Faut dire que Tante Annette n’est plus de première jeunesse. Imaginez: elle se souvient encore du temps ou Georges Marchais passait à la télévision. Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, le temps ou le secrétaire général du PCF était considéré comme suffisament important pour que des ministres comme Alain Peyrefitte, et même le premier d’entre eux, Raymond Barre, descendent de leur aventin pendant une heure et demie pour débattre avec lui. Et pas sur le net ou sur télé-moncuq, mais sur la première et la deuxième chaines. C’était pourtant bien avant la réforme Mitterrand, qui a si bien libéré l’audiovisuel de l’emprise du pouvoir. Et pourtant…
Autant le dire tout de suite, Tante Annette a été déçue. Le débat a bien montré la différence qu’il y a entre un véritable politicien et un apparatchick, soit dit en passant avec tout le respect qu’on doit aux apparatchicks. Le Hyaric a peut-être un grand directeur de La Terre et un merveilleux directeur de l’Huma. Mais on peut être un excellent gestionnaire et un génial organisateur (1), tout en étant incapable de communiquer passionnement avec un auditoire. Barnier a été bon: il nous a expliqué pourquoi à son avis l’Europe fédérale était une nécessité, pourquoi l’europe libérale était à son avis une chance pour la France. Il a donné l’impression d’avoir bien réflechi à son sujet, de le connaître sur le bout des doigts, et de s’en être fait une opinion. Il a montré qu’il avait un projet et qu’il savait où il voulait aller. Et même si je suis totalement en désaccord avec ce projet, si j’estime que les arguments qu’il a utilisé sont fallacieux, il me faut reconnaître la qualité de la prestation. Une prestation de politicien au meilleur sens du terme.
Devant ce qu’il faut bien appeller un professionnel, Le Hyaric a été pitoyable. Il nous a fait son numéro habituel du breton taciturne, et lorsqu’il a deserré les dents ça a été pour anonner les lieux communs sur “la politique de Sarkozy” et sur l’insuffisante “europe sociale”. Il faut dire qu’il n’était pas aidé: le Front de Gauche a beaucoup travaillé les questions d’alliances, mais a fait l’impasse sur les questions de fond. On se contente de répéter qu’on veut une “autre” Europe, dont on est incapable de préciser l’organisation institutionnelle, le fonctionnement, les rapports qu’elle doit entretenir avec les états qui la composent, comme si les mots magiques “souverainété populaire”, “impératif écologique”, “féminisme” etc. suffisaient à donner forme à un véritable projet.
D’autant plus que ceux qui prononcent ces formules ne comprennent pas toujours leur sens. Prenons par exemple la formule suivante figurant dans la “déclaration de principes” du Front de Gauche: “Ce que nous voulons, c’est affirmer une vision nouvelle de la société et de l’Europe fondée sur l’intérêt général et la souveraineté populaire à l’échelle nationale comme à l’échelle européenne“. Cette formule pose deux problèmes fondamentaux. Le premier, est que pour qu’il y ait “souverainété populaire”, il faut qu’il y ait un “peuple” constitué comme acteur politique. L’intérêt général a besoin d’un sujet, et ce sujet ne peut êter qu’un “corps politique” constitué et qui n’est pas une simple addition d’individus. Or, on prend chaque jour conscience – et la crise actuelle l’a montré sans ambiguïté – que le “peuple européen”, le “corps politique européen” n’existent tout simplement pas. Les français, les anglais, les allemands ou les italiens voyent leurs connationaux comme d’autres soi-même, et sont prêts à des sacrifices pour financer des mécanismes de solidarité. Mais demandez-leur une solidarité européenne, et la réponse sera négative. Il n’y a qu’à voir le commentaire d’un ministre allemand concernant le sauvetage éventuel des banques européennes: “l’argent allemand ne sera pas utilisé pour sauver des banques étrangères”. A l’heure de la solidarité, il n’y a pas de différence pour nos concitoyens entre un polonais et un norvégien, entre un grec et un tunisien, entre un irlandais et un islandais. Les frontières de l’Europe ne délimitent pas une communauté politique de citoyens. La nation reste, n’en déplaise à certains, le lieu privilégié de la souverainété.
Mais le deuxième problème, c’est que “la souverainété populaire à l’échelle nationale comme à l’échelle européenne” implique l’existence de deux souverains sur un même territoire, ce qui est bien entendu impossible. Car si la construction européenne est basée sur la souverainété du peuple français en France et la souverainété du peuple européen en Europe, que se passe-t-il quand les deux “souverains” sont en désaccord ? Pour le mettre en d’autres termes, si le “peuple européen” se dote d’une constitution, cette constitution serait-elle supérieure à la constitution française dans la hiérarchie des normes ?
Si la prestation de Le Hyaric a été pitoyable, ce n’est pas tant à cause des limitations du personnage (2). Le Front de Gauche en général et le PCF en particulier n’ont pas travaillé les questions de fond, se contentant des lieux communs à la mode (écologie, social, féminisme, etc.). Pire: comme les débats avec le MRC l’ont montré, le Front s’est même interdit d’aborder dans ses réflexions les questions sur lesquelles les organisations participantes ne sont pas d’accord, et qui incluent justement les questions de souverainété et d’organisation institutionnelle. Avec de tels handicaps, même Marchais aurait déçu tante Annette.
PS: J’aurais aimé écrire cette cronique en ayant la possibilité de réécouter le débat. Malhereusement, et malgré les promesses contenues dans les sites du PCF et du Front de Gauche, la vidéo n’est pas disponible… Etonnant, non ?
PSS: Plus étonnant encore: à la date du 9 mai, toujours pas de compte-rendu du débat dans le site du PCF ni dans celui du Front. Bizarre, bizarre…
Descartes
(1) et il n’y a qu’à regarder l’état de l’Huma pour en déduire que Le Hyaric est l’un et l’autre…
(2) dont on peut se demander d’ailleurs pourquoi il a été désigné tête de liste. Après tout, il n’a aucune compétence particulière en matière européenne ou internationale, et une expérience particulièrement maigre en tant qu’élu. Est-il si urgent de le recaser ?