“On revient de tout, sauf du ridicule”
L’une des caractéristiques les plus terrifiantes dans le “politiquement correct” qui écrase comme une chape de plomb l’espace publique aujourd’hui est son absence totale de sens de l’humour. Umberto Eco avait bien décrit le problème dans son roman “Le Nom de la Rose”: on y voit le gardien du dogme ancien s’indigner qu’on puisse penser que le Christ ai pu rire, parce que le dogme c’est le sacré, et le rire, c’est ce qui détruit le plus sûrement le sacré. Dès lors qu’on cherche à protéger une idée de tout examen rationnel, on cherche à la sacraliser. Et dès lors, celui qui en rit est l’ennemi.
Une illustration de ce fonctionnement a été donné ces derniers jours par ce qu’on pourrait appeler “l’affaire Patrick Besson”. En quoi consiste-t-elle ? Et bien, le dit Besson a commis dans les colonnes du “Point” un texte figurant le premier discours d’Eva Joly après son élection imaginaire à la présidence de la République. (consultable ici) Pour rendre son texte plus savoureux, Patrick Besson a cru bon d’écrire son texte en phonétique, en reproduisant le charmant accent franco-norvégien dont la candidate écologiste nous fait bénéficier à chacune de ses apparitions.
Il n’a pas fallu plus pour que les habituelles voix de la bienpensance se déchaînent. Le texte de Besson serait selon certains (donc Joly elle même) constitutif d’une “agression raciste”. SOS Racisme parle de “texte indigne, a connotation xénophobe”. Le Front de Gauche déclare que “Patrick Besson fait preuve d’une xénophobie insupportable”. Et on pourrait y ajouter les déclarations du MRAP, du PCF…
Comme toujours dans ces affaires, il faut revenir au texte. J’ai lu le texte de Besson, et je vous invite à faire de même. Vous pourrez constater Patrick Besson ne fait que reprendre le ressort habituel de la caricature, qui est l’exagération jusqu’au ridicule d’un trait particulier de la personne. Mais dans le texte en question, Besson fait bien mieux qu’une caricature: l’accent de Joly n’est qu’un recours littéraire pour épicer un texte dans lequel il a effectivement capturé l’essence du discours de Joly. Je ne résiste pas à la tentation de citer le premier paragraphe: “Auchourt’hui est un krand chour : fous m’afez élue brézidente te la République vranzaise. Envin un acde intellichent te ce beuble qui a vait dant de pêdises tans son hisdoire, sans barler éfitemment te doudes les vois où il a bollué l’admosphère montiale afec tes essais nugléaires, mais auzi les lokomodives à fapeur, les hauts vournaux, les incenties de vorêt, les parbekues kanzérichênes tans les chartins te panlieue, chen basse et tes meilleures”. Tout y est, la tendance à mélanger tous les problèmes sans les hiérarchiser, la haine de soi culpabilisante, la conviction qu’on est le seul à avoir un discours intelligent…
On voit mal en quoi ce discours serait “xénophobe” ou “raciste”. On peut se moquer d’un personne sans forcément la hair, et l’utilisation des stéréotypes nationaux n’est pas forcément “xénophobe”. Faut-il censurer “la belle et le clochard” sous prétexte que le propriétaire du restaurant a un accent italien ? Le texte de Besson n’est en rien raciste ou xénophobe. Mais il est drôle. Pire, il est intelligemment drôle. Et si être drôle est suspect aux yeux des dragons de vertu du politiquement correct, être intelligent est tout simplement un crime. Haro sur Besson, donc.
Il faut dire que Patrick Besson n’en est pas à son premier conflit avec les dragons en question. Comme certains ont une bien mauvaise mémoire, il n’est pas inutile de rappeler dans quelles conditions Besson eut maille à partir avec ls fanatiques du bienpenser. Cela se passait au milieu des années 1990. Le père UbHue cherchait alors à “muter” le PCF, et rencontrait une opposition farouche d’un certain nombre de personnalités communistes inquiètes de voir le PCF se transformer en organisateur de spectacles au profit du PS. Les bienpensants, qui n’ont jamais hésité à donner un coup de main à tout ce qui pouvait affaiblir le PCF, ont alors monté une petite opération de communication. Tout à coup, on vit fleurir des tribunes, des articles, des commentaires évoquant le complot des “rouges-bruns”. Dans le meilleur style stalinien, des personnalités insoupçonnables comme Roland Leroy furent accusés de fréquenter les cénacles d’extrême droite ou de faire le lit des négationnistes. Patrick Besson fit partie du lot. L’affaire dérapa sérieusement lorsque Didier Daeninckx, l’une des coqueluches du “politiquement correct” attaqua violemment Gilles Perrault, personnalité dont l’attachement à la liberté, aux droits de l’homme et à la mémoire de la dernière guerre est incontestable, d’être négationniste. Cette attaque grossière rendit l’opération contre-productive pour ses initiateurs, et du jour au lendemain les “rouges-bruns” disparurent des gazettes. Cet épisode valut à Daeninckx de se retrouver héros d’un magnifique opuscule de Besson lui-même, intitulé “Didier Dénonce”.
Mais c’est peut-être la déclaration de Noël Mamère qui est la plus révélatrice. Mamère affirme que “à travers la personne d’Eva Joly, ce papier est aussi une insulte à tous ceux qui, dans ce pays, ont un accent et qui aujourd’hui se sentent humiliés par des propos de ce genre”. Diable. Ainsi, en imitant l’accent d’Eva Joly on “insulterait tous ceux qui ont un accent” ? L’oeil de verre de Le Pen a fait le bonheur des caricaturistes pendant des années. Ces caricatures insulteraient elles tous ceux qui dans ce pays sont borgnes ? Bien sur que non. En tout cas, ni Noël Mamère, ni aucun des prêtres du “politiquement correct” n’est sorti défendre cette catégorie. Ce qui tendrait à faire penser que le “politiquement correct ” de certains est a géométrie variable.
Le commentaire de Mamère est une illustration quasi parfaite de ce que les anglosaxons nomment “la culture de l’offense”. Dans cette logique – qui n’est qu’une variation de l’idéologie “victimiste” dans laquelle nous trempons – il est essentiel de trouver chez l’adversaire des raisons d’être offensé. A la confrontation d’idées opposées – ce qui implique la reconnaissance du droit de l’autre à penser différemment – se substitue une logique dans laquelle les idées de l’autre sont déclarées “offensantes” et donc écartées sans discussion. Comment peut-on discuter raisonnablement de la question du vote des étranger si le simple fait d’être contre vous vaut le stigmate de “xénophobe et raciste” ? Comment peut-on discuter raisonnablement de la question de la violence domestique si toute autre position que l’adhésion inconditionnelle au “politiquement correct” vous vaut un sceau d’infamie ?
Le “politiquement correct” est un instrument de terrorisme intellectuel, utilisé pour clore toute discussion avant qu’elle ne commence. Et c’est pourquoi tous ceux qui privilégient la Raison plutôt que le Dogme devraient le dénoncer. C’est le droit de Besson de penser que pour occuper la première magistrature de l’Etat il faut parler le français sans accent. Et il n’est ni xénophobe ni raciste de trouver étrange qu’une personnalité qui prétend au premier rôle dans la République n’accorde la moindre importance à notre langue, qui est notre patrimoine commun.
En 1973 Gérard Oury réalise le film “Les aventures du Rabbi Jacob” qui deviendra un succès non seulement en France mais aussi à l’étranger. Loin d’être jugé “raciste ou xénophobe” ce film, qui n’arrête pas de se moquer des accents des uns et des autres, et notamment avec les accents des juifs ashkenazes, fut alors considéré comme un chant à la tolérance. Peu avant de disparaître en 2006, Gérard Oury se demandait s’il serait encore possible aujourd’hui de réaliser ce film sans être immédiatement stigmatisé par les gardiens du dogme antiraciste. Au vu de l’affaire Besson, on ne peut lui donner tort.
Descartes
Mais dans le texte en question, Besson fait bien mieux qu’une caricature: l’accent de Joly n’est qu’un recours littéraire pour épicer un texte dans lequel il a effectivement
capturé l’essence du discours de Joly.
Besson aurait pu critiquer les thèses de Madame Joly sans caricaturer son accent, sans avoir besoin
d’attaquer la personne, il y a suffisamment de grotesque dans le programme de madame Joly pour rester dans le domaine des idées.
A mon sens, avec ce procédé il blesse inutilement sa cible.
Besson aurait pu critiquer les thèses de Madame Joly sans caricaturer son accent, sans avoir
besoin d’attaquer la personne,
Certainement. Et Charles Chaplin aurait pu critiquer les thèses de Hitler sans caricaturer sa manière de
parler, “sans avoir besoin d’attaquer la personne”, comme il le fait dans son film “Le Dictateur”. Seulement voilà, en politique les personnes comptent aussi. Et la satire reste un moyen
excellent de réveler les hommes (et les femmes) publics.
A mon sens, avec ce procédé il blesse inutilement sa cible.
Un peu comme parler des talonettes de Sarkozy ou de l’oeil de verre de Le Pen ? Curieusement, les
défenseurs de la veuve et de l’orphelin semblent moins prompts a dénoncer ces “procédés” quand ils touchent des gens qu’ils n’aiment pas…
Bonjour,
Ostracisme est le mot qui convient précisément pour qualifier ce type de comportement généralisé – le développement du système
médiatique y est pour beaucoup dans lequel il constitue un des avatars principaux -, et comme il faut appeler «un chat», un chat, au débat argumenté, gros consommateur de neurones dans notre
cortex, niveau le plus évolué de notre intelligence, se substitue insidieusement un flot entretenu de stimuli destinés au système limbique, cerveau plus docile et malléable, propice à l’avènement
d’une population pavlovienne.
L’ostracisme se pratiquait officiellement dans la Grèce antique, siège de l’embryon de la démocratie, et selon probablement un
déterminisme lié à la nature humaine, constituait peut être une antidote au risque subversif de l’intelligence individuelle.
Notre premier devoir d’homme libre, de citoyen d’une démocratie véritable, n’est il pas de se doter des moyens d’appréciation entre le
juste et le faux, entre ce qui est véritablement bon ou mauvais pour nous en tant qu’individu et ceux dont nous avons la responsabilité?
Cela implique un état de résistance permanente au flux d’informations qui nous submerge et nécessite une attitude de doute
systématique, n’en déplaise à la bien «pensence.» ambiante
N’est ce pas Descartes ?
un extrait d’une scolie de Michéa sur la police de la pensée avec lequel tu seras sûrement d’accord:
“Le combat de la gauche moderne pour abolir toutes les formes de discrimination et de “stigmatisation” exige, bien sûr, que soient simultanément discriminés et stigmatisés tous ceux qui ne se
reconnaitraient pas dans ce combat…Un Voltaire mettait un point d’honneur à se mobiliser pour défendre la liberté d’expression de ses ennemis politiques. De nos jours, ce genre d’attitude lui
attirerait à coup sûr les foudres de SOS racisme, Licra et autres organisations libérales (pour ne rien dire de nos brillants journalistes). Qui, en 2011, pourrrait croire un instant que ces
nouveaux chasseurs de sorcières (ou ces nouveaux tartuffes) laisseraient encore un Coluche ou un Desproges s’exprimer librement ?”
Comme tu le dis, la police de la pensée ne voit pas d’inconvénient à évoquer des talonnettes ou un oeil de verre mais dès que quelqu’un s’attaque sur le mode la satire à la représentante de la
nouvelle religion millénariste, les loups sont lachés.
Un grand merci pour tes articles, ça fait du bien dans le conformisme nauséabond ambiant.
Comme tu l’as bien anticipé, je suis tout à fait d’accord sur ce point avec Michéa. Et je te remercie de tes encouragements.
Je n’ai pas la même analyse. Selon moi il n’y a pas de mauvaises blagues. Il n’y a que de mauvais blagueurs. Et le texte de Besson, en plus d’être illisible (la tendance éditorialisante est assez
pénible sans qu’on soit en plus obligé de la déchiffrer comme du SMS), n’est simplement pas drôle. Et en fonction de la qualité de celui qui la raconte, il est facile de retourner le sens d’une
blague.
Allons, soyons beau joueur, voici une petite image d’humour politique, réussie celle-là:
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