Parmi les calamités qui saccagent notre paysage médiatique, la pire est probablement le « spectacle de bavardage », calamité qu’on préfère désigner sous le vocable américain « talk show », il paraît que ça fait plus chic. La mécanique de la chose ? On réunit sur un plateau des chroniqueurs qui ont beaucoup de bagout et peu de compétences, qu’on confronte à des invités qui ont quelque chose à vendre, en général, eux-mêmes : chanteurs faisant la promo de leur dernier opus, écrivains cherchant des lecteurs, politiciens cherchant des voix… Le tout sous la houlette d’un animateur qui joue à chauffer l’audience. Ce format avait été inauguré par Michel Polac dans une émission pionnière, « droit de réponse », saluée par l’establishment pour son caractère « disruptif » par rapport à la traditionnelle retenue de la télévision publique française version ORTF. Auparavant, la radio et la télévision étaient « la voix de la France », et donc tenues à un langage châtié et une expression réfléchie et retenue. Tout à coup, chez Polac, on pouvait voir des gens s’insulter sur plateau, s’injurier comme des charretiers et, dans les cas extrêmes, se jeter des objets à la figure. Le débat y perdait, mais le spectacle y gagnait.
Le chemin de l’enfer – surtout chez les socialistes – est pavé de bonnes intentions. La légalisation des « radios libres » en 1981 au prétexte d’ouvrir un espace d’expression aux initiatives de la société civile a ouvert la voie à une concentration du pouvoir audiovisuel dans les mains de quelques grands groupes commerciaux. Les « spectacles de bavardage », au départ censés ouvrir de véritables débats de société et faire entrer l’expression populaire dans les médias ont vite dérapé. C’est que, voyez-vous, les producteurs ont vite réalisé que ce qui faisait l’audience, ce n’est pas le débat, mais le spectacle. Qu’un débat civilisé attire des milliers, mais qu’un bon clash attire des millions. C’est triste, mais c’est comme ça : dans notre société de marché, pour paraphraser Gresham, « le mauvais spectacle chasse le bon », et il est bien plus rentable de flatter les bas instincts du public que de s’adresser à ce qu’il a de meilleur. Et c’est pourquoi de Polac à Hanouna en passant par Ruquier, nous avons assisté à un spectacle d’une vulgarité croissante, conduit par des animateurs qui s’interdisent de moins en moins de choses. Le dérapage n’est plus un accident, c’est un objectif.
Avec Donald Trump, le « spectacle de bavardage » est entré dans les recoins les plus secrets de la politique et de la diplomatie (1). La visite du président Zelenski à Washington la semaine dernière illustre à la perfection cette dérive. Pour le comprendre, il faut savoir comment ces rencontres sont préparées. Ne pensez pas qu’un président passe chez un autre président juste pour tailler une bavette, et qu’à la sortie, devant les journalistes, chacun dit ce qui lui passe par la tête. Non, ces rencontres sont normalement préparées à l’avance par des ambassadeurs, des ministres et autres « sherpas » qui se rencontrent pour négocier non seulement l’ordre du jour des discussions confidentielles, mais aussi ce qui sera dit – ou pas – dans la déclaration finale ou dans la conférence de presse. La règle est que derrière des portes closes, on peut se dire beaucoup de choses très franchement, mais en public on se tient au script. Et si l’on n’arrive pas se mettre d’accord, eh bien, la rencontre n’a pas lieu. A ce niveau, personne de sensé ne prend le risque d’improviser en public. Et s’il arrive qu’un chef d’Etat ou un premier ministre s’écartent du script préparé par leurs négociateurs, c’est toujours avec une grande prudence et beaucoup de calcul.
Mais ça, c’était avant. Avec Donald Trump, on est rentré dans une nouvelle forme de délibération qui rappelle « Touche pas à mon poste ». On n’est plus dans un monde où les conflits d’intérêts et le sort des nations se règlent dans des discussions confidentielles qui, précisément parce qu’elles sont confidentielles, permettent de tout se dire sans que personne ne perde la face, de trouver des compromis et d’avoir le temps de les expliquer à son opinion publique. Dans le monde nouveau, tout est public et immédiat, et on peut voir en direct les grands de ce monde s’écharper comme des chiffonniers devant les caméras, exhiber leurs égos outragés et échanger des injures. On se croirait sur le plateau de C8, dérapages compris. Et la logique est la même que celle d’un Cyril Hanouna : l’essentiel n’est pas de proposer des solutions raisonnables aux problèmes, mais de plaire à son public, de le caresser dans le sens du poil, quitte à s’adresser à ses plus bas instincts.
On comprend bien, lorsqu’on regarde l’enregistrement de la rencontre, qu’il y a une différence de perceptions – et un conflit d’intérêts – entre le gouvernement ukrainien et le gouvernement américain. Côté ukrainien, on a bien compris que le mieux qu’on peut obtenir sera très loin des objectifs qu’on s’était fixés au début de la guerre. La question fondamentale est d’arriver à un accord qui ait des chances de tenir dans le temps, ce qui suppose des garanties que seuls les Américains peuvent donner. Côté américain, la priorité est d’arrêter les combats et de réintégrer la Russie dans la sphère occidentale, de manière à ne pas la pousser trop fort dans les bras de la Chine. Il y a aussi une question de discours : pour Zelenski, il est essentiel de conserver la confiance de son peuple dans l’utilité de la poursuite des combats, alors que pour Trump c’est de montrer au peuple américain que l’argent déversé en Ukraine ne l’a pas été en pure perte.
Des hommes venus de la diplomatie ou de la haute administration auraient probablement accordé plus d’importance aux discussions dans les salons feutrés des chancelleries, et auraient perçu la conférence de presse comme une occasion formelle pour chaque interlocuteur de faire l’éloge de l’autre – avec éventuellement en filigrane une expression nuancée des désaccords. Mais tant Trump que Zelenski sont des hommes de télévision, et c’est donc devant les caméras que l’essentiel se passe. Et il est très difficile de conduire un débat diplomatique en public, sous la pression de l’opinion. Zelenski a commis une grave erreur en insistant lourdement sur la question des garanties devant la presse, alors qu’il est clair que ses interlocuteurs ne voulaient pas en parler. En homme de télévision, il a voulu plaider sa cause non pas sur le tapis vert, mais devant la presse et au risque de faire perdre la face au président américain assis en face de lui.
Bien sûr, on peut comprendre le dilemme du président ukrainien, partager son agacement de se voir interrogé sur ses vêtements alors que son pays est en guerre. Mais la politique – et c’est encore plus vrai pour la politique internationale – est une affaire tragique. L’Ukraine a certainement les principes pour elle, mais ce ne sont pas les principes qui gagnent des guerres. En fait, la situation dramatique dans laquelle nous sommes provient d’une erreur de calcul des Ukrainiens, largement encouragés dans cette voie par les Européens. Tout ce beau monde s’est imaginé que Poutine était un tigre de papier, que les avertissements – nombreux – quant à la « ligne rouge » que représentait l’intégration de l’Ukraine dans le système UE/OTAN n’étaient que des rodomontades. Après tout la Russie avait accepté pour les pays baltes, pour les anciens pays du Pacte de Varsovie. Pourquoi pas l’Ukraine ?
Ce fut là une énorme erreur de calcul. Pour des raisons géopolitiques autant qu’historiques, les rapports de la Russie avec l’Ukraine ne sont pas de même nature que ceux avec les pays baltes ou la Pologne. Empêcher l’Ukraine de rejoindre le système UE\OTAN justifie de toute évidence aux yeux de Moscou une guerre, même au prix de sanctions économiques massives. Zelenski et les siens auraient dû le savoir. Bien sûr, on peut brandir les grands principes, et soutenir – prudemment calé dans le canapé du salon – que l’Ukraine a le droit d’intégrer l’UE et l’OTAN si son peuple ainsi le décide. De la même manière que le peuple Cubain avait parfaitement le droit d’héberger des missiles nucléaires sur son sol en 1962. Mais le droit est une chose, et la réalité des rapports de force en est une autre. User du droit inaliénable du peuple souverain à décider de son destin aurait conduit le monde à la guerre nucléaire en 1962, et plongé les Ukrainiens dans la guerre en 2022. Rétrospectivement, on se dit que la solution de « neutralisation » de l’Ukraine était finalement le moins mauvais compromis pour tout le monde.
Si les Ukrainiens se sont trompés quant à la position de la Russie, leur erreur dans l’évaluation de la politique de l’autre camp n’est pas moins désastreuse. Malgré les déclarations enflammées et les actes symboliques, Américains et Européens étaient certes prêts à aider les Ukrainiens jusqu’à un certain point, mais certainement pas à faire des sacrifices ou prendre des risques pour eux. On peut même se demander si les Allemands se seraient embarqués dans cette galère s’ils avaient su les dommages que l’embargo gazier allait faire à leur économie. En tout cas, les Ukrainiens n’y croyaient pas, puisqu’ils ont estimé plus sûr de saboter les gazoducs qui transportaient sous la Baltique le gaz russe vers l’Allemagne, au cas où l’embargo ne tiendrait pas. Reste l’aide militaire, et là encore, les limites ont été vite atteintes. Hors de question de transférer des matériels trop « offensifs ». Zelenski, homme de télévision jusqu’au bout des doigts, a été obligé d’user et d’abuser du chantage médiatique pour obtenir qu’Européens et Américains acceptent de lui donner des armements modernes. Et c’était prévisible : déjà en 1939 il n’était pas question de « mourir pour Dantzig ». Alors, qui pouvait croire que les Européens allaient envoyer leurs enfants mourir pour Kharkiv ?
Aujourd’hui, c’est l’heure des comptes. Les Américains considèrent leurs objectifs atteints. La Russie est affaiblie, suffisamment pour limiter ses ambitions, mais pas assez pour entraîner une instabilité du pouvoir russe qui serait mauvaise pour les affaires. La prolongation de la guerre risquerait de jeter la Russie dans les bras de la Chine, ce dont les Américains ne veulent pas entendre parler. La guerre a aussi affaibli les états européens et les a rendus encore plus dépendants des exportations américaines, notamment pour les hydrocarbures. Les Américains n’ont donc plus rien à gagner à rester à la table de jeu. Ils vont donc reprendre leurs jetons, et si les Européens ne sont pas contents, tant pis pour eux. On l’a déjà vu en Afghanistan.
Ce désengagement met l’establishment européen en émoi. Les mines sont graves, les discours sont compassés, il y a une atmosphère de fin du monde. Mais attention à ne pas nous laisser berner par cette communication, par ce discours hystérique dont le but est de faire angoisser dans les chaumières. Ainsi, on ne peut que sourire devant le titre choisi par « Le Monde » pour son éditorial : « L’Ukraine et l’Europe seules face à la Russie ». Admettons. Dans le coin gauche, on a un ensemble de 150 millions d’habitants, avec un PIB (PPA) de quelque 5400 Md$. Dans le coin droit, un ensemble de 560 millions d’habitants, dont le PIB dépasse les 22.000 Md$. En 2024, les dépenses militaires de l’UE étaient de 326 Md€, alors que celles de la Russie ne dépassaient les 100 Md€. A votre avis, qui devrait avoir peur de qui ?
Les dirigeants européens savent cela aussi bien que moi. Mais alors, pourquoi tous ces hauts cris, comme si l’absence du gendarme américain mettait l’Union européenne à la merci du grand méchant loup ? Pourquoi, alors que dans les premiers mois de cette guerre on nous expliquait que l’armée russe était mal organisée, mal formée, que son commandement était inefficace et corrompu, que ses soldats ne se battaient qu’à contrecœur, qu’elle était incapable de prendre Kiev, on nous explique maintenant qu’on est devant un formidable adversaire qui pourrait demain défiler sur les Champs Elysées si on n’y prend garde ? En fait, le discours des eurolâtres change selon l’opportunité. Une partie des élites européennes ont bien compris qu’elles pouvaient profiter de l’occasion offerte par le retrait américain pour faire avancer leurs objectifs. Il faut faire peur, parce que la peur est le meilleur moyen de pousser les peuples réticents à céder encore et toujours plus de compétences au système UE/OTAN. En profitant de cette crise, on essaye de faire rentrer par la fenêtre la « communauté européenne de défense » dont les eurolâtres rêvent depuis le milieu du siècle dernier, et qui fut expulsée par la porte par le vote rassemblé communistes et gaullistes (2). La Russie est en grande partie un tigre de papier, mais un tigre de papier peut être fort utile à l’establishment européen qui sait très bien utiliser chaque crise pour faire avancer l’idée qu’il faut « plus d’Europe ». On ressort même des cartons l’idée absurde de « partager la dissuasion nucléaire au niveau européen », vieux serpent de mer dont tous ceux qui ont regardé, même superficiellement la question, savent qu’il est grotesque. Car partager la dissuasion nucléaire implique de trouver une personne qui aura le doigt sur le bouton et qui serait crédible pour y appuyer si « les intérêts vitaux de l’Europe étaient menacés ». Quel homme, quelle femme a aujourd’hui une telle légitimité ? Songeriez-vous à confier le bouton nucléaire à Ursula Von der Leyen ? Mais la solution est peut-être une procédure de co-décision entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission avec vote qualifié des deux tiers des pays regroupant au moins quatre cinquièmes de la population européenne ?
La faiblesse de l’Union européenne face à la Russie ne vient pas de son budget, de sa démographie, de la faiblesse de ses dépenses militaires. Elle résulte d’une simple réalité : l’Europe n’est pas une nation. Et c’est pourquoi les citoyens européens ne peuvent pas compter sur la solidarité inconditionnelle des autres européens. C’est là le grand problème des garanties. Les Marseillais savent que si une armée ennemie débarquait en Provence, les armées françaises interviendraient immédiatement. Peut-être même que notre président engagerait le sort de tous les Français en poussant le bouton nucléaire. Cette solidarité est une évidence, une question qui ne se discute même pas, et c’est pourquoi les Marseillais se sentent rassurés même sans « garanties ». Mais si demain une armée ennemie débarquait à Varna ou à Constanta – si vous ne savez pas où c’est, regardez sur une carte – enverrions-nous nos enfants mourir pour les défendre ? La question n’a rien d’évident.
C’est pourquoi le « parapluie nucléaire américain » a toujours été incertain. Les Américains auraient-ils pris le risque d’une escalade nucléaire et de la « destruction mutuelle assurée » pour défendre Copenhague ? Nous ne le savons pas, et avec un peu de chance nous ne le saurons jamais. C’est l’essence de la dissuasion nucléaire de reposer sur des questions dont personne ne connaît – et dont personne ne veut connaître – la réponse. Pour ce qui concerne les armées conventionnelles, nous savions pouvoir compter sur le soutien américain… aussi longtemps que c’était dans leur intérêt. Il ne faudrait tout de même pas oublier que si les Américains sont venus en Europe défendre la liberté et la démocratie, ils ne sont pas venus en 1939, mais ont attendu 1944 pour le faire. Et que lorsque Trump parle de récupérer son investissement dans la défense de l’Ukraine, il n’invente rien : le soutien américain pendant la seconde guerre mondiale n’était pas fait de dons, mais de prêts qu’il a fallu rembourser plus tard. On oublie par ailleurs un peu vite que lorsque l’intérêt américain commandait de saboter les efforts de leurs « alliés », les Américains n’ont jamais hésité. C’est pourquoi il faut traiter avec un certain détachement tous ces gens qui parlent d’un « nouveau monde ». En fait, les Américains sont égaux à eux-mêmes : ils défendent leurs intérêts, et les « valeurs » comme la démocratie et la liberté ne sont qu’un prétexte qu’on sacrifie sans hésiter en fonction de ses intérêts – et ce n’est pas Pinochet qui me contredira.
Mais voilà, les priorités des Etats-Unis ont changé. L’URSS était un adversaire stratégique qui menaçait la prédominance du capitalisme américain et attirait vers elle des mouvements et des pays qui rêvaient d’un autre monde. La Russie poutinienne ne prétend plus à ce rôle d’alternative, pas plus qu’elle ne dispute la primauté américaine. Ce rôle est aujourd’hui repris, nolens volens, par la Chine. Et c’est pourquoi l’alliance avec les états européens, essentielle au temps où il s’agissait du « containment » de l’URSS, n’a plus le même intérêt. Finalement, en quoi les intérêts américains sont mieux servis avec les pays baltes dans le giron de Bruxelles plutôt que celui de Moscou ?
Dans ce changement d’alliances somme toute prévisible, les élites européennes – et les élites de l’Ukraine qu’elles ont entraînées dans leur sillage – ont fait preuve de leur dogmatisme, qui les conduit à penser le monde d’une manière statique, à travers de principes et non de réalités. Les Etats-Unis, affirment-elles, sont dans le camp du Bien, et comme nous aussi on est dans le camp du Bien il va de soi qu’ils seront de notre côté. Cela fait pourtant des décennies que les Etats-Unis marquent leur changement de priorités stratégiques et leur mépris pour des alliés qui coûtent cher et qui ne sont plus utiles. Des discours récurrents à l’OTAN sur le « partage du fardeau » au fait accompli devant lequel les Européens ont été placés lorsqu’il s’est agi d’évacuer les forces en Afghanistan, les signes n’ont pas manqué. Et à chaque fois, plutôt que de regarder la réalité en face, nos dirigeants ont joué les autruches. Tout plutôt que de remettre en cause le dogme, tout plutôt que d’avoir à penser par soi-même une situation nouvelle.
Et sur l’Ukraine, c’est pareil. Cela fait plus d’une décennie que ça chauffe en Ukraine, et les élites européennes se contentent d’un discours tout fait qui consiste à diaboliser le pouvoir russe, et qui du coup rend inacceptable moralement toute solution qui n’aboutirait pas à une capitulation totale de la Russie. Car soyons sérieux : quelles sont les conditions que les élites européennes exigent pour que les armes se taisent ? Il va de soi que l’intégrité territoriale de l’Ukraine n’est pas négociable, Crimée comprise, et que toute paix qui n’aboutirait pas à cela est détestable. Bien entendu, il faudra que la Russie paye la reconstruction de l’Ukraine. Quant à Poutine, hors de question qu’il puisse rester au pouvoir, il doit être jugé par la cour pénale internationale et jeté dans un cul de basse fosse.
Le problème est que ce scénario, le seul que les élites européennes arrivent à articuler, n’a aucune chance de se réaliser dans un avenir prévisible et même concevable. Ni l’Ukraine, ni l’Union européenne n’ont les moyens ou la volonté nécessaire pour cela. Et aussi longtemps que ce scénario est là, on s’interdit en fait à en concevoir un autre puisqu’il s’agit d’une question de principe. La seule perspective que l’Europe dessine est donc celle d’un « soutien indéfectible » à l’Ukraine dans un conflit qui dure éternellement. Les Américains, beaucoup plus pragmatiques, sont en train de dessiner un autre. Un scénario qui sacrifie certes les principes, mais qui tient compte des réalités du rapport de forces. Ils ont bien compris que pour Moscou l’alignement de l’Ukraine avec le système UE/OTAN est vécu, à tort ou à raison, comme une question vitale, sur laquelle aucune concession n’est possible. La paix passe donc par la reconnaissance de ce fait à travers un arrangement qui puisse apaiser les craintes de l’autre partie. Le parallèle avec la situation de Cuba lors de la crise des missiles de 1962 reste pour moi le plus pertinent.
En 1962, l’installation des missiles nucléaires soviétiques à Cuba avait été considérée par les Etats-Unis comme une menace vitale, au point d’aller jusqu’au conflit nucléaire. La paix est passée par des accords où l’URSS renonçait à placer des missiles de Cuba, et les Etats-Unis s’engageaient – secrètement – à respecter le territoire cubain, accords que les deux parties respectèrent scrupuleusement sans que des « garanties » soient accordées. En 2024, on a la même situation à fronts renversés. La paix passe donc par des accords prévoyant la « finlandisation » de l’Ukraine et par des concessions territoriales qui restent à négocier, avec pour seule « garantie » la parole des deux puissances. On notera d’ailleurs qu’en 1962 le gouvernement castriste poussait à la poursuite de la confrontation avec les Américains, un peu comme Zelenski aujourd’hui pousse le camp occidental à continuer la confrontation avec la Russie. Et à l’époque, le gouvernement soviétique avait expliqué les gravures à son turbulent allié. Peut-être ce qu’est en train de faire Trump d’une manière bien moins diplomatique.
Dans ce monde pas simple, le pire danger qui nous menace est le dogmatisme des élites, qui a comme corollaire leur incapacité à penser et à alimenter le débat public en dehors des lignes établies, des dogmes mille fois répétés, de cette « pensée unique » qui n’a de pensée que le nom. Ces élites font penser aux élites militaires de la fin des années 1930, incapables de penser la guerre autrement qu’avec les schémas idéalisés de la guerre précédente, et qui tenait pour évident qu’une percée à Sedan ou un mouvement d’encerclement en Belgique était impossible. On sait ce qu’il advint : incapables d’une pensée originale pour faire face à une situation nouvelle, ils ont été balayés.
Descartes
(1) Mais il serait injuste d’en faire un précurseur : d’autres avant lui n’ont pas hésité à exposer publiquement – souvent au prétexte de la « transparence » – qui les délibérations d’un conseil des ministres, qui la signature d’un décret, qui une négociation diplomatique. De ce point de vue, Emmanuel Macron peut être considéré comme un pionnier : pour ne donner qu’un exemple, on se souviendra de la signature publique le 22 septembre 2017, dans une mise en scène très étudiée, des ordonnances modifiant le code du travail. Quand Trump organise la signature publique de ses décrets, il n’est qu’un vulgaire imitateur du « french president ».
(2) On notera d’ailleurs que lorsque le projet fut rejeté par la chambre des députés, on ne songea pas à faire revoter ou à contourner le vote. A l’époque, on ne revenait pas sur une décision démocratique une fois qu’elle était prise. Ça a bien changé depuis…
Vous avez l’air de bien comprendre comment fonctionnent les sommets des Etats. C’est pourquoi je serais curieux de connaitre votre avis sur deux questions concernant cette guerre en Ukraine.
Première question : Si je vous dis que Poutine a d’abord cherché à résoudre son conflit avec l’Ukraine de manière pacifique, ce qui a abouti aux accords de Minsk. Puis que l’Ukraine n’a pas respecté les accords de Minsk, et que cela a mis Poutine dans un cas de conscience difficile : ou bien il accepte que la Russie et ses intérêts soient bafoués, ou bien il déclare la guerre. Ou si je vous dis que les populations russophones de l’est de l’Ukraine ont un droit à disposer d’elles-mêmes, et que le droit légitime de l’Ukraine à la souveraineté n’est pas un droit de piétiner le droit de ces populations a disposer d’elles-mêmes. L’Ukraine n’aurait pas respecté le droit de ces populations à rejoindre la Russie si tel est leur souhait, et Poutine serait alors en droit de défendre ces populations. Bref, que pensez-vous de ces raisons de croire que Poutine n’est pas le principal responsable de la guerre, ou en tous cas pas le seul ?
Deuxième question : au début de la guerre, on pouvait se demander ce que l’Ukraine obtiendrait en capitulant rapidement, et ce qu’elle pourrait obtenir si l’Europe et les USA lui apportaient tel niveau d’aide. On pouvait deviner que si on n’aidait pas l’Ukraine plus qu’un certain niveau, une guerre longue et destructrice ne lui apporterait rien de plus qu’en capitulant tout de suite. On savait que l’aide qu’on lui apporterait n’atteindrait pas ce niveau critique. On savait donc que l’aide qu’on lui apporterait ne servirait qu’a allonger la guerre pour affaiblir la Russie, mais sans que cela n’apporte rien a l’Ukraine, a part de nombreuses victimes humaines, des destructions matérielles et des difficultés financières. L’aide qu’on lui a apporté, c’est donc seulement de l’utiliser comme bouclier humain pour affaiblir la Russie. Non seulement c’est un calcul immoral, mais en plus c’est un calcul idiot, car notre meilleure défense contre la Russie, c’est d’envoyer balader les traités européens, redonner la prospérité a notre pays et le réindustrialiser, avoir sur cette base une grosse force militaire, et non pas utiliser des civils innocents comme boucliers humains. Est-ce vrai de dire cela ?
@ samuel
[(…) Bref, que pensez-vous de ces raisons de croire que Poutine n’est pas le principal responsable de la guerre, ou en tous cas pas le seul ?]
Je pense que la question est FONDAMENTALEMENT mal posée. Je sais qu’il est toujours attractif, du point de vue moral, de prendre parti en fonction des « responsabilités » des uns et des autres. Mais c’est à mon avis c’est une erreur d’aborder le problème en cherchant à hiérarchiser les « responsabilités ».
« Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons » fait dire à l’un de ses personnages Jean Renoir, dans « la règle du jeu » (film magnifique que je conseille à tous ceux qui ne l’auraient pas vu). Et cette phrase résume très bien ce qu’il y a de tragique dans les rapports internationaux. Le gouvernement ukrainien a ses raisons de vouloir intégrer le système EU/OTAN, intégration censée leur apporter sécurité et prospérité. Ces raisons sont sérieuses, et ne peuvent être balayées d’un revers de manche. Le gouvernement russe a ses raisons de s’y opposer, considérant que cette intégration achèverait l’encerclement de la Russie par l’OTAN et créerait une menace stratégique sur le cœur de la Russie. Là encore, on ne peut nier à ces raisons leur légitimité.
Le problème est que ces deux raisons s’opposent. Et cette opposition est tragique justement parce qu’il n’y a pas le « mal » d’un côté, le « bien » d’un autre. Antigone a raison, mais Créon n’a pas tort. La seule question qui vaille est de savoir s’il y avait un compromis possible entre ces deux « raisons » qui évite une confrontation sanglante. Quelles auraient été les concessions réciproques qui auraient créé une situation acceptable des deux côtés ? Je continue à penser que la « finlandisation » de l’Ukraine aurait été acceptable pour la Russie tout en préservant la volonté du gouvernement ukrainien de resserrer les liens avec l’UE, et que les Ukrainiens ont commis une grave erreur en ne cherchant pas le compromis. Mais cela ne les rend pas pour autant « responsables »…
[Deuxième question : au début de la guerre, on pouvait se demander ce que l’Ukraine obtiendrait en capitulant rapidement, et ce qu’elle pourrait obtenir si l’Europe et les USA lui apportaient tel niveau d’aide. On pouvait deviner que si on n’aidait pas l’Ukraine plus qu’un certain niveau, une guerre longue et destructrice ne lui apporterait rien de plus qu’en capitulant tout de suite.]
Ce n’est pas aussi simple. Une « capitulation » aurait probablement entraîné soit une intégration de l’Ukraine à la Russie, soit une vassalisation complète du pays. Dans les deux cas, l’Ukraine en tant qu’état souverain aurait disparu. La question est à mon sens moins le choix d’une « capitulation » que le choix d’une négociation. Six mois après le début du conflit, alors que l’offensive éclair de la Russie avait échoué et que les Russes peinaient à s’adapter aux sanctions, l’Ukraine était en bien meilleure position pour négocier une sortie de conflit que maintenant. C’est peut-être à ce moment-là que le sot de l’Ukraine s’est joué. Les Ukrainiens – poussés par les occidentaux – ont été grisés par cette première « victoire » et conduits à sous-estimer la puissance de la Russie. A l’époque, souvenez-vous, on rêvait dans nos gazettes d’une contre-offensive qui conduirait les troupes ukrainiennes jusqu’en Crimée. Et du coup, pourquoi négocier ? Pourquoi céder pour avoir la paix, alors qu’on pouvait tout avoir par la guerre ?
[L’aide qu’on lui a apporté, c’est donc seulement de l’utiliser comme bouclier humain pour affaiblir la Russie.]
Oui. Même si cela n’a pas été formulé ainsi – comme je le dis souvent, les vrais cyniques sont rares – on pouvait voir dès le départ que l’OTAN était prête à se battre jusqu’au dernier ukrainien.
[Non seulement c’est un calcul immoral, mais en plus c’est un calcul idiot, car notre meilleure défense contre la Russie, c’est d’envoyer balader les traités européens, redonner la prospérité a notre pays et le réindustrialiser, avoir sur cette base une grosse force militaire, et non pas utiliser des civils innocents comme boucliers humains. Est-ce vrai de dire cela ?]
Tout à fait vrai. Je partage de ce point de vue l’analyse de Natasha Polony. La puissance est intimement liée à la capacité de produire, et donc à l’industrie. On le voit bien avec la Russie, qui est un nain économique en termes de PIB, mais qui arrive à tenir son rang de grande puissance grâce à son appareil industriel. Et si notre appareil industriel est en déshérence, c’est en grande partie parce que les traités européens privilégient largement le consommateur et pénalisent le producteur.
@ Descartes
Merci pour cette éclairante réponse. Vous avez raison, sur la guerre en Ukraine, il n’y a pas le bien d’un côté et le mal de l’autre… En tous cas, ce que les Russes sont en train de réaliser militairement peut sembler conforme aux intérêts “fondamentaux naturels” de la Russie. Récupérer les territoires russophones de l’Est, et faire de l’Ukraine un pays plus homogène culturellement (dont toutes les régions parlent principalement l’ukrainien), mais aussi plus petit, enserré par la Russie, et sous la tutelle russe comme la Biélorussie.
Merci encore une fois pour cette analyse et en particulier la comparaison avec la crise cubaine, qui apporte un éclairage intéressant.
Vous comparez aussi la situation, au regard de l’effondrement intellectuel de nos élites, avec les années 30. C’est une comparaison que je fais moi-même très souvent, l’analogie entre les époques est malheureusement très forte sur beaucoup de points. Ce qui m’interroge et m’inquiète, c’est que vous semblez arriver à la même conclusion que moi : à la fin, nous allons être balayés, d’une manière ou d’une autre. J’ai beaucoup de mal à percevoir comment l’UE va s’en sortir sans passer par un effondrement catastrophique à relativement court terme. L’alternative peu ragoûtante semble être une lente mais inéluctable tiers-mondisation, une agonie interminable et humiliante, la sortie de l’Histoire par la petite porte…
On pourrait rêver au réveil de la France. Après tout, on a bien eu des Geneviève et des Jeanne, des Bouvines et des Valmy, des Colbert et des Richelieu. On a même eu le soleil d’Austerlitz… Mais pour l’instant, je ne vois qu’un improbable couple Jordan/Marine et l’épouvantable et sale grisaille bruxelloise (que je connais trop bien) à l’horizon… C’est tellement grotesque que ça me fait sourire…
@ Frank
Ce qui m’interroge et m’inquiète, c’est que vous semblez arriver à la même conclusion que moi : à la fin, nous allons être balayés, d’une manière ou d’une autre. J’ai beaucoup de mal à percevoir comment l’UE va s’en sortir sans passer par un effondrement catastrophique à relativement court terme. L’alternative peu ragoûtante semble être une lente mais inéluctable tiers-mondisation, une agonie interminable et humiliante, la sortie de l’Histoire par la petite porte…]
Oui. Les sommets qui se succèdent ces temps-ci montrent que chaque fois qu’on a le choix entre le dogme et la réalité, c’est le dogme qui l’emporte. C’est flagrant pour ce qui concerne le rapport Draghi : d’un texte qui montre sans ambiguïté comment la construction européenne fondée sur la logique néolibérale a échoué, on tire la conclusion… qu’il faut continuer dans la même voie. Trois ans après le début de la guerre en Ukraine, les européens n’ont aucun plan de paix qui ne se réduise à une victoire totale de l’Ukraine. Il faut qu’un Trump leur sonne les cloches pour qu’on commence à parler timidement d’un cessez-le-feu. Or, dans le monde dans lequel nous vivons, les illusions sont très dangereuses…
[On pourrait rêver au réveil de la France. Après tout, on a bien eu des Geneviève et des Jeanne, des Bouvines et des Valmy, des Colbert et des Richelieu. On a même eu le soleil d’Austerlitz…]
Non seulement il faut le rêver, mais il faut y travailler.
[Mais pour l’instant, je ne vois qu’un improbable couple Jordan/Marine]
Je dois dire que je ne crois pas vraiment à « Jordan ». Au-delà de ce qu’on peut penser de ses idées, Marine Le Pen est une personnalité intéressante. Elle a des convictions, de l’intelligence, de la culture, beaucoup de courage – elle l’a montré à plusieurs occasions. Elle est une bosseuse, et dans un milieu politique ou les dilettantes et les fainéants sont légion, ce n’est pas un mince mérite. Elle a, à mon sens, la « classe » d’un président de la République. Jordan Bardella, par contre… oui, il est intelligent et articulé – probablement meilleur débatteur que MLP. Mais je vois chez lui plus de carriérisme que de convictions, et pas beaucoup de courage…
[Elle a des convictions, de l’intelligence, de la culture, beaucoup de courage – elle l’a montré à plusieurs occasions. Elle est une bosseuse, et dans un milieu politique ou les dilettantes et les fainéants sont légion, ce n’est pas un mince mérite. Elle a, à mon sens, la « classe » d’un président de la République.]
J’avoue être surpris par ce que vous m’apprenez. D’accord pour le courage de la dame, on peut lui créditer cela sans aucun doute. Mais pour les convictions (il me semble qu’elle a pas mal changé de discours sur des sujets essentiels comme l’UE)… Pour l’intelligence et sa capacité de travail… Je la voyais personnellement comme une personne dotée d’une intelligence moyenne et ne travaillant que très peu. Ses débats catastrophiques, son manque patent de maîtrise de la plupart des sujets, l’absence de texte de référence ou d’idée originale venant d’elle, malgré une très très longue carrière politique, semblent le démontrer. Quelques personnes qui la connaissent un peu m’ont confirmé cela. Peut-être suis-je dans l’erreur totale à son sujet ? Çe me ferait plaisir de me tromper. Pouvez-vous dire sur quoi se fonde votre jugement très positif ?
Quant à Jordan, le connaissez-vous bien pour pouvoir également porter le jugement de “carriériste sans conviction”? Personnellement, je n’ai aucun moyen de porter un vrai jugement de fond sur cet OVNI.
@ Frank
[J’avoue être surpris par ce que vous m’apprenez. D’accord pour le courage de la dame, on peut lui créditer cela sans aucun doute. Mais pour les convictions (il me semble qu’elle a pas mal changé de discours sur des sujets essentiels comme l’UE)…]
Pas tant que ça, en fait. Je vous accorde qu’elle ne parle plus de sortir de l’Euro, probablement parce qu’elle a compris que c’est un sujet qui angoisse nos concitoyens. Mais je ne l’ai pas vue défendre l’Euro non plus. Garder le silence, ce n’est pas changer d’avis.
[Pour l’intelligence et sa capacité de travail… Je la voyais personnellement comme une personne dotée d’une intelligence moyenne et ne travaillant que très peu. Ses débats catastrophiques, son manque patent de maîtrise de la plupart des sujets, l’absence de texte de référence ou d’idée originale venant d’elle, malgré une très très longue carrière politique, semblent le démontrer.]
Elle n’est pas une grande débatteuse, c’est une évidence. Je ne pense pas qu’elle manque de maîtrise des sujets, mais il lui manque la vitesse de réaction, la capacité de répondre du tac au tac, de construire un raisonnement sur le tas, de mobiliser les références, bref, tout ce qu’on apprend à l’ENA. Pour le dire autrement, elle n’est pas brillante comme pouvaient l’être Giscard ou Fabius – ou même Macron. Mais cela ne veut pas dire qu’elle ne soit pas intelligente. C’est une besogneuse, mais elle a une capacité à analyser une situation qui me semble remarquable, et elle l’a montré plusieurs fois, par exemple, dans la manière dont elle a trouvé une solution au problème que représentait son père, ou dans la manière dont elle a impulsé avec une grande constance le virage vers le « social-souverainisme ».
[Quelques personnes qui la connaissent un peu m’ont confirmé cela. Peut-être suis-je dans l’erreur totale à son sujet ? Çe me ferait plaisir de me tromper. Pouvez-vous dire sur quoi se fonde votre jugement très positif ?]
Dans l’observation de son parcours, et dans le témoignage de gens qui la connaissent. On ne doit pas connaître les mêmes personnes.
[Quant à Jordan, le connaissez-vous bien pour pouvoir également porter le jugement de “carriériste sans conviction”? Personnellement, je n’ai aucun moyen de porter un vrai jugement de fond sur cet OVNI.]
Non, en fait j’ai très peu d’information sur le personnage, autre que celle qu’on peut avoir à travers les médias. Mais son choix très précoce de faire de la politique une carrière me paraît assez significatif à cet égard. J’ai toujours en tête ce que m’avait dit mon père, à l’époque où, très jeune, je caressais l’idée de devenir permanent politique : « il faut avoir une profession, parce qu’il est difficile d’avoir des convictions quand on dépend de la politique pour faire bouillir la marmite ». C’est un très bon conseil, je trouve. Se faire élire est l’objectif de tout politicien, mais cela devient un impératif quand on ne sait rien faire d’autre.
Je prends acte de votre opinion sur Marine. J’essaierai de la regarder différemment.
[J’ai toujours en tête ce que m’avait dit mon père, à l’époque où, très jeune, je caressais l’idée de devenir permanent politique : « il faut avoir une profession, parce qu’il est difficile d’avoir des convictions quand on dépend de la politique pour faire bouillir la marmite ». C’est un très bon conseil, je trouve.]
Je suis on ne peut plus d’accord avec ce conseil, mais malheureusement c’est l’ensemble de notre classe politique qui ne sait rien faire d’autre et n’a jamais rien fait d’autre que de la (mauvaise) politique. Il me semble sévère de reprocher à Jordan d’avoir suivi cette voie. On pourrait même penser qu’en sautant la case ENA, il a fait preuve d’audace et se démarque positivement des autres carriéristes.
@ Frank
[Je prends acte de votre opinion sur Marine. J’essaierai de la regarder différemment.]
« Marine » ? Je ne me permettrais pas de l’appeler par son prénom. Quelque puisse être l’opinion que j’ai d’elle, on n’a pas gardé les cochons ensemble…
Je sais que mon commentaire va me valoir chez certains l’accusation d’avoir des sympathies pour le RN. Ce n’est pas le cas. Mais je n’aime pas céder au manichéisme ambiant qui interdit de reconnaître des qualités intellectuelles ou humaines à toute personne qui n’est pas « des notres » (pour parler comme Mélenchon). C’est là une attitude qui conduit soit à déshumaniser l’autre – et prépare donc les pires excès et crimes – soit à le sous-estimer, ce qui est éminemment dangereux en politique.
[Je suis on ne peut plus d’accord avec ce conseil, mais malheureusement c’est l’ensemble de notre classe politique qui ne sait rien faire d’autre et n’a jamais rien fait d’autre que de la (mauvaise) politique.]
C’est de plus en plus le cas, oui. Mais il reste quand même quelques politiques qui ont fait des études et une carrière professionnelle en dehors de la politique. Et ce sont eux qui ont souvent le plus de stature. Pensez par exemple à Elisabeth Borne, polytechnicienne, ingénieur du corps des Ponts et Chaussées, qui commença par des fonctions techniques, fut préfète et directrice générale de la RATP. C’est tout de même autre chose que Gabriel Attal ou Jordan Bardella…
[Il me semble sévère de reprocher à Jordan d’avoir suivi cette voie. On pourrait même penser qu’en sautant la case ENA, il a fait preuve d’audace et se démarque positivement des autres carriéristes.]
« Marine », « Jordan », dites donc, vous êtes comme de la famille…
On peut dire que Bardella « a sauté la case ENA ». On peut aussi dire – et je pense que c’est plus vraisemblable – qu’il n’avait ni les connaissances, ni la capacité de travail pour passer le concours. Parce que « ne pas sauter la case ENA » n’est pas donné a tout le monde. Par ailleurs, je ne vois pas en quoi faire l’ENA vous « marquerait avec les autres carriéristes ». Sur la centaine de hauts fonctionnaires recrutés chaque année par la voie de l’ENA, seule une petite proportion fait de la politique à la sortie. La plupart font une carrière de haut fonctionnaire, occupent des postes qui nécessitent une véritable compétence et beaucoup de boulot, et s’ils font de la politique c’est beaucoup plus tard. Faut-il les considérer comme des « carriéristes ».
Mais la question pour Bardella n’est pas tant qu’il n’ait pas fait l’ENA. Aurait-il fait des études d’ingénieur et quelques années d’usine, des études d’avocat et quelques années de prétoire, des études de médecine et quelques années à l’hôpital, mais aussi pourquoi pas un CAP de métallurgie et quelques années d’usine (comme Georges Marchais, pour ne donner qu’un exemple), et je serais bien plus rassuré. Le fait qu’il n’ait jamais envisagé d’autre métier que la politique me rend très méfiant envers lui. Je ne connais pas d’exemple de ce type de profil dont l’histoire ait retenu la contribution…
[« Marine » ? Je ne me permettrais pas de l’appeler par son prénom. Quelque puisse être l’opinion que j’ai d’elle, on n’a pas gardé les cochons ensemble…
« Marine », « Jordan », dites donc, vous êtes comme de la famille…]
Non, non, mais n’avez-vous pas remarqué que presque tout le monde les appelle ainsi par leur prénom ? C’est surement le symptôme de quelque chose. Pour “Marine,” je pense que c’est pour éviter le nom “Le Pen” qui peut faire frémir, et à juste titre. Pour “Jordan” j’imagine que c’est pour le mettre au même niveau que “Marine.”
[Et ce sont eux qui ont souvent le plus de stature. Pensez par exemple à Elisabeth Borne, polytechnicienne, ingénieur du corps des Ponts et Chaussées, qui commença par des fonctions techniques, fut préfète et directrice générale de la RATP. C’est tout de même autre chose que Gabriel Attal ou Jordan Bardella…]
J’ai beaucoup de respect pour Elisabeth Borne, son parcours et son histoire. Par contre, je ne crois pas qu’elle a une “stature” politique particulière. Les compétences et un beau parcours professionnel sont un atout indéniable mais ne suffisent absolument pas pour faire un politique qui a une stature. Il faut aussi du charisme, des idées, un souffle, et, surtout, surtout, du courage. C’est Soljenitsyne qui en parle le mieux, de cet aspect fondamental qu’est le courage.
[On peut dire que Bardella « a sauté la case ENA ». On peut aussi dire – et je pense que c’est plus vraisemblable – qu’il n’avait ni les connaissances, ni la capacité de travail pour passer le concours. Parce que « ne pas sauter la case ENA » n’est pas donné a tout le monde.]
Je vous trouve encore assez sévère avec le jeune homme. On ne saura jamais. Je crois qu’il a eu son BAC avec mention TB (certes à une époque où ça ne voulait déjà plus dire grand chose) et il démontre quand même une solidité et une maturité nettement au-dessus de la moyenne pour son âge.
[Mais la question pour Bardella n’est pas tant qu’il n’ait pas fait l’ENA. Aurait-il fait des études d’ingénieur et quelques années d’usine, des études d’avocat et quelques années de prétoire, des études de médecine et quelques années à l’hôpital, mais aussi pourquoi pas un CAP de métallurgie et quelques années d’usine (comme Georges Marchais, pour ne donner qu’un exemple), et je serais bien plus rassuré. Le fait qu’il n’ait jamais envisagé d’autre métier que la politique me rend très méfiant envers lui. ]
Je comprends parfaitement votre interrogation là-dessus. Mais son parcours est singulier. On peut imaginer qu’il était exceptionnellement brillant parmi les militants du parti (je sais qu’au pays des aveugles, les borgnes sont rois, mais là encore j’essaie de ne pas être trop sévère) et que ça lui a donné des opportunités exceptionnelles qui peuvent expliquer pourquoi il n’a pas poursuivi des études, etc. Il me semble que c’est un scénario plausible.
[Par ailleurs, je ne vois pas en quoi faire l’ENA vous « marquerait avec les autres carriéristes ». Sur la centaine de hauts fonctionnaires recrutés chaque année par la voie de l’ENA, seule une petite proportion fait de la politique à la sortie. La plupart font une carrière de haut fonctionnaire, occupent des postes qui nécessitent une véritable compétence et beaucoup de boulot, et s’ils font de la politique c’est beaucoup plus tard. Faut-il les considérer comme des « carriéristes ».]
Je parlais des politiques. L’immense majorité des politiques de premier plan de ces 30 dernières années sont énarques (même si bien sûr tous les énarques ne font pas de politique, et qu’un certain nombre restent en effet de grands serviteurs de l’État). Je vois en effet les énarques qui se lancent immédiatement en politique comme des “carriéristes.” Je ne vois pas comment les appeler autrement, quand on juge par leurs résultats. Il ne sont clairement pas là pour servir l’intérêt général.
J’ai aussi un biais personnel, qui remonte à mes études à la rue d’Ulm, aux quelques fois où j’ai eu affaire à des énarques directement ou aussi à des amis anglo-saxons qui m’ont raconté des anecdotes qui vont toutes dans le même sens.
Ceci dit, j’ai aussi conscience que si des pans essentiels de l’État français tiennent encore debout, c’est aussi grâce à certains énarques dévoués.
@ Frank
[Non, non, mais n’avez-vous pas remarqué que presque tout le monde les appelle ainsi par leur prénom ? C’est surement le symptôme de quelque chose.]
Franchement, non, je n’ai pas remarqué. Mais à supposer que ce soit le cas, je pense que c’est surtout le « symptôme » de l’américanisation du langage. L’utilisation du nom complet – et du vouvoiement qui, lui aussi, tend à disparaître – permettait d’exprimer une distance, d’établir subtilement une hiérarchie de proximité. Et je trouve triste qu’on aille vers un langage où tout se vaut, où l’on ne fait plus de différence entre un copain et le président de la République.
[« Et ce sont eux qui ont souvent le plus de stature. Pensez par exemple à Elisabeth Borne, polytechnicienne, ingénieur du corps des Ponts et Chaussées, qui commença par des fonctions techniques, fut préfète et directrice générale de la RATP. C’est tout de même autre chose que Gabriel Attal ou Jordan Bardella… » J’ai beaucoup de respect pour Elisabeth Borne, son parcours et son histoire. Par contre, je ne crois pas qu’elle a une “stature” politique particulière. Les compétences et un beau parcours professionnel sont un atout indéniable mais ne suffisent absolument pas pour faire un politique qui a une stature.]
Oui et non. Je ne pense pas que Borne ait une « stature particulière », au sens que je ne la vois pas dans le rôle de chef d’Etat, et peut-être même que celui de premier ministre était un peu trop grand pour elle. Mais lorsque je compare à Attal ou de Bardella… désolé, mais les deux petits jeunes ne font pas le poids. Dans une réunion, Borne inspire le respect, pas Attal (je ne sais pas pour Bardella).
[Il faut aussi du charisme, des idées, un souffle, et, surtout, surtout, du courage. C’est Soljenitsyne qui en parle le mieux, de cet aspect fondamental qu’est le courage.]
Là, je trouve que vous vous contredisez. On peut reprocher à Borne de ne pas avoir du charisme, des idées ou du souffle – je pense que ces reproches sont justifiés, elle a une mentalité tout « préfectorale » de bon soldat, elle fait ce qu’on lui dit de faire sans états d’âme, elle l’a montré avec la loi sur les retraites. Mais lui reprocher de ne pas avoir du courage ? Là, je pense que vous faites le mauvais diagnostic. Tout son parcours prouve le contraire.
[« On peut dire que Bardella « a sauté la case ENA ». On peut aussi dire – et je pense que c’est plus vraisemblable – qu’il n’avait ni les connaissances, ni la capacité de travail pour passer le concours. Parce que « ne pas sauter la case ENA » n’est pas donné a tout le monde. » Je vous trouve encore assez sévère avec le jeune homme. On ne saura jamais. Je crois qu’il a eu son BAC avec mention TB (certes à une époque où ça ne voulait déjà plus dire grand-chose) et il démontre quand même une solidité et une maturité nettement au-dessus de la moyenne pour son âge.]
Certainement. Mais les qualités qui vous font bien passer à la télé ne sont pas celles qu’on exige d’un haut fonctionnaire. Je ne suis pas persuadé que Bardella soit un grand travailleur, qu’il soit rigoureux intellectuellement, qu’il soit capable de synthétiser l’information pour produire un raisonnement, qu’il ait une culture large, toutes choses qu’on exige d’un haut fonctionnaire passé par l’ENA. Je ne conteste pas les qualités de Bardella en tant que politique : il a certainement une maturité et une expression remarquables pour son âge. Mais l’expression et la maturité ne sont pas tout.
[Je comprends parfaitement votre interrogation là-dessus. Mais son parcours est singulier. On peut imaginer qu’il était exceptionnellement brillant parmi les militants du parti (je sais qu’au pays des aveugles, les borgnes sont rois, mais là encore j’essaie de ne pas être trop sévère) et que ça lui a donné des opportunités exceptionnelles qui peuvent expliquer pourquoi il n’a pas poursuivi des études, etc. Il me semble que c’est un scénario plausible.]
Tout à fait plausible. Tout ce que je dis, c’est que ce choix contient une faiblesse. Ou plutôt deux. La première, c’est qu’il ne s’est pas frotté à l’expérience du monde réel, celui où on étudie, on passe des examens, puis on va travailler chez un patron qui vous dicte ce que vous devez faire. C’est là l’expérience commune de la grande majorité des Français, et elle lui manque. La seconde, c’est que ne sachant rien faire d’autre que de la politique, il est dépendant d’elle. Si demain il n’est pas d’accord avec la ligne de son parti, il n’aura pas le choix de dire « merde, je m’en vais bosser ailleurs ».
C’est pourquoi je vous citais le conseil de mon père. J’étais, moi aussi, un jeune militant brillant – pas aussi brillant que Bardella probablement, mais dans la très bonne moyenne – au point que j’aurais pu avoir, si je l’avais voulu, une carrière de permanent politique ou syndical, si seulement j’avais consacré au militantisme l’énergie que j’ai consacré à mes études. Mon père m’en a dissuadé, et je pense qu’il a eu raison. Si je n’avais pas suivi son conseil, j’aurais probablement été amené à soutenir la ligne du père UbHue de peur de perdre mon job, comme tant d’autres copains que je connais… et aujourd’hui je ne pourrais pas me regarder dans une glace.
[Je parlais des politiques. L’immense majorité des politiques de premier plan de ces 30 dernières années sont énarques]
C’est ce que tout le monde croit, mais c’est faux. Et cela devient de plus en plus faux à mesure qu’on s’approche du présent. Aujourd’hui, les anciens d’école de commerce sont bien plus nombreux au gouvernement que les énarques. Pour ne prendre qu’un exemple, ces 30 dernières années se sont succédés à Matignon 14 premiers ministres. Parmi eux, on trouve 5 énarques (Juppé, Jospin, Villepin, Philippe, Castex) et 9 non-énarques (Raffarin, Fillon, Ayrault, Valls, Cazeneuve, Borne, Attal, Barnier, Bayrou). Parler d’une « immense majorité » me paraît donc très exagéré.
Oui, il y eut un âge d’or de l’énarchie pendant les mandats de Mitterrand. Mais au fur et à mesure que la révolution néolibérale a avancé, les énarques ont progressivement cédé la place en politique aux avocats, aux formations commerciales… et de plus en plus à ceux dont les études n’étaient qu’une activité annexe à côté du militantisme étudiant. On trouve de plus en plus des profils d’étudiants médiocres passés du militantisme étudiant à un premier emploi d’attaché parlementaire ou dans un cabinet d’élu voire d’un ministre. Quant aux ingénieurs et aux scientifiques… ils deviennent une véritable rareté.
[Je vois en effet les énarques qui se lancent immédiatement en politique comme des “carriéristes.” Je ne vois pas comment les appeler autrement, quand on juge par leurs résultats. Il ne sont clairement pas là pour servir l’intérêt général.]
Je suis d’accord avec vous. Et j’irais même plus loin : on ne sert pas l’intérêt général en prenant des responsabilités politiques sans avoir acquis une certaine « profondeur » humaine que seul le travail peut donner.
[J’ai aussi un biais personnel, qui remonte à mes études à la rue d’Ulm, aux quelques fois où j’ai eu affaire à des énarques directement ou aussi à des amis anglo-saxons qui m’ont raconté des anecdotes qui vont toutes dans le même sens.]
Il y a des sales cons dans tous les métiers et issus de toutes les formations. Et l’ENA ne fait pas exception – pas plus que la rue d’Ulm, d’ailleurs, je pourrais aussi vous raconter des choses là-dessus. Mais essentialiser les défauts de quelques individus pour stigmatiser une formation ou une profession, ce n’est pas sérieux. Ce n’est pas parce que Mitterrand a vendu le pays aux Allemands qu’il faut crier haro sur les avocats. J’insiste dans ma défense de l’ENA parce qu’à travers cette vénérable école, on attaque en fait la haute fonction publique française, l’un des dernières forteresses de la méritocratie. Vous savez, quand on veut tuer son chien…
[Ceci dit, j’ai aussi conscience que si des pans essentiels de l’État français tiennent encore debout, c’est aussi grâce à certains énarques dévoués.]
Vous n’avez pas idée… ce sont là des héros discrets dont le nom ne sera jamais sur aucun monument, et qui pourtant le mériteraient quelquefois amplement. J’ai eu l’honneur d’en connaître quelques-uns, et je vous assure que le système ne leur fait pas justice. Et ce n’est pas seulement les énarques: pensez à un homme comme Marcel Boiteux, mort dans l’indifférence générale, là où tel ou tel chanteur mérite tous les hommages médiatiques…
[elle a une mentalité tout « préfectorale » de bon soldat, elle fait ce qu’on lui dit de faire sans états d’âme, elle l’a montré avec la loi sur les retraites. Mais lui reprocher de ne pas avoir du courage ? Là, je pense que vous faites le mauvais diagnostic. Tout son parcours prouve le contraire.]
Je ne parlais pas du courage du soldat qui obéit aveuglément à ses chefs, peut-être au péril de sa vie, mais d’une catégorie toute autre, du courage en politique, que l’on peut attendre des hommes et des femmes d’État. Ce courage-là consiste à faire ce qui est rationnel et nécessaire pour l’intérêt général, contre les idéologies en vogue et même contre l’opinion publique; contre ses perspectives de carrière et son confort personnel. C’est de ce courage-là dont Mme Borne est, à mon avis, totalement dénuée. C’est d’ailleurs le cas de la totalité de ceux qui ont suivi Macron tout en étant doté de jugeote. Par définition, si je puis dire.
Parce que voyez-vous, le statut de polytechnicienne de Mme Borne est pour moi une circonstance aggravante à son égard. On peut difficilement lui laisser le bénéfice du doute quant à son ignorance ou son manque d’intelligence. Était-ce du courage lorsqu’elle suivait sans broncher les idéologies les plus délirantes en tant que Ministre de la transition écologique ? Il me semble me rappeler qu’elle parlait même de la possibilité de passer à une production d’électricité 100% renouvelable. Est-elle courageuse lorsqu’elle défend l’inénarrable programme woke d’éducation sexuelle (dès l’âge de 3 ans) que l’ÉN est en train de mettre en place ? L’avez-vous lu ? Etc. Non, elle suit le courant comme un toutou décérébré et obéissant. C’est peut-être acceptable ou même souhaitable pour un Préfet, même si à ce niveau j’en doute, mais certainement pas pour une gouvernante politique de très haut niveau. Et comme je respecte son parcours et sa personne, j’analyse cette faiblesse de sa part comme un cruel manque de courage.
[C’est là l’expérience commune de la grande majorité des Français, et elle lui manque. La seconde, c’est que ne sachant rien faire d’autre que de la politique, il est dépendant d’elle. Si demain il n’est pas d’accord avec la ligne de son parti, il n’aura pas le choix de dire « merde, je m’en vais bosser ailleurs ».]
En effet. C’est un point crucial, je suis d’accord.
[Si je n’avais pas suivi son conseil, j’aurais probablement été amené à soutenir la ligne du père UbHue de peur de perdre mon job, comme tant d’autres copains que je connais… et aujourd’hui je ne pourrais pas me regarder dans une glace.]
Les conseils de parents intelligents sont parfois très précieux. Je vous envie.
[Parmi eux, on trouve 5 énarques (Juppé, Jospin, Villepin, Philippe, Castex) et 9 non-énarques (Raffarin, Fillon, Ayrault, Valls, Cazeneuve, Borne, Attal, Barnier, Bayrou). Parler d’une « immense majorité » me paraît donc très exagéré.
Oui, il y eut un âge d’or de l’énarchie pendant les mandats de Mitterrand. Mais au fur et à mesure que la révolution néolibérale a avancé, les énarques ont progressivement cédé la place en politique aux avocats, aux formations commerciales… et de plus en plus à ceux dont les études n’étaient qu’une activité annexe à côté du militantisme étudiant. On trouve de plus en plus des profils d’étudiants médiocres passés du militantisme étudiant à un premier emploi d’attaché parlementaire ou dans un cabinet d’élu voire d’un ministre. Quant aux ingénieurs et aux scientifiques… ils deviennent une véritable rareté.]
Vous avez raison, j’ai été trop vite en besogne. Quant aux scientifiques, oui, ils ont totalement déserté. Il y a plusieurs raisons à cela. J’aime citer le mathématicien Godement à ce sujet. Il disait : <<en mathématiques, on dit ce qu’on dit et on ne dit pas ce qu’on ne dit pas>>… c’est exactement le contraire en politique. Il ne saurait y avoir de disciplines plus antagonistes. Et avec la perte quasi-totale de rationalité du débat politique, cet antagonisme n’a fait que se creuser.
[J’insiste dans ma défense de l’ENA parce qu’à travers cette vénérable école, on attaque en fait la haute fonction publique française, l’un des dernières forteresses de la méritocratie. Vous savez, quand on veut tuer son chien…]
Je vous suis totalement sur la nécessité de défendre les derniers bastions de la méritocratie. Mais puisque nous somme entre nous, je peux vous donner mon point de vue, qui est d’ailleurs partagé par le reste du monde (c’est-à-dire, tout ce qui se trouve en-dehors de l’Hexagone). Je pense que l’ENA ne représente pas une méritocratie valable. Combien de grands penseurs, ou d’écrivains, ou de grands scientifiques sont-ils sortis de cette école ? Je pense aucun. Quelle est sa réputation internationale ? Nulle, voire très négative pour ceux qui ont dû travailler avec des énarques (je parle en fonction de témoignage d’amis anglo-saxons). Je ne discute pas de l’utilité de cette école pour la République depuis sa création. Mais, au minimum, il faudrait réformer totalement la formation et les modalités de sortie. Imposer au minimum deux stages de trois ans à la sortie, ancrés dans la réalité, dont un stage à l’étranger, si possible très loin, en dehors de l’Europe, avant de pouvoir avoir le droit de commencer à exercer la moindre petite responsabilité ou de se croire capable de donner un petit avis. On en est très loin.
[pensez à un homme comme Marcel Boiteux, mort dans l’indifférence générale, là où tel ou tel chanteur mérite tous les hommages médiatiques…]
Je ne peux être plus d’accord avec vous. J’ai été extrêmement peiné mais je crois que ce grand homme était au-dessus de cela. On peut voir dans le traitement indigne de son décès le signe de l’inculture scientifique et technique de la classe politico-médiatique, mais à mon avis c’est beaucoup plus profond. Les Lumières sont en train de s’éteindre dans notre pays.
@ Frank
[Je ne parlais pas du courage du soldat qui obéit aveuglément à ses chefs, peut-être au péril de sa vie, mais d’une catégorie toute autre, du courage en politique, que l’on peut attendre des hommes et des femmes d’État. Ce courage-là consiste à faire ce qui est rationnel et nécessaire pour l’intérêt général, contre les idéologies en vogue et même contre l’opinion publique; contre ses perspectives de carrière et son confort personnel. C’est de ce courage-là dont Mme Borne est, à mon avis, totalement dénuée.]
Je pense que vous faites erreur. Il n’y a pas deux sortes de courage. Je pense que Borne est parfaitement capable de « faire ce qui est rationnel et nécessaire pour l’intérêt général ». Seulement, son idée de ce qui est « rationnel et nécessaire pour l’intérêt général » n’est pas tout à fait la vôtre. Quand je dis qu’elle a une mentalité « préfectorale », ce que je veux dire c’est que pour elle la valeur cardinale est l’ordre. Autrement dit, que ce que l’autorité démocratiquement élue décide est par essence « rationnel et nécessaire à l’intérêt général ». Et elle a montré amplement sa capacité à affronter « l’opinion publique » en faisant voter la loi sur les retraites.
Au risque de me répéter, s’il y a quelque chose qu’on peut reprocher à Borne, ce n’est certainement pas un manque de courage. Ce qu’on peut lui reprocher, par contre, c’est son obéissance, son incapacité à penser par elle-même, et éventuellement de se rebeller contre le système. C’est en ce sens qu’on peut dire qu’elle fait une excellente haut-fonctionnaire, mais un très mauvais politique. Précisément parce qu’on ne demande pas au politique d’appliquer des politiques pensées par d’autres, mais de les penser soi-même.
[C’est d’ailleurs le cas de la totalité de ceux qui ont suivi Macron tout en étant doté de jugeote. Par définition, si je puis dire.]
La plupart de ceux qui ont suivi Macron l’ont fait parce qu’il promettait pouvoir est postes. Et en général, ils ont été largement récompensés, bien au-delà de leurs compétences réelles. Bien sur, il y en a qui ont cru, mais ils sont une petite minorité.
[Vous avez raison, j’ai été trop vite en besogne. Quant aux scientifiques, oui, ils ont totalement déserté. Il y a plusieurs raisons à cela. J’aime citer le mathématicien Godement à ce sujet. Il disait : <>… c’est exactement le contraire en politique. Il ne saurait y avoir de disciplines plus antagonistes. Et avec la perte quasi-totale de rationalité du débat politique, cet antagonisme n’a fait que se creuser.]
Je ne pense pas que ce soit quelque chose d’inhérent à la politique. Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, nous avions une bonne dose de ministres ou de députés ayant une formation scientifique. Pensez à Robert Galley (centralien), à Pierre Guillaumat (polytechnicien), à André Giraud (polytechnicien)… je pense que c’est surtout parce que les gens qui ont une formation scientifique perçoivent de façon beaucoup plus aigue la vanité de tout ça. Un ingénieur est formaté pour résoudre des problèmes, pas pour faire taire ceux qui les posent…
[Je vous suis totalement sur la nécessité de défendre les derniers bastions de la méritocratie. Mais puisque nous somme entre nous, je peux vous donner mon point de vue, qui est d’ailleurs partagé par le reste du monde (c’est-à-dire, tout ce qui se trouve en-dehors de l’Hexagone). Je pense que l’ENA ne représente pas une méritocratie valable. Combien de grands penseurs, ou d’écrivains, ou de grands scientifiques sont-ils sortis de cette école ?]
Reprocher à l’ENA de ne pas avoir produit « des grands penseurs, écrivains ou scientifiques », c’est un peu comme reprocher à l’école polytechnique de ne pas avoir produit des grands céramistes ou cinéastes. L’ENA n’a pas pour mission de préparer des écrivains ou des scientifiques, mais des hauts fonctionnaires. Ce n’est pas d’ailleurs une école de formation initiale, c’est une école d’application. Si vous voulez l’évaluer, alors évaluez-là à la qualité du produit qu’elle est censé former.
[Quelle est sa réputation internationale ? Nulle, voire très négative pour ceux qui ont dû travailler avec des énarques (je parle en fonction de témoignage d’amis anglo-saxons).]
Là, vous faites erreur. L’ENA a une aura internationale considérable, au point qu’elle a un « cycle étranger » qui forme des hauts-fonctionnaires pour le compte d’autres pays. Et je ne vous parle pas de pays d’Afrique… on y trouve des Allemands, des Britanniques, des Italiens, des Espagnols, qui ensuite ont fait des belles carrières dans la fonction publique de leur pays. Et la haute fonction publique française est très considérée par ses pairs au niveau international. Alors, je veux bien que vos amis anglo-saxons qui ont eu à travailler avec des énarques en aient une vision négative… mais demandez-vous si leur vision négative ne s’étend aussi à la fonction publique de leurs pays respectifs. Ou bien si cette vision négative ne tient pas à ce que les énarques en question faisaient trop bien leur boulot de contrôle… vous savez, la détestation pour le gendarme et le percepteur est universelle, indépendamment de la qualité de leur travail !
[Je ne discute pas de l’utilité de cette école pour la République depuis sa création. Mais, au minimum, il faudrait réformer totalement la formation et les modalités de sortie. Imposer au minimum deux stages de trois ans à la sortie, ancrés dans la réalité, dont un stage à l’étranger, si possible très loin, en dehors de l’Europe, avant de pouvoir avoir le droit de commencer à exercer la moindre petite responsabilité ou de se croire capable de donner un petit avis. On en est très loin.]
C’est quoi un « stage de trois ans » ? Un stage de trois ans, c’est un poste ! Par ailleurs, je ne vois pas très bien l’utilité d’un « stage de trois ans très loin », en dehors d’Europe. Quelle serait la plusvalue d’un tel stage ? Pourquoi un tel stage serait-il utile à des futurs hauts fonctionnaires, alors que les cadres du privé – en France comme à l’étranger – semblent s’en passer sans aucun problème ? Pensez-vous que dans le secteur privé aussi il faudrait ces « stages de trois ans » avant de « commencer à exercer la moindre petite responsabilité ou de donner le moindre petit avis » ? Et ne ne vous parle même pas des médecins : pensez-y, à peine sortis de leur formation, ils « prennent des décisions » autrement plus vitales…
Je trouve très intéressante la conception superlative que vous avez du métier de haut-fonctionnaire. Un métier si difficile, si complexe que pour vous il ne peut correctement exercé qu’après six ans de stage, alors que dans tous les autres métiers de niveau équivalent les personnes prennent des responsabilités dès leur sortie d’école… J’ai aussi l’impression que vous pensez que dès leur sortie de l’ENA, les jeunes hauts-fonctionnaires prennent des postes de grande responsabilité. Ce n’est pas le cas : les énarques débutants font généralement un poste d’adjoint à un chef de bureau, voire de chef de bureau (où ils encadrent une dizaine d’agents). Ceux qui sortent dans la « botte » vont à l’inspection des finances ou le conseil d’Etat, où ils font « la liasse », c’est-à-dire, synthétisent des documents comptables ou préparent les décisions sous le contrôle d’un « parrain ». Personne n’est nommé directeur, préfet ou ambassadeur à la sortie de l’ENA. A une époque – je ne sais pas si c’est toujours le cas – il fallait attendre huit ans pour un poste de sous-directeur, douze ans pour un poste de chef de service.
Par ailleurs, combien de candidats auriez-vous au concours si vous expliquez aux jeunes qu’il leur faudra deux ans de scolarité puis six ans de stage avant de pouvoir prendre « la moindre petite décision » ?
[son idée de ce qui est « rationnel et nécessaire pour l’intérêt général » n’est pas tout à fait la vôtre.]
Je ne vous suis pas là-dessus. La rationalité n’est pas une notion subjective. Seuls les wokes pensent cela, en allant jusqu’à prétendre, par exemple, que les démonstrations mathématiques peuvent être “genrées” ou “patriarcales” et que les théorèmes ainsi démontrés ne sont donc pas des faits certains mais des constructions sociales.
Je ne vois pas comment un esprit scientifique rationnel peut penser qu’une production d’électricité 100% renouvelable (ou même fortement dominée par le renouvelable), en se privant du nucléaire, peut être une solution rationnelle et allant dans le sens de l’intérêt général. Il faut que vous m’expliquiez. Pour moi, suivre une telle voie ne peut être dû qu’à une soumission aux idéologies en vogue; et si on admet qu’on a affaire à quelqu’un de compétent et ayant à cœur le service de l’intérêt général, alors cette soumission ne peut être que la conséquence d’un manque de courage.
[Ce qu’on peut lui reprocher, par contre, c’est son obéissance, son incapacité à penser par elle-même, et éventuellement de se rebeller contre le système. C’est en ce sens qu’on peut dire qu’elle fait une excellente haut-fonctionnaire, mais un très mauvais politique. Précisément parce qu’on ne demande pas au politique d’appliquer des politiques pensées par d’autres, mais de les penser soi-même.]
Mais oui, c’est *exactement* ce que je veux dire. Je crois que nous différons non pas sur le fond des choses mais sur une appréciation de la place du “courage” dans tout cela, voire sur une définition de ce qu’on peut appeler le “courage” en politique. J’ai le sentiment (comme Soljenitsyne) que la faiblesse de gens très bien éduqués et intelligents comme Mme Borne vient au moins en partie d’un manque de courage; vous pensez que c’est tout autre chose.
Une manière de trancher serait de savoir ce que Mme Borne pense vraiment au fond d’elle-même de ces directions politiques qu’elle a soutenu ou soutient. Avait-elle totalement oublié les lois de la physique quand elle suivait les idéologies écolos les plus délirantes pour mettre en place la politique énergétique de la France ? Est-elle vraiment heureuse que ses petits-enfants soient éduqués à la sexualité dès l’âge de 3 ans en suivant les préceptes de la “théorie du genre”?
[ je pense que c’est surtout parce que les gens qui ont une formation scientifique perçoivent de façon beaucoup plus aigue la vanité de tout ça. Un ingénieur est formaté pour résoudre des problèmes, pas pour faire taire ceux qui les posent…]
Absolument, je suis aussi d’accord avec ce point de vue, qui est compatible et même directement relié à l’idée que je faisais passer.
[Là, vous faites erreur. L’ENA a une aura internationale considérable, au point qu’elle a un « cycle étranger » qui forme des hauts-fonctionnaires pour le compte d’autres pays. Et je ne vous parle pas de pays d’Afrique… on y trouve des Allemands, des Britanniques, des Italiens, des Espagnols, qui ensuite ont fait des belles carrières dans la fonction publique de leur pays. Et la haute fonction publique française est très considérée par ses pairs au niveau international. Alors, je veux bien que vos amis anglo-saxons qui ont eu à travailler avec des énarques en aient une vision négative… mais demandez-vous si leur vision négative ne s’étend aussi à la fonction publique de leurs pays respectifs. Ou bien si cette vision négative ne tient pas à ce que les énarques en question faisaient trop bien leur boulot de contrôle… vous savez, la détestation pour le gendarme et le percepteur est universelle, indépendamment de la qualité de leur travail !]
Disons que mon sentiment est que les choses se sont quand même beaucoup dégradé ces 30 ou 40 dernières années, avec de moins en moins d’énarques ayant le service de l’État et de la France à cœur et de plus en plus utilisant l’école comme un marche-pied (les spécimens ulmiens ayant décidé de passer le concours de l’ENA, que j’ai connus dans les années 90, étaient déjà, et de manière caricaturale, dans cette catégorie…).
Je me dois d’être un peu plus précis sur les retours que j’ai eu. L’idée générale est la suivante. Quand vous avez une délégation anglo-saxonne qui vient discuter à haut niveau de choses techniques, les décideurs politiques sont toujours accompagnés de véritables experts du domaine qui va être discuté, des gens très spécialisés mais extrêmement pointus et compétents sur les sujets qui vont être abordés. Côté français ce sont en général des énarques qui accompagnent les décideurs. Ces énarques n’ont en général (et je suis gentil en disant “en général”) strictement aucune compétence de haut niveau sur les sujets qui vont être abordés. Ils sont très sûr d’eux, y compris quand il faut dire des âneries, et méprisent parfois ouvertement les experts très pointus. Lorsque la discussion change de thème, les experts anglo-saxons sont remplacés par d’autres. Évidemment, rien de tel ne se passe du côté français. Voilà, c’est ce qu’on m’a raconté, et ça me semble cohérent avec le genre de formation que l’on peut recevoir à l’ENA. Je ne prétends pas avoir la vérité absolue là-dessus, je ne dispose pas d’un échantillon représentatif, mais cette réputation négative est bien là.
[C’est quoi un « stage de trois ans » ? Un stage de trois ans, c’est un poste ! Par ailleurs, je ne vois pas très bien l’utilité d’un « stage de trois ans très loin », en dehors d’Europe. Quelle serait la plusvalue d’un tel stage ? Pourquoi un tel stage serait-il utile à des futurs hauts fonctionnaires, alors que les cadres du privé – en France comme à l’étranger – semblent s’en passer sans aucun problème ? Pensez-vous que dans le secteur privé aussi il faudrait ces « stages de trois ans » avant de « commencer à exercer la moindre petite responsabilité ou de donner le moindre petit avis » ? Et ne ne vous parle même pas des médecins : pensez-y, à peine sortis de leur formation, ils « prennent des décisions » autrement plus vitales…
Je trouve très intéressante la conception superlative que vous avez du métier de haut-fonctionnaire. Un métier si difficile, si complexe que pour vous il ne peut correctement exercé qu’après six ans de stage, alors que dans tous les autres métiers de niveau équivalent les personnes prennent des responsabilités dès leur sortie d’école… J’ai aussi l’impression que vous pensez que dès leur sortie de l’ENA, les jeunes hauts-fonctionnaires prennent des postes de grande responsabilité. Ce n’est pas le cas : les énarques débutants font généralement un poste d’adjoint à un chef de bureau, voire de chef de bureau (où ils encadrent une dizaine d’agents). Ceux qui sortent dans la « botte » vont à l’inspection des finances ou le conseil d’Etat, où ils font « la liasse », c’est-à-dire, synthétisent des documents comptables ou préparent les décisions sous le contrôle d’un « parrain ». Personne n’est nommé directeur, préfet ou ambassadeur à la sortie de l’ENA. A une époque – je ne sais pas si c’est toujours le cas – il fallait attendre huit ans pour un poste de sous-directeur, douze ans pour un poste de chef de service.
Par ailleurs, combien de candidats auriez-vous au concours si vous expliquez aux jeunes qu’il leur faudra deux ans de scolarité puis six ans de stage avant de pouvoir prendre « la moindre petite décision » ?]
Votre réaction est très instructive et intéressante pour moi, et je peux la comprendre. J’ai parfaitement conscience d’avoir un biais professionnel.
Alors voilà. Ce qui vous semble invraisemblable (“combien de candidats auriez-vous au concours si vous expliquez aux jeunes qu’il leur faudra deux ans de scolarité puis six ans de stage avant de pouvoir prendre « la moindre petite décision » ?) est précisément ce qui est imposé à tous les étudiants scientifiques qui veulent poursuivre une carrière scientifique de haut niveau, ce y compris les meilleurs normaliens ou polytechniciens. Et encore, c’est pire : les deux stages post-doctoraux (vous pouvez les appeler “poste” si vous voulez; ce qui est important c’est qu’il s’agit de contrats non-renouvelables n’apportant strictement aucune garantie sur la suite de la carrière) sont obligatoires. Et dans le meilleur des cas, vous êtes ensuite embauché (donc à BAC + 14) comme chargé de recherches ou maître de conférence, payé environ 2000 euros par mois, sans crédit (ou avec des crédits ridicules) pour effectuer vos recherches, et devant enseigner (pour les maîtres de conférences) à des cohortes de quasi-illettrés.
Ceci est la situation considéré comme “normale” dans ce milieu qui est le mien.
Je conçois que ça puisse paraître invraisemblable de votre point de vue. Et en effet, on peut se poser la question : quels sont les cinglés qui se lancent dans ce parcours ?
Et notez que, certes, le métier de scientifique-académique est certainement extrêmement complexe etc., plus que celui d’un haut-fonctionnaire, mais les responsabilités exercées sont moindres et les erreurs ont beaucoup moins de conséquences en général.
Ceci dit, revenons à l’essentiel de ce que je voulais dire : ce parcours très difficile et nécessitant beaucoup de sacrifices est aussi extrêmement formateur. Il serait acceptable si un poste bien rémunéré et permettant d’effectuer le travail pour lequel on a été formé pendant 14 ans post-bac dans d’excellentes conditions était plus ou moins garanti à l’arrivée.
Ce que je proposais est donc simplement d’appliquer quelque chose de similaire aux énarques, tout en rendant le parcours acceptable, avec les garanties au bout. Bien sûr pas dans le but de “punir” en réservant aux futurs haut-fonctionnaires le même sort qu’aux scientifiques de notre beau pays, mais en leur permettant de se confronter durablement au monde réel et avec ce qui se fait de mieux à l’étranger. Je crois sincèrement que l’on gagnerait des haut-fonctionnaires beaucoup plus humbles, beaucoup plus ouverts, beaucoup plus compétents. Un tel parcours permettrait aussi de ne garder à l’arrivée que ceux qui sont là pour servir et non se servir, un peu comme celui imposé aux scientifiques à été construit afin de ne garder que les meilleurs et les vrais passionnés (évidemment, aujourd’hui, le seuil de tolérance au-delà duquel le système ne peut plus fonctionner a été dépassé dans le cas des scientifiques).
@ Frank
[« son idée de ce qui est « rationnel et nécessaire pour l’intérêt général » n’est pas tout à fait la vôtre. » Je ne vous suis pas là-dessus. La rationalité n’est pas une notion subjective.]
En tant que méthode, oui. Mais apprécier la « rationalité » d’une décision ou d’une politique dépend des objectifs qu’on poursuit, et la fixation de ces objectifs n’est pas un processus rationnel. Boire du cyanure est une action « rationnelle » ? Pour une personne normale qui veut vivre longtemps, non. Pour quelqu’un qui souhaite se suicider, oui.
[Je ne vois pas comment un esprit scientifique rationnel peut penser qu’une production d’électricité 100% renouvelable (ou même fortement dominée par le renouvelable), en se privant du nucléaire, peut être une solution rationnelle et allant dans le sens de l’intérêt général. Il faut que vous m’expliquiez.]
Je vais essayer. Imaginons que pour vous l’objectif fondamental, l’objectif de premier rang, c’est d’aboutir à un système de production d’électricité décentralisé, régionalisé, et que vous soyez prêt à sacrifier tous les autres objectifs à celui-là. A partir de là, un système 100% renouvelable apparaît comme la solution la plus « rationnelle ». Bien sûr, ce faisant vous acceptez des coupures de courant lorsque la météorologie est défavorable. Mais si vous acceptez cela, le choix est parfaitement rationnel.
S’il était possible de hiérarchiser les objectifs « rationnellement », alors la technocratie serait le meilleur système de gouvernement. Si la politique a sa place, c’est précisément parce que la hiérarchisation des objectifs ne peut être « rationnelle ». Elle dépend des intérêts objectifs et subjectifs des différents groupes sociaux et des rapports de force entre eux. La « rationnalité » en politique se manifeste dans l’adéquation entre les objectifs et les moyens.
[Une manière de trancher serait de savoir ce que Mme Borne pense vraiment au fond d’elle-même de ces directions politiques qu’elle a soutenu ou soutient. Avait-elle totalement oublié les lois de la physique quand elle suivait les idéologies écolos les plus délirantes pour mettre en place la politique énergétique de la France ? Est-elle vraiment heureuse que ses petits-enfants soient éduqués à la sexualité dès l’âge de 3 ans en suivant les préceptes de la “théorie du genre”?]
Qui peut sonder les cœurs et les reins… ? En tout cas, je connais des gens qui l’ont vu œuvrer lorsqu’elle était directrice de cabinet de Ségolène Royal. Si je crois ce qui m’est dit, je doute qu’elle soit très fière de que qu’elle a fait pendant cette période… et d’ailleurs elle a profité de la première opportunité pour aller voir ailleurs !
[Disons que mon sentiment est que les choses se sont quand même beaucoup dégradé ces 30 ou 40 dernières années, avec de moins en moins d’énarques ayant le service de l’État et de la France à cœur et de plus en plus utilisant l’école comme un marche-pied (les spécimens ulmiens ayant décidé de passer le concours de l’ENA, que j’ai connus dans les années 90, étaient déjà, et de manière caricaturale, dans cette catégorie…).]
C’est certain. Mais cela tient pour beaucoup à une transformation de l’Etat. Dans les années 1950, le service public offrait des carrières exaltantes : on lançait de nouveaux programmes, on faisait des choses, on avait un vrai pouvoir de changer les choses. A partir des années 1980, on a organisé l’impuissance de l’Etat. Les hauts-fonctionnaires qui ont commencé leur carrière dans les années 1950 ont organisé la reconstruction du pays, bâti un puissant secteur public, créé les villes nouvelles, bâti la dissuasion nucléaire, conduit les grands programmes comme Concorde ou le programme nucléaire. Ceux qui ont commencé leur carrière dans les années 1990 ont eu à organiser le démantèlement de l’Etat, les transferts de compétences à Bruxelles, les privatisations, le retrait de l’Etat des territoires. Ceux qui commencent leur carrière aujourd’hui arrivent en terre brûlée. Au point qu’on leur dit dès le départ qu’il faut se préparer à une deuxième carrière dans le privé, le service public n’étant plus en mesure d’offrir des carrières complètes. Il faut vraiment avoir le service public chevillé au corps pour continuer… et je rends hommage à ceux qui le font, parce qu’il y en a encore quelques-uns…
[Je me dois d’être un peu plus précis sur les retours que j’ai eu. L’idée générale est la suivante. Quand vous avez une délégation anglo-saxonne qui vient discuter à haut niveau de choses techniques, les décideurs politiques sont toujours accompagnés de véritables experts du domaine qui va être discuté, des gens très spécialisés mais extrêmement pointus et compétents sur les sujets qui vont être abordés. Côté français ce sont en général des énarques qui accompagnent les décideurs. Ces énarques n’ont en général (et je suis gentil en disant “en général”) strictement aucune compétence de haut niveau sur les sujets qui vont être abordés. Ils sont très sûr d’eux, y compris quand il faut dire des âneries, et méprisent parfois ouvertement les experts très pointus.]
Je ne connais pas votre domaine. Dans le mien, qui est celui de l’énergie, il est très rare qu’un directeur se déplace sans avoir avec lui quelques ingénieurs du corps des mines ou des ponts et chaussées, ou des experts gentiment prêtés par EDF, par l’ASNR, par le BRGM ou le CEA. Et les rares énarques qui trempent dans ce sujet on généralement soit une formation d’économiste de l’énergie, soit une formation d’ingénieur. Et si les énarques sont appréciés, c’est par leur capacité de faire la synthèse entre les avis d’expert, de les présenter intelligemment et de les traduire en termes administratifs.
[Votre réaction est très instructive et intéressante pour moi, et je peux la comprendre. J’ai parfaitement conscience d’avoir un biais professionnel. ]
C’est inévitable, je le crains… mais c’est bien d’en être conscient !
[Alors voilà. Ce qui vous semble invraisemblable (“combien de candidats auriez-vous au concours si vous expliquez aux jeunes qu’il leur faudra deux ans de scolarité puis six ans de stage avant de pouvoir prendre « la moindre petite décision » ?) est précisément ce qui est imposé à tous les étudiants scientifiques qui veulent poursuivre une carrière scientifique de haut niveau, ce y compris les meilleurs normaliens ou polytechniciens. Et encore, c’est pire : les deux stages post-doctoraux (vous pouvez les appeler “poste” si vous voulez ; ce qui est important c’est qu’il s’agit de contrats non-renouvelables n’apportant strictement aucune garantie sur la suite de la carrière) sont obligatoires. Et dans le meilleur des cas, vous êtes ensuite embauché (donc à BAC + 14) comme chargé de recherches ou maître de conférences, payé environ 2000 euros par mois, sans crédit (ou avec des crédits ridicules) pour effectuer vos recherches, et devant enseigner (pour les maîtres de conférences) à des cohortes de quasi-illettrés.]
Pardon, mais vous confondez ici la question statutaire – et celle du salaire – avec le sujet de notre échange, qui était l’expérience nécessaire pour « donner des avis et prendre la plus petite décision ». Les scientifiques en post-doc prennent les mêmes « décisions » et donnent les mêmes « avis » que des scientifiques chevronnés. Dans les conférences, ils présentent des papiers. Dans les discussions de labo, ils prennent la parole et donnent des avis. Je ne connais pas de scientifique qui ait fermé sa gueule, qui n’ait pas signé de papier ou fait d’intervention pendant six ans après son doctorat. Bien entendu, leurs « avis » n’ont pas le même poids, leurs « décisions » de poursuivre dans telle ou telle voie n’ont pas la même portée que celle d’un directeur de laboratoire, de la même manière que les décisions d’un énarque débutant adjoint à un chef de bureau n’ont pas le même poids que celles d’un directeur ou un préfet.
[Ceci est la situation considéré comme “normale” dans ce milieu qui est le mien.]
Admettons. Mais cela n’a rien à voir avec la question qui nous occupait. Si vous imposiez aux scientifiques de « ne pas prendre la plus petite décision et de ne donner leur avis » pendant six ans après leur doctorat, vous ne trouveriez pas grand monde pour faire ce boulot.
[Je conçois que ça puisse paraître invraisemblable de votre point de vue. Et en effet, on peut se poser la question : quels sont les cinglés qui se lancent dans ce parcours ?]
Pourquoi pensez-vous que cela soit « invraisemblable » ? J’ai commencé ma carrière dans la recherche, et j’y suis resté presque quinze ans avant de bifurquer vers d’autres activités. Et je comprends parfaitement pourquoi des « cinglés » s’engagent dans ce parcours. D’abord, parce que contrairement à ce que vous croyez, il n’y a pas que dans la recherche qu’on est obligé de prendre des postes en CDD en début de carrière. Cela arrive de plus en plus dans le secteur public – les contractuels représentent aujourd’hui un tiers des effectifs de la fonction publique – et c’est une pratique courante dans le privé, où même si vous avez un CDI le licenciement reste très courant – et si vous ne me croyez pas, posez la question à quelqu’un qui travaille dans une SS2I. Ensuite, parce que si les salaires ne sont pas brillants dans la recherche, les contraintes ne sont pas très grandes non plus. Un chercheur a une liberté dans l’organisation de son travail et dans le choix de ses sujets qu’on n’a pas ailleurs.
Vous me direz si je me trompe, mais je crois avoir un petit avantage sur vous : je connais bien votre monde, et vous connaissez peu le mien… avez-vous déjà travaillé dans une administration centrale, dans une unité de production ?
[Et notez que, certes, le métier de scientifique-académique est certainement extrêmement complexe etc., plus que celui d’un haut-fonctionnaire, mais les responsabilités exercées sont moindres et les erreurs ont beaucoup moins de conséquences en général.]
Qu’est ce qui vous fait penser que le métier de scientifique est « extrêmement complexe, plus que celui d’un haut-fonctionnaire » ? Le travail du scientifique est certainement beaucoup plus spécialisé, il nécessite une accumulation d’un grand volume de connaissances précises, mais il n’est pas plus « complexe » que celui d’un diplomate négociant un grand traité, d’un préfet gérant une crise majeure – pensez au préfet de Mayotte ces jours-ci. Pensez-vous que son travail soit simple ?
[Ceci dit, revenons à l’essentiel de ce que je voulais dire : ce parcours très difficile et nécessitant beaucoup de sacrifices est aussi extrêmement formateur. Il serait acceptable si un poste bien rémunéré et permettant d’effectuer le travail pour lequel on a été formé pendant 14 ans post-bac dans d’excellentes conditions était plus ou moins garanti à l’arrivée.]
Je n’ai pas très bien compris cette remarque.
[Ce que je proposais est donc simplement d’appliquer quelque chose de similaire aux énarques, tout en rendant le parcours acceptable, avec les garanties au bout.]
Mais encore une fois, ce que vous proposez n’est en rien « similaire » au parcours d’un scientifique. Les scientifiques prennent des décisions et donnent des avis dès leur sortie de formation – et certains même avant, j’ai connu des thésards qui ne se gênaient pas pour donner leur avis à propos et hors de propos. Encore une fois, au-delà de la question statutaire un post-doc exerce la plénitude de son métier.
[Bien sûr pas dans le but de “punir” en réservant aux futurs haut-fonctionnaires le même sort qu’aux scientifiques de notre beau pays, mais en leur permettant de se confronter durablement au monde réel et avec ce qui se fait de mieux à l’étranger.]
Personnellement, je pense que cette confrontation avec « ce qui se fait de mieux à l’étranger » – d’ailleurs, comment s’assurer qu’ils sont confrontés à « ce qui se fait de mieux » et non à « ce qui se fait de pire » – pour les hauts fonctionnaires débutants fait plus de mal que de bien. Parce que, voyez-vous, contrairement à la science, qui est universelle, l’action publique est très liée à un lieu, à une histoire, à un imaginaire qui est fondamentalement national. « Ce qui se fait de mieux » ailleurs peut être désastreux une fois transposé chez nous, et vice-versa. Or, les débutants ont une certaine tendance à oublier ce détail, à penser que les bonnes solutions sont universelles. Ce n’est qu’avec l’expérience qu’on réalisé combien ce problème est profond. L’expérience à l’étranger est profitable pour ceux qui ont déjà derrière eux 5 ans de carrière. Pour les débutants, c’est au contraire contre-productif.
[Je crois sincèrement que l’on gagnerait des haut-fonctionnaires beaucoup plus humbles,]
J’avoue que je suis toujours un peu surpris de cette insistance sur « l’humilité ». Napoléon ou De Gaulle auraient été de meilleurs gouvernants s’ils avaient été plus « humbles » ? Personnellement, je ne le crois pas. On ne fait pas de grandes choses sans une bonne dose de mégalomanie. Alors, l’humilité est-elle une qualité pour un haut-fonctionnaire ? Je ne suis pas persuadé.
[Un tel parcours permettrait aussi de ne garder à l’arrivée que ceux qui sont là pour servir et non se servir, un peu comme celui imposé aux scientifiques à été construit afin de ne garder que les meilleurs et les vrais passionnés (évidemment, aujourd’hui, le seuil de tolérance au-delà duquel le système ne peut plus fonctionner a été dépassé dans le cas des scientifiques).]
Encore une fois, je pense que vous vous faites une fausse idée du parcours scientifique. Si on imposait aux scientifiques ce que vous proposez – c’est-à-dire, de ne prendre la moindre décision, de ne donner le moindre avis pensant les six premières années de leur carrière – vous ne trouveriez personne. Un scientifique exerce la plénitude de son métier dès son doctorat – et quelquefois même avant.
[En tant que méthode, oui. Mais apprécier la « rationalité » d’une décision ou d’une politique dépend des objectifs qu’on poursuit, et la fixation de ces objectifs n’est pas un processus rationnel. Boire du cyanure est une action « rationnelle » ? Pour une personne normale qui veut vivre longtemps, non. Pour quelqu’un qui souhaite se suicider, oui.
Je vais essayer. Imaginons que pour vous l’objectif fondamental, l’objectif de premier rang, c’est d’aboutir à un système de production d’électricité décentralisé, régionalisé, et que vous soyez prêt à sacrifier tous les autres objectifs à celui-là. A partir de là, un système 100% renouvelable apparaît comme la solution la plus « rationnelle ». Bien sûr, ce faisant vous acceptez des coupures de courant lorsque la météorologie est défavorable. Mais si vous acceptez cela, le choix est parfaitement rationnel.
S’il était possible de hiérarchiser les objectifs « rationnellement », alors la technocratie serait le meilleur système de gouvernement. Si la politique a sa place, c’est précisément parce que la hiérarchisation des objectifs ne peut être « rationnelle ». Elle dépend des intérêts objectifs et subjectifs des différents groupes sociaux et des rapports de force entre eux. La « rationnalité » en politique se manifeste dans l’adéquation entre les objectifs et les moyens.]
Vous faites là un raisonnement académique, que je suis, mais qui n’est pas relié à notre discussion. En effet, SI l’objectif de la politique énergétique de la France était d’avoir des coupures d’électricité la moitié du temps et de sacrifier totalement l’industrie, alors OUI les décisions de Borne seraient rationnelles. Et OUI la hiérarchisation des priorités est subjective (on pourrait même trouver des arguments pour couper l’électricité la moitié du temps et ne plus avoir d’industrie du tout). Mais JAMAIS, que je sache, de tels objectifs ont été décidés ou annoncés… Dans notre discussion, j’ai donc supposé que les hiérarchies étaient celles qui étaient affichées ou n’avaient jamais été remises en cause, en tout cas publiquement.
[C’est certain. Mais cela tient pour beaucoup à une transformation de l’Etat. Dans les années 1950, le service public offrait des carrières exaltantes : on lançait de nouveaux programmes, on faisait des choses, on avait un vrai pouvoir de changer les choses. A partir des années 1980, on a organisé l’impuissance de l’Etat. Les hauts-fonctionnaires qui ont commencé leur carrière dans les années 1950 ont organisé la reconstruction du pays, bâti un puissant secteur public, créé les villes nouvelles, bâti la dissuasion nucléaire, conduit les grands programmes comme Concorde ou le programme nucléaire. Ceux qui ont commencé leur carrière dans les années 1990 ont eu à organiser le démantèlement de l’Etat, les transferts de compétences à Bruxelles, les privatisations, le retrait de l’Etat des territoires. Ceux qui commencent leur carrière aujourd’hui arrivent en terre brûlée. Au point qu’on leur dit dès le départ qu’il faut se préparer à une deuxième carrière dans le privé, le service public n’étant plus en mesure d’offrir des carrières complètes. Il faut vraiment avoir le service public chevillé au corps pour continuer… et je rends hommage à ceux qui le font, parce qu’il y en a encore quelques-uns…]
Entièrement d’accord avec vous.
[Je ne connais pas votre domaine. Dans le mien, qui est celui de l’énergie, il est très rare qu’un directeur se déplace sans avoir avec lui quelques ingénieurs du corps des mines ou des ponts et chaussées, ou des experts gentiment prêtés par EDF, par l’ASNR, par le BRGM ou le CEA. Et les rares énarques qui trempent dans ce sujet on généralement soit une formation d’économiste de l’énergie, soit une formation d’ingénieur. Et si les énarques sont appréciés, c’est par leur capacité de faire la synthèse entre les avis d’expert, de les présenter intelligemment et de les traduire en termes administratifs.]
Mon domaine est la recherche scientifique, plus précisément la recherche fondamentale, et les retours que j’avais eu (et qui datent de 20 ans) concernaient des discussions aux USA sur ces sujets. Comme je l’ai dit, ils ne sont peut-être pas représentatifs, mais la réputation négatives, pour les raisons que j’expliquais, des délégations françaises, semblaient être bien ancrée…
J’aimerais savoir ce que vous pensez de l’intervention d’Yves Bréchet au Sénat sur l’énergie et sa critique de la chaîne de décision. Qui étaient les gens qui ont transformé/travesti/modifié/mal compris les recommandations scientifiques ? Aucun haut-fonctionnaire à blâmer dans ce cas ? Les vrais experts scientifiques (ingénieurs, physiciens) ont été écouté, ou êtes-vous d’accord avec Bréchet ? Pouvez-vous nous en apprendre plus (ce serait peut-être l’objet d’un papier, mais je sais, l’actualité est brûlante en ce moment pour d’autres raisons).
[Pardon, mais vous confondez ici la question statutaire – et celle du salaire – avec le sujet de notre échange, qui était l’expérience nécessaire pour « donner des avis et prendre la plus petite décision ». Les scientifiques en post-doc prennent les mêmes « décisions » et donnent les mêmes « avis » que des scientifiques chevronnés. Dans les conférences, ils présentent des papiers. Dans les discussions de labo, ils prennent la parole et donnent des avis. Je ne connais pas de scientifique qui ait fermé sa gueule, qui n’ait pas signé de papier ou fait d’intervention pendant six ans après son doctorat. Bien entendu, leurs « avis » n’ont pas le même poids, leurs « décisions » de poursuivre dans telle ou telle voie n’ont pas la même portée que celle d’un directeur de laboratoire, de la même manière que les décisions d’un énarque débutant adjoint à un chef de bureau n’ont pas le même poids que celles d’un directeur ou un préfet.
Admettons. Mais cela n’a rien à voir avec la question qui nous occupait. Si vous imposiez aux scientifiques de « ne pas prendre la plus petite décision et de ne donner leur avis » pendant six ans après leur doctorat, vous ne trouveriez pas grand monde pour faire ce boulot.]
Je me suis peut-être mal exprimé, ou vous faites un peu semblant de ne pas avoir compris ce que j’ai voulu dire. Un post-doc n’a strictement aucune responsabilité. Bien sûr, il peut donner son avis (comme le ferait un énarque stagiaire) mais il ne commande absolument personne, personne ne dépend de lui, on ne le laisse même pas enseigner à bas niveau (sauf rares exceptions). Le pire qu’il puisse faire, c’est ruiner sa propre carrière en publiant seul des bêtises. Et après son BAC + 14, il n’est que “CHARGÉ” de recherches. Les mots ont un sens.
Ne voyez-vous pas la différence avec l’étendu des responsabilités que certains jeunes énarques se voient confiés après un parcours de formation beaucoup plus léger ?
[Et je comprends parfaitement pourquoi des « cinglés » s’engagent dans ce parcours. D’abord, parce que contrairement à ce que vous croyez, il n’y a pas que dans la recherche qu’on est obligé de prendre des postes en CDD en début de carrière. Cela arrive de plus en plus dans le secteur public – les contractuels représentent aujourd’hui un tiers des effectifs de la fonction publique – et c’est une pratique courante dans le privé, où même si vous avez un CDI le licenciement reste très courant – et si vous ne me croyez pas, posez la question à quelqu’un qui travaille dans une SS2I. Ensuite, parce que si les salaires ne sont pas brillants dans la recherche, les contraintes ne sont pas très grandes non plus. Un chercheur a une liberté dans l’organisation de son travail et dans le choix de ses sujets qu’on n’a pas ailleurs.]
Excusez-moi, mais le monde de la recherche que vous avez connu n’est pas le mien, mais alors pas du tout. Je veux bien qu’il existe d’autres domaines dans la fonction publique où l’on doive commencer avec un CDD. Mais s’agit-il de BAC + 14 qui sont sortis majors de la rue d’Ulm ou de Polytechnique, qui doivent partir à l’étranger pendant 6 ans et sacrifier toute vie familiale et une grande partie de leur vie sociale, sans strictement aucune garantie d’avoir un poste en CDD au retour ? Soyons sérieux. Et pensez-vous une seconde, comme vous semblez le suggérer, qu’ils se lancent dans la carrière car, finalement, les CDD c’est la règle dans la fonction publique et qu’ils auront ensuite un job “avec pas mal de flexibilité”?!? C’est une blague ? Vous n’avez visiblement jamais fréquenté les laboratoires de biologie ou de physique de pointe, ni mis les pieds dans une institution d’élite qui essaie de se confronter avec ce qui se fait de mieux sur la planète…
Je ne dis pas ça pour “plaindre” les jeunes gens qui s’investissent (de plus en plus rarement à haut niveau, je le sais de première main) dans cette carrière, et je sais parfaitement ce qui les pousse à le faire : la passion, pour la plupart d’entre eux, la sensation de faire quelque chose de “vrai”, de “juste”, qui “élève”, voire “d’utile”, la possibilité de se couper, un peu, du monde de fou dans lequel on évolue, aussi (l’effet “tour d’ivoire”).
(la lecture de rapports de l’Académie des Sciences là-dessus peut aussi être instructives)
[Vous me direz si je me trompe, mais je crois avoir un petit avantage sur vous : je connais bien votre monde, et vous connaissez peu le mien… avez-vous déjà travaillé dans une administration centrale, dans une unité de production ?]
Vous avez entièrement raison, je ne connais professionnellement parlant que la recherche et l’enseignement. Mais vos remarques précédentes ont montré que vous connaissiez mal le monde de la recherche académique de haut niveau.
[Qu’est ce qui vous fait penser que le métier de scientifique est « extrêmement complexe, plus que celui d’un haut-fonctionnaire » ? Le travail du scientifique est certainement beaucoup plus spécialisé, il nécessite une accumulation d’un grand volume de connaissances précises, mais il n’est pas plus « complexe » que celui d’un diplomate négociant un grand traité, d’un préfet gérant une crise majeure – pensez au préfet de Mayotte ces jours-ci. Pensez-vous que son travail soit simple ?]
J’ai utilisé le mot “complexité” au sens mathématique du terme. Le moindre problème intéressant qui peut intéresser un scientifique demandera des mois de travail intense pour pouvoir dire quelque chose d’intéressant ou d’utile. Il y a des couches, des sous-couches, une myriades de connexions et de choses dont il faut tenir compte pour arriver à apporter quelque chose de pertinent. De ce point du vu, oui, le travail d’un Préfet est beaucoup plus “simple” (dans cette définition). Il n’est certainement pas plus facile, et le poids des responsabilités n’est pas le même dans la plupart des situations. Je n’avais aucunement l’intention de dénigrer ou d’essayer d’établir une hiérarchie morale.
[Je n’ai pas très bien compris cette remarque.]
Je voulais dire que ce qui est imposé de nos jours à nos jeunes scientifiques, c’est-à-dire au minimum 2 stages post-doctoraux de 3 ans après la thèse pour se frotter à ce qu’on fait ailleurs, serait acceptable, malgré les contraintes familiales et autres sacrifices considérables que cela implique, si ils avaient la certitude d’avoir un poste décemment rémunéré et leur permettant de poursuivre leur travail dans de bonnes conditions au retour. Ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui en France (il n’y a aucune garantie, et de plus même ceux qui obtiennent un poste ne peuvent travailler, pour la plupart, dans des conditions décentes).
[Personnellement, je pense que cette confrontation avec « ce qui se fait de mieux à l’étranger » – d’ailleurs, comment s’assurer qu’ils sont confrontés à « ce qui se fait de mieux » et non à « ce qui se fait de pire » – pour les hauts fonctionnaires débutants fait plus de mal que de bien. Parce que, voyez-vous, contrairement à la science, qui est universelle, l’action publique est très liée à un lieu, à une histoire, à un imaginaire qui est fondamentalement national. « Ce qui se fait de mieux » ailleurs peut être désastreux une fois transposé chez nous, et vice-versa. Or, les débutants ont une certaine tendance à oublier ce détail, à penser que les bonnes solutions sont universelles. Ce n’est qu’avec l’expérience qu’on réalisé combien ce problème est profond. L’expérience à l’étranger est profitable pour ceux qui ont déjà derrière eux 5 ans de carrière. Pour les débutants, c’est au contraire contre-productif.]
J’entends cette critique. Je transposais un peu vite ce qu’il se fait dans la recherche et dans l’administration. Un étudiant qui a une thèse de doctorat n’est plus tout à fait un bleu, contrairement à l’énarque fraîchement diplômé. Alors chiche : disons que le “stage” à l’étranger devrait se faire après quelques années chez nous.
Par contre, une fois le risque que nous mentionnez écarté, se confronter à ce qui se fait ailleurs ne peut être qu’extrêmement positif. Ça n’a rien à voir avec l'”universalité” de la chose. Les savoirs scientifiques sont universels, absolument, mais la manière de faire la science ne l’est pas, et être confronté à cette diversité, à d’autres approches, permet de remettre en question pas mal de dogme dans les “méthodes”, y compris en science. On en est transformé.
Une petite remarque à ce sujet, pour bien comprendre mon point de vue : l’une des catastrophes actuelle en science est que l’effacement de la France ou plus généralement de l’Europe est en train de faire perdre une méthode, une approche, une manière d’aborder les problème qui est très précieuse et valable, au profit de l’approche anglo-saxonne. C’est très dommage car les approches se complètent.
[J’avoue que je suis toujours un peu surpris de cette insistance sur « l’humilité ». Napoléon ou De Gaulle auraient été de meilleurs gouvernants s’ils avaient été plus « humbles » ? Personnellement, je ne le crois pas. On ne fait pas de grandes choses sans une bonne dose de mégalomanie. Alors, l’humilité est-elle une qualité pour un haut-fonctionnaire ? Je ne suis pas persuadé.]
Le scientifique que je suis ne peut que mettre en avant l’humilité. Sans humilité, la remise en question, et donc le progrès, est impossible. Le manque d’humilité est aussi la marque de l’ignorance. L’humilité dans son être profond et dans sa réflexion n’empêche en aucun cas d’être courageux et de prendre les bonnes décisions quand il le faut.
Je prends acte que la mégalomanie peut être une qualité chez certains grands hommes. Mais permettez-moi de ne pas en faire ma tasse de thé.
[Encore une fois, je pense que vous vous faites une fausse idée du parcours scientifique. Si on imposait aux scientifiques ce que vous proposez – c’est-à-dire, de ne prendre la moindre décision, de ne donner le moindre avis pensant les six premières années de leur carrière – vous ne trouveriez personne. Un scientifique exerce la plénitude de son métier dès son doctorat – et quelquefois même avant.]
J’espère avoir réussi à éclaircir ce que je voulais dire ci-dessus. Ce serait inquiétant si “je me faisais une fausse idée du parcours scientifique…”
@ Frank
[Vous faites là un raisonnement académique, que je suis, mais qui n’est pas relié à notre discussion. En effet, SI l’objectif de la politique énergétique de la France était d’avoir des coupures d’électricité la moitié du temps et de sacrifier totalement l’industrie, alors OUI les décisions de Borne seraient rationnelles.]
Disons que l’objectif de premier rang de la politique énergétique de la France ces dernières années a été de contenter le lobby écologique et la Commission européenne. De ce point de vue, la politique de Borne – comme celle de ses prédécesseurs, d’ailleurs – a été parfaitement rationnelle.
[Et OUI la hiérarchisation des priorités est subjective (on pourrait même trouver des arguments pour couper l’électricité la moitié du temps et ne plus avoir d’industrie du tout). Mais JAMAIS, que je sache, de tels objectifs ont été décidés ou annoncés…]
Par contre, les objectifs de « contenter le lobby écologique », tout comme celui de suivre la politique européenne, ont été abondamment annoncés, publiquement décidés et martelés en permanence.
[Mon domaine est la recherche scientifique, plus précisément la recherche fondamentale, et les retours que j’avais eu (et qui datent de 20 ans) concernaient des discussions aux USA sur ces sujets. Comme je l’ai dit, ils ne sont peut-être pas représentatifs, mais la réputation négatives, pour les raisons que j’expliquais, des délégations françaises, semblaient être bien ancrée…]
Mais de quels sujets parlons-nous ? Je doute que vos interlocuteurs américains aient discuté des points fins de la théorie des cordes ou du boson de Higgs avec des énarques. S’ils ont eu à se frotter à des énarques, c’est probablement sur des questions de financement, d’organisation ou de personnel, sujets sur lesquels les énarques sont généralement aussi compétents sinon plus que les scientifiques les plus pointus… et je vous parle d’expérience !
[J’aimerais savoir ce que vous pensez de l’intervention d’Yves Bréchet au Sénat sur l’énergie et sa critique de la chaîne de décision. Qui étaient les gens qui ont transformé/travesti/modifié/mal compris les recommandations scientifiques ? Aucun haut-fonctionnaire à blâmer dans ce cas ?]
Je pense – je suis même sûr pour avoir discuté avec lui – qu’il vise d’abord les décideurs politiques. Et sur ce point je suis tout à fait d’accord avec lui : cela fait longtemps que dans les cabinets ministériels on écoute plus les sondeurs que les ingénieurs ou les scientifiques – ou même les énarques sur leurs champs d’expertise. Bréchet pense aussi que les hauts-fonctionnaires auraient dû agir plus décidément, quitte à affronter le politique, et sur ce point je suis beaucoup plus nuancé. Je ne suis pas favorable à une technocratie dans laquelle les « sachants » imposeraient la décision au politique. L’autorité politique doit garder le pouvoir de décision.
Je pense qu’on manque le point fondamental qui explique en grande partie la dégradation de notre expertise publique – ou du moins de la manière dont elle est utilisée. Naguère, la carrière du haut fonctionnaire était en grande partie gérée par son « corps », c’est à dire, par ses pairs. Un directeur – qui en matière énergétique était en général un ingénieur des mines ou des ponts – pouvait donc dire ses quatre vérités à un ministre, sachant que son « corps » le protégerait. Depuis les années 1990, le poids des « corps » a été affaibli et carrières dépendent beaucoup plus du politique, et déplaire au ministre est devenu beaucoup plus dangereux. Et du coup on a recruté une génération de carpettes qui dans le meilleur des cas essayent de modérer le politique lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec lui, dans le pire épousent de manière acritique ses positions.
[Les vrais experts scientifiques (ingénieurs, physiciens) ont été écouté, ou êtes-vous d’accord avec Bréchet ?]
La question n’est pas tant de savoir s’ils ont été écoutés, mais par qui. Oui, ingénieurs et physiciens ont été très largement écoutés par des hauts fonctionnaires qui ensuite rendent compte aux politiques… qui eux ne les écoutent pas, parce que « les sondages disent que ». J’ai l’impression que vous, comme Bréchet d’ailleurs, avez finalement une attente telle vis-à-vis des hauts-fonctionnaires, que la réalité ne peut que vous décevoir. En fait, on leur demande de corriger les erreurs des politiques, d’introduire une rationalité technique dans un domaine gouverné par la démagogie.
Vous savez, vous parlez à quelqu’un qui toute sa carrière a pratiqué la logique de ce patron américain qui disait qu’il « voulait des collaborateurs qui lui disent la vérité, même si cela doit leur coûter leur poste ». J’ai toujours dit ce que je pensais être la vérité à mes chefs, qu’ils fussent administratifs ou politiques. Et je peux vous dire que, rétrospectivement, ce n’était pas un bon choix de carrière. J’ai vu des postes intéressants me passer sous le nez et aller à des imbéciles qui avaient l’immense avantage sur moi d’avoir l’échine souple et de s’enthousiasmer pour n’importe quelle lubie dès lors que ça venait d’en haut. Un politique a qui mon avis sur la fermeture de Fessenheim avait déplu a même demandé ma tête… et s’il ne l’a pas eu sur un plateau, je le dois à mon directeur général – un ingénieur « à l’ancienne » – qui m’a protégé (tout en me demandant de me faire discret et m’avertissant que, tant que cet individu serait au cabinet, je pouvais dire adieu à la moindre promotion). Et dites vous bien qu’avec la « fonctionnalisation » des postes associée à la suppression des « grands corps », on aura encore moins de courageux pour prendre le risque de déplaire. On doit exiger des hauts fonctionnaires qu’ils soient courageux. Mais on ne peut leur demander d’être suicidaires.
[Pouvez-vous nous en apprendre plus (ce serait peut-être l’objet d’un papier, mais je sais, l’actualité est brûlante en ce moment pour d’autres raisons).]
Si vous m’invitez à prendre un café, je pourrais vous raconter beaucoup de choses. Mais j’hésite à le faire publiquement de peur à manquer à mon devoir de réserve.
[Je me suis peut-être mal exprimé, ou vous faites un peu semblant de ne pas avoir compris ce que j’ai voulu dire.]
Je vous l’assure, je ne fais jamais semblant. Quand je l’air d’avoir mal compris… c’est que j’ai mal compris.
[Un post-doc n’a strictement aucune responsabilité. Bien sûr, il peut donner son avis (comme le ferait un énarque stagiaire) mais il ne commande absolument personne, personne ne dépend de lui, on ne le laisse même pas enseigner à bas niveau (sauf rares exceptions). Le pire qu’il puisse faire, c’est ruiner sa propre carrière en publiant seul des bêtises. Et après son BAC + 14, il n’est que “CHARGÉ” de recherches. Les mots ont un sens.]
Je ne suis pas d’accord. Bien sûr, un « chargé de recherche » n’a pas de pouvoir de commandement. Cela tient à la nature même de son activité. Un scientifique peut même faire une brillante carrière sans jamais prendre des responsabilités de management. Mais vous ne pouvez pas appliquer les critères de la recherche scientifique à des activités où le commandement des hommes est l’essence du métier. Vous n’allez pas imposer à ceux qui se destinent à une carrière d’officier dans la marine d’être matelots pendant six ans. Vous n’allez pas imposer à un ingénieur BTP de faire six ans comme ouvrier.
Cela étant dit, je m’élève résolument contre l’idée qu’un chercheur – quelque soit son statut administratif – n’a « aucune responsabilité ». La recherche coûte de l’argent, et lorsqu’il s’agit de recherche publique, c’est de l’argent public qui provient du travail des citoyens. Le chercheur a la responsabilité de voir que cet argent – à commencer par son salaire – soit bien utilisé. Lorsqu’il fait des choix pour sa recherche, lorsqu’il donne des avis qui peuvent orienter la recherche de ses collègues, il a donc une responsabilité très réelle.
[Ne voyez-vous pas la différence avec l’étendu des responsabilités que certains jeunes énarques se voient confier après un parcours de formation beaucoup plus léger ?]
« Beaucoup plus léger » ? N’exagérons rien. Un énarque est généralement à BAC+7 à BAC+9 (avec en plus cinq à dix ans d’activité professionnelle pour ceux issus des concours interne et troisième concours, qui constituent la moitié d’une promotion). Dans beaucoup de domaines de recherche, les « post doc » sont recrutés à BAC+8.
Mais oui, je vois la différence. Elle est inhérente à tous les métiers qui impliquent l’exercice d’un pouvoir sur les personnes, et non seulement sur les choses. Mais cela est aussi vrai pour un énarque que pour un jeune médecin, un jeune officier des armées ou de la marine, un jeune policier, un jeune ingénieur de production, un jeune instituteur… pensez-vous qu’il faudrait leur interdire pendant six ans « de prendre la moindre décision, de donner le moindre avis » ?
[Excusez-moi, mais le monde de la recherche que vous avez connu n’est pas le mien, mais alors pas du tout. Je veux bien qu’il existe d’autres domaines dans la fonction publique où l’on doive commencer avec un CDD. Mais s’agit-il de BAC + 14 qui sont sortis majors de la rue d’Ulm ou de Polytechnique,]
Comment arrive-t-on à BAC+14 ? S’ils sont sortis majors de la rue d’Ulm ou Polytechnique, ils sont alors à BAC+5 (deux ans de classes préparatoires, trois ans d’école). Et aujourd’hui, quand on sort major d’Ulm, on ne fait pas une thèse en 9 ans…
[qui doivent partir à l’étranger pendant 6 ans et sacrifier toute vie familiale et une grande partie de leur vie sociale, sans strictement aucune garantie d’avoir un poste en CDD au retour ?]
Je ne comprends pas pourquoi vous dites que « le monde de la recherche que j’ai connu n’est pas le vôtre », alors que vous décrivez très exactement mon début de carrière. Diplômé ingénieur d’une école prestigieuse, j’ai fait une thèse en physique, et parce qu’il n’y avait pas de poste dans le laboratoire ou j’étais, je suis parti à l’étranger ou je suis resté six ans en CDD de trois ans renouvelable… et sans aucune garantie d’avoir un poste (CDD ou pas) en retour. Et alors ? Je ne me souviens pas d’avoir vécu cela comme un « sacrifice ». Plutôt comme la contrainte du métier. Quant on choisit d’être marin au long cours, on doit accepter d’être loin de sa famille et de ses amis pour de longues périodes…
[Soyons sérieux. Et pensez-vous une seconde, comme vous semblez le suggérer, qu’ils se lancent dans la carrière car, finalement, les CDD c’est la règle dans la fonction publique et qu’ils auront ensuite un job “avec pas mal de flexibilité”?!? C’est une blague ? Vous n’avez visiblement jamais fréquenté les laboratoires de biologie ou de physique de pointe, ni mis les pieds dans une institution d’élite qui essaie de se confronter avec ce qui se fait de mieux sur la planète…]
J’ai eu la chance de faire mes CDD à l’étranger dans une institution qui à l’époque détenait tous les records dans son domaine – et qui les améliorait périodiquement. Et oui, le fait d’avoir un métier qui donnait une grande liberté tant intellectuelle que dans l’organisation du travail a beaucoup pesé sur mon choix. Et je savais, quand je l’ai choisi, que le CDD était, au moins en début de carrière, la logique du métier. J’ai eu mon premier CDI sept ans après mon doctorat, dans un bon laboratoire… et si j’ai ensuite changé d’orientation c’est pour des raisons qui n’ont rien à voir avec une quelconque précarité… mais c’est là une autre histoire.
[Je ne dis pas ça pour “plaindre” les jeunes gens qui s’investissent (de plus en plus rarement à haut niveau, je le sais de première main) dans cette carrière, et je sais parfaitement ce qui les pousse à le faire : la passion, pour la plupart d’entre eux, la sensation de faire quelque chose de “vrai”, de “juste”, qui “élève”, voire “d’utile”, la possibilité de se couper, un peu, du monde de fou dans lequel on évolue, aussi (l’effet “tour d’ivoire”).]
Croyez bien que beaucoup de gens qui font le choix du service de l’Etat dans la haute fonction publique sont aussi passionnés par leur métier que beaucoup de scientifiques, et qu’eux aussi ont l’impression de faire quelque chose de « vrai », de « juste », qui « élève », voir qui est « utile ». Il y a de la passion et du dévouement dans beaucoup de métiers, vous savez… et dont certains sont bien moins payés et offrent bien moins de liberté que le métier de chercheur.
[Je voulais dire que ce qui est imposé de nos jours à nos jeunes scientifiques, c’est-à-dire au minimum 2 stages post-doctoraux de 3 ans après la thèse pour se frotter à ce qu’on fait ailleurs, serait acceptable, malgré les contraintes familiales et autres sacrifices considérables que cela implique, s’ils avaient la certitude d’avoir un poste décemment rémunéré et leur permettant de poursuivre leur travail dans de bonnes conditions au retour. Ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui en France (il n’y a aucune garantie, et de plus même ceux qui obtiennent un poste ne peuvent travailler, pour la plupart, dans des conditions décentes).]
Vous touchez là un problème intéressant. Quelque soit le métier que vous considérez, il y aura toujours un nombre de postes disponibles, limité par les besoins et/ou par les crédits disponibles. Et s’il y a plus de candidats que des postes disponibles, il n’y aura pas pour tout le monde. Comment réguler le flux ? Soit on limite à l’entrée – par exemple, en créant un concours « chercheur » sont les lauréats seraient seuls à même d’occuper un poste permanent – soit on dégrade les conditions de travail ou de rémunération jusqu’à ce que le nombre de candidats corresponde au nombre de postes.
Quelle serait votre proposition ? Offrir à tous ceux qui veulent faire une carrière scientifique un poste garanti à l’issue de leur parcours de formation ? Comment régulez-vous la dépense ? Attention, je ne dis pas que la recherche ne soit pas sous-financée en France – notamment pour ce qui concerne les sciences « dures » – ou qu’il ne faille pas offrir des carrières dignes aux chercheurs. Mais quelque soient les choix, il faut un mode de régulation. On ne peut pas dire « tous ceux qui veulent faire de la recherche ont droit à un poste ».
[J’entends cette critique. Je transposais un peu vite ce qu’il se fait dans la recherche et dans l’administration. Un étudiant qui a une thèse de doctorat n’est plus tout à fait un bleu, contrairement à l’énarque fraîchement diplômé. Alors chiche : disons que le “stage” à l’étranger devrait se faire après quelques années chez nous.]
C’est souvent le cas. Beaucoup d’énarques font un passage en diplomatie, sont détachés dans une administration étrangère ou à la Commission européenne. Par ailleurs, en principe tous les énarques fraichement diplômés on fait un stage de six mois en ambassade.
[Une petite remarque à ce sujet, pour bien comprendre mon point de vue : l’une des catastrophes actuelle en science est que l’effacement de la France ou plus généralement de l’Europe est en train de faire perdre une méthode, une approche, une manière d’aborder les problème qui est très précieuse et valable, au profit de l’approche anglo-saxonne. C’est très dommage car les approches se complètent.]
Je suis tout à fait d’accord. C’est pourquoi je pense que le passage à l’étranger, s’il est utile, doit se faire une fois que la personne a bien intégré « la méthode, l’approche, la manière d’aborder les problèmes » qui ont cours chez lui. Je ne suis pas sûr qu’on le fasse vraiment pendant sa thèse…
[Le scientifique que je suis ne peut que mettre en avant l’humilité. Sans humilité, la remise en question, et donc le progrès, est impossible. Le manque d’humilité est aussi la marque de l’ignorance. L’humilité dans son être profond et dans sa réflexion n’empêche en aucun cas d’être courageux et de prendre les bonnes décisions quand il le faut.]
Je pense qu’il ne faut pas confondre l’humilité intellectuelle, qui consiste à accepter que d’autres savent plus et mieux que nous, et l’humilité en général. Contrairement à ce que vous croyez, la plupart des énarques que j’ai croisé sont « intellectuellement humbles », au sens qu’ils sont assez conscients des limites de leurs connaissances. Ainsi, par exemple, j’ai trouvé chez tous les préfets que j’ai croisé une espèce de crainte révérencielle à l’égard des ingénieurs et en général de tous ceux qui ont une formation scientifique. C’était le cas aussi par exemple de De Gaulle, pour qui l’intellectuel occupait une place très particulière.
[J’espère avoir réussi à éclaircir ce que je voulais dire ci-dessus. Ce serait inquiétant si “je me faisais une fausse idée du parcours scientifique…”]
Après m’avoir fait l’éloge de l’humilité, vous me sortez ça ? Faudrait savoir… 😉
Non, ce ne serait pas inquiétant. Chacun de nous est plongé dans son milieu professionnel, et on tend à intégrer les préjugés, les interdits, la « vision de soi » de ce milieu. C’est humain.
@ Descartes
[Croyez bien que beaucoup de gens qui font le choix du service de l’Etat dans la haute fonction publique sont aussi passionnés par leur métier que beaucoup de scientifiques, et qu’eux aussi ont l’impression de faire quelque chose de « vrai », de « juste », qui « élève », voir qui est « utile »]
J’avais tendance à avoir une vision plutôt négative des hauts-fonctionnaires, sans doute alimentée par tous les clichés qu’on lit ici et là : imbus de leur personne, à leur propre service avant celui de l’État, etc.
Vous avez réussi à “redorer leur blason” – si besoin en était -, en tout cas à mes yeux, au fil de tous vos billets, et notamment ce commentaire-ci.
@ Bob
[J’avais tendance à avoir une vision plutôt négative des hauts-fonctionnaires, sans doute alimentée par tous les clichés qu’on lit ici et là : imbus de leur personne, à leur propre service avant celui de l’État, etc. Vous avez réussi à “redorer leur blason” – si besoin en était -, en tout cas à mes yeux, au fil de tous vos billets, et notamment ce commentaire-ci.]
Je ne sais pas si j’ai réussi, mais j’ai essayé. C’est un travers très français – et très humain – que de ne parler que des trains qui arrivent en retard, et ne jamais commenter ceux qui arrivent à l’heure, ce qui est très injuste pour tout ceux qui travaillent précisément pour que ce miracle quotidien s’accomplisse. Et c’est particulièrement vrai pour la haute fonction publique, précisément parce que l’une des exigences du métier est de rester discret. Les succès, quand il y en a, appartiennent aux politiciens qui vous expliqueront que c’est grâce à eux que les trains arrivent à l’heure. Ce n’est que quand les choses vont mal qu’on se souvient que ce sont les hauts fonctionnaires, « l’Etat profond », qui gouvernent le monde…
Tout le monde connaît l’énarque arrogant, cupide ou incompétent. Personne ne pense aux centaines de préfets, de sous-préfets, de directeurs, de chefs de service, d’ingénieurs des mines ou des ponts qui font fonctionner l’Etat et les services publics. Le premier sert de prétexte pour supprimer l’ENA ou les grands corps, et personne ne lève le doigt pour dire que, au vu des services que les seconds nous rendent, il serait peut-être une bonne idée de les garder. Parce qu’il faut constater que la “réforme de la haute fonction publique” est passée comme une lettre à la poste sans qu’aucun parti politique, à gauche comme à droite, n’en fasse un sujet.
@ Descartes,
[J’ai toujours dit ce que je pensais être la vérité à mes chefs, qu’ils fussent administratifs ou politiques. Et je peux vous dire que, rétrospectivement, ce n’était pas un bon choix de carrière. J’ai vu des postes intéressants me passer sous le nez et aller à des imbéciles qui avaient l’immense avantage sur moi d’avoir l’échine souple et de s’enthousiasmer pour n’importe quelle lubie dès lors que ça venait d’en haut.]
Et vous nous dites qu’on peut demander à un haut fonctionnaire d’être courageux mais pas téméraire ? Ce que vous décrivez là frise quand même l’héroïsme…
Vos collègues ne vous ont jamais dit : « Mon vieux, mets un peu d’eau dans ton vin, pense à ta carrière » ?
[Un politique a qui mon avis sur la fermeture de Fessenheim avait déplu a même demandé ma tête… et s’il ne l’a pas eu sur un plateau, je le dois à mon directeur général – un ingénieur « à l’ancienne » – qui m’a protégé (tout en me demandant de me faire discret et m’avertissant que, tant que cet individu serait au cabinet, je pouvais dire adieu à la moindre promotion).]
C’est peu de dire que je suis indigné en lisant ces lignes… Mais peu importe.
Une question me taraude : pourquoi demander son avis à un fonctionnaire ? Il y a toujours, me semble-t-il, un risque que l’avis en question n’aille pas dans le sens de celui qui le demande… Par conséquent, si on n’est pas prêt à entendre un avis contradictoire, mieux vaudrait s’abstenir d’en demander un.
Il y a une autre chose que je ne saisis pas : si j’ai bien compris, « donner un avis » à un ministre, ça fait partie du boulot d’un haut fonctionnaire. Après, comme vous l’avez rappelé à maintes reprises, le ministre décide, il est légitime pour cela. Je suppose que cet avis, conformément aux usages, vous ne l’avez pas rendu public. Par conséquent, comment peut-on reprocher à un fonctionnaire… d’avoir juste fait son boulot ?
Enfin, excusez-moi de poser cette question qui vous paraîtra peut-être saugrenue, mais étant totalement étranger à votre milieu, je me demande ce que signifie concrètement « avoir la tête » d’un haut fonctionnaire : mise au placard ? Mise à la retraite d’office ? Affectation arbitraire ? Exclusion du corps ? Rétrogradation ?
[Personne ne pense aux centaines de préfets, de sous-préfets, de directeurs, de chefs de service, d’ingénieurs des mines ou des ponts qui font fonctionner l’Etat et les services publics.]
Si vous en croisez – et je suppose que c’est le cas – je vous serai gré de leur dire qu’il y a encore quelques citoyens qui leur sont reconnaissants pour leur travail. Et tant que vous y êtes, remerciez-les de ma part pour la gestion de la pandémie de Covid-19.
@ Carloman
[« J’ai toujours dit ce que je pensais être la vérité à mes chefs, qu’ils fussent administratifs ou politiques. Et je peux vous dire que, rétrospectivement, ce n’était pas un bon choix de carrière. J’ai vu des postes intéressants me passer sous le nez et aller à des imbéciles qui avaient l’immense avantage sur moi d’avoir l’échine souple et de s’enthousiasmer pour n’importe quelle lubie dès lors que ça venait d’en haut. » Et vous nous dites qu’on peut demander à un haut fonctionnaire d’être courageux mais pas téméraire ? Ce que vous décrivez là frise quand même l’héroïsme…]
J’aimerais bien le croire… mais n’exagérons rien. Si le statut du fonctionnaire doit être défendu et préservé, c’est précisément parce qu’il permet aux fonctionnaires – sans avoir à faire preuve « d’héroisme » – de dire un certain nombre de vérités à leurs supérieurs sans avoir à craindre de perdre leur gagne-pain. On peut certes être mis au placard, on peut rater des promotions, on peut voir des postes vous passer sous le nez, mais vous avez toujours votre salaire qui tombe à la fin du mois. Je dois par ailleurs ajouter que si j’ai eu des chefs idiots, j’ai eu surtout des chefs intelligents qui m’ont su gré d’avoir dit certaines choses et d’avoir été ferme dans mes positions. Et si des postes intéressants et des promotions me sont passés sous le nez, globalement je ne peux pas vraiment me plaindre. J’aurais probablement fait une carrière plus brillante si j’avais été plus « accommodant », mais j’ai au moins le privilège inestimable de pouvoir me regarder dans un miroir.
[Vos collègues ne vous ont jamais dit : « Mon vieux, mets un peu d’eau dans ton vin, pense à ta carrière » ?]
Des dizaines de fois. Et il m’est arrivé de suivre leur conseil. Je n’ai pas l’étoffe du martyr.
[« Un politique a qui mon avis sur la fermeture de Fessenheim avait déplu a même demandé ma tête… et s’il ne l’a pas eu sur un plateau, je le dois à mon directeur général – un ingénieur « à l’ancienne » – qui m’a protégé (tout en me demandant de me faire discret et m’avertissant que, tant que cet individu serait au cabinet, je pouvais dire adieu à la moindre promotion). » C’est peu de dire que je suis indigné en lisant ces lignes… Mais peu importe.]
Ne soyez pas indigné. Ce sont les risques du métier. Un haut-fonctionnaire qui se plain de ce genre de traitement, c’est un peu comme un policier qui se plaindrait que les voyous lui crachent dessus. Le système, je vous rassure, est bien fait : les cabinets changent relativement souvent, alors ce qui peut vous arriver de pire est de devoir attendre votre promotion un ou deux ans de plus… je vous assure qu’on n’en meurt pas. Vous savez, je retire de cette expérience plus de fierté que d’amertume.
[Une question me taraude : pourquoi demander son avis à un fonctionnaire ? Il y a toujours, me semble-t-il, un risque que l’avis en question n’aille pas dans le sens de celui qui le demande… Par conséquent, si on n’est pas prêt à entendre un avis contradictoire, mieux vaudrait s’abstenir d’en demander un.]
Il y a une grande ambigüité dans la position des politiques vis-à-vis des experts. Les politiques les sollicitent parce qu’avoir un avis d’expert qui va dans le sens de ce que vous avez envie de faire est à la fois rassurant et constitue un appui important. Et puis, puisque ce que je propose est évidement ce qu’il y a de mieux, comment l’expert pourrait dire le contraire ? Et quand l’expert rend un avis négatif, on est bien embêté, et on cherche à dévaloriser cet avis : on l’accuse d’avoir des arrières pensées politiques, d’être vendu à tel ou tel lobby, de défaitisme, de représenter cet « Etat profond » qui bloque toutes les bonnes idées… Et la plupart des politiques fait d’ailleurs ce que vous proposez, avec une petite nuance : au lieu de s’abstenir de demander un avis, on demande à quelqu’un dont vous savez qu’il vous dira ce que vous voulez entendre – par exemple, parce qu’il tient à garder son job. C’est en cela que le statut du fonctionnaire, avec la carrière à l’ancienneté et la nomination au mérite, est essentiel pour le bon fonctionnement des institutions : ils constituent un filet de sécurité qui permet au fonctionnaire de déplaire sans prendre des risques vitaux. Plus on politise les nominations, et plus il devient « héroïque » de déplaire. Et cela ne rend pas service aux politiques non plus, parce que finalement cela tend à les isoler des réalités, puisque l’administration qui est censée les conseiller ne leur dit que ce qu’ils veulent entendre et tait les mauvaises nouvelles. L’évaporation des stocks de masques avant la crise COVID est un très bon exemple.
[Il y a une autre chose que je ne saisis pas : si j’ai bien compris, « donner un avis » à un ministre, ça fait partie du boulot d’un haut fonctionnaire. Après, comme vous l’avez rappelé à maintes reprises, le ministre décide, il est légitime pour cela. Je suppose que cet avis, conformément aux usages, vous ne l’avez pas rendu public. Par conséquent, comment peut-on reprocher à un fonctionnaire… d’avoir juste fait son boulot ?]
Je vous l’ais dit, il y a dans le fonctionnement du politique une grande ambigüité. Les politiques tendent à voir dans la contradiction, dans l’argumentation contraire une volonté de déstabilisation, d’obstruction, de remise en cause. Pensez la chose : le ministre et son cabinet arrivent avec plein d’idées plus ou moins élaborées, et c’est à vous de leur expliquer que le monde réel est bien plus compliqué, que certaines de leurs propositions sont impossibles à mettre en oeuvre – parce qu’elles sont contraires à la Constitution, parce qu’elles violent le 2ème principe de la thermodynamique, parce qu’on ne peut pas léviter en tirant les lacets de ses chaussures – et que celles qui sont faisables prendront bien plus de temps qu’ils ne l’imaginent. Il est beaucoup plus facile d’accuser le haut-fonctionnaire de sabotage ou d’obstruction que d’accepter qu’on a fait des propositions sans bien réflechir.
[Enfin, excusez-moi de poser cette question qui vous paraîtra peut-être saugrenue, mais étant totalement étranger à votre milieu, je me demande ce que signifie concrètement « avoir la tête » d’un haut fonctionnaire : mise au placard ? Mise à la retraite d’office ? Affectation arbitraire ? Exclusion du corps ? Rétrogradation ?]
L’exclusion de son corps n’est pas possible. La rétrogradation (en grade ou en échelon), la mise à la retraite d’office ou la révocation sont des sanctions, et ne peuvent être invoquées qu’en cas de faute caractérisée – corruption, abandon de poste, refus d’obéissance, manquement au devoir de réserve. On peut difficilement vous sanctionner pour avoir donné un avis qui déplait. En général, « avoir la tête » d’un haut fonctionnaire c’est lui retirer son poste et on le nomme à des fonctions sans intérêt, voire « hors cadre » (c’est-à-dire, vous êtes toujours payé mais à rien faire). Dans ce cas, on conserve son grade et donc son traitement, mais on perd les primes attachées au poste (qui pour un haut-fonctionnaire représentent grosso modo la moitié de votre fiche de paye).
[Si vous en croisez – et je suppose que c’est le cas – je vous serai gré de leur dire qu’il y a encore quelques citoyens qui leur sont reconnaissants pour leur travail. Et tant que vous y êtes, remerciez-les de ma part pour la gestion de la pandémie de Covid-19.]
Je n’y manquerai pas… juste pour compléter, il faut dire que les hauts-fonctionnaires sont trainés dans la boue par les médias et par la bienpensance, mais sont très appréciés par nos concitoyens qui d’ailleurs le leur font savoir. Ceux qui sont en contact avec la population – les préfets, par exemple – ont souvent une excellente image. Et même ceux qui sont en administration centrale ont à l’occasion des remontées qui montrent que dans notre pays la détestation envers la haute fonction publique n’est pas aussi répandue qu’on veut bien le croire… Je pourrais vous donner pas mal d’exemples!
@ Descartes,
[Et si des postes intéressants et des promotions me sont passés sous le nez, globalement je ne peux pas vraiment me plaindre. J’aurais probablement fait une carrière plus brillante si j’avais été plus « accommodant », mais j’ai au moins le privilège inestimable de pouvoir me regarder dans un miroir.]
Comme toujours, nous parlons là d’affaires délicates, parce que personnelles, et je ne veux surtout pas passer pour un malotrus qui se permet de donner des avis sans réfléchir.
Mais je crois honnête de vous dire ceci : je pense que vous sous-estimez quand même le niveau d’éthique nécessaire pour écrire ce que vous écrivez là. Je vais vous le dire plus crûment : est-ce que « pouvoir se regarder dans un miroir » est une priorité pour la majorité des gens en général ? Diriez-vous même que c’est la priorité pour la plupart de vos collègues ? Je ne sais pas, mais j’ai du mal à en être convaincu quand je vois les “modèles” qu’on propose à notre société. Pour paraphraser les personnages de Sergio Leone : « le monde se divise en deux : ceux qui ont des principes, et ceux qui font carrière ». Lesquels sont les plus nombreux ? Lesquels mènent la danse ?
Ce que vous écrivez là, je le mettrai en relation avec deux choses que vous avez dites ailleurs.
La première, si je me souviens bien, est une anecdote que vous aviez relaté et qui concernait vos parents, alors dans le bureau d’un fonctionnaire français qui les aidait ou les conseillait, je crois, dans leur démarche. A un moment, votre père dit au fonctionnaire que c’est agréable d’avoir affaire à un agent qui est « de votre côté ». Et vous citiez la réponse du fonctionnaire, qui m’avait beaucoup frappé : « Monsieur, je suis du côté de la loi ». Votre conclusion – là encore je parle de mémoire – était : comment ne pas aimer un tel pays ?
On voit bien cependant qu’un tel degré d’éthique, de sens de l’État, de l’intérêt général, de volonté de servir le citoyen en restant désintéressé, tout cela en réalité est éminemment fragile. Pour quelqu’un comme moi, qui ai toujours vécu en France, qui est fils et petit-fils de fonctionnaire, c’est presque quelque chose de naturel. Mais quand on regarde ailleurs dans le monde, on s’aperçoit que la probité et l’éthique des agents de l’Etat sont loin d’être la règle. Je me souviens avoir discuté avec un collègue qui était marié à une Marocaine, et il m’avait expliqué que pour une démarche, pour un papier, tout était très lent… à moins de donner un bakchich ici, un bakchich là. Bref, corruption à tous les étages. Et ce n’est pas propre au Maghreb, il y a paraît-il des pays d’Europe centrale (la Slovaquie notamment qui défraie rarement la chronique) où ce n’est guère mieux. Même dans un pays comme la Chine, qui a une longue et forte tradition étatique, la corruption est largement développée. Et ne parlons pas de l’Ukraine ou de la Russie.
A quel moment et pourquoi en France s’est produit ce miracle, somme toute pas si fréquent, qui a fait du fonctionnaire un agent honnête et respectueux de la loi ? Qu’est-ce qui a fait que le juge, le policier, le percepteur, le militaire est devenu honnête ? C’est quand même une question fascinante. Jusqu’à la veille de la Révolution je crois, des officiers de l’armée étaient encore accusés parfois de détourner la solde de leurs hommes. Même si on peut y voir l’héritage de l’État napoléonien, il y a aussi, certainement, un processus au long cours qui, pour moi, démarre dans les derniers siècles du Moyen Âge. Dès le XV° siècle, on voit apparaître des officiers du roi très attachés au service de l’État, soucieux d’étendre ses prérogatives – judiciaires notamment – au détriment des pouvoirs féodaux, dont il ne faut pas sous-estimer la puissance jusqu’à la veille de la Renaissance.
Toute cette tradition éthique, ce modèle du serviteur de l’État, je les sens menacés à vous lire. Les meilleurs se détournent du service public, vous l’avez dit. Mais avec la dégradation des carrières de la haute fonction publique, on peut aussi se demander si les plus honnêtes aussi ne vont pas s’en détourner. Le simple fait de poser le principe d’un aller-retour entre le privé et le public ouvre la voie à toutes les compromissions. Un haut fonctionnaire ne risque-t-il pas d’y regarder à deux fois avant de s’en prendre à celui qui pourrait être son futur employeur ? Ne va-t-il pas chercher, en tant que fonctionnaire, à se constituer carnet d’adresse et réseaux qu’il pourra monnayer à prix d’or dans le privé ?
Et cela fait un lien, me semble-t-il, avec un autre point que vous évoquez régulièrement, que vous empruntez je crois à Castoriadis, comme quoi le capitalisme ne peut fonctionner que grâce à des comportements qu’il est incapable de créer ou même de reproduire.
[Ne soyez pas indigné. Ce sont les risques du métier.]
Tout de même. Les gens peuvent se tromper, commettre des erreurs. On peut entendre les reproches sur la façon dont on fait son travail. Mais j’ai beaucoup de mal à admettre qu’on puisse chercher à « punir » une personne qui a simplement essayé de faire son travail, en respectant les règles et les usages.
[je vous assure qu’on n’en meurt pas.]
Je ne dis pas le contraire. Je trouve simplement que c’est cher payé pour avoir fait honnêtement son boulot, c’est tout. Surtout quand des médiocres et des courtisans se voient récompensés de leur lâcheté et de leur incompétence. Cela n’a rien de nouveau, mais il y a quelque chose de malsain et de démoralisant, je trouve, dans un tel fonctionnement.
Par ailleurs, il y a pour moi deux aspects qui doivent être distincts : il y a des fonctions politiques, de décision, pour lequel il peut paraître normal qu’un ministre choisisse quelqu’un qui épouse ses idées. Dans les fonctions administratives – qui sont quand même davantage des fonctions d’exécution – seule la compétence doit entrer en jeu, du moment qu’il n’y a pas de volonté d’empêcher le politique de mettre son projet en application.
[Vous savez, je retire de cette expérience plus de fierté que d’amertume.]
Combien de personnes pourraient en dire autant ? Je me le demande.
[Les politiques tendent à voir dans la contradiction, dans l’argumentation contraire une volonté de déstabilisation, d’obstruction, de remise en cause.]
En toute honnêteté, vous ne me rassurez pas en écrivant ses lignes : j’ai l’impression d’entendre parler des collégiens ou leurs parents… Essayez d’expliquer à certains qu’ils ont tort, qu’ils n’ont pas fait ce qu’il fallait, qu’il faudrait peut-être faire différemment. Les gens n’acceptent pas, ou difficilement, qu’on essaie de les aider en pointant leurs lacunes. Ce n’est pas un comportement très adulte je trouve, même si ce n’est jamais très agréable de s’entendre dire qu’on n’a pas fait ce qu’il fallait.
[le ministre et son cabinet arrivent avec plein d’idées plus ou moins élaborées]
Eh bien peut-être faudrait-il peupler les cabinets avec un peu plus d’experts, et un peu moins de communicants et d’idéologues. La qualité d’un politique se mesure aussi à sa capacité de choisir ses conseillers. Charles VII était surnommé « le Bien Servi ». Tout est dit.
[parce qu’elles sont contraires à la Constitution, parce qu’elles violent le 2ème principe de la thermodynamique, parce qu’on ne peut pas léviter en tirant les lacets de ses chaussures]
Mais comment se fait-il que des ministres et leurs cabinets arrivent avec de telles idées ? Je plonge dans un abîme de perplexité à mesure que je vous lis. J’ai bien conscience que certaines questions recèlent des problématiques techniques très complexes, mais enfin tout de même : si on me confiait le ministère de l’énergie, la première chose que je ferai c’est de convoquer courtoisement des ingénieurs, des juristes, des administrateurs afin de me présenter d’abord la situation, de m’indiquer ensuite les problèmes ou ce qu’on peut améliorer, puis de me proposer des solutions RÉALISTES en détaillant le coût, les contraintes et avantages de chaque proposition. Il n’y a quand même pas besoin de sortir de Polytechnique pour faire preuve d’un minimum de jugeote…
[Et même ceux qui sont en administration centrale ont à l’occasion des remontées qui montrent que dans notre pays la détestation envers la haute fonction publique n’est pas aussi répandue qu’on veut bien le croire…]
Tant mieux. J’avais cru comprendre, dans d’autres échanges, qu’il y avait une sorte de lassitude chez les hauts fonctionnaires à être pointés du doigt en permanence.
@ Carloman
[Comme toujours, nous parlons là d’affaires délicates, parce que personnelles, et je ne veux surtout pas passer pour un malotrus qui se permet de donner des avis sans réfléchir.]
Vos scrupules vous honorent, mais je vous l’assure, nous avons dépassé ce stade. On se connait suffisamment pour savoir que si un mot blesse, c’est parce qu’il a dépassé la pensée de l’auteur.
[Mais je crois honnête de vous dire ceci : je pense que vous sous-estimez quand même le niveau d’éthique nécessaire pour écrire ce que vous écrivez là. Je vais vous le dire plus crûment : est-ce que « pouvoir se regarder dans un miroir » est une priorité pour la majorité des gens en général ? Diriez-vous même que c’est la priorité pour la plupart de vos collègues ? Je ne sais pas, mais j’ai du mal à en être convaincu quand je vois les “modèles” qu’on propose à notre société.]
Avant de connaître ce milieu, je pensais un peu comme vous. Mais je peux vous assurer que dans mon parcours j’ai croisé beaucoup – si ce n’est une majorité – d’agents publics de tous niveaux qui ont, pour utiliser l’expression consacrée, « le service public chevillé au corps » et pour qui pouvoir « se regarder dans le miroir » est primordial. Pourquoi croyez-vous que des gens qui sont bien formés, compétents et très diplômés acceptent de gagner ce qu’ils gagnent, alors que dans le privé ils pourraient avoir deux, trois, quatre fois plus ?
[On voit bien cependant qu’un tel degré d’éthique, de sens de l’État, de l’intérêt général, de volonté de servir le citoyen en restant désintéressé, tout cela en réalité est éminemment fragile.]
Fragile, certainement. C’est pourquoi on ne devrait toucher à l’organisation de l’Etat et de la fonction publique que d’une main tremblante, pour reprendre la formule de Montesquieu. La construction de notre fonction publique a pris des siècles, depuis les « grands commis » et des ingénieurs du roi de l’époque de Louis XIV, en passant par la Révolution et l’Empire pour aboutir à la grande réforme de 1945. Est-ce que la prochaine génération aura toujours à cœur de servir l’intérêt général et l’Etat dans une société qui de plus en plus est construite autour de l’individu-roi ? Ce n’est pas sûr.
[Pour quelqu’un comme moi, qui ai toujours vécu en France, qui est fils et petit-fils de fonctionnaire, c’est presque quelque chose de naturel. Mais quand on regarde ailleurs dans le monde, on s’aperçoit que la probité et l’éthique des agents de l’Etat sont loin d’être la règle. Je me souviens avoir discuté avec un collègue qui était marié à une Marocaine, et il m’avait expliqué que pour une démarche, pour un papier, tout était très lent… à moins de donner un bakchich ici, un bakchich là. Bref, corruption à tous les étages. Et ce n’est pas propre au Maghreb, il y a paraît-il des pays d’Europe centrale (la Slovaquie notamment qui défraie rarement la chronique) où ce n’est guère mieux. Même dans un pays comme la Chine, qui a une longue et forte tradition étatique, la corruption est largement développée. Et ne parlons pas de l’Ukraine ou de la Russie.]
Oui, il faut être conscient que la France est une exception. Et que, comme je le disais plus haut, la construction de cette exception a été très longue. Je dois dire que le système des « corps » est de ce point de vue une trouvaille géniale : on fabrique ainsi une communauté d’individus qui a un intérêt commun à faire la police dans ses rangs, puisque la corruption de l’un rejaillira automatiquement sur les autres. Un préfet, un ingénieur des Mines mis en cause publiquement, et c’est l’ensemble du corps qui trinque. Si vous ajoutez à cela la mystique presque monacale du service public…
[A quel moment et pourquoi en France s’est produit ce miracle, somme toute pas si fréquent, qui a fait du fonctionnaire un agent honnête et respectueux de la loi ? Qu’est-ce qui a fait que le juge, le policier, le percepteur, le militaire est devenu honnête ? C’est quand même une question fascinante. Jusqu’à la veille de la Révolution je crois, des officiers de l’armée étaient encore accusés parfois de détourner la solde de leurs hommes. Même si on peut y voir l’héritage de l’État napoléonien, il y a aussi, certainement, un processus au long cours qui, pour moi, démarre dans les derniers siècles du Moyen Âge. Dès le XV° siècle, on voit apparaître des officiers du roi très attachés au service de l’État, soucieux d’étendre ses prérogatives – judiciaires notamment – au détriment des pouvoirs féodaux, dont il ne faut pas sous-estimer la puissance jusqu’à la veille de la Renaissance.]
Comme je vous l’ai dit plus haut, je pense que l’organisation des services de la monarchie, puis de la République en « corps » a beaucoup fait pour cela. Dans ce système, la carrière des individus n’est pas seulement liée à leurs mérites personnels, mais aussi au prestige du « corps ». Et c’est pourquoi ces corps cherchent à recruter les meilleurs, et organisent ensuite une police interne pour se défaire des branches pourries.
Un deuxième paramètre a été le fait que la France s’est construite autour d’un Etat centralisé et fort, censé protéger le sujet puis le citoyen de la rapacité et la corruption des élites locales, nobiliaires d’abord, notabiliaires ensuite. Pour mener un tel combat, les agents de cet Etat devaient apparaître sinon incorruptibles, en tout cas bien plus probes que les gens qui les entouraient.
Et finalement, il ne faut pas oublier que l’Etat monarchique puis Républicain s’est construit en partie par mimétisme avec l’organisation de l’institution dominante qu’était l’Eglise catholique. La mystique du service public est en grande partie un recyclage de la mystique du service de dieu.
[Toute cette tradition éthique, ce modèle du serviteur de l’État, je les sens menacés à vous lire.]
Et vous avez probablement raison. Ne serait-ce parce que, comme l’explique Castoriadis, le juge intègre, le fonctionnaire dévoué appartiennent à ces structures anthropologiques que le capitalisme a hérité du système aristocratique, mais qu’il a du mal à produire lui-même…
[Les meilleurs se détournent du service public, vous l’avez dit. Mais avec la dégradation des carrières de la haute fonction publique, on peut aussi se demander si les plus honnêtes aussi ne vont pas s’en détourner. Le simple fait de poser le principe d’un aller-retour entre le privé et le public ouvre la voie à toutes les compromissions. Un haut fonctionnaire ne risque-t-il pas d’y regarder à deux fois avant de s’en prendre à celui qui pourrait être son futur employeur ? Ne va-t-il pas chercher, en tant que fonctionnaire, à se constituer carnet d’adresse et réseaux qu’il pourra monnayer à prix d’or dans le privé ?]
C’est bien le problème. Et c’est pourquoi ces dernières années les conflits d’intérêt se multiplient, tout comme on voit fleurir des « chartes de déontologie » et autres « autorités de transparence » censées contrôler ces aller-retour, et qui se trouvent toujours dans une oscillation entre l’application stricte des critères – moyennant quoi personne ou presque ne peut bouger – et la tentation de regarder ailleurs, surtout quand le politique s’en mêle.
[« Ne soyez pas indigné. Ce sont les risques du métier. » Tout de même. Les gens peuvent se tromper, commettre des erreurs. On peut entendre les reproches sur la façon dont on fait son travail. Mais j’ai beaucoup de mal à admettre qu’on puisse chercher à « punir » une personne qui a simplement essayé de faire son travail, en respectant les règles et les usages.]
C’est moins « punir » que mettre « hors d’état de nuire ». Mais comme je vous dis, je suis philosophe. Cela fait partie des risques du métier. Dans le privé, vous êtes bien payé mais vous risquez d’être viré si vous déplaisez à votre patron. Dans le public, les salaires sont moins bons, et les risques moins élevés, c’est tout…
[Par ailleurs, il y a pour moi deux aspects qui doivent être distincts : il y a des fonctions politiques, de décision, pour lequel il peut paraître normal qu’un ministre choisisse quelqu’un qui épouse ses idées. Dans les fonctions administratives – qui sont quand même davantage des fonctions d’exécution – seule la compétence doit entrer en jeu, du moment qu’il n’y a pas de volonté d’empêcher le politique de mettre son projet en application.]
Cette distinction existe dans la haute administration. Il y a ce qu’on appelle les « emplois fonctionnels » (chef de service, sous-directeur, expert de haut niveau, directeur de projet, inspecteur général) et les « emplois à discrétion du gouvernement » (directeur général, directeur, préfet, ambassadeur). Les premiers sont nommés suivant une procédure de sélection, avec un jury, et ne peuvent être virés que pour faute ou « dans l’intérêt du service » objectivement constatés. Les seconds sont nommés et révoqués « ad nutum », c’est-à-dire, sans délai ni formalité, et sans explication.
[« Vous savez, je retire de cette expérience plus de fierté que d’amertume. » Combien de personnes pourraient en dire autant ? Je me le demande.]
Oh… on est une communauté assez nombreuse !
[« Les politiques tendent à voir dans la contradiction, dans l’argumentation contraire une volonté de déstabilisation, d’obstruction, de remise en cause. » En toute honnêteté, vous ne me rassurez pas en écrivant ses lignes : j’ai l’impression d’entendre parler des collégiens ou leurs parents… Essayez d’expliquer à certains qu’ils ont tort, qu’ils n’ont pas fait ce qu’il fallait, qu’il faudrait peut-être faire différemment. Les gens n’acceptent pas, ou difficilement, qu’on essaie de les aider en pointant leurs lacunes. Ce n’est pas un comportement très adulte je trouve, même si ce n’est jamais très agréable de s’entendre dire qu’on n’a pas fait ce qu’il fallait.]
Vous savez, les politiques sont des gens comme les autres. Les personnages hors du commun sont relativement rares. La plupart d’entre eux ressemblent… à vos parents d’élève, par exemple ! Et ils ne sont guère plus matures quand il s’agit d’admettre que quelqu’un connait mieux que vous un sujet donné.
[« le ministre et son cabinet arrivent avec plein d’idées plus ou moins élaborées » Eh bien peut-être faudrait-il peupler les cabinets avec un peu plus d’experts, et un peu moins de communicants et d’idéologues. La qualité d’un politique se mesure aussi à sa capacité de choisir ses conseillers. Charles VII était surnommé « le Bien Servi ». Tout est dit.]
C’est certain. Mais là, vous avez un problème. Les postes en cabinet sont parmi les postes les plus précaires de la République. Votre ministre peut vous licencier sans avis ni indemnité – ni droit aux allocations chômage, d’ailleurs. Et si votre ministre démissionne, votre contrat prend fin à la minute ou la démission est signée. Autrement dit, si vous êtes fonctionnaire vous regagnez votre corps d’origine – mais sans garantie d’avoir un poste – et si vous venez du privé… et bien, vous vous débrouillez. Il est donc compliqué d’attirer des gens d’expérience en cabinet, parce que les gens d’expérience occupent déjà des postes souvent élevés, et qu’ils n’ont aucune garantie de pouvoir, à leur sortie de cabinet, trouver un poste de même niveau. C’est pourquoi on ne retrouve en cabinet que des gens très jeunes, qui n’ont donc pas grande chose à perdre, et dont l’obsession est de trouver un bon poste et quitter le cabinet avant d’en être chassés.
[« parce qu’elles sont contraires à la Constitution, parce qu’elles violent le 2ème principe de la thermodynamique, parce qu’on ne peut pas léviter en tirant les lacets de ses chaussures » Mais comment se fait-il que des ministres et leurs cabinets arrivent avec de telles idées ?]
Parce que dans les partis politiques on ne travaille plus le fond des questions. Dans les réunions des partis, on ne discute que stratégie électorale. Lorsqu’on élabore des programmes, c’est souvent des listes au père Noël destinées à faire plaisir à chaque segment de l’électorat, et le seul souci de leurs rédacteurs est de s’assurer que la marotte de leur chapelle y figure en bonne place. Penser d’une manière globale ce que pourrait être la France dans dix, vingt, trente ans, cela n’intéresse personne. Un travail comme celui qui avait abouti à la rédaction du programme commun est aujourd’hui impensable.
Il faut aussi réaliser que certains bobards tournent en rond et finissent ainsi par acquérir le statut de vérités d’évangile, que personne ne remet en question. Pour ne donner qu’un exemple : on a tant répété à gauche que la centrale de Fessenheim était trop vieille, faisait eau de toutes parts, bref, qu’elle était à l’agonie que lorsque les socialistes arrivent au pouvoir en 2012, avec l’engagement de l’arrêter, au cabinet du ministre de l’énergie on est persuadé que la centrale perd de l’argent, et qu’EDF sera donc ravi qu’on lui propose de la fermer. Il a fallu leur montrer que la centrale était une usine à cash, laissant un bénéfice de l’ordre du million d’euros par jour d’exploitation, et qu’EDF non seulement résisterait avec tous les moyens à sa disposition, mais exigerait une compensation du préjudice à hauteur de plusieurs milliards. Et je peux vous assurer que même lorsqu’on leur montrait chiffres à l’appui qu’ils avaient tort, même lorsqu’EDF a présenté l’addition, ils n’ont pas voulu le croire.
[Je plonge dans un abîme de perplexité à mesure que je vous lis. J’ai bien conscience que certaines questions recèlent des problématiques techniques très complexes, mais enfin tout de même : si on me confiait le ministère de l’énergie, la première chose que je ferai c’est de convoquer courtoisement des ingénieurs, des juristes, des administrateurs afin de me présenter d’abord la situation, de m’indiquer ensuite les problèmes ou ce qu’on peut améliorer, puis de me proposer des solutions RÉALISTES en détaillant le coût, les contraintes et avantages de chaque proposition. Il n’y a quand même pas besoin de sortir de Polytechnique pour faire preuve d’un minimum de jugeote…]
C’est ce que faisaient historiquement les ministres. La logique a changé en fait en 1981. Jusqu’à cette date, les cabinets étaient relativement petits, le ministre et ses conseillers s’occupaient des dossiers de nature politique et faisaient confiance à leurs administrations pour tout le reste. Mais en arrivant au pouvoir en 1981, les socialistes étaient persuadés que la haute administration allait les saboter. La consigne a donc été pour chaque ministre d’avoir un cabinet nombreux, chaque membre étant chargé de « marquer à la culotte » un directeur d’administration centrale. Et d’exiger des directeurs qu’ils remontent chaque dossier, chaque décision au cabinet. Cela a abouti à un changement profond de l’administration : là où les directeurs étaient naguère des véritables « patrons » de leur domaine, prenant les décisions administratives et ne remontant au cabinet que les dossiers politiquement signifiants (et prenant la responsabilité de leurs choix), on a formé une génération de directeurs incapables d’aller pisser sans l’autorisation du ministre ou de son cabinet. Aujourd’hui, après quarante ans de ce fonctionnement, les effets pervers sont évidents. Tiens, pour vous donner une idée du phénomène : lorsqu’au début de son mandat Macron avait déclaré qu’il fallait que les directeurs redeviennent des vrais « décideurs » portant les politiques du gouvernement et rendant compte au ministre, on aurait pu penser que les individus qui occupent ces hautes fonctions auraient été ravis qu’on leur redonne du pouvoir. Et bien, pas du tout : ce fut la panique. Comment ? On va nous demander de prendre des vraies décisions, et d’en prendre la responsabilité ?
[Tant mieux. J’avais cru comprendre, dans d’autres échanges, qu’il y avait une sorte de lassitude chez les hauts fonctionnaires à être pointés du doigt en permanence.]
C’est vrai, mais quand je reçois une lettre de remerciements d’un usager content, ca me permet de prendre les articles négatifs du « Monde » avec une certaine philosophie.
A votre tour vous faites une erreur d’appréciation : non la Russie n’est pas du tout affaiblie mais les sanctions occidentales ont été des boomerangs contre elles et l’économie russe ne s’est jamais mieux portée comme l’indiquent les analyses de Jacques Sapir confirmées par celles du FMI.
“La prolongation de la guerre risquerait de jeter la Russie dans les bras de la Chine”
C’est déjà une réalité parce qu’elles ont conclu depuis plusieurs années un partenariat stratégique et dont les BRICS+ sont un prolongement. La Russie n’a pas été prise au sérieux par les Occidentaux par l’avertissement de 2007 lors d’une conférence sur la paix en Europe à Munich. A l’instar de celle qui s’est tenue le 14 février 2025 où le vice-président américain JD Vance a fait la leçon aux Européens. Elle n’a plus confiance en nous ce qui mettra longtemps à revenir. Trump veut essayer de la faire revenir sur cette orientation plus que décennale.
@ Cording1
[A votre tour vous faites une erreur d’appréciation : non la Russie n’est pas du tout affaiblie mais les sanctions occidentales ont été des boomerangs contre elles et l’économie russe ne s’est jamais mieux portée comme l’indiquent les analyses de Jacques Sapir confirmées par celles du FMI.]
Je me méfie des discours genre « même pas mal ». Il est vrai que les sanctions n’ont pas eu l’effet espéré et anticipé par les européens. Mais de là à dire que « l’économie russe ne s’est jamais mieux portée », il y a un pas que je ne franchirai pas. Ca fait quelque temps que je n’ai pas lu les analyses de Sapir. Il faut quand même se méfier des indicateurs. Sur le court terme, les guerres provoquent, il est vrai, un regain d’activité économique. Mais cela occulte souvent les dégâts de long terme. En Russie aujourd’hui, l’investissement est à un niveau relativement faible, malgré une inflation importante. Ce n’est pas un bon signe.
Il y a plus de 10 ans (c’était avant les évènements du Maïdan), un vieil ami, avec lequel j’ai toujours été en désaccord politique, et qui est très proche des milieux européistes (il a bossé à la Commission, etc.) m’avait fait la réflexion suivante :
“Le problème de l’Union Européenne, c’est qu’il n’y a pas de sentiment national, de sentiment d’appartenance commune. Et le meilleur moyen de créer ce sentiment, c’est d’avoir un ennemi commun face à qui se rassembler. Et le meilleur ennemi pour que les européens se rassemblent, c’est la Russie. Donc il faut faire peur aux européens sur la menace russe.”
Comme quoi l’idée ne date pas d’hier, car je ne pense pas qu’il soit le seul à l’avoir eue.
C’est un point très intéressant si on analyse. Les USA sont-ils prêts à risquer la guerre nucléaire avec la Russie parce qu’un pays Balte a été envahi après avoir fait une provocation (par exemple couplé la liaison avec Kaliningrad, au hasard).
Si un pays balte fait cela, il est fort possible que les russes se disent : “on va leur montrer qu’il y a des limites à ne pas franchir”. Mais si, en faisant cela, ils envahissent un territoire de l’OTAN, les USA seraient confrontés à une alternative entre 2 mauvais choix :
– se retrouver dans une confrontation non désirée avec la Russie, à cause d’une provocation d’un petit pays,
– ne rien faire, et montrer que la sécurité de l’OTAN n’est qu’une sécurité de papier, ce qui démonétisera immédiatement le graal de l’appartenance à l’OTAN, et réduira fortement l’influence des USA sur les membres de l’OTAN.
Comme ces deux choix sont tous les deux inacceptables pour l’OTAN, l’intérêt des USA est d’éviter qu’un petit pays ne fasse de provocation sérieuse vis à vis de la Russie. Et comme beaucoup de pays (Pologne, pays baltes) rêvent de faire de la provoc, en réalité, leur appartenance à l’OTAN devient pour la Russie une forme de garantie de sécurité, puisque l’oncle SAM veille à ce qu’ils ne fassent pas n’importe quoi…
Il y a toutefois plusieurs grosses différences :
Déjà, la plume et la parole étaient libre. Le colonel de Gaulle ou le colonel Mayer ont publiquement défendu des doctrines radicalement différentes, et étaient écoutés, à défaut d’être suivis. Aucun des deux n’a jamais été la victime d’aucune vindicte pour avoir osé contredire l’idée dominante.
L’idée dominante était -en gros- de se retrancher derrière la ligne Maginot, pour limiter les pertes, et d’avoir des réserves derrière, et du temps devant soi, pour attendre les alliés. Si cette idée s’est avérée erronée, elle n’était pas totalement stupide : on pouvait raisonnablement imaginer des scénarios dans lesquels cette stratégie aurait été payante.
Sur le terrain ukrainien, c’est l’inverse.
D’une part, n’importe quel connaisseur de la situation ukrainienne, avec quelques notions de stratégie, était capable de comprendre qu’il n’y avait aucune stratégie européenne gagnante ; aucun scénario dans lequel l’UE sortirait gagnante du conflit. Aucun des supporters du conflit n’était d’ailleurs capable de proposer une autre stratégie que “sortir militairement la Russie de la totalité du territoire ukrainien, Crimée comprise, et l’obliger à payer pour la reconstruction une fois qu’elle aura capitulé” (Une stratégie qui part du postulat que la Russie capitulera… Ca a été tenté en 1912 et 1941… c’est pour le moins très osé !)
Par ailleurs, ceux qui tentaient d’expliquer qu’on se fourvoyait dans une impasse étaient qualifiés de traitres, complotistes, vendus à la Russie, etc. Tout a été fait pour évacuer totalement toute forme de débat sur la question des buts de guerre, d’un scénario de sortie de crise, etc.
Il me semble qu’au contraire, c’est une pratique courante aux USA pour les Présidents de se faire filmer / photographier lors de la signature de décrets. Et qu’en ce sens, c’est Macron qui a copié la pratique américaine…
@ Vincent
[Il y a plus de 10 ans (c’était avant les évènements du Maïdan), un vieil ami, avec lequel j’ai toujours été en désaccord politique, et qui est très proche des milieux européistes (il a bossé à la Commission, etc.) m’avait fait la réflexion suivante : “Le problème de l’Union Européenne, c’est qu’il n’y a pas de sentiment national, de sentiment d’appartenance commune. Et le meilleur moyen de créer ce sentiment, c’est d’avoir un ennemi commun face à qui se rassembler. Et le meilleur ennemi pour que les européens se rassemblent, c’est la Russie. Donc il faut faire peur aux européens sur la menace russe.” Comme quoi l’idée ne date pas d’hier, car je ne pense pas qu’il soit le seul à l’avoir eue.]
J’ai entendu plusieurs fois cette idée exprimée dans des termes un peu plus nuancés dans les couloirs de Bruxelles. Ce sont souvent les Allemands qui partagent cette vision, peut-être parce que les pères de l’état-nation allemand – Bismarck, pour ne donner qu’un exemple – ont eu recours à cette ruse. Pour des nations comme la France ou l’Angleterre, qui se sont constituées autrement, ce genre de raisonnement est beaucoup moins familier. Personnellement, je n’y crois pas vraiment. Un ennemi commun peut être un élément déclencheur de la construction institutionnelle de l’Etat-nation. Mais pour que ça marche, il faut qu’il y ait des éléments sous-jacents : en Allemagne, ce fut une identité linguistique, une histoire politique commune, une vision partagée du droit. Et encore, la construction qui en a résulté est fragile.
[Il y a toutefois plusieurs grosses différences : Déjà, la plume et la parole étaient libre. Le colonel de Gaulle ou le colonel Mayer ont publiquement défendu des doctrines radicalement différentes, et étaient écoutés, à défaut d’être suivis. Aucun des deux n’a jamais été la victime d’aucune vindicte pour avoir osé contredire l’idée dominante.]
Jusqu’à un certain point. Dans l’armée française, adhérer publiquement à des idées hétérodoxes pouvait sérieusement endommager votre carrière. Le cas de De Gaulle, mal noté à l’école de guerre, et qui doit en partie sa carrière à l’intervention de son « parrain », le Marechal Pétain, qui les fait rectifier, est un bon exemple.
[L’idée dominante était -en gros- de se retrancher derrière la ligne Maginot, pour limiter les pertes, et d’avoir des réserves derrière, et du temps devant soi, pour attendre les alliés. Si cette idée s’est avérée erronée, elle n’était pas totalement stupide : on pouvait raisonnablement imaginer des scénarios dans lesquels cette stratégie aurait été payante.]
Le seul « scénario » dans lequel cette stratégie aurait pu s’avérer payante aurait été celui d’une guerre statique, sans chars ni aviation, bref, une guerre comme 1914-18. Par ailleurs, mal pouvait-on se « retrancher derrière la ligne Maginot » dans la mesure où elle n’allait pas jusqu’à la mer…
[D’une part, n’importe quel connaisseur de la situation ukrainienne, avec quelques notions de stratégie, était capable de comprendre qu’il n’y avait aucune stratégie européenne gagnante ; aucun scénario dans lequel l’UE sortirait gagnante du conflit.]
En fait, dans la mesure où l’UE n’a jamais défini des objectifs de guerre réalistes, il était impossible de savoir si une stratégie était « gagnante ». Le discours officiel posait comme objectif la victoire totale des armes ukrainiennes et la capitulation sans conditions de la Russie, objectif tout à fait irréaliste. Mais au-delà du discours de propagande, personne en Europe ne semble avoir travaillé sérieusement sur des scénarios pour l’après-guerre.
A ce propos, on peut se demander pourquoi les élites européennes n’ont pas poussé à la négociation après six mois de guerre, lorsque l’offensive russe sur Kiev a échoué. A ce moment-là, l’armée russe était mal organisée et mal commandée, avait subi un revers important, et les russes n’avaient pas encore trouvé les moyens de faire face aux sanctions économiques. Jamais, dans tout le cours de la guerre, la position de l’Ukraine n’aura été aussi forte. C’était le moment idéal pour appeler à un cessez-le-feu et revenir à la table de négociation. Je me demande si à ce moment-là les Ukrainiens comme les Européens ne sont pas passés à côté du moment critique. Peut-être sont-ils passés de la sur-estimation de la puissance de l’adversaire à une sub-estimation. Après avoir pensé que la Russie ne ferait qu’une bouchée de l’Ukraine, ils sont tombés dans le travers inverse, pensant que l’Ukraine pouvait battre la Russie… Je me souviens qu’à l’époque on voyait déjà les troupes ukrainiennes mettre le pied en Crimée…
[Par ailleurs, ceux qui tentaient d’expliquer qu’on se fourvoyait dans une impasse étaient qualifiés de traitres, complotistes, vendus à la Russie, etc. Tout a été fait pour évacuer totalement toute forme de débat sur la question des buts de guerre, d’un scénario de sortie de crise, etc.]
Tout à fait.
[Il me semble qu’au contraire, c’est une pratique courante aux USA pour les Présidents de se faire filmer / photographier lors de la signature de décrets. Et qu’en ce sens, c’est Macron qui a copié la pratique américaine…]
Je n’ai pas trouvé de précédent américain pour ce type de cérémonie. Avez-vous une référence ?
@Descartes
Je partage votre avis. Mais force est de constater qu’il y a une croyance chez les européistes qu’il sera possible de créer une fédération européenne, en se basant uniquement sur un corpus juridique (pour la construction politique) et sur la création d’un ennemi commun (pour le sentiment national européen).
Sur le moyen / long terme, c’est perdu d’avance. Les frontières correspondent à quelque chose. Il suffit de voir les conflits entre wallons et flamands Ou pire encore de voir que les conflits culturels internes de l’Allemagne correspondent largement à l’ancienne frontière de l’empire romain, malgré une langue commune !
Le Capitaine de Gaulle a été mal noté à l’école de guerre, à cause de son indépendance d’esprit, qui faisait qu’il n’hésitait pas à critiquer les cours de ses instructeurs, quand il les trouvait idiots. Et cela, effectivement, est mal vu dans l’armée.
Mais il n’avait encore rien écrit, ni jamais fait part publiquement d’aucune idée hétérodoxe.
Malgré l’intervention de son parrain, il n’est pas sorti bien classé de l’école de Guerre, et n’était quasiment pas “généralisable” compte tenu de son classement. Et il a du, au contraire, la suite de sa carrière, notamment sa nomination comme général, justement à ses écrits hétérodoxes, qui l’ont fait connaitre de la haute hiérarchie militaire.
Il n’est pas indispensable de déterminer un objectif à atteindre à tout prix. On peut avoir une stratégie incluant plusieurs tiroirs, plusieurs bifurcations, qui donnent, dans plusieurs cas, des portes de sorties acceptables, même si elles ne sont pas identiques.
Il y avait beaucoup d’objectifs “raisonnables” qui auraient pu être visés par l’UE / OTAN :
– partition de l’Ukraine avec le plus gros bloc rejoignant l’UE / OTAN,
– récupération de la totalité des territoires par l’Ukraine, en échange d’une neutralité et d’une forme de fédéralisme,
– “punir” la Russie, par des frappes massives de missiles de croisière sur des zones sensibles / stratégiques du pays, pour montrer que l’occident ne laisse pas envahir impunément un pays.
Dans les trois cas, il aurait été possible de clamer une forme de victoire :
– Intégration dans l’OTAN,
– Récupération du territoire,
– En cas d’absence de riposte russe (???) affirmation que la Russie a été bien punie et aura peur de recommencer.
Et on pourrait sans doute en imaginer d’autres. On peut imaginer une stratégie à tiroirs, dans laquelle plusieurs portes de sortie différentes sont jugées acceptables.
Là, la seule porte de sortie jugée acceptable était : “tout” : récupérer tout le territoire ET intégration dans l’OTAN ET infliger une défaite militaire à la Russie en Ukraine ET punir la Russie.
Mais à aucun moment il n’a été envisagé de mettre en place des moyens cohérents avec ces objectifs. Ce qui est logique, car cela aurait été équivalent à ne laisser aucune porte de sortie possible à la Russie.
Sun Tsu (je crois) disait quelque chose comme : “Ne poussez pas un ennemi acculé au désespoir, car il se battra alors jusqu’à la mort”.
Et quand l’ennemi est la principale puissance nucléaire du Monde, personne ne veut prendre le risque de la pousser au désespoir (à supposer que l’OTAN en aurait eu les moyens, ce que j’ignore).
Bref, le discours officiel posait comme objectif la victoire totale des armes ukrainiennes et la capitulation sans conditions de la Russie, objectif d’une part probablement irréaliste, mais surtout très dangereux, et dont personne ne voulait réellement !
Il y a eu plusieurs rounds de négociations : un dans les semaines qui ont suivi l’offensive, et un dans les semaines qui ont précédé le retrait de Kiev et Soumy. Les deux fois, non seulement, les occidentaux n’étaient pas à la manœuvre pour pousser à la négociation, mais ont même poussé à l’intransigeance !
En réalité, Zelensky devait aussi faire face à ses nationalistes, qui le poussaient à l’intransigeance, et je ne suis pas certain que ce soit la pression occidentale qui ait été déterminante.
Obama signant le décret pour la fermeture de Guantanamo :https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/424332/guantanamo-
Obama signant le décret sur le salaire minimum :https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/201402/12/01-4738259-obama-augmente-le-salaire-minimum-de-centaines-de-milliers-damericains.php
Obama signant un décret sur la conquête de l’espace :https://apesinspace.co/blogs/space-history/25-november-2015-obama-space-act
Obama signant un décret sur la protection des mineurs :https://obamawhitehouse.archives.gov/blog/2010/12/20/president-obama-signs-critical-legislation-prevent-child-abuse-and-domestic-violence
Obama signant un décret sur l’assurance maladie :https://kids.britannica.com/students/assembly/view/156402
Obama signant un décret sur l’électrification en Afrique :https://tvcentertainment.tv/2016/02/9858/
@ Vincent
[Je partage votre avis. Mais force est de constater qu’il y a une croyance chez les européistes qu’il sera possible de créer une fédération européenne, en se basant uniquement sur un corpus juridique (pour la construction politique) et sur la création d’un ennemi commun (pour le sentiment national européen).]
Votre commentaire m’a fait réflechir encore une fois sur les éléments qui permettent de créer cette « solidarité inconditionnelle et impersonnelle » qui pour moi est la caractéristique essentielle de la nation. En fait, je me demande si ce n’est pas un système de redistribution qui fait que chaque région, chaque village, chaque citoyen a un intérêt à la protection et la prospérité des autres. Pour utiliser une image libérale, que chaque citoyen soit « actionnaire » de son pays. Si telle ou telle région va bien, tout le monde en profite puisque elle payera plus d’impôts dans le pot commun, si telle région va mal, tout le monde en souffre puisqu’elle contribuera moins.
Dans les états-nations, c’est comme ça que ça marche. La richesse de l’Ile-de-France profite certes aux parisiens, mais aussi aux autres, parce que les impôts payés par les activités économiques de a région parisienne alimentent la machine à redistribuer. On voit même certaines régions prospères – on pense à la Catalogne, par exemple – contester cet arrangement, et refuser de payer pour les autres. Mais dans l’Union européenne, ce n’est pas le cas. Le fait que l’Allemagne ait une économie en pleine croissance n’a pas beaucoup aidé les Grecs à vivre mieux.
J’irai jusqu’à proposer une grande réforme pour faire de l’Union européenne un état-nation. On pourrait décider que l’ensemble des impôts payés par les européens seraient versés à un pot commun, et qu’ensuite ce pot serait réparti entre les états avec une clé de répartition qui tienne compte de la population et de la pression fiscale (pour éviter que certains pays puissent baisser leurs impôts tout en conservant la même quote-part). Avec un tel système, chacun aurait intérêt au succès des autres… et ce serait là la base d’une « solidarité inconditionnelle » !
[Le Capitaine de Gaulle a été mal noté à l’école de guerre, à cause de son indépendance d’esprit, qui faisait qu’il n’hésitait pas à critiquer les cours de ses instructeurs, quand il les trouvait idiots. Et cela, effectivement, est mal vu dans l’armée.]
Pourtant, les militaires n’étaient pas idiots. En témoigne l’appréciation que le directeur de l’école de guerre a mis dans le dossier de De Gaulle : « il est le plus intelligent de sa promotion, mais il a le défaut de le savoir, et le tort de le montrer ». Ca ne manque pas de panache…
[« En fait, dans la mesure où l’UE n’a jamais défini des objectifs de guerre réalistes, il était impossible de savoir si une stratégie était « gagnante ». » Il n’est pas indispensable de déterminer un objectif à atteindre à tout prix.]
Tout de même : quand on s’apprête à jeter au feu la vie des hommes et les moyens du pays, il vaut mieux savoir pourquoi on le fait. Bien sûr, on peut établir une hiérarchie entre une série d’objectifs, en sachant qu’on ne les atteindra tous. Mais si on va à la guerre, il faut au moins un objectif qui justifie le recours aux armes. Si on atteint cet objectif, on a gagné, sinon, on a perdu. La guerre est une affaire trop sérieuse pour qu’on puisse se permettre d’y aller en se disant « on verra plus tard si cela valait la peine ».
[Là, la seule porte de sortie jugée acceptable était : “tout” : récupérer tout le territoire ET intégration dans l’OTAN ET infliger une défaite militaire à la Russie en Ukraine ET punir la Russie. Mais à aucun moment il n’a été envisagé de mettre en place des moyens cohérents avec ces objectifs.]
Je pense qu’il ne faut pas confondre le discours et la réalité. Dans les discours qu’on a servi au bon peuple, on parlait d’une victoire complète des armes occidentales. Et c’est un peu le cas dans toutes les guerres. Mais à côté, il y a les véritables buts de guerre qu’on se fixe sans forcément les énoncer publiquement. Prenez par exemple la première guerre du Golfe : publiquement, on parlait de punir Saddam Hussein et même de le renverser. Mais en privé, les Américains avaient très précisément défini leurs buts de guerre : chasser les irakiens du Koweit, et rien de plus.
Je ne pense pas que l’Union européenne – et les pays membres – se soient fixés des buts de guerre avant de s’embarquer dans cette galère. Je pense que, comme d’habitude, ils ont fait confiance aux Américains pour dire jusqu’où on irait le moment venu. Et c’est d’ailleurs exactement ce qui est en train de se passer.
[A ce propos, on peut se demander pourquoi les élites européennes n’ont pas poussé à la négociation après six mois de guerre, lorsque l’offensive russe sur Kiev a échoué.]
[Je n’ai pas trouvé de précédent américain pour ce type de cérémonie. Avez-vous une référence ? (…)]
Merci pour vos exemples, j’ignorais que c’était une pratique aussi habituelle aux Etats-Unis. Je note que tous vos exemples concernent Obama. Savez-vous si les présidents qui l’ont précédé organisaient eux aussi ce type de cérémonie ?
Vous me décevez un peu. Prenez vous au sérieux les déclarations de Macron ? Ou vous êtes faussement naïf ?
Vous n’imaginez tout de même pas qu’il y a un plan prévu chez nos dirigeants d’envoyer des hommes combattre la Russie ? Sont ils seulement capables de savoir ce qu’impliquerait concrètement la mise en place d’une conscription ? Se sont ils même posés la question de savoir s’il serait pertinent d’en étudier la faisabilité avant d’annoncer la guerre ?
Il faut prendre les déclarations de Macron pour ce qu’elles sont : celles d’un acteur en manque d’attention, en manque d’amour de son public, et qui sait qu’en faisant ce type de discours, l’attention dont il n’arrivait plus à bénéficier lui reviendrait instantanément ! Mais il aurait aussi bien pu d’aller sur Mars ou de sauver la banquise, avec la même force de conviction, en fonction des sujets que l’actualité lui aurait apporté !
D’ailleurs, ça s’est remarqué à l’international. Ukrainiens comme russes ont un nouveau verbe depuis 2 ans : макронити (macroniti) qui signifie dramatiser à outrance une situation, faire de grand discours enflammés, mais sans qu’il en résulte aucune action derrière.
Ils ont parfaitement compris le personnage…
Je n’étais pas né, mais en faisant une recherche image sur Google avec :
nixon signing bill
il y a plein d’images similaires qui remontent. Je pense donc que ça doit être ancien !
@ Vincent
[Vous me décevez un peu. Prenez vous au sérieux les déclarations de Macron ? Ou vous êtes faussement naïf ? Vous n’imaginez tout de même pas qu’il y a un plan prévu chez nos dirigeants d’envoyer des hommes combattre la Russie ?]
Bien sur que non. Ici, je ne fais qu’examiner la cohérence interne du discours. Si on veut rendre crédible l’idée qu’on enverra hommes et armes, alors il faut définir des buts de guerre. Déjà on peut douter de la volonté réelle des Européens de faire autre chose que des se battre jusqu’au dernier Ukrainien. Mais affirmer qu’on est prêt de s’engager sans savoir où on va, c’est se moquer de l’intelligence des gens.
[Sont ils seulement capables de savoir ce qu’impliquerait concrètement la mise en place d’une conscription ?]
Probablement pas. Et je n’imagine pas un instant Macron payant le coût politique d’une telle mesure. Vous imaginez le tollé si demain on proposait de renvoyer vers les casernes nos petits jeunes aux cerveaux greffés sur leur téléphone portable ?
[Se sont ils même posés la question de savoir s’il serait pertinent d’en étudier la faisabilité avant d’annoncer la guerre ?]
Certainement pas. De toute façon, si on envoie quelqu’un là-bas ce sera pour observer le cessez-le-feu, et ce seront nos militaires de métier qui s’y colleront. Et franchement, je doute que la Russie l’accepte, et elle aura un argument très fort pour le refuser : il est rare que dans un conflit on prenne les soldats de l’un des camps pour vérifier le cessez-le-feu, et la France de Macron s’est clairement positionné dans le camp ukrainien. J’imagine que si cessez-le-feu il y a, on enverra des casques bleus venant de pays tiers ayant la confiance des deux parties : Turquie, Brésil, Afrique du Sud…
[Il faut prendre les déclarations de Macron pour ce qu’elles sont : celles d’un acteur en manque d’attention, en manque d’amour de son public, et qui sait qu’en faisant ce type de discours, l’attention dont il n’arrivait plus à bénéficier lui reviendrait instantanément ! Mais il aurait aussi bien pu d’aller sur Mars ou de sauver la banquise, avec la même force de conviction, en fonction des sujets que l’actualité lui aurait apporté !]
Tout à fait. C’est pourquoi Poutine le tient pour quantité négligeable, et se permet même de faire de l’humour en le comparant à un Napoléon de carton-pâte…
[« Savez-vous si les présidents qui l’ont précédé organisaient eux aussi ce type de cérémonie ? » Je n’étais pas né, mais en faisant une recherche image sur Google avec : nixon signing bill
il y a plein d’images similaires qui remontent. Je pense donc que ça doit être ancien !]
Cela fait donc partie de la culture politique américaine. C’est intéressant parce que je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de pays européens qui pratiquent ce genre de cérémonie publique. En France, en tout cas, je ne pense pas qu’il y ait eu signature publique d’un décret avant Macron.
Excusez-moi de m’immiscer, mais, avec presque un siècle de recul il est vrai, il me semble qu’on peut dire que cette idée était en effet “totalement stupide”. Depuis 1916 (!), les Etats-Unis n’ont eu de cesse de nous empêcher d’affaiblir pour de bon l’empire allemand, et, depuis en gros la dernière moitié des années 20, les Britanniques ont suivi le mouvement. Non seulement les uns et les autres ont tout fait pour empêcher d’affaiblir l’Allemagne quand il en était encore temps, mais ils nous ont empêché de constituer, de poursuivre ou d’honorer d’autres alliances qui eussent pu nous permettre de vaincre l’Allemagne. A cet égard, je ne peux que vous conseiller l’excellent livre de Duroselle, la Décadence.
Cependant, il faut évidemment admettre que la diplomatie étrangère n’aurait eu aucun poids si nos élites n’avaient été convaincues qu’il fallait suivre ce que nos “amis et alliés” nous pressaient de faire. Il est triste de nous voir pendant toutes les années 30 nous tourner vers la Grande-Bretagne pour quémander son approbation – qu’elle ne nous donnera jamais – afin de prendre la moindre initiative contre l’Allemagne. Il faut dire que nos élites étaient pour une large part convaincues que le danger soviétique était autrement plus menaçant, et qu’une Allemagne forte serait la meilleure garantie contre le péril rouge.
Tant et si bien que, chaque fois que le recours à la force a été envisagé, l’Union soviétique était prête à nous seconder, mais c’est la Grande-Bretagne qui nous en a dissuadé, en Rhénanie comme en Espagne, puis en Tchécoslovaquie. De fait, l’alliance avec l’Union soviétique impliquait nécessairement que nous obtenions de la Pologne qu’elle accepte de laisser passer les troupes soviétiques sur son sol, pour marcher sur l’Allemagne. Les rares fois où nous avons esquissé pareilles négociations ont vu les Britanniques se ranger du côté de la Pologne outrée pour la soutenir dans son refus, et contrecarrer l’alliance de revers avec l’Union.
Il faut dire qu’à l’époque, la Pologne avait signé un traité de “non-agression” avec l’Allemagne, qui s’était transformé en pacte de “co-belligérance” à l’occasion du démantèlement de la Tchécoslovaquie. (Aujourd’hui qu’on nous rabâche les oreilles sur le pacte germano-soviétique, je suis toujours surpris qu’on ne mentionne jamais le précédent germano-polonais, qui était, de l’aveu même des signataires, avant tout dirigé contre l’Union soviétique.)
C’est cette diplomatie tantôt lâche, tantôt veule, qui explique que nous ayons mis si longtemps à chercher à nous donner par nous-mêmes les moyens de combattre l’Allemagne. Si bien qu’à l’heure de la déclaration de guerre, il est vrai que la stratégie d’attente se justifiait par la nécessité 1) de porter notre industrie de guerre et sa production au niveau de celle de l’Allemagne, 2) d’attendre que les Britanniques veuillent bien nous fournir toutes les machines de guerre qu’elles pourrait fournir (ce qui ne fut jamais le cas, notamment au niveau de l’aviation ; il est vrai que notre émissaire ne fut soutenu par Gamelin que du bout des lèvres…), 3) espérer que les Etats-Unis s’engagent à nos côtés.
Pourtant, rien, et j’ai cru le montrer brièvement ci-dessus, rien ne permettait de croire, au vu de la décennie passée, que nous serions soutenus par nos alliés. Seul un aveuglement coupable pouvait rendre crédible cette idée stupide qui fondait notre diplomatie sur une alliance avec la Grande-Bretagne, qui, malgré l’héroïsme dont elle fit preuve pour son propre compte par la suite, ne nous a, jusqu’au bout, jamais été d’une grande aide.
Pardonnez-moi d’être intervenu si longuement, mais je crois qu’il appartient aux hommes du XXIe siècle de tordre le cou aux fausses légendes du XXe siècle. Rien n’allait dans cette stratégie, dans ses motivations, ses principes, ses fondements, ses appuis et ses attentes. Bien sûr, il est facile de le dire aujourd’hui, il était difficile de le voir hier, et, pour les quelques uns qui s’en sont rendu compte à des degrés divers – les uns quant à la diplomatie, les autres au sujet de l’industrie, certains au sujet de la stratégie, d’autres au sujet de l’armement, etc. -, pratiquement impossible de le dire et d’être entendu.
@ Louis
[Il faut dire qu’à l’époque, la Pologne avait signé un traité de “non-agression” avec l’Allemagne, qui s’était transformé en pacte de “co-belligérance” à l’occasion du démantèlement de la Tchécoslovaquie. (Aujourd’hui qu’on nous rabâche les oreilles sur le pacte germano-soviétique, je suis toujours surpris qu’on ne mentionne jamais le précédent germano-polonais, qui était, de l’aveu même des signataires, avant tout dirigé contre l’Union soviétique.)]
Non seulement l’histoire des années 1930 est passionnante, mais il est aussi passionnant d’étudier pourquoi certains pans de cette histoire sont soigneusement mis sous le tapis. Un des éléments les plus ignorés de cette période, c’est l’influence de l’anticommunisme des élites dans les choix qui, in fine, ont conduit à la guerre. C’est l’anticommunisme qui a aveuglé une bonne partie des élites européennes au danger que représentait l’Allemagne nazi, de la même manière qu’il a aveuglé les élites allemandes au danger que représentait le parti nazi. C’est parce que cette réalité politique est peu reluisante qu’on évite soigneusement de parler des « pactes » conclus avec l’Allemagne et dirigés contre l’URSS, de la même manière qu’on occulte le fait – que vous rappelez dans votre commentaire – que toutes les tentatives de l’URSS de former des coalitions contre l’Allemagne ont été repoussées.
[Pardonnez-moi d’être intervenu si longuement, mais je crois qu’il appartient aux hommes du XXIe siècle de tordre le cou aux fausses légendes du XXe siècle.]
Vaste programme… mais tout à fait indispensable ! Non seulement pour mieux comprendre l’histoire, mais pour mieux voir comment les fausses légendes du XXIème siècle se construisent sous nos yeux…
@Louis
Vous avez parfaitement raison. Votre résumé est synthétique mais correspond à la réalité.
La situation n’était pas si simple : si la France misait sur une stratégie offensive, d’aller occuper la Rhénanie, nous nous coupions de toute possibilité de soutien allié. Compte tenu de la disproportion de moyens avec l’Allemagne, (démographique et industrielle), ça n’était pas une situation d’avenir…
Si la France misait sur une stratégie défensive, il était -ou du moins il pouvait, à l’époque, raisonnablement être jugé- intelligent de créer une ligne Maginot pour diviser par 2 la longueur du front à défendre, tout en obligeant l’Allemagne à passer par la Belgique, et donc la GB à entrer en guerre à nos côtés, comme en 1914.
On ne peut pas reprocher aux stratèges de l’époque d’avoir raisonné par rapport à ce qu’ils avaient connu : 1914.
Tout cela pour revenir à mon point initial : s’ils n’ont pas été particulièrement perspicaces, et sont restés dans un certain confort intellectuel, on ne peut pas leur reprocher d’avoir choisi une stratégie qui, même sur le papier, n’avait aucune chance d’aboutir à une solution qui ne soit pas catastrophique.
Au contraire de la “stratégie” ukrainienne/occidentale, consistant à faire la guerre à la Russie, pour la punir d’avoir déclenché une invasion, et n’ayant pas d’autre issue favorable qu’une capitulation russe… C’est à dire n’ayant pas d’issue favorable !
[Il va de soi que l’intégrité territoriale de l’Ukraine n’est pas négociable, Crimée comprise, et que toute paix qui n’aboutirait pas à cela est détestable. Bien entendu, il faudra que la Russie paye la reconstruction de l’Ukraine. Quant à Poutine, hors de question qu’il puisse rester au pouvoir, il doit être jugé par la cour pénale internationale et jeté dans un cul de basse fosse.]
On est bien revenu sur le référendum du 17 mars 1991 approuvé avec une participation de 80,03% pour 77,85% de votes positifs. Le régime de fascisation de l’Ukraine par Zelenski et co est fils de cette forfaiture.
Vous parlez de “garanties”.
J’abonde sur ce point sur les inepties européistes et des nationalistes ukrainiens, dont Zelensky est l’expression. La barricade a deux faces : les alliés antifascistes et les partisans de la fascisation. Il est heureux, en raison d’intérêts notamment politique, que les Etats-Unis rallient (enfin) le premier camp.
Ce qui n’est pas négociable est d’approuver le coup d’Etat de l’Euro-maïdan. Ce qui n’est pas négociable est d’approuver la violence du régime de Kyiv à Odessa et ailleurs et particulièrement dans le Donbass. Ce qui n’est pas négociable est d’approuver, alors que Donald Trump l’assume lui-même, que l’OTAN est bien la seule cause de l’aventure guerrière à l’initiative de l’administration Biden et de l’immixition de Zelenski et de tout l’aéropage de nos clercs européistes en faveur de l’administration sortante et Kamala Harris etc.
Les garanties, c’était le 9 février 1990 quand le secrétaire d’Etat américain James Baker a négocié l’intégration d’une Allemagne unie, ayant annexé la RDA, dans l’OTAN garantissant que l’OTAN n’ira pas plus loin : “La juridiction militaire actuelle de l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vert l’est.”
Valdimir Poutine a présenté la candidature de la Fédération Russe à l’OTAN, puis il a fait un discours très clair en 2007 à Munich (suivant rappelons le l’intervention violente et illégal de l’OTAN en Serbie en 1999).
Il est grand temps que les peuples russophones puissent vivre libres du joug de Kyiv. La Crimée jouit de sa libération de 2014 et qui peut penser que les millions d’ukrainiens qui se sont réfugiées depuis 2022 en Fédération Russe, comme les soldats des unités « ukrainiennes » rêvent d’être massacrés ainsi que leurs familles. L’Union Européenne doit payer la reconstruction de l’Ukraine, comme le Royaume-Uni de Johnson et Starmer.
Vladimir Poutine « Ils nous ont menti à plusieurs reprises, ils ont pris des décisions dans notre dos, ils nous ont mis devant le fait accompli. Cela s’est produit avec l’expansion de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord [OTAN] vers l’est, ainsi qu’avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières. » Dans son discours justifiant la réunion de la Crimée à la Fédération de Russie, le 18 mars 2014. Il exprimait sa rancœur envers les dirigeants occidentaux. D’ailleurs, la revue de l’OTAN lui a répondu par un plaidoyer visant à démonter ce « mythe » et cette « prétendue promesse » : « Il n’y a jamais eu, de la part de l’Ouest, d’engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée », écrit M. Michael Rühle.
En juillet 2015, face au réalisateur américain Oliver Stone, Vladimir Poutine rappela : « Rien n’avait été couché sur le papier. Ce fut une erreur de Gorbatchev. En politique, tout doit être écrit, même si une garantie sur papier est aussi souvent violée. Gorbatchev a seulement discuté avec eux et a considéré que cette parole était suffisante. Mais les choses ne se passent pas comme cela ! »
Comme l’a rappelé Donald Trump ce vendredi, William Clinton a violé cette garantie, comme ses successeurs et particulièrement les démocrates Obama et Biden…
L’atlantisme le plus crasse est la pensée unique de Mélenchon à Bardella en la matière : Tous favorables à l’impérialisme des Etats-Unis d’Amérique sous-direction des oligarques « démocrates » et des néo-conservateurs partisans des « regime change » et du F16.
La France devait faire 30 milliards d’économie, s’engage, dans le cadre d’une trajectoire devant la bureaucratie bruxelloise à viser une réduction du déficit de plus de 90 milliards d’euros d’ici 2029… et annonce 3 points de PIB soit 90 milliards d’euros pour la Guerre.
Bruno Lemaire ambitionnait une guerre économique totale le 1er mars 2022, acceptant une perspective de génocide du peuple russe vu les répercussions escomptées sur les civils…
Et là Donald Trump acte juste que Zelensky ne veut pas de cesser le feu. Ce qui est vrai. Zelensky veut la guerre, au nom de « nos valeurs » partagées avec Gerogia Melloni etc.
Ils veulent la guerre en effaçant les phonèmes russes… La mairie escrolo-socialo de Lille modifiant le nom de Pont de Kharkov par Pont de Kharkiv. Réécriture de l’histoire.
Ils veulent la guerre pour apporter une nouvelle fois avec le fusil en bandoulière un changement de régime en Fédération Russe. Personne n’aime les missionnaires armés.
C’est le message de la Crimée et du Donbass ayant rejoints la Fédération… qui ne luttent pas pour « des frontières immuables » mais pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Zelensky est un fantoche. Oui, il a été rhabillé par son donneur d’ordre. Toute l’impuissance des atlantistes est dans le fait qu’il faut des « garanties » par les Etats-Unis d’Amérique.
Le choix de la paix n’existe que si le fauteur de guerre est identifié : Zelensky. Il a violé son mandat dès 2019. Avec Hollande, ils ont sapé les accords de Minsk 1 et 2. Il a organisé sciemment des manœuvres en 2021 avec l’OTAN et fait et laissé tirer contre le Donbass.
https://fr.euronews.com/2021/10/27/guerre-du-donbass-des-drones-turcs-pour-frapper-les-separatistes-prorusses
L’Occident a bombardé la Serbie ou encore la Libye (affaire de Bengazhi) pour moins que ça.
La Turquie occupe militairement le nord de Chypre, pays membre de l’Union Européenne, dans une certaine indifférence de nos moralistes à la BHL, Glucksmann et co.
Pour la Guerre en Irak, qui doit être jugé par la CPI et pour toutes les autres violations du droit international par les « forces du bien » ?
A titre d’extrait du rapport ONU du 17 février 2022, pour mémoire :
« Cette séance a également été marquée par l’intervention d’une militante de la société civile ukrainienne qui a vivement dénoncé le fait que les autorités de Kiev s’opposent à toute dissidence, notamment aux « personnes qui sont contre Maïdan, contre le renversement du Gouvernement, et contre la guerre dans l’est ».
De même, dans ce rapport, vous pouvez lire :
« Mme TETIANA MONTYAN, militante de la société civile de l’Ukraine, a déclaré qu’elle est absolument convaincue que les autorités de Kiev n’ont pas l’intention d’appliquer les accords de Minsk, déplorant que l’Occident fournisse des armes pour renforcer les forces armées de l’Ukraine. Elle a accusé Kiev de ne pas vouloir dialoguer avec Donetsk et la société civile. L’Europe et l’OTAN ne veulent pas non plus dialoguer car ils sont contre ceux qui veulent vivre en paix avec la Russie, a-t-elle ajouté, avant de dénoncer les poursuites pénales engagées « contre les personnes qui veulent la paix », celles qui étaient contre « Maïdan », contre le renversement du Gouvernement, contre l’OTAN, contre l’Europe ».
Mme Montyan a indiqué que cela fait 5 ans que l’on attend un statut spécial pour les régions de l’est de l’Ukraine, « mais que les autorités de Kiev ne vont pas l’octroyer ». Elles refusent toute dissidence en Ukraine, s’est-elle alarmée. Les personnes qui sont contre Maïdan, contre le renversement du Gouvernement, contre la guerre dans l’est n’ont pas le droit de s’exprimer ni dans les partis politiques, ni dans les organisations de la société civile, a-t-elle dénoncé.
Poursuivant, la militante a affirmé que les puissances occidentales permettent à Kiev de ne pas appliquer les accords de Minsk, « car si ce n’était pas le cas, ces accords seraient déjà mis en œuvre ». Selon elle, l’objectif véritable de l’Occident est de pousser la Russie à la guerre. « Il n’y a pas d’autres explications à l’hystérie occidentale ». Le peuple ukrainien et la population des régions qui veulent l’autonomie ne sont que des pions dans ce jeu géopolitique, a-t-elle déploré, signalant que ce matin, des explosions et des tirs ont été signalés le long de la ligne de contact.
Elle a accusé Kiev d’avoir tiré sur des civils durant les 8 années de guerre, s’indignant du manque de réaction de la Mission spéciale d’observation de l’OSCE à ce sujet. L’Occident regarde dans l’indifférence les souffrances de toutes ces personnes tout en clamant qu’il n’y a d’autres options que les accords de Minsk, a-t-elle déploré, soulignant une fois de plus que les autorités de Kiev doivent les appliquer. »
https://press.un.org/fr/2022/cs14795.doc.htm#:~:text=Depuis%20le%20d%C3%A9but%20de%20l,deux%20parties%2C%20selon%20son%20Observateur
Nos « valeurs »… Vos « valeurs »…
Donald Trump reconnait enfin les erreurs et comme l’annonçait Emmanuel Todd prend les pertes de la défaite… Il a raison d’être agacé par les gamineries des Macron et Zelensky…
A… et Zelensky est mouillé dans les Pandoras, pour de nombreuses affaires commerciales via des sociétés offshore. Elles débouchent fin 2021 sur une crise politique pour le dirigeant, qui avait promis de combattre ces maux lors de son élection en 2019. Depuis, la guerre.
Donald Trump passe le message… sans notre soutien, dont Starlink, l’Ukraine aurait capitulé. Le maintien d’une ligne de front, de hachoir à viande, n’est possible que par celà. Si vous imaginez continuer effectivement 4 autres oblasts seront libérés par les forces armées de la fédération de Russie : Kharkov, Dnipro, Nikolaïev et Odessa. Il est peut-être temps d’arrêter les frais car … malgré toute le narratif de propagande cette guerre civile doit s’arrêter.
Il est d’ailleurs intéressant que les anti-campistes… sont désormais nus. Il est intéressant que la seule proposition soit de continuer la guerre jusqu’à l’annexion de la Crimée par Kyiv. Car le fond est là. Le refus de nos faucons par toute parole d’un accord avec la Fédération Russe.
@ Lafleur
[On est bien revenu sur le référendum du 17 mars 1991 approuvé avec une participation de 80,03% pour 77,85% de votes positifs. Le régime de fascisation de l’Ukraine par Zelenski et co est fils de cette forfaiture.]
Tout de suite les grands mots… « fascisation », n’est ce pas un peu excessif ? Mais oui, le référendum en question avait donné une large majorité à la préservation de l’intégrité de l’URSS. Il n’est quand même pas inutile de rappeler que certaines républiques (Arménie, Géorgie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Moldavie) n’ont pas participé au vote, les autorités locales ayant décidé le boycott. Est-ce que cela retire sa valeur au résultat ? Probablement pas, compte tenu du poids démographique marginal des réfractaires. Cela étant dit, se pose toujours la question de la légitimité des prétention séparatistes de tel ou tel territoire vis-à-vis du principe de liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes.
[Vous parlez de “garanties”.]
Personnellement, je n’y crois pas. L’histoire a montré que les « garanties » ne fonctionnent que lorsque les « garants » y ont intérêt, et que dans ce cas ce n’est pas la peine de les écrire. Curieusement, la question des garanties n’est jamais posée de façon symétrique. On parle des garanties qu’on pourrait offrir à l’Ukraine vis-à-vis de la Russie, mais jamais des garanties offertes à la Russie face à l’OTAN, par exemple. Et depuis le bombardement de Belgrade, on sait que l’agression unilatérale par l’OTAN d’un pays est parfaitement possible. Mais bien sûr, comme l’OTAN ce sont les gentils, pas la peine de garanties…
[Ce qui n’est pas négociable est d’approuver le coup d’Etat de l’Euro-maïdan. Ce qui n’est pas négociable est d’approuver la violence du régime de Kyiv à Odessa et ailleurs et particulièrement dans le Donbass.]
En matière de politique internationale, j’appartiens je pense à l’école « réaliste ». Le coup d’Etat de l’Euromaïdan est un fait historique. L’approuver ou le désapprouver, c’est un peu comme approuver ou désapprouver la bataille de Waterloo. C’est une posture morale, pas une posture politique. Le régime de Kiev comme celui de Moscou sont ce qu’ils sont. Il faut faire avec.
[Les garanties, c’était le 9 février 1990 quand le secrétaire d’Etat américain James Baker a négocié l’intégration d’une Allemagne unie, ayant annexé la RDA, dans l’OTAN garantissant que l’OTAN n’ira pas plus loin : “La juridiction militaire actuelle de l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vert l’est.”
Valdimir Poutine a présenté la candidature de la Fédération Russe à l’OTAN, puis il a fait un discours très clair en 2007 à Munich (suivant rappelons le l’intervention violente et illégal de l’OTAN en Serbie en 1999).]
Oui. Une grande occasion de créer un ordre international plus stable a été ratée à cette occasion. Mais c’était sans compter sur l’hubris du système UE/OTAN, grisé par la « victoire » sur « l’empire du mal »…
[Il est grand temps que les peuples russophones puissent vivre libres du joug de Kyiv. La Crimée jouit de sa libération de 2014 et qui peut penser que les millions d’ukrainiens qui se sont réfugiées depuis 2022 en Fédération Russe, comme les soldats des unités « ukrainiennes » rêvent d’être massacrés ainsi que leurs familles. L’Union Européenne doit payer la reconstruction de l’Ukraine, comme le Royaume-Uni de Johnson et Starmer.]
Je ne connais pas assez la situation des russophones pour avoir une opinion. D’une manière générale, ma position est de privilégier les états-nations par rapport aux particularismes régionaux. Je me suis assez battu contre la prétention des basquophones, corsophones, bretonnants et autres calamités de ce type pour me mettre à défendre les droits des russophones ukrainiens. Si l’Ukraine veut conduire une « assimilation intérieure » comme l’a fait la France à la fin du XIXème siècle, c’est leur affaire. Et la Russie n’a pas à s’en mêler. Aurions-nous accepté que l’Italie se pose en protectrice des italophones du comté de Nice ?
[Vladimir Poutine « Ils nous ont menti à plusieurs reprises, ils ont pris des décisions dans notre dos, ils nous ont mis devant le fait accompli. Cela s’est produit avec l’expansion de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord [OTAN] vers l’est, ainsi qu’avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières. » Dans son discours justifiant la réunion de la Crimée à la Fédération de Russie, le 18 mars 2014. Il exprimait sa rancœur envers les dirigeants occidentaux. D’ailleurs, la revue de l’OTAN lui a répondu par un plaidoyer visant à démonter ce « mythe » et cette « prétendue promesse » : « Il n’y a jamais eu, de la part de l’Ouest, d’engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée », écrit M. Michael Rühle.]
La question ici n’est pas celle de savoir s’il y a eu des « engagements politique ou juridiquement contraignants ». Ça, ce sont des querelles d’avocats. A mon sens, la question est surtout de comprendre l’enchaînement des faits. Le système UE/OTAN a eu l’opportunité de créer un équilibre en Europe en maintenant un chapelet d’états « neutres » entre la Russie et lui-même. Il a choisi – engagement ou pas, cela n’a pas d’importance, parce que seuls les effets comptent – de ne pas le faire, et de pousser son influence jusqu’aux frontières mêmes de la Russie. Que la Russie prenne des mesures pour contrer ce mouvement, y compris par la force lorsque ce qu’elle estime être les « lignes rouges » sont dépassées, c’est dans la logique même des rapports internationaux. Savoir qui a raison et qui a tort, c’est un autre débat. Gorbatchev a-t-il cru de bonne foi à une promesse des occidentaux ? C’est possible. Sa naïveté dans ses rapports avec les occidentaux est bien connue aujourd’hui. A-t-il pris ses désirs pour des réalités ? Là aussi, on ne peut l’exclure.
[La France devait faire 30 milliards d’économie, s’engage, dans le cadre d’une trajectoire devant la bureaucratie bruxelloise à viser une réduction du déficit de plus de 90 milliards d’euros d’ici 2029… et annonce 3 points de PIB soit 90 milliards d’euros pour la Guerre.]
Sur ce point, il faut dire que le changement de langage est très amusant. Hier on nous expliquait « qu’il n’y a pas d’argent magique », aujourd’hui on parle de financer le réarmement par un « emprunt européen », comme si les emprunts, du simple fait qu’ils sont « européens », ne constituaient pas une dette dont il faudra assumer la charge au même titre que les emprunts nationaux. Hier on nous expliquait que la dette menaçait notre souveraineté et nous mettait dans les mains de nos créanciers, aujourd’hui on parle de financer la défense de notre souveraineté… par la dette !
Le seul point positif dans tout cela, c’est qu’au nom d’une souveraineté réarmée, on pourra peut-être faire la peau aux dogmes libre-échangistes, et reconstruire une industrie lourde en Europe…
[C’est le message de la Crimée et du Donbass ayant rejoints la Fédération… qui ne luttent pas pour « des frontières immuables » mais pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.]
Vous simplifiez je pense à l’excès. Y a-t-il un « peuple » dombassien ?
[Zelensky est un fantoche. Oui, il a été rhabillé par son donneur d’ordre. Toute l’impuissance des atlantistes est dans le fait qu’il faut des « garanties » par les Etats-Unis d’Amérique.
Le choix de la paix n’existe que si le fauteur de guerre est identifié : Zelensky. Il a violé son mandat dès 2019. Avec Hollande, ils ont sapé les accords de Minsk 1 et 2. Il a organisé sciemment des manœuvres en 2021 avec l’OTAN et fait et laissé tirer contre le Donbass.]
Au-delà des accusations qui me paraissent exagérées, je pense que le débat pour savoir qui est le « fauteur de guerre » est un débat utile peut-être pour ceux qui s’intéressent au droit et à la morale, mais parfaitement déconnecté de la problématique politique. En matière de relations internationales, ce sont les rapports de force qui in fine déterminent les choses. Le fait de savoir qui, de Zelenski ou de Poutine, a jeté la première pierre n’a pour moi aucun intérêt. La question « réaliste » est : à partir des données du problème, qu’est ce qu’on fait.
[A titre d’extrait du rapport ONU du 17 février 2022, pour mémoire :
« Cette séance a également été marquée par l’intervention d’une militante de la société civile ukrainienne qui a vivement dénoncé le fait que les autorités de Kiev s’opposent à toute dissidence, notamment aux « personnes qui sont contre Maïdan, contre le renversement du Gouvernement, et contre la guerre dans l’est ».]
Ce genre de « témoignages » ne vaut rien. Vous savez, il est relativement facile de trouver des « militants de la société civile » pour affirmer que la terre est plate ou qu’Elvis n’est pas mort.
[Donald Trump reconnait enfin les erreurs (…)]
Reconnaître les erreurs des autres, c’est à la portée de tout le monde.
[Si l’Ukraine veut conduire une « assimilation intérieure » comme l’a fait la France à la fin du XIXème siècle, c’est leur affaire. Et la Russie n’a pas à s’en mêler. Aurions-nous accepté que l’Italie se pose en protectrice des italophones du comté de Nice ?]
Certes, je suis d’accord. Mais il faut tout de même relever la contradiction du discours bienpensant, qui adore les minorités, les Kurdes, les Ouïghours, les Tibétains, les Kosovars… Mais n’a apparemment aucun problème à ce que les minorités Russes subissent humiliations, brimades voire violences.
@ BolchoKek
[« Si l’Ukraine veut conduire une « assimilation intérieure » comme l’a fait la France à la fin du XIXème siècle, c’est leur affaire. Et la Russie n’a pas à s’en mêler. Aurions-nous accepté que l’Italie se pose en protectrice des italophones du comté de Nice ? » Certes, je suis d’accord.]
Pour préciser ma pensée : oui, c’est leur problème… mais il faut aussi être conscient que la réussite d’une telle « assimilation » implique créer les conditions pour que le l’assimilation vaille la peine, autrement dit, que l’effort qu’on demande à l’assimilé trouve une contrepartie dans les avantages que procure l’accès à la pleine citoyenneté. « L’assimilation intérieure » imposée par la IIIème République ne rencontra qu’une résistance marginale, parce que les populations visées ont tout de suite perçu les avantages que cela procurait. Si on s’était contenté de mesures autoritaires cela n’aurait pas marché.
[Mais il faut tout de même relever la contradiction du discours bienpensant, qui adore les minorités, les Kurdes, les Ouïghours, les Tibétains, les Kosovars… Mais n’a apparemment aucun problème à ce que les minorités Russes subissent humiliations, brimades voire violences.]
Sur ce point, la bienpensance est extrêmement contradictoire. Il est clair que les minorités qui s’opposent à quelque classé dans le camp du Mal méritent tout notre soutien. Ceux qui au contraire sont alliés avec le camp du Mal sont à rejeter. Mais lorsque le conflit apparaît dans le camp du Bien… c’est moins clair. Une bonne partie de la bienpensance soutient les mouvements régionalistes, par exemple…
Descartes, vous écrivez :
[Sur ce point, il faut dire que le changement de langage est très amusant. Hier on nous expliquait « qu’il n’y a pas d’argent magique », aujourd’hui on parle de financer le réarmement par un « emprunt européen », comme si les emprunts, du simple fait qu’ils sont « européens », ne constituaient pas une dette dont il faudra assumer la charge au même titre que les emprunts nationaux. Hier on nous expliquait que la dette menaçait notre souveraineté et nous mettait dans les mains de nos créanciers, aujourd’hui on parle de financer la défense de notre souveraineté… par la dette !
Le seul point positif dans tout cela, c’est qu’au nom d’une souveraineté réarmée, on pourra peut-être faire la peau aux dogmes libre-échangistes, et reconstruire une industrie lourde en Europe…]
Je vous avoue être plus inquiet qu’autre chose à propos de ces emprunts européens. J’ai l’impression qu’il s’agit surtout d’une tentative de plus d’un “saut fédéral” (parce qu’il est trop tard pour nous réarmer avant la fin de la guerre en Ukraine, même avec de la volonté), qui ne ferait que renforcer le poids des dogmes européistes.
@ Dell Conagher
[Je vous avoue être plus inquiet qu’autre chose à propos de ces emprunts européens. J’ai l’impression qu’il s’agit surtout d’une tentative de plus d’un “saut fédéral”]
Je partage votre inquiétude sous une forme un peu différente. Il est clair que le rêve des fédérastes, c’est un “budget européen” qui donnerait aux institutions une véritable force de frappe. Le problème est que l’Union européenne n’a aucune légitimité qui lui permettrait de lever l’impôt, et que toute tentative dans ce sens aurait de grandes chances de résulter en une révolte fiscale. Le budget européen reste donc alimenté par des contributions des Etats, ce qui leur permet de garder un contrôle strict sur la dépense. Alors, pour aller plus loin, il ne reste qu’une voie, les fameux “emprunts européens”… cela étant dit, le procédé a des limites. Si les prêteurs achètent des obligations françaises ou allemandes, c’est parce que ces nations ont dans leur main le levier fiscal. C’est là la véritable garantie des emprunts. L’UE n’a pas ce levier, et les levées de fonds par l’emprunt ne sont possibles que si les états garantissent le remboursement. Il y a donc peu de chance de voir avant longtemps un véritable “emprunt européen”, que la Commission serait libre de dépenser comme elle l’entend.
Cela étant dit, j’insiste sur la curieuse opération de l’esprit qui fait qu’on voit l’emprunt national comme une “charge sur les générations futures”, et qui a ce titre est, pour reprendre la terminologie de notre premier ministre, une faute morale, et l’emprunt européen qui, lui, semble se rembourser tout seul… on est là dans cette sorte de pensée magique qui veut qu’une solution soit la bonne dès lors qu’elle est “européenne”.
@ Descartes
[Cela étant dit, j’insiste sur la curieuse opération de l’esprit qui fait qu’on voit l’emprunt national comme une “charge sur les générations futures”, et qui a ce titre est, pour reprendre la terminologie de notre premier ministre, une faute morale, et l’emprunt européen qui, lui, semble se rembourser tout seul… on est là dans cette sorte de pensée magique qui veut qu’une solution soit la bonne dès lors qu’elle est “européenne”.]
Quand l’emprunt sert non pas à financer des investissements mais à faire de la redistribution systémique ou de la subvention à des grands groupes étrangers, je pense que le qualificatf de “charge sur les générations futures” est plutôt justifié.
Mais au-delà de la notion d’emprunt, ne peut-on pas craindre que l’UE trouve un formidable levier de puissance pour tordre le bras des Etats sous sa coupe par la création monétaire dont la BCE a le monopole ? Je ne suis pas suffisemment familer des mécanismes qui régissent les rapports entre UE et BCE pour juger de ce sujet.
Quelles seraient les freins qui empêcheraient l’UE de demander à la BCE de financer une défense européenne commune ?
@ P2R
[« Cela étant dit, j’insiste sur la curieuse opération de l’esprit qui fait qu’on voit l’emprunt national comme une “charge sur les générations futures”, et qui a ce titre est, pour reprendre la terminologie de notre premier ministre, une faute morale, et l’emprunt européen qui, lui, semble se rembourser tout seul… on est là dans cette sorte de pensée magique qui veut qu’une solution soit la bonne dès lors qu’elle est “européenne”. » Quand l’emprunt sert non pas à financer des investissements mais à faire de la redistribution systémique ou de la subvention à des grands groupes étrangers, je pense que le qualificatif de “charge sur les générations futures” est plutôt justifié.]
Certes. Mais les traités européens et les textes bruxellois ne font aucune différence entre la dette qu’on contracte pour financer des EPR, et celle qu’on prend pour financer les allocations ou les subventions.
[Mais au-delà de la notion d’emprunt, ne peut-on pas craindre que l’UE trouve un formidable levier de puissance pour tordre le bras des Etats sous sa coupe par la création monétaire dont la BCE a le monopole ? Je ne suis pas suffisemment familer des mécanismes qui régissent les rapports entre UE et BCE pour juger de ce sujet.]
Sur le papier, c’est impossible. La BCE est indépendante, et son mandat est le maintien de l’inflation au-dessous de 2%. Financer par l’émission monétaire est donc très difficile, compte tenu de l’effet inflationniste d’une telle mesure. Après, vous me direz que les traités peuvent être violés – pardon, interprétés – par la Commission, et qu’on a déjà vu dans le passé la Commission s’asseoir sur eux, mais là ce serait un peu gros.
[On peut même se demander si les Allemands se seraient embarqués dans cette galère s’ils avaient su les dommages que l’embargo gazier allait faire à leur économie. En tout cas, les ukrainiens n’y croyaient pas, puisqu’ils ont estimé plus sûr de saboter les gazoducs qui transportaient sous la Baltique le gaz russe vers l’Allemagne, au cas où l’embargo ne tiendrait pas. ]
Pensez-vous qu’il y a déjà suffisamment d’éléments pour pouvoir poser comme un fait avéré que ce sont les ukrainiens qui en sont responsables ? C’est une question ouverte, je n’ai pas creusé le sujet en profondeur
@ Timo
[Pensez-vous qu’il y a déjà suffisamment d’éléments pour pouvoir poser comme un fait avéré que ce sont les ukrainiens qui en sont responsables ? C’est une question ouverte, je n’ai pas creusé le sujet en profondeur]
Dans ce genre d’affaires, difficile d’être sûr de rien. Mais d’après ce que j’ai lu, l’attribution ne fait plus de doute. La seule question pendante est de savoir s’il s’agit d’une opération ordonnée par le pouvoir ukrainien, ou bien organisée par les services ukrainiens de leur propre initiative avec des complicités dans l’appareil militaire et/ou politique.
Bonjourtrès bel article, je me permets de rebondir sur un truc fondamental et qui rejoint ce qu’avait dit Mélenchon…quelle mouche a piqué la France et l’Allemagne pourne pas réagir contre leurs services secrets quand Zelensky est arrivé aux négociations en connaissant l’état de nos stocks d’armes à la cartouche près ce qui implique qu’un de nos alliés avait balancé l’information? au lieu de ça on continue à psychoter sur la menace russe….laisser l’Ukraine dicter nos politiques étrangères, insulter un ministre allemand, sans bouger ni même regimberlaisser les Pays Baltes et la Pologne dicter nos politiques étrangères voire même insulter Salvini comme agent de Poutine quand ces pays sont bien contents de nous trouver ainsi que l’Italie pour financer leur croissance.
laisser notre politique étrangère être dictée par Von der Leyen, Kallas, Baerbock ou même Marin et Stubb qui ont clairement de splombs fondus…(l’histoire réelle de Kaja Kallas est très drôle et instructive sur ce plan là) sans qu’à un moment on leur dise de la fermer d’autant plus que leur rancoeur est fondée sur une vision de l’Histoire au mieux arrangée…
Que se passe-t-il dans nos institutions pour que le seul qui ouvre vraiment sa gueule soit Mélenchon? que se passe-t-il dans nos médias pour que clairement on rentre en propagande de guerre…(et ça j’avoue ça me fait peur…)??
@ Kaiser Hans
[je me permets de rebondir sur un truc fondamental et qui rejoint ce qu’avait dit Mélenchon…quelle mouche a piqué la France et l’Allemagne pour ne pas réagir contre leurs services secrets quand Zelensky est arrivé aux négociations en connaissant l’état de nos stocks d’armes à la cartouche près ce qui implique qu’un de nos alliés avait balancé l’information?]
D’abord, comment savez-vous que la France et l’Allemagne « n’ont pas réagi » ? Vous savez, si de telles « réactions » ont eu lieu, elles sont par définition couvertes par le secret le plus secret… Ensuite, je ne vois pas très bien à quoi vous faites référence. De quelle « négociation » parlez-vous ? Et d’où provient l’information ?
[au lieu de ça on continue à psychoter sur la menace russe….laisser l’Ukraine dicter nos politiques étrangères, insulter un ministre allemand, sans bouger ni même regimber laisser les Pays Baltes et la Pologne dicter nos politiques étrangères voire même insulter Salvini comme agent de Poutine quand ces pays sont bien contents de nous trouver ainsi que l’Italie pour financer leur croissance.
Je ne dirais pas que l’Ukraine ou la Pologne dictent notre politique étrangère. Je pense qu’elle était plutôt dictée à Washington. D’où d’ailleurs le désarroi de nos élites européennes, qui ne savent plus à quel saint se vouer. Zelenski nous a « psychoté » avec la menace russe, et joué à fond le pathos pour faire pression sur les dirigeants occidentaux pour obtenir argent et armes. C’est de bonne guerre, et à sa place nous aurions probablement fait la même chose.
Au risque de me répéter, je pense qu’on a tort de formuler les problèmes en termes moraux. L’affaire ukrainienne est tragique, précisément parce que, comme le dit la formule que j’ai citée de Renoir, « tout le monde a ses raisons ». Et que chacun est obligé de jouer son rôle. Zelenski est le chef d’Etat d’un pays en guerre. Peu importe que la guerre soit juste ou injuste, qu’elle soit la conséquence des erreurs des uns, qu’elle serve l’intérêt des autres. Sa fonction, son investiture lui commande de tout mettre en œuvre pour défendre son pays. Peut-on lui reprocher de le faire ? De leur côté, les élites europhiles voient dans ce conflit une opportunité d’avancer vers le fédéralisme en jouant sur la « peur du Russe ». Là encore, à leur place on ferait la même chose. Pourquoi se priver d’une arme que l’actualité met à votre disposition ?
« Ne pas louer, ne pas condamner, mais comprendre ». Volà ma devise.
[Que se passe-t-il dans nos institutions pour que le seul qui ouvre vraiment sa gueule soit Mélenchon ?]
Là, je vous trouve très injuste. J’ai par exemple entendu de Villepin, que j’ai trouvé excellent.
Bonjour
“De quelle « négociation » parlez-vous ? Et d’où provient l’information ?”je parle des négociations pour obtenir des armes qui ont eu lieu dès le début de la guerre . la source c’est à peu près toutes les infos de l’époque qui en retranscrivant l’entretien insistaient plus ou moins lourdement sur le fait que Zelenski connaissait parfaitement l’état de nos stocks (lui même l’avait plus ou moins dit)”D’abord, comment savez-vous que la France et l’Allemagne « n’ont pas réagi » ? Vous savez, si de telles « réactions » ont eu lieu, elles sont par définition couvertes par le secret le plus secret”parce que là c’est tellement grave qu’on ne peut plus être dans la “réaction feutrée” qui peut rester secrète mais dans la bonne vieille purge des familles qui par définition ne peut pas l’être…
“Je ne dirais pas que l’Ukraine ou la Pologne dictent notre politique étrangère. Je pense qu’elle était plutôt dictée à Washington”oui et non , je parlais aussi des pays baltes et là, on laisse quand même beaucoup de poids à ces pays qui clairement ne sont rien sans nous (petite taille, non viables sans faire partie d’un plus grand ensemble, croissance économique inférieure à nos dons depuis l’intégration à l’UE)même si c’est beaucoup moins vrai pour la Pologne l’entendre insulter Salvini alors que Salvini (comme les Allemands) avaient choisi le gaz russe pour s’en sortir sans le nucléaire (ce que la Pologne avait demandé) et continuer à financer l’union européenne (ce dont la Pologne a tiré un graaaannnnd profit),j’ai le droit de penser que pour des intérêts stratégiques divers:europhiles avec la solidité du groupe (ne pas laisser le receveur devenir décideur)eurosceptique avec la nécessité de se rabibocher avec les Italiens pour peser dans l’UEmême souverainiste , bon sujet de conflit pour rentrer dans un I want my money backon ne doit pas laisser passer ça du toutZelenski je l’admire il a fait son job de façon héroïque, ce n’est pas pour autant que le nôtre c’est de le laisser faire…
“De leur côté, les élites europhiles voient dans ce conflit une opportunité d’avancer vers le fédéralisme en jouant sur la « peur du Russe ». Là encore, à leur place on ferait la même chose. “si encore ce n’était que la peur, je serais entièrement d’accord avec vous, mais sous l’impulsion de la Pologne et des Pays baltes ils ont joué aussi la colère et le mépris haineux lançant une dynamique vraiment belliqueuse. pour donner une info sur X les partisans du dialogue avec les russes sont qualifiés de collabo qu’on devrait tuer et c’est à peu près le même ton dans les journaux censés être plus feutrés.Sans parler de morale une simple lecture des livres d’Histoire devrait nous faire comprendre que ce chemin est dangereux…
“[Que se passe-t-il dans nos institutions pour que le seul qui ouvre vraiment sa gueule soit Mélenchon ?]
Là, je vous trouve très injuste. J’ai par exemple entendu de Villepin, que j’ai trouvé excellent.”oui, Mélenchon, Royal et Villepin sont excellents mais vu la gravité du contexte c’est beaucoup beaucoup trop peu…
en tout cas je voulais vraiment vous remercier de produire ce blog de qualité…signé Kaiser chieur 😀
@ kaiser hans
[“De quelle « négociation » parlez-vous ? Et d’où provient l’information ?”je parle des négociations pour obtenir des armes qui ont eu lieu dès le début de la guerre. La source c’est à peu près toutes les infos de l’époque qui en retranscrivant l’entretien insistaient plus ou moins lourdement sur le fait que Zelenski connaissait parfaitement l’état de nos stocks (lui même l’avait plus ou moins dit)]
J’ai entendu dix fois cette rumeur, mais jamais pu la tracer jusqu’à une source fiable. J’ai des gros doutes quant à sa véracité. D’abord, parce que l’information ne peut venir que des personnes présentes à la négociation, et je doute fort que les participants à ce genre de négociations s’épanchent publiquement. Je crains que cela ne soit que des légendes urbaines. Et par ailleurs, ce n’est pas parce que Zelenski dit connaître l’état des stocks que c’est vrai.
[”D’abord, comment savez-vous que la France et l’Allemagne « n’ont pas réagi » ? Vous savez, si de telles « réactions » ont eu lieu, elles sont par définition couvertes par le secret le plus secret”parce que là c’est tellement grave qu’on ne peut plus être dans la “réaction feutrée” qui peut rester secrète mais dans la bonne vieille purge des familles qui par définition ne peut pas l’être…]
S’il y a eu fuite et que les coupables ont été trouvés et sanctionnés, on ne va pas le publier dans les journaux. Si la fuite provient d’un « allié » indélicat, et qu’on prend la décision de ne plus lui communiquer dorénavant la moindre information confidentielle, je doute qu’on rende publique cette décision.
[si encore ce n’était que la peur, je serais entièrement d’accord avec vous, mais sous l’impulsion de la Pologne et des Pays baltes ils ont joué aussi la colère et le mépris haineux lançant une dynamique vraiment belliqueuse. pour donner une info sur X les partisans du dialogue avec les russes sont qualifiés de collabo qu’on devrait tuer et c’est à peu près le même ton dans les journaux censés être plus feutrés.Sans parler de morale une simple lecture des livres d’Histoire devrait nous faire comprendre que ce chemin est dangereux…]
Je suis d’accord. En politique, une obsession est toujours quelque chose de dangereux, et on devrait traiter l’obsession russophobe de certains pays d’Europe orientale avec les plus grandes précautions. Historiquement, cette obsession leur a joué des tours : il faut se souvenir que la Pologne en 1938 avait refusé le passage aux troupes soviétiques que Moscou proposait à la Tchécoslovaquie pour la soutenir militairement contre l’Allemagne. Il est vrai qu’à l’époque la Pologne était liée par un « pacte » à l’Allemagne, et lorgnait sur la région tchèque de Teschen – qu’elle recevra d’ailleurs lorsque la Tchécoslovaquie sera dépecée à Munich. Si les polonais avaient été moins russophobes à l’époque, bien des malheurs auraient été évités…
[Là, je vous trouve très injuste. J’ai par exemple entendu de Villepin, que j’ai trouvé excellent.”oui, Mélenchon, Royal et Villepin sont excellents mais vu la gravité du contexte c’est beaucoup beaucoup trop peu…]
Villepin est excellent, mais il faut dire qu’il sait de quoi il parle, étant diplomate de carrière. Mélenchon et Royal disent n’importe quoi, comme d’habitude…
[en tout cas je voulais vraiment vous remercier de produire ce blog de qualité…signé Kaiser chieur]
Merci de cet encouragement, et croyez moi, vous n’êtes en rien un “chieur”…
@ Descartes
[« Ne pas louer, ne pas condamner, mais comprendre ». Voilà ma devise.]
Belle devise. En êtes-vous l’auteur ?
@ Bob
[Belle devise. En êtes-vous l’auteur ?]
Pas vraiment, c’est une relecture d’une formule de Spinoza: “ne pas railler, ne pas déplorer, ne mas maudire, mais comprendre”
il y a longtemps que vous n’aviez pas consacré un billet à la situation en Ukraine, et il surprend heureusement. Je m’attendais à un papier “russophile” univoque.
Sur cette question, comme pour beaucoup d’autre, j’aime bien, non les déplorations, les propositions utopiques, mais celles qui consisterait à se dire “qu’est-ce que je conseillerai de faire à nos gouvernants qu’ils pourraient faire” (même si cela leur demanderait du courage, et des risques électoraux).
Donc je suis pour appuyer les Ukrainiens dans leur volonté de résistance, en leur accordant toute l’aide dont nous sommes actuellement capable, en arbitrant avec les Ukrainiens ce qui serait le plus efficace.
Pourquoi soutenir les Ukrainiens ? parce que le régime de Poutine est un régime autocratique, profondément opposé à nos valeurs, et que c’est un moyen de l’affaiblir. Il y a pléthore de régimes opposés à nos valeurs, mais c’est une occasion à ne pas rater. Saisissons chaque occasion.
En ce qui concerne l’Europe, c’est l’occasion de pousser autant que faire se peut une industrie militaire française, et si possible européenne. Ce sera un moyen d’une plus grande indépendance vis à vis des USA, et d’une dissuasion vis à vis de la Russie si après l’Ukraine ils ont envie de s’attaquer à d’autres pays limitrophes européens (pays baltes, Moldavie …)D’un point de vue économique, ce sera une bonne affaire, plutôt que d’acheter du matériel américain.
Quand à une défense européenne, je crois de notre intérêt de faire une alliance militaire (1) avec les pays qui ont des positions communes avec les nôtres, à savoir rechercher une position d’indépendance vis à vis de la Russie et des USA. Je ne sais pas quels pays pourraient être concernés.
Pouvons-nous aller plus loin et organiser une armée, non pas commune, mais inter-opérable, avec d’autres pays européens ? (c’était l’objectif de l’OTAN). Ce serait souhaitable.
nb: on a vu qu’actuellement les USA n’hésitent pas à menacer implicitement militairement des alliés (voir le Groenland et le Danemark). On ne sait pas de quoi demain sera fait. Nous avons des territoires hors métropole, et nous ne savons pas si un jour ils ne susciterons pas l’appétit de tel ou tel.
(1) une alliance militaire est à distinguer des vagues déclarations d’intention de l’OTAN et de l’UE.
@ marc.malesherbes
[il y a longtemps que vous n’aviez pas consacré un billet à la situation en Ukraine, et il surprend heureusement. Je m’attendais à un papier “russophile” univoque.]
Je n’arrive pas très bien à comprendre pourquoi. Je ne pense pas avoir changé mon discours sur cette question depuis trois ans. Mais peut-être que votre vision du problème a changé, et que ce qui vous paraît aujourd’hui raisonnable vous paraissait autrefois « russophile univoque » ?
[Sur cette question, comme pour beaucoup d’autre, j’aime bien, non les déplorations, les propositions utopiques, mais celles qui consisterait à se dire “qu’est-ce que je conseillerai de faire à nos gouvernants qu’ils pourraient faire” (même si cela leur demanderait du courage, et des risques électoraux).]
Voyons voir…
[Donc je suis pour appuyer les Ukrainiens dans leur volonté de résistance, en leur accordant toute l’aide dont nous sommes actuellement capables, en arbitrant avec les Ukrainiens ce qui serait le plus efficace.]
« Toute l’aide dont nous sommes capables ? » Nous sommes « capables » aujourd’hui d’envoyer des troupes sur le terrain. Pensez-vous qu’on devrait le faire ? Nous sommes « capables » de faire de très gros sacrifices financiers. Pensez-vous qu’il faudrait réduire le budget de l’éducation ou de la santé pour aider l’Ukraine ? Soyons sérieux…
[Pourquoi soutenir les Ukrainiens ? parce que le régime de Poutine est un régime autocratique, profondément opposé à nos valeurs, et que c’est un moyen de l’affaiblir. Il y a pléthore de régimes opposés à nos valeurs, mais c’est une occasion à ne pas rater. Saisissons chaque occasion.]
Je déteste les arguments ad hoc. Si je comprends bien, vous proposez de soutenir l’Ukraine parce que les gars en face sont « opposés à nos valeurs ». Soit vous en faites une règle universelle, et alors vous allez avoir beaucoup de travail à aider des gens à droite et à gauche, soit il s’agit d’une règle ad hoc, dans laquelle vous soutenez certains pays qui sont dans cette situation, et pas d’autres. Et alors se pose la question de savoir comment vous les choisissez…
Ce raisonnement à conduit à des grandes catastrophes : souvenez-vous qu’on a soutenu les Talibans au prétexte que le régime installé par les soviétiques était « profondément opposé à nos valeurs ». Pensez-vous par exemple qu’on devrait soutenir les rebelles Houtis du Yemen au motif que l’Arabie Saudite « est un régime profondément opposé à nos valeurs » ?
[En ce qui concerne l’Europe, c’est l’occasion de pousser autant que faire se peut une industrie militaire française, et si possible européenne. Ce sera un moyen d’une plus grande indépendance vis à vis des USA, et d’une dissuasion vis à vis de la Russie si après l’Ukraine ils ont envie de s’attaquer à d’autres pays limitrophes européens (pays baltes, Moldavie …). D’un point de vue économique, ce sera une bonne affaire, plutôt que d’acheter du matériel américain.]
Certainement. Encore faudrait-il modifier les traités européens qui, je vous rappelle, imposent la « concurrence libre et non faussée » dans les marchés publics. Parce qu’imaginer que vous allez faire renaître une industrie de l’électronique en Europe sans passer par du protectionnisme me paraît pour le moins illusoire. Or, je n’entends aucun de nos sages leaders parler de ce sujet.
[Quant à une défense européenne, je crois de notre intérêt de faire une alliance militaire (1) avec les pays qui ont des positions communes avec les nôtres, à savoir rechercher une position d’indépendance vis à vis de la Russie et des USA. Je ne sais pas quels pays pourraient être concernés.]
Moi non plus, je ne vois pas. Peut-être serions nous réduits à nous allier avec nous-mêmes. Ce serait déjà pas mal. Mais vous pensiez à quoi, précisément. Elle fonctionnerait comment, cette « alliance » ?
@ Descartes,
[Pensez-vous par exemple qu’on devrait soutenir les rebelles Houtis du Yemen au motif que l’Arabie Saudite « est un régime profondément opposé à nos valeurs » ?]
Oui, on devrait. Et partout où on le peut, on devrait soutenir les chiites contre les sunnites. Les chiites représentent 20 % des musulmans, et en-dehors de l’Irak (70 %), de l’Iran (90 %) et de l’Azerbaïdjan (70 %), ils sont partout minoritaires, et souvent persécutés. Contrairement aux sunnites, les chiites ont un clergé constitué et hiérarchisé. Or il se trouve que notre problème, c’est l’islam sunnite, de plus en plus coincé entre le salafisme dérivé du wahhabisme saoudien, et le frérisme “révolutionnaire” d’origine égyptienne, tout aussi radical, et soutenu par le Qatar et la Turquie. Ces mouvements gangrènent les communautés musulmanes installées en Europe, et notamment en France, où la quasi-totalité des musulmans sont sunnites. Porter des coups à l’islam sunnite en voie de radicalisation devrait être une priorité.
Quant à l’Ukraine… Je pense qu’il faut arrêter cette guerre, et de ce point de vue je partage l’objectif de Donald Trump. Et je trouve que Trump a eu un certain courage de rappeler que Poutine, dès les années 2000, avait fixé une ligne rouge quant à l’intégration de l’Ukraine au système UE-OTAN, et que si on avait respecté cela, il n’y aurait pas eu de guerre. Le problème, c’est que nous ne sommes pas les Américains, “un peuple de marchands”. Après avoir soutenu les Ukrainiens, il me paraît difficile de les abandonner en rase campagne, parce que, même si Trump ne veut pas l’entendre, une certaine forme de loyauté peut donner une certaine crédibilité internationale, indépendamment de la question “morale”. Et j’avoue que je suis gêné que cette affaire se termine en laissant les Ukrainiens perdre la face.
En même temps, comme dirait l’autre, est-ce que cela nous concerne vraiment? Nous n’avons pas de réels moyens d’agir, pas d’argent à dépenser et aucune espèce d’influence. Laissons les Russes et les Américains régler le problème, et si les Allemands et les Polonais sont floués, tant pis pour eux. Le mieux que la France a à faire, c’est de se désintéresser de la marche du monde et de s’occuper de ses problèmes internes, et un peu de ce qui se passe en Méditerranée, où se trouvent nos véritables ennemis, à savoir l’Algérie et la Turquie. L’Europe de l’est, ce n’est pas nos affaires.
@ Carloman
[Pensez-vous par exemple qu’on devrait soutenir les rebelles Houtis du Yemen au motif que l’Arabie Saudite « est un régime profondément opposé à nos valeurs » ? Oui, on devrait. Et partout où on le peut, on devrait soutenir les chiites contre les sunnites. (…) Or il se trouve que notre problème, c’est l’islam sunnite, (…) Porter des coups à l’islam sunnite en voie de radicalisation devrait être une priorité.]
Vous avez mal lu ma question et du coup vous répondez à une autre. Je n’ai pas demandé « Pensez-vous par exemple qu’on devrait soutenir les rebelles Houtis du Yemen ». Ma question était « Pensez-vous par exemple qu’on devrait soutenir les rebelles Houtis du Yemen AU MOTIF QUE l’ARABIE SAUOUDITE EST UN REGIME PROFONDEMENT OPPOSE A NOS VALEURS ».
En fait, si je lis votre réponse avec attention, vous répondez à la question posée négativement. Certes, vous me dites que oui, il faut soutenir les chiites « partout où on le peut » – et je suis d’accord avec vous. Mais la MOTIVATION de votre réponse n’est nullement une question de « opposition à nos valeurs », mais nos intérêts. Il s’agit de résoudre « nos problèmes », et pas de faire triompher la morale et la justice…
[Quant à l’Ukraine… Je pense qu’il faut arrêter cette guerre, et de ce point de vue je partage l’objectif de Donald Trump. Et je trouve que Trump a eu un certain courage de rappeler que Poutine, dès les années 2000, avait fixé une ligne rouge quant à l’intégration de l’Ukraine au système UE-OTAN, et que si on avait respecté cela, il n’y aurait pas eu de guerre.]
Je ne sais pas si ce rappel est un signe de « courage ». Ce serait le cas si c’était dit par un président français ou par un chancelier allemand, parce qu’une telle admission irait à l’encontre de la pensée unique de l’establishment européen. Mais j’ai l’impression qu’aux Etats-Unis une bonne partie de l’électorat est convaincu par ce discours. Quant à arrêter la guerre, je pense effectivement qu’on peut accorder à Trump le mérite d’être le premier à avoir parlé d’arrêter le massacre, dans un contexte où tous les dirigeants européens sont dans une logique jusqu’au-boutiste, où la victoire totale de l’Ukraine est la seule option acceptable.
[Le problème, c’est que nous ne sommes pas les Américains, “un peuple de marchands”.]
Quand vous dites « nous », vous parlez de « nous les Français » ou de « nous les Européens » ? Si c’est « nous les Français », alors oui, cela va être difficile de descendre des grands chevaux des principes et chausser les bottes pour patauger dans la boue de la Realpolitik. Cela demandera pas mal de flexibilité et beaucoup de doigté à nos élites de changer de discours sans perdre la face. Mais bon, grâce à Trump elles ont le bouc émissaire idéal… si par contre vous parlez de « nous les Européens », la question est différente. Les « réalistes » nordiques auront moins de difficulté que les pays d’Europe de l’Est qui ont fait de cette affaire une croisade.
[Après avoir soutenu les Ukrainiens, il me paraît difficile de les abandonner en rase campagne, parce que, même si Trump ne veut pas l’entendre, une certaine forme de loyauté peut donner une certaine crédibilité internationale, indépendamment de la question “morale”. Et j’avoue que je suis gêné que cette affaire se termine en laissant les Ukrainiens perdre la face.]
L’objectif est que personne ne perde la face. Faire perdre la face à l’ennemi, c’est toujours une erreur qui généralement se paye cher. Tout l’art de la politique, dans les mots de ce grand diplomate qu’était Richelieu, c’est « de rendre possible ce qui est nécessaire ». La brutalité d’un Trump était probablement nécessaire pour faire prendre conscience aux acteurs du drame qu’il fallait aller vers une conclusion. Mais maintenant, il faut construire un plan qui permette d’aboutir à l’arrêt des combats avec le moins d’acrimonie possible. C’est là où il nous faut des hommes d’Etat… Poutine en est certainement un, Zelenski, j’ai mes doutes.
[En même temps, comme dirait l’autre, est-ce que cela nous concerne vraiment? Nous n’avons pas de réels moyens d’agir, pas d’argent à dépenser et aucune espèce d’influence. Laissons les Russes et les Américains régler le problème, et si les Allemands et les Polonais sont floués, tant pis pour eux. Le mieux que la France a à faire, c’est de se désintéresser de la marche du monde et de s’occuper de ses problèmes internes, et un peu de ce qui se passe en Méditerranée, où se trouvent nos véritables ennemis, à savoir l’Algérie et la Turquie. L’Europe de l’est, ce n’est pas nos affaires.]
Je suis totalement en désaccord avec cette position. La France ne serait plus la France si elle ne s’occupait du monde, si elle se repliait sur ses propres problèmes. Bien entendu, cela n’implique pas qu’on accorde la même priorité à toutes les régions du monde. Mais nous avons des moyens d’agir, nous avons un peu – pas beaucoup – d’argent à donner, et pas mal d’influence – ne serait-ce qu’à cause de nos liens historiques avec la Russie. Pourquoi ne pas les utiliser, en gardant toujours en tête nos intérêts ?
@ Descartes,
[Quand vous dites « nous », vous parlez de « nous les Français » ou de « nous les Européens » ?]
“Nous les Français”. Je dois vous dire que, pour moi, il n’existe pas de “nous” européen…
La France n’est pas un pays anglo-saxon. Bien sûr, la France a des intérêts et – jusqu’à il n’y a pas si longtemps – elle savait les défendre. Seulement la France est aussi un pays de principes. Oui, je sais, c’est parfois un peu pénible, mais nous autres Français peinons à considérer les principes comme quantité négligeable. Il faut écouter De Gaulle, quand, dans un discours, il employait le mot “honneur”, le ton, la force qu’il y mettait. Les Américains n’ont aucun honneur. Mais “l’honneur de la France”, oui, ça compte. Enfin, ça comptait.
[Mais nous avons des moyens d’agir, nous avons un peu – pas beaucoup – d’argent à donner, et pas mal d’influence – ne serait-ce qu’à cause de nos liens historiques avec la Russie. Pourquoi ne pas les utiliser, en gardant toujours en tête nos intérêts ?]
Vous me surprenez. J’ai écouté Macron faire son numéro de grand-guignol. Je sais qu’il ne faut pas attacher trop d’importance à ce que raconte ce type, mais tout de même. Dire explicitement que “la Russie est une menace pour la France“, c’est grave. Et – mais Macron s’en rend-il compte? – cela va laisser des traces, la Russie nous en tiendra rigueur. Notre relation avec la Russie est foutue pour au moins une génération.
Remarquez, ce n’est pas nouveau. La France est passée maîtresse dans l’art de perdre les pays traditionnellement “amis” ou avec lesquels des rapprochements étaient possibles. Nous avons détruit notre relation spéciale avec la Serbie. Nous avons laissé s’effondrer la Syrie baathiste avec laquelle nous aurions pu avoir des intérêts communs. C’est fini, Descartes, nous sommes sortis de l’histoire. Et contrairement à vous, je pense qu’on ne s’en portera pas plus mal. Notre peuple a renoncé à son unité, à son identité et à sa souveraineté, car les Macron et cie ne sont pas descendus du ciel, ils ont été élus par les citoyens. En un mot, les Français ne veulent plus payer le prix de notre spécificité historique et de la liberté. Pourquoi continuer à faire semblant d’être une nation qui compte?
@ Carloman
[La France n’est pas un pays anglo-saxon. Bien sûr, la France a des intérêts et – jusqu’à il n’y a pas si longtemps – elle savait les défendre. Seulement la France est aussi un pays de principes. Oui, je sais, c’est parfois un peu pénible, mais nous autres Français peinons à considérer les principes comme quantité négligeable. Il faut écouter De Gaulle, quand, dans un discours, il employait le mot “honneur”, le ton, la force qu’il y mettait. Les Américains n’ont aucun honneur. Mais “l’honneur de la France”, oui, ça compte. Enfin, ça comptait.]
Je pense que c’est une question de représentation. Nous, Français, avons besoin de nous représenter en éclaireurs du monde, là où les anglosaxons ont moins de scrupules à parler en termes d’intérêts. Cette nécessite fait à la fois la force et la faiblesse de la France. Il n’en reste pas moins que nos grands hommes ont su satisfaire ce besoin de représentation tout en veillant à nos intérêts. La gestion de la décolonisation algérienne – je pense par exemple aux Harkis – n’a pas été très « honorable », et pourtant elle a été conduite par cet homme qui mettait « le ton, la force » quand il parlait de « l’honneur de la France ».
[Vous me surprenez. J’ai écouté Macron faire son numéro de grand-guignol. Je sais qu’il ne faut pas attacher trop d’importance à ce que raconte ce type, mais tout de même. Dire explicitement que “la Russie est une menace pour la France“, c’est grave. Et – mais Macron s’en rend-il compte? – cela va laisser des traces, la Russie nous en tiendra rigueur. Notre relation avec la Russie est foutue pour au moins une génération.]
Je ne crois pas. Macron s’écarte tellement de la ligne traditionnellement prêtée à la France, que beaucoup de gens – c’est le cas des russes que j’ai pu fréquenter – le perçoivent comme un phénomène passager. Et vous noterez bien que les autorités russes se gardent bien de critiquer « la France », alors qu’ils ne sont pas tendres avec Macron. Tout le contraire, par exemple, des médias américains pendant la crise d’Irak, qui remettaient en cause à l’époque moins le gouvernement français que la France en général. Si le successeur de Macron a l’intelligence de reconstruire les ponts avec la Russie, je pense que notre relation pourra être rétablie sans que cela laisse trop de traces.
[Remarquez, ce n’est pas nouveau. La France est passée maîtresse dans l’art de perdre les pays traditionnellement “amis” ou avec lesquels des rapprochements étaient possibles. Nous avons détruit notre relation spéciale avec la Serbie. Nous avons laissé s’effondrer la Syrie baathiste avec laquelle nous aurions pu avoir des intérêts communs. C’est fini, Descartes, nous sommes sortis de l’histoire.]
Je ne le pense pas, mais à supposer que vous ayez raison, alors il faut se battre pour re-rentrer. Je ne me resignerai jamais à ce que mon pays quitte l’histoire par la petite porte.
[En un mot, les Français ne veulent plus payer le prix de notre spécificité historique et de la liberté.]
Vous me rappelez le mot de ce gaulliste historique qui, commentant les mauvaises manières faites par les populations locales au bataillon qu’il commandait pendant la remontée de la vallée du Rhône après le débarquement en Provence, concluait : « je me suis battu pour la France, je ne me suis pas battu pour les Français ».
Les Français, mon cher, sont des veaux, comme disait mongénéral. Bien commandés, bien gouvernés, ils sont capables de grandes choses. Mal dirigés, ils tombent vite dans les petites querelles, dans les petites affaires, dans l’idée que les solutions viendront d’ailleurs. Et il faut remonter très loin pour trouver un moment où l’on ait été aussi mal dirigés.
[Pourquoi continuer à faire semblant d’être une nation qui compte?]
Pour moi, il ne s’est jamais agi de « faire semblant »…
@ Descartes
[Si le successeur de Macron a l’intelligence de reconstruire les ponts avec la Russie, je pense que notre relation pourra être rétablie sans que cela laisse trop de traces.]
Cela, si c’est probablement possible, sera long.
Je pense qu’on ne réalise pas encore à quel point durant ses deux mandats Macron aura été un fléau pour la France.
@ Bob
[Je pense qu’on ne réalise pas encore à quel point durant ses deux mandats Macron aura été un fléau pour la France.]
Oui, mais il ne faudrait pas occulter la continuité Hollande-Macron. C’est en 2012, et non à 2017, que la catastrophe commence…
@ Descartes
[C’est en 2012, et non à 2017, que la catastrophe commence…]
Oui.
Les lâches et égoïstes Américains vous laissent seuls face aux méchants Russes ? Pas de problèmes, nous sommes disposés à partager notre « parapluie nucléaire » à nous, avec vous !!!
Sachez toutefois que nos TNA, que nous sommes disposés à mettre à votre disposition (en gardant quand-même le dernier mot), en raison de leurs caractéristiques particulières, ne peuvent être montés que sur des ASMP-A, qui eux aussi en raison de leurs caractéristiques particulières ne peuvent être montés que sur des Rafales. Tout ce matériel nécessite du monde pour pouvoir s’assurer de sa bonne mise en œuvre. Quelqu’un devra leur assurer le gîte et le couvert. Et puis, nous risquons de manquer de plutonium pour équiper tout ce beau monde. Ce serait bien que quelqu’un mette la main au portefeuille pour que nous puissuions relancer des réacteurs plutogènes.
Et puis si vous aimez tant notre nucléaire militaire, pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable en vous dotant de tranches EPR2 ? Sachez toutefois que nos ingénieurs ont la fâcheuse tendance à mal parler anglais. Un effort de communication est vivement recommandé.
De plus, nous avons le vilain défaut de nous vexer facilement. Évitez ne nous entraîner dans des accords que nous ne voulons pas, de vous mêler à des affaires qui ne vous concernent pas afin que nous gardions nos excellentes disposions à votre égard.
@ François
[Les lâches et égoïstes Américains vous laissent seuls face aux méchants Russes ? Pas de problèmes, nous sommes disposés à partager notre « parapluie nucléaire » à nous, avec vous !!!]
Tout ça n’a pas de sens ! Le bouton nucléaire ne se partage pas, ne peut se partager. Personne, même les eurolâtres les plus intégristes, n’imagine donner le bouton nucléaire à Von der Leyen ou à Costa. Quant à l’idée d’étendre la définition de nos « intérêts vitaux » pour inclure l’ensemble de l’Europe, c’est de la rigolade. Qui peut croire un instant que le président de la République française irait appuyer sur le bouton – et donc risquer la destruction de la France – pour répondre à l’invasion de l’Estonie ? La dissuasion est crédible parce qu’elle s’adresse à une attaque qui remettrait en cause nos intérêts VITAUX, autrement dit, qui constituerait une menace sur la vie même de la nation, au point qu’en comparaison un échange nucléaire qui pourrait détruire le territoire français serait une option raisonnable. Déclarer que l’intégrité territoriale de l’Estonie pourrait être pour la France une menace vitale, c’est sombrer dans le ridicule.
[Sachez toutefois que nos TNA, que nous sommes disposés à mettre à votre disposition (en gardant quand-même le dernier mot), en raison de leurs caractéristiques particulières, ne peuvent être montés que sur des ASMP-A, qui eux aussi en raison de leurs caractéristiques particulières ne peuvent être montés que sur des Rafales. Tout ce matériel nécessite du monde pour pouvoir s’assurer de sa bonne mise en œuvre. Quelqu’un devra leur assurer le gîte et le couvert. Et puis, nous risquons de manquer de plutonium pour équiper tout ce beau monde. Ce serait bien que quelqu’un mette la main au portefeuille pour que nous puissions relancer des réacteurs plutogènes.]
Je suis sur que les allemands seront ravis de faire un chèque. Après tout, ils l’ont fait pour les Américains, pourquoi ne le feraient-ils pas pour nous ? Je dois dire que l’idée que la France pourrait devenir l’arsenal de l’Europe ne me déplait pas…
@Descartes,
[Tout ça n’a pas de sens ! Le bouton nucléaire ne se partage pas, ne peut se partager.]
Quand je parlais de « partager le parapluie nucléaire », je voulais bien entendu faire comme les Américains, c’est à dire laisser des pays tiers opérer les armes nucléaires, sans qu’ils aient le droit de décider quand les faire détonner (« en gardant le dernier mot»).
[Personne, même les eurolâtres les plus intégristes, n’imagine donner le bouton nucléaire à Von der Leyen ou à Costa.]
Ne jamais sous-estimer des cinglés comme Valérie Hayer, Nathalie Loiseau, ou même Macron. En tous cas, Macron a proposé gratuitement de protéger les autres états européens avec notre dissuasion nucléaire.
@ François
[« Tout ça n’a pas de sens ! Le bouton nucléaire ne se partage pas, ne peut se partager. » Quand je parlais de « partager le parapluie nucléaire », je voulais bien entendu faire comme les Américains, c’est à dire laisser des pays tiers opérer les armes nucléaires, sans qu’ils aient le droit de décider quand les faire détonner (« en gardant le dernier mot»).]
Mais est-ce qu’un tel « parapluie » serait crédible aujourd’hui ? Dans le contexte idéologique des années 1950, alors que le souvenir de la deuxième guerre mondiale était encore vivace, que de nombreux américains et européens avaient une expérience de combat, et que la confrontation idéologique était quasi-mystique, on pouvait imaginer le président des Etats-Unis appuyant sur le bouton pour répondre à une invasion soviétique de l’Allemagne. Mais dans le contexte d’une société individualiste et jouisseuse comme la nôtre, alors que la guerre ne signifie plus rien pour les générations actives et qu’il n’y a plus de mystique qui vaille, est-ce que quelqu’un peut croire un instant qu’un président français risquerait la destruction de notre pays pour répondre à l’occupation de la Lettonie ?
L’arme nucléaire, c’est le principe fondamental de la dissuasion, ne serait utilisée que dans un contexte où nos intérêts VITAUX sont menacés, autrement dit, dans un contexte où la menace est si critique que risquer la destruction du pays serait raisonnable. Et il ne faut pas se raconter d’histoires : il faut être fou pour penser que l’indépendance de pays baltes fait partie de nos intérêts vitaux.
Vous noterez d’ailleurs que les Américains n’ont menacé réellement d’utiliser l’arme nucléaire qu’une seule fois, et c’était lorsque des missiles nucléaires menaçant leur propre territoire ont été installés à Cuba en 1962. Même lors de la crise de Berlin l’utilisation de l’arme nucléaire n’a été envisagée. Si les troupes soviétiques avaient franchi la frontière de la République fédérale d’Allemagne, est-ce que les Etats-Unis auraient utilisé l’arme nucléaire ? Nous ne le savons pas, et nous ne le saurons jamais. Mais il y a de grandes chances que la réponse soit « non ».
@Descartes
[Mais est-ce qu’un tel « parapluie » serait crédible aujourd’hui ?]
En tous cas, c’est ce que propose Macron (« La protection de la Lituanie fait partie des intérêts vitaux de la France »). Et c’est ce que font pour le moment encore les Américains, contraignant leurs alliés/vassaux à acheter des F-35 pour opérer leurs B61).
Et j’ai envie de dire, pourquoi pas. Seulement, là où Macron propose de le faire gratuitement, moi j’y mets des contreparties. C’est qu’avec le vraisemblable futur retrait des Américains du continent européen, il y a un vide qui se créé, et donc une possibilité de réussir là où nous avons échoué en 1815.
Après, une interprétation cynique du propos de Macron consiste à dire que si jusqu’en 1989 la zone interdite d’accès, car servant de profondeur stratégique, susceptible donc de servir de champ de bataille atomique (par le truchement des missiles Pluton) était la RFA, en 2025 c’est la Pologne.
@ François
[« Mais est-ce qu’un tel « parapluie » serait crédible aujourd’hui ? » En tous cas, c’est ce que propose Macron (« La protection de la Lituanie fait partie des intérêts vitaux de la France »).]
C’est de la communication pure. Nous vivons maintenant dans un monde d’illusion… est-ce que les lituaniens peuvent croire pareille chose ?
[Et c’est ce que font pour le moment encore les Américains, contraignant leurs alliés/vassaux à acheter des F-35 pour opérer leurs B61).]
Oui, et je suis toujours surpris qu’il y ait des gens pour croire que les Américains pourraient risquer la destruction dans une guerre nucléaire pour protéger Vilnius… il y a dans cette croyance un élément d’égocentrisme. Je peux comprendre que pour les Lituaniens l’axe du monde passe par Vilnius, mais croire que c’est le cas pour les Américains – ou pour les Français – c’est pousser le provincialisme à ses dernières conséquences.
[Et j’ai envie de dire, pourquoi pas. Seulement, là où Macron propose de le faire gratuitement, moi j’y mets des contreparties. C’est qu’avec le vraisemblable futur retrait des Américains du continent européen, il y a un vide qui se créé, et donc une possibilité de réussir là où nous avons échoué en 1815.]
Effectivement. Tant qu’à faire, autant faire payer. Après tout, peu importe que le vendeur ne croie pas à son produit, tant que le client y croit…
[Après, une interprétation cynique du propos de Macron consiste à dire que si jusqu’en 1989 la zone interdite d’accès, car servant de profondeur stratégique, susceptible donc de servir de champ de bataille atomique (par le truchement des missiles Pluton) était la RFA, en 2025 c’est la Pologne.]
Oui, sauf que nous n’avons plus nos Pluton… ni même leurs successeurs, les Hadès. Et que la question de la « profondeur stratégique » ne se pose que dans l’optique d’une guerre éclair lancée par la Russie. Ce scénario, privilégié pendant la guerre froide, a cessé d’être une possibilité – si tant est qu’il l’ait été un jour.
@ Descartes
[Il faut faire peur, parce que la peur est le meilleur moyen de pousser les peuples réticents à céder encore et toujours plus de compétences au système UE/OTAN]
Macron va s’adresser solennellement aux Français ce soir, je parie ma chemise qu’il va essayer de faire très peur au bon peuple.
[l’establishment européen qui sait très bien utiliser chaque crise pour faire avancer l’idée qu’il faut « plus d’Europe ». ]
C’est en effet remarquable. L’échec de l’UE lors de la gestion du Covid-19 (avec l’Angleterre qui avait des masques avant les autres pays) était dû au fait qu’il n’y avait pas (encore) “assez d’Europe” selon von der Laeyen.
[Et aussi longtemps que ce scénario est là, on s’interdit en fait à en concevoir un autre puisqu’il s’agit d’une question de principe]
Oui, les Européens (et Zelenski) ne veulent pas *réellement* la paix. Trump/Vance n’ont pas eu tort lorsqu’ils ont dit que “Zelenski n’est pas “prêt pour la paix”.
Souvenez-vous aussi il y a quelques jours de Macron/Barrot qui nous disaient qu’il fallait “la paix par la force” (n’est-ce pas là la guerre ?).
[Quand Trump organise la signature publique de ses décrets, il n’est qu’un vulgaire imitateur du « french president ». ]
Des deux, contrairement aux apparences, le plus vulgaire n’est pas celui qu’on croit.
@ Bob
[« Il faut faire peur, parce que la peur est le meilleur moyen de pousser les peuples réticents à céder encore et toujours plus de compétences au système UE/OTAN » Macron va s’adresser solennellement aux Français ce soir, je parie ma chemise qu’il va essayer de faire très peur au bon peuple.]
C’est sûr. En plus, c’est sa grande opportunité de se refaire une virginité comme père de la nation unissant tous ses enfants… avec la tendance de Macron à en faire trop, je pense que ça va être grand-guignolesque.
[« Et aussi longtemps que ce scénario est là, on s’interdit en fait à en concevoir un autre puisqu’il s’agit d’une question de principe » Oui, les Européens (et Zelenski) ne veulent pas *réellement* la paix. Trump/Vance n’ont pas eu tort lorsqu’ils ont dit que “Zelenski n’est pas “prêt pour la paix”.]
Je ne sais pas s’ils la « veulent », mais en tout cas je suis convaincu qu’ils sont incapables de la penser. C’est là un point qui me paraît très important. Nos dirigeants sont prisonniers d’une pensée unique au point qu’ils sont incapables eux-mêmes de penser quelque chose de différent. Dans 1984, Orwell parlait d’une dégradation du langage qui rendait le « crime de la pensée » impossible tout simplement parce qu’il n’y avait plus les mots pour le commettre. Et bien, c’est un peu cela à quoi on assiste. Les mots et les concepts manquent pour sortir de la pensée unique. Les leaders du système UE/OTAN et de l’Ukraine se sont enfermés dans une vision où la seule issue possible est la victoire totale de l’Ukraine et la défaite de la Russie. Rien d’autre n’est « pensable ». Il n’y a qu’à voir la réaction de l’UE au changement de politique des Américains : plutôt que de chercher les moyens d’arrêter le conflit, on cherches les moyens de continuer la guerre sans qu’on voit une sortie.
[Souvenez-vous aussi il y a quelques jours de Macron/Barrot qui nous disaient qu’il fallait “la paix par la force” (n’est-ce pas là la guerre ?).]
Mais le disent-ils parce qu’ils en sont convaincus que c’est le meilleur choix après avoir examiné toutes les alternatives, ou le disent-ils parce qu’ils sont incapables de PENSER une alternative ? J’aimerais savoir quelles sont les alternatives qui ont été examinées et rejetées. Je crains qu’en fait il n’y en ait pas.
@ Descartes
[Rien d’autre n’est « pensable ».]
Votre point est particulièrement juste. Ma mémoire me trompe peut-être, je crois me souvenir de Macron qui disait précisément cela : “la victoire de la Russie est impensable”.
[Il n’y a qu’à voir la réaction de l’UE au changement de politique des Américains : plutôt que de chercher les moyens d’arrêter le conflit, on cherches les moyens de continuer la guerre sans qu’on voit une sortie.]
En ce moment, c’est cela le plus désespérant. L’attitude des Américains nous oriente vers une fin de la guerre, mais non, nous nous obstinons envers et contre toute logique.
@ Bob
[« Rien d’autre n’est « pensable ». » Votre point est particulièrement juste. Ma mémoire me trompe peut-être, je crois me souvenir de Macron qui disait précisément cela : “la victoire de la Russie est impensable”.]
Je n’avais pas en tête cette déclaration, mais elle illustre assez ironiquement un refus de penser le réel.
[« Il n’y a qu’à voir la réaction de l’UE au changement de politique des Américains : plutôt que de chercher les moyens d’arrêter le conflit, on cherches les moyens de continuer la guerre sans qu’on voit une sortie. » En ce moment, c’est cela le plus désespérant. L’attitude des Américains nous oriente vers une fin de la guerre, mais non, nous nous obstinons envers et contre toute logique.]
Trump mène aujourd’hui la danse parce qu’il a un plan, et qu’il se donne les moyens de le mettre en œuvre, y compris en faisant des choses « impensables » hier. On peut penser ce qu’on veut de ce plan, mais il a un immense mérite, celui d’exister. La faiblesse des européens, c’est qu’ils n’ont pas de plan. Avez-vous entendu un dirigeant européen articuler un scénario réaliste de sortie du conflit ? Non. Tous les discours se résument à « il faut soutenir les Ukrainiens pour qu’ils continuent à se battre », alors qu’il est assez évident que le temps joue contre l’Ukraine et qu’aucune perspective réaliste de changement du rapport de forces en se profile à l’horizon.
Six mois après le début de la guerre, l’Ukraine aurait pu négocier en position de force. Un an et demi après, sa position était déjà beaucoup plus faible. Aujourd’hui, elle devient désespérée. Il faudrait peut-être se demander si ceux qui ont recommandé aux Ukrainiens de refuser toute négociation avant la victoire totale étaient de bon conseil…
Drôle d’article qui fait comme s’il y avait une continuité dans la politique étrangère américaine, comme s’il n’y avait pas un bonhomme orange qui était arrivé il y a un peu plus d’un mois à la tête des États Unis en promettant de renverser l’ordre établi, et de geler toute aide que son prédécesseur s’était engagé à fournir.
@ Moi
[Drôle d’article qui fait comme s’il y avait une continuité dans la politique étrangère américaine,]
Il y a une certaine continuité. Et c’est logique: il y a une des réalités géopolitiques qui ne change pas – ou alors très lentement. La Russie est une puissance continentale, la Grande Bretagne une puissance insulaire. Et quelque soit l’homme au pouvoir, quelque soit le régime en place, il devrai gérer son pays en tenant compte de cette réalité. Aucun gouvernement britannique n’a pu se permettre de négliger la flotte, aucun gouvernement russe ne peut négliger les défenses terrestres.
Depuis vingt ans, la Chine monte en puissance. C’est elle qui devient aujourd’hui l’adversaire stratégique des Etats-Unis. La Russie ne l’est plus. Alors, l’alliance européenne, si utile lorsque la priorité stratégique était de contenir l’URSS, n’est plus prioritaire. Et cela est une réalité dont toute administration américaine tient compte. C’était déjà le cas sous Obama ou sous Biden, même si la chose était dite de manière plus feutrée. Depuis des années les différentes administrations américaines se désengagent doucement d’Europe. Le “bonhomme orange” ne fait que compléter le processus, plus brutalement. Mais il s’inscrit dans la logique initiée par ses prédécesseurs, et qui s’inscrit dans l’évolution de la géopolitique mondiale.
Depuis quelques jours j’ai l’impression qu’on est dans une sorte de réalité parallèle.
L’allocution télévisée de Macron, qui fait en gros comme si on était en guerre contre la Russie (alors que rien n’a changé, nous ne sommes pas vraiment plus menacés par la Russie du fait que les USA veuillent la paix), est déjà en soi incroyable, même pour un personnage qui nous a habitué à dire tout et n’importe quoi. Peut être que comme vous le pensez c’est l’occasion de faire avancer le projet UE, peut-être aussi de se donner un rôle dans l’Histoire avec un grand H, ou de faire oublier ses résultats en politique intérieure.
Mais le fait que tous les médias embrayent et considèrent ce récit “on est en guerre” comme la nouvelle réalité, est assez glaçant. Personne ou presque ne semble contester cela, et on discute juste des modalités : comment mettre x% du PIB dans l’effort de guerre ?
Sujet de l’émission “le télépone sonne” sur France inter ce jeudi : “Mais quels seront les efforts de guerre impliqués pour les Français ?” (au passage un intervenant y a évoqué un “jour de solidarité” pour l’effort de guerre, on aurait dit un mauvais sketch, comme si on gagnait une guerre contre le nouvel Hitler avec une jour de plus de cotisations et de bénéfices, arf). Les rares voix discordantes (Villepin, Guaino) se font traîner dans la boue et traiter de suppôts de Poutine voire de munichois.
J’espère sincèrement qu’on en rira dans quelques mois…
@ tmn
[Depuis quelques jours j’ai l’impression qu’on est dans une sorte de réalité parallèle.]
On y est, en fait. Et depuis déjà un certain temps. Depuis le début de la guerre en Ukraine on essaye de manipuler les opinions publiques pour pousser un « saut fédéral » en Europe, et les positions prises par Trump sont du pain bénit pour ce courant. Dans ce déluge médiatique, il faut revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire aux faits. La Russie est un pays de 150 millions d’habitants face à un bloc européen qui dépasse les 450 millions, avec un PIB cinq fois inférieur. Depuis trois ans, elle est en guerre avec un pays de 40 millions d’habitants et n’arrive pas à percer le front, se contentant d’avancer de quelques km chaque semaine. Alors, en faire une menace vitale…
[L’allocution télévisée de Macron, qui fait en gros comme si on était en guerre contre la Russie (…)]
Pas vraiment, en fait. Je vais faire un papier sur la question, alors je ne vais pas trop déflorer le sujet. Mais il y a un paragraphe dans l’intervention présidentielle qui me semble essentiel : « Ce seront de nouveaux investissements qui exigent de mobiliser des financements privés mais aussi des financements publics, SANS QUE LES IMPOTS NE SOIENT AUGMENTES » (c’est moi qui souligne). Or, cette formule met par terre tout le côte dramatique du discours. Parce que si nous étions VRAIMENT en guerre, si la Russie était VRAIMENT une menace vitale, alors nos dirigeants ne devraient rien s’interdire, et surtout pas de taxer. Imaginez-vous Churchill déclarant à la Chambre des communes « je n’ai à vous offrir que du sang, de la sueur et des larmes, mais je n’augmenterai pas les impôts » ?
[(alors que rien n’a changé, nous ne sommes pas vraiment plus menacés par la Russie du fait que les USA veuillent la paix), est déjà en soi incroyable, même pour un personnage qui nous a habitué à dire tout et n’importe quoi. Peut-être que comme vous le pensez c’est l’occasion de faire avancer le projet UE, peut-être aussi de se donner un rôle dans l’Histoire avec un grand H, ou de faire oublier ses résultats en politique intérieure.]
Il y a bien entendu un calcul de politique intérieure. Cette affaire permet à Macron, marginalisé par les résultats de la dissolution, de revenir sur le devant de la scène, et même de parler des ordres qu’il aurait donné « au gouvernement ». Désigner un ennemi permet aussi de compter sur le reflexe naturel de toute collectivité devant un danger, qui est de faire corps autour de ses dirigeants. Et finalement, la crise avec les américains permet à certains de rêver d’un « saut fédéral » rendu possible par la crainte d’une partie des pays membres de perdre leur « parrain » protecteur.
[Mais le fait que tous les médias embrayent et considèrent ce récit “on est en guerre” comme la nouvelle réalité, est assez glaçant. Personne ou presque ne semble contester cela, et on discute juste des modalités : comment mettre x% du PIB dans l’effort de guerre ?]
Vous avez remarqué ? La dette était jusqu’à la semaine dernière « immorale », le déficit menaçait la stabilité financière. Quelques jours plus tard, l’emprunt redevient vertueux dès lors qu’il est « européen », et les déficits sont pardonnés s’ils servent aux dépenses militaires…
[Sujet de l’émission “le télépone sonne” sur France inter ce jeudi : “Mais quels seront les efforts de guerre impliqués pour les Français ?” (au passage un intervenant y a évoqué un “jour de solidarité” pour l’effort de guerre, on aurait dit un mauvais sketch, comme si on gagnait une guerre contre le nouvel Hitler avec une jour de plus de cotisations et de bénéfices, arf).]
Est-ce que quelqu’un a évoqué les « efforts » qui seraient demandés aux plus riches ?
[Les rares voix discordantes (Villepin, Guaino) se font traîner dans la boue et traiter de suppôts de Poutine voire de munichois.]
Il faut dire que ni l’un ni l’autre ne découvrent le problème. Cela fait des années qu’ils nous mettent en garde. Comme Cassandre, ils auront vu juste et n’ont pas été écoutés.
[J’espère sincèrement qu’on en rira dans quelques mois…]
Malheureusement, j’en doute. La fin de cette affaire ne peut être que tragique. Le sort de l’Ukraine sera négocié entre la Russie et les Etats-Unis et sera imposé aux Ukrainiens. Il inclura probablement une forme de « neutralisation » de l’Ukraine – qui est l’objectif de la Russie depuis le début de l’affaire – et quelques concessions territoriales. Il est peu probable qu’on permette aux européens d’envoyer des troupes pour garantir le cessez-le-feu : dans tous les conflits on évite de mettre dans les forces de maintien de la paix des pays qui ont pris parti pour l’un ou l’autre des belligérants… et du coup, le système UE/OTAN n’arrivera même pas à sauver la face. Cela ne m’affecterai pas particulièrement si je ne craignait pas que cette perte de face ne consacre l’effacement des pays européens, et notamment de la France. C’est dommage, parce que je persiste qu’on aurait pu rester dans une position équilibrée – comme l’a fait la Turquie – en gardant les canaux ouverts avec toutes les parties, et que cela nous permettrait aujourd’hui de jouer un rôle important en tant que faiseurs de paix…
[La Russie est un pays de 150 millions d’habitants face à un bloc européen qui dépasse les 450 millions, avec un PIB cinq fois inférieur. Depuis trois ans, elle est en guerre avec un pays de 40 millions d’habitants et n’arrive pas à percer le front, se contentant d’avancer de quelques km chaque semaine. Alors, en faire une menace vitale…]
Mais tout le monde rigolait de l’armée russe début 2022, et à force de persévérer, et même si c’est laborieux, elle va atteindre ses objectifs. Je ne suis pas spécialiste mais j’ai du mal à balayer d’un revers de main la possibilité que la Russie veuille “sécuriser” d’autres endroits du coin dans quelques années si les conditions le permettent…
[« je n’ai à vous offrir que du sang, de la sueur et des larmes, mais je n’augmenterai pas les impôts »]
Ca m’a bien fait rire ! Bien vu…
@ tm
[Je ne suis pas spécialiste mais j’ai du mal à balayer d’un revers de main la possibilité que la Russie veuille “sécuriser” d’autres endroits du coin dans quelques années si les conditions le permettent…]
Pour le moment, la Russie a toujours fait ce qu’elle a dit qu’elle allait faire. Quand les pays baltes sont rentrés dans l’OTAN, elle a protesté, certes, mais n’a pas dit que cette entrée était un « casus belli ». Dans le cas ukrainien, le gouvernement russe a toujours dit qu’il s’agissait d’une ligne rouge, intolérable pour Moscou. On n’a pas voulu le croire, mais l’avertissement était sans ambiguïté.
Ce passé me fait dire qu’on peut faire une certaine confiance à la Russie pour ne pas envahir demain la Pologne ou l’Estonie… Mais comme vous, je ne suis pas expert de la question.
Existe t’il une référence claire et explicite ou cette ligne rouge concernant l’Ukraine est clairement exprimée par le pouvoir russe ?
@ P2R
[Existe t’il une référence claire et explicite ou cette ligne rouge concernant l’Ukraine est clairement exprimée par le pouvoir russe ?]
Il existe de très nombreuses expressions d’autorités russes proclamant que l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN serait inacceptable pour la Russie. Pour ne parler que des déclarations publiques – car on peut imaginer que de nombreux avertissements ont été transmis en privé, on peut parler des déclarations de Poutine le 30 novembre 2021:”un élargissement de la présence de l’OTAN en Ukraine, en particulier le déploiement de missiles à longue portée capables de frapper les villes russes ou de systèmes de défense antimissile similaires à ceux de la Roumanie et de la Pologne, constituerait une « ligne rouge » pour la Russie” (source: The Guardian), puisque « si des systèmes de frappe apparaissent sur le territoire de l’Ukraine, le temps de vol vers Moscou sera de sept à dix minutes, et de cinq minutes dans le cas du déploiement d’une arme hypersonique ». Il se voit répondre par Jens Stoltenberg que « seuls l’Ukraine et 30 alliés de l’OTAN décident quand l’Ukraine est prête à rejoindre l’OTAN. La Russie n’a pas de droit de veto, la Russie n’a pas son mot à dire, et la Russie n’a pas le droit d’établir une sphère d’influence pour essayer de contrôler ses voisins ».
En décembre de la même année, Poutine demande à l’OTAN des garanties que l’Ukraine ne réjoindra pas l’alliance. Il se fait sèchement reconduire par Soltenberg dans des termes similaires.
Le 10 janvier 2022, des diplomates russes et américains se rencontrent à Genève. La partie russe demande des “garanties concrètes” que l’Ukraine ne sera pas admise à l’OTAN. Le ministre des affaires étrangères russe déclare que « les risques de confrontation militaire ne doivent pas être sous-estimés » et que la partie américaine, en refusant de ne pas élargir l’OTAN, sous-estime la gravité de la situation.
Le 12 janvier 2022, une réunion du Conseil Russie-OTAN s’est tenue à Bruxelles. Lors de cette réunion, la partie russe a été encore plus explicite, et met sur la table un projet d’accord prévoyant que l’Ukraine ne rentrera pas dans l’OTAN. Ses demandes ont été rejetées par l’ensemble des pays membres de l’OTAN. Suite à ce rejet, le 13 janvier, le représentant russe à l’OSCE déclare: “Si nous ne recevons pas de réponse constructive aux propositions faites dans un délai raisonnable, et que la ligne de conduite agressive à l’égard de la Russie se poursuit, nous serons contraints d’en tirer les conséquences et de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’équilibre stratégique et éliminer les menaces inacceptables pour notre sécurité nationale.”
Enfin, le 14 janvier Jens Stoltenberg, dans un entretien avec la presse italienne, déclare que la décision d’intégrer l’Ukraine à l’OTAN avait été prise dès 2008, et que seule la date restait en discussion.
Difficile dans ces conditions de ne pas constater que les “lignes rouges” étaient claires, et que l’OTAN a montré à chaque opportunité son refus du moindre compromis.
@P2R
Pour ajouter aux références récentes qu’a fournies notre hôte, j’ajouterai (1) le discours du président russe au forum sur la sécurité de Munich en 2007 (référence non explicite) et (2) le câble « NYET MEANS NYET: RUSSIA’S NATO ENLARGEMENT REDLINES » envoyé par l’ambassadeur US de l’époque (2008) à Moscou (qui était jusqu’à peu directeur de la CIA). C’est juste pour préciser que cette ligne rouge est exprimée par le gouvernement russe et connue des « occidentaux » depuis fort longtemps…
[1] https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire/1886
[2] https://wikileaks.org/plusd/cables/08MOSCOW265_a.html
@ Descartes
[Ce passé me fait dire qu’on peut faire une certaine confiance à la Russie pour ne pas envahir demain la Pologne ou l’Estonie]
Macron, lui, sait qu’on ne peut pas lui faire confiance : “Qui peut croire, dans ce contexte, que la Russie d’aujourd’hui s’arrêtera à l’Ukraine ?”
La formule fait même passer ceux qui pensent que cela n’a qu’une infime probabilité de se produire pour des naïfs au mieux, des idiots au pire. Et ne souffre aucune contestation…
@ Bob
[Macron, lui, sait qu’on ne peut pas lui faire confiance : “Qui peut croire, dans ce contexte, que la Russie d’aujourd’hui s’arrêtera à l’Ukraine ?” La formule fait même passer ceux qui pensent que cela n’a qu’une infime probabilité de se produire pour des naïfs au mieux, des idiots au pire. Et ne souffre aucune contestation…]
Macron utilise ici un recours rhétorique classique, celui de la “fausse évidence”. Chaque fois que quelqu’un vous sort une phrase commençant par “tout le monde sait que…”, “qui pourrait contester que…”, “il est bien évident que…”,”qui peut croire que”, vous pouvez conclure que la personne qui l’utilise exprime une opinion qui ne repose sur aucun argument rationnel. C’est une technique classique pour faire croire que ce que vous dites est une évidence supportée par le nombre.
@ tmn
au rang des voix discordantes, j’ajoute Hervé Morin. en tant que membre de la majorité, c’est courageux de sa part
@ P2R
[au rang des voix discordantes, j’ajoute Hervé Morin. en tant que membre de la majorité, c’est courageux de sa part]
Oui, tout à fait. Je n’avais pas une grande considération pour le personnage – que je ne connais pas vraiment – mais je dois dire que j’ai été agréablement surpris par ses prises de position. Et pas seulement lorsqu’il qualifie “d’excessive” la campagne de peur entamée par le président de la République. J’ai aimé particulièrement ce paragraphe, publié dans “le Figaro” qui, décidément, est aujourd’hui le seul journal qui porte des voix discordantes:
“Ce que je sais en revanche, c’est que ce n’est pas dans le cadre de l’Union européenne, des débats empesés et enkystés dans un formalisme encadré par des traités que nous trouverons les moyens d’un sursaut. Ce que je sais, c’est que la volonté nationale et le refus de l’avachissement existent en dehors de l’Union, c’est-à-dire chez nos amis britanniques, seule puissance militaire européenne digne de ce nom avec la France. Le traité de Lancaster, seule avancée du vieux continent en matière de défense, s’était fait entre États souverains, capables de prendre leurs responsabilités, probablement parce que le souvenir de Churchill et de Gaulle était encore vif.“
Vous écrivez dans votre billet:
“on a un ensemble de 150 millions d’habitants, avec un PIB (PPA) de quelque 5400 Md$. Dans le coin droit, un ensemble de 560 millions d’habitants, dont le PIB dépasse les 22.000 Md$. En 2024, les dépenses militaires de l’UE étaient de 326 Md€, alors que celles de la Russie ne dépassaient les 100 Md€. A votre avis, qui devrait avoir peur de qui ?”
Ce type d’argument, ou celui équivalent de “la Russie a le PNB de L’Espagne”, demande à être examiné.
En premier l’argument du nombre d’habitant est un élément insuffisant à lui seul. On a vu l’Angleterre établir un quasi empire mondial, et les Mongols soumettre la Chine. On voit bien que l’élément décisif est la supériorité militaire par rapport à ses adversaires. Certes il faut un minimum d’habitant (on voit mal Monaco établir un empire mondial), mais la disproportion peut être très importante, de 1 à 100 et plus.
En ce qui concerne les dépenses militaires, il faut considérer l’efficacité militaire de ces dépenses. Les armées européennes sont éclatées, leur matériel largement incompatibles et pire très largement sous le contrôle des USA qui peuvent à tout moment les rendre rapidement inutilisables par la non fourniture des pièces de rechange et de remise en état (je ne sais pas jusqu’à quel point par contrat ils peuvent soumettre leur usage à leur accord; on a vu un problème similaire avec les Suisse interdisant l’usage d’armes qu’ils avaient fournies). A elle seule l’armée russe est largement supérieure aux armées de chacun de ses pays limitrophes. Et, comme les autres pays de l’Europe, nous nous contenterons d’élever des “protestations solennelles”. Personne ne voudra “mourir pour Dantzig”, d’autant plus que même en intervenant nous ne pourrons faire face.
Pour La mise en oeuvre coordonnée d’une partie de ces armées, il faut actuellement passer par l’OTAN, sous commandement d’un général américain. Autant dire que si les USA ne sont pas d’accord, aucune coordination n’est actuellement possible.
Théoriquement, à 5 10 ans il serait possible de tout réorganiser en partant de quasi zéro. Compte tenu de la cohérence politique de l’Europe, je crois que les Russes n’ont pas à s’inquiéter, ils peuvent durant ce laps de temps mener toutes les agressions qu’ils veulent tant qu’ils auront l’accord explicite ou tacite des USA.
Dans son allocution du Je 5 mars 20h, Macron a fait une bonne analyse de la situation et a exprimé des orientations positives. Mais que sera-t-il réalisé ? Sans doute pas beaucoup. Et il est fort possible que demain il dise le contraire, comme c’est son habitude sur à peu prés tous les sujets.
@ marc.malesherbes
[Ce type d’argument, ou celui équivalent de “la Russie a le PNB de L’Espagne”, demande à être examiné.]
Examinons-le. Mais d’abord, constatons que du point de vue factuel il est parfaitement exact.
[En premier l’argument du nombre d’habitant est un élément insuffisant à lui seul. On a vu l’Angleterre établir un quasi empire mondial, et les Mongols soumettre la Chine. On voit bien que l’élément décisif est la supériorité militaire par rapport à ses adversaires. Certes il faut un minimum d’habitants (on voit mal Monaco établir un empire mondial), mais la disproportion peut être très importante, de 1 à 100 et plus.]
Mais vous remarquerez que si l’Angleterre a pu établir un empire, c’est parce qu’elle à conquis des peuples qui, que ce soit du point de vue technologique ou celui de l’organisation sociale et politique, étaient très loin derrière le capitalisme anglais. Qui affirme que la Russie est, du point de vue technologique ou de l’organisation sociale et politique, en avance sur l’Union européenne ? Là encore, le déséquilibre est au désavantage de la Russie…
[En ce qui concerne les dépenses militaires, il faut considérer l’efficacité militaire de ces dépenses. Les armées européennes sont éclatées, leur matériel largement incompatibles (…)]
Vous êtes en train de me dire que l’OTAN ne sert à rien ? Parce que la fonction de l’OTAN est précisément de veiller à ce que les matériels soient compatibles et les armées interopérables.
[(…) et pire très largement sous le contrôle des USA qui peuvent à tout moment les rendre rapidement inutilisables par la non fourniture des pièces de rechange et de remise en état (je ne sais pas jusqu’à quel point par contrat ils peuvent soumettre leur usage à leur accord; on a vu un problème similaire avec les Suisse interdisant l’usage d’armes qu’ils avaient fournies).]
Les armes américaines livrés aux pays de l’OTAN le sont, à ma connaissance, sans restriction d’usage (ce qui n’est pas la même chose que les restrictions de transfert). Par ailleurs, il est quand même incroyable qu’avec les moyens et la technologie dont dispose l’Union européenne, elle ne puisse produire du matériel militaire au même niveau qu’un ensemble économique qui pèse cinq fois moins qu’elle.
[A elle seule l’armée russe est largement supérieure aux armées de chacun de ses pays limitrophes.]
Des pays limitrophes, certainement. Mais pas de la France, de l’Allemagne ou de l’Angleterre.
[Et, comme les autres pays de l’Europe, nous nous contenterons d’élever des “protestations solennelles”. Personne ne voudra “mourir pour Dantzig”, d’autant plus que même en intervenant nous ne pourrons faire face.]
C’était bien là mon point. La faiblesse de l’Union européenne en matière de défense tient au fait que ce n’est pas une nation, c’est-à-dire, que ses habitants ne sont pas des citoyens, liés entre eux par une solidarité inconditionnelle. Et c’est précisément pour cette raison que le « saut fédéral » est une absurdité. Quand bien même l’Union se doterait d’institutions fédérales, ces institutions n’auront jamais la légitimité nécessaire pour que les « européens » de Marseille ou de Lisbonne acceptent de « mourir pour Dantzig ».
[Théoriquement, à 5 10 ans il serait possible de tout réorganiser en partant de quasi zéro.]
Mais vous me dites vous-même que le problème n’est pas « l’organisation », mais réside dans le fait que les européens ne sont pas prêts à « mourir pour Dantzig ». Pensez-vous qu’on peut corriger cela en 5 ou 10 ans ?
[Dans son allocution du Je 5 mars 20h, Macron a fait une bonne analyse de la situation (…)]
C’est certainement le cas lorsqu’il a rassuré les français sur le fait que leurs impôts n’allaient pas augmenter. Cette promesse remet tout le reste en perspective…
@Descartes
[[A elle seule l’armée russe est largement supérieure aux armées de chacun de ses pays limitrophes.]
Des pays limitrophes, certainement. Mais pas de la France, de l’Allemagne ou de l’Angleterre.]
Sur quoi vous appuyez-vous pour affirmer ça ? En termes de personnel d’active, si j’en crois wikipédia, on arrive péniblement à 550000 pour ces 3 pays cumulés, alors que la Russie dépasse le million depuis les réformes engagées post-2022… (et j’imagine que le matériel est à l’avenant…).
[C’est certainement le cas lorsqu’il a rassuré les français sur le fait que leurs impôts n’allaient pas augmenter. Cette promesse remet tout le reste en perspective…]
Perso, ça me fait un peu peur, parce que je ne crois pas du tout à cette promesse 😉 J’ai bien peur que certains dirigeants européens s’imaginent vraiment pouvoir ressouder leur pays (voire souder l’Europe…) en essayant pour de vrai la guerre contre la Russie, et je n’imagine pas celle-ci tourner à notre avantage, en tout cas pas avant plusieurs années et un immense carnage.
@ никто
[Sur quoi vous appuyez-vous pour affirmer ça ? En termes de personnel d’active, si j’en crois wikipédia, on arrive péniblement à 550000 pour ces 3 pays cumulés, alors que la Russie dépasse le million depuis les réformes engagées post-2022… (et j’imagine que le matériel est à l’avenant…).]
Beh non, justement. Nos armées sont mieux équipées. L’armée russe est encore équipée des tanks de l’ère soviétique, nettement moins performants que les Tigre ou les Leclerc. Dans l’artillerie, le César surclasse les canons russes. Le Rafale est largement plus moderne que les MIG russes. Ce n’est qu’en matière de missiles que les Russes ont une certaine supériorité. Mais au-delà de ces considérations, il y a l’expérience : l’armée Russe a échoué à prendre Kiev dans les premiers mois de la guerre, et depuis elle en est réduite à une tactique de grignotage. Si en trois ans la Russie n’a pas réussi à obtenir une victoire nette sur l’Ukraine, on voit mal comment elle pourrait l’obtenir contre l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne réunies…
[« C’est certainement le cas lorsqu’il a rassuré les français sur le fait que leurs impôts n’allaient pas augmenter. Cette promesse remet tout le reste en perspective… » Perso, ça me fait un peu peur, parce que je ne crois pas du tout à cette promesse.]
Moi, ce qui m’inquiète n’est pas tant qu’il ne la tienne pas, mais qu’il se sente obligé de la faire. Clairement, dans la tête de Macron l’appel au patriotisme des Français ne marchera pas si on ne les rassure quant à leur portefeuille. Cela donne un intéressant aperçu dans la mentalité de cette classe…
@Descartes
[L’armée russe est encore équipée des tanks de l’ère soviétique, nettement moins performants que les Tigre ou les Leclerc.]
J’imagine que vous voulez parler des Léopards, les Tigre ne sont plus produits depuis 1944 😉
Plus sérieusement, sur la qualité des matériels, je veux bien vous croire, même si j’ai du mal à imaginer que nos matériels soient très supérieurs à ceux de la Russie, qui avait quand même modernisé du matériel soviétique, et aussi « bénéficié » d’une vraie expérience de guerre. Pour l’aviation, il y a quand même plusieurs modèles de Soukhoï plus récents que les Rafale, même s’ils ne constituent pas encore la majeure partie de l’aviation de combat russe.
De plus, la quantité est une qualité en soit, et de ce côté, y’a pas photo…
[Si en trois ans la Russie n’a pas réussi à obtenir une victoire nette sur l’Ukraine, l’armée Russe a échoué à prendre Kiev dans les premiers mois de la guerre]
Je ne pense pas que l’armée russe s’imaginait prendre Kiev avec 20 ou 40000 soldats ; pour moi, il s’agissait soit de mettre un coup de pression pour ouvrir des négociations (ce qui a réussi avec Gomel/Istanbul), soit ils s’imaginaient que la population les accueillerait en libérateurs, et à ce moment c’est un gros échec des services de renseignement.
J’ajouterais que la Russie ne combat pas tout à fait que l’Ukraine ; cette dernière dispose d’une énorme base arrière qui va de Varsovie à Ottawa. Sans aide extérieure, on n’assisterait pas à la même guerre…
[on voit mal comment elle pourrait l’obtenir contre l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne réunies]
J’imagine que ça dépend où : si c’est entre Berlin et Paris, clairement, je pense pas ça possible, ou à peu près au même tarif qu’en 1945… ; si c’est entre Minsk et Moscou, c’est plus les mêmes conditions…
[Clairement, dans la tête de Macron l’appel au patriotisme des Français ne marchera pas si on ne les rassure quant à leur portefeuille. Cela donne un intéressant aperçu dans la mentalité de cette classe…]
J’avais pas vu les choses sous cet angle, en effet, c’est « intéressant »…
@ никто
[J’imagine que vous voulez parler des Léopards, les Tigre ne sont plus produits depuis 1944]
Effectivement, toutes mes excuses, je me suis trompé de félin…
[Plus sérieusement, sur la qualité des matériels, je veux bien vous croire, même si j’ai du mal à imaginer que nos matériels soient très supérieurs à ceux de la Russie, qui avait quand même modernisé du matériel soviétique, et aussi « bénéficié » d’une vraie expérience de guerre.]
C’est un point non négligeable : la Russie dispose d’une masse de soldats ayant une véritable expérience de combat. Si nous devions mobiliser les réserves, on se retrouverait avec une armée relativement peu aguerrie.
[J’ajouterais que la Russie ne combat pas tout à fait que l’Ukraine ; cette dernière dispose d’une énorme base arrière qui va de Varsovie à Ottawa. Sans aide extérieure, on n’assisterait pas à la même guerre…]
Certes. Mais ceux qui se battent, ce sont les Ukrainiens. Si la Russie attaquait l’Allemagne ou la France, ces deux pays bénéficieraient certainement de la même base arrière. Et si la Russie au bout de deux ans n’a réussi à occuper que 20% du territoire ukrainien, cela veut dire que ses armées ne sont pas si nombreuses et redoutables que ça.
[J’imagine que ça dépend où : si c’est entre Berlin et Paris, clairement, je pense pas ça possible, ou à peu près au même tarif qu’en 1945… ; si c’est entre Minsk et Moscou, c’est plus les mêmes conditions…]
On parle d’une éventuelle invasion Russe vers l’occident, et non de la réciproque. Il est historiquement prouvé que la capacité de résistance du peuple russe lorsqu’il est attaqué chez lui est énorme. Comme vous le dites – et c’était mon point – une telle opération est impensable.
[« Clairement, dans la tête de Macron l’appel au patriotisme des Français ne marchera pas si on ne les rassure quant à leur portefeuille. Cela donne un intéressant aperçu dans la mentalité de cette classe… » J’avais pas vu les choses sous cet angle, en effet, c’est « intéressant »…]
En effet, j’ai publié il y a quelques minutes un papier sur la question. A votre bon cœur…
Bonsoir, et merci de ce billet absolument limpide et compréhensible par tous (ce qui ne sera pas le cas de mes remarques ci-dessous, la situation reste un peu confuse dans ma tête).
[La Russie est en grande partie un tigre de papier, mais un tigre de papier peut être fort utile à l’establishment européen qui sait très bien utiliser chaque crise pour faire avancer l’idée qu’il faut « plus d’Europe »]
“Never waste a good crisis” selon la formule de Monnet reprise par Van Rompuy lors de la crise de 2008… C’est tout à fait ça. L’Europe fédérale ne progresse que par Coups d’Etat. C’est un peu le projet de ceux qui n’en ont pas si on se place du point de vue de la classe politique en son théâtre sorti tout droit du Charme discret de la Bourgeoisie…
Mais par contre, du point de vue de la bourgeoisie financière confrontée à la baisse du taux de profit (lié à la saturation de la capacité d’emprunt des Etats, à la faiblesse de leurs investissements et à la bête sociale qui ne veut toujours pas totalement se faire saigner de la totalité de la plus-value arrachée à la Libération), les armes , cela s’annonce juteux. Et comme aux grandes époques, on a le papier journal, aujourd’hui numérique, pour emballer les canons dans le “patriotisme” (même si pour faire avaler un patriotisme “européen”, il va en falloir de la propagande… mais l’IA peut rendre cela peu coûteux…). Et surtout tout transfert de souveraineté permet de laisser les Etats (réduits à l’état de fermiers généraux) se confronter seuls aux révoltes et à la misère qui suivront.
Le lobby financier avait participé directement aux Conseils européens dans la suite de 2008 pour être sûr que les chefs d’Etat ne se trompent pas d’une virgule en reprenant la “réforme” clé en main… Le lobby de l’armement va faire de même (mais il sera encore plus américain en attendant que tout ce qui reste ici soit américain, sauf peut-être ce que les Chinois…) Dire qu’on a peur des Russes, avouez que c’est croquignolesque ! C’est quand même l’avantage de Trump qui n’a jamais entendu parler des “illusions nécessaires” apparemment et d’homme de la post-vérité est passé à homme de la Truth Policy. Politique de la vérité… des rapports de force réeellement existants) .
[Dans le coin gauche, on a un ensemble de 150 millions d’habitants, avec un PIB (PPA) de quelque 5400 Md$. Dans le coin droit, un ensemble de 560 millions d’habitants, dont le PIB dépasse les 22.000 Md$. En 2024, les dépenses militaires de l’UE étaient de 326 Md€, alors que celles de la Russie ne dépassaient les 100 Md€.]
Voir quand même que le monde qui accouche se réduit à trois pôles remplissant les conditions de la puissance : vaste territoire riche en matières premières, arsenal nucléaire pléthorique, force de travail industriel. Donc sous ces aspects le coin gauche est mieux pourvu que le coin droit qui n’étant par ailleurs pas une nation ne peut qu’être un supplétif/vassal des USA, de la Russie ou de la Chine (comme on le sait dans l’affrontement interne à la triade Oceania/Eurasia/Estasia les alliances à deux contre un changent régulièrement…). Ce qu’il faudrait éviter c’est d’être leur champ de bataille et pour cela cultiver notre jardin (après tout on n’a plus de matières premières il n’y a pas de raisons qu’on nous embête plus que les Suisses si on ne tire pas la moustache des Leviathans…)
[
@ Musée de l’Europe
[« La Russie est en grande partie un tigre de papier, mais un tigre de papier peut être fort utile à l’establishment européen qui sait très bien utiliser chaque crise pour faire avancer l’idée qu’il faut « plus d’Europe » » “Never waste a good crisis” selon la formule de Monnet reprise par Van Rompuy lors de la crise de 2008… C’est tout à fait ça.]
On se souvient de Bismarck provoquant la guerre franco-prusienne en 1870 pour forcer le regroupement des principautés allemandes autour de la Prusse et constituer ainsi l’Empire allemand. Rien n’a changé depuis : la peur reste un instrument de manipulation très efficace, et vous trouverez toujours des politiciens veules qui préféreront se défaire de leur pouvoir pour ne pas avoir à assumer les responsabilités qui vont avec.
[Mais par contre, du point de vue de la bourgeoisie financière confrontée à la baisse du taux de profit (lié à la saturation de la capacité d’emprunt des Etats, à la faiblesse de leurs investissements et à la bête sociale qui ne veut toujours pas totalement se faire saigner de la totalité de la plus-value arrachée à la Libération), les armes, cela s’annonce juteux. Et comme aux grandes époques, on a le papier journal, aujourd’hui numérique, pour emballer les canons dans le “patriotisme” (même si pour faire avaler un patriotisme “européen”, il va en falloir de la propagande… mais l’IA peut rendre cela peu coûteux…).]
Je ne sais pas si aujourd’hui les armes sont une bonne affaire. Alors qu’on a déversé des milliards de crédits militaires pour aider l’Ukraine, il est clair que l’industrie ne suit pas. Ce qui semble suggérer que ce n’est pas aujourd’hui un investissement très rentable. Cela l’était peut-être lors des guerres mondiales, quand il s’agissait de se procurer des armes « à tout prix ». Mais aujourd’hui, ce n’est clairement pas la logique adoptée. Il n’y a qu’à voir notre président promettre que « nos impôts n’augmenteront pas »…
[Et surtout tout transfert de souveraineté permet de laisser les Etats (réduits à l’état de fermiers généraux) se confronter seuls aux révoltes et à la misère qui suivront.]
Exactement. Vous verrez que les « emprunts européens » qu’on nous vend avec flonflon et orchestre reviendront subrepticement dans nos comptes et serviront demain comme prétexte pour demander encore et encore des économies budgétaires quand il faudra les rembourser…
[Dire qu’on a peur des Russes, avouez que c’est croquignolesque !]
D’autant plus croquinolesque que pendant des années on nous a expliqué que la Russie n’était plus qu’une puissance de seconde zone, que son économie était dans les cordes, qu’elle ne subsistait plus que grâce aux hydrocarbures… maintenant on nous parle d’elle comme du grand méchant loup qui pourrait nous avaler tout crus. Il est urgent de relire « 1984 ». Quand j’étais adolescent, on faisait de ce bouquin une métaphore de l’URSS. Aujourd’hui, on voit combien ce livre parle en fait de nous.
[Voir quand même que le monde qui accouche se réduit à trois pôles remplissant les conditions de la puissance : vaste territoire riche en matières premières, arsenal nucléaire pléthorique, force de travail industriel. Donc sous ces aspects le coin gauche est mieux pourvu que le coin droit qui n’étant par ailleurs pas une nation ne peut qu’être un supplétif/vassal des USA, de la Russie ou de la Chine]
Pour moi, c’est le troisième aspect qui est essentiel. Ce ne sont pas les matières premières qui font la force – sans quoi le Brésil ou l’Argentine seraient des puissances mondiales – pas plus que la taille de l’arsenal nucléaire, qui est là pour ne pas être utilisé. La condition sine qua non de la puissance, c’est la cohésion que donne le fait national, et qui permet aux dirigeants du pays de faire une véritable politique au service de leur intérêt. Or non seulement l’Europe n’est pas une nation, mais elle a mis en place des mécanismes qui affaiblissent le fait national dans les pays membres. Ce n’est pas une coïncidence si les états européens se trouvent de plus en plus avec des gouvernements à la légitimité faible : cela traduit en fait leur impuissance, impuissance largement organisée par les élites locales. A quoi bon s’intéresser à la politique, à quoi bon participer au processus démocratique alors que les décisions se prennent ailleurs, sans la moindre participation du peuple concerné ?
Aux Etats-Unis, voter pour Trump ou voter pour Harris change quelque chose – en bien ou en mal, mais c’est là un autre problème. En Europe, vous pouvez voter pour qui vous voulez, et rien ne change. Nos élites aveugles se félicitent même qu’une fois élue une personnalité comme Meloni soit rentrée dans le rang et devenue une “bonne européenne”. Parce que chez nous, il n’y a qu’une politique possible, celle décidé par on ne sait très bien qui à Bruxelles. Et demain vous allez demander aux jeunes européens d’aller mourir pour défendre ça ?
@ Descartes
[Il est urgent de relire « 1984 ». Quand j’étais adolescent, on faisait de ce bouquin une métaphore de l’URSS. Aujourd’hui, on voit combien ce livre parle en fait de nous.]
Intéressante remise en perspective de “1984”. La lecture de ce livre devrait être rendue obligatoire à tous les lycéens.
[Aux Etats-Unis, voter pour Trump ou voter pour Harris change quelque chose – en bien ou en mal, mais c’est là un autre problème. En Europe, vous pouvez voter pour qui vous voulez, et rien ne change.(…) Et demain vous allez demander aux jeunes européens d’aller mourir pour défendre ça ?]
Absolument.
Avant d’aller mourir, dans notre démocratie actuelle, à quoi bon continuer à voter ? (je vous avais déjà posé la question, mais j’ai oublié votre réponse…).
@ Bob
[« Il est urgent de relire « 1984 ». Quand j’étais adolescent, on faisait de ce bouquin une métaphore de l’URSS. Aujourd’hui, on voit combien ce livre parle en fait de nous. » Intéressante remise en perspective de “1984”. La lecture de ce livre devrait être rendue obligatoire à tous les lycéens.]
Quand j’étais au lycée, c’était un texte conseillé. Mais à l’époque, « 1984 » était vu comme un texte anticommuniste. Aujourd’hui que l’URSS n’est plus, on peut remettre le livre dans une perspective universelle. C’est pourquoi je doute qu’il soit aussi lu aujourd’hui qu’il l’était à l’époque…
[Avant d’aller mourir, dans notre démocratie actuelle, à quoi bon continuer à voter ? (je vous avais déjà posé la question, mais j’ai oublié votre réponse…).]
Parce que c’est un acte de témoignage. Parce que c’est une opportunité de dire qu’on n’est pas d’accord, même si le dire ne change rien per se. Parce que se retrouver nombreux le soir du scrutin permet à ceux qui ne sont pas d’accord de se sentir moins seuls, et peut même les encourager à agir. Mais si on va voter avec l’idée que le vote par lui-même va changer quelque chose… c’est la garantie d’être déçu. « Si le vote pouvait changer quelque chose, on l’aurait déjà interdit », disaient les gauchistes à une certaine époque – paradoxalement, à une époque où le vote POUVAIT changer les choses, et qu’il était de l’intérêt du bloc dominant que les gens ne votent pas. En fait, on ne l’a pas interdit, mais on l’a vidé de sa substance en organisant l’impuissance du politique…
@ Descartes
[Parce que c’est un acte de témoignage. Parce que c’est une opportunité de dire qu’on n’est pas d’accord, même si le dire ne change rien per se. Parce que se retrouver nombreux le soir du scrutin permet à ceux qui ne sont pas d’accord de se sentir moins seuls]
Après le “coup de Lisbonne”, tellement écœuré, j’étais resté une quinzaine d’années sans voter. Ces derniers temps, je me demandais si je n’allais pas retomber “dans ce travers”, précisément parce que dans notre système “européen”, voter ne sert en effet plus à rien.
Vous avez réussi à me “remotiver”, merci.
Je ne sais pas s’il est aussi lu “qu’il l’était à l’époque”, puisque je n’y étais pas, mais je peux vous assurer que, pour ceux qui lisent encore, il est une lecture courante. Cependant, je vous rassure, c’est toujours dans le cadre de “l’antitotalitarisme” qu’il est conseillé, et les élèves qui me le citent dans leur copie sont bien souvent les premiers à défendre la censure en adoptant une position morale lors de discussions en classe.
@ Louis
[Je ne sais pas s’il est aussi lu “qu’il l’était à l’époque”, puisque je n’y étais pas, mais je peux vous assurer que, pour ceux qui lisent encore, il est une lecture courante. Cependant, je vous rassure, c’est toujours dans le cadre de “l’antitotalitarisme” qu’il est conseillé, et les élèves qui me le citent dans leur copie sont bien souvent les premiers à défendre la censure en adoptant une position morale lors de discussions en classe.]
Cela vous donne un intéressant point de départ pour une discussion pédagogique. Mais ce que je trouve de plus intéressant chez Orwell, c’est la réflexion sur le langage et tout particulièrement le fait que l’appauvrissement du langage est un moyen « indolore » de restreindre et rendre impossible une pensée non conforme et un débat réel. De ce point de vue, aucun des « totalitarismes » cités en exemple n’est allé aussi loin que nos régimes dits « libéraux avancés ». Il faudrait peut-être faire prendre conscience à vos élèves qu’il est inutile de censurer dès lors qu’il n’y a plus les mots pour le dire…
@ Descartes
[De ce point de vue, aucun des « totalitarismes » cités en exemple n’est allé aussi loin que nos régimes dits « libéraux avancés »]
Pourriez-vous développer ?
@ Bob
[« De ce point de vue, aucun des « totalitarismes » cités en exemple n’est allé aussi loin que nos régimes dits « libéraux avancés » » Pourriez-vous développer ?]
Bien sûr. Les totalitarismes du XXème siècle n’ont pas cherché à appauvrir le langage. On y a interdit des auteurs, mais on n’a pas changé les œuvres classiques pour les expurger des mots interdits. Nos sociétés « libérales avancées » l’ont fait. Pensez par exemple au classique d’Agatha Christie, « dix petits nègres », dont le titre a été modifié en « ils étaient dix ». Ou bien l’œuvre de Roald Dahl, qu’on a expurgé de certains paragraphes non conformes avec la vision « diversitaire » : « dans la nouvelle édition de Charlie et la chocolaterie, Augustus Gloop, est désormais simplement « énorme » plutôt qu’« énormément gras ». Dans Les Deux Gredins, Commère Gredin n’est plus « laide et bestiale », juste « bête », et dans L’Énorme Crocodile « nous mangeons des petits garçons et des filles » a été modifié en « nous mangeons des petits enfants ». »
J’avais découvert 1984 dans le cadre scolaire et c’est une lecture qui m’avait terrifié. Sa relecture 20 ans plus tard, si elle ne m’a pas autant secoué, m’a laissé néanmoins très mal à l’aise. On se dit qu’il est si facile pour une société comme la nôtre de glisser vers le totalitarisme. Pas besoin de coup de force, parfois il suffit juste de laisser les choses suivre leur cours. Un petit rien après l’autre, de manière indolore, jusqu’à se retrouver dans la situation où les citoyens se retrouvent incapables de penser un monde différent.
Pour l’anecdote, notre professeur de français nous avait bien précisé à l’époque qu’Orwell dénonçait toutes les formes de totalitarisme à travers son livre, pas uniquement le totalitarisme soviétique.
J’en profite pour recommander chaudement le film Brazil de Terry Gilliam, qui constitue en quelque sorte une adaptation officieuse de 1984 à la sauce Gilliam, avec un casting 3 étoiles (Jonathan Pryce, Robert de Niro, Ian Holm, Bob Hoskins…).
@ CZ
[J’avais découvert 1984 dans le cadre scolaire et c’est une lecture qui m’avait terrifié. Sa relecture 20 ans plus tard, si elle ne m’a pas autant secoué, m’a laissé néanmoins très mal à l’aise. On se dit qu’il est si facile pour une société comme la nôtre de glisser vers le totalitarisme. Pas besoin de coup de force, parfois il suffit juste de laisser les choses suivre leur cours. Un petit rien après l’autre, de manière indolore, jusqu’à se retrouver dans la situation où les citoyens se retrouvent incapables de penser un monde différent.]
Tout à fait. J’avais lu ce texte quand j’étais adolescent, présenté par mon professeur d’histoire comme un réquisitoire contre le régime soviétique. Compte tenu de mes convictions, je l’avais lu avec un préjugé négatif et je l’avais trouvé caricatural, surtout parce que dans le monde de « 1984 » la guerre joue un rôle important dans la propagande du régime, alors que la communication soviétique était orientée plutôt vers la paix et « l’amitié entre les peuples ». Je n’avais pas du tout perçu le message universel de l’ouvrage. Ce n’est qu’en le relisant adulte que j’ai pris conscience qu’il ne parlait pas en fait de l’URSS.
[J’en profite pour recommander chaudement le film Brazil de Terry Gilliam, qui constitue en quelque sorte une adaptation officieuse de 1984 à la sauce Gilliam, avec un casting 3 étoiles (Jonathan Pryce, Robert de Niro, Ian Holm, Bob Hoskins…).]
J’ai adoré ce film, mais je ne pense pas que ce soit une « adaptation officieuse de 1984 ». Il n’y a pas dans « Brazil » une réflexion sur le langage, qui est centrale dans Orwell. « Brazil », c’est plutôt une réflexion sur l’asservissement aux choses. Mais c’est à recommander très chaudement, comme presque tout ce qu’on fait les membres de l’équipe des Monthy Python…
[Vous verrez que les « emprunts européens » qu’on nous vend avec flonflon et orchestre reviendront subrepticement dans nos comptes et serviront demain comme prétexte pour demander encore et encore des économies budgétaires quand il faudra les rembourser…]
Cela est presque passé inaperçu, mais les tranches de l’emprunt europeen de relance post-covid sont débloquées sous condition par la CE (on emprunte de l’argent, à un taux usuraire hallucinant pour la France vu qu’une partie est versée à d’autres pays, et en plus on ne peut toucher le capital que sous conditions…).
Dans le cas de la Belgique, qui est légèrement bénéficiaire (reçoit plus qu’elle ne contribue) le versement de la tranche de l’année dernière s’est fait à la condition suivante : retraite à 67 ans. La “grande coalition” a plié en moins de 15 jours.
Les succès obtenus en Grêce ont donné des idées… Si ce n’est pas par les chars, c’est par les finances qu’on asservit… Ils ont pas à pas en train de vassaliser des Etats trop puissants pour être mis à genou par les marchés financiers en les empêchant de recourir directement à ces marchés, la Commission utilisant l’argent emprunté par les Etats eux-même pour se la jouer FMI exigeant les “réformes structurelles” en échange du montant de prêts que les Etats ont contracté eux-même et qu’ils ne peuvent pas toucher directement si j’ai bien compris !!!
@ Musée de l’Europe
[Cela est presque passé inaperçu, mais les tranches de l’emprunt europeen de relance post-covid sont débloquées sous condition par la CE (on emprunte de l’argent, à un taux usuraire hallucinant pour la France vu qu’une partie est versée à d’autres pays, et en plus on ne peut toucher le capital que sous conditions…).]
Evidemment. Celui qui a la caisse a le pouvoir. Et la Commission utilise non seulement les emprunts, mais aussi le budget européen pour faire rentrer dans le rang les pays un peu trop indépendants – pensez par exemple aux conditions posées pour verser les fonds structurels à la Pologne du temps ou le PiS gouvernait, ou bien à la Hongrie de Orban. Ce n’est pas – encore – un problème pour nous parce que nous empruntons sur les marchés à un taux équivalent à celui de l’UE sinon meilleur. Mais pour les pays qui ont des difficultés à accéder au marché international de capitaux, c’est une véritable contrainte.
[Je ne sais pas si aujourd’hui les armes sont une bonne affaire. Alors qu’on a déversé des milliards de crédits militaires pour aider l’Ukraine, il est clair que l’industrie ne suit pas. Ce qui semble suggérer que ce n’est pas aujourd’hui un investissement très rentable.]
C’est parce que les garanties et les investissements publics ne sont pas encore-là. Quand les Etats auront conclu un accord cadre (dicté par les principaux intéressés comme en 2008) précisant les conditions favorables à ce que les “investisseurs” investissent en étant sûr d’en tirer la part du lion du profit, cad quand les Etats auront créé le marché (car le marché est fiction, c’est en fait une création de l’Etat), alors il y aura de la production (ou un ersatz de production comme les fausses paires de chaussures vendues à l’armée par Voltaire et tous les profiteurs de guerre de toutes les époques) et cela d’autant plus que les investisseurs qui contrôlent l’outil industriel à développer échapperont à tout risque étatique car le contrôleur du “marché” sera… non étatique (Commission). Probablement ce qui s’est passé avec les vaccins déjà… Ce qui assure la rentabilité du Capital, c’est l’Etat… Que ce soit avec des armes ou des boules de gomme, c’est kif kif pour le Capital : ça doit être garanti, bien sûr sans risque ça va sans dire, mais aussi du point de vue de la rentabilité minimale, quel que soit le résultat…
[Ce ne sont pas les matières premières qui font la force – sans quoi le Brésil ou l’Argentine seraient des puissances mondiales – pas plus que la taille de l’arsenal nucléaire, qui est là pour ne pas être utilisé]
Je ne sais pas si ma conjugaison de facteurs est la bonne, mais en tous cas il s’agit d’une conjugaison de facteurs (que n’ont pas le Brésil et l’Argentine). Les matières premières sont d’autant plus importantes qu’on n’en a pas (et qu’elles se raréfient, sont plus coûteuses à extraire et ont un impact de plus en plus coûteux pour la planète. Incise, les écolos qui sont EN MEME TEMPS pour le réarmement, le bilan carbone et l’affectation rationnelle des ressources rares tombent le masque de l’écologie…).
La main d’oeuvre : par moment je me demande si l’hystérie sur l’immigration alors que EN MEME TEMPS l’essentiel des puissances sont en régression démographique et vont donc se battre pour avoir de l’immigration en allant chercher la main d’oeuvre là où elle va rester produite pour quelque temps (Sahel et Afrique australe) n’a pas la même fonction que le racisme colonial : déshumaniser la main d’oeuvre pour pouvoir la faire trimer privée de tout droit… (les “décoloniaux” qui n’ont rien compris à la colonisation ont d’ailleurs peut-être vocation à servir de contre-maitres sur le nouveau marché du bois d’ébène qui se prépare..)
L’arsenal nucléaire : seule garantie pour ne pas être envahi quand on est assis sur un gros tas de matières premières.
[ Il est urgent de relire « 1984 »]
Je regardais sur LCI (pour faire un prélèvement tous les mois c’est un bouillon de culture qu’on a à disposition…). Après des années d’américanolatrie ubuesque, on avait tout d’un coup des minutes de haines contre les Etats-Unis, le nouveau Super Méchant… Ca rappelle dans 1984, lorsqu’au cours d’une manifestation de haine, la cible de la haine doit être changée tambour battant l’ennemi étant devenu l’allié… Ici l’allié est devenu l’ennemi, mais c’est pareil.
En bref : puisque les USA sont alliés avec la Russie (pour les détacher des Chinois) peut-être devrions-nous travailler à être un peu plus l’allié des Chinois ? Ainsi on pourrait leur commander toutes ces armes dont nous avons besoin comme on a fait avec tout le reste ?
@ Musée de l’Europe
[« Je ne sais pas si aujourd’hui les armes sont une bonne affaire. Alors qu’on a déversé des milliards de crédits militaires pour aider l’Ukraine, il est clair que l’industrie ne suit pas. Ce qui semble suggérer que ce n’est pas aujourd’hui un investissement très rentable. » C’est parce que les garanties et les investissements publics ne sont pas encore-là.]
Quand même. Pour les obus, les commandes sont là et elles sont massives, mais l’industrie ne suit pas. Si la fabrication d’obus était une bonne affaire, je pense que la réaction de l’industrie aurait été toute autre.
[Quand les Etats auront conclu un accord cadre (dicté par les principaux intéressés comme en 2008) précisant les conditions favorables à ce que les “investisseurs” investissent en étant sûr d’en tirer la part du lion du profit, cad quand les Etats auront créé le marché (car le marché est fiction, c’est en fait une création de l’Etat),]
Je pense que ce raisonnement est un peu schématique. Il y a une concurrence réelle sur le marché des armes, et comme toute concurrence elle tend à pousser le prix vers le bas. Qu’il y ait des quasi-monopoles dans les domaines de la haute technologie, c’est un fait. Mais lorsqu’il s’agit de tourner des obus, c’est à la portée de beaucoup de monde. C’est d’ailleurs pourquoi on n’arrive pas à trouver des obus : la concurrence a poussé les prix à un niveau proche des coûts de fabrication, et du coup le capital ne trouve pas une bonne rentabilité. Les profiteurs de guerre on les trouvera dans la fabrication de drones, de logiciels espions… mais pas dans les obus et les canons, comme naguère…
[La main d’oeuvre : par moment je me demande si l’hystérie sur l’immigration alors que EN MEME TEMPS l’essentiel des puissances sont en régression démographique et vont donc se battre pour avoir de l’immigration en allant chercher la main d’oeuvre là où elle va rester produite pour quelque temps (Sahel et Afrique australe) n’a pas la même fonction que le racisme colonial : déshumaniser la main d’oeuvre pour pouvoir la faire trimer privée de tout droit…]
Je ne pense pas que cela aille aussi loin. Mais il est clair que l’importation de main d’œuvre contribue à pousser les salaires vers le bas. C’est pourquoi d’ailleurs le patronat a toujours été favorable à l’immigration de masse, alors que les organisations ouvrières en étaient opposées.
[Je regardais sur LCI (pour faire un prélèvement tous les mois c’est un bouillon de culture qu’on a à disposition…). Après des années d’américanolatrie ubuesque, on avait tout d’un coup des minutes de haines contre les Etats-Unis, le nouveau Super Méchant… Ca rappelle dans 1984, lorsqu’au cours d’une manifestation de haine, la cible de la haine doit être changée tambour battant l’ennemi étant devenu l’allié… Ici l’allié est devenu l’ennemi, mais c’est pareil.]
Oui, je trouve ça très drôle d’entendre des americanôlatres qui brûlent aujourd’hui ce qu’ils ont adoré depuis des décennies.
[En bref : puisque les USA sont alliés avec la Russie (pour les détacher des Chinois) peut-être devrions-nous travailler à être un peu plus l’allié des Chinois ?]
En fait, les Russes jouent assez habilement la chose. Ils font des sourires à Washington, mais organisent ces jours-ci un grand exercice conjoint avec Pékin et Téhéran. Cela rappelle le jeu de De Gaulle, qui sans remettre en cause l’alliance atlantique se permettait d’aller discuter à Moscou ou à Pékin, avec des collaborations à la clé. Quant à nous, puissance moyenne qui veut être grande, notre meilleur positionnement est de garder les alliances historiques mais de discuter avec tout le monde. Ce n’est pas parce que les Américains sont obsédés par la Chine qu’il faut les accompagner dans leurs obsessions. Notre intérêt, c’est un monde multipolaire, et non une pax americana.