Maman, j’ai peur du nucléaire!

Nous le savons, nous vivons dans une société qui a peur. Les jeunes ont peur de la vieillesse, les classes moyennes ont peur du déclassement. Et la peur fait vendre, comme le prouvent les innombrables émissions que nous offrent nos étranges lucarnes, et qui nous expliquent à longeur de journée combien les dangers qui nous entourent sont grands et combien ceux qui pourraient nous en protéger sont impuissants.

Le nucléaire reste l’un des sujets préférés des marchands d’apocalypses. Cela tient à des raisons historiques – la question des armes nucléaires, l’identification du programme électronucléaire avec les gouvernements de droite – mais aussi à des spécificités du domaine. Techniquement complexes, les problématiques nucléaires ne se prêtent pas à une explication sereine en 30 secondes, qui est le temps maximum que les médias audiovisuels sont prêts à consacrer à des questions sérieuses. Car il faut bien comprendre que sur des questions hautement techniques, le débat est toujours biaisé en faveur du sentiment et contre la raison. Il est bien plus facile de provoquer la peur avec des affirmations fausses, que de contrer cette peur avec des explications rationnelles. Il faut une ligne pour affirmer “l’accident de Tchernobyl a tue des milliers d’enfants”, il faut une étude de 500 pages pour montrer le contraire. Et l’affirmation, qui fait appel à nos sentiments, sera toujours bien plus efficace que l’étude.

Le “documentaire” que nous avons pu voir sur Arte le 12 mai dernier (“RAS nucléaire”, réalisé par Alain de Halleux) est une illustration de plus dans une longue série (on se souvient aussi du désopilant “Pièces à conviction” du 11 février 2009 ou Elise Lucet démontrait qu’une ignorance complète du sujet n’est plus un obstacle pour animer un documentaire) d’émissions apocalyptiques qui profitent de la peur ambiante pour vendre leur camelote. De ce point de vue, la présentation de l’émission sur le site d’Arte est assez révélatrice: “Des travailleurs de l’ombre qui, avec ce film, sortent pour la première fois du silence pour dresser un tableau inquiétant d’un des fleurons de l’industrie européenne”. On croirait, à la lecture de ce texte, que le reporter a du se plonger dans on ne sait quel service sercret pour que ” ces “travailleurs de l’ombre” racontent “pour la première fois” on ne sait quels secrets. Qui “dressent un tableau inquiétant” (forcément “inquiétant”…) de leurs conditions de travail. Et que l’information était si difficile à obtenir que cela rend cette “enquête exemplaire”.

Les “travailleurs de l’ombre”, on ne le dira jamais assez, sont une pure invention journalistique: les travailleurs du nucléaire ne sont pas astreints à un quelconque secret concernant leurs conditions de travail. Si l’on peut comprendre que certains puissent craindre de témoigner à visage découvert (1), l’industrie a suffisament de retraités qui, eux, n’ont absolument rien à craindre. Les informations sont en fait très faciles à trouver: il suffirait à un journaliste de se faire embaucher comme intérimaire dans une centrale nucléaire (2) pour avoir non seulement une vue complète de la question, mais surtout pour pouvoir recueillir des témoignages de première main. Ce serait, là, une vraie “enquête exemplaire”. Mais on voit mal ou se trouve “l’exemplarité” d’une enquête qui en fait consiste tout bêtement à demander à des travailleurs (et anciens travailleurs) de la filière de décrire leurs conditions de travail.

On touche là a l’un des “trucs” de ce genre d’émission: avec musique de violons en mode mineur sur fond du crépitement d’un compteur geiger, en nous montrant des images de tours de refroidissement sur un ciel couvert (dans les documentaires de ce genre, le soleil ne brille jamais sur une centrale nucléaire), des “temoins” non maquillés et mal éclairés (pour bien faire apparaître les ravages supposés du métier) vont nous “révéler” des secrets… qui n’en sont pas. Les conditions de travail dans les installations nucléaires ne font l’objet d’aucun “secret”: elles sont soumises à des contrôles des inspecteurs du travail, elles font l’objet de rapports qui sont publics. Les représentants des associations de défense de l’environnement qui siègent dans les Commissions Locales d’Information sont régulièrement invités à participer à des inspections. Et finalement, l’industrie nucléaire a des milliers de retraités qui n’ont donc aucune raison d’avoir peur de raconter leur travail. Ou sont alors les “révélations” ?

A côté de ces “témoignages” (3) qui portent moins sur des faits précis et concrets que sur des sentiments, ces émissions ont besoin, pour une question de crédibilité, de fournir des détails techniques. C’est sur ce sujet qu’on se rend compte, en général, que le journaliste ne comprend rien au domaine qu’il est en train de décrire. Ainsi, par exemple, la voix off nous présente un travailleur qui “s’est vu interdire l’accès sur le site de Paluel après y avoir dénoncé la présence de particules alpha. Ces particules apparaissent avec le vieillissement des installations“. Ce qui devrait faire rigoler tous ceux qui se souviennent de leur cours de physique du baccalauréat: les particules alpha sont des noyaux d’hélium, et sont émises spontanément et en continu par certaines substances radioactives. Cela arrive dans la nature, ou le radium contenu naturellement dans le granit se désintègre en permanence pour donner du radon en émettant une particule alpha. Dans les centrales nucléaires, le rayonnement alpha est présent du fait que tant l’uranium que le plutonium sont des émetteurs alpha. Cela n’a donc rien à voir avec un quelconque “vieillissement des installations”.

Tout cela ne veut pas dire que tout va bien dans le meilleur des mondes dans le nucléaire. Les problèmes que le documentaire soulève quand aux effets de la privatisation des opérateurs nucléaires sur la sécurité, la sûreté et les conditions de travail mériteraient une véritable information et discussion publique. Mais une telle présentation aurait certainement moins de succès à l’audimat que celle qui consiste à la mélanger à l’habituelle panoplie du terrorisme intellectuel anti-nucléaire. Et comme l’audimat est roi…

Descartes

(1) mais pas plus que dans d’autres industries. Et dans le cas des agents EDF, plutôt moins vu qu’ils sont protégés par leur statut. Si cela suffit pour en faire des “travailleurs de l’ombre”, alors que doit-on penser du licenciement d’un responsable de TF1 pour avoir exprimé une opinion personnelle dans un courrier privé ?

(2) ce que fit le journaliste allemand Günter Wallraff pour écrire son livre sur les conditions de travail des immigrés turcs en Allemagne…

(3) est-il nécessaire de préciser qu’en cherchant bien on peut trouver un “témoin” prêt à affirmer à peu près n’importe quoi sur n’importe quel sujet ? Un témoignage peut, dans un documentaire sérieux, illustrer un propos. Mais un témoignage ne démontre, en lui même, rien.

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