Du retour du “sang français”

« Je n’ai pas une goutte de sang français, mais la France coule dans mes veines. »
Romain Gary

Ecouter la matinale de France Inter, c’est l’assurance de pouvoir entendre en direct les fantasmes de la bienpensance française. L’écouter au premier degré, c’est la garantie pour tout progressiste digne de ce nom de commencer sa journée dans l’énervement. Mais lorsqu’on l’apprécie au deuxième degré, on peut en tirer des réflexions fort intéressantes sur l’état de « la volaille qui fait l’opinion », pour utiliser la formule tirée d’une chanson célèbre. C’est souvent sur les sujets les moins controversés qu’on glane les meilleures pépites. C’est que, lorsqu’on parle de sujets conflictuels, les intervenants surveillent leurs paroles comme le lait sur le feu. Par contre, lorsque le sujet est consensuel, on se laisse souvent aller à la facilité.

Avant hier matin, c’était un festival. C’est que, voyez-vous, on était sur le sujet le plus consensuel qu’on puisse imaginer : l’hommage rendu à l’une des icônes les plus vénérées, de la bienpensance, j’ai nommé, Robert Badinter. Un homme qui a su – une performance digne d’être soulignée – ne pas s’écarter une seule fois de ce qu’il faut penser pour « bien » penser. Pas une seule fois dans sa vie il ne s’est trouvé du côté des mauvais, pas une seule pensée impure à lui reprocher. Bon, d’accord, il a été l’homme des basses œuvres mitterrandiennes, celui qui a protégé Bousquet et fait tout le nécessaire pour reporter son procès, mais pour la bienpensance, c’est là un péché véniel.

Pour ce festival hagiographique la radio nationale avait invité un parterre de choix : Eric Dupont-Moretti et Christiane Taubira, tous deux avocats et anciens gardes des Sceaux, et Aurélien Veil, avocat et petit fils de Simone du même nom et auteur de la postface d’un recueil de textes du grand disparu. Que du beau monde.

La présentation de l’œuvre du cher disparu était, en elle-même, un exercice de falsification de l’histoire. Pour ne donner qu’un exemple, on peut citer la petite chanson qui fait de Robert Badinter l’auteur de l’abolition en 1981 du « délit d’homosexualité ». Ceux qui soutiennent cela font référence à la loi dite « Forni » du 4 août 1982. A ce propos, deux remarques. La première, c’est que la loi porte le nom de Raymond Forni, député socialiste qui avait déposé la proposition de loi et l’a défendue au Parlement. Même si Badinter l’a soutenue – comme beaucoup d’autres personnalités de l’époque – il serait injuste pour son véritable auteur de lui en retirer la paternité. La seconde objection, plus grave en termes de falsification de l’histoire, est que le « délit d’homosexualité » n’existe plus dans notre droit depuis… 1792. Avant cette date, la « sodomie » était un crime puni de mort. La dernière exécution pour ce motif, celle de Bruno Lenoir et Jean Diot, date de 1750. Ce délit est aboli en 1792, et le code Napoléon, pourtant jugé par beaucoup conservateur en matière de mœurs, ne le rétablira pas. Aucun texte normatif ne fera mention des rapports homosexuels jusqu’à l’introduction par le régime de Vichy du deuxième alinéa de l’article 332 du code pénal en 1942. Ce texte introduit une distinction dans l’âge de la majorité sexuelle : 15 ans pour les rapports hétérosexuels, 21 ans (l’âge de la majorité civile) pour les rapports homosexuels. La contrainte avait déjà été adoucie par l’abaissement de la majorité civile à 18 ans en 1974. C’était là une discrimination réelle envers les homosexuels, mais certainement pas un « délit d’homosexualité ». Or, c’est cet alinéa que la loi Forni viendra effacer.

Mais s’il n’y avait que ça… car il y eut bien pire. En pensant magnifier la figure de Badinter, Dupont-Moretti a manifesté son appréciation pour cet hommage à un homme qui « n’a pas une seule goutte de sang français qui coule dans ses veines » (sic, sic et resic) (1). Intéressant, n’est-ce pas ? Ainsi, pour notre ancien garde des Sceaux, non seulement il existe un « sang français », mais on peut être né en France de parents français (2), y vivre toute sa vie, être citoyen français, servir avec grande distinction la République, sans « qu’une seule goutte de sang français coule dans ses veines ». Dont acte. On aurait envie de demander à Eric Dupont-Moretti ce qu’il faut aujourd’hui pour pouvoir prétendre avoir quelques « gouttes de sang français dans ses veines ». Faut-il deux générations de parents français ? Trois ? Quatre ? Pouvoir retracer ses ancêtres jusqu’à l’époque de Louis XIV ? de Saint-Louis ? De Philippe Auguste ? De Clovis ? Et puis, posons la question qui fâche : peut-on être « français de sang » si l’on n’est pas catholique, par exemple ? Si l’on n’a pas trois quartiers de noblesse ?

Ceux qui croiraient encore que cette bienpensance est du côté des valeurs de la République ne pourront que s’étonner d’entendre cette terminologie. Parce que cette distinction entre ceux qui auraient du « sang français » et ceux qui n’en auraient pas n’appartient certainement pas à la France « universaliste, humaniste » dont se réclame par ailleurs Dupont-Moretti. Non, elle appartient à l’univers mental de la droite la plus réactionnaire, aux nostalgiques de Vichy, aux partisans d’une vision racialisée de la nation. Il est fascinant de constater qu’à l’heure où le Rassemblement National abandonne toute référence au « sang français », c’est chez les bienpensants vaguement à gauche qu’on trouve ce langage.

Inutile de dire que la remarque de Dupont-Moretti n’a suscité la moindre réaction chez les autres invités, pas plus que chez les journalistes, pourtant si prompts les uns comme les autres à traquer la moindre allusion de ce genre chez les « affreux ». On n’ose imaginer quelle aurait été la réaction de ce cénacle si l’expression était sortie de la bouche de Marine Le Pen ou de Nicolas Sarkozy. Mais venant de Dupont-Moretti ou de Taubira, ça passe. Dès lors que vos intentions sont pures – et reconnues comme telles – tout vous est permis.

Le paradoxe est que si Robert Badinter, cet enfant de la « rue juive », a pu devenir un grand avocat, ministre puis président de la plus haute instance judiciaire du pays, c’est parce qu’il a eu la chance de vivre dans un pays où les distinctions fondées sur le « sang » étaient caduques. On aurait pu faire de Badinter le symbole de la puissance assimilatrice de la France. Seulement voilà, c’eut été impolitique par les temps qui courent, parce que la bienpensance ne veut surtout pas qu’on lui rappelle ce fait. Au contraire : on l’a vu lors du décès de Charles Aznavour, et encore plus lorsque Michel Manouchian – et non pas Missak, du moins si l’on respecte le choix de l’intéressé, qui signe de ce prénom ses lettres, y compris la dernière – est rentré au Panthéon. A chaque fois, ces gens « venus d’ailleurs » et pourtant assimilés ont été renvoyés, contre leur volonté, à leur étrangeté. Aznavour aurait-il été moins grand, Manouchian moins héroïque si du « sang français avait coulé dans leurs veines » ? Les bienpensants, en tout cas, semblent le croire.

On retrouve ici une illustration parfaite du mécanisme décrit par Paul Yonnet – et je remercie encore le lecteur de ce blog qui m’a permis de découvrir cet auteur. Au prétexte d’engagement dans le combat antiraciste, la bienpensance – celle de gauche, mais pas seulement – a remis au goût du jour le racisme le plus rance par un jeu de miroirs inversés. Les pétainistes flétrissaient celui qui « n’avait pas une goutte de sang français » et portaient au pinacle celui qui l’avait. Les bienpensants font exactement l’inverse. Mais l’inversion des catégories ne change pas la nature de la pensée. Et cette pensée reste une pensée fixiste. Dès lors que vous divisez la société en catégories en fonction du « sang », vous excluez toute mobilité puisque le « sang » ne se change pas. C’est pourquoi l’universalisme républicain dont se réclame – à tort – Dupont-Moretti exclut l’idée même de « sang français », puisque la nationalité résulte d’un contrat de solidarité inconditionnelle, et non d’une essence inaltérable.

Ce que je trouve le plus décourageant dans cette célébration posthume de Robert Badinter et à travers lui de l’abolition de la peine de mort, c’est que personne ne s’interroge sur le contexte qui l’a rendue possible. Car il ne faut pas se tromper : l’abolition de la peine de mort s’inscrit dans un mouvement général qui dépasse de très loin les frontières françaises. Le capitalisme mondialisé naissant a besoin d’individus tout-puissants, débarrassés des contraintes historiques et institutionnelles qui sont un frein à la consommation de masse. Et c’est pourquoi, à partir de la fin des années 1960, on assiste à un mouvement général de remise en cause non seulement des institutions répressives, mais de la répression comme concept. Réprimer – c’est-à-dire, imposer à un individu une règle extérieure à lui – devient un « mal ». C’est brider la « créativité », restreindre la « liberté », limiter la « spontanéité ». Rien ne doit limiter à la toute-puissance de l’individu. C’est cette logique qui a fabriqué la génération du « tout, tout de suite », incapable de gérer la frustration, capable de poignarder l’enseignant, le médecin, le commerçant, bref, tous ceux qui lui refusent la satisfaction immédiate.

C’est dans la politique pénale que cette dérive fut la plus éclatante. Il faut d’ailleurs relire les publications de la gauche radicale pour voir ce que fut la réhabilitation de l’image du « taulard » dans les années 1970. Derrière cette évolution se trouve l’idée que la délinquance est un fait social, qui n’engage pas la responsabilité de l’individu. De bourreau, le délinquant devient une victime de la société. D’une société dont on remet en cause la légitimité à imposer des règles, et à punir ceux qui ne les respectent pas. Ce n’est pas un hasard si le slogan « il est interdit d’interdire » est brandi par la jeune génération de l’époque. Il n’est pas non plus étonnant que l’avocat pénaliste – c’est-à-dire, celui qui défend l’individu contre la société – devienne un héros. Badinter ou Halimi sont d’excellents exemples. Une héroïsation dont les magistrats seront jaloux, au point de renier progressivement leur rôle de défenseurs de la loi pour se reconvertir en gardiens des « valeurs »…

Le débat récurrent sur l’état de nos prisons illustre parfaitement cette question. On peut trouver regrettable que les détenus doivent dormir dans des matelas par terre faute de places en cellule, que les bâtiments soient délabrés, que les rongeurs et les cafards pullulent. Mais une fois cette constatation faite, il faut rappeler une réalité : Les gens qui se trouvent en prison ne sont pas des victimes du hasard, ils ne sont pas les jouets d’un destin funeste. S’ils se trouvent en prison, c’est qu’ils ont fait quelque chose pour s’y retrouver. Il faut aussi rappeler que des gens qui se lèvent tous les matins pour aller travailler, qui ont toute leur vie respecté la loi, la vie et l’intégrité de leurs voisins et s’abstiennent de leur vendre des produits interdits, sont eux aussi forcés de dormir sur un matelas par terre, dans des bâtiments délabrés et où rongeurs et cafards sont monnaie courante. Alors, à l’heure de remplacer le matelas par un vrai lit, de réparer l’immeuble, de chasser les cafards, de qui faut-il s’occuper en priorité ? Du détenu qui se trouve enfermé pour avoir arrosé à la Kalachnikov un point de deal, ou du travailleur respectueux de la loi ? On attribue à Badinter d’ailleurs la règle qui veut qu’une société ne puisse accepter que le mieux traité des prisonniers vive mieux que le moins bien traité des hommes libres. Ce n’est pas faux.  J’ai entendu mille fois la formule selon laquelle « le niveau d’une civilisation se juge à l’état de ses prisons ». J’ai à chaque fois envie de répondre que je préfère le juger à l’état de ses HLM.

Mais alors, pourquoi tolère-t-on moins les prisons délabrées que les HLM délabrés ? Pourquoi la piété publique va au « taulard » et pas au travailleur pauvre ?

L’abolition progressive de la peine de mort s’inscrit dans ce mouvement anti-répression. Au cours du dernier quart du XXème siècle beaucoup d’Etats abolissent la peine de mort, et chez ceux qui la conservent les exécutions capitales se font de plus en plus rares. Mais loin de voir là une « humanisation » des sociétés, il faut voir un signe d’insécurité. Il faut qu’une société soit très sûre d’elle-même, de ses valeurs, de ses institutions, de son consensus social pour se permettre d’imposer des châtiments allant jusqu’à ôter la vie à celui qui ne respecte ses règles. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant si les états qui aujourd’hui conservent la peine de mort sont des états où une idéologie forte – qu’elle soit religieuse comme en Iran ou laïque comme en Chine – s’impose à tous comme une évidence. Dans ce qu’on appelle aujourd’hui les « démocraties libérales », on n’est plus très sûr de rien. Ce qui est en théorie interdit est en pratique toléré, ce qui est poursuivi aujourd’hui sera autorisé demain. Alors, comment pourrait-on se sentir légitime à punir, et encore moins à punir sévèrement ?

Badinter rentre au Panthéon au moment même où la société commence à revenir de la vision de la société que Badinter a portée dans son action politique. Ce n’est pas là le moindre des paradoxes…

Descartes

(1) A la demande du journaliste d’exprimer leur sentiment sur l’entrée de Badinter au Panthéon, voici ce que répond Eric Dupont-Moretti : « C’est un grand jour pour notre pays. Pour la République. C’est la France universaliste, humaniste. C’est devenu presque un gros mot, l’humanisme, aujourd’hui. C’est un homme qui n’a pas une seule goutte de sang français qui coule dans ses veines, et qui devient ministre, président du conseil constitutionnel. » Suit une longue énumération des actions réelles ou supposées du défunt.

(2) Les parents de Robert Badinter sont tous deux juifs nés en Bessarabie, à l’époque province de l’empire Russe, arrivés en France a la fin des années 1910. Son père fait des études supérieures en France, sanctionnées par un diplôme d’ingénieur commercial en 1922 et s’établit comme commerçant. Il est déjà naturalisé français lorsque nait Robert Badinter, le 30 mars 1928.

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83 réponses à Du retour du “sang français”

  1. Musee de l Europe dit :

    Pas une seule fois dans sa vie il ne s’est trouvé du côté des mauvais, pas une seule pensée impure à lui reprocher
    Dans l une de ses dernieres interviews, au sujet de la reforme des retraites et de la guerre selon lui ineluctable avec la Russie, il affirmait que les mesures du Front Populaire etaient a l origine de la defaite de juin 40… Une interview de trop…

  2. Marc DROUET dit :

    Ce qui est  hallucinant dans le débat sur les retraites c’est le peu de références qui sont faites aux pays qui nous entourent. Tous, sans la moindre exception ont des durées de travail supérieures à 62, 63, voire 64 ans. Personnellement j’ai travaillé jusqu’à 70 ans. J’ai aujourd’hui 75 ans et je me porte plutôt bien. Le travail, sauf dans quelques professions, ne tue pas son homme. J’étais dans  un domaine où les levers nocturnes étaient fréquents. Le travail nocturne également. On n’en meurt pas. Il suffit d’une hygiène de vie que tout un chacun peut s’appliquer. Du sport, du sommeil pour bien récupérer. Ne pas vivre de manière monacale. Voilà tout. Mais surtout prenons modèle sur nos voisins proches. 

    • Descartes dit :

      @ Marc Drouet

      [Ce qui est hallucinant dans le débat sur les retraites c’est le peu de références qui sont faites aux pays qui nous entourent. Tous, sans la moindre exception ont des durées de travail supérieures à 62, 63, voire 64 ans.]

      « Mangez de la merde, 400 milliards de mouches ne peuvent toutes se tromper ». Je ne vois pas très bien ce que les références en question nous apporteraient. Nous avons notre histoire, qui est différente à celle de nos voisins. Dans la mise en place de notre protection sociale, nous avons fait des choix différents, et ça nous a plutôt réussi. Alors, pourquoi cette volonté obsessionnelle de faire comme les autres ?

      [Personnellement j’ai travaillé jusqu’à 70 ans. J’ai aujourd’hui 75 ans et je me porte plutôt bien.]

      Laissez-moi deviner : vous étiez travailleur à la chaîne dans une usine automobile… Non. Alors peut-être que vous chargiez des sacs dans les ports ? Non plus. Vous faisiez les chantiers de travaux publics en toute saison ? Pas davantage… Vous vous voyez faire ces métiers là jusqu’à 70 ans ?

      [Le travail, sauf dans quelques professions, ne tue pas son homme.]

      Je ne sais pas si elles le « tuent », mais dans beaucoup de professions à 60 ans les gens sont usés, mutilés. Qu’est ce qu’on fait avec ces gens-là ? Il faut regarder les choses en face : même si l’âge LEGAL était en France de 62 ans, dans les FAITS on part en moyenne à 64 ans, ce qui nous rapproche de nos voisins. Tout simplement parce que la retraite implique une perte importante de revenu (le taux de couverture moyen est autour de 45%), et cela sans compter sur le fait qu’à 62 seuls ceux qui ont commencé à travailler très tôt ont leurs trimestres. Beaucoup de nos concitoyens ne peuvent pas se permettre une telle baisse sans renoncer à un niveau de vie décent, et continuent à travailler donc aussi longtemps que leur santé leur permet.

      Les réformes qui touchent l’âge minimal de départ sont foncièrement injustes parce qu’elles touchent d’abord ceux qui ont commencé à travailler plus tôt, et donc les métiers les moins qualifiés, les plus durs, les moins bien payés. Pour les cadres supérieures, qui de toute manière n’avaient pas leurs trimestres à 62 ans et qui de toute manière restent au travail souvent jusqu’à la limite d’âge, ça ne change rien. Mais pour l’ouvrier qui a tous ses trimestres à 62 ans et le corps usé, ca fait une grosse différence.

      [J’étais dans un domaine où les levers nocturnes étaient fréquents. Le travail nocturne également.]

      Moi aussi. Mais on ne me demandait pas de porter des poids importants ou de faire des gestes répétitifs pendant des heures. Et vous ?

      [Mais surtout prenons modèle sur nos voisins proches.]

      Pourquoi ? Pourquoi faudrait-il « surtout » modèle sur nos voisins proches ? Pourquoi ne devraient-ils plutôt prendre modèle sur nous ?

    • CVT dit :

      @Descartes,
      J’ai deux observations concernant l’âge de la retraite:
      – La France a le taux d’emploi des seniors les plus faibles d’Europe: 3/5 ème des plus actifs de 50 ans sont employés. Le sujet a déjà été largement rebattu sur ce blog, mais là encore, rien n’est jamais fait pour résoudre ce problème, et demander à un chômeur de 59 ans de rester dans ce statut deux ans de plus frôle l’indécence…
       
      – surtout, la question qui n’est jamais posée, c’est celle de l’espérance de vie en bonne santé.  Un chiffre datant d’une dizaine d’année indiquait qu’elle était de 58,5 années, et que ce chiffre n’a quasiment pas bougé depuis les années 80, alors que l’espérance de vie effective a entre-temps augmenté de 5 ans ( de 73 ans à l’époque à 78 ans aujourd’hui pour les hommes, et de 79 à 84 ans pour les femmes. D’ailleurs, au passage, mesdames les féministes: pourquoi cette odieuse discrimination entre les sexes n’est jamais discutée? 😏).
      58,5 ans aurait dû être le véritable âge de départ à la retraite, selon moi, si on ne peut procéder à un système de retraite à la carte. Repousser l’âge de la retraite à 70 ans, comme le voudrait l’UE, alors que l’espérance de vie en bonne santé ne progresse pas, c’est à terme risquer de mettre en jeu, pour ne pas dire en péril, la santé physique, mentale et psychologiques des travailleurs les plus fragiles, ou ceux qui ont commencé à travailler très tôt…

      • Descartes dit :

        @ CVT

        [J’ai deux observations concernant l’âge de la retraite:
        – La France a le taux d’emploi des seniors les plus faibles d’Europe: 3/5 ème des plus actifs de 50 ans sont employés. Le sujet a déjà été largement rebattu sur ce blog, mais là encore, rien n’est jamais fait pour résoudre ce problème, et demander à un chômeur de 59 ans de rester dans ce statut deux ans de plus frôle l’indécence…]

        Je suis tout à fait d’accord avec vous. Je commence à me demander si la polarisation sur le « totem » de l’âge de la retraite ne finit par servir de rideau de fumée pour ne plus parler de questions bien plus sérieuses. Si le but est de « travailler plus pour produire plus » – et vous savez que je partage cet objectif – s’attaquer à la question du chômage et du sous-emploi me semble bien plus utile que se concentrer sur la question de l’âge de départ.

        [– surtout, la question qui n’est jamais posée, c’est celle de l’espérance de vie en bonne santé. Un chiffre datant d’une dizaine d’année indiquait qu’elle était de 58,5 années, et que ce chiffre n’a quasiment pas bougé depuis les années 80,]

        Je suis surpris par ce chiffre. Si j’en crois les chiffres officielles, l’espérance de vie en bonne santé à la naissance est aujourd’hui de 65,3 ans pour les femmes 63,8 pour les hommes, et elle continue à progresser (https://sante.gouv.fr/actualites-presse/actualites-du-ministere/article/vivre-vieux-et-mieux-plus-longtemps-allongement-de-l-esperance-de-vie-sans#:~:text=Elle%20a%20m%C3%AAme%20cr%C3%BB%20plus,%2C%20jusque%2075%2C5%20ans.)

        [58,5 ans aurait dû être le véritable âge de départ à la retraite, selon moi, si on ne peut procéder à un système de retraite à la carte.]

        Je ne suis pas d’accord. On sait que l’espérance de vie – et surtout l’espérance de vie en bonne santé – n’est pas la même selon les classes sociales. Imposer un âge de départ uniforme revient à faire un transfert entre des classes populaires vers les couches plus aisées : alors qu’ils auront cotisé la même durée, les uns jouiront de leur retraite bien moins longtemps que les autres (on pourrait évoquer aussi le transfert des hommes vers les femmes, compensé en partie par l’inégalité salariale).

        Pour corriger ce problème, je vois trois possibilités : soit la prise en compte de la pénibilité des metiers (c’est une usine à gaz) ; soit le plafonnement des pensions sans plafonnement des cotisations (mais c’est injuste pour les métiers très pénibles et bien payés) ; soit, et c’est à mon avis le plus simple, l’abolition de l’âge minimum et un système à points (ou ce qui revient au même, aux trimestres validés), qui ferait que ceux qui ont commencé à travailler jeunes, et qui exercent généralement les métiers les plus pénibles, partiront plus tôt avec une retraite pleine.

        [Repousser l’âge de la retraite à 70 ans, comme le voudrait l’UE, alors que l’espérance de vie en bonne santé ne progresse pas, c’est à terme risquer de mettre en jeu, pour ne pas dire en péril, la santé physique, mentale et psychologiques des travailleurs les plus fragiles, ou ceux qui ont commencé à travailler très tôt…]

        Et alors ? Je doute que la santé physique, mentale et psychologique des travailleurs soit un grand souci pour les capitalistes. Ce n’est pas en tenant compte de ce genre de broutilles qu’on gagne des marchés sur la concurrence…

  3. Carloman dit :

    Bonjour Descartes,
     
    [En pensant magnifier la figure de Badinter, Dupont-Moretti a manifesté son appréciation pour cet hommage à un homme qui « n’a pas une seule goutte de sang français qui coule dans ses veines »]
    Ne me dites pas que ça vous étonne… Il faudrait que je vérifie, mais je crois me souvenir que Dupont-Moretti a été très marqué par la mort – apparemment criminelle – de son grand-père d’origine italienne (le Moretti de son nom, je suppose), et il avait déclaré, me semble-t-il, qu’il estimait que l’enquête n’avait pas été menée comme il se doit, parce que, justement, le grand-père en question était immigré et que donc, en France, “on” (la police? la justice?) s’en foutait. Pour Dupont-Moretti, la question d’avoir du “sang français” ou de ne point en avoir est consubstantielle à sa conception de la société. Et à l’heure de choisir, on voit bien qu’Eric se réclame aisément de Moretti. Quant à Dupont (un nom très français)…
     
    [Intéressant, n’est-ce pas ? Ainsi, pour notre ancien garde des Sceaux, non seulement il existe un « sang français »]
    Eh bien je pense qu’il n’y a pas que notre ancien garde des Sceaux qui pense cela. Je me souviens d’un entretien donné par Cécilia Attias, qui s’appelait encore Sarkozy, dans lequel elle se vantait ouvertement de n’avoir “pas une goutte de sang français”, et c’était à la veille de l’élection de son cher et tendre à l’Elysée… Et là, on n’est pas vraiment chez les progressistes. Il y a une idée assez répandue chez les élites, de gauche comme de droite, que l’absence – ou la quantité la plus minime possible – de “sang français” est une marque de distinction, quelque chose qui permet de se distinguer du troupeau des “Français de souche”, alcooliques et bornés. Croyez-vous qu’on nous emmerdrait avec les Manouchian, Baker ou Badinter s’ils/elles étaient né(e)s en France, issu(e)s de vieilles lignées françaises et catholiques? Evidemment que non. Il faut être fils d’étranger pour avoir droit à la reconnaissance de la “République humaniste et universaliste”.
     
    [Faut-il deux générations de parents français ? Trois ? Quatre ? Pouvoir retracer ses ancêtres jusqu’à l’époque de Louis XIV ? de Saint-Louis ? De Philippe Auguste ? De Clovis ?]
    Question intéressante. Si on se réfère aux critères de sélection de la SS mis en place par Heinrich Himmler, le candidat devait justifier sa filiation “aryenne” jusqu’au XVIIIème siècle si je me souviens bien. Il serait intéressant de demander à M. Dupont-Moretti ce qu’il pense de cela…
     
    [Il est fascinant de constater qu’à l’heure où le Rassemblement National abandonne toute référence au « sang français »]
    Abandonne, abandonne… Disons “met en sourdine”, du moins dans le discours des chefs. 
     
    [Non, elle appartient à l’univers mental de la droite la plus réactionnaire, aux nostalgiques de Vichy, aux partisans d’une vision racialisée de la nation.]
    Eh bien j’en suis, je le dis franchement. Sans être nostalgique de Vichy, je précise. Oui, je pense que, dans toute identité nationale, il y a une dimension ethnique, qu’on le veuille ou non. Et c’est vrai en France comme ailleurs. Les “Républicains universalistes”, pendant des années, ont voulu nous faire croire le contraire. Mais chasser le démon des origines, et il revient au galop. Tout simplement parce qu’anthropologiquement, l’être humain a besoin de s’inscrire dans une lignée, dans une communauté… Et les filiations “fictives” ne suffisent pas à tout le monde. Eh oui, la race, la religion, le “sang”, tout cela est constitutif de l’être humain, individuellement et collectivement. Tout résumer à cela, c’est dommage, et il faut être capable, dans certaines circonstances, de faire primer le mérite sur le sang. Mais faire comme si ça n’existait pas, c’est méconnaître la psychè humaine.
    Ce qui est très drôle, c’est que c’est la “gauche” qui nous le rappelle aujourd’hui, une gauche pour laquelle les seuls vrais Français doivent être exclusivement des “Français de coeur” et non des “Français de sang”. Si seulement Guy Môquet avait été juif ou arménien… Personne n’aurait osé refuser de faire lire sa lettre en classe.
     
    [On n’ose imaginer quelle aurait été la réaction de ce cénacle si l’expression était sortie de la bouche de Marine Le Pen ou de Nicolas Sarkozy.]
    Personne n’avait fait grief à Cécilia Sarkozy lorsqu’elle avait vanté ses origines non-françaises… A part la “droite réactionnaire, nostalgique de Vichy”, bien sûr.
     
    [C’est pourquoi l’universalisme républicain dont se réclame – à tort – Dupont-Moretti exclut l’idée même de « sang français », puisque la nationalité résulte d’un contrat de solidarité inconditionnelle, et non d’une essence inaltérable.]
    Je me trompe peut-être, mais l’ “universalisme républicain” est peut-être en train de payer le désenchantement provoqué par l’approfondissement du capitalisme. Après tout, même s’ils poursuivaient des objectifs différents, les deux prétendaient émanciper l’individu de ses origines, de ses appartenances culturelles et religieuses, dans l’intérêt de l’individu pour le premier, dans l’intérêt du Marché pour le second. Le problème est que l’être humain n’a pas l’air si heureux que cela de se retrouver “îlot isolé” au milieu du néant. Par conséquent, le réenracinement, si j’ose dire, est à l’ordre du jour. Avec le risque de dérive raciste et xénophobe.
     
    Un monde fixiste, c’est un monde moins dynamique, avec moins d’opportunités… mais c’est un monde plus stable. Le problème de l’ “universalisme républicain” comme du capitalisme est qu’ils sont fondamentalement révolutionnaires: ils créent de l’instabilité, ils rebattent les cartes en permanence, ils créent de l’imprévisibilité. Alors, c’est vrai, je vous l’accorde, il y a des aspects positifs: de la créativité, de l’inventivité, de l’innovation, du progrès technique, des opportunités pour les plus débrouillards – certains diront les plus méritants. Mais il y a des aspects éminemment négatifs: l’angoisse, l’insécurité, le changement permanent, le fait que plus personne – à part les très riches – ne peut vraiment compter sur l’héritage, les solidarités, les réseaux établis par les générations précédentes. Alors, on pourra me traiter de tous les noms, mais je le dis: je suis las de l’instabilité et du changement permanent, j’aspire – et je pense ne pas être le seul – à une forme de conservatisme qui réinstaure une forme de permanence. Et si pour cela, il faut liquider l’ “universalisme républicain”, il faut en finir avec l’idée selon laquelle l’origine n’a aucune importance, eh bien désolé pour ceux qui en ont profité, mais tant pis.

    • Descartes dit :

      @ Carloman

      [« Intéressant, n’est-ce pas ? Ainsi, pour notre ancien garde des Sceaux, non seulement il existe un « sang français » » Eh bien je pense qu’il n’y a pas que notre ancien garde des Sceaux qui pense cela. Je me souviens d’un entretien donné par Cécilia Attias, qui s’appelait encore Sarkozy, dans lequel elle se vantait ouvertement de n’avoir “pas une goutte de sang français”, et c’était à la veille de l’élection de son cher et tendre à l’Elysée…]

      Sauf que Cecilia Attias n’a pas été ministre de la justice…

      [Et là, on n’est pas vraiment chez les progressistes. Il y a une idée assez répandue chez les élites, de gauche comme de droite, que l’absence – ou la quantité la plus minime possible – de “sang français” est une marque de distinction, quelque chose qui permet de se distinguer du troupeau des “Français de souche”, alcooliques et bornés. Croyez-vous qu’on nous emmerderait avec les Manouchian, Baker ou Badinter s’ils/elles étaient né(e)s en France, issu(e)s de vieilles lignées françaises et catholiques? Evidemment que non. Il faut être fils d’étranger pour avoir droit à la reconnaissance de la “République humaniste et universaliste”.]

      J’ose espérer que vous utilises la formule « République humaniste et universaliste » avec ironie. Parce que cette République dont je me revendique par ailleurs refuse au contraire l’idée qu’on pourrait séparer les citoyens entre ceux qui ont tel ou tel « sang » et ceux qui en manquent. Noter que Manouchian était étranger, c’est en fait rendre hommage à cette France capable d’assimiler des étrangers au point de leur donner envie de mourir pour elle, et accessoirement de signer « Michel » plutôt que « Missak ». Ce qui me gêne, ce n’est pas qu’on signale qu’ils ont été étrangers, c’est qu’on se refuse à dire qu’ils étaient assimilés.

      [« Il est fascinant de constater qu’à l’heure où le Rassemblement National abandonne toute référence au « sang français » » Abandonne, abandonne… Disons “met en sourdine”, du moins dans le discours des chefs.]

      Il fait plus que « mettre en sourdine ». Je ne me souviens pas d’une expression officielle du RN de ces dix ou vingt dernières années où l’on ait fait une distinction entre les Français en fonction du « sang coulant dans leurs veines ». S’ils le pensent encore, ils font très attention de ne pas le dire.

      [« Non, elle appartient à l’univers mental de la droite la plus réactionnaire, aux nostalgiques de Vichy, aux partisans d’une vision racialisée de la nation. » Eh bien j’en suis, je le dis franchement. Sans être nostalgique de Vichy, je précise. Oui, je pense que, dans toute identité nationale, il y a une dimension ethnique, qu’on le veuille ou non. Et c’est vrai en France comme ailleurs.]

      Je connais votre position sur cette question, et nous avons plusieurs fois échangé sur la question. Mais pas une seule fois dans nos échanges n’est venue dans votre vocabulaire la question du « sang français ». De ce que j’ai compris, votre position est bien plus nuancée. Si vous voyez une « dimension ethnique » dans la nation, vous n’allez pas jusqu’à penser que la nationalité devrait être jugée à cette aune.

      [Les “Républicains universalistes”, pendant des années, ont voulu nous faire croire le contraire. Mais chasser le démon des origines, et il revient au galop. Tout simplement parce qu’anthropologiquement, l’être humain a besoin de s’inscrire dans une lignée, dans une communauté… Et les filiations “fictives” ne suffisent pas à tout le monde.]

      Mais nos filiations sont nécessairement « fictives ». Les islandais peuvent peut-être se réclamer d’une lignée commune. Mais la France est un pays trop grand et trop divers pour imaginer que TOUS ses citoyens – ou même ceux qui peuvent se réclamer de cinq ou six générations de parents installés sur le territoire – aient des ancêtres communs qui les inscrirait REELLEMENT dans une lignée. Sans compter ceux qui, comme les savoyards ou les niçois, ont été incorporés collectivement à la nation française alors qu’ils n’y appartenaient pas auparavant.

      Le fait est qu’il n’existe pas de « sang français ». Les Français, même ceux qu’on dit « de souche », ne partagent pas un même sang. La filiation que partage le Français d’une vallée basque et celui d’une commune alsacienne, c’est forcément une filiation symbolique.

      [Eh oui, la race, la religion, le “sang”, tout cela est constitutif de l’être humain, individuellement et collectivement. Tout résumer à cela, c’est dommage, et il faut être capable, dans certaines circonstances, de faire primer le mérite sur le sang. Mais faire comme si ça n’existait pas, c’est méconnaître la psychè humaine.]

      Tout à fait. C’est pourquoi vous ne trouverez pas chez moi le moindre mépris pour ces éléments. Mais ce ne sont pas eux qui peuvent construire une nation. Dans un pays comme la France, la « race » ou le « sang » ne sont partagés que par de toutes petites communautés. Pour fondre ces communautés en une nation, il vous faut lui superposer une filiation symbolique. C’est ce que dit Gary : « c’est la France qui coule dans mes veines ».

      [Ce qui est très drôle, c’est que c’est la “gauche” qui nous le rappelle aujourd’hui, une gauche pour laquelle les seuls vrais Français doivent être exclusivement des “Français de coeur” et non des “Français de sang”. Si seulement Guy Môquet avait été juif ou arménien… Personne n’aurait osé refuser de faire lire sa lettre en classe.]

      Non, justement. On leur refuse le statut de « français de cœur », puisqu’on refuse de les reconnaître comme assimilés. On les renvoie au contraire a leur étrangéité. Ils ne sont pas des « français de cœur », mais de « non-français de cœur ».

      [Je me trompe peut-être, mais l’ “universalisme républicain” est peut-être en train de payer le désenchantement provoqué par l’approfondissement du capitalisme. Après tout, même s’ils poursuivaient des objectifs différents, les deux prétendaient émanciper l’individu de ses origines, de ses appartenances culturelles et religieuses, dans l’intérêt de l’individu pour le premier, dans l’intérêt du Marché pour le second.]

      Pas tout à fait. L’Universalisme républicain refusait le déterminisme héréditaire, mais prétendait fondre l’individu dans une collectivité, la nation. L’universalisme républicain n’affranchit pas l’individu de ses devoirs envers la collectivité, au contraire. Il est astreint au devoir de solidarité inconditionnelle avec ses concitoyens. Le capitalisme, à l’inverse, cherche à affranchir l’individu de toute contrainte.

      [Un monde fixiste, c’est un monde moins dynamique, avec moins d’opportunités… mais c’est un monde plus stable. Le problème de l’ “universalisme républicain” comme du capitalisme est qu’ils sont fondamentalement révolutionnaires: ils créent de l’instabilité, ils rebattent les cartes en permanence, ils créent de l’imprévisibilité.]

      Comme tout changement profond. Mais l’universalisme républicain apporte un remède à cette imprévisibilité, et c’est la garantie qu’apporte la solidarité inconditionnelle que chaque citoyen doit au collectif. Le capitalisme, lui, n’apporte aucune réponse.

      [Alors, on pourra me traiter de tous les noms, mais je le dis: je suis las de l’instabilité et du changement permanent, j’aspire – et je pense ne pas être le seul – à une forme de conservatisme qui réinstaure une forme de permanence. Et si pour cela, il faut liquider l’ “universalisme républicain”, il faut en finir avec l’idée selon laquelle l’origine n’a aucune importance, eh bien désolé pour ceux qui en ont profité, mais tant pis.]

      Je pense que vous vous trompez d’ennemi. L’universalisme républicain n’est pas l’ennemi de la permanence et d’une certaine stabilité. Les républicains ont au contraire toujours cherché à remplacer les institutions qu’ils mettaient à terre par des institutions nouvelles tout aussi stables et “permanentes” que les anciennes. La République n’a pas supprimé le mariage, il l’a “républicanisé” en reprenant beaucoup d’éléments qui viennent de la tradition catholique. Le capitalisme, lui, est dans une logique différente: il faut effacer tout ce qui s’oppose au marché.

      • Carloman dit :

        @ Descartes,
         
        [J’ose espérer que vous utilises la formule « République humaniste et universaliste » avec ironie.]
        Oui… en partie du moins. J’ai beaucoup réfléchi ces dernières années à l’idéologie républicaine et aux valeurs qu’elle porte – du moins qu’elle portait : liberté, égalité, méritocratie, laïcité. Je veux bien entendre que ces idées généreuses ont profité à tout le monde… mais j’ai le sentiment que certains en ont quand même profité plus que d’autres. La méritocratie, par exemple, a sans doute permis à quelques fils de paysans ou d’ouvriers de s’élever socialement, mais elle a beaucoup – et peut-être davantage – profité aux minorités qui avaient un rapport étroit à la culture, notamment écrite, et je pense là en particulier aux protestants et aux juifs. A l’heure de former les nouvelles élites – ou peut-être les premières « classes intermédiaires » – dont la République avait besoin, ces groupes ont pu être avantagés, même si, pour les juifs, ils ont dû compter avec un antisémitisme qui a pu être un réel obstacle.
         
        De même, la laïcité a affaibli avant tout l’Église catholique, qui était pour ainsi dire la religion institutionnelle et dominante. Les protestants ont plutôt soutenu la laïcité. En 1914-1918, tout le monde est allé se battre et a fait sa part, mais ce n’est pas faire injure aux minorités que de signaler tout de même que c’est la vieille paysannerie française de tradition catholique qui a fourni le gros des recrues.
         
        [La filiation que partage le Français d’une vallée basque et celui d’une commune alsacienne, c’est forcément une filiation symbolique.]
        Sans doute. Mais cela est valable aussi pour un Bavarois et un Mecklembourgeois, qui ont peu de chance d’appartenir à la même lignée. Et pourtant le « sang allemand » a beaucoup agité les esprits outre-Rhin…
         
        [On leur refuse le statut de « français de cœur », puisqu’on refuse de les reconnaître comme assimilés. On les renvoie au contraire a leur étrangéité. Ils ne sont pas des « français de cœur », mais de « non-français de cœur ».]
        Mais paradoxalement, on les crédite – en exagérant un peu d’ailleurs – d’être les vrais bâtisseurs d’une France… sans Français si je vous suis.
         
        [L’Universalisme républicain refusait le déterminisme héréditaire, mais prétendait fondre l’individu dans une collectivité, la nation. L’universalisme républicain n’affranchit pas l’individu de ses devoirs envers la collectivité, au contraire. Il est astreint au devoir de solidarité inconditionnelle avec ses concitoyens. Le capitalisme, à l’inverse, cherche à affranchir l’individu de toute contrainte.]
        L’Universalisme républicain n’est pas tombé du ciel, il est le produit d’une histoire… et d’une classe sociale. Il est l’enfant des Lumières, et pas de n’importe quelles Lumières : les Lumières françaises, c’est-à-dire élaborées dans un pays, la France, qui, au XVIII° siècle vivait encore sur l’héritage du Grand Siècle de Louis XIV et se considérait – pas tout à fait à tort – comme un modèle pour les autres, et comme la forme la plus aboutie de civilisation. L’universalisme républicain est imprégné des rêves « impériaux » de Louis XIV auxquels viendront bientôt s’ajouter ceux de Napoléon. Mais il est aussi porté par une bourgeoisie plutôt anticléricale (et parfois franchement antireligieuse) qui aspire à renverser la noblesse au pouvoir : c’est le fameux mot de Voltaire au chevalier de Rohan, ce me semble : « Monsieur, vous finissez votre nom, je commence le mien » (je cite de mémoire).
         
        Quant au capitalisme, il n’a pas toujours été ce qu’il est aujourd’hui, vous le savez bien : il a eu jadis une dimension « nationale », la bourgeoisie a longtemps eu besoin d’un État fort. De la même façon, la mondialisation n’a pas toujours été libérale : au XVI° comme au XVIII° siècle, le grand commerce maritime est aux mains de compagnies étroitement contrôlées par les états. Le Portugal est le premier à avoir créer un tel système, tout à fait remarquable, qui a permis à un pays finalement assez modeste en taille et en population de tirer des profits énormes du commerce avec l’Asie. Mais les Anglais au XVIII° siècle font pareil.
         
        Le problème de l’Universalisme républicain, c’est que sa capacité à produire des dirigeants capables mérite quand même d’être interrogée. Loin de moi l’idée de faire de l’Ancien Régime un âge d’or, mais l’on est bien obligé de constater quelques petites différences entre la mentalité de la noblesse et celle de la bourgeoisie. Chez la noblesse, le sens du devoir et l’obligation de servir sont plus forts (et pour cause, c’était la base de la féodalité : un noble reçoit un fief en échange d’un serment et d’une obligation de service). Pour la bourgeoisie, l’idéal est moins de servir que de se servir, si j’ose dire, et même si les vieilles valeurs aristocratiques ont pu, un temps, infusé dans la bourgeoisie. Il n’en demeure pas moins que l’Universalisme républicain est bourgeois, et a largement servi les intérêts de cette classe sociale. Si on peut reconnaître l’excellence dans la formation des élites techniques et administratives, pour ce qui est des dirigeants, le bilan est plus mitigé. La République, globalement, c’est le règne de la médiocrité. Prenez les III°, IV° et V° Républiques : les personnalités vraiment exceptionnelles, les vrais hommes d’État, se comptent sur les doigts d’une main. Gambetta, Clemenceau, de Gaulle. Et ils ne sont là que lorsqu’il y a crise : 1870, 1917, 1940, 1958. Le reste du temps, la République ne produit guère que des politicards sans grande envergure. Il faut dire que, parmi les bourgeoisies européennes, la nôtre ne brille pas par son dynamisme ni son intelligence.
         
        Je note qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni, des pays beaucoup moins méritocratiques, les élites, du moins une partie d’entre elles, ont davantage conservé une forme de nationalisme, voire d’audace (pour les Britanniques) que chez nous.
         
        Alors la défense de la République et de l’Universalisme républicain…

        • Descartes dit :

          @ Carloman

          [« J’ose espérer que vous utilises la formule « République humaniste et universaliste » avec ironie. » Oui… en partie du moins. J’ai beaucoup réfléchi ces dernières années à l’idéologie républicaine et aux valeurs qu’elle porte – du moins qu’elle portait : liberté, égalité, méritocratie, laïcité.]

          Vous oubliez je pense la fraternité. Il est vrai qu’elle a été beaucoup dévoyée par des interprétations intéressées, mais je pense qu’il faut la garder en tête en revenant à son contenu original, c’est-à-dire, la « fraternité des citoyens ». Elle renferme pour moi l’élément essentiel de la nation, à savoir, la solidarité inconditionnelle entre les citoyens.

          [Je veux bien entendre que ces idées généreuses ont profité à tout le monde… mais j’ai le sentiment que certains en ont quand même profité plus que d’autres. La méritocratie, par exemple, a sans doute permis à quelques fils de paysans ou d’ouvriers de s’élever socialement, mais elle a beaucoup – et peut-être davantage – profité aux minorités qui avaient un rapport étroit à la culture, notamment écrite, et je pense là en particulier aux protestants et aux juifs. A l’heure de former les nouvelles élites – ou peut-être les premières « classes intermédiaires » – dont la République avait besoin, ces groupes ont pu être avantagés, même si, pour les juifs, ils ont dû compter avec un antisémitisme qui a pu être un réel obstacle.]

          Il ne faut pas demander à l’idée républicaine plus qu’elle ne peut donner. La Révolution française était une révolution bourgeoise, dont le but était d’installer un ordre institutionnel compatible avec le capitalisme naissant. Quand les révolutionnaires parlent « d’égalité », il s’agit clairement de l’égalité politique et juridique, et certainement pas de l’égalité économique. La méritocratie était un moyen de former les nouvelles élites « bourgeoises », et les critères du « mérite » ont été définis en conformité avec ce besoin : qualités intellectuelles, compétences (notamment techniques et scientifiques), capacité de travail, culture écrite. Il est clair que de tels critères ont bénéficié particulièrement aux groupes qui avaient déjà intégré des formes de culture « bourgeoise », dont les juifs et les protestants, déjà bien présents pour des raisons historiques dans les activités « bourgeoises » (commerce, crédit…). L’affranchissement des juifs par la Révolution était certainement un acte généreux, mais il n’était pas dénué d’arrière-pensées. Les révolutionnaires étaient très conscients du fait qu’il y avait là un réservoir de compétences économiques dont la Révolution avait besoin.

          [De même, la laïcité a affaibli avant tout l’Église catholique, qui était pour ainsi dire la religion institutionnelle et dominante. Les protestants ont plutôt soutenu la laïcité.]

          Là, je pense qu’il ne faut pas confondre deux phénomènes différents. Il y a un phénomène de sécularisation qui touche l’ensemble des sociétés industrialisées, et qui tient au caractère matérialiste du capitalisme. Et il y a les effets de la laïcité, qui a mon sens sont relativement limités. Prenez le cas des Etats-Unis. Un des pays où la laïcité n’est pas aussi complète qu’en France, mais reste très présente. Cela n’empêche pas les églises – et pas seulement l’église catholique – de rester très puissantes, et la religion très présente dans la vie sociale. A l’inverse, des pays comme la Grande Bretagne, ou l’Etat est lié à une église dominante, la pratique religieuse et la présence de la religion dans les pratiques sociales sont en chute libre. La laïcité a certainement liquidé le pouvoir politique de l’Eglise catholique. Mais je ne pense pas qu’elle ait joué un grand rôle dans la sécularisation des pratiques.

          [En 1914-1918, tout le monde est allé se battre et a fait sa part, mais ce n’est pas faire injure aux minorités que de signaler tout de même que c’est la vieille paysannerie française de tradition catholique qui a fourni le gros des recrues.]

          C’est vrai. Mais c’est la logique même de la conscription égalitaire : les minorités dans la population sont minoritaires dans les bataillons… si je voulais vous piquer, je vous signalerais que dans certaines minorités le taux d’engagements volontaires a été supérieur à celui de la population générale. C’est un phénomène bien connu : les derniers arrivés éprouvent souvent le besoin de démontrer leur patriotisme plus fortement que ceux de vieille souche…

          [« La filiation que partage le Français d’une vallée basque et celui d’une commune alsacienne, c’est forcément une filiation symbolique. » Sans doute. Mais cela est valable aussi pour un Bavarois et un Mecklembourgeois, qui ont peu de chance d’appartenir à la même lignée. Et pourtant le « sang allemand » a beaucoup agité les esprits outre-Rhin…]

          Tout à fait. Mais la relative homogénéité de l’espace germanique a permis à cette « fiction » d’apparaître crédible. En France, la diversité extrême des caractéristiques ethniques fait qu’elle est tout bonnement incroyable. C’est ce qui explique que les théoriciens de la nation allemande aient privilégié une conception « ethnique » de la nation, là où les théoriciens français ont plutôt adhéré à une conception « contractuelle ». On peut d’ailleurs y trouver un effet miroir des conceptions religieuses : d’un côte le salut par la grâce, de l’autre le salut par les œuvres…

          [« On leur refuse le statut de « français de cœur », puisqu’on refuse de les reconnaître comme assimilés. On les renvoie au contraire a leur étrangéité. Ils ne sont pas des « français de cœur », mais de « non-français de cœur ». » Mais paradoxalement, on les crédite – en exagérant un peu d’ailleurs – d’être les vrais bâtisseurs d’une France… sans Français si je vous suis.]

          Tout à fait : c’est une identité paradoxale que construisent ces idéologues. Pour eux, les « vrais français » sont nécessairement des « non français ».

          [L’Universalisme républicain n’est pas tombé du ciel, il est le produit d’une histoire… et d’une classe sociale. Il est l’enfant des Lumières, et pas de n’importe quelles Lumières : les Lumières françaises, c’est-à-dire élaborées dans un pays, la France, qui, au XVIII° siècle vivait encore sur l’héritage du Grand Siècle de Louis XIV et se considérait – pas tout à fait à tort – comme un modèle pour les autres, et comme la forme la plus aboutie de civilisation. L’universalisme républicain est imprégné des rêves « impériaux » de Louis XIV auxquels viendront bientôt s’ajouter ceux de Napoléon. Mais il est aussi porté par une bourgeoisie plutôt anticléricale (et parfois franchement antireligieuse) qui aspire à renverser la noblesse au pouvoir : c’est le fameux mot de Voltaire au chevalier de Rohan, ce me semble : « Monsieur, vous finissez votre nom, je commence le mien » (je cite de mémoire).]

          Tout à fait d’accord, avec une nuance : au départ, la bourgeoisie n’aspirait pas à renverser la noblesse au pouvoir, mais à l’intégrer – un peu comme ce fut le cas en Angleterre. C’est la résistance de la noblesse – et notamment de la noblesse provinciale – à toute réforme « bourgeoise » du régime qui poussa la bourgeoisie à faire « table rase » de l’Ancien régime. La formule de Voltaire – et la bastonnade qui s’en suivit – illustre parfaitement cette situation. Si Rohan, au lieu de faire battre Voltaire par ses laquais, avait réfléchi à la vérité de ses paroles, et avait réalisé comme le comte Salina que « tout doit changer pour que rien ne change », les choses auraient été très différentes.

          [Quant au capitalisme, il n’a pas toujours été ce qu’il est aujourd’hui, vous le savez bien : il a eu jadis une dimension « nationale », la bourgeoisie a longtemps eu besoin d’un État fort. De la même façon, la mondialisation n’a pas toujours été libérale : au XVI° comme au XVIII° siècle, le grand commerce maritime est aux mains de compagnies étroitement contrôlées par les états. Le Portugal est le premier à avoir créer un tel système, tout à fait remarquable, qui a permis à un pays finalement assez modeste en taille et en population de tirer des profits énormes du commerce avec l’Asie. Mais les Anglais au XVIII° siècle font pareil.]

          Tout à fait. L’universalisme républicain est d’ailleurs étroitement lié à une étape particulière du capitalisme, celle d’une bourgeoisie qui, ayant pris le pouvoir politique par une révolution qui a balayé les anciennes élites, a besoin d’un cadre idéologique suffisamment consensuel pour sortir de la guerre civile permanente. C’est pourquoi l’universalisme républicain est un syncrétisme, mélange de valeurs chrétiennes « laïcisées », de réinterprétation de l’héritage classique, de vertus bourgoises…

          [Le problème de l’Universalisme républicain, c’est que sa capacité à produire des dirigeants capables mérite quand même d’être interrogée. Loin de moi l’idée de faire de l’Ancien Régime un âge d’or, mais l’on est bien obligé de constater quelques petites différences entre la mentalité de la noblesse et celle de la bourgeoisie. Chez la noblesse, le sens du devoir et l’obligation de servir sont plus forts (et pour cause, c’était la base de la féodalité : un noble reçoit un fief en échange d’un serment et d’une obligation de service).]

          Oui. Mais l’obligation de « servir » qui ou quoi ? N’idéalisons pas la noblesse : leur vision du « service » c’était d’abord celui dû à leur famille, dans une vision clanique. Même la relation entre le seigneur et le vassal était souvent trahie lorsque l’intérêt le commandait. L’idée d’une obligation de « service » envers une collectivité plus large (celle d’une proto-nation, par exemple) n’apparaît que beaucoup plus tard, dans le proto-capitalisme du XVII siècle.

          Vous noterez d’ailleurs que les républicains ont cherché à former une « noblesse d’Etat » (pour reprendre le mot de Bourdieu) avec une fonction publique où « le sens du devoir » et « l’obligation de servir » restent des concepts clés. Pour ne donner que quelques exemples, la devise de l’ENA était « servir l’Etat sans s’asservir au pouvoir », et lorsque « l’association des anciens élèves de l’ENA » a du changer de nom suite au remplacement de l’ENA par l’INSP, elle a choisi pour nom « Servir »…

          [Pour la bourgeoisie, l’idéal est moins de servir que de se servir,]

          Pour la noblesse aussi. N’idéalisons pas : même si la noblesse avait construit toute une idéologie autour de l’honneur et le service, dans les faits, c’est l’intérêt du « clan » qui primait. La bourgeoisie elle aussi a construit une idéologie qui la justifie, dont la théorie du ruissellement est une bonne illustration…

          [Si on peut reconnaître l’excellence dans la formation des élites techniques et administratives, pour ce qui est des dirigeants, le bilan est plus mitigé. La République, globalement, c’est le règne de la médiocrité. Prenez les III°, IV° et V° Républiques : les personnalités vraiment exceptionnelles, les vrais hommes d’État, se comptent sur les doigts d’une main. Gambetta, Clemenceau, de Gaulle. Et ils ne sont là que lorsqu’il y a crise : 1870, 1917, 1940, 1958. Le reste du temps, la République ne produit guère que des politicards sans grande envergure.]

          Je vous trouve à la fois bien sévère avec les régimes républicains, et très idéaliste lorsqu’il s’agit de l’Ancien régime. La monarchie a produit, elle aussi, un grand nombre de médiocres, de corrompus, d’incapables, dont l’histoire a oublié les noms. Et si nous connaissons les « grands ministres » de la monarchie, c’est paradoxalement parce que la IIIème République en a magnifié l’image. Prenez par exemple Colbert ou Vauban, personnalités tout à fait remarquables dans leur action… mais l’œuvre d’un Colbert ou d’un Vauban – que tout le monde connaît – est tout à fait comparable à celle d’un Guillaumat ou d’un Besse, que tout le monde a oublié.

          La République n’a pas produit moins d’hommes d’Etat ou de grands administrateurs que la monarchie. Simplement, ils passent souvent inaperçus – sauf, justement, en période de crise – de la même manière que les Colbert passaient inaperçus à leur époque. La gloire de Colbert, c’est l’œuvre de la IIIème République…

          [Il faut dire que, parmi les bourgeoisies européennes, la nôtre ne brille pas par son dynamisme ni son intelligence.]

          Tout à fait. Parce que la révolution industrielle a été très tardive chez nous, la bourgeoisie a finalement gardé une vision très « nobiliaire » et donc rentière…

          [Je note qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni, des pays beaucoup moins méritocratiques, les élites, du moins une partie d’entre elles, ont davantage conservé une forme de nationalisme, voire d’audace (pour les Britanniques) que chez nous.]

          Le Royaume Uni est un cas très particulier. Il s’agit d’une nation insulaire, dont les fortunes dépendaient très largement de la mer. Cela crée une mentalité très particulière. Quant à l’Allemagne, il est difficile de parler de « nationalisme » chez les élites, qui souvent sont plus attachés à leur Land d’origine qu’à la « nation allemande ». Je me souviens avoir travaillé avec une entreprise électronique bavaroise : chaque fois que je leur rendais visite officiellement, ils mettaient à l’entrée les couleurs françaises… et la flamme bavaroise. Jamais les couleurs allemandes. Je leur avais posé une fois la question pendant le déjeuner… et ils m’avaient répondu sans aucun complexe « ici on est en Bavière, pas en Allemagne ».

          Par ailleurs, il faudrait savoir de quelles « élites » on parle. S’agit-il des élites administratives ? politiques ? culturelles ? économiques ? La France oscille en permanence entre une « grande France » sûre d’elle-même qui fait la leçon au monde entier, et une « petite France » qu’un complexe d’infériorité pousse alternativement à s’enfermer dans un chauvinisme myope ou au contraire à s’imaginer que les solutions à nos problèmes viendront d’ailleurs.

          • Carloman dit :

            @ Descartes,
             
            [Vous oubliez je pense la fraternité.]
            Ce n’est pas un oubli. Mais pour moi, la fraternité n’a rien de spécifiquement républicaine, elle serait même d’abord une valeur chrétienne. De plus, ainsi que vous l’indiquez, la fraternité a été dévoyée et déformée. C’est Régis Debray, je crois, qui écrit que la fraternité à quelque chose de plus dur, de plus « viril », que la liberté ou l’égalité. La fraternité, cela renvoie aussi à la fraternité d’armes unissant les combattants mobilisés pour la défense de la patrie…
             
            [Elle renferme pour moi l’élément essentiel de la nation, à savoir, la solidarité inconditionnelle entre les citoyens.]
            Je suis d’accord avec le lien que vous établissez, mais pour moi la fraternité va au-delà de la solidarité inconditionnelle entre citoyens. Il y a aussi l’idée des épreuves et des sacrifices affrontés ensemble.
             
            [Prenez le cas des États-Unis. Un des pays où la laïcité n’est pas aussi complète qu’en France, mais reste très présente. Cela n’empêche pas les églises – et pas seulement l’église catholique – de rester très puissantes, et la religion très présente dans la vie sociale.]
            Prenons en effet le cas des États-Unis. Dans ce pays véritable parangon du capitalisme, où est la « sécularisation qui touche l’ensemble des sociétés industrialisées, et qui tient au caractère matérialiste du capitalisme » ? Votre analyse m’intéresse : pourquoi Dieu et le business font-ils bon ménage là-bas et pas ailleurs ?
             
            [La laïcité a certainement liquidé le pouvoir politique de l’Église catholique. Mais je ne pense pas qu’elle ait joué un grand rôle dans la sécularisation des pratiques.]
            Je ne suis pas du tout convaincu. A bien des égards, la France est l’un des pays les moins « capitalistes » dans l’âme. Et pourtant la sécularisation y a été plus précoce et plus profonde. Alors ? Il me semble que vous écartez un peu vite les effets de la « croisade anticléricale » menée par les tenants de la laïcité.
             
            [si je voulais vous piquer, je vous signalerais que dans certaines minorités le taux d’engagements volontaires a été supérieur à celui de la population générale.]
            Mais pourquoi voulez-vous que je me sente piquer ? Je me demande si je ne vous ai pas offensé avec mon propos, auquel cas croyez bien que j’en suis désolé.
             
            Non seulement ce que vous écrivez n’est pas une « pique », mais c’est parfaitement vrai et j’en suis d’autant plus conscient que j’avais moi-même cité, sur votre blog, un texte qui me tient beaucoup à cœur, à savoir la lettre d’Henry Lange, jeune soldat israélite d’origine étrangère, qui, alors qu’il demande sa réaffectation à un poste plus exposé en septembre 1917, écrit ces mots : « Mes aïeux, en acceptant l’hospitalité de la France, ont contracté envers elle une dette sévère; j’ai donc un double devoir à accomplir: celui de Français d’abord; celui de nouveau Français ensuite. ». J’ai donc pleinement conscience de la réalité du phénomène que vous évoquez, je n’ai pas de problème avec cela.
             
            Seulement, aussi patriotes et motivés qu’aient pu être ces « nouveaux Français », le fait est que dans une guerre où s’opposaient des masses d’hommes absolument colossales, leur ardeur n’aurait point suffi à emporter la décision, et si la vieille paysannerie française n’avait pas fait monter ses fils au front, la France n’aurait pas gagné cette guerre. Les monuments aux morts de nos villages témoignent du fait que nos paysans, peut-être moins ardents dans leur patriotisme, ont tout de même fait leur devoir et nombre d’entre eux sont morts pour la France. Ils ont droit aussi qu’on rappelle leur sacrifice et cela n’enlève rien au mérite de leurs frères d’armes (on parlait de fraternité…) issus des minorités.
             
            [C’est un phénomène bien connu : les derniers arrivés éprouvent souvent le besoin de démontrer leur patriotisme plus fortement que ceux de vieille souche…]
            Mais c’est aussi parce que, de fait, leur patriotisme était souvent regardé comme plus douteux… Et les juifs ayant des noms à consonance allemande étaient sans doute les plus mal lotis.
             
            [Mais la relative homogénéité de l’espace germanique a permis à cette « fiction » d’apparaître crédible.]
            Quels sont les éléments qui vous permettent de conclure à une « relative homogénéité de l’espace germanique » ? Parce que politiquement, culturellement et religieusement, l’espace germanique apparaît plutôt éclaté. Rappelons qu’il existe trois pays ayant une population majoritairement germanophone : l’Allemagne, l’Autriche et la Confédération helvétique (je laisse de côté les micro-états genre le Liechtenstein). Chacun d’eux a une mentalité particulière.
            En Allemagne même, deux religions historiquement antagoniques coexistent. La fragmentation politique a été la règle durant des siècles. Et c’est vous même qui me citez l’exemple de Bavarois affirmant : « ici c’est la Bavière, pas l’Allemagne ». Où est l’homogénéité ?
             
            [Si Rohan, au lieu de faire battre Voltaire par ses laquais, avait réfléchi à la vérité de ses paroles, et avait réalisé comme le comte Salina que « tout doit changer pour que rien ne change », les choses auraient été très différentes.]
            Je n’ai pas dit que nous avions la noblesse la plus intelligente d’Europe…
             
            [L’universalisme républicain est d’ailleurs étroitement lié à une étape particulière du capitalisme, celle d’une bourgeoisie qui, ayant pris le pouvoir politique par une révolution qui a balayé les anciennes élites, a besoin d’un cadre idéologique suffisamment consensuel pour sortir de la guerre civile permanente.]
            Dans ce cas, qu’est-ce qui vous fait croire que l’universalisme républicain a quelque chance de survivre, alors même que les conditions de sa genèse et de son essor ont disparu ? Que peut-il être sinon une étoile morte dont les derniers rayons s’estompent inéluctablement ?
             
            [Mais l’obligation de « servir » qui ou quoi ? N’idéalisons pas la noblesse : leur vision du « service » c’était d’abord celui dû à leur famille, dans une vision clanique.]
            Vous avez raison… mais en partie seulement. Parce que vous faites quand même l’impasse sur une figure centrale qui a contribué à redéfinir la noblesse : le roi. A partir de la fin du Moyen Âge, il devient de plus en plus difficile, même pour des raisons claniques, de se rebeller contre la couronne – et derrière la couronne, c’est, déjà, l’État qui se profile.
             
            Je vais vous citer un exemple, et je tiens à m’excuser de donner peut-être l’impression « d’étaler ma science » comme on dit, mais ce n’est pas mon objectif. Je m’intéresse beaucoup en ce moment à la fin du Moyen Âge, particulièrement au XV° siècle, et à l’articulation entre les troubles qui secouent le pays (guerre civile, Guerre de Cent ans), la consolidation de l’idéologie monarchique et le renforcement de l’État.
            Prenons ce qui se passe pendant la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons qui se déroule de 1407 à 1435, et oppose deux branches de la famille royale, le duc de Bourgogne et celui d’Orléans, pour le contrôle du pouvoir (et des finances!) alors que le pauvre Charles VI a sombré dans la folie. Or que constate-t-on ? Une partie de la noblesse, pour des raisons « claniques » prend le parti d’un camp ou de l’autre. Mais certains, pourtant liés par le sang et les intérêts à un camp plus qu’à un autre, se tiennent en retrait, parce qu’ils se considèrent avant tout comme serviteurs de la couronne. C’est le cas par exemple du connétable Charles d’Albret, que tout pousse dans le camp armagnac, les alliances matrimoniales comme les amitiés politiques, et qui hésitera longuement et ne s’engagera qu’avec réticence aux côtés de ses amis et parents. Et le cas n’est pas isolé. Des Bourguignons renâclent à servir leur prince lorsque le roi est sous le « contrôle » des Armagnacs ; des Armagnacs désertent la cause de leurs princes quand le roi est sous l’influence du duc de Bourgogne. On vérifie déjà à cette époque la fameuse maxime, abondamment citée ici : « en temps troublé, le plus difficile n’est pas de faire son devoir, mais de savoir où il se trouve. »
             
            Même chose durant les Guerres de religion dans la 2ème moitié du XVI° siècle : une partie de la noblesse se fait protestante, une autre épouse avec passion le parti de la Ligue catholique… mais il y a un autre parti, composé surtout de catholiques « modérés », qui place l’unité du royaume et la fidélité à la couronne au-dessus des partis. C’est pourquoi je ne suis pas d’accord pour dire que le service de l’État – car c’est de cela qu’on parle – n’apparaît qu’à l’époque proto-capitaliste du XVII° siècle.
             
            [Vous noterez d’ailleurs que les républicains ont cherché à former une « noblesse d’Etat » (pour reprendre le mot de Bourdieu) avec une fonction publique où « le sens du devoir » et « l’obligation de servir » restent des concepts clés. Pour ne donner que quelques exemples, la devise de l’ENA était « servir l’Etat sans s’asservir au pouvoir », et lorsque « l’association des anciens élèves de l’ENA » a du changer de nom suite au remplacement de l’ENA par l’INSP, elle a choisi pour nom « Servir »… ]
            Je ne dis pas le contraire. Mais deux remarques : d’abord, l’idée d’une noblesse d’État commence à se développer dès l’époque monarchique ; ensuite, on parle là des corps d’exécutants, non de ceux qui décident des politiques à mener.
             
            Je le redis, j’ai beaucoup de respect pour les grands serviteurs de l’État. Je ne reviens pas sur la comparaison que j’avais faite il y a un certain temps entre la confiance que les paysans égyptiens accordaient à la classe sacerdotale des temples pharaoniques, sans savoir précisément ce qui s’y passait, et celle que j’accorde – et d’autres sans doute – aux hauts fonctionnaires pour assurer le fonctionnement de la machine administrative qui à bien des égards reste mystérieuse pour moi. Contrairement au discours à la mode, je crains moins les énarques que leur disparition… Mais dites-vous bien que le meilleur pilote de navire ne peut pas grand-chose si le capitaine lui ordonne de foncer droit sur les récifs.
             
            [Je vous trouve à la fois bien sévère avec les régimes républicains, et très idéaliste lorsqu’il s’agit de l’Ancien régime.]
            Je ne crois pas. En moins d’un siècle à peine, la France a eu Richelieu, Mazarin, Colbert, Vauban, Louvois. Ce n’est pas mal, même si c’est nettement plus médiocre au siècle suivant.
             
            [Prenez par exemple Colbert ou Vauban, personnalités tout à fait remarquables dans leur action… mais l’œuvre d’un Colbert ou d’un Vauban – que tout le monde connaît – est tout à fait comparable à celle d’un Guillaumat ou d’un Besse, que tout le monde a oublié.]
            Je suis sceptique sur la comparaison que vous faites. Guillaumat et Besse sont des exécutants, là où Colbert a véritablement conçu un programme, notamment de développement économique, qu’il a fait approuver par le roi, car rien n’indique que Louis XIV ait été sensible à ces questions à titre personnel. De même Richelieu et Mazarin ne sont pas de simples exécutants des volontés royales, ils mettent en œuvre une politique dont ils sont pour une part les concepteurs, et qui a reçu l’aval du monarque.
             
            La République a eu de meilleurs techniciens et de meilleurs fonctionnaires que la monarchie, ce qui lui a permis une mise en œuvre plus efficace des politiques. Mais quant à ceux qui conçoivent ces politiques et qui conduisent le pays… Que ce soit durant la III°, la IV° et plus récemment la V° République, on est frappé par la cécité d’un grand nombre de dirigeants de premier plan. Et c’est logique : les plus lucides sont généralement peu consensuels et ont mauvais caractère (ou plus simplement, ils ont du caractère…). Il est donc plus facile d’être un Herriot qu’un de Gaulle, un Bayrou qu’un Guaino. Dans un système démocratique – et la République est quand même inséparable de la démocratie – ils ont donc peu de chance d’accéder aux responsabilités, là où un Louis XIII pouvait passer outre et imposer un Richelieu.
             
            [Je me souviens avoir travaillé avec une entreprise électronique bavaroise : chaque fois que je leur rendais visite officiellement, ils mettaient à l’entrée les couleurs françaises… et la flamme bavaroise. Jamais les couleurs allemandes. Je leur avais posé une fois la question pendant le déjeuner… et ils m’avaient répondu sans aucun complexe « ici on est en Bavière, pas en Allemagne ».]
            Cette anecdote est fort révélatrice, et elle ne m’étonne pas plus que cela. Mais je suis obligé de constater qu’à l’heure de défendre à Bruxelles les intérêts de la République Fédérale et de ses entreprises – y compris ceux de la Bayerische Motoren Werke – les élites politiques et économiques allemandes se montrent bien plus efficaces que les nôtres…

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Vous oubliez je pense la fraternité. » Ce n’est pas un oubli. Mais pour moi, la fraternité n’a rien de spécifiquement républicaine, elle serait même d’abord une valeur chrétienne.]

              Vous le savez mieux que moi, la vision républicaine est le produit d’une longue histoire, et les valeurs qu’elle porte sont souvent des valeurs bien plus anciennes retravaillées…

              [C’est Régis Debray, je crois, qui écrit que la fraternité à quelque chose de plus dur, de plus « viril », que la liberté ou l’égalité. La fraternité, cela renvoie aussi à la fraternité d’armes unissant les combattants mobilisés pour la défense de la patrie…]

              Tout à fait. Des trois termes de la devise républicaine, c’est le seul qui ne fasse pas référence seulement à des droits, mais aussi à des devoirs. Car la fraternité est d’abord un devoir envers l’autre. La « fraternité d’armes » dont vous parlez, c’est aussi la conscience que votre vie dépend des autres et vice-versa.

              [« Elle renferme pour moi l’élément essentiel de la nation, à savoir, la solidarité inconditionnelle entre les citoyens. » Je suis d’accord avec le lien que vous établissez, mais pour moi la fraternité va au-delà de la solidarité inconditionnelle entre citoyens. Il y a aussi l’idée des épreuves et des sacrifices affrontés ensemble.]

              Je pense que l’idée y est. La « solidarité inconditionnelle » n’est pas un résultat magique. Elle est une construction historique, et les « épreuves et sacrifices affrontés ensemble » sont un élément essentiel de cette construction. « Le souvenir des grandes choses faites ensemble… »

              [Prenons en effet le cas des États-Unis. Dans ce pays véritable parangon du capitalisme, où est la « sécularisation qui touche l’ensemble des sociétés industrialisées, et qui tient au caractère matérialiste du capitalisme » ? Votre analyse m’intéresse : pourquoi Dieu et le business font-ils bon ménage là-bas et pas ailleurs ?]

              Parce que la nature et la fonction de la pratique religieuse et différente. Chez nous, les églises ont voulu garder un pouvoir prescriptif, c’est-à-dire, le pouvoir de dire à leurs fidèles ce qu’il faut ou ne faut pas faire. Dans le monde anglosaxon, c’est au contraire les fidèles qui prescrivent à l’Eglise ce qu’elle doit condamner ou approuver. Pourquoi ? Parce que la logique de libre concurrence fait que chacun est libre d’aller chez le prêtre qui lui dira ce qu’il a envie d’entendre. Si vous êtes raciste, vous fréquenterez l’église dont le prêtre expliquera que Dieu créa les noirs le cinquième jour – celui des animaux – et Adam blanc le septième jour (je n’invente rien, ça existe). Alors que si vous êtes homosexuel vous vous trouverez sans difficulté un prêtre tout à fait prêt à relativiser l’interdiction posée dans le lévitique : « Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme ; ce serait une abomination.». Du coup, les églises ont perd leur pouvoir de prescrire, parce que le client peut toujours aller ailleurs.

              Cette logique a permis de garder une religiosité de façade dans une société très largement sécularisée. Pour le capitalisme, une église qui vous dit ce que vous voulez entendre ne constitue nullement un obstacle.

              [« La laïcité a certainement liquidé le pouvoir politique de l’Église catholique. Mais je ne pense pas qu’elle ait joué un grand rôle dans la sécularisation des pratiques. » Je ne suis pas du tout convaincu. A bien des égards, la France est l’un des pays les moins « capitalistes » dans l’âme. Et pourtant la sécularisation y a été plus précoce et plus profonde.]

              Qu’est-ce qui vous fait dire que « la sécularisation y a été plus précoce et plus profonde » ? On peut à la rigueur trouver les élites françaises du XVIIIème siècle relativement sécularisées – mais c’est aussi vrai pour l’Angleterre, par exemple, mais on pouvait à l’époque encore condamner à mort une personne pour ne pas avoir ôté son chapeau au passage d’une procession. Il est vrai que la Révolution fut anticléricale – un anticléricalisme largement alimenté par les prises de position de l’église romaine pour soutenir la monarchie de droit divin et les privilèges. Mais le catholicisme populaire est resté très puissant jusqu’à la moitié du XXème siècle. En 1940, devant l’avance allemande, le gouvernement fait sortir en procession les reliques de Ste Geneviève, et en 1944, on célèbre encore la libération de Paris par un Te deum en présence du gouvernement provisoire.

              [Alors ? Il me semble que vous écartez un peu vite les effets de la « croisade anticléricale » menée par les tenants de la laïcité.]

              Pas du tout. Mais anticlérical n’est pas synonyme d’antireligieux. On peut être croyant, on peut penser que la pratique religieuse est utile socialement, sans pour autant avoir envie de voir les curés dicter les lois.

              [« si je voulais vous piquer, je vous signalerais que dans certaines minorités le taux d’engagements volontaires a été supérieur à celui de la population générale. » Mais pourquoi voulez-vous que je me sente piquer ? Je me demande si je ne vous ai pas offensé avec mon propos, auquel cas croyez bien que j’en suis désolé.]

              Vous ne m’avez nullement offensé. On se connait suffisamment pour que je vous le dise s’il en était autrement. Je voulais simplement vous faire noter qu’il y a des minorités allogènes dont l’attachement à la France est aussi fort, sinon plus, que celui des autoctones…

              [Seulement, aussi patriotes et motivés qu’aient pu être ces « nouveaux Français », le fait est que dans une guerre où s’opposaient des masses d’hommes absolument colossales, leur ardeur n’aurait point suffi à emporter la décision, et si la vieille paysannerie française n’avait pas fait monter ses fils au front, la France n’aurait pas gagné cette guerre. Les monuments aux morts de nos villages témoignent du fait que nos paysans, peut-être moins ardents dans leur patriotisme, ont tout de même fait leur devoir et nombre d’entre eux sont morts pour la France. Ils ont droit aussi qu’on rappelle leur sacrifice et cela n’enlève rien au mérite de leurs frères d’armes (on parlait de fraternité…) issus des minorités.]

              Tout à fait d’accord. Personnellement, je trouve détestable cette manie actuelle de séparer les soldats issus des minorités – avec des monuments séparés est spécifiques, par exemple. Ils étaient frères d’armes, ils méritent un hommage commun.

              [« Mais la relative homogénéité de l’espace germanique a permis à cette « fiction » d’apparaître crédible. » Quels sont les éléments qui vous permettent de conclure à une « relative homogénéité de l’espace germanique » ? Parce que politiquement, culturellement et religieusement, l’espace germanique apparaît plutôt éclaté. Rappelons qu’il existe trois pays ayant une population majoritairement germanophone : l’Allemagne, l’Autriche et la Confédération helvétique (je laisse de côté les micro-états genre le Liechtenstein). Chacun d’eux a une mentalité particulière.]

              Pas si particulière que ça. D’abord, ils partagent une langue, ce qui est plus que ce qu’on pouvait dire de la France à l’époque de Fichte. Ils partagent aussi une mentalité « cantonale », et un droit qui dérive de cette mentalité.

              [En Allemagne même, deux religions historiquement antagoniques coexistent. La fragmentation politique a été la règle durant des siècles. Et c’est vous même qui me citez l’exemple de Bavarois affirmant : « ici c’est la Bavière, pas l’Allemagne ». Où est l’homogénéité ?]

              Justement : un pays ou tout le monde dit « ici, c’est ici », c’est un pays très homogène, vous ne trouvez pas ?

              [« L’universalisme républicain est d’ailleurs étroitement lié à une étape particulière du capitalisme, celle d’une bourgeoisie qui, ayant pris le pouvoir politique par une révolution qui a balayé les anciennes élites, a besoin d’un cadre idéologique suffisamment consensuel pour sortir de la guerre civile permanente. » Dans ce cas, qu’est-ce qui vous fait croire que l’universalisme républicain a quelque chance de survivre, alors même que les conditions de sa genèse et de son essor ont disparu ?]

              Aucune idéologie ne survit longtemps telle qu’elle était à l’origine. Si Saint Augustin revenait parmi nous, il serait certainement très surpris de voir ce qu’est devenue l’Eglise catholique. Mais il y a une filiation dans les idées. L’universalisme républicain d’aujourd’hui ne peut pas être celui de 1789, ni même celui de 1905. Mais c’est un projet qui se reconnaît une filiation idéologique avec eux.

              [Vous avez raison… mais en partie seulement. Parce que vous faites quand même l’impasse sur une figure centrale qui a contribué à redéfinir la noblesse : le roi. A partir de la fin du Moyen Âge, il devient de plus en plus difficile, même pour des raisons claniques, de se rebeller contre la couronne – et derrière la couronne, c’est, déjà, l’État qui se profile.]

              Je n’ai pas votre connaissance de cette période. Paradoxalement, je connais mieux la période équivalente en Angleterre. Et le moins qu’on peut dire c’est que les nobles oscillaient entre les rois et leurs ennemis en fonction des intérêts de leur clan – étant entendu que soutenir le perdant c’était risquer la forfaiture de son fief, qui était confisqué par le vainqueur pour être distribué parmi ses soutiens. Certains seigneurs se sont ainsi beaucoup enrichi en soutenant les Lancaster ou les York selon que l’un ou l’autre étaient proches de la victoire.

              [Je vais vous citer un exemple, et je tiens à m’excuser de donner peut-être l’impression « d’étaler ma science » comme on dit, mais ce n’est pas mon objectif.]

              Ne vous excusez pas. Comme je vous l’ai dit, je n’ai pas votre connaissance et ce que vous pouvez dire de cette période non seulement m’enrichit, mais me pousse à m’y intéresser de plus près !

              [Je m’intéresse beaucoup en ce moment à la fin du Moyen Âge, particulièrement au XV° siècle, et à l’articulation entre les troubles qui secouent le pays (guerre civile, Guerre de Cent ans), la consolidation de l’idéologie monarchique et le renforcement de l’État.
              Prenons ce qui se passe pendant la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons qui se déroule de 1407 à 1435, et oppose deux branches de la famille royale, le duc de Bourgogne et celui d’Orléans, pour le contrôle du pouvoir (et des finances!) alors que le pauvre Charles VI a sombré dans la folie. Or que constate-t-on ? Une partie de la noblesse, pour des raisons « claniques » prend le parti d’un camp ou de l’autre. Mais certains, pourtant liés par le sang et les intérêts à un camp plus qu’à un autre, se tiennent en retrait, parce qu’ils se considèrent avant tout comme serviteurs de la couronne.]

              Ou parce que, ne sachant qui l’emportera, estiment plus prudent d’attendre et voir ? Vous donnez l’exemple de Charles d’Albret, mais avez-vous des éléments pour penser que son choix de se tenir éloigné du conflit avant de s’engager tenait à la fidélité à la couronne, et non à la gestion prudente de ses intérêts ?

              [Des Bourguignons renâclent à servir leur prince lorsque le roi est sous le « contrôle » des Armagnacs ; des Armagnacs désertent la cause de leurs princes quand le roi est sous l’influence du duc de Bourgogne. On vérifie déjà à cette époque la fameuse maxime, abondamment citée ici : « en temps troublé, le plus difficile n’est pas de faire son devoir, mais de savoir où il se trouve. »]

              Là encore, on peut se demander s’il s’agit d’une fidélité au proto-état royal, ou bien d’une politique d’évitement, destinée à ne jamais se trouver dans le camp opposé au pouvoir royal – c’est-à-dire, du pouvoir de faire et défaire les fiefs ?

              [Même chose durant les Guerres de religion dans la 2ème moitié du XVI° siècle : une partie de la noblesse se fait protestante, une autre épouse avec passion le parti de la Ligue catholique… mais il y a un autre parti, composé surtout de catholiques « modérés », qui place l’unité du royaume et la fidélité à la couronne au-dessus des partis.]

              Vous auriez un exemple ?

              [Je ne dis pas le contraire. Mais deux remarques : d’abord, l’idée d’une noblesse d’État commence à se développer dès l’époque monarchique ; ensuite, on parle là des corps d’exécutants, non de ceux qui décident des politiques à mener.]

              Mais mettriez-vous un Colbert, un Mazarin ou un Richelieu du côté des « décideurs », ou bien des « exécutants » ? On ne peut dire qu’ils aient « décidé des politiques à mener », puisque le roi était la source de toute décision. Peut-on les réduire au simple rôle « d’exécutants » ? Ce serait un peu réducteur. Je pense que vous oubliez une fonction intermédiaire, qui se trouve entre celui qui « décide » – c’est-à-dire qui détient le pouvoir politique – et celui qui « exécute ». C’est celui qui « conseille ».

              Messmer ou Pompidou ont beau avoir « décidé » le programme électronucléaire, ils ne l’ont pas conçu. Ils ont été convaincus par les Boiteux, les Guillaumat et autres que c’était la chose à faire. Il ne faut pas négliger le rôle de ceux qui ont su convaincre les véritables décideurs… Le rôle de la « noblesse d’Etat » va bien plus loin que la simple exécution des ordres ou même de la mise en œuvre des décisions. Elle doit aussi concevoir des politiques, les proposer au décideur et le convaincre. Parce que souvent le décideur n’a pas d’idées. Et lorsqu’il en a, il est souvent capable de fixer des objectifs, mais pas vraiment les voies pour les atteindre. C’est aussi à la « noblesse d’Etat » de proposer les moyens par lesquels l’objectif peut être atteint.

              [Mais dites-vous bien que le meilleur pilote de navire ne peut pas grand-chose si le capitaine lui ordonne de foncer droit sur les récifs.]

              Si : il peut essayer de le convaincre de choisir une meilleure trajectoire !

              [« Je vous trouve à la fois bien sévère avec les régimes républicains, et très idéaliste lorsqu’il s’agit de l’Ancien régime. » Je ne crois pas. En moins d’un siècle à peine, la France a eu Richelieu, Mazarin, Colbert, Vauban, Louvois. Ce n’est pas mal, même si c’est nettement plus médiocre au siècle suivant.]

              Prenez le siècle qui va de 1870 à 1970, et vous n’aurez pas de difficulté à trouver leurs équivalents : Clémenceau, De Gaulle, Guillaumat, Dautry… Seulement, nous sommes affectés d’une myopie inversée. Les figures de Richelieu, de Mazarin, de Colbert, de Vauban ou Louvois ont été magnifiées par l’historiographie de la IIIème République, et c’est pourquoi nous les connaissons. Il n’y a pas encore – parce que le besoin politique ne se fait pas sentir – un récit qui récupère les figures que je viens de nommer. Mais lisez la biographie de Dautry, son oeuvre vaut bien celle d’un Colbert ou d’un Louvois.

              [« Prenez par exemple Colbert ou Vauban, personnalités tout à fait remarquables dans leur action… mais l’œuvre d’un Colbert ou d’un Vauban – que tout le monde connaît – est tout à fait comparable à celle d’un Guillaumat ou d’un Besse, que tout le monde a oublié. » Je suis sceptique sur la comparaison que vous faites. Guillaumat et Besse sont des exécutants, là où Colbert a véritablement conçu un programme, notamment de développement économique, qu’il a fait approuver par le roi, car rien n’indique que Louis XIV ait été sensible à ces questions à titre personnel.]

              Je vous renvoie au développement ci-dessus. Guillaumat et Besse n’étaient pas que des exécutants. Ils ont eux aussi, conçu un programme, qu’ils ont fait approuver par De Gaulle puis par Pompidou. De Gaulle était certes sensible à la question de l’énergie nucléaire, mais il était trop ignorant de la question – et trop conscient de son ignorance – pour avoir rendu lui-même les arbitrages qui, in fine, ont fait le succès du programme, et notamment celui d’abandonner la « filière française » (graphite/gaz) pour adopter la « filière américaine » (eau pressurisée), dont on peut imaginer ce qu’il en a coûté de lui faire admettre.

              [La République a eu de meilleurs techniciens et de meilleurs fonctionnaires que la monarchie, ce qui lui a permis une mise en œuvre plus efficace des politiques. Mais quant à ceux qui conçoivent ces politiques et qui conduisent le pays… Que ce soit durant la III°, la IV° et plus récemment la V° République, on est frappé par la cécité d’un grand nombre de dirigeants de premier plan. Et c’est logique : les plus lucides sont généralement peu consensuels et ont mauvais caractère (ou plus simplement, ils ont du caractère…).]

              Mais cela explique pourquoi nous n’avons pas un Louis XIV, mais pas pourquoi nous n’avons pas un Colbert. L’œuvre de la IIIème et de la IVème est considérable MALGRE la médiocrité des politiques, précisément parce qu’il y avait en dessous une « noblesse d’Etat » qui, loin d’être des purs exécutants, avaient des idées et se battaient pour les faire adopter par le pouvoir politique. Les années 1960 virent l’alignement idéal des planètes : un politique fort pour donner l’impulsion, associé à une « noblesse d’Etat » pleine d’idées, parce qu’habituée à diriger le pays dans les eaux troubles de la IVème République. Ces vingt dernières années, nous avons le contraire : des politiciens médiocres, servis par une « noblesse d’Etat » dont on a saccagé toute créativité, et dont on a fait de simples exécutants plus ou moins rusés. Et je vous parle de ce que je vois tous les jours…

              [Il est donc plus facile d’être un Herriot qu’un de Gaulle, un Bayrou qu’un Guaino. Dans un système démocratique – et la République est quand même inséparable de la démocratie – ils ont donc peu de chance d’accéder aux responsabilités, là où un Louis XIII pouvait passer outre et imposer un Richelieu.]

              Le système héréditaire permet à des personnalités fortes d’accéder au pouvoir sans avoir à mettre de l’eau dans leur vin… mais à l’inverse, vous pouvez avoir un fou ou un débile. Le système démocratique, lui, assure une « voie moyenne »… avec un accident de temps en temps, en période de crise.

              [Cette anecdote est fort révélatrice, et elle ne m’étonne pas plus que cela. Mais je suis obligé de constater qu’à l’heure de défendre à Bruxelles les intérêts de la République Fédérale et de ses entreprises – y compris ceux de la Bayerische Motoren Werke – les élites politiques et économiques allemandes se montrent bien plus efficaces que les nôtres…]

              Normal. Le capitalisme allemand est un capitalisme industriel, et l’industrie a besoin d’une base nationale. Le capitalisme français est un capitalisme financier, et n’a pas ce besoin. Le facteur de l’unité allemande n’est pas politique, il est économique.

            • Bob dit :

              @ Carloman
               
              [La confiance que les paysans égyptiens accordaient à la classe sacerdotale des temples pharaoniques, sans savoir précisément ce qui s’y passait, et celle que j’accorde – et d’autres sans doute – aux hauts fonctionnaires pour assurer le fonctionnement de la machine administrative qui à bien des égards reste mystérieuse pour moi]
               
               
              Quel parallèle inédit ! Il n’y a que vous pour en trouver un de cet acabit. Vous avez egayé ma soirée par cette “créativité” 🙂
              (La seule critique que je me permets de vous faire est que, à mon goût, vous vous excusez trop souvent – je pousserais le bouchon à dire qu’à force ça devient presque agaçant si j’osais – de vos interventions, alors qu’elles sont toutes ô combien enrichissantes pour le lecteur attentif.)

            • Carloman dit :

              @ Bob,
               
              [Vous avez egayé ma soirée par cette “créativité”]
              Ravi de vous avoir rendu ce petit service…
               
              [La seule critique que je me permets de vous faire est que, à mon goût, vous vous excusez trop souvent – je pousserais le bouchon à dire qu’à force ça devient presque agaçant si j’osais]
              Je comprends. Bon, je m’apprêtais à m’excuser pour la gêne occasionnée mais je pense que je vais m’abstenir 😉
               
              Plus sérieusement, il faut d’abord blâmer mes parents qui m’ont élevé avec cette idée qu’on ne s’impose pas, où que ce soit et à qui que ce soit, quand on n’est pas invité. D’ailleurs, je l’avoue, j’ai horreur des sans-gêne, des gens qui ne respectent pas les convenances. Faire preuve de réserve est une qualité à mes yeux.
               
              Ensuite, pour le dire simplement, cela fait partie de la liturgie de mes échanges avec Descartes. Je ne développerai pas trop parce que je pense que cela fâchera notre hôte, mais pour moi nos échanges sont asymétriques. Quand vous vous adressez à quelqu’un qui parle d’histoire presque aussi bien qu’un historien, qui maîtrise la philosophie aussi bien qu’un professeur de philosophie, qui disserte d’économie avec autant de facilité qu’un professeur d’économie, ou qui tient des conversations sur des formules mathématiques et des principes de physique dont je ne suis pas convaincu que tous mes collègues du secondaire les maîtrisent – et je ne parle pas du droit et de la littérature – on s’excuse avant de déranger la personne. C’est ainsi que je vois les choses.
               
              Il faut respecter les hiérarchies. On ne parle pas ici de hiérarchie liée à la naissance ou à l’argent, mais de celle liée à la connaissance, la plus importante à mes yeux.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Ensuite, pour le dire simplement, cela fait partie de la liturgie de mes échanges avec Descartes. Je ne développerai pas trop parce que je pense que cela fâchera notre hôte, mais pour moi nos échanges sont asymétriques. Quand vous vous adressez à quelqu’un qui parle d’histoire presque aussi bien qu’un historien, qui maîtrise la philosophie aussi bien qu’un professeur de philosophie, qui disserte d’économie avec autant de facilité qu’un professeur d’économie, ou qui tient des conversations sur des formules mathématiques et des principes de physique dont je ne suis pas convaincu que tous mes collègues du secondaire les maîtrisent – et je ne parle pas du droit et de la littérature – on s’excuse avant de déranger la personne. C’est ainsi que je vois les choses.]

              Le plus drôle, c’est que vous m’intimidez à peu près autant que je vous intimide. Je trouve votre connaissance de l’histoire classique, sur le moyen-âge et l’époque moderne absolument extraordinaire, et j’ai un peu la même timidité que vous à vous contredire sur ces sujets sur lesquels de toute évidence vous en savez beaucoup plus long que moi. Je dois dire d’ailleurs que nos échanges m’ont poussé pas mal à lire ou relire l’histoire médiévale, à approfondir la connaissance de personnalités comme Philippe Auguste, dont l’importance m’avait très largement échappé…

              Heureusement que vous avez utilisé le « presque » dans votre texte, sans quoi ma modestie naturelle ne s’en serait pas remis. Votre appréciation me touche, mais elle est trop élogieuse. J’ai une culture de grand lecteur et de grand curieux, mais je connais mes limites : il me manque quelque chose qu’ont les professeurs de philosophie, d’économie ou de sciences, et c’est le caractère systématique. Contrairement à eux, je lis ce qui m’intéresse, et du coup j’ai d’énormes « trous » lorsqu’il s’agit d’idées, d’auteurs, de domaines qui ne m’intéressent pas trop.

              Je ne regrette qu’une chose, qu’on soit trop loin pour pouvoir se rencontrer et discuter de vive voix… mais peut-être serions-nous déçus ?

            • Bob dit :

              @ Carloman
               
              [Bon, je m’apprêtais à m’excuser pour la gêne occasionnée]
               
              Là, vous m’auriez quasiment enervé 😉
               
              [Plus sérieusement, il faut d’abord blâmer mes parents qui m’ont élevé avec cette idée qu’on ne s’impose pas, où que ce soit et à qui que ce soit, quand on n’est pas invité. D’ailleurs, je l’avoue, j’ai horreur des sans-gêne, des gens qui ne respectent pas les convenances]
               
              Ne les blâmez surtout pas, ils sont à remercier. Je partage (dans le sens où j’essaie d’adopter ce comportement moi-même et aussi dans le sens où je trouve que ce principe rend les gens côtoyés de “meilleure compagnie”). 
               
              [Faire preuve de réserve est une qualité à mes yeux.]
               
              Aussi aux miens. En revanche, je ne considère pas comme un défaut le fait (d’oser) avancer ses positions, quand bien même elles seraient incomplètes ou biaisées. 
               
              Comme Descartes, votre culture historique me bluffe (et la qualité des articles – précis,  fouillés et denses – de votre propre blog est à signaler).
              Comme vous, je trouve impressionnant le côté “tout-terrain” des connaissances de Descartes. Rares, très rares même, sont les gens qui s’intéressent à la physique des plasmas, qui connaissent les coupures de Dedekind et qui vous parlent pareillement littérature, politique ou économie ! Et c’est, je crois, ce qui rend ce blog si enrichissant.
              Je n’ai les connaissances ni de l’un ni de l’autre mais je me m’interdis jamais de mettre mon grain de sel dans les échanges. Après tout, ce n’est pas un blog réservé aux érudits !   

            • никто́ dit :

              Je me permets d’intervenir dans cette discussion, pour remercier notre hôte et les commentateurs de plusieurs suggestions de lecture que j’ai vues passer ici et que j’ai trouvées très intéressantes.
               
              @Descartes : à ce sujet, serait-il possible de faire une page de conseils de lecture dans un coin du blog ?
               
              Dans les lectures récentes dont j’ai vu passer les références ici et que je conseille (le classement n’est pas volontaire) :- Paul Yonnet (je ne me souviens plus du titre)- Crémieux-Brilhac – Les français de l’an 40- Bernard Lahire – Les structures fondamentales des sociétés humaines (en cours de lecture)
              Je me permets aussi de suggérer La défaite de l’occident, d’E. Todd.

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Je trouve votre connaissance de l’histoire classique, sur le moyen-âge et l’époque moderne absolument extraordinaire, et j’ai un peu la même timidité que vous à vous contredire sur ces sujets sur lesquels de toute évidence vous en savez beaucoup plus long que moi.]
              Vous m’étonnez mais je le prends comme un compliment.
               
              Cela étant dit, vous avez une connaissance plus fine que moi de certains pans de l’histoire du XX° siècle… Et votre connaissance des idéologies politiques est très supérieure à la mienne.
               
              [Je dois dire d’ailleurs que nos échanges m’ont poussé pas mal à lire ou relire l’histoire médiévale, à approfondir la connaissance de personnalités comme Philippe Auguste, dont l’importance m’avait très largement échappé… ]
              Si j’ai réussi à vous intéresser à cette période passionnante et ô combien fondatrice pour la France que sont les trois derniers siècles du Moyen Âge, j’en suis ravi !
               
              [J’ai une culture de grand lecteur et de grand curieux, mais je connais mes limites : il me manque quelque chose qu’ont les professeurs de philosophie, d’économie ou de sciences, et c’est le caractère systématique. Contrairement à eux, je lis ce qui m’intéresse, et du coup j’ai d’énormes « trous » lorsqu’il s’agit d’idées, d’auteurs, de domaines qui ne m’intéressent pas trop.]
              J’ai beaucoup de respect pour les spécialistes très pointus, les gens qui ont une maîtrise parfaite d’un sujet… mais je pense qu’il leur manque quelque chose qu’a le généraliste : une vision globale des choses. Quelqu’un qui est capable de faire du lien entre la science, la philosophie et la littérature, par exemple, possède à mon sens un avantage incomparable pour penser le monde, et pour débattre d’une très large gamme de sujets. Et, sans vouloir vous flatter, ma conviction est que vous êtes un excellent généraliste. Honnêtement je n’ai pas souvenir de beaucoup de sujets abordés par vos lecteurs, et sur lesquels vous auriez été réellement pris en défaut. Et lorsqu’un sujet vous est moins connu, vous faites ce que tout bon généraliste sait faire : vous le raccrochez à un sujet que vous connaissez mieux pour produire un raisonnement. Je m’aperçois d’ailleurs que, dans nos échanges, j’ai une nette tendance à vous entraîner sur le terrain historique, parce que je m’y sens plus à l’aise.
               
              Pour vous donner un exemple, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’échange que vous avez eu avec un lecteur, Frank – que je salue – qui, si j’ai bien compris, est un physicien de très haut niveau (mais j’ai cru comprendre que vous aviez vous même un doctorat en physique). Bon, il y a plein de choses que je n’ai pas comprises, car les points abordés dépassaient très largement mes modestes connaissances, mais si je me souviens bien, vous avez abordé la question de l’utilisation de la physique quantique et de la physique newtonienne (je parle de mémoire, corrigez-moi si je me trompe), la validité ou non de leur modèle. Et il me semble qu’on pouvait voir assez nettement la différence entre celui qui manie à la perfection des modèles théoriques très complexes, et celui – vous en l’occurrence – qui raisonne à partir de l’application pratique des modèles dans toute une série de domaines variés.
               
              [Je ne regrette qu’une chose, qu’on soit trop loin pour pouvoir se rencontrer et discuter de vive voix… mais peut-être serions-nous déçus ?]
              Tout dépend de vos attentes. En toute franchise, je pense que nous aurions une discussion des plus enrichissantes, et croyez bien que ce serait pour moi un honneur de vous serrer la main. Alors si vous vous aventurez un jour dans le Val-de-Loire…

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Je ne regrette qu’une chose, qu’on soit trop loin pour pouvoir se rencontrer et discuter de vive voix… mais peut-être serions-nous déçus ? » Tout dépend de vos attentes. En toute franchise, je pense que nous aurions une discussion des plus enrichissantes, et croyez bien que ce serait pour moi un honneur de vous serrer la main. Alors si vous vous aventurez un jour dans le Val-de-Loire…]

              J’aurai grand plaisir à me déplacer spécialement, suffit de trouver une date…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Dans le monde anglosaxon, c’est au contraire les fidèles qui prescrivent à l’Eglise ce qu’elle doit condamner ou approuver.]
              Pourtant, nombre de dénominations protestantes aux États-Unis professent un rigorisme qui n’a rien à envier aux plus traditionalistes parmi les catholiques. Est-ce à dire que les gens là-bas ont envie d’entendre un discours « conservateur » et pas les gens d’ici ? Pourquoi ?
               
              [Cette logique a permis de garder une religiosité de façade dans une société très largement sécularisée.]
              Admettons. Pourquoi garder cette religiosité de façade ? Quelle est son utilité d’après vous ? Est-elle nécessaire au communautarisme consubstantiel à la société américaine ?
               
              [Qu’est-ce qui vous fait dire que « la sécularisation y a été plus précoce et plus profonde » ?]
              La déchristianisation se développe dès la Révolution. Bien sûr, elle ne touche pas toutes les régions, ni toutes les catégories de la population avec un impact égal. Mais des études ont été menées et tendent à montrer que dans les zones où les prêtres jureurs ont été les plus nombreux, l’Église a rapidement perdu de son influence. Ajoutons à cela que, de manière assez inédite, la France se retrouve dans la situation où la religion ultra-dominante est combattue par le pouvoir en place, qui tente d’ailleurs de créer ou d’encourager des religions alternatives (culte décadaire, théophilanthropie). Certes, l’impact de ces cultes reste faible et leur implantation, sans réelle assise populaire, demeure éphémère, mais ils contribuent quand même à affaiblir le culte catholique, particulièrement chez les élites. Et comme le poisson commence toujours par pourrir par la tête…
               
              [Mais le catholicisme populaire est resté très puissant jusqu’à la moitié du XXème siècle.]
              Cela dépend où. Plusieurs branches de ma famille sont originaires de régions qu’on qualifie de « tièdes » (pour dire que la pratique religieuse y avait décliné dès le XIX° siècle), comme l’Allier, d’autres sont issues de zones restées plus catholiques.
               
              [En 1940, devant l’avance allemande, le gouvernement fait sortir en procession les reliques de Ste Geneviève]
              Si j’étais méchante langue, je vous dirais que cela n’a sauvé ni la France de l’Occupation, ni le catholicisme de la sécularisation…
               
              [Mais anticlérical n’est pas synonyme d’antireligieux.]
              En théorie, oui. Dans les faits, on voit bien que qu’anticléricalisme, athéisme et « libre-pensée » ont marché main dans la main, avec un ennemi principal : le catholicisme. Et cela se comprend : l’Église catholique, par son organisation quadrillant le territoire, sa centralisation, son influence dans l’enseignement, représentait une force redoutable. Mais s’imaginer qu’on peut détruire l’influence de l’Église sans affaiblir de facto la culture catholique, c’est quand même se bercer d’illusions.
               
              [On peut être croyant, on peut penser que la pratique religieuse est utile socialement, sans pour autant avoir envie de voir les curés dicter les lois.]
              D’abord, la France n’a jamais été une théocratie. Ensuite, « voir les curés dicter les lois » n’est certainement pas souhaitable, je n’ai jamais défendu l’idée que le pouvoir devait être sous la coupe des prêtres. Mais voir les « néo-progressistes » ultra-libéraux dicter leurs lois, ce n’est guère mieux, et in fine, c’est ce qui s’est passé. Badinter a fait passer l’abolition de la peine de mort avec un discours moralisateur, Hollande et Taubira ont fait de même avec le mariage pour tous. Invoquer la volonté divine ou une version complètement sacralisée et dogmatique des droits de l’individu, qu’est-ce que cela change à l’arrivée ?
               
              [Je voulais simplement vous faire noter qu’il y a des minorités allogènes dont l’attachement à la France est aussi fort, sinon plus, que celui des autochtones…]
              Aussi fort, certainement. Plus, c’est discutable. Si l’autochtone est plus modéré dans l’expression de son patriotisme, c’est peut-être en effet qu’il est moins patriote. Mais cela peut aussi venir du fait que la patriotisme pour lui est naturel et qu’il ne se sent pas obligé de le manifester de manière ostensible. N’oublions pas que les « nouveaux Français » avaient souvent un désir de reconnaissance, un désir d’être considéré comme les autres Français. On voit mal comment ça aurait pu être le cas, si le patriotisme n’avait pas été largement partagé et valorisé par l’ensemble de la société, vous ne croyez pas ?
               
              [un pays ou tout le monde dit « ici, c’est ici », c’est un pays très homogène, vous ne trouvez pas ?]
              Mais un pays où l’on dit partout « ici, c’est la France », n’est-ce pas aussi une forme d’homogénéité ?
               
              [Vous donnez l’exemple de Charles d’Albret, mais avez-vous des éléments pour penser que son choix de se tenir éloigné du conflit avant de s’engager tenait à la fidélité à la couronne, et non à la gestion prudente de ses intérêts ?]
              Je vous dirai d’abord qu’en tant que plus important officier de la couronne, Charles d’Albret liait certainement fidélité à la couronne et gestion prudente de ses intérêts. Charles d’Albret est d’une part le cousin germain de Charles VI (leurs mères sont sœurs) mais surtout il a été élevé avec le futur roi. Ensuite, en tant que grand seigneur gascon rallié à la monarchie française (alors que sa famille était historiquement liée au roi d’Angleterre également duc d’Aquitaine depuis le mariage d’Aliénor et d’Henri II), il est particulièrement choyé : 61 % de son revenu, qui est très important, provient des dons et rentes accordés par le roi de France.
               
              Lorsque Charles d’Albret bascule dans le camp armagnac, il faut noter que c’est le parti bourguignon qui domine le Conseil royal. Et d’ailleurs Charles d’Albret paie rapidement son choix : il perd et son titre de connétable et l’essentiel des dons et rentes qu’il recevait de la couronne, outre le fait que plusieurs de ses fiefs sont attaqués. Il aurait été plus rentable pour lui de tourner bourguignon, d’autant que le duc de Bourgogne a tenté de se le concilier, mais il ne le fait pas. Je reprends ici les éléments développés dans l’excellent livre de Pierre Courroux, historien qui a consacré une passionnante biographie à Charles d’Albret.
               
              [on peut se demander s’il s’agit d’une fidélité au proto-état royal, ou bien d’une politique d’évitement, destinée à ne jamais se trouver dans le camp opposé au pouvoir royal – c’est-à-dire, du pouvoir de faire et défaire les fiefs ?]
              A cette époque, le domaine royal ne couvre pas tout le royaume, loin s’en faut. Par conséquent, le « pouvoir de faire et défaire les fiefs » n’appartient pas qu’au roi, mais aussi à tous les ducs et comtes qui disposent encore d’une certaine autonomie.
               
              [Vous auriez un exemple ?]
              Les Montmorency. Contrairement à leurs cousins, Coligny et ses frères, ils restent fidèles au catholicisme, religion du roi. Mais ils sont hostiles aux Guise et aux ultra-catholiques.
               
              [Mais mettriez-vous un Colbert, un Mazarin ou un Richelieu du côté des « décideurs », ou bien des « exécutants » ?]
              Pour Richelieu et Mazarin, j’en fais des décideurs : Louis XIII a clairement donné une très large latitude au premier, et la minorité de Louis XIV a fait du second le véritable maître du gouvernement. Le Roi-soleil le dit lui-même au moment d’entamer le règne personnel : « jusqu’à présent, j’ai laissé feu M. le cardinal gérer mes affaires […] ».
              Colbert est à mi-chemin, à la fois co-décideur et exécutant, c’est celui qui se rapproche le plus sans doute des « grands commis » que vous citez.
               
              [Si : il peut essayer de le convaincre de choisir une meilleure trajectoire !]
              Et quand le capitaine ne veut rien entendre ? C’est un peu l’impression que donne l’actuel locataire de l’Élysée. Faut-il par respect de l’autorité du politique aller au naufrage ? Ou bien faut-il tenter de redresser le navire contre l’autorité légitime ? La « noblesse d’État »
              – dont vous êtes – est dans une terrible position…
               
              [L’œuvre de la IIIème et de la IVème est considérable MALGRE la médiocrité des politiques, précisément parce qu’il y avait en dessous une « noblesse d’Etat » qui, loin d’être des purs exécutants, avaient des idées et se battaient pour les faire adopter par le pouvoir politique.]
              Tout à fait d’accord. Et ce que vous semblez considérer de manière positive est pour moi une grosse source d’inquiétude : si tout ce que la République démocratique peut nous proposer, ce sont des politiciens incapables, mais légitimes du fait de l’élection, dont la médiocrité est compensée par une élite technique et administrative très compétente mais non-élue, ce n’est pas très rassurant. Parce que cela nous mène soit à une technocratie déguisée (si les politiques, conscients de leur incurie, se laissent guider par la « noblesse d’État »), soit au désastre que nous connaissons aujourd’hui (quand les politiques, voyant la « noblesse d’État » comme un obstacle, finissent par la démanteler de facto).

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Dans le monde anglosaxon, c’est au contraire les fidèles qui prescrivent à l’Eglise ce qu’elle doit condamner ou approuver. » Pourtant, nombre de dénominations protestantes aux États-Unis professent un rigorisme qui n’a rien à envier aux plus traditionalistes parmi les catholiques. Est-ce à dire que les gens là-bas ont envie d’entendre un discours « conservateur » et pas les gens d’ici ? Pourquoi ?]

              A votre première question, la réponse est évidemment « oui ». Parce que la religion, dans le monde anglosaxon, c’est un marché. Une dénomination peut « professer le rigorisme », mais les fidèles ont toujours le choix de changer de dénomination, et n’hésitent pas à le faire. Si les fidèles affluent vers les dénominations les plus rigoristes, c’est qu’ils trouvent chez elles ce qu’ils recherchent. Autrement, les gens iraient ailleurs. Et vous noterez que ce n’est pas un phénomène purement américain : les « dénominations rigoristes » de l’Islam ou du judaïsme se portent fort bien, merci pour elles.

              Pourquoi ce phénomène est moins fort chez nous ? Je ne peux qu’hasarder une explication, mais je pense que cela tient au rôle de l’Etat. Dans le monde anglosaxon, la société se construit autour des « communautés » et généralement contre l’Etat, perçu comme un monstre froid susceptible de vous enlever ce que vous avez, selon la formule célèbre. Et le ciment des « communautés », l’institution capable d’élaborer un récit et une idéologie partagée, c’est la religion. C’est pourquoi la religion y est moins une question de foi qu’une pratique sociale. Et lorsque la « communauté » sent son intégrité menacée – par exemple, par le développement d’un capitalisme hyper-individualiste qui ne porte plus d’idéologie éthique ou morale – la tendance est à renforcer les règles, don à aller vers l’intégrisme.

              En France, la société se construit autour d’un Etat perçu comme un arbitre bienveillant. C’est de lui que nous attendons les règles. Et lorsque nous nous sentons menacés, la tendance est à une sorte « d’intégrisme législatif » – c’est-à-dire, la tendance à tout vouloir réglementer – plutôt qu’un intégrisme religieux. C’est un peu ce qu’on peut observer ces derniers temps, avec une inflation législative qui prétend réguler tous les comportements, y compris ceux relevant de l’intime.

              Ce qui me renforce dans cette interprétation, c’est le fait qu’on retrouve des tentations intégristes fortes dans les « communautés » installées sur notre sol, que ce soit chez les musulmans ou chez les juifs, deux communautés qui ont avec l’Etat un rapport relativement complexe… et c’est un euphémisme.

              [« Cette logique a permis de garder une religiosité de façade dans une société très largement sécularisée. » Admettons. Pourquoi garder cette religiosité de façade ? Quelle est son utilité d’après vous ? Est-elle nécessaire au communautarisme consubstantiel à la société américaine ?]

              Tout à fait. Voir ci-dessus. Cette religiosité a un peu la même fonction que le légicentrisme français.

              [La déchristianisation se développe dès la Révolution. Bien sûr, elle ne touche pas toutes les régions, ni toutes les catégories de la population avec un impact égal. Mais des études ont été menées et tendent à montrer que dans les zones où les prêtres jureurs ont été les plus nombreux, l’Église a rapidement perdu de son influence.]

              De son pouvoir, certainement. Mais de son influence ? Je ne suis pas persuadé. Je crois qu’il faut faire attention lorsqu’on parle de « sécularisation » de faire la distinction entre le pouvoir de l’institution et le pouvoir de l’idéologie.

              [Ajoutons à cela que, de manière assez inédite, la France se retrouve dans la situation où la religion ultra-dominante est combattue par le pouvoir en place, qui tente d’ailleurs de créer ou d’encourager des religions alternatives (culte décadaire, théophilanthropie).]

              Ça n’a rien « d’inédit ». L’Angleterre des Tudor a été exactement dans la même situation : le pouvoir politique, méfiant envers le pouvoir de Rome, a combattu la « religion ultra-dominante » (le catholicisme) pour créer un culte alternatif (l’anglicanisme). La seule différence est qu’alors qu’Henri VIII et ses successeurs ont réussi, après bien des vicissitudes, à imposer un « culte national » sous leur contrôle, les tentatives de la Révolution ont été trop contradictoires avec l’idéologie que la nouvelle classe bourgeoise portait pour pouvoir réussir.

              [« Mais le catholicisme populaire est resté très puissant jusqu’à la moitié du XXème siècle. » Cela dépend où. Plusieurs branches de ma famille sont originaires de régions qu’on qualifie de « tièdes » (pour dire que la pratique religieuse y avait décliné dès le XIX° siècle), comme l’Allier, d’autres sont issues de zones restées plus catholiques.]

              Prenons les branches les plus « tièdes » : quelle est la première génération qui ne se soit pas mariée à l’église, qui n’ait pas mis une crois sur la tombe de ses parents, qui n’ait pas baptisé ses enfants ?

              [« En 1940, devant l’avance allemande, le gouvernement fait sortir en procession les reliques de Ste Geneviève » Si j’étais méchante langue, je vous dirais que cela n’a sauvé ni la France de l’Occupation, ni le catholicisme de la sécularisation…]

              Certes. Mais cela vous donne une idée de ce que pouvait être l’influence du christianisme à l’époque, y compris chez les élites. Comparez à ce qui s’est passé sous le COVID, où l’Eglise a été complètement muette. Pas de processions, pas de messes pour prier dieu de mettre fin à l’épidémie…

              [« Mais anticlérical n’est pas synonyme d’antireligieux. » En théorie, oui. Dans les faits, on voit bien que qu’anticléricalisme, athéisme et « libre-pensée » ont marché main dans la main, avec un ennemi principal : le catholicisme. Et cela se comprend : l’Église catholique, par son organisation quadrillant le territoire, sa centralisation, son influence dans l’enseignement, représentait une force redoutable. Mais s’imaginer qu’on peut détruire l’influence de l’Église sans affaiblir de facto la culture catholique, c’est quand même se bercer d’illusions.]

              Je ne suis pas d’accord. De ce point de vue, je pense que l’Eglise a une responsabilité plus grande que les anticléricaux dans l’effacement de la culture catholique. Si elle avait accepté avec grâce la perte de son pouvoir politique, si au lieu de prendre systématiquement parti contre la République et contre l’idéologie bourgeoise elle avait au contraire cherché à trouver un modus vivendi, l’histoire aurait pu être différente. Mais en prenant fait et cause pour le « monde ancien », le catholicisme s’est exposé à être balayé avec lui.

              [« On peut être croyant, on peut penser que la pratique religieuse est utile socialement, sans pour autant avoir envie de voir les curés dicter les lois. » D’abord, la France n’a jamais été une théocratie.]

              Cela dépend de ce que vous appelez une « théocratie ». Si vous prenez le sens le plus courant, à savoir, un régime où la loi religieuse est supérieure à la loi civile, votre affirmation mérite d’être nuancée. Cela étant dit, notre histoire est marquée par la résistance du pouvoir civil au pouvoir religieux. Les autorités politiques, jalouses de leur pouvoir, se sont assez tôt méfiées des interventions politiques de Rome.

              [Ensuite, « voir les curés dicter les lois » n’est certainement pas souhaitable, je n’ai jamais défendu l’idée que le pouvoir devait être sous la coupe des prêtres. Mais voir les « néo-progressistes » ultra-libéraux dicter leurs lois, ce n’est guère mieux, et in fine, c’est ce qui s’est passé.]

              Je ne suis pas d’accord. Les lois des néo-progressistes ou des néo-libéraux restent des lois humaines, et donc rationnellement contestables. La prétention de l’Eglise est de dicter des lois qui ne supportent de contestation.

              [Badinter a fait passer l’abolition de la peine de mort avec un discours moralisateur, Hollande et Taubira ont fait de même avec le mariage pour tous. Invoquer la volonté divine ou une version complètement sacralisée et dogmatique des droits de l’individu, qu’est-ce que cela change à l’arrivée ?]

              Pas grande chose, je vous l’accorde. La laïcité, pour moi, implique le rejet de TOUTE AFFIRMATION DOGMATIQUE. Que la laïcité ait été trahie ces derniers temps par les tenants d’une sorte de néo-religion dont ils se sont faits les prêtres, je vous l’accorde volontiers. Et je ne tiens pas ces gens en plus haute estime que les curés ultramontains.

              [« Je voulais simplement vous faire noter qu’il y a des minorités allogènes dont l’attachement à la France est aussi fort, sinon plus, que celui des autochtones… » Aussi fort, certainement. Plus, c’est discutable. Si l’autochtone est plus modéré dans l’expression de son patriotisme, c’est peut-être en effet qu’il est moins patriote. Mais cela peut aussi venir du fait que le patriotisme pour lui est naturel et qu’il ne se sent pas obligé de le manifester de manière ostensible.]

              Loin de moi l’idée de mesurer le patriotisme des uns et des autres. Mais je retiens de cette échange l’idée de « naturalité ». Je pense qu’il y a une différence fondamentale dans le rapport à son pays de l’autochtone et du naturalisé. C’est la différence qu’on peut avoir dans son attachement à une maison ou un tableau qui a appartenu à vos grands parents et dont vous avez hérité, et celui que vous avez choisi et acheté. Dans le premier cas, il y a un attachement « naturel », qui vient de l’habitude, du fait que l’objet fait partie de votre passé. Dans l’autre, c’est un objet que vous avez aimé au point de consacrer un gros effort pour vous le procurer.

              [« un pays ou tout le monde dit « ici, c’est ici », c’est un pays très homogène, vous ne trouvez pas ? » Mais un pays où l’on dit partout « ici, c’est la France », n’est-ce pas aussi une forme d’homogénéité ?]

              Tout à fait. Mais ce « ici c’est la France » n’est pas « naturel » pour tous les Français, alors que « ici, c’est ici », cela l’est beaucoup plus pour les Allemands.

              [Lorsque Charles d’Albret bascule dans le camp armagnac, il faut noter que c’est le parti bourguignon qui domine le Conseil royal. Et d’ailleurs Charles d’Albret paie rapidement son choix : il perd et son titre de connétable et l’essentiel des dons et rentes qu’il recevait de la couronne, outre le fait que plusieurs de ses fiefs sont attaqués. Il aurait été plus rentable pour lui de tourner bourguignon, d’autant que le duc de Bourgogne a tenté de se le concilier, mais il ne le fait pas.]

              Pas forcément. Il eut été plus rentable de tourner Bourguignon seulement s’il anticipait la victoire finale de ce camp. Autrement, il avait tout intérêt à rester avec les Armagnacs et serrer les dents en attendant que le vent tourne. Et il semble que c’était finalement le bon calcul, puisque ce sont les Armagnacs qui l’emporteront à la fin, lorsque le traité d’Arras met fin à la guerre civile. Charles d’Albret récupérera ses fonctions de connétable à cette occasion… ce qui tendrait à montrer qu’il a pris la bonne décision. La question demeure : a-t-il pris cette décision en pensant seulement à ses intérêts en anticipant le résultat ? Ou bien n’a-t-il écouté que l’honneur ? Le fait qu’il ait refusé de reconnaître la paix d’Auxerre et qu’il ait négocié à ce moment-là avec les anglais tend à faire privilégier la première option…

              [Je reprends ici les éléments développés dans l’excellent livre de Pierre Courroux, historien qui a consacré une passionnante biographie à Charles d’Albret.]

              Je vais essayer de trouver ce livre…

              [« Vous auriez un exemple ? » Les Montmorency. Contrairement à leurs cousins, Coligny et ses frères, ils restent fidèles au catholicisme, religion du roi. Mais ils sont hostiles aux Guise et aux ultra-catholiques.]

              Mais encore une fois, le font-ils par attachement à l’unité du royaume, ou plutôt par intérêt ? Ce ne serait pas le premier cas où l’on voit une communauté prendre une position modérée qui lui permet de garder un pied dans chaque camp…

              [« Mais mettriez-vous un Colbert, un Mazarin ou un Richelieu du côté des « décideurs », ou bien des « exécutants » ? » Pour Richelieu et Mazarin, j’en fais des décideurs : Louis XIII a clairement donné une très large latitude au premier, et la minorité de Louis XIV a fait du second le véritable maître du gouvernement. Le Roi-soleil le dit lui-même au moment d’entamer le règne personnel : « jusqu’à présent, j’ai laissé feu M. le cardinal gérer mes affaires […] ».]

              C’est vrai pour Mazarin, pas pour Richelieu. Lorsqu’on lit les échanges entre Richelieu et Louis XIII, on voit constamment le cardinal se mettre en position de « serviteur » ayant à rendre compte de tout ce qu’il fait – même s’il jouit d’une grande confiance de Louis XIII pour agir en son nom. Mais on voit bien que Richelieu gardait toujours présent le fait qu’il fallait cultiver cette confiance, et que la disgrâce était toujours une possibilité.

              [« Si : il peut essayer de le convaincre de choisir une meilleure trajectoire ! » Et quand le capitaine ne veut rien entendre ? C’est un peu l’impression que donne l’actuel locataire de l’Élysée. Faut-il par respect de l’autorité du politique aller au naufrage ? Ou bien faut-il tenter de redresser le navire contre l’autorité légitime ? La « noblesse d’État » – dont vous êtes – est dans une terrible position…]

              « En temps troublés, le plus difficile n’est pas de faire son devoir, mais de le connaître »… oui, c’est des choix difficiles. Il est du devoir de la « noblesse d’Etat » de désobéir à un ordre « manifestement illégal ou contraire à l’intérêt public ». Mais on voit bien qu’étendre trop ces notions conduirait à vicier le système démocratique. Si les Français choisissent un mauvais capitaine…

              [« L’œuvre de la IIIème et de la IVème est considérable MALGRE la médiocrité des politiques, précisément parce qu’il y avait en dessous une « noblesse d’Etat » qui, loin d’être des purs exécutants, avaient des idées et se battaient pour les faire adopter par le pouvoir politique. » Tout à fait d’accord. Et ce que vous semblez considérer de manière positive est pour moi une grosse source d’inquiétude : si tout ce que la République démocratique peut nous proposer, ce sont des politiciens incapables, mais légitimes du fait de l’élection, dont la médiocrité est compensée par une élite technique et administrative très compétente mais non-élue, ce n’est pas très rassurant.]

              Je ne dis pas que ce soit une bonne solution. Personnellement, je préfère une « noblesse d’Etat » au service d’hommes d’Etat ayant une hauteur de vues, un rapport de confiance avec le peuple, une compréhension du pays qui manque souvent aux hauts fonctionnaires. Mais lorsque ces hommes d’Etat manquent, il faut bien que le pays soit gouverné. Pendant la IVème République, la « noblesse d’Etat » a dû gérer le pays en dépit la médiocrité et l’instabilité du personnel politique. Dans des domaines ou la technique pèse d’un poids relativement lourd – la reconstruction, les infrastructures, la recherche, l’éducation – elle s’est relativement bien débrouillée. Mais lorsqu’il s’est agi de question plus « politiques », comme la gestion de la décolonisation, elle n’avait ni les compétences, ni la légitimité nécessaire.

              Personnellement, je pense que le rapport entre le politicien et le « grand commis » doit être celui d’une division du travail. Le « grand commis » a la compétence technique et administrative, et tire de là sa légitimité. L’homme politique sent le pouls du peuple, cultive sa confiance, est capable de lui expliquer où l’on va. C’est lui qui connaît les rapports de force, et sait comment « rendre possible ce qui est nécessaire ». Et il a la légitimité ultime, le mandat du peuple souverain. Mais aucun des deux ne peut se passer de l’autre. Le bon politicien, c’est celui qui sait s’entourer de bons techniciens et les écouter, le bon technicien est celui qui est capable d’alerter le politicien et de lui faire des propositions, puis d’accepter son arbitrage.

              [Parce que cela nous mène soit à une technocratie déguisée (si les politiques, conscients de leur incurie, se laissent guider par la « noblesse d’État »), soit au désastre que nous connaissons aujourd’hui (quand les politiques, voyant la « noblesse d’État » comme un obstacle, finissent par la démanteler de facto).]

              De toute façon, on ne gagne des courses avec des canassons…

            • Carloman dit :

              @ Bob
               
              [En revanche, je ne considère pas comme un défaut le fait (d’oser) avancer ses positions, quand bien même elles seraient incomplètes ou biaisées.]
              Vous avez raison… mais je ne peux pas m’empêcher de penser à cette réplique de Clint Eastwood dans l’inspecteur Harry (je sollicite l’indulgence de notre hôte pour la vulgarité du propos) : « vous savez, les avis, c’est comme les trous du c…, tout le monde en a un. » Et j’ajouterai pour ma part qu’il faut réfléchir avant de l’exhiber…
               
              Oui, il faut que chacun puisse exprimer son opinion, mais il est bon que ladite opinion soit quand même fondée sur quelques connaissances et sur une analyse rationnelle des faits. J’entends tellement de gens – et pas seulement à la télé ou à la radio – étaler sans complexe des discours à l’emporte-pièce dénués de toute réelle réflexion. Si vous saviez le nombre d’enseignants qui vantent l’esprit critique mais qui répètent bêtement ce qu’ils ont entendu sur Arte ou sur France Inter… Le véritable esprit critique doit d’abord s’exercer sur les discours qui nous plaisent au premier abord, et c’est cela qui est difficile. Critiquer les discours avec lesquels on n’est pas d’accord, c’est à la portée de tout le monde.
               
              Par exemple, en ce qui me concerne, reconnaître qu’Eric Zemmour, qui tient un discours très dur sur l’immigration et sur l’islam, un discours dans lequel je me reconnais, n’a fait finalement que reprendre les bonnes vieilles idées de la droite pro-patronale, anti-Etat et anti-fiscale, c’est douloureux. Mais le fait est que, quand on gratte, on s’aperçoit que les gens qui soutiennent Zemmour détestent plus les impôts que les immigrés, et qu’ils aiment la patrie à condition de ne rien lui verser.
               
              [Comme Descartes, votre culture historique me bluffe (et la qualité des articles – précis,  fouillés et denses – de votre propre blog est à signaler).]
              Merci ! Votre compliment me touche.

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              “A vous déplacer spécialement”? Fichtre! Il me faut honorer une telle bonne volonté. 
              Les beaux jours me paraissent plus indiqués pour vous recevoir.
              Je vais réfléchir à l’organisation d’un moment convivial… car il faut prévoir un endroit convenable pour manger!

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [“A vous déplacer spécialement”? Fichtre! Il me faut honorer une telle bonne volonté. Je vais réfléchir à l’organisation d’un moment convivial… car il faut prévoir un endroit convenable pour manger!]

              C’est pas la visite de la reine d’Angleterre, tout de même… et je ne voudrais pas vous déranger outre-mesure. Juste un bon repas et un après midi de bavardage…

  4. Axelzzz dit :

    Toujours agréable de savoir Romain Gary encore présent parmi nous à travers l’évocations de ses écrits et ses saillies savoureuses. 
    Pour ce qui est du retournement mimétique de la logique raciste dans une défense de l’étranger – une forme d’exotisme, pendant de la xénophobie – je trouve aussi le sujet tout à fait fascinant tant il caractérise l’intégralité des discours de gauche aujourd’hui et de la droite extrême aujourd’hui (la droite classique n’ayant pas vraiment de narratif).
    R Girard remarquait, il y a longtemps déjà, la schéma mimétique des récits, allant jusqu’à inscrire cela dans la structure même de notre désir. Le fait que le discours politique du jour soit quasi exclusivement imprégné de cet esprit de revanche révèle avant toute chose la disparition de l’esprit et de la pensée. Si je suis Girard dans son analyse du héro des carnets du sous sol Dostoievskien, qui est selon lui la description de l’état ultime de la névrose mimétique – le personnage devient la représentation chimiquement pure de la nullité réduite à son seul orgueil. 
    C’est bien d’absence d’idée qu’il est question je crois dans la période politique que nous traversons; comme si nous étions pris dans une spirale infernale de snobisme collectif. Les ambitions à gauche comme à droite sont toutes marquées par le ridicule de leur sur dimensionnement et leur ignorance de qui nous sommes – Zucman va faire rendre gorge à E Musk grâce à sa taxe, le RN va restaurer la puissance de l’empire français dans le monde, EELV sauver la planète avec trois éoliennes.
    Taubira et Dupont Moretti sont deux caricatures de cette époque du rien: des comédiens qui n’ont jamais proposé autre chose qu’une interprétation plus ou moins habile d’une pensée déjà morte. 
    Pourtant qui peut sérieusement penser que la surenchère dans la comédie que l’on doit à l’extrême droite qu’elle soit Zemmourienne ou Bardellienne nous proposerait une voie de sortie du néant vers le peu d’esprit qui nous resterait. Les chats de MLP, les hologrammes de JLM tout autant que la parodie de souffle épique des incantations Zemmouriennes participent de notre maladie: nous nous donnons le spectacle d’une politique à couteaux tirés, invoquons de grands principes et dénonçons l’insoutenable mesquinerie de ceux qui n’ont pas nos faveurs. Notre secret espoir de citoyens passifs est que ce spectacle suffise à être cathartiques des conflictualités de l’époques en induisant le moins possible d’actions commune. Car au fond notre propre névrose est terrifiée par l’idée même que nous agissions – ce serait forcément abandonner nos fantasmes.
    Or il n’y a pas d’autre horizon qu’un accord sur une action collective pour répondre aux défis communs. Bref, je suis je l’avoue très loin de partager votre enthousiasme pour le RN – qui ne représente pas moins la névrose du temps que France Inter et ses débats inquisiteurs pavés des bonnes intentions. Je crois néanmoins que votre travail critique inlassable à ceci d’utile qu’il défend une forme de pragmatisme dans les jugements de valeurs: avant toute chose, c’est le résultat qui compte.
    Fallait il alors abolir la peine de mort, ou était-ce un erreur consacrant la primauté des délinquants sur les honnêtes gens ? Dans ce débat tout de même, la réalité et les faits sont intéressants à rappeler: pour le dire vite il est aujourd’hui assez clair que la peine de mort n’a pas d’impact sur la criminalité ou la délinquance. Il s’agit d’une disposition symbolique. Or dans le réel le symbole consiste à tuer des gens pour que le symbole soit préservé. C’est cette équation – très asymétrique convenons en – qui est à l’origine du combat abolitioniste au nom du libéralisme politique des lumière. L’idée fondamentale n’est pas que l’Etat abandonne son trône et laisse aux dealers de quartier le libre usage des kalachnikovs; mais que le monopole de la violence légitime ne nécessite pas son exercice sous cette forme très précise: un jury d’assise qui décide de tuer un homme. Cela ne remet pas en question par exemple la notion d’usage de la force en cas de légitime défense ou encore dans le cadre de règles d’engagement des forces de l’ordre ou des armées. Simplement cet usage de la force est codifié – en cela il est légitime – avec un souci d’efficience. 
    Pour ce qui est de l’homme R. Badinter lui-même je vous avoue avoir du respect pour son parcours, quelles qu’aient été ses origines, la pugnacité et la persévérance pour que ses idées prévalent ne l’auront ni mené à la compromission ni étouffé d’orgueil. Ce combat politique a marqué l’histoire française et s’est inscrite dans un mouvement qui date des lumière et de l’esprit de la révolution. Difficile de ne pas reconnaitre ainsi qu’il ne dépareille pas au Panthéon en disciple de Hugo – quoi qu’on pense de la peine de mort, de l’esprit du temps ou des errements matinaux d’un ancien Garde des Sceaux reconverti en intermittent du spectacle. 
    A vous,
    Axelzzz

    • Descartes dit :

      @ Axelzzz

      [C’est bien d’absence d’idée qu’il est question je crois dans la période politique que nous traversons; comme si nous étions pris dans une spirale infernale de snobisme collectif. Les ambitions à gauche comme à droite sont toutes marquées par le ridicule de leur sur dimensionnement et leur ignorance de qui nous sommes – Zucman va faire rendre gorge à E Musk grâce à sa taxe, le RN va restaurer la puissance de l’empire français dans le monde, EELV sauver la planète avec trois éoliennes.]

      Effectivement. On voit là ce que j’avais appelé dans un autre papier la « provincialisation » de la France. Il n’y a plus de grand débat sur des choix de société, mais on s’écharpe sur la position du curseur. Effectivement, on ne changera pas le monde en passant l’âge de la retraite de 62 à 64 ans ou vice-versa.

      [Or il n’y a pas d’autre horizon qu’un accord sur une action collective pour répondre aux défis communs. Bref, je suis je l’avoue très loin de partager votre enthousiasme pour le RN – qui ne représente pas moins la névrose du temps que France Inter et ses débats inquisiteurs pavés des bonnes intentions.]

      Je ne vois pas très bien où vous voyez chez moi un quelconque « enthousiasme » pour le RN. Le fait est que le RN représente aujourd’hui les classes populaires dans leur rejet de ce théâtre politique. Et qu’à ce titre, il représente une épine dans le pied du système. Après, si mes écrits vous ont donné l’impression que je vois dans l’arrivée du RN au pouvoir la solution au problème, je m’en excuse.

      [Fallait-il alors abolir la peine de mort, ou était-ce une erreur consacrant la primauté des délinquants sur les honnêtes gens ? Dans ce débat tout de même, la réalité et les faits sont intéressants à rappeler : pour le dire vite il est aujourd’hui assez clair que la peine de mort n’a pas d’impact sur la criminalité ou la délinquance.]

      Pardon, mais je ne vois pas comment vous arrivez à cette conclusion. Il est clair que la peine de mort a un effet radical sur la récidive. Cela étant dit, le nombre d’exécutions était beaucoup trop faible pour qu’on puisse mettre en évidence un effet direct. La peine de mort était, dans une large mesure, une peine symbolique. Mais l’effet des symboles est très difficile à évaluer.

      Cela étant dit, je n’ouvre pas de jugement sur le fait de savoir s’il fallait ou non l’abolir. Je me contente de me demander pourquoi, alors que toutes les tentatives de l’abolir avaient échoué jusqu’alors, tout à coup la société l’a accepté – suivant en cela un mouvement mondial – de l’abolir.

      [L’idée fondamentale n’est pas que l’Etat abandonne son trône et laisse aux dealers de quartier le libre usage des kalachnikovs; mais que le monopole de la violence légitime ne nécessite pas son exercice sous cette forme très précise: un jury d’assise qui décide de tuer un homme. Cela ne remet pas en question par exemple la notion d’usage de la force en cas de légitime défense ou encore dans le cadre de règles d’engagement des forces de l’ordre ou des armées. Simplement cet usage de la force est codifié – en cela il est légitime – avec un souci d’efficience.]

      Tout à fait. Seulement, on ne peut que constater qu’il y a eu un mouvement d’ensemble en matière répressive qui aboutit en pratique à ce que l’Etat « abandonne son trône et laisse aux dealers de quartier le libre usage des Kalachnikovs ». Attention, je ne dis pas que l’abolition de la peine de mort per se ait abouti à ce résultat. Ce que je dis, c’est que l’abolition s’inscrit dans un mouvement bien plus vaste qui a abouti à ce résultat.

      [Pour ce qui est de l’homme R. Badinter lui-même je vous avoue avoir du respect pour son parcours, quelles qu’aient été ses origines, la pugnacité et la persévérance pour que ses idées prévalent ne l’auront ni mené à la compromission ni étouffé d’orgueil. Ce combat politique a marqué l’histoire française et s’est inscrite dans un mouvement qui date des lumières et de l’esprit de la révolution.]

      Je nuancerais beaucoup cette image. D’abord, parce que « la pugnacité et la persévérance pour que ses idées prévalent » l’ont bien mené à la « compromission » avec Mitterrand, on l’a vu dans l’affaire Bousquet. Ensuite, parce que « à vaincre sans péril on triomphe sans gloire ». Le combat de Badinter ne l’a à aucun moment amené à prendre des risques, à sacrifier sa position ou sa carrière, au contraire.

      [Difficile de ne pas reconnaitre ainsi qu’il ne dépareille pas au Panthéon en disciple de Hugo]

      Sauf que Hugo, lui, a pris des risques, qu’il ne s’est pas toujours trouvé du côté du manche, au point de devoir partir en exil. Badinter arrive au pouvoir a un moment où ses idées sont consensuelles dans les élites, et acceptées – sinon soutenues – par l’opinion en général.

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        [Après, si mes écrits vous ont donné l’impression que je vois dans l’arrivée du RN au pouvoir la solution au problème]
         
         
        Vous la voyez où, la solution au problème ?

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Vous la voyez où, la solution au problème ?]

          Si je le savais, je serais à Matignon…
          Je pense qu’il faut d’abord se mettre d’accord sur ce qu’est le “problème”. Parce que ce que je trouve personnellement être un recul peut être pour quelqu’un d’autre un progrès. J’aime beaucoup discuter avec des jeunes, mais je me rends compte de plus en plus du fossé qui nous sépare. Moi, j’ai la nostalgie d’un monde disparu, avec des valeurs, des pratiques et des contraintes qui ne veulent rien dire pour ceux qui ne les ont pas connues. Pour moi, cette disparition est un “problème”. Pas pour eux. Pour moi, voir dans un wagon du métro tout le monde les yeux rivés sur son téléphone portable plutôt que de lire un livre ou parler à son voisin est un “problème”, pour eux, c’est parfaitement normal. Pour moi, la disparition des salles de cinéma à l’heure où chacun regarde son film sur sa télé chez lui est un “problème”. Pas pour eux. J’aurais souffert je pense terriblement si ma compagne m’avait demandé d’avoir des comptes en banque séparés, et de compter nos contributions aux frais du ménage. J’aurais vu dans cette demande un déni de confiance. Aujourd’hui, cela semble être très courant, et personne ne trouve à redire. L’Etat même y met du sien, avec un taux de prélèvement à la source différentié pour l’impôt sur le revenu.

          Alors, avant de discuter des solutions il faut caractériser les problèmes. L’être humain est capable de s’habituer à presque tout, et ce qui pour nous, qui avons connu autre chose, est un “problème”, pour d’autres n’est qu’un état de fait. C’est d’ailleurs l’une des difficultés à mon sens de l’action politique aujourd’hui. Comme on a brisé la chaîne de la transmission, les jeunes générations n’ont pas conscience qu’il y a eu un monde avant eux, et que ce monde était différent. Comment leur expliquer que le chômage de masse n’est pas une fatalité ? Que des gens se sont battus pour que les décisions qui nous concernent soient prises à Paris et non à Berlin, et que d’autres ensuite se sont arrangés pour qu’elles soient prises à Bruxelles ? Pour nous, cela est un problème, pour les jeunes, c’est naturel.

          C’est pour cela que je me suis battu et je me bats encore contre la logique des “programmes” qu’on trouve aujourd’hui dans tous les partis politiques, et qui sont en fait des lettres au Père Noël ou l’on met tout ce qui fait plaisir aux uns et aux autres. Moi, je ne demande pas des solutions, je demande des problèmes. J’aimerais que les partis politiques m’expliquent quels sont pour eux les problèmes qu’il faut résoudre en priorité. Parce qu’un problème bien posé est aux deux tiers résolu.

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            Les “problèmes” que vous voyez le sont aussi pour moi. Vous avez fait une jolie liste, du plus anodin au plus grave.
            Mais vous n’avez pas encore écrit le paragraphe des solutions.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Les “problèmes” que vous voyez le sont aussi pour moi. Vous avez fait une jolie liste, du plus anodin au plus grave. » Mais vous n’avez pas encore écrit le paragraphe des solutions.]

              « Une seule solution, la révolution » ! La formule est un peu caricaturale, mais elle résume bien la difficulté. Beaucoup de ces « problèmes » prennent leur racine dans les contradictions mêmes du capitalisme, et de son développement vers un capitalisme mondialisé. Une solution globale passe donc par la remise en cause de ce mode de production.

              Après, on peut réfléchir à des actions qui, sans résoudre totalement les problèmes, puissent réduire les effets néfastes du capitalisme. On peut améliorer la situation des exploités sans nécessairement en finir avec l’exploitation. Tirer le meilleur parti des rapports de force existants et tenter de les améliorer. Je pourrais vous proposer ce type de « solutions », mais faut être modeste : mes propositions n’ont aucune valeur, parce que pour avoir une chance d’être mises en œuvre il faut qu’elles s’inscrivent dans un rapport de forces, ce qui suppose qu’elles soient issues d’un travail collectif. C’est cette mission qui justifie la place des partis politiques dans le processus politique – mission qu’ils ne remplissent guère aujourd’hui.

              Je pourrais par exemple vous proposer un Frexit, non parce qu’il résoudrait nos problèmes, mais parce qu’il nous permettrait d’entamer une vraie politique de réindustrialisation et de rééquilibrage de nos comptes extérieurs, et de nous attaquer sérieusement à la problématique de la dette. Mais une fois qu’on a dit ça, on n’a rien dit, parce qu’il n’existe pas aujourd’hui – ou dans un avenir prévisible – de rapport de force qui nous permette d’envisager une sortie du système européen.

              L’art de la politique est « de rendre possible ce qui est nécessaire ». La question est donc de savoir comment on rend possible le Frexit. Et là encore, si j’avais la réponse à cette question, je ne serais pas là en train d’écrire des bêtises sur un blog !

          • P2R dit :

            @ Descartes
             

            Moi, je ne demande pas des solutions, je demande des problèmes. J’aimerais que les partis politiques m’expliquent quels sont pour eux les problèmes qu’il faut résoudre en priorité. Parce qu’un problème bien posé est aux deux tiers résolu.

             
            Mouais… J’entends tous les partis dire à longueur d’interview “le problème c’est le climat/l’écologie”, “le problème c’est les fachos/les bienpensants”, “le problème c’est les assistés/les riches”, “le problème c’est le pouvoir d’achat/la surconsommation” (biffez les mentions de votre choix) et j’en passe, j’ai pas l’impression que ça nous emmène bien loin. Au contraire… A moins que l’on s’attarde sur les problèmes pour résoudre le problème, ce qui n’arrive… jamais !

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [« Moi, je ne demande pas des solutions, je demande des problèmes. J’aimerais que les partis politiques m’expliquent quels sont pour eux les problèmes qu’il faut résoudre en priorité. Parce qu’un problème bien posé est aux deux tiers résolu. » Mouais… J’entends tous les partis dire à longueur d’interview “le problème c’est le climat/l’écologie”, “le problème c’est les fachos/les bienpensants”, “le problème c’est les assistés/les riches”, “le problème c’est le pouvoir d’achat/la surconsommation” (biffez les mentions de votre choix) et j’en passe, j’ai pas l’impression que ça nous emmène bien loin.]

              Ce genre de déclarations sont de la communication pure, où l’on confond souvent effets et causes, où l’on s’attaque au symptôme mais on laisse de côté la maladie. Il n’y a jamais dans ces discours de problématisation, c’est-à-dire, un travail d’analyse du symptôme qui permette de l’inscrire dans un système et donc penser à des solutions qui ne soient pas de simples palliatifs. Prenons un exemple, celui du « pouvoir d’achat ». Que proposent comme solution ceux qui caractérisent cela comme un problème ? « Augmenter le pouvoir d’achat ». Est-ce que quelqu’un se demande POURQUOI le pouvoir d’achat est aussi faible, POURQUOI nous perdons régulièrement des positions par rapport à des pays comme la Chine ou les Etats-Unis, POURQUOI la pyramide des revenus deviens de plus en plus plate, traduisant une « smicardisation » de la société ? Non, personne n’entame cette réflexion. Les uns crient qu’il faut augmenter le SMIC par décret, les autres qu’il faut diminuer les cotisations sociales…

              Dans une société qui privilégie le ressenti par rapport à la réflexion, les partis politiques fonctionnent aujourd’hui en réponse à ce que les gens perçoivent – c’est-à-dire, aux symptômes – sans chercher à inscrire ce ressenti dans un cadre théorique qui permette de guérir la maladie. Mon secrétaire de cellule, du temps ou je militais au PCF, disait toujours qu’il fallait « partir de ce que les gens ont dans la tête ». Mais le mot important ici est « partir ». Et lorsqu’on « part », c’est pour arriver ailleurs. C’est ce travail-là que personne ne fait aujourd’hui

  5. MJJB dit :

    Ce n’est d’ailleurs pas étonnant si les états qui aujourd’hui conservent la peine de mort sont des états où une idéologie forte – qu’elle soit religieuse comme en Iran ou laïque comme en Chine – s’impose à tous comme une évidence. Dans ce qu’on appelle aujourd’hui les « démocraties libérales », on n’est plus très sûr de rien. Ce qui est en théorie interdit est en pratique toléré, ce qui est poursuivi aujourd’hui sera autorisé demain.

     
    On peut de demander si la démocratie ne contient pas en elle-même les germes de son propre anéantissement. Dès lors que l’on pose comme principe que toutes les opinions se valent a priori, qu’il n’y a plus de doxa, mais uniquement d’épistémé (pour reprendre l’expression de Castoriadis), on ne peut en arriver fatalement, au bout d’un temps plus ou moins long, mais plutôt court que long, à considérer que toutes les opinions se valent tout court. Si je dis : “toutes les opinions se valent a priori, mais ne se valent pas dans l’absolu, admettons donc les toutes afin de déterminer par la suite celles qui vaudront effectivement plus que les autres”, il arrivera fatalement un moment où, par simple désir de moindre effort, j’en viendrai à me contenter de la première étape sans plus me préoccuper de la seconde.
     
    Une fois le point atteint où toutes les opinions se valent, et où la doxa est irrémédiablement remplacée par l’épistémé, la prime ira mécaniquement aux opinions les plus intolérantes et les agressives, les plus “sûres d’elles-mêmes”, pour reprendre votre expression. Et c’est ce que l’on voit en ce moment même en “Occident” : les idéologies qui sont en train de monter, voire qui sont en train de prendre le dessus, se caractérisent toutes par leur caractère exclusif et intransigeant. J’ignore si la France deviendra, comme le craignent certains, une République islamique ; mais je sais que si elle ne le devient pas, elle ne pourra que se donner à un régime à “idéologie forte”, du type de celui que l’on voit en Iran et en Chine.
     
    Notez que je laisse de côté la question de savoir si cette évolution est bonne ou mauvaise.

    • Descartes dit :

      @ MJJB

      [On peut de demander si la démocratie ne contient pas en elle-même les germes de son propre anéantissement. Dès lors que l’on pose comme principe que toutes les opinions se valent a priori, qu’il n’y a plus de doxa, mais uniquement d’épistémé (pour reprendre l’expression de Castoriadis), on ne peut en arriver fatalement, au bout d’un temps plus ou moins long, mais plutôt court que long, à considérer que toutes les opinions se valent tout court.]

      La démocratie ne suppose pas que « toutes les opinions se valent à priori », mais que toutes les opinions ont le même poids lorsqu’il s’agit d’élire un représentant – et dans certains cas bien circonscrits, de prendre une décision. Ce n’est pas du tout la même chose. La démocratie n’implique nullement qu’on laisse n’importe qui pratiquer la chirurgie. C’est là un travesti de la démocratie. De la même manière que la démocratie n’implique pas que la majorité ait raison. Simplement, qu’on doit faire ce que décide la majorité, même lorsqu’elle a tort.

      La démocratie n’est qu’un moyen de gérer économiquement le rapport de forces. Tant que la décision démocratique « colle » relativement au rapport de forces, le système fonctionne. Lorsqu’un groupe pense pouvoir obtenir par la force bien mieux que ce que la décision démocratique lui donne, le système casse. Et c’est exactement ce qui est en train d’advenir depuis trente ans : le bloc dominant a compris qu’il pouvait obtenir mieux par la force que par le vote, et c’est pourquoi les « démocrates » sont forcés de suivre le diktat des « marchés » pour maintenir les apparences. Si on faisait aujourd’hui ce que le peuple a voté, ce serait la guerre.

      [Une fois le point atteint où toutes les opinions se valent, et où la doxa est irrémédiablement remplacée par l’épistémé, la prime ira mécaniquement aux opinions les plus intolérantes et les agressives, les plus “sûres d’elles-mêmes”, pour reprendre votre expression.]

      Mais quelle « prime » ? Les opinions « les plus intolérantes, les plus agressives, les plus « sûres d’elles-mêmes » » ont beau aboyer, la caravane passe. Elles font beaucoup de bruit pour la gallérie, mais en termes de pouvoir réel elles ne pèsent que marginalement lorsqu’il s’agit d’organiser la réalité. Pour le moment, ce sont bien les « libéraux-libertaires » qui tiennent le haut du pavé.

      • Bob dit :

        @ MJJB
         
        [J’ignore si la France deviendra, comme le craignent certains, une République islamique ; mais je sais que si elle ne le devient pas, elle ne pourra que se donner à un régime à “idéologie forte”]
         
         
        Vous soulevez un point intéressant avec celui de l’islam(isation).
        J’aurais plutôt écrit “pour qu’elle ne le devienne pas”.

      • MJJB dit :

        La démocratie ne suppose pas que « toutes les opinions se valent à priori », mais que toutes les opinions ont le même poids lorsqu’il s’agit d’élire un représentant – et dans certains cas bien circonscrits, de prendre une décision. Ce n’est pas du tout la même chose. La démocratie n’implique nullement qu’on laisse n’importe qui pratiquer la chirurgie.

         
        Je suis d’accord avec vous qu’il s’agit de deux choses différentes. Je dis simplement qu’une fois que l’on a posé que “toutes les opinions ont le même poids lorsqu’il s’agit d’élire un représentant – et dans certains cas bien circonscrits, de prendre une décision”, le passage à “toutes les opinions se valent à priori” est en quelque sorte inéluctable. Je ne faisais que constater un comportement. Je crois que la cause profonde de ce comportement est que dès qu’on l’on introduit quelque part une dose, fût-elle modeste, de relativisme,  ce dernier finit inévitablement par envahir tout l’espace.
         
        Je ne serais guère étonné qu’on en vienne à “laisser n’importe qui pratiquer la chirurgie”. C’est dans la logique des choses. Le discours actuel est contre toute répression et toute discrimination quelle qu’elle soit. A ce compte, si je désirais être chirurgien, et que j’étais empêché d’exercer cette profession, parce que je n’en aurais pas les compétences, ce serait de la discrimination ; si je me mettais à pratiquer cette profession sans en avoir le droit, me punir à ce titre serait de la répression ; toutes deux bien entendu absolument intolérables comme il se doit. Et ne parlons pas de la “concurrence libre et non faussée”.
         
        Sinon, Robert Badinter avait beau être contre la peine de mort, il éprouvait quand même de furieuse démangeaisons d’euthanasie du droit du travail, sans jugement qui plus est. De profundis pour tous les deux.

        • Descartes dit :

          @ MJJB

          [Je suis d’accord avec vous qu’il s’agit de deux choses différentes. Je dis simplement qu’une fois que l’on a posé que “toutes les opinions ont le même poids lorsqu’il s’agit d’élire un représentant – et dans certains cas bien circonscrits, de prendre une décision”, le passage à “toutes les opinions se valent à priori” est en quelque sorte inéluctable.]

          Je ne vois pas en quoi ce serait « inéluctable ». Nous vivons dans une logique de suffrage universel depuis 1870 sans discontinuer, et pourtant les gens continuent à aller chez le médecin quand ils sont malades, chez l’architecte quand ils veulent construire une maison, chez l’avocat lorsqu’ils veulent engager un procès. Et même lorsqu’ils sont dans l’isoloir, ils élisent souvent des gens qui sont plus diplômés et mieux formés qu’eux-mêmes. Les citoyens comprennent parfaitement qu’il existe une hiérarchie dans les « opinions ».

          [Je ne faisais que constater un comportement. Je crois que la cause profonde de ce comportement est que dès qu’on l’on introduit quelque part une dose, fût-elle modeste, de relativisme, ce dernier finit inévitablement par envahir tout l’espace.]

          Comme les exemples précédents le montrent, il n’y a rien « d’inévitable » là-dedans. L’immense majorité de nos concitoyens respecte l’opinion du spécialiste bien plus que celle de n’importe qui.

          [Je ne serais guère étonné qu’on en vienne à “laisser n’importe qui pratiquer la chirurgie”. C’est dans la logique des choses.]

          Regardez les faits : lorsqu’il y a pénurie de médecins, les gens font des kilomètres pour en trouver un. Pourquoi ne se reposent-ils pas sur le diagnostic de leur voisin, puisque selon vous toutes les opinions se valent ? Contrairement à ce que votre théorie prédit, on n’a jamais été aussi friand de « labels » et autres « agréments » de toute nature.

          [Le discours actuel est contre toute répression et toute discrimination quelle qu’elle soit. A ce compte, si je désirais être chirurgien, et que j’étais empêché d’exercer cette profession, parce que je n’en aurais pas les compétences, ce serait de la discrimination ; si je me mettais à pratiquer cette profession sans en avoir le droit, me punir à ce titre serait de la répression ; toutes deux bien entendu absolument intolérables comme il se doit. Et ne parlons pas de la “concurrence libre et non faussée”.]

          Mais curieusement, le discours contre les discriminations s’arrête sur la question des compétences. C’est un des rares motifs de discrimination que tout le monde s’accorde à juger légitime. Ce qui tend à prouver que le principe de réalité conserve un certain poids.

          • MJJB dit :

            Regardez les faits : lorsqu’il y a pénurie de médecins, les gens font des kilomètres pour en trouver un.

             
            Peut-être, mais dans le même temps, il y a de plus en plus de naturopathes, de maîtres reiki, d’acupuncteurs, et autres praticiens ès pata-médecines diverses et variées… Et elle augmente, inexorablement, la proportion de gens qui ne sont plus en mesure de faire la différence entre la  médecine véritable, d’une part, et les escroqueries sectaires pompeusement rebaptisées du nom de médecines “douces” (en voilà, une belle expression, alliant, dans une perfection atroce, l’orwellien au cucul !), d’autre part.
             

            L’immense majorité de nos concitoyens respecte l’opinion du spécialiste bien plus que celle de n’importe qui.

             
            C’est une majorité qui s’effrite, alors… Pour l’instant, les inévitables mauvais plaisants qui se font un devoir inébranlable de toujours être “pour tout ce qui est contre et contre tout ce qui est pour” sont en effet en minorité, mais leur nombre croît de jour en jour. Le réflexe complotiste, qui consiste à remettre radicalement en cause l’expertise du spécialiste, parce que spécialiste, et donc représentant honni du “système” ou de la “doxa” “officielle”, est de plus en plus répandu.

            • Descartes dit :

              @ MJJB

              [« Regardez les faits : lorsqu’il y a pénurie de médecins, les gens font des kilomètres pour en trouver un. » Peut-être, mais dans le même temps, il y a de plus en plus de naturopathes, de maîtres reiki, d’acupuncteurs, et autres praticiens ès pata-médecines diverses et variées…]

              Oui, mais pas forcément dans les territoires où il manque des médecins. Les naturopathes et les maîtres reiki, ce n’est pas le recours des couches populaires qui manquent de médecins, mais des couches aisées qui y voient un moyen de tromper leur ennui… Couches aisées qui, lorsqu’elles ont une VERITABLE maladie, s’adressent en général aux spécialistes scientifiques les plus réputés.

              [« L’immense majorité de nos concitoyens respecte l’opinion du spécialiste bien plus que celle de n’importe qui. » C’est une majorité qui s’effrite, alors…]

              Pas tant que ça, figurez-vous. Pendant des années, mes fonctions m’ont amené à participer à des débats publics préparatoires à la réalisation de grands chantiers, débats dans lesquelles j’étais dans la position du « sachant » délégué par mon administration. Et bien, j’ai toujours été fasciné par le décalage entre le discours qu’on entend dans les médias ou chez les politiques et celui tenu par les citoyens lambda. D’un côté on nous explique que les Français se méfient du discours des experts et spécialistes, de l’autre on voit une écoute attentive et respectueuse. Peut-être que le décalage vient du fait que les élites médiatiques se prennent pour des experts, alors qu’elles n’en sont pas !

              Pour vous donner un exemple, j’avais participé à un débat public sur l’implantation d’un parc éolien en mer, qui se déroulait dans une petite agglomération côtière. Après la fin de la réunion, je suis reste presque deux heures à discuter avec des pêcheurs qui se trouvaient dans la salle, inquiets de l’effet de l’installation sur leur gagne-pain. Ces pêcheurs ne contestaient nullement les données techniques que je pouvais leur apporter, ils soulevaient des objections sur l’opportunité de l’aménagement, des conséquences pour la profession, ils proposaient des aménagements…

              [Le réflexe complotiste, qui consiste à remettre radicalement en cause l’expertise du spécialiste, parce que spécialiste, et donc représentant honni du “système” ou de la “doxa” “officielle”, est de plus en plus répandu.]

              Mais, paradoxalement, il est bien plus répandu dans les classes intermédiaires, alors que ce sont elles qui en général produisent les « experts »… il serait intéressant de comprendre pourquoi ces classes scient la branche sur laquelle elles sont assises !

  6. Goupil dit :

    Pardon mais, si je comprends bien, votre thèse est : “Le mouvement progressif d’abolition de la peine de mort s’inscrit dans l’expansion du capitalisme mondialisé et n’est qu’une forme d’un mouvement plus large d’abolition des institutions répressives et de la répression comme concept” ?
     
    Déjà, vous dites préférer juger une civilisation selon l’état de ses HLM plutôt que selon l’état de ses prisons. D’une part, qu’est-ce qui vous empêche de la juger selon l’état de ses HLM et de ses prisons (d’autant que, vous prenez plus loin les exemples de la Russie, de la Chine ou de l’Iran, quid alors de leurs HLM ?) ? En France, comme vous le rappelez, ce n’est pas parce que les prisons sont dans un état lamentable que cela empêche nombre de HLM d’être aussi dans un état lamentable. D’autant qu’il y a quelque chose de contradictoire dans ce que vous écrivez : que la pitié publique n’aille pas au travailleur pauvre et que les HLM soient donc dans un état lamentable se conçoit, mais si, comme vous l’affirmez, la pitié publique va au “taulard” alors pourquoi les prisons sont elles aussi dans un état lamentable ? La logique voudrait que, dans un société où l’on prend le “taulard” en pitié absolue, les prisons soient des lieux où tout le monde souhaite aller. Pourtant vous admettez le constat selon lequel “les détenus doivent dormir dans des matelas par terre faute de places en cellule, que les bâtiments soient délabrés, que les rongeurs et les cafards pullulent” (et donc que, dans la réalité, on – c’est-à-dire autant les hommes politiques que les bonnes âmes de France Inter – les tolère assez bien)…il y a là quelque chose de contradictoire. A moins bien sûr que la pitié publique en faveur des emprisonnés ne soit qu’un moyen de se donner bonne conscience, mais, dans ce cas-là, cela invalide l’opposition que vous faites entre “taulards” et travailleurs pauvres !
     
    Les gens qui se retrouvent en prison ne sont certes pas les victimes du hasard. S’ils étaient victimes du hasard, on devrait retrouver en prison une proportion similaire de femmes qu’il y a de femmes dans la société, une proportion similaire de cadres supérieurs qu’il y a de cadres supérieurs dans la société, etc etc. Si le risque de se faire emprisonner est dépendant uniquement de la responsabilité individuelle, alors comment expliquez-vous que l’on trouve en prison plus d’hommes, plus d’étrangers, plus de classes populaires qu’il n’y en a dans la société ? Il me semble que l’on peut reconnaître l’utilité sociale de la prison et sa nécessité, sans pour autant tomber dans le mythe de la responsabilité individuelle exclusive…
     
    Enfin, votre volonté de dissocier radicalement l’abolition de la peine de mort de tout humanisme est fort étrange. Je rappelle que l’abolition de la peine de mort a d’abord été théorisée par l’illuministe italien Cesare Beccaria (et que le grand-duché de Florence sera le premier à l’abolir en 1786 – et que d’ailleurs l’Italie unifiée sera aussi le premier pays “contemporain” à l’abolir dès 1886, certes après moult allers-retours, jusqu’à ce qu’elle soit rétablie en 1926 par Mussolini !). Mais vous considérez peut-être que les Lumières et la Toscane n’étaient pas un courant philosophique et un Etat sûrs de leurs valeurs ? Que Victor Hugo, qui affirmait “Avec la solde de vos quatre-vingt bourreaux, vous paierez six-cent maîtres d’école”, était l’expression d’une France qui n’était pas sûre de ses valeurs ? On peut aussi citer les bolcheviks qui abolissent la peine de mort à leur prise de pouvoir. 
     
    Les républicains modérés, les compagnons de Ferry, étaient eux aussi certainement de vils anti-humanistes anti-répressifs (comme Clemenceau d’ailleurs, opposant historique à la peine de mort, et qui fut l’incarnation d’une société permissive et anti-répressive…). C’est Jules Simon qui écrivait “Ouvrez une école, vous fermerez une prison”. C’est le sénateur Bérenger qui est l’auteur de plusieurs lois introduisant le mécanisme de sursis et de la libération conditionnelle, qui a parrainé les associations pour la réinsertion sociale des prisonniers et pour l’amélioration des conditions d’emprisonnement. Il s’agissait certainement là de gens rongés par l’insécurité quant à leurs valeurs !

    • Descartes dit :

      @ Goupil

      [Pardon mais, si je comprends bien, votre thèse est : “Le mouvement progressif d’abolition de la peine de mort s’inscrit dans l’expansion du capitalisme mondialisé et n’est qu’une forme d’un mouvement plus large d’abolition des institutions répressives et de la répression comme concept” ?]

      Tout à fait. Comment expliquez-vous qu’il se soit manifesté à la fin des années 1960 un mouvement mondial de contestation de toutes formes de répression, mouvement qui a accompagné toute la révolution néolibérale ?

      [Déjà, vous dites préférer juger une civilisation selon l’état de ses HLM plutôt que selon l’état de ses prisons. D’une part, qu’est-ce qui vous empêche de la juger selon l’état de ses HLM et de ses prisons (d’autant que, vous prenez plus loin les exemples de la Russie, de la Chine ou de l’Iran, quid alors de leurs HLM ?) ?]

      Pardon de devoir expliquer une formule consacrée. Mais quand ont dit « qu’une civilisation se juge à tel ou tel critère », ce que cela veut dire c’est que s’il fallait en choisir un, ce serait celui-là. Je doute que celui qui a dit qu’il fallait juger notre République à l’état de nos prisons l’ait entendu différemment, et c’est aussi mon cas.

      [En France, comme vous le rappelez, ce n’est pas parce que les prisons sont dans un état lamentable que cela empêche nombre de HLM d’être aussi dans un état lamentable. D’autant qu’il y a quelque chose de contradictoire dans ce que vous écrivez : que la pitié publique n’aille pas au travailleur pauvre et que les HLM soient donc dans un état lamentable se conçoit, mais si, comme vous l’affirmez, la pitié publique va au “taulard” alors pourquoi les prisons sont elles aussi dans un état lamentable ?]

      Parce que la « pitié » n’est pas nécessairement synonyme d’argent. Je vous parle d’idéologie, pas de pratiques. Cela étant dit, vous trouverez sans difficulté des politiciens qui ont fait campagne sur la promesse de construire des prisons, je ne me souviens pas de beaucoup d’hommes politiques qui aient fait campagne sur la construction d’HLM ces dernières années.

      [(…) A moins bien sûr que la pitié publique en faveur des emprisonnés ne soit qu’un moyen de se donner bonne conscience, mais, dans ce cas-là, cela invalide l’opposition que vous faites entre “taulards” et travailleurs pauvres !]

      La question n’est pas seulement de « se donner bonne conscience ». C’est aussi de choisir des porte-drapeaux d’une idéologie dont les effets vont bien plus loin que la simple question de la prison. Faire du « taulard » une victime, c’est un moyen aussi de « victimiser » tout celui qui affronte une forme de répression quelle qu’elle soit.

      [Les gens qui se retrouvent en prison ne sont certes pas les victimes du hasard. S’ils étaient victimes du hasard, on devrait retrouver en prison une proportion similaire de femmes qu’il y a de femmes dans la société, une proportion similaire de cadres supérieurs qu’il y a de cadres supérieurs dans la société, etc etc.]

      Pas nécessairement : un phénomène aléatoire n’est pas nécessairement équiprobable.
      [Si le risque de se faire emprisonner est dépendant uniquement de la responsabilité individuelle, alors comment expliquez-vous que l’on trouve en prison plus d’hommes, plus d’étrangers, plus de classes populaires qu’il n’y en a dans la société ?]

      Il y a une explication classique, qui rend compte de cette situation jusqu’à un certain point : plus on est riche, plus on a des choses à perdre lorsqu’on est en détention. Pour un jeune qui vit dans une citée délabrée, dans un appartement surpeuplé, qui est victime de la violence de ses parents, et dont la vie oscille entre le chômage et les petits trafics, la prison est bien moins terrifiante que pour le jeune enfant de cadres supérieurs, vivant dans un bel appartement, et promis à un bel avenir…

      Mais j’aimerais connaître votre avis. Pourquoi trouve-t-on plus d’étrangers, plus de classes populaires dans les prisons ?

      [Il me semble que l’on peut reconnaître l’utilité sociale de la prison et sa nécessité, sans pour autant tomber dans le mythe de la responsabilité individuelle exclusive…]

      Je ne pense pas avoir dit cela. La responsabilité individuelle n’est jamais « exclusive », puisque nous sommes des produits historiques. Mais on ne peut fonder une société sur la vision d’un individu totalement déterminé – et donc irresponsable. Or, c’est exactement ce qu’on a fait dans les années 1970. L’affaire Goldman est de ce point de vue très intéressante.

      [Enfin, votre volonté de dissocier radicalement l’abolition de la peine de mort de tout humanisme est fort étrange. Je rappelle que l’abolition de la peine de mort a d’abord été théorisée par l’illuministe italien Cesare Beccaria (et que le grand-duché de Florence sera le premier à l’abolir en 1786 – et que d’ailleurs l’Italie unifiée sera aussi le premier pays “contemporain” à l’abolir dès 1886, certes après moult allers-retours, jusqu’à ce qu’elle soit rétablie en 1926 par Mussolini !). Mais vous considérez peut-être que les Lumières et la Toscane n’étaient pas un courant philosophique et un Etat sûrs de leurs valeurs ?]

      Je ne dissocie nullement l’abolition de la peine de mort de l’humanisme. De très nombreux penseurs humanistes ont théorisé et milité pour la fin de la peine de mort. Seulement, il faut se demander pourquoi ils ont eu si peu de succès au XXème siècle avant les années 1980, et autant de succès après.

      [Que Victor Hugo, qui affirmait “Avec la solde de vos quatre-vingt bourreaux, vous paierez six-cent maîtres d’école”, était l’expression d’une France qui n’était pas sûre de ses valeurs ?]

      Je crois que je me suis mal fait comprendre. Ce que j’ai dit, c’est que les nations qui ont maintenu la peine de mort sont des nations où le consensus sur les valeurs est suffisamment fort pour que la légitimité des peines lourdes soit incontestable. La France de l’époque de Hugo était sûre de ses valeurs… et c’est pourquoi la peine de mort a été maintenue, malgré la bonne volonté du vieux Victor, dont les idées humanistes n’étaient nullement majoritaires.

      [On peut aussi citer les bolcheviks qui abolissent la peine de mort à leur prise de pouvoir.]

      Oui, à un moment où la société était profondément divisée et l’état faible. Dès que l’Etat s’est renforcé, dès qu’il a pu reposer sur un véritable consensus, elle a été rétablie.

      [Les républicains modérés, les compagnons de Ferry, étaient eux aussi certainement de vils anti-humanistes anti-répressifs (comme Clemenceau d’ailleurs, opposant historique à la peine de mort, et qui fut l’incarnation d’une société permissive et anti-répressive…). C’est Jules Simon qui écrivait “Ouvrez une école, vous fermerez une prison”. C’est le sénateur Bérenger qui est l’auteur de plusieurs lois introduisant le mécanisme de sursis et de la libération conditionnelle, qui a parrainé les associations pour la réinsertion sociale des prisonniers et pour l’amélioration des conditions d’emprisonnement. Il s’agissait certainement là de gens rongés par l’insécurité quant à leurs valeurs !]

      Mais à votre avis, pourquoi ces gens n’ont pas aboli la peine de mort ? Si Clemenceau était un opposant historique à la peine capital, pourquoi ne l’a-t-il pas abolie lorsqu’il était au pouvoir ? Précisément parce que la société de l’époque était très sûre de ses valeurs… et c’est pour cela qu’elle n’était pas prête à admettre l’abolition.

      Encore une fois, j’aimeras comprendre quelle explication trouvez-vous au fait qu’il ait fallu attendre les années 1980 pour voir la peine de mort abolie.

      • Goupil dit :

        [Comment expliquez-vous qu’il se soit manifesté à la fin des années 1960 un mouvement mondial de contestation de toutes formes de répression, mouvement qui a accompagné toute la révolution néolibérale ?]
         
        Déjà, avez-vous des sources concernant le caractère mondial de ce mouvement (ou, a minima, dans les pays développés) ? Car je ne connais pas suffisamment bien les pays étrangers pour me prononcer.
         
        Mais, en admettant a priori cette dimension mondiale et le fait qu’il s’agisse véritablement d’un mouvement « de contestation de toutes formes de répression » (ce qui me paraît…contestable), je suis tout à fait prêt à reconnaître que cela est lié à l’émergence de ce que vous appelez « classes intermédiaires », qui entendent, à ce moment, remplacer le système de valeurs « traditionnel » (du moins, hérité de la période antérieure) par leur propre système de valeurs, qui correspond mieux à leurs intérêts en tant que classe dominante.
         
        Au demeurant, ce n’était pas la question. Que ce que vous qualifiez de « mouvement anti-répression » ait trouvé dans le mouvement abolitionniste, qui lui est d’après moi préexistant et qui en est autonome, un outil efficace pour atteindre ses propres buts, c’est une chose qui mérite discussion mais qu’il paraît raisonnable de penser. Ce que je conteste, c’est le lien organique que vous faites entre les deux mouvements : à vous lire, l’abolition de la peine de mort ne serait qu’un doux rêve dans une société sûre de ces valeurs et en-dehors d’un tel mouvement anti-répressif. Donc, la logique voudrait que les fondamentaux de ce mouvement anti-répressif se soient retrouvés dans le mouvement abolitionniste passé (ce qui, me semble-t-il, est vrai) et que les éléments sociaux qui portaient ce mouvement abolitionniste étaient l’expression de la partie de la société la moins sûre de ses valeurs (ce qui, me semble-t-il, est faux).
         
        [Mais quand ont dit « qu’une civilisation se juge à tel ou tel critère », ce que cela veut dire c’est que s’il fallait en choisir un, ce serait celui-là.]
         
        Soit, mais est-ce bien intelligent de juger une civilisation à l’aune d’un seul critère ? Ce n’est pas parce qu’une formule est consacrée qu’elle est forcément intelligente. Au demeurant, l’auteur de ladite formule étant Dostoïevski, j’ai quelque doute sur le fait qu’il ait dit qu’il faille juger « notre République » à l’état de « nos prisons »…
         
        [Cela étant dit, vous trouverez sans difficulté des politiciens qui ont fait campagne sur la promesse de construire des prisons, je ne me souviens pas de beaucoup d’hommes politiques qui aient fait campagne sur la construction d’HLM ces dernières années.]
         
        A lire ce segment, j’en viens à me demander si votre hostilité croissante à l’égard d’une gauche qui vous sert de diable de confort vous aveugle ou si vous me prenez pour le dernier des idiots.
         
        Oui, on trouve des politiciens qui font campagne sur la promesse de construire des prisons : en 2022, Valérie Pécresse (LR) qui dit « Pour en finir avec l’impunité des délinquants, j’ouvrirai dès cet été des centres d’incarcération provisoires pour exécuter les peines de prisons le temps que les 20 000 places de prison que je propose soient construites » et Marine Le Pen (RN) qui souhaitait « Atteindre 85.000 places de prisons en 2027 ». J’ai quand même la vague impression que les politiciens qui réclament des places de prison supplémentaires ne sont pas ceux qui se préoccupent le plus de la dignité des prisonniers et qu’en tous cas ce ne sont clairement pas les moins répressifs…
         
        Et des politiciens qui font campagne sur les constructions de HLM…En regardant dans le programme de la FI, j’ai pu glaner les propositions suivantes : « Produire un million de logements réellement sociaux (PLAI et PLUS) au rythme de 200 000 par an », « Augmenter à 30 % le quota minimum de logements sociaux dans la totalité du parc pour les communes soumises à une forte tension locative », « Dans les opérations neuves, introduire une obligation de 30 % de logements sociaux adaptés à la demande et aux besoins et de 40 % en zones tendues » – ce qui me semble correspond bien à la demande de construction de nouveaux logements sociaux… D’après le site Manda, les (gros) candidats qui, en 2022, faisaient campagne pour la construction de logements sociaux étaient Hidalgo (150.000/an), Macron (85.000/an), Roussel (200.000/an), Mélenchon (200.000/an) et Le Pen (100.000/an). A l’inverse, Zemmour et Pécresse souhaitaient plafonner le nombre de logements sociaux. D’après l’Union sociale pour l’habitat, en 2024, la construction de 200.000 HLM faisait partie du programme du NFP, alors que Renaissance, LR et le RN n’avaient aucune disposition de ce type dans leur plateforme. Donc, pardon, mais, si vous ne vous en souvenez pas, il y a eu nombre de politiciens qui ont fait campagne pour la construction de HLM !
         
        [Pourquoi trouve-t-on plus d’étrangers, plus de classes populaires dans les prisons ?]
         
        Déjà, si on reprend votre explication classique, on voit qu’elle a des limites, comme vous le précisez : que les pauvres aient peu à perdre, cela est à prendre en compte dans le calcul coût-bénéfices avant le passage à l’acte mais ce n’est pas ce qui motive le passage à l’acte. Il me semble, schématiquement, que les classes populaires, et c’est d’autant plus vrai qu’on descend bas dans la hiérarchie interne de ces classes populaires, sont un milieu criminogène. En vrac, la disponibilité de canaux illégaux mais rentables pour se procurer des ressources (trafic, vol à la tire, cambriolages…) dans un cadre où l’accès aux ressources légales est plus contraint, les conditions de vie et de travail particulièrement difficiles qui favorisent un certain « relâchement » en-dehors du travail pour faire baisser la pression parfois avec consommation de substances illicites mais qui dans tous les cas crée un climat favorable à la commission d’infractions à la loi, la décomposition de certaines structures de contrôle social, les mécanismes sociaux propres au phénomène de bande typique chez les jeunes hommes des classes populaires et qui a tendance à s’incruster plus durablement du fait des évolutions du marché du travail, etc. Il y a là plusieurs éléments qui, non seulement, font augmenter les bénéfices potentiels et diminuer les coûts potentiels mais aussi crée un certain habitus dans au moins certaines fractions des classes populaires qui favorise la commission d’actes propres à nous faire emprisonner.
         
        S’y ajoutent d’autres éléments. Le contrôle au faciès (qui, soit dit en passant, peut tout à fait se justifier) fait que les classes populaires urbaines et ceux qui ont a priori un faciès d’étrangers extra-européens vont passer moins facilement entre les mailles du filet, y compris pour des délits mineurs, alors que les Blancs et les classes moyennes et supérieures auront plus de chances d’échapper à d’éventuels contrôles. Autre exemple, la répression de l’homosexualité masculine : on avait beau avoir aboli le délit de sodomie en 1789, la police réprimait quand même l’homosexualité au moins jusque dans les années 1960, notamment en montant des traquenards policiers dans les toilettes publiques…or, on se doute bien que, si quelques bourgeois allaient s’y encanailler, les homosexuels choppés pour outrage aux bonnes mœurs dans les toilettes publiques étaient en grande partie issus des classes populaires – d’où une répression accrue de ceux-ci par rapport aux homosexuels bourgeois. Et tout cela sans compter le fait qu’un tribunal peut juger plus durement celui qui n’a rien à perdre (et donc qui pourrait recommencer) que celui qui est promis à une « bonne carrière ».
         
        Je dirais donc que, non seulement, les classes populaires commettent plus de délits mais qu’en plus la répression est plus spécifiquement orientée à leur encontre et plus dure à leur égard.
         
        Je remarque que j’avais cité les hommes aussi, et qu’il s’agit certainement du plus flagrant. Moi, je serais curieux d’avoir votre avis là-dessus : pourquoi trouve-t-on énormément plus d’hommes que de femmes dans les prisons ?
         
        Enfin, peut-être est-ce ici le lieu pour le mentionner, mais, pour parler d’emprisonnement, encore faut-il savoir pourquoi les gens sont emprisonnés (et je pourrais chercher, si vous voulez, s’il existe des données croisant caractéristiques sociales et types de délit). En 2020, en France, d’après l’OIP, on aurait environ, en prison, 21% de personnes ayant commis des vols, 18% de personnes ayant commis des infractions à la législation contre les stupéfiants, 5% des atteintes à l’autorité de l’Etat, 7% des infractions routières, 16% des violences contre les personnes, 11% des viols et agressions sexuelles, 10% des homicides et quelques % résiduels (j’ai arrondi les chiffres à l’entier supérieur). Peut-être faudrait-il se pencher sur les causes de chacune de ces catégories de crimes et de délits ?
         
        [Ce que j’ai dit, c’est que les nations qui ont maintenu la peine de mort sont des nations où le consensus sur les valeurs est suffisamment fort pour que la légitimité des peines lourdes soit incontestable. La France de l’époque de Hugo était sûre de ses valeurs… et c’est pourquoi la peine de mort a été maintenue]
         
        Pardon mais vous dites-là deux choses différentes et déduisez abusivement votre seconde proposition de votre première.
         
        Dans votre première proposition, vous dites que pour qu’une nation maintienne la peine capitale, il faut que sa société reconnaisse sa propre légitimité à ôter la vie d’un de ses membres donc qu’elle soit animée d’un consensus fort sur ses propres valeurs. Donc vous dites qu’une société sûre de ses valeurs est une condition nécessaire à l’application de la peine de mort (ce qui, effectivement, me paraît plutôt juste).
         
        Dans votre seconde proposition, vous dites que parce que la France était sûre de ses valeurs alors on a maintenu la peine capitale. Donc vous êtes dans une logique très différente de votre première proposition : ici, la solidité des valeurs n’est plus une condition à l’applicabilité de la peine de mort mais sa cause directe. Vous niez ici le fait qu’une société puisse être sûre de ses valeurs et ne pas appliquer la peine de mort, sans le justifier. Car, la seule chose que vous avez justifié, c’est qu’une société qui n’est pas ou plus sûre de ses valeurs ne peut pas appliquer la peine de mort (sans que cela ne justifie pour autant la proposition inverse).
         
        [Oui, à un moment où la société était profondément divisée et l’état faible. Dès que l’Etat s’est renforcé, dès qu’il a pu reposer sur un véritable consensus, elle a été rétablie.]
         
        Cela reste à voir. Si je ne m’abuse, lors des révolutions française et russe, la peine de mort est abolie au moment de la prise de pouvoir de courants politiques qui étaient déjà critiques de la peine capitale avant leur prise de pouvoir. Or, on constate que Montagnards et Bolcheviks rétablissent la peine capitale non pas après avoir établi un véritable consensus mais, dans les deux cas, en pleine guerre civile, c’est-à-dire à un moment où la société atteint le pinacle de sa division et où l’Etat subit un ébranlement bien plus profond qu’au moment précis de la prise de pouvoir. Dans les deux cas, le rétablissement (nécessaire) de la peine capitale (si tant est qu’il s’agisse réellement d’une peine de mort au sens strict) est un pis-aller, une mesure destinée à parer à l’effondrement de l’Etat et à la division de la société – mais Montagnards et Bolcheviks expriment tous le souhait de retourner à son abolition après la guerre civile.
         
        [Mais à votre avis, pourquoi ces gens n’ont pas aboli la peine de mort ? Si Clemenceau était un opposant historique à la peine capital, pourquoi ne l’a-t-il pas abolie lorsqu’il était au pouvoir ?]
         
        En fait, ils ont essayé et ils y sont presque parvenus. En 1906, le Président de la République Armand Fallières et le ministre de l’Intérieur et président du Conseil des Ministres Georges Clemenceau, tous deux opposants à la peine de mort, gracient systématiquement tous les condamnés à mort. Bien sûr, cela provoque des remous mais qui restent, semble-t-il, assez limités jusqu’à l’affaire Soleilland (qui se produit dans un contexte où sévit la « bande Pollet », les « chauffeurs de la Drôme » et où les Apaches font parler d’eux). A partir de ce moment-là, les critiques contre Fallières se multiplient, y compris de la part de députés qui avaient voté les projets de loi abolitionnistes lors des années précédentes, et le Président de la République abandonne sa politique de grâce systématique en 1909. D’après l’historien de la police Jean-Marc Berlière, l’abolition de la peine de mort aurait pu être votée à cette époque (en juillet 1906, la Chambre des députés supprime purement et simplement du budget les crédits servant à rémunérer le bourreau et il se trouve à peine dix voix d’écart pour rétablir la ligne de crédit après que le ministre de la Justice, pourtant abolitionniste, ait déclaré que les députés se déshonoreraient à abolir la peine de mort en catimini plutôt que par une grande loi), mais l’affaire Soleilland « a pour conséquence de repousser de trois quarts de siècles l’abolition de la peine de mort » (une vaste campagne de presse dont le « référendum pour la peine de mort » du journal Le Petit Parisien se déchaîne contre Fallières et ses ministres, le projet du ministre de la Justice ne sera déposé qu’en 1908 au moment où nombre de députés abolitionnistes ont viré de bord). Il paraît très vraisemblable de penser qu’il a existé une fenêtre de tir, très étroite, par laquelle aurait pu passer l’abolition de la peine de mort : après tout, vous l’aviez rappelé vous-même, les Français étaient majoritairement hostiles à l’abolition de la peine de mort en 1981 et pourtant, cela s’est quand même fait ! La vraie question est : si les élections avaient eu lieu un an plus tôt, le rejet aurait-il été si massif ? Après tout, les électeurs avaient bien élu une assemblée majoritairement abolitionniste…
         
        D’autant que j’apprends qu’outre l’Italie en 1886, d’autres pays avaient abandonné la peine capitale en 1906 : les Pays-Bas dès 1870, la Belgique (si elle la maintient dans son Code) ne la pratique plus dès 1869. La question, à laquelle on doit répondre pour valider votre théorie, est de savoir si l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas de l’époque étaient des nations peu sûres de leurs valeurs ? Je ne connais pas bien les Pays-Bas mais, de ce que je sais de l’histoire belge et italienne, je n’ai pas vraiment l’impression qu’elles aient été moins sûres de leurs valeurs que ne l’était la France à l’époque.
         
        Je reviens également sur les nombreuses lois des républicains de 1880 visant à atténuer la dimension purement répressive du système répressif (création du sursis et de la libération conditionnelle, mise en œuvre de la norme de l’encellulement individuel, développement des associations de patronage des anciens détenus, linéaments de la justice des mineurs). Avec votre argumentation, on pourrait tout à fait les condamner (eux et les radicaux qui prennent leur place à partir de 1900) comme tenant d’un mouvement antirépressif (et d’ailleurs, c’est bien ce dont la droite les accusait à l’époque), d’autant que (contrairement à la peine de mort) ce ne sont pas des déclarations d’intention mais des lois réellement votées. Si votre théorie se tient, alors il faut dire que la France de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle n’était pas sûre de ses valeurs.
         
        De plus, j’aimerais bien savoir, dans votre théorie, ce qu’il en est des Etats-Unis et du Japon ? Sont-ce des pays qui sont tellement sûrs de leurs valeurs qu’ils peuvent se permettre d’appliquer encore la peine de mort ? Mais alors pourquoi l’approfondissement du capitalisme mondialisé déstabiliserait les valeurs européennes et non pas celles des Etats-Unis et du Japon, où la pénétration est peut-être encore plus forte qu’en Europe continentale ?
         
        [Encore une fois, j’aimeras comprendre quelle explication trouvez-vous au fait qu’il ait fallu attendre les années 1980 pour voir la peine de mort abolie.]
         
        Je ne sais pas pourquoi précisément dans les années 1980, mais je pense que cela s’inscrit dans un mouvement de « civilisation » à la Norbert Elias. L’histoire humaine a tendu a substituer à la violence d’autres méthodes de règlement des conflits (dans l’Athènes du Vème siècle, on a la peine de mort honteuse et on préfère pousser les condamnés à se suicider ou les bannir) et à éloigner progressivement le sang, la force brute et la mort de l’espace visible des sociétés, et ce dès avant le triomphe du capitalisme mondialisé. Il me semble que l’abolition de la peine de mort s’inscrit dans ce mouvement historique – et que le « mouvement antirépressif du capitalisme mondialisé » en ait accéléré l’avènement, ce n’est qu’un hasard de l’histoire car, après tout, d’autres pays avaient déjà aboli la peine capitale avant que le capitalisme mondialisé ne s’impose. J’aurais plutôt tendance à dire que les deux guerres mondiales et les guerres coloniales, par le processus de brutalisation des masses qu’elles ont provoqué, ont été des contre-tendances à la généralisation antérieure de l’abolition de la peine capitale.

        • Descartes dit :

          @ Goupil

          [« Comment expliquez-vous qu’il se soit manifesté à la fin des années 1960 un mouvement mondial de contestation de toutes formes de répression, mouvement qui a accompagné toute la révolution néolibérale ? » Déjà, avez-vous des sources concernant le caractère mondial de ce mouvement (ou, a minima, dans les pays développés) ? Car je ne connais pas suffisamment bien les pays étrangers pour me prononcer.]

          Pour le cas de l’Europe, il suffit de voir comment les pays adhérant à l’Union européenne ont du abandonner la peine de mort, que la plupart d’entre eux pratiquait, lorsqu’ils ont adhéré à l’Union. Si vous regardez les Etats Unis, vous verrez qu’il y a eu un fort mouvement d’abolition de la peine de mort qui a abouti dans beaucoup d’Etat (notamment dans le Nord). L’ensemble des puissances occidentales ont exercé une véritable pression sur leurs anciennes colonies pour l’abolition.

          Vous trouverez dans le site ci-dessous le tableau des pays abolitionnistes avec la date de l’abolition. Vous pourrez constater que dans la très grande majorité elle est postérieure à 1970. Vous pouvez aussi regarder sur le même site le tableau des pays qui maintiennent la peine de mort de jure mais l’ont abolie de facto, et vous constaterez le même alignement dans les dates…

          https://www.senat.fr/connaitre-le-senat/lhistoire-du-senat/dossiers-dhistoire/20e-anniversaire-de-labolition-de-la-peine-de-mort/pays-ou-la-peine-de-mort-est-abolie.html

          [Mais, en admettant a priori cette dimension mondiale et le fait qu’il s’agisse véritablement d’un mouvement « de contestation de toutes formes de répression » (ce qui me paraît…contestable),]

          Cela me paraît très difficile de contester, au contraire. Vous savez, dans les années 1950 un journaliste qui disait « merde » à la télé se faisait virer. Et pas seulement en France. Pensez-vous que ce soit le cas aujourd’hui ?

          [Au demeurant, ce n’était pas la question. Que ce que vous qualifiez de « mouvement anti-répression » ait trouvé dans le mouvement abolitionniste, qui lui est d’après moi préexistant et qui en est autonome, un outil efficace pour atteindre ses propres buts, c’est une chose qui mérite discussion mais qu’il paraît raisonnable de penser.]

          Ce n’est pas ce que j’ai dit. Le mécanisme que j’essaye d’expliquer est le mécanisme inverse : le mouvement abolitionniste, qui est très ancien, n’avait guère obtenu de résultats pratiques. C’est en montant sur le bateau du mouvement anti-répression qu’il a finalement réussi à réaliser son objectif.

          [Ce que je conteste, c’est le lien organique que vous faites entre les deux mouvements : à vous lire, l’abolition de la peine de mort ne serait qu’un doux rêve dans une société sûre de ces valeurs et en-dehors d’un tel mouvement anti-répressif.]

          Pardon, mais cela est un FAIT. Cela fait des siècles qu’on théorise l’abolition de la peine de mort. Beccaria en parle, et on trouve à sa suite toutes sortes d’humanistes, y compris certains qui ont tenu le haut du pavé politiquement, comme Victor Hugo. Et pourtant, aucun n’a réussi à avancer sur ce point. Avant les années 1970, les expériences abolitionnistes sont rares, et surtout, éphémères. Pourquoi, à votre avis ? Qu’est ce qui a changé dans les années 1970, et qui a rendu possible ce qui était impossible avant ?
          [Donc, la logique voudrait que les fondamentaux de ce mouvement anti-répressif se soient retrouvés dans le mouvement abolitionniste passé (ce qui, me semble-t-il, est vrai) et que les éléments sociaux qui portaient ce mouvement abolitionniste étaient l’expression de la partie de la société la moins sûre de ses valeurs (ce qui, me semble-t-il, est faux).]

          Encore une fois, ce n’est pas ce que j’ai dit. Je n’ai pas dû être clair. Je n’ai jamais dit que que les abolitionnistes fussent « l’expression de la partie de la société la moins sûre de ses valeurs ». Ce que j’ai dit, c’est que les sociétés qui se considèrent autorisées à punir sévèrement, y compris en ôtant la vie, sont des sociétés « sûres de leurs valeurs » (autrement dit, dans lesquelles il existe un consensus fort sur les valeurs). Mais c’est là une considération qui s’applique à L’ENSEMBLE de la société, et non pas à tel ou tel groupe. Chaque groupe est totalement convaincu par SES valeurs. Mais lorsque ces valeurs ne sont pas partagées, lorsque la société ne s’accorde pas sur un ensemble de valeurs communes, personne n’a très envie qu’on punisse sévèrement celui qui s’en écarterait.

          Nous sommes une société qui est très incertaine sur ces valeurs. La ligne entre ce qui est permis et ce qui est interdit n’a jamais été aussi ténue. Est-on d’accord sur le fait qu’il faut condamner le vol ? Si c’est le cas, pourquoi les passagers dans les transports en commun prennent fait et cause pour le resquilleur contre le contrôleur ? Le cannabis est interdit mais tout le monde ou presque en a fumé, et trouve injuste de punir le consommateur. La GPA est interdite, mais on accepte d’inscrire les enfants issus de la GPA faite à l’étranger. On a des lois qui répriment l’immigration illégale, mais quand il s’agit d’expulser un immigré ses camarades de classe, ses collègues, et une bonne partie de la bienpensance s’insurgent. Et pourtant personne n’assume de vouloir ouvrir les frontières.

          [« Mais quand ont dit « qu’une civilisation se juge à tel ou tel critère », ce que cela veut dire c’est que s’il fallait en choisir un, ce serait celui-là. » Soit, mais est-ce bien intelligent de juger une civilisation à l’aune d’un seul critère ?]

          Non, et personne ne fait ça. C’est une formule littéraire.

          [Ce n’est pas parce qu’une formule est consacrée qu’elle est forcément intelligente. Au demeurant, l’auteur de ladite formule étant Dostoïevski, j’ai quelque doute sur le fait qu’il ait dit qu’il faille juger « notre République » à l’état de « nos prisons »…]

          Je l’ai citée parce qu’elle a été utilisée par Taubira lors de l’émission de radio visée…

          [« Cela étant dit, vous trouverez sans difficulté des politiciens qui ont fait campagne sur la promesse de construire des prisons, je ne me souviens pas de beaucoup d’hommes politiques qui aient fait campagne sur la construction d’HLM ces dernières années. » A lire ce segment, j’en viens à me demander si votre hostilité croissante à l’égard d’une gauche qui vous sert de diable de confort vous aveugle ou si vous me prenez pour le dernier des idiots.]

          Je vous accorde, à la lecture de vos éléments, que mon commentaire était excessif et aurait du être beaucoup plus nuancé.

          [Déjà, si on reprend votre explication classique, on voit qu’elle a des limites, comme vous le précisez : que les pauvres aient peu à perdre, cela est à prendre en compte dans le calcul coût-bénéfices avant le passage à l’acte mais ce n’est pas ce qui motive le passage à l’acte.]

          Ce qui motive le passage à l’acte, c’est en général l’appât du gain, qui est un motif universel. Et croyez bien qu’avant de braquer une banque ou de voler une voiture, les délinquants font un calcul « coût/avantage »…

          [Il me semble, schématiquement, que les classes populaires, et c’est d’autant plus vrai qu’on descend bas dans la hiérarchie interne de ces classes populaires, sont un milieu criminogène. En vrac, la disponibilité de canaux illégaux mais rentables pour se procurer des ressources (trafic, vol à la tire, cambriolages…) dans un cadre où l’accès aux ressources légales est plus contraint, les conditions de vie et de travail particulièrement difficiles qui favorisent un certain « relâchement » en-dehors du travail pour faire baisser la pression parfois avec consommation de substances illicites mais qui dans tous les cas crée un climat favorable à la commission d’infractions à la loi,]

          J’avoue que j’ai du mal à vous suivre. En quoi les « canaux illégaux mais rentables » seraient plus accessibles à l’ouvrier couvreur qu’au professeur des écoles – et dieu sait si les salaires de l’un et de l’autre sont proches ? Quant à la question de la « pression », je vois mal pourquoi elle serait moins forte pour le professeur de collège dans un quartier difficile ou le cadre supérieur – ce sont eux qui le plus souvent partent en burnout.

          [la décomposition de certaines structures de contrôle social,]

          Pensez-vous que les « structures de contrôle social » soient plus solides dans les classes intermédiaires ?

          [les mécanismes sociaux propres au phénomène de bande typique chez les jeunes hommes des classes populaires et qui a tendance à s’incruster plus durablement du fait des évolutions du marché du travail, etc.]

          Mais pourquoi les « phénomènes de bande » seraient-ils plus forts dans les couches populaires ?

          [Il y a là plusieurs éléments qui, non seulement, font augmenter les bénéfices potentiels et diminuer les coûts potentiels mais aussi crée un certain habitus dans au moins certaines fractions des classes populaires qui favorise la commission d’actes propres à nous faire emprisonner.]

          Je pense surtout qu’il y a un vieux principe : plus on est bête, et plus on se fait prendre…

          [S’y ajoutent d’autres éléments. Le contrôle au faciès (qui, soit dit en passant, peut tout à fait se justifier) fait que les classes populaires urbaines et ceux qui ont a priori un faciès d’étrangers extra-européens vont passer moins facilement entre les mailles du filet, y compris pour des délits mineurs, alors que les Blancs et les classes moyennes et supérieures auront plus de chances d’échapper à d’éventuels contrôles.]

          Exact. Mais le « contrôle au faciès » produit rarement des arrestations pour des délits qui peuvent vous conduire en prison. Cela pourrait expliquer une surréprésentation de certaines catégories dans les amendes ou les passages au tribunal, mais difficilement en prison.

          [Autre exemple, la répression de l’homosexualité masculine : on avait beau avoir aboli le délit de sodomie en 1789, la police réprimait quand même l’homosexualité au moins jusque dans les années 1960, notamment en montant des traquenards policiers dans les toilettes publiques…]

          Vous voulez dire que si l’on surprenait des gens ayant des rapports hétérosexuels dans les toilettes publiques, la police n’en faisait rien ?

          [or, on se doute bien que, si quelques bourgeois allaient s’y encanailler, les homosexuels choppés pour outrage aux bonnes mœurs dans les toilettes publiques étaient en grande partie issus des classes populaires – d’où une répression accrue de ceux-ci par rapport aux homosexuels bourgeois.]

          Là je ne vous comprends pas. Pourquoi les bourgeois pouvaient coucher chez eux et pas les prolétaires ?

          [Je dirais donc que, non seulement, les classes populaires commettent plus de délits mais qu’en plus la répression est plus spécifiquement orientée à leur encontre et plus dure à leur égard.]

          Je ne vois pas en quoi elle serait « spécifiquement orientée ». Pourriez-vous développer ?

          [Je remarque que j’avais cité les hommes aussi, et qu’il s’agit certainement du plus flagrant. Moi, je serais curieux d’avoir votre avis là-dessus : pourquoi trouve-t-on énormément plus d’hommes que de femmes dans les prisons ?]

          Parce que le contrôle social sur les femmes est plus fort, parce qu’elles bénéficient d’une protection sociale bien plus forte, parce que le coût social du passage en prison est plus important – notamment la séparation des enfants – et, last but not least, parce que la justice est généralement bien plus douce.

          [Enfin, peut-être est-ce ici le lieu pour le mentionner, mais, pour parler d’emprisonnement, encore faut-il savoir pourquoi les gens sont emprisonnés (et je pourrais chercher, si vous voulez, s’il existe des données croisant caractéristiques sociales et types de délit). En 2020, en France, d’après l’OIP, on aurait environ, en prison, 21% de personnes ayant commis des vols, 18% de personnes ayant commis des infractions à la législation contre les stupéfiants, 5% des atteintes à l’autorité de l’Etat, 7% des infractions routières, 16% des violences contre les personnes, 11% des viols et agressions sexuelles, 10% des homicides et quelques % résiduels (j’ai arrondi les chiffres à l’entier supérieur). Peut-être faudrait-il se pencher sur les causes de chacune de ces catégories de crimes et de délits ?]

          Certainement. Je suis d’accord qu’on ne peut traiter les délits financiers de la même manière que les abus sexuels, parce que les moteurs de ces infractions sont différents.

          [Pardon mais vous dites-là deux choses différentes et déduisez abusivement votre seconde proposition de votre première.]

          Je vous l’accorde. Mon raisonnement était un peu abusif. Mais en fait je ne cherche pas à DEMONTRER que les sociétés qui entretiennent un consensus fort sur les valeurs ont maintenu une législation pénale sévère (y compris avec la peine de mort). Je me contente de CONSTATER qu’il est ainsi en pratique. J’ai expliqué pourquoi c’était une condition nécessaire mais, et vous avez raison, je n’ai pas montré que ce soit une condition nécessaire, et je ne sais pas pourquoi c’est le cas. Mais le fait empirique reste.

          [Cela reste à voir. Si je ne m’abuse, lors des révolutions française et russe, la peine de mort est abolie au moment de la prise de pouvoir de courants politiques qui étaient déjà critiques de la peine capitale avant leur prise de pouvoir. Or, on constate que Montagnards et Bolcheviks rétablissent la peine capitale non pas après avoir établi un véritable consensus mais, dans les deux cas, en pleine guerre civile, c’est-à-dire à un moment où la société atteint le pinacle de sa division et où l’Etat subit un ébranlement bien plus profond qu’au moment précis de la prise de pouvoir. Dans les deux cas, le rétablissement (nécessaire) de la peine capitale (si tant est qu’il s’agisse réellement d’une peine de mort au sens strict) est un pis-aller, une mesure destinée à parer à l’effondrement de l’Etat et à la division de la société – mais Montagnards et Bolcheviks expriment tous le souhait de retourner à son abolition après la guerre civile.]

          Oui, mais personne n’y est revenu. Je ne pense pas qu’on puisse parler d’une « peine » lorsqu’il s’agit de la peine de mort appliquée pour motif politique. La formule de Robespierre appelant à l’exécution de Louis XVI me paraît bien résumer la question : « vous n’avez pas une décision de justice à rendre, mais une mesure de salut public à prendre ». Lors des révolutions, la peine de mort ne poursuit pas des objectifs de politique pénale, mais, comme vous le dites, parer à l’effondrement de la société dans le cadre d’une guerre civile. Mais le fait est qu’une fois l’ordre rétabli, alors qu’il s’agissait de faire une véritable politique pénale, ni les jacobins – dont Napoléon était l’héritier – ni les bolchéviques n’ont supprimé la peine de mort.

          [« Mais à votre avis, pourquoi ces gens n’ont pas aboli la peine de mort ? Si Clemenceau était un opposant historique à la peine capital, pourquoi ne l’a-t-il pas abolie lorsqu’il était au pouvoir ? » En fait, ils ont essayé et ils y sont presque parvenus. (…)]

          Mais ils ont échoué. Et le fait que toutes les tentatives aient échoué laisse penser que le « presque » était relativement large.

          [Il paraît très vraisemblable de penser qu’il a existé une fenêtre de tir, très étroite, par laquelle aurait pu passer l’abolition de la peine de mort : après tout, vous l’aviez rappelé vous-même, les Français étaient majoritairement hostiles à l’abolition de la peine de mort en 1981 et pourtant, cela s’est quand même fait !]

          Je ne sais pas si les Français étaient hostiles ou pas. Tout ce qu’on sait, c’est que les gens se manifestaient contre dans les sondages, mais ils ont voté majoritairement pour des candidats qui avaient inscrit l’abolition de la peine de mort dans leur programme et qui comptaient parmi leurs dirigeants suffisamment d’abolitionnistes pour que la promesse soit crédible. A l’époque de Fallières, l’opinion était nettement plus hostile, et la preuve en est que beaucoup de députes abolitionnistes ont tourné leur veste devant la pression de l’opinion. Peut-être avait-il une fenêtre de tir étroite pour l’abolir, mais elle était tellement étroite qu’un rétablissement n’était pas impossible. En 1981, l’abolition était acceptée comme définitive, et aucune force politique ne proposait sérieusement son rétablissement.

          [D’autant que j’apprends qu’outre l’Italie en 1886, d’autres pays avaient abandonné la peine capitale en 1906 : les Pays-Bas dès 1870, la Belgique (si elle la maintient dans son Code) ne la pratique plus dès 1869.]

          Je suis surpris. Si je crois le tableau dressé par le Sénat (dont je vous ai donné la référence) les Pays-Bas abolissent la peine de mort en 1982, l’Italie en 1994. Il faut croire qu’elle avait été rétablie à un moment où un autre… et que l’abolition ne fut qu’une « fenêtre étroite »…

          [Je reviens également sur les nombreuses lois des républicains de 1880 visant à atténuer la dimension purement répressive du système répressif (création du sursis et de la libération conditionnelle, mise en œuvre de la norme de l’encellulement individuel, développement des associations de patronage des anciens détenus, linéaments de la justice des mineurs).]

          Pardon, mais il ne faut pas confondre : le fait de s’occuper des détenus après qu’ils ont payé leur dette n’est en rien une « atténuation de la dimension répressive ». Quant au sursis et la libération conditionnelle, je ne pense pas qu’il permet une répression plus intelligente, mais pas nécessairement « attenuée ». L’effet du sursis et de la libération conditionnelle est ambigu : il permet aux juridictions de prononcer des peines plus importantes en prévoyant ce type de modulation.

          [Avec votre argumentation, on pourrait tout à fait les condamner (eux et les radicaux qui prennent leur place à partir de 1900) comme tenant d’un mouvement antirépressif (et d’ailleurs, c’est bien ce dont la droite les accusait à l’époque), d’autant que (contrairement à la peine de mort) ce ne sont pas des déclarations d’intention mais des lois réellement votées. Si votre théorie se tient, alors il faut dire que la France de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle n’était pas sûre de ses valeurs.]

          Là, c’est vous qui faites le raisonnement que vous critiquez. Nous sommes d’accord qu’il s’agit d’une condition nécessaire, et non suffisante…

          [De plus, j’aimerais bien savoir, dans votre théorie, ce qu’il en est des Etats-Unis et du Japon ? Sont-ce des pays qui sont tellement sûrs de leurs valeurs qu’ils peuvent se permettre d’appliquer encore la peine de mort ? Mais alors pourquoi l’approfondissement du capitalisme mondialisé déstabiliserait les valeurs européennes et non pas celles des Etats-Unis et du Japon, où la pénétration est peut-être encore plus forte qu’en Europe continentale ?]

          Mais… la peine de mort a considérablement reculé aux Etats-Unis dans les années 1970. On ne peut pas prendre les Etats-Unis, pays fédéral dont le système pénal dépend en grande partie des états fédérés, pour une unité. Beaucoup d’Etats abolissent la peine de mort dans le dernier quart du XXème siècle, ou cessent de l’appliquer effectivement. Et on peut dire que ceux qui les maintiennent sont bien ceux où les consensus idéologiques – notamment religieux – sont les plus forts.

          [Je ne sais pas pourquoi précisément dans les années 1980, mais je pense que cela s’inscrit dans un mouvement de « civilisation » à la Norbert Elias. L’histoire humaine a tendu a substituer à la violence d’autres méthodes de règlement des conflits (dans l’Athènes du Vème siècle, on a la peine de mort honteuse et on préfère pousser les condamnés à se suicider ou les bannir) et à éloigner progressivement le sang, la force brute et la mort de l’espace visible des sociétés, et ce dès avant le triomphe du capitalisme mondialisé.]

          Cet argument ne me convainc pas parce qu’il y a un problème de chronologie. Si l’abolition avait eu lieu dans les années 1940 et 50, ce serait cohérent, puisqu’après la guerre il y avait une réelle répugnance pour la violence et une véritable conscience de laisser derrière les horreurs commises pendant les hostilités. Mais l’abolition ne devient possible que dans les années 1970-80, à un moment où l’on assiste à un retour de la violence, notamment en politique…

  7. Capitaine Felix dit :

    Bonjour.
    Le mauvais état (et la mauvaise gestion) du parc immobilier de l’administration pénitentiaire française est une constante depuis le principe de l’encellulement individuel (depuis 1875 ?). A titre personnel, je ne vois pas trop le rapport entre l’individualisme dans nos sociétés contemporaines et le débat sur les conditions de vie carcérales.
    Vos paragraphes sur la peine de mort me laissent sceptique. Vous pensez donc que le  rétablissement de la peine de mort va inciter nos concitoyens à plus de civisme et de participation lors des consultations électorales ?
    Quand à l’individualisme, cela reste un mouvement fort complexe (je suis en train de lire François de Singly). L’assujettissement des individus à des institutions comme remède miracle aux maux contemporaines, ne me convint pas. Oups, je suis né en 1983, et je n’ai pas fait mon service militaire…
    Bonne continuation

    • Descartes dit :

      @ Capitaine Félix

      [Le mauvais état (et la mauvaise gestion) du parc immobilier de l’administration pénitentiaire française est une constante depuis le principe de l’encellulement individuel (depuis 1875 ?).]

      Pourquoi parlez-vous de « mauvaise gestion » ? Cela supposerait que l’administration pénitentiaire a beaucoup de moyens qu’elle dilapide. Ce n’est pas le cas, l’administration pénitentiaire n’a jamais été une administration riche. Et c’est normal : la société admet difficilement qu’on consacre des moyens au bien-être des gens qui ont violé la loi alors que tant de gens qui la respectent vivent dans des conditions difficiles. C’est le « paradoxe de Badinter »…

      [A titre personnel, je ne vois pas trop le rapport entre l’individualisme dans nos sociétés contemporaines et le débat sur les conditions de vie carcérales.]

      Ce n’était pas là mon point. Je faisais référence à la manière dont la gauche a porté au pinacle la figure du « taulard » en faisant une victime de la société. Cette opération idéologique a beaucoup à voir avec l’individualisme, parce que le taulard apparaît dans cette logique comme un individu rebelle victime de la société. Mais je n’ai jamais dit que cela se soit traduit par une amélioration des conditions de vie carcérales. Comme beaucoup d’autres discours des années 1970, celui-ci est resté au niveau du discours.

      [Vos paragraphes sur la peine de mort me laissent sceptique. Vous pensez donc que le rétablissement de la peine de mort va inciter nos concitoyens à plus de civisme et de participation lors des consultations électorales ?]

      Certainement pas, et je n’ai jamais dit pareille chose. Ce que j’ai dit, c’est que les avancées des « abolitionnistes » dans les années 1980 sont l’un des symptômes d’une vaste transformation du capitalisme vers une logique d’abaissement des institutions face à l’individu-roi. Mais ce n’est pas en soignant le symptôme qu’on changera quelque chose à ce mouvement structurel.

      [Quant à l’individualisme, cela reste un mouvement fort complexe (je suis en train de lire François de Singly). L’assujettissement des individus à des institutions comme remède miracle aux maux contemporaines, ne me convint pas.]

      Ca dépend de quels « maux » vous voulez parler. Quand l’école était une institution forte, on ne poignardait pas les enseignants. Est-ce que l’école fonctionne mieux avec des élèves qui ne sont plus « assujetis » à l’institution ?

      [Oups, je suis né en 1983, et je n’ai pas fait mon service militaire…]

      Et s’il n’y avait que ça… pensez au temps ou le bac était un vrai examen… Mais il n’y a pas que ça. Des institutions, il y en avait partout. Un ami qui habite à la cité des 4000 à La Courneuve me racontait que lorsque la cité avait été construite et les premiers habitants se sont installés, les pelouses étaient entretenues et il était interdit de marcher dessus. Les enfants qui violaient l’interdiction se voyaient infliger une amende de 5 francs par le concierge… avec la pleine approbation des parents. Vous imaginez un concierge de grand ensemble faire la même chose aujourd’hui ?

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        [les pelouses étaient entretenues et il était interdit de marcher dessus. Les enfants qui violaient l’interdiction se voyaient infliger une amende de 5 francs par le concierge… avec la pleine approbation des parents.]
         
        L’image a de quoi faire sourire aujourd’hui. ça nous ramène au temps de Pagnol.
        J’ai fait une ballade en ville cet après-midi, ville moyenne sans “vraie” délinquance, si ce n’est la drogue. Passant non loin de la cité HLM connue pour être l’épicentre du trafic, ce n’est pas des enfants marcher sur la pelouse que j’ai vus, mais un “jeune” noir faisant le tour d’un rond-point à répétition, sans casque (j’approuve dans ce cas de figure), roue arrière sur sa moto-cross. Il était 17h.

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [L’image a de quoi faire sourire aujourd’hui. ça nous ramène au temps de Pagnol.]

          Pas vraiment. Pagnol parle des années 1920, moi je vous parle des années 1960…

          Mais quelle serait la réaction des jeunes – et des parents – si quelqu’un s’avisait à faire la même chose ? Ce seraient les cris d’orfraie: “comment ? de quel droit ce monsieur impose une amende ? comment ose-t-il réprimer les jeunes ?”

          [J’ai fait une ballade en ville cet après-midi, ville moyenne sans “vraie” délinquance, si ce n’est la drogue. Passant non loin de la cité HLM connue pour être l’épicentre du trafic, ce n’est pas des enfants marcher sur la pelouse que j’ai vus, mais un “jeune” noir faisant le tour d’un rond-point à répétition, sans casque (j’approuve dans ce cas de figure), roue arrière sur sa moto-cross. Il était 17h.]

          Vous avez tort d’approuver le “sans casque”. S’il a un accident, et qu’il reste handicapé à vie, c’est la sécurité sociale qui payera… Mais plus sérieusement, voilà un exemple qui illustre parfaitement mon propos. Ici, un individu fait quelque chose d’interdit parce que dangereux pour lui et pour les autres. La rationalité de l’interdiction n’est pas en cause. Et pourtant, il n’y a personne pour réprimer: ni la police, parce qu’elle n’a pas envie de se retrouver avec une émeute sur les bras si la chose se passait mal, ni les parents, qui ont baissé les bras, ni les passants, parce qu’ils ne se sentent pas soutenus par l’opinion publique.

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [Et pourtant, il n’y a personne pour réprimer: ni la police, parce qu’elle n’a pas envie de se retrouver avec une émeute sur les bras si la chose se passait mal, ni les parents, qui ont baissé les bras, ni les passants, parce qu’ils ne se sentent pas soutenus par l’opinion publique.]
             
            Tout à fait. L’inaction des passants (dont la mienne, j’étais en voiture et j’ai poursuivi mon chemin), je crois qu’elle est compréhensible. Il faudrait être maso pour aller lui dire d’arrêter. Surtout vu le quartier où ça se passait…

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Et pourtant, il n’y a personne pour réprimer: ni la police, parce qu’elle n’a pas envie de se retrouver avec une émeute sur les bras si la chose se passait mal, ni les parents, qui ont baissé les bras, ni les passants, parce qu’ils ne se sentent pas soutenus par l’opinion publique. » Tout à fait. L’inaction des passants (dont la mienne, j’étais en voiture et j’ai poursuivi mon chemin), je crois qu’elle est compréhensible. Il faudrait être maso pour aller lui dire d’arrêter. Surtout vu le quartier où ça se passait…]

              Ce n’est pas le quartier qui pose problème, c’est le contexte. Quand le concierge de la cité des 4000 imposait des amendes aux enfants qui marchaient sur les pelouses, c’était d’une part parce qu’il se sentait investi d’une responsabilité sociale – celle de préserver le cadre de vie – et d’autre part parce que cette responsabilité était soutenue par un consensus général des habitants en général et des parents en particulier. Si un enfant s’était avisé de porter la main sur le concierge, celui-ci pouvait être assuré du soutien de l’ensemble de la société.

              C’est ce consensus qui a aujourd’hui disparu. Il n’y a qu’à voir la réaction des parents lorsque leur enfant est sanctionné à l’école… et je ne parle pas seulement de ceux qui vont frapper l’enseignant. Combien, à la maison, soutiennent l’enseignant devant leur progéniture ?

  8. xc dit :

    Je ne suis pas très “calé” en philosophie, mais le hasard de mes lectures m’a fait trouver un argumentaire de Condorcet contre la peine de mort.
    https://www.mezetulle.fr/robert-badinter-au-pantheon/
    Ais-je mal compris ? Je suis tout de même gêné à l’idée de condamner, fut-ce à une peine minime, sans preuve, sur la base d’une simple probabilité.

    • Descartes dit :

      @ xc

      [Ais-je mal compris ? Je suis tout de même gêné à l’idée de condamner, fut-ce à une peine minime, sans preuve, sur la base d’une simple probabilité.]

      Non, vous avez très bien compris, et l’argument de Condorcet reste très valable : plus une décision porte une atteinte importante à celui qui en est victime, et plus la procédure qui l’accompagne doit apporter des garanties contre l’erreur et l’injustice. Et la peine de mort étant une peine « absolue », il faut que la procédure apporte des garanties « absolues », ce qui est bien entendu impossible.

      Le problème de ce raisonnement, c’est que sa généralisation conduit à une contradiction. Prenons le cas d’un assassin condamné à une peine de prison : le libérer entraine bien entendu le risque qu’il tue encore. Etant donné que le dommage dont souffrirait la victime est « absolu », on ne pourrait libérer le prisonnier qu’en ayant la garantie « absolue » qu’il ne récidiverait pas. Or, cette garantie est tout aussi impossible à obtenir. En d’autres termes, pourquoi ne peut-on pas prendre le risque d’exécuter un innocent, mais on peut prendre celui de voir un innocent assassiné ? Moralité : si on applique le raisonnement de Condorcet, toute peine pour meurtre doit être perpétuelle…

      Personnellement, je n’adhère pas à la vision absolutiste de Condorcet. Vivre, c’est gérer des risques. Maintenir la peine de mort, c’est prendre le risque d’être exécuté pour un crime qu’on n’a pas commis. Libérer un condamné, c’est prendre le risque qu’il récidive. Sortir dans la rue, c’est prendre le risque de se faire agresser. Prendre sa voiture, c’est prendre le risque d’un accident. La question est comment on gère les risques. Si le fait qu’on ne peut pas réduire le risque à zéro est un argument pour ne pas faire, on est mal barrés.

      Je ne suis en fait ni un adversaire, ni un partisan de la peine de mort. Je pense qu’il faut l’évaluer : est-elle efficace ? Les résultats qu’elle procure justifient-ils les risques ? J’aurais d’ailleurs tendance à vouloir la rétablir, mais pas pour les pédophiles ou les violeurs. Je ne pense pas que dans ces cas elle soit dissuasive. Par contre, je pense que la mettre en œuvre pour fraude fiscale aurait un effet très salutaire…

      • Lhaa Francis dit :

             Ca se faisait en Union Soviétique du temps de Staline.

        • Descartes dit :

          @ Lhaa Francis

          [Ca se faisait en Union Soviétique du temps de Staline.]

          En effet. Mais malheureusement on faisait beaucoup d’autres choses en matière de peine de mort du temps de Staline, ce qui rend la référence peu attractive…

      • Claustaire dit :

        La même humaniste logique qui refuse la peine de mort devrait entraîner aussi à refuser la peine effective de prison à vie, qui n’est plus une vie mais juste processus organique déshumanisé répété mécaniquement en milieu confiné.
         
        Par ailleurs, pour un pays qui a de plus en plus de mal à boucler ses budgets, comment justifier la dépense de millions à garder en prison à vie ce qui n’est plus une vie d’humain mais une réduction inhumaine à un processus biologique  ?
         
        Si l’on veut refuser le risque de peine de mort pour l’innocent tué par un meurtrier récidiviste (libéré ou évadé), il faudrait bien, préventivement, exécuter le meurtrier avant qu’il ne recommence. Bref, ce serait au nom de la suppression de la peine de mort (pour un potentiel innocent tué par un potentiel récidiviste) qu’il faudrait la maintenir et l’appliquer pour quiconque aurait déjà assassiné. A moins de maintenir en prison, réellement et jusqu’au bout, le potentiel récidiviste. Ce qui fait quand même beaucoup de dépenses inutiles pour juste maintenir en vie un processus biologique qui ne peut plus servir à personne (à moins d’avoir maintenu ou d’établir pour tout condamné à vie la pratique de travaux forcés utiles à la société).
         
        Rappelons cependant  le grand nombre de suicides (c-à-d de peines de mort auto-appliquées) entraînés par la prison et ses conditions d’enfermement (presque 13 pour dix-mille, c-à-d sept fois plus que pour des gens non enfermés).
         
        Bref, même si d’un point du vue humaniste il n’est “pas bien” d’assassiner des assassins, même si la peine de mort n’a aucune vertu préventive, elle pourrait avoir d’excellentes justifications économiques (à moins de noter qu’elle supprimerait beaucoup d’emplois de gardiens de prison, auxquels il faudrait trouver d’autres emplois pour les préserver du chômage 🙂

        • Descartes dit :

          @ Claustaire

          [La même humaniste logique qui refuse la peine de mort devrait entraîner aussi à refuser la peine effective de prison à vie, qui n’est plus une vie mais juste processus organique déshumanisé répété mécaniquement en milieu confiné.]

          Et de proche en proche, l’ensemble des peines de prison. Parce que priver quelqu’un de vingt ans de sa vie, est-ce humain ? Je crains que la « logique humaniste » ne soit d’aucun secours ici. On ne crée pas les peines en fonction d’une logique « humaniste », mais d’une logique « utilitariste ». Il s’agit de permettre à la société de fonctionner d’une manière ordonnée, ce qui suppose qu’on récompense ceux qui suivent les règles et qu’on punisse ceux qui les violent. Le choix des peines, à mon avis, est une question d’efficacité pure.

  9. Bob dit :

    @ Descartes
     
    [J’aurais d’ailleurs tendance à vouloir la rétablir.
    Je ne suis en fait ni un adversaire, ni un partisan de la peine de mort.]
     
    Imaginons un referendum sur le sujet de son abolition (qui bien sûr n’aura pas lieu), il faudra choisir.
    Pouvons-nous connaitre votre vote ?

    • Descartes dit :

      @ Bob

      [Imaginons un referendum sur le sujet de son abolition (qui bien sûr n’aura pas lieu), il faudra choisir.
      Pouvons-nous connaitre votre vote ?]

      Il faudrait me préciser pour quel crime. S’il s’agissait de la rétablir pour fraude fiscale, ou bien pour trafic de stupéfiants, je pense que je voterais “oui”. D’une façon générale, je ne suis pas contre la peine de mort si elle doit s’appliquer à des gens qui ont commis leur crime avec préméditation, dans toute possession de leurs moyens intellectuels et qui ont beaucoup à perdre. Pour ce type de crimes, elle devrait être véritablement dissuasive.

      Par contre, s’il s’agit de la rétablir pour les violeurs ou les tueurs d’enfants, c’est non. Ce genre de crime est souvent commis sous l’empire d’une impulsion irrépressible, et l’effet dissuasif est faible.

      • P2R dit :

        @ Descartes
         

        Il faudrait me préciser pour quel crime. S’il s’agissait de la rétablir pour fraude fiscale, ou bien pour trafic de stupéfiants, je pense que je voterais “oui”.

         
        Si je peux me permettre, je pense que vous laissez transparaitre ici une volonté de vengeance plutôt que de dissuasion. Parce qu’il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à la peine de mort pour dissuader la fraude fiscale: punissez le fraudeur de 20 ans de taule en Guyane assortie de la saisie de l’ensemble de ses biens et d’une interdiction de reparaitre sur le territoire et l’effet dissuasif sera le même. A vrai dire, je suis même persuadé que si le fraudeur risquait réellement ne serait-ce que 5 ans de cabane ferme sans aménagement de peine, la saisie de son patrimoine et l’obligation de pointer à Pôle emploi ad vitam eternam à la sortie, avec la menace de retourner en cabane au bout de 3 emplois refusés, il y aurait déjà pénurie de candidats.

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [« Il faudrait me préciser pour quel crime. S’il s’agissait de la rétablir pour fraude fiscale, ou bien pour trafic de stupéfiants, je pense que je voterais “oui”. » Si je peux me permettre, je pense que vous laissez transparaitre ici une volonté de vengeance plutôt que de dissuasion.]

          Si je voulais la vengeance, je proposerais au contraire la perpétuité sans possibilité de libération. La peine de mort, finalement, ce n’est qu’un mauvais moment à passer.

          [Parce qu’il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à la peine de mort pour dissuader la fraude fiscale: punissez le fraudeur de 20 ans de taule en Guyane assortie de la saisie de l’ensemble de ses biens et d’une interdiction de reparaitre sur le territoire et l’effet dissuasif sera le même.]

          Ne croyez pas ça. Pensez aux têtes de réseau de trafic de drogue. Ils encourent des peines de prison considérables, et cela ne les empêche pas de continuer.

          • P2R dit :

            @ Descartes
             
            [Ne croyez pas ça. Pensez aux têtes de réseau de trafic de drogue. Ils encourent des peines de prison considérables, et cela ne les empêche pas de continuer.]
             
            D’abord, encourir une peine ou avoir la certitude qu’elle sera appliquée, ça vous change un monde. Ensuite, je ne suis pas sûr que pour quelqu’un dont l’ensemble des activités tombent sous le coup de la loi, la peine de mort soit plus dissuasive que la perpétuité. Tertio, on ne peut pas comparer la force de dissuasion d’une peine contre un trafiquant (dont toute l’activité est illégale) et contre un fraudeur au Fisc, pour la simple raison que ce dernier a beaucoup plus à perdre. Si B.Arnault renonçait à la fraude fiscale, son train de vie ne serait que marginalement impacté. Alors que pour le trafiquant, c’est une autre mayonnaise. C’est pourquoi les peines pour fraude n’ont pas à être aussi sévères pour être dissuasives. Comme je vous disais, contraignez le fraudeur au fisc à pointer à vie à Pole emploi et à prendre les boulots qu’on lui propose, et je vous parie que l’effet dissuasif sera maximum. Vous n’êtes pas d’accord ?
             

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [D’abord, encourir une peine ou avoir la certitude qu’elle sera appliquée, ça vous change un monde.]

              Oui, enfin, cela est vrai pour toute sanction pénale…

              [Ensuite, je ne suis pas sûr que pour quelqu’un dont l’ensemble des activités tombent sous le coup de la loi, la peine de mort soit plus dissuasive que la perpétuité.]

              La perpétuité réelle est impossible. Celui qui est en prison « à perpétuité » sait qu’il en sortira un jour. De la mort, à part Jésus – et selon certains, Elvis – personne n’est revenu. Et pour ce qui concerne la récidive, le pouvoir dissuasif de la peine de mort est incomparable.

              [Tertio, on ne peut pas comparer la force de dissuasion d’une peine contre un trafiquant (dont toute l’activité est illégale) et contre un fraudeur au Fisc, pour la simple raison que ce dernier a beaucoup plus à perdre.]

              Ne croyez pas que l’activité des trafiquants soit « toute illégale ». Beaucoup blanchissent l’argent en investissant dans des affaires parfaitement légales. Certains se permettent même le luxe de se « ranger » une fois fortune faite, et renoncent à toute activité illégale.

              [Si B.Arnault renonçait à la fraude fiscale, son train de vie ne serait que marginalement impacté.]

              Je ne pense pas que B. Arnault donne dans la fraude fiscale. Pourquoi faire, alors que la réglementation fiscale lui donne des opportunités parfaitement légales de réduire massivement le montant de ses impôts ? Accessoirement, je ne connais pas Bernard Arnault et je n’ai qu’une vision imparfaite de ce que peut être la psychologie d’un tel personnage. Mais j’imagine que lorsque votre fortune dépasse un certain niveau – le niveau ou vous pouvez vous acheter ce que vous voulez sans avoir à compter – l’argent n’est plus une question de « niveau de vie ». C’est un but en lui-même, une forme de « score » dans une compétition.

              [Alors que pour le trafiquant, c’est une autre mayonnaise. C’est pourquoi les peines pour fraude n’ont pas à être aussi sévères pour être dissuasives. Comme je vous disais, contraignez le fraudeur au fisc à pointer à vie à Pole emploi et à prendre les boulots qu’on lui propose, et je vous parie que l’effet dissuasif sera maximum. Vous n’êtes pas d’accord ?]

              Je pense qu’une telle peine, si elle pouvait être effectivement mise en œuvre, faudrait aussi pour le trafiquant.

  10. Pseudo dit :

    Voulant magnifier un parcours républicain, la phase de Dupont-Moretti avait pour but de souligner l’appartenance pleine et entière à la nation d’un homme qui n’avait pas des origines françaises. Mais sa phrase est, au mieux, une approximation. Certes, les parents de Robert Badinter étaient d’origine russe. Son père était russe. Mais sa mère était française !
    Dans la bouche d’une personnalité d’extrême droite, une telle sortie passerait pour profondément discriminatoire. D’ailleurs, la tradition antisémite nie aux juifs leur appartenance nationale.
    Toute personne née ou naturalisée en France peut être pleinement française, sans considération d’origine. Il n’existe pas de “sang français” : c’est une métaphore vide de sens juridique et politique, qui s’oppose à la citoyenneté républicaine.

    • Descartes dit :

      @ Pseudo

      [Voulant magnifier un parcours républicain, la phase de Dupont-Moretti avait pour but de souligner l’appartenance pleine et entière à la nation d’un homme qui n’avait pas des origines françaises. Mais sa phrase est, au mieux, une approximation.]

      Je veux bien accorder à Dupont-Moretti le bénéfice du doute quant à ses intentions. Mais l’utilisation d’une formule qui appartient à une vision « racialisée » de la société n’est pas, à mon avis, une simple « approximation ». Elle reflète une forme de « racisme inversé ». Et accessoirement, un niveau étonnant d’inculture historique.

      [Certes, les parents de Robert Badinter étaient d’origine russe. Son père était russe. Mais sa mère était française !]

      Ses deux parents étaient français. Ses parents avaient été naturalisés avant sa naissance.

      [Dans la bouche d’une personnalité d’extrême droite, une telle sortie passerait pour profondément discriminatoire. D’ailleurs, la tradition antisémite nie aux juifs leur appartenance nationale.]

      Mais pourquoi faut-il que la même sortie passe pour un « hommage » dans la bouche d’une personnalité plutôt classée à gauche ? Je suis désolé, mais lorsque la gauche commence à utiliser le vocabulaire de l’extrême droite vichyste, il y a un problème.

      [Il n’existe pas de “sang français” : c’est une métaphore vide de sens juridique et politique, qui s’oppose à la citoyenneté républicaine.]

      Faudrait l’expliquer à Dupont-Moretti, à Taubira… et aux journalistes de France Inter.

  11. BolchoKek dit :

    @ Descartes
     
    [Il faudrait me préciser pour quel crime. S’il s’agissait de la rétablir pour fraude fiscale, ou bien pour trafic de stupéfiants, je pense que je voterais “oui”. […] Par contre, s’il s’agit de la rétablir pour les violeurs ou les tueurs d’enfants, c’est non.]
     
    C’est une approche presque utilitariste de la question qui se défend… Mais justement, je pense que c’est l’exact contraire de la logique des partisans les plus passionnés du rétablissement de la peine capitale. C’est précisément les violeurs d’enfants, les tueurs en série, les “monstres” en somme qui sont concernés. On est à mon sens systématiquement dans le caractère rétributif de la peine et non le caractère réellement dissuasif.

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [C’est une approche presque utilitariste de la question qui se défend… Mais justement, je pense que c’est l’exact contraire de la logique des partisans les plus passionnés du rétablissement de la peine capitale.]

      Ni de ses adversaires, d’ailleurs. C’est pourquoi le débat se fait essentiellement en termes moraux, et non sur une base rationnelle.

  12. Renard dit :

    Lors de la soirée électorale des dernières législatives (oui, je m’inflige cela. Un plaisir coupable), Eric Dupont Moretti avait tranquillement affirmé que le fascisme est toujours arrivé au pouvoir par les urnes. Sur le plateau de France 2, personne n’avait relevé…

    • Descartes dit :

      @ Renard

      [Lors de la soirée électorale des dernières législatives (oui, je m’inflige cela. Un plaisir coupable), Eric Dupont Moretti avait tranquillement affirmé que le fascisme est toujours arrivé au pouvoir par les urnes. Sur le plateau de France 2, personne n’avait relevé…]

      Probablement, parce que personne ne connaît l’histoire du fascisme. Mais l’anecdote est intéressante parce qu’elle conduit à une conclusion inavouable. Puisque les urnes peuvent conduire au fascisme, si la priorité est d’empêcher le fascisme de prendre le pouvoir… il faut supprimer les urnes. Ou du moins, les surveiller de près au cas où les électeurs ne feraient pas le “bon” choix…

  13. Sami dit :

    Plus ou moins hors et dans le sujet…Vous avez écrit (entre autre…) : “Nous avons notre histoire, qui est différente à celle de nos voisins (…)”.Moi qui vous suit depuis assez longtemps, et qui a une bonne idée de ce que vous êtes, de ce que vous pensez, vos opinions, vos visions, votre parcours… en un mot votre “histoire”, je sais que, malgré le fait que vous êtes en quelque sorte un immigré (si j’ai bien suivi), malgré cela donc, je vous considère comme une incarnation de l’idéal Français. J’ai du mal à imaginer “plus ou mieux Français” que vous.
    Et que donc, cette phrase de vous que je cite, sonne avec une justesse parfaite. Cela pour dire à quel point les mots de Moreti sont faux (il causait d’hémoglobine, je suppose !).Je tenais à faire cette remarque en passant.
     

    • Descartes dit :

      @ Sami

      [Moi qui vous suit depuis assez longtemps, et qui a une bonne idée de ce que vous êtes, de ce que vous pensez, vos opinions, vos visions, votre parcours… en un mot votre “histoire”, je sais que, malgré le fait que vous êtes en quelque sorte un immigré (si j’ai bien suivi), malgré cela donc, je vous considère comme une incarnation de l’idéal Français. J’ai du mal à imaginer “plus ou mieux Français” que vous.]

      C’est la chose la plus gentille que l’on m’ait jamais dite sur ce blog…

      • Lhaa Francis dit :

             Ouais, mais gaffe. En tant  ” qu’estranger “, vous avez des circonstances ” exténuantes ” : à moitié coupable, vous serez fusillé avec six balles au lieu de douze. Mais français pur jus, aucune excuse, pan pan pan.

      • maleyss dit :

        Faites attention, quand même ! Souvenez-vous de l’affiche “Etes-vous plus Français que lui ?” illustrée par la photo d’un vieux maréchal.
        Cela dit, je vous rejoins tout à fait : les thuriféraires de l’immigration à portes grandes ouvertes nous citent toujours les mêmes exemples : Aznavour, Montand, Goscinny, tous aussi franchouillards qu’on peut l’être.

        • Descartes dit :

          @ maleyss

          [Cela dit, je vous rejoins tout à fait : les thuriféraires de l’immigration à portes grandes ouvertes nous citent toujours les mêmes exemples : Aznavour, Montand, Goscinny, tous aussi franchouillards qu’on peut l’être.]

          Tout à fait. Les tenants du discours “ces étrangers qui ont fait la France” oublient – pire, essayent d’effacer – le fait que les “étrangers qui ont fait la France” ont presque toujours été des étrangers assimilés. Ils font tout ce qu’ils peuvent pour lier leur contribution à leur “étrangeté”, alors qu’elle est liée surtout à leur assimilation. La transformation posthume de “Michel” (le prénom qu’il s’était choisi et avec lequel il signait ses articles et lettres, y compris sa dernière, pourtant adressée à sa femme, elle même d’origine arménienne) en “Missak” lors de son entrée au Panthéon est un bon exemple de cette logique. Que voulez-vous, “assimilation” est devenu un gros mot… parce qu’il met en accusation ceux qui ont cassé la machine à assimiler.

          • Lhaa Francis dit :

                 Les légionnaires sont Français, non  ”  par le sang reçu, mais par le sang versé  “. On trouve encore à la casse quelques morceaux de la  ”  machine  à assimiler  ”  . Dans ma montagne natale, ( après guerre, dans pas mal de villages, c’était Peponne et don Camillo ), on trouvait de tout : réfugiés de Franco, Mussolini, Salazar, un déserteur de la Wehrmacht, Algériens à la mine, etc, etc…Tout ce petit monde se retrouvait au troquet le dimanche matin, pour le tiercé, et les  ”  bons musulmans   ”  ne se genaient pas pour taper dans la réserve de pinard ou de  ”  jaune  “.  Ils avaient tous en commun de laisser leur sante, et parfois leur peau, dans la mine, la sidérurgie, la métallurgie. Quand on a connu çà, on apprécie à leur juste valeur  le  ”  carnaval identitaire  “, le  ”  dégenrisme  “,   ”  l ‘ écoféminisme  ”  et autres foutaises.

            • Descartes dit :

              @ Lhaa Francis

              [« Les légionnaires sont Français, non ” par le sang reçu, mais par le sang versé “. On trouve encore à la casse quelques morceaux de la ” machine à assimiler ”.]

              Je ne sais pas si le cas de la Légion Etrangère est un bon exemple de « machine à assimiler », compte tenu des spécificités du modèle « légionnaire ». Mais il est clair que l’institution militaire porte en elle les éléments essentiels de l’assimilation, puisqu’il s’agit pour les militaires de forger une communauté dont les membres sont inconditionnellement solidaires les uns des autres, qui cultive « le souvenir des grandes choses faites ensemble et le désir d’en accomplir de nouvelles ». Il faut d’ailleurs se souvenir du rôle qu’a joué l’institution militaire dans la construction de la nation, de Valmy à 1914.

              [Dans ma montagne natale, ( après guerre, dans pas mal de villages, c’était Peponne et don Camillo ), on trouvait de tout : réfugiés de Franco, Mussolini, Salazar, un déserteur de la Wehrmacht, Algériens à la mine, etc, etc…Tout ce petit monde se retrouvait au troquet le dimanche matin, pour le tiercé, et les ” bons musulmans ” ne se gênaient pas pour taper dans la réserve de pinard ou de ” jaune “. Ils avaient tous en commun de laisser leur sante, et parfois leur peau, dans la mine, la sidérurgie, la métallurgie. Quand on a connu çà, on apprécie à leur juste valeur le ” carnaval identitaire “, le ” dégenrisme “, ” l ‘ écoféminisme ” et autres foutaises.]

              Votre commentaire ouvre un champ important, celui des « expériences partagées ». C’est à mon sens un élément fondamental dans la construction d’une solidarité entre les membres d’une collectivité. Or, ce qu’on observe dans notre société c’est justement le rejet de toute expérience partagée. On le voit très bien dans l’éducation, où les pédagogues modernes ne jurent que sur les « parcours personnalisés », et où la multiplication des options dans tous les sens fait qu’on a du mal à trouver deux diplômés qui aient partagé le même parcours. Mais ce mouvement est observable partout. Les institutions qui permettaient ce partage, du service militaire à la colonie de vacances, s’étiolent ou disparaissent, dans une recherche permanente de l’individualisation, de la personnalisation, de l’originalité. Se marier ou enterrer ses morts « comme tout le monde » est devenu ringard, alors que se multiplient les cérémonies « originales », où chacun cherche à se distinguer. Donner à ses enfants des prénoms traditionnels c’est hors de question, il faut au contraire se distinguer par un prénom original, jamais porté. A la fin, qu’est-ce que nous « partageons » avec nos concitoyens comme expérience formatrice ?

  14. Patrick dit :

    Hors sujet mais en lien avec vos thematiques recurrentes: meme sur les sites euro-beats on commence a s’inquieter et a s’ouvrir a des articles non-conformes (ici pour une souverainete et un patriotisme UK par un britannique…). Certains doivent commencer a douter pour laisser passer de telles publications, qui ne mentionnent meme pas l’UE comme voie de salut…
    https://legrandcontinent.eu/fr/2025/10/18/la-patrie-ou-la-vassalisation/

    • Descartes dit :

      @ Patrick

      [Hors sujet mais en lien avec vos thematiques recurrentes: meme sur les sites euro-beats on commence a s’inquieter et a s’ouvrir a des articles non-conformes (ici pour une souverainete et un patriotisme UK par un britannique…). Certains doivent commencer a douter pour laisser passer de telles publications, qui ne mentionnent meme pas l’UE comme voie de salut…]

      Je ne sais pas si un article tel que celui-ci pourrait être écrit en France par un dirigeant “de gauche” … mais il est vrai que les britanniques sont très en avance dans leur réflexion sur ces sujets par rapport à nous. En tout cas, je retiens de cet article les paragraphes suivants:

      “La première tâche d’un véritable patriotisme est donc un programme de reconstruction. Ce programme exige de relancer l’industrie nationale, de reconstruire les infrastructures et l’indépendance énergétique, de rapatrier les chaînes d’approvisionnement critiques, de renforcer les capacités militaires et d’investir dans la recherche et les capacités technologiques.
      Ce n’est que sur une telle base que le patriotisme peut devenir concret.
      Le vrai patriotisme n’est pas un retour en arrière vers le tribalisme, mais une affirmation de notre destin commun. Il s’agit de reconnaître que nous appartenons les uns aux autres et que la politique n’est rien d’autre que l’organisation de cette appartenance en institutions capables de commander et de prendre soin des citoyens.”

      C’est là exactement la position que j’essaye de soutenir dans ce blog… du coup, je me sens moins seul!

      • Lhaa Francis dit :

             Marx et Lénine disaient pareil, mais en d’autres termes, et dans un contexte différent. En 1789, en France, il y avait 400 000 prolétaires, les compagnons étant des patrons stagiaires. Aujourd’hui,  c’est 80% de la population active. Y compris  les ” petits bourgeois gentilhommes ” d’Alain Accardo, qui se prennent pour ce qu’ils ne sont pas. Quand Thorez disait que le Parti Communiste avait réconcilié la Marseillaise et l’Internationale, le drapeau rouge et le drapeau tricolore, il voulait dire que c’était le prolétariat, qui, ” par la sueur  et parfois par le sang versé ” avait fait la France. Et c’est bien ça qui ”  file les copeaux  ” à la petite minorité ( 1% ? ) de parasites  qui font la loi dans ce pays, qu’on se réveille et qu’on les renvoie dans leurs 22 mètres.  Du temps de Castro, les Cubains disaient : qu’est-ce qu’il ferait Fidel, si on n’était pas là ? Amen.

        • Descartes dit :

          @ Lhaa Francis

          [En 1789, en France, il y avait 400 000 prolétaires, les compagnons étant des patrons stagiaires. Aujourd’hui, c’est 80% de la population active. Y compris les ”petits bourgeois gentilhommes ” d’Alain Accardo, qui se prennent pour ce qu’ils ne sont pas. Quand Thorez disait que le Parti Communiste avait réconcilié la Marseillaise et l’Internationale, le drapeau rouge et le drapeau tricolore, il voulait dire que c’était le prolétariat, qui, ” par la sueur et parfois par le sang versé ” avait fait la France. Et c’est bien ça qui ” file les copeaux ” à la petite minorité ( 1% ? ) de parasites qui font la loi dans ce pays, qu’on se réveille et qu’on les renvoie dans leurs 22 mètres.]

          Pardon, mais s’il y a d’un côté « 80% de prolétaires, y compris les « petits bourgeois gentilhommes », et de l’autre côté « la petite minorité (1%) de parasites qui fait la loi », il vous manque 19% de la population, soit un Français sur cinq. Ca fait tout de même beaucoup…

          • Lhaa Francis dit :

                 On a perdu la 7ème comp… euh non, pardon, 19% de la populatiion. Hé bien, ça y est, je les ai retrouvés. Ce sont les médecins, dentistes, commerçants, artisans, professions libérales, tous les  ” indépendants ” qui sont en fait des salariés inconscients et indirects des banques. Le compte est bon.

            • Descartes dit :

              @ Lhaa Francis

              [Hé bien, ça y est, je les ai retrouvés. Ce sont les médecins, dentistes, commerçants, artisans, professions libérales, tous les ”indépendants” qui sont en fait des salariés inconscients et indirects des banques. Le compte est bon.]

              Pas tout à fait. Si, comme vous le dites, tous ces « indépendants » sont en fait des « salariés inconscients des banques », pourquoi ne les comptez-vous pas dans les « prolétaires » ? Car je vous rappelle l’origine de cet échange : vous souteniez que « 80% de la population active » étaient des « prolétaires », et que « 1% étaient des parasites ». On peut donc supposer que ce « 80% » inclut l’ensemble des salariés, y compris les chercheurs, les ingénieurs, les cadres supérieurs, les enseignants. Alors, pourquoi faites-vous de l’ingénieur salarié un « prolétaire », et pas du dentiste, selon vous « salarié inconscient » ?

              Vous voyez ? Dans votre logique, vous arrivez au fameux « 1% contre 99% » de Mélenchon. Le problème de ce modèle est qu’il n’explique pas pourquoi ce « 99% » n’a pas un comportement politique homogène, pourquoi une partie de ce « 99% », à savoir, les « classes intermédiaires », soutiennent systématiquement des politiques qui vont à l’encontre des intérêts de l’autre partie, à savoir, les « classes populaires ». Et comme il s’agit en fait des classes les plus éduquées, les plus conscientes, celles qui ont le monopole de la fabrication des idées, il est difficile de soutenir qu’elles seraient les plus aliénées, qu’elles iraient inconsciemment à l’encontre systématiquement de leurs propres intérêts. Force est donc d’admettre que tous les « salariés » n’ont pas le même intérêt de classe, autrement dit, qu’il y a dans le salariat au moins deux classes différentes…

    • Bob dit :

      @ Patrick
       
      Cet article est d’une lucidité qu’on voit peu souvent exprimée.
       
      Je retiens en particulier :
      “[…] les frontières ne sont pas des barrières arbitraires et les traditions ne sont pas le poids mort du passé : elles sont une ressource essentielle.l’État-nation reste peut-être la seule échelle à laquelle la démocratie a jamais véritablement fonctionné.C’est le seul espace dans lequel les gens peuvent agir ensemble, délibérer sur leur avenir commun et demander des comptes aux autorités. S’il est dépouillé de sa souveraineté, la promesse de la politique devient une illusion, ainsi que les fondements de la loyauté, du sacrifice et de la confiance.”
       
      La notion clef de toute la 2e partie est la souveraineté. J’applaudis à ces rappels nécessaires. Ils le sont autant en France…
       

  15. Claustaire dit :

    [La transformation posthume de “Michel” (le prénom qu’il s’était choisi et avec lequel il signait ses articles et lettres, y compris sa dernière, pourtant adressée à sa femme, elle même d’origine arménienne) en “Missak” lors de son entrée au Panthéon est un bon exemple de cette logique. Que voulez-vous, “assimilation” est devenu un gros mot… parce qu’il met en accusation ceux qui ont cassé la machine à assimiler.]
     
    Il me semble que par cette remarque vous mettez le doigt sur ce qui me semble, de prime abord, un véritable scandale, en effet : que la R.F. veuille honorer un héros sous le nom de hasard avec lequel il est né dans un pays étranger, plutôt que sous celui qu’il s’est choisi/traduit pour marquer son assimilation au pays qui l’aura accueilli et pour lequel il se sera battu.
     
    Sans doute veut-on insister que le fait qu’un immigré ne doive surtout jamais renoncer à ce qu’il fut, à son identité d’origine, comme nous ne devions pas savoir que ‘nul n’est ce qu’il naît’ et qu’une identité, cela se construit au fil de toute une vie, par des choix assumés plutôt que par les hasards subis. On ne devient pas ce qu’on est, on est ce qu’on devient, ce qu’on ne cesse de devenir.
     
     

    • Descartes dit :

      @ Claustaire

      [Sans doute veut-on insister que le fait qu’un immigré ne doive surtout jamais renoncer à ce qu’il fut, à son identité d’origine, comme nous ne devions pas savoir que ‘nul n’est ce qu’il naît’ et qu’une identité, cela se construit au fil de toute une vie, par des choix assumés plutôt que par les hasards subis. On ne devient pas ce qu’on est, on est ce qu’on devient, ce qu’on ne cesse de devenir.]

      Pour moi, c’est le symptôme d’une société bloquée. Si les gens « d’en bas » commencent à s’imaginer qu’ils peuvent devenir autre chose, qu’ils peuvent échapper à leur condition par l’effort, par l’étude, par le travail, ils seront fatalement amenés à entrer en concurrence avec les gens « d’en haut », et tout particulièrement avec les classes intermédiaires. Alors, il faut convaincre tout le monde qu’il faut rester accroché à son essence, qu’il faut renoncer à toute possibilité de devenir autre chose que ce qu’on est.

      Le fait que Missak puisse devenir Michel est une menace symbolique, parce que Missak ne peut concurrencer les enfants des classes intermédiaires, et Michel si.

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