » si bien prophétisé par Orwell. D’un côté, on nous explique les « races pures » n’existent pas. D’un autre côté, on nous parle de « métissage », ce qui n’a de sens que si le contraire existe aussi, autrement dit, s’il existe des « races pures » – sans quoi nous serions tous « métis » et le mont n’aurait aucun sens.

              [Le métissage tel qu’on l’entend aujourd’hui, c’est un mélange entre populations originaires des quatre coins du monde. Ce n’est pas tout à fait la même chose.]

              D’autant plus que lorsqu’on parle de « métissage » aujourd’hui, on fait allusion plus au « métissage culturel » qu’à l’exogamie.

              [Quant au discours “nous sommes tous métis”, c’est un discours à mon sens réducteur et caricatural, et surtout, sans vouloir vous offenser, c’est un slogan idéologique plus qu’une affirmation scientifique.]

              Je pense que dans ce genre de question, il faut laisser de côté toute prétention « scientifique ». Dans ce domaine, les théories sont développées en fonction des besoins politiques. Aujourd’hui, les classes dominantes ont besoin d’amener des travailleurs étrangers pour abaisser les coûts de main d’œuvre, et on nous explique alors que « métissage is beautiful » (en globish dans l’original). Ce n’est pas là de l’antiracisme, mais un racisme à l’envers puisqu’il continue à qualifier les gens fonction de leur appartenance ou non appartenance à une « race ». Le véritable antiracisme, comme la véritable laïcité, se caractérise par une INDIFFERENCE à la race ou la réligion…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Vous ramenez dans ma mémoire cette formule d’un ancien commandant de la France Libre qui se souvenait, après le débarquement en Provence, qu’en montant avec ses hommes la vallée du Rhône, ils étaient passés dans un village ou des gens attablés le verre de rosé à la main n’avaient même pas daigné leur offrir quelque chose, et que dans un autre village le maire avait voulu leur faire payer pour pouvoir boire de l’eau à la fontaine municipale. Sa conclusion était lapidaire : « je me suis battu pour la France, pas pour les Français ».]
              Je connais l’anecdote, car vous l’aviez déjà évoquée. Il me semblait avoir été précis dans mon commentaire : ce n’est pas l’attitude des individus que je cible – il faut de tout pour faire un monde – mais bien celle des institutions. Dans un pays démocratique, il n’appartient pas aux institutions de dicter aux gens leurs convictions, mais il leur est possible de mettre en avant certains discours plutôt que d’autres. Je ne reproche pas à la République l’existence des mouvements wokes, décoloniaux, islamogauchistes, etc. Mais ce que je reproche aux institutions républicaines, c’est d’encourager ces mouvements en les mettant en avant, en les subventionnant, en donnant de bonnes places à leurs militants. Et de laisser ceux qui résistent se faire traiter de fascistes, de racistes, de néonazis.
               
              [Je ne crois pas que la cérémonie d’ouverture des jeux représente « la France » ou mieux, « la République ».]
              Pardon ! Cette cérémonie est une cérémonie officielle, une commande de l’État, financée par vos impôts et les miens.
               
              [Par ailleurs, est-ce que le tableau incriminé « insultait » la religion catholique ? Je vous avoue que j’ai personnellement beaucoup de mal avec cette « culture de l’offense ». […] Ce qui me gène dans ce tableau, ce n’est pas le détournement : j’ai adoré le film des Monty Python « La vie de Brian » qui est construit sur le détournement d’un grand nombre de références religieuses (chrétiennes mais aussi juives), et je n’imagine que des bigots pour être « offensés » par ce film. Parce que le détournement est INTELLIGENT.]
              Vous avez raison de me reprendre et je voudrais préciser mon point de vue, si vous me le permettez.
               
              Je suis en fait tout à fait d’accord avec vous. Récemment, j’écoutais un ecclésiastique réagir sur la cérémonie des JO, et ce qui est amusant, c’est qu’il évoquait justement « La vie de Brian ». Et il disait ceci : « j’ai regardé La vie de Brian, et j’ai ri. Pourtant, je suis prêtre, mais j’ai ri. Oui, le film se moque du christianisme, mais il s’en moque gentiment. » J’irai pour ma part un peu plus loin : « La vie de Brian » se moque du christianisme, mais avec au fond une certaine forme de tendresse – presque une forme d’hommage. Les Monty Python se moquent du christianisme un peu comme on se moquerait d’un vieil oncle ronchon : il est pénible, il nous ennuie, mais il est là, il fait partie de la famille. D’ailleurs, pour comprendre et rire de « La vie de Brian », il FAUT avoir une culture chrétienne, sinon on ne comprend rien ! « La vie de Brian » ne remet pas véritablement en cause l’héritage chrétien, il s’en moque parce que ça fait partie de la culture commune. Et je vais vous étonner : je pense qu’il est extrêmement sain de prendre de la distance, sur un mode humoristique, par rapport au christianisme. Cela évite la bigoterie que vous signalez.
               
              Maintenant concernant la « référence » à la Cène au cours de la cérémonie des JO, quelques remarques s’imposent : d’abord, ce n’est pas drôle. Enfin, je ne sais pas vous, mais moi, ça ne m’a pas fait rire. Je trouve même cela un peu triste quand on n’a plus que la provocation pour exister. La deuxième chose, c’est le contexte : la même scène dans une « marche des fiertés », j’aurais compris, je ne dis pas que j’aurais approuvé mais j’aurais compris le message : les drag queens « règlent leurs comptes » avec l’Église qui est quelque peu réservée sur leur mode de vie. Mais là, nous étions censés nous « rassembler », dans une cérémonie oecuménique, et cette Cène sonnait comme un petit tacle gratuit à l’encontre d’un secteur de la société jugé « pas assez progressiste ». Je trouve cette façon de faire détestable. D’ailleurs, je n’aurais pas apprécié ce type dé référence pour l’islam, l’hindouisme ou tout autre religion. Ce n’était tout simplement pas le lieu. Et dernière chose, je n’aime pas qu’on me prenne pour un imbécile : une fois la polémique lancée, on a essayé de nous faire croire que non non, ce n’était pas la Cène mais une référence à un tableau représentant un festin de Bacchus, sauf que, comme vous l’avez signalé d’ailleurs, ledit tableau est une Cène déguisée. Les ecclésiastiques ont beaucoup de défauts, mais en général ils connaissent leurs classiques. D’ailleurs, le prêtre que je citais plus haut était particulièrement agacé par cette tentative de noyer le poisson en prétendant que seuls des ignares avaient vu une référence à la Cène.
               
              [Le tableau en question m’offense non parce qu’il insulte la religion, mais parce qu’il insulte l’intelligence. Parce qu’il cherche à choquer, et non à créer une émotion intellectuelle ou esthétique.]
              Je suis d’accord. Avec cette nuance que j’ai l’impression, en tant que chrétien, que l’on se permet avec le christianisme ce qu’on n’ose plus guère se permettre avec d’autres religions. Ce qui me pose problème, c’est que près de 10 ans après le carnage de Charlie, les frères Kouachi ont gagné : avec l’islam, chacun fait maintenant preuve de la plus grande prudence. Quel message envoie-t-on aux autres religions, et notamment au christianisme ? Qu’il faut se faire respecter par la violence ?
               
              [Il ne faut pas confondre la République et les individus, même rémunérés par l’argent public.]
              Alors là, je ne suis pas d’accord, mais alors pas du tout. Le professeur, l’enseignant, quand il est en chaire, incarne la République et son ambition d’instruire le peuple. Quand il raconte n’importe quoi, qu’il diffuse, sous couvert de travail scientifique, une idéologie plus que discutable – qui au passage sème les graines de la discorde – et qu’il n’est pas sanctionné, alors c’est que la République a failli.
               
              [Quelque soient les discours idéologiques, les institutions de la République sont toujours fondées sur l’idée que « [la France] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».]
              Je ne voudrais pas être désagréable mais c’est vous-même qui m’aviez affirmé que les ministères avaient de fait mis en place des « chartes de la diversité ». Alors l’égalité…
               
              [Et lorsqu’on meurt pour la France, c’est pour cela qu’on meurt.]
              Peu de gens aujourd’hui sont prêts à mourir pour la France. Il faudrait peut-être se demander pourquoi…
               
              [Aucune loi ne m’oblige à serrer la main à qui que ce soit.]
              La loi, non. Mais la décence commune, la politesse, le respect des convenances, si.
               
              Et puis, il y a la question du symbole : refuser de serrer la main à de Gaulle président, cela pouvait avoir du sens. Refuser de serrer la main à Jean-Marie le Pen, cela pouvait se défendre. Refuser de serrer la main à un jeune député fraîchement élu au prétexte qu’il est membre du RN, c’est lamentable.
               
              [Vous connaissez je pense ma position […] ]
              Oui, je connais votre position, votre conception de la nation et votre projet. Et je ne veux pas vous ennuyer en reprenant le débat nation politique versus nation ethnique.
               
              Je dirai simplement que votre position ne suscite chez moi aucun enthousiasme. Mais c’est là la quintessence de notre différence. Vous êtes un haut fonctionnaire, parisien, issu de l’immigration, vous avez travaillé à l’étranger, vous êtes de tradition marxiste, vous êtes un homme des Lumières et de la modernité, un républicain universaliste. Moi, je suis un fonctionnaire moyen, provincial, Français « de souche », qui a toujours vécu et travaillé en France, je suis de tradition catholique, je suis un conservateur, au fond un romantique avant tout attaché à la dimension patrimoniale et esthétique de la nation, bref un nationaliste identitaire pour parler franchement. Je me réjouis que le dialogue entre nous soit possible – il devient si diffcile, comme vous le dites, de discuter avec des gens différents – mais clairement nous n’avons pas les mêmes objectifs.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Vous ramenez dans ma mémoire cette formule d’un ancien commandant de la France Libre qui se souvenait, après le débarquement en Provence, (…) ». » Je connais l’anecdote, car vous l’aviez déjà évoquée.]

              Désolé de me répéter. Si je l’ai racontée à nouveau, c’est pour que nos échanges restent lisibles par les lecteurs qui nous ont rejoint récemment, et qui n’ont pas forcément la mémoire de nos échanges antérieurs…

              [Il me semblait avoir été précis dans mon commentaire : ce n’est pas l’attitude des individus que je cible – il faut de tout pour faire un monde – mais bien celle des institutions. Dans un pays démocratique, il n’appartient pas aux institutions de dicter aux gens leurs convictions, mais il leur est possible de mettre en avant certains discours plutôt que d’autres. Je ne reproche pas à la République l’existence des mouvements wokes, décoloniaux, islamogauchistes, etc. Mais ce que je reproche aux institutions républicaines, c’est d’encourager ces mouvements en les mettant en avant, en les subventionnant, en donnant de bonnes places à leurs militants. Et de laisser ceux qui résistent se faire traiter de fascistes, de racistes, de néonazis.]

              Il y a une idéologie dominante, et les institutions ne peuvent que très difficilement échapper à celle-ci. Pensez par exemple à l’anticommunisme. Depuis que j’ai usage de raison, les institutions ont « mis en avant » les discours anticommunistes. Toute mon enfance a été bercée de séries d’espionnage ou les « bons » américains traquaient les « méchants » soviétiques. Au lycée, on nous expliquait qu’il faut se méfier des « totalitarismes » qui, bien entendu, incluaient l’idéologie communiste. Toute ma jeunesse a été bercée par les chants des défenseurs des pauvres dissidents dans les régimes socialistes, défenseurs qui se faisaient beaucoup plus discrets lorsqu’il s’agissait des tortionnaires chiliens, argentins ou iraniens. Les chanteurs communistes étaient bannis à la radio ou la télé (Jean Ferrat, pour ne donner qu’un exemple) et les poètes et écrivains communistes des programmes scolaires (Aragon, là encore, pour ne donner qu’un exemple). On n’était plus à barrer aux communistes les concours de la haute fonction publique (voire l’affaire Barel, déjà amplement citée ici) mais presque. Et ceux qui résistaient, comme vous dites, se faisaient traiter de staliniens, de tortionnaires, de totalitaires. Triste, n’est-ce pas ?

              La neutralité des institutions est une utopie. Surtout à un moment où les classes dominantes se sentent menacées, et utilisent donc tous les moyens – y compris les institutions qu’elles contrôlent – pour diffuser leur idéologie. Il ne faut pas trop demander aux institutions : à défaut de neutralité, je me contente d’une forme de pluralité. Ainsi, si l’on pense à la période dont je parlais plus haut, si les communistes étaient bannis de certaines institutions, ils étaient fort influents dans d’autres – l’Université, la recherche. Cela faisait une forme d’équilibre. Aujourd’hui, l’idéologie dominante, celle des « libéraux-libertaires » modèle les institutions à son image, et laisse relativement peu d’ilots de pluralité. Pour moi, c’est surtout là que se situe le combat.

              [« Je ne crois pas que la cérémonie d’ouverture des jeux représente « la France » ou mieux, « la République ». » Pardon ! Cette cérémonie est une cérémonie officielle, une commande de l’État, financée par vos impôts et les miens.]

              Oui, mais c’est une commande à un artiste, qui garde sa liberté de création. J’ignore quel type de contrôle le commanditaire a eu sur le détail des tableaux. Cela étant dit, dans le passé, quand un tableau était commandé et qu’il ne plaisait pas au commanditaire, il n’était pas payé. Peut-être faudrait-il revenir à cette saine tradition ?

              [J’irai pour ma part un peu plus loin : « La vie de Brian » se moque du christianisme, mais avec au fond une certaine forme de tendresse – presque une forme d’hommage. Les Monty Python se moquent du christianisme un peu comme on se moquerait d’un vieil oncle ronchon : il est pénible, il nous ennuie, mais il est là, il fait partie de la famille.]

              Là, je vous trouve bien indulgent d’un coup. Lors de la sortie du film, ce n’était pas vraiment la position officielle de l’église catholique. Je ne doute pas que des prêtres cultivés aient ri, car les références au christianisme sont savantes et bien tournées. Mais en Amérique Latine, le film ne fut pas projeté car les églises locales, très conservatrices, l’avaient estimé blasphématoire. Même s’il faisait rire les bergers, il fallait protéger le troupeau d’idées aussi corrosives… car le film est au fond profondément anti-dogmatique, au sens où il défend l’idée de « penser par soi-même » (souvenez-vous la scène de prédication forcée de Brian à la fenêtre de son logement), et montre que Jésus n’était finalement qu’un « messie » parmi beaucoup d’autres, un prédicateur suivi par une masse de fidèles qui se cherchaient un gourou. Autrement dit, que le christianisme est « une secte qui a réussi ». Le film est une charge contre le dogmatisme, que ce soit le dogmatisme religieux, juridique (souvenez vous de la scène de la lapidation) ou politique (avec « l’armée de libération de judée », et la séquence sur le droit du personnage trans à avoir un bébé, qui reste pour moi la satire la plus mordante sur le wokisme). Mais encore une fois, il s’agit d’une charge INTELLIGENTE, qui ne cherche pas à choquer mais à faire passer un message positif.

              [D’ailleurs, pour comprendre et rire de « La vie de Brian », il FAUT avoir une culture chrétienne, sinon on ne comprend rien ! « La vie de Brian » ne remet pas véritablement en cause l’héritage chrétien, il s’en moque parce que ça fait partie de la culture commune. Et je vais vous étonner : je pense qu’il est extrêmement sain de prendre de la distance, sur un mode humoristique, par rapport au christianisme. Cela évite la bigoterie que vous signalez.]

              Tout à fait. Le film en question, contrairement au tableau du spectacle, est une satire intelligente. C’est un véritable détournement, au sens où il n’est compréhensible que si l’on connaît l’original. Et ce genre de satire contribue à maintenir l’original présent à l’esprit. A l’opposé, le tableau en question ne cherchait qu’à choquer, sans qu’il y ait de véritable « détournement ». On pouvait reconnaître la disposition de la Cène, mais cette reconnaissance n’ajoutait rien au spectacle, ne transmettait aucun message.

              [Maintenant concernant la « référence » à la Cène au cours de la cérémonie des JO, quelques remarques s’imposent : d’abord, ce n’est pas drôle. Enfin, je ne sais pas vous, mais moi, ça ne m’a pas fait rire. Je trouve même cela un peu triste quand on n’a plus que la provocation pour exister.]

              Oui. C’est pour cela que j’ai du mal à m’insurger contre cette séquence, puisqu’elle aboutit à un résultat inverse à celui que visaient ses auteurs. Si le but était d’associer – comme le titre du tableau le suggérait – les drag-queen et autres travestis à l’idée de « festivité », c’est raté. J’ai trouvé au contraire ce tableau d’une tristesse infinie : des gens qui, comme vous dites, ne peuvent exister qu’en choquant l’autre sans avoir rien à transmettre me font de la peine. Non seulement parce que cela suppose une incapacité à accepter ce que l’on est, mais aussi parce que c’est une fuite en avant : comme l’être humain s’habitue, pour pouvoir « choquer » il faut aller chaque fois plus loin. Il y a un siècle, on « choquait » en apparaissant publiquement en short. Aujourd’hui, pour « choquer » il faut apparaître en drag-queen ou à poil peint en bleu. Demain, faudra-t-il assassiner quelqu’un sur scène pour paraître « transgressif » ?

              [La deuxième chose, c’est le contexte : la même scène dans une « marche des fiertés », j’aurais compris, je ne dis pas que j’aurais approuvé mais j’aurais compris le message : les drag queens « règlent leurs comptes » avec l’Église qui est quelque peu réservée sur leur mode de vie.]

              Là, je ne vous suis pas. En quoi le fait de simuler la Cène en drag « règle des comptes » avec l’Eglise ? On revient au problème de « l’intelligence ». Quel est le message qui est transmis en imitant la disposition de la Cène habillé en drag ? Je dirais même que c’est un contresens : si l’église catholique a eu un tel succès, cela tient au fait qu’elle était « universelle », autrement dit, qu’elle n’était pas limitée à une communauté donnée, mais qu’elle était ouverte à tous. A la rigueur, une Cène avec UN personnage en drag aurait transmis un message d’ouverture. Mais une Cène avec TOUS les personnages en drag… non.

              [Mais là, nous étions censés nous « rassembler », dans une cérémonie oecuménique, et cette Cène sonnait comme un petit tacle gratuit à l’encontre d’un secteur de la société jugé « pas assez progressiste ». Je trouve cette façon de faire détestable.]

              Oui, mais encore une fois, j’ai du mal à m’insurger parce que le résultat n’est pas celui voulu par les auteurs. Le tableau – si j’en crois aux échanges que j’ai pu avoir avec des gens divers – a plus été perçu comme une tentative d’un petit groupe snobinard de faire un hold-up sur la cérémonie que comme un appel à rejeter un secteur « pas assez progressiste ». J’ai l’impression que ce tableau a surtout montré publiquement l’incapacité de ces soi-disant « progressistes » à articuler un message positif. Parce que, comme vous le signalez, ce tableau était triste, terriblement triste.

              [D’ailleurs, je n’aurais pas apprécié ce type de référence pour l’islam, l’hindouisme ou tout autre religion. Ce n’était tout simplement pas le lieu. Et dernière chose, je n’aime pas qu’on me prenne pour un imbécile : une fois la polémique lancée, on a essayé de nous faire croire que non non, ce n’était pas la Cène mais une référence à un tableau représentant un festin de Bacchus, sauf que, comme vous l’avez signalé d’ailleurs, ledit tableau est une Cène déguisée. Les ecclésiastiques ont beaucoup de défauts, mais en général ils connaissent leurs classiques. D’ailleurs, le prêtre que je citais plus haut était particulièrement agacé par cette tentative de noyer le poisson en prétendant que seuls des ignares avaient vu une référence à la Cène.]

              Mais là encore, le message est significatif. On cherche à choquer… mais une fois qu’on a choqué, on n’assume pas. En voyant ces palinodies, je me suis posé la question du pourquoi. Je me demande si les concepteurs du tableau avaient vraiment conscience du caractère choquant de ce qu’ils ont fait. Vous savez, ces gens là vivent immergé dans une collectivité étroite de gens qui pensent comme eux, pour qui « dépoussiérer les traditions » (autrement dit, cracher sur elles) est un comportement presque naturel et donc jamais remis en cause.

              [Je suis d’accord. Avec cette nuance que j’ai l’impression, en tant que chrétien, que l’on se permet avec le christianisme ce qu’on n’ose plus guère se permettre avec d’autres religions. Ce qui me pose problème, c’est que près de 10 ans après le carnage de Charlie, les frères Kouachi ont gagné : avec l’islam, chacun fait maintenant preuve de la plus grande prudence. Quel message envoie-t-on aux autres religions, et notamment au christianisme ? Qu’il faut se faire respecter par la violence ?]

              Ça, c’est une évidence. Toutes les croyances sont égales, mais certains sont plus égales que d’autres. On sait bien qu’on peut cracher à la gueule des chrétiens ou des communistes sans que cela ne vous coûte un centime. Mais il est tout bonnement impossible de faire un spectacle qui cracherait sur l’Islam : les assureurs refuseraient de vous assurer. C’est l’Opéra de Genève qui, il y a quelque temps déjà, avait eu ce problème : dans une mise en scène d’un opéra de Mozart, on mettait sur scène les têtes du Christ, de Bouddha et de Mahomet. Les assureurs ont mis le holà, et la tête de la discorde a été retirée.

              [« Il ne faut pas confondre la République et les individus, même rémunérés par l’argent public. » Alors là, je ne suis pas d’accord, mais alors pas du tout. Le professeur, l’enseignant, quand il est en chaire, incarne la République et son ambition d’instruire le peuple. Quand il raconte n’importe quoi, qu’il diffuse, sous couvert de travail scientifique, une idéologie plus que discutable – qui au passage sème les graines de la discorde – et qu’il n’est pas sanctionné, alors c’est que la République a failli.]

              Vous savez que je partage ce point de vue. Ma remarque ne visait pas les fonctionnaires, qui sont tenus à l’obéissance hiérarchique et à la mise en œuvre loyale de la politique décidée par leur institution. Je pensais plutôt aux artistes qui travaillent sur commande publique.

              [« Quelque soient les discours idéologiques, les institutions de la République sont toujours fondées sur l’idée que « [la France] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». » Je ne voudrais pas être désagréable mais c’est vous-même qui m’aviez affirmé que les ministères avaient de fait mis en place des « chartes de la diversité ». Alors l’égalité…]

              Mais justement, la mise en œuvre de ces « chartes » illustrent tout à fait le fait que pendant que certains individus seraient ravis d’instituer des discriminations positives, les institutions refusent ce type de discrimination. Les recruteurs se trouvent donc devant une injonction contradictoire : d’un côté, l’institution leur dit de ne recruter dans chaque cas particulier que sur la compétence – et le juge administratif est là pour le contrôler. De l’autre, il faut qu’à la fin de l’année il ait recruté tel pourcentage de femmes, tel pourcentage de personnes « issues de la diversité ». Je vous assure que cela donne des situations tragi-comiques.

              [« Et lorsqu’on meurt pour la France, c’est pour cela qu’on meurt. » Peu de gens aujourd’hui sont prêts à mourir pour la France. Il faudrait peut-être se demander pourquoi…]

              J’ai envie de vous répondre que notre pays a moins besoin de gens qui « prêts à mourir pour la France » que de gens prêts à vivre pour elle, ce qui est souvent bien plus difficile. Mais je suis d’accord sur le fond avec vous. C’était un peu le sens de mon papier : je regrette que nous ne puissions manifester notre patriotisme – ce n’est pas là un gros mot pour moi – qu’en agitant des petits drapeaux dans des stades. Croyez-moi si vous le voulez, mais je me suis beaucoup demandé pourquoi ce patriotisme des simples, qui a fait que tant de paysans ont quitté leur terre pour aller se battre dans les tranchées, mais aussi celui qui a fait les grandes réalisations et les grands programmes industriels, n’est plus à la mode. Je pense que cela tient à l’évolution du capitalisme vers un modèle postnational. Le capitalisme national permettait une forme de solidarité interclasses, dans la mesure où chacun avait besoin de l’autre et qu’il était donc possible de concevoir un projet de société qui soit désirable pour tous. Le patronat « national » pouvait rechigner à payer la sécurité sociale ou les retraites, mais il comprenait très bien l’avantage qu’il en tirait en termes de qualité de la main d’œuvre et de paix sociale. Et à l’inverse, les syndicats et les partis ouvriers comprenaient l’intérêt de voir l’outil de production français préservé et amélioré, et étaient conscients que c’est par là que passait l’amélioration des salaires et des conditions de travail. Pas étonnant que, dans ces conditions, ouvriers et bourgeois fussent ensemble disposés à « mourir pour la patrie », c’est-à-dire, pour défendre ce pacte économique et la superstructure sociale qui va avec.

              Mais nous sommes entrés maintenant dans l’ère du capitalisme postnational. Pour le capitaliste, aujourd’hui, l’ouvrier « national » n’est qu’une ressource parmi d’autres, qu’on peut facilement échanger pour un ouvrier étranger – soit en le faisant travailler dans son pays, soit ne le faisant venir chez nous – souvent beaucoup moins cher. Une scission profonde est donc apparue entre les couches populaires, peux mobiles, et des classes dominantes mobiles qui mettent leurs œufs dans le panier qui rapporte le plus, sans se soucier des frontières. Pourquoi voulez-vous que quelqu’un aille mourir pour préserver une telle situation ?

              [« Aucune loi ne m’oblige à serrer la main à qui que ce soit. » La loi, non. Mais la décence commune, la politesse, le respect des convenances, si.]

              C’était mon point : si c’est une violation de la loi, alors il faut qu’il y ait une sanction institutionnelle. Si c’est une violation de la décence commune, de la politesse, alors la sanction ne peut être que sociale.

              [Et puis, il y a la question du symbole : refuser de serrer la main à de Gaulle président, cela pouvait avoir du sens. Refuser de serrer la main à Jean-Marie le Pen, cela pouvait se défendre. Refuser de serrer la main à un jeune député fraîchement élu au prétexte qu’il est membre du RN, c’est lamentable.]

              Mais c’est un symbole tout de même. Un symbole de sectarisme.

              [Je dirai simplement que votre position ne suscite chez moi aucun enthousiasme. Mais c’est là la quintessence de notre différence. Vous êtes un haut fonctionnaire, parisien, issu de l’immigration, vous avez travaillé à l’étranger, vous êtes de tradition marxiste, vous êtes un homme des Lumières et de la modernité, un républicain universaliste. Moi, je suis un fonctionnaire moyen, provincial, Français « de souche », qui a toujours vécu et travaillé en France, je suis de tradition catholique, je suis un conservateur, au fond un romantique avant tout attaché à la dimension patrimoniale et esthétique de la nation, bref un nationaliste identitaire pour parler franchement. Je me réjouis que le dialogue entre nous soit possible – il devient si difficile, comme vous le dites, de discuter avec des gens différents – mais clairement nous n’avons pas les mêmes objectifs.]

              Ce dont j’essaye de vous convaincre, ce n’est pas que nos objectifs sont les mêmes, mais que nos objectifs sont au moins compatibles. Je me reconnais un peu dans le portrait que vous dressez de moi – sauf le qualificatif de « parisien », qui peut avoir plusieurs significations : contrairement à ce que vous pouvez penser, j’ai fait l’essentiel de ma carrière en province. Mais si je suis un homme « des Lumières et de la modernité », je ne suis nullement un homme « de rupture », un partisan fervent des « tables rases ». Au contraire, parce que marxiste, je suis convaincu que les hommes sont les produits d’une histoire. Et qu’il est donc essentiel de garder un lien avec cette histoire. C’est pourquoi je ne conçois pas le combat révolutionnaire comme un rejet du passé, des traditions, des identités, des institutions, mais comme le dépassement dialectique des contradictions qu’il peut y avoir entre ces éléments et la modernité.

              Je pense que nous sommes tous deux des « nationalistes identitaires », mais que nous n’avons pas la même vue de la question de l’identité. Pour vous, elle ne peut être que réelle : elle vous vient de vos ancêtres qui se sont battus pour construire le pays. Pour moi, elle peut aussi être symbolique, et se construire à partir de la volonté d’assimilation. Deux visions qui s’expliquent parfaitement à partir de nos expériences…

            • Carloman dit :

              @ Descartes & Manchego,
               
              Avant de poursuivre cet échange, je me permets quelques remarques liminaires. D’abord, je ne suis pas l’inventeur de l’expression « Français de souche ». J’ai d’ailleurs longtemps employé d’autres expressions comme « Français natifs » ou « Français autochtones ». L’expression « Français de souche » est couramment employée, donc je l’utilise. Je n’ai pas été élevé dans l’idée que j’étais un « Français de souche ». Ce sont les autres, les immigrationnistes, les métissolâtres de gauche comme de droite, qui m’ont renvoyé à ce statut de « Français de souche », de manière d’ailleurs un peu péjorative, un peu méprisante. Le Français de souche c’est celui qui n’a pas la diversité dans le sang, qui n’a pas l’insigne privilège d’avoir le fameux « grand-parent immigré » dont tout le monde devrait s’enorgueillir (du moins d’après une certaine gauche »), n’est-ce pas. Et il s’est produit, je l’avoue, une forme d’ « inversion du stigmate » : certains se vantent de ne pas être Français de souche ? Certains trouvent que le Français de souche est le reliquat d’une France qui leur donne la nausée ? Eh bien, je me revendique de cette tribu de pestiférés que sont les Français de souche, sans lesquels, faut-il le rappeler, ce beau pays de France n’existerait pas.
               
              Ensuite, « Français de souche » n’est pas pour moi synonyme de « Français » et encore moins de « bon Français ». Manchego m’interrogeait sur ce que serait un blanc de « bonne souche ». Je n’en sais rien. Il y a des Français de souche qui sont détestables, il y a des Français de souche qui n’aiment pas la France, qui la quittent ou qui privilégient une autre identité (européenne, régionaliste). Et il y a des Français immigrés qui sont des gens bien.
               
              La dernière chose que je veux signaler est que je ne suis pas un idéologue professionnel, j’avoue humblement ne pas avoir écrit une étude de 500 pages pour définir ce qu’est un Français de souche. Et je n’envisage pas de le faire.
               
              [J’anticipe à tort peut-être, mais je pense que vous retiendrez la première solution.]
              Oui. Dès lors que la terre ancestrale (si elle est dans la continuité géographique du territoire français) se trouve intégrée au territoire national, ses habitants autochtones deviennent des « Français de souche ». Ce qui fait qu’on peut en effet, de manière transitoire, être Français de souche ET Français récent. Napoléon Bonaparte et sa fratrie sont de bons exemples. Mais je dois dire qu’il n’y a là rien de choquant à mes yeux.
               
              [Et cette précision illustre très bien votre conception de l’enracinement. Il est lié à la terre, et non aux institutions politiques.]
              Oui. Étymologiquement, « autochtone » veut dire « engendré par la terre » (sous-entendu qu’il habite). Après, il faut que les institutions accordent à l’ensemble des habitants du nouveau territoire les droits que possèdent les autres Français. Si ce n’était pas le cas, on aurait affaire à une colonie, et non à une nouvelle province. Mais il me semble que les Bretons, les Alsaciens, les Lorrains, les Corses sont devenus « sujets du roi de France » à l’égal des autres lors de leur intégration au royaume, voire avec quelques privilèges pour s’attacher leur loyauté. Il faudrait vérifier, mais il me semble que Louis XIV s’est bien gardé de persécuter les Luthériens d’Alsace. Les Savoyards et les Niçois ont immédiatement été comptés au nombre des citoyens français. Une fois la terre annexée, il convient de conquérir les coeurs de ses habitants. Pour l’avoir compris, Charles V a bien mérité son surnom de « Sage », et il a ouvert la voie à une forme de révolution qui à terme a permis à ses successeurs de remporter la Guerre de Cent ans : les habitants du royaume n’étaient plus seulement des gens qu’il fallait piller et pressurer, mais des sujets qu’il fallait protéger, à qui on devait garantir l’ordre et la justice. C’est à ce prix que le roi a obtenu le consentement à l’impôt en même temps qu’un attachement des populations à la couronne, désormais associée à l’idée de patrie. Ce n’est pas encore la nation moderne, parce que la « solidarité » et la loyauté sont attachées à la couronne et à la personne du roi. Mais c’est le début d’un processus, une sorte de proto-nation.
               
              [Autrement dit, le Français naturalisé devient « de souche » dès lors qu’il vient avec sa terre.]
              Je ne suis pas sûr d’avoir compris. Un immigré qui vient avec un pot de terre de son pays d’origine ne devient pas Français de souche…
               
              [Si vous êtes cohérent, vous devriez appliquer la même règle aux Savoyards ou aux Niçois.]
              Je ne vois pas pourquoi. Les Savoyards et les Niçois n’ont pas migré. C’est leur terre ancestrale qui est devenue française.
               
              [Ils ne sont donc pas, selon vos critères, des « français de souche »… ]
              J’ai répondu à cela. On peut être, de manière transitoire, Français de souche et Français récent. Dans beaucoup de régions annexées tardivement (Lorraine, Corse, Comtat Venaissin, Mulhouse, Savoie, Nice), les populations sont passées par cette étape. Où est le problème ? Par ailleurs, toutes ces populations, voisines de la France souvent depuis des siècles, parfois même sous influence française, étaient blanches et majoritairement de confession catholique la plupart du temps. Autant d’éléments qui ne pouvaient que favoriser une rapide intégration.
               
              [Quand il enterre ses parents en France plutôt que dans leur pays d’origine, d’une certaine façon il « fait souche ». Quand il élève ses enfants sans autre appartenance nationale que la française, lorsqu’il les marie à des familles ayant des ancêtres français sur plusieurs générations, d’une certaine façon il « fait souche ». Lorsqu’il s’investit dans l’action publique et laisse derrière lui une œuvre qui vit dans la mémoire publique, il « fait souche ». Lorsqu’il s’engage dans les armées françaises, et combat et meurt pour la Patrie, il « fait souche ».]
              Mais je ne conteste pas que des familles immigrées puissent « faire souche ». Simplement, cela prend du temps, cela suppose de « se fondre » dans la masse (on retrouve là votre marotte, cher Descartes, notre fameuse assimilation), d’adopter pleinement la culture français, et donc d’abandonner progressivement toute spécificité liée à des origines étrangères, et ce jusque dans la sphère privée. Cela, concrètement, signifie couper les ponts avec le pays d’origine, renoncer à la nationalité de l’ancêtre immigré (si on a la possibilité d’en hériter), donner des prénoms français à ses enfants, adopter la sociabilité française (saucisson et pinard inclus). Si, au fur et à mesure des générations, certains conservent dans la sphère privée et dans la façon de vivre des habitudes différentes de celles des autochtones, alors tôt ou tard, ils seront regardés comme une communauté à part, et le risque de rejet reviendra à l’occasion d’une crise. C’est pour cela que je plaide pour une relative homogénéité : j’y vois un gage de paix intérieure. Et cela suppose donc que les immigrés soient relativement peu nombreux, afin de ne pas bouleverser les équilibres démographiques en défaveur des natifs.
               
              Nous parlons de race, de culture, de religion comme si ces différents éléments étaient distincts. Mais, dans les faits, appartenances ethnique, religieuse et culturelle sont bien souvent intimement liées.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [L’expression « Français de souche » est couramment employée, donc je l’utilise. Je n’ai pas été élevé dans l’idée que j’étais un « Français de souche ». Ce sont les autres, les immigrationnistes, les métissolâtres de gauche comme de droite, qui m’ont renvoyé à ce statut de « Français de souche », de manière d’ailleurs un peu péjorative, un peu méprisante. Le Français de souche c’est celui qui n’a pas la diversité dans le sang, qui n’a pas l’insigne privilège d’avoir le fameux « grand-parent immigré » dont tout le monde devrait s’enorgueillir (du moins d’après une certaine gauche »), n’est-ce pas. Et il s’est produit, je l’avoue, une forme d’ « inversion du stigmate » : certains se vantent de ne pas être Français de souche ? Certains trouvent que le Français de souche est le reliquat d’une France qui leur donne la nausée ? Eh bien, je me revendique de cette tribu de pestiférés que sont les Français de souche, sans lesquels, faut-il le rappeler, ce beau pays de France n’existerait pas. (…) La dernière chose que je veux signaler est que je ne suis pas un idéologue professionnel, j’avoue humblement ne pas avoir écrit une étude de 500 pages pour définir ce qu’est un Français de souche. Et je n’envisage pas de le faire.]

              Si j’ai plaisir à discuter ces sujets avec vous, c’est parce que je sais que ce sont des sujets sur lesquels vous avez beaucoup réflechi, sur lesquels vous avez des opinions construites que vous exprimez sans fard. Mais comme je sais aussi que c’est un sujet passionnel chez vous, j’ai toujours un peu peur de vous offenser sans le vouloir. C’est pourquoi ne vous prie de ne voir dans mes commentaires des remises en cause ni personnelle, ni intellectuelle. J’essaye, au contraire, de comprendre votre conception de ces sujets, et éventuellement de vous mettre devant les contradictions que je peux observer pour faire avancer le débat. Nous ne sommes pas dans une soutenance de thèse.

              Sur le fond : Je pense que la grandeur de la France c’est aussi le fait de ne pas faire de différence juridique entre ses habitants « de souche » et ceux qui ont rejoint le giron français plus récemment. Mais le droit n’est pas tout. Je suis personnellement persuadé que celui qui veut rejoindre une collectivité et être reconnu comme membre à part entière – communauté qui le préexiste et qui ne lui a rien demandé – a d’abord un devoir d’humilité et de reconnaissance. Après tout, s’il veut rejoindre cette collectivité, c’est parce que celle-ci a des éléments qui l’attirent, parce que la vie en sons sein y est belle, plus belle que dans sa collectivité d’origine. Et si tel est le cas, c’est grâce aux gens qui y étaient avant son arrivée et leurs ancêtres, à leur travail, à leur effort.

              Il y a aujourd’hui, surtout à gauche, une lecture purement « juridique » de la question. L’étranger naturalisé – certains vont étendent même cette idée à l’étranger résident – est un Français comme les autres. Puisque la loi ne fait pas de distinction, il n’y a pas lieu de la faire, et reconnaître quoi que ce soit aux Français « de souche » qu’on ne reconnaîtrait pas aux Français « d’adoption » serait une négation de la République. Pour moi, ce « juridisme » étroit ignore la complexité d’une réalité qui va bien plus loin que le droit. Ce n’est pas parce que la loi nous accorde le droit de faire certaines choses qu’il est « bien » pour l’équilibre social de le faire. Aucune loi ne nous oblige à dire « bonjour » au conducteur en montant dans le bus, et pourtant un monde où les gens disent « bonjour » est plus agréable qu’un monde où les gens s’ignorent. S’il n’y a pas lieu de reconnaître juridiquement une différence, je rends personnellement hommage, moi l’étranger « assimilé », à ces générations de Français qui avant moi ont constitué le pays et modelé ces paysages que j’ai fait miens, et dont je suis si fier aujourd’hui. Et je n’ai pas honte de le dire. Je ne les considère pas « supérieurs » à moi de quelque manière que ce soit, mais je me reconnais une dette envers eux.

              Je pense que le mépris pour l’idée de « souche » est en fait une manifestation de quelque chose de bien plus grave, qui est le rejet de la filiation. Nous aboutissons socialement à un « individu roi » qui « se fait de lui-même » et qui par conséquent ne veut devoir rien à personne. La société, les ancêtres, les maîtres, les chefs ne sont pas des entités à qui nous devons ce que nous sommes, mais plutôt des obstacles qui nous empêchent de nous épanouir, de devenir ce que nous sommes « réellement ». Nous n’avons donc envers eux aucun devoir d’humilité ou de reconnaissance. C’est de là aussi que vient la rupture dans le rapport millénaire entre droits et devoirs : l’individu ne doit plus rien à personne, mais la société lui doit tout sans contrepartie.

              [« J’anticipe à tort peut-être, mais je pense que vous retiendrez la première solution. » Oui. Dès lors que la terre ancestrale (si elle est dans la continuité géographique du territoire français) se trouve intégrée au territoire national, ses habitants autochtones deviennent des « Français de souche ». Ce qui fait qu’on peut en effet, de manière transitoire, être Français de souche ET Français récent. Napoléon Bonaparte et sa fratrie sont de bons exemples. Mais je dois dire qu’il n’y a là rien de choquant à mes yeux.]

              Je ne dis pas que ce soit « choquant », mais cela éclaire je trouve voter conception de ce qu’est l’enracinement. J’irai jusqu’à dire que pour vous on est « de souche » bien avant d’être « Français de souche ». Pour le dire autrement, pour vous il existe des individus « de souche », enracinés dans un territoire. Mais cette qualité n’implique aucune référence nationale. Ce territoire peut appartenir aujourd’hui à l’Italie, demain à la France. Et à chaque changement, ils resteront « de souche » mais affiliés – temporairement quelquefois – à la nation qui exerce la souveraineté sur eux. Ainsi, par exemple, si je me fie à votre conception, les Alsaciens « de souche » ont été « Français de souche » avant 1870, « Allemands de souche » enter 1870 et 1914, « Français de souche » entre 1914 et 1940, « Allemands de souche » entre 1940 et 1944, et à nouveau « Français de souche » après 1945 (et jusqu’à une date indeterminée…).

              Cette conception ne me « choque » pas. Mais j’aurais tendance à y voir une vision qui est pertinente dans le contexte de l’histoire pré ou proto-nationale, « westphalienne » si vous voulez, mais qui le deviens de moins en moins avec la constitution de l’état-nation moderne, qui remplace en grande mesure l’enracinement dans une collectivité territoriale par un enracinement politique, la solidarité personnelle entre les membres d’une communauté villageoise qui se connaissent et sont souvent parents par la solidarité impersonnelle entre des gens qui partagent une filiation symbolique.

              [« Et cette précision illustre très bien votre conception de l’enracinement. Il est lié à la terre, et non aux institutions politiques. » Oui. Étymologiquement, « autochtone » veut dire « engendré par la terre » (sous-entendu qu’il habite). Après, il faut que les institutions accordent à l’ensemble des habitants du nouveau territoire les droits que possèdent les autres Français. Si ce n’était pas le cas, on aurait affaire à une colonie, et non à une nouvelle province. Mais il me semble que les Bretons, les Alsaciens, les Lorrains, les Corses sont devenus « sujets du roi de France » à l’égal des autres lors de leur intégration au royaume, voire avec quelques privilèges pour s’attacher leur loyauté. Il faudrait vérifier, mais il me semble que Louis XIV s’est bien gardé de persécuter les Luthériens d’Alsace. Les Savoyards et les Niçois ont immédiatement été comptés au nombre des citoyens français. Une fois la terre annexée, il convient de conquérir les cœurs de ses habitants. Pour l’avoir compris, Charles V a bien mérité son surnom de « Sage », et il a ouvert la voie à une forme de révolution qui à terme a permis à ses successeurs de remporter la Guerre de Cent ans : les habitants du royaume n’étaient plus seulement des gens qu’il fallait piller et pressurer, mais des sujets qu’il fallait protéger, à qui on devait garantir l’ordre et la justice. C’est à ce prix que le roi a obtenu le consentement à l’impôt en même temps qu’un attachement des populations à la couronne, désormais associée à l’idée de patrie. Ce n’est pas encore la nation moderne, parce que la « solidarité » et la loyauté sont attachées à la couronne et à la personne du roi. Mais c’est le début d’un processus, une sorte de proto-nation.]

              Tout à fait. Je pense que vous développez ici un peu la même idée que je construisais plus haut, celle du fait que la nation n’est pas une pure construction juridique. Comme vous le dites, une fois un territoire juridiquement incorporé à la couronne, il a fallu comme vous dites « conquérir les cœurs » et, bien plus tard, construire les rapports de solidarité, d’abord attachés à la personne du roi, puis à l’idée impersonnelle de l’Etat. Et vous n’insistez pas sur le point, mais qui me semble important dans le cadre de cette discussion, de la différenciation des statuts – tant sur le plan symbolique que juridique – que fait la monarchie entre les « enracinés » et les « déracinés », entre les paysans attachés à la terre et les Juifs (à qui le travail ou la possession de terres était interdit) ou les artisans itinérants. Ce n’est qu’avec la constitution de l’Etat-nation moderne que ces différences juridiques disparaissent.

              [« Autrement dit, le Français naturalisé devient « de souche » dès lors qu’il vient avec sa terre. » Je ne suis pas sûr d’avoir compris. Un immigré qui vient avec un pot de terre de son pays d’origine ne devient pas Français de souche…]

              Ne vous faites pas plus bête que vous ne l’êtes… je faisais référence au fait que les Savoyards et les Niçois ont été « naturalisés » en même temps que la terre où ils étaient enracinés a été incorporée à la France. D’ailleurs, votre vision fabrique des contradictions étranges. Imaginez le cas du savoyard venu travailler en France en 1840 et naturalisé Français en 1850. Selon votre schéma, il ne peut être considéré comme Français « de souche » à cette date. Mais en 1860, du fait de l’annexion de la Savoie, il devient – sans qu’il y ait de sa part la moindre action, le moindre changement – « français de souche » du fait d’un traité signé par l’Empereur. Et si l’Empereur avait décidé de rétrocéder ce territoire à l’Italie, il aurait perdu sa condition de « de souche » à l’instant…

              En fait, je pense que ces contradictions tiennent au fait que vous n’énoncez pas une prémisse cachée que j’ai développé plus haut. Pour vous, on est « de souche » avant d’être « Français ». Vous divisez le monde entre « enracinés » et « déracinés ». Les « enracinés » sont attachés à une terre, et prennent la nationalité à laquelle la terre est attachée tout en restant « enracinés ».

              [« Si vous êtes cohérent, vous devriez appliquer la même règle aux Savoyards ou aux Niçois. » Je ne vois pas pourquoi. Les Savoyards et les Niçois n’ont pas migré. C’est leur terre ancestrale qui est devenue française.]

              Mais quid des Savoyards ou les Niçois qui ont migré et pris la nationalité française AVANT l’incorporation de leur « terre ancestrale » à la France ? Deviennent-ils « Français de souche » à la date de l’incorporation de leur terre ancestrale à la France ? Ou l’étaient déjà auparavant ? Et si cette terre était retournée à l’Italie, perdraient-ils la qualité de « Français de souche » ?

              [Mais je ne conteste pas que des familles immigrées puissent « faire souche ». Simplement, cela prend du temps, cela suppose de « se fondre » dans la masse (on retrouve là votre marotte, cher Descartes, notre fameuse assimilation), d’adopter pleinement la culture française, et donc d’abandonner progressivement toute spécificité liée à des origines étrangères, et ce jusque dans la sphère privée. Cela, concrètement, signifie couper les ponts avec le pays d’origine, renoncer à la nationalité de l’ancêtre immigré (si on a la possibilité d’en hériter), donner des prénoms français à ses enfants, adopter la sociabilité française (saucisson et pinard inclus). Si, au fur et à mesure des générations, certains conservent dans la sphère privée et dans la façon de vivre des habitudes différentes de celles des autochtones, alors tôt ou tard, ils seront regardés comme une communauté à part, et le risque de rejet reviendra à l’occasion d’une crise.]

              Je n’irais pas aussi loin. L’assimilation, c’est devenir semblable, et non devenir identique. Même entre « Français de souche », il y a des usages différents selon les origines régionales – c’est le cas en particulier dans les habitudes alimentaires – et cela n’implique pas un « risque de rejet ». On ne rejette pas les Bretons parce qu’ils mangent des crêpes, ou les Alsaciens parce qu’ils mangent de la choucroute. Au contraire, cela fait partie de l’acceptation d’une certaine diversité qui fait aussi la richesse d’une société. Que l’étranger assimilé continue à préparer les plats de son pays d’origine ne s’oppose pas à mon avis à ce qu’il « fasse souche ». La conservation dans la sphère privée – et j’insiste, dans la sphère privée – d’habitudes venues du pays d’origine ne me paraît pas empêcher de « faire souche », et le refus de manger de la viande du végan n’est pas plus dangereux pour l’unité de la nation que le refus du musulman de manger du porc. Le problème ne se pose que lorsqu’une communauté prétend faire de son usage privé dans la sphère publique, autrement dit, lorsqu’elle prétend imposer ses règles à l’ensemble de la société.

              [C’est pour cela que je plaide pour une relative homogénéité : j’y vois un gage de paix intérieure. Et cela suppose donc que les immigrés soient relativement peu nombreux, afin de ne pas bouleverser les équilibres démographiques en défaveur des natifs.]

              J’ai bien compris. La question est celle de la portée de cette « homogénéité ». Pour vous, il s’agit je pense d’une homogénéité ethnique et religieuse, pour moi une homogénéité culturelle – au sens large du terme, c’est-à-dire, incluant le cadre de référence et les modes de sociabilité – suffisent.

              [Nous parlons de race, de culture, de religion comme si ces différents éléments étaient distincts. Mais, dans les faits, appartenances ethnique, religieuse et culturelle sont bien souvent intimement liées.]

              C’est sur ce point que nos différences se concentrent. Je ne crois pas, personnellement, que la « race » (c’est-à-dire, l’ensemble des caractères génétiquement hérités) joue un rôle là-dedans. La question religieuse est plus complexe. Il est clair qu’une culture est un produit historique, et que l’institution religieuse occupe une place essentielle dans cette histoire. On peut difficilement comprendre l’histoire de France si l’on n’a pas les références chrétiennes en tête. Mais est-il besoin d’être chrétien – autrement dire, de croire vraiment – pour cela ? Je ne le pense pas. Je suis convaincu qu’il faut enseigner dans les écoles l’iconographie chrétienne, par exemple, parce qu’elle fait partie du cadre de référence indispensable à un bon citoyen français pour comprendre son histoire et ses institutions. Mais on peut apprendre l’iconographie chrétienne tout en état athée, juif ou musulman. Si vous me dites que pour être Français “assimilé” il faut connaître l’iconographie chrétienne, je serais d’accord avec vous. Si vous me dites qu’il faut être chrétien… je vous dirais non.

            • Carloman dit :

              @ Descartes & Manchego,
               
              [Mais comme je sais aussi que c’est un sujet passionnel chez vous, j’ai toujours un peu peur de vous offenser sans le vouloir.]
              Je serai malhonnête si je vous disais que ce sujet ne fait pas vibrer en moi la corde sensible.
               
              Mais je ne me sens nullement offensé. Je n’aime pas la culture de l’offense. J’accepte d’être bousculé dans mes idées. J’aimerais simplement que ceux qui pensent différemment acceptent aussi la réciproque. Bien évidemment, je ne dis pas ça pour vous, qui êtes d’une patience, d’une courtoisie et d’une bienveillance irréprochables.
               
              La raison de mon paragraphe tient au fait qu’il m’a semblé déceler chez Manchego – mais peut-être peut-il préciser lui-même les choses ? – une forme d’agacement concernant l’usage de l’expression « Français de souche ». Je voulais simplement rappeler que je ne suis pas à l’origine de cette usage.
               
              [Si j’ai plaisir à discuter ces sujets avec vous, c’est parce que je sais que ce sont des sujets sur lesquels vous avez beaucoup réflechi, sur lesquels vous avez des opinions construites que vous exprimez sans fard.]
              Pas tant que vous croyez… En fait les « opinions construites » que vous m’attribuez émergent pour une bonne part de nos discussions, parce que vous me contraignez chaque fois à préciser les choses, à bâtir un raisonnement cohérent, là où il n’y a en général à l’origine, à mes yeux, qu’une vague évidence intuitive.
               
              [C’est pourquoi ne vous prie de ne voir dans mes commentaires des remises en cause ni personnelle, ni intellectuelle.]
              C’est bien ainsi que je l’avais compris. Reprenons donc, si vous le voulez bien.
               
              [Il y a aujourd’hui, surtout à gauche, une lecture purement « juridique » de la question. L’étranger naturalisé – certains vont étendent même cette idée à l’étranger résident – est un Français comme les autres. Puisque la loi ne fait pas de distinction, il n’y a pas lieu de la faire, et reconnaître quoi que ce soit aux Français « de souche » qu’on ne reconnaîtrait pas aux Français « d’adoption » serait une négation de la République. Pour moi, ce « juridisme » étroit ignore la complexité d’une réalité qui va bien plus loin que le droit. […] Nous n’avons donc envers eux aucun devoir d’humilité ou de reconnaissance. C’est de là aussi que vient la rupture dans le rapport millénaire entre droits et devoirs : l’individu ne doit plus rien à personne, mais la société lui doit tout sans contrepartie.]
              Je suis d’accord avec ce développement.
               
              [J’irai jusqu’à dire que pour vous on est « de souche » bien avant d’être « Français de souche ». Pour le dire autrement, pour vous il existe des individus « de souche », enracinés dans un territoire.]
              Oui, parce que pour moi, il est clair que la patrie préexiste à la nation. Et donc, en effet, il y a des populations qui étaient « enracinées » sur ce qui allait devenir le territoire français, avant même qu’un sentiment national français ne pointe le timide bout de son nez à la toute fin du Moyen Âge.
               
              [Ainsi, par exemple, si je me fie à votre conception, les Alsaciens « de souche » ont été « Français de souche » avant 1870, « Allemands de souche » enter 1870 et 1914, « Français de souche » entre 1914 et 1940, « Allemands de souche » entre 1940 et 1944, et à nouveau « Français de souche » après 1945 (et jusqu’à une date indeterminée…)]
              L’exemple des Alsaciens est effectivement intéressant, parce qu’il montre bien le cas particulier de populations frontalières habitant des régions très disputées au cours de l’histoire. Oui, je dirais en effet que, d’une certaine manière, on est d’abord « Alsacien de souche » et ensuite Français ou Allemand « de souche » en fonction de l’État-nation qui contrôle l’Alsace.
               
              [Mais j’aurais tendance à y voir une vision qui est pertinente dans le contexte de l’histoire pré ou proto-nationale, « westphalienne » si vous voulez, mais qui le deviens de moins en moins avec la constitution de l’état-nation moderne, qui remplace en grande mesure l’enracinement dans une collectivité territoriale par un enracinement politique, la solidarité personnelle entre les membres d’une communauté villageoise qui se connaissent et sont souvent parents par la solidarité impersonnelle entre des gens qui partagent une filiation symbolique]
              C’est possible, j’avoue que je n’avais pas réfléchi à la question sous cet angle. Je pense qu’au coeur de ma vision des choses, il y a l’articulation entre patrie et nation. La nation, pour moi, est une extension de la patrie, à travers des liens de « solidarité impersonnelle », pour reprendre votre expression, liés à l’attachement et à la défense de la patrie. Car on l’a un peu oublié mais la France en tant que territoire a longtemps vécu sous la menace de l’invasion étrangère. Et la patrie, si elle peut être d’adoption, ne se conçoit pas pour moi sans une forme d’enracinement, la plupart du temps.
               
              [Ne vous faites pas plus bête que vous ne l’êtes… je faisais référence au fait que les Savoyards et les Niçois ont été « naturalisés » en même temps que la terre où ils étaient enracinés a été incorporée à la France.]
              Je vous prie de m’excuser, je n’étais pas certain d’avoir compris.
               
              [D’ailleurs, votre vision fabrique des contradictions étranges. Imaginez le cas du savoyard venu travailler en France en 1840 et naturalisé Français en 1850. Selon votre schéma, il ne peut être considéré comme Français « de souche » à cette date. Mais en 1860, du fait de l’annexion de la Savoie, il devient – sans qu’il y ait de sa part la moindre action, le moindre changement – « français de souche » du fait d’un traité signé par l’Empereur. Et si l’Empereur avait décidé de rétrocéder ce territoire à l’Italie, il aurait perdu sa condition de « de souche » à l’instant…]
              Je vous concède que vous touchez là les limites du « modèle » que je propose. Mais je vous dirai en substance que, au fond, le temps passant, le Savoyard immigré avant l’annexion comme le Savoyard vivant en Savoie au moment du rattachement seront comptés parmi les « Français de souche ».
               
              [Pour vous, on est « de souche » avant d’être « Français ».]
              Oui, parce qu’avant d’appartenir à une nation, on est lié à une patrie.
               
              [Vous divisez le monde entre « enracinés » et « déracinés ». Les « enracinés » sont attachés à une terre, et prennent la nationalité à laquelle la terre est attachée tout en restant « enracinés ».]
              Votre remarque est très judicieuse, et en fait vous avez raison… à ceci près, je m’en aperçois, que je n’ai pas tellement réfléchi à la problématique des « déracinés » dans mon modèle. Pour le dire autrement, j’ai tendance à voir tout le monde comme étant « enraciné » quelque part. Mais vous avez raison : quid des Juifs – dont l’enracinement a été légalement interdit comme vous le rappelez – des Tziganes, des forains ? La nation en effet peut avoir le mérite d’intégrer ces déracinés, de mettre fin à une série de discriminations. Quant à éliminer complètement les préjugés, c’est une autre histoire.
               
              [Et si cette terre était retournée à l’Italie, perdraient-ils la qualité de « Français de souche » ?]
              Pour les questions précédentes, vous me prenez en défaut, je l’admets. Pour cette dernière question, je vous répondrai qu’il faut prendre en compte la durée de l’intégration du territoire en question à la France. En 1870, les Alsaciens qui ont opté pour la France ne perdent pas leur statut de « Français de souche » parce que l’essentiel de l’Alsace est français depuis la deuxième moitié du XVII° siècle. Je pense que, le temps passant, l’appartenance d’un territoire (et donc de ses habitants) à la France se « naturalise ». Je note d’ailleurs que les Français ont accepté – certes contraints et forcés – en 1814-1815 de perdre ce qui allait constituer la Belgique occupée pendant près de 20 ans, et alors même que les Wallons sont francophones. Malgré cela, les territoires belges ne sont pas vraiment devenus des « terres irrédentes » pour les Français. En revanche, en 1870-1871, les Français ont très mal vécu la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. On peut bien sûr invoquer un approfondissement du sentiment national dans le courant du XIX° siècle. Mais j’ai tendance à penser que le fait que ces territoires aient été français depuis pas mal de temps – pas loin de deux siècles pour l’Alsace – a contribué à les faire considérer comme « naturellement » français, alors même que les Alsaciens ne sont pas francophones. Si Nice avait fait retour à l’Italie après, mettons 15 ans d’occupation française, je pense qu’il aurait été un peu tôt pour considérer un Niçois récemment immigré en France comme « Français de souche ».
               
              [La conservation dans la sphère privée – et j’insiste, dans la sphère privée – d’habitudes venues du pays d’origine ne me paraît pas empêcher de « faire souche », et le refus de manger de la viande du végan n’est pas plus dangereux pour l’unité de la nation que le refus du musulman de manger du porc.]
              Je suis très anti-végan, parce que, précisément, je vois dans le véganisme une menace pour la sociabilité sans laquelle il me paraît difficile de « faire nation ». De manière générale, je me méfie des interdits alimentaires ou des prescriptions vestimentaires parce que, qu’on le veuille ou non, cela crée de facto une frontière entre « ceux qui font comme moi » et les autres. Et je vois là un danger. Je le dis parce que, si je me souviens bien, vous m’aviez parlé lors d’un échange d’un couple de juifs de votre connaissance, issus de familles implantées depuis longtemps en France, et vous m’aviez demandé si je leur déniais le statut de « Français assimilés » au prétexte qu’ils suivaient strictement les prescriptions alimentaires du judaïsme. Je ne vous cache pas que je suis très partagé devant ce type de situation. D’un côté, je suis admiratif, je l’avoue, de l’attachement des Juifs à leurs traditions, à leurs écrits, à leur religion à travers les siècles et malgré les persécutions. Je ne dis pas ça pour essayer de me dédiaboliser, mais, en toute franchise, je ne pense pas être antisémite. D’un autre côté, le maintien de pratiques qui de facto risquent de limiter malgré tout les relations avec la majorité de la population me met un peu mal à l’aise.
               
              [Si vous me dites qu’il faut être chrétien… je vous dirais non.]
              Non, je ne vous dirais pas cela. D’abord, parce qu’en tant que chrétien, et même si cela s’est fait dans le passé, je suis contre l’idée d’imposer sa religion aux autres. Ensuite parce que les athées, les Juifs et d’autres sont allés mourir dans les tranchées. Qui suis-je pour retirer le titre de « bon et loyal Français » à ces héros, moi qui n’ai jamais risqué ma peau et mon petit confort pour ce pays ?
               
              Et je voudrais, si vous me le permettez, citer cette lettre d’un Poilu :
               
              Le 6 septembre 1917
              Mon Général
              Je me suis permis de demander à passer dans l’infanterie pour des motifs d’ordre personnel. Mon cas est en effet assez différent de celui de la plupart des combattants.
              Je fais partie d’une famille israélite, naturalisée française, il y a un siècle à peine. Mes aïeux, en acceptant l’hospitalité de la France, ont contracté envers elle une dette sévère; j’ai donc un double devoir à accomplir: celui de Français d’abord; celui de nouveau Français ensuite. C’est pourquoi je considère que ma place est là où les “risques” sont les plus nombreux.
              Lorsque je me suis engagé, à 17 ans, j’ai demandé à être artilleur sur la prière de mes parents et les conseils de mes amis qui servaient dans l’artillerie. Les “appelés” de la classe 1918 seront sans doute envoyés prochainement aux tranchées. Je désire les y devancer.
              Je veux après la guerre, si mon étoile me préserve, avoir la satisfaction d’avoir fait mon devoir. Je veux que personne ne puisse me contester le titre de Français, de vrai et de bon Français.
              Je veux, si je meurs, que ma famille puisse se réclamer de moi et que jamais qui que ce soit ne puisse lui reprocher ses origines ou ses parentés étrangères.
              J’espère être physiquement capable d’endurer les souffrances du métier de fantassin et vous prie de croire, mon Général, que de toute mon âme et de tout mon coeur je suis décidé à servir la France le plus vaillamment possible. Veuillez agréer, mon Général, l’assurance de mon profond respect et de mon entier dévouement.
              Henry LANGE
               
              (Source: Paroles de Poilus, sous la direction de Jean-Pierre Guéno, Librio, 1998, p.16)
               
              J’ai lu cette lettre 20 fois, et chaque fois je pleure, c’est plus fort que moi, encore au moment où je vous écris. Vous noterez qu’un peu moins d’un siècle après la naturalisation de sa famille, Henry Lange ne se considérait pas – encore – comme un « Français de souche », ce qui ne l’empêchait pas d’être bon et vrai Français. Et si je pleure, c’est parce que ce ne sont pas que des mots : Henry Lange est mort au champ d’honneur le 10 septembre 1918. Il avait 20 ans.
               
              Quel misérable je serais si j’exigeais d’un tel héros qu’il soit chrétien ? Après je vous dirais quand même qu’à mes yeux, il serait plutôt souhaitable qu’il reste quand même un nombre non-négligeable de Français chrétiens, pour que le lien avec l’héritage chrétien ne soit pas une pure fiction symbolique.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« J’irai jusqu’à dire que pour vous on est « de souche » bien avant d’être « Français de souche ». Pour le dire autrement, pour vous il existe des individus « de souche », enracinés dans un territoire. » Oui, parce que pour moi, il est clair que la patrie préexiste à la nation. Et donc, en effet, il y a des populations qui étaient « enracinées » sur ce qui allait devenir le territoire français, avant même qu’un sentiment national français ne pointe le timide bout de son nez à la toute fin du Moyen Âge.]

              C’était bien ce que j’avais cru comprendre. Je ne nie pas l’importance des « petites patries » dans la formation de la conscience nationale française. Mais j’en ai une vision plus dialectique : si la nation s’est constituée à partir des « petites patries » – au sens jaurésien du terme – elle s’est constituée aussi contre elles. Pour « enraciner » les Français dans la nation française, il a fallu au préalable les « déraciner » de leur petite patrie régionale : pour créer la solidarité impersonnelle entre tous les citoyens, il a fallu affaiblir les liens communautaires et les solidarités personnelles. C’est pourquoi la filiation entre patrie et nation n’est pas si évidente pour moi qu’elle ne l’est pour vous.

              [L’exemple des Alsaciens est effectivement intéressant, parce qu’il montre bien le cas particulier de populations frontalières habitant des régions très disputées au cours de l’histoire. Oui, je dirais en effet que, d’une certaine manière, on est d’abord « Alsacien de souche » et ensuite Français ou Allemand « de souche » en fonction de l’État-nation qui contrôle l’Alsace.]

              Ici, votre conception apparaît plus clairement. En fait, l’idée d’un individu « de souche » marque pour vous un attachement à un territoire étroit, à une « petite patrie », et n’est pas un concept rattaché à la nation. Pour vous, l’enracinement s’inscrit d’abord dans un territoire étroit, et non dans une collectivité nationale. Cette vision me paraît aujourd’hui archaïque, comme je l’explique dans le paragraphe qui suit :

              [« Mais j’aurais tendance à y voir une vision qui est pertinente dans le contexte de l’histoire pré ou proto-nationale, « westphalienne » si vous voulez, mais qui le deviens de moins en moins avec la constitution de l’état-nation moderne, qui remplace en grande mesure l’enracinement dans une collectivité territoriale par un enracinement politique, la solidarité personnelle entre les membres d’une communauté villageoise qui se connaissent et sont souvent parents par la solidarité impersonnelle entre des gens qui partagent une filiation symbolique » C’est possible, j’avoue que je n’avais pas réfléchi à la question sous cet angle. Je pense qu’au cœur de ma vision des choses, il y a l’articulation entre patrie et nation. La nation, pour moi, est une extension de la patrie, à travers des liens de « solidarité impersonnelle », pour reprendre votre expression, liés à l’attachement et à la défense de la patrie. Car on l’a un peu oublié mais la France en tant que territoire a longtemps vécu sous la menace de l’invasion étrangère. Et la patrie, si elle peut être d’adoption, ne se conçoit pas pour moi sans une forme d’enracinement, la plupart du temps.]

              Il y a quand même un point à préciser. La manière dont vous évoquez la « patrie » conduit plutôt à l’idée de « petite patrie » au sens jaurésien. On peut difficilement être enraciné au sens où vous l’entendez dans une « patrie » aussi vaste que la France. La « patrie » se réduit donc, pour l’enraciné, au territoire que vous habitez et connaissez, que vos ancêtres ont habité et connu, habité par des gens que vous connaissez et qui eux-mêmes descendent des gens qui ont connu vos ancêtres. Pour aller au-delà, il vous faut concevoir un attachement à un territoire et à des gens que vous ne connaissez pas, et on est donc dans le domaine de l’impersonnel, donc de la nation.

              [« Vous divisez le monde entre « enracinés » et « déracinés ». Les « enracinés » sont attachés à une terre, et prennent la nationalité à laquelle la terre est attachée tout en restant « enracinés ». » Votre remarque est très judicieuse, et en fait vous avez raison… à ceci près, je m’en aperçois, que je n’ai pas tellement réfléchi à la problématique des « déracinés » dans mon modèle. Pour le dire autrement, j’ai tendance à voir tout le monde comme étant « enraciné » quelque part. Mais vous avez raison : quid des Juifs – dont l’enracinement a été légalement interdit comme vous le rappelez – des Tziganes, des forains ? La nation en effet peut avoir le mérite d’intégrer ces déracinés, de mettre fin à une série de discriminations. Quant à éliminer complètement les préjugés, c’est une autre histoire.]

              C’est une tendance très humaine que de voir le monde à travers le prisme de sa propre histoire. Mais il faut bien voir l’évolution du monde : si la nation a remplacé les « petites patries », c’est parce que le modèle d’enracinement sur un territoire étroit n’était pas compatible avec le développement d’un capitalisme qui avait besoin de mobilité. Quand vous avez une majorité de gens qui ne vivent et qui ne meurent plus dans le territoire où ils sont nés, soit vous acceptez que se constitue une société de « déracinés », soit vous inventez d’autres formes « d’enracinement », différentes de celle que vous évoquez et qui suppose une certaine permanence des communautés sur un territoire. C’est un peu ce qui avait fait la troisième République et son « roman national », qui gérait le passage du patriotisme de village au patriotisme de la nation. Aujourd’hui, c’est la nation même que le capitalisme remet en cause. D’où les tentatives de trouver un « enracinement » dans un ensemble encore plus vaste – l’Europe – tentatives qui pour moi ses condamnées à l’échec pour les raisons que j’ai expliqué ici. L’affaiblissement de la nation et l’échec de sa supération construisent la société de « déracinés » que nous avons aujourd’hui.

              [« La conservation dans la sphère privée – et j’insiste, dans la sphère privée – d’habitudes venues du pays d’origine ne me paraît pas empêcher de « faire souche », et le refus de manger de la viande du végan n’est pas plus dangereux pour l’unité de la nation que le refus du musulman de manger du porc. » Je suis très anti-végan, parce que, précisément, je vois dans le véganisme une menace pour la sociabilité sans laquelle il me paraît difficile de « faire nation ».]

              Il me paraît important de faire ici la distinction entre sphère publique et sphère privée. Le véganisme « privé » n’est qu’une variante de la logique érémitique : un individu décide de se couper de la sociabilité humaine et de se priver de ses plaisirs. Ce genre de pratique a toujours existé, et n’a jamais eu grand effet sur la sociabilité générale. Le problème commence quand le véganisme devient « public », quand le végans prétendent faire de leur discours et leurs pratiques une norme universelle.

              [De manière générale, je me méfie des interdits alimentaires ou des prescriptions vestimentaires parce que, qu’on le veuille ou non, cela crée de facto une frontière entre « ceux qui font comme moi » et les autres. Et je vois là un danger.]

              C’est bien mon point. Tant qu’il s’agit d’une pratique personnelle, c’est-à-dire, dans la sphère privée, elle ne me pose pas de problème. Lorsqu’elle rentre dans la sphère publique, que la pratique devient un moyen de séparer la société en groupes soumis à des règles différentes, cela pose problème.

              [Je le dis parce que, si je me souviens bien, vous m’aviez parlé lors d’un échange d’un couple de juifs de votre connaissance, issus de familles implantées depuis longtemps en France, et vous m’aviez demandé si je leur déniais le statut de « Français assimilés » au prétexte qu’ils suivaient strictement les prescriptions alimentaires du judaïsme. Je ne vous cache pas que je suis très partagé devant ce type de situation. D’un côté, je suis admiratif, je l’avoue, de l’attachement des Juifs à leurs traditions, à leurs écrits, à leur religion à travers les siècles et malgré les persécutions. Je ne dis pas ça pour essayer de me dédiaboliser, mais, en toute franchise, je ne pense pas être antisémite. D’un autre côté, le maintien de pratiques qui de facto risquent de limiter malgré tout les relations avec la majorité de la population me met un peu mal à l’aise.]

              Nous sommes d’accord je pense. Il y a toujours un risque qu’une différence dans les pratiques ou les traditions, parfaitement respectable tant qu’elle reste dans la sphère privée, soit projetée dans la sphère publique, et c’est là que les problèmes commencent. C’est par exemple le cas des pratiques religieuses, qui pendant très longtemps ont servi à diviser la société en groupes soumis à des règles différentes. La laïcité – qui ne consiste pas, contrairement à ce que beaucoup de gens créent, au « respect de toutes les croyances », mais au cantonnement de la pratique religieuse à la sphère privée – a résolu, du moins sur le plan théorique, ce problème. Je pense que c’est là que se trouve la solution de voter dilemme : il faut appliquer le même principe à l’ensemble des pratiques « différentialistes ». Dans la sphère publique, il n’y a que des citoyens abstraits.

              Cela étant dit, la sphère publique a aussi une histoire. Autrement dit, les règles qui s’y appliquent ne sont pas anhistoriques, mais sont le produit d’une histoire, d’une culture, d’une forme de sociabilité. C’est pourquoi la sphère publique ne peut être culturellement neutre.

              [Et je voudrais, si vous me le permettez, citer cette lettre d’un Poilu : (…) « Mes aïeux, en acceptant l’hospitalité de la France, ont contracté envers elle une dette sévère ; j’ai donc un double devoir à accomplir : celui de Français d’abord ; celui de nouveau Français ensuite ».]

              Je pense qu’on pourrait difficilement résumer mieux ce que j’avais écrit dans nos échanges. Oui, je pense que tout Français a une dette de reconnaissance envers la collectivité nationale qui l’a constitué, et que le « nouveau Français » a une dette supplémentaire. Parce qu’il est venu dans un pays qui ne lui avait rien demandé, et parce qu’il bénéficie de ce que les ancêtres des autres y ont construit. Croyez que c’est un sujet sur lequel j’ai beaucoup réfléchi, et auquel d’ailleurs avaient réfléchi mes parents et mes grands-parents, puisque je suis au moins la troisième génération dans ma famille à me trouver dans cette situation.

              [J’ai lu cette lettre 20 fois, et chaque fois je pleure, c’est plus fort que moi, encore au moment où je vous écris.]

              C’est vrai qu’elle est très émouvante, surtout compte tenu des circonstances dramatiques dans lesquelles elle est écrite. Car ce que Lange demande, ce n’est pas que des mots, ou même un sacrifice mineur, c’est de pouvoir risquer sa vie pour le pays qui l’a accueilli. Comme vous l’imaginez, elle me touche profondément parce qu’elle rejoint mon expérience personnelle. Je ne sais pas si dans sa situation j’aurais eu le même courage. J’aimerais croire que oui. Mais en tout cas, c’est sur cette règle que j’ai calé mes rapports avec ce pays qui m’a accueilli – et très bien accueilli. Je suis tout à fait conscient de ma « double dette », et j’ai tout fait pour la payer…

              [Vous noterez qu’un peu moins d’un siècle après la naturalisation de sa famille, Henry Lange ne se considérait pas – encore – comme un « Français de souche », ce qui ne l’empêchait pas d’être bon et vrai Français.]

              Le problème, c’est qu’on fait de l’expression « Français de souche » une catégorie morale. Je ne vis pas le fait de ne pas être « de souche » comme une tare, et je ne me sens pas insulté lorsque quelqu’un constante que je ne le suis pas. C’est juste une autre façon de vivre son attachement à son pays. Il y a des « Français de souche » qui ont trahi la France, et des « nouveaux Français » qui se sont battus et sont morts pour elle.

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Mais j’en ai une vision plus dialectique : si la nation s’est constituée à partir des « petites patries » – au sens jaurésien du terme – elle s’est constituée aussi contre elles. Pour « enraciner » les Français dans la nation française, il a fallu au préalable les « déraciner » de leur petite patrie régionale]
              Ce point me paraît éminemment discutable, et il faut revenir là, je pense, à certaines spécificités de la population française dans le monde européen en cours d’industrialisation au XIX° et au début du XX° siècle.
               
              En France, il y a eu la Révolution, et celle-ci a eu des conséquences foncières considérables : le grand domaine, nobiliaire ou ecclésiastique, qui était la règle dans beaucoup de pays d’Europe, a été considérablement affaibli notamment par le démantèlement des grandes propriétés de l’Église. Et si, dans un premier temps, la bourgeoisie a été la première à investir dans les « biens nationaux », à terme ce processus a renforcé la petite et moyenne propriété paysanne (qui existait déjà avant 1789 dans un certain nombre de régions) notamment lorsque la bourgeoisie a compris qu’il y avait plus rentable que d’investir dans la terre. On trouve des situations très différentes en Angleterre et en Allemagne par exemple, où le poids des grands domaines et l’existence d’une masse de paysans pauvres et sans terre ont facilité l’exode rural. En France au contraire, la petite et moyenne propriété paysanne s’étant consolidée, le pays n’a connu qu’un exode rural assez modeste, qui a surtout touché, évidemment, les régions rurales les plus pauvres (Morvan, Creuse, Bretagne, régions montagneuses…). A quoi s’ajoute une transition démographique précoce. La conséquence de cela, outre un besoin de main-d’oeuvre immigrée pour l’industrie, est qu’à l’aube du XX° siècle, la France reste un pays très rural et agricole, à tel point que, en-dehors de quelques grandes villes et régions industrielles, on observe le développement d’industries en zones rurales, puisqu’il est très difficile de faire venir le paysan – même modeste – en ville.
               
              Cette situation, la III° République a dû la prendre en compte pour obtenir le ralliement des campagnes, et c’est pourquoi il me semble que vous sous-estimez le caractère « communaliste » de la III° République. En concevant chaque commune comme une « République en miniature » avec ses institutions (la mairie, l’école), les dirigeants républicains ont certes « converti » les campagnes à l’idée républicaine… mais, paradoxalement, cette conversion a pu s’accompagner d’une consolidation de la « petite patrie » désormais dotée de ses institutions, ses bâtiments symboliques, son maillage territorial – et à côté de la commune, le canton, avec son conseiller général élu, semble avoir eu aussi un rôle d’identification non-négligeable en certains endroits. Contrairement à ce qu’imaginent les régionalistes, la « petite patrie » des sociétés rurales traditionnelles s’apparente davantage au village ou au canton qu’à des ensembles régionaux plus vastes.
              Et je ne crois pas que la République se soit constituée « contre » ces petites patries. Simplement, la République est « communaliste » et non régionaliste.
               
              Pensez à la Guerre des boutons qui se déroule, je crois, sous la III° République : on voit la rivalité entre deux villages voisins, et on mesure l’attachement de chaque communauté à sa commune, à son terroir. Un attachement que le passage à la République ne semble pas affaiblir.
               
              [Cette vision me paraît aujourd’hui archaïque]
              Que voulez-vous, je me suis résolu à être un dinosaure, reliquat d’une époque révolue…
               
              [La « patrie » se réduit donc, pour l’enraciné, au territoire que vous habitez et connaissez, que vos ancêtres ont habité et connu, habité par des gens que vous connaissez et qui eux-mêmes descendent des gens qui ont connu vos ancêtres.]
              L’idée que je me fais de la patrie – je vais caricaturer un peu – c’est pouvoir dire, « voilà le (ou les) village(s) de France où sont enterrés mes ancêtres », un peu comme un point de référence familial, sentimental, symbolique. Cela ne suppose pas forcément de vivre concrètement dans ledit village. Je n’habite aucun des villages où ont vécu mes ancêtres, et je ne me sens nullement déraciné. Parce que je sais où se trouvent les villages où sont enterrés les arrière-grands-parents (et parfois leurs parents dans l’ancien cimetière de la commune). Et ce n’est pas une fiction : j’ai vu les tombes, j’y ai déposé des fleurs.
               
              C’est cela « être enraciné » pour moi. Après un immigré peut se choisir un lieu symbolique d’enracinement, comme Jean Ferrat dans son village ardéchois. C’est moins évident, mais ça reste possible. Lorsque je vous avais posé la question de ce « point de référence » pour vous, vous m’aviez répondu « Paris ». C’est pourquoi je vous ai qualifié de « Parisien » dans notre échange, sans malice aucune.
               
              [Pour aller au-delà, il vous faut concevoir un attachement à un territoire et à des gens que vous ne connaissez pas, et on est donc dans le domaine de l’impersonnel, donc de la nation.]
              Tout à fait. C’est pourquoi j’ai parlé de la nation comme une « extension » de la patrie. Extension géographique et humaine. Mais je n’y vois pas de contradiction. Je pense même que la patrie est une forme de pré-requis nécessaire à la constitution des nations.
               
              [Le problème commence quand le véganisme devient « public », quand le végans prétendent faire de leur discours et leurs pratiques une norme universelle.]
              Ne pensez-vous pas qu’il est illusoire de croire que de telles pratiques resteront cantonnées dans la sphère privée ? Le véganisme, le plus souvent, est l’expression d’une adhésion à une idéologie écologiste millénariste… Cela fait partie de la pénitence en attendant la fin du monde. Et cette « religion » me paraît portée au prosélytisme…

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Mais j’en ai une vision plus dialectique : si la nation s’est constituée à partir des « petites patries » – au sens jaurésien du terme – elle s’est constituée aussi contre elles. Pour « enraciner » les Français dans la nation française, il a fallu au préalable les « déraciner » de leur petite patrie régionale » Ce point me paraît éminemment discutable, et il faut revenir là, je pense, à certaines spécificités de la population française dans le monde européen en cours d’industrialisation au XIX° et au début du XX° siècle. (…) A quoi s’ajoute une transition démographique précoce. La conséquence de cela, outre un besoin de main-d’œuvre immigrée pour l’industrie, est qu’à l’aube du XX° siècle, la France reste un pays très rural et agricole, à tel point que, en-dehors de quelques grandes villes et régions industrielles, on observe le développement d’industries en zones rurales, puisqu’il est très difficile de faire venir le paysan – même modeste – en ville.]

              C’est vrai, et c’est pourquoi le « déracinement » est beaucoup plus tardif en France qu’en Grande-Bretagne par exemple. Mais si l’effet est tardif, il n’est pas moins réel, et se traduit par un véritable exode à partir des années 1950 – pensez à « La Montagne » de Ferrat.

              [Cette situation, la III° République a dû la prendre en compte pour obtenir le ralliement des campagnes, et c’est pourquoi il me semble que vous sous-estimez le caractère « communaliste » de la III° République. En concevant chaque commune comme une « République en miniature » avec ses institutions (la mairie, l’école), les dirigeants républicains ont certes « converti » les campagnes à l’idée républicaine… mais, paradoxalement, cette conversion a pu s’accompagner d’une consolidation de la « petite patrie » désormais dotée de ses institutions, ses bâtiments symboliques, son maillage territorial – et à côté de la commune, le canton, avec son conseiller général élu, semble avoir eu aussi un rôle d’identification non-négligeable en certains endroits.]

              Je ne partage pas votre analyse. La IIIème République est certes « communaliste » en ce qu’elle donne au maire un rôle symbolique central. Mais elle est aussi jacobine : le maire porte l’écharpe tricolore, et non les couleurs de la commune ou du « pays », et il est à la fois un élu local soumis à ses électeurs, et un fonctionnaire de l’Etat soumis au préfet. Si la commune joue un rôle important, le département est aussi un territoire d’identification, et le préfet reste un personnage très important de la vie locale. L’école est une institution « municipale » par ses bâtiments, mais elle relève de l’Etat pour ce qui concerne la désignation des instituteurs, qui ont eux aussi un rôle symbolique important, et qui sont placés en opposition aux « petites patries », notamment pour ce qui concerne l’usage des « patois » locaux.

              Je ne crois pas que la IIIème République ait consolidé la « petite patrie ». La meilleure preuve en est que les mouvements régionalistes ou localistes, qui revendiquaient ces « petites patries », ont été surtout le fait de réactionnaires anti-républicains…

              [Contrairement à ce qu’imaginent les régionalistes, la « petite patrie » des sociétés rurales traditionnelles s’apparente davantage au village ou au canton qu’à des ensembles régionaux plus vastes.]

              Cela dépend à quel niveau social. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque on se déplaçait relativement difficilement. Les paysans se déplaçaient fondamentalement à pied, à dos d’âne ou de mulet, et seuls les personnes relativement riches avaient des chevaux et pouvaient se payer des déplacements au-delà des villages voisins. Certains accidents géographiques – fleuves, montagnes – étaient d’ailleurs difficiles à franchir, et enfermaient les communautés dans des espaces relativement petits. Ainsi, par exemple, les deux rives de la Durance – rivière qui connaît des crues très brusques et dévastatrices, et dont le lit ne permet pas de construire des ponts avec les techniques disponibles avant le XXème siècle – ont connu un développement très différent, avec des contacts très réduits entre les populations. Dans ces conditions, la « petite patrie » du paysan se réduisait à son village, au village voisin – d’où venait par exemple sa femme – et à la rigueur au chef-lieu du canton où il allait pour participer aux foires et marchés ou faire des démarches administratives. Pour le paysan enrichi, devenu notable local, maire ou conseiller général, cela pouvait aller jusqu’à la sous-préfecture ou la préfecture.

              [Et je ne crois pas que la République se soit constituée « contre » ces petites patries. Simplement, la République est « communaliste » et non régionaliste.]

              Tout de même. Sur le plan de l’assimilation intérieure, notamment sur le plan linguistique et de l’alignement juridique avec la suppression des exemptions et des libertés locales, la IIIème se place dans la droite ligne du jacobinisme révolutionnaire – avec certes moins de violence et plus de persuasion. Mais vous avez un point qui me semble valable : la tradition politique française est celle de la lutte de l’Etat central, perçu par les populations comme relativement protecteur, contre les grands féodaux souvent plus violents et rapaces. C’est pourquoi en France les institutions s’organisent soit autour de collectivités relativement petites – la commune – soit autour de l’Etat central. L’échelon départemental – à la fois circonscription d’action de l’Etat à travers le préfet et lieu de représentation à travers le conseiller général – fait le lien entre les deux. Il n’y a donc pas de place pour des « régions », comme c’est le cas en Allemagne.

              [Pensez à la Guerre des boutons qui se déroule, je crois, sous la III° République : on voit la rivalité entre deux villages voisins, et on mesure l’attachement de chaque communauté à sa commune, à son terroir. Un attachement que le passage à la République ne semble pas affaiblir.]

              Oui, mais en même temps le roman, qui est remarquable dans sa peinture d’un village de la fin du XIXème siècle ou du début du XXème, montre bien l’effet de l’assimilation intérieure : s’il y a rivalité entre les Velrans et les Longuevergne, cette rivalité est plus « sportive » qu’autre chose. Elle n’est pas fondée sur une véritable différence dans les pratiques, dans la culture, dans la langue. Son origine (mythique) se trouve dans un conflit sur l’usage d’un pré commun dans un lointain passé. Et la punition finale, qui couronne le roman, est d’une certaine façon l’admission que cette forme d’attachement appartient au passé.

              [« Cette vision me paraît aujourd’hui archaïque » Que voulez-vous, je me suis résolu à être un dinosaure, reliquat d’une époque révolue…]

              Mais ce n’est pas parce qu’on est un dinosaure qu’on est obligé de penser comme un dinosaure. Et c’est un dinosaure qui vous le dit…

              [« La « patrie » se réduit donc, pour l’enraciné, au territoire que vous habitez et connaissez, que vos ancêtres ont habité et connu, habité par des gens que vous connaissez et qui eux-mêmes descendent des gens qui ont connu vos ancêtres. » L’idée que je me fais de la patrie – je vais caricaturer un peu – c’est pouvoir dire, « voilà le (ou les) village(s) de France où sont enterrés mes ancêtres », un peu comme un point de référence familial, sentimental, symbolique. Cela ne suppose pas forcément de vivre concrètement dans ledit village. Je n’habite aucun des villages où ont vécu mes ancêtres, et je ne me sens nullement déraciné. Parce que je sais où se trouvent les villages où sont enterrés les arrière-grands-parents (et parfois leurs parents dans l’ancien cimetière de la commune). Et ce n’est pas une fiction : j’ai vu les tombes, j’y ai déposé des fleurs.]

              Je comprends le symbole, qui a sa force. Ce n’est pas par hasard si certains définissent la nation à partir « du sang et des morts ». Mais j’imagine qu’au-delà du symbole ce qui détermine pour vous cet enracinement, ce n’est pas tant le fait que vos ancêtres soient morts dans ces villages, mais qu’ils y aient vécu, qu’ils y aient travaillé, qu’ils y aient modelé les paysages. Je pourrais transporter les cendres de mes ancêtres – dispersées aux quatre coins du monde – et les enterrer au Père Lachaise, cela ne ferait pas de moi un « enraciné ».

              Seulement voilà, comme vous le dites vous-même, vous n’habitez plus ces villages-là. Et comme vous, un grand nombre de Français ne feront plus leur « œuvre » dans le même coin au cours de leur vie. Si l’on veut conserver un lien entre les hommes et les territoires, il faut alors inventer d’autres formes d’enracinement.

              [C’est cela « être enraciné » pour moi. Après un immigré peut se choisir un lieu symbolique d’enracinement, comme Jean Ferrat dans son village ardéchois. C’est moins évident, mais ça reste possible. Lorsque je vous avais posé la question de ce « point de référence » pour vous, vous m’aviez répondu « Paris ». C’est pourquoi je vous ai qualifié de « Parisien » dans notre échange, sans malice aucune.]

              C’est certainement Paris le lieu en France que j’appellerais « mien ». Mais l’adjectif « parisien » a un deuxième sens péjoratif, et c’est pourquoi je me méfie…

              [« Pour aller au-delà, il vous faut concevoir un attachement à un territoire et à des gens que vous ne connaissez pas, et on est donc dans le domaine de l’impersonnel, donc de la nation. » Tout à fait. C’est pourquoi j’ai parlé de la nation comme une « extension » de la patrie. Extension géographique et humaine. Mais je n’y vois pas de contradiction. Je pense même que la patrie est une forme de pré-requis nécessaire à la constitution des nations.]

              Historiquement c’est certainement le cas, avec de très rares exceptions. Le cas d’Israël en est une : on a constitué une « nation » en installant sur un territoire une population dont ce n’était pas la « patrie ». Mais je vous accorde que c’est un cas exceptionnel.

              [« Le problème commence quand le véganisme devient « public », quand le végans prétendent faire de leur discours et leurs pratiques une norme universelle. » Ne pensez-vous pas qu’il est illusoire de croire que de telles pratiques resteront cantonnées dans la sphère privée ? Le véganisme, le plus souvent, est l’expression d’une adhésion à une idéologie écologiste millénariste… Cela fait partie de la pénitence en attendant la fin du monde. Et cette « religion » me paraît portée au prosélytisme…]

              Comme la plupart des religions. Les empêcher d’empiéter sur la sphère publique, c’est un combat quotidien. Je ne crois pas et n’ai jamais cru à une société d’équilibre parfait, qui serait la fin de l’histoire. Je crois au contraire que toute société fonctionne dans des contradictions. Bien sur que les végans – mais aussi les communistes, les musulmans, les drag-queen, les néolibéraux… – chercheront à modeler les normes en fonction de leurs croyances. Les institutions sont là pour les en empêcher.

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Mais elle est aussi jacobine : le maire porte l’écharpe tricolore, et non les couleurs de la commune ou du « pays », et il est à la fois un élu local soumis à ses électeurs, et un fonctionnaire de l’Etat soumis au préfet. Si la commune joue un rôle important, le département est aussi un territoire d’identification, et le préfet reste un personnage très important de la vie locale.]
              Si vous voulez dire que la III° République a « nationalisé » les petites patries, je ne peux qu’être d’accord. C’est là à mon sens son génie. Mais dire qu’elle les a combattues ou qu’elle les a affaiblies, je suis plus circonspect, et en tout cas moins affirmatif que vous : bien davantage, elle les a séduites, et les a amenées à se considérer comme parties d’un tout.
              Le maire porte l’écharpe tricolore, mais il est bien souvent un notable local, d’une famille connue et « enracinée ».
               
              [L’école est une institution « municipale » par ses bâtiments, mais elle relève de l’État pour ce qui concerne la désignation des instituteurs, qui ont eux aussi un rôle symbolique important, et qui sont placés en opposition aux « petites patries », notamment pour ce qui concerne l’usage des « patois » locaux.]
              Je pense que cette vision des choses est un peu exagérée et, paradoxalement, reprend la légende victimaire du récit régionaliste. L’imposition de la langue française a pu certes, par endroit, rencontrer des résistances, mais pas tant qu’on croit, et je pense qu’il y avait une réelle « demande de nation » dans les campagnes. Pour le dire autrement, il y avait une forme de consensus pour l’abandon des patois. D’ailleurs, les campagnes sont restées fidèles à la République après les lois Ferry. Il faut aussi rappeler que les élites urbaines étaient déjà largement francisées dans la plupart des régions.
               
              [La meilleure preuve en est que les mouvements régionalistes ou localistes, qui revendiquaient ces « petites patries », ont été surtout le fait de réactionnaires anti-républicains…]
              Vous savez très bien que les mouvements régionalistes à partir du XIX° siècle ont « construit » des identités régionales souvent artificielles, à partir d’un passé fantasmé et réécrit. Même une région réputée pour avoir une identité forte, comme l’Alsace dont nous parlions, n’a pas véritablement d’unité historique ou religieuse : il y avait, avant l’annexion par la France, des villes libres d’Empire, des seigneuries plus ou moins autonomes, Mulhouse était avec les cantons suisses, il y avait des catholiques ici, des luthériens là. Les gens qui nous parlent aujourd’hui de « l’Alsace éternelle » me font bien rire. En fait, le patriotisme a longtemps été municipal dans cette région… Paradoxalement, c’est la France qui a, la première, donné une véritable unité administrative à l’Alsace !
              Et ailleurs, ce n’est pas toujours si différent. En Bretagne, ce n’est guère mieux : le duché n’est véritablement unifié et centralisé (avec le français comme langue de chancellerie!) qu’au XV° siècle – après des siècles d’interminables querelles internes – donc juste avant le rattachement définitif au royaume de France.
               
              [Pour le paysan enrichi, devenu notable local, maire ou conseiller général, cela pouvait aller jusqu’à la sous-préfecture ou la préfecture.]
              Oui, mais on est loin de territoires de la taille de la Bretagne par exemple, et ne parlons pas de l’Occitanie. Les « régions » en France ont parfois une vague identité culturelle, et encore, en Bretagne, tout le monde ne parlait pas la même langue ; en Alsace, d’accord, le dialecte était commun, l’architecture, les habitudes alimentaires étaient communes. Mais, en fait, peu de régions françaises ont eu une véritable unité politique et historique qui en feraient des « proto-nations ». Et c’est bien normal : la nation a été conçue au niveau français. Au contraire en Allemagne, la Bavière ou la Prusse n’étaient pas loin de constituer des « proto-nations ».
               
              [Sur le plan de l’assimilation intérieure, notamment sur le plan linguistique et de l’alignement juridique avec la suppression des exemptions et des libertés locales]
              Si je voulais pinailler, je vous ferais remarquer que « la suppression des exemptions et libertés locales » est effectuée pour l’essentiel avant la proclamation de la 1ère République en septembre 1792. Ni la Restauration, ni la Monarchie de Juillet ne revient sur cela. L’ « alignement juridique », déjà enclenché sous l’Ancien Régime, n’est pas forcément ce qui gênait le plus les partisans de la monarchie en France. Les régionalistes forment un secteur particulier de la mouvance réactionnaire, qui s’est retrouvé allié puis associé aux monarchistes, mais qui se méprend à mon avis sur l’Ancien Régime. Je me souviens d’ailleurs avoir entendu un jour un royaliste de tendance régionaliste avouer qu’il n’aimait pas trop Louis XIV parce qu’il le trouvait « trop jacobin » ! En fait, la centralisation et l’unification juridique étaient en marche. Par rejet du jacobinisme révolutionnaire et napoléonien, beaucoup de monarchistes se sont rapprochées au cours du XIX° siècle des thèses régionalistes, mais est-ce que l’Ancien Régime était pour autant girondin ? Ce n’est pas sûr.
               
              [Mais ce n’est pas parce qu’on est un dinosaure qu’on est obligé de penser comme un dinosaure. Et c’est un dinosaure qui vous le dit… ]
              Vous seriez donc un dinosaure qui parvient à « ne pas penser comme un dinosaure » ? Je ne peux qu’admirer un tel tour de force, et ne suis pas certain de pouvoir l’imiter.
               
              Je pense que vous me ménagez, parce que vous êtes un homme bien éduqué, et je vous en remercie. Je vous avoue que j’ai quelques scrupules à durcir le débat, mais je vais mettre les pieds dans le plat parce que je pense qu’on tourne un peu autour du pot : mon « modèle », si tant est qu’on puisse le qualifier ainsi, ne convient pas – ou plutôt il est « archaïque » – parce que depuis la fin du XIX° siècle, la France a accueilli des millions d’immigrés, européens et extra-européens. Et ceux-là, arrivés souvent en milieu urbain pour travailler dans l’industrie, ne peuvent tout simplement pas « s’enraciner » au sens que j’ai développé, parce que l’ « enracinement » tel que je le conçois est avant tout celui que connaît une population essentiellement rurale, ou tout du moins d’origine rurale. Cela peut convenir pour beaucoup de « Français de souche » qui sont très majoritairement issus de la paysannerie, et où la mémoire des origines rurales est d’autant plus vivace que l’exode rural a été tardif en France, mais cela ne règle pas le problème de l’enracinement des autres. Autrement dit, l’impensé de mon modèle, l’éléphant dans la pièce, ce sont les immigrés. Ai-je bien compris ?
               
              [Seulement voilà, comme vous le dites vous-même, vous n’habitez plus ces villages-là.]
              Certes, mais j’ai grandi à environ 30 km d’un de ces villages, et étant enfant j’y suis allé en vacances plusieurs années, ma grand-mère – venue vivre en ville après-guerre – ayant acquis un petit pied-à-terre dans son village d’origine. Et toute mon enfance, nous allions fleurir la tombe des arrière-grands-parents. Le lien, comme on le voit, peut être maintenu.
               
              Mais passons, mon expérience est très secondaire, car le fond du débat, c’est ce que vous écrivez ensuite :
               
              [Et comme vous, un grand nombre de Français ne feront plus leur « œuvre » dans le même coin au cours de leur vie. Si l’on veut conserver un lien entre les hommes et les territoires, il faut alors inventer d’autres formes d’enracinement.]
              « D’autres formes d’enracinement » ? Lesquelles s’il vous plaît ?
               
              Avec tout le respect que je vous dois, il n’y a pas « d’autres formes d’enracinement » possibles dans ce monde qui est le nôtre, parce que l’enracinement est aux antipodes de notre époque. L’approfondissement du capitalisme – on pourrait tout aussi bien dire la mondialisation – produit des gens mobiles, des nomades interchangeables, qui ne sont de nulle part, et surtout qui doivent souvent changer d’endroit. Or l’enracinement est un processus qui prend du temps, un processus de long terme. Il ne suffit pas de trouver beau les monuments de Paris pour s’enraciner à Paris. J’ai beaucoup aimé Rome, ses églises, ses palais, ses restes romains, mais je ne me suis pas senti italien. Or notre époque répugne au long terme. L’enracinement met en jeu plusieurs générations successives. Aujourd’hui, vous avez des gens – immigrés ou non d’ailleurs – qui vivent en France, leurs enfants sont au Canada ou en Australie, demain leurs petits-enfants vivront au Brésil ou en Finlande… Le capitalisme mondialisé déracine les hommes, c’est ainsi. Mêmes ceux qui ne bougent pas au sens géographique du terme sont « déracinés » car on efface leur histoire et on les oblige à vivre dans une société multiculturelle et très américanisée, où tout le monde est sommé d’être déraciné. « Tous migrants » comme le scandent les gauchistes.
               
              Vous serez peut-être tenté de me dire : « on va créer un enracinement fictif », car je sais la puissance que vous accordez aux fictions. Le problème d’une fiction, c’est qu’elle peut très rapidement être remplacée par une autre, au gré de ce qui nous arrange. Si demain je vais vivre au Chili, cela ne changera rien à l’endroit où mes ancêtres sont enterrés, même si je peux m’inventer un « enracinement » chilien. Je peux bien m’enfuir à l’autre bout de la terre, cela ne changera pas la réalité. L’avantage de la réalité (ou son défaut selon le point de vue), c’est qu’elle est indépendante des individus, elle ne dépend pas de leur bon vouloir. Je n’ai pas choisi les villages où mes ancêtres sont enterrés, je ne saurais même pas dire si je les aime, ces villages. A vrai dire, je n’ai même pas choisi d’être Français, et encore moins d’être « Français de souche ». Ce sont des réalités qui s’imposent à moi, c’est un héritage qui me contraint, qui m’oblige d’une certaine façon. Celui qui choisit la France le fait librement, et il aurait pu faire un autre choix. Et son fils, son petit-fils, prenant son exemple, peuvent après tout estimer qu’ils ne sont pas tenus par ce choix, qu’ils peuvent en faire un autre. C’est de plus en plus le monde dans lequel nous vivons : je suis né et j’ai grandi en France, mais papa est Algérien, tiens je vais concourir sous le maillot algérien parce que cela m’arrange. Je le répète, il n’y a pas d’enracinement possible dans un tel monde. L’enracinement de ceux qui en ont – encore – un, comme moi, s’érode ainsi que je l’ai dit ; quant aux déracinés, ils seront de nulle part pour les siècles des siècles.
               
              [Mais l’adjectif « parisien » a un deuxième sens péjoratif, et c’est pourquoi je me méfie… ]
              Par « parisien », j’entendais « attaché à la ville de Paris » et « membre d’une élite en lien avec l’État ». Il n’y a là rien de péjoratif et je serai bien malhonnête de vous accuser de mépriser les provinciaux, puisque c’est ce que vous entendez, je suppose, par « péjoratif ».
               
              [Bien sur que les végans – mais aussi les communistes, les musulmans, les drag-queen, les néolibéraux… – chercheront à modeler les normes en fonction de leurs croyances. Les institutions sont là pour les en empêcher.]
              Et que se passe-t-il quand un des groupes que vous citez s’empare des institutions ? Sans vouloir vous offenser, il y a un certain idéalisme dans votre propos : les institutions servent surtout les intérêts de ceux qui arrivent à s’en saisir. En démocratie, ça se voit peut-être moins. Encore que, en France, ces derniers temps…

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Si vous voulez dire que la III° République a « nationalisé » les petites patries, je ne peux qu’être d’accord. C’est là à mon sens son génie. Mais dire qu’elle les a combattues ou qu’elle les a affaiblies, je suis plus circonspect, et en tout cas moins affirmatif que vous : bien davantage, elle les a séduites, et les a amenées à se considérer comme parties d’un tout.]

              Je pense que la République a combattu et affaibli les « petites patries » au sens où elle a combattu leur tendance à se vouloir la seule référence, le seul lieu d’identification de la population française. Cela étant dit, je suis d’accord avec vous sur le fait que ce « combat », la République l’a entrepris intelligemment. S’il a fallu quelquefois user de la force – pensez à l’expulsion des congrégations – dans la plupart des cas les républicains ont cassé l’enfermement des « petites patries » par la séduction que lui procuraient les avantages de la modernité. Quand je dis que la République a combattu les « petites patries », je ne veux pas dire qu’elle a cherché à les faire disparaître, mais plutôt à les intégrer et en faire un rouage du système républicain. C’est pourquoi je parle de « assimilation intérieure » :

              [Je pense que cette vision des choses est un peu exagérée et, paradoxalement, reprend la légende victimaire du récit régionaliste. L’imposition de la langue française a pu certes, par endroit, rencontrer des résistances, mais pas tant qu’on croit, et je pense qu’il y avait une réelle « demande de nation » dans les campagnes. Pour le dire autrement, il y avait une forme de consensus pour l’abandon des patois. D’ailleurs, les campagnes sont restées fidèles à la République après les lois Ferry. Il faut aussi rappeler que les élites urbaines étaient déjà largement francisées dans la plupart des régions.]

              Je reviens ici à l’idée « d’assimilation ». On peut faire une guerre de conquête et la faire intelligemment. La République a imposé sa langue et éliminé les « patois », mais l’a fait avec intelligence. Elle a associé cette langue, qui était étrangère a plus de la moitié de nos concitoyens, aux avantages de la modernité. Je ne pense pas qu’il y avait une « demande de nation », mais que la République l’a suscité avec un « roman national » qui mélangeait une offre de modernité avec des éléments épiques dans lesquels chacun pouvait se reconnaître. J’y vois un parallèle avec l’assimilation de l’étranger, qui est là aussi un échange dans lequel l’étranger accepte de renoncer à sa langue, à certains habitudes et comportements en échange des avantages de la citoyenneté.

              [« La meilleure preuve en est que les mouvements régionalistes ou localistes, qui revendiquaient ces « petites patries », ont été surtout le fait de réactionnaires anti-républicains… » Vous savez très bien que les mouvements régionalistes à partir du XIX° siècle ont « construit » des identités régionales souvent artificielles, à partir d’un passé fantasmé et réécrit.]

              Tout à fait, parce qu’ils ont bien compris que les « petites patries » n’avaient aucun avenir en tant qu’entités indépendantes, que l’assimilation intérieure était en marche – avec l’assentiment des populations concernées, comme vous le signalez – et qu’elle allait aboutir à une assimilation des « petites patries » dans la grande. Pour avoir une chance de survie, il fallait trouver des ensembles suffisamment grands pour pouvoir tenir tête au rouleau compresseur républicain. D’ailleurs, les mouvements régionalistes sont souvent aussi critiques des « jacobins » centralisateurs que des « traîtres » qui acceptent localement l’assimilation proposée par la République.

              Cela étant dit, je trouve très intéressante votre remarque sur le fait que la région est en France un concept sans véritable fondement historique, une construction relativement artificielle. C’est flagrant pour les « langues régionales », qui n’ont jamais été parlées nulle part dans leur forme actuelle, parce qu’elles sont en fait le résultat d’une « normalisation » construite à partir des différents parlers locaux par des intellectuels de la fin du XIXème et du début du XXème. La Bretagne n’a jamais parlé la langue qu’on enseigne à Diwan, pas plus que la Provence ne parlait le provençal de Mistral.

              [Même une région réputée pour avoir une identité forte, comme l’Alsace dont nous parlions, n’a pas véritablement d’unité historique ou religieuse : il y avait, avant l’annexion par la France, des villes libres d’Empire, des seigneuries plus ou moins autonomes, Mulhouse était avec les cantons suisses, il y avait des catholiques ici, des luthériens là. Les gens qui nous parlent aujourd’hui de « l’Alsace éternelle » me font bien rire. En fait, le patriotisme a longtemps été municipal dans cette région…]

              Le cas de l’Alsace est emblématique parce qu’on est en effet dans un monde germanique de « villes libres » puissantes avec des pouvoirs municipaux forts et des seigneuries relativement petites où ne se dégage aucun noble d’importance suffisante pour constituer un pôle de ralliement.

              [Et ailleurs, ce n’est pas toujours si différent. En Bretagne, ce n’est guère mieux : le duché n’est véritablement unifié et centralisé (avec le français comme langue de chancellerie!) qu’au XV° siècle – après des siècles d’interminables querelles internes – donc juste avant le rattachement définitif au royaume de France.]

              Le problème est que les « régionalistes » tombent souvent dans le péché d’anachronisme. Ils parlent des ducs de Bretagne comme si ceux-ci avaient dirigé un état-nation moderne. « L’unification et centralisation » du duché de Bretagne n’a rien voir avec celle entreprise à l’échelle de la France par la IIIème République. Aucun souverain de l’époque médiévale n’avait les moyens – ni l’intérêt – d’entreprendre une uniformisation juridique et linguistique à cette échelle. Cela n’avait aucun intérêt dans un monde où les gens bougeaient peu, où les échanges étaient relativement limités. Que le bas peuple parle un patois différent de celui du village d’à côté ne posait pas de problème. L’édit de Villers-Cotterêts s’occupe de la langue utilisée par les actes officiels, réservés à une certaine élite. Il ne prétend pas fixer la langue qu’on parle dans les marchés, à l’église ou chez soi.

              [Oui, mais on est loin de territoires de la taille de la Bretagne par exemple, et ne parlons pas de l’Occitanie. Les « régions » en France ont parfois une vague identité culturelle, et encore, en Bretagne, tout le monde ne parlait pas la même langue ; en Alsace, d’accord, le dialecte était commun, l’architecture, les habitudes alimentaires étaient communes. Mais, en fait, peu de régions françaises ont eu une véritable unité politique et historique qui en feraient des « proto-nations ». Et c’est bien normal : la nation a été conçue au niveau français. Au contraire en Allemagne, la Bavière ou la Prusse n’étaient pas loin de constituer des « proto-nations ».]

              Je suis d’accord. La France s’est construite autour d’un Etat central qui tirait en grande partie sa légitimité de sa capacité à mettre sous contrôle les potentats locaux. Les rois de France ont mis un remarquable continuité à morceler le pouvoir de la noblesse et à empêcher que surgissent des potentats capables de lui disputer le pouvoir. Alors que l’empereur germanique doit compter jusqu’au XIXème siècle avec le roi de Prusse, le roi de Bavière, sans compter avec les princes électeurs, à partir de Louis XI – certains diront Louis XIII – il n’y a plus dans l’espace français des boyards capables de tenir tête au roi. Et du coup, il n’y a pas eu de formation de proto-nations dans l’espace français.

              [« Sur le plan de l’assimilation intérieure, notamment sur le plan linguistique et de l’alignement juridique avec la suppression des exemptions et des libertés locales » Si je voulais pinailler, je vous ferais remarquer que « la suppression des exemptions et libertés locales » est effectuée pour l’essentiel avant la proclamation de la 1ère République en septembre 1792. Ni la Restauration, ni la Monarchie de Juillet ne revient sur cela.]

              C’est discutable. La Révolution et l’Empire suppriment en effet un grand nombre d’exemptions et de libertés locales mais en créent d’autres : pensez aux arrêtés Miot de 1801 qui n’ont été abolis que deux siècles plus tard. Mais n’oubliez pas que le droit écrit ne s’impose pas d’un seul coup. Les « coutumes » locales coexisteront avec les Codes révolutionnaires et napoléoniens en matière de droit foncier, de servitudes, d’héritages… on y trouve de nombreuses références dans la littérature. Ce n’est qu’avec l’assimilation intérieure de la IIIème République que ces « coutumes » cèdent la place à un régime bien plus uniforme, même si certaines subsistent jusqu’à nos jours : pensez au régime des spectacles taurins.

              [L’ « alignement juridique », déjà enclenché sous l’Ancien Régime, n’est pas forcément ce qui gênait le plus les partisans de la monarchie en France. Les régionalistes forment un secteur particulier de la mouvance réactionnaire, qui s’est retrouvé allié puis associé aux monarchistes, mais qui se méprend à mon avis sur l’Ancien Régime. Je me souviens d’ailleurs avoir entendu un jour un royaliste de tendance régionaliste avouer qu’il n’aimait pas trop Louis XIV parce qu’il le trouvait « trop jacobin » !]

              Je suis d’accord avec vous. Parce que les partisans de l’Ancien Régime se sont violemment opposés aux jacobins, on suppose à tort qu’ils s’opposaient au centralisme jacobin. C’est là méconnaître la logique de la monarchie française. On pourrait dire que ce que Louis XIII, Richelieu et Louis XIV avaient rêvé, la République jacobine l’a fait. Les régionalistes et les monarchistes ont en commun leur détestation de la République jacobine, mais ils la détestent pour des raisons très différentes.

              [En fait, la centralisation et l’unification juridique étaient en marche. Par rejet du jacobinisme révolutionnaire et napoléonien, beaucoup de monarchistes se sont rapprochées au cours du XIX° siècle des thèses régionalistes, mais est-ce que l’Ancien Régime était pour autant girondin ? Ce n’est pas sûr.]

              Cela dépend de ce qu’on appelle « Ancien Régime ». La petite noblesse ressentait la centralisation commencée sous Louis XI et achevée sous Louis XIV, de la même façon que la petite bourgeoisie locale ressentait la centralisation jacobine. L’opposition « girondins/jacobins » projette à mon sens une opposition bien plus ancienne, celle des pouvoirs locaux contre la centralisation, la « petite France » contre la « grande ». Quand vous parlez des « monarchistes », il faut faire la différence entre ceux qui voulaient un retour à la grandeur louis-quatorzième et ceux qui voulaient un retour à un « ancien régime » provincial.

              [« Mais ce n’est pas parce qu’on est un dinosaure qu’on est obligé de penser comme un dinosaure. Et c’est un dinosaure qui vous le dit… » Vous seriez donc un dinosaure qui parvient à « ne pas penser comme un dinosaure » ? Je ne peux qu’admirer un tel tour de force, et ne suis pas certain de pouvoir l’imiter.]

              Je ne vais pas vous dire que c’est facile, mais j’essaye.

              [Je pense que vous me ménagez, parce que vous êtes un homme bien éduqué, et je vous en remercie. Je vous avoue que j’ai quelques scrupules à durcir le débat, mais je vais mettre les pieds dans le plat parce que je pense qu’on tourne un peu autour du pot : mon « modèle », si tant est qu’on puisse le qualifier ainsi, ne convient pas – ou plutôt il est « archaïque » – parce que depuis la fin du XIX° siècle, la France a accueilli des millions d’immigrés, européens et extra-européens. Et ceux-là, arrivés souvent en milieu urbain pour travailler dans l’industrie, ne peuvent tout simplement pas « s’enraciner » au sens que j’ai développé, parce que l’ « enracinement » tel que je le conçois est avant tout celui que connaît une population essentiellement rurale, ou tout du moins d’origine rurale. Cela peut convenir pour beaucoup de « Français de souche » qui sont très majoritairement issus de la paysannerie, et où la mémoire des origines rurales est d’autant plus vivace que l’exode rural a été tardif en France, mais cela ne règle pas le problème de l’enracinement des autres. Autrement dit, l’impensé de mon modèle, l’éléphant dans la pièce, ce sont les immigrés. Ai-je bien compris ?]

              Il est vrai que je suis – ou du moins j’essaye d’être – un homme bien éduqué. Mais cela ne m’a jamais dans un débat empêché de dire le fond de ma pensée, bien entendu en y mettant les formes. On se connaît trop pour ne pas pouvoir se parler franchement. Alors je vais moi aussi mettre les pieds dans le plat : non, je ne pense pas que « l’impensé de votre modèle ce soient les immigrés ».

              Vous le dites vous-même : « l’enracinement tel que je le conçois est avant tout celui que connaît une population essentiellement rurale, ou tout du moins d’origine rurale ». Le problème est que – et cela n’a rien à voir avec l’immigration, mais c’est une conséquence du développement du capitalisme – la population française a cessé d’être « essentiellement rurale ». Et s’il reste encore des générations qui ont le souvenir d’une « origine rurale », avec le passage du temps cette origine, et l’enracinement qui va avec, ne peut que s’estomper. Autrement dit, le modèle que vous évoquez est condamné à devenir minoritaire et peut-être même à disparaître, non à cause des « millions d’immigrés », mais parce qu’il devient insoutenable dans une économie capitaliste, qui fait de la terre un simple moyen de production comme un autre.

              Je remets les pieds dans le plat : Je pense que dans cette affaire l’immigré est un prétexte, qui cache un problème bien plus profond de votre modèle. C’est pourquoi je suis persuadé que si l’on veut préserver un modèle fondé sur « l’enracinement » – et je pense que cela a un intérêt certain – il faut penser d’autres formes d’enracinement, qui soient compatibles avec une société où la mobilité est plus important et le rapport avec la terre plus esthétique et moins charnel. Et pour cela, je puise un peu sur le modèle de la diaspora juive, qui a réussi à maintenir une forme « d’enracinement » centrée sur la culture, et non sur la terre.

              [Avec tout le respect que je vous dois, il n’y a pas « d’autres formes d’enracinement » possibles dans ce monde qui est le nôtre, parce que l’enracinement est aux antipodes de notre époque.]

              Je pensais – désolé de revenir à cet exemple, mais c’est celui que je connais le mieux par expérience – à l’expérience de la diaspora juive, qui a conservé une forme « d’enracinement » sans pour autant avoir accès à la terre. Une forme « d’enracinement » si forte qu’elle a permis la ré-création d’un état après 2000 ans d’exil. Cet « enracinement » se fait par référence à un univers culturel, préservé et transmis de génération en génération, et par une conscience aigüe que l’assimilation ne fait pas disparaître les différences. Parce que vous noterez que les juifs n’ont jamais refusé l’assimilation lorsqu’elle leur était offerte… y compris au prix de la conversion !

              Je ne dis pas que cette forme d’enracinement soit la seule possible, mais je trouve que c’est un modèle bien mieux adapté à la dynamique du capitalisme que le modèle que vous proposez et auquel je peux comprendre que vous soyez attaché, puisque c’est celui que vous avez hérité de vos parents. Mais en toute amitié, je ne peux que vous citer la formule de De Gaulle : « messieurs, l’Algérie de papa est morte, et si nous ne le comprenons pas, nous mourrons avec elle ».

              [Or notre époque répugne au long terme. L’enracinement met en jeu plusieurs générations successives. Aujourd’hui, vous avez des gens – immigrés ou non d’ailleurs – qui vivent en France, leurs enfants sont au Canada ou en Australie, demain leurs petits-enfants vivront au Brésil ou en Finlande… Le capitalisme mondialisé déracine les hommes, c’est ainsi. Mêmes ceux qui ne bougent pas au sens géographique du terme sont « déracinés » car on efface leur histoire et on les oblige à vivre dans une société multiculturelle et très américanisée, où tout le monde est sommé d’être déraciné. « Tous migrants » comme le scandent les gauchistes.]

              Mais vous noterez que cette action entraine une réaction. Tout à coup les gens découvrent combien il est difficile de vivre sans références, et cherchent désespérément à se fabriquer un « enracinement » artificiel. Je me souviens avoir lu un article dans « Le Monde » ou des cadres sans la moindre attache en Bretagne s’étant installés à Rennes pour leur travail, et envoyaient leurs enfants à l’école Diwan du coin pour qu’ils « connaissent leurs racines ». Si, comme le scandent les gauchistes, nous sommes « tous migrants », alors il est urgent de concevoir une politique d’assimilation qui permette d’enraciner tous ces « migrants ». Si la société ne prend pas en charge ce besoin, on verra se multiplier ces « faux enracinements » communautaristes ou sectaires.

              [Vous serez peut-être tenté de me dire : « on va créer un enracinement fictif », car je sais la puissance que vous accordez aux fictions. Le problème d’une fiction, c’est qu’elle peut très rapidement être remplacée par une autre, au gré de ce qui nous arrange.]

              Ce que je propose n’est pas un enracinement « fictif », mais un enracinement « immatériel ». Ce n’est pas du tout la même chose. Une culture est aussi « réelle » qu’une terre. Le juif errant que je suis n’a pas de tombes d’ancêtres à fleurir, mais je retrouve mes ancêtres dans une culture, dans des références, dans une histoire amoureusement transmises de génération en génération.

              [Celui qui choisit la France le fait librement, et il aurait pu faire un autre choix. Et son fils, son petit-fils, prenant son exemple, peuvent après tout estimer qu’ils ne sont pas tenus par ce choix, qu’ils peuvent en faire un autre.]

              Vous souvenez-vous de l’émouvante lettre de « poilu » que vous aviez cité il n’y a pas si longtemps ici ? Pensez-vous que celui qui l’a écrite ne se sentait pas « tenu » par le choix de ses ancêtres ? Votre remarque me fait penser à une autre forme « d’enracinement » tout à fait compatible avec la mobilité, celle qui vient de la conscience de la dette que vous avez envers le pays qui vous a accueilli. Diriez-vous que celui qui a écrit la lettre en question était un « déraciné » ?

              [« Bien sur que les végans – mais aussi les communistes, les musulmans, les drag-queen, les néolibéraux… – chercheront à modeler les normes en fonction de leurs croyances. Les institutions sont là pour les en empêcher. » Et que se passe-t-il quand un des groupes que vous citez s’empare des institutions ?]

              Bien souvent, il la détruit. Une « institution » repose sur un consensus relatif. Si l’institution apparaît non pas comme une entité au service de tous, mais comme la chasse gardée d’une faction, elle perd son caractère institutionnel. Pensez à l’Université de Paris VIII…

              [Sans vouloir vous offenser, il y a un certain idéalisme dans votre propos : les institutions servent surtout les intérêts de ceux qui arrivent à s’en saisir. En démocratie, ça se voit peut-être moins. Encore que, en France, ces derniers temps…]

              Le propre d’une « institution », est justement d’échapper à cette logique. Lorsque la police ne défend que les intérêts des riches, elle n’est en rien différente d’une entreprise de vigiles, qui ne surveillent que les intérêts de ceux qui les payent, et cesse d’être une « institution ». Pour qu’une entité devienne une « institution », il lui faut avoir derrière elle un consensus social, et ce consensus nécessite que l’entité ne se contente pas de défendre l’intérêt d’un groupe.

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [non, je ne pense pas que « l’impensé de votre modèle ce soient les immigrés ».]
              Autant pour moi. Je confesse mon erreur. Une de plus…
               
              [Autrement dit, le modèle que vous évoquez est condamné à devenir minoritaire et peut-être même à disparaître, non à cause des « millions d’immigrés », mais parce qu’il devient insoutenable dans une économie capitaliste, qui fait de la terre un simple moyen de production comme un autre.]
              Qu’il faille revoir les modalités du rapport à la terre des ancêtres dans le cadre d’une société largement urbanisée dont les membres sont plus mobiles qu’ils l’étaient au début du XX° siècle, c’est sans doute inévitable. Mais on commettrait à mon sens une erreur en voulant supprimer tout rapport à la terre. La nation sans la patrie, j’ai beaucoup de mal à y croire. Mais vous avez raison, c’est sans doute le sens de l’histoire.
               
              Cela étant dit, je m’aperçois qu’il y a en fait un malentendu dans notre échange. J’ai l’impression que vous cherchez dans le débat à construire une idée de la nation qui puisse servir un objectif politique, qui soit la base d’une action. Je n’ai pas pour ma part cette ambition. Manchego m’avait interpellé sur l’expression « Français de souche », et je lui ai répondu. De fil en aiguille j’ai été amené à préciser ma conception de l’enracinement, une conception d’ailleurs qui n’a rien d’original, je puise chez Barrès et chez Péguy. Mais la question de savoir si cette conception est « adaptée » à notre époque, si elle est fonctionnelle, ne m’intéresse pas. J’ai simplement essayé de décrire ma vision des choses le plus honnêtement possible, rien de plus. Je ne prétends pas proposer quelque solution que ce soit.
               
              [Et pour cela, je puise un peu sur le modèle de la diaspora juive, qui a réussi à maintenir une forme « d’enracinement » centrée sur la culture, et non sur la terre.]
              Mais la France est pour moi d’abord un territoire. D’une certaine manière, la France a précédé les Français. C’est pourquoi je suis très sceptique sur un « enracinement centré sur la culture ». Le terme « enracinement » est-il vraiment approprié ? D’autant qu’avec sa relative diversité régionale et l’effacement de la religion jadis majoritaire, je ne vois pas où vous allez trouver des éléments de culture commune qui fassent consensus.
               
              [Mais en toute amitié, je ne peux que vous citer la formule de De Gaulle : « messieurs, l’Algérie de papa est morte, et si nous ne le comprenons pas, nous mourrons avec elle ».]
              En somme, si je vous comprends bien, le dilemme serait pour vous le suivant : changer ou disparaître. Pour moi, la question ne se pose pas ainsi : la France telle que je la conçois est probablement déjà morte, ou du moins à l’agonie, je le crains. Je ne cherche pas à la ressusciter, ce serait stupide. J’entretiens son souvenir sur un mode nostalgique, rien de plus. Et construire une “nouvelle France” ne m’intéresse absolument pas.
               
              Mais admettons que je sois, comme vous, dans une démarche de combat. Dans ce cas, je pourrais vous rejoindre si tout le raisonnement que j’ai essayé – péniblement – de bâtir autour de cette idée d’ « enracinement » était un facteur secondaire, une parure superflue. Malheureusement, ça n’est pas le cas : ce que je vous ai décrit est, pour moi en tout cas, consubstantiel à une certaine vision de la France, de son identité, de sa mentalité, vision à laquelle j’adhère. On ne peut pas « changer de logiciel » identitaire comme on change de voiture, vous le savez bien. Que ce que vous proposez soit « plus adapté » et plus efficient que mon modèle teinté d’archaïsme, c’est fort possible, mais, comme je vous l’ai dit, cela ne me concerne pas. J’ai exprimé une opinion, je ne trace pas une voie d’avenir. Je ne peux pas changer ce que je suis, et ce que je suis est au fondement de l’idée – fausse peut-être, partielle sans doute – que je me fais de la France. Si l’histoire, le capitalisme, l’immigration ou que sais-je encore, ont condamné cette idée, eh bien c’est le destin. Pour moi, la nation sans la patrie, ça n’a pas de sens, ce serait limiter la France à une communauté d’êtres humains, une communauté qui en outre ne serait fondée ni sur l’appartenance ethnique, ni sur la religion. Comment pourrais-je me reconnaître dans une telle France?
               
              Je suis trop barrésien pour adhérer à votre modèle d’ « enracinement immatériel » qui à mon avis ouvre un débat redoutable sur ce qu’il convient de mettre ou pas dans le « patrimoine immatériel », et l’on risque de se retrouver avec le plus petit dénominateur commun pour n’exclure personne. Vous citiez la diaspora juive, mais il faut dire que cela a créé « des » cultures juives, très différentes les unes des autres – pour ne pas dire antagoniques. Et pourtant, il y a à l’origine un texte sacré, des prescriptions assez strictes.
               
              [Si, comme le scandent les gauchistes, nous sommes « tous migrants », alors il est urgent de concevoir une politique d’assimilation qui permette d’enraciner tous ces « migrants ».]
              Je doute que les gauchistes partagent ce sentiment d’urgence…
               
              [Si la société ne prend pas en charge ce besoin, on verra se multiplier ces « faux enracinements » communautaristes ou sectaires.]
              Mais c’est déjà le cas. Et, au fond, en-dehors de quelques grincheux, de quelques ringards, ça ne dérange pas grand-monde. Que veulent les gens ? Un frigo correctement garni et les séries netflix. Je ne leur jette pas la pierre d’ailleurs, car que nous laisse-t-on désirer de plus en ce monde ? J’ai plaisir à discuter de temps à autre avec vous – et j’essaie de lire tout ce que vous écrivez sur ce blog – mais, vous savez, au fond, je me suis fait une raison. J’ai un confort de vie qui ferait pâlir d’envie les Palestiniens et les Ukrainiens. J’ai des livres, de la bière et je pars en vacances. Pourquoi ne pas s’en contenter ?
               
              [Votre remarque me fait penser à une autre forme « d’enracinement » tout à fait compatible avec la mobilité, celle qui vient de la conscience de la dette que vous avez envers le pays qui vous a accueilli. Diriez-vous que celui qui a écrit la lettre en question était un « déraciné » ?]
              Mais, mon cher ami, cette lettre a été écrite dans un monde qui n’avait rien à voir avec le nôtre. Henry Lange évoluait dans une France où la plupart des Français étaient encore « enracinés » et pas seulement dans une culture. Henry Lange écrit à une époque où les valeurs aristocratiques ont encore cours : honneur, sens du devoir, sens du sacrifice, attachement à la lignée familiale… Je ne vous apprendrai rien en vous disant que tout cela est révolu. Le capitalisme déracine les hommes, mais beaucoup d’hommes s’en satisfont : c’est que l’enracinement crée des servitudes, des devoirs, des obligations. Le déraciné est bien plus « libre ». C’est pourquoi le capitalisme flatte et amplifie l’individualisme.
               
              J’admire Henry Lange et j’aime la France dans laquelle il vivait, qui d’ailleurs – ce n’est pas un hasard – était la France de Péguy et de Barrès. Mais la France de 2024 ? Elle ne vaut pas un kopeck.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Cela étant dit, je m’aperçois qu’il y a en fait un malentendu dans notre échange. J’ai l’impression que vous cherchez dans le débat à construire une idée de la nation qui puisse servir un objectif politique, qui soit la base d’une action. Je n’ai pas pour ma part cette ambition. Manchego m’avait interpellé sur l’expression « Français de souche », et je lui ai répondu. De fil en aiguille j’ai été amené à préciser ma conception de l’enracinement, une conception d’ailleurs qui n’a rien d’original, je puise chez Barrès et chez Péguy. Mais la question de savoir si cette conception est « adaptée » à notre époque, si elle est fonctionnelle, ne m’intéresse pas. J’ai simplement essayé de décrire ma vision des choses le plus honnêtement possible, rien de plus. Je ne prétends pas proposer quelque solution que ce soit.]

              Ce n’est pas vraiment un « malentendu », j’avais bien compris votre position, mais vous faites bien d’expliciter ce point, qui n’est pas mineur. Même si je ne milite plus, ou du moins plus autant qu’à une époque, je me situe dans la logique de l’action politique au sens que donnait Richelieu à ce terme : « rendre possible ce qui est nécessaire ». Pour moi, préserver l’esprit de cette France que j’aime et à l’égard de laquelle je m’estime débiteur, c’est une « nécessité ». Ma réflexion est donc dirigée vers les moyens de « rendre possible » sa préservation. Et comme je vous l’ai dit, je pense que cet esprit ne peut survivre dans la forme qu’il a pris dans le passé. Il faut inventer de nouvelles formes sans trahir l’esprit en question.

              Je comprends que vous pleuriez sur le lait renversé. Cela m’arrive aussi, les soirs de spleen, quand je pense à la France que j’admirais de loin puis que j’ai connu en arrivant, avant la catastrophe de 1981. Mais si la nostalgie peut être un sentiment puissant, il ne sert à rien si elle ne se traduit pas en projet d’action.

              [D’autant qu’avec sa relative diversité régionale et l’effacement de la religion jadis majoritaire, je ne vois pas où vous allez trouver des éléments de culture commune qui fassent consensus.]

              On les trouve dans notre histoire, dans nos traditions juridiques et politiques, dans nos institutions. Il y a encore beaucoup de choses qui font très largement consensus : pensez par exemple au rôle de l’Etat, qui reste central dans les mentalités malgré quarante années de discours néolibéraux. Ce n’est pas parce que les élites les conchient que ces éléments ont disparu.

              [En somme, si je vous comprends bien, le dilemme serait pour vous le suivant : changer ou disparaître. Pour moi, la question ne se pose pas ainsi : la France telle que je la conçois est probablement déjà morte, ou du moins à l’agonie, je le crains. Je ne cherche pas à la ressusciter, ce serait stupide. J’entretiens son souvenir sur un mode nostalgique, rien de plus. Et construire une “nouvelle France” ne m’intéresse absolument pas.]

              J’en était conscient. Mais je vous avoue que j’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi. Tout au cours de son histoire notre pays a changé tout en restant fidèle à lui-même. Et beaucoup de personnalités que vous admirez ont été d’abord des révolutionnaires et créé à chaque fois une « nouvelle France » qui était fidèle à sa tradition. Pourquoi refusez-vous de vous inscrire dans cette tradition ?

              [« Si, comme le scandent les gauchistes, nous sommes « tous migrants », alors il est urgent de concevoir une politique d’assimilation qui permette d’enraciner tous ces « migrants ». » Je doute que les gauchistes partagent ce sentiment d’urgence…]

              Je vais vous surprendre, mais je n’ai jamais compté avec l’aide des « gauchistes » pour faire quoi que ce soit de bien. Ce n’est pas de ce côté-là que je me chercherais des alliés pour mettre en œuvre une politique d’assimilation.

              [Mais c’est déjà le cas. Et, au fond, en-dehors de quelques grincheux, de quelques ringards, ça ne dérange pas grand-monde. Que veulent les gens ? Un frigo correctement garni et les séries netflix. Je ne leur jette pas la pierre d’ailleurs, car que nous laisse-t-on désirer de plus en ce monde ? J’ai plaisir à discuter de temps à autre avec vous – et j’essaie de lire tout ce que vous écrivez sur ce blog – mais, vous savez, au fond, je me suis fait une raison. J’ai un confort de vie qui ferait pâlir d’envie les Palestiniens et les Ukrainiens. J’ai des livres, de la bière et je pars en vacances. Pourquoi ne pas s’en contenter ?]

              J’ai une trop haute opinion de vous pour penser que vous pourriez vous en contenter…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [On les trouve dans notre histoire, dans nos traditions juridiques et politiques, dans nos institutions. Il y a encore beaucoup de choses qui font très largement consensus : pensez par exemple au rôle de l’Etat, qui reste central dans les mentalités malgré quarante années de discours néolibéraux.]
              Notre histoire n’a jamais fait consensus depuis la Révolution, et vous trouverez mille et une raisons pour les gens de s’étriper sur tel ou tel point. Pour ne donner qu’un exemple, il y a ceux qui rejettent 1789 et 1793 ; il y a ceux qui acceptent 1789 mais rejettent 1793 ; il y a ceux qui acceptent les deux. Et vous pouvez appliquer le même raisonnement à Napoléon : ceux qui le détestent, ceux qui admirent le consul mais critique l’empereur, ceux qui prennent tout…
               
              Quant à l’État, c’est un moyen, non une fin. Je doute que l’État « fasse rêver » les gens.
               
              [Et beaucoup de personnalités que vous admirez ont été d’abord des révolutionnaires et créé à chaque fois une « nouvelle France » qui était fidèle à sa tradition.]
              Vous avez raison. Le problème est le suivant : d’abord, les révolutionnaires déchaînent souvent des forces qu’ils sont incapables de maîtriser ensuite ; d’autre part, toute révolution passe par une phase de « du passé faisons table rase », et, quelque soit sa durée, cette phase peut faire beaucoup de mal.
               
              La Révolution française a fait – ou permis de faire – de grandes choses, et vous ne trouverez pas chez moi de rejet systématique de l’héritage révolutionnaire. Mais, d’un autre côté, la Révolution a détruit un certain nombre de choses, et in fine, elle a divisé autant qu’elle a uni les Français. Elle n’a pas fait l’unanimité – et sans doute ne le pouvait-elle pas – et il a fallu du temps pour réconcilier les Français, pour redonner à la France une stabilité politique qui lui a fait défaut pendant près d’un siècle. Et durant ce siècle, il ne faudrait pas l’oublier, le monde est devenu britannique… Les échecs de la Révolution, et la relative faiblesse de la France qui s’en est suivi après 1815, ne sont pas étrangers à la domination anglo-saxonne sous laquelle nous vivons encore.
               
              Par ailleurs, je vous dirais que les gens comme moi mesurent tout ce qu’on a perdu depuis plusieurs décennies, du fait précisément d’une révolution, parce que je pense qu’on peut parler de « révolution néolibérale » quand on regarde les changements auxquels nous assistons depuis les années 80. J’ai bien compris que la révolution que vous appelez de vos vœux n’a rien de néolibérale, mais je ne peux pas m’empêcher de m’interroger : est-ce qu’une autre révolution ne risque pas de nous faire perdre le peu que nous avons conservé ? Se poser cette question, ce n’est sans doute pas très glorieux, mais c’est humain.
               
              Je ne veux pas vous offenser et je ne doute pas de votre sincérité. Je comprends tout à fait que ma frilosité vous laisse perplexe. Mais vous n’êtes pas le premier à promettre des lendemains qui chantent, et un hypothétique redressement.
               
              [Pourquoi refusez-vous de vous inscrire dans cette tradition ?]
              Votre question est judicieuse. Je vous livrerais deux éléments de réponse : 1) le repli presque total sur la sphère privée ; 2) Une forme d’ « aquabonisme » que vous avez d’ailleurs déjà relevée dans certains de vos articles.
               
              Partant du constat d’une société de plus en plus fragmentée, où la confrontation d’idées est devenue très difficile, où l’incompréhension et l’indifférence semblent devenues la norme, où les gens se détestent et se tournent le dos, je fais partie des gens – assez nombreux je pense – qui préfèrent s’occuper de leurs petites affaires, jouir du peu de temps qu’on passe sur cette terre en évitant de s’embourber dans des combats pénibles, hasardeux… et coûteux. Je vous laisse deviner ce qui se passerait si je disais haut et fort que j’ai voté Zemmour et le Pen sur mon lieu de travail. Aujourd’hui, lorsqu’on adhère à une certaine ligne idéologique, il est plus prudent de se taire. Le fait est que ceux qui aujourd’hui défendent la nation, la patrie sont minoritaires, et mêmes lorsqu’ils reçoivent un certain soutien populaire, ils n’ont pas voix au chapitre. La liste « Nous le Peuple » a fait un résultat plus que modeste aux Européennes. Le RN n’a pas pu placer un seul de ses membres au bureau de l’Assemblée nationale. Vous l’avez dit vous-mêmes : après deux semaines de discours délirants, de fantasmes, de conjectures loufoques, tout est « rentré dans l’ordre ». Circulez, bonnes gens. Il y a de quoi se décourager.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« On les trouve dans notre histoire, dans nos traditions juridiques et politiques, dans nos institutions. Il y a encore beaucoup de choses qui font très largement consensus : pensez par exemple au rôle de l’Etat, qui reste central dans les mentalités malgré quarante années de discours néolibéraux. » Notre histoire n’a jamais fait consensus depuis la Révolution, et vous trouverez mille et une raisons pour les gens de s’étriper sur tel ou tel point. Pour ne donner qu’un exemple, il y a ceux qui rejettent 1789 et 1793 ; il y a ceux qui acceptent 1789 mais rejettent 1793 ; il y a ceux qui acceptent les deux. Et vous pouvez appliquer le même raisonnement à Napoléon : ceux qui le détestent, ceux qui admirent le consul mais critique l’empereur, ceux qui prennent tout…]

              Pardon, mais il y a dans notre histoire pas mal de choses qui font consensus. Il y en a qui détestent la personne de Napoléon, il y en a qui l’admirent. Mais personne ne conteste la grandeur du Code civil, du Code pénal, de l’organisation préfectorale. Jules Ferry est une figure controversée, mais il y a un large consensus sur l’œuvre scolaire de la IIIème République. Jeanne d’Arc est une figure controversée – notamment dans sa relation à l’église – mais personne ne regrette qu’elle ait « buté les anglais hors de France ». Quant aux institutions, pensez à la fonction présidentielle qui, malgré tous les discours critiques des élites, reste pour les français un élément d’identification fort.

              [Quant à l’État, c’est un moyen, non une fin. Je doute que l’État « fasse rêver » les gens.]

              Ne croyez pas ça. Pour ceux qui rejoignent la police, l’armée, la fonction publique, cela fait encore rêver. Mais au-delà, je ne parlais pas de l’Etat, mais des rapports symboliques que nous entretenons avec lui. Si quelque chose fait consensus chez nous, c’est l’appel à un Etat fort et interventionniste.

              [« Et beaucoup de personnalités que vous admirez ont été d’abord des révolutionnaires et créé à chaque fois une « nouvelle France » qui était fidèle à sa tradition. » Vous avez raison. Le problème est le suivant : d’abord, les révolutionnaires déchaînent souvent des forces qu’ils sont incapables de maîtriser ensuite ; d’autre part, toute révolution passe par une phase de « du passé faisons table rase », et, quelque soit sa durée, cette phase peut faire beaucoup de mal.]

              En général, une révolution arrive parce que les institutions politiques sont tellement bloqués, parce que l’ancienne classe dominante s’accroche à ses privilèges avec une telle hargne et empêche la nouvelle classe dominante de surgir, que seule une explosion permet une évolution. Cette explosion peut être, oui, très destructrice. Comme vous dites, elle tend à diviser plutôt qu’à unir. Et c’est pourquoi la révolution est suivie généralement d’une étape de consolidation, pendant laquelle les nouvelles institutions sont mises en place. Napoléon en France, Staline en URSS… et c’est pendant ces phases que des continuités sont rétablies, des consensus créés.

              [J’ai bien compris que la révolution que vous appelez de vos vœux n’a rien de néolibérale, mais je ne peux pas m’empêcher de m’interroger : est-ce qu’une autre révolution ne risque pas de nous faire perdre le peu que nous avons conservé ? Se poser cette question, ce n’est sans doute pas très glorieux, mais c’est humain.]

              La question est tout à fait pertinente. Et la réponse est difficile à apporter parce que, comme vous le dites plus haut, les révolutions libèrent des forces qu’il est difficile ensuite de contrôler. Cela étant dit, si cette « révolution » devait faire table rase, elle le ferait de ce que le néolibéralisme a apporté ces quarante ou cinquante dernières années… ce n’est pas cela qui m’empêchera de dormir.

              [Je ne veux pas vous offenser et je ne doute pas de votre sincérité. Je comprends tout à fait que ma frilosité vous laisse perplexe. Mais vous n’êtes pas le premier à promettre des lendemains qui chantent, et un hypothétique redressement.]

              Vous ne risquez pas de m’offenser. Et il est vrai qu’il faut toujours se méfier de ceux qui promettent des lendemains qui chantent. Mais d’un autre côté, si je suis attaché à quelque chose je m’en voudrais beaucoup de ne pas faire tout ce que je peux pour essayer de le protéger. Contrairement à vous, je n’ai pas la sagesse de la résignation.

              [« Pourquoi refusez-vous de vous inscrire dans cette tradition ? » Votre question est judicieuse. Je vous livrerais deux éléments de réponse : 1) le repli presque total sur la sphère privée ; 2) Une forme d’ « aquabonisme » que vous avez d’ailleurs déjà relevée dans certains de vos articles.]

              Pour ce qui est du 1), je peux comprendre que lorsqu’on a des enfants à élever, une famille à entretenir, la sphère privée puisse prendre un poids très important. Pour ce qui concerne le 2), je ne peux que vous conjurer à combattre cet « aquabonisme », qui conduit à l’inaction et plus tard aux regrets… Je peux vous dire que même battu, j’ai la satisfaction d’avoir combattu.

              [Partant du constat d’une société de plus en plus fragmentée, où la confrontation d’idées est devenue très difficile, où l’incompréhension et l’indifférence semblent devenues la norme, où les gens se détestent et se tournent le dos, je fais partie des gens – assez nombreux je pense – qui préfèrent s’occuper de leurs petites affaires, jouir du peu de temps qu’on passe sur cette terre en évitant de s’embourber dans des combats pénibles, hasardeux… et coûteux.]

              Mais pourquoi le combat devrait-il être « pénible » ? J’ai retiré beaucoup de plaisir de mes années militantes sur le terrain, et j’en retire encore un grand plaisir à participer à des débats, à chercher à convaincre… et bien sur à faire ce que je peux dans le cadre de mon boulot. Comme vous, je prends des précautions parce que je ne vois pas l’intérêt de risquer mon bacon dans le contexte actuel. Mais de là à se retirer du monde…

              [Je vous laisse deviner ce qui se passerait si je disais haut et fort que j’ai voté Zemmour et le Pen sur mon lieu de travail. Aujourd’hui, lorsqu’on adhère à une certaine ligne idéologique, il est plus prudent de se taire.]

              Personne ne vous demande de faire tant. Mais vous pouvez toujours essayer de faire réfléchir les autres, de les mettre devant leurs contradictions sans vous dévoiler. Et bien entendu, vous avez toute votre liberté pédagogique pour transmettre à vos élèves l’amour de notre histoire.

              [Vous l’avez dit vous-mêmes : après deux semaines de discours délirants, de fantasmes, de conjectures loufoques, tout est « rentré dans l’ordre ». Circulez, bonnes gens. Il y a de quoi se décourager.]

              Bien sûr. Et croyez-moi, ce n’est pas moi qui ira vous le reprocher autrement qu’amicalement. Croyez qu’il y a certains soirs où moi aussi je me dis « à quoi bon ». Et puis, quand cela m’arrive, je pense au destin des personnages que j’admire, et je me dis que si j’abandonnais le combat, je ne serais plus digne d’eux et je ne pourrais plus me regarder dans une glace. Je ne prétends pas que mon action ait servi à grande chose… mais le peu que je pouvais faire, je l’ai fait, et personne ne pourra m’enlever cela. C’est peut-être mon éducation, je viens d’une longue lignée de combattants…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Et puis, quand cela m’arrive, je pense au destin des personnages que j’admire, et je me dis que si j’abandonnais le combat, je ne serais plus digne d’eux et je ne pourrais plus me regarder dans une glace.]
              Là, j’avoue que vous marquez un point. C’est un argument de poids que vous énoncez là.
               
              Serait-ce digne et honorable d’abandonner l’idée de la France pour laquelle sont morts Henry Lange et Charles Péguy (et tant d’autres)? Je vous concède que la réponse est “non”.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Là, j’avoue que vous marquez un point. C’est un argument de poids que vous énoncez là. Serait-ce digne et honorable d’abandonner l’idée de la France pour laquelle sont morts Henry Lange et Charles Péguy (et tant d’autres)? Je vous concède que la réponse est “non”.]

              Ravi d’avoir trouver l’argument qui pourrait vous sortir de votre « aquoibonisme ». Dans ce combat, on a besoin de toutes les forces…

          • Bob dit :

            @ Descartes
            [ Si vous vous promenez dans les couloirs de Bercy, vous entendrez une toute autre musique…]
            Est-ce possible d’avoir plus de détails concernant cette “musique” ?

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Est-ce possible d’avoir plus de détails concernant cette “musique” ?]

              Bien sûr. Bercy – nom qui regroupe sous ce nom générique l’ensemble des ministères économiques : Economie et Finances, Budget, Industrie, Commerce et Artisanat, Communications électroniques, et depuis peu l’Energie – est un vaste ensemble qui contient plusieurs cultures administratives, mais reste dominé par la culture de quelques « grandes directions », et notamment par la très prestigieuse direction du Trésor ou l’Inspection générale des finances. Le prestige de ces directions n’est en rien surfait : une politique de recrutement et de promotion rigoureusement méritocratique, une politique de formation de très bon niveau et une grande exigence dans la qualité des productions et le volume de travail font que le Trésor ou l’IGF ont constitué un capital humain de grande qualité. Le problème, c’est que ce sont les directions où l’on « pantoufle » le plus. Beaucoup de hauts fonctionnaires aspirent à faire un passage au Trésor ou à l’IGF pour se constituer une réputation et un carnet d’adresse, et aller ensuite « pantoufler » dans une banque ou dans une institution financière. Cette possibilité attire d’abord les profils idéologiquement les moins engagés dans le service public, les plus proches des valeurs des milieux financiers c’est-à-dire, les plus proches des idées européistes et néolibérales.

              Ce n’est donc pas un problème de sélection politique : rien n’empêche un souverainiste d’entrer au Trésor ou à l’IGF. C’est un effet de sédimentation qui tient à ce que selon les idées qu’on défend on est plus ou moins attiré vers certaines fonctions. C’est ainsi que les profils « jacobins » tendent à s’accumuler au ministère de l’Intérieur ou celui de la Défense, alors que les « girondins » abondent à Bercy…

              Ce mécanisme montre d’ailleurs pourquoi il faudrait mettre fin – ou du moins limiter très sévèrement – le “pantouflage” des hauts fonctionnaires. Le discours de la “mobilité entre le public et le privé” cache en fait une subordination croissante de la fonction publique aux intérêts privés.

            • Bob dit :

              @ Descartes et Carloman
              Je m’immisce dans cette discussion fort intéressante. Le sujet central est la notion de nation/patrie, mais je rebondis sur un autre mentionné au cours de vos interventions.
              @ Carloman  
              [Je suis très anti-végan, parce que, précisément, je vois dans le véganisme une menace pour la sociabilité sans laquelle il me paraît difficile de « faire nation ». Le véganisme, le plus souvent, est l’expression d’une adhésion à une idéologie écologiste millénariste…]
              Le “véganisme une menace pour la sociabilité” ?
              Carrément. Ne pas apprécier pinard et saucisson fait donc du végétarien une menace ? (Pourriez-vous expliciter en quoi ?)
              “[…] difficile de « faire nation ».”
              Ici encore, est-ce que le fait qu’un individu décide de ne pas manger de la viande fait de lui un obstacle à la nation, un danger pour celle-ci ?
              Personnellement, je réponds non aux deux questions. Le sentiment d’appartenance à une nation ne se base pas sur ce qu’on mange.
              A titre personnel, j’ai arrêté de manger de la viande quand j’ai pris conscience du sort terrible dévolu aux millions d’animaux enfermés et massacrés dans ces camps d’extermination que sont les abattoirs, endroits les plus secrets de notre société, et pour cause…
              Selon votre raisonnement je suis moins sociable que celui qui s’enquille son sandwich au jambon le midi. Je ne le crois pas. A mon avis la sociabilité réelle n’est pas ce qu’on mange mais ce qu’on est dans son rapport aux autres, une certaine politesse, être avenant autant que faire se peut, une cordialité de bon aloi, etc.
              Suis-je, par ailleurs, devenu moins français à partir du moment où j’ai fait ce choix ? Selon vous, oui. Je ne le crois pas non plus. Cette idée me semble même ridicule. J’aime autant mon pays depuis cette décision qu’auparavant.
              Suis-je à présent un obstacle à la nation ? Là encore, je ne le crois pas, et là encore je trouve cela ridicule. Cela n’a rien changé à ma vie publique.
              “Le véganisme, le plus souvent, est l’expression d’une adhésion à une idéologie écologiste millénariste”.
              Fort heureusement, vous nuancez cette affirmation par un “le plus souvent”. Je crois que nombre de végétariens ne sont pas les fanatiques quasi illuminés que vous semblez dépeindre, mais bien simplement des gens qui ont un peu réfléchi aux conséquences de leurs choix alimentaires et qui ne sont pas insensibles au sort fait aux animaux, qui, en conséquence, décident simplement d’arrêter de cautionner ce système.
              L’écologie, au passage, n’est pas une tare.
              @ Descartes :
              [Le véganisme « privé » n’est qu’une variante de la logique érémitique : un individu décide de se couper de la sociabilité humaine et de se priver de ses plaisirs.Lorsqu’elle rentre dans la sphère publique, que la pratique devient un moyen de séparer la société en groupes soumis à des règles différentes, cela pose problème. ].
              Classez-vous un repas / apéro sur le lieu de travail comme étant la sphère privée ou la sphère publique ? Le végétarien “du travail” pose-t-il problème ?
               
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Je suis très anti-végan, parce que, précisément, je vois dans le véganisme une menace pour la sociabilité sans laquelle il me paraît difficile de « faire nation ». Le véganisme, le plus souvent, est l’expression d’une adhésion à une idéologie écologiste millénariste… » Le “véganisme une menace pour la sociabilité” ? Carrément. Ne pas apprécier pinard et saucisson fait donc du végétarien une menace ? (Pourriez-vous expliciter en quoi ?)]

              Ne pas apprécier pinard et saucisson ne fait pas du véganisme une menace. Le fait d’alimenter le ressentiment envers ceux qui l’apprécient, oui. C’est là le problème. Le véganisme se limite rarement à un choix de consommation personnelle. Elle s’accompagne généralement d’un prosélytisme, et d’une condamnation sans appel de ceux qui ne partagent pas ce choix. Et il est difficile de faire de la sociabilité avec quelqu’un qui vous explique que parce que vous faites un barbecue vous êtes un ennemi public, et pourquoi pas un suppôt du patriarcat – souvenez-vous de la remarque de Sandrine Rousseau…

              [Ici encore, est-ce que le fait qu’un individu décide de ne pas manger de la viande fait de lui un obstacle à la nation, un danger pour celle-ci ? Personnellement, je réponds non aux deux questions. Le sentiment d’appartenance à une nation ne se base pas sur ce qu’on mange.]

              C’est moins évident que vous ne le dites. Pensez à votre propre enfance, à vos amitiés du lycée et de l’université. Vous verrez que dans ces moments de socialisation, ce qu’on mange et comment on le mange est essentiel. Les traditions culinaires d’un pays sont peut-être l’un des éléments d’unité les plus stables. Devenir végan, c’est aussi renoncer aux plats de son enfance. Et cette renonciation n’est pas socialement neutre. C’est aussi une forme de renonciation à sa filiation.

              [A titre personnel, j’ai arrêté de manger de la viande quand j’ai pris conscience du sort terrible dévolu aux millions d’animaux enfermés et massacrés dans ces camps d’extermination que sont les abattoirs, endroits les plus secrets de notre société, et pour cause…]

              Je ne vois pas très bien en quoi les abattoirs seraient un endroit plus « secret » que n’importe quelle usine. Quant à en faire les « endroits les plus secrets de notre société », tout ce qui est excessif est négligeable. Après, sur le fond : l’être humain est un animal carnivore – la preuve est dans notre dentition. Avez-vous le projet de rendre végétariens tous les autres animaux carnivores, ou seulement les animaux humains ?

              [Selon votre raisonnement je suis moins sociable que celui qui s’enquille son sandwich au jambon le midi. Je ne le crois pas. A mon avis la sociabilité réelle n’est pas ce qu’on mange mais ce qu’on est dans son rapport aux autres, une certaine politesse, être avenant autant que faire se peut, une cordialité de bon aloi, etc.]

              Sauf que la « cordialité de bon aloi » ne se manifeste pas in abstracto. Elle se construit et s’exprime dans des circonstances concrètes. Et le rapport à la nourriture est, dans toutes les civilisations, une des circonstances où ce rapport aux autres s’exprime avec le plus de force. Partager – ou refuser de partager – la nourriture de l’autre, ce n’est pas un geste banal dans pratiquement aucune culture.

              [Suis-je, par ailleurs, devenu moins français à partir du moment où j’ai fait ce choix ? Selon vous, oui. Je ne le crois pas non plus. Cette idée me semble même ridicule. J’aime autant mon pays depuis cette décision qu’auparavant. Suis-je à présent un obstacle à la nation ? Là encore, je ne le crois pas, et là encore je trouve cela ridicule. Cela n’a rien changé à ma vie publique.]

              Il ne faut pas confondre un phénomène individuel et une transformation collective. Le fait que VOUS soyez devenu végan (en fait, si j’ai bien compris, ce n’est pas tout à fait le cas, puisque vous avez décidé de ne pas consommer de viande uniquement) est une chose, le fait que le véganisme devienne un phénomène social en est une autre.

              [“Le véganisme, le plus souvent, est l’expression d’une adhésion à une idéologie écologiste millénariste”. Fort heureusement, vous nuancez cette affirmation par un “le plus souvent”. Je crois que nombre de végétariens ne sont pas les fanatiques quasi illuminés que vous semblez dépeindre, mais bien simplement des gens qui ont un peu réfléchi aux conséquences de leurs choix alimentaires et qui ne sont pas insensibles au sort fait aux animaux, qui, en conséquence, décident simplement d’arrêter de cautionner ce système.]

              Est-ce que vous avez renoncé à consommer des produits fabriqués dans le tiers monde par une main d’œuvre sans droits sociaux et payés au lance-pierres ? Non ? C’est donc que vous « cautionnez ce système ». Qu’est ce qui fait que vous « refusez de cautionner le système » qui tue les animaux, mais acceptez de « cautionner le système » qui exploite les hommes ? Ce contraste vous montre que votre choix est bien un choix idéologique. Pour vous, élever des poules en cage est plus grave que de parquer des Bangladeshis à six par pièce et de les obliger à travailler 16 heures par jour.

              [L’écologie, au passage, n’est pas une tare.]

              Mais l’écologisme, si.

              [« Le véganisme « privé » n’est qu’une variante de la logique érémitique : un individu décide de se couper de la sociabilité humaine et de se priver de ses plaisirs. Lorsqu’elle rentre dans la sphère publique, que la pratique devient un moyen de séparer la société en groupes soumis à des règles différentes, cela pose problème. » Classez-vous un repas / apéro sur le lieu de travail comme étant la sphère privée ou la sphère publique ?]

              Cela dépend de quel élément du repas vous prenez en considération. S’il y a une interdiction générale de consommer de l’alcool sur le lieu de travail, alors cette interdiction relève de la sphère publique. Si les individus ont le droit souverain de consommer ou non des cochonnailles, alors cette consommation relève de la sphère privée. C’est là tout le problème : quand un collègue ne prend pas les cochonnailles – parce qu’il n’aime pas, parce que sa religion lui interdit, parce qu’il est végétarien – c’est une affaire privée. Quand la personne prétend transformer ce choix personnel en règle général, et exige que les cochonnailles ne soient pas proposées, il prétend déplacer son choix privé dans la sphère publique.

              [Le végétarien “du travail” pose-t-il problème ?]

              Lorsqu’il prétend imposer ses choix aux autres, oui.

            • Carloman dit :

              @ Bob,
               
              [Le “véganisme une menace pour la sociabilité” ?]
              Oui. Je persiste et signe. Et je vais m’en expliquer.
               
              [Ne pas apprécier pinard et saucisson fait donc du végétarien une menace ? (Pourriez-vous expliciter en quoi ?)]
              D’abord, « végétarien » et « végan », ce n’est absolument pas la même chose. Si j’invite quelqu’un – appelons-le Bob – à manger et que cette personne me dit : « moi, tu sais, je ne consomme pas de viande », ça ne me pose pas de problème. Je lui préparerai un plat avec du poisson, ou des œufs ou une spécialité fromagère. Maintenant, si Bob me dit « je suis végan » et si je m’en tiens à la définition canonique du végan, je serai bien plus embêté. Car le végan ne mange « rien qui soit issu des animaux » donc pas de viande, pas de poisson, pas d’œuf, pas de fromage. Je risque fort de dire à Bob qu’il ne pourra pas venir manger à la maison… N’est-ce pas là un « problème de sociabilité » ? Je veux bien qu’on s’adapte un peu, par amitié, au goût des gens, mais quand ça devient de l’intégrisme…
               
              Ce serait la même chose pour un juif ou pour un musulman : si la personne me dit que pour des raisons religieuses, elle ne consomme pas de porc, je lui ferai un plat sans porc. Maintenant, si la personne me dit : si ce n’est pas du casher ou du hallal, je n’en mange pas, alors là, elle ira voir ailleurs.
               
              Dernière chose, je ne saisis pas pourquoi le végan refuserait le pinard. Le saucisson, je comprends, mais le pinard ?
               
              [Ici encore, est-ce que le fait qu’un individu décide de ne pas manger de la viande fait de lui un obstacle à la nation, un danger pour celle-ci ?]
              Je n’ai pas parlé d’un « individu végan », j’ai parlé du véganisme comme pratique collective. Il est évident qu’un végan ne représente aucun danger. Mais vingt végans, cinquante végans, mille végans… Les revendications communautaires ne vont pas tarder.
               
              [A titre personnel, j’ai arrêté de manger de la viande quand j’ai pris conscience du sort terrible dévolu aux millions d’animaux enfermés et massacrés dans ces camps d’extermination que sont les abattoirs, endroits les plus secrets de notre société, et pour cause… ]
              Oui, je connais ce discours. En tant qu’amateur de foie gras, j’ai eu droit aux remarques sur les pauvres animaux torturés par le gavage.
              Mais tant que moi et quelques autres nous continuons à manger de la viande, les « camps d’extermination que sont les abattoirs » continueront à fonctionner à plein régime. En fait, votre renonciation n’a aucune conséquence, aucune efficacité. Pourquoi continuer à se priver ?
               
              [Selon votre raisonnement je suis moins sociable que celui qui s’enquille son sandwich au jambon le midi.]
              Vous n’avez pas suivi mon raisonnement : le danger ne vient pas d’un individu qui ne mange pas son sandwich au jambon – il m’arrive d’ailleurs fréquemment de manger des sandwichs sans viande – mais du véganisme comme « mouvement de masse » qui remet en cause les habitudes alimentaires traditionnelles pour des raisons éthiques, donc idéologiques.
               
              [A mon avis la sociabilité réelle n’est pas ce qu’on mange mais ce qu’on est dans son rapport aux autres, une certaine politesse, être avenant autant que faire se peut, une cordialité de bon aloi, etc.]
              Je suis d’accord avec vous. Maintenant imaginons que j’invite une personne à manger, et que je lui propose un barbecue. Cette personne me répond que le barbecue lui fait horreur, que la consommation de viande alimente les « camps d’extermination que sont les abattoirs » et que donc mon état de carniste vaut complicité d’un système aussi cruel que criminel. Pensez-vous franchement, sans tomber dans le ridicule, que cette personne mériterait le qualificatif de « poli », « courtois », « cordial » ? Et des gens comme ça, j’en connais.
               
              [Suis-je, par ailleurs, devenu moins français à partir du moment où j’ai fait ce choix ? Selon vous, oui.]
              Je ne pense pas avoir dit une chose pareille. D’abord, il ne m’appartient pas de décider qui est Français et qui ne l’est pas. La qualité de Français est un statut juridique indépendant de ma volonté. Je me borne à constater que celui qui renonce à toute consommation de viande renonce de facto à tout un pan de la gastronomie française, qui, je vous le rappelle, est classée au « patrimoine immatériel de l’humanité ». Sommes-nous au moins d’accord là-dessus ?
               
              Maintenant si vous me dites que vous avez lu tout Hugo, tout Zola, tout Baudelaire, que vous connaissez la Marseillaise par cœur, que les biographies de Louis XIV, de Napoléon et de Gaulle n’ont aucun secret pour vous, que vous êtes passionné de patrimoine, que vous avez servi des années dans l’armée ou que vous travaillez dans une administration ou une grande entreprise publique, et que cela compense très largement le fait de ne pas manger de bœuf bourguignon, je suis d’accord avec vous.
               
              Cela étant dit, imaginer une France sans élevage, je trouve ça étrange. Il y a certainement des progrès à faire en matière de réduction des maltraitances animales, mais de là à renoncer à la consommation de viande, n’est-ce pas un peu excessif ?
               
              [Je crois que nombre de végétariens ne sont pas les fanatiques quasi illuminés que vous semblez dépeindre, mais bien simplement des gens qui ont un peu réfléchi aux conséquences de leurs choix alimentaires et qui ne sont pas insensibles au sort fait aux animaux, qui, en conséquence, décident simplement d’arrêter de cautionner ce système.]
              Les végétariens, peut-être – je n’ai pas parlé des végétariens d’ailleurs – mais les végans, je suis moins sûr.
               
              Mais je note que n’étant ni l’un ni l’autre, je n’ai apparemment « pas réfléchi aux conséquences de mes choix alimentaires » et je « cautionne ce système ». Pour le dire autrement, je n’ai pas vu la lumière. Ai-je bien compris ?

            • Bob dit :

              @ Descartes
              [Est-ce que vous avez renoncé à consommer des produits fabriqués dans le tiers monde par une main d’œuvre sans droits sociaux et payés au lance-pierres ? Non ?]
              Sur quels éléments vous basez vous pour affirmer que je n’ai pas “renoncé à consommer des produits fabriqués dans le tiers monde par une main d’œuvre sans droits sociaux et payés au lance-pierre” ?
              [Pour vous, élever des poules en cage est plus grave que de parquer des Bangladeshis à six par pièce et de les obliger à travailler 16 heures par jour.]
              Ce n’est pas *plus* grave. Les deux sont à proscrire. La comparaison avec les déplorables conditions de travail dans certains pays est souvent reprise par ceux qui disent qu’il y a suffisamment à faire pour améliorer le sort des hommes, que les animaux passeront après. Sauf qu’à ce compte-là, personne ne fera jamais rien pour les animaux. Certains agissent pour les hommes, d’autres pour les humains, c’est très bien ainsi.
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Est-ce que vous avez renoncé à consommer des produits fabriqués dans le tiers monde par une main d’œuvre sans droits sociaux et payés au lance-pierres ? Non ? » Sur quels éléments vous basez vous pour affirmer que je n’ai pas “renoncé à consommer des produits fabriqués dans le tiers monde par une main d’œuvre sans droits sociaux et payés au lance-pierre” ?]

              Je ne pense avoir rien « affirmé ». Relisez mon commentaire, vous verrez qu’il est rédigé en mode interrogatif. Si vous y avez renoncé, vous avez l’opportunité de répondre positivement à la question. Je constate par ailleurs que vous ne le faites pas. J’en déduis donc que mon anticipation de votre réponse était la bonne. J’aurais d’ailleurs été étonné par une réponse différente : dans notre société, la seule manière de « renoncer à consommer des produits fabriqués dans le tiers monde par une main d’œuvre sans droits sociaux et payés au lance-pierre », c’est de se priver d’un grand nombre de produits, puisqu’il n’y a pas pour ces produits d’offre alternative raisonnable.

              [« Pour vous, élever des poules en cage est plus grave que de parquer des Bangladeshis à six par pièce et de les obliger à travailler 16 heures par jour. » Ce n’est pas *plus* grave. Les deux sont à proscrire.]

              Pourtant, vous avez refusé de consommer les produits des unes, et pas des autres. Comment expliquer cette différence ?

              [La comparaison avec les déplorables conditions de travail dans certains pays est souvent reprise par ceux qui disent qu’il y a suffisamment à faire pour améliorer le sort des hommes, que les animaux passeront après. Sauf qu’à ce compte-là, personne ne fera jamais rien pour les animaux. Certains agissent pour les hommes, d’autres pour les humains, c’est très bien ainsi.]

              On peut renverser votre argument, et dire que si on fait passer les animaux avant, on ne fera jamais rien pour les hommes… personnellement, si le choix se pose entre mettre les hommes en premier au risque qu’on ne fasse rien pour les animaux, ou de mettre les animaux en premier au risque qu’on ne fasse rien pour les hommes, mon choix est clair.

            • Bob dit :

              @ Carloman
              [N’est-ce pas là un « problème de sociabilité » ? Je veux bien qu’on s’adapte un peu, par amitié, au goût des gens, mais quand ça devient de l’intégrisme…]
              Je vous concède qu’inviter un végan pour un repas n’est pas chose aisée. Pour moi cependant, l’aspect gastronomique n’est qu’une portion congrue de la sociabilité.
               
              [Dernière chose, je ne saisis pas pourquoi le végan refuserait le pinard. Le saucisson, je comprends, mais le pinard ?]
              J’ai associé le vin aux cochonnailles car les deux vont souvent de pair, mais cela n’a pas d’importance dans cette discussion.
               
              [Il est évident qu’un végan ne représente aucun danger. Mais vingt végans, cinquante végans, mille végans… Les revendications communautaires ne vont pas tarder.]
              Au départ, vous aviez écrit : “Je suis très anti-végan”, et non je suis contre le véganisme, il me semble donc qu’il faut comprendre “je suis contre les végans”.
               
              [En fait, votre renonciation n’a aucune conséquence, aucune efficacité. Pourquoi continuer à se priver ?]
              Ce n’est pas le fait que mon choix aura, ou n’aura pas, de conséquences qui le guide. S’il peut en avoir parce qu’un grand nombre finit par renoncer au foie gras et qu’économiquement ce secteur n’y trouve plus d’intérêts financiers, tant mieux ; sinon, tant pis. Je le fais – et oui, c’est un choix idéologique – parce que je considère que c’est la “bonne” chose à faire.
              A titre individuel, en outre, une grande partie de nos actions n’a pas d’influence, ce n’est que collectivement qu’elles en ont. Que je renonce ou pas à prendre une douche durant 20 minutes n’affecte en rien la planète, est-ce que je continue pour autant, non. Que je jette ou pas des bouteilles en plastique dans la nature, idem.
               
              [Maintenant imaginons que j’invite une personne à manger, et que je lui propose un barbecue. Cette personne me répond que le barbecue lui fait horreur, que la consommation de viande alimente les « camps d’extermination que sont les abattoirs » et que donc mon état de carniste vaut complicité d’un système aussi cruel que criminel. Pensez-vous franchement, sans tomber dans le ridicule, que cette personne mériterait le qualificatif de « poli », « courtois », « cordial » ? Et des gens comme ça, j’en connais.]
              Cette personne pourrait se contenter de poliment refuser votre invitation.
              Pour prendre mon cas personnel, je ne mange plus de viande mais continue à me nourrir d’oeufs, de poissons (je ne suis pas végan au sens strict). Invité à un barbecue par des amis, je m’y rendrai, ils auront la prévenance de prévoir autre chose que de la viande pour moi, j’aurai la délicatesse de ne pas critiquer leur choix.
              [la gastronomie française, qui, je vous le rappelle, est classée au « patrimoine immatériel de l’humanité ». Sommes-nous au moins d’accord là-dessus ?]
              Non, pas totalement. C’est le repas gastronomique (son rituel, sa pratique) qui est classé, et non la gastronomie en tant que telle. Le site de l’Unesco ne fait d’ailleurs référence à aucune recette qui serait typiquement française.
               
              [Maintenant si vous me dites que vous avez lu tout Hugo, tout Zola, tout Baudelaire, que vous connaissez la Marseillaise par cœur, que les biographies de Louis XIV, de Napoléon et de Gaulle n’ont aucun secret pour vous, que vous êtes passionné de patrimoine, que vous avez servi des années dans l’armée ou que vous travaillez dans une administration ou une grande entreprise publique, et que cela compense très largement le fait de ne pas manger de bœuf bourguignon, je suis d’accord avec vous.]
              Mais pourquoi devrais-je “compenser” parce que je ne mange pas de bœuf bourguignon ? En creux, cela indique qu’il y a désormais un manque à ma “francité” depuis que je ne mange plus de viande ; ce avec quoi je suis en total désaccord.
              Allons dans votre sens, celui qui mange bœuf bourguignon, choucroute, foie gras, etc. n’aurait rien à “compenser”  et se verrait ipso facto accordé le droit à ne rien connaitre de la culture française sans faire “obstacle à la nation” ?
              [Cela étant dit, imaginer une France sans élevage, je trouve ça étrange. Il y a certainement des progrès à faire en matière de réduction des maltraitances animales, mais de là à renoncer à la consommation de viande, n’est-ce pas un peu excessif ?]
              Je ne suis pas contre l’élevage. Je suis contre le fait d’élever (et tuer) des être vivants comme s’ils étaient des objets. Dans les fermes-usines de plusieurs étages, on met des casques aux vaches pour leur faire croire qu’elles pâturent.
              Est-ce excessif ? je ne crois pas, mais évidemment c’est purement subjectif.
               
              [Mais je note que n’étant ni l’un ni l’autre, je n’ai apparemment « pas réfléchi aux conséquences de mes choix alimentaires » et je « cautionne ce système ». Pour le dire autrement, je n’ai pas vu la lumière. Ai-je bien compris ?]
              Je ne peux pas savoir si vous y avez réfléchi. Je constate que nombre de personnes ne font pas de lien (ou refusent de le faire) entre la barquette de viande sous cellophane du centre commercial et ce qui précède cette mise en barquette.
              Pour l’exemple du foie gras, si vous êtes conscient du gavage nécessaire pour le produire et que, en toute connaissance de cause, vous décidez ne pas vouloir y renoncer, soit, c’est votre choix.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [@ Carloman
              « N’est-ce pas là un « problème de sociabilité » ? Je veux bien qu’on s’adapte un peu, par amitié, au goût des gens, mais quand ça devient de l’intégrisme… » Je vous concède qu’inviter un végan pour un repas n’est pas chose aisée. Pour moi cependant, l’aspect gastronomique n’est qu’une portion congrue de la sociabilité.]

              Je me permets d’intervenir dans votre échange. Je pense qu’il faut distinguer entre une préférence alimentaire et une idéologie. Personnellement, je mange très peu de viande rouge. Non par idéologie, mais parce que je n’aime pas trop la cuisiner, et que je préfère le poulet ou le poisson. Mais si un copain m’invite à manger chez lui et sert de la viande, je la mangerai ne serait-ce que par politesse, et je n’en ferai pas une histoire. Ma préférence alimentaire n’est donc pas un obstacle à la sociabilité, parce qu’une préférence permet toujours des accommodements raisonnables. Mais à partir du moment ou cela devient une idéologie, et donc un refus absolu, cela pose véritablement un problème.

              Quant à votre remarque selon laquelle « l’aspect gastronomique n’est qu’une portion congrue de la sociabilité », je la trouve étrange. Depuis des millénaires, la manière dont on partage la nourriture et avec qui on la partage est un élément essentiel de la sociabilité. La chose a été jugée si importante que nous sont parvenus le détail des banquets antiques, y compris les listes d’invités, les menus, les recettes et même le détail de la vaisselle utilisée. Certaines traditions de partage sont mêmes devenues des rituels – pensez au pain et au sel qu’on vous offre dans les pays slaves. Lorsqu’en pleine affaire Markovic De Gaulle veut montrer publiquement son soutien à Georges Pompidou, il ne l’invite pas au concert, au stade, au théâtre. Il l’invite à diner. Partager sa nourriture avec quelqu’un, c’est peut-être le plus ancien geste de sociabilité. Il existe même chez certains animaux !

              [Ce n’est pas le fait que mon choix aura, ou n’aura pas, de conséquences qui le guide. S’il peut en avoir parce qu’un grand nombre finit par renoncer au foie gras et qu’économiquement ce secteur n’y trouve plus d’intérêts financiers, tant mieux ; sinon, tant pis. Je le fais – et oui, c’est un choix idéologique – parce que je considère que c’est la “bonne” chose à faire.]

              Oui, et c’est là tout le problème. Parce que, quand un geste est prescrit par l’idéologie, il divise le monde entre les « bons » (ceux qui le font) et les « mauvais » (ceux qui ne le font pas). Autrement dit, si renoncer au foie gras c’est la « bonne chose à faire », alors ceux qui ne renoncent pas font la « mauvaise chose ». Comment voulez-vous dans ces conditions qu’il y ait une sociabilité possible entre ceux qui mangent du foie gras et ceux qui considèrent ce geste comme diabolique ?

              [« Maintenant imaginons que j’invite une personne à manger, et que je lui propose un barbecue. Cette personne me répond que le barbecue lui fait horreur, que la consommation de viande alimente les « camps d’extermination que sont les abattoirs » et que donc mon état de carniste vaut complicité d’un système aussi cruel que criminel. Pensez-vous franchement, sans tomber dans le ridicule, que cette personne mériterait le qualificatif de « poli », « courtois », « cordial » ? Et des gens comme ça, j’en connais. » Cette personne pourrait se contenter de poliment refuser votre invitation.]

              Mais si elle refuse poliment votre invitation, où est la « sociabilité » ?

              [Pour prendre mon cas personnel, je ne mange plus de viande mais continue à me nourrir d’oeufs, de poissons (je ne suis pas végan au sens strict). Invité à un barbecue par des amis, je m’y rendrai, ils auront la prévenance de prévoir autre chose que de la viande pour moi, j’aurai la délicatesse de ne pas critiquer leur choix.]

              Mais s’ils n’ont pas cette prévenance – par exemple, parce qu’ils ignorent que vous êtes végan – quelle sera votre réaction. Consentirez-vous à manger du foie gras « pour une fois » pour leur faire plaisir, laissant de côté votre préférence, ou resterez-vous dans une position inébranlable et refuserez-vous de participer aux réjouissances ? C’est là je pense la question. La « sociabilité » implique une capacité à faire des concessions pour rentrer dans un cadre commun hérité d’une histoire. Or le propre des interdits alimentaires idéologiques – qu’ils soient religieux ou pas – est de n’accepter aucun compromis. C’est en cela qu’ils sont dangereux.

              [« Cela étant dit, imaginer une France sans élevage, je trouve ça étrange. Il y a certainement des progrès à faire en matière de réduction des maltraitances animales, mais de là à renoncer à la consommation de viande, n’est-ce pas un peu excessif ? » Je ne suis pas contre l’élevage. Je suis contre le fait d’élever (et tuer) des êtres vivants comme s’ils étaient des objets.]

              Cette prévenance s’étend-t-elle aux végétaux ? Et si oui, refusez-vous de manger une pêche si le pêcher n’a pas été traité avec tendresse ? Savez-vous que pour qu’un arbre fruitier donne des beaux fruits, il est indispensable de couper certaines branches ?

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Je ne vois pas très bien en quoi les abattoirs seraient un endroit plus « secret » que n’importe quelle usine. Quant à en faire les « endroits les plus secrets de notre société », tout ce qui est excessif est négligeable. Après, sur le fond : l’être humain est un animal carnivore – la preuve est dans notre dentition. Avez-vous le projet de rendre végétariens tous les autres animaux carnivores, ou seulement les animaux humains ?]
              Les usines organisent souvent des “portes ouvertes”. En avez-vous déjà vues pour aller visiter un abattoir ?
              L’être humain est omnivore plutôt que carnivore.
              Je n’ai aucun projet, je me borne à agir comme il me semble juste.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Je ne vois pas très bien en quoi les abattoirs seraient un endroit plus « secret » que n’importe quelle usine. Quant à en faire les « endroits les plus secrets de notre société », tout ce qui est excessif est négligeable. » Les usines organisent souvent des “portes ouvertes”. En avez-vous déjà vues pour aller visiter un abattoir ?]

              Je ne sais pas que les usines « organisent souvent des « portes ouvertes » ». Surtout celles dont les activités ne sont pas particulièrement attractives. Franchement, si un abattoir organisait une journée « portes ouvertes », iriez-vous le visiter ? A votre avis, y aurait-il beaucoup de gens pour y aller et pour amener leurs enfants ? Non, bien sur que non. Si les abattoirs pas plus que les décharges publiques n’organisent pas des « journées portes ouvertes », c’est parce qu’ils savent que personne ou presque ne viendrait, et que ce n’est donc pas la peine de faire l’effort. Cela n’a rien à voir avec une quelconque volonté de « secret ». Et quand bien même ce serait le cas, cela ne ferait pas des abattoirs « les endroits les plus secrets de notre société ». Vous pouvez sans difficulté vous procurer la localisation exacte d’un abattoir, ses caractéristiques et même ses plans en allant au cadastre. Essayez de faire la même chose pour une base militaire, par exemple…

              [« Après, sur le fond : l’être humain est un animal carnivore – la preuve est dans notre dentition. Avez-vous le projet de rendre végétariens tous les autres animaux carnivores, ou seulement les animaux humains ? » L’être humain est omnivore plutôt que carnivore.]

              Comme disent les Anglais, « I rest my case, M’lud ».

              [Je n’ai aucun projet, je me borne à agir comme il me semble juste.]

              Et pensez-vous qu’il soit « juste » de rendre les animaux carnivores végétariens ? Ou seulement l’homme ?

            • Bob dit :

              @ Descartes
              [
              Je constate par ailleurs que vous ne le faites pas. J’en déduis donc que mon anticipation de votre réponse était la bonne. J’aurais d’ailleurs été étonné par une réponse différente : dans notre société, la seule manière de « renoncer à consommer des produits fabriqués dans le tiers monde par une main d’œuvre sans droits sociaux et payés au lance-pierre », c’est de se priver d’un grand nombre de produits, puisqu’il n’y a pas pour ces produits d’offre alternative raisonnable.]
              Autant que possible, j’achète UE puisqu’on peut supposer que les droits élémentaires des travailleurs qui les auront produits sont respectés.
              S’il y a moyen de savoir qu’on objet a été produit au mépris de ces droits, s’il ne m’est pas indispensable pour vivre, je m’en passerai.
              [Pourtant, vous avez refusé de consommer les produits des unes, et pas des autres. Comment expliquer cette différence ?]
              Cf. ma réponse précédente.
              [On peut renverser votre argument, et dire que si on fait passer les animaux avant, on ne fera jamais rien pour les hommes… personnellement, si le choix se pose entre mettre les hommes en premier au risque qu’on ne fasse rien pour les animaux, ou de mettre les animaux en premier au risque qu’on ne fasse rien pour les hommes, mon choix est clair.]
              C’est souvent l’argument utilisé pour justifier de ne devoir rien faire pour les animaux. Comme je l’ai dit, certains œuvrent pour les animaux, d’autres pour les hommes, et c’est heureux. Je ne dis pas qu’on doit faire passer les animaux avant les hommes, je pense qu’on doit agir *aussi* pour eux.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Autant que possible, j’achète UE puisqu’on peut supposer que les droits élémentaires des travailleurs qui les auront produits sont respectés.]

              C’est loin d’être suffisant. Les produits fabriqués dans l’UE le sont très couramment à partir de pièces ou de matières premières provenant du reste du monde – i.e. de pays dans lesquels les travailleurs ont peu de droits et des salaires misérables.

              [S’il y a moyen de savoir qu’on objet a été produit au mépris de ces droits, s’il ne m’est pas indispensable pour vivre, je m’en passerai.]

              Autrement dit, pas de téléphone portable, pas d’ordinateur… comment faites-vous pour participer à ce blog ?

            • P2R dit :

              @ Bob
              [Je suis contre le fait d’élever (et tuer) des êtres vivants comme s’ils étaient des objets.]
              Si vous le permettez j’aimerais vous poser une question, n’y voyez absolument aucune malice ou arrière pensée de ma part mais une curiosité pure, dans le cadre d’une réflexion sociologique: 
               
              Quelle est votre position quant à l’euthanasie et me suicide assisté ? 

            • Bob dit :

              @ Descartes

              [Mais si un copain m’invite à manger chez lui et sert de la viande, je la mangerai ne serait-ce que par politesse, et je n’en ferai pas une histoire. Ma préférence alimentaire n’est donc pas un obstacle à la sociabilité, parce qu’une préférence permet toujours des accommodements raisonnables. Mais à partir du moment ou cela devient une idéologie, et donc un refus absolu, cela pose véritablement un problème.]
              Cela n’en devient vraiment un que lorsque vos hôtes n’ont aucun égard pour les choix de ceux qu’ils reçoivent.
              [Quant à votre remarque selon laquelle « l’aspect gastronomique n’est qu’une portion congrue de la sociabilité », je la trouve étrange. […]. Partager sa nourriture avec quelqu’un, c’est peut-être le plus ancien geste de sociabilité. Il existe même chez certains animaux !].
              Certes, mais la “sociabilité” est loin de se réduire aux repas.
              [Oui, et c’est là tout le problème. […]. Comment voulez-vous dans ces conditions qu’il y ait une sociabilité possible entre ceux qui mangent du foie gras et ceux qui considèrent ce geste comme diabolique ?]
              Qui a parlé de diabolique ? Je vous rejoins, tout ce qui est excessif est négligeable.
              C’est tout à fait possible. J’ai déjà participé à des apéros au bureau où était servi du foie gras. Je n’en ai pas fait un… fromage. Et tout s’est très bien passé, il suffit d’accepter les choix des autres, même si on les estime “non justes”.
              [Mais si elle refuse poliment votre invitation, où est la « sociabilité » ?]
              Elle se fera ailleurs qu’autour d’un repas. Encore une fois, sociabilité n’est pas l’égal de repas partagé, à mon sens en tout cas.
              [Mais s’ils n’ont pas cette prévenance – par exemple, parce qu’ils ignorent que vous êtes végan – quelle sera votre réaction. Consentirez-vous à manger du foie gras « pour une fois » pour leur faire plaisir, laissant de côté votre préférence, ou resterez-vous dans une position inébranlable et refuserez-vous de participer aux réjouissances ? C’est là je pense la question. La « sociabilité » implique une capacité à faire des concessions pour rentrer dans un cadre commun hérité d’une histoire. Or le propre des interdits alimentaires idéologiques – qu’ils soient religieux ou pas – est de n’accepter aucun compromis. C’est en cela qu’ils sont dangereux.]
              C’est une excellente remarque/question.
              Je resterai sur mes positions je pense. Je ne vois pas en quoi cela est dangereux.
              (cela n’a pas d’importance quant au débat, mais je ne suis pas végan, j’ai uniquement banni la viande/cochonnailles/foie gras)
              [« Cela étant dit, imaginer une France sans élevage, je trouve ça étrange. Il y a certainement des progrès à faire en matière de réduction des maltraitances animales, mais de là à renoncer à la consommation de viande, n’est-ce pas un peu excessif ? » Je ne suis pas contre l’élevage. Je suis contre le fait d’élever (et tuer) des êtres vivants comme s’ils étaient des objets.]
              Cette prévenance s’étend-t-elle aux végétaux ? Et si oui, refusez-vous de manger une pêche si le pêcher n’a pas été traité avec tendresse ? Savez-vous que pour qu’un arbre fruitier donne des beaux fruits, il est indispensable de couper certaines branches ?
              Pour moi, non.
              L’argument du “cri de la carotte qu’on déterre” est un grand classique de ceux qui veulent tourner en dérision les végétariens/vegans. Comparaison n’est pas raison. Abattre une vache et couper la branche d’un arbre me paraissent être de nature très différente.

               
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Mais si un copain m’invite à manger chez lui et sert de la viande, je la mangerai ne serait-ce que par politesse, et je n’en ferai pas une histoire. Ma préférence alimentaire n’est donc pas un obstacle à la sociabilité, parce qu’une préférence permet toujours des accommodements raisonnables. Mais à partir du moment ou cela devient une idéologie, et donc un refus absolu, cela pose véritablement un problème. » Cela n’en devient vraiment un que lorsque vos hôtes n’ont aucun égard pour les choix de ceux qu’ils reçoivent.]

              Autrement dit, mes hôtes doivent s’adapter à mes goûts par égard pour moi, mais moi je n’ai pas à m’adapter aux leurs par égard pour eux. Je vois mal comment une telle logique rendrait possible une quelconque « sociabilité ». Ca ressemble à la logique infantile du « on joue comme je veux, ou pas du tout ».

              [« Quant à votre remarque selon laquelle « l’aspect gastronomique n’est qu’une portion congrue de la sociabilité », je la trouve étrange. […]. Partager sa nourriture avec quelqu’un, c’est peut-être le plus ancien geste de sociabilité. Il existe même chez certains animaux ! » Certes, mais la “sociabilité” est loin de se réduire aux repas.]

              Elle ne « se réduit pas » aux repas, mais c’est tout de même un élément fondamental.

              [« Mais s’ils n’ont pas cette prévenance – par exemple, parce qu’ils ignorent que vous êtes végan – quelle sera votre réaction. Consentirez-vous à manger du foie gras « pour une fois » pour leur faire plaisir, laissant de côté votre préférence, ou resterez-vous dans une position inébranlable et refuserez-vous de participer aux réjouissances ? C’est là je pense la question. La « sociabilité » implique une capacité à faire des concessions pour rentrer dans un cadre commun hérité d’une histoire. Or le propre des interdits alimentaires idéologiques – qu’ils soient religieux ou pas – est de n’accepter aucun compromis. C’est en cela qu’ils sont dangereux. » C’est une excellente remarque/question. Je resterai sur mes positions je pense. Je ne vois pas en quoi cela est dangereux.]

              Mais POURQUOI resterez-vous sur vos positions ? Il est évident que ce n’est pas parce que vous mangerez « pour une fois » du foie gras que le sort des canards et des oies changera radicalement. Pourquoi alors une telle concession pour faire plaisir à vos hôtes – qui vous offrent un mets qui, pour eux, est précieux – est-il si coûteux pour vous ?

              Ce raisonnement vous montre que votre attitude n’est pas guidée par le souci du sort des pauvres bêtes, mais pour quelque chose d’autre. En refusant de faire une exception, vous ne pensez à eux, mais à vous. Refuser une exception, c’est une question d’idéologie. En refusant le foie gras, vous préservez votre « pureté », vous refusez de vous « souiller » moralement.

              [« Cette prévenance s’étend-t-elle aux végétaux ? Et si oui, refusez-vous de manger une pêche si le pêcher n’a pas été traité avec tendresse ? Savez-vous que pour qu’un arbre fruitier donne des beaux fruits, il est indispensable de couper certaines branches ? » Pour moi, non.]

              Ca veut dire quoi « pour vous non » ? La taille des arbres fruitiers ou de la vigne est une pratique millénaire, et sans elle l’arbre ne donne que des fruits d’une qualité médiocre et en petite quantité.

              [L’argument du “cri de la carotte qu’on déterre” est un grand classique de ceux qui veulent tourner en dérision les végétariens/vegans. Comparaison n’est pas raison. Abattre une vache et couper la branche d’un arbre me paraissent être de nature très différente.]

              Pourquoi ? Si on est antispéciste, il faut l’être jusqu’au bout… pensez-vous qu’un végétal ne “souffre” pas lorsqu’on l’arrache ?

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [C’est loin d’être suffisant. Les produits fabriqués dans l’UE le sont très couramment à partir de pièces ou de matières premières provenant du reste du monde – i.e. de pays dans lesquels les travailleurs ont peu de droits et des salaires misérables.]
              Je fais avec les informations dont je dispose.
              [Autrement dit, pas de téléphone portable, pas d’ordinateur… comment faites-vous pour participer à ce blog ?]
              Est-il sûr à 100% que l’ordinateur que j’utilise a été produit par l’exploitation de travailleurs asiatiques ?
              En outre, ordinateur et téléphone sont devenus des objets quasiment indispensables dans notre société de l’internet.
              Encore une fois, je fais “au mieux”.
               
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« C’est loin d’être suffisant. Les produits fabriqués dans l’UE le sont très couramment à partir de pièces ou de matières premières provenant du reste du monde – i.e. de pays dans lesquels les travailleurs ont peu de droits et des salaires misérables. » Je fais avec les informations dont je dispose.]

              Et qu’est ce qui vous permet d’assurer, « avec l’information dont vous disposez », que le filet de porc que vous voyez au supermarché ne provient pas d’un animal qui a été élevé avec tous les égards dus à son rang ? Curieusement, vous concluez que TOUTE viande vient par essence d’un animal maltraité, mais quand il s’agit de l’origine des produits industriels, vous attendez des preuves…

              [« Autrement dit, pas de téléphone portable, pas d’ordinateur… comment faites-vous pour participer à ce blog ? » Est-il sûr à 100% que l’ordinateur que j’utilise a été produit par l’exploitation de travailleurs asiatiques ?]

              Pas forcément asiatiques. Les métaux précieux qui entrent dans sa fabrication ont peut-être été extraits par un travailleur africain. Mais ce dont vous pouvez être sûr, c’est que les travailleurs qui ont extrait ces métaux ne bénéficient pas d’une protection sociale et de salaires dignes…

              [En outre, ordinateur et téléphone sont devenus des objets quasiment indispensables dans notre société de l’internet.]

              Je ne vois pas en quoi. On peut parfaitement survivre sans. Bien sûr, la vie est moins agréable… mais on pourrait dire la même chose de la viande.

            • Bob dit :

              @ P2R
              [@ Bob[Je suis contre le fait d’élever (et tuer) des êtres vivants comme s’ils étaient des objets.]Si vous le permettez j’aimerais vous poser une question, n’y voyez absolument aucune malice ou arrière pensée de ma part mais une curiosité pure, dans le cadre d’une réflexion sociologique:  Quelle est votre position quant à l’euthanasie et me suicide assisté ? ]
              Délicate question. Je suis plutôt pour.

            • Bob dit :

              @ Descartes
              [Je ne vois pas très bien en quoi les abattoirs seraient un endroit plus « secret » que n’importe quelle usine.]
              Les usines mettent souvent en valeur leur modernité ou efficacité par des films de propagande. Voyons-nous pareille chose pour les abattoirs ? Non. CQFD.
              [Si les abattoirs pas plus que les décharges publiques n’organisent pas des « journées portes ouvertes », c’est parce qu’ils savent que personne ou presque ne viendrait, et que ce n’est donc pas la peine de faire l’effort. Cela n’a rien à voir avec une quelconque volonté de « secret ». Et quand bien même ce serait le cas, cela ne ferait pas des abattoirs « les endroits les plus secrets de notre société ». Vous pouvez sans difficulté vous procurer la localisation exacte d’un abattoir[…].]
              Par “secret” je ne voulais pas dire au sens de localisation géographique mais au sens que tout est fait pour cacher absolument ce qui s’y passe.
              “Cela n’a rien à voir avec une quelconque volonté de « secret “, je pense de mon côté au contraire que cela a tout à voir avec la volonté de ne pas divulguer (soit de garder secret) aux potentiels consommateurs les douces choses qui y ont cours et que le quidam ne fasse pas (ou plus) le lien viande/animal vivant; qui sait ? cela en ferait peut-être réfléchir plus d’un…

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Je ne vois pas très bien en quoi les abattoirs seraient un endroit plus « secret » que n’importe quelle usine. » Les usines mettent souvent en valeur leur modernité ou efficacité par des films de propagande. Voyons-nous pareille chose pour les abattoirs ? Non. CQFD.]

              Vous n’avez rien démontré du tout. Je ne me souviens pas de films de propagande mettant en exergue la « modernité » ou « l’efficacité » des hôpitaux psychiatriques, des décharges publiques ou les crématoires. Diriez-vous que de tels établissements sont « secrets » ? Dois-je comprendre que pour vous toutes les activités qui ne font pas des films publicitaires doivent être considérés comme « secrètes » ?

              Il n’y a rien de « secret » dans les abattoirs. Simplement, ils exercent une activité qu’on préfère ignorer. Si ces activités ne s’affichent pas, c’est moins parce que ceux qui les exercent veulent les garder « secrètes », que parce que les citoyens comme vous et moi n’ont pas envie qu’on le leur rappelle. Et c’est vrai de beaucoup d’activités : on ne voit pas beaucoup de films publicitaires sur la « modernité » d’un crématoire ou d’un service d’IVG…

              [Par “secret” je ne voulais pas dire au sens de localisation géographique mais au sens que tout est fait pour cacher absolument ce qui s’y passe.]

              « Tout est fait pour cacher absolument » ? Concrètement, quelles sont les mesures prises pour « cacher absolument » ? Les abattoirs sont-ils classifiés « secret défense » ? Non. Alors, à quoi faites vous référence ?

              [“Cela n’a rien à voir avec une quelconque volonté de « secret “, je pense de mon côté au contraire que cela a tout à voir avec la volonté de ne pas divulguer (soit de garder secret) aux potentiels consommateurs les douces choses qui y ont cours et que le quidam ne fasse pas (ou plus) le lien viande/animal vivant; qui sait ? cela en ferait peut-être réfléchir plus d’un…]

              J’en doute. Je vous rappelle que pendant très longtemps la population française a été majoritairement paysanne, et que le paysan voyait quotidiennement abattre des animaux de ferme – quand il ne participait lui-même à l’acte. Pour le paysan, le lien entre la viande et l’animal vivant était assez évident. Et pourtant, je ne vois pas que cela ait eu un effet radical sur sa « réflexion » sur ses habitudes alimentaires. Au contraire : le paysan est bien moins tenté par la sensiblerie animaliste que le citadin, qui n’a qu’un contact épisodique avec l’animal et ne « fait pas le lien » entre celui-ci et ce qu’il a dans son assiette.

            • Carloman dit :

              @ Bob,
               
              [Je vous concède qu’inviter un végan pour un repas n’est pas chose aisée.]
              Pardon, mais la sociabilité française, qu’on le veuille ou non, se cultive souvent autour d’une bonne table…
               
              [Au départ, vous aviez écrit : “Je suis très anti-végan”, et non je suis contre le véganisme, il me semble donc qu’il faut comprendre “je suis contre les végans”.]
              Eh bien, je me suis mal fait comprendre. Les végans en tant qu’individus ne sont pas pour moi une préoccupation. Ce qui suscite mon hostilité, ce sont les végans en tant que militants et défenseurs d’une idéologie. Rappelons quand même que les végans constituent la frange « radicalisée » des végétariens, puisque, outre la non-consommation de tout produit alimentaire provenant d’un animal (ce qui est la définition du végétalien), les végans refusent l’utilisation de toute matière issue de l’exploitation animale pour le vêtement, les produits de beauté, etc : cuir, laine, soie…
               
              Or l’argument de la maltraitance animale est parfois discutable : on peut élever des moutons et les tondre sans les torturer ; on peut élever des poules et consommer les œufs non fécondés sans les traumatiser. Par conséquent, il me paraît quand même très difficile de m’expliquer que les végans ont juste fait « un choix de vie » par amour de nos amis les bêtes. Non, ce qui sous-tend le véganisme, c’est une idéologie – qui cherche d’ailleurs à se donner un vernis scientifique et universitaire – qui porte un nom : l’antispécisme. Je veux bien entendre que tous les antispécistes ne sont aussi détestables qu’Aymeric Caron, mais il n’en demeure pas moins qu’ils pensent à peu près la même chose.
               
              [S’il peut en avoir parce qu’un grand nombre finit par renoncer au foie gras et qu’économiquement ce secteur n’y trouve plus d’intérêts financiers, tant mieux.]
              L’objectif est donc l’asphyxie économique du secteur de production du foie gras, c’est bien cela ? Quid des gens qui voudront encore en consommer lorsque ce ne sera plus rentable d’en produire ? Eh bien tant pis pour eux.
               
              Je vais vous dire en toute franchise : ce qui me gêne dans votre raisonnement, c’est l’idée que « quand on sera assez nombreux, les autres seront obligés de faire comme nous ». Je n’aime pas du tout cette façon de faire. Moi, les végétariens ne me dérangent pas. Je ne partage pas leur choix, mais je ne me sens pas autorisé à leur faire la leçon et à leur imposer le rôti de bœuf. J’aimerais assez que la réciproque soit vraie. Que des restaurants proposent plats et menus végétariens, après tout, ça ne me choque pas tant qu’il y a autre chose à la carte. Mais c’est vrai que j’apprécierais que les végétariens me rendent la pareille, et ne cherchent pas à me faire changer de régime alimentaire. Or, désolé, les végans représentent la branche la plus fanatique et la plus intolérante de la mouvance végétarienne. Les végans, pour la plupart d’entre eux, mènent une Croisade au nom de la Lumière. Il n’y a pas de débat possible.
               
              [Que je renonce ou pas à prendre une douche durant 20 minutes n’affecte en rien la planète, est-ce que je continue pour autant, non.]
              Cela n’affecte peut-être pas la planète, mais votre facture d’eau, si. Il y a donc un motif rationnel pour cesser de prendre des douches de 20 mn. D’autant que les périodes de restriction d’eau s’allongent dans de nombreuses régions françaises…
               
              Derrière la consommation de viande, les abattoirs, les élevages, les boucheries, etc, il y a aussi des emplois, il y a un secteur économique. Vous allez me dire que ces gens-là pourront aller travailler dans d’autres secteurs, mais c’est loin d’être certain. La récolte et la vente des fruits et des légumes, si elle demande du travail, est moins complexe et, à mon avis, réclame moins d’opérations et moins de métiers. Arracher des carottes ou ramasser des pommes, cela ne demande pas une longue formation. Mais si on me donne une carcasse de bœuf, je serai infoutu de me découper un tournedos… Sans même parler d’élever la bête.
               
              [Que je jette ou pas des bouteilles en plastique dans la nature, idem.]
              Pardon, pardon, cela a un impact très réel sur la qualité de vie à travers la propreté de votre environnement. Car les bouteilles en plastique, soi dit en passant, encombrent davantage les trottoirs, les caniveaux, les parkings, les plages que la « nature ».
               
              [je ne mange plus de viande mais continue à me nourrir d’oeufs, de poissons]
              Beaucoup de poissons sont issus de l’élevage…
               
              [(je ne suis pas végan au sens strict)]
              Pour tout vous dire, je m’en doutais. Sauf votre respect, si vous étiez végan, vous ne tiendriez pas le discours qui est le vôtre. Le végan, en général, a atteint un tel niveau de radicalisation qu’il estime que c’est une perte de temps d’essayer d’expliquer aux imbéciles la « vérité ».
              Et je me fonde là, non pas sur un reportage à charge vu à la télévision, mais sur les propos des végans eux-mêmes : il y a quelques années, entendant pour la première fois parler du véganisme, je suis allé par curiosité visiter un forum végan et lire les échanges. C’était très instructif… et consternant. Je vous la fais simple : « les animaux d’élevage vivent dans des camps de concentration dignes du III° Reich, il faut avoir la cruauté et l’insensibilité d’un nazi pour manger de la viande ». Je caricature à peine… Désolé mais l’argument de « la Shoah des poulets » me laisse de marbre.
               
              [Invité à un barbecue par des amis, je m’y rendrai, ils auront la prévenance de prévoir autre chose que de la viande pour moi, j’aurai la délicatesse de ne pas critiquer leur choix.]
              Parce que vous êtes, somme toute, un modéré. Et je ne le dis pas de manière péjorative.
               
              Allez, je mets les pieds dans le plat : que pensez-vous des « actions coup de poing » de certaines associations antispécistes ? Les vidéos de L214 ? Les végans faisant le planton devant une boucherie avec un porcelet mort dans les bras pour « sensibiliser » les gens ? Vous reconnaissez-vous dans ces formes de militantisme plutôt agressif ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi ?
               
              [C’est le repas gastronomique (son rituel, sa pratique) qui est classé, et non la gastronomie en tant que telle. Le site de l’Unesco ne fait d’ailleurs référence à aucune recette qui serait typiquement française]
              N’exagérons rien, tout de même : le rituel et la pratique ne sont pas totalement déconnectés de ce qu’il y a dans l’assiette. Le site de l’UNESCO ne donne sans doute aucune recette, mais à mon avis, le rituel en question concerne plus la façon de déguster le fois gras ou le bœuf bourguignon que le steak de soja ou le tofu. Et si on n’a pas donné une liste de recettes, c’est probablement qu’on craignait d’en oublier une…
               
              [En creux, cela indique qu’il y a désormais un manque à ma “francité” depuis que je ne mange plus de viande ; ce avec quoi je suis en total désaccord.]
              Pardon mais, que l’UNESCO ait classé ou non le contenu de l’assiette ne change pas grand-chose à ma remarque : le fait de ne plus consommer de viande vous prive de facto d’un grand nombre de plats issus de la tradition gastronomique française. De cela au moins, vous pouvez convenir.
               
              De la même façon, quelqu’un qui ne saurait pas lire serait de facto privé de l’accès à la littérature française. Cela le rendrait-il moins français ? Sans doute pas. Mais cela réduirait l’épaisseur de sa culture française, je le crois.
               
              [Allons dans votre sens, celui qui mange bœuf bourguignon, choucroute, foie gras, etc. n’aurait rien à “compenser”  et se verrait ipso facto accordé le droit à ne rien connaitre de la culture française sans faire “obstacle à la nation” ?]
              Je ne crois pas avoir dit cela. Cela étant dit, le point de départ de la discussion était moins la question de la culture française que celle de la « sociabilité à la française ». Autrement dit, est-ce que le fait de refuser de consommer de l’alcool, du porc ou de la viande en général, facilite ou rend plus difficile la sociabilité avec les autres ? Ma position est que, indépendamment des cas individuels et des nuances, les restrictions alimentaires débouchent in fine sur une restriction des possibilités d’interactions sociales. Vous ne partagez pas cette position et je l’entends. Et cela n’empêche pas qu’il peut exister bien d’autres obstacles à la sociabilité, je vous le concède volontiers.
               
              [Je ne suis pas contre l’élevage. Je suis contre le fait d’élever (et tuer) des être vivants comme s’ils étaient des objets.]
              J’en discutais une fois avec un éleveur de moutons et il me disait la chose suivante : « les défenseurs de la cause animale s’imaginent qu’on n’a pas de cœur et qu’on n’aime pas nos bêtes. C’est faux, moi je m’attache à mes bêtes. Simplement, il faut comprendre que la finalité de l’élevage, c’est quand même de tuer la bête et de la consommer. » C’est un témoignage qui vaut ce qu’il vaut, mais je le trouve intéressant.
               
              Si vous me disiez que vous n’achetez plus de viande issue des élevages en batterie pour aller chez un boucher qui travaille avec des éleveurs qui font de la qualité – parce que quand on veut faire de la qualité, de la bonne viande, on est obligé de traiter et de soigner ses animaux correctement – je comprendrais votre position. Le problème est que si l’on vous suit, TOUS les élevages, et pas seulement les élevages industriels, disparaîtront.
               
              Personnellement j’essaie dans la mesure du possible de me procurer de la viande de bonne qualité, issue d’élevages plus soucieux de qualité que de quantité. Pourquoi je ne milite pas pour la fin de l’élevage en batterie ? Parce que la qualité a un coût. Moi j’ai les moyens de m’acheter de la bonne viande – et encore, j’ai réduit ma consommation de bœuf, pourtant ma viande préférée – mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Les gens modestes aussi doivent pouvoir manger de la viande.
               
              [Pour l’exemple du foie gras, si vous êtes conscient du gavage nécessaire pour le produire et que, en toute connaissance de cause, vous décidez ne pas vouloir y renoncer, soit, c’est votre choix.]
              Mais que pensez-vous de ce choix ? Pensez-vous que j’ai raison ? Que je commets un crime ? Que je suis un monstre ? Ne me dites pas que vous n’avez pas un avis…

            • Bob dit :

              @ Descartes
              [Autrement dit, mes hôtes doivent s’adapter à mes goûts par égard pour moi, mais moi je n’ai pas à m’adapter aux leurs par égard pour eux. Je vois mal comment une telle logique rendrait possible une quelconque « sociabilité ». Ca ressemble à la logique infantile du « on joue comme je veux, ou pas du tout ».]
              Parce qu’il est très rare d’être accueilli par des gens qui mangent exclusivement de la viande. Le dénominateur commun que sont tous les fruits et légumes (et dans mon cas le poisson) devrait permettre de se retrouver autour de la table en toute cordialité.
              Mes hôtes peuvent consommer de la viande toutes les fois où je ne suis pas leur invité. Ils devraient pouvoir s’en  passer « pour une fois ».
              [Mais POURQUOI resterez-vous sur vos positions ? Il est évident que ce n’est pas parce que vous mangerez « pour une fois » du foie gras que le sort des canards et des oies changera radicalement. Pourquoi alors une telle concession pour faire plaisir à vos hôtes – qui vous offrent un mets qui, pour eux, est précieux – est-il si coûteux pour vous ?Ce raisonnement vous montre que votre attitude n’est pas guidée par le souci du sort des pauvres bêtes, mais pour quelque chose d’autre. En refusant de faire une exception, vous ne pensez à eux, mais à vous. Refuser une exception, c’est une question d’idéologie. En refusant le foie gras, vous préservez votre « pureté », vous refusez de vous « souiller » moralement.]
              Je suis d’accord qu’il s’agit d’idéologie.
              Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est pour préserver ma “pureté” (je ne me considère pas plus “pure” qu’un autre). C’est, comme je l’ai dit, parce que je refuse de cautionner (notamment économiquement) le gavage des oies, système que j’estime cruel.[Ca veut dire quoi « pour vous non » ? La taille des arbres fruitiers ou de la vigne est une pratique millénaire, et sans elle l’arbre ne donne que des fruits d’une qualité médiocre et en petite quantité.]
              Je voulais dire que je n’ai pas cette “prévenance” pour les végétaux.[Pourquoi ? Si on est antispéciste, il faut l’être jusqu’au bout… pensez-vous qu’un végétal ne “souffre” pas lorsqu’on l’arrache ?]
              Je n’ai jamais dit que j’étais anti-spéciste.
              Le végétal souffre-t-il à l’arrachement ? Je n’en ai aucune idée. Ce que je sais, en revanche, ce que les animaux sont des êtres sensibles, les dernières avancées scientifiques sur le sujet font consensus.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Autrement dit, mes hôtes doivent s’adapter à mes goûts par égard pour moi, mais moi je n’ai pas à m’adapter aux leurs par égard pour eux. Je vois mal comment une telle logique rendrait possible une quelconque « sociabilité ». Ca ressemble à la logique infantile du « on joue comme je veux, ou pas du tout ». » Parce qu’il est très rare d’être accueilli par des gens qui mangent exclusivement de la viande.]

              Là n’est pas la question. La question est qu’une sociabilité implique une forme de langage commun. Vous prétendez que vos hôtes parlent votre langue culinaire, mais refusez de parler la leur qui, qui plus est, est celle qui est attachée à notre patrimoine national. Votre dernière remarque est d’ailleurs révélatrice. Vous imposez vos goûts « exclusifs », et la sociabilité ne reste possible que parce que l’autre ne fait pas preuve de la même « exclusivité ». Autrement dit, vous vous placez en position normative : c’est vous qui faites la loi, et la sociabilité n’est possible que si les autres s’y plient (ce qui, selon vous, ne leur demande pas d’effort parce que, eux, ne sont pas « exclusifs » dans leur consommation de viande…).

              [Mes hôtes peuvent consommer de la viande toutes les fois où je ne suis pas leur invité. Ils devraient pouvoir s’en passer « pour une fois ».]

              Eux peuvent déroger « pour une fois » à leurs règles, mais pas vous. Vous ne semblez pas vous rendre compte que vous créez ainsi une asymétrie qui vous place dans la position du normateur. Comment dans ces conditions penser une « sociabilité » ?

              [« Mais POURQUOI resterez-vous sur vos positions ? Il est évident que ce n’est pas parce que vous mangerez « pour une fois » du foie gras que le sort des canards et des oies changera radicalement. Pourquoi alors une telle concession pour faire plaisir à vos hôtes – qui vous offrent un mets qui, pour eux, est précieux – est-il si coûteux pour vous ? Ce raisonnement vous montre que votre attitude n’est pas guidée par le souci du sort des pauvres bêtes, mais pour quelque chose d’autre. En refusant de faire une exception, vous ne pensez à eux, mais à vous. Refuser une exception, c’est une question d’idéologie. En refusant le foie gras, vous préservez votre « pureté », vous refusez de vous « souiller » moralement. » Je suis d’accord qu’il s’agit d’idéologie.]

              Autrement dit, vous vous accordez, comme condition à votre « sociabilité », le droit d’imposer aux autres votre idéologie. Dont acte. C’était bien mon point. C’est pour cette raison précise que les idéologies qui imposent des interdits alimentaires ou vestimentaires stricts doivent être regardées avec une méfiance particulière. Parce qu’elles tendent à fragmenter la société, puisque la sociabilité n’est possible qu’entre ceux qui pratiquent ces interdits, les autres étant priés de se soumettre à eux ou de se tenir à distance.

              [Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est pour préserver ma “pureté” (je ne me considère pas plus “pure” qu’un autre). C’est, comme je l’ai dit, parce que je refuse de cautionner (notamment économiquement) le gavage des oies, système que j’estime cruel.]

              Mais à partir de combien de grammes de foie gras mangé chez vos amis par an estimeriez-vous « cautionner le gavage des oies » ? Que vous vous fassiez une règle de ne jamais en acheter quand l’initiative vous appartient, je peux le comprendre. Mais que vous refusiez d’en manger « pour une fois » même dans un contexte où c’est quelqu’un d’autre qui l’offre – avec les meilleures intentions du monde – c’est cela que je n’arrive pas à comprendre autrement que comme un geste quasi-religieux, une peur d’offenser quelque divinité qui contrôlerait vos faits et gestes et vous punirait même pour une infraction minime.

              [Le végétal souffre-t-il à l’arrachement ? Je n’en ai aucune idée. Ce que je sais, en revanche, ce que les animaux sont des êtres sensibles, les dernières avancées scientifiques sur le sujet font consensus.]

              Sur le fait que les arbres sont des êtres sensibles, il y a aussi un consensus (ce qui ne veut pas nécessairement dire que ce soit vrai, et cela s’applique aussi aux animaux). Mais j’imagine que vous n’hésitez pas à mettre de la mort-aux-rats dans votre cave, condamnant ainsi un certain nombre de ces charmants petits êtres sensibles à une mort horrible. Curieusement, ceux qui ne supportent pas qu’on tue un veau pour le manger ne voient aucun problème à tuer un souriceau…

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Vous n’avez rien démontré du tout. Je ne me souviens pas de films de propagande mettant en exergue la « modernité » ou « l’efficacité » des hôpitaux psychiatriques, des décharges publiques ou les crématoires. Diriez-vous que de tels établissements sont « secrets » ? ]
              Ils ne le sont pas, vous pouvez tranquillement passer la porte de chacun des trois que vous citez sans problème, je doute fort qu’il en soit de même dans un abattoir.
               
              [Dois-je comprendre que pour vous toutes les activités qui ne font pas des films publicitaires doivent être considérés comme « secrètes » ?]
              Bien sûr que non, il s’agissait de prendre un exemple illustrant la différence de “comportement” entre une usine “classique” et un abattoir.
              [« Tout est fait pour cacher absolument » ? Concrètement, quelles sont les mesures prises pour « cacher absolument » ? Les abattoirs sont-ils classifiés « secret défense » ? Non. Alors, à quoi faites vous référence ?]
              Au refus par la filière d’installer des caméras de vidéo surveillance (vidéo protection en novlangue)  – à usage interne évidemment – afin de prévenir les dérives constatées dans un certain nombre d’abattoirs. Lesquelles caméras, selon les expert mandatés, auraient également permis d’améliorer le travail des employés. C’était donc “gagnant-gagnant”.
              Comment comprendre ce refus si ce n’est qu’il s’agit d’éviter absolument de montrer ce qui se passe à l’intérieur ?
              [J’en doute. Je vous rappelle que pendant très longtemps la population française a été majoritairement paysanne, et que le paysan voyait quotidiennement abattre des animaux de ferme – quand il ne participait lui-même à l’acte. Pour le paysan, le lien entre la viande et l’animal vivant était assez évident.]
              Nous sommes d’accord.
              [Et pourtant, je ne vois pas que cela ait eu un effet radical sur sa « réflexion » sur ses habitudes alimentaires. Au contraire : le paysan est bien moins tenté par la sensiblerie animaliste que le citadin, qui n’a qu’un contact épisodique avec l’animal et ne « fait pas le lien » entre celui-ci et ce qu’il a dans son assiette.]
              Notre société étant devenue majoritairement citadine, ce lien a en grande partie disparu, et la filière de la viande s’en porte d’autant mieux.
               
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Vous n’avez rien démontré du tout. Je ne me souviens pas de films de propagande mettant en exergue la « modernité » ou « l’efficacité » des hôpitaux psychiatriques, des décharges publiques ou les crématoires. Diriez-vous que de tels établissements sont « secrets » ? » Ils ne le sont pas, vous pouvez tranquillement passer la porte de chacun des trois que vous citez sans problème, je doute fort qu’il en soit de même dans un abattoir.]

              Vous pouvez « tranquillement passer la porte » d’un hôpital psychiatrique pour voir comment on traite les malades ? Je ne sais pas dans quel monde vous vivez, mais dans celui-ci, les hôpitaux psychiatriques sont des établissements fermés, et le public n’est admis que dans une toute petite partie de l’établissement. Même chose pour les crématoires. Les décharges sont elles des ICPE, et l’entrée est réservée aux personnes autorisées.

              [« « Tout est fait pour cacher absolument » ? Concrètement, quelles sont les mesures prises pour « cacher absolument » ? Les abattoirs sont-ils classifiés « secret défense » ? Non. Alors, à quoi faites vous référence ? » Au refus par la filière d’installer des caméras de vidéosurveillance (vidéo protection en novlangue) – à usage interne évidemment – afin de prévenir les dérives constatées dans un certain nombre d’abattoirs.]

              Pouvez-vous m’indiquer quels sont les établissements industriels ou commerciaux qui admettent l’installation de ce type de caméras ? Franchement, si c’est cela que vous appelez une mesure « pour cacher absolument ce qui se passe », alors je pense que la très grande majorité des lieux de travail sont « secrets »… Je vous rappelle par ailleurs que la loi interdit rigoureusement l’utilisation de la vidéosurveillance pour contrôler le travail du personnel (voir la fiche CNIL https://www.cnil.fr/sites/cnil/files/attachment_109_79.pdf).

              [Comment comprendre ce refus si ce n’est qu’il s’agit d’éviter absolument de montrer ce qui se passe à l’intérieur ?]

              Comme un respect strict des dispositions législatives. Voir les références dans la fiche ci-dessus.

              [« Et pourtant, je ne vois pas que cela ait eu un effet radical sur sa « réflexion » sur ses habitudes alimentaires. Au contraire : le paysan est bien moins tenté par la sensiblerie animaliste que le citadin, qui n’a qu’un contact épisodique avec l’animal et ne « fait pas le lien » entre celui-ci et ce qu’il a dans son assiette. » Notre société étant devenue majoritairement citadine, ce lien a en grande partie disparu, et la filière de la viande s’en porte d’autant mieux.]

              C’était bien mon point : si vous montrez ce qui se passe dans les abattoirs, il n’est en rien évident – comme vous l’affirmiez – que cela dissuaderait les gens de consommer de la viande. Au contraire, cela pourrait les dé-sensibiliser, comme c’était le cas des paysans autrefois.

            • Bob dit :

              @ Carloman

               [Eh bien, je me suis mal fait comprendre. Les végans en tant qu’individus ne sont pas pour moi une préoccupation. Ce qui suscite mon hostilité, ce sont les végans en tant que militants et défenseurs d’une idéologie. Rappelons quand même que les végans constituent la frange « radicalisée » des végétariens, puisque, outre la non-consommation de tout produit alimentaire provenant d’un animal (ce qui est la définition du végétalien), les végans refusent l’utilisation de toute matière issue de l’exploitation animale pour le vêtement, les produits de beauté, etc : cuir, laine, soie…]
              Il y a eu un malentendu de départ entre nous alors.
              Mais pourquoi avez-vous ciblé les végans en particulier? cela m’intrigue.
              Doit-on en conclure que vous êtres contre tous les “militants et défenseurs d’une idéologie”, tous les adeptes des -ismes (socialisme, communisme, etc.), ou les végans sont les seuls à subir votre détestation ? et si c’est le cas, pourquoi eux et pas les autres “militants” ?    [L’objectif est donc l’asphyxie économique du secteur de production du foie gras, c’est bien cela ? Quid des gens qui voudront encore en consommer lorsque ce ne sera plus rentable d’en produire ? Eh bien tant pis pour eux.]
              Ces gens feront comme on fait avec tous les produits qui ont disparu parce que non rentables, ils feront sans.  
              [Moi, les végétariens ne me dérangent pas. Je ne partage pas leur choix, mais je ne me sens pas autorisé à leur faire la leçon et à leur imposer le rôti de bœuf.]
              Je pourrais écrire la même phrase en remplaçant “végétariens” par “mangeurs de viande” et “rôti de bœuf” par “tofu”.
              [J’aimerais assez que la réciproque soit vraie. Que des restaurants proposent plats et menus végétariens, après tout, ça ne me choque pas tant qu’il y a autre chose à la carte. Mais c’est vrai que j’apprécierais que les végétariens me rendent la pareille, et ne cherchent pas à me faire changer de régime alimentaire. ]
              Elle devrait l’être.
              Personnellement je n’ai jamais essayé d’imposer mes vues à qui que ce soit. Discuter du sujet, oui, mais forcer l’autre, non.
              [Or, désolé, les végans représentent la branche la plus fanatique et la plus intolérante de la mouvance végétarienne. Les végans, pour la plupart d’entre eux, mènent une Croisade au nom de la Lumière. Il n’y a pas de débat possible.]
              C’est dommage, et cela nuit sans doute à leur cause.  [Derrière la consommation de viande, les abattoirs, les élevages, les boucheries, etc, il y a aussi des emplois, il y a un secteur économique. Vous allez me dire que ces gens-là pourront aller travailler dans d’autres secteurs, mais c’est loin d’être certain. La récolte et la vente des fruits et des légumes, si elle demande du travail, est moins complexe et, à mon avis, réclame moins d’opérations et moins de métiers. Arracher des carottes ou ramasser des pommes, cela ne demande pas une longue formation. Mais si on me donne une carcasse de bœuf, je serai infoutu de me découper un tournedos… Sans même parler d’élever la bête.]
              Que certains secteurs d’activité disparaissent et que des gens soient contraints de se reconvertir, je crois que cela est inhérent au capitalisme. [Pardon, pardon, cela a un impact très réel sur la qualité de vie à travers la propreté de votre environnement. Car les bouteilles en plastique, soi dit en passant, encombrent davantage les trottoirs, les caniveaux, les parkings, les plages que la « nature ».]
              Mon point était que mon acte individuel, pris isolément, n’a pas forcément d’impact sur le monde et que par conséquent ce n’est pas de savoir s’il aura ou pas des effets qui me guide quand je décide de le faire. [Beaucoup de poissons sont issus de l’élevage…]
              C’est vrai.
              J’essaie d’acheter des poissons sauvages quand c’est possible, j’avoue être moins sensible à leur sort qu’à celui des quadrupèdes.  [Allez, je mets les pieds dans le plat : que pensez-vous des « actions coup de poing » de certaines associations antispécistes ? Les vidéos de L214 ? Les végans faisant le planton devant une boucherie avec un porcelet mort dans les bras pour « sensibiliser » les gens ? Vous reconnaissez-vous dans ces formes de militantisme plutôt agressif ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi ?]
              Par principe, j’y suis plutôt opposé. Cela dit, la réalité nous rattrape toujours : sans les vidéos choc de L214, je doute que la moindre amélioration dans le traitement des animaux d’élevage n’aurait vu le jour. Ce “militantisme agressif” a au moins pour lui de mettre les choses sous les projecteurs, et dans notre société, peu compte plus que cela. [N’exagérons rien, tout de même : le rituel et la pratique ne sont pas totalement déconnectés de ce qu’il y a dans l’assiette. Le site de l’UNESCO ne donne sans doute aucune recette, mais à mon avis, le rituel en question concerne plus la façon de déguster le fois gras ou le bœuf bourguignon que le steak de soja ou le tofu. Et si on n’a pas donné une liste de recettes, c’est probablement qu’on craignait d’en oublier une…]
              C’est votre extrapolation, je ne la partage pas.
              Il est remarquable, tout de même, que PAS UNE recette ne figure sur le site de l’Unesco.  [le fait de ne plus consommer de viande vous prive de facto d’un grand nombre de plats issus de la tradition gastronomique française. De cela au moins, vous pouvez convenir]
              Je ne peux pas en disconvenir, en effet. [De la même façon, quelqu’un qui ne saurait pas lire serait de facto privé de l’accès à la littérature française. Cela le rendrait-il moins français ? Sans doute pas. Mais cela réduirait l’épaisseur de sa culture française, je le crois.]
              J’ai plaisir à lire que cela ne le rendrait pas “moins français”. [Autrement dit, est-ce que le fait de refuser de consommer de l’alcool, du porc ou de la viande en général, facilite ou rend plus difficile la sociabilité avec les autres ?]
              Cela rend plus difficile de partager des repas, mais la “sociabilité” est (bien) loin de se réduire à cela, même si cela en fait évidemment partie.
              Au passage, vous êtes contre les végans militants. Etes-vous autant opposés au gens qui ne boivent pas d’alcool, de vin disons – pour quelque motif que ce soit – et qui refuseront le verre de bordeaux que vous leur offrirez ? Le vin, me direz-vous, fait partie de notre “culture”.
              Derrière cette question se cache mon désir de savoir si c’est le coté végan ou bien le côté militant qui vous dérange tant. [J’en discutais une fois avec un éleveur de moutons et il me disait la chose suivante : « les défenseurs de la cause animale s’imaginent qu’on n’a pas de cœur et qu’on n’aime pas nos bêtes. C’est faux, moi je m’attache à mes bêtes. Simplement, il faut comprendre que la finalité de l’élevage, c’est quand même de tuer la bête et de la consommer. » C’est un témoignage qui vaut ce qu’il vaut, mais je le trouve intéressant.]
              Ce témoignage est sous aucun doute très vrai. Je suis moi-même issu d’une famille dont certains des oncles étaient éleveurs, et je ne peux que confirmer. [Si vous me disiez que vous n’achetez plus de viande issue des élevages en batterie pour aller chez un boucher qui travaille avec des éleveurs qui font de la qualité – parce que quand on veut faire de la qualité, de la bonne viande, on est obligé de traiter et de soigner ses animaux correctement – je comprendrais votre position.]
              J’ai arrêté progressivement la viande, en commençant par le chemin que vous décrivez.
              [Le problème est que si l’on vous suit, TOUS les élevages, et pas seulement les élevages industriels, disparaîtront.]
              Pourquoi ? [Personnellement j’essaie dans la mesure du possible de me procurer de la viande de bonne qualité, issue d’élevages plus soucieux de qualité que de quantité. Pourquoi je ne milite pas pour la fin de l’élevage en batterie ? Parce que la qualité a un coût. Moi j’ai les moyens de m’acheter de la bonne viande – et encore, j’ai réduit ma consommation de bœuf, pourtant ma viande préférée – mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Les gens modestes aussi doivent pouvoir manger de la viande.]
              Premièrement, pourquoi les gens (modestes ou pas) doivent-ils pouvoir manger de la viande ? On peut très bien s’en passer et vivre en bonne santé, pour preuve les millions de végétariens sont bien… vivants, n’est-ce pas ?
              Deuxièmement, pour que les gens “modestes” puissent s’en offrir, vous acceptez qu’ils aient accès à de la viande… de mauvaise qualité (viande souvent obtenue dans de mauvaises conditions). Pour ma part, je préférerais que les gens qui souhaitent manger de la viande s’orientent vers de la “bonne viande”, quitte à en manger moins. [Mais que pensez-vous de ce choix ? Pensez-vous que j’ai raison ? Que je commets un crime ? Que je suis un monstre ? Ne me dites pas que vous n’avez pas un avis…]
              Vous ne commettez aucun crime, vous n’êtes nullement un monstre.
              Mais ce choix cautionne un système qui inflige des souffrances aux oies (et il n’y a pas de doute possible  – contrairement aux biens manufacturés cités par Descartes en rapport avec l’exploitation des ouvriers- : il est certain que le gavage des oies génère la douleur).
              Le choix “raisonnable” est donc, me concernant, de s’en passer.
               

               
               

            • Bob dit :

              @ Descartes
              [Et qu’est ce qui vous permet d’assurer, « avec l’information dont vous disposez », que le filet de porc que vous voyez au supermarché ne provient pas d’un animal qui a été élevé avec tous les égards dus à son rang ? Curieusement, vous concluez que TOUTE viande vient par essence d’un animal maltraité, mais quand il s’agit de l’origine des produits industriels, vous attendez des preuves…]
              Non, ce n’est pas ma conclusion, en effet il est impossible de l’affirmer ou de l’infirmer.

              [Pas forcément asiatiques. Les métaux précieux qui entrent dans sa fabrication ont peut-être été extraits par un travailleur africain. Mais ce dont vous pouvez être sûr, c’est que les travailleurs qui ont extrait ces métaux ne bénéficient pas d’une protection sociale et de salaires dignes…]
              J’ai parlé des Asiatiques car vous évoquiez les Bangladeshis.
              C’est probablement le cas.
              Sur le fond, si on voulait ne pas consommer tout bien qui a généré de la douleur (humaine ou animale) pour être produit, on n’achèterait plus grand-chose.
              Certains aident les animaux, d’autres les hommes, c’est heureux.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Sur le fond, si on voulait ne pas consommer tout bien qui a généré de la douleur (humaine ou animale) pour être produit, on n’achèterait plus grand-chose.]

              C’est bien mon point. Alors, quel est le sens de refuser de manger du foie gras, même « pour une fois » ? L’idée qu’on « cautionne » un système parce qu’on achète quelque chose qui a généré de la souffrance est une absurdité. On vit dans un système qui fonctionne d’une certaine manière, et sauf à aller vivre dans une île déserte – ce que personne n’est prêt à faire, quoi qu’on en dise – on participe à son fonctionnement. On peut le faire en ayant conscience que ce système est cruel ou injuste, mais cela reste sur le plan subjectif.

              [Certains aident les animaux, d’autres les hommes, c’est heureux.]

              Et certains – la très grande majorité – se donnent bonne conscience en s’imaginant que parce qu’ils ne consomment pas tel ou tel produit ils changent quelque chose.

            • Bob dit :

              @ Descartes

              [Là n’est pas la question. La question est qu’une sociabilité implique une forme de langage commun.]
              Oui. Ce “langage commun”, je le vois dans les fruits et légumes que quasiment chacun consomme.
              [Vous prétendez que vos hôtes parlent votre langue culinaire, mais refusez de parler la leur qui, qui plus est, est celle qui est attachée à notre patrimoine national. Votre dernière remarque est d’ailleurs révélatrice. Vous imposez vos goûts « exclusifs », et la sociabilité ne reste possible que parce que l’autre ne fait pas preuve de la même « exclusivité ». Autrement dit, vous vous placez en position normative : c’est vous qui faites la loi, et la sociabilité n’est possible que si les autres s’y plient (ce qui, selon vous, ne leur demande pas d’effort parce que, eux, ne sont pas « exclusifs » dans leur consommation de viande…).]

              Si je refuse (quelle qu’en soit la raison) le verre de Champagne – qui fait partie du patrimoine national –  en apéritif, est-ce que je refuse là aussi de parler ce “langage commun” ? Est-ce que cette décision rend impossible aussi toute sociabilité ?
              Pas du tout. Je ne me place en aucune position normative d’aucune sorte ; je n’impose absolument rien à mes hôtes, si ce n’est de respecter mes choix alimentaires, autant que je respecte les leurs.
              S’ils décident de ne pas inclure de viande le jour où ils m’invitent, “pour une fois”, fort bien, mais s’il y en a au menu, je n’en prendrai pas ombrage, tant qu’ils ne me forcent pas à en manger.
              La question de départ est de décider si cela fait de moi quelqu’un de “moins sociable”, je pense que non et qu’un repas dans ces conditions est tout à fait “sociable”.
               

              [Eux peuvent déroger « pour une fois » à leurs règles, mais pas vous. Vous ne semblez pas vous rendre compte que vous créez ainsi une asymétrie qui vous place dans la position du normateur. Comment dans ces conditions penser une « sociabilité » ?]
              Cf. ma réponse précédente.
              [Autrement dit, vous vous accordez, comme condition à votre « sociabilité », le droit d’imposer aux autres votre idéologie. Dont acte. C’était bien mon point. C’est pour cette raison précise que les idéologies qui imposent des interdits alimentaires ou vestimentaires stricts doivent être regardées avec une méfiance particulière. Parce qu’elles tendent à fragmenter la société, puisque la sociabilité n’est possible qu’entre ceux qui pratiquent ces interdits, les autres étant priés de se soumettre à eux ou de se tenir à distance.]
              Absolument pas. Encore une fois, je n’impose qu’une chose : qu’on respecte mes choix *ME* concernant.
              [Mais à partir de combien de grammes de foie gras mangé chez vos amis par an estimeriez-vous « cautionner le gavage des oies » ? Que vous vous fassiez une règle de ne jamais en acheter quand l’initiative vous appartient, je peux le comprendre. Mais que vous refusiez d’en manger « pour une fois » même dans un contexte où c’est quelqu’un d’autre qui l’offre – avec les meilleures intentions du monde – c’est cela que je n’arrive pas à comprendre autrement que comme un geste quasi-religieux, une peur d’offenser quelque divinité qui contrôlerait vos faits et gestes et vous punirait même pour une infraction minime.]
              Loin de tout dogme “religieux”, il s’agit juste de rester cohérent avec moi-même.
              [Sur le fait que les arbres sont des êtres sensibles, il y a aussi un consensus (ce qui ne veut pas nécessairement dire que ce soit vrai, et cela s’applique aussi aux animaux). Mais j’imagine que vous n’hésitez pas à mettre de la mort-aux-rats dans votre cave, condamnant ainsi un certain nombre de ces charmants petits êtres sensibles à une mort horrible. Curieusement, ceux qui ne supportent pas qu’on tue un veau pour le manger ne voient aucun problème à tuer un souriceau…]
              Concernant les animaux, ce consensus est désormais partagé par l’ensemble de la communauté scientifique. Cela a d’ailleurs été inscrit au Code civil en 2015 (article 515-14). Remettez-vous en cause le fait que les animaux sont des êtres sensibles ?
              Il y a aussi désormais un consensus scientifique sur le fait que le réchauffement climatique est principalement dû aux activités humaines. Direz-vous aussi que “[cela] ne veut pas nécessairement dire que ce soit vrai” ?
              Vous imaginez mal. L’année dernière, mon terrain a été envahi par les taupes ; j’ai préféré le laisser devenir un “champ de mines” que d’utiliser un produit chimique pour les éliminer.
               

               
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Là n’est pas la question. La question est qu’une sociabilité implique une forme de langage commun. » Oui. Ce “langage commun”, je le vois dans les fruits et légumes que quasiment chacun consomme.]

              Pour qu’il y ait « langage », il faut qu’il y ait sens. Lorsque je m’assieds à la table d’un ami et qu’il me propose un foie gras, cela transmet un message : le foie gras est un mets délicat et cher, qu’on ne sert que dans les grandes occasions. L’ami qui me le propose me transmet un double message : d’une part, qu’il me considère comme étant une personne de goût, capable d’apprécier un plat délicat, et d’autre part qu’il accorde un grand prix à ma présence à sa table. Mais imaginons qu’il me serve une purée de carottes. Quel message cela transmet ?

              Pour qu’il y ait un « langage commun », il faut d’abord qu’il y ait « langage », c’est-à-dire, un ensemble de signes qui désignent des objets ou des idées. Et le propre du « langage commun », c’est que chacun ne peut inventer le sien, sans quoi il est impossible de se comprendre. Je peux décider que dans mon langage personnel la purée de carottes indique la plus haute considération que j’ai pour mon hôte, mais combien parmi mes hôtes reconnaîtront cette signification ? Le « langage commun » m’est extérieur, il est façonné par l’histoire. Il y a des cultures où offrir le pain et le sel a un sens symbolique des plus élevés. Chez nous, c’est le foie gras et le grand cru.

              [Si je refuse (quelle qu’en soit la raison) le verre de Champagne – qui fait partie du patrimoine national – en apéritif, est-ce que je refuse là aussi de parler ce “langage commun” ? Est-ce que cette décision rend impossible aussi toute sociabilité ?]

              Cela dépend de la raison pour laquelle vous la refusez. S’il s’agit d’une question de santé ou de sécurité – par exemple, parce que vous conduisez – non, parce que ce refus est contemplé par ce « langage commun ». Il y a d’ailleurs dans ce « langage » des formules et des gestes prévus pour exprimer ce refus sans offenser celui qui vous l’offre. Si vous le refusez par principe, parce que ceux qui consomment du Champagne sont des inconscients qui conduisent le monde à sa perte et font souffrir les pieds de vigne, oui, cela constitue un refus de parler ce « langage commun ».

              [Pas du tout. Je ne me place en aucune position normative d’aucune sorte ; je n’impose absolument rien à mes hôtes, si ce n’est de respecter mes choix alimentaires, autant que je respecte les leurs.]

              J’aime bien la formule « je n’impose rien, si ce n’est… ». Donc, vous imposez bien quelque chose. Et vous ne vous contentez pas d’exiger d’eux le « respect de vos choix alimentaires » dans l’abstrait. Vous exigez d’eux qu’ils s’y plient, qu’ils vous servent un repas conforme à vos choix et qu’ils le mangent eux-mêmes (ou alors on sert à chaque convive un plat différent, mais vous m’accorderez que cela limite sérieusement la « sociabilité »).

              [S’ils décident de ne pas inclure de viande le jour où ils m’invitent, “pour une fois”, fort bien, mais s’il y en a au menu, je n’en prendrai pas ombrage, tant qu’ils ne me forcent pas à en manger.]

              Vous m’accorderez qu’inviter quelqu’un et le laisser devant une assiette vide, ce n’est pas particulièrement constructif en termes de sociabilité…

              [« Autrement dit, vous vous accordez, comme condition à votre « sociabilité », le droit d’imposer aux autres votre idéologie. Dont acte. C’était bien mon point. C’est pour cette raison précise que les idéologies qui imposent des interdits alimentaires ou vestimentaires stricts doivent être regardées avec une méfiance particulière. Parce qu’elles tendent à fragmenter la société, puisque la sociabilité n’est possible qu’entre ceux qui pratiquent ces interdits, les autres étant priés de se soumettre à eux ou de se tenir à distance. » Absolument pas. Encore une fois, je n’impose qu’une chose : qu’on respecte mes choix *ME* concernant.]

              Mais comment fait-on pour « respecter » vos choix sans s’y plier ?

              [« Mais à partir de combien de grammes de foie gras mangé chez vos amis par an estimeriez-vous « cautionner le gavage des oies » ? Que vous vous fassiez une règle de ne jamais en acheter quand l’initiative vous appartient, je peux le comprendre. Mais que vous refusiez d’en manger « pour une fois » même dans un contexte où c’est quelqu’un d’autre qui l’offre – avec les meilleures intentions du monde – c’est cela que je n’arrive pas à comprendre autrement que comme un geste quasi-religieux, une peur d’offenser quelque divinité qui contrôlerait vos faits et gestes et vous punirait même pour une infraction minime. » Loin de tout dogme “religieux”, il s’agit juste de rester cohérent avec moi-même.]

              Mais dans la mesure où c’est vous qui faites la règle, vous pouvez rester « cohérent avec vous-même » tout en mangeant du foie gras quand on vous l’offre. Il suffit de vous faire comme règle de ne pas manger sauf dans cette circonstance particulière. Vous parlez comme si la règle en question vous était extérieure, qu’elle vous était imposée par une entité supérieure qui ne tolère de contestation. Ce n’est pas une question d’être « cohérent avec soi-même », mais d’être « cohérent avec un système idéologique ».

              [Concernant les animaux, ce consensus est désormais partagé par l’ensemble de la communauté scientifique. Cela a d’ailleurs été inscrit au Code civil en 2015 (article 515-14).]

              J’ignorais que le Code civil était un texte ayant autorité scientifique.

              [Remettez-vous en cause le fait que les animaux sont des êtres sensibles ?]

              Cela dépend de ce qu’on appelle un « être sensible ». Vous noterez que les rédacteurs de l’article 515-14 du code civil ont prudemment évité de donner une définition précise, se contentant de parler d’êtres « doués de sensibilité » sans plus de précision.

              [Il y a aussi désormais un consensus scientifique sur le fait que le réchauffement climatique est principalement dû aux activités humaines. Direz-vous aussi que “[cela] ne veut pas nécessairement dire que ce soit vrai” ?]

              Exactement. Cela ne veut pas dire que ce soit faux non plus. Il y a dans l’histoire des exemples classiques où le consensus de la communauté scientifique s’est fait sur des affirmations fausses. La méthode scientifique n’a jamais garanti un accès à la vérité. Tout au plus, on peut dire que c’est la méthode qui, plus que n’importe quelle autre, permet de s’approcher de la vérité.

              [Vous imaginez mal. L’année dernière, mon terrain a été envahi par les taupes ; j’ai préféré le laisser devenir un “champ de mines” que d’utiliser un produit chimique pour les éliminer.]

              Pardon, mais je n’ai pas parlé de taupes, j’ai parlé de rats. Donc ?

            • Bob dit :

              @ Descartes

               
              [Pouvez-vous m’indiquer quels sont les établissements industriels ou commerciaux qui admettent l’installation de ce type de caméras ? Franchement, si c’est cela que vous appelez une mesure « pour cacher absolument ce qui se passe », alors je pense que la très grande majorité des lieux de travail sont « secrets »… Je vous rappelle par ailleurs que la loi interdit rigoureusement l’utilisation de la vidéosurveillance pour contrôler le travail du personnel (voir la fiche CNIL https://www.cnil.fr/sites/cnil/files/attachment_109_79.pdf).]
              Je vous le concède. Il n’en reste pas moins que la suggestion d’installer des caméras venait de la commission d’enquête créée à la suite de graves manquements à la législation constatée dans de nombreux abattoirs, et que l’objectif était d’améliorer et le sort des animaux et les conditions de travail des salariés. Je m’étonne qu”une mesure qui aurait dû faire l’unanimité – d’ailleurs en vigueur dans certains pays – ait été rejetée.
               
              [C’était bien mon point : si vous montrez ce qui se passe dans les abattoirs, il n’est en rien évident – comme vous l’affirmiez – que cela dissuaderait les gens de consommer de la viande. Au contraire, cela pourrait les dé-sensibiliser, comme c’était le cas des paysans autrefois.]
              Chiche.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Je vous le concède. Il n’en reste pas moins que la suggestion d’installer des caméras venait de la commission d’enquête créée à la suite de graves manquements à la législation constatée dans de nombreux abattoirs, et que l’objectif était d’améliorer et le sort des animaux et les conditions de travail des salariés.]

              Je vois mal en quoi ce type de « flicage » aurait pu « améliorer les conditions de travail des salariés ». Aimeriez-vous travailler avec une caméra derrière vous qui enregistre vos faits et gestes ? Accepteriez-vous ce genre de surveillance dans votre propre boulot ?

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [C’est bien mon point. Alors, quel est le sens de refuser de manger du foie gras, même « pour une fois » ?]
              C’est rester cohérent avec soi-même.
              Pourquoi alors ai-je un ordinateur dont les métaux rares ont été extraits sans respect des droits des travailleurs, allez-vous me rétorquer ? On ne peut pas être de tous les combats.
              [L’idée qu’on « cautionne » un système parce qu’on achète quelque chose qui a généré de la souffrance est une absurdité.]
              Est-ce si sûr ? Je pense qu’il est difficile de nier que par cet acte d’achat on contribue à la bonne santé financière dudit système, on l’encourage implicitement. On le cautionne donc au moins d’un point de vue économique.
              [Et certains – la très grande majorité – se donnent bonne conscience en s’imaginant que parce qu’ils ne consomment pas tel ou tel produit ils changent quelque chose.]
              Vous êtes bien sévère. A cette aune, si mes (comprendre globalement, “nos” – c’est le nombre qui fera, ou pas, la différence. Difficile de réfuter le fait que les produits qui ne se vendent pas sont retirés du marché -) choix de consommation n’ont strictement aucun effet, à quoi bon acheter UE plutôt que chinois (pour l’exemple) alors ? Vous pensez que c’est uniquement pour se donner bonne conscience. Je pense qu’il est permis d’avoir au moins l’espoir que cela va “dans la bonne direction”, que c’est “juste”. Que ces choix restent sans effet et que cet espoir soit vain, peut-être, est-ce pour autant une raison suffisante pour se résigner et acheter “aveuglément” ? Mon avis est que non.
              .
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« C’est bien mon point. Alors, quel est le sens de refuser de manger du foie gras, même « pour une fois » ? » C’est rester cohérent avec soi-même.]

              Pardonnez-moi, mais c’est une réponse tautologique. Etre « cohérent avec soi-même », c’est respecter la règle qu’on s’est soi-même fixée. Mais cette règle, c’est vous qui la fixez. Si vous décidez que vous ne mangerez pas de foie gras sauf « de temps en temps » quand quelqu’un d’autre vous l’offre, vous serez parfaitement « cohérent avec vous-même » en mangeant du foie gras chez des amis qui vous proposent ce mets. C’est vous qui fixez la règle, elle ne vient pas de l’extérieur. Alors, si vous préférez, je reformule la question : « pourquoi vous fixez-vous la règle de ne JAMAIS manger du foie gras, même pas « pour une fois » ? »

              [Pourquoi alors ai-je un ordinateur dont les métaux rares ont été extraits sans respect des droits des travailleurs, allez-vous me rétorquer ? On ne peut pas être de tous les combats.]

              Certes. Mais le fait qu’on choisisse un combat plutôt qu’un autre est donc signifiant d’une hiérarchie de valeurs. Qu’on mette les animaux de compagnie au-dessus des enfants travailleurs du Bangladesh, cela nous dit quelque chose de l’idéologie de celui qui fait ce choix.

              [« L’idée qu’on « cautionne » un système parce qu’on achète quelque chose qui a généré de la souffrance est une absurdité. » Est-ce si sûr ? Je pense qu’il est difficile de nier que par cet acte d’achat on contribue à la bonne santé financière dudit système, on l’encourage implicitement. On le cautionne donc au moins d’un point de vue économique.]

              Sauf qu’on n’a pas le choix. Nous vivons dans une société capitaliste, qui est fondé sur un rapport de production foncièrement injuste. TOUS les biens que nous achetons sont donc marqués par cette injustice originale. Si le fait d’acheter vous fait « cautionner » le système, alors nous sommes tous en train de « cautionner » l’exploitation de l’homme par l’homme. A partir de là, le mot « cautionner » perd tout son sens.

              [« Et certains – la très grande majorité – se donnent bonne conscience en s’imaginant que parce qu’ils ne consomment pas tel ou tel produit ils changent quelque chose. » Vous êtes bien sévère.]

              Vous trouvez ? Je me trouve plutôt modéré, au contraire…

              [A cette aune, si mes (comprendre globalement, “nos” – c’est le nombre qui fera, ou pas, la différence. Difficile de réfuter le fait que les produits qui ne se vendent pas sont retirés du marché -) choix de consommation n’ont strictement aucun effet, à quoi bon acheter UE plutôt que chinois (pour l’exemple) alors ?]

              A rien. Si on veut privilégier les produits UE par rapport aux chinois – ce qui, au demeurant, n’est pas pour moi un objectif : que les usines françaises soient délocalisées est un problème, qu’elles soient délocalisées en Bulgarie plutôt qu’à Shanghai, je m’en tape – alors il faut faire des lois qui protègent le marché UE. Le geste individuel ne change rien – à part donner bonne conscience à celui qui l’accomplit.

            • Carloman dit :

              @ Bob,
               
              [Mais pourquoi avez-vous ciblé les végans en particulier?]
              Je vous l’ai dit : le véganisme, pour moi, est plus qu’une religion, c’est une forme de puritanisme. Je reproche aux végans exactement ce que je reproche aux islamistes qui nous bassinent avec leurs prescriptions alimentaires…
               
              [Doit-on en conclure que vous êtres contre tous les “militants et défenseurs d’une idéologie”, tous les adeptes des -ismes (socialisme, communisme, etc.), ou les végans sont les seuls à subir votre détestation ? et si c’est le cas, pourquoi eux et pas les autres “militants” ?]
              C’est une excellente question. La réponse est en fait assez simple : est-ce qu’une idéologie représente une menace pour ce qui est important, essentiel pour moi ? Si la réponse est « oui », alors je suis contre le « -isme » en question. Si ce n’est pas le cas, je m’en moque. En effet, je perçois le véganisme comme une menace pour la sociabilité, et donc d’une certaine façon pour l’identité française. Je sais ce que vous allez me dire : « mais enfin, l’identité française, ça ne se résume pas, loin s’en faut, à ce qu’il y a dans l’assiette ! ». Eh bien, pour moi, ce qu’il y a dans l’assiette revêt une grande importance. Et oui, je suis désolé, mais ce qu’on mange dit beaucoup sur qui on est. Pensez par exemple aux insultes comme « bouffeurs de merguez » ou « mangeurs de couscous » adressées à des Maghrébins. Vous voyez bien que derrière un plat, il y a souvent une culture, une tradition, une identité. Croyez-vous que ce soit un hasard si un restaurant grec que je connais a écrit son nom en lettres « imitation grec ancien » ? Si le restaurant japonais dans lequel je vais – tenu par des Chinois – se sent obligé de mettre des gravures et des estampes « japonisantes » au mur ? Si dans le resto libanais que je fréquente parfois, il y a des photographies de la côte libanaise et des objets orientaux aux murs ? Le décor, après tout, n’a pas d’impact sur le contenu de l’assiette. Pourquoi alors vouloir rattacher la gastronomie à quelque chose de plus vaste, de plus “civilisationnel” ?
               
              J’ai l’impression que pour vous, on mange simplement pour alimenter son corps en nutriments essentiels. Ce n’est pas mon cas : je ne mange pas la même chose en fonction des circonstances. Je peux très bien passer trois jours sans manger de viande quand je suis au boulot. Mais, je l’avoue, je n’imagine pas un repas de fête, je n’imagine pas recevoir quelqu’un comme il se doit sans consommer de la viande. D’une part, j’ai été éduqué comme ça, ensuite la consommation d’une belle pièce de viande – ou d’un morceau de foie gras – est associée pour moi au plaisir gustatif et même visuel.
               
              [Ces gens feront comme on fait avec tous les produits qui ont disparu parce que non rentables, ils feront sans.]
              Et si un jour il n’était plus rentable de produire des livres, pensez-vous qu’il serait souhaitable que « les gens s’en passent » ? Au-delà de l’aspect économique, certains produits ont une valeur symbolique, culturelle. Je le dis en toute franchise : c’est le cas du foie gras pour moi. Nous en dégustons depuis mon enfance dans ma famille, à la plupart des repas de fête. Ma défunte grand-mère adorait cela. Vous allez peut-être trouver cela ridicule, mais quand je mange du foie gras – en plus du plaisir bien réel que j’en tire – je perpétue aussi une forme de tradition familiale. Est-ce que je pourrais m’en passer ? Bien sûr, mais la vie serait plus triste sans…
               
              Et c’est précisément ce que je reproche aux végans : faire la promotion d’un mode de vie où le plaisir serait banni. Vous me direz sans doute : « il y a de très bons plats végétariens », et je serai d’accord avec vous. Sauf qu’en ce qui me concerne, la quasi-totalité de mes plats préférés sont à base de viande… Le problème du végan est qu’il prône quand même une idéologie de la privation. Et je pense que pour certains, l’idée de pénitence n’est pas loin.
               
              [Discuter du sujet, oui,]
              Discuter du sujet sans essayer de convaincre ? Sans essayer d’ « ouvrir les yeux » de votre interlocuteur ?
               
              Il m’est arrivé de discuter – et même de manger – avec des végétariens. Je leur demande souvent, par curiosité, ce qui a pu les amener à ce choix. Jamais je ne me permets d’exprimer le moindre jugement de valeur, ou de leur expliquer que « la viande, c’est mieux ». Je ne suis pas convaincu qu’un végan soit capable de s’en tenir à cette stricte neutralité.
               
              [Cela dit, la réalité nous rattrape toujours : sans les vidéos choc de L214, je doute que la moindre amélioration dans le traitement des animaux d’élevage n’aurait vu le jour. Ce “militantisme agressif” a au moins pour lui de mettre les choses sous les projecteurs, et dans notre société, peu compte plus que cela.]
              La fin justifie donc, jusqu’à un certain point, les moyens. Dont acte.
               
              [C’est votre extrapolation, je ne la partage pas.]
              Sauf que le rituel n’est pas le même quand vous mangez un homard grillé que quand vous mangez des carottes râpées (et j’adore les carottes râpées). Le rituel n’a de sens que pour un plat relativement prestigieux.
               
              Mais je suis curieux : pourriez-vous me citer, disons trois recettes célèbres, sans viande ni poisson, issues de la tradition gastronomique française ?
               
              [J’ai plaisir à lire que cela ne le rendrait pas “moins français”.]
              Heureux de vous faire plaisir !
               
              [Etes-vous autant opposés au gens qui ne boivent pas d’alcool, de vin disons – pour quelque motif que ce soit – et qui refuseront le verre de bordeaux que vous leur offrirez ? Le vin, me direz-vous, fait partie de notre “culture”.]
              Je suis opposé à ceux qui ne boivent pas d’alcool par adhésion à un article de foi. Je n’aime pas beaucoup le vin rouge, je n’en achète pas et je n’en consomme pas volontairement, je préfère, et de loin, la bière et le vin blanc. Mais il va de soi que je ne refuse pas un verre de rouge lorsqu’on m’en offre un – surtout si c’est un grand cru.
               
              Ce qui me gêne de manière générale, ce sont les gens qui refusent telle ou telle chose par principe, par une forme de dogmatisme. Après, il y a des choses qu’on n’aime pas, il y a des choses qui nous rendent malade, ou des choses auxquelles on est allergique ; ça c’est autre chose. Dès lors que c’est un refus de principe, pour moi, il y a un refus de partage. Et un refus de partage, c’est un refus de sociabilité… De mon point de vue.
               
              [J’ai arrêté progressivement la viande, en commençant par le chemin que vous décrivez]
              Là, vous piquez ma curiosité.
               
              Vous m’avez expliqué avoir renoncé à la viande pour ne pas cautionner le système des élevages industriels et des abattoirs qui maltraitent les animaux. Qu’est-ce qui vous a poussé à aller plus loin, à renoncer même à la viande issue de filière de qualité et plus soucieuse du bien-être animal ? Par ailleurs, pensez-vous être arrivé au terme de votre cheminement, ou bien envisagez-vous de passer à une étape suivante (par exemple en proscrivant le poisson) ?
               
              [Pourquoi ?]
              Cela me paraît évident : si plus personne – ou plutôt presque plus personne – ne consomme de viande, voire de produits issus des animaux si l’on suit la logique végane, il est inévitable que les élevages périclitent pour des raisons économiques, le capitalisme étant ce qu’il est ainsi que vous l’avez fort justement rappelé. Je n’imagine pas qu’on maintienne des élevages d’animaux de ferme sans autre utilité que de donner un plaisir esthétique aux citadins qui font du vélo à la campagne…
               
              [Premièrement, pourquoi les gens (modestes ou pas) doivent-ils pouvoir manger de la viande ?]
              Parce qu’il me semble normal que tout le monde ait accès à une alimentation variée. Je ne vois pas pourquoi les gens modestes seraient privés de viande. Après tout, il y a certainement une proportion non-négligeable de viandards parmi les gens modestes. Serait-ce juste de condamner les gens qui ont peu de moyen à être végétariens ? A part réjouir, précisément, les défenseurs de la cause végétarienne, je ne vois rien là de très généreux.
               
              [On peut très bien s’en passer et vivre en bonne santé]
              Pour les végétaliens, c’est faux. Ils doivent d’ailleurs prendre des compléments alimentaires, comme de la vitamine B12 il me semble. Un végétarien – s’il ne remplace pas la viande par du poisson – doit être très attentif à ce qu’il mange s’il veut éviter certaines carences.
              Je trouve d’ailleurs étrange de qualifier de « végétarien » une personne qui consomme du poisson (qui est quand même une viande), du fromage et des œufs, mais c’est un autre débat.
               
              [Deuxièmement, pour que les gens “modestes” puissent s’en offrir, vous acceptez qu’ils aient accès à de la viande… de mauvaise qualité (viande souvent obtenue dans de mauvaises conditions)]
              Comme j’accepte moi-même de consommer parfois de la viande de mauvaise qualité, faute de mieux. Mais je vous fais remarquer qu’il existe des recettes qui permettent de se régaler avec de la viande de qualité médiocre : vous la hachez, vous ajoutez des épices et du fromage, vous fourrez dans un petit pain maison par exemple, ou vous les préparez avec des pâtes, et ça passe très bien. Idem pour certains ragoûts. Après, il y a effectivement des plats pour lesquels la qualité de la viande est essentielle.
               
              [Pour ma part, je préférerais que les gens qui souhaitent manger de la viande s’orientent vers de la “bonne viande”, quitte à en manger moins.]
              Et vous aurez une société où la viande sera rare, donc très chère, puisque c’est inhérent aux règles du capitalisme. Et par conséquent, seuls les riches mangeront de la viande. Un peu comme au Moyen Âge…
               
              [il est certain que le gavage des oies génère la douleur]
              Oui, c’est certain. Mais les crocs du lion, lorsqu’ils se referment sur la gorge du gnou, « génèrent de la douleur » également. Je crains que ce soit inhérent à l’existence des carnassiers. Que faire ?
               
              Mais pour que je comprenne bien votre position, êtes-vous favorable à l’interdiction de l’abattage hallal, pour lequel l’animal n’est – normalement – pas étourdi et qui se vide de son sang ? Parce que nous sommes d’accord qu’il est également certain qu’un tel traitement génère de la douleur.

            • Bob dit :

              @ Carloman
               
              [C’est une excellente question. La réponse est en fait assez simple : est-ce qu’une idéologie représente une menace pour ce qui est important, essentiel pour moi ? Si la réponse est « oui », alors je suis contre le « -isme » en question. Si ce n’est pas le cas, je m’en moque. En effet, je perçois le véganisme comme une menace pour la sociabilité, et donc d’une certaine façon pour l’identité française. Je sais ce que vous allez me dire : « mais enfin, l’identité française, ça ne se résume pas, loin s’en faut, à ce qu’il y a dans l’assiette ! ». Eh bien, pour moi, ce qu’il y a dans l’assiette revêt une grande importance. Et oui, je suis désolé, mais ce qu’on mange dit beaucoup sur qui on est. Pensez par exemple aux insultes comme « bouffeurs de merguez » ou « mangeurs de couscous » adressées à des Maghrébins. Vous voyez bien que derrière un plat, il y a souvent une culture, une tradition, une identité. Croyez-vous que ce soit un hasard si un restaurant grec que je connais a écrit son nom en lettres « imitation grec ancien » ? Si le restaurant japonais dans lequel je vais – tenu par des Chinois – se sent obligé de mettre des gravures et des estampes « japonisantes » au mur ? Si dans le resto libanais que je fréquente parfois, il y a des photographies de la côte libanaise et des objets orientaux aux murs ? Le décor, après tout, n’a pas d’impact sur le contenu de l’assiette. Pourquoi alors vouloir rattacher la gastronomie à quelque chose de plus vaste, de plus “civilisationnel” ?]
              Entièrement vrai, je ne nie pas que la gastronomie fasse partie d’une culture, d’une civilisation même, ce serait idiot.
              Mon point de départ est que je ne pense pas que le fait que je ne mange pas de viande lorsque je suis invité me rende su-le-champ moins sociable. 

              [J’ai l’impression que pour vous, on mange simplement pour alimenter son corps en nutriments essentiels. Ce n’est pas mon cas : je ne mange pas la même chose en fonction des circonstances. Je peux très bien passer trois jours sans manger de viande quand je suis au boulot. Mais, je l’avoue, je n’imagine pas un repas de fête, je n’imagine pas recevoir quelqu’un comme il se doit sans consommer de la viande. D’une part, j’ai été éduqué comme ça, ensuite la consommation d’une belle pièce de viande – ou d’un morceau de foie gras – est associée pour moi au plaisir gustatif et même visuel.]
              Non, je suis sur la même ligne que vous : le repas n’est pas neutre, c’est un marqueur, on ne mange pas la même chose un jour banal et à un mariage par exemple.
              J’ai aussi été éduqué avec la viande, cela ne m’empêche pas de changer au gré de discussions, réflexions, etc.

              [Ces gens feront comme on fait avec tous les produits qui ont disparu parce que non rentables, ils feront sans.]Et si un jour il n’était plus rentable de produire des livres, pensez-vous qu’il serait souhaitable que « les gens s’en passent » ? ]
              Peu importe que cela soit souhaitable ou non, cela sera un état de fait, les gens devront de fait s’en passer dès lors que la production cessera.
              Pour les livres, j’en serai peiné, c’est un euphémisme. Mais je ne mais pas sur le même plan l’apport de la littérature à la culture française et l’apport à cette dernière de “manger de la viande”. C’est mon point de vue, que j’admets totalement personnel et peut-être biaisé.

              [Je le dis en toute franchise : c’est le cas du foie gras pour moi. Nous en dégustons depuis mon enfance dans ma famille, à la plupart des repas de fête. Ma défunte grand-mère adorait cela. Vous allez peut-être trouver cela ridicule, mais quand je mange du foie gras – en plus du plaisir bien réel que j’en tire – je perpétue aussi une forme de tradition familiale. Est-ce que je pourrais m’en passer ? Bien sûr, mais la vie serait plus triste sans…]
              Je ne trouve pas cela ridicule. C’est en quelque sorte votre madeleine de Proust.
              Cela dit, toutes les “traditions” (culinaires ou autres) ne sont pas à garder juste parce qu’elle le sont. 

              [Et c’est précisément ce que je reproche aux végans : faire la promotion d’un mode de vie où le plaisir serait banni. Vous me direz sans doute : « il y a de très bons plats végétariens », et je serai d’accord avec vous. Sauf qu’en ce qui me concerne, la quasi-totalité de mes plats préférés sont à base de viande… Le problème du végan est qu’il prône quand même une idéologie de la privation. Et je pense que pour certains, l’idée de pénitence n’est pas loin.]
              Oui, parce que pour le végan cette privation est nécessaire à supprimer douleur et exploitation animales. Il ne la prône pas en tant que telle, elle est une conséquence (encore une fois, je ne suis pas végan, j’essaie de uniquement comprendre). 

              [Discuter du sujet sans essayer de convaincre ? Sans essayer d’ « ouvrir les yeux » de votre interlocuteur ?]
              Oui. Par exemple, je n’essaie nullement de vous convaincre par cette discussion ; je me borne à expliquer (essayer du moins) ma position. Si ces échanges peuvent vous “ouvrir les yeux”, je dirais quant à moi plutôt vous “faire réfléchir” et – pourquoi pas? – changer certains comportements, je n’en serai évidemment pas mécontent, mais ce n’est pas mon “objectif”. 

              [Il m’est arrivé de discuter – et même de manger – avec des végétariens. Je leur demande souvent, par curiosité, ce qui a pu les amener à ce choix. Jamais je ne me permets d’exprimer le moindre jugement de valeur, ou de leur expliquer que « la viande, c’est mieux ». Je ne suis pas convaincu qu’un végan soit capable de s’en tenir à cette stricte neutralité.]
              Un végan peut-être pas non, mais c’est le propre de tous les militantismes il me semble, ses adeptes sont convaincus de détenir la “vérité vraie” qu’il convient de disséminer. Un végétarien, c’est peut-être plus probable. 

              [[Cela dit, la réalité nous rattrape toujours : sans les vidéos choc de L214, je doute que la moindre amélioration dans le traitement des animaux d’élevage n’aurait vu le jour. Ce “militantisme agressif” a au moins pour lui de mettre les choses sous les projecteurs, et dans notre société, peu compte plus que cela.]La fin justifie donc, jusqu’à un certain point, les moyens. Dont acte.]
              Pas tout à fait, mais sans militantisme (agressif ou pas), rien dans ce monde ne changera me semble-t-il.

              [Le rituel n’a de sens que pour un plat relativement prestigieux.]
              Je n’en suis pas convaincu.
              Vous évoquiez le Japon, cela me fait penser au cérémonial du thé, qui s’étale sur plusieurs heures, où les participants revêtent leurs plus beaux habits… sans que le moindre morceau de viande ou de poisson n’y soit intégré. 

              [Mais je suis curieux : pourriez-vous me citer, disons trois recettes célèbres, sans viande ni poisson, issues de la tradition gastronomique française ?]
              Non, et pour une bonne raison : la gastronomie culinaire française s’est construite avec les plats de viandes et poissons, c’est irréfutable. Il suffit de penser aux plats typiques lyonnais et à la cuisine de Bocuse, entre autres. Cela dit, il est également indéniable que de plus en plus de chefs français de haute réputation se sont mis, au cours des dernières années, à mettre en valeur la cuisine végétarienne (non, un végétarien ne mange pas que des graines et des carottes râpées) ; par là-même ne sont-ils pas en train de faire évoluer ce qu’est la cuisine française ?    

              [ Dès lors que c’est un refus de principe, pour moi, il y a un refus de partage. Et un refus de partage, c’est un refus de sociabilité… De mon point de vue.]
              Je l’entends, et probablement qu’une majorité de gens le pensent aussi. A mon avis non, c’est un respect d’une autre opinion, ni plus ni moins.  

              [Vous m’avez expliqué avoir renoncé à la viande pour ne pas cautionner le système des élevages industriels et des abattoirs qui maltraitent les animaux. Qu’est-ce qui vous a poussé à aller plus loin, à renoncer même à la viande issue de filière de qualité et plus soucieuse du bien-être animal ?]
              Rien ne m’y a poussé. C’est venu naturellement, sans trop y réfléchir à vrai dire. Même si j’appréciais le jambon (cru en particulier), je n’ai jamais été un “viandard”. Et un jour je me suis dit : “Ne plus manger de viande ne devrait pas me manquer – ma vie n’en sera pas plus triste (contrairement à l’opinion de Descartes et à la vôtre) -, je serai sûr de ne pas contribuer économiquement à un système qui – certes pas à 100% je le reconnais, mais dans un certain nombre de cas tout de même – impose une vie cruelle aux animaux (car pour moi des vaches qui n’ont jamais vu un pré en ont une, comme des cochons parqués leur vie entière sur caillebottis), et je serai en tout aussi bonne santé (voire meilleure!)” ; les trois sans ordre précis. Je me suis retrouvé à ne plus entrer chez le boucher de mon quartier.

              [Par ailleurs, pensez-vous être arrivé au terme de votre cheminement, ou bien envisagez-vous de passer à une étape suivante (par exemple en proscrivant le poisson) ?
              C’est une question que je me pose à moi-même de temps à autre. Je ne sais pas pour tout dire. 

              [[Premièrement, pourquoi les gens (modestes ou pas) doivent-ils pouvoir manger de la viande ?]Parce qu’il me semble normal que tout le monde ait accès à une alimentation variée.]
              Oui. Mais pour moi alimentation variée ne signifie pas que celle-ci DOIVE inclure la viande.

              [Serait-ce juste de condamner les gens qui ont peu de moyen à être végétariens ? A part réjouir, précisément, les défenseurs de la cause végétarienne, je ne vois rien là de très généreux.]
              C’est là où nous divergeons il me semble. De mon point de vue, nulle “condamnation” à ne pas manger de viande. Pour le dire autrement, pour moi “le bonheur n’est pas dans la viande”.
              En outre, je ne peux ne pas considérer que si moins de gens mangent de la viande, le système de production sera moins cruel car c’est souvent la course au rendement qui génère moult dérives; de manière globale les animaux eux, au moins,  s’en réjouiront. 

              [Pour les végétaliens, c’est faux. Ils doivent d’ailleurs prendre des compléments alimentaires, comme de la vitamine B12 il me semble. Un végétarien – s’il ne remplace pas la viande par du poisson – doit être très attentif à ce qu’il mange s’il veut éviter certaines carences.]
              Vous avez raison, la vitamine B12 est la seule qu’il faut apporter en cas de non consommation de protéines animales.

              [Je trouve d’ailleurs étrange de qualifier de « végétarien » une personne qui consomme du poisson (qui est quand même une viande), du fromage et des œufs, mais c’est un autre débat.]
              Oui, vous avez raison aussi ; je me dis “végétarien” mais c’est pour “aller vite”, je ne consomme plus de viandes.  

              [Comme j’accepte moi-même de consommer parfois de la viande de mauvaise qualité, faute de mieux. Mais je vous fais remarquer qu’il existe des recettes qui permettent de se régaler avec de la viande de qualité médiocre : vous la hachez, vous ajoutez des épices et du fromage, vous fourrez dans un petit pain maison par exemple, ou vous les préparez avec des pâtes, et ça passe très bien. Idem pour certains ragoûts. Après, il y a effectivement des plats pour lesquels la qualité de la viande est essentielle.]
              Mais pourquoi vouloir à tout prix “magnifier” cette viande de qualité médiocre ? Je n’arrive pas à comprendre que vous ne préfériez pas vous en passer et choisir d’autres produits, de bonne qualité eux (et qui sont souvent moins chers que cette mauvaise viande).  

              [Et vous aurez une société où la viande sera rare, donc très chère, puisque c’est inhérent aux règles du capitalisme. Et par conséquent, seuls les riches mangeront de la viande. Un peu comme au Moyen Âge…]
              C’est déjà le cas, viande ou pas viande. Les riches ont toujours accès à une alimentation de meilleure qualité. 

              [Oui, c’est certain. Mais les crocs du lion, lorsqu’ils se referment sur la gorge du gnou, « génèrent de la douleur » également. Je crains que ce soit inhérent à l’existence des carnassiers. Que faire ?]
              Le lion n’a pas d’autres choix pour survivre dans la nature; l’homme, si.

              [Mais pour que je comprenne bien votre position, êtes-vous favorable à l’interdiction de l’abattage hallal, pour lequel l’animal n’est – normalement – pas étourdi et qui se vide de son sang ? Parce que nous sommes d’accord qu’il est également certain qu’un tel traitement génère de la douleur.]
              “Un tel traitement génère de la douleur”. Sans doute la pire des douleurs !
              Oui, j’y suis favorable à 1000%, qu’il soit hallal ou casher d’ailleurs ; je considère même que c’est une aberration de continuer à l’autoriser eu égard aux connaissances scientifiques actuelles en rapport avec la sensibilité animale. La France est, je crois, un des rares pays européens à toujours l’autoriser, sous forme dérogatoire qui plus est. Et j’estime que cela ne fait pas honneur à notre “culture” pour tout dire.
              Ce débat a un peu dérivé (le post de Descartes traitant d’un tout autre sujet). Je ne suis pas sûr qu’il intéresse les autres lecteurs. Je l’ai ouvert (je n’aurais peut-être pas dû) car votre assertion “je suis anti-vegan”, que j’ai (mal) interprétée m’a interpellé. Il y a tellement – selon moi – de choses et d’idées beaucoup plus nuisibles à la culture et à l’identité françaises que j’ai trouvé que c’était, sans vouloir vous offenser, mal choisir ses combats que de faire des végans en particulier l’objet de votre ire.
              Je ne prétends pas que ma “vision” soit d’un cartésianisme irréfutable (elle ne l’est sans doute pas, loin s’en faut, vos objections et celles de Descartes le montrent sur certains aspects je l’admets volontiers). Mes choix alimentaires sont ceux que j’estime “justes” – oui, il s’agit d’idéologie – allant dans le meilleur sens pour tous (humains et animaux). Je ne les impose à personne, j’entends juste que la réciproque soit vraie (les végans sont sans doute intolérants, mais nombreux sont les “viandards” à l’être pareillement au passage, réfutant jusqu’à l’idée de “discuter” leur état de “viandard”); et, de nouveau nous divergeons, cela n’entame pas une “sociabilité française” selon moi (point central de ce “débat dans le débat”).
              Je vous propose, si vous le voulez bien, de clore de fil de discussions ; je pense que l’essentiel a été dit et que nous ne ferions désormais que “tourner en rond”.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Entièrement vrai, je ne nie pas que la gastronomie fasse partie d’une culture, d’une civilisation même, ce serait idiot. Mon point de départ est que je ne pense pas que le fait que je ne mange pas de viande lorsque je suis invité me rende su-le-champ moins sociable.]

              Relisez ces deux dernières phrases. Vous acceptez que la gastronomie – avec son rituel – fait partie d’une culture, d’une civilisation. Mais ensuite, vous dites que le fait de vous mettre en marge de cette culture ne vous rend pas moins « sociable ». Vous ne voyez une petite contradiction ?

              Je reviens sur l’analogie avec le langage. Imaginez qu’invité chez vos amis, vous exigiez de ne parler que dans une langue que vous avez inventée, et qui vous est personnelle. Bien sûr, vos amis restent libres de parler en français, mais vous ne leur répondrez que dans votre langue personnelle. Que pensez-vous que cela ferait pour votre « sociabilité » ?

              La table, avec ses conventions, ses rituels, et ce qu’on met dans l’assiette fait partie d’un langage subtil. Dès lors que vous refusez de parler ce langage, vous compromettez cette conversation qui fait une bonne partie de la sociabilité.

              [« Le problème du végan est qu’il prône quand même une idéologie de la privation. Et je pense que pour certains, l’idée de pénitence n’est pas loin. » Oui, parce que pour le végan cette privation est nécessaire à supprimer douleur et exploitation animales.]

              Sauf que cela ne change en rien la situation des animaux. Les idéologies de la mortification ne cherchent pas à changer la réalité, elles ne servent qu’à satisfaire le besoin de purification, à alléger le sentiment de culpabilité de l’individu qui les pratique. Cela fait partie d’une logique sacrificielle, d’une posture qui permet à l’individu de se sentir « meilleur » que les autres – c’est-à-dire, de ceux qui n’ont pas vu la lumière.

              [« Le rituel n’a de sens que pour un plat relativement prestigieux. » Je n’en suis pas convaincu.
              Vous évoquiez le Japon, cela me fait penser au cérémonial du thé, qui s’étale sur plusieurs heures, où les participants revêtent leurs plus beaux habits… sans que le moindre morceau de viande ou de poisson n’y soit intégré.]

              Pardon, mais le cérémoniel du thé a été créée à une époque où ce produit, qui n’est pas produit au Japon, était extraordinairement prestigieux. Il y a des mets dans la cuisine française qui sont précieux sans contenir de la viande rouge – je pense au homard ou aux huitres – et ces plats sont aussi entourés d’un certain rituel. Mais il faut admettre que la gastronomie française s’est construite essentiellement autour de la viande.

              [Cela dit, il est également indéniable que de plus en plus de chefs français de haute réputation se sont mis, au cours des dernières années, à mettre en valeur la cuisine végétarienne (non, un végétarien ne mange pas que des graines et des carottes râpées) ; par là-même ne sont-ils pas en train de faire évoluer ce qu’est la cuisine française ?]

              Pouvez-vous donner un exemple précis de « chefs français de haute réputation » qui aient « mis en valeur la cuisine végétarienne » ?

              [Je l’entends, et probablement qu’une majorité de gens le pensent aussi. A mon avis non, c’est un respect d’une autre opinion, ni plus ni moins. ]

              Vous utilisez le mot « respect » sans qu’on comprenne très bien ce que vous voulez dire. J’ai l’impression que vous confondez le fait de « respecter une opinion » avec le fait de s’y soumettre. Pour « respecter les opinions » de mes amis catholiques, dois-je dire le bénédicité lorsque je les invite à ma table ? Si j’invite un musulman à ma table, dois-je voiler ma femme – ou mieux, lui interdire de s’assoir à la table – pour montrer mon « respect » ? Alors, pourquoi faut-il, pour « respecter l’opinion » d’un végétarien que je m’astreigne à mettre moi-même en pratique ses convictions ?

              [« Serait-ce juste de condamner les gens qui ont peu de moyen à être végétariens ? A part réjouir, précisément, les défenseurs de la cause végétarienne, je ne vois rien là de très généreux. » C’est là où nous divergeons il me semble. De mon point de vue, nulle “condamnation” à ne pas manger de viande. Pour le dire autrement, pour moi “le bonheur n’est pas dans la viande”.]

              Pour VOUS, non. Mais a-t-on le droit de penser différemment ? A-t-on le droit de placer le « bonheur » ailleurs que là où vous le placez ? Votre commentaire illustre parfaitement le danger d’une idéologie qui prétend rendre universels les goûts de celui qui la professe.

              [« Et vous aurez une société où la viande sera rare, donc très chère, puisque c’est inhérent aux règles du capitalisme. Et par conséquent, seuls les riches mangeront de la viande. Un peu comme au Moyen Âge… » C’est déjà le cas, viande ou pas viande. Les riches ont toujours accès à une alimentation de meilleure qualité.]

              En d’autres termes, pouvoir consommer de la viande rend votre alimentation de meilleure qualité. Dont acte… 😉

            • Bob dit :

              @ Descartes
              [Je vois mal en quoi ce type de « flicage » aurait pu « améliorer les conditions de travail des salariés »]
              Ce n’est pas moi qui le dis, mais la commission d’enquête (composée de parlementaires, de vétérinaires, etc.). De mémoire, pour forcer les abattoirs à mettre en place des conditions d’abattage permettant aux salariés de respecter les normes en vigueur (le cas de l’employé pathologique jouissant ce ce métier devant être rare).
               
              [Aimeriez-vous travailler avec une caméra derrière vous qui enregistre vos faits et gestes ? Accepteriez-vous ce genre de surveillance dans votre propre boulot ?]
              Non, mais mon travail ne consiste pas à mettre à mort des animaux, êtres vivants doués de sensibilité. Cet acte extrême – me semble-t-il – mérite une attention particulière. Egorger un boeuf n’est pas tout à fait la même chose que remplir une colonne d’un fichier Excel.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Ce n’est pas moi qui le dis, mais la commission d’enquête (composée de parlementaires, de vétérinaires, etc.).]

              J’en doute. Les commissions parlementaires sont exclusivement composées de députés et de sénateurs. Elles ne peuvent, par statut, inclure des « vétérinaires » est qualités…

              [De mémoire, pour forcer les abattoirs à mettre en place des conditions d’abattage permettant aux salariés de respecter les normes en vigueur (le cas de l’employé pathologique jouissant ce ce métier devant être rare).]

              J’ai pris la peine de feuilleter le rapport, et cela apparaît très clairement : « Enfin, il semble nécessaire de mettre en place un outil supplémentaire de contrôle en installant des caméras à tous les endroits de l’abattoir où des animaux vivants sont manipulés. Ce contrôle vidéo doit être encadré par la loi afin d’en délimiter strictement les finalités et éviter qu’il devienne un outil de surveillance des salariés ». « [la surveillance vidéo] suscite une réelle inquiétude chez les salariés qui craignent que cela constitue une pression supplémentaire pour des métiers déjà difficiles ». Curieux qu’une mesure censée améliorer les conditions de travail des salariés suscite chez eux une « réelle inquiétude »…

              Soyons sérieux : le but de cette recommandation n’était nullement d’améliorer le sort des salariés, mas uniquement celui des animaux. Inutile de déguiser la chose sous un vernis « social »…

              [« Aimeriez-vous travailler avec une caméra derrière vous qui enregistre vos faits et gestes ? Accepteriez-vous ce genre de surveillance dans votre propre boulot ? » Non, mais mon travail ne consiste pas à mettre à mort des animaux, êtres vivants doués de sensibilité.]

              Je ne vois pas ce que cela change à la question posée. Si vous pratiquiez un métier qui consiste à mettre à mort des animaux, aimeriez-vous être surveillé par une caméra ? Tiens, je vais reformuler la question : pensez-vous qu’il faille mettre des caméras de surveillance en salle d’opérations ? Après tout, n’est ce pas tout aussi important de vérifier que les chirurgiens « respectent les normes en vigueur » que pour le personnel des abattoirs ?

              [Cet acte extrême – me semble-t-il – mérite une attention particulière. Egorger un boeuf n’est pas tout à fait la même chose que remplir une colonne d’un fichier Excel.]

              Mais c’est tout de même moins grave et cela peut faire moins de dégâts que de pratiquer une opération chirurgicale ou d’enseigner à une classe primaire. Pensez-vous qu’il faille installer des caméras dans les salles d’opération et dans les salles de classe ?

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [je reformule la question : « pourquoi vous fixez-vous la règle de ne JAMAIS manger du foie gras, même pas « pour une fois » ? »]
              Parce que ce serait participer financièrement, contribuer si vous voulez – fût-ce indirectement – à la filière qui le produit.  [Certes. Mais le fait qu’on choisisse un combat plutôt qu’un autre est donc signifiant d’une hiérarchie de valeurs. Qu’on mette les animaux de compagnie au-dessus des enfants travailleurs du Bangladesh, cela nous dit quelque chose de l’idéologie de celui qui fait ce choix.]
              D’abord les animaux de compagnie (chats, chiens, etc.) ne sont pas ceux d’abattage (à part dans quelques pays asiatiques), mais cela est anecdotique.
              Je ne mets pas les animaux d’abattage *au-dessus* des enfants travailleurs du Bangladesh ou d’Afrique. Je considère que les deux méritent qu’on s’y penche. Et que ce contre argument ne sert, au final, qu’a nous (hommes) exonérer – à bon compte, comme vous disiez qu’il s’agissait de seulement se donner “bonne conscience – de tout ce qui pourrait (devrait plutôt) être faits pour améliorer le sort des animaux.
              Il y a de nombreux Français qui vivent dans la misère, des SDF, etc. Considérez-vous qu’il faille supprimer les SPA parce que ce serait mettre les animaux abandonnés ou maltraités *au-dessus* des hommes ?[Sauf qu’on n’a pas le choix. Nous vivons dans une société capitaliste, qui est fondé sur un rapport de production foncièrement injuste. TOUS les biens que nous achetons sont donc marqués par cette injustice originale. Si le fait d’acheter vous fait « cautionner » le système, alors nous sommes tous en train de « cautionner » l’exploitation de l’homme par l’homme. A partir de là, le mot « cautionner » perd tout son sens.]
              Soit, remplacez-le par “contribuer”, “favoriser financièrement”, “permettre le développement économique” si retirer l’aspect moral associé à cautionner permet de mieux illustrer mon point de vue.[A rien. Si on veut privilégier les produits UE par rapport aux chinois – ce qui, au demeurant, n’est pas pour moi un objectif : que les usines françaises soient délocalisées est un problème, qu’elles soient délocalisées en Bulgarie plutôt qu’à Shanghai, je m’en tape – alors il faut faire des lois qui protègent le marché UE.]
              Je suis surpris par cette conclusion. Acheter UE (ou français, mais les règles européennes interdisent souvent de l’indiquer explicitement sur l’emballage, malheureusement…) “finance” les emplois… européens, non ?
              Que j’achète ma future voiture électrique chinoise ou Renault est donc indifférent ?
               
              [Le geste individuel ne change rien – à part donner bonne conscience à celui qui l’accomplit.]
              Je diverge sur le fait que c’est se donner “bonne conscience” et uniquement cela, il s’agit de contribuer à financer tel ou tel autre système.
              Sur on prend du recul, je trouve cette conclusion pessimiste, ou fataliste, au choix. Nos gestes individuels seraient donc neutres, sans effets sur le monde (économique) réel ? A quoi bon ne serait-ce qu’essayer d’y réfléchir dans ce cas ?…

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« je reformule la question : « pourquoi vous fixez-vous la règle de ne JAMAIS manger du foie gras, même pas « pour une fois » ? » Parce que ce serait participer financièrement, contribuer si vous voulez – fût-ce indirectement – à la filière qui le produit.]

              Mais vous avez admis plusieurs fois que vous acceptez « pour une fois » de participer financièrement à l’exploitation des travailleurs sans droits en achetant votre téléphone portable ou votre chemisette. En quoi serait-il plus terrible d’accepter « pour une fois » une tranche de foie gras ?

              Il ne faut pas se raconter des histoires. Lorsqu’on se fait des règles ABSOLUES, qui ne supportent pas d’exception, c’est qu’il y a une raison qui n’a rien de pragmatique. Ce n’est pas parce que vous mangez du foie gras « pour une fois » que la situation des canards changera significativement. Le monde ne cesse pas de tourner parce que nous faisons une exception ponctuelle à une règle. Le fait de refuser une exception n’a rien à faire avec le résultat, il doit tout au sacré. Et quand on sacralise une règle, ce n’est pas pour les autres, mais c’est pour nous que nous le faisons. Parce que cette sacralisation change la représentation que nous avons de nous-mêmes.

              Que voulez-vous, certains ont besoin de se flageller pour se pardonner à eux-mêmes leurs péchés. D’autres se sentent obligés de se refuser un plaisir ou de sacrifier un bien. D’autres encore ont besoin de sacraliser une règle. Souvent d’ailleurs il s’agit d’un dérivatif. On soigne les chats abandonnés parce qu’on se sent coupable de ne pas soigner les hommes…

              [Je ne mets pas les animaux d’abattage *au-dessus* des enfants travailleurs du Bangladesh ou d’Afrique.]

              Je constate que vous refusez de consommer les produits issus de la cruauté envers les animaux d’abattage, et que vous ne refusez pas de consommer les produits issus du travail des enfants du Bangladesh ou d’Afrique. La hiérarchie me paraît donc évidente.

              [Je considère que les deux méritent qu’on s’y penche.]

              Sauf qu’après avoir considéré que les deux méritent qu’on s’y penche, vous vous penchez sur l’un et pas sur l’autre…

              [Et que ce contre argument ne sert, au final, qu’a nous (hommes) exonérer – à bon compte, comme vous disiez qu’il s’agissait de seulement se donner “bonne conscience – de tout ce qui pourrait (devrait plutôt) être faits pour améliorer le sort des animaux.]

              Je vous ai déjà montré qu’on peut parfaitement renverser l’argument, et considérer que l’argument de la cruauté envers les animaux permet de s’exonérer à bon compte de ce qu’on pourrait faire pour améliorer le sort des hommes… C’est donc bien un choix politique de savoir qui on met devant.

              [Il y a de nombreux Français qui vivent dans la misère, des SDF, etc. Considérez-vous qu’il faille supprimer les SPA parce que ce serait mettre les animaux abandonnés ou maltraités *au-dessus* des hommes ?]

              Je pense certainement qu’à l’heure de parler moyens, on doit consacrer aux SPA une fraction minime de ce qu’on consacre à alléger la misère dans laquelle vivent tant de nos concitoyens. Oui, pour moi les hommes passent devant les animaux.

              [« A rien. Si on veut privilégier les produits UE par rapport aux chinois – ce qui, au demeurant, n’est pas pour moi un objectif : que les usines françaises soient délocalisées est un problème, qu’elles soient délocalisées en Bulgarie plutôt qu’à Shanghai, je m’en tape – alors il faut faire des lois qui protègent le marché UE. » Je suis surpris par cette conclusion. Acheter UE (ou français, mais les règles européennes interdisent souvent de l’indiquer explicitement sur l’emballage, malheureusement…) “finance” les emplois… européens, non ?]

              Oui, et acheter Chinois finance les emplois mondiaux. Et alors ? Pourquoi est-il plus vertueux de financer les « emplois européens » que les « emplois mondiaux » ? En quoi le Bulgare est plus mon frère que le Coréen ou le Chinois ?

              [Que j’achète ma future voiture électrique chinoise ou Renault est donc indifférent ?]

              Ça dépend où votre Renault est fabriquée. Si elle est fabriquée en Bulgarie, que vous achetiez une Renault est certainement une très bonne nouvelle pour les Bulgares. Et si vous achetez une voiture chinoise, c’est tout bénef pour les chinois. Pour les Français, c’est parfaitement indifférent…

              [Si on prend du recul, je trouve cette conclusion pessimiste, ou fataliste, au choix. Nos gestes individuels seraient donc neutres, sans effets sur le monde (économique) réel ? A quoi bon ne serait-ce qu’essayer d’y réfléchir dans ce cas ?…]

              Parce que nous ne sommes pas limités aux « gestes individuels ». Nous sommes capables aussi, nous les humains, de gestes collectifs ou, pour le dire autrement, de gestes politiques. Si je veux protéger notre industrie automobile, je peux décider individuellement d’acheter français, mais je peux aussi militer pour qu’on fasse des lois protégeant la production française. A votre avis, quelle est l’attitude la plus efficace ?

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Pour qu’il y ait « langage », il faut qu’il y ait sens. Lorsque je m’assieds à la table d’un ami et qu’il me propose un foie gras, cela transmet un message : le foie gras est un mets délicat et cher, qu’on ne sert que dans les grandes occasions. L’ami qui me le propose me transmet un double message : d’une part, qu’il me considère comme étant une personne de goût, capable d’apprécier un plat délicat, et d’autre part qu’il accorde un grand prix à ma présence à sa table. Mais imaginons qu’il me serve une purée de carottes. Quel message cela transmet ?]
              Si l’ami a pris la peine de sélectionner un certains nombre d’ingrédients, de les éplucher, de prendre le temps de les cuisiner pour en faire une préparation végétale raffinée, cela signifie pour moi qu ‘il a autant – si ce n’est plus – de considération à mon égard que s’il s’est “contenté” d’acheter du foie gras au supermarché, qui pour moi ne veut dire pas dire beaucoup plus que le fait qu’il a les moyens de m’offrir ce type de produit.
              Si votre ami est coréen et qu’il vous invite au restaurant pour “déguster” du chien (j’en entendu dire par des connaissances s’y étant rendues que cette pratique existait ; quand bien même cela serait faux, faisons l’expérience de la pensée) car dans sa culture cela signifie qu’il vous tient en haute estime, accepterez pour ne pas offenser cette invitation qu’il juge marquant un degré avancé de sociabilité car il vous estime capable d’apprécier ce plat raffiné selon lui ?[Pour qu’il y ait un « langage commun », il faut d’abord qu’il y ait « langage », c’est-à-dire, un ensemble de signes qui désignent des objets ou des idées. Et le propre du « langage commun », c’est que chacun ne peut inventer le sien, sans quoi il est impossible de se comprendre. Je peux décider que dans mon langage personnel la purée de carottes indique la plus haute considération que j’ai pour mon hôte, mais combien parmi mes hôtes reconnaîtront cette signification ? Le « langage commun » m’est extérieur, il est façonné par l’histoire. Il y a des cultures où offrir le pain et le sel a un sens symbolique des plus élevés. Chez nous, c’est le foie gras et le grand cru.]
              Avoir un langage commun ne signifie pas qu’il y ait un seul accent.[Si je refuse (quelle qu’en soit la raison) le verre de Champagne – qui fait partie du patrimoine national – en apéritif, est-ce que je refuse là aussi de parler ce “langage commun” ? Est-ce que cette décision rend impossible aussi toute sociabilité ?]
               [Si vous le refusez par principe, parce que ceux qui consomment du Champagne sont des inconscients qui conduisent le monde à sa perte et font souffrir les pieds de vigne, oui, cela constitue un refus de parler ce « langage commun ».].
              Tout ce qui excessif est négligeable, sur ce point nous sommes d’accord. Je n’ai jamais rencontré qui que ce soit qui m’ait dit que la production de Champagne “conduise le monde à sa perte” ou ne fasse “souffrir les pieds de vigne”.
              Je considère que refuser, par principe, tel ou tel plat (quelle qu’en soit la motivation) est accepter qu’on se comprenne avec un langage qui accepte les particularismes langagiers de l’autre, pour filer la métaphore.[J’aime bien la formule « je n’impose rien, si ce n’est… ». Donc, vous imposez bien quelque chose. Et vous ne vous contentez pas d’exiger d’eux le « respect de vos choix alimentaires » dans l’abstrait. Vous exigez d’eux qu’ils s’y plient, qu’ils vous servent un repas conforme à vos choix et qu’ils le mangent eux-mêmes (ou alors on sert à chaque convive un plat différent, mais vous m’accorderez que cela limite sérieusement la « sociabilité »).
              Il s’agit-là d’une formule rhétorique plus d’une imposition réelle.
              Je me répète, je ne leur impose rien. Je me contenterai d’exclure la partie carnée de ce qu’ils auront préparé. La “sociabilité” demeure à mon sens. [Vous m’accorderez qu’inviter quelqu’un et le laisser devant une assiette vide, ce n’est pas particulièrement constructif en termes de sociabilité…]
              Qui propose cela ? [Mais comment fait-on pour « respecter » vos choix sans s’y plier ?]
              Tout simplement, en ne me demandant pas à manger de la viande.[Mais dans la mesure où c’est vous qui faites la règle, vous pouvez rester « cohérent avec vous-même » tout en mangeant du foie gras quand on vous l’offre. Il suffit de vous faire comme règle de ne pas manger sauf dans cette circonstance particulière.]
              C’est vrai.
              [Vous parlez comme si la règle en question vous était extérieure, qu’elle vous était imposée par une entité supérieure qui ne tolère de contestation. Ce n’est pas une question d’être « cohérent avec soi-même », mais d’être « cohérent avec un système idéologique ».]
              Je dirais les deux, mais je vous l’accorde.[[Concernant les animaux, ce consensus est désormais partagé par l’ensemble de la communauté scientifique. Cela a d’ailleurs été inscrit au Code civil en 2015 (article 515-14).]J’ignorais que le Code civil était un texte ayant autorité scientifique.]
              Certes non, cela néanmoins donne un crédit certain au dit consensus il me semble.[[Remettez-vous en cause le fait que les animaux sont des êtres sensibles ?]Cela dépend de ce qu’on appelle un « être sensible ». Vous noterez que les rédacteurs de l’article 515-14 du code civil ont prudemment évité de donner une définition précise, se contentant de parler d’êtres « doués de sensibilité » sans plus de précision.]
              « être sensible » me semble être suffisamment clair (être dont les sens lui permettent de “ressentir”), quelle précision auriez-vous voulu ?
               
              [Exactement. Cela ne veut pas dire que ce soit faux non plus. Il y a dans l’histoire des exemples classiques où le consensus de la communauté scientifique s’est fait sur des affirmations fausses. La méthode scientifique n’a jamais garanti un accès à la vérité. Tout au plus, on peut dire que c’est la méthode qui, plus que n’importe quelle autre, permet de s’approcher de la vérité.]
              Nous sommes d’accord. C’est pour cela que lorsque les scientifiques s’accordent dans leur ensemble pour dire que les animaux sont des “êtres sensibles”, j’ai tendance à penser qu’ils sont “proches de la vérité”.[Pardon, mais je n’ai pas parlé de taupes, j’ai parlé de rats. Donc ?]Je ne vois pas trop quelle différence cela fait. Mais il se trouve que dans mon composteur, j’ai eu la surprise de trouver un rat l’année passée. Je n’ai pas là non plus utilisé de la mort-aux-rats.
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Pour qu’il y ait « langage », il faut qu’il y ait sens. Lorsque je m’assieds à la table d’un ami et qu’il me propose un foie gras, cela transmet un message : le foie gras est un mets délicat et cher, qu’on ne sert que dans les grandes occasions. L’ami qui me le propose me transmet un double message : d’une part, qu’il me considère comme étant une personne de goût, capable d’apprécier un plat délicat, et d’autre part qu’il accorde un grand prix à ma présence à sa table. Mais imaginons qu’il me serve une purée de carottes. Quel message cela transmet ? » Si l’ami a pris la peine de sélectionner un certain nombre d’ingrédients, de les éplucher, de prendre le temps de les cuisiner pour en faire une préparation végétale raffinée, cela signifie pour moi qu‘il a autant – si ce n’est plus – de considération à mon égard que s’il s’est “contenté” d’acheter du foie gras au supermarché, qui pour moi ne veut dire pas dire beaucoup plus que le fait qu’il a les moyens de m’offrir ce type de produit.]

              Je pense que vous n’avez pas compris la question. Ici, il s’agissait du « sens » que transmettait le plat. Est-ce qu’en dégustant votre purée de carottes vous n’avez aucun moyen de savoir si « votre ami a pris le temps de sélectionner un certain nombre d’ingrédient, de les éplucher, de prendre le temps de les cuisiner, etc. ». Le plat EN LUI-MEME ne vous transmet pas grande chose. Si votre ami ne vous explique pas la préparation, vous ne saurez pas quel sens en tirer. Le foie-gras, lui, même s’il est acheté au supermarché, transmet un double message dont j’ai parlé plus haut.

              [Si votre ami est coréen et qu’il vous invite au restaurant pour “déguster” du chien (j’en entendu dire par des connaissances s’y étant rendues que cette pratique existait ; quand bien même cela serait faux, faisons l’expérience de la pensée) car dans sa culture cela signifie qu’il vous tient en haute estime, accepterez pour ne pas offenser cette invitation qu’il juge marquant un degré avancé de sociabilité car il vous estime capable d’apprécier ce plat raffiné selon lui ?]

              Bien entendu. Le cas c’est d’ailleurs présenté réellement : lors d’une visite en Corée, il m’a été proposé du chien, et j’ai goûté pour ne pas faire de la peine à mes hôtes, tout en leur expliquant pourquoi en occident on n’était pas très friand de ce type de plats. Ils ont d’ailleurs beaucoup de mal à comprendre pourquoi on pouvait manger un agneau et non un chien dès lors qu’ils étaient élevés dans ce but… J’ajoute qu’un ministre français, Robert Galley, s’était vu proposer de la chair humaine lors d’une visite en Centrafrique, et y avait goûté. Il est vrai qu’il ne l’a su qu’après…

              [« Pour qu’il y ait un « langage commun », il faut d’abord qu’il y ait « langage », c’est-à-dire, un ensemble de signes qui désignent des objets ou des idées. Et le propre du « langage commun », c’est que chacun ne peut inventer le sien, sans quoi il est impossible de se comprendre. Je peux décider que dans mon langage personnel la purée de carottes indique la plus haute considération que j’ai pour mon hôte, mais combien parmi mes hôtes reconnaîtront cette signification ? Le « langage commun » m’est extérieur, il est façonné par l’histoire. Il y a des cultures où offrir le pain et le sel a un sens symbolique des plus élevés. Chez nous, c’est le foie gras et le grand cru. » Avoir un langage commun ne signifie pas qu’il y ait un seul accent.]

              Je ne comprends pas cette remarque. Qu’il y ait des accents différents n’est pas un obstacle dès lors que chacun peut reconnaître les mots et la syntaxe commune.

              [Tout ce qui excessif est négligeable, sur ce point nous sommes d’accord. Je n’ai jamais rencontré qui que ce soit qui m’ait dit que la production de Champagne “conduise le monde à sa perte” ou ne fasse “souffrir les pieds de vigne”.]

              Faut sortir plus souvent…

              [Je considère que refuser, par principe, tel ou tel plat (quelle qu’en soit la motivation) est accepter qu’on se comprenne avec un langage qui accepte les particularismes langagiers de l’autre, pour filer la métaphore.]

              Désolé, mais ce n’est pas une question de « particularisme ». Si je vous invite chez vous, j’ai envie de vous servir un plat qui parle un peu de mes goûts, de mes origines, de la manière dont je vous considère. Si je sais que vous refuserez de manger de la viande, je ferai peut-être une purée de carottes pour vous faire plaisir. Mais ce plant ne vous dira rien ni de mes goûts, de mon parcours, de mon histoire. Vous ne saurez pas devant ce plat si je vous considère quelqu’un de raffiné, quelqu’un d’aventureux, quelqu’un aux goûts exotiques. Tout ce que cela vous « communiquera », c’est que j’ai envie de vous faire plaisir. Autrement dit, ce sera un énorme appauvrissement du langage.

              [« J’aime bien la formule « je n’impose rien, si ce n’est… ». Donc, vous imposez bien quelque chose. Et vous ne vous contentez pas d’exiger d’eux le « respect de vos choix alimentaires » dans l’abstrait. Vous exigez d’eux qu’ils s’y plient, qu’ils vous servent un repas conforme à vos choix et qu’ils le mangent eux-mêmes (ou alors on sert à chaque convive un plat différent, mais vous m’accorderez que cela limite sérieusement la « sociabilité »). » Il s’agit-là d’une formule rhétorique plus d’une imposition réelle. Je me répète, je ne leur impose rien. Je me contenterai d’exclure la partie carnée de ce qu’ils auront préparé. La “sociabilité” demeure à mon sens.]

              Là, ça confine à l’absurde. Vous m’expliquiez que vous ne mangiez pas de viande pour ne pas financer un système que vous condamnez. Mais si le plat a été cuisiné, c’est que la bête a déjà été tuée et vendue. Que vous la mangiez ou pas ne change strictement rien à son sort ou au financement de la filière. Tout au plus ce que vous aurez « séparé » ira à la poubelle plutôt que dans votre estomac. Alors, votre geste sert à quoi, sinon à mettre mal à l’aise vos hôtes, à les punir symboliquement de ne pas avoir cédé à votre imposition ?

              [« Mais comment fait-on pour « respecter » vos choix sans s’y plier ? » Tout simplement, en ne me demandant pas à manger de la viande.]

              Autrement dit, on ne peut « respecter » vos convictions qu’en s’y pliant. Ou alors, en servant à chaque convive un plat différent en fonction de ses convictions et ses croyances. Bonjour la sociabilité…

              [« Mais dans la mesure où c’est vous qui faites la règle, vous pouvez rester « cohérent avec vous-même » tout en mangeant du foie gras quand on vous l’offre. Il suffit de vous faire comme règle de ne pas manger sauf dans cette circonstance particulière. » C’est vrai.]

              Alors, posez-vous la question : pourquoi vous être fait une règle qui ne tolère pas d’exceptions, alors qu’il eut été bien plus pratique d’en avoir une qui les permet ? Quel besoin cette inflexibilité satisfait chez vous ?

              [« « Concernant les animaux, ce consensus est désormais partagé par l’ensemble de la communauté scientifique. Cela a d’ailleurs été inscrit au Code civil en 2015 (article 515-14). » » « J’ignorais que le Code civil était un texte ayant autorité scientifique ». Certes non, cela néanmoins donne un crédit certain au dit consensus il me semble.]

              Absolument pas. Le code civil contient des éléments sur lesquels il y a un consensus social, mais cela n’a rien à voir avec un consensus scientifique.

              [« « Remettez-vous en cause le fait que les animaux sont des êtres sensibles ? » » « Cela dépend de ce qu’on appelle un « être sensible ». Vous noterez que les rédacteurs de l’article 515-14 du code civil ont prudemment évité de donner une définition précise, se contentant de parler d’êtres « doués de sensibilité » sans plus de précision. » « être sensible » me semble être suffisamment clair (être dont les sens lui permettent de “ressentir”), quelle précision auriez-vous voulu ?]

              Les sens de ma plante lui permettent parfaitement de « sentir » la lumière, puisqu’elle va vers elle. Les racines de ma plante « sentent » l’humidité, puisqu’elles poussent dans la direction ou elles la trouvent. Elle « sent » aussi la température, puisqu’elle fleurit lorsque le temps devient tiède. Est-ce que cela suffit pour la qualifier « d’être sensible » ?

              La formule « doué de sensibilité » contient bien plus d’ambiguïtés que vous ne le pensez. On peut l’interpréter comme vous le faites, c’est-à-dire, comme la capacité d’avoir des « sens » et de communiquer à travers eux avec l’environnement. Mais cela peut s’interpréter aussi comme la faculté d’avoir des « sentiments » – la peur, la colère, l’amour – chose évident chez certains animaux comme les primates, moins évident à prouver chez d’autres comme les araignées.

              [« Pardon, mais je n’ai pas parlé de taupes, j’ai parlé de rats. Donc ? » Je ne vois pas trop quelle différence cela fait.]

              La nuisance des taupes est purement paysagère, les rats sont une menace sanitaire.

              [Mais il se trouve que dans mon composteur, j’ai eu la surprise de trouver un rat l’année passée. Je n’ai pas là non plus utilisé de la mort-aux-rats.]

              Et qu’est ce que vous avez fait ?

            • Bob dit :

              @ Descartes
               

              [
              Relisez ces deux dernières phrases. Vous acceptez que la gastronomie – avec son rituel – fait partie d’une culture, d’une civilisation. Mais ensuite, vous dites que le fait de vous mettre en marge de cette culture ne vous rend pas moins « sociable ». Vous ne voyez une petite contradiction ?]
              Je n’estime pas me mettre “en marge de cette culture” par le fait de refuser de consommer de la viande. Que je sache, la gastronomie française invoque bien d’autres choses que la viande.
              Si votre un invité refuse le verre de champagne parce qu’il conduira ensuite, le foie gras parce que gustativement il n’aime pas ça, le pavé de boeuf parce que c’est mauvais pour son taux de cholestérol et le vin rouge car il y est allergique, j’en conclus que vous le trouverez associable.
              [Je reviens sur l’analogie avec le langage. Imaginez qu’invité chez vos amis, vous exigiez de ne parler que dans une langue que vous avez inventée, et qui vous est personnelle. Bien sûr, vos amis restent libres de parler en français, mais vous ne leur répondrez que dans votre langue personnelle. Que pensez-vous que cela ferait pour votre « sociabilité » ?]
              Elle serait réduite. Mais votre analogie n’est pas pertinente car proposer de manger fruits et légumes n’est pas inventer “ma langue”, celle-ci est déjà “pratiquée” par quasiment tout le monde.
              [La table, avec ses conventions, ses rituels, et ce qu’on met dans l’assiette fait partie d’un langage subtil. Dès lors que vous refusez de parler ce langage, vous compromettez cette conversation qui fait une bonne partie de la sociabilité.]
              Tout à fait. Là où je diverge c’est que je considère que ne pas manger de viande revient à parler la langue française avec “un certain accent”.
              Votre ami n’ayant pas “votre” accent perd-il sa “sociabilité française” de ce fait ?
              [Sauf que cela ne change en rien la situation des animaux. Les idéologies de la mortification ne cherchent pas à changer la réalité, elles ne servent qu’à satisfaire le besoin de purification, à alléger le sentiment de culpabilité de l’individu qui les pratique. Cela fait partie d’une logique sacrificielle, d’une posture qui permet à l’individu de se sentir « meilleur » que les autres – c’est-à-dire, de ceux qui n’ont pas vu la lumière.]
              Je suis moins fataliste que vous, et j’ose espérer que cela change au moins pour une part, fût-elle infime, les choses.
              A titre personnel, je ne me sens pas plus (ni moins d’ailleurs) “pure” ou “coupable”  depuis que je ne mange plus de viande.
              [Mais il faut admettre que la gastronomie française s’est construite essentiellement autour de la viande.]
              Je ne crois pas l’avoir nié. Je crois même l’avoir reconnu explicitement.
              Ce n’est pas pour autant que celle-ci doive rester immuable.
              [Pouvez-vous donner un exemple précis de « chefs français de haute réputation » qui aient « mis en valeur la cuisine végétarienne » ?]
              Deux même, et non des moindre : Thierry Marx et Alain Ducasse.
              https://voyage.tv5monde.com/fr/les-grands-chefs-francais-parient-sur-le-vegetarisme-pour-faire-voyager-nos-papilles
              Le site ci-dessus ne peut pas être taxé d’être issu de militants prédisant la fin du monde aux non-croyants de la viande…
              L’aura de ces deux chefs, entre autres, est indiscutable. La cuisine d’Alain Ducasse est souvent LA référence à l’étranger quand il s’agit d’évoquer la gastronomie française. Et vous noterez qu’en 2014, il a carrément rayer la viande de sa carte. Diriez-vous que ce faisant il a entamé la “francité” du repas “à la française”, qu’il professe une idéologie dangereuse ?
              [Vous utilisez le mot « respect » sans qu’on comprenne très bien ce que vous voulez dire. J’ai l’impression que vous confondez le fait de « respecter une opinion » avec le fait de s’y soumettre. Pour « respecter les opinions » de mes amis catholiques, dois-je dire le bénédicité lorsque je les invite à ma table ? Si j’invite un musulman à ma table, dois-je voiler ma femme – ou mieux, lui interdire de s’assoir à la table – pour montrer mon « respect » ? Alors, pourquoi faut-il, pour « respecter l’opinion » d’un végétarien que je m’astreigne à mettre moi-même en pratique ses convictions ?]
              Je pensais mes explications claires, ce n’est manifestement pas le cas. 
              Je ne crois pas confondre les deux. Si vos amis catholiques, invités chez vous, ne vous demandent pas *A VOUS* de dire le bénédicité avant le repas, ils respectent vos opinions. Ce faisant, ils ne vous imposent rien.
              Le végétarien n’est pas fondé à vous demander de vous astreindre à suivre ses pratiques, il l’est à vous demander que vous ne condamniez pas (soit que vous “respectiez”) les siennes ; ce qui est fort différent.
              Tant que le musulman n’exige pas que vous voiliez *votre* femme, la “cordialité” est respectée, pour continuer sur votre exemple. Je serais curieux de savoir si, dans le cas de figure où vous inviteriez des amies musulmanes voilées, vous leur demanderiez d’ôter leur voile afin que ces dernières puissent parler le “langage commun” et celui de votre propre épouse ?
              [Pour VOUS, non. Mais a-t-on le droit de penser différemment ?]
              Évidemment. Sans vouloir être désagréable, je ne sais plus comment le dire pour que vous le compreniez.
              [A-t-on le droit de placer le « bonheur » ailleurs que là où vous le placez ?]
              Oui. Placez-le où vous voulez. 
              [Votre commentaire illustre parfaitement le danger d’une idéologie qui prétend rendre universels les goûts de celui qui la professe.]
              Nous n’arrivons pas à nous comprendre je crois. Je ne prétends ici rendre rien universel. Je l’ai dit, “mon” système est sans doute critiquable d’un point de vue de la logique pure ; je l’admets modestement.
              [En d’autres termes, pouvoir consommer de la viande rend votre alimentation de meilleure qualité. Dont acte…].
              Je disconviens. Pour reprendre mon cas personnel, je n’estime pas que mon alimentation soit de moindre qualité depuis que j’ai arrêté de consommer de la viande ; j’irais même jusqu’à dire qu’elle est beaucoup plus variée que lorsque que je mangeais saucisson et viandes. D’un point de vue purement physiologique, mes analyses de sang ne montre aucune carence d’ailleurs.

               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Relisez ces deux dernières phrases. Vous acceptez que la gastronomie – avec son rituel – fait partie d’une culture, d’une civilisation. Mais ensuite, vous dites que le fait de vous mettre en marge de cette culture ne vous rend pas moins « sociable ». Vous ne voyez une petite contradiction ? » Je n’estime pas me mettre “en marge de cette culture” par le fait de refuser de consommer de la viande. Que je sache, la gastronomie française invoque bien d’autres choses que la viande.]

              Je pense que vous ne voyez toujours pas le problème. La question n’est pas que vous refusiez de la viande, mais que vous refusiez un mets pour une question de principe – et peu importe que ce mets soit du poisson, de la viande, du homard. La question est qu’en refusant ce que l’autre vous offre pour une question de principe, vous vous placez dans une position de censeur, dans la position du « pur », de celui qui a vu la lumière alors que les autres ne l’ont pas vue. Celui qui me dit « je ne mange pas le foie gras que tu m’offres parce que je suis contre la cruauté sur les animaux » est en train de me dire « tu est un salaud qui jouis de la cruauté sur les animaux ». Comment un tel reproche pourrait favoriser une quelconque sociabilité ?

              [Si votre un invité refuse le verre de champagne parce qu’il conduira ensuite, le foie gras parce que gustativement il n’aime pas ça, le pavé de boeuf parce que c’est mauvais pour son taux de cholestérol et le vin rouge car il y est allergique, j’en conclus que vous le trouverez associable.]

              Pas du tout, justement. Conférez le paragraphe ci-dessus. Je le répète, le problème n’est pas dans l’acte objectif de refuser un mets, mais dans la position subjective de le refuser pour une question de principe. Refuser mon foie gras parce que votre santé ne vous le permet pas ne m’offenserait en rien, au contraire, j’aurai pitié de vous dont la santé empêche de profiter d’un tel plaisir. Refuser mon foie gras parce qu’il est issu de la cruauté sur les animaux m’offense, parce que c’est un reproche caché.

              [Elle serait réduite. Mais votre analogie n’est pas pertinente car proposer de manger fruits et légumes n’est pas inventer “ma langue”, celle-ci est déjà “pratiquée” par quasiment tout le monde.]

              Non, je vous l’ai déjà montré. Quant on me sert un foie gras ou du Champagne, on transmet des messages qui sont compréhensibles par quiconque connaît la culture française. Quand on me sert une purée de carottes ou une lasagne d’aubergines, cela ne transmet aucun sens, du moins dans la culture gastronomique française. Sauf peut-être que je vous tiens en piètre estime pour vous servir ce qu’il y a de moins cher…

              [« Sauf que cela ne change en rien la situation des animaux. Les idéologies de la mortification ne cherchent pas à changer la réalité, elles ne servent qu’à satisfaire le besoin de purification, à alléger le sentiment de culpabilité de l’individu qui les pratique. Cela fait partie d’une logique sacrificielle, d’une posture qui permet à l’individu de se sentir « meilleur » que les autres – c’est-à-dire, de ceux qui n’ont pas vu la lumière. » Je suis moins fataliste que vous, et j’ose espérer que cela change au moins pour une part, fût-elle infime, les choses.]

              Refuser d’acheter vous-même de la viande pourrait à la rigueur « changer une part, fut-elle infime » des choses. Mais refuser la viande que vous propose votre hôte ne change rien, puisque cette viande a déjà été achetée. La seule chose que cela changera, c’est que la viande en question ira dans la poubelle plutôt que dans votre estomac. Le fait que votre principe ne tolère pas de dérogation, même dans une circonstance où, de toute évidence, une dérogation ne changerait rien au résultat montre que la question n’est pas de changer le réel, mais de satisfaire un besoin psychologique chez vous.

              [« Pouvez-vous donner un exemple précis de « chefs français de haute réputation » qui aient « mis en valeur la cuisine végétarienne » ? » Deux même, et non des moindre : Thierry Marx et Alain Ducasse.]

              Désolé, mais si je crois votre article Ducasse s’est contenté de « rayer la viande de sa carte : honneur désormais aux produits de la mer ». La cruauté envers les poissons serait-elle plus admissible que celle concernant les volailles ? Quant à Thierry Marx, il « propose également des plats sans gluten, sans lactose et sans viande (pas encore vraiment végétarien donc, mais l’idée est là !) ». On est loin de « mettre en valeur la cuisine végétarienne ».

              Les deux noms sont intéressants, parce que ce sont des chefs hautement médiatiques, qui sont aujourd’hui plutôt des chefs d’entreprise que des cuisiniers. Et l’article que vous citez montre bien que ce n’est pas là une création de la gastronomie française, mais plutôt une concession à une mode venue du monde anglosaxon et des Etats-Unis en particulier. Dans notre société, le client est roi… et s’il y a des gens pour payer pour du végétarien, il y aura du végétarien. Mais pour le moment, je ne connais aucun plat végétarien qui se soit imposé comme un étalon de la cuisine française de tous les jours, en parallèle avec la blanquette de veau, le bœuf bourguignon ou la sole meunière…

              [L’aura de ces deux chefs, entre autres, est indiscutable. La cuisine d’Alain Ducasse est souvent LA référence à l’étranger quand il s’agit d’évoquer la gastronomie française. Et vous noterez qu’en 2014, il a carrément rayer la viande de sa carte. Diriez-vous que ce faisant il a entamé la “francité” du repas “à la française”, qu’il professe une idéologie dangereuse ?]

              Oui. Je dirais qu’il cède – timidement en fait, parce que, comme l’indique bien l’article que vous citez, on est très loin d’une conversion au végétalisme – aux modes venues du monde anglo-saxon, apportées par les touristes américains qu’il accueille dans son restaurant. Je doute que ceux qui cherchent à gouter la grande cuisine française fréquentent beaucoup les restaurants végétariens.

              [Je pensais mes explications claires, ce n’est manifestement pas le cas.
              Je ne crois pas confondre les deux. Si vos amis catholiques, invités chez vous, ne vous demandent pas *A VOUS* de dire le bénédicité avant le repas, ils respectent vos opinions. Ce faisant, ils ne vous imposent rien.]

              Mais comment dois-je faire MOI pour respecter LEURS opinions ? En quoi commencer le repas sans dire le bénédicité (privilège qui, je vous le rappelle, revient au maître de maison) « respecte » plus leurs convictions que de servir de la viande à un végétarien ?

              [Le végétarien n’est pas fondé à vous demander de vous astreindre à suivre ses pratiques, il l’est à vous demander que vous ne condamniez pas (soit que vous “respectiez”) les siennes ; ce qui est fort différent.]

              Mais est-ce qu’en servant de la viande je « condamne » ses pratiques ? Encore une fois, vous établissez une asymétrie entre vous et votre hôte : vous servir de la viande serait une « condamnation » de vos pratiques, la refuser par principe n’est pas une « condamnation » des siennes…

              [Tant que le musulman n’exige pas que vous voiliez *votre* femme, la “cordialité” est respectée,]

              Autrement dit, si mon invité exige que je ne cuisine pas de la viande, cela ne porte atteinte à la cordialité. S’il exige que je voile ma femme, si. Pourtant, les deux cas mon invité m’impose de me plier à ses pratiques. Alors, pourquoi l’un est acceptable, et pas l’autre ?

              [pour continuer sur votre exemple. Je serais curieux de savoir si, dans le cas de figure où vous inviteriez des amies musulmanes voilées, vous leur demanderiez d’ôter leur voile afin que ces dernières puissent parler le “langage commun” et celui de votre propre épouse ?]

              La réponse est très simple : je n’inviterais pas à ma table une « amie » voilée, et si je l’invitais il est probable qu’elle ne viendrait pas, parce que chez moi les femmes s’asseyent à la table et parlent avec les hommes, chose qu’elle refuse chez elle. Une femme qui vient voilée chez moi est en train de m’insulter : elle affirme que je suis un gros porc qui pourrait perdre el contrôle et sauter sur elle si je voyais ses cheveux.

              C’est bien mon point : le voile est un outil pour empêcher toute sociabilité, pour établir une ligne rouge entre ceux qui sont dans la communauté et ceux qui n’y sont pas. C’est pourquoi il est dangereux. Comme n’importe quel « principe » qui prétend séparer la société entre ceux qui le pratiquent et les autres.

              [« Pour VOUS, non. Mais a-t-on le droit de penser différemment ? » Évidemment. Sans vouloir être désagréable, je ne sais plus comment le dire pour que vous le compreniez.]

              Déjà, sans vouloir être désagréable, il faudrait commencer par ne pas dire le contraire. Vous avez écrit plusieurs fois, au cours de cette discussion, que dans l’idéal vous souhaiteriez que votre action aboutisse à faire disparaître des mets comme la viande ou le foie gras. Que faites vous donc de tous ceux qui placent leur « bonheur » là-dedans ? Qu’ils mangent de la brioche ?

              On peut parfaitement s’opposer à des pratiques qu’on juge aberrantes. J’estime personnellement qu’il faut punir sévèrement le viol. Mais une fois que j’ai dit ça, je ne peux pas en parallèle soutenir qu’on a « le droit de placer son bonheur » dans le viol. Dès lors que vous estimez qu’il faut faire disparaître telle ou telle pratique, vous ne pouvez en parallèle affirmer qu’on a « le droit » de placer son bonheur là-dedans.

              [« En d’autres termes, pouvoir consommer de la viande rend votre alimentation de meilleure qualité. Dont acte… » Je disconviens.]

              Pourtant, c’est ce que vous avez écrit : répondant à Carloman qui écrivait que dans votre logique « seuls les riches mangeront de la viande » vous avez répondu « les riches ont toujours accès à une alimentation de meilleure qualité ». Vous admettez donc qu’accéder à la viande est un facteur de « qualité » de l’alimentation… Ce n’est peut-être qu’un lapsus, mais je le trouve amusant.

            • Bob dit :

              @ Descartes

               
              [
              J’en doute. Les commissions parlementaires sont exclusivement composées de députés et de sénateurs. Elles ne peuvent, par statut, inclure des « vétérinaires » est qualités…
              ]

              Au temps pour moi à propos de la participation de vétérinaires.
               

              [J’ai pris la peine de feuilleter le rapport, et cela apparaît très clairement : « Enfin, il semble nécessaire de mettre en place un outil supplémentaire de contrôle en installant des caméras à tous les endroits de l’abattoir où des animaux vivants sont manipulés. Ce contrôle vidéo doit être encadré par la loi afin d’en délimiter strictement les finalités et éviter qu’il devienne un outil de surveillance des salariés ». « [la surveillance vidéo] suscite une réelle inquiétude chez les salariés qui craignent que cela constitue une pression supplémentaire pour des métiers déjà difficiles ». Curieux qu’une mesure censée améliorer les conditions de travail des salariés suscite chez eux une « réelle inquiétude »…
              Soyons sérieux : le but de cette recommandation n’était nullement d’améliorer le sort des salariés, mas uniquement celui des animaux. Inutile de déguiser la chose sous un vernis « social »…
              Si cette mesure pouvait améliorer la façon dont les animaux meurent, cela serait un progrès, ne trouvez-vous pas ?
              Je ne cherche à rien déguiser du tout. J’avais en tête le témoignage – sans doute pas dans le rapport, c’est vrai – d’un ancien employé d’abattoir qui expliquait que le rythme imposé obligeait à maltraiter les animaux lors de l’abattage et que la vidéosurveillance forcerait, en pratique, un meilleur respect des normes.
              [
              Je ne vois pas ce que cela change à la question posée. Si vous pratiquiez un métier qui consiste à mettre à mort des animaux, aimeriez-vous être surveillé par une caméra ? ]
              Ce n’est pas tant que j’aimerais ou pas qui compte, mais que cela m’obligerait à plus, voire totalement, respecter la réglementation.
              [Tiens, je vais reformuler la question : pensez-vous qu’il faille mettre des caméras de surveillance en salle d’opérations ? Après tout, n’est ce pas tout aussi important de vérifier que les chirurgiens « respectent les normes en vigueur » que pour le personnel des abattoirs ?]
              Il l’est. S’il est avéré que le système de soin est tel (par ses cadences, les manques de personnel, etc.) que les praticiens sont de fait contraints de ne pas respecter les normes, alors oui.
              [Mais c’est tout de même moins grave et cela peut faire moins de dégâts que de pratiquer une opération chirurgicale ou d’enseigner à une classe primaire. Pensez-vous qu’il faille installer des caméras dans les salles d’opération et dans les salles de classe ?]

              Pour les salles d’opération, cf. ma précédente réponse. Concernant les salles de classe, je ne vois pas le lien entre vidéosurveillance et pratique des enseignants.
               
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« J’en doute. Les commissions parlementaires sont exclusivement composées de députés et de sénateurs. Elles ne peuvent, par statut, inclure des « vétérinaires » est qualités… » Au temps pour moi à propos de la participation de vétérinaires.]

              Les rapports parlementaires ne contiennent que l’opinion informée des parlementaires. Ils n’ont aucune valeur du point de vue scientifique.

              [Si cette mesure pouvait améliorer la façon dont les animaux meurent, cela serait un progrès, ne trouvez-vous pas ?]

              Pour les animaux, certainement. Mais pourquoi invoquer les « conditions de travail du personnel », si ce n’est pour donner un vernis social à l’affaire ?

              [« Je ne vois pas ce que cela change à la question posée. Si vous pratiquiez un métier qui consiste à mettre à mort des animaux, aimeriez-vous être surveillé par une caméra ? » Ce n’est pas tant que j’aimerais ou pas qui compte, mais que cela m’obligerait à plus, voire totalement, respecter la réglementation.]

              Certainement. Et cela est vrai dans tous les métiers. Mais la question ici n’était pas le respect de la réglementation, mais « les conditions de travail du personnel ».

              [« Tiens, je vais reformuler la question : pensez-vous qu’il faille mettre des caméras de surveillance en salle d’opérations ? Après tout, n’est ce pas tout aussi important de vérifier que les chirurgiens « respectent les normes en vigueur » que pour le personnel des abattoirs ? » Il l’est. S’il est avéré que le système de soin est tel (par ses cadences, les manques de personnel, etc.) que les praticiens sont de fait contraints de ne pas respecter les normes, alors oui.]

              Personnellement, je n’aimerais pas être opéré par un chirurgien que je sais sous le stress d’une caméra épiant tous ses faits et gestes. Et qui serait poussé à ne prendre aucun risque – même lorsque la prise de risque est raisonnable – de peur d’être mal jugé sur la base des images prises par la caméra.

              [Concernant les salles de classe, je ne vois pas le lien entre vidéosurveillance et pratique des enseignants.]

              Pardon, pardon, les enseignants sont eux aussi censés appliquer une réglementation prévue pour protéger leurs élèves.

            • Bob dit :

              @ Descartes
               

              [Mais vous avez admis plusieurs fois que vous acceptez « pour une fois » de participer financièrement à l’exploitation des travailleurs sans droits en achetant votre téléphone portable ou votre chemisette. En quoi serait-il plus terrible d’accepter « pour une fois » une tranche de foie gras ?]
              Parce que je sais à coup sûr les conditions dans lesquelles le foie gras est obtenu, ce qui n’est pas le cas de ma chemisette.
              [On soigne les chats abandonnés parce qu’on se sent coupable de ne pas soigner les hommes…]
              Et si ceux qui les soignent le font parce qu’ils constatent que sans eux les chats resteront à l’abandon ? Je n’y vois aucune auto-flagellation dans leur décision, aucune démarche “sacrée”.
               
              [Sauf qu’après avoir considéré que les deux méritent qu’on s’y penche, vous vous penchez sur l’un et pas sur l’autre…]
              Oui, car d’autres pencheront sur l’autre et pas sur l’un.
              [Et que ce contre argument ne sert, au final, qu’a nous (hommes) exonérer – à bon compte, comme vous disiez qu’il s’agissait de seulement se donner “bonne conscience – de tout ce qui pourrait (devrait plutôt) être faits pour améliorer le sort des animaux.]
              [Je vous ai déjà montré qu’on peut parfaitement renverser l’argument, et considérer que l’argument de la cruauté envers les animaux permet de s’exonérer à bon compte de ce qu’on pourrait faire pour améliorer le sort des hommes… C’est donc bien un choix politique de savoir qui on met devant.]
              Oui, c’est un choix politique.
              [
              Je pense certainement qu’à l’heure de parler moyens, on doit consacrer aux SPA une fraction minime de ce qu’on consacre à alléger la misère dans laquelle vivent tant de nos concitoyens. Oui, pour moi les hommes passent devant les animaux.]
              Allons jusqu’au bout de votre raisonnement : tant que la misère des hommes ne sera pas résolue (soit probablement jamais), c’est zéro qu’il faut allouer à la cause animale, puisque chaque centime pour ces derniers n’ira pas dans l’aide aux hommes. Est-ce cela ?
              [Oui, et acheter Chinois finance les emplois mondiaux. Et alors ? Pourquoi est-il plus vertueux de financer les « emplois européens » que les « emplois mondiaux » ? En quoi le Bulgare est plus mon frère que le Coréen ou le Chinois ?]
              Parce qu’on penser penser, du moins est-ce mon cas, que les protections sociales des travailleurs sont davantage respectées en Europe qu’en Chine.
               
              [Ça dépend où votre Renault est fabriquée. Si elle est fabriquée en Bulgarie, que vous achetiez une Renault est certainement une très bonne nouvelle pour les Bulgares. Et si vous achetez une voiture chinoise, c’est tout bénef pour les chinois. Pour les Français, c’est parfaitement indifférent…]
              Bien sûr, j’entendais par là du point de vue du respect des droits du travailleur qui l’a produite.
              [
              Parce que nous ne sommes pas limités aux « gestes individuels ». Nous sommes capables aussi, nous les humains, de gestes collectifs ou, pour le dire autrement, de gestes politiques. Si je veux protéger notre industrie automobile, je peux décider individuellement d’acheter français, mais je peux aussi militer pour qu’on fasse des lois protégeant la production française. A votre avis, quelle est l’attitude la plus efficace ?]
              Poser la question, c’est y répondre : par des lois idoines, je vous l’accorde volontiers.
              Je me permets de reposer la question : est-ce que cela veut dire pour autant que nos choix personnels sont neutres ?

               
               
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Mais vous avez admis plusieurs fois que vous acceptez « pour une fois » de participer financièrement à l’exploitation des travailleurs sans droits en achetant votre téléphone portable ou votre chemisette. En quoi serait-il plus terrible d’accepter « pour une fois » une tranche de foie gras ? » Parce que je sais à coup sûr les conditions dans lesquelles le foie gras est obtenu, ce qui n’est pas le cas de ma chemisette.]

              Je suis surpris. Vous m’avez expliqué que les abattoirs sont des lieux « secrets », alors que les usines – par exemple, celles où l’on fabrique vos chemisettes – sont parfaitement transparentes. Et pourtant, vous savez « à coup sûr » comment votre foie gras est fabriqué, mais vous ignorez tout de la manière dont les chemisettes sont produites ? Curieux, n’est ce pas…

              Je vous le demande, la main dans le cœur : avez-vous le moindre doute que la chemisette made in India que vous achetez est produite par des salariés mal payés et n’ayant pas accès à une protection sociale digne de ce nom ?

              [« Je vous ai déjà montré qu’on peut parfaitement renverser l’argument, et considérer que l’argument de la cruauté envers les animaux permet de s’exonérer à bon compte de ce qu’on pourrait faire pour améliorer le sort des hommes… C’est donc bien un choix politique de savoir qui on met devant. » Oui, c’est un choix politique.]

              Et donc le choix de défendre l’animal plutôt que l’homme traduit une véritable hiérarchie. CQFD

              [« Je pense certainement qu’à l’heure de parler moyens, on doit consacrer aux SPA une fraction minime de ce qu’on consacre à alléger la misère dans laquelle vivent tant de nos concitoyens. Oui, pour moi les hommes passent devant les animaux. » Allons jusqu’au bout de votre raisonnement : tant que la misère des hommes ne sera pas résolue (soit probablement jamais), c’est zéro qu’il faut allouer à la cause animale, puisque chaque centime pour ces derniers n’ira pas dans l’aide aux hommes. Est-ce cela ?]

              Parle-t-on ici de la « cause animale » ou de la SPA ? S’il s’agit de la SPA, je l’ai bien écrit plus haut : je pense qu’il faut lui allouer des moyens qui ne sont qu’une fraction minime de ce qu’on consacre à alléger la misère humaine. S’il s’agit de la « cause animale », alors là je pense qu’il faut lui consacrer zéro moyen. Je conteste même l’idée qu’il existe une « cause animale ». Nous protegeons les animaux parce que cela nous procure, à nous humains, un plaisir. C’est pourquoi nous soignons les animaux qui nous plaisent – parce qu’ils nous ressemblent, parce qu’ils sont mignons, parce qu’ils jouent avec nous, parce que nous nous projetons sur eux – comme les chats, les chiens, les dauphins et les pandas, et nous tuons impitoyablement ceux que nous n’aimons pas – parce qu’ils ne sont pas beaux, parce qu’ils nous paraissent menaçants – comme les rats ou les araignées. Si vous me parlez de « cause animale » – ce qui suppose que l’animal est un sujet de droit autonome – alors il n’y a aucune raison de punir plus gravement celui qui noie un chaton et celui qui met de la mort aux rats dans sa cave.

              [« Oui, et acheter Chinois finance les emplois mondiaux. Et alors ? Pourquoi est-il plus vertueux de financer les « emplois européens » que les « emplois mondiaux » ? En quoi le Bulgare est plus mon frère que le Coréen ou le Chinois ? » Parce qu’on penser penser, du moins est-ce mon cas, que les protections sociales des travailleurs sont davantage respectées en Europe qu’en Chine.]

              Je vois que j’ai affaire à un grand optimiste…

              [Je me permets de reposer la question : est-ce que cela veut dire pour autant que nos choix personnels sont neutres ?]

              Vis-à-vis de l’environnement, oui. Vis-à-vis de nous-mêmes, non.

            • Bob dit :

              @ Descartes

              [
              Bien entendu. Le cas c’est d’ailleurs présenté réellement : lors d’une visite en Corée, il m’a été proposé du chien, et j’ai goûté pour ne pas faire de la peine à mes hôtes, tout en leur expliquant pourquoi en occident on n’était pas très friand de ce type de plats.]
              Puis-je savoir si vous possédez un chien ? (ou un chat ?)
               
              [J’ajoute qu’un ministre français, Robert Galley, s’était vu proposer de la chair humaine lors d’une visite en Centrafrique, et y avait goûté. Il est vrai qu’il ne l’a su qu’après…]
              Cet exemple est extrêmement intéressant. Imaginions un instant que vous ayez été à cette table de Centrafrique, et que l’organisateur vous apporte de la chair humaine en vous le disant avant le repas. Quelle sera votre attitude ? accepterez-vous pour ne pas rompre la sociabilité du repas commun, parler sa langue “pour une fois” et ne pas “punir symboliquement” celui qui vous tient en haute estime parce que ce mets n’est servi qu’aux invités de prestige ?
              [
              Je ne comprends pas cette remarque. Qu’il y ait des accents différents n’est pas un obstacle dès lors que chacun peut reconnaître les mots et la syntaxe commune.]
              Où est le problème alors à ce que mon accent soit “fruits et légumes” à partir du moment où mon hôte le comprend ?
              [[Tout ce qui excessif est négligeable, sur ce point nous sommes d’accord. Je n’ai jamais rencontré qui que ce soit qui m’ait dit que la production de Champagne “conduise le monde à sa perte” ou ne fasse “souffrir les pieds de vigne”.]
              Faut sortir plus souvent…]
              Si c’est pour rencontrer des individus tenant de tels propos, je préfère rester chez moi.
              [Désolé, mais ce n’est pas une question de « particularisme ». Si je vous invite chez vous, j’ai envie de vous servir un plat qui parle un peu de mes goûts, de mes origines, de la manière dont je vous considère. Si je sais que vous refuserez de manger de la viande, je ferai peut-être une purée de carottes pour vous faire plaisir. Mais ce plant ne vous dira rien ni de mes goûts, de mon parcours, de mon histoire. Vous ne saurez pas devant ce plat si je vous considère quelqu’un de raffiné, quelqu’un d’aventureux, quelqu’un aux goûts exotiques. Tout ce que cela vous « communiquera », c’est que j’ai envie de vous faire plaisir. Autrement dit, ce sera un énorme appauvrissement du langage]
              Quant à moi j’invite des amis pour LEUR faire plaisir, pas pour leur faire part de mes goûts, pas plus que pour savoir s’ils ont des goûts “aventureux” ou “exotiques”. Qu’ils osent ou pas manger des insectes si tel est mon régime alimentaire m’importe peu. Je ne vois pas du reste en quoi la cordialité du repas s’en trouverait renforcée.
              [Là, ça confine à l’absurde. Vous m’expliquiez que vous ne mangiez pas de viande pour ne pas financer un système que vous condamnez. Mais si le plat a été cuisiné, c’est que la bête a déjà été tuée et vendue. Que vous la mangiez ou pas ne change strictement rien à son sort ou au financement de la filière. Tout au plus ce que vous aurez « séparé » ira à la poubelle plutôt que dans votre estomac. Alors, votre geste sert à quoi, sinon à mettre mal à l’aise vos hôtes, à les punir symboliquement de ne pas avoir cédé à votre imposition ?]
              Cela ne changera pas le sort de la bête déjà tuée ni au financement de la filière, c’est vrai.
              J’espère que “ma” part ira dans l’estomac de quelqu’un d’autre plutôt qu’à la poubelle.
              Dans la pratique, les gens qui m’invitent savent que je ne mange plus de viande, le “problème” ne s’est pas posé.
              [
              Autrement dit, on ne peut « respecter » vos convictions qu’en s’y pliant.]
              Mais faire un repas à base de légumes et fruits, est-ce vraiment se “plier à mes convictions” ?
              Je n’ai jamais refusé de participer à un repas où de la viande serait servie, ni demandée qu’elle ne le soit pas au demeurant.
              [
              Alors, posez-vous la question : pourquoi vous être fait une règle qui ne tolère pas d’exceptions, alors qu’il eut été bien plus pratique d’en avoir une qui les permet ? Quel besoin cette inflexibilité satisfait chez vous ? ]
              C’est une bonne question. Je pense que cette “inflexibilité” ne remet pas en cause la possibilité d’un repas “cordial” mêlant des gens qui mangent de la viande d’autres qui ne le font pas.
              [
              Absolument pas. Le code civil contient des éléments sur lesquels il y a un consensus social, mais cela n’a rien à voir avec un consensus scientifique.]
              Je n’ai pas dit que l’inscription au Code civil conférait un garant scientifique. Je constate en revanche que le législateur français accepte ce consensus social au point de le consacrer dans un texte officiel, ce qui n’est pas rien.
              [
              La formule « doué de sensibilité » contient bien plus d’ambiguïtés que vous ne le pensez. On peut l’interpréter comme vous le faites, c’est-à-dire, comme la capacité d’avoir des « sens » et de communiquer à travers eux avec l’environnement. Mais cela peut s’interpréter aussi comme la faculté d’avoir des « sentiments » – la peur, la colère, l’amour – chose évident chez certains animaux comme les primates, moins évident à prouver chez d’autres comme les araignées.]
              Très bien. Vous accordez vous-mêmes aux primates le “sentiments”. Accordez-vous aussi aux cochons, par exemple celui de “ressentir la douleur” ?
              Dire qu’un animal est “doué de sensibilité” pour lui refuser de “ressentir” me parait alambiqué.
              [[Mais il se trouve que dans mon composteur, j’ai eu la surprise de trouver un rat l’année passée. Je n’ai pas là non plus utilisé de la mort-aux-rats.]
              Et qu’est ce que vous avez fait ?]
              J’ai attendu qu’il disparaisse.

               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Bien entendu. Le cas c’est d’ailleurs présenté réellement : lors d’une visite en Corée, il m’a été proposé du chien, et j’ai goûté pour ne pas faire de la peine à mes hôtes, tout en leur expliquant pourquoi en occident on n’était pas très friand de ce type de plats. » Puis-je savoir si vous possédez un chien ? (ou un chat ?)]

              Jamais. Mais j’ai eu un hamster, un lapin et des poissons rouges. Et je dois dire que cela ne m’a jamais empêché de manger un bon ragoût ou une sole meunière.

              [« J’ajoute qu’un ministre français, Robert Galley, s’était vu proposer de la chair humaine lors d’une visite en Centrafrique, et y avait goûté. Il est vrai qu’il ne l’a su qu’après… » Cet exemple est extrêmement intéressant. Imaginions un instant que vous ayez été à cette table de Centrafrique, et que l’organisateur vous apporte de la chair humaine en vous le disant avant le repas. Quelle sera votre attitude ? accepterez-vous pour ne pas rompre la sociabilité du repas commun, parler sa langue “pour une fois” et ne pas “punir symboliquement” celui qui vous tient en haute estime parce que ce mets n’est servi qu’aux invités de prestige ?]

              Je pense que je refuserais, mais avec l’objectif avoué de rompre la sociabilité et de punir symboliquement mon hôte. Il est clair qu’une personne qui mange de la chair humaine appartient à une collectivité à laquelle je n’ai aucune envie d’appartenir. Mais vous noterez que pour moi l’être humain a un statut différent de celui de tous les animaux.

              [« Je ne comprends pas cette remarque. Qu’il y ait des accents différents n’est pas un obstacle dès lors que chacun peut reconnaître les mots et la syntaxe commune. » Où est le problème alors à ce que mon accent soit “fruits et légumes” à partir du moment où mon hôte le comprend ?]

              Mais encore une fois, votre hôte ne comprend rien, puisque les choses n’ont pas de sens. Je vous ai déjà expliqué qu’en servant tel ou tel mets, il vous communique quelque chose sur son histoire, son parcours, ses préférences, ce qu’il pense de vous. A partir où vous exigez de lui qu’il ne vous serve que des légumes, il n’a pas les moyens de vous exprimer tout cela. C’est un peu comme si vous prétendiez qu’il vous parle français en lui interdisant d’utiliser les mots de cette langue sauf ceux qui commencent par « L ».

              [Quant à moi j’invite des amis pour LEUR faire plaisir, pas pour leur faire part de mes goûts, pas plus que pour savoir s’ils ont des goûts “aventureux” ou “exotiques”.]

              C’est là, je pense, la racine de notre incompréhension. Pour vous, le repas ne contient finalement qu’un langage assez limité : simplement l’envie de faire plaisir. Pour moi, c’est un langage beaucoup plus complexe, une véritable conversation sans paroles. Le choix des couverts, des assiettes, de la cristallerie, la disposition même de la table contient une foule de messages. Et bien entendu, les mets jouent là-dedans un rôle fondamental : leur choix, leur présentation, tout est signifiant… pour celui qui accepte de parler la même langue.

              Je vais vous donner un exemple : lorsque quelqu’un vous invite et veut vous manifester une certaine intimité, il prépare souvent une recette de famille. Ces recettes sont souvent redoutables, parce que ceux qui les apprécient le font souvent parce qu’elles sont attachées à des souvenirs de jeunesse. Mais pour celui qui n’a pas ces souvenirs, elles peuvent être plus ou moins immangeables. Pourtant, je me fais toujours un point d’honneur à les manger et à faire des commentaires appréciatifs… parce que cela fait partie de la sociabilité. Refuser en disant « je n’aime pas ça » ne serait pas bien reçu, alors même que selon vous mes hôtes cherchent d’abord à me faire plaisir…

              [« Là, ça confine à l’absurde. Vous m’expliquiez que vous ne mangiez pas de viande pour ne pas financer un système que vous condamnez. Mais si le plat a été cuisiné, c’est que la bête a déjà été tuée et vendue. Que vous la mangiez ou pas ne change strictement rien à son sort ou au financement de la filière. Tout au plus ce que vous aurez « séparé » ira à la poubelle plutôt que dans votre estomac. Alors, votre geste sert à quoi, sinon à mettre mal à l’aise vos hôtes, à les punir symboliquement de ne pas avoir cédé à votre imposition ? » Cela ne changera pas le sort de la bête déjà tuée ni au financement de la filière, c’est vrai. J’espère que “ma” part ira dans l’estomac de quelqu’un d’autre plutôt qu’à la poubelle. Dans la pratique, les gens qui m’invitent savent que je ne mange plus de viande, le “problème” ne s’est pas posé.]

              Mais supposons que vous soyez invité chez quelqu’un qui ne connait pas vos habitudes alimentaires. Dans ce cas particulier, accepteriez-vous « pour une fois » de manger de la viande ? Vous admettez que dans ce contexte votre décision n’a aucune portée sur le sort d’un animal ou le financement de la filière : l’animal a été tué et acheté, et si vous ne le mangez pas quelqu’un d’autre le mangera, ou bien le jettera à la poubelle. Alors, refuserez-vous ? Et si oui, pourquoi ?

              [« Autrement dit, on ne peut « respecter » vos convictions qu’en s’y pliant. » Mais faire un repas à base de légumes et fruits, est-ce vraiment se “plier à mes convictions” ?]

              Pour quelqu’un qui aime la viande, oui. Tiens, lorsque VOUS invitez quelqu’un qui aime la viande, prenez-vous la peine de « respecter ses convictions » en lui servant une bonne entrecôte ? Si vous pouvez le « respecter » tout en lui servant des légumes, pourquoi le raisonnement serait différent pour celui qui vous sert de la viande ?

              [Je n’ai jamais refusé de participer à un repas où de la viande serait servie, ni demandée qu’elle ne le soit pas au demeurant.]

              Mais dans ce cas, vous mangez quoi ?

              [« Alors, posez-vous la question : pourquoi vous être fait une règle qui ne tolère pas d’exceptions, alors qu’il eut été bien plus pratique d’en avoir une qui les permet ? Quel besoin cette inflexibilité satisfait chez vous ? » C’est une bonne question. Je pense que cette “inflexibilité” ne remet pas en cause la possibilité d’un repas “cordial” mêlant des gens qui mangent de la viande d’autres qui ne le font pas.]

              La question est bonne… mais vous n’y répondez pas.

              [« La formule « doué de sensibilité » contient bien plus d’ambiguïtés que vous ne le pensez. On peut l’interpréter comme vous le faites, c’est-à-dire, comme la capacité d’avoir des « sens » et de communiquer à travers eux avec l’environnement. Mais cela peut s’interpréter aussi comme la faculté d’avoir des « sentiments » – la peur, la colère, l’amour – chose évident chez certains animaux comme les primates, moins évident à prouver chez d’autres comme les araignées. » Très bien. Vous accordez vous-mêmes aux primates le “sentiments”. Accordez-vous aussi aux cochons, par exemple celui de “ressentir la douleur” ?]

              Bien sûr, mais je l’accorde aussi à un arbre. Alors pourquoi protéger le cochon, et pas le pêcher ?

              [« « Mais il se trouve que dans mon composteur, j’ai eu la surprise de trouver un rat l’année passée. Je n’ai pas là non plus utilisé de la mort-aux-rats. » » « Et qu’est ce que vous avez fait ? » J’ai attendu qu’il disparaisse.]

              Vous voulez dire « qu’il parte » je suppose… parce que les animaux ne « disparaissent » pas comme ça. Et s’il n’était pas parti, s’il y avait fait son nid et eu une nombreuse descendance, vous auriez fait quoi ?

            • Carloman dit :

              @ Bob,
               
              [Ce débat a un peu dérivé (le post de Descartes traitant d’un tout autre sujet). Je ne suis pas sûr qu’il intéresse les autres lecteurs.]
              En tout cas, moi il m’a beaucoup intéressé et je tiens à vous remercier d’avoir bien voulu échanger et répondre à mes questions.
               
              [Je l’ai ouvert (je n’aurais peut-être pas dû) car votre assertion “je suis anti-vegan”, que j’ai (mal) interprétée m’a interpellé. Il y a tellement – selon moi – de choses et d’idées beaucoup plus nuisibles à la culture et à l’identité françaises que j’ai trouvé que c’était, sans vouloir vous offenser, mal choisir ses combats que de faire des végans en particulier l’objet de votre ire.]
              Là-dessus, je ne vous suivrai pas. Je pense que les végans méritent largement mon ire. Je dirai même qu’ils la recherchent…
               
              [Je ne prétends pas que ma “vision” soit d’un cartésianisme irréfutable (elle ne l’est sans doute pas, loin s’en faut, vos objections et celles de Descartes le montrent sur certains aspects je l’admets volontiers). Mes choix alimentaires sont ceux que j’estime “justes” – oui, il s’agit d’idéologie – allant dans le meilleur sens pour tous (humains et animaux). Je ne les impose à personne, j’entends juste que la réciproque soit vraie (les végans sont sans doute intolérants, mais nombreux sont les “viandards” à l’être pareillement au passage, réfutant jusqu’à l’idée de “discuter” leur état de “viandard”);]
              Dans cette affaire, chacun de nous est guidé par une “idéologie”, et c’est aussi mon cas. L’idée que je me fais de la nourriture, de la sociabilité, de l’identité, tout cela est aussi “idéologique” chez moi que chez vous.
              Pour être honnête, je ne pense pas que tant de “viandards” que ça soient intolérants – même s’il y a des imbéciles partout je vous le concède – mais je crains que le militantisme végan finisse par sucsiter en réaction une forme d’intolérance. A partir du moment où on se permet de me reprocher mes choix culinaires, il faut s’attendre à une riposte. Et je pense malheureusement que la mouvance végan-antispéciste s’est radicalisée ces dernières années.
               
              On en revient à l’éternelle question: jusqu’à quel point faut-il être tolérant avec les intolérants?
               
              [et, de nouveau nous divergeons, cela n’entame pas une “sociabilité française” selon moi (point central de ce “débat dans le débat”).]
              C’est en effet le fond de notre désaccord, car vous l’avez compris, je pense le contraire.
              [Je vous propose, si vous le voulez bien, de clore de fil de discussions ; je pense que l’essentiel a été dit et que nous ne ferions désormais que “tourner en rond”.]
              Eh bien permettez-moi de vous dire que j’ai eu plaisir à débattre avec vous, et une fois de plus, je vous remercie pour votre patience et votre courtoisie.

            • Bob dit :

              @ Carloman
               
              [[Je vous propose, si vous le voulez bien, de clore de fil de discussions ; je pense que l’essentiel a été dit et que nous ne ferions désormais que “tourner en rond”.]Eh bien permettez-moi de vous dire que j’ai eu plaisir à débattre avec vous, et une fois de plus, je vous remercie pour votre patience et votre courtoisie.]
              Le plaisir est partagé, et je vous renvoie la pareille.

            • Bob dit :

              @ Descartes
               

              [Celui qui me dit « je ne mange pas le foie gras que tu m’offres parce que je suis contre la cruauté sur les animaux » est en train de me dire « tu est un salaud qui jouis de la cruauté sur les animaux ». Comment un tel reproche pourrait favoriser une quelconque sociabilité ?]
               
              Heureusement que vous vous disiez modéré.
              “[il] est en train de me dire « tu est un salaud qui jouis de la cruauté sur les animaux »”. C’est VOTRE interprétation. Je ne pense pas des gens qui m’invitent et qui proposent du foie gras que ce sont des “salauds”. Ils n’adhèrent pas à ma vision, voilà tout. Et c’est leur droit.
              J’imagine qu’à cet invité qui viendrait de manière cachée (selon vous) vous insulter chez vous, vous demanderiez de quitter les lieux. C’est la suite logique il me semble. Je ne trouve pas votre table particulièrement cordiale.
              [Pas du tout, justement. Conférez le paragraphe ci-dessus. Je le répète, le problème n’est pas dans l’acte objectif de refuser un mets, mais dans la position subjective de le refuser pour une question de principe. Refuser mon foie gras parce que votre santé ne vous le permet pas ne m’offenserait en rien, au contraire, j’aurai pitié de vous dont la santé empêche de profiter d’un tel plaisir. Refuser mon foie gras parce qu’il est issu de la cruauté sur les animaux m’offense, parce que c’est un reproche caché.]
              Mais tout est subjectif. Celui dont la santé ne lui permet pas le foie gras n’ira pas au cimetière le lendemain parce que, “pour une fois”, il a dérogé à la règle de son docteur. Faut-il voir aussi une forme “d’inflexibilité”, de “purification” dans son refus ?
               
              [« Sauf que cela ne change en rien la situation des animaux. Les idéologies de la mortification ne cherchent pas à changer la réalité, elles ne servent qu’à satisfaire le besoin de purification, à alléger le sentiment de culpabilité de l’individu qui les pratique. Cela fait partie d’une logique sacrificielle, d’une posture qui permet à l’individu de se sentir « meilleur » que les autres – c’est-à-dire, de ceux qui n’ont pas vu la lumière. » Je suis moins fataliste que vous, et j’ose espérer que cela change au moins pour une part, fût-elle infime, les choses.]
              [Refuser d’acheter vous-même de la viande pourrait à la rigueur « changer une part, fut-elle infime » des choses. Mais refuser la viande que vous propose votre hôte ne change rien, puisque cette viande a déjà été achetée. La seule chose que cela changera, c’est que la viande en question ira dans la poubelle plutôt que dans votre estomac. Le fait que votre principe ne tolère pas de dérogation, même dans une circonstance où, de toute évidence, une dérogation ne changerait rien au résultat montre que la question n’est pas de changer le réel, mais de satisfaire un besoin psychologique chez vous.]
               
              Il y a un désir (peut-être illusoire certes) de changer les choses ET un besoin psychologique sans doute aussi.
              [[« Pouvez-vous donner un exemple précis de « chefs français de haute réputation » qui aient « mis en valeur la cuisine végétarienne » ? » Deux même, et non des moindre : Thierry Marx et Alain Ducasse.]
              Désolé, mais si je crois votre article Ducasse s’est contenté de « rayer la viande de sa carte : honneur désormais aux produits de la mer ». La cruauté envers les poissons serait-elle plus admissible que celle concernant les volailles ? Quant à Thierry Marx, il « propose également des plats sans gluten, sans lactose et sans viande (pas encore vraiment végétarien donc, mais l’idée est là !) ». On est loin de « mettre en valeur la cuisine végétarienne ».
              Les deux noms sont intéressants, parce que ce sont des chefs hautement médiatiques, qui sont aujourd’hui plutôt des chefs d’entreprise que des cuisiniers. Et l’article que vous citez montre bien que ce n’est pas là une création de la gastronomie française, mais plutôt une concession à une mode venue du monde anglosaxon et des Etats-Unis en particulier. Dans notre société, le client est roi… et s’il y a des gens pour payer pour du végétarien, il y aura du végétarien]
              Si les deux cités sont des chefs d’entreprise, ils n’en restent pas moins des cuisiniers (de haute volée). En quoi leur statut donnerait moins de poids à leurs nouvelles orientations ? Tous les restaurateurs ont parmi leurs principaux objectifs que leur établissement soit rentable.
              Voici une autre liste où on indique clairement qu’il “ne reste donc plus qu’à la [la cuisine 100 % végétale] découvrir, la développer et la *mettre en valeur* !”

              14 chefs Français cuisinent Vegan

              [Mais pour le moment, je ne connais aucun plat végétarien qui se soit imposé comme un étalon de la cuisine française de tous les jours, en parallèle avec la blanquette de veau, le bœuf bourguignon ou la sole meunière…]

              Pour le moment non ; Paris (et la gastronomie française) ne s’est pas faite en un jour.

              [L’aura de ces deux chefs, entre autres, est indiscutable. La cuisine d’Alain Ducasse est souvent LA référence à l’étranger quand il s’agit d’évoquer la gastronomie française. Et vous noterez qu’en 2014, il a carrément rayer la viande de sa carte. Diriez-vous que ce faisant il a entamé la “francité” du repas “à la française”, qu’il professe une idéologie dangereuse ?]
              [Mais comment dois-je faire MOI pour respecter LEURS opinions ? En quoi commencer le repas sans dire le bénédicité (privilège qui, je vous le rappelle, revient au maître de maison) « respecte » plus leurs convictions que de servir de la viande à un végétarien ?]
               
              Si vous commencez le repas sans le dire, je n’estime pas que vous ne “respectez” pas leurs convictions.
              [Mais est-ce qu’en servant de la viande je « condamne » ses pratiques ?]
               
              Non.
               
              [Autrement dit, si mon invité exige que je ne cuisine pas de la viande, cela ne porte atteinte à la cordialité.]
               
              Si, à partir du moment où il l’exige, il vous impose son mode de vie alimentaire.
              [La réponse est très simple : je n’inviterais pas à ma table une « amie » voilée, et si je l’invitais il est probable qu’elle ne viendrait pas, parce que chez moi les femmes s’asseyent à la table et parlent avec les hommes, chose qu’elle refuse chez elle. Une femme qui vient voilée chez moi est en train de m’insulter : elle affirme que je suis un gros porc qui pourrait perdre el contrôle et sauter sur elle si je voyais ses cheveux.]
              Dire que les femmes musulmanes voilées (sous entendu : toutes) ne “s’asseyent pas à la table “, ni “ne parlent aux hommes” me paraît généraliser de manière abusive.
              Nous percevons les choses de manière très différente. Une femme voilée qui vient chez moi ne m’envoie pas ce message à mes yeux. Vous pensez de la sorte de toutes les femmes voilées que vous croisez partout ? (notez que je ne suis ici aucunement en train de défendre le “voilage” des femmes).
              Mais nous ferions sans doute mieux de ne pas ouvrir cet autre débat…
              [« Pour VOUS, non. Mais a-t-on le droit de penser différemment ? » Évidemment. Sans vouloir être désagréable, je ne sais plus comment le dire pour que vous le compreniez.]
              Déjà, sans vouloir être désagréable, il faudrait commencer par ne pas dire le contraire. Vous avez écrit plusieurs fois, au cours de cette discussion, que dans l’idéal vous souhaiteriez que votre action aboutisse à faire disparaître des mets comme la viande ou le foie gras. Que faites vous donc de tous ceux qui placent leur « bonheur » là-dedans ? Qu’ils mangent de la brioche ?]
              Faire disparaitre la viande (de manière générale), je ne crois pas l’avoir écrit ; en faire réduire sa consommation, oui. Le foie gras est un cas particulier.
              Eh bien, qu’ils continuent de le placer là-dedans.
              [Dès lors que vous estimez qu’il faut faire disparaître telle ou telle pratique, vous ne pouvez en parallèle affirmer qu’on a « le droit » de placer son bonheur là-dedans.]
               
              Tant que cette pratique reste légale, je crois que si. Je peux être contre une pratique sans vouloir *obliger* les autres à me suivre.
               
              [Pourtant, c’est ce que vous avez écrit : répondant à Carloman qui écrivait que dans votre logique « seuls les riches mangeront de la viande » vous avez répondu « les riches ont toujours accès à une alimentation de meilleure qualité ». Vous admettez donc qu’accéder à la viande est un facteur de « qualité » de l’alimentation… Ce n’est peut-être qu’un lapsus, mais je le trouve amusant.]
              Quand je lui ai répondu « les riches ont toujours accès à une alimentation de meilleure qualité », je n’avais pas en tête la viande, je pensais à tous les autres produits “haut de gammes”.

               
              Le débat a un peu dévié vers la justification du végétarisme. Je ne prétends nullement le faire ici. J’ai à maintes reprises dit que “mon” système de pensée était probablement critiquable d’un point de vue logique. Je cherche uniquement à rester “cohérent avec moi-même” – pardonnez la tautologie -, je ne le suis peut-être pas selon vous, soit.
              Le point de départ de l’échange avec Carloman était, de manière plus restrictive : est-ce que refuser certains plats (par exemple avec de la viande, mais ce pourrait être autre chose) typiques de la gastronomie française rend celui qui le fait moins “français” et moins “sociable”. Ma réponse est non ; la vôtre oui.
               
               
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Celui qui me dit « je ne mange pas le foie gras que tu m’offres parce que je suis contre la cruauté sur les animaux » est en train de me dire « tu est un salaud qui jouis de la cruauté sur les animaux ». Comment un tel reproche pourrait favoriser une quelconque sociabilité ? » Heureusement que vous vous disiez modéré.]

              Je pense avoir été extrêmement modéré dans mon langage. J’aurais pu utiliser des mots bien plus forts pour vous décrire ce que je ressens lorsque quelqu’un invité à ma table se permet de me faire la leçon de cette manière…

              [“[il] est en train de me dire « tu es un salaud qui jouis de la cruauté sur les animaux »”. C’est VOTRE interprétation.]

              Oui, et en matière de communication, c’est MON interprétation qui compte. Parce qu’en matière d’échange, ce n’est pas ce que vous voulez dire, mais ce que l’autre comprend qui est important.

              [Je ne pense pas des gens qui m’invitent et qui proposent du foie gras que ce sont des “salauds”. Ils n’adhèrent pas à ma vision, voilà tout. Et c’est leur droit.]

              Encore heureux. Mais il y a des contextes où « ne pas adhérer à votre vision » implique une condamnation morale très explicite. Dire à des gens « ce que vous mangez est le produit de la torture des animaux », « les baskets que vous portez sont issues du travail des enfants », « les opinions que vous exprimez sont celles qui ont emmené les juifs aux camps de concentration » ce n’est pas simplement une question de « adhérer à votre vision ». C’est aussi une façon de dire « il n’y a pas de dialogue possible entre votre vision et la mienne ».

              [J’imagine qu’à cet invité qui viendrait de manière cachée (selon vous) vous insulter chez vous, vous demanderiez de quitter les lieux. C’est la suite logique il me semble. Je ne trouve pas votre table particulièrement cordiale.]

              Et bien, je ne trouverais pas particulièrement cordial l’invité qui se permettrait de me reprocher en termes moraux mon amour du foie-gras. Et si je ne lui demande pas de quitter les lieux, c’est parce que je suis poli. Mais je m’abstiendrai certainement de le réinviter. C’est bien la « sociabilité » qui est en cause. CQFD

              [« Pas du tout, justement. Conférez le paragraphe ci-dessus. Je le répète, le problème n’est pas dans l’acte objectif de refuser un mets, mais dans la position subjective de le refuser pour une question de principe. Refuser mon foie gras parce que votre santé ne vous le permet pas ne m’offenserait en rien, au contraire, j’aurai pitié de vous dont la santé empêche de profiter d’un tel plaisir. Refuser mon foie gras parce qu’il est issu de la cruauté sur les animaux m’offense, parce que c’est un reproche caché. » Mais tout est subjectif. Celui dont la santé ne lui permet pas le foie gras n’ira pas au cimetière le lendemain parce que, “pour une fois”, il a dérogé à la règle de son docteur. Faut-il voir aussi une forme “d’inflexibilité”, de “purification” dans son refus ?]

              Votre analogie est fautive, parce que le choix de ne pas manger tel ou tel mets pour une question de santé ne dérive pas d’une position morale ou de principe. Si je suis allergique au lactose, ce n’est pas là un choix personnel mais une situation objective. Le fait de refuser le verre de lait qu’on m’offre n’implique aucun jugement de valeur envers mes hôtes, une accusation de « cruauté » envers la vache qui l’a produit. Mon allergie est une question purement objective. Et même si elle n’est pas susceptible de m’envoyer au cimetière, elle peut avoir pour moi des conséquences très désagréables que mes hôtes ne me souhaitent pas. Refuser ce qu’ils m’offrent n’a aucune raison de les offenser.

              Vous noterez d’ailleurs que l’invocation d’un problème de santé fait partie souvent du « langage » de la sociabilité. Combien de gens que je connais commencent par dire « ce n’est pas bon pour moi » et finissent par manger le gâteau qu’on leur offre en disant « mais ça a l’air délicieux, je ne peux pas y résister ». Et la personne dont la santé ne permet vraiment pas de prendre la tranche de foie grs que je lui offre mais qui prendra un petit morceau « pour goûter » aura satisfait aux règles de la courtoisie. Mieux, elle me communiquera un message positif, puisqu’elle me dit que ce que je lui offre et si précieux qu’elle est prête à prendre un petit risque pour sa santé pour me faire plaisir. Par ailleurs, la santé est, dans notre cadre de sociabilité, un argument valable MEME QUAND IL EST FAUX. Quand on veut refuser poliment un mets qu’on n’aime pas, on invoque souvent une question de santé. Personne n’est dupe, mais cela satisfait les règles de la courtoisie. Vous voyez, les règles de « sociabilité » ouvrent une panoplie infinie de possibilités de refuser un plat sans pour autant faire la leçon à ses hôtes ou de les mettre dans une situation inconfortable.

              [« Refuser d’acheter vous-même de la viande pourrait à la rigueur « changer une part, fut-elle infime » des choses. Mais refuser la viande que vous propose votre hôte ne change rien, puisque cette viande a déjà été achetée. La seule chose que cela changera, c’est que la viande en question ira dans la poubelle plutôt que dans votre estomac. Le fait que votre principe ne tolère pas de dérogation, même dans une circonstance où, de toute évidence, une dérogation ne changerait rien au résultat montre que la question n’est pas de changer le réel, mais de satisfaire un besoin psychologique chez vous. » Il y a un désir (peut-être illusoire certes) de changer les choses ET un besoin psychologique sans doute aussi.]

              Dans l’exemple en question, il n’y a que le besoin psychologique… mais bon, content de vous avoir fait changer d’avis sur ce point.

              [Si les deux cités sont des chefs d’entreprise, ils n’en restent pas moins des cuisiniers (de haute volée). En quoi leur statut donnerait moins de poids à leurs nouvelles orientations ? Tous les restaurateurs ont parmi leurs principaux objectifs que leur établissement soit rentable.]

              Non, pas tous. Certains se conçoivent comme des artistes, et ont des ambitions de faire découvrir au public de nouvelles saveurs, quitte à sacrifier la rentabilité. Bien sûr, il faut bien vivre, et pour cela il faut faire un minimum de bénéfices. Mais de là à en faire de la rentabilité un des « principaux objectifs »…

              [Voici une autre liste où on indique clairement qu’il “ne reste donc plus qu’à la [la cuisine 100 % végétale] découvrir, la développer et la *mettre en valeur* !”]

              S’il « reste » à le faire, c’est que ce n’est pas fait… Et vous noterez que les 14 chefs en question ont signé une « charte » qui prévoit qu’on propose chaque jour UNE entrée, UN plat et UN dessert végan. Mais j’attire votre attention sur une réalité qui devrait être évidente : le fait de restreindre les ressources dont un créateur dispose ne peut que limiter le résultat. Si j’interdis à un peintre d’utiliser la couleur verte, si je défends à un écrivain d’utiliser les mots commençant par « M », si j’empêche un cinéaste d’employer une liste d’acteurs, au mieux cela n’aura aucun effet – si le créateur n’utilise déjà pas la ressource en question – au pire j’appauvrirai sa production. Imposer au nom d’on ne sait quel idéal moral ou écologique de ne pas servir de la viande, c’est comme interdire à un écrivain d’utiliser la lettre « e ».

              [« Mais pour le moment, je ne connais aucun plat végétarien qui se soit imposé comme un étalon de la cuisine française de tous les jours, en parallèle avec la blanquette de veau, le bœuf bourguignon ou la sole meunière… » Pour le moment non ; Paris (et la gastronomie française) ne s’est pas faite en un jour.]

              Je ne comprends pas votre remarque. Rien n’empêchait les cuisiniers de Charlemagne, de François Ier, de Louis XIV ou de Charles de Gaulle de créer des plats végétariens ou même végans. Aucun ne semble s’y être lancé. Même chez les paysans, qui pendant des siècles n’ont mangé de la viande qu’exceptionnellement, on ne trouve pas vraiment une cuisine traditionnelle végétarienne.

              [« Mais comment dois-je faire MOI pour respecter LEURS opinions ? En quoi commencer le repas sans dire le bénédicité (privilège qui, je vous le rappelle, revient au maître de maison) « respecte » plus leurs convictions que de servir de la viande à un végétarien ? » Si vous commencez le repas sans le dire, je n’estime pas que vous ne “respectez” pas leurs convictions.]

              Vous ne répondez pas à la question.

              [« Autrement dit, si mon invité exige que je ne cuisine pas de la viande, cela ne porte atteinte à la cordialité. » Si, à partir du moment où il l’exige, il vous impose son mode de vie alimentaire.]

              Et à votre avis, un invité qui déclare que si vous lui servez de la viande il ne la mangera pas n’exige-t-il pas que vous ne cuisiniez pas de la viande ?

              [« La réponse est très simple : je n’inviterais pas à ma table une « amie » voilée, et si je l’invitais il est probable qu’elle ne viendrait pas, parce que chez moi les femmes s’asseyent à la table et parlent avec les hommes, chose qu’elle refuse chez elle. Une femme qui vient voilée chez moi est en train de m’insulter : elle affirme que je suis un gros porc qui pourrait perdre el contrôle et sauter sur elle si je voyais ses cheveux. » Dire que les femmes musulmanes voilées (sous entendu : toutes) ne “s’asseyent pas à la table “, ni “ne parlent aux hommes” me paraît généraliser de manière abusive.]

              Faut être cohérent : si on porte le voile en tant que manifestation religieuse – et non pas un simple accessoire vestimentaire – alors on ne peut s’affranchir des autres règles. La religion, ce n’est pas un supermarché ou vous choisissez ce qui vous plait et vous laissez ce qui ne vous plait pas. J’ajoute que chaque fois que j’ai été invité chez des gens qui voilent leurs femmes, on a mangé entre hommes, les femmes servant à table mais ne s’y asseyant pas.

              [Nous percevons les choses de manière très différente. Une femme voilée qui vient chez moi ne m’envoie pas ce message à mes yeux. Vous pensez de la sorte de toutes les femmes voilées que vous croisez partout ? (notez que je ne suis ici aucunement en train de défendre le “voilage” des femmes).]

              Oui, tout à fait. Une femme voilée que je croise dans la rue est en train de marquer clairement que je ne suis pas de sa communauté, que je suis quelqu’un dont il faut se méfier.

              [Mais nous ferions sans doute mieux de ne pas ouvrir cet autre débat…]

              Ce n’est pas un « autre » débat, c’est le même. Le véganisme est une religion comme une autre. Et comme toute religion, elle repose sur une distinction entre celui qui appartient à la communauté des croyants, et avec qui la sociabilité est permise ; et celui qui n’y appartient pas et avec qui la sociabilité est interdite ou du moins sévèrement limitée. Et chaque communauté religieuse crée des contraintes vestimentaires, alimentaires, calendaires – ce qu’on appelle une orthopraxie – destinées à la fois à marquer l’appartenance à la communauté et à limiter la sociabilité avec l’extérieur.

              [« Déjà, sans vouloir être désagréable, il faudrait commencer par ne pas dire le contraire. Vous avez écrit plusieurs fois, au cours de cette discussion, que dans l’idéal vous souhaiteriez que votre action aboutisse à faire disparaître des mets comme la viande ou le foie gras. Que faites vous donc de tous ceux qui placent leur « bonheur » là-dedans ? Qu’ils mangent de la brioche ? » Faire disparaitre la viande (de manière générale), je ne crois pas l’avoir écrit ; en faire réduire sa consommation, oui. Le foie gras est un cas particulier. Eh bien, qu’ils continuent de le placer là-dedans.]

              Mais voulez-vous, oui ou non, faire disparaître le gavage ? Et si oui, que devient votre affirmation selon laquelle vous respectez le droit des gens de « placer leur bonheur là-dedans » ?

              [« Dès lors que vous estimez qu’il faut faire disparaître telle ou telle pratique, vous ne pouvez en parallèle affirmer qu’on a « le droit » de placer son bonheur là-dedans. » Tant que cette pratique reste légale, je crois que si. Je peux être contre une pratique sans vouloir *obliger* les autres à me suivre.]

              Vous pouvez être contre une pratique sans vouloir obliger les autres à vous suivre. Mais dès lors que vous vous fixez comme objectif de la faire disparaître, vous vous placez dans une logique normative vis-à-vis des autres.

              [Le point de départ de l’échange avec Carloman était, de manière plus restrictive : est-ce que refuser certains plats (par exemple avec de la viande, mais ce pourrait être autre chose) typiques de la gastronomie française rend celui qui le fait moins “français” et moins “sociable”. Ma réponse est non ; la vôtre oui.]

              Ne faites pas mes réponses à ma place. Je ne me souviens pas de m’être prononcé sur la question de la « francité ». Je me contente de penser la question de la « sociabilité ». Et je n’en fais pas une question personnelle. La question n’est pas de savoir si la personne qui refuse certains plats pour une raison de principe – j’insiste sur cet aspect, essentiel à mes yeux, parce que la question n’est pas tant le refus que la justification qui l’accompagne – porte atteinte à une forme de sociabilité qui à mon sens est essentielle.

            • Bob dit :

              @ Descartes

              [Pour les animaux, certainement. Mais pourquoi invoquer les « conditions de travail du personnel », si ce n’est pour donner un vernis social à l’affaire ?]

              C’était, comme je l’ai dit, le témoignage d’un ancien employé d’abattoir.

              [Personnellement, je n’aimerais pas être opéré par un chirurgien que je sais sous le stress d’une caméra épiant tous ses faits et gestes. Et qui serait poussé à ne prendre aucun risque – même lorsque la prise de risque est raisonnable – de peur d’être mal jugé sur la base des images prises par la caméra]

              Je vois les autres sous un autre angle. Au contraire, je préfère que le chirurgien fatigué par sa semaine, la cadence d’opération, etc. sache qu’une caméra filme l’intervention, cela lui permettra peut-être le regain de vigilance et d’énergie qui évite l’erreur.

              [Pardon, pardon, les enseignants sont eux aussi censés appliquer une réglementation prévue pour protéger leurs élèves.]

              Je ne saisis toujours pas, désolé.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Pour les animaux, certainement. Mais pourquoi invoquer les « conditions de travail du personnel », si ce n’est pour donner un vernis social à l’affaire ? » C’était, comme je l’ai dit, le témoignage d’un ancien employé d’abattoir.]

              Je n’ai pas trouvé le « témoignage » où un ancien employé affirme que l’installation de caméras pour surveiller les employés améliorerait leurs « conditions de travail ».

              [Je vois les autres sous un autre angle. Au contraire, je préfère que le chirurgien fatigué par sa semaine, la cadence d’opération, etc. sache qu’une caméra filme l’intervention, cela lui permettra peut-être le regain de vigilance et d’énergie qui évite l’erreur.]

              Des études très sérieuses – par exemple sur les personnels des centrales nucléaires – montrent exactement le contraire. La surveillance constante produit chez les employés des conduites dysfonctionnelles, comme le refus de prendre la moindre initiative qui sortirait du strict cadre réglementaire, d’interpréter les règles. La surveillance centre le travailleur sur le « comment » plutôt que sur le « quoi ». On perd de vue le but, on se concentre dans l’application stricte de la procédure.

              [« Pardon, pardon, les enseignants sont eux aussi censés appliquer une réglementation prévue pour protéger leurs élèves. » Je ne saisis toujours pas, désolé.]

              Pensez aux attouchements sexuels, par exemple.

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Jamais. Mais j’ai eu un hamster, un lapin et des poissons rouges. Et je dois dire que cela ne m’a jamais empêché de manger un bon ragoût ou une sole meunière.]
               
              Il est notoire que l’homme n’entretient pas le même rapport avec un poisson rouge et un chien.
              Vous avez pris soin, nourrit un lapin et mettre son congénère dans votre assiette ne vous pose aucun cas de conscience. Vous n’y voyez sans doute aucune contradiction, moi si.
              J’aurais été curieux de voir votre réaction durant votre voyage en Corée, fussiez-vous alors le propriétaire d’un chien.
               
              [Je pense que je refuserais, mais avec l’objectif avoué de rompre la sociabilité et de punir symboliquement mon hôte. Il est clair qu’une personne qui mange de la chair humaine appartient à une collectivité à laquelle je n’ai aucune envie d’appartenir. Mais vous noterez que pour moi l’être humain a un statut différent de celui de tous les animaux.]
               
              Il s’agit donc là aussi d’idéologie. Je constate que vous vous accordez le droit d’y référer pour choisir ou refuser votre repas, mais que vous le refusez aux autres.
              Votre réponse me surprend. Convoquant vos propres arguments, je m’attendais à une réponse positive. Après tout, tout comme le canard dont le foie est vendu au supermarché, le sort du pauvre bougre est déjà scellé ; votre hôte souhaite vous faire partager ses “goûts” ; il vous tient ainsi en haute estime par ce mets raffiné pour lui ; il veut évaluer si vos goûts sont “exotiques” et “aventureux” (cet exemple est sans aucun doute le “test” ultime) ; et pourtant, probablement vous refusez. [C’est là, je pense, la racine de notre incompréhension. Pour vous, le repas ne contient finalement qu’un langage assez limité : simplement l’envie de faire plaisir. Pour moi, c’est un langage beaucoup plus complexe, une véritable conversation sans paroles. Le choix des couverts, des assiettes, de la cristallerie, la disposition même de la table contient une foule de messages. Et bien entendu, les mets jouent là-dedans un rôle fondamental : leur choix, leur présentation, tout est signifiant… pour celui qui accepte de parler la même langue.]
               
              Oui, je pense que vous mettez le doigt sur ce qui sépare nos points de vue. Pour moi, le repas n’est que le motif, le prétexte presque, pour recevoir des amis, passer un moment avec eux, discuter… de gastronomie aussi pourquoi pas ?, une passion française, n’est-ce pas ?  Pour vous, il s’agit de l’élément central autour duquel tout gravite ; vous vous percevez un peu comme le chef d’orchestre qui met tout en musique, vos “instruments” étant le dressage de la table, la qualité des couverts, etc.
              Mais si voulez me jouer du Lully parce qu’à vos “papilles sensorielles”, c’est le “mets” le plus raffiné et “aventureux”, j’estime avoir le droit vous faire comprendre que moi (quelle qu’en soit la raison) je déteste et apprécierais que vous passiez plutôt Aznavour si tant est que vous aimiez. Je n’estime pas que la cordialité s’en trouverait dégradée. Je préfère cela à feindre un prétendu goût pour Lully (au passage j’aime beaucoup Lully). Sociabilité ne veut pas dire hypocrisie, même si une certaine dose de celle-ci est nécessaire à celle-là.[Mais supposons que vous soyez invité chez quelqu’un qui ne connait pas vos habitudes alimentaires. Dans ce cas particulier, accepteriez-vous « pour une fois » de manger de la viande ? Vous admettez que dans ce contexte votre décision n’a aucune portée sur le sort d’un animal ou le financement de la filière : l’animal a été tué et acheté, et si vous ne le mangez pas quelqu’un d’autre le mangera, ou bien le jettera à la poubelle. Alors, refuserez-vous ? Et si oui, pourquoi ?]
               
              Je pense que je refuserais, pour “rester cohérent” avec moi-même au risque de me répéter.
              [Pour quelqu’un qui aime la viande, oui. Tiens, lorsque VOUS invitez quelqu’un qui aime la viande, prenez-vous la peine de « respecter ses convictions » en lui servant une bonne entrecôte ?]
               
              Si je sais que seule l’entrecôte lui fera plaisir, oui.
              [[Je n’ai jamais refusé de participer à un repas où de la viande serait servie, ni demandée qu’elle ne le soit pas au demeurant.]Mais dans ce cas, vous mangez quoi ?]
               
              Tout le reste.
              [[« Alors, posez-vous la question : pourquoi vous être fait une règle qui ne tolère pas d’exceptions, alors qu’il eut été bien plus pratique d’en avoir une qui les permet ? Quel besoin cette inflexibilité satisfait chez vous ? » C’est une bonne question. Je pense que cette “inflexibilité” ne remet pas en cause la possibilité d’un repas “cordial” mêlant des gens qui mangent de la viande d’autres qui ne le font pas.]La question est bonne… mais vous n’y répondez pas.]
               
              Car je n’ai pas la réponse. Encore une fois, j’admets ne pas agir de manière purement rationnelle ici.
               
              [Bien sûr, mais je l’accorde aussi à un arbre. Alors pourquoi protéger le cochon, et pas le pêcher ?]
               
              Parce que les réactions du cochon qu’on égorge et du pêcher auquel on coupe une branche ne suscitent pas, chez moi en tout cas, les mêmes émotions.
              [Vous voulez dire « qu’il parte » je suppose… parce que les animaux ne « disparaissent » pas comme ça. Et s’il n’était pas parti, s’il y avait fait son nid et eu une nombreuse descendance, vous auriez fait quoi ?]
               
              Alors j’aurais probablement eu recours à un produit chimique. Pourquoi ? Parce que, comme vous le soulignez, il représente pour moi un risque sanitaire.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Vous avez pris soin, nourrit un lapin et mettre son congénère dans votre assiette ne vous pose aucun cas de conscience. Vous n’y voyez sans doute aucune contradiction, moi si.]

              Je ne dois pas être le seul. Pendant des millénaires, les paysans ont pris soin et nourri des animaux, et ensuite mis leur congénère – et même l’animal en question lui-même – dans leur assiette, sans que cela leur pose des questions existentielles. Comment expliquez-vous cela ? Comment rentrez-vous dans votre théorie le fait que les êtres humains qui vivent le plus près des animaux, qui les nourrissent et les soignent toute leur vie sont aussi ceux qui semblent avoir le moins de scrupules à les transformer en nourriture ?

              [« Je pense que je refuserais, mais avec l’objectif avoué de rompre la sociabilité et de punir symboliquement mon hôte. Il est clair qu’une personne qui mange de la chair humaine appartient à une collectivité à laquelle je n’ai aucune envie d’appartenir. Mais vous noterez que pour moi l’être humain a un statut différent de celui de tous les animaux. » Il s’agit donc là aussi d’idéologie. Je constate que vous vous accordez le droit d’y référer pour choisir ou refuser votre repas, mais que vous le refusez aux autres.]

              Absolument pas. Je n’ai jamais parlé de « droits ». Tout ce que j’ai dit, c’est qu’en refusant la viande qu’on vous propose vous refusez une forme de sociabilité. Mais c’est parfaitement votre droit. Après tout, si vous voulez devenir un ermite, c’est votre affaire. Je peux le regretter, mais je ne vous dénie nullement le « droit ». La différence entre nous, est que vous n’admettez pas la conséquence de voter choix. Moi, j’assume parfaitement le fait qu’il y a des gens avec qui je n’ai pas envie de maintenir la moindre « sociabilité », et je n’ai pas de scrupules donc à refuser la chair humaine qu’ils m’offrent. Vous, vous n’assumez pas le fait qu’en refusant le foie-gras qu’on vous offre vous vous mettez en marge d’une certaine sociabilité. Vous voulez le beurre et l’argent du beurre…

              [Votre réponse me surprend. Convoquant vos propres arguments, je m’attendais à une réponse positive. Après tout, tout comme le canard dont le foie est vendu au supermarché, le sort du pauvre bougre est déjà scellé ; votre hôte souhaite vous faire partager ses “goûts” ; il vous tient ainsi en haute estime par ce mets raffiné pour lui ; il veut évaluer si vos goûts sont “exotiques” et “aventureux” (cet exemple est sans aucun doute le “test” ultime) ; et pourtant, probablement vous refusez.]

              Mais… si je le refuse, ce n’est pas parce que je pense changer le sort du pauvre bougre. Et quelque soient les messages positifs que mon hôte cherche à me transmettre, je les refuse. Oui, je suis extrêmement impoli en quittant la table, je le sais, et je le fais exprès, parce que j’ai envie de transmettre à mon hôte le fait qu’il a traversé une « ligne rouge ». Mais j’assume pleinement le message que je transmets. La différence avec votre position est, comme je vous l’ai dit plus haut, que vous ne l’assumez pas. Vous pensez qu’on peut à la fois refuser et maintenir la sociabilité.

              [Oui, je pense que vous mettez le doigt sur ce qui sépare nos points de vue. Pour moi, le repas n’est que le motif, le prétexte presque, pour recevoir des amis, passer un moment avec eux, discuter… de gastronomie aussi pourquoi pas ? une passion française, n’est-ce pas ?]

              Mais pourquoi, à votre avis, le repas est en France une opportunité de parler de gastronomie, ce qui n’est pas le cas en Grande Bretagne, aux Etats-Unis, en Allemagne – pour ne parler que des pays que je connais bien ? Quelle fonction sociale joue cette discussion, et pourquoi on choisit à table cette thématique et pas une autre ?

              [Mais si voulez me jouer du Lully parce qu’à vos “papilles sensorielles”, c’est le “mets” le plus raffiné et “aventureux”, j’estime avoir le droit vous faire comprendre que moi (quelle qu’en soit la raison) je déteste et apprécierais que vous passiez plutôt Aznavour si tant est que vous aimiez.]

              Pardon, mais votre analogie a un défaut. Vous ne détestez pas la viande. Vous ne la refusez pas pour une question de goût, mais pour une question de PRINCIPE. C’est là toute la différence. Vous ne voulez pas de l’Aznavour parce qu’esthétiquement vous le préférez à Lully. Vous voulez de l’Aznavour parce que Lully était un affreux complice d’une cruelle monarchie absolue. Et implicitement, vous m’accusez d’être complice de cette même cruauté. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

              [Sociabilité ne veut pas dire hypocrisie, même si une certaine dose de celle-ci est nécessaire à celle-là.]

              Relisez votre phrase. La contradiction ne vous saute pas aux yeux ?
              Oui, la sociabilité implique une forme d’hypocrisie. Pas nécessairement sur le fond, mais au moins sur la forme. Si nos pensées s’affichaient sur notre front, la sociabilité deviendrait impossible.

              [« Mais supposons que vous soyez invité chez quelqu’un qui ne connait pas vos habitudes alimentaires. Dans ce cas particulier, accepteriez-vous « pour une fois » de manger de la viande ? Vous admettez que dans ce contexte votre décision n’a aucune portée sur le sort d’un animal ou le financement de la filière : l’animal a été tué et acheté, et si vous ne le mangez pas quelqu’un d’autre le mangera, ou bien le jettera à la poubelle. Alors, refuserez-vous ? Et si oui, pourquoi ? » Je pense que je refuserais, pour “rester cohérent” avec moi-même au risque de me répéter.]

              Autrement dit, au risque de me répéter, vous le faites pour vous-même, parce que cela vous procure une satisfaction morale, et non pour l’animal.

              [« Pour quelqu’un qui aime la viande, oui. Tiens, lorsque VOUS invitez quelqu’un qui aime la viande, prenez-vous la peine de « respecter ses convictions » en lui servant une bonne entrecôte ? » Si je sais que seule l’entrecôte lui fera plaisir, oui.]

              Autrement dit, vous refuserez de manger du foie-gras pour faire plaisir à votre hôte au nom de la souffrance animale, mais en tant qu’hôte vous n’hésiteriez pas à infliger cette souffrance pour faire plaisir à votre invité ? J’avoue que votre cohérence m’échappe…

              [« « Je n’ai jamais refusé de participer à un repas où de la viande serait servie, ni demandée qu’elle ne le soit pas au demeurant. » » « Mais dans ce cas, vous mangez quoi ? » Tout le reste.]

              Autrement dit, quand on vous offre une tranche de foie gras avec de la confiture d’oignons, vous mangez la confiture et laissez le foie gras ?

              [« Bien sûr, mais je l’accorde aussi à un arbre. Alors pourquoi protéger le cochon, et pas le pêcher ? » Parce que les réactions du cochon qu’on égorge et du pêcher auquel on coupe une branche ne suscitent pas, chez moi en tout cas, les mêmes émotions.]

              Autrement dit, ce n’est pas la souffrance du cochon qui vous motive, mais la vôtre. Cela étant dit, quand vous goûtez une tranche de foie gras vous ne voyez pas le canard souffrir. Il ne suscite donc aucune réaction « chez vous ». Quel est le problème alors ?

              J’ajoute que personnellement j’éprouve autant de souffrance de voir couper un bel arbre que de voir égorger un cochon. Je dirai même que je souffre plus : couper un bel arbre est un acte irréparable à mon échelle. Si j’en plante un nouveau, je ne le verrai pas dans toute sa splendeur. Tandis qu’un cochon, ça ne met que quelques années à grandir…

            • Bob dit :

              @ Descartes

              [Je suis surpris. Vous m’avez expliqué que les abattoirs sont des lieux « secrets », alors que les usines – par exemple, celles où l’on fabrique vos chemisettes – sont parfaitement transparentes. Et pourtant, vous savez « à coup sûr » comment votre foie gras est fabriqué, mais vous ignorez tout de la manière dont les chemisettes sont produites ? Curieux, n’est ce pas…]

              Pas tant que ça. Peu importe ce qui est mentionné sur la conserve de foie gras, la gavage induit intrinsèquement la douleur ; pour la chemisette, ce n’est pas aussi évident que vous semblez le dire.

              [Je vous le demande, la main dans le cœur : avez-vous le moindre doute que la chemisette made in India que vous achetez est produite par des salariés mal payés et n’ayant pas accès à une protection sociale digne de ce nom ?]

              Encore une fois j’en achète rarement. Mais même pour celle que j’achète, franchement, je ne sais pas.

              [Et donc le choix de défendre l’animal plutôt que l’homme traduit une véritable hiérarchie. CQFD]

              Je ne pense pas avoir dit le contraire, mais bien qu’il faut s’atteler aux deux. Pourquoi devraient-ils être mutuellement exclusifs ? Parce que les moyens ne sont pas illimités me direz-vous. Oui, évidemment. Il s’agit bien de “curseur” à placer au bon endroit. Que les moyens consacrés doivent être plus importants pour l’homme, j’abonde même dans votre sens contrairement à ce que vous semblez croire.

              [Parle-t-on ici de la « cause animale » ou de la SPA ? S’il s’agit de la SPA, je l’ai bien écrit plus haut : je pense qu’il faut lui allouer des moyens qui ne sont qu’une fraction minime de ce qu’on consacre à alléger la misère humaine. S’il s’agit de la « cause animale », alors là je pense qu’il faut lui consacrer zéro moyen. Je conteste même l’idée qu’il existe une « cause animale ». Nous protegeons les animaux parce que cela nous procure, à nous humains, un plaisir. C’est pourquoi nous soignons les animaux qui nous plaisent – parce qu’ils nous ressemblent, parce qu’ils sont mignons, parce qu’ils jouent avec nous, parce que nous nous projetons sur eux – comme les chats, les chiens, les dauphins et les pandas, et nous tuons impitoyablement ceux que nous n’aimons pas – parce qu’ils ne sont pas beaux, parce qu’ils nous paraissent menaçants – comme les rats ou les araignées. Si vous me parlez de « cause animale » – ce qui suppose que l’animal est un sujet de droit autonome – alors il n’y a aucune raison de punir plus gravement celui qui noie un chaton et celui qui met de la mort aux rats dans sa cave.]

              SPA, j’ai utilisé l’expression à mauvais escient, gardons le débat sur la “cause animale” pour une autre fois si vous le voulez bien.
              Dès lors que votre hiérarchie est établie et, du moins c’est ce que je crois comprendre de vos propos, que le “premier rafle tout”, vous ne me semblez pas aller au bout de votre raisonnement en allouant une “fraction minime” à la SPA. Pourquoi “fraction minime” et pas zéro ?

              [[« Oui, et acheter Chinois finance les emplois mondiaux. Et alors ? Pourquoi est-il plus vertueux de financer les « emplois européens » que les « emplois mondiaux » ? En quoi le Bulgare est plus mon frère que le Coréen ou le Chinois ? » Parce qu’on penser penser, du moins est-ce mon cas, que les protections sociales des travailleurs sont davantage respectées en Europe qu’en Chine.]
              Je vois que j’ai affaire à un grand optimiste…]

              Je suis pourtant plutôt pessimiste par nature…
              Croire que les protections sociales des travailleurs sont davantage respectées en Europe qu’en Chine me semble plutôt le “minimum syndical” en matière d’optimisme.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Pas tant que ça. Peu importe ce qui est mentionné sur la conserve de foie gras, la gavage induit intrinsèquement la douleur ; pour la chemisette, ce n’est pas aussi évident que vous semblez le dire.]

              Il me semble « évident » qu’à 3 € la chemisette, et une fois payés tous les intermédiaires et le profit du patron, il ne reste pas vraiment de quoi payer un salaire et une protection sociale digne de ce nom.

              [Encore une fois j’en achète rarement. Mais même pour celle que j’achète, franchement, je ne sais pas.]

              Vous avez raison, dans certains cas, il vaut mieux ne pas savoir. Je trouve drôle que vous demandiez à ce qu’on installe des caméras dans les abattoirs, mais que vous ne cherchiez pas à vous informer sur ce qui se passe dans les ateliers de confection…

              [Je ne pense pas avoir dit le contraire, mais bien qu’il faut s’atteler aux deux.]

              Je n’ai pas l’impression que vous vous atteliez aux deux. Comme cela apparaît clairement plus haut, vous savez parfaitement ce qui se passe dans les abattoirs et vous vous refusez à acheter leurs produits, mais vous ne semblez pas curieux des conditions dans les ateliers de confection, et vous achetez donc en parfaite bonne conscience vos chemisettes (ou vos slips, ou vos gadgets, ou tout ce que vous voulez, peu importe).

              [Dès lors que votre hiérarchie est établie et, du moins c’est ce que je crois comprendre de vos propos, que le “premier rafle tout”, vous ne me semblez pas aller au bout de votre raisonnement en allouant une “fraction minime” à la SPA. Pourquoi “fraction minime” et pas zéro ?]

              Parce que, comme je vous l’ai expliqué, cela me fait plaisir de regarder un chat s’ébattre ou un dauphin nager. Mais certainement pas parce que je considérerais que le dauphin ou le chat on des « droits ». Je déteste la cruauté envers les animaux non pas parce qu’elle dégrade l’animal, mais parce qu’elle dégrade l’être humain qui la pratique. Je suis ce que les postmodernes appellent – après s’être signé – un « humanocentriste ». Le reste du monde n’existe que parce que nous le pensons.

              [Croire que les protections sociales des travailleurs sont davantage respectées en Europe qu’en Chine me semble plutôt le “minimum syndical” en matière d’optimisme.]

              Un petit tour par les usines bulgares ou roumaines s’impose…

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Je n’ai pas l’impression que vous vous atteliez aux deux. Comme cela apparaît clairement plus haut, vous savez parfaitement ce qui se passe dans les abattoirs et vous vous refusez à acheter leurs produits, mais vous ne semblez pas curieux des conditions dans les ateliers de confection, et vous achetez donc en parfaite bonne conscience vos chemisettes (ou vos slips, ou vos gadgets, ou tout ce que vous voulez, peu importe).]
               
              Probablement (et heureusement) parce qu’aucun ouvrier ne subit le sort de l’animal à l’abattoir.
               
              [[ Pourquoi “fraction minime” et pas zéro ?]
              Parce que, comme je vous l’ai expliqué, cela me fait plaisir de regarder un chat s’ébattre ou un dauphin nager. Mais certainement pas parce que je considérerais que le dauphin ou le chat on des « droits ». ]
               
              Les quelques euros que vous accordez à la SPA le sont donc pour votre bon plaisir uniquement. Soit.
              Qu’est-ce qui vous a décidé à posséder un hamster ou un lapin ?seulement la satisfaction de votre plaisir ?
               
              [Je déteste la cruauté envers les animaux non pas parce qu’elle dégrade l’animal, mais parce qu’elle dégrade l’être humain qui la pratique. Je suis ce que les postmodernes appellent – après s’être signé – un « humanocentriste ». Le reste du monde n’existe que parce que nous le pensons.]
               
              La conclusion que la cruauté sur les animaux, en tant que telle (c’est-à-dire si on fait fi de la dégradation qu’elle apporte à l’humain qui en est responsable), vous indiffère est-elle juste ?
              Puis-je avoir votre avis sur les thèses défendues par Peter Singer (notamment dans “La Libération animale”) ou encore par l’historien Charles Patterson dans “Un éternal Treblinka” ?
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Je n’ai pas l’impression que vous vous atteliez aux deux. Comme cela apparaît clairement plus haut, vous savez parfaitement ce qui se passe dans les abattoirs et vous vous refusez à acheter leurs produits, mais vous ne semblez pas curieux des conditions dans les ateliers de confection, et vous achetez donc en parfaite bonne conscience vos chemisettes (ou vos slips, ou vos gadgets, ou tout ce que vous voulez, peu importe). » Probablement (et heureusement) parce qu’aucun ouvrier ne subit le sort de l’animal à l’abattoir.]

              Et cela vous suffit ? Entre le bien-être de l’animal qui est tué à l’abattoir et celui du mineur qui meurt de la silicose ou de l’ouvrière dont les poumons sont détruits par le contact avec des produits chimiques toxiques, lequel mérite votre priorité ?

              [Les quelques euros que vous accordez à la SPA le sont donc pour votre bon plaisir uniquement.]

              Tout à fait. Ceux que vous leur accordez aussi. La différence est que je n’estime pas nécessaire de déguiser le fait derrière un discours altruiste…

              [Qu’est-ce qui vous a décidé à posséder un hamster ou un lapin ? seulement la satisfaction de votre plaisir ?]

              Rien du tout. Je devais avoir cinq ans (pour le lapin) et huit ans (pour le hamster) et mes parents ont probablement pensé que cela me ferait plaisir. Comme j’étais un enfant gentil, j’ai fait tout ce que je pouvais pour leur rendre la vie agréable, et j’ai pleuré quand ils sont morts. Mais je ne me souviens pas d’avoir établi avec eux un véritable lien d’amour…

              [« Je déteste la cruauté envers les animaux non pas parce qu’elle dégrade l’animal, mais parce qu’elle dégrade l’être humain qui la pratique. Je suis ce que les postmodernes appellent – après s’être signé – un « humanocentriste ». Le reste du monde n’existe que parce que nous le pensons. » La conclusion que la cruauté sur les animaux, en tant que telle (c’est-à-dire si on fait fi de la dégradation qu’elle apporte à l’humain qui en est responsable), vous indiffère est-elle juste ?]

              Je pense, oui. Je ne souffre pas pour le sort cruel de la gazelle qui tombe sous les dents du lion, je ne souffre pas pour le sort cruel de la mouche qui se fait bouffer par l’araignée. Pourquoi souffrirais-je pour le bœuf qui se fait tuer à l’abattoir ?

              [Puis-je avoir votre avis sur les thèses défendues par Peter Singer (notamment dans “La Libération animale”) ou encore par l’historien Charles Patterson dans “Un éternal Treblinka” ?]

              Je ne suis pas un grand connaisseur de l’œuvre de Peter Singer, mais je trouve que la théorie défendue dans « la libération animale » présente des incohérences graves. Pour Singer, il y a une équivalence entre les « être sensibles », qui fait que leurs intérêts doivent être pris en compte au même niveau. Mais cette apparente symétrie présente un problème : parmi les « êtres sensibles », il y a ceux – on les appelle « humains » – qui peuvent formaliser et exprimer leurs « intérêts », et d’autres – tout le reste – qui ne le peuvent pas. Autrement dit, quand on dit qu’on protège « les intérêts des non-humains », ce qu’on protège c’est en fait l’idée que nous, humains, nous faisons de ces intérêts. C’est nous qui décidons que « l’intérêt » du lion est de vivre en liberté, et c’est nous qui décidons que ce n’est pas « l’intérêt » du chien. Et ni le lion, ni le chien n’ont le moyen de nous contredire. Pas plus que nous n’avons de critères objectifs. Par exemple, nous savons que les animaux des zoos vivent généralement beaucoup plus vieux que les animaux en liberté – grâce en particulier aux vaccins, aux soins vétérinaires et à la qualité et régularité de leur alimentation. Doit-on en conclure que « l’intérêt » de l’animal est de vivre dans un zoo ?

              Autrement dit, nous décidons que c’est l’intérêt du lion de vivre dans la savane plutôt que dans une cage, non parce que le lion nous l’a dit, mais parce que nous nous mettons à sa place. Mais vous voyez-bien que cette position détruit la symétrie présente dans la théorie de Singer. En fait, l’homme reste au centre de la création : c’est lui qui décide ce qui est son intérêt, mais aussi ce qui est de l’intérêt des autres. C’est là une contradiction de taille, ne trouvez-vous pas ?

              Le problème est que, même si l’animal n’est pas un pur « automate » au sens de Descartes, les motivations de ses actions restent difficiles à déterminer. Les chiens s’accouplent parce que, comme nous, ils aiment leur partenaire et ont envie de lui faire plaisir ? Ou bien parce qu’ils pensent avec joie à la satisfaction qu’il y a à élever des petits ? Ou bien ne le font-ils parce que des millénaires d’évolution les ont génétiquement programmés pour accomplir un acte indispensable à la perpétuation de l’espèce ? Sans répondre à cette question, comment savoir si le fait de s’accoupler fait partie des « intérêts » du chien, si c’est un droit qui doit être préservé ?

              Quant à Patterson, je ne connais pas ses écrits, mais je dois dire que rien que le titre complet de son ouvrage – « Eternal Treblinka: Our Treatment of the Animals and the Holocaust » – ne me donne pas envie de le lire. L’absurdité de la comparaison, la tentative de récupération de la Shoah est tellement évidente… on a envie de rappeler à cet auteur que le régime qui s’est le premier intéressé à la protection des animaux est le régime nazi. Dès 1933, celui-ci promulgue un grand nombre de lois pour protéger les animaux et leurs droits : loi sur l’abattage des animaux du 21 avril 1933, loi fondamentale de protection des animaux du 24 novembre 1933 (avec les décrets d’application qui suivent, notamment le cinquième, daté du 11 août 1938 sur la protection des animaux qui concerne le statut de la Société fédérale pour la protection des animaux), la loi entravant la chasse datée du 19 juillet 1934 (Reichsjagdgesetz) et sur la protection de la nature du 1er juillet 1935 (Reichsnaturschutzgesetz). Il est à noter que ce dispositif légal est le premier, avec la loi belge du 22 février 1929, à échapper à la logique anthropocentriste. En comparaison, en France la loi Grammont de 1850 interdit la cruauté publique envers les animaux, non parce que l’animal aurait des droits, mais parce qu’une telle exhibition dégrade l’être humain qui s’y adonne ou qui y assiste. Le dispositif nazi, au contraire, protège l’animal en tant que tel, comme sujet de droit.

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
               
              [[Vous avez pris soin, nourrit un lapin et mettre son congénère dans votre assiette ne vous pose aucun cas de conscience. Vous n’y voyez sans doute aucune contradiction, moi si.]
              Je ne dois pas être le seul. Pendant des millénaires, les paysans ont pris soin et nourri des animaux, et ensuite mis leur congénère – et même l’animal en question lui-même – dans leur assiette, sans que cela leur pose des questions existentielles. Comment expliquez-vous cela ? Comment rentrez-vous dans votre théorie le fait que les êtres humains qui vivent le plus près des animaux, qui les nourrissent et les soignent toute leur vie sont aussi ceux qui semblent avoir le moins de scrupules à les transformer en nourriture ?]
               
              Comme je ne dois pas être le seul à qui cela pose des difficultés.
              Je l’explique par le fait que la perception de l’animal par l’homme change. Les avancées scientifiques relativement récentes (à l’échelle de l’humanité) sur le sujet montrent que la douleur, entre autres, est clairement ressentie par nombre d’animaux, ce que nos ancêtres du Moyen-Age ou des périodes antérieures ne pensaient sans doute pas. Peux-être que cela change la façon de les considérer.
              Ils ne sont pas – ou plus – tous dans ce cas. Tenez, j’ai lu ceci récemment : “Quand tu vois ces petits cochons, tu ne peux pas dire ‘voilà une pointe, hop le rôti’, tu ne peux pas ! Regarde ça, ils viennent même dire bonjour”, dit cet ancien éleveur. ”
              (https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/reportage-c-est-fini-je-ne-peux-plus-une-association-suisse-propose-d-accompagner-les-eleveurs-qui-ne-veulent-plus-exploiter-des-animaux_6741892.html)
               
              [Je pense, oui. Je ne souffre pas pour le sort cruel de la gazelle qui tombe sous les dents du lion, je ne souffre pas pour le sort cruel de la mouche qui se fait bouffer par l’araignée. Pourquoi souffrirais-je pour le bœuf qui se fait tuer à l’abattoir ?]
               
              Aucune raison dans ce cas en effet. C’est tout à fait cohérent avec le fait de n’avoir tissé “aucun véritable lien d’amour” avec les animaux de compagnie qui ont partagé votre existence.
               
               
              [Autrement dit, nous décidons que c’est l’intérêt du lion de vivre dans la savane plutôt que dans une cage, non parce que le lion nous l’a dit, mais parce que nous nous mettons à sa place. Mais vous voyez-bien que cette position détruit la symétrie présente dans la théorie de Singer. En fait, l’homme reste au centre de la création : c’est lui qui décide ce qui est son intérêt, mais aussi ce qui est de l’intérêt des autres. C’est là une contradiction de taille, ne trouvez-vous pas ?]
               
              C’est indéniable, le fait que les animaux n’ont pas la possibilité de formaliser leurs intérêts pose une difficulté insurmontable.
              L’équivalence est que les hommes et les “animaux non-humains” sont tous deux capables de ressentir la douleur qui leur est infligée. Pourquoi devoir se “mettre à la place” de l’animal détruit-il la symétrie que vous évoquez ?
              Je ne vois pas quelle contradiction cela pose.
               
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Comment expliquez-vous cela ? Comment rentrez-vous dans votre théorie le fait que les êtres humains qui vivent le plus près des animaux, qui les nourrissent et les soignent toute leur vie sont aussi ceux qui semblent avoir le moins de scrupules à les transformer en nourriture ? » Je l’explique par le fait que la perception de l’animal par l’homme change. Les avancées scientifiques relativement récentes (à l’échelle de l’humanité) sur le sujet montrent que la douleur, entre autres, est clairement ressentie par nombre d’animaux, ce que nos ancêtres du Moyen-Age ou des périodes antérieures ne pensaient sans doute pas.]

              Je me demande d’où tirez-vous cette idée. Le fait que les animaux sentent la douleur et même puissent souffrir est connu et admis de la plus haute antiquité. Les fables d’Esope nous montrent déjà des animaux capables non seulement de souffrir, mais d’exprimer cette souffrance. Certaines figures – celle du chien se laissant mourir de faim sur la tombe de son maître, par exemple – figurent en bonne place dans les textes du moyen-âge, comme métaphore de la fidélité.

              [Ils ne sont pas – ou plus – tous dans ce cas. Tenez, j’ai lu ceci récemment : “Quand tu vois ces petits cochons, tu ne peux pas dire ‘voilà une pointe, hop le rôti’, tu ne peux pas ! Regarde ça, ils viennent même dire bonjour”, dit cet ancien éleveur. ”]

              Ils sont, dans leur immense majorité, dans ce cas. Au point que lorsque les conditions économiques les poussent à abandonner l’élevage, ils résistent. Ne tombez pas dans l’erreur si courante dans notre civilisation médiatique de croire que parce que telle télé déniche un cas particulier, cette exception devient la règle.

              [« Je pense, oui. Je ne souffre pas pour le sort cruel de la gazelle qui tombe sous les dents du lion, je ne souffre pas pour le sort cruel de la mouche qui se fait bouffer par l’araignée. Pourquoi souffrirais-je pour le bœuf qui se fait tuer à l’abattoir ? » Aucune raison dans ce cas en effet. C’est tout à fait cohérent avec le fait de n’avoir tissé “aucun véritable lien d’amour” avec les animaux de compagnie qui ont partagé votre existence.]

              Par contre, je peux « tisser des liens d’amour » avec un arbre, et souffrir lorsqu’il est abattu. Je peux même « tisser un lien d’amour » avec une bâtisse, et perdre le sommeil en savoir qu’elle va être démolie. Je vais plus loin : je peux tisser un lien d’amour avec une entité abstraite, comme une institution, et pleurer sa disparition. Le « lien d’amour » ne tient nullement au fait que l’entité qui en est l’objet soit « sensible », mais tient à ma propre sensibilité. De ce point de vue, les animaux n’ont aucune raison d’occuper une place particulière.

              [« Autrement dit, nous décidons que c’est l’intérêt du lion de vivre dans la savane plutôt que dans une cage, non parce que le lion nous l’a dit, mais parce que nous nous mettons à sa place. Mais vous voyez-bien que cette position détruit la symétrie présente dans la théorie de Singer. En fait, l’homme reste au centre de la création : c’est lui qui décide ce qui est son intérêt, mais aussi ce qui est de l’intérêt des autres. C’est là une contradiction de taille, ne trouvez-vous pas ? » C’est indéniable, le fait que les animaux n’ont pas la possibilité de formaliser leurs intérêts pose une difficulté insurmontable.]

              Cela va plus loin que cela. En supposant que les animaux « n’ont pas la possibilité de formaliser leurs intérêts », vous postulez qu’ils en ont un. Mais qu’est ce qui vous permet de tirer cette conclusion ? L’être humain est « maître et seigneur de la nature » parce qu’il est le seul être pensant. Autrement dit, le monde n’existe que parce qu’il est pensé par nous. C’est nous qui décidons que le lion a un « intérêt », et pour certains même des « droits », qui doivent être respectés. Et cette décision est tout à fait ARBITRAIRE. Nous savons que le lion du zoo vit dans des conditions infiniment supérieures à celui de la savane : il a la nourriture assurée, il ne craint pas les sécheresses, il a des soins médicaux attentifs. Mais nous décrétons, sur le fondement d’une idéologie, que ce lion a le droit à la « liberté », qu’il est honteux de l’enfermer dans un enclos. La question qui se pose est celle-ci : lorsque nous décidons que l’intérêt du lion est d’être dans sa savane plutôt que dans un zoo, pensons-nous à lui, ou pensons-nous à nous ?

              [L’équivalence est que les hommes et les “animaux non-humains” sont tous deux capables de ressentir la douleur qui leur est infligée. Pourquoi devoir se “mettre à la place” de l’animal détruit-il la symétrie que vous évoquez ?]

              Parce que si nous savons que les « animaux non-humains » ressentent la douleur, nous ne savons pas COMMENT ils la ressentent, et comment ils hiérarchisent les différentes douleurs. Prenons un exemple : votre chien a une tumeur qui ne le fait pas souffrir, mais dont vous savez qu’à terme il provoquera la mort. Avez-vous le droit de lui infliger la douleur d’une opération pour prolonger sa vie ? A un être humain, vous pouvez poser la question, et il est capable de hiérarchiser la douleur d’une opération médicale avec celle de perdre la vie. Mais vous ne pouvez pas le faire pour un chien. Donc, vous décidez pour lui en fonction de la manière dont VOUS ressentez la situation.

              Prenons un autre exemple : vous tuez les rats, parce qu’ils constituent une menace pour notre santé ou notre bien-être. Autrement dit, vous vous permettez de hiérarchiser et de mettre votre douleur d’attraper une maladie au-dessus de la douleur du rat de perdre la vie. Le rat, lui, n’a pas la possibilité de faire ce choix. La situation est donc bien asymétrique.

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Je vais plus loin : je peux tisser un lien d’amour avec une entité abstraite, comme une institution, et pleurer sa disparition. Le « lien d’amour » ne tient nullement au fait que l’entité qui en est l’objet soit « sensible », mais tient à ma propre sensibilité. De ce point de vue, les animaux n’ont aucune raison d’occuper une place particulière.]
               
              Quant à moi, le lien que j’ai avec un arbre (ou une institution) est totalement différent de celui que j’ai avec mon chien précisément parce que ce dernier est “sensible”. Quand votre chien est heureux, joueur ou bien triste, inquiet de votre départ, le fait qu’il “ressent” se constate de manière claire, quasi évidente. Ce n’est pas tant MA sensibilité qui génère cela que LA SIENNE. Rien de tel avec un arbre me concernant.
               
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Quant à moi, le lien que j’ai avec un arbre (ou une institution) est totalement différent de celui que j’ai avec mon chien précisément parce que ce dernier est “sensible”. Quand votre chien est heureux, joueur ou bien triste, inquiet de votre départ, le fait qu’il “ressent” se constate de manière claire, quasi évidente. Ce n’est pas tant MA sensibilité qui génère cela que LA SIENNE. Rien de tel avec un arbre me concernant.]

              Pardon, mais le fait qu’il soit « inquiet » peut se constater, et cela vient de sa « sensibilité ». Mais le fait qu’il soit « inquiet de votre départ », c’est une inférence que vous faites, et qui est généré par VOTRE sensibilité. Peut-être que votre chien est ravi que vous partiez, d’avoir toute la maison pour lui, de pouvoir monter sur le canapé sans que personne le déloge. Vous n’en savez rien. Peut-être que son « inquiétude » tient au contraire à la crainte que finalement vous décidiez de rester…

              Quand je reviens de vacances, mes plantes sont souvent tristounettes, avec des feuilles qui traînent ou qui sèchent. Je peux interpréter aussi cette « tristesse » comme venant de leur sensibilité, ou plus banalement du fait que sans mes soins elles dépérissent. L’une des grandes tristesses de mon enfance est celle d’avoir perdu une azalée qui avait été offerte à ma mère, et qui avait été commise à mes soins. Encore aujourd’hui, alors que des décennies se sont écoulées, je ne peux penser à cet épisode dans que les larmes me viennent, comme si cette azalée avait été un parent cher… alors que je ne me souviens que très confusément de la mort de mon hamster qui, tout « sensible » qu’il était, était trop égocentrique pour montrer la moindre émotion quand je partais ou quand je revenais.

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Pardon, mais le fait qu’il soit « inquiet » peut se constater, et cela vient de sa « sensibilité ». Mais le fait qu’il soit « inquiet de votre départ », c’est une inférence que vous faites, et qui est généré par VOTRE sensibilité. Peut-être que votre chien est ravi que vous partiez, d’avoir toute la maison pour lui, de pouvoir monter sur le canapé sans que personne le déloge. Vous n’en savez rien. Peut-être que son « inquiétude » tient au contraire à la crainte que finalement vous décidiez de rester…]
               
              J’en doute. Évidemment, il y a forcément une inférence de l’homme et votre hypothèse n’est pas impossible. Cela dit, il me suffit de le voir venir immédiatement au portail pour en douter très fortement. J’ai une caméra anti-intrusion qui filme mon salon, activée quand je quitte la maison. Quand je suis absent, mon chien monte sur le coude du canapé en effet, notamment quand l’heure de mon retour approche d’ailleurs ; cela lui permet de regarder à travers la fenêtre qui donne sur la route, d’où l’on peut voir ma voiture quand je rentre à la maison. S’il est sur le canapé, il est statique et pas du tout dans un “esprit joueur”, qu’il retrouve à la seconde où je passe la porte, en me “faisant la fête”. Il me semble plus plausible que c’est bien de mon départ qu’il est inquiet (et de mon retour qu’il est content) ; il ne le dit certes pas, mais il le montre de manière suffisamment claire. Ou sinon on ne peut rien interpréter, et on pourrait par exemple voir dans le sourire d’autrui une menace.
               
              [Quand je reviens de vacances, mes plantes sont souvent tristounettes, avec des feuilles qui traînent ou qui sèchent. Je peux interpréter aussi cette « tristesse » comme venant de leur sensibilité, ou plus banalement du fait que sans mes soins elles dépérissent. L’une des grandes tristesses de mon enfance est celle d’avoir perdu une azalée qui avait été offerte à ma mère, et qui avait été commise à mes soins. Encore aujourd’hui, alors que des décennies se sont écoulées, je ne peux penser à cet épisode dans que les larmes me viennent, comme si cette azalée avait été un parent cher… alors que je ne me souviens que très confusément de la mort de mon hamster qui, tout « sensible » qu’il était, était trop égocentrique pour montrer la moindre émotion quand je partais ou quand je revenais.]
               
              Plus que l’azalée en tant que plante, c’est peut-être la valeur sentimentale qui vous attriste, le fait qu’elle avait une importance particulière car offerte à votre mère, qu’elle était ainsi devenue comme un membre de la famille.
              Je n’en ai jamais possédé mais je constate que la relation avec un hamster est par trop “pauvre” en comparaison de celle avec un chien.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [J’en doute. Évidemment, il y a forcément une inférence de l’homme et votre hypothèse n’est pas impossible. Cela dit, il me suffit de le voir venir immédiatement au portail pour en douter très fortement. J’ai une caméra anti-intrusion qui filme mon salon, activée quand je quitte la maison. Quand je suis absent, mon chien monte sur le coude du canapé en effet, notamment quand l’heure de mon retour approche d’ailleurs ; cela lui permet de regarder à travers la fenêtre qui donne sur la route, d’où l’on peut voir ma voiture quand je rentre à la maison. S’il est sur le canapé, il est statique et pas du tout dans un “esprit joueur”, qu’il retrouve à la seconde où je passe la porte, en me “faisant la fête”. Il me semble plus plausible que c’est bien de mon départ qu’il est inquiet (et de mon retour qu’il est content) ; il ne le dit certes pas, mais il le montre de manière suffisamment claire.]

              Mais encore une fois, tout ça c’est une interprétation. Vous ne savez pas s’il vous « aime » ou bien s’il voit en vous une source de nourriture qu’il craint de perdre chaque fois que vous partez. Ou même que son comportement est gouverné par l’instinct. N’oubliez pas que le chien et un animal domestiqué depuis des millénaires, et qui a été historiquement sélectionné pour avoir les comportements que vous décrivez. Par ailleurs, de tous les animaux de compagnie, le chien est l’un des seuls à avoir ce comportement : je peux vous assurer qu’un hamster ne fait guère la fête quand il vous voit…

              [Plus que l’azalée en tant que plante, c’est peut-être la valeur sentimentale qui vous attriste, le fait qu’elle avait une importance particulière car offerte à votre mère, qu’elle était ainsi devenue comme un membre de la famille.]

              Peut-être. Mais cela vous montre que nous plaquons sur les êtres vivants NOTRE ressenti, indépendamment du leur…

              [Je n’en ai jamais possédé mais je constate que la relation avec un hamster est par trop “pauvre” en comparaison de celle avec un chien.]

              N’oubliez pas que nous sélectionnons le chien depuis plusieurs millénaires justement sur certains comportements. Autrement dit, nous avons « fait » le chien pour qu’il nous fasse la fête quand nous rentrons, et qu’il pleure quand nous partons…

        • François dit :

          @Descartes
          [Si au lieu des nazis, c’avaient été les communistes qui lui avaient accordé ces moyens, aurait-elle refusé au nom d’une idéologie ? Je ne sais pas.] (Concernant Leni Riefenstahl)
          Ce que je sais, c’est qu’après s’être intéressée aux statues en marbre, elle s’est intéressée aux statues en bois d’ébène.
          Et puis l’esthétique soviétique stalinienne avait quand-même pas mal de similitudes avec l’esthétique fasciste (et l’esthétique européenne en général, l’édifice Eccles de la Réserve Fédérale se trouvant à Washington, pourrait tout autant se trouver à Rome qu’à Moscou).

          • Descartes dit :

            @ François

            [Et puis l’esthétique soviétique stalinienne avait quand-même pas mal de similitudes avec l’esthétique fasciste (et l’esthétique européenne en général, l’édifice Eccles de la Réserve Fédérale se trouvant à Washington, pourrait tout autant se trouver à Rome qu’à Moscou).]

            En fait, très peu. L’esthétique nazi n’est qu’une variante de l’art déco, style qu’on retrouve aujourd’hui à Paris dans le Trocadéro, le palais de Iéna ou le palais de Tokyo : formes carrées, décors à motifs géométriques, utilisation de la sculpture et du bas-relief stylisé. L’architecture stalinienne a des éléments art déco, mais avec une forte influence néoclassique. Ainsi, par exemple, l’introduction de colonnades néoclassiques, comme on peut l’observer dans des bâtiments aussi emblématiques que l’Université de Moscou. Pensez aussi à la décoration du métro de Moscou…

          • Bob dit :

            *******************************************
            Descartes : message privé purement technique.
            ********************************************
            Je souhaite répondre à votre message et à celui de Carloman :
            Descartes dit :    16 août 2024 à 15 h 45 min Carloman dit :    16 août 2024 à 17 h 27 min
            Mon souci est que je ne vois pas de “Répondre” disponible sous chacun de vos messages. Comment faire pour y répondre ?
             

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Mon souci est que je ne vois pas de “Répondre” disponible sous chacun de vos messages. Comment faire pour y répondre ?]

              Le problème est que wordpress n’admet qu’un certain nombre de niveaux de réponses… il vous faut repartir du commentaire “racine” de l’échange…

  10. Geo dit :

     
    À Descartes
     
    [Qu’est ce qui vous conduit à penser qu’organiser des jeux olympiques d’une telle qualité est à la portée de tout le monde, que cela ne présente aucune difficulté particulière ?]
     
    Je ne pense rien de ce genre. Une grande chose n’est pas une chose difficile. Je considère par exemple comme de grandes choses les décisions, aux époques auxquelles elles ont été prises, de lancer un spatial Français, et de le prolonger en Européen. Il fallait d’abord penser qu’il y avait là difficulté mais non impossibilité. Ça n’allait pas de soi, peut-être surtout pour la deuxième.
     
    Pour difficile qu’elle ait été, l’organisation des J.O ne relève pas de cette catégorie. La France avait déjà organisé des J.O, et avant des J.O des expositions universelles. Que certains aient joué à se faire peur et voulu faire peur n’y change rien. La seule chose qui me gêne à la réception de votre papier par ailleurs très bien est que le côté “Ouf, enfin quelque chose”, parfaitement compréhensible et acceptable, conduise à surévaluer la chose.
     
    [Les prochains jeux auront lieu à Los Angeles. Or, contrairement à Paris, Los Angeles n’a pas de véritable centre-ville. Les quartiers centraux sont d’ailleurs les plus dégradés, ceux qui souffrent le plus de la pauvreté, des gangs, de la drogue. Los Angeles n’a pas non plus une infrastructure de transports permettant de « piétonniser » la ville. Et je ne vous parle pas des problèmes de sécurité dans un pays où les armes circulent librement, à la portée de n’importe quel illuminé.]
     
    Il y a donc peut-être là pour les Américains l’occasion de faire  une grande chose. Ils en ont fait d’autres. Mais ça leur appartient.
    Salutations et remerciements pour l’ensemble de votre travail.

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [« Qu’est ce qui vous conduit à penser qu’organiser des jeux olympiques d’une telle qualité est à la portée de tout le monde, que cela ne présente aucune difficulté particulière ? » Je ne pense rien de ce genre. Une grande chose n’est pas une chose difficile.]

      J’aurais tendance à dire le contraire. Quelque chose qui est à la portée de tout le monde, qui ne nécessite ni un effort exceptionnel, ni des capacités exceptionnelles, est rarement « grande ».

      [Pour difficile qu’elle ait été, l’organisation des J.O ne relève pas de cette catégorie. La France avait déjà organisé des J.O, et avant des J.O des expositions universelles.]

      Certes. Mais ça, c’était la France d’avant, pas la France dont les élites répètent qu’il faut aller chercher les solutions ailleurs, que la France est trop faible, trop petite, trop moisie, et qu’il faut se résigner. C’était avant ce chœur des pleureuses qui s’acharne à abattre les statues des grands hommes, et à effacer même l’écho de nos gloires passées. Les mêmes, si vous réflechissez un peu, qui ont passé quatre années à nous dire que les Jeux de Paris seraient un désastre. A entendre ces discours, on pourrait croire que nous ne sommes plus capables de rien faire. Et bien, le succès des Jeux apporte un démenti bienvenu à ces pseudo-Cassandres… ou plutôt des anti-Cassandres : la malédiction de Cassandre, c’était de faire des prophéties exactes et de ne jamais être écoutée. Ces engeances font l’inverse : elles se trompent à tous les coups, et pourtant tout le monde les écoute…

      [Que certains aient joué à se faire peur et voulu faire peur n’y change rien.]

      Pardon, ça change beaucoup de choses. Ce n’est pas un jeu : le discours en question est trop cohérent dans le temps et dans l’espace pour ne pas avoir une fonction. Et sa fonction est pour moi très claire : elle fait partie des mécanismes que nos élites ont utilisé pour organiser l’impuissance du politique, pour fermer toute voie à la volonté populaire. Nous convaincre que nous sommes des nains est la première étape de ceux qui veulent qu’on se comporte comme des nains.

      [La seule chose qui me gêne à la réception de votre papier par ailleurs très bien est que le côté “Ouf, enfin quelque chose”, parfaitement compréhensible et acceptable, conduise à surévaluer la chose.]

      Je ne pense pas « surévaluer la chose ». Mais vous noterez quand même que si la chose n’avait pas grande valeur, le « ouf, enfin quelque chose » serait un peu surfait, non ?

      [Il y a donc peut-être là pour les Américains l’occasion de faire une grande chose. Ils en ont fait d’autres. Mais ça leur appartient.]

      Je leur souhaite. Le propre du patriote, c’est de souhaiter la réussite de la France, pas l’échec des autres… sauf bien entendu quand leur échec sert nos intérêts !

  11. dsk dit :

    @ Descartes
     
    Une “fête” qui débute par l’exhibition symbolique de la tête coupée de Marie-Antoinette ? Et quid de l’attachement proclamé de Macron à l’abolition de la peine de mort ? Je me demande, d’ailleurs, si les organisateurs ne pourraient être poursuivis pour apologie du terrorisme. Après tout, MLP a eu des ennuis pour moins  que ça,  lorsqu’elle a publié des photos des exactions de DAESH.

    • Descartes dit :

      @ dsk

      [Une “fête” qui débute par l’exhibition symbolique de la tête coupée de Marie-Antoinette ?]

      Pas vraiment. Ce n’était pas la tête de Marie-Antoinette qu’on exhibait, c’était celle d’une actrice jouant le rôle de Marie-Antoinette, et aucune tête n’avait été REELLEMENT coupée. C’est toute la différence entre une réalité et un symbole.

      [Et quid de l’attachement proclamé de Macron à l’abolition de la peine de mort ?]

      Le raccourcissement de Monsieur et Madame Véto n’est pas une « peine », mais une mesure politique. Robespierre a très bien posé le problème : « vous n’avez pas une décision de justice à rendre, mais une mesure de salut public à prendre ». Parler de « peine de mort » dans ce contexte c’est faire un contresens. Le « procès » du roi n’entre pas dans le champ judiciaire, mais dans le champ politique.

      [Je me demande, d’ailleurs, si les organisateurs ne pourraient être poursuivis pour apologie du terrorisme. Après tout, MLP a eu des ennuis pour moins que ça, lorsqu’elle a publié des photos des exactions de DAESH.]

      Encore une fois, c’est toute la différence entre le symbole et la réalité. On peut par exemple parfaitement jouer au ballon – symboliquement – avec la tête d’un ministre…

      • dsk dit :

        @ Descartes
         
        [“Une “fête” qui débute par l’exhibition symbolique de la tête coupée de Marie-Antoinette ?”] [“Pas vraiment. Ce n’était pas la tête de Marie-Antoinette qu’on exhibait, c’était celle d’une actrice jouant le rôle de Marie-Antoinette, et aucune tête n’avait été REELLEMENT coupée.”]
         
        Encore heureux. Il n’en demeure pas moins que l’on associait ici une décapitation à des réjouissances.
         
        [“[Et quid de l’attachement proclamé de Macron à l’abolition de la peine de mort ?”] [“Le raccourcissement de Monsieur et Madame Véto n’est pas une « peine », mais une mesure politique.”]
         
        Je ne suis pas sûr que Monsieur Quarante Neuf Trois fasse une telle distinction. D’ailleurs, je ne vois pas très bien ce qui, philosophiquement, justifierait l’une et pas l’autre.  
         
        [“Robespierre a très bien posé le problème : « vous n’avez pas une décision de justice à rendre, mais une mesure de salut public à prendre ».”]
         
        Tout à fait. De même que, quelque temps plus tard, d’autres ont parfaitement “posé le problème” à son sujet.  
         
        [“Je me demande, d’ailleurs, si les organisateurs ne pourraient être poursuivis pour apologie du terrorisme. Après tout, MLP a eu des ennuis pour moins que ça, lorsqu’elle a publié des photos des exactions de DAESH.”] [“Encore une fois, c’est toute la différence entre le symbole et la réalité. On peut par exemple parfaitement jouer au ballon – symboliquement – avec la tête d’un ministre…”]
         
        Quand on a la chance d’être de gauche, certainement.
         

        • Descartes dit :

          @ dsk

          [« Une “fête” qui débute par l’exhibition symbolique de la tête coupée de Marie-Antoinette ?”] [“Pas vraiment. Ce n’était pas la tête de Marie-Antoinette qu’on exhibait, c’était celle d’une actrice jouant le rôle de Marie-Antoinette, et aucune tête n’avait été REELLEMENT coupée. » Encore heureux.]

          Depuis que les « reality show » ont envahi nos écrans, il ne faut jurer de rien.

          [Il n’en demeure pas moins que l’on associait ici une décapitation à des réjouissances.]

          Ce n’est pas si exceptionnel. Après tout, on met les crucifix en évidence lors des réjouissances chrétiennes, ce qui revient d’associer une crucifixion à des réjouissances… aujourd’hui, l’exécution de Mme et Monsieur Louis Capet est devenu quelque chose de purement symbolique de la fin de l’Ancien régime, et il ne faut pas voir un côté gore là-dedans.

          [« Le raccourcissement de Monsieur et Madame Véto n’est pas une « peine », mais une mesure politique » Je ne suis pas sûr que Monsieur Quarante Neuf Trois fasse une telle distinction.]

          C’est quand même un énarque. C’est le genre de distinctions que n’importe quel pratiquant du droit public connait.

          [D’ailleurs, je ne vois pas très bien ce qui, philosophiquement, justifierait l’une et pas l’autre.]

          Très simple : « salus populi suprema lex esto ». Le salut du peuple est la loi suprême. Et en certaines circonstances, le salut du peuple peut nécessiter la mise à mort d’une personne. Le roi vivant, il restait le foyer de tous les complots. Il était le point de ralliement de tous ceux qui aspiraient à écraser le mouvement populaire, avec l’aide de l’étranger si nécessaire. La question dans une telle circonstance n’est pas « est-ce que c’est juste de le tuer », mais « est-ce que c’est vraiment nécessaire ». Et à ma connaissance, tous les régimes se posent à un moment où un autre la question, en privé de préférence…

          [« Robespierre a très bien posé le problème : « vous n’avez pas une décision de justice à rendre, mais une mesure de salut public à prendre ». » Tout à fait. De même que, quelque temps plus tard, d’autres ont parfaitement “posé le problème” à son sujet.]

          Je pense que Robespierre était très lucide sur le sort qui l’attendait, et qu’il ne l’aurait pas renié. De la même manière que son action avait sauvé la Révolution, sa chute était nécessaire pour que le régime révolutionnaire puisse s’institutionnaliser.

          • dsk dit :

            @ Descartes
             
            [“aujourd’hui, l’exécution de Mme et Monsieur Louis Capet est devenu quelque chose de purement symbolique de la fin de l’Ancien régime, et il ne faut pas voir un côté gore là-dedans.”]
             
            Quel rapport entre la fin de l’Ancien régime et les JO ? Mais peut-être avez-vous raison, en effet, et ne faudrait-il voir en cette image de la décapitation de Marie-Antoinette qu’une sorte de carte postale de mauvais goût censée représenter la France, un peu comme le défilé de bateaux mouches transportant les sportifs en survêtement, ou “mon truc en plumes” par Lady Gaga.  
             
            [« Le raccourcissement de Monsieur et Madame Véto n’est pas une « peine », mais une mesure politique »”] [“Je ne suis pas sûr que Monsieur Quarante Neuf Trois fasse une telle distinction.”] [“C’est quand même un énarque. C’est le genre de distinctions que n’importe quel pratiquant du droit public connait.”]
             
            Très bien. Mais dans ce cas, que Macron arrête de nous faire ch… avec les “mesures politiques” prises par Poutine.
             
            [“[D’ailleurs, je ne vois pas très bien ce qui, philosophiquement, justifierait l’une et pas l’autre.] [“Très simple : « salus populi suprema lex esto ». Le salut du peuple est la loi suprême. Et en certaines circonstances, le salut du peuple peut nécessiter la mise à mort d’une personne. Le roi vivant, il restait le foyer de tous les complots. Il était le point de ralliement de tous ceux qui aspiraient à écraser le mouvement populaire, avec l’aide de l’étranger si nécessaire.”]
             
            Admettons. Mais était-ce le cas de Marie-Antoinette ?

            • Descartes dit :

              @ dsk

              [« aujourd’hui, l’exécution de Mme et Monsieur Louis Capet est devenu quelque chose de purement symbolique de la fin de l’Ancien régime, et il ne faut pas voir un côté gore là-dedans. » Quel rapport entre la fin de l’Ancien régime et les JO ?]

              La cérémonie d’ouverture des JO est généralement l’occasion pour le pays hôte de se présenter et de présenter son histoire. Et il est clair que le sort de Marie-Antoinette est l’un des clichés de notre histoire les plus connus à l’étranger, plus que l’exécution du roi parce qu’il est plus facile de faire pleurer dans les chaumières sont le sort de cette « pauvre femme » qui finalement n’avait rien fait de mal – à part donner de mauvais conseils à son peuple sur son régime alimentaire. Il est vrai que c’aurait été peut-être plus inventif d’illustrer cet épisode de notre histoire par un match de foot ou de volley en utilisant la tête des aristocrates comme ballons… et en plus, ça aurait fait plaisir à LFI.

              [Très bien. Mais dans ce cas, que Macron arrête de nous faire ch… avec les “mesures politiques” prises par Poutine.]

              Comme par exemple ? Je ne me souviens pas que Poutine ait assumé l’élimination de ses opposants comme « mesure de salut public ». S’il l’avait fait, effectivement, cela aurait posé quelques problèmes aux Américains, qui acceptent parfaitement la logique des « assassinats ciblés »…

              [« Très simple : « salus populi suprema lex esto » ». Le salut du peuple est la loi suprême. Et en certaines circonstances, le salut du peuple peut nécessiter la mise à mort d’une personne. Le roi vivant, il restait le foyer de tous les complots. Il était le point de ralliement de tous ceux qui aspiraient à écraser le mouvement populaire, avec l’aide de l’étranger si nécessaire. » Admettons. Mais était-ce le cas de Marie-Antoinette ?]

              C’est discutable. Est-ce que la Reine avait un prestige dans la population qui aurait pu faire d’elle un symbole ? Je ne saurais pas le dire, je n’ai aucune idée de l’image que pouvait avoir Marie-Antoinette dans la population, et notre perception sur ce sujet est très influencée par la littérature post-révolutionnaire qui, selon les époques, la dépeignent comme une aristocrate insensible aux souffrances du peuple, soit comme une pauvre victime. Mais dans ce genre de circonstances, les révolutionnaires ont du se dire que mieux vaut ne pas prendre des risques. Ils n’ont pas été les seuls: les bolchévique ont fait la même chose en 1918: ils ont massacré l’ensemble de la famille royale. Et en 1649, lors de l’exécution de Charles Ier d’Angleterre, Henrietta Maria, sa femme, aurait passé un très mauvais quart d’heure si elle n’avait pas pris la précaution de se réfugier en France.

            • dsk dit :

              @ Descartes
               
              [“Quel rapport entre la fin de l’Ancien régime et les JO ?”] [“La cérémonie d’ouverture des JO est généralement l’occasion pour le pays hôte de se présenter et de présenter son histoire.”]
               
              Mais pourquoi vouloir absolument “présenter” la France ? Tout le monde la connaît, non ? Franchement, on aurait mieux fait d’organiser un spectacle festif type bicentenaire de 1789 par Jean-Paul Goude, plutôt que cette suite de cartes postales insipides et déprimantes. Cela aurait été bien plus “français” d’ailleurs : la mode, le champagne, la danse, and all the rest of it… Jack Lang, reviens !
               
              [“Très bien. Mais dans ce cas, que Macron arrête de nous faire ch… avec les “mesures politiques” prises par Poutine.”] [“Comme par exemple ? Je ne me souviens pas que Poutine ait assumé l’élimination de ses opposants comme « mesure de salut public ».”]
               
              Si vous allez par là, le tribunal ayant “jugé” Marie-Antoinette non plus, puisqu’il n’a nullement prononcé à son encontre une “mesure de salut public”, mais bel et bien la “peine de mort” sur le fondement de divers articles du Code pénal.   
               

            • Descartes dit :

              @ dsk

              [Mais pourquoi vouloir absolument “présenter” la France ? Tout le monde la connaît, non ?]

              Tout le monde connaît Coca-Cola, et pourtant l’entreprise continue à investir des sommes considérables en publicité. Si vous voulez rester connu, un coup de pub de temps en temps n’est pas une mauvaise idée.

              [Franchement, on aurait mieux fait d’organiser un spectacle festif type bicentenaire de 1789 par Jean-Paul Goude, plutôt que cette suite de cartes postales insipides et déprimantes. Cela aurait été bien plus “français” d’ailleurs : la mode, le champagne, la danse, and all the rest of it… Jack Lang, reviens !]

              Personnellement, j’ai détesté le spectacle du bicentenaire. C’est pour moi un exemple signalé de cette manie de multiplier des « signifiants vides », c’est-à-dire, des tableaux qui se veulent « symboliques » sans que personne ne sache très bien ce que cela est censé « symboliser ». Un peu comme le spectacle de clôture des Jeux hier soir. Alors la dernière chose que je voudrais, c’est le retour de Jack Lang et de son snobisme déguisé en culture.

              Par contre, je me dis que votre idée n’est pas mauvaise, et que finalement on aurait mieux fait notre « pub » en insistant sur ce que fait la France aux yeux des étrangers : l’art de vivre, le mariage intelligent de la tradition et de la modernité, mais aussi notre côté « révolutionnaire »… le tout fait avec « finesse ». Remarquez, quand j’ai vu la séquence « californienne » dans la cérémonie de clôture hier soir, je me dis qu’on n’est pas les pires.

              [« Comme par exemple ? Je ne me souviens pas que Poutine ait assumé l’élimination de ses opposants comme « mesure de salut public ». » Si vous allez par-là, le tribunal ayant “jugé” Marie-Antoinette non plus, puisqu’il n’a nullement prononcé à son encontre une “mesure de salut public”, mais bel et bien la “peine de mort” sur le fondement de divers articles du Code pénal.]

              Le délit invoqué dans l’acte d’accusation comme dans la condamnation est celui de « haute trahison », délit politique par excellence. Je ne sais pas qu’aucun opposant à Poutine ai été condamné pour un délit de ce type…

            • dsk dit :

              @ Descartes
               
              [“Mais pourquoi vouloir absolument “présenter” la France ? Tout le monde la connaît, non ?] [“Tout le monde connaît Coca-Cola, et pourtant l’entreprise continue à investir des sommes considérables en publicité. Si vous voulez rester connu, un coup de pub de temps en temps n’est pas une mauvaise idée.”]
               
              Certes. Mais dans ses pubs, Coca Cola ne se “présente” pas. Il essaie juste de susciter le désir d’en consommer.
               
              [“Alors la dernière chose que je voudrais, c’est le retour de Jack Lang et de son snobisme déguisé en culture.”]
               
              Evidemment. Je plaisantais.
               
              [“Par contre, je me dis que votre idée n’est pas mauvaise, et que finalement on aurait mieux fait notre « pub » en insistant sur ce que fait la France aux yeux des étrangers : l’art de vivre, le mariage intelligent de la tradition et de la modernité, mais aussi notre côté « révolutionnaire »… le tout fait avec « finesse ».”]
               
              Exactement. Je crois me souvenir d’une cérémonie d’ouverture des JO d’hiver où on avait fait appel au chorégraphe Philippe Decouflé. Je pense que l’on aurait été mieux inspiré de faire quelque chose du même genre. 
               
              [“Si vous allez par-là, le tribunal ayant “jugé” Marie-Antoinette non plus, puisqu’il n’a nullement prononcé à son encontre une “mesure de salut public”, mais bel et bien la “peine de mort” sur le fondement de divers articles du Code pénal.”] [“Le délit invoqué dans l’acte d’accusation comme dans la condamnation est celui de « haute trahison », délit politique par excellence. “]
               
              Peut-être, mais je n’ai jamais entendu Macron, ni même aucun opposant à la peine de mort, proposer qu’on la rétablisse pour le cas de haute trahison.

            • Descartes dit :

              @ dsk

              [« Mais pourquoi vouloir absolument “présenter” la France ? Tout le monde la connaît, non ?] [“Tout le monde connaît Coca-Cola, et pourtant l’entreprise continue à investir des sommes considérables en publicité. Si vous voulez rester connu, un coup de pub de temps en temps n’est pas une mauvaise idée. » Certes. Mais dans ses pubs, Coca Cola ne se “présente” pas. Il essaie juste de susciter le désir d’en consommer.]

              La France aussi. Pour donner envie de consommer, Coca-Cola met en exergue ses rapports réels ou supposés avec des choses qui font envie : jeunesse, fraîcheur, insouciance… le spectacle faisait un peu la même chose !

              [« Alors la dernière chose que je voudrais, c’est le retour de Jack Lang et de son snobisme déguisé en culture. » Evidemment. Je plaisantais.]

              Il ne faut pas plaisanter avec ces choses-là. Vous savez, « à force de parler de choses horribles, elles finissent par arriver ».

              [Exactement. Je crois me souvenir d’une cérémonie d’ouverture des JO d’hiver où on avait fait appel au chorégraphe Philippe Decouflé. Je pense que l’on aurait été mieux inspiré de faire quelque chose du même genre.]

              Je suis d’accord. Mais le snobisme actuel fait qu’un spectacle n’est réussi que s’il « choque ». Le classicisme, l’esthétique ne sont plus à la mode…

              [Peut-être, mais je n’ai jamais entendu Macron, ni même aucun opposant à la peine de mort, proposer qu’on la rétablisse pour le cas de haute trahison.]

              Parce que l’idée qu’on puisse tuer quelqu’un comme mesure de « salut public » irait contre toute l’idéologie de « la paix par le droit » avec laquelle on nous bourre le crâne depuis les années 1980. Pourtant, vous noterez que ni Macron, ni « aucun opposant à la peine de mort » n’a crié au scandale lors des exécutions extrajudiciaires effectuées par les Américains et assumées par eux. Qui a protesté lorsque Oussama Ben Laden a été tué dans une opération dont le but assumé était sa mort, opération autorisée et suivie en direct par le président des Etats-Unis lui-même ? Qui a protesté lorsqu’Israël a exécuté le leader du Hamas ?

              Sans aller jusqu’à la peine de mort, vous noterez que la prison de Guantanamo est là aussi une mesure de « salut public » pris en dehors de toute considération de justice. Des gens ont pu être emprisonnés et torturés dans une véritable zone de non-droit, au vu et au su de l’ensemble de la communauté internationale, sans que grand monde s’en émeuve.

          • cd dit :

            @Descartes
            « salus populi suprema lex esto »
            Félicitations Descartes, je vois que vous progressez en latin, vous ne cconfondez plus le génitif avec le datif/ablatif. Continuez ! Vous êtes sur la bonne voie !

            • Descartes dit :

              @ cd

              [Félicitations Descartes, je vois que vous progressez en latin, vous ne cconfondez plus le génitif avec le datif/ablatif. Continuez ! Vous êtes sur la bonne voie !]

              Mais j’ai encore un long chemin à parcourir…

  12. P2R dit :

     @Descartes (et Carloman)
     
    [On sait bien qu’on peut cracher à la gueule des chrétiens ou des communistes sans que cela ne vous coûte un centime. Mais il est tout bonnement impossible de faire un spectacle qui cracherait sur l’Islam]
     
    je me permet une réflexion sur ce point dans votre échange: je pense que l’évitement de la caricature au sujet de l’islam tient non seulement à la peur, mais aussi, de la part de la gauche bien pensante, à la protection des « opprimés » que seraient les musulmans, considérés comme de petites choses fragiles et susceptibles, comme les femmes, les gays et les handicapés. Là où la chose commence à être intéressante, voire comique, c’est que, comme le dit Houellebecq dans Soumission, l’ennemi du croyant, ce n’est pas l’autre croyant, mais l’athée, le blasphémateur. Est-ce que les musulmans ont été enchantés de la caricature de la Cène ? Il n’y a qu’à observer la réaction de Melenchon, baromètre de l’islamo-gauchisme electoraliste pour s’en faire une idée 🙂 
     
     

    • P2R dit :

      J’ai l’impression que vous avez répondu à mon message en copiant votre réponse à un précédent message de carloman. Est-ce volontaire ? 

      • Descartes dit :

        @ P2R

        [J’ai l’impression que vous avez répondu à mon message en copiant votre réponse à un précédent message de carloman. Est-ce volontaire ?]

        Non, c’est une erreur, maintenant corrigée…

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [je me permet une réflexion sur ce point dans votre échange: je pense que l’évitement de la caricature au sujet de l’islam tient non seulement à la peur, mais aussi, de la part de la gauche bienpensante, à la protection des « opprimés » que seraient les musulmans, considérés comme de petites choses fragiles et susceptibles, comme les femmes, les gays et les handicapés.]

      Admettons. Mais alors, pourquoi la droite, qui ne partage pas cette vision, s’abstient elle aussi ? Et je ne parle pas seulement de « caricature », mais de simples références – comme celle de la mise en scène de l’Opéra de Genève. Il y a une réalité : dès qu’un spectacle contient une référence à l’Islam, producteurs et assureurs retirent leurs billes. A quoi bon prendre des risques ?

      [Là où la chose commence à être intéressante, voire comique, c’est que, comme le dit Houellebecq dans Soumission, l’ennemi du croyant, ce n’est pas l’autre croyant, mais l’athée, le blasphémateur. Est-ce que les musulmans ont été enchantés de la caricature de la Cène ?]

      Je ne crois pas que l’ennemi soit l’athée ou le blasphémateur. Le véritable ennemi du croyant, c’est la désacralisation. Pendant des millénaires, l’homme a connu une séparation entre le profane et le sacré. Le capitalisme, en réduisant tous les rapports humains à des rapports d’argent, a désacralisé le monde. Il n’y a rien aujourd’hui qui ne soit pas achetable, qui ne soit régi par des rapports de marché. La mise en scène de la Cène – pardonnez ce jeu de mots ridicule – pour faire de l’audience fait partie de cette « désacralisation ». Devant ce courant de désacralisation, tous les clergés sont unis parce qu’ils ont tous beaucoup à perdre.

      [Il n’y a qu’à observer la réaction de Melenchon, baromètre de l’islamo-gauchisme electoraliste pour s’en faire une idée]

      Mélenchon, quelque soit sa prétention à la modernité, est un homme de l’ancien monde, celui où certaines choses étaient « sacrées ». A commencer par lui-même dans son rôle de gourou (« la République, c’est moi ! »).

  13. cdg dit :

    Oui la ceremonie d ouverture a ete une reussite. Bon, etant donné les gens qui ont pensée cette ceremonie, il etait inevitable qu on ait le coté MLF ou LBGTQI+. Par contre je trouve curieux qu ils n aient pas assumé. Parce que dire qu ils avaient vraiment fait un hommage a un tableau quasi inconnu (dans le monde, il etait ecrit qu il est exposé dans un musée de dijon) il est plus que surprenant que personne pendant les repetitions ait vu qu il faisait penser au tableau de De Vinci (meme moi qui n ai pas une culture artistique poussé y ait pensé de suite)
    Quant a la decapitation de Marie Antoinette au chatelet, meme n aimant pas le hard rock, j ai bien aimé qu on sorte du bisounours et qu on rapelle que ce chateau etait une prison (ou Louis XVII est probablement mort de maladie)
     
    Maintenant il va falloir gerer a sortie de la bulle JO. Tous les problemes ont ete occultés mais n ont evidement pas disparut. 
     
    PS:
    – Les JO semblent avoir ete une fete surtout a Paris. J etais en vacances en Savoie et d apres la radio locale, il y avait une seule fan zone pour les 2 departements (73 et 74) et elle etait loin d etre pleine. J ai vu aucun impact JO lors de mon sejour (a part que ceux qui etaient interessé par le sport sont allé voir les JO a Paris)
    – Macron va evidement vouloir tirer la couverture a lui mais il ferait bien de se mefier. Je crains que les “bouseux de province” (comme le pensent nos dirigeants) n aient pas ete subjugué et que redresser les finances publique par une hausse massive d impots fasse un mouvement Gilet Jaune bis

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Oui la cérémonie d’ouverture a été une réussite.]

      Il me vient en fait une idée en vous lisant. Pourquoi appelle-t-on cela une « cérémonie » ? Après tout, la partie « cérémoniale » est de plus en plus réduite (levée des drapeaux, hymne national, hymne olympique, serment olympique, allumage de la vasque). Le mot « spectacle d’ouverture » ou « soirée d’ouverture » serait peut-être plus adapté.

      [Bon, étant donné les gens qui ont pensé cette cérémonie, il était inévitable qu’on ait le coté MLF ou LBGTQI+.]

      Malheureusement, il n’y a pas que le spectacle. Ces jeux auront battu un record historique : ce sont les jeux le plus « politiquement corrects » de l’histoire. A tout moment – et pas seulement pendant la cérémonie d’ouverture – les médias ont martelé la « durabilité », la « diversité » et la « parité », et l’organisation a tout fait pour mettre ce discours en valeur, jusqu’au ridicule : pensez par exemple à la décision de remettre les médailles du marathon féminin à la cérémonie de clôture. On aurait pu comprendre qu’on remette les médailles des DEUX marathons – au lieu de le faire seulement pour le marathon masculin, comme c’était la tradition. Mais le remettre SEULEMENT pour le marathon féminin, cela ne va pas trop avec l’idée de « parité », non ? Même les sponsors s’y sont mis : notre électricien – qui a de nos jours le nucléaire honteux – se proclame « fournisseur d’électricité renouvelable de Paris 2024 ». Compte tenu du fait que pendant les deux semaines qu’ont duré les jeux la canicule à réduit pratiquement à néant la production éolienne, que les ressources hydriques sont à leur minimum en été, on se demande bien d’où venait l’électricité qui éclairait les compétitions après la tombée du soleil… Et je ne parle même pas de l’insistance mise sur « l’équipe des réfugiés », mise au même niveau qu’une équipe nationale.

      [Par contre je trouve curieux qu’ils n’aient pas assumé. Parce que dire qu’ils avaient vraiment fait un hommage à un tableau quasi inconnu (dans le monde, il était écrit qu’il est exposé dans un musée de Dijon) il est plus que surprenant que personne pendant les répétitions ait vu qu’il faisait penser au tableau de De Vinci (même moi qui n’ai pas une culture artistique poussé y ait pensé de suite)]

      Je vais vous proposer une explication qui vaut ce qu’elle vaut. Joly et sa troupe ont monté un spectacle pensé pour le public français, peu enclin à s’insurger pour ce genre de choses. C’était oublier que la cérémonie d’ouverture est retransmise dans le monde entier, et que tout le monde ne partage pas cette vision du sacré. Et que cette retransmission est un enjeu économique important pour le CIO, qui en touche le revenu, revenu qui vient en grande partie des Etats-Unis. Or, cette partie du spectacle a été très peu appréciée outre-Atlantique, au point que plusieurs chaînes ont censuré une partie de la transmission, et que plusieurs organisations chrétiennes ayant un poids considérable ont protesté. Je doute que le CIO ait été insensible à ces protestations. D’où la gêne de l’équipe, et la tentative de montrer qu’il ne s’agissait pas d’une parodie anti-chrétienne…

      [Quant à la décapitation de Marie Antoinette au Chatelet, même n’aimant pas le hard rock, j’ai bien aimé qu’on sorte du bisounours et qu’on rappelle que ce château était une prison (ou Louis XVII est probablement mort de maladie)]

      C’était la Conciergerie, et non le Châtelet, mais c’est un détail. Je n’ai pas particulièrement aimé ce tableau, mais il ne m’a pas choqué non plus. Il en faut pour tous les goûts.

      [Maintenant il va falloir gérer a sortie de la bulle JO. Tous les problèmes ont été occultés mais n’ont évidemment pas disparu.]

      On va essayer je pense de prolonger l’état de grâce avec les jeux paralympiques – et j’imagine que le côté « politiquement correct » dégoulinant va battre les records établis pendant les jeux olympiques. Mais on entend déjà ce matin les craquements. Paradoxalement, je pense que le succès des jeux est en partie dû aux « problèmes » en question. Après la lamentable séquence de la dissolution, et les non moins lamentables palinodies qu’ont été la constitution du bureau de l’Assemblée et le maintien du gouvernement Attal, les Français avaient désespérément besoin d’une opportunité pour montrer que le pays ne va pas à vau-l’eau, qu’on est capable encore de réussir quelque chose.

      [– Les JO semblent avoir ete une fete surtout a Paris. J etais en vacances en Savoie et d apres la radio locale, il y avait une seule fan zone pour les 2 departements (73 et 74) et elle etait loin d etre pleine. J ai vu aucun impact JO lors de mon sejour (a part que ceux qui etaient interessé par le sport sont allé voir les JO a Paris)]

      Je suis moins pessimiste que vous. Je ne suis pas étonné du peu de succès des « fanzones » en province : les gens ne vont pas faire des dizaines de kilomètres pour y aller. Mais les provinciaux ont d’autres formes de sociabilité, notamment celle du bistrot. Dans les Bouches-du-Rhône, où j’ai passé quelques jours, il y avait un véritable engouement. Peut-être parce que certaines épreuves se déroulaient à Marseille. Mais même à Aix ou à Arles les gens se regroupaient dans les cafés pour regarder les compétitions et chanter. Et j’imagine que pas mal de gens sont remontés sur Paris. Les instituts de sondages feront certainement des études pour estimer l’impact des Jeux en dehors de Paris, on verra alors plus clair.

      [– Macron va évidemment vouloir tirer la couverture à lui mais il ferait bien de se méfier. Je crains que les “bouseux de province” (comme le pensent nos dirigeants) n’aient pas été subjugué et que redresser les finances publique par une hausse massive d’impôts fasse un mouvement Gilet Jaune bis]

      Je partage. L’expérience des compétitions passées montrent qu’en France les succès sportifs profitent rarement au gouvernement, qu’il y a une barrière assez étanche entre sport et politique. La victoire à la coupe du monde en 1998 n’a pas permis à Chirac de mettre fin à la cohabitation, et son parti s’est étalé lamentablement aux européennes de 1999. Ici c’est un peu différent, parce que la réussite n’est pas tant dans la victoire et les médailles, mais dans notre capacité à organiser un évènement de cette taille, organisation qui finalement a tourné comme une horloge et sans un seul couac. Cela va certainement regonfler l’auto-estime nationale et mettre en sourdine pendant quelque temps les discours de la « haine de soi ».

      • cdg dit :

        @descartes
        [ On aurait pu comprendre qu’on remette les médailles des DEUX marathons – au lieu de le faire seulement pour le marathon masculin, comme c’était la tradition. Mais le remettre SEULEMENT pour le marathon féminin, cela ne va pas trop avec l’idée de « parité », non ?]
        Mais si, c est la parite telle que la concoit S Rousseau. Il s agit en fait de favoriser les femmes. C est comme quand un homme avait porte plainte contre Hidalgo car elle nommait que des femmes au poste de direction a paris  (apparement il y avait une loi pour la parite a ce niveau). Il a ete evidement deboute car le juge a estime que ce quota ne peut s appliquer qu au detriment des hommes, pas des femmes. Idem pour les etudes. On se plaint qu il y a pas assez de femmes en ecole d ingenieur mais pas de probleme a avoir 70 % de femme en medecie ou 100% en notariat !
        [Joly et sa troupe ont monté un spectacle pensé pour le public français, peu enclin à s’insurger pour ce genre de choses. C’était oublier que la cérémonie d’ouverture est retransmise dans le monde entier]
        Le spectacle etait concu pour la TV, il le savait et il n etait quand meme pas abruti au point de penser que seul les europeens allaient regarder. par contre il a surement pas pris concience du poids des autres pays (les TV et sponsors ont du se plaindre au CIO qui lui considere avant tout les droits TV et ca a du leur retomber dessus)
        [Je ne suis pas étonné du peu de succès des « fanzones » en province : les gens ne vont pas faire des dizaines de kilomètres pour y aller.]
        La fan zone en question etait a cote d une ville de 60 000 habitants (chambery si ma memoire est bonne) donc elle aurait tout a fait etre remplie par des gens d un rayon de 10-15 km
         
         

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [« On aurait pu comprendre qu’on remette les médailles des DEUX marathons – au lieu de le faire seulement pour le marathon masculin, comme c’était la tradition. Mais le remettre SEULEMENT pour le marathon féminin, cela ne va pas trop avec l’idée de « parité », non ? » Mais si, c’est la parité telle que la conçoit S Rousseau. Il s’agit en fait de favoriser les femmes.]

          Les mots on un sens, et il faut lutter contre la tendance à le travestir. La « parité » implique une égale représentation des hommes et des femmes. Elle s’oppose à l’exclusivité donnée à l’un des sexes, quel qu’il soit. Il faut préserver le langage, parce que sans langage précis il est impossible d’avoir un débat rationnel. Relisez Orwell…

          [« Je ne suis pas étonné du peu de succès des « fanzones » en province : les gens ne vont pas faire des dizaines de kilomètres pour y aller. » La fan zone en question était a cote d’une ville de 60 000 habitants (Chambéry si ma mémoire est bonne) donc elle aurait tout a fait être remplie par des gens d’un rayon de 10-15 km.]

          J’aimerais connaître la capacité du parking.

  14. Manchego dit :

    @ Carloman
    ***Le Français de souche c’est celui qui n’a pas la diversité dans le sang***
    Je comprends mieux votre position, je la respecte mais ne la partage pas.
    Pour moi on est tous de la même souche, c’est homo sapiens (et quand il a commencé à peupler l’Europe, il y a 40000 ans, il n’était pas tout à fait blanc d’après ce que disent la plupart des anthropologues).
    Si j’ai bien compris ce que vous dites, le français de souche doit être blanc et avoir 100 % de ses ancêtres nés en France sur les 200 dernières années. Pourquoi 200 ans et pas 1000 ou 2000 ?
    Avec cette classification on risque d’exclure beaucoup de monde. Nous avons tous 2 parents, 4 grand-parents, huit arrières grand-parents… Au fur et a mesure que nous remontons le temps, on peut calculer que nos ancêtres se multiplient par 2 à chaque génération, ce qui fait qu’on ne doit pas être loin d’avoir 256 ascendants au bout de deux siècles et qui peut affirmer que dans ces 256 il n’y a aucun “intrus”. Et quid des noirs qui sont présents depuis 200 ans sur le territoire français ?
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Manchego

      [« Le Français de souche c’est celui qui n’a pas la diversité dans le sang » Je comprends mieux votre position, je la respecte mais ne la partage pas. Pour moi on est tous de la même souche, c’est homo sapiens (…)]

      Sans vouloir vous offenser, je pense que vous n’avez pas compris. Sans vouloir me faire son avocat, je pense que lorsque Carloman parle de « souche », il ne parle pas en termes génétiques, mais en termes d’enracinement. Autrement dit, être « de souche » est avoir une relation particulière avec un territoire. Ce qui vous fait « de souche », c’est le ait que vos ancêtres sont nés, ont vécu et sont morts sur cette terre, et l’ont façonnée à leur image.

      [Si j’ai bien compris ce que vous dites, le français de souche doit être blanc et avoir 100 % de ses ancêtres nés en France sur les 200 dernières années. Pourquoi 200 ans et pas 1000 ou 2000 ?]

      Je ne suis pas persuadé que pour Carloman il « faille être blanc ». Je suis persuadé qu’il considérerait un noir dont la lignée vit dans le même village depuis deux siècles comme un « de souche ». Mais le fait est que ces cas sont extrêmement rares : l’immense majorité des « de souche » en France sont blancs. Après, peut-on fixer une durée avec précision ? Deux-cents ans, cela fait grosso modo 8 générations, c’est-à-dire aussi loin que la mémoire familiale peut tracer ses ancêtres – rares sont les familles qui peuvent aller au-delà. Mais je ne pense pas que dans le modèle de Carloman il s’agisse d’un délai strict, qu’on devienne « de souche » au premier jour de la 201ème année…

      [Avec cette classification on risque d’exclure beaucoup de monde.]

      Est-ce grave, docteur ? Après tout, le fait d’être « de souche » ne vous donne aucun droit particulier dont on pourrait être « exclu ». Carloman ne propose pas d’expulser tous ceux qui ne seraient pas « de souche » ou de les réduire à l’esclavage.

      [Nous avons tous 2 parents, 4 grands-parents, huit arrières grands-parents… Au fur et à mesure que nous remontons le temps, on peut calculer que nos ancêtres se multiplient par 2 à chaque génération,]

      Ce raisonnement est de toute évidence faux : il conduirait a supposer une population de plusieurs centaines de milliards d’individus dans l’antiquité. En fait, les lignées se croisent, et si l’on remonte assez loin on découvre que certains ancêtres d’une de nos lignées appartiennent aussi à une autre. Ainsi, par exemple, vous avez des collectivités relativement stables de quelques centaines d’individus, qui ont reçu relativement peu d’apports extérieurs, et qui pourtant existent depuis des siècles…

      • Manchego dit :

        @ Descartes
        ***Ce raisonnement est de toute évidence faux :***
        En généalogie ascendante, je ne pense pas que le calcul de nos ascendant avec 2^n (n étant le nombre de générations) soit faux, mais vous apportez un complément qui est fort juste, nous avons tous des ascendants communs et là on tombe sur la généalogie descendante.
        Ce débat avec Carloman est très intéressant, j’ai beaucoup de respect pour son point de vue, mais j’avoue que je ne suis pas à l’aise avec ce concept de “français de souche”, il me semble mal défini et finalement pas très utile.
        Après, nous sommes tous influencés par notre éducation et notre histoire familiale.
        Bien cordialement.
         

        • Descartes dit :

          @ Manchego

          [« Ce raisonnement est de toute évidence faux : » En généalogie ascendante, je ne pense pas que le calcul de nos ascendants avec 2^n (n étant le nombre de générations) soit faux,]

          Il est facile de démontrer que c’est le cas. Revenons par exemple au Ier siècle de notre ère. Cela fait grosso modo 2000 ans, ou bien quelque 40 générations. Il s’ensuit que si je compte mes ancêtres à cette époque, ils devraient être quelque chose comme 2^40. Et comme 2^10 est aproximativement égal à 10^3, 2^40 est à peu près égale à 10^12, c’est-à-dire, mille milliards d’individus. Plus que la terre n’a compté d’habitants de toute son histoire.

          Pour comprendre l’erreur, il faut observer que la formule 2^n pour calculer le nombre de nos ancêtres à la n’ième génération n’est exact que si tous nos ancêtres sont DISTINCTS. Or, ce n’est pas le cas : il est parfaitement possible que mon père et ma mère aient dans leur arbre généalogique un parent commun. La formule que vous citez permet de calculer le nombre MAXIMAL d’ancêtres que je peux avoir, mais le nombre réel doit être très inférieur, sans quoi vous arrivez au paradoxe que j’ai exposé dans le paragraphe précédent.

          [Ce débat avec Carloman est très intéressant, j’ai beaucoup de respect pour son point de vue, mais j’avoue que je ne suis pas à l’aise avec ce concept de “français de souche”, il me semble mal défini et finalement pas très utile.]

          Je pense que grâce à l’échange, on comprend beaucoup mieux ce qu’il veut dire. Lorsqu’il parle de « Français de souche », Carloman n’utilise pas le mot « souche » au sens qu’on lui donne en génétique, mais plutôt dans le sens « faire souche », c’est-à-dire, s’enraciner dans un territoire donné. Peut-être il serait plus clair, pour éviter en particulier le sens « politiquement chargé » de l’expression, de parler des « Français enracinés » et des « Français déracinés ». Mais même le terme « Français » est de trop, puisque l’échange sur les territoires frontaliers montre que pour Carloman on reste « enraciné » quand même le territoire changerait de rattachement et ses habitants de nationalité.

          • Manchego dit :

            @ Descartes
            ****Pour comprendre l’erreur, il faut observer que la formule 2^n pour calculer le nombre de nos ancêtres à la n’ième génération n’est exact que si tous nos ancêtres sont DISTINCTS.***
            Vous avez raison, nous avons tous des ancêtres communs qu’il ne faut pas compter plusieurs fois dans la population mondiale, ce qui fait que cette formule trouve une limite, mais elle donne une bonne approximation sur quelques générations (et dans les échanges avec Carloman nous étions sur 8 générations), encore qu’il peut y avoir des mariages entre cousins qui faussent aussi le calcul comme souligné sur ce site des mormons :
            https://www.familysearch.org/fr/blog/combien-dancetres-ai-je
            J’ai trouvé sur internet un site qui explique assez bien les limites de ce calcul.
            https://www.dans-les-branches.fr/parcours/combien-d-ancetres-avons-nous/

    • Carloman dit :

      @ Manchego,
       
      [Pour moi on est tous de la même souche, c’est homo sapiens]
      Comme vous avez invité l’ADN dans ce débat, je me vois contraint, en toute amitié, de vous contredire. La biologie et l’ADN nous apprennent que nous appartenons tous à la même ESPECE, de l’aborigène d’Australie jusqu’aux Inuits du Nord canadien.
       
      Mais homo sapiens ayant essaimé lentement – vraisemblablement depuis l’Afrique – au cours des millénaires, les mutations génétiques, l’éloignement géographie, le temps ont fait que différentes SOUCHES – au sens génétique du terme – ont pu se développer au sein de l’espèce. Et un certain nombre de marqueurs génétiques, si j’en crois ce que je lis, permettent d’identifier ces différentes souches. Cela étant dit, je pense que dans l’expression “Français de souche” il faut considérer le “souche” comme faisant référence à un enracinement géographique. Tout simplement parce qu’il n’y a pas de “souche génétique” spécifiquement française: de ce point de vue, les Français de souche ne se distinguent guère des autres Européens de l’Ouest.
       
      [et quand il a commencé à peupler l’Europe, il y a 40000 ans, il n’était pas tout à fait blanc d’après ce que disent la plupart des anthropologues]
      Nous lisons les mêmes informations. D’après ce que j’ai lu, le “blanchissement” (je ne sais pas comment il faut l’appeler) serait lié à une mutation génétique qui se diffuse largement il y a 8 000 ans environ. C’est donc assez récent. 
       
      [Pourquoi 200 ans et pas 1000 ou 2000 ?]
      Pour plusieurs raisons. D’abord une raison pratique: pouvez-vous me donner l’identité de certains de vos ancêtres qui vivaient il y a 2 000 ans? 1 000 ans? 800 ans? Vous voyez bien qu’on se heurte à des difficultés d’établissement des généalogies: à moins d’être un Capétien ou un Rochechouart, pas grand-monde ne peut identifier ses ancêtres sur un millénaire…
      Ensuite, comme je le disais, il ne faut pas tomber dans le ridicule: que j’ai un ancêtre Franc ou Burgonde arrivé en Gaule au VI° siècle, ça n’a pas d’impact 1 500 ans plus tard, parce que cet ancêtre s’est mélangé aux Gallo-romains, a adopté leur religion, s’est mis à parler le bas latin.
      Enfin, 200 ans grosso modo, cela correspond à l’après-Révolution, au moment où l’identité nationale devient une composante importante de l’identité collective pour la plupart des secteurs de la société. 
       
      [le français de souche doit être blanc et avoir 100 % de ses ancêtres nés en France sur les 200 dernières années.]
      Je n’ai pas dit qu’il “devait être blanc”, je me borne à constater que de facto il l’est. Un historien a travaillé sur la question de la diversité – sujet à la mode – au XVIII° siècle en France. Il a recensé, en métropole, 2 000 noirs je crois sur tout le siècle. Pour beaucoup des esclaves et/ou affranchis ayant suivi leurs maîtres en métropole dans les ports atlantiques ou à proximité (il est donc peu probable que beaucoup aient fait souche). Donc 2 000 noirs pour une population oscillant entre 22 et 28 millions d’habitants. Je vous laisse calculer la proportion…
       
      Ce n’est pas moi qui ai décidé que les Français métropolitains “de souche” sont blancs. C’est une réalité indépendante de ma volonté comme de la vôtre.
       
      Maintenant prenons le cas de l’outre-mer et des esclaves africains amenés aux XVII° et XVIII° siècles dans les Antilles françaises. Leurs descendants peuvent-ils être considérés comme des Martiniquais et des Guadeloupéens “de souche”? Pour moi, la réponse est “oui” parce que le raisonnement que je vous propose ne s’applique pas uniquement aux blancs parce qu’ils sont blancs. Dire d’un Haïtien vivant en 2024 qu’il n’est pas “Haïtien de souche” au prétexte que ses ancêtres ont été déportés d’Afrique il y a 250 ans, cela n’a pas de sens. 
       
      [Au fur et a mesure que nous remontons le temps, on peut calculer que nos ancêtres se multiplient par 2 à chaque génération, ce qui fait qu’on ne doit pas être loin d’avoir 256 ascendants au bout de deux siècles et qui peut affirmer que dans ces 256 il n’y a aucun “intrus”.]
      Mais là vous avez la consanguinité qui intervient. En fait, beaucoup de Français “de souche” descendent d’un nombre assez limité de lignées. Et ce que je vous dis là n’est pas propre aux Européens: après tout la France a toujours été un pays relativement peuplé. Mais regardez l’Afrique, et comparez les effectifs de la population africaine en 1900 et le nombre d’Africains aujourd’hui, et vous constaterez qu’une telle poussée démographique – sans apport extérieur ou presque – est tout bonnement impossible sans des mariages entre cousins-cousines…
       
      Ensuite, pourquoi parlez-vous d’ “intrus”? Un étranger dans un arbre généalogique n’est pas nécessairement un “intrus”. Il est là, c’est tout.
       
      [Et quid des noirs qui sont présents depuis 200 ans sur le territoire français ?]
      Pouvez-vous préciser? Je ne suis pas sûr de comprendre à quoi vous faites allusion.

  15. maleyss dit :

    A mon humble avis, les Jeux Olympiques, s’ils veulent survivre, devraient rompre avec le gigantisme et le festivisme. En effet, il n’est un secret pour personne que très peu de villes se disputent maintenant l’honneur de les accueillir. Souvenons-nous que la désignation de Paris fut un “walk-over”, faute de concurrents, ce qui n’a pas empêché, bien sûr, Mme Hidalgo de se déplacer en grand appareil à Lima pour l’officialisation de la chose. Souvenons-nous aussi que naguère, le combat pour l’attribution était autrement disputé et incertain.
    Alors, si le CIO veut bien suivre mes conseils, ce dont je doute, qu’il commence par balancer par-dessus bord toutes les épreuves folkloriques ou circassiennes, qui n’ont strictement rien à faire aux JO (liste sur demande) ; et que les villes-hôtes cessent de rivaliser dans l’hyperfestivisme laid et crétin, et retrouvent une simplicité que l’on pourrait alors qualifier d’olympique. Cela réduira d’autant le budget des Jeux.

    • Descartes dit :

      @ maleyss

      [A mon humble avis, les Jeux Olympiques, s’ils veulent survivre, devraient rompre avec le gigantisme et le festivisme. En effet, il n’est un secret pour personne que très peu de villes se disputent maintenant l’honneur de les accueillir.]

      D’une certaine façon, le processus est en route. Les jeux parisiens ont été particulièrement frugaux. On a dépensé trois fois moins que Londres et quatre fois moins que Tokyo pour les organiser, mais surtout c’est de plus en plus de l’argent privé qui finance les jeux : celui des sponsors, des droits de télévision ou de la billetterie. Mais il est clair que la taille de la manifestation fait que seuls les villes et pays qui ont beaucoup d’argent et/ou de bonnes infrastructures qui peuvent se permettre de les accueillir dans des bonnes conditions.

      Ce qui personnellement m’inquiète plus est le délitement de l’idéal olympique sous la pression de l’argent et de la politique. L’exclusion de la Russie sur un prétexte – si on excluait les pays qui ont attaqué ou occupé illégalement d’autres pays, on n’aurait pas dû voir des athlètes israéliens depuis 1967, et des athlètes américains après l’invasion de l’Irak – est un bon exemple. Et cela fait les affaires de tout le monde : on est fier d’avoir fait plus de médailles qu’à Tokyo, mais on oublie un peu vite qu’on s’est partagé les médailles qu’avait emporté la Russie et la Biélorussie dans les jeux précédents. L’invasion d’un « politiquement correct » étouffant contribue aussi à importer dans l’enceinte olympique le victimisme communautariste à l’américaine.

      Cela étant dit, l’idéal olympique reste, sur certains points, remarquablement vivace malgré les pressions woke. Je reste surpris, alors que le « politiquement correct » crache en permanence sur les nations et le nationalisme, combien la nation et ses symboles restent présents dans la compétition olympique. Les Jeux restent l’une des rares enceintes où la question nationale reste encore posée.

      [Alors, si le CIO veut bien suivre mes conseils, ce dont je doute, qu’il commence par balancer par-dessus bord toutes les épreuves folkloriques ou circassiennes, qui n’ont strictement rien à faire aux JO (liste sur demande) ;]

      Le CIO ne fait que céder aux pressions économiques. Ces épreuves « folkloriques ou circassiennes » n’ont rien de sportif, mais elles rapportent beaucoup d’argent en termes de vente de matériel, de vêtements, de disques… pourquoi croyez-vous que la « breakdance » est devenue olympique, et pas la danse classique ?

      [et que les villes-hôtes cessent de rivaliser dans l’hyperfestivisme laid et crétin, et retrouvent une simplicité que l’on pourrait alors qualifier d’olympique. Cela réduira d’autant le budget des Jeux.]

      De ce point de vue, je trouve que Paris a finalement fait dans une certaine simplicité.

      • Bob dit :

        @Descartes
         
        [Je reste surpris, alors que le « politiquement correct » crache en permanence sur les nations et le nationalisme, combien la nation et ses symboles restent présents dans la compétition olympique. Les Jeux restent l’une des rares enceintes où la question nationale reste encore posée.]
        Pas de quoi être surpris sur ce point à mon avis, car sans cette “lutte” des nations pour les médailles, les JO perdent tout leur sens, leur raison d’être même. Cela explique pourquoi malgré l’invasion du wokisme (parité, jeux “inclusifs”), le concept de nation résiste : sans lui, les JO disparaissent de fait puisque qu’il ne s’agit plus de célébrer le sport et ses champions en tant que tels mais de savoir qui en aura le plus (de médailles) à la fin. C’en est devenu un banal compte d’apothicaire finalement.

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Pas de quoi être surpris sur ce point à mon avis, car sans cette “lutte” des nations pour les médailles, les JO perdent tout leur sens, leur raison d’être même.]

          Mais « la raison d’être » des JO a beaucoup changé sur d’autres aspects. A une époque, ils étaient réservés à des amateurs, et la charte olympique précisait que les jeux ne devaient servir à aucune opération commerciale. Aujourd’hui, c’est ouvert aux professionnels et l’argent commercial coule à flots. De même, on n’a pas beaucoup entendu ces quelques semaines la formule de Coubertin : « l’important, c’est de participer ». Alors, pourquoi ne pourrait-on pas changer la « raison d’être » en abolissant les drapeaux et en transformant les jeux en une compétition individuelle ?

          • CVT dit :

            @Descartes,

            [Alors, pourquoi ne pourrait-on pas changer la « raison d’être » en abolissant les drapeaux et en transformant les jeux en une compétition individuelle ?]

            Je dirais que ç’a déjà commencé…
            La Russie ayant été exclue de cette olympiade, ceux de ses athlètes qui souhaitaient malgré tout participer aux épreuves, pouvaient le faire sous une bannière neutre: qu’est-ce qui empêchera demain d’étendre ce principe aux réfractaires du patriotisme, ou encore à des sportifs sponsorisés par une grande entreprise?

  16. Geo dit :

     
     
    À Descartes
     
     
    [Paradoxalement, je pense que le succès des jeux est en partie dû aux « problèmes » en question. Après la lamentable séquence de la dissolution, et les non moins lamentables palinodies qu’ont été la constitution du bureau de l’Assemblée et le maintien du gouvernement Attal, les Français avaient désespérément besoin d’une opportunité pour montrer que le pays ne va pas à vau-l’eau, qu’on est capable encore de réussir quelque chose.]
     
    Sans doute vrai; déjà le succès aux USA des jeux d’Atlanta a été interprété comme manifestation d’une crise d’identité américaine par certains observateurs. C’est au moins possible, pour eux comme pour nous.
     

  17. marc.malesherbes dit :

     
    en ce qui concerne les JO, ne les ayant pas regardé, et le sujet ne m’intéressant pas, je m’en remet à votre avis: une réussite presque parfaite.
    Très bien, cela montre un domaine ou nos dirigeants ont su s’investir et réussir. Pour moi, c’est caractéristique de nos dirigeants ; tout ce qui les intéresse aujourd’hui, c’est le luxe, la frime, le spectacle. Et ils y réussissent. Il n’y qu’à voir l’extension extraordinaire des « arts vivants ».
    Certes nous avons encore des réussites ailleurs, beaucoup dans le sillage des années gaulliennes, mais de plus en plus faibles. Cela les a intéressé de réussir les JO, mais pas Flamanville. Autre exemple, les services publics, cela ne les intéresse pas.
    En résumé, nos dirigeants sont très bons dans le panem (la redistribution) et le circenses (les spectacles). Pour le reste, ils nous emmènent vers le déclin.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Très bien, cela montre un domaine où nos dirigeants ont su s’investir et réussir. Pour moi, c’est caractéristique de nos dirigeants ; tout ce qui les intéresse aujourd’hui, c’est le luxe, la frime, le spectacle. Et ils y réussissent. Il n’y qu’à voir l’extension extraordinaire des « arts vivants ».]

      Pardon, mais la réussite des JO n’est pas celle de « nos dirigeants », mais de tous ceux – fort nombreux – qui y ont travaillé. Les Jeux, ce n’est pas que du spectacle et des paillettes. Il a fallu loger, transporter et nourrir les athlètes. Il a fallu aménager ou construire des installations olympiques, les fournir en eau, en électricité, en sanitaires. Il a fallu assurer la sécurité des sites et contrôler les accès. Il a fallu faire la chasse aux pickpockets et à ceux qui abusent de la confiance des touristes. Il a fallu transporter et diriger le flot humain des spectateurs. Et ce ne sont pas les « dirigeant » qui ont fait tout ça.

      Là où les dirigeants ont joué un rôle fondamental, c’est dans l’impulsion du projet et la continuité des décisions. Si la réussite des JO prouve quelque chose, c’est que la France a les moyens de réussir des grandes opérations pourvu qu’il y ait une véritable volonté politique et qu’on se donne les moyens. Quand on prétend faire des grands projets en imposant des économies de bouts de chandelle, quand le politique souffle le chaud et le froid – un jour je veux, un jour je ne veux pas – sur un projet, on se retrouve avec dix ans de retard, comme à Flamanville.

      • Manchego dit :

        @ Descartes et marc.malherbes
        ***Quand on prétend faire des grands projets en imposant des économies de bouts de chandelle, quand le politique souffle le chaud et le froid – un jour je veux, un jour je ne veux pas – sur un projet, on se retrouve avec dix ans de retard, comme à Flamanville.***
        Personnellement je suis assez indulgent avec ce retard de Flamanville et la dérive du budget initial. Je ne connais pas le dossier, mais il me semble, d’après ce que j’ai pu lire ici ou là, que le retard est principalement du à des malfaçons et à un manque d’expérience dans la gestion de projets de cette envergure. Manifestement on a perdu des compétences sur plusieurs domaines fondamentaux de cette industrie du nucléaire civil (génie civil, sidérurgie, chaudronnerie, soudure, contrôle-commande…), du fait que nous n’avons plus construit de réacteur depuis les années 80 et que les ingénieurs et techniciens de l’époque sont partis à la retraite sans transmettre le flambeau.
        Et puis, il y a beaucoup de gens qui ont torpillé le nucléaire civil, du reniement de la gauche plurielle au revirement de Macron, il y a 25 ans de lachetés et d’errements. Sur ces 25 ans , tous les rouages de l’état ont été infiltrés d’anti-nucléaires farouches qui ont fait beaucoup de mal (dans les ministères, à la CRE, au sein de RTE, à la tête de l’Ademe….).
        Dans ces conditions, il ne faut pas trop en vouloir à EDF et à ses sous-traitants de ne pas avoir maintenu les compétences qui ont cruellement fait défaut à Flamanville.
        Mais heureusement, il y a maintenant une prise de conscience au niveau des plus hautes instances de l’état (ou plutôt un principe de réalité qui s’impose) et on va se ressaisir. Au final, Flamanville c’est très positif, il faut le voir comme un prototype, une tête de pont pour les autres EPR que nous devons construire pour renouveler le parc (les suivants ce sera un “copier coller”, on bénéficiera du REX, les délais et les coûts seront réduits…). Bien sur, il faut rattraper le retard dans les ressources humaines et former beaucoup d’ingénieurs et techniciens, mais je pense que c’est possible si on a la volonté.

        • Descartes dit :

          @ Manchego

          [Personnellement je suis assez indulgent avec ce retard de Flamanville et la dérive du budget initial. Je ne connais pas le dossier, mais il me semble, d’après ce que j’ai pu lire ici ou là, que le retard est principalement du à des malfaçons et à un manque d’expérience dans la gestion de projets de cette envergure. Manifestement on a perdu des compétences sur plusieurs domaines fondamentaux de cette industrie du nucléaire civil (génie civil, sidérurgie, chaudronnerie, soudure, contrôle-commande…), du fait que nous n’avons plus construit de réacteur depuis les années 80 et que les ingénieurs et techniciens de l’époque sont partis à la retraite sans transmettre le flambeau.]

          Oui et non. Les facteurs que vous mentionnez sont réels et expliquent en partie les déboires du projet. Mais tout ça aurait pu – et dû – être anticipé. Et on aurait pu mettre les moyens pour compenser ces problèmes : rappeler ou maintenir en poste les ingénieurs et techniciens expérimentés, mettre en place les formations correspondantes. Il y a eu aussi, notamment au départ du projet, une pression pour faire des économies de bouts de chandelle, notamment dans la constitution des équipes de projet. J’ai mille fois entendu dire « pas la peine de recruter 150 ingénieurs, puisque le projet ne fait que démarrer on peut se contenter de 80 ». Or, c’est au début du projet que les choix techniques essentiels sont faits…

          [Et puis, il y a beaucoup de gens qui ont torpillé le nucléaire civil, du reniement de la gauche plurielle au revirement de Macron, il y a 25 ans de lachetés et d’errements. Sur ces 25 ans, tous les rouages de l’état ont été infiltrés d’anti-nucléaires farouches qui ont fait beaucoup de mal (dans les ministères, à la CRE, au sein de RTE, à la tête de l’Ademe….).]

          Sans compter avec la pression des institutions européennes, largement inspirées par les intérêts allemands…

          [Dans ces conditions, il ne faut pas trop en vouloir à EDF et à ses sous-traitants de ne pas avoir maintenu les compétences qui ont cruellement fait défaut à Flamanville.]

          En vouloir, non. Mais tirer les leçons, oui. Je reste persuadé qu’on ne s’est pas donnés les moyens pour réussir. Il y a eu un excès de confiance de la part d’EDF, qui n’a pas réalisé l’ampleur du défi, mais surtout un manque de volonté politique. Et en regardant la réussite qu’ont été les JO, je me dis que si on avait mis ce qu’il fallait…

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        [Il a fallu faire la chasse aux pickpockets et à ceux qui abusent de la confiance des touristes.]
         
        J’entendais hier matin à la radio que *déjà* les pickpockets et autres vendeurs de tours Eiffel “made in China” sont de retour aux abords du site. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [J’entendais hier matin à la radio que *déjà* les pickpockets et autres vendeurs de tours Eiffel “made in China” sont de retour aux abords du site. Qu’est-ce que cela vous inspire ?]

          Qu’aucune fête ne dure pour toujours…

          • Bob dit :

            @ Descartes
            Certes. J’aurais tendance à penser qu’on a caché la poussière sous le tapis pour faire beau pendant 15 jours, et que désormais le désordre peut tranquillement revenir.

  18. Glarrious dit :

    Vous avez dit que les JO sont une occasion pour les fédérations sportives d’attirer de nouveaux membres mais n’a y t-il pas un risque de nomadisme sportif ? Des gens qui s’inscrivent par effet de mode puis abandonne après plusieurs mois.

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [n’a y t-il pas un risque de nomadisme sportif ? Des gens qui s’inscrivent par effet de mode puis abandonne après plusieurs mois.]

      Oui, bien sur. Certains essaieront un sport, n’accrocheront pas, et abandonneront après quelques semaines ou quelques mois. Mais certains continueront, et c’est toujours ça de gagné. Un dispositif n’est pas inefficace simplement parce qu’il n’est pas infaillible…

      • Bob dit :

        @ Descartes et Glarrious
         
        Quasiment sûr en effet, quand on voit des champions on se dit (ou les parents se disent) qu’il suffit de s’inscrire à un club sportif pour en devenir un. Quel mirage.
        J’ai tendance à penser que plutôt que d’investir un “pognon de dingue” pour faire briller le pays durant quinze jours de course à la médaille, on mettait le paquet à l’école pour faire de plus de jeunes des “sportifs du quotidien” – pas forcément les meilleurs du monde -, en terme de santé publique, ça n’en serait que (beaucoup) mieux.
        Une fois l’effet projecteur des JO passé, je reste peu convaincu que la pratique (et ses bénéfices) du sport par la population s’en ressente sur le long terme.
        Retour à la question fondamentale : à quoi servent les JO ?

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Quasiment sûr en effet, quand on voit des champions on se dit (ou les parents se disent) qu’il suffit de s’inscrire à un club sportif pour en devenir un. Quel mirage.]

          Je ne suis pas sûr que les parents en général fassent ce raisonnement. Je pense surtout que ce sont les enfants qui sont demandeurs. Ils voient un Riner, et se disent « j’aimerais pouvoir faire comme lui ». Est-ce grave ? Après tout, combien d’enfants ont commencé à jouer du piano après avoir écouté Horowitz, combien ont voulu faire du théâtre après avoir vu Laurence Olivier, combien se sont lancés dans l’écriture d’un journal après avoir lu celui d’Anne Franck ? Pourquoi en irait-il autrement pour le sport ?

          Après, on réalise que c’est en fait beaucoup plus dur, que la plupart d’entre nous ne dépassera pas un niveau honorable. Certains se découragent, d’autres pas. Mais à mon sens, le bilan reste positif.

          [J’ai tendance à penser que plutôt que d’investir un “pognon de dingue” pour faire briller le pays durant quinze jours de course à la médaille, on mettait le paquet à l’école pour faire de plus de jeunes des “sportifs du quotidien” – pas forcément les meilleurs du monde -, en terme de santé publique, ça n’en serait que (beaucoup) mieux.]

          Le sport de haut niveau ne coûte pas si cher que ça. On parle de dizaines de millions, pas des milliards qu’il faudrait y mettre pour « mettre le paquet à l’école ». Mais si je crois mon expérience d’ancien animateur de club sportif, l’effet des JO n’est pas un simple feu de forêt. Si la moitié des jeunes qui viennent séduits par la lumière olympique ne restent que quelques mois, l’autre moitié continue longtemps à pratiquer. A mon sens, ce n’est pas négligeable. J’ajoute que certaines fédérations sportives ont une véritable politique d’utilisation des « stars » du haut niveau pour attirer les jeunes, en organisant des visites des sportifs de haut niveau dans les clubs et leur participation aux séances d’entraînement.

          [Retour à la question fondamentale : à quoi servent les JO ?]

          A beaucoup de choses. Pour les marchands du temple – boissons énergisantes, équipements sportifs, et depuis quelque temps pour toutes sortes de services et produits, des assurances aux sacs de luxe – c’est l’occasion de faire de la publicité. Pour le mouvement olympique, c’est l’occasion de gagner beaucoup d’argent qui sera ensuite distribué aux fédérations sportives. Pour les fédérations nationales, c’est l’opportunité de gagner de nouveaux adeptes. Pour le pays organisateur, c’est l’occasion de vivre une fête…

  19. Manchego dit :

    @ Bob
    ***Ces gens feront comme on fait avec tous les produits qui ont disparu parce que non rentables, ils feront sans.  ***
    Je respecte votre mode vie, mais je pense que cela ne peut pas être une norme salutaire, ni pour les animaux, ni pour l’humanité.
    Si on devient tous véganes on peut fermer les abattoirs et dans ce cas ce cas il ne sera plus nécessaire de faire de l’élevage. Mais si cet objectif était atteint, les défenseurs de la cause animale se tireraient une balle dans le pied, car alors ce serait l’extinction de toutes les espèces domestiques que nous consommons, car pourquoi élever des vaches ou des porcs si ce n’est pas une activité utile à l’homme? Il y a d’ailleurs plusieurs espèces animales qui ont failli disparaître car jugées “pas assez rentables”.
    Il y a encore beaucoup de régions dans le monde où les gens sont véganes malgré eux (et ils n’ont pas les cachetons de vitamines B12), ce sont des pays où il y a la faim et l’insécurité alimentaire. En France, les banques alimentaires tournent à plein régime. A l’évidence, il faut qu’on se focalise sur autre chose que le véganisme…
     
     
     

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