Monsieur X est fatigué de voir sa vieille cuisine, avec son plafond qui se craquelle, ses vieux meubles. Alors, Monsieur X a décidé d’appeler un artisan pour refaire sa cuisine. Comment procède Monsieur X ? D’abord, il regarde son compte en banque, son livret d’épargne. Il calcule combien il pourrait payer s’il demandait un crédit. Et à la fin, il décide combien d’argent il est prêt à mettre. Ensuite, il appellera plusieurs artisans, il ira visiter plusieurs magasins, et à chaque fois qu’il verra une cuisine en exposition qui lui plaît, il demandera un devis, avec le prix de base et celui des différentes options. Ce qui lui permettra de faire un choix informé et conforme à ses moyens.
Mais voici que Monsieur X tombe dans un magasin sur un vendeur qui lui montre une superbe exposition, et qui en réponse à la demande de devis lui explique que les chiffres ce n’est pas l’important. Que ce qui est important, c’est la volonté de faire. C’est de choisir une “vision” qui nous plaît, une “direction” à suivre. Que de toute façon, les devis on ne les respecte jamais, alors ce n’est pas la peine d’en demander, et que de toute façon l’argent on le trouve toujours…
Comment réagira à votre avis Monsieur X ? Nous l’avons vu, Monsieur X est un homme raisonnable. Il veut faire un choix en fonction de ses moyens. Il veut aussi en avoir ce qu’il y a de mieux pour la somme qu’il est prêt à y mettre. Mais comment faire un rapport qualité/prix, comment savoir si l’on n’est pas en train de s’endetter jusqu’à la 99ème génération, comment savoir s’il ne faudra pas à la fin vendre la maison pour payer la cuisine… si l’on n’a pas un devis ? Le plus probable est que Monsieur X préfère aller chez des vendeurs qui proposent peut-être des cuisines moins “design”, mais qui sont capables de vous calculer le prix.
Cette petite parabole parait évidente. Et pourtant, la gauche – et tout particulièrement la “gauche de la gauche” – ne semble toujours pas en avoir saisi le sens. Elle persiste à proposer aux citoyens des longues listes de propositions sans jamais aborder le sujet qui fâche: le devis. Et surtout, qui et comment va payer la facture. Et si quelque citoyen a l’outrecuidance de poser la question, on lui répondra que ce n’est pas le problème, qu’il ne faut pas se perdre dans des détails, que l’important est d’avoir une “vision”, de donner la bonne “direction”, bref, exactement le discours que le vendeur aura tenu à Monsieur X. Et le plus étonnant, c’est que ce discours que personne n’admettrait chez un vendeur de cuisines, les militants sont prêts à l’applaudir et à le défendre comme s’il s’agissait de l’ultime sagesse.
Il faut aimer les chiffres. Oui, je sais, je rame ici contre le courant. Les chiffres, c’est abstrait, c’est poussiéreux, c’est froid. Ca ne se prête pas aux grandes envolées, aux grandes passions. En un mot, les chiffres, ça ne fait pas rêver. C’est pas dans les chiffres qu’on trouvera le “rêve générale” qui semble être aujourd’hui le mot d’orde de la gauche boboisée. Et j’entends déjà les objections. Peut-on mettre la grande révolution de 1789 en chiffres ? Le projet républicain ? Le programme du CNR ? Non, bien sur que non, tout cela me dit-on échappe au chiffre. Les chiffres feraient donc partie du grand complot capitaliste, qui prétend réduire tout à l’aspect comptable. On y trouvera même des économistes pour regretter la “mathématisation” de leur discipline, mathématisation qui ferait disparaître des principes éthiques et moraux que l’économie devrait porter (1).
Maintenant, revenons sur terre. La mise en chiffres à représenté pour la connaissance humaine un pas en avant majeur. Le passage dans la physique et la chimie d’une description qualitative des phénomènes à leur quantification est l’une des conquêtes majeures de la renaissance et des Lumières. Au point que la capacité à quantifier les phénomènes et à les prédire reste l’élément qui sépare les sciences dites “dures” de celles dites “molles”. Et ce n’est pas pour rien que les praticiens de ces dernières couvent un sentiment d’infériorité/envie par rapport aux premières. En passant du qualitatif au quantitatif, on dispose d’un outil merveilleux pour mieux coller au réel, comprendre ses mécanismes et donc pouvoir les influencer. Savoir que l’acier est plus résistant que le bois permet d’induire qu’une poutre en bois peut être remplacée par une poutre en acier plus fine. Mais savoir de combien l’acier est plus résistant me permet de prédire exactement de quelle épaisseur doit être la poutre pour que mon plafond ne me retombe pas sur la tête. Ce qui permet d’économiser beaucoup de bois, d’acier et d’accidents.
Parce que le chiffre nous permet de mieux coller au réel, il pose un problème en politique et tout particulièrement à gauche. Car de la même manière que toute vérité n’est pas bonne à dire, on n’a pas forcément envie dans certaines organisations politiques de coller à la réalité de trop près. Tant qu’on reste dans le qualitatif, on peut tout rêver, tout promettre sans aucune contrainte. Dans le monde du qualitatif, la géothermie peut remplacer le nucléaire. Mais dès qu’on essaye de passer dans le quantitatif, de mettre des chiffres sur les projets, on découvre rapidement les limites: le potentiel géothermique ne représente au mieux que quelques centaines de megawatts, pas de quoi remplacer les dizaines de milliers de megawatts du parc nucléaire. Parce que les moyens sont limités, penser le quantitatif oblige à faire des choix, ce qui implique établir des hiérarchies entre les objectifs. Et établir des hiérarchies, c’est forcément mécontenter certains groupes parce qu’on ne peut pas mettre tout le monde en haut de la liste. Or, la logique de la politique-marketing d’aujourd’hui est bien celle du père Noël: il faut avoir dans sa besace un cadeau pour faire plaisir à chaque groupe, pour chaque “communauté”.
Voilà pourquoi la gauche en général et la gauche radicale en particulier n’ont pas envie de parler chiffres. Parce que parler chiffres, c’est se voir expulsé du paradis des bisounours ou tout est possible tout de suite, et tomber dans le monde réel ou tout a un prix et ou les ressources sont limitées.
La gauche issue de mai 1968 – c’est à dire, la presque totalité de la gauche à l’exclusion des jacobins style Chèvenement et d’une partie de plus en plus minoritaire du PCF – est essentiellement infantile, en ce qu’il y a de pire dans l’enfance: la logique de la toute-puissance. Il suffit de vouloir pour que cela soit possible. La réalité se plie toujours à notre volonté. Et si une politique échoue, ce n’est pas parce qu’elle a une faille structurelle qui ne lui permet pas de réussir, mais parce qu’on s’est pas mobilisé suffisamment. Une telle croyance rejette par avance toute idée de mise en chiffres, parce que cela reviendrait à admettre que la réalité est régie par des lois que notre volonté n’est pas en mesure de changer. Or, la gauche radicale veut continuer à croire que Che Guevara était capable de vaincre la loi de la pesanteur par la simple magie de la “volonté révolutionnaire”.
La gauche française a été une gauche soucieuse de coller au réel et donc amie des chiffres. L’idée même de planification, qui était une idée de gauche avant d’être reprise ensuite par la droite jacobine, repose sur l’intérêt d’utiliser les instrument scientifiques, et notamment les modèles mathématiques pour diriger l’économie. Il n’y a pas, il ne peut y avoir de planification sans outils quantitatifs. L’éclatant succès du premier plan quinquennal soviétique (1928-33) fut la matrice des “planistes” français des années 1930 et du dispositif de planification mis en place après la Libération (2). Plus près de nous, on peut citer l’énorme travail réalisé pour le chiffrage du programme commun, qui n’a pas peu contribué à le rende crédible auprès de l’opinion.
Mais plus maintenant. Comme dans beaucoup d’autres domaines, mai 1968 marque le point de rupture. En trente ans, la gauche a renié ses racines rationalistes et empiristes et s’est réfugiée dans l’irrationalisme romantique. La science n’est plus à gauche synonyme de libération, mais de menace. Et de manière concomitante, l’idée de la mesure comme moyen de connaissance, cette inégalable conquête des lumières, a été chassée de l’univers mental de la gauche pour être remplacé par toutes sortes d’obscurantismes post-modernes. La “rêve générale” et la “rev(e)olution” sont des slogans fort révélateurs de la tendance de la gauche de fuir le réel pour se réfugier dans un monde onirique.
Seulement voilà: les citoyens sont fatigués des marchands de rêves. L’effondrement du credo néo-libéral suite à la crise financière aurait du ouvrir un boulevard à la gauche et surtout à la “gauche radicale”. Après tout, n’avait-elle prédit l’effondrement en question (3)? Et pourtant, les études d’opinion montrent que s’il y a une certaine sympathie dans l’opinion pour les idées de la “gauche radicale”, cette sympathie ne se traduit pas en termes de vote. On aime bien les discours de Mélenchon, de Buffet, de Besancenot… mais on ne pense pas qu’ils soient capables pour autant de gouverner ou de changer quelque chose.
La “gauche radicale” a un problème de crédibilité. A force de se réfugier dans le rêve, elle est incapable de parler le langage de la réalité. Qui est celui des chiffres. Lorsque les députes PG et PCF déposent à grand bruit un “projet de loi de financement des retraites”, mais omettent d’indiquer une estimation justifiée des sommes qui pourraient être dégagées par chacune de ses dispositions, ça pose un sérieux problème de crédibilité. Lorsqu’on observe qu’aucun travail de chiffrage n’a été fait pour préparer le “programme partagé” du Front de Gauche, lorsqu’on voit que le PS continue de sortir des propositions en veux-tu en voilà pour “l’égalité réelle” sans jamais se demander comment on les finance… on doit se demander combien les Monsieurs X pourraient acheter une telle cuisine.
Descartes
(1) Il est d’ailleurs curieux en matière scientifique de rejeter une méthode non pas parce qu’elle serait fausse, mais parce qu’elle ne donne pas les résultats souhaités. Les résultats scientifiques n’ont pas à être conformes à tel ou tel préjugé politique ou moral. Penser le contraire nous raménerait à l’époque où l’église catholique faisait taire ceux qui prétendaint que les planètes tournaient autour du soleil au motif qu’une telle affirmation mettait en cause le dogme chrétien.
(2) C’est d’ailleurs significatif que ce dispositif ait été supprimé par un gouvernement de gauche post 68.
(3) Ok, il est vrai qu’elle s’était trompée lourdement sur les raisons de l’effondrement. Mais ce qui compte, c’est de l’avoir prédit, n’est ce pas ?
Bonjour Descartes,
Mais enfin, Ils (la gauche radicale)vont te dire que tu es un technicien, pire un gestionnaire, que tu es déformé par le monde de l’entreprise, que…que…
JLM n’a t-il pas dit dans son discours au congrès du PG que “pour les recettes, ne vous inquiétez pas, nous savons où les prendre!” Tout est dit, circulez, rien à voir!
Le + grave, est qu’ils ne savent pas ce qu’est une fin de mois difficile. Alors, quand ils ont un coup de foudre (tout relatif!), ils achètent, l’endettement n’est pas un problème vu les salaires
quitte à se serrer la ceinture pendant quelques temps.
Seulement voilà, après avoir frappé, le chômage, les ouvriers immigrés dans les usines de l’automobile dans les années 80-90 (et ouais, ils ne savaient pas lire le français, les pauvres malheureux
donc incapables de comprendre les TIC), les couches moyennes malgrè leurs diplômes ne trouvent plus de boulot ou à des salaires d’ OS.
Je dois dire qu’ils nous ont bien laissé seul dans la bagarre et parfois, ils nous regardaient faire avec le…sourire!
JLM a déclaré, sur son blog il y a env. 3 ans, que “pour faire un programme, il suffisait de se mette autour d’une table avec papier, crayon!” Je ne l’ai pas inventé seulement lu. Il est vrai qu’à
cette époque, nous étions quelques uns à lui demander d’utiliser internet comme outil de communication pour réaliser ce “challenge”. Mais pour lui, rien ne pouvaient remplacer les “bonnes vieilles
méthodes du militantisme. Il a beaucoup évoluer depuis.
A mon avis, le débat face MLP sera décisif pour le vote des militants du PCF. Il n’est pas exclu que MLP utilise ce “manque” de chiffrage” pour enfoncer le clou et là nous allons à
l’aventure!!!
Bon j’arrête, j’ai été long!
Mais enfin, Ils (la gauche radicale)vont te dire que tu es un technicien, pire un gestionnaire, que tu es déformé par le monde de l’entreprise, que…que…
“Si les gens qui disent du mal de moi savaient ce que je pense d’eux, ils en diraient bien davantage…” (Sacha Guitry)
JLM n’a t-il pas dit dans son discours au congrès du PG que “pour les recettes, ne vous inquiétez pas, nous savons où les prendre!” Tout est dit, circulez, rien à voir!
Qu’on dise ça dans un discours, ce n’est pas rhédibitoire. Après tout, on n’est pas censé dans un discours politique défendre une thèse de doctorat. Ce qui est plus inquiétant, c’est que dans les
instances censées travailler sérieusement au “programme”, on répète la même chose. L’élection, c’est dans 14 mois et non seulement on n’a pas le moindre travail sérieux de chiffrage des
propositions, mais on n’a même pas mis en place les structures capabls de faire ce travail…
Le + grave, est qu’ils ne savent pas ce qu’est une fin de mois difficile.
Là, désolé, mais je ne suis pas d’accord avec toi. Cette idée qu’il faut connaître la misère dans sa propre chair pour se mettre du côté des exploités est du pur populisme. Delouvrier n’a jamais
été SDF, et il a fait bien plus pour le logement populaire que l’Abbé Pierre. Le problème de la “gauche radicale” n’est pas que ses dirigeants viennent des classes moyennes, mais qu’ils sont
incapables de s’abstraire des intérêts de leur classe…
JLM a déclaré, sur son blog il y a env. 3 ans, que “pour faire un programme, il suffisait de se mette autour d’une table avec papier, crayon!”
Il a raison: seulement, il faut mettre les bonnes personnes autour de la table (de préférence, des gens qui comprennent quelque chose au fonctionnement de l’économie), organiser leur travail et
les garder très, très longtemps…
A mon avis, le débat face MLP sera décisif pour le vote des militants du PCF. Il n’est pas exclu que MLP utilise ce “manque” de chiffrage” pour enfoncer le clou et là nous allons à
l’aventure!!!
Je ne crois pas. Si je peux me permettre une prédiction, le débat avec MLP n’aura rien d’un débat: ce sera la superposition de deux monologues. Parce que un “débat” est une situation ou plusieurs
personnes cherchent à convertir un même auditoire à ses idées. Dans la confrontation JLM-MLP, chacun parlera à un auditoire différent: JLM parlera aux classes moyennes “politiquement correctes”,
MLP parlera aux couches populaires et à la petite classe moyenne terrorisée par le déclassement. Aucun des deux ne cherchera à convaincre l’auditoire de l’autre qu’il a raison, il cherchera
seulement à faire bonne figure devant son auditoire. Et les deux y réussiront. Je te parie ce que tu veux qu’après le “débat” chaque camp sera ravi de la prestation de son candidat…
Maintenant, si JLM avait derrière lui un programme “crédible” (c’est à dire, dans mon esprit, hiérarchisé et chiffré), il pourrait se lancer à la conquête de l’électorat populaire de MLP. Mais
sans cet outil, je doute qu’il puisse le faire.
Bonjour
Vous ecrivez :
« On y trouvera même des économistes pour regretter la “mathématisation” de leur discipline, mathématisation qui ferait disparaître des principes éthiques et moraux que l’économie devrait porter
«
Il me semble que là vous êtes injuste ; A mon avis,ceux auxquels vous faites allusion ne contestent pas le principe de la nécessité d’une évaluation comptable d’un projet politique _ tels coûts,
telles recettes _ mais la prétention à modéliser en équations tous les comportements économiques.
Jacques Généreux in « les vraies lois de l’économie », ed points , page 39 :
« c’est cette dernière prétention que l’on dénomme habituellement le scientisme. Karl Marx la repère déjà chez les classiques anglais, a qui il en fait le reproche : c’est par intérêt que vous
érigez en lois éternelles de la nature et de la raison vos rapports de production et de propriété, qui n’ont qu’un caractère historique…
et plus loin : « l’ économie classique a, dans un premier temps, évacué de son champs de vision tout ce qui ne pouvait se mettre aisément en équations… «
en conclusion : le scientisme est ainsi comparable a l’attitude d’un tailleur qui, pour faire rentrer un client très grand dans un costume trop court amputerait les bras plutôt que de retailler les
manches .
Bien entendu, cette mutilation que dénonce Généreux a un but précis : épaissir le rideau de fumée qui masque des choix politiques défavorables aux travailleurs ; c’est cette mathématisation que
dénoncent aussi les éconoclastes dans leur manifeste, qui démarre leur ouvrage « petit bréviaire des idées recues en économie »
Pour le reste, vous avez entièrement raison ; les socialistes ( je parle de la direction du PS) ne veulent pas de chiffrage parce que cela représenterait un éclairage nuisible au rideau de fumée
dont je parle plus haut, et derrière lequel ils se cachent pour continuer d’exister ; et la gauche alternative parce que chiffrer signifie faire des choix : Or choisir, c’est renoncer. Et elle
préfère effectivement le tout rêvé a une partie seulement, fût –elle bien réelle.
Il me semble que là vous êtes injuste ; A mon avis,ceux auxquels vous faites allusion ne contestent pas le principe de la nécessité d’une évaluation comptable d’un projet politique _ tels
coûts, telles recettes _ mais la prétention à modéliser en équations tous les comportements économiques.
Je ne suis nullement “injuste”. Pour évaluer un projet politique, l’approche purement comptable ne suffit pas. Prenons un exemple si vous voulez: supposons que je propose d’augmenter le salaire
des fonctionnaires de 20% et de le financer par l’emprunt. Posé comme ça, cela semble un pur exercice démagogique. Mais si je vous décris le mécanisme, cela devient raisonnable: pour payer
l’augmentation l’Etat emprunte. Et lorsque les fonctionnaires vont dépenser leur supplément de salaire, cela créera de la demande supplémentaire, donc de l’activité chez les entreprises, donc des
rentrées fiscales supplémentaires, et avec ces rentrées supplémentaires… je rembourse l’emprunt.
Seulement, comment je fais pour savoir si les rentrées supplémentaires seront suffisante pour rembourser l’emprunt ? Pour cela, il me faut “modéliser en équations les comportements économiques”:
modéliser le comportement de dépense des fonctionnaires pour pouvoir calculer l’effet de l’augmentation sur la demande, modéliser le comportement des entreprises pour anticiper leur réponse à la
demande, modéliser enfin le système fiscal pour calculer l’effet du comportement des entreprises sur les rentrées fiscales…
“Chiffrer” un programme, ce n’est pas seulement une question comptable. Il y a des effets de bouclage qui font que certaines mesures genèrent d’elles mêmes de quoi les financer, alors que
d’autres ont pour effet de réduire les ressources. Comment le savoir si on se refuse à “modéliser en équations les comportements économiques” ?
Jacques Généreux in « les vraies lois de l’économie », ed points , page 39 :
« c’est cette dernière prétention que l’on dénomme habituellement le scientisme. Karl Marx la repère déjà chez les classiques anglais, a qui il en fait le reproche : c’est par intérêt que
vous érigez en lois éternelles de la nature et de la raison vos rapports de production et de propriété, qui n’ont qu’un caractère historique… et plus loin : « l’ économie classique a, dans un
premier temps, évacué de son champs de vision tout ce qui ne pouvait se mettre aisément en équations…
Je ne vois pas le rapport. Que les rapports de production et de propriété aient un caractère historique n’implique nullement qu’il ne faille pas les mettre en équations. Et le second reproche est
encore plus ambigu: la faute des classiques serait d’avoir “évacué de son champ de vision tout ce qui ne peut se mettre aisément en équations”, ce qui sonne plutôt comme une
invitation à prendre aussi en compte les phénomènes qu’il est plus difficile de mettre en équations… mais pas à renoncer aux équations complètement.
Bien entendu, cette mutilation que dénonce Généreux a un but précis : épaissir le rideau de fumée qui masque des choix politiques défavorables aux travailleurs ; c’est cette mathématisation
que dénoncent aussi les éconoclastes dans leur manifeste, qui démarre leur ouvrage « petit bréviaire des idées recues en économie »
Certainement. Mais à mon avis, ils se trompent de cible. Ce qu’ils dénoncent sous le mot infamant de “scientisme” est simplement la méthode scientifique. Si l’économie devient un jour une science
(comme le sont devenues la physique, la chimie, la biologie…) c’est grâce à l’outil mathématique, et non contre lui. Je pense que les “éconoclastes” sont un peu comme ces alchimistes qui
trouvaient que les méthodes balbutiantes de la chimie scientifique “gâchaient le métier”.
Ça tombe bien ! Je cherchais où préciser ma pensée sur l’intervention un peu “olé olé” que j’ai faite l’autre soir sur le blog que tu sais. Dans un élan une peu enthousiaste j’ai fustigé les
“chiffres”, mais mon intention était surtout de mettre l’accent sur la nécessité d’indépendance du pays. Parce que pour choisir la politique à appliquer, il faut déjà “pouvoir” l’appliquer. C’est
pourquoi j’attends surtout des “prétendants à la représentation”, des déclarations d’intention à ce sujet. Ça ne fait pas tout, mais c’est un point de départ.
Cela dit, je suis aussi pour une politique de la réalité.
Franchement, si tu veux des “déclarations d’intention”, tu vas être servi… moi, j’ai envie d’autre chose, justement. Je voudrais un candidat qui me montre comment il fait pour traduire ses
“intentions” en réalités.
Je trouve qu’elles ne sont pas si nombreuses que ça en matière d’indépendance et/ou de souveraineté (notamment par rapport à l’Europe). Et certaines sont plus crédibles que d’autres. Mais en ce qui
me concerne, c’est un peu un point de départ.
Je comprends que tu es plus aguerri en matière de gestion politique et que ton point de vue est plus exigeant. Mais à quoi bon monter des projets très précis et très chiffrés si nous sommes pieds
et poings liés ? C’est juste ce que je voulais dire. Ce n’est pas une opposition à “ta méthode”, c’est une condition à son utilité future.
Cordialement.
Mais à quoi bon monter des projets très précis et très chiffrés si nous sommes pieds et poings liés ?
Et bien, ne serait-ce que pour mésurer à quel point nous sommes “pieds et poings liés”. Personnellement, je pense qu’on est “pieds et poings liés” seulement dans la mesure où l’on accepte de
l’être. Pour le reste, c’est une question du prix qu’on est prêt à payer pour être libre de nos choix.
Bien entendu, il faudrait un projet crédible avec outils de simulation et chiffré. Ne serait-ce que parce que l’instauration d’un gouvernement qui revendique sa priorité pour les couches
défavorisées n’a cours nulle part aujourd’hui.
Mais, il est permis de s’interroger : au fond cette « gauche radicale » croît-elle vraiment qu’elle peut parvenir au pouvoir ? L’attitude de ses composantes diverses permet d’en douter très
sérieusement.
De grâce, Descartes, épargnez nous la référence au 1er plan quinquennal soviétique, temps de déportation massive notamment de paysans souvent repeints en koulaks. Ce plan voit la fondation de
l’administration du goulag qui porte le nombre de détenus à 2 millions, les premiers procès politiques : mencheviks, « industriels » et s’achève avec l’atroce famine en Ukraine.
Mais, il est permis de s’interroger : au fond cette « gauche radicale » croît-elle vraiment qu’elle peut parvenir au pouvoir ? L’attitude de ses composantes diverses permet d’en douter très
sérieusement.
C’est précisement mon point: le refus du réel de cette “gauche radicale” me conduit comme toi à douter qu’elle croie vraiment au pouvoir. Si elle y croyait, elle voirait l’urgence de se doter
d’outils de prospective pour pouvoir gouverner. On peut même se demander si cette gauche veut vraiment le pouvoir: après tout, gouverner c’est choisir…
De grâce, Descartes, épargnez nous la référence au 1er plan quinquennal soviétique, temps de déportation massive notamment de paysans souvent repeints en koulaks.
Avec ce genre de critères, il ne resterait pas beaucoup de “références” acceptables. A-t-on droit de parler du “New Deal” de Roosevelt alors que la moitié des Etats-Unis vivaient sous un régime
d’apartheid ? Comment se référer au keynesianisme alors que le quart du monde vivait sous le joug colonial britannique ?
En histoire, on est obligé de faire avec ce qu’on a. Les deux premiers plans quinquennaux ont été des succès économiques éclatants, et toute l’idéologie “planiste” qui, à droite comme à gauche,
aura marqué les années 1930 et les “trente glorieuses” est fille de ce succès. L’ignorer au nom d’on ne sait quelle “histoire morale” n’a pas de sens.
Excellente note 😉
Il faut (heureusement) souligner que les économistes dont tu parles sont de plus en plus minoritaires. De facto, l’économie n’a jamais, de toute son histoire, été aussi matheuse. L’économie moderne
(honteusement libéralo-capitalo-aliénante, bien sûr), c’est des maths, des maths, des maths. Même la science économique française, qui est pourtant dans un sale état, commence doucement à
s’améliorer.
L’économie moderne (honteusement libéralo-capitalo-aliénante, bien sûr), c’est des maths, des maths, des maths. Même la science économique française, qui est pourtant dans un sale état,
commence doucement à s’améliorer.
Je te trouve bien sévère. On ne peut pas réduire la “science économique française” au Monde Diplomatique et à Marianne. En fait, l’école économique française a toujours été “matheuse”: de Sauvy à
Allais, de Boiteux à Aglietta, des obscurs de feu le Commissariat du Plan à ceux de la Direction de la Prévision et à l’INSEE, l’importance de la statistique et des modèles mathématiques a
toujours été reconnue en France. C’est plutôt le monde universitaire post-68 qui a vu dans la rigueur mathématique un obstacle à l’utilisation idéologique de l’économie pour la “bonne
cause”.
Quand je dis que la science économique française est dans un sale état, c’est dans la mesure où ici-bas, 95% des lectures économiques pertinentes se font en anglais. Je ne prétends pas à une
position dominante de la France au prix de la banque de Suède, mais nous devrions pouvoir faire bien mieux côté publications.
Bonjour,
“Là, désolé, mais je ne suis pas d’accord avec toi. Cette idée qu’il faut connaître la misère dans sa propre chair pour se mettre du côté des exploités est du pur populisme.”
Tu as raison, Delouvrier n’a jamais été SDF mais malheureusement, ils sont nombreux à penser “qu’il faut connaître la misère dans sa propre chair pour se mettre du côté des exploités”. Dans ma vie
de militant, j’en ai rencontré des milliers, des “populistes” et je ne fais que relater cette tendance même si nous devons élever le débat.
Je traine mes oreilles dans tous les lieux publiques et les petits comités restreints, les + souvent populaires où les gens se livrent sincèrement. Et crois-moi, ce n’est pas “jojo”!
Maintenant, sur le fond de ton “papier”, je suis d’accord avec toi. La “sociale-démocratie” a toujours été “brouillée” avec l’expertise économique. Je me rappelle des discussions sur le programme
commun où le PS venait “les mains dans les poches”.
Désolé pour mon “langage populiste” mais il faut aussi convaincre toutes les couches de notre société.
Toutes mes félicitations pour la fréquentation de ton blog qui va cressendo!!!
Tu as raison, Delouvrier n’a jamais été SDF mais malheureusement, ils sont nombreux à penser “qu’il faut connaître la misère dans sa propre chair pour se mettre du côté des exploités”.
Malheureusement, oui. C’est l’héritage empoisonné de l’anarcho-syndicalisme et d’une mauvaise lecture de Marx.
Je traine mes oreilles dans tous les lieux publiques et les petits comités restreints, les + souvent populaires où les gens se livrent sincèrement. Et crois-moi, ce n’est pas “jojo”!
Je fais la même chose. Et je dois dire que même si on entend des choses qui ne sont pas “jojo”, je suis toujours frappé par le profond bon sens du “peuple d’en bas” et son attachement aux valeurs
de la République, même si quelquefois il s’exprime d’une manière quelquefois contradictoire. Et à chaque fois je me dis qu’il est dommage qu’il n’y ait plus de parti de gauche en France qui
occupe ce terrain comme le fit le PCF entre 1930 et 1990.
Je ne sais que penser de votre billet …
D’un coté on a “spontanément” envie de vous donner raison. Oui, ce serait bien que les propositions des partis politiques ne soient pas seulement un catalogue de promesses, propositions plus ou
moins irréalistes ou incompatibles entre elles.
Maintenant faut-il que les partis, les candidats élaborent un programme cohérent ? Cela me paraîtrait briser le rêve nécessaire des électeurs qui vous essayez d’attirer.
Pour reprendre votre observation sur la “géothermie” de JL Mélenchon, cela lui permet de dire plusieurs choses:
1- à son électorat “écolo” qu’il est un vrai écolo anti-nucléaire bon teint, et surtout qu’il a dans sa besace un “miracle” qui permet d’être à la fois écolo et de continuer à vivre comme avant
2- à son électorat “populaire” qu’il est un vrai leader “macho” à la Castro, qu’il est un vrai “caractère”, qu’il sait décider de tout en grand leader.
3- au lobby nucléaire, au PCF, de ne pas s’inquiéter, car sa position est suffisament farfelue pour qu’ils ne risquent rien si il est élu.
En conclusion, il a intérêt a ne pas avoir de programme cohérent (et les autres aussi)
Maintenant faut-il que les partis, les candidats élaborent un programme cohérent ? Cela me paraîtrait briser le rêve nécessaire des électeurs qui vous essayez d’attirer.
C’est une très bonne question. Et la réponse, à mon sens, est que cela dépend le genre d’électeurs qu’on veut toucher. Si l’on s’adresse aux classes moyennes, mieux vaut
effectivement rester dans le vague. Parce que la dernière chose que les classes moyennes veulent, c’est un véritable changement, parce qu’elles savent qu’elles seront les premières à passer à la
caisse (les pauvres sont nombreux mais n’ont pas d’argent, les riches ont de l’argent mais ils sont peu nombreux). Un “programme cohérent” ne peut que mettre en lumière ce fait… et du coup
effrayer ces gens-là.
Maintenant, si le but est de toucher les catégories populaires, je ne suis pas sur que la demande de “rêve” se situe au niveau du programme. Il faut bien entendu proposer une “vision”
eschatologique de lendemains qui chantent. Mais les citoyens sont suffisamment adultes pour distinguer ce qui relève du programme d’action immédiat et ce qui relève de la pétition de principe.
L’histoire du PCF montre que l’idéalisme a long terme et le pragmatisme à court terme sont parfaitement compatibles.
Votre exemple concernant la géothermie est effectivement très bon. Mais il faut comprendre qu’un discours peut attirer des sympathies sans que cela se traduise en voix. Le discours sur la
géothermie est éminément “sympatique”: il fait plaisir à tout le monde sans véritablement inquiéter personne. Mais il y a toujours un moment où les citoyens se disent “ok, il est bien gentil ce
petit, mais qu’est ce qu’il fera effectivement s’il est élu ?”. Et à ce niveau les discours irréalistes ont toujours joué contre la “gauche radicale”.
Je persiste à croire que le problème N°1 de la gauche (et de la gauche radicale en particulier) est un problème de crédibilité. Après les expériences de 1981, 1988 et 1997 les français se méfient
(et ils ont raison) des promesses d’une gauche qui à chaque fois, une fois arrivée au pouvoir, a navigué à vue, suivi la ligne de moindre résistance et en fin de comptes trahi ses engagements au
nom du “réalisme”. C’est pourquoi aligner de promesses sans montrer comment on les réalise peut attirer la sympathie, mais n’attirera pas des voix.
Bonjour,
Vous écrivez:
Et le second reproche est encore plus ambigu: la faute des classiques serait d’avoir “évacué de son champ de vision tout ce qui ne peut se mettre aisément en équations”, ce qui sonne plutôt comme
une invitation à prendre aussi en compte les phénomènes qu’il est plus difficile de mettre en équations… mais pas à renoncer aux équations complètement.
Si l’on a vécu des situations professionnelles ou citoyennes nécessitant des prises de décision socio-économiques,cette assertion ne peut qu’être soutenue.
Seulement, combien parmi les électeurs peuvent s’inscrire dans ce périmètre ? Combien sont prèts à suivre les rigueurs d’une analyse surtout s’il s’agit de quantifier des critères de décision
intégrant des données humaines, de type qualitatif, culturel ou éthique. Tout peut se quantifier à condition d’établir des grilles complexes de valorisation crédibles donc acceptées par le plus
grand nombre(la démocratie après tout), mais jusqu’à quel point cela est applicable? Il y a aussi les effets pervers,vertueux ou vicieux qui souvent non prédictifs sont toujours prêts à brouiller
la partie.
2%….5%? Combien dans le corps électoral sont disposés à faire l’effort de compréhension nécessaire?
Comment marier la carpe et le lapin?
Personnellement, je trouverais pertinent que sur 7 à 10 dossiers “phares”,JLM et son équipe soient parfaitement blindés. La confiance globale ainsi acquise bénéficiant à l’ensemble des autres
positions qui demeurent sans doute, matériellement, difficiles à vraiment approfondir.
C’est bien la capacité à employer et a appliquer une méthode efficiente qu’il leur faut démontrer.
Vous concluez:
Pour le reste, c’est une question du prix qu’on est prêt à payer pour être libre de nos choix.
C’est là l’essentiel, mais ce n’est pas alors de méthode qu’il est nécessaire mais surtout de courage.
Parce que la crédibilité est aussi affaire de courage devant les réalités. Demain on rase gratis est une pure utopie, celui qui l’affirme acquiert déjà une part de crédibilité.
Est ce encore possible en accord avec des notables, installés, institutionnalisés,cramponnés à leur fief ?
“QU’ILS S’EN AILLENT TOUS !”……. Allez, 60% sont peut être suffisants, mais alors dans tous les partis, les institutions oligarchiques, les planques républicaines,des paroisses municipales aux
nationales, etc….
Combien sont prèts à suivre les rigueurs d’une analyse surtout s’il s’agit de quantifier des critères de décision intégrant des données humaines, de type qualitatif, culturel ou éthique. Tout
peut se quantifier à condition d’établir des grilles complexes de valorisation crédibles donc acceptées par le plus grand nombre(la démocratie après tout), mais jusqu’à quel point cela est
applicable?
Il n’y a pas de “démocratie” en sciences. Quand bien même “le plus grand nombre” refuserait la théorie de la rélativité, elle ne serait pas moins scientifiquement vraie. Les “grilles de
valorisation” n’ont pas a être “acceptés par le plus grand nombre”. Elles ne peuvent être validées que par la conformité des résultats qu’elles fournissent avec une théorie donnée (et elles ne
sont valables que dans le cadre de cette théorie).
2%….5%? Combien dans le corps électoral sont disposés à faire l’effort de compréhension nécessaire?
Très peu. Mais les citoyens sont en fait beaucoup plus rationnels qu’on ne le pense. S’ils n’ont pas les moyens ou l’envie de faire l’effort nécessaire pour comprendre, ils sont parfaitement
conscients de l’importance de la chose et sont prêts à déléguer cette comprehension à des “experts” en qui ils ont confiance. Si la gauche proposait demain un programme bien chiffré et
hiérarchisé, il est possible que beaucoup d’électeurs ne prendraient pas la peine de le lire. Mais ils liraient certainement les avis des experts…
Personnellement, je trouverais pertinent que sur 7 à 10 dossiers “phares”,JLM et son équipe soient parfaitement blindés. La confiance globale ainsi acquise bénéficiant à l’ensemble des autres
positions qui demeurent sans doute, matériellement, difficiles à vraiment approfondir.
Ce serait déjà un très bon début. Je ne crois pas que les citoyens en soient à demander un programme exhaustif. Si JLM était en mesure de prouver que sur une dizaine de dossiers “phares” il est
en mesure de proposer des solutions cohérentes, hiérarchisées et chiffrées et d’expliquer comment il compte les réaliser, ce serait déjà un grand pas en avant.
Vous concluez: “Pour le reste, c’est une question du prix qu’on est prêt à payer pour être libre de nos choix”. C’est là l’essentiel, mais ce n’est pas alors de méthode qu’il est nécessaire
mais surtout de courage.
S’embarquer sans savoir où l’on va et combien coûte la traversée, ce n’est pas du “courage”, c’est de l’inconscience. Comment pourrions nous décider rationnellement que nous sommes prêts à payer
le prix si nous ne le connaissons pas ? Et calculer ce prix, c’est bien une question de méthode…
Parce que la crédibilité est aussi affaire de courage devant les réalités. Demain on rase gratis est une pure utopie, celui qui l’affirme acquiert déjà une part de crédibilité.
Encore une fois, le “courage devant les réalités” implique d’abord de connaître “les réalités”. Il n’y a aucun “courage” a affirmer des “utopies”, au contraire.
“QU’ILS S’EN AILLENT TOUS !”……. Allez, 60% sont peut être suffisants, mais alors dans tous les partis, les institutions oligarchiques, les planques républicaines,des paroisses municipales
aux nationales, etc….
Je déteste profondément ce mot d’ordre. Parce qu’en pratique, il veut dire “qu’ils s’en aillent tous… ceux que je n’aime pas”.
Je suis d’accord sur l’importance du chiffrage, surtout si on veut lancer des grands travaux d’infrastructure.
Le petit éditeur Bruno Leprince édite des livrets des militants du PG, mais a aussi édité les archives de CERES, que j’ai dévorés. Surtout celui “L’esprit d’une politique industrielle” : là on
n’est certes pas dans les chiffres mais les principes, mais quelle lucidité, quelle acuité (écrit juste avant 1968) ! En tant que jeune militante, je connaissais l’excellente réputation de CERES et
j’avais déjà lu quelques uns de leurs textes. J’arrivais pas à croire qu’au PS il existait à l’époque des gens qui bossaient sérieusement, vu l’aversion que j’ai pour ce parti.
Bon cet aperté mise à part (tu m’en excuseras), peux-tu m’indiquer ce que tu voulais dire par :
“Après tout, n’avait-elle prédit l’effondrement en question (3)? (3) Ok, il est vrai qu’elle s’était trompée lourdement sur les raisons de l’effondrement. Mais ce qui compte, c’est de l’avoir
prédit, n’est ce pas ?”
Quelles sont les mauvaises raisons de l’effondrement qui te semblent avoir été mises en avant par la gauche, et les vraies bonnes raisons qu’elle a occultées ?
En tant que jeune militante, je connaissais l’excellente réputation de CERES et j’avais déjà lu quelques uns de leurs textes. J’arrivais pas à croire qu’au PS il existait à l’époque des gens
qui bossaient sérieusement, vu l’aversion que j’ai pour ce parti.
Eh oui! Il y en avait au PS, il y en avait au PCF, il y en avait même dans la droite. On bossait sérieusement dans les partis politiques avant mai 68. C’est après que le “spontanéisme” et la
croyance dans les “savoirs immanents” se sont imposés avec les résultats que l’on sait.
Quelles sont les mauvaises raisons de l’effondrement qui te semblent avoir été mises en avant par la gauche, et les vraies bonnes raisons qu’elle a occultées ?
Je n’irais pas jusqu’à dire que la gauche a “occulté” quoi que ce soit. Simplement, qu’elle s’est gourrée dans ses analyses. Le discours de la gauche est depuis trente ans un discours
volontariste: la seule possibilité de défaire les idées néo-libérales, c’était de les combattre afin de réconquérir l’hégémonie idéologique. Seul le peuple en armes (pour faire schématique)
pouvait abattre le néo-libéralisme. La gauche n’a pas réalisé que la “bulle” permise par la dérégulation financière et la politique accomodante de la Réserve Fédérale allait exploser tôt ou
tard, entraînant avec elle bien des fortunes…
Il semble que la gauche romantique/utopique a pris le dessus sur la gauche à caractère scientifique/rationnel depuis un évènement bien connu de la gauche à tendance radical: Mai 68. Je suis
toujours marqué -même si je suis jeune et que je ne peux parler d’expérience sur le long cour- de l’attitude de nombreux sympathisants et militants de gauche raisonnant par slogans faciles, autant
dire c’est tout sauf réfléchir. Bien que les manifestations ne sont pas des moments de réflexions approfondies mais l’expression d’un rapport de force, j’ai entendu un nombre impressionnant
d’inepties, apparemment mobilisatrice au début puisqu’ils étaient vraiment tous convaincus d’avoir un argumentaire efficace car mobilisateur et réaliste puisque beaucoup de gens ont suivis le
mouvement, mais on a bien vu que le gouvernement a gagné le bras de fer par lassitude des manifestants et de l’opinion mais surtout parce qu’il n’y a pas eu de contre proposition jugé crédible par
l’opinion au moment où on s’est intéressé au débouché de ce mouvement. La gauche a plus préparé comment parader dans la rue que de mettre sur pied un contre projet crédible. Le primat de l’action
sur la réflexion..
Il semble que la gauche romantique/utopique a pris le dessus sur la gauche à caractère scientifique/rationnel depuis un évènement bien connu de la gauche à tendance radical: Mai 68.
Il ne faut pas exagérer l’importance réelle de mai 68. Mai 68 est un symptome d’un mouvement bien plus profond, et non pas la cause de ce mouvement. L’ascenseur social des “trente glorieuses” a
produit une classe moyenne dont le premier souci une fois installée a été de casser l’ascenseur social, pour empêcher les enfants des couches populaires de venir faire la concurrence à ses
propres enfants. La transformation de la gauche scientifique/rationnelle vers une gauche romantique/utopique traduit en grande partie cette mutation. La gauche scientifique/rationnelle croyait
dans la capacité des hommes à sortir de leur condition, la gauche romantique/utopique leur repète “vous devez être fiers de ce que vous êtes”.
Pour le reste, totalement d’accord avec toi. Le primat de l’action est une impasse dont la gauche (et surtout la gauche radicale) n’est pas prête de sortir.
J’ai une question: d’où te vient cette hostilité envers les “classes moyennes”? Comment définis-tu précisément cette catégorie de la population?
Je pose la question parce que je fais partie des classes moyennes, comme mes parents. Je fréquente des gens qui appartiennent aux classes moyennes, et les uns sont de gauche, d’autres de droites,
les uns étatistes, les autres libéraux. Certains votent Besancenot, d’autres Le Pen.
Le pluriel même que tu emploies prouve la faiblesse de ton concept: les classes moyennes sont tellement diverses qu’il est bien difficile de trouver leur unité. Or tu considères qu’elles ont un
“comportement de classe” qui serait unanime. Certes non! Peut-être partagent-elles des intérêts (je le crois) mais leur unité laisse à désirer.
Tu parles des classes moyennes comme certains parlent des immigrés en imaginant qu’ils sont tous noirs ou beurs avec une casquette à l’envers. Quelle vision réductrice! Voilà qui ne cadre guère
avec ton habituelle rigueur.
Qui sont ces classes moyennes? Bien souvent les enfants de paysans ou d’ouvriers qui ont réussi une petite ascension sociale… exactement ce que souhaitaient leurs parents issus des classes
“populaires”! Or tu sembles négliger ce détail. Oui, ma grand-mère fut paysanne, puis ouvrière dans divers secteurs. Elle ne rougit pas que son petit-fils soit enseignant, autant que je sache.
Dans une réponse, tu écris: “elles seront les premières à passer à la caisse”. Ah bon? Qui finance le fonctionnement du pays à l’heure actuelle? Les pauvres qui ne paient pas d’impôts? Les riches
qui mettent leur argent à l’abri ailleurs? Non? Alors ce sont les classes moyennes qui passent déjà à la caisse, et on voit mal comment il pourrait en être autrement. Ou alors explique ce que tu
entends par “passer à la caisse”.
Les classes moyennes ont peur du déclassement: et alors? N’est-ce pas normal? Il est certain que les pauvres et les SDF n’ont plus à le craindre, eux…
Les classes moyennes représentent, me semble-t-il, une grande partie du peuple français, et j’ai du mal à me dire que c’est la partie la moins utile de la société. Aussi je ne comprends guère ton
animosité. Peux-tu éclairer ma lanterne?
J’ai une question: d’où te vient cette hostilité envers les “classes moyennes”?
De les avoir trop fréquenté, peut-être… Mais surtout, du rôle néfaste qu’elles ont joué dans la dissolution de la République et de l’héritage de la Libération.
Le problème des classes moyennes, est la promotion sociale des classes populaires joue contre leurs intérêts. Elles font donc tout ce qu’il faut pour bloquer l’ascenseur social.
Comment définis-tu précisément cette catégorie de la population?
Ce sont ceux qui ont suffisamment de capital (intellectuel ou matériel) pour ne pas produire de la plus-value (au sens marxiste du terme), mais pas assez pour en extraire. Dans le rapport de
production, ils ne sont ni exploiteurs, ni exploités.
Je fréquente des gens qui appartiennent aux classes moyennes, et les uns sont de gauche, d’autres de droites, les uns étatistes, les autres libéraux. Certains votent Besancenot, d’autres Le
Pen.
C’est vrai dans toutes les couches sociales. Je connais des grands patrons qui votent Besancenot (c’est plus rare avec Le Pen…).
Je me permet d’interférer dans la discussion que vous avez avec M Malheserbes ; Il dit au final de son commentaire « En conclusion, il a intérêt a ne pas avoir de programme cohérent (et les autres
aussi) .
Si vraiment c’est l’analyse de JLM (je suis sceptique…) il se trompe lourdement.Je pense au contraire que ce que demandent les électeurs , quelle que soient leurs penchants idéologiques, c’est de
la cohérence .
Céder aux sirènes hystériques du style « sortir du nucléaire » me retourne les doigts de pied : est ce uniquement pour un refus égoïste petit bourgeois de remettre en cause mon mode de consommation
d’électricité ? Nullement ; je prends en considération les préoccupations écologiques qui me semblent légitimes ; mais si le principal problème est l’émission de gaz a effets de serre est un
problème majeur, virer le nucléaire est incohérent. Je demande de la cohérence
Condamner les ravages de la pédagogie soixantuitarde , est ce que cela relève dans mon cas d’un tropisme réactionnaire ? je refuse l’amalgame ; j’affirme simplement que démolir l’autorité de
l’enseignant pour ensuite s’étonner que des gosses en perdition scolaire lui crachent à la gueule est une incohérence ; suis-je pour cela un lepéniste qui s’ignore ?Non ,mais je demande de la
cohérence.
Ecrire « indignez-vous » en déplorant la casse du programme du CNR , pour ensuite appeler a voter DSK… inutile de développer :je demande de la cohérence.
Ceux qui croient que Sarkozy est un fada incohérent se mettent le doigt dans l’oeil .Il est parfaitement cohérent, et son électorat naturel ne s’y trompe sûrement pas.
M Descartes, j’ai la même interrogation que Nationalistejacobin en ce qui concerne votre réponse à M Malesherbes ; a propos de » la dernière chose que les classes moyennes veulent, c’est un
véritable changement, parce qu’elles savent qu’elles seront les premières à passer à la caisse «
; J’ai été ouvrier, agent de maîtrise : je termine retraité classe moyenne , je ne me sent effectivement , pour le moment , ni exploiteur, ni exploité : cela suffit-il pour juger que je suis
obligatoirement hostile a un changement profond qui remette en cause le système ? si c’est le cas, autant plier les gaules de suite et attendre la catastrophe qui se profile : l’alliance de
l’oligarchie et du fascisme , style italien
Effectivement, je ne suis , pour l’instant pas a plaindre ; j’ai une retraite correcte et mon épouse aussi .
Mais si la violence et la délinquance issues de la régression actuelle continuent, tôt ou tard je serait touché personnellement
Si la destruction du système scolaire continue, avec son cortège de violence et d’échecs , quelle école pour mes petits enfants ?
Si la dégradation du système de santé perdure, qu’est ce qui m’attends le jour ou je suis vieux et malade ?
On peut me répondre que tant que j’ai les moyens, je peux vivre dans une zone protégée, utiliser les services d’une société de gardiennage .. outre que ce n’est pas une protection a 100% , çà a un
coût ; mettre mes petits enfants dans une école privée, çà à un cout ; etc
Et surtout je suis persuadé :
1) que si le système actuel perdure, tôt ou tard je vais y laisser financièrement des plumes , passer a la caisse content ou pas.
2) Que le mode de développement capitaliste nous conduit a un épuisement des ressources de la planète désastreux
Prenons un exemple qui regroupe ces 2 derniers points : la proposition concernant la mise en chantier de l’isolation des bâtiments anciens ; là-dessus il me semble qu’il y a consensus , mais sur le
principe seulement . là ou çà coince, c’est sur :qui paie ?
Si je dis : je paie pour chez moi, et je refuse de payer un euro de plus en impôt pour financer l’isolation des HLM et des logements des classes populaires qui n’ont pas les moyens, quel résultat ?
les logements en question ne sont pas isolés, la facture énergétique du pays se creuse, et eau final on ma fera payer l’impôt supplémentaire.. pour rembourser les pourris qui manient la dette
2è solution , j’accepte de payer , on isole tout le monde : çà crée des emplois non délocalisables, ça joue l’effet de levier pour l’économie en général, ça diminue a moyen terme_ et de façon
définitive_ le déficit du commerce extérieur , et donc a terme.. mes impôts , et çà diminue le gaspillage d’énergie
Si je suis cohérent , je choisi la 2è solution
Je ne vous reproche pas de considérer les membres de la classe moyenne comme uniquement des homos œconomicus ; penser qu’ils peuvent s’allier aux classes populaires sur des critères purement moraux
est effectivement une utopie ; je pense que vous faites par contre une erreur en considérant que ce sont des homos œconomicus incapables de penser a moyen et long terme
Si vraiment c’est l’analyse de JLM (je suis sceptique…) il se trompe lourdement.Je pense au contraire que ce que demandent les électeurs , quelle que soient leurs penchants idéologiques,
c’est de la cohérence .
“Les électeurs”, ça n’existe pas. Il y a beaucoup de catégories différentes d’électeurs (c’est un peu ce que j’ai répondu à Malheserbes). Je pense que pour l’électorat groupusculaire (qui,
malheureusement, semble être celui que JLM vise en priorité) la cohérence n’est pas, et de loin, la principale exigence. Cet électorat attend de son candidat un certain “style”, qu’il dise amen à
leurs marottes (droits des minorités, régularisation des sans-papiers, féminisme “de genre”…) et qu’il pourrisse ceux qu’ils voient comme leurs ennemis. Rien d’autre. Tout simplement parce que
cet électorat est plus sensible à la symbolique du changement qu’au changement lui même.
J’ai été ouvrier, agent de maîtrise : je termine retraité classe moyenne , je ne me sent effectivement , pour le moment , ni exploiteur, ni exploité : cela suffit-il pour juger que je suis
obligatoirement hostile a un changement profond qui remette en cause le système ?
Il ne faut pas étendre les considérations sociologiques aux individus. Lorsqu’on dit que “la bourgeoisie défend ses intérêts” cela n’empêche pas d’imaginer qu’individuellement tel ou tel
“bourgeois” puisse être militant communiste et vouloir sincèrement “remettre en cause le système”. Les individus ne sont pas déterminés par leur appartenance à tel ou tel groupe sociologique. Il
y a des prolétaires qui défendent l’ordre bourgeois, et des bourgeois qui défendent le prolétariat. Les considérations sociologiques sur un groupe social se réfèrent à des comportements
majoritaires et collectifs.
Pour le reste, je suis d’accord avec vous. Merci de votre contribution.
Bonjour,
Votre réaction sur commentaire n°10:
Je déteste profondément ce mot d’ordre. Parce qu’en pratique, il veut dire “qu’ils s’en aillent tous… ceux que je n’aime pas”.
Correctif:
Je partage votre détestation et il fallait me lire au second degré.Néanmoins je maintiens qu’un sérieux ménage dans les pratiques de gouvernance, au sens ou on l’entend dans les entreprises, est à
réaliser.
Bravo pour votre pugnacité sur le blog “empoigne” de JLM, et bon courage.
N.B.:il y a aussi de belles choses dans notre vie en France,prendre du recul sur toute cette agitation me parait aussi très sage et salutaire.
Cordialement.
Je souhaite dissocier ce commentaire du précédent pour l’importance qu’il revêt dans la plupart de vos billets ou réponses,ainsi que dans de nombreux débats.
Le commentaire de nationalistejacobin me parait très pertinent et je le rejoint entièrement.S’agissant d’une population disparate,la “classe moyenne, hétérogène,fluctuante selon les sujets d’examen
ou de débat, il me semble indispensable de la caractériser plus précisément, avec des exemples concrets, quotidiens, communs.Cette population représente souvent dans tels ou tels articles ou
document de 60 à 80% des citoyens, donc presque tous ou en tout cas une immense majorité.Ce terme est souvent employé dans un contexte particulier sans qu’il ne soit défini. Qui peut se retrouver à
partir d’une approche spécifiquement marxiste, dans cette masse, à partir de quels critères qualifiés pertinemment et quantifiés précisément? Un tel sujet, qui fera dans les mois qui viennent,
probablement l’objet de beaucoup de malentendus,pourrait si vous le jugez utile, faire l’objet d’un développement dans un de vos prochains billets.
Merci d’avance.
J’essaierai de répondre à ta demande dans un prochain article. En attendant, je pense que la meilleure définition pour pouvoir inclure la catégorie “classe moyenne” dans un analyse matérialiste
doit être fondée sur sa position dans le rapport de position. Entre la bourgeoisie qui extrait de la plus-value et la classe ouvrière qui la fournit, on peut considérer que la “classe moyenne”
est celle qui a suffisament de capital (matériel ou immatériel) pour ne pas fournir de la plus-value mais pas suffisamment pour en extraire à d’autres. Dans l’économie, ils sont plus les associés
de leurs employeurs (avec qui ils partagent des intérêts) beaucoup plus que des exploités.
Entrent dans cette catégorie: la grande majorité des enseignants, des hauts-fonctionnaires (et une partie des moyens), les professions libérales, les artisans, les commerçants, les professions
intellectuelles…
N’y entrent pas: les personnels d’exécution (qu’ils soient cadres, maîtrise, employés, ouvriers), les cadres à faible technicité (c’est à dire, n’ayant pas de compétences rares leur permettant de
négocier en position de force leur position dans l’entreprise)…
« De les avoir trop fréquenté, peut-être » : ah bon ? Quelle tragédie d’être dégoûté par une aussi grande partie de son peuple. Dans ce cas, tu devrais émigrer, parce que vu l’effectif des classes
moyennes…
« Du rôle néfaste qu’elles ont joué dans la dissolution de la République et de l’héritage de la Libération. » Rien que ça ? Comme je serais étonné que tu portes de si lourdes accusations sans
preuves, j’attends une démonstration historique impeccable (ou peut-être as-tu traité la question ailleurs, dans ce cas donne-moi la référence). Je me demande cependant si tu ne confonds pas « bobo
» et « classes moyennes ». Sinon, les autres couches sociales sont innocentes, c’est bien connu… Et tu ne réponds pas sur le fait que la pluralité des classes moyennes est telle que cela leur ôte
toute possibilité d’agir avec cohérence.
« Le problème des classes moyennes, est la promotion sociale des classes populaires joue contre leurs intérêts. Elles font donc tout ce qu’il faut pour bloquer l’ascenseur social. » : C’est un
argument ? J’appelle cela une accusation gratuite, sans fondement, liée (peut-être) à du ressenti ou à une expérience douloureuse. Qu’il y ait des gens des classes moyennes qui souhaitent bloquer
l’ascenseur social, je n’en doute pas. Mais que tous le veuillent, je suis sceptique. Reste à savoir si la haute bourgeoisie du XVI° arrondissement, elle, y est favorable, au fameux ascenseur
social. Je ne suis pas sûr que les classes moyennes aient un problème avec l’ascenseur social, en tout cas, toi Descartes, tu as un problème avec les classes moyennes…
« Je connais des grands patrons qui votent Besancenot » : OK, je veux des noms. Des grands patrons qui votent Le Pen, j’y crois, mais qui votent Besancenot, j’en doute. Des grands cadres, oui, mais
des patrons (propriétaires ou PDG-actionnaires majoritaires d’une entreprise), je demande à voir.
Les classes moyennes sont un des piliers de la nation. On peut les accuser de bien des choses, mais la désunion la plus totale reste leur défaut majeur (ce qui amène à s’interroger sur leur «
intérêt » de classe). Je suis quelqu’un de raisonnable et de progressiste (dans certains domaines) : je me dis donc que la meilleure façon d’établir la paix sociale en France, c’est d’aider les
classes populaires à se fondre dans les classes moyennes. En cela, je rejoins l’idéal de Saint-Just d’une France de petits et moyens propriétaires, idéal d’ailleurs repris en partie par la III°
République, toute bourgeoise qu’elle ait été.
Ce que tu considères comme une question de classe, je crois pour ma part que c’est une question générationnelle. J’en veux moins aux classes moyennes qu’à la génération de mes parents…
« De les avoir trop fréquenté, peut-être » : ah bon ? Quelle tragédie d’être dégoûté par une aussi grande partie de son peuple. Dans ce cas, tu devrais émigrer, parce que vu l’effectif des
classes moyennes…
Je te rassure, les classes moyennes ne sont pas si nombreuses que ça… en tout cas, beaucoup moins qu’elles n’essayent de le faire croire.
« Du rôle néfaste qu’elles ont joué dans la dissolution de la République et de l’héritage de la Libération. » Rien que ça ? Comme je serais étonné que tu portes de si lourdes accusations sans
preuves, j’attends une démonstration historique impeccable
J’espère pouvoir te satisfaire dans un prochain papier. Mais je t’invite à considérer un seul évènement: mai 68.
Sinon, les autres couches sociales sont innocentes, c’est bien connu…
Les couches sociales ne sont ni “innocentes” ni “coupables”. Chacune essaye de défendre ses intérêts dans le cadre d’un rapport de forces. Il se fait que depuis quarante ans les classes moyennes
ont défendu les leurs en cassant l’ascenseur social et en appuyant toutes les initiatives “libérales-libertaires” (les traités européens, les privatisations, la descentralisation…). Mais je
n’en fais pas une question morale: pas plus que le patronat, les classes moyennes ne sont “coupables” de rien.
Et tu ne réponds pas sur le fait que la pluralité des classes moyennes est telle que cela leur ôte toute possibilité d’agir avec cohérence.
Dès lors qu’elle est définie en fonction de sa position économique (ce que j’ai fait), elle a une communauté d’intérêts et c’est cela qui lui donne sa “cohérence”, qui est aussi forte que celle
de la bourgeoisie ou du prolétariat.
« Le problème des classes moyennes, est la promotion sociale des classes populaires joue contre leurs intérêts. Elles font donc tout ce qu’il faut pour bloquer l’ascenseur social. » : C’est
un argument ?
C’est un fait. Qui trouve-t-on derrière les “révolutions” qui ont détruit le système méritocratique dans l’éducation et lui a substitué un système qui, sous prétexte de glorifier les
“différences” cantonne en fait chacun dans son origine social/ethnique/culturel ? Quel est le groupe social qui a défendu avec le plus de force l’idéologie de la dévalorisation du diplôme et du
concours comme mode de recrutement ?
Qu’il y ait des gens des classes moyennes qui souhaitent bloquer l’ascenseur social, je n’en doute pas. Mais que tous le veuillent, je suis sceptique.
Pourquoi “tous” ? Lorsqu’on parle du comportement d’un groupe sociologique, on ne parle pas d’un comportement unanime, mais d’un comportement majoritaire et collectif. Il y a des bourgeois (et
même de grands bourgeois) qui ont adhéré à des partis communistes et défendu (y compris au péril de leur vie) la révolution prolétarienne. Cela n’empêche pas de considérer que l’affirmation “la
bourgeoisie défend l’exploitation de l’homme par l’homme” comme exacte. Et d’ailleurs tu l’acceptes toi même puisque tu écris:
Reste à savoir si la haute bourgeoisie du XVI° arrondissement, elle, y est favorable, au fameux ascenseur social.
Pourquoi “la haute bourgeoisie” serait-elle plus homogène en termes de comportement que les classes moyennes ?
« Je connais des grands patrons qui votent Besancenot » : OK, je veux des noms.
Pierre Bergé. Du moins c’est ce qu’il avait déclaré. Tu peux compter aussi Jean-Baptiste Doumeng, que ses milliards n’empêchaient pas d’être un soutien indéfectible du PCF.
Les classes moyennes sont un des piliers de la nation.
Ni plus ni moins que la bourgeoisie, le prolétariat, ou n’importe quel autre groupe social.
On peut les accuser de bien des choses, mais la désunion la plus totale reste leur défaut majeur (ce qui amène à s’interroger sur leur « intérêt » de classe).
Ou vois tu cette “désunion” ? Si c’est au niveau de l’adhésion politique, les classes moyennes ne sont pas plus “désunies” que le prolétariat (dont un bon tiers vote Le Pen, et le reste se
distribue entre Sarkozy, le PS et l’extrême gauche) ou la bourgeoisie (dont un bon tiers vote à gauche). Par contre, lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts, on voit au contraire une
remarquable unité: propose d’instaurer la sélection à l’entrée de l’enseignement supérieur, et tu verras de quel côté elle est…
je me dis donc que la meilleure façon d’établir la paix sociale en France, c’est d’aider les classes populaires à se fondre dans les classes moyennes.
Pourquoi pas. Mais si tu essayes, tu verras que ton pire adversaire… ce seront les classes moyennes. N’oublie jamais que la grande peur des classes moyennes est le déclassement. Et la meilleure
protection contre le déclassement, c’est de s’assurer que tous ceux qui peuvent concurrencer tes enfants soient hors d’état de le faire. C’est précisement pour cela que les classes moyennes ont
cassé l’ascenseur social. Et tu vas leur proposer de le remettre en marche ? Je te souhaite bien du plaisir…
En cela, je rejoins l’idéal de Saint-Just d’une France de petits et moyens propriétaires, idéal d’ailleurs repris en partie par la III° République, toute bourgeoise qu’elle ait été.
C’est très joli comme idéal. Et si la IIIème République a pu le soutenir, c’est justement parce qu’elle ne l’a réalisé que partiellement. Si elle avait réussi à créer une véritable classe
moyenne, nombreuse et puissante, elle aurait fait exactement ce qu’on fait les classes moyennes des années 1960: casser l’ascenseur.
Ce que tu considères comme une question de classe, je crois pour ma part que c’est une question générationnelle. J’en veux moins aux classes moyennes qu’à la génération de mes parents…
Moi, j’en veux à personne. Je me contente de constater qu’on ne peut pas compter sur les classes moyennes pour faire progresser la société ou pour défendre la République. C’est tout. Je te fais
remarquer que ma théorie permet d’expliquer pourquoi l’ascenseur social s’arrête dans les années 1960…
Je te prie de m’excuser, je n’avais pas lu la réponse adressée à Marcailloux dans laquelle tu précises la définition de « classes moyennes ».
« La grande majorité des enseignants, des hauts-fonctionnaires (et une partie des moyens), les professions libérales, les artisans, les commerçants, les professions intellectuelles… » : donc
selon toi, il s’est trouvé une majorité d’enseignants (oui, pas tous, je sais que tu le dirais) pour détruire l’ascenseur social au service duquel ils travaillaient. Dans quel but ? Préserver
l’avenir de leurs enfants ? Inutile, les enseignants connaissent suffisamment les méandres de la scolarité pour orienter leurs enfants comme il faut… En revanche, je t’invite à mesurer ce que les
enseignants ont perdu en sabotant leur raison d’être : leur prestige, leur popularité, la reconnaissance de la société, la crédibilité. Si vraiment ils ont fait cela, ils sont vraiment
stupides…
Mais j’ai une hypothèse : les soixante-huitards ont en effet saccagé l’ascenseur social et beaucoup d’autres choses. Leurs idéologues ont pris en main l’Education Nationale, et beaucoup
d’enseignants ont marché, croyant bien faire. Oui, beaucoup étaient de bonne foi, j’en suis convaincu. Depuis, je peux en témoigner, le réveil a été douloureux…
« Les professions libérales, les artisans, les commerçants » ? Beaucoup détestent les fonctionnaires en général, et les enseignants en particulier. Parce que tu sembles oublier un clivage
fondamental au sein des classes moyennes : privé/public. Et laisse-moi te dire que tu ne peux pas honnêtement balayer d’un revers de main ce clivage. Crois-moi, il pèse lourd, très lourd au sein de
la société française…
« Dès lors qu’elle est définie en fonction de sa position économique (ce que j’ai fait), elle a une communauté d’intérêts et c’est cela qui lui donne sa cohérence » : sauf que les uns tirent leur
subsistance de l’Etat, les autres du privé. Les premiers vivent grâce aux prélèvements qui horripilent les seconds. Trouves-tu que cette divergence d’intérêt est secondaire ?
« Qui trouve-t-on derrière les “révolutions” qui ont détruit le système méritocratique dans l’éducation et lui a substitué un système qui, sous prétexte de glorifier les “différences” cantonne en
fait chacun dans son origine social/ethnique/culturel ? Quel est le groupe social qui a défendu avec le plus de force l’idéologie de la dévalorisation du diplôme et du concours comme mode de
recrutement ? » : Eh bien nous ne fréquentons pas les mêmes classes moyennes, ou alors tu refuses l’idée que même les classes moyennes peuvent évoluer… J’ai vu des gens changer d’avis au fur et à
mesure des années. Ce phénomène est loin d’être ponctuel. Ce qui me confirme dans mon idée de question générationnelle…
« Pourquoi “tous” ? » : si le comportement d’une classe sociale ne concerne que 60 à 70 % de ladite classe, il faudrait peut-être s’interroger sur la pertinence de ta classification… Je crains que
la société ne soit beaucoup plus complexe qu’au temps de Marx. J’ai parlé de bourgeoisie, c’est vrai, mais je n’utilise guère ce terme habituellement, je lui préfère celui d’ « élites libérales ».
En effet, la bourgeoisie (française) du XIX° était très liée à la nation, elle était protectionniste, elle ne méprisait pas tant le travail. Son héros était le grand capitaine d’industrie, pas le
jeune loup de la finance qui fait des milliards en spéculant (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de spéculateurs, déjà…).
OK pour Pierre Bergé, mais je croyais qu’il roulait pour Ségolène… Pour Doumeng, je savais, mais… ne s’enrichissait-il en commerçant avec l’URSS ? Cela méritait bien un petit retour !
« Et tu vas leur proposer de le remettre en marche ? Je te souhaite bien du plaisir… » Et que penses-tu faire ? Eliminer les classes moyennes ? Tu crois impossible, au nom d’un schéma
sociologique que je trouve un peu rigide, une évolution politique des classes moyennes (ou plutôt d’une bonne partie d’entre elles). Moi, je crois qu’un basculement est possible. Oui, les classes
moyennes ont peur du déclassement, mais tu as oublié de préciser que l’ascenseur social est aussi bloqué pour elles… Ainsi, moi-même, je suis le premier à ne pas avoir « grimpé » par rapport à la
génération précédente, puisque je suis prof du secondaire comme mon père. Sans l’appui d’une partie des classes moyennes, un changement me paraît difficile.
Je répète ma question : qui passe à la caisse en ce moment, si ce ne sont les classes moyennes ?
« Si elle avait réussi à créer une véritable classe moyenne, nombreuse et puissante, elle aurait fait exactement ce qu’on fait les classes moyennes des années 1960: casser l’ascenseur. » : mes
études d’historien m’ont appris à me méfier de ce type de déterminisme réducteur… Avec des « si », on peut tout confirmer ou infirmer…
donc selon toi, il s’est trouvé une majorité d’enseignants (oui, pas tous, je sais que tu le dirais) pour détruire l’ascenseur social au service duquel ils travaillaient.
Oui. La destruction de l’école s’est faite avec la complicité d’une majorité des enseignants. Qui – c’est malhereux à dire – ont été beaucoup plus combatifs pour défendre leurs intérêts que leur
institution. Je ne me souviens pas que les enseignants aient beaucoup resisté la vague soixante-huitarde, au collège unique ou aux théories fumeuses sur la “diversité culturelle”. Je me souviens
de mes jeunes profs des années 1970 qui se battaient pour être le “prof copain”, qui gueulaient avec Font et Val (o tempora, o mores) contre “les grilles autour des lycées”, qui soutenaient le
“contrôle continu” (quand ils ne rejetaient pas toute idée de notation) et nous expliquaient qu’il n’était pas grave de rater son bac.
Dans quel but ? Préserver l’avenir de leurs enfants ?
Exactement. Ils ne l’ont pas fait cyniquement, bien entendu. Je ne suis pas en train de dire qu’il existe une grande conspiration des enseignants, de la même manière qu’il n’existe pas
une grande conspiration de la bourgeoisie pour exploiter le prolétariat. De la même manière que les patrons s’imaginent qu’ils rendent service à leurs ouvriers en leur donnant des emplois, les
enseignants ont cassé l’ascenseur avec la meilleure bonne volonté et convaincus d’aller dans l’intérêt des élèves. Comme Marx l’avait justement signalé, toute classe construit une idéologie qui
fait apparaître son intérêt comme l’intérêt général.
Inutile, les enseignants connaissent suffisamment les méandres de la scolarité pour orienter leurs enfants comme il faut…
Tout à fait. Pour protéger leurs enfants, il faut donc maintenir un système organisé de telle façon que seuls ceux qui connaissent les “méandres” puissent s’en sortir. Exactement ce que nous
avons aujourd’hui.
En revanche, je t’invite à mesurer ce que les enseignants ont perdu en sabotant leur raison d’être : leur prestige, leur popularité, la reconnaissance de la société, la crédibilité.
Pas grave: leurs enfants seront traders. Les classes moyennes enseignantes auront alors brûlé complétement les vaisseaux qui leur avaient permis d’arriver sur la terre promise…
Mais j’ai une hypothèse : les soixante-huitards ont en effet saccagé l’ascenseur social et beaucoup d’autres choses. Leurs idéologues ont pris en main l’Education Nationale, et beaucoup
d’enseignants ont marché, croyant bien faire. Oui, beaucoup étaient de bonne foi, j’en suis convaincu.
Je n’en doute pas. Cependant, on peut se demander si autant d’enseignants auraient “marché en croyant bien faire” si les politiques mises en oeuvre n’avaient pas été dans le sens de leurs
intérêts. Lorsqu’on a touché leurs intérêts personnels, les enseignants ont su trouver les moyens de se défendre. Pourquoi n’ont-ils pas utilisé ces mêmes moyens pour défendre l’institution ?
« Les professions libérales, les artisans, les commerçants » ? Beaucoup détestent les fonctionnaires en général, et les enseignants en particulier.
Cela ne les empêche pas d’appartenir à la même classe. Les banquiers catholiques détestaient les banquiers juifs ou protestants. Et cela ne les a pas empêché d’être tous des bourgeois…
sauf que les uns tirent leur subsistance de l’Etat, les autres du privé. Les premiers vivent grâce aux prélèvements qui horripilent les seconds. Trouves-tu que cette divergence d’intérêt est
secondaire ?
Oui. Ce genre de contradictions existent dans toutes les classes, dans la mesure où il y a des luttes entre individus d’une même classe pour accéder à une ressource. Ouvriers français et ouvriers
immigrés se disputent l’emploi, et pourtant ils sont tous prolétaires. Et cela ne les empêche pas d’avoir des intérêts de classe et de les défendre.
Eh bien nous ne fréquentons pas les mêmes classes moyennes, ou alors tu refuses l’idée que même les classes moyennes peuvent évoluer… J’ai vu des gens changer d’avis au fur et à mesure des
années.
Ce qui est en cause ici n’est pas la réaction d’un individu, mais les réactions collectives. Bien sur qu’une classe peut évoluer dans ses positions… mais dans le cas d’espèce, je ne vois aucune
évolution. Les classes moyennes étaient contre la sélection à l’université en 1968, et elles le sont toujours.
« Pourquoi “tous” ? » : si le comportement d’une classe sociale ne concerne que 60 à 70 % de ladite classe, il faudrait peut-être s’interroger sur la pertinence de ta classification…
Une théorie capable de prédire le comportement de 70% d’un groupe humain, c’est déjà pas mal…
Je crains que la société ne soit beaucoup plus complexe qu’au temps de Marx. J’ai parlé de bourgeoisie, c’est vrai, mais je n’utilise guère ce terme habituellement, je lui préfère celui d’ «
élites libérales ».
Ce n’est pas la même chose: la bourgeoisie est la classe qui détient le capital et l’utilise pour extraire la plusvalue. On peut apparternir aux élites libérales (prenons par exemple DSK) sans
nécessairement avoir du capital. La bourgeoisie du XIX était nationale, protectionniste et parternaliste. Celle d’aujourd’hui ne l’est plus. Comme tu dis, une classe peut évoluer. Mais elle reste
une bourgeoisie.
OK pour Pierre Bergé, mais je croyais qu’il roulait pour Ségolène…
Bergé à roulé pour beaucoup de monde: pour Hue, pour Besancenot, pour Ségolène… et maintenant qu’il contrôle Le Monde, on va voir ce qu’on va voir.
Et que penses-tu faire ? Eliminer les classes moyennes ?
Bonne question !
L’éliminer me paraît difficile. Mais il est indispensable de la dépouiller de son pouvoir de nuisance, qui est grand. Et pour cela, il faut s’appuyer sur l’électorat populaire. On ne changera
rien en s’appuyant sur les classes moyennes.
Sans l’appui d’une partie des classes moyennes, un changement me paraît difficile.
Oui. Mais avec elles, il est impossible. Car on ne peut pas aujourd’hui améliorer la vie des couches populaires sans toucher à la part de gâteau des classes moyennes. Et dès qu’on touche à leur
part de gâteau, les classes moyennes sont prêtes à voter n’importe quelle Thatcher, n’importe quel DSK pour éloigner le danger. Thatcher, il ne faut jamais l’oublier, fut le produit des classes
moyennes.
Je répète ma question : qui passe à la caisse en ce moment, si ce ne sont les classes moyennes ?
Mais… les couches populaires, mon bon! Comme toujours: “il faut prendre l’argent là où il est, chez les pauvres” (Alphonse Allais). Les classes moyennes sont expertes en crier très fort pour
faire croire qu’elles ont mal. Mais regarde qui sont ceux qui ont vu leur qualité de vie baisser le plus, et tu verras que ce ne sont pas les classes moyennes…
Concernant votre réponse, nous avons la même appréciation de la « gauche radicale ». Quelques « parts de marché » gagnées aux élections lui suffit pour triompher. Pas d’ambition globale sérieuse,
crédible pour bousculer le bipartisme à l’américaine.
Sur la seconde partie, vous continuez à être élogieux « les deux premiers plans quinquennaux ont été des succès économiques éclatants », es-ce bien l’avis de millions de victimes du stalinisme ?
Car, s’il y a eu certains succès qu’il faudrait nuancer par des buts non atteints (charbon, et surtout fonte, électricité, et désastre agricole), il faut aussi en présenter le débit.
La planification forcée voulue par un gouvernement dictatorial qui dispose arbitrairement de tous les leviers et qui ne s’encombre de comptes à rendre sur le « matériel humain » ne peut être
présentée comme un exemple et, soyez en sûr, la grande majorité du peuple (en France, comme ailleurs) n’en veut pas.
Une dernière remarque : la comparaison entre des salaires ouvriers entre le début et la fin du plan montre clairement une régression.
Le bilan humain doit clairement peser sinon, autant citer en exemple la résorption du chômage en Allemagne sous les nazis…
De plus en plus réactionnaire sans doute ?
Sur la seconde partie, vous continuez à être élogieux « les deux premiers plans quinquennaux ont été des succès économiques éclatants », es-ce bien l’avis de millions de victimes du
stalinisme ?
Leur avis n’a aucune rapport avec la choucroute. Lorsqu’on parle des “succès éclatants” de l’Empire Romain, on ne se demande jamais ce qu’en pensaient les esclaves qui faisaient tout le
boulot.
Car, s’il y a eu certains succès qu’il faudrait nuancer par des buts non atteints (charbon, et surtout fonte, électricité, et désastre agricole), il faut aussi en présenter le débit.
Les buts des deux premiers plans ont été pour une large part atteints. Mais surtout, ils ont réussi à propulser l’économie soviétique en quelques années à un niveau impensable pour la plupart des
économistes. Pour les économistes de l’époque, nourris à l’idée que contrarier “la main invisible du marché” ne pouvait qu’appauvrir l’économie et qu’un pilotage publique ne pourrait jamais
remplacer l’appat du gain de l’entrepreneur, ce système qui arrivait à faire d’un pays arriéré une puissance industrielle majeure en quelques années les a obligé à remettre en cause beaucoup de
certitudes. On ne se rend pas compte aujourd’hui à quel point ces idées de planification et d’intervention de l’Etat-entrepreneur étaient révolutionnaires.
La planification forcée voulue par un gouvernement dictatorial qui dispose arbitrairement de tous les leviers et qui ne s’encombre de comptes à rendre sur le « matériel humain » ne peut être
présentée comme un exemple
Elle le fut pourtant, et par des gens dont les certificats de démocratie sont indiscutables. Keynes et Roosevelt avant la guerre, Atlee ou De Gaulle après. Il ne faut pas oublier non plus que le
fait de “ne pas s’encombrer de comptes à rendre sur le “matériel humain”” n’était nullement réservé à l’Union Soviétique. Il faut se souvenir ce qu’était l’arbitraire patronal et les conditions
de travail en Angleterre ou en France dans les années 1930. Et ne parlons même pas de celles qui avaient cours dans les colonies.
et, soyez en sûr, la grande majorité du peuple (en France, comme ailleurs) n’en veut pas.
Cela dépend beaucoup des options qui sont offertes. Pour beaucoup de travailleurs au Bangladesh, en Inde, aux Philippines la situation est bien pire, mutatis mutandis, que celle des soviétiques
des années 1930.
Une dernière remarque : la comparaison entre des salaires ouvriers entre le début et la fin du plan montre clairement une régression.
Pourriez vous indiquer la source statistique sur laquelle vous vous fondez pour cette affirmation ? Je vous fais noter accessoirement que l’industrialisation massive se traduit en général par une
arrivée d’ouvriers peu qualifiés et donc moins payés. Cela se traduit par une baisse du salaire moyen payé. Mais cela ne veut pas dire qu’un ouvrier à niveau de qualification égal soit moins payé
après qu’avant.
Le bilan humain doit clairement peser sinon, autant citer en exemple la résorption du chômage en Allemagne sous les nazis…
On pourrait aussi. Seulement, dans la mesure où l’expérience allemande (les plans de quatre ans après 1936) s’est inspirée de l’expérience soviétique, mieux vaut citer la source originale que la
copie.
Merci pour cette réponse riche et stimulante.
Pour les enseignants tu n’as pas tort sur certains points. Mais « leurs enfants seront traders », tu te trompes lourdement. Ne serait-ce que parce qu’il y a beaucoup plus d’enfants d’enseignants
que de postes de traders… Et là où à mon avis tu fais erreur, c’est que l’ascenseur social se bloque aussi pour les enfants d’enseignants.
« Les banquiers catholiques détestaient les banquiers juifs ou protestants. » : comparer le clivage public/privé à une hostilité à caractère religieux me laisse sceptique. Je note d’ailleurs qu’on
dit « la » bourgeoisie ou « le » prolétariat, alors qu’on parle bien « des » classes moyennes. En naïf que je suis, je me dis que le pluriel doit bien avoir un sens. Il existe donc plusieurs
classes moyennes avec chacune ses intérêts. Dans le cas contraire, on doit se rabattre sur le singulier. Or, tu laisses de côté cette contradiction, tu fais comme s’il y avait « une » classe
moyenne (que tu définis d’ailleurs, avec pas mal de précision) mais tu persistes à employer le pluriel. Etrange, d’autant que je te sais pointilleux sur l’usage des mots.
Libre à toi de considérer que le clivage public/privé est secondaire, mais à mon avis tu fais une lourde erreur. D’autant que derrière ce clivage, c’est aussi une question fondamentale sur la place
de l’Etat dans l’économie, les services publics,… Autant de choses qui pèsent sur un projet de société. Mais je puis me tromper aussi.
« Une théorie capable de prédire le comportement de 70% d’un groupe humain, c’est déjà pas mal… » : Bonne réponse ! Mais d’un autre côté, une minorité de 30 à 40 % qui se retrouve enfermée dans
un « comportement de classe », je t’avoue que ça me pose problème (c’est mon côté « défense de la proportionnelle »…)
« Mais avec elles, il est impossible. » Je ne le crois pas. Renoncer à convaincre une partie des citoyens à cause d’un déterminisme sociologique, je trouve que c’est une défaite intellectuelle. Il
y a plus à gagner à tenter d’expliquer que l’ascension des classes populaires est une chance et non une menace. Une chance pour une société plus égalitaire et plus apaisée. Les inégalités créent
des tensions, des jalousies et des peurs. C’est cela qui me paraît vraiment nuisible. Tu évoques la sélection à l’université : eh bien, j’y suis favorable, sur des critères de résultats scolaires
et non de capacité à payer les frais d’inscription (de plus en plus élevés) évidemment.
« Car on ne peut pas aujourd’hui améliorer la vie des couches populaires sans toucher à la part de gâteau des classes moyennes. » : Là, on touche un point fondamental. Tu parles des classes
moyennes comme d’une caste de privilégiés, or je cherche où sont mes privilèges. De plus ta formulation me laisse perplexe car j’ai le sentiment que tu es disposé à ruiner les classes moyennes, à
les obliger à bouffer des rats (pour expier leurs fautes ?), pour améliorer la vie des couches populaires. Mais ta logique conduira à une simple inversion des rôles : les anciennes classes
populaires deviendront les nouvelles classes moyennes… (« révolution » : on fait un tour, et on revient à la case départ…). De plus, où est passée la bourgeoisie ? Tu ne touches pas à sa part du
gâteau ? Ou bien dois-je comprendre que la « pauvre » bourgeoisie pèse bien peu face aux terribles classes moyennes crispées sur leurs odieux privilèges ?
« Les classes moyennes sont expertes en crier très fort pour faire croire qu’elles ont mal. Mais regarde qui sont ceux qui ont vu leur qualité de vie baisser le plus, et tu verras que ce ne sont
pas les classes moyennes… » : C’est à voir. Le SMIC a augmenté beaucoup plus vite que le salaire des enseignants.
Mes excuses pour ces longs développements. Je te remercie en tout cas de ta patience et de ta disponibilité.
Mais « leurs enfants seront traders », tu te trompes lourdement. Ne serait-ce que parce qu’il y a beaucoup plus d’enfants d’enseignants que de postes de traders…
Justement: raison de plus pour casser l’ascenseur social avant que les enfants des couches populaires viennent encore leur disputer les rares postes… 😉
En tout cas, je serais curieux de savoir combien d’enfants d’enseignants deviennent eux mêmes enseignants dans la génération qui est aujourd’hui entre 18 et 25 ans. Et quelles sont leurs
motivations.
Et là où à mon avis tu fais erreur, c’est que l’ascenseur social se bloque aussi pour les enfants d’enseignants.
Exactement. C’est le but, d’ailleurs. Les classes moyennes sont moins guidées par l’envie de devenir bourgeois que par la crainte de redevenir ouvriers. Un ascenseur cassé, c’est la certitude de
ne pas monter mais aussi celle de ne pas descendre. A ton avis, quel proportion d’enfants d’enseignants se retrouvent à l’usine ou à la caisse d’un supermarché ?
« Les banquiers catholiques détestaient les banquiers juifs ou protestants. » : comparer le clivage public/privé à une hostilité à caractère religieux me laisse sceptique.
L’hostilité dont je parle n’avait aucun caractère “religieux”. C’était une simple lutte entre des “clans” pour se partager un marché limité. Il ne faut pas confondre la justification idéologique
d’un clivage avec sa cause.
Je note d’ailleurs qu’on dit « la » bourgeoisie ou « le » prolétariat, alors qu’on parle bien « des » classes moyennes. En naïf que je suis, je me dis que le pluriel doit bien avoir un
sens.
C’est en effet très naif. Parce que la désignation des classes moyennes n’est pas “plurielle” dans toutes les langues. En espagnol, par exemple, on parlera de “la clase media” au singulier. Il ne
faut pas tirer d’une particularité grammaticale trop de conclusions.
Libre à toi de considérer que le clivage public/privé est secondaire, mais à mon avis tu fais une lourde erreur. D’autant que derrière ce clivage, c’est aussi une question fondamentale sur la
place de l’Etat dans l’économie, les services publics,… Autant de choses qui pèsent sur un projet de société. Mais je puis me tromper aussi.
Selon ta théorie, il devrait aussi avoir une opposition entre les prolétaires du privé et les prolétaires du public, puisque les seconds sont eux aussi payés “avec les taxes que les premiers
honnissent”. Pourquoi ce clivage public/privé qui te semble si important à l’heure de parler des intérêts des classes moyennes ne s’appliquerait pas au prolétariat aussi ?
Je ne le crois pas. Renoncer à convaincre une partie des citoyens à cause d’un déterminisme sociologique, je trouve que c’est une défaite intellectuelle.
Je n’ai nulle part parlé de “déterminisme sociologique”. De la même manière que le prolétariat pendant la plus grande partie de son histoire a défendu les intérêts de la bourgeoisie et donc allé
contre ses propres intérêts, les classes moyennes pourraient aller aussi contre les intérêts en défendant une meilleure distribution des richesses et l’ascenseur social. Mais il ne faut pas
oublier que lorsque le prolétariat défend les intérêts de la bourgeoisie, elle le fait dans le cadre d’un processus d’aliénation. Et la même chose vaut pour les classes
moyennes: pour qu’elles aillent en majorité contre leur intérêt, il faut les aliéner. C’est un peu ce qu’avait réussi (tres temporairement) le PCF avec son “ouvriérisme”
qui obligait aux communistes d’extraction “petit bourgeoise” d’abjurer quotidiennement. Mais on l’a bien vu, cela n’a eu qu’un temps.
Il y a plus à gagner à tenter d’expliquer que l’ascension des classes populaires est une chance et non une menace.
Mais… avant de “l’expliquer”, il faudrait se demander si c’est vrai ? Est-ce que pour les classes moyennes (c’est à dire, vu du point de vue de leur intérêt) l’ascension des couches populaires
est une “chance” ? Je suis loin d’être convaincu, et j’attends tes arguments.
Une chance pour une société plus égalitaire et plus apaisée. Les inégalités créent des tensions, des jalousies et des peurs.
Mais est-ce que les classes moyennes sont disposées à sacrifier leur niveau de vie pour vivre “dans une société égalitaire et apaisée” ? Encore une fois, tu donnes pour prouvé une affiramation
très discutable. Les gens tendent à préfèrer être riches et jalousés que l’inverse.
Tu évoques la sélection à l’université : eh bien, j’y suis favorable, sur des critères de résultats scolaires et non de capacité à payer les frais d’inscription (de plus en plus élevés)
évidemment.
Très bien. Qu’est ce qui arriverait à ton avis à un gouvernement qui ferait voter une loi mettant en oeuvre une telle sélection ? Qui seraient les gens qui sortiraient dans la rue, occupéraient
les universités et en bout de compte le feraient plier ? Les prolétaires ?
Ce scénario, on l’a déjà joué. Avec la loi Devaquet. Depuis, aucun gouvernement de droite comme de gauche (mais tous dépendants électoralement des classes moyennes) n’a osé y toucher.
Tu parles des classes moyennes comme d’une caste de privilégiés, or je cherche où sont mes privilèges.
Je ne sais pas ce que tu mets derrière l’idée de “privilège”. Est-ce que le fait d’avoir l’usage quasi exclusif aux musées, aux théatres, aux biens culturels est un “privilège” ? Est-ce que le
fait d’être propriétaire de son logement est un “privilège” ? Est ce que le fait de savoir qu’on peut transmettre sa position sociale à ses enfants est un “privilège” ? Est-ce que la sécurité
(relative) de l’emploi est un “privilège” ? Est-ce que le fait de pouvoir voyager et parcourir le monde est un “privilège” ? Parce que tous ces éléments, ce sont les couches moyennes qui en
bénéficient préférentiellement.
De plus ta formulation me laisse perplexe car j’ai le sentiment que tu es disposé à ruiner les classes moyennes, à les obliger à bouffer des rats (pour expier leurs fautes ?), pour améliorer
la vie des couches populaires.
Non. Je suis prêt par contre à faire converger le niveau de vie des classees moyennes et celle des couches populaires. Si, comme tu dis, ce ne sont pas des “privilégiés”, un tel alignement ne
devrait pas leur faire beaucoup de peine, non ?
Quant à “l’expiation”… comme je t’ai dit, il ne faut pas confondre les questions politiques et les questions morales. Le but n’est pas de “punir” qui que ce soit, mais d’enlever à ceux qui ont
plus que leur part pour en donner à ceux qui en ont moins. Et faire que la hiérarchie des revenus s’accorde avec celles des mérites. C’est ça, une société “plus égalitaire”, n’est ce pas ?
De plus, où est passée la bourgeoisie ? Tu ne touches pas à sa part du gâteau ? Ou bien dois-je comprendre que la « pauvre » bourgeoisie pèse bien peu face aux terribles classes moyennes
crispées sur leurs odieux privilèges ?
Exactement. C’est bien là le problème de faire une analyse marxiste dans une société moderne avec une forte classe moyenne. C’est que les riches ont beau être riches, ils ne sont pas très
nombreux. Les classes moyennes sont évidement moins riches… mais comme elles sont très nombreuses, il y a finalement plus à recupérer chez elles que chez les bourgeois.
Il y a ici deux problématiques différentes: à la bourgeoisie, il faut la toucher mais finalement il est plus important de lui enlever le capital (qui est la source de son pouvoir) que ses
revenus. Pour les classes moyennes, c’est l’inverse: elles détiennent une part modérée du capital, mais confisquent une part disproportionnée des revenus.
« Les classes moyennes sont expertes en crier très fort pour faire croire qu’elles ont mal. Mais regarde qui sont ceux qui ont vu leur qualité de vie baisser le plus, et tu verras que ce ne
sont pas les classes moyennes… » : C’est à voir. Le SMIC a augmenté beaucoup plus vite que le salaire des enseignants.
Oui. Mais la “qualité de la vie” n’est pas seulement liée au salaire.
Mes excuses pour ces longs développements. Je te remercie en tout cas de ta patience et de ta disponibilité.
C’est moi qui te remercie de m’enrichir par ces échanges.
« En tout cas, je serais curieux de savoir combien d’enfants d’enseignants deviennent eux mêmes enseignants dans la génération qui est aujourd’hui entre 18 et 25 ans. » : m’approchant (pas trop
vite…) de la trentaine, j’ai dépassé un peu le cadre de cette catégorie. Mais parmi ceux qui ont passé le concours avec moi, nous étions un certain nombre à avoir un parent déjà enseignant. La
motivation ? La sécurité de l’emploi, indéniablement, dans un monde où tout paraît devenir précaire. Cette sécurité est, je le rappelle, un avantage lié à un concours sélectif, et non un privilège
comme certains le disent. Et personnellement, la liberté de pouvoir travailler sans un « chef » sur le dos.
« Les classes moyennes sont moins guidées par l’envie de devenir bourgeois que par la crainte de redevenir ouvriers. » : tu ne peux pas honnêtement t’étonner que des gens ne souhaitent pas prendre
l’ascenseur pour descendre…
« C’est en effet très naif. » : on se demande alors d’où vient cette aberration langagière… J’ai la faiblesse de penser pourtant qu’elle n’est pas le fruit du hasard. Je me renseignerai.
« Selon ta théorie, il devrait aussi avoir une opposition entre les prolétaires du privé et les prolétaires du public » : ce n’est pas une théorie, c’est un fait, cette opposition larvée existe. De
même que ouvriers français et ouvriers immigrés ont de mon point de vue des intérêts divergents. Une tradition de gauche prétend que la bourgeoisie les dresse les uns contre les autres, je n’en
crois rien. Pour moi, et c’est un point fondamental de désaccord, le clivage français/étranger l’emporte sur l’appartenance de classe.
« Mais… avant de “l’expliquer”, il faudrait se demander si c’est vrai ? Est-ce que pour les classes moyennes (c’est à dire, vu du point de vue de leur intérêt) l’ascension des couches populaires
est une “chance” ? » : En tant que nationaliste, je raisonne en terme de cohésion nationale. Et je me dis : qu’est-ce qui est préférable ? Une société de tension, de jalousie, d’inégalités ? Sur le
long terme, tout le monde y gagne : moins d’insécurité, moins de violence, le pays gagne en terme d’image (et l’image, c’est bon pour le tourisme et pour les affaires). C’est un exemple. En tant
que Français, que puis-je souhaiter sinon que la France soit un pays fort et prospère ? En tant que républicain, il me paraît important que cette prospérité profite à tous les Français. Les classes
moyennes sont inquiètes, pourtant (dis-le moi si je me trompe) on aura toujours besoin d’enseignants, d’avocats, d’artisans, de commerçants… Je ne crois pas que mon intérêt en tant que membre des
classes moyennes soit contraire à l’intérêt de la nation, je pense que les deux peuvent se concilier. Alors que tu présentes la situation comme suit : une majorité des classes moyennes est et
restera opposée de manière irréductible à l’ascension des couches populaires. Une majorité, peut-être, mais je suis dans l’optique où cette majorité passerait de 70 à 55 %. Quel changement !
Ensuite, il appartient aux classes populaires d’emporter la décision par leur vote.
« Je ne sais pas ce que tu mets derrière l’idée de “privilège”. Est-ce que le fait d’avoir l’usage quasi exclusif aux musées, aux théâtres, aux biens culturels est un “privilège” ? Est-ce que le
fait d’être propriétaire de son logement est un “privilège” ? Est ce que le fait de savoir qu’on peut transmettre sa position sociale à ses enfants est un “privilège” ? Est-ce que la sécurité
(relative) de l’emploi est un “privilège” ? Est-ce que le fait de pouvoir voyager et parcourir le monde est un “privilège” ? » Non, ce ne sont pas des privilèges, parce que cela a un coût, ce n’est
pas donné gratis aux gens de la classe moyenne. Un exemple ? Je me suis offert un séjour culturel en Italie il y a peu (on est dans le sujet !). Eh bien, pour le financer, moi et ma compagne avons
économisé pendant plusieurs mois. J’ajoute que je fais des choix : je n’achète pas les « joujoux » high-tech à la mode, je n’ai pas de grosse voiture, je ne fume pas, je ne joue pas… J’ai certains
moyens, je ne me plains pas, mais il y a des limites. Si tu me prends une partie de mon revenu, je ne pourrai plus m’offrir tout cela, point. La société y gagnera-t-elle ? En tout cas, je ne
travaillerai plus que pour survivre. Excuse-moi, mais à bac+4 avec un concours difficile en poche, je trouve ça un peu dommage…
Tu dis que les classes moyennes ont plus que leur part, mais il y a un problème, c’est la justification que tu veux donner pour leur retirer ce surplus. Pour les bourgeois, les choses étaient
simples : leurs profits venaient de l’exploitation des prolétaires. Mais les classes moyennes ne sont pas vraiment exploiteuses, tu l’as dit toi-même. De plus, réfléchis bien au fait qu’en laissant
de côté les bourgeois (qui sont riches mais peu nombreux… encore faudrait-il connaître la part de richesse nationale qu’ils détiennent) pour prendre aux classes moyennes, tu t’exposes à de
légitimes accusations d’injustice.
« Les classes moyennes sont évidement moins riches… mais comme elles sont très nombreuses » : premièrement, elles sont peut-être beaucoup moins riches ; deuxièmement, il faudrait savoir : tu dis
qu’elles sont « très nombreuses », mais auparavant tu avais déclaré : « pas si nombreuses qu’elles le disent ». J’y perds mon latin…
« Confisquent une part disproportionnée des revenus. » : pourquoi « confisquer » ? Les classes moyennes gagnent malhonnêtement leur vie ? Elles sont surpayées ? Quels sont tes critères ?
« Mais la “qualité de la vie” n’est pas seulement liée au salaire. » : sans doute, mais ça reste très lié.
« Les classes moyennes sont moins guidées par l’envie de devenir bourgeois que par la crainte de redevenir ouvriers. » : tu ne peux pas honnêtement t’étonner que des gens ne souhaitent pas
prendre l’ascenseur pour descendre…
Et “honnêtement”, je ne m’étonne pas. J’essaiais simplement de t’expliquer pourquoi les classes moyennes préfèrent voir cassé l’ascenseur social, même si cela les condamne à ne plus pouvoir
“monter”. Chez elles, l’envie de monter n’est pas aussi forte que la peur de devoir descendre…
on se demande alors d’où vient cette aberration langagière… J’ai la faiblesse de penser pourtant qu’elle n’est pas le fruit du hasard. Je me renseignerai.
A mon avis, c’est un pur hasard. Si tu regardes l’anglais, “middle class” est lui aussi singulier.
« Selon ta théorie, il devrait aussi avoir une opposition entre les prolétaires du privé et les prolétaires du public » : ce n’est pas une théorie, c’est un fait, cette opposition larvée
existe.
Certainement. Mais elle n’empêche pas la catégorie “classe ouvrière” d’être opératoire pour bâtir une théorie. Pourquoi les différences et conflits d’intérêts entre les différents segments des
classes moyennes devraient être traités différement ?
En tant que nationaliste, je raisonne en terme de cohésion nationale. Et je me dis : qu’est-ce qui est préférable ? Une société de tension, de jalousie, d’inégalités ?
Oui, mais en tant que matérialiste tu dois comprendre que les classes moyennes, elles, ne regardent pas la question en termes de cohésion nationale, mais en termes de leurs intérêts particuliers.
Si quelque chose caractérise le comportement des classes moyennes comme groupe, c’est justement leur incapacité à aller au délà de leurs intérêts immédiats. Ce n’est pas par hasard si elles ont
toujours été du côté de ceux qui étaient prêts à vendre la Nation pour un plat de lentilles: avec Pétain en 1940, avec l’Europe à partir des années 1960, avec les “enragés” en 1968.
Les classes moyennes sont inquiètes, pourtant (dis-le moi si je me trompe) on aura toujours besoin d’enseignants, d’avocats, d’artisans, de commerçants… Je ne crois pas que mon intérêt en
tant que membre des classes moyennes soit contraire à l’intérêt de la nation, je pense que les deux peuvent se concilier.
Oui, on aura toujours besoin d’enseignants, d’avocats, d’artisans et de commerçants. Mais l’intérêt des classes moyennes, c’est que ces besoins soient satisfaits par leurs enfants, et surtout pas
par les enfants des autres. Ils ont tout intérêt à ce que l’offre dans ces métiers reste rare, de manière à maintenir les prix élévés (la manipulation des “numerus clausus” en médecine est un
exemple caricatural de cette technique). C’est en cela que l’intérêt des classes mooyennes est contradictoire avec celui de la Nation. Pour le dire méchament: la Nation a intérêt à ce que les
médécins et les avocats gagnent moins. Ce qui évidement n’est pas l’intérêt des intéressés.
Ensuite, il appartient aux classes populaires d’emporter la décision par leur vote.
C’est bien là le problème: les classes populaires n’ont pas de représentation politique capable d’emporter une quelconque “décision”. Et il faut dire que les classes moyennes ont tout fait pour
cela: les campagnes pour affaiblir le PCF (et la CGT) ont été permanentes depuis mai 1968. Souviens toi comment les médias les plus liés aux couches moyennes ont orchestré cette campagne.
Pourquoi crois-tu que les classes moyennes ont voté massivement Mitterrand (y compris les “trotskystes” comme JLM…) ?
L’histoire politique française depuis 1968 est celle du lent envahissement de la politique et des médias par les classes moyennes. Il n’y a qu’à comparer les problématiques traitées dans les
programmes des partis et dans les médias pour s’en apercevoir. Le seul parti qui est resté à la marge de ce mouvement est – jusqu’à un certain point – le FN. Et c’est là qu’il faut chercher
l’origine de son succès.
Non, ce ne sont pas des privilèges, parce que cela a un coût, ce n’est pas donné gratis aux gens de la classe moyenne.
C’est très discutable. Les “loisirs culturels” sont lourdement subventionnés. On peut se demander si la subvention par de l’argent public d’un service qui n’est en fait utilisé que par une couche
de la population ne constitue pas en fait une “gratuité” déguisée. Si les classes moyennes devaient payer le vrai coût de leurs loisirs culturels, ce serait une toute autre affaire.
Mais la question n’est pas seulement une question d’argent. C’est aussi une question de “capital culturel”. Rien n’empêche les enfants des prolétaires d’aller au Louvre, mais le fait n’en demeure
pas moins qu’ils n’y vont pas. Ce capital constitue, à mon sens, un “privilège” à partir du moment où l’on se refuse à le partager.
Si tu me prends une partie de mon revenu, je ne pourrai plus m’offrir tout cela, point. La société y gagnera-t-elle ? En tout cas, je ne travaillerai plus que pour survivre.
Je ne voudrais pas que cela devienne personnel. Mais ce raisonnement illustre parfaitement l’ambiguïté des classes moyennes. Ainsi, il serait “normal” que dans les couches populaires on ne
“travaille que pour survivre” alors que les classes moyennes auraient, elles, le droit à un petit plus ?
Ce n’est pas ainsi que je pose les choses: pour moi, nous sommes dans un degré de développement qui permet d’assurer à tous l’accès à un niveau raisonnable de loisirs culturels et de plaisirs
dans la vie. Plus tu est proche de ce niveau, moins grande sera la partie de ton revenu que je me propose de te prendre. Les classes moyennes recouvrent une vaste gamme de revenus, et si pour toi
un voyage culturel représente un effort, pour d’autres (je pense à certains médécins, à certains avocats, à certains professeurs d’université, à des hauts fonctionnaires…) c’est une broutille.
Je ne propose pas de rabaisser les classes moyennes au niveau des couches populaires, je me propose de mieux partager la richesse pour faire converger leurs niveaux de vie.
Tu dis que les classes moyennes ont plus que leur part, mais il y a un problème, c’est la justification que tu veux donner pour leur retirer ce surplus. Pour les bourgeois, les choses étaient
simples : leurs profits venaient de l’exploitation des prolétaires. Mais les classes moyennes ne sont pas vraiment exploiteuses, tu l’as dit toi-même.
C’est une excellente question. Ma réponse est que si les classes moyennes n’ont pas suffisament de capital pour extraire de la plusvalue, leur rôle charnière en politique leur permet d’exercer un
chantage fort efficace sur la bourgeoisie pour que celle-ci partage son gâteau avec elles. En d’autres termes, si les classes moyennes n’exploitent personne, elles touchent une partie de la
plus-value que la bourgeoisie a obtenue par l’exploitation des prolétaires. Et ce “partage” t’explique pourquoi chaque fois qu’on est au pied du mur les classes moyennes ont toujours soutenu les
intérêts bourgeois… sauf lorsque la bourgeoisie a refusé de payer son écot (le régime de Batista est un bon exemple).
« Mais la “qualité de la vie” n’est pas seulement liée au salaire. » : sans doute, mais ça reste très lié.
Pas trop, en fait. Monsieur X vit dans une ville tranquile, ou l’on peut laisser ses enfants jouer dans la rue et sa porte ouverte sans risquer de se faire voler. S’il tombe malade, il est pris
en charge par la sécurité sociale. S’il a un accident, il est pris en charge par un SAMU efficace. S’il se fait voler, il peut compter sur une police honnête pour retrouver les malfrats. Monsieur
Y gagne trois fois plus, mais il vit dans une ville où il faut sortir armé pour avoir une chance de rentrer chez soi vivant. Il est obligé de surveiller ses enfants en permanence et de vivre dans
une résidence fortifiée. S’il tombe malade, c’est son problème. S’il a un accident, il lui reste la prière. S’il se fait voler, aucun intérêt à aller à la police sauf si l’on est prêt à allonger
un bon pot de vin. A ton avis, lequel des deux a une meilleure “qualité de vie” ?
« Ainsi, il serait “normal” que dans les couches populaires on ne “travaille que pour survivre” alors que les classes moyennes auraient, elles, le droit à un petit plus ? » : absolument pas ! Je
souhaite précisément que tous aient le petit plus. Mais je me pose en défenseur des diplômes : il ne me paraît pas anormal que quelqu’un qui a une qualification comme la mienne gagne plus qu’un
ouvrier non-spécialisé. Mais certains ouvriers spécialisés gagnent plus que moi, notamment parce qu’ils sont peu nombreux (je crois que grutier est un bon métier). Cela ne me choque pas.
« Pour moi, nous sommes dans un degré de développement qui permet d’assurer à tous l’accès à un niveau raisonnable de loisirs culturels et de plaisirs dans la vie. Plus tu es proche de ce niveau,
moins grande sera la partie de ton revenu que je me propose de te prendre. Les classes moyennes recouvrent une vaste gamme de revenus, et si pour toi un voyage culturel représente un effort, pour
d’autres (je pense à certains médecins, à certains avocats, à certains professeurs d’université, à des hauts fonctionnaires…) c’est une broutille. Je ne propose pas de rabaisser les classes
moyennes au niveau des couches populaires, je me propose de mieux partager la richesse pour faire converger leurs niveaux de vie. » : Comment dire ? En fait nous sommes d’accord.
Mais je crois qu’il te faudra aussi ponctionner la bourgeoisie si tu souhaites que les classes moyennes supportent (car une bonne partie fera la moue, c’est certain) l’ « effort ».
Bien expliqué pour M. X et M. Y. Mais si les deux vivent dans la ville de M. Y, lequel a le plus de chance de vivre (ou de déménager) ?
Mais je me pose en défenseur des diplômes : il ne me paraît pas anormal que quelqu’un qui a une qualification comme la mienne gagne plus qu’un ouvrier non-spécialisé. Mais certains ouvriers
spécialisés gagnent plus que moi, notamment parce qu’ils sont peu nombreux (je crois que grutier est un bon métier). Cela ne me choque pas.
Il y a dans ton commentaire une incohérence: d’abord tu attaches le salaire au diplôme, et ensuite tu rattaches le salaire à la “rareté” des compétences. En toute logique, cela devrait te
choquer…
Personnellement, je pense que la meilleure sortie de ce dilemme est de rattacher les salaire au mérite. Ce mérite peut être de differentes natures: il peut être lié au mérite académique (mais
cela ne marche que si tout le monde est égal devant l’examen et peut donc accéder aux postes “sans autre limite que celui de ses talents”), ou à la disponibilité pour faire un métier pénible et
dangereux mais socialement nécessaire.
Mais je crois qu’il te faudra aussi ponctionner la bourgeoisie si tu souhaites que les classes moyennes supportent (car une bonne partie fera la moue, c’est certain) l’ « effort ».
Certainement. D’abord parce que ce sont elles qui ont le capital et donc le pouvoir économique. Mais je ne me fais aucune illusion sur le fait que cela pourrait aider les classes moyennes à
accepter leur cure d’amaigrissement…
En fait ma qualification réside dans mon concours, car mon diplôme, lui, ne vaut pas grand-chose (ce qui est un problème comme tu l’as souligné). Je me suis mal exprimé. Mais un ouvrier spécialisé
a un diplôme! “Ouvrier” n’est pas synonyme de “non qualifié”.
De plus mon exemple prenait le cas d’un fonctionnaire et celui d’un ouvrier qui doit faire avec le marché de l’emploi (alors que le fonctionnaire est à l’abri). D’où l’incohérence apparente.
Je ne te guérirai pas de ton pessimisme sur les classes moyennes. Je ne nie pas qu’il y aura sans doute une majorité hostile, reste à savoir s’il est possible de moduler dans un sens favorable la
minorité pouvant se rallier à un programme d’efforts. Cela étant, il faut réfléchir à certaines compensations, peut-être d’ordre symbolique ou honorifique (je pense aux enseignants). Toujours
est-il que 25 ou 45 % des classes moyennes de ton côté, crois-moi, ça fait une différence…
Leur tourner le dos en leur expliquant que de toute façon leur intérêt de classe les rend imperméable à ton argumentation n’est pas une solution.
Enfin n’oublie pas que les classes moyennes ont une contre-solution toute trouvée: un ascenseur social factice mais médiatique qui met en lumière les quelques rares “pauvres” qui réussissent (c’est
comme le loto, il y a toujours des gagnants…). Songe aux USA: je crois que les 2% de plus riches concentrent 40% des richesses du pays (à vérifier). Et pourtant, les “petits blancs”, les noirs et
les latinos dans la misère ne se révoltent pas…
Les classes populaires, ça se gère (excuse mon cynisme, mais je ne crois pas que tu me contrediras). Notamment en jouant sur la fibre patriotique. Moi, je souhaite que les classes populaires aiment
la patrie mais qu’en échange la patrie les aide à améliorer leur sort. Sinon, c’est un dévouement à sens unique (comme aux USA à mon avis).
Leur tourner le dos en leur expliquant que de toute façon leur intérêt de classe les rend imperméable à ton argumentation n’est pas une solution.
Je suis d’accord. Il faut essayer de les gagner à la cause, tout en étant conscients des limites de l’exercice et du fait que les classes moyennes nous trahiront dès qu’elles sentiront leur
position menacée. La conclusion que je tire de mon analyse est qu’au lieu de perdre du temps et de la cohérence pour caresser les classes moyennes dans le sens du poil, il faut investir tous nos
efforts dans la construction d’un projet crédible qui adresse les préoccupations des couches populaires. Une fois qu’on aura une organisation qui représente politiquement celles-ci, un accord
tactique avec les classes moyennes deviendrait à mon avis beaucoup plus intéressant.
merci pour votre échange argumenté et riche en réflexions. Est-ce que l’un de vos points de désaccord ne pourrait pas justement être lié à ce pluriel des classes moyennes qui pointent des
distinctions possibles en français , qui permettraient à différentes couches de classes moyennes de se superposer et qui n’auraient pas tout à fait les mêmes intérêts à défendre?
Les classes moyennes sont divisées en secteurs qui ont des intérêts différents, voire contradictoires. C’est le cas aussi pour la bourgeoisie et pour la classe ouvrière. Cependant, le concept
même de classe répose sur l’idée que les membres d’une même classe ont des intérêts communs qui dépassent leurs conflits. En d’autres termes, qu’au moment de devoir choisir ils font passer leur
“intérêt de classe” par devant leurs conflits internes. Et de ce point de vue, les classes moyennes (telles que je les ai définies) montrent une véritable unité.
Tu dis : “Je n’irais pas jusqu’à dire que la gauche a “occulté” quoi que ce soit. Simplement, qu’elle s’est gourrée dans ses analyses. Le discours de la gauche est depuis trente ans un discours
volontariste: la seule possibilité de défaire les idées néo-libérales, c’était de les combattre afin de réconquérir l’hégémonie idéologique. Seul le peuple en armes (pour faire schématique) pouvait
abattre le néo-libéralisme. La gauche n’a pas réalisé que la “bulle” permise par la dérégulation financière et la politique accomodante de la Réserve Fédérale allait exploser tôt ou tard,
entraînant avec elle bien des fortunes…”
Je ne comprends pas très bien, dans le sens où je trouve que tu confonds le moyen de combattre le néolibéralisme (donc par la posture volontariste) et l’analyse (la dérégulation entrainant une
bulle qui allait exploser).
Le PCF a bien milité pour le Non au Traité de Maastricht ; il avait vu que ce traité serait mortifère pour les travailleurs, et le dumping social qu’il occasionnerait, non ? Quelle était l’analyse
du PCF en 1992 ?
Ou à moins que tu voulais dire que la gauche a manqué de vision disons “métahistorique” et donc n’ait pas vu que l’auto-démantèlement de l’Union Soviétique entrainerait l’extention de la
dérégulation vers l’Oural avec Maastricht, et donc les conséquences que sont le dumping et la bulle ? Elle a aussi acclamé la chute du Mur. Une jolie phrase de Gorbatchev sur l’attitude de l’ouest
après 1991 disait que nous n’avons pas jugé nécessaire de devoir changer de notre côté.
Sinon, intéressants échanges sur les classes moyennes ; je pense au livre “Rêves de droite” et pourquoi les dépossédés votent comem des riches. Tu as avancé l’argument de l’aliénation ; pour faire
le lien avec les classes moyennes et la dérégulation, il faudrait rajouter que les “privilèges” dont tu parles sont permis même aux pauvres par le crédit facile, ce n’est pas l’apanages des classes
moyennes ou bourgeoise. Venant d’un milieu prolétaire, je me souvient très bien qu’au début des années 1990, nous avions encore une TV en N&B. Mes parents ne sont pas devenus plus riches, mais
ils se sont endettés et sont partis en vacances (ce qu’ils ne faisaient pas dans les décennies précédentes).
Je ne comprends pas très bien, dans le sens où je trouve que tu confonds le moyen de combattre le néolibéralisme (donc par la posture volontariste) et l’analyse (la dérégulation entrainant
une bulle qui allait exploser).
L’analyse est le moyen de l’action. Malheureusement, on trouve très peu de travaux issus de la gauche radicale qui aient véritablement analysé le phénomène de la “bulle” financière et prévu son
éclatement. Au contraire: la vision était que le néo-libéralisme ne pouvait être contré que par la mobilisation des masses.
Le PCF a bien milité pour le Non au Traité de Maastricht ; il avait vu que ce traité serait mortifère pour les travailleurs, et le dumping social qu’il occasionnerait, non ?
Oui, mais ça n’a absolument aucun rapport avec la “bulle” en question. Les subprimes américaines, la “financiarisation” de l’économie islandaise ne sont pas filles de Maastricht.
Quelle était l’analyse du PCF en 1992 ?
Que le libre marché consacré par Maastricht allait niveller les salaires et la protection sociale par le bas, que la monnaie unique était une atteinte à la souverainété qui allait priver le pays
de l’instrument monétaire, etc. Mais il n’y avait absolument rien sur les questions de stabilité des marchés, qui d’ailleurs n’ont jamais intéressé le PCF en particulier et la gauche en général.
La gauche part de l’idée que le capitalisme sait très bien se défendre, et que les crises du capitalisme ne sont pas son problème.
Bonjour à tous,
Eh bien, pour un débat, ce que nous avons en amont en est un véritable.
Grand merci à Descartes et à nationaljacobin, en particulier.
Le nombre de commentaires et leur qualité démontre bien la nécessite d’un approfondissement.Il me semble difficile au débotté, de poursuivre, tant le sujet est sensible, touchant quelquefois le
plus profond de notre identité ressentie, qui elle même est fluctuante en fonction des circonstances, et ce à diverses reprises dans une même journée.
En suivant les échanges, il m’est venu en souvenir, intuitivement, deux lectures qui me semblent un peu à la croisée des chemins sur ce sujet, c’est d’une part “les héritiers” de Bourdieu et
“Introduction à la pensée complexe” de Morin.
Je ne sais si cette intuition est pertinente, mais je compte approfondir en vue d’un débat ultérieur, ici, comme je l’espère, ou ailleurs, ce qui ne manquera probablement pas de se produire.
Cordialement à tous.
Bonsoir à vous tous,
Ouf! quel débat! Je me joins à Marcailloux pour les remerciements à notre hôte et à ceux/ celles qui ont apportés/es leurs arguments.
Je crois que nous ne devons pas opposer classes moyennes et classes populaires. Pour battre l'”oligarchie financière” en place et changer de société, c’est bien de celà dont il s’agit, l’alliance
de ces classes est nécessaire et impérative. Je suis convaincu que 50,01% ne suffiront pas tant l’ environnement international y est opposé même avec les coups de “canif” tunisien et egyptien en
cours.
Pour ma part et c’est une question avec peu de réponse, qui est, dans notre société d’aujourd’hui avec toutes ses mutations, qui est créateur de PLUS-VALUE?
Si un maçon, un tourneur est créateur de cette +value, richesse du pays, l’agriculteur bien que propriètaire de sa terre et son patron, de même l’architecte devant sa planche à dessin, ne sont-ils
pas créateur de +value? Par contre, un avocat, un employé de banque et un trader sont-ils des créateurs de richesse pour la nation? Et où situons-nous le chômeur?
Peut-être, Descartes, n’est-ce pas le débat que tu souhaitais mais il me semble que nous dépasserions l’opposition classe moyenne – classe populaire?
Pas facile, hein! Je n’ai jamais bien aimé le débat gauche – droite…
Pour battre l'”oligarchie financière” en place et changer de société, c’est bien de celà dont il s’agit, l’alliance de ces classes est nécessaire et impérative.
Admettons. Il faut donc un proposer un projet qui puisse satisfaire en même temps les couches populaires et les classes moyennes. L’ennui, c’est que ce projet est une impossibilité… parce que
pour améliorer significativement le sort des couches populaires, il ne suffira pas de toucher la bourgeoisie. Il faudra aussi prendre un peu aux classes moyennes. Prenons un exemple si tu veux
bien: la question de la mixité sociale. Si l’on veut de la mixité sociale, cela ne se fera pas simplement en mettant des pauvres dans le XVI arrondissement et à Neuilly. Il faudra aussi en mettre
dans les quartiers des classes moyennes. Crois-tu que celles-ci accepteront de voir leurs enfants partager les bancs de l’école avec les enfants des couches populaires ? On connait la réponse:
c’est la fuite dans le privé.
(…) qui est créateur de PLUS-VALUE?
Si un maçon, un tourneur est créateur de cette +value, richesse du pays, l’agriculteur bien que propriètaire de sa terre et son patron, de même l’architecte devant sa planche à dessin, ne
sont-ils pas créateur de +value?
La plus-value est définie (schématiquement) comme la différence entre la valeur produite par le travail et la valeur que le travailleur reçoit en échange. L’architecte devant sa planche à dessin,
l’agriculteur propriétaire de sa terre ont en général un pouvoir de négociation suffisant pour conserver l’intégralité de la valeur qu’ils produisent. Il ne faut pas confondre la plus-value et la
richesse (valeur) produite. La plus-value est la conséquence d’un mode de production dans lequel le travail est vendu comme une marchandise.
Par contre, un avocat, un employé de banque et un trader sont-ils des créateurs de richesse pour la nation? Et où situons-nous le chômeur?
Faut croire qu’ils produisent de la valeur, puisque quel’qu’un est prêt à payer pour leur travail. Quant au chômeur, la réponse est claire: il ne produit rien.
Peut-être, Descartes, n’est-ce pas le débat que tu souhaitais mais il me semble que nous dépasserions l’opposition classe moyenne – classe populaire?
Je “souhaite” tous les débats s’ils permettent d’avancer dans la compréhension d’un phénomène.
@ dudu87 qui dit
-Je crois que nous ne devons pas opposer classes moyennes et classes populaires-.
Oui, en effet car le clivage n’est certainement pas aussi net que l’on veut nous le faire admettre. Les classements qui nous sont présentés ne sont que la traduction de paradigmes dont aucun ne
peut prétendre représenter la réalité absolue.
Nous sommes bien là au cœur d’une question fondamentale de notre société, celle de l’image comme attribut existentiel de la citoyenneté.
Je m’explique : quelle part de nos décisions, de nos comportements, de nos postures, est dictée par une conviction profonde, intrinsèque, le résultat d’une réflexion sincère et le plus objective
possible ? Quelle part de ces mêmes décisions, comportements, postures, est dictée directement ou indirectement, en conscience ou inconsciemment par des motivations qui nous sont externes : la
mode, le regard des autres, le besoin d’affirmation, le grégarisme,……
En un mot, à quel point sommes nous déterminés par des valeurs instituées pour et par des intérêts qui ne sont pas celui du plus grand nombre.
Résultat : le plus important est-il ce que les gens sont ou ce que les gens font ?
Le maçon d’à coté, s’il gagne 50000 €, va-t-il les consacrer à l’éducation de ses enfants ou à l’achat d’une Mercédès ? En cela, comment se positionnera -t-il, objectivement dans la catégorisation
socioéconomique ?
Comment se conduira-t-il s’il hérite de 100 M.€
Concernant les valeurs, qui est contenue dans « plus-value », même ambigüité, nous sommes toujours dans l’effet d’un ensemble de conventions. Rien ne nous oblige de les faire nôtres, mais quelle
difficulté pour en changer !
Le principe d’utilité pour le plus grand nombre se pose, associé à celui d’équité.
Ce ne sont pas les maçons, les architectes, les patrons ou les employés de banques qui créent de la plus value, ce sont les objets ou services qu’ils produisent qui éventuellement en attribuent à
leurs destinataires.
Ce n’est pas parce qu’un maçon « plante » au milieu d’un champ un bloc de béton gros comme une maison qu’il produit comme maçon de la plus value, bien au contraire car non seulement il gaspille 500
m3 de béton, utilise inutilement de l’énergie et oblige à une dépense importante pour l’élimination de l’inutile.
Même raisonnement pour des tas d’activités humaines, en France comme ailleurs.
C’est là aussi le rôle du politique d’infléchir les choix de société pour tendre vers la plus grande utilité pour le plus grand nombre.
Question ouverte : qu’est ce qui est véritablement utile, et sur quel système de valeurs ?
Ce n’est qu’à partir de là que le « chiffrage » devient entièrement pertinent, ce qui tend, j’en conviens à relativiser un tant soit peu la primauté des chiffrages sur les bases actuellement
adoptées.
Je crois que nous ne devons pas opposer classes moyennes et classes populaires. Oui, en effet car le clivage n’est certainement pas aussi net que l’on veut nous le faire
admettre.
Je ne sais pas qui est celui qui “veut nous faire admettre” que le clivage est net. Je dirais que le discours convenu (du moins à gauche) est plutôt celui que tu tiens: que le clivag n’est
pas net. Il traine d’ailleurs toute une famille de théories pour expliquer que les classes moyennes et les couches populaires ont les mêmes intérêts. Je me méfie de ce genre de
théories, parce qu’elles arrivent inmanquablement à la conclusion qui arrange les classes moyennes, à savoir, que pour défendre les prolétairs il faut défendre les classes moyennes…
quelle part de nos décisions, de nos comportements, de nos postures, est dictée par une conviction profonde, intrinsèque, le résultat d’une réflexion sincère et le plus objective possible
?
Une part infime. L’essentiel de nos décisions, de nos comportments et de nos postures est dictée par nos intérêts. Seulement, les êtres humains sont capables d’inventer une idéologie qui justifie
ces décisions.
Concernant les valeurs, qui est contenue dans « plus-value », même ambigüité, nous sommes toujours dans l’effet d’un ensemble de conventions.
Tu nages en pleine confusion. La “plus-value” est une notion économique qui n’a aucun rapport avec les “conventions”. Ca n’a rien à voir avec on ne sait pas quels “valeurs”.
Ce ne sont pas les maçons, les architectes, les patrons ou les employés de banques qui créent de la plus value, ce sont les objets ou services qu’ils produisent qui éventuellement en
attribuent à leurs destinataires.
Faut lire un bon texte d’économie politique. Tu n’as de toute évidence aucune idée de ce qu’est la plus-value.
bonjour à vous,
“Je me méfie de ce genre de théories, parce qu’elles arrivent inmanquablement à la conclusion qui arrange les classes moyennes, à savoir, que pour défendre les prolétairs il faut défendre les
classes moyennes… “
Pour étayer cette théorie, dans les années 80, Mitterrand a ouvert le marché boursier à tous. Les classes moyennes, enfin ceux qui en avaient les moyens ont investi sur les entreprises privatisées.
Nous nous sommes retrouvés avec 8 millions de porte-feuilles boursiers. A chaque plan social dans ces entreprises, la valeur de l’action grimpait en flèche!!! Ce qui fait que les titulaires de ces
actions ont bénéficié du…malheurs des licenciés/es.
Alors qui faut-il défendre en 1°, les “prolos” ou les classes moyennes?
dudu:
pour que l’augmentation de la valeur d’une action se traduise en intérêt pour son porteur, il faut que cette action soit revendue.
Ce qui se traduit par la fermeture de ces comptes d’actions. Tu accuses un actionnaire d’être, par nature, un spéculateur.
La majorité des propriétaires de ces actions se sont contentés d’empocher des dividendes; or une société dont les dividendes augmentent est une société dont le chiffre d’affaires croît, donc dont
l’activité augmente. Un licenciement massif n’est pas le signe d’une activité croissante, mais de la recherche d’une rentabilité à très court terme: en effet, une fois le plan social fini,
l’entreprise s’est appauvrie de ses ressources humaines.