Des ennuis de santé m’ont empêché cette année de faire un tour à la fête de l’Humanité. Oh non, rassurez-vous, je n’étais pas malade. Je suis frais comme un gardon. Mais si j’avais été faire un tour à la fête, je l’aurais été. C’est que, voyez-vous, j’ai une excellente mémoire. J’ai fait la Fête pendant vingt-cinq ans, sans manquer une seule édition. Chaque année j’ai monté les stands, j’ai fait les installations électriques, et pendant deux ou trois ans j’ai même fait le service d’ordre. Vous savez, les gros costauds qui séparent les camarades qui ont un peu trop bu et qui lattent les “entristes” de la LCR qui essayent de capitaliser la Fête à leur profit. Pour ceux qui ont vécu ces moments forts de camaraderie, pour ceux qui se souviennent d’une fête fraternelle mais qui ne faisait pas de compromis sur son projet politique et culturel, la voir dans l’état où elle est aujourd’hui, cela fait vraiment mal.
La Fête (je vous parle dans la période avant-UbHue roi) était la fête de famille des communistes. Bien sur, on ne vous demandait pas la carte pour y rentrer, mais ceux qui s’y rendaient savaient qui étaient les hôtes, et qui étaient les invités. En ce temps béni, il n’y avait pas de stands des religions, des stands des partis politiques. Le meeting du dimanche était la tribune où le PCF parlait, aux siens d’abord, à la France ensuite. C’était aussi la fête de la culture, la vraie: combien d’ouvriers ont eu leur première expérience de visiter une exposition de peinture ou d’écouter de la musique classique à la fête ? Je me souviens encore de l’exposition Picasso (une heure de queue pour y entrer !), le défilé de mode spécialement préparé par Yves Saint Laurent, la pièce de Robert Hossein pour fêter l’anniversaire de la Révolution, le magnifique Réquiem de Mozart joué sur la grande scène le dimanche soir, juste avant le feu d’artifice. Et ce projet faisait recette: jusqu’en 1995, malgré la chute de son influence, malgré les évènements aussi importants que la chute du mur de Berlin ou de l’URSS, il se vendaient bon an mal an 600.000 vignettes.
Et que reste-t-il de ce projet aujourd’hui ? Rien ou presque. Fini, les concerts de musique classique. Finies, les expositions. La culture n’est plus présente que dans les discours enflammés des “cultureux”: à la grande scène, a côté de quelques vieilles gloires rechapées (Joan Baez, Lavilliers) recueille des phares de la culture comme Nolwenn Leroy (une ancienne de la StarAc) ou Yannick Noah. Que voulez-vous, la culture, c’est trop sérieux, ca risque d’éloigner les “djeunes”. Quant à la politique, la Fête a commencé sa mue dans la vague de la “mutation” lancée par le père UbHue: de fête de famille des communistes, elle est devenue la kermesse des bonnes volontés “de gôche”. Ces années sont celles des “coups” médiatiques: une année, on annonce que la fête “s’ouvre” en accueillant des stands de tous les partis politiques “de gauche” (et en recevant la visite de plusieurs personnalités du PS, dont certaines sont reçues avec des jets d’oeufs par des militants fort peu séduits). L’année suivante, on annonce que la Fête accueillera désormais des stands des différentes religions…
Dire que cet “aggiornamento” ne fait pas fait recette serait un euphémisme. La fête a déménagé (1), non pas parce que l’ancien emplacement n’est plus disponible, mais tout simplement parce qu’il est plusieurs fois trop grand. Car la fête a perdu pratiquement les cinq sixièmes de son audience, et cela sur une période très courte: alors que le nombre de vignettes oscillait autour de 600.000 depuis trente ans (2), le 28ème congrès et la “mutation” provoquent une saignée rapide: en 1995 il n’y a plus que 308.000 vignettes vendues, 230.000 en 1996… et après, on ne sait plus puisque dans une crise de transparence le PCF ne publie plus de chiffres, et cela jusqu’au jour d’aujourd’hui. Par des petites indiscrétions (3) on sait qu’il n’y eut que 210.000 en 1998, 177.000 en 1999 et seulement 120.000 en 2000. A partir de là, c’est le blackout total. En 2010, des chiffres donnés aux “Rendez vous de la diffusion de la vignette” permettent de supposer qu’il s’en est vendu moins de 100.000, ce qui est confirmé par le fait que le budget de la fête, naguère une vache à lait pour le journal, est déficitaire depuis plusieurs exercices.
Mais c’est sur le plan politique que l’affaiblissement est le plus notable. Sur le plan symbolique d’abord, on a vu Mélenchon non seulement parler dimanche soir à la grande scène, mais surtout jouer les hôtes des différentes personnalités socialistes qui se sont rendues à la fête, et recevoir les coups de téléphone de ceux qui n’ont pas pu – ou voulu – s’y rendre. Car c’est à lui, et non pas à Pierre Laurent, que François Hollande a choisi de téléphoner pour s’excuser de ne pas pouvoir y assister. Quel est le sens de cet appel, sinon de confirmer que la Fête de l’Humanité est la Fête à Mélenchon ?
On dit que la vérité sort de la bouche des imbéciles. Vrai ou faux, en tout cas on peut dire qu’elle est sortie de la bouche de Pierre Laurent. En accueillant les “forces de gauche” dans le stand du PCF, il a prononcé une formule qu’il vaut la peine de citer in extenso:
«Il y a trente ans, vous nous disiez: “ne soyez plus dogmatique!“. Nous ne le sommes plus… Il y a vingt ans, vous nous disiez: “soyez plus démocratique!” Et nous sommes aujourd’hui encore plus démocratiques! Il y a dix ans, vous nous disiez: “Soyez écologique!” Et nous sommes devenus écologiques! Alors aujourd’hui, je vous dis tout simplement: “Soyez de gauche”.»
A qui s’adressait ce discours ? Aux “forces de gauche”, et tout particulièrement au PS. En d’autres termes, un secrétaire national du PCF admet que si son parti est devenu non dogmatique, démocratique, écologique, ce n’était pas comme conséquence de ses propres analyses, mais parce que quelqu’un d’autre le lui a demandé. C’est admettre que le moteur du changement du PCF “depuis trente ans” n’est pas sa propre réflexion, son propre projet, mais les “demandes” venant de l’extérieur, et pas de n’importe quel extérieur: des autres “forces de gauche” au premier rang desquelles le PS. C’est le PCF devenu Zelig, le personnage d’homme-chaméléon créé par Woody Allen.
On a du mal à croire qu’un secrétaire national du PCF ait pu prononcer de telles paroles. Se rend-t-il compte seulement de ce qu’il dit ? Ou faut-il conclure que le PCF et sa direction ont ils abdiqué de toute réflexion et projet propre au point de s’accomodent parfaîtement à l’idée de laisser aux autres décider comment les communistes doivent être ?
Descartes
(1) Elle se faisait auparavant au Parc départemental de la Courneuve, avec la Grande Scène sur le bord de l’immense pelouse ronde. Aujourd’hui, elle se fait à l’extrémité du même parc, à côté des anciens entrepôts de l’aérodrome du Bourget.
(2) 590.000 en 1973, 610.000 en 1977, 610.000 en 1981, 590.000 en 1985, 606.000 en 1992, 580.000 en 1993, chiffres publiées par l’Humanité.
(3) P. Zarka fait référence à ces chiffres dans certaines de ses interventions au Comité National du PCF.
(4) On a du mal aussi à comprendre comment cette phrase, abondamment reproduite par la presse, n’ait pas donné lieu à une levée de boucliers… peut-être est-ce un signe que personne ne prend les commentaires de Pierre Laurent au sérieux ?
votre billet me fait penser qu’il est diffcile de faire son deuil d’une espérance politique.
Vous pensez sans doute que le PCF peut “continuer” à être un acteur politique majeur, et les faits, d’années en années, ne vont pas dans ce sens. Cependant un redressement est toujours
possible.
Je constate qu’un certain nombre d’élus communistes ont opté pour le PS (ou des structures proches du PS comme R Hue), ou pour les écologistes. Ils pensent sans doute que ces partis défendent
mieux, tous comptes faits, les intérêts des couches populaires (voir au sein du PS les courants de “gauche”).
Avez-vous fait une estimation des forces politiques compatibles avec vos idées, et qui semblent avoir un avenir, et pensez-vous qu’une de ces forces a plus d’espérance d’avenir que le PCF actuel
?
Et le parti de gauche ?
votre billet me fait penser qu’il est diffcile de faire son deuil d’une espérance politique.
Sans doute. De toutes les morts, c’est celle de l’espérance qui est la plus terrible…
Cependant un redressement est toujours possible.
On a envie de le croire, mais au fond nous savons que c’est impossible. Il y aura peut-être un jour un nouveau parti capable de porter une espérance comme le PCF l’a portée dans le passé. Mais ce
ne sera pas le PCF. Les conditions qui ont permis au Parti d’exercer l’influence que l’on sait sur la société n’existent plus, et le retour au passé est impossible.
Je constate qu’un certain nombre d’élus communistes ont opté pour le PS (ou des structures proches du PS comme R Hue), ou pour les écologistes. Ils pensent sans doute que ces partis défendent
mieux, tous comptes faits, les intérêts des couches populaires
Je dirais plutôt qu’ils pensent que ces partis défendent mieux leurs possibilités de carrière, leurs sièges et leurs prébendes. Sans son ralliement au PS, le père UbHue aurait depuis longtemps
perdu son confortable fauteuil de sénateur. Il faut arrêter d’idéaliser les gens: le fait est que le “certain nombre d’élus communistes” qui sont allés traîner leurs guêtres ailleurs n’y ont
jamais perdu en termes de carrière. Une coïncidence, probablement…
Avez-vous fait une estimation des forces politiques compatibles avec vos idées, et qui semblent avoir un avenir, et pensez-vous qu’une de ces forces a plus d’espérance d’avenir que le PCF
actuel ?
J’ai du mal à comprendre votre question: c’est quoi exactement “avoir un avenir” ? Si pour vous “avoir un avenir” signifie gagner les élections et gouverner, alors je vous accorde qu’aucune force
politique “compatible avec mes idées” n’a beaucoup d’avenir, du moins sur le court et moyen terme. Maintenant, si “avoir un avenir” signifie avoir une influence sur le débat politique, je suis
bien plus optimiste.
Et le parti de gauche ?
Je ne lui vois pas beaucoup d’avenir après les prochaines élections. En quatre ans d’existence il n’a pas été foutu de fabriquer un projet ou de se donner des statuts qui permettent un véritable
fonctionnement institutionnel. Ca va être rigolo à regarder si le PS gagne les prochaines élections. J’ose à peine imaginer la ruée sur les postes et les juteux fromages…
Descartes,
la même chose peut-être dite du parti socialiste qui a évolué sous les injonctions de la droite et les coups de boutoirs des libéraux-charitables.
Le PS est devenu écologiste, ultralibéral, atlantiste, 100% proeuropéen.
la même chose peut-être dite du parti socialiste
A ma connaissance, aucun premier sécretaire du parti socialiste n’a jamais déclaré “on nous a demandé de devenir comme ci, et nous sommes devenus comme ci, on nous a demandé de devenir comme ça,
et nous sommes devenus comme ça”. Même en admettant que PS ait “évolué sous les injonctions de la droite”, il n’est pas tombé suffisamment bas pour l’admettre.
Par ailleurs, je n’ai jamais cru à un PS “gentil” qui serait devenu “méchant” sous les coups de la droite. Le PS a quelquefois (notamment avant 1981) un langage “de rupture”, mais je ne crois pas
un instant que Mitterrand ou Delors aient voulu autre chose que ce qu’on a eu. Le PS n’est “devenu” que ce qu’il a toujours été.
J’échangeais pas plus tard qu’hier avec un ami.
D’obédience libertaire, il s’était rendu à la fête de l’Huma avec son voisin, trotskyste et ancien de la LCR.
S’y rendant pour la première fois, il m’a dit avoir apprécié l’ambiance populaire. Il a vu de nombreux concerts, mais n’a pas assisté à aucun débat.
Il m’annonça son ralliement au Front de Gauche et voulut me remettre dans le droit chemin. Il m’évoqua un ami commun, permanent syndical et membre du parti, qui malgré le fait qu’il avait voté
Chassaigne, c’était rallié à Mélenchon.
Sachant mes hésitations (Chevènement, Méluch’ ou NDA), je ne pouvais que les rejoindre dans ce grand élan unitaire.
Mais pourquoi faire ? Militant FDG, je lui demandai de me convaincre : aucune argumentation. Je lui fis par que le discours de Méluch’ relevait de l’incantation mais pas d’un programme politique.
Au bout de 5 minutes, il me dit qu’il avait le cerveau embrumé pour le week-end.
Le Front de Gauche est un bel échappatoire virtuel pour ceux qui veulent dénier le réel, mais pour un militant politique à minima éduqué…
Cher Descartes, avez-vous prévu de lire le prochain Michéa qui sort au début du mois d’octobre ?
S’y rendant pour la première fois, il m’a dit avoir apprécié l’ambiance populaire. Il a vu de nombreux concerts, mais n’a pas assisté à aucun débat.
Comme la plupart des gens qui vont aujourd’hui à la Fête. C’est devenue une kermesse populaire, et rien de plus. Je n’y suis pas allé cette année, mais je m’y suis risqué l’année dernière, et
franchement je ne crois pas que cela ait beaucoup changé. J’ai aussi pris la peine d’écouter les “débats” (puisqu’il faut les appeller de cette façon…) sur le réseau. J’en étais désolé pour les
présents: on n’avait pas besoin d’écouter les intervenants, on aurait pu écrire leurs discours pour eux. Pas une surprise, pas une étincelle d’originalité, même pas une invention littéraire. On
se serait cru à la messe… et d’une certaine manière, c’en était une. Cette réduction du débat à un rituel est un phénomène qui mériterait d’être regardé de près.
Le Front de Gauche est un bel échappatoire virtuel pour ceux qui veulent dénier le réel, mais pour un militant politique à minima éduqué…
Ne négligez pas le besoin de croire. En 1981, ce besoin a permis que des militants et personnalités cultivées et éduquées soutiennent l’ancien cagoulard, fonctionnaire de Vichy, guerrier froid,
partisan de l’Algérie Française et escroc. Ce besoin de croire, de mysticisme laïque ne nous a pas quitté, il est toujours aussi fort à gauche.
Cher Descartes, avez-vous prévu de lire le prochain Michéa qui sort au début du mois d’octobre ?
J’ignorais qu’il était sur le point de publier quelque chose. Mais je n’y manquerais pas lorsqu’il sortira… pour le moment, je suis en train de lire le dernier Généreux…
Si le PCF, avec courage et perspicacité (voir ses résultats), est passé de dogmatique à démologique, peut-on espérer que, dans un avenir pas trop lointain, il atteigne enfin le but que s’est fixé
JLM : un parti fumeucratique ?
Vos textes sont toujours aussi intéressants et particulièrement éclairants, surtout lorsqu’ils touchent à l’économie. Je vous sais gré de persévérer, bien qu’une évidente lassitude semble ne pas
vous épargner, au point de renoncer à ces rites qui agrémentent la vie du militant… L’homme lucide s’expose dangereusement à la désespérance.
peut-on espérer que, dans un avenir pas trop lointain, il atteigne enfin le but que s’est fixé JLM : un parti fumeucratique ?
Pas tout de suite. Le PCF ne tient aujourd’hui que grâce aux élus et aux “barons” locaux. Si JLM a réussi son coup, c’est parce que ces “notables” n’ont aucune visée nationale, et sont prêts à
adouber n’importe qui pourvu qu’il ne touche pas leur petite principauté. On l’a d’ailleurs bien vu: lorsque Mélenchon a essayé de prendre la tête de liste en Ile-de-France lors des régionales,
il s’est fait renvoyé fermement dans ses buts, et il a du se replier sur le Sud-Ouest. On le voit encore sur les sénatoriales, ou les “notables” du PCF s’entendent avec le PS et les Verts pour
faire réconduire les leurs, laissant tomber le PG lorsque cela s’avère utile.
Le problème pour le PCF est qu’un certain nombre d’élus commencent à réaliser qu’ils ont plus de chances de garder leur siège en changeant de crémérie. Gatignon et Braouezec sont des bons
exemples de cette logique.
L’homme lucide s’expose dangereusement à la désespérance.
Oui, sans aucun doute. La foi aveugle procure des plaisirs que le scepticisme ne vous apportera jamais. Mais elle rend possible aussi les pires erreurs et les pires crimes…
Merci, grâce à vous je sais que j’ai assité à l’apogée de cette fête dans les années 77 et 78.
Mais je ne suis pas nostalgique de cette époque où les hauts-parleurs grésillants diffusaient dans toutes les allées des stands que le bilan était globalement positif.
Certes, les “hauts-parleurs grésillants” diffusaient un faux bilan. Et alors ? Les impeccables hauts-parleurs numériques d’aujourd’hui diffusent, si je vous suis correctement, la vérité.
Seulement, il y a six fois moins de gens pour les écouter. Est-ce un progrès ?
Votre remarque me rappelle un vieux bouqin de François George (“Pour un dernier hommage au cammarade Staline”) où il critique vertement les staliniens français. Mais il a l’honnêteté de
reconnaître, en parlant de ses parents, que “ces gens croyaient à quelque chose de grand, et cette croyance les grandissait”. Au nom du “paradis du socialisme”, le PCF a reussi pendant quarante
ans à donner une représentation politique à la classe ouvrière. Au nom de ce “paradis”, beaucoup de choses magnifiques – et autres qui le sont moins – ont été faites. Depuis que ce “paradis”
s’est évaporé, le PCF a perdu les neuf dixièmes de ses forces, et ne représente plus rien. Cela devrait faire réflechir…
Alors, permettez moi d’être “nostalgique” d’une époque où grâce au PCF des anciens ouvriers siégeaient à l’Assemblée Nationale et où les gouvernements hésitaient à toucher la protection sociale
et les services publiques de peur des réactions du PCF et de la CGT “inféodée” aux communistes. Même s’il fallait pour cela écouter le “bilan globalement positif” dans des hauts parleurs
grésillant…
Les hauts parleurs étaient grésillants. En me remémorant cette époque, ils me sont revenus à l’esprit et là je l’avoue avec une certaine nostalgie. Mais en effet, aucun rapport entre leur qualité
et la vérité du message transmis.
Je ne vous trouve pas logique. Vous m’avez habitué à mieux sur escouade. Je vous trouvais même trop rigoureux sur les faits et démigrant ce qui n’est que des convictions personnelles.
Or là, vous ne louez pas de simples convictions qui sont le propre de l’humain mais vous semblez regretter le temps des croyances collectives.
Pourquoi ne pas admettre que le peuple a raison et que s’il s’est détourné des communistes, c’est que les communistes ont tort ? Pourquoi la cgt devrait être inféodée au pcf plutôt qu’au peuple
souverain ?
Je ne vous trouve pas logique (…). Je vous trouvais même trop rigoureux sur les faits et démigrant ce qui n’est que des convictions personnelles. Or là, vous ne louez pas de simples
convictions qui sont le propre de l’humain mais vous semblez regretter le temps des croyances collectives.
J’avais un peu abordé cette question dans mon papier sur le “rémue-méninges” du PG (ici). Mais je n’ai peut-être pas été assez clair. Je ne suis pas contre les
“croyances”. Elles ont leur place dans la vie politique et dans la vie sociale tout court. Et dans certains cas, elles sont même absolument nécessaires. Serions nous capables de vivre si nous
n’avions pas la croyance absolue le soir lorsque nous nous couchons que nous nous réveillerons le lendemain ? Mais il y a le niveau de la croyance, et le niveau de la raison. Et ils sont
étonnament séparés. Je connais des professeurs de statistique qui jouent au Loto la date de naissance de leurs enfants. Mais ils ne soutiendront jamais du haut de leur chaire que la date de
naissance de leurs enfants a une plus grande probabilité de gagner que n’importe quel autre numéro…
Pour moi, le problème apparaît lorsque l’on confond ces deux dimensions. Qu’un militant “croie” que son parti fera le bonheur de tous demain ne me gêne pas. Qu’il sorte cette “croyance” dans un
débat politique comme si c’était un argument, cela me paraît inadmissible. C’est pourquoi vous me voyez aussi “rigoureux” lorsque des participants invoquent leurs convictions personnelles dans un
débat politique, et que vous me voyez très tolérant envers certaines croyances collectives.
Pourquoi ne pas admettre que le peuple a raison et que s’il s’est détourné des communistes, c’est que les communistes ont tort ?
Moi je veux bien l’admettre. Le problème, c’est qu’admettre cela conduit à une conclusion très dérangeante. Si j’admets que “le peuple a raison” lorsqu’il se détourne des communistes dans les
années 1990-2000, il n’est pas logique de penser que “le peuple ait eu tort” lorsqu’il a apporté son appui massif aux communistes de la fin des années 1940 au début des années 1970. C’est à dire,
durant la période la plus stalinienne de l’histoire du PCF.
Si c’est l’appui populaire qui vous dit si le PCF a “tort” ou “raison”, il faut admettre que c’est durant la période la plus “stalinienne” de l’histoire qu’il a eu “raison”, et que c’est
depuis qu’il a rompu avec cette logique qu’il a “tort”. Embêtant, n’est ce pas ?
Pourquoi la cgt devrait être inféodée au pcf plutôt qu’au peuple souverain ?
Parce que si elle est inféodée “au peuple souverain”, elle représentera les intérêts du “peuple souverain”, et non de la classe ouvrière. N’oubliez pas que les patrons font autant partie du
“peuple souverain” que les prolétaires…
La question du rapport entre Parti ouvrier et Syndicat est un vieux débat, et la réponse à la question dépend des objectifs qu’on se fixe. Si le but est de permettre à la classe ouvrière de
disposer d’un poids politique, alors le modèle du Syndicat contrôlé par le Parti s’impose. Si le but est de donner aux revendications syndicales une issue politique dans un régime de cogestion,
c’est plutôt l’inverse. On le voit bien dans la tradition politique britanique, par exemple.
Très dérangeant en effet. Mais je m’accommode justement de cette gêne en me disant que le présent n’est pas pire que la passé, qu’il y a un progrès des relations entre les humains certes infime
mais un progrès tout de même. C’est quasiment de la stagnation mais ce n’est pas de pire en pire globalement. D’où mon absence de regret de la vie passée.
Oui les syndicats représenteraient le peuple s’ils n’étaient pas inféodés. Oui le peuple inclut les patrons, les riches, les exploiteurs, etc…Mais le peuple est organisé en une pyramide
sociale. Il y a donc beaucoup plus de monde dans la base que vers la pointe. La démocratie donne donc raison à la base.
Les syndicats et le pcf ne seraient donc pas démocratiques ?
Mais le peuple est organisé en une pyramide sociale. Il y a donc beaucoup plus de monde dans la base que vers la pointe. La démocratie donne donc raison à la base.
Une simple observation des faits devrait attirer votre attention sur la faiblesse de cette théorie. Nous pouvons constater chaque jour que la démocratie ne donne nullement raison à la base.
D’abord, parce que le pouvoir n’est pas seulement une question de voix, il est surtout une question de rapport de force. Le politique peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout. Et ensuite, parce
que “la base” n’a que peu de moyens pour élaborer un projet et une politique. Elle se voit donc forcée à faire confiance à des gens qui sont au milieu de la pyramide – quand ce n’est pas en haut
– pour porter leurs intérêt.
Bonjour, Cette note de violence symbolique complète assez bien le tableau je trouve :
http://www.lexpress.fr/actualites/1/politique/quand-jean-luc-melenchon-somme-un-militant-communiste-de-degager_1033838.html Si la bienveillance des journalistes ne fait aucun doute, l’incident n’en
reste pas moins dérangeant à supposer que les faits rapportés soient exacts. On dira qu’il s’agissait d’un vil provocateur gauchiste…
Vu qu’il s’agit d’un cable AFP, il y a de bonnes chances que les faits rapportés soient exacts. En tout cas, ils ne sont guère surprenants. JLM a déjà donné plusieurs exemples de la difficulté
qu’il a à se contrôler lorsqu’il est devant un interlocuteur qui n’est pas d’accord avec lui. On se souvient qu’il avait grossièrement rabroué un étudiant journaliste qui lui posait une question
à laquelle il n’avait envie de répondre, comment il avait traité de “maréchalistes” ceux qui ne partagent pas sa vision de l’Euro. Cette violence n’est pas aussi anodyne que ses partisans veulent
bien le faire croire…
“Cette violence n’est pas aussi anodyne que ses partisans veulent bien le faire croire… “
Ses partisans sont-ils forcément opposés au recours à la violence ?
Ses partisans sont-ils forcément opposés au recours à la violence ?
Pour la plupart, je pense que oui. Du moins si la question est posée en ces termes. Mais je pense qu’ils sont prêts à accepter un niveau élevé de violence verbale et symbolique sans s’apercevoir
que cette violence peut ouvrir, dans certaines circonstances, la porte à la violence “pour de vrai”. Lorsqu’on commence à trouver des circonstances atténuantes à la violence gratuite, on rend
concevables des choses qui devraient rester du domaine de l’inconcevable.
“Une simple observation des faits devrait attirer votre attention sur la faiblesse de cette théorie. Nous pouvons constater chaque jour que la démocratie ne donne nullement raison à la
base”.
Je suis d’accord “la démocratie donnant raison à la base” est une théorie tellement faible qu’elle semble fausse. Mais c’est la théorie démocratique. Elle donne raison au plus grand nombre donc à
la base donc à la plus grande partie du peuple. Et aussi à la moins puissante dans tous les domaines : pouvoir economique, pouvoir de la connaissance, etc… Ainsi la démocratie unit le
peuple en rebasculant vers la base une partie du pouvoir : le pouvoir politique. La démocratie est le seul pouvoir des faibles. On y croit ou on n’y croit pas, on est démocrate ou
on ne l’est pas. Mais si on l’est comment pourrait on ne pas y croire ?
A partir du moment où on croit à cette théorie, on est en effet très déçu du résultat concret. Pourquoi est-elle si faible cette théorie ? (je viens de me rendre compte que le verbe croire n’est
peut-être pas le mieux approprié à ce que je veux dire…)
Pourquoi est-elle si faible ? Je reviens toujours à la même chose : peut-être parce que ce pouvoir rebasculé vers la base est accaparé par un certain nombre d’imposteurs qui se fichent pas mal de
la démocratie. Ceux qui s’arrogent le droit de parler à la place de la base ont surtout pour but de la faire taire. Une fois que ces imposteurs sont démasqués, il est vrai que le peuple
devrait contester cette représentation usurpée. Mais cette usurpation ne se fait pas sans un déploiement de stratégies visant à ce qu’elle soit durable et forte. Je suis bien conscient du
manque d’ardeur du peuple à leur botter le cul. Mais il faut reconnaître que le peuple ne les a jamais suivi non plus avec une énorme naïveté. Le peuple fait l’âne quand on veut le faire
marcher dans un sens où il ne veut pas aller. Ce serait mieux, en effet, que sûr de ses convictions démocratiques, il conteste les usurpateurs de sa souveraineté. Mais c’est déjà
ça lorsqu’il fraine des deux pieds. Donc il y a de l’espoir.
De plus, parmi ces quelques usurpateurs, se trouvent n’innombrables gens honnêtes qui croient sincèrement être sur la bonne voie. Et vous semblez en être un bon exemple. Malheureusement la
simple présence de ces gens honnêtes cautionne l’usurpation. Et ils ne font pas qu’acte de présence. Ils agissent avec engouement parce qu’ils y croient. Le bon sens populaire rechigne à jeter le
bébé avec l’eau du bain. Il lui est quasiment impossible de rejeter une organisation qu’il juge malhonnête ou/et abusive s’il sait que beaucoup de gens honnêtes y participent. Cette
tolérance mal placée contribue malheureusement à pertétuer les méfaits et à rendre le rejet total inévitable lorsque ces méfaits seront avérés et connus.
Je trouve qu’il est aussi regettable de supporter sans se révolter des comportements inadmissibles (sous prétexte que les idées qu’ils défendent sont bonnes) que de rejeter de bonnes idées (sous
prétextes qu’il a fallu supporter les comportements inadmissibles qui les défendaient)
Je suis d’accord “la démocratie donnant raison à la base” est une théorie tellement faible qu’elle semble fausse. Mais c’est la théorie démocratique. Elle donne raison au plus grand nombre
donc à la base donc à la plus grande partie du peuple.
Il faudrait préciser ce que vous appelez “démocratie”. Si je suis cette dernière remarque, on a l’impression que vous confondez “démocratie” avec la dictature de la majorité. Or, ce sont deux
choses fondamentalement différentes. D’abord, la démocratie ne donne “raison” à personne. La démocratie est un mode de gouvernement, pas un mode de jugement entre les différentes opinions. La
logique démocratique est – schématiquement – qu’on fait ce que la majorité veut. Mais cela n’implique nullement qu’elle ait raison. Ensuite, la démocratie n’implique pas qu’on fasse toujours ce
que dit la majorité, puisqu’elle repose sur les principes du droit, et que ceux-ci accordent aux individus des protections qui mettent les minorités à l’abri des abus de la majorité.
On y croit ou on n’y croit pas, on est démocrate ou on ne l’est pas.
Avant de “croire”, il faut savoir de quoi on parle. Qu’est ce que vous appelez “démocratie” précisement ?
Pourquoi est-elle [la democratie] si faible ? Je reviens toujours à la même chose : peut-être parce que ce pouvoir rebasculé vers la base est accaparé par un certain nombre d’imposteurs qui
se fichent pas mal de la démocratie. Ceux qui s’arrogent le droit de parler à la place de la base ont surtout pour but de la faire taire.
Votre raisonnement est paradoxal. C’est “la base” qui a voté la constitution qui permet à un certain nombre de gens de “parler à la place de la base”. C’est donc sa volonté que d’autres parlent
en son nom. Et c’est cette même “base” qui les choisit, après avoir voté elle même les règles de choix. Qu’est ce qui vous permet, vous, de décider que ces gens là sont des “imposteurs” ? Si vous
admettez que “la base a raison”, alors vous ne pouvez pas contester ses choix. Pas même le choix de déléguer son pouvoir…
“Si j’admets que “le peuple a raison” lorsqu’il se détourne des communistes dans les années 1990-2000, il n’est pas logique de penser que “le peuple ait eu tort” lorsqu’il a apporté son appui
massif aux communistes de la fin des années 1940 au début des années 1970. C’est à dire, durant la période la plus stalinienne de l’histoire du PCF”
Tellement dérangeant que ça me perturbe alors j’y reviens.
Le peuple, nous sommes d’accord, c’est tout le monde. Le PCF n’a jamais dépassé plus de 25% des voix, non ? Ca fait 75% qui ne votaient pas pour lui.
D’autre part, et vous le dîtes ailleurs, chaque action doit être remise dans son époque pour être correctement comprise. La participation des communistes à la libération de la France leur a donné
une légitimité qui ne s’explique pas forcément par l’adhésion à leurs options politiques.
De même, le peuple français a élu un général président de la république. Ce n’était pas dans le but de donner le pouvoir politique à l’armée.
Le peuple, nous sommes d’accord, c’est tout le monde.
C’est une grand débat. Pour certains – et j’ai l’impression que c’est votre cas – le “peuple” un simple ensemble de gens (une population) qui se trouvent avoir une origine, une nationalité ou un
autre élément commun. Pour d’autres – c’est mon cas – le “peuple” est un institution. En d’autres termes, il a une existence autonome par rapport à ses membres. Ce n’est pas une simple
population, c’est une histoire, un ensemble de traditions, un langage, un récit commun…
Le PCF n’a jamais dépassé plus de 25% des voix, non ? Ca fait 75% qui ne votaient pas pour lui.
Et alors ? Je ne comprends pas où vous voulez en venir…
D’autre part, et vous le dîtes ailleurs, chaque action doit être remise dans son époque pour être correctement comprise. La participation des communistes à la libération de la France leur a
donné une légitimité qui ne s’explique pas forcément par l’adhésion à leurs options politiques.
On aurait pu le comprendre si le PCF n’avait conservé cet appui que quelques années. Mais en 1969, le PCF fait encore 22% à une élection présidentielle. Difficile de croire que ceux qui ont voté
Duclos vingt-cinq ans après la libération de Paris l’aient fait indépendament de ses “options politiques” et seulement en fonction de la légitimité acquise dans la Résistance.
De même, le peuple français a élu un général président de la république. Ce n’était pas dans le but de donner le pouvoir politique à l’armée.
Mais il a élu ce général-là certainement pour ses options politiques…