Pendant ce temps, l’Europe…

On en est à peine au printemps, mais la campagne électorale des élections européennes paraît déjà avoir atteint la torpeur du mois d’août. Faut dire les choses comme elles sont: l’Europe, tout le monde s’en fout. Y compris dans beaucoup de cas les politiciens qui prétendent à nous suffrages et les militants qui font (ou ne font pas) leurs campagnes électorales.

Mais il paraît que l’Europe, c’est important. Si l’on croit nos politiques, “80% des textes votés par l’Assemblee Nationale sont d’origine européenne”. Ce que nos politiques oublient de dire, c’est que ces textes dépendent fort peu du résultat des élections européennes. Voyons pourquoi:

Pour commencer, il y a les traités. Et tout texte sortant du système européen (règlement, directive…) doit avoir une “base légale” dans les traités. Ce qui veut dire, en bon français, qu’il doit correspondre à un objectif fixé par une disposition du traité. Vous voulez faire une directive libéralisant le marché ? Pas de problème, vous trouverez dans les traités qu’un “marché libre et non faussé” est un objectif de l’Union. Voulez vous faire une directive soustrayant au marché un service publique ? Ah… là, vous êtes coincé. C’est que, voyez vous, la qualité des services publics, leur accessibilité ou leur égalité n’est pas un objectif fixé dans les traités. C’est un peu comme si la Constitution fixait limitativement les politiques qu’un gouvernement peut conduire. A quoi serviraient alors les élections à l’assemblée nationale ?

Le deuxième mécanisme, c’est le monopole de proposition de la Commission. Dans le système européen, le conseil et le parlement ont le pouvoir de rejeter un texte, mais pas d’en proposer un texte nouveau ou d’amender un texte existant. Seule la commission peut le faire. Et la commission a une grande patience: supposons qu’elle veuille passer un texte donné. Si elle a une majorité dans le Conseil et le Parlement, pas de problème. Si elle n’a pas une majorité adéquate… elle met le texte dans un tiroir et attend la circonstance favorable (qui finit toujours par arriver, grâce à l’alternance et au fait que les gouvernants de chaque pays ont besoin de temps en temps d’un “succès européen”). Quand celle-ci arrive, elle fait passer le texte, qui devient dès lors irrévocable (puisque seule la commission pourrait proposer un texte qui abrogerait le premier…). Ce système, dit du “cliquet”, permet à la commission de faire passer graduellement sa politique. Et comme la commission est soumise aux lobbies et corsetée par les traités d’inspiration libérale, pas la peine d’être devin pour savoir quelle sera cette politique. En tout cas, elle n’a pas varié d’un Iota depuis les années 1970, et cela que le président de la commission soit de droite ou de gauche. A la fin, c’est toujours le libéralisme qui l’emporte.

Comment s’étonner alors que les électeurs traitent les élections européennes par dessus la jambe ? En fait, la seule chose qu’on leur demande est de légitimer par leur vote des politiques qui sont déjà prédeterminées. Le Parlement européen n’est qu’un prétexte pour pouvoir dire “voyez comment l’Europe est démocratique”. Que les électeurs refusent de se prêter à cette mascarade est tout à leur honneur.

Bien entendu, les eurolâtres ne sont pas prêts à admettre ces faits, et donc nous ressortent les mêmes poncifs qu’on ressort à chaque élection européenne pour essayer d’expliquer ce désintérêt de manière plausible. D’abord, on nous explique que la faute est “aux politiques qui ne parlent jamais d’Europe”. C’est faire bien peu de cas de l’intelligence des électeurs français, qui dans le passé ont montré leur peu de disposition à se laisser berner par leurs politiciens ou à leur faire confiance. Ce n’est pas parce que les politiciens parlent de quelque chose qu’elle intéresse l’électeur, c’est parce quelque chose intéresse l’électeur que les politiciens en parlent. Si les politiciens parlent en permanence de sécurité, c’est parce que le sujet préoccupe les populations. Si les électeurs se passionnaient pour l’Europe, les politiques n’auraient que ce mot à la bouche.

Ensuite, on nous explique que la faute est aux politiques qui rejettent leurs propres bêtises sur l’Europe. Mais tout de même, si comme on nous dit “80% des textes votés par l’Assemblée Nationale sont d’origine européenne”, il faut admettre que des bêtises que font nos gouvernements, 80% sont inspirées par l’Europe. Ou faut-il supposer que les mêmes politiques qui font tant de bêtises chez eux deviennent tout à coup sages et prévoyants à l’heure de faire les textes européens ? Car, il ne faut pas oublier, ceux qui rédigent les textes européens et ceux qui font les textes nationaux sont les mêmes.

Enfin, dernier poncif, on nous raconte que les électeurs votent aux scrutins européennes “en fonction des enjeux nationaux”. Si c’était le cas, il serait difficile de comprendre pourquoi les participations sont, aux élections européennes, beaucoup plus faibles qu’à n’importe quelle élection nationale. Non, les électeurs votent aux scrutins européens en fonction des enjeux européens. Et ils ont parfaitement compris que le scrutin pour l’élection du parlement européen n’a aucun enjeu.

Les élections européennes, mes chers lecteurs, sont une mascarade. Le Parlement européen n’a pas, quand même serait-il rempli d’anti-libéraux, le pouvoir d’infléchir d’une virgule les politiques européennes, dont le contenu libéral est corseté par les traités. On peut comparer la politique européenne à un train, dont les rails sont les traités. Le Parlement peut changer la vitesse de la locomotive, mais pas la direction du voyage. Il ne peut même pas enclencher la marche arrière. Il peut bloquer les textes qui lui sont proposés, mais pas leur donner un autre contenu sauf à obtenir l’accord de la commission et de se conformer aux traités. Et s’il les bloque, il suffit à la commission d’attendre que la majorité change pour repasser les mêmes plats. Ceux qui vous disent que de la composition du Parlement dépend que la politique européenne cesse d’être purement libérale vous trompent. Aussi longtemps que les traités seront sur pied, aussi longtemps qu’ils seront interprétés par une Cour de Justice européenne acquise aux thèses libérales, aucune modification des politiques européennes n’est possible.

Alors, le 7 juin prochain, vous pouvez voter pour le candidat qui vous sera plus sympathique, qui aura la meilleure gueule ou qui vous dit ce que vous voulez entendre. Mais ne vous faites aucune illusion sur ce que cela peut changer pour l’Europe. Si vous voulez que quelque chose change, montrez que vous n’êtes pas dupe en allant taquiner le goujon.

Descartes

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