Les terroristes ont encore frappé. Jusqu'à maintenant, on croyait que les "le (la) militant(e) désigné(e)" et autres formules du même style appartenaient au répertoire des textes de certaines organisations d'extrême gauche en mal de "genre". Quelle erreur! Voici in extenso une vacance de poste dans la fonction publique publiée dans le très sérieux Journal Officiel de la République Française, dans l'édition du 26 octobre 2014:
Avis de vacance d'un emploi de chef(fe) de service
Un emploi de chef(fe) de service, classé en groupe I, est susceptible d'être vacant à la direction générale du travail (DGT), à l'administration centrale du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Le (la) titulaire aura la responsabilité du service des relations de travail et conditions de travail et du département des affaires générales et des prud'hommes de la direction générale du travail.
Missions principales
Placé(e) auprès du directeur général du travail, le (la) chef(fe) de service a la responsabilité du service des relations et des conditions de travail, lui-même composé de deux sous directions : la sous-direction des relations individuelles et collectives du travail, et la sous-direction des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail et du département des affaires générales et des prud'hommes. Le (la) chef(fe) de service assure la responsabilité de cet ensemble.
Il (elle) assure, en lien avec les sous-directeurs, le pilotage des dossiers de la politique du travail portés par ces entités, et a notamment en charge le suivi des dossiers transversaux de la direction générale du travail. A titre d'exemple, il (elle) suit tout particulièrement les chantiers de la simplification pour les entreprises, ou celui de la modernisation de l'action publique.
Placé(e) auprès du directeur général du travail, il (elle) peut être amené(e) à le seconder dans le périmètre de ses attributions, et à le représenter.
Profil du candidat recherché
Le poste de chef(fe) de service de la direction générale du travail s'adresse à un(e) cadre supérieur(e) de haut niveau, déjà expérimenté(e) (ayant déjà eu des expériences de management supérieur, comme sous-directeur(trice) en administration centrale ou responsabilités équivalentes) et ayant une bonne connaissance et compréhension des relations entre administrations et cabinets ministériels et de l'administration des ministères sociaux en particulier. Le (la) candidat(e) devra posséder de grandes capacités relationnelles, d'écoute et de négociation, un sens aigu de l'organisation et un esprit d'initiative associé à une grande sûreté de jugement.
Ah, mon dieu, le cri de la langue française qu'on assassine… Cependant, une question lancinante se pose à moi: dans le titre "profil du candidat recherché", on a oublié le "(e)" à "candidat". Une telle omission montre combien le Patriarcat reste puissant dans les ministères. Plus curieux encore, le "candidat" du titre se transforme en "candidat(e)" dans le paragraphe qui suit. Miracles de la chirurgie moderne ?
On ne sait s'il faut rire ou pleurer. Comment en sommes nous arrivés là ? Comment le haut fonctionnaire qui a approuvé cette fiche de poste a pu la laisser passer sans éclater de rire ? Comment ce monument de laideur et d'obscurité arrive à se retrouver au journal officiel de la République ? Et plus fondamentalement, comment se fait-il que les femmes elles-mêmes acceptent qu'en leur nom on écrive de pareilles idioties ?
Descartes
Comment en est-on arrivé là ?
Par désinvolture sans doute, mais surtout par soumission au modèle dominant.
C’est la thèse d’Alain Borer.
Son magnifique ouvrage raconte le désastre : "De quel amour blessée. Réflexions sur la langue française." Chez Gallimard.
Constatons combien malgré le (e ) les lela * la DGT reste un repaire exclusif de " sous-directeurs"… espérons que ça ne se généralise pas à toute la fonction publique…
Je propose lale pour la galanterie
@marcailloux
C’est sans aucun doute,vrai!
Mea culpa!Je fais des fautes d’orthographe comme des dizaines de millions de mes compatriotes.
Pire !Mon cas est aggravé par mon métier d’enseignant.
Or c’est ce métier (excessivement fatiguant aujourd’hui) qui me pousse à tâtonner pour émettre des propositions orthographiques favorables aux élèves en difficulté.
Là où ce challenge devient mission impossible,c’est que je m’exprime sur l’excellent blog de l’excellent Descartes.
Qui a le même souci de qualité que vous,Monsieur Marcailloux que je respecte infiniment.
L’orthographe française est un problème,comme l’anglaise mais pas comme l’espagnol.
C’est un euphémisme,Notre langue ‘françoise’ est considérée comme très difficile.
Or l’orthographe n’est elle pas une ‘institution ‘incarnée par l’académie,trés populaire en France?
Vous M.Marcailloux en êtes la très respectable illustration.
Or son apprentissage ne s’effectue pas à la manière délicieusement pédagogique de Descartes.
Il est fréquemment autoritaire,passif,rebutant ,quasi-militaire;ça a marché trés longtemps
Mais ce système a fait ces preuves pour les générations mondialisées ante-poussette contemporaines.
L’école privilégie désormais l’échange,la participation,la créativité,l’interactivité.
Elle mise sur la réflexion et s’efforce de donner du sens,d’engager l’élève dans une acquisition du savoir active et non passive.
Conditions indispensables à l’époque de ‘l’enfant roi’ où l’élève se comporte bien souvent en ‘consommateur’ exigeant plus que soumis.
Comment enseigner l’orthographe dans ces conditions?
L’EN élimine le tout orthographe en sciences par exemple même si les enseignants doivent corriger les fautes,mais pas l’élève;paradoxe!
Ces bonnes intentions ne pavent elles pas l’enfer orthographique?
La solution me semble d’effectuer des ajustements comme l’utilisation du présent à la place de l’imparfait du subjonctif(il aurait fallu qu’il sache plutôt que:il aurait fallu qu’il susse..).
Actrice,maîtresse,voire cheftaine me semble être des ajustements de bon sens même si l’invariabilité de la fonction doit rester un principe auxquels l’académie doit reconnaître des entorses.
Il faudrait un vrai travail d’adaptation ,de réflexion que l’on ne peut écarter dans un mouvement,conservateur,dogmatique ,digne du 17ième siècle.
L’orthographe a plusieurs forme ,de fait aujourd’hui.
En écrivant ces lignes ,je me suis résolus de fait à l’accepter.
Cependant,je persiste à préférer ‘Une’ seule orthographe mais ‘travaillée’ par notre académie ,plutôt que par les différents dictionnaires ou les usages dans les différents milieux.
N’est ce pas le rôle de l’académie d’accompagner l’évolution de la langue plutôt que de la figer?
@ bovard
[Or c’est ce métier (excessivement fatiguant aujourd’hui) qui me pousse à tâtonner pour émettre des propositions orthographiques favorables aux élèves en difficulté.]
C’est cette démarche précisément que je critique. Faut-il décréter que puisque les élèves ont des difficultés avec la géométrie désormais tous les triangles seront équilatéraux ? Que puisque la théorie de Darwin est trop compliquée, on enseignera la création en sept jours, qui est beaucoup plus simple ? Non. On ne choisit pas ce que les élèves doivent savoir en fonction des « élèves en difficulté ». On décide ce que les élèves doivent savoir pour être de bons citoyens, et ensuite on cherche les outils pédagogiques pour faire passer ces contenus.
[Là où ce challenge devient mission impossible, c’est que je m’exprime sur l’excellent blog de l’excellent Descartes.]
Meuh non, meuh non… si sur cet « excellent » blog on respecte l’orthographe, on la viole souvent. Et je suis le premier à le faire, et à en être désolé…
[L’orthographe française est un problème, comme l’anglaise mais pas comme l’espagnol.]
Chaque langue a ses difficultés. L’espagnol a une orthographe plus proche du phonétique, même si beaucoup d’hispanoparlants, notamment en Amérique Latine, prononcent de manière identique le « c » et le « s », le « b » et le « v », et que la lettre « h » est muette. Mais l’espagnol a des difficultés qui n’existent pas en anglais ou en français, comme le dédoublement du verbe « être » en deux verbes distincts, « être quelque chose » et « être quelque part ». Pourtant, personne à ma connaissance ne propose une réforme de l’espagnol pour unifier ces deux verbes…
[C’est un euphémisme, notre langue ‘françoise’ est considérée comme très difficile.]
A tort. Chaque langue a ses difficultés, et celles du français ne sont pas exceptionnelles. C’est quelqu’un qui a appris le français en langue étrangère qui vous le dit.
[Or son apprentissage ne s’effectue pas à la manière délicieusement pédagogique de Descartes. Il est fréquemment autoritaire, passif, rebutant, quasi-militaire]
Je vous fais remarquer qu’on fait le même reproche au Latin, aux mathématiques… et plus largement, à toute connaissance structurée, à toute science « dure ». Notre société ne supporte plus qu’une forme d’apprentissage, le jeu. Si ce n’est pas ludique, c’est « autoritaire, passif, rebutant, quasi-militaire ». Or, pour que l’apprentissage devienne plaisir, il faut avoir déjà accumulé beaucoup de connaissances.
[Mais ce système a fait ces preuves pour les générations mondialisées ante-poussette contemporaines.]
Pas du tout. Il n’y a qu’à voir dans les « quartiers » combien de jeunes se précipitent à suivre les cours d’instruction religieuse dans les mosquées. Pourtant, on peut difficilement dire que cet enseignement, basé essentiellement sur la lecture et la répétition d’un seul texte, soit très « participative » ou « créative »…
Les « générations mondialisées » ont bon dos. Elles servent surtout à justifier la démission de l’enseignant. Cette vague de l’enseignement « ludique » ne vient pas des élèves, elle vient des professeurs. Parce que c’est plus facile, parce que c’est moins conflictuel, parce que depuis 1968 il ne suffit plus à l’enseignant de transmettre, il veut en plus être aimé. Or, rien n’est moins naturel que l’acte d’apprendre. Il faut arrêter de croire que les individus cherchent « naturellement » à apprendre ce dont ils ont besoin pour être de bons citoyens, ou même de bons travailleurs. Laissé à lui-même, l’individu n’apprend pas grande chose. S’il apprend, c’est parce qu’il est soumis à une pression constante de ses parents, de ses enseignants, de la société toute entière, qui distribue des récompenses – réelles ou symboliques – à ceux qui apprennent et des punitions à ceux qui n’apprennent pas.
Les « générations mondialisées » sont aussi sensibles que les générations qui ne connaissaient que l’ardoise au défi d’apprendre. Mais encore faut-il qu’il y ait un défi. La vulgate pédagogique aujourd’hui part de l’hypothèse que les jeunes fuient les choses « difficiles », et que pour aider les élèves en difficulté il faut réduire la « difficulté ». A mon sens, c’est faux. Comme le montre très bien Brighelli, les jeunes recherchent au contraire la difficulté. Il faut regarder ces « skateboarders » sur les escaliers de mon centre commercial de quartier qui passent des heures et des heures à s’exercer à répéter à l’infini – avec des risques physiques non négligeables d’ailleurs – pour rechercher « le » geste, pour le plaisir d’effectuer « la » figure difficile que personne ou presque n’arrive à réussir. Pourquoi l’école ne peut mobiliser ce sens du défi, de la recherche de la difficulté ? A mon sens, l’école en est incapable parce qu’elle refuse aux jeunes la difficulté. Parce qu’elle sert une bouillie infâme de choses « faciles » au lieu de leur donner du bon steak au risque de les voir se casser une dent. Il faut du difficile à l’école !
[L’école privilégie désormais l’échange, la participation, la créativité, l’interactivité. Elle mise sur la réflexion et s’efforce de donner du sens, d’engager l’élève dans une acquisition du savoir active et non passive.]
Oui, avec les brillants résultats qu’on connaît.
[Conditions indispensables à l’époque de ‘l’enfant roi’ où l’élève se comporte bien souvent en ‘consommateur’ exigeant plus que soumis. Comment enseigner l’orthographe dans ces conditions?]
Du mieux qu’on peut, comme on l’a toujours fait. Les enseignants revendiquent leur liberté de chaire, mais oublient souvent que derrière chaque droit se cache un devoir.
[L’EN élimine le tout orthographe en sciences par exemple même si les enseignants doivent corriger les fautes, mais pas l’élève; paradoxe! Ces bonnes intentions ne pavent elles pas l’enfer orthographique?
La solution me semble d’effectuer des ajustements comme l’utilisation du présent à la place de l’imparfait du subjonctif (il aurait fallu qu’il sache plutôt que: il aurait fallu qu’il susse..).]
La « solution » à quel problème ? Quelle est la difficulté que vous voulez résoudre avec cette proposition ? Admettons qu’on ne puisse pas enseigner aujourd’hui l’orthographe. Soit. Mais alors, à quoi bon la réformer ? A quoi bon remplacer les anciennes règles par des nouvelles règles qu’il faudra enseigner – et sanctionner lorsqu’elles ne sont pas appliquées ? Autant dire « chacun écrit comme il veut », et affaire conclue. Et puisqu’on y est, on peut décider que chacun écrit ce qu’il veut, et on économise encore plus : après tout, est-ce si grave si l’on place la bataille de Marignan en 1616 plutôt qu’en 1515 ou si l’on attribue une citation de Voltaire à Rousseau ? Pourquoi rendre les choses « difficiles » à nos chères têtes blondes ?
Pas besoin d’être l’Oracle de Delphes pour voir où tout cela nous conduit. Si chacun peut écrire comme il veut, vous aurez ceux – les pauvres – qui écriront « il aurait fallu qu’il sache », et puis vous aurez ceux – les riches – qui écriront « il aurait fallu qu’il susse », quitte à se payer des professeurs particuliers d’orthographe ou de grammaire. Et qui auront accès à une pensée plus subtile parce qu’elle fait la différence entre le présent et l’imparfait, différence qui est logique et qui ne s’efface pas par une réforme du langage. Sans compte le fait qu’en lisant un CV et une lettre de motivation, les « il aurait fallu qu’il sache » et les « il aurait fallu qu’il susse » n’iront pas sur la même pile.
[Actrice, maîtresse, voire cheftaine me semble être des ajustements de bon sens même si l’invariabilité de la fonction doit rester un principe auxquels l’académie doit reconnaître des entorses.]
L’exemple est mal choisi : « acteur » et « maître » ne sont pas des fonctions mais des professions, et leur féminisation ne pose pas de problème à l’académie. Pour ce qui concerne les « chefs », le féminin « officiel » de « chef » n’est pas « cheftaine » mais « cheffe »… et encore une fois, je ne vois pas pourquoi il faudrait que l’Académie reconnaisse des « entorses » à la logique de la langue au prétexte que cela fait plaisir à tel ou tel groupe militant.
[Il faudrait un vrai travail d’adaptation, de réflexion que l’on ne peut écarter dans un mouvement, conservateur, dogmatique, digne du 17ième siècle.]
Pourquoi ? D’où vient la nécessité ?
[L’orthographe a plusieurs forme, de fait aujourd’hui.]
Pourquoi « aujourd’hui » ? Il y a toujours eu des gens pour écrire « vo » pour « veau » ou « erbe » pour « herbe ». De la à penser que « l’orthographe a plusieurs formes de fait », il y a un pas que vous franchissez un peu trop vite à mon avis. Ce n’est pas parce que des gens croient toujours que la terre est plate qu’il y a « plusieurs formes d’astronomie ».
[N’est ce pas le rôle de l’académie d’accompagner l’évolution de la langue plutôt que de la figer?]
C’est ce qu’elle fait, avec je trouve beaucoup d’intelligence. Mais il ne faut pas confondre « l’évolution de la langue » avec « les revendications de tel ou tel groupe militant ». Si l’on féminise les fonctions, ce n’est pas parce que « la langue » – c’est-à-dire, l’usage majoritaire des français ou même celui de la partie la plus cultivé de la société – ait évolué. Au contraire, ce que montre l’affaire Aubert est qu’il y a une volonté de modifier l’usage par la contrainte si nécessaire, précisément parce qu’il n’évolue pas suffisamment au gré d’un groupuscule soi-disant « féministe ». Je vois mal en quoi l’Académie « accompagnerait l’évolution » en donnant satisfaction à ce genre de mouvement sectaire.
>Les « générations mondialisées » ont bon dos. Elles servent surtout à justifier la démission de l’enseignant. Cette vague de l’enseignement « ludique » ne vient pas des élèves, elle vient des professeurs.<
La « génération mondialisée » que je suis confirme. Je n’ai pas choisi comment fonctionnait l’EN quand j’avais douze ans.
Je fais d’ailleurs remarquer qu’il y a deux « générations mondialisées » : celles qui en profitent, dont les parents parlent anglais ou du moins peuvent le faire apprendre à leurs enfants, et les autres…
>Parce que c’est plus facile, parce que c’est moins conflictuel, parce que depuis 1968 il ne suffit plus à l’enseignant de transmettre, il veut en plus être aimé.<
C’est drôle que tu écrives cela… C’est mon prof de littérature de terminale – un prof à l’ancienne, mais assez brisé par son métier – qui avait donné la même analyse d’un texte de Pascal : un tyran est un un détenteur de l’autorité qui ne demande pas seulement à être obéi, mais qui recherche en plus l’amour de la part de ses inférieurs.
>La vulgate pédagogique aujourd’hui part de l’hypothèse que les jeunes fuient les choses « difficiles », et que pour aider les élèves en difficulté il faut réduire la « difficulté ». <
C’est bien ce qui m’énerve. A ce moment là, apprenons aux ingénieurs à monter des tentes, ça sera moins difficile pour les pauvres choux que de construire des ensembles…
>Sans compte le fait qu’en lisant un CV et une lettre de motivation, les « il aurait fallu qu’il sache » et les « il aurait fallu qu’il susse » n’iront pas sur la même pile.<
Tu sais, certains se passent bien de l’orthographe, il suffit d’avoir papa-maman…
Bonjour,
Comme mon collègue bovard, je suis enseignant. Mais je dois avouer que je ne partage pas les idées qu’il développe, bien qu’il s’agisse de l’idéologie "dominante" au sein de l’Education Nationale aujourd’hui. Il faudrait ainsi que nos élèves "construisent leur savoir": arrêtons l’escroquerie intellectuelle, un adolescent de 12 ou 15 ans ne peut pas, par lui-même, "construire" un savoir élaboré lentement au cours des trois derniers millénaires. Enfin nuançons: ceux dont les parents ont une bibliothèque fournie ont des chances de "construire" quelque chose. Les autres, c’est moins sûr. Et on en revient toujours à la même chose: réduire les exigences, c’est favoriser les "riches" et plomber les "pauvres".
A titre personnel, et toute modestie mise à part, j’étais bon à l’école en orthographe, en grammaire, en conjugaison. Et le fait d’avoir longtemps été latiniste m’a aidé. Il est pour moi intolérable qu’on baisse les exigences en matière de langue française. Mes élèves ne sont pas plus bêtes que je ne l’étais: si j’y suis arrivé, ils peuvent y arriver. Je veux dénoncer également l’habitude de "médicaliser" systématiquement la moindre difficulté. Entendons-nous: il y a de vrais dyslexiques, dyspraxiques, dysorthographiques, dysphasiques, etc. Mais il est devenu courant de mettre la moindre difficulté sur le compte d’un prétendu handicap. Or, beaucoup d’élèves (et de parents surtout) veulent cacher les retards ou les difficultés en orthographe derrière une supposée infirmité. C’est trop facile: "Ah, bah, je n’y peux rien, je ne peux pas progresser, c’est un handicap". Quand dans une classe de 25, il y a une dizaine de "dys-quelque chose", je pense qu’il faut sérieusement s’interroger sur les méthodes de diagnostic… Toutes les difficultés ne sont pas liées à un handicap. La paresse, cela existe aussi.
La pédagogie "par le jeu", à l’occasion, pourquoi pas? Mais là, on m’excusera de prendre ma casquette de "con réac nostalgique-de-la-République-à-pépé": à l’école, on est là pour apprendre la rigueur, des choses sérieuses. Je le dis toujours à mes élèves: il y a des moments pour s’amuser, et des moments pour travailler. Là, vous êtes en classe, ce n’est pas le moment de s’amuser. Même s’il est vrai qu’en tant que prof d’histoire, j’ai beaucoup d’anecdotes amusantes en réserve pour émailler les cours. Étrangement, la seule chose que bien des élèves retiennent d’ailleurs… Pour le reste, je dois dire que les grands "projets transdisciplinaires", les sorties à tout-va, les "intervenants extérieurs", tout cela, ce n’est guère ma tasse de thé. Et disant cela, je ne suis pas considéré comme un "bon" enseignant, investi dans son travail, par l’institution, parce que, pour moi, l’essentiel est le travail qu’on fait en classe, avec les élèves, et non le nombre de "projets" qu’on porte dans l’établissement. Ma fierté n’est pas de montrer à mon inspecteur la liste des voyages que j’ai effectués (l’accord du participe passé employé avec "avoir" lorsque le COD est placé avant le verbe, un régal! Surtout depuis le jour où j’ai compris la logique de cette règle) ou des clubs que j’anime, ma fierté est de transmettre à mes élèves quelque chose de cette culture que j’ai reçue (parce que, c’est vrai, j’ai grandi dans un milieu "favorisé" de classe moyenne) et que j’aime tant.
Pour en revenir à la langue française, je ne crois pas que le français soit plus difficile que le japonais, le sioux ou le lituanien (je crois avoir lu qu’on compte jusqu’à 12 déclinaisons dans certaines langues baltes!). Que l’on supprime ici ou là quelques lettres étymologiques qu’on ne prononce pas et qui ne servent pas à construire d’autres mots de la même famille, pourquoi pas. Mais il faut se méfier des simplifications outrancières: prenons le mot "corps". Pourquoi ne pas l’écrire "cor"? Le problème est que "cor" écrit ainsi désigne autre chose… Et même deux choses: l’instrument et l’infection du pied. Ainsi, on risque fort de compliquer les choses au lieu de les simplifier. Ensuite, je pense qu’il faut défendre la langue française pour des raisons politiques: défendre notre langue, c’est défendre notre identité, notre culture, notre civilisation. La langue française est exigeante, parce que notre culture est exigeante. Et elle est exigeante parce qu’elle est ambitieuse. Et c’est pour cela qu’au XVIII° siècle Frédéric II de Prusse parlait et écrivait en français…
Voilà, je souhaitais apporter mon témoignage.
@ BolchoKek
[La « génération mondialisée » que je suis confirme. Je n’ai pas choisi comment fonctionnait l’EN quand j’avais douze ans.]
Mais la question de la demande de « difficulté » se pose. Je me souviens de mes premières années à l’école, lorsqu’on apprenait les premières lettres. Le livre de lecture commençait avec les syllabes, « m-a = ma », et les premiers mots « ma-man=maman », et se terminait sur un « vrai » texte qu’on était censé pouvoir lire à la fin de l’année. Je me souviens combien ce texte, si « difficile » à mon âge, me faisait envie. Combien après chaque leçon je tournais les pages pour le regarder, pour essayer de le déchiffrer, comme une sorte de Nirvana inatteignable…
Est-ce ma mémoire qui me trompe ? Est-ce que j’étais différent des autres ? Ou peut-on dire, comme le propose Brighelli, que cette recherche de la difficulté est un mécanisme présent dans tous les enfants, et qu’il suffit de le stimuler pour qu’il se manifeste ?
[Je fais d’ailleurs remarquer qu’il y a deux « générations mondialisées » : celles qui en profitent, dont les parents parlent anglais ou du moins peuvent le faire apprendre à leurs enfants, et les autres…]
On peut généraliser ici la remarque de Finkielkraut : chez nous, la mondialisation enrichit ceux qui sont déjà riches et appauvrit ceux qui sont pauvres. Et cela est vrai dans tous les domaines…
[C’est drôle que tu écrives cela… C’est mon prof de littérature de terminale – un prof à l’ancienne, mais assez brisé par son métier – qui avait donné la même analyse d’un texte de Pascal : un tyran est un détenteur de l’autorité qui ne demande pas seulement à être obéi, mais qui recherche en plus l’amour de la part de ses inférieurs.]
Je connais le texte… et c’est vrai : rien n’est pire que le détenteur d’autorité qui cherche à se faire aimer. C’est vrai pour les gouvernants, c’est aussi vrai pour les professeurs.
[« Sans compte le fait qu’en lisant un CV et une lettre de motivation, les « il aurait fallu qu’il sache » et les « il aurait fallu qu’il susse » n’iront pas sur la même pile. » Tu sais, certains se passent bien de l’orthographe, il suffit d’avoir papa-maman…]
C’est vrai… mais en partie seulement. Même si l’idéal méritocratique a pris des coups, il reste assez vivant dans la mentalité française. On a beau brocarder l’ENA, les grandes écoles et autres hauts lieux de la méritocratie, chaque fois qu’on annonce la nomination d’un ministre qui n’a que son certificat d’études, ça fait jaser. Les parents de l’élite font d’importants efforts pour s’assurer que leurs rejetons aient le bagage qui leur assure une légitimité, même lorsqu’ils ont les moyens de leur trouver un poste par copinage.
@ nationalistejacobin
[Il faudrait ainsi que nos élèves "construisent leur savoir": arrêtons l’escroquerie intellectuelle, un adolescent de 12 ou 15 ans ne peut pas, par lui-même, "construire" un savoir élaboré lentement au cours des trois derniers millénaires.]
Tout à fait. Mais la pire escroquerie est de faire croire aux adolescents que cela est possible, qu’ils peuvent par eux-mêmes réinventer l’ensemble de l’expérience humaine. Cette idéologie est très dangereuse parce qu’elle aboutit au rejet de tout processus de transmission. En effet, si je suis capable par moi-même de reconstruire le savoir humain, à quoi servent les maîtres, les livres, les universités ? Pourquoi manifester le moindre respect pour les artistes, les écrivains, les ingénieurs, les savants du passé qui se sont – les cons – brulé les yeux sur les livres, les feuilles de papier, les chevalets et autres accessoires pendant des décennies alors que n’importe quel étudiant du bac, pas même bachelier, peut « reconstruire » ce qu’ils ont fait.
La vision « constructiviste » de l’éducation ne fait que participer à l’hypertrophie du sentiment de toute puissance de nos adolescents, qui n’ont pas besoin de ça. Comment s’étonner après qu’un élève puisse twitter « si je trouve Victor Hugo dans la rue, je lui casse la gueule » ?
[Enfin nuançons: ceux dont les parents ont une bibliothèque fournie ont des chances de "construire" quelque chose.]
Les couches cultivées, d’ailleurs, ne sont pas friandes de l’approche « constructiviste ». Si l’on a chez soi une « bibliothèque bien fournie », c’est qu’on accepte implicitement l’impossibilité de « reconstruire » le savoir, et la nécessité d’un processus de transmission qui nous permette de bénéficier du travail des créateurs d’hier.
[Et on en revient toujours à la même chose: réduire les exigences, c’est favoriser les "riches" et plomber les "pauvres".]
Mille fois d’accord. Les « riches » n’ont pas besoin que l’école exige, parce que les parents s’en chargent. Ce sont les pauvres qui ont besoin que l’institution leur répète qu’avec l’effort, tout est possible.
[A titre personnel, et toute modestie mise à part, j’étais bon à l’école en orthographe, en grammaire, en conjugaison. Et le fait d’avoir longtemps été latiniste m’a aidé. Il est pour moi intolérable qu’on baisse les exigences en matière de langue française. Mes élèves ne sont pas plus bêtes que je ne l’étais: si j’y suis arrivé, ils peuvent y arriver.]
Bien sur qu’ils peuvent. Mais par rapport à vous, ils partent avec un terrible handicap, celui de l’attention. Quand nous usions nos culottes sur les bancs de l’école, nous étions beaucoup mieux préparés à fixer notre attention longtemps sur un sujet, sans nous distraire. Nous vivions dans un monde qui nous y préparait : nos jouets, nos amusements, nos spectacles l’exigeaient. Voulions-nous voir un film ? Il fallait aller au cinéma et se tenir tranquille du début à la fin. Ou s’installer devant la télé, mais sans pouvoir prendre la zapette et arrêter le film pour aller prendre une bière dans le frigo, téléphoner à mémé ou tout simplement suspendre la session pour continuer le lendemain. Nous construisions des maquettes d’avions, faisions des puzzles, jouions aux cartes, occupations qui nécessitaient une grande concentration et une capacité à faire la même chose pendant des heures.
Je n’ai pas votre expérience d’enseignement, mais j’ai eu occasionnellement l’opportunité de faire cours, et j’ai toujours été frappé par ce défaut de concentration. Mes amis enseignant me disent d’ailleurs la même chose : le problème pour transmettre aujourd’hui le savoir, c’est de maintenir l’élève concentré, d’éviter qu’il se disperse.
[Je veux dénoncer également l’habitude de "médicaliser" systématiquement la moindre difficulté. Entendons-nous: il y a de vrais dyslexiques, dyspraxiques, dysorthographiques, dysphasiques, etc. Mais il est devenu courant de mettre la moindre difficulté sur le compte d’un prétendu handicap.]
Bien entendu. Cela permet de déculpabiliser tout le monde. Dans un contexte de normalité, lorsque l’élève n’apprend pas, quelqu’un doit assumer une faute : soit c’est l’élève qui ne travaille pas, soit l’enseignant ne fait pas son boulot, soit les parents ne font pas le leur. Le handicap rassure tout le monde : personne n’est plus responsable de rien, c’est la faute à pas de chance. Et tout le monde rentre content à la maison, sans compter sur les psychologues, orthophonistes et autres professionnels pour qui cette « médicalisation » est leur gagne-pain.
Le problème, bien entendu, est que ce système dévalorise l’effort. Le système « à l’ancienne » était quelquefois excessif, faisant porter à des enfants véritablement handicapés le sceau d’infamie de « cancre ». Mais le système actuel tombe dans l’effet inverse : des cancres qui, avec un bon coup de pied aux fesses se mettraient à travailler et réussiraient pas trop mal se laissent aller au prétexte qu’ils sont « dis-quelque-chose ».
[La pédagogie "par le jeu", à l’occasion, pourquoi pas? Mais là, on m’excusera de prendre ma casquette de "con réac nostalgique-de-la-République-à-pépé": à l’école, on est là pour apprendre la rigueur, des choses sérieuses. Je le dis toujours à mes élèves: il y a des moments pour s’amuser, et des moments pour travailler. Là, vous êtes en classe, ce n’est pas le moment de s’amuser.]
Je ne le dirai pas comme ça. On peut s’amuser énormément en apprenant. Mais à l’école, ce n’est pas l’objectif principal. L’objectif principal, c’est apprendre. Si en plus on s’amuse, tant mieux. Mais il y a des choses qu’on ne peut pas apprendre en s’amusant, et qu’il faut apprendre quand même. Je partage par contre votre idée des « choses sérieuses ». L’école doit marquer clairement cette préférence pour le « sérieux ». L’école n’est pas un lieu de diversion, et les savoirs que transmet l’école ne sont pas dans la même catégorie que ceux qu’on peut acquérir ailleurs.
[Même s’il est vrai qu’en tant que prof d’histoire, j’ai beaucoup d’anecdotes amusantes en réserve pour émailler les cours. Étrangement, la seule chose que bien des élèves retiennent d’ailleurs…]
Pourtant, l’histoire est, me dit-on, l’une des matières les plus faciles à enseigner, précisément parce qu’on peut la « dramatiser ». J’avais un professeur d’histoire qui était capable de nous faire pleurer avec l’exécution de Robespierre et nous faire vibrer avec l’ascension de Richelieu. Pas évident lorsqu’on enseigne les mathématiques ou la biologie…
[ma fierté est de transmettre à mes élèves quelque chose de cette culture que j’ai reçue (parce que, c’est vrai, j’ai grandi dans un milieu "favorisé" de classe moyenne) et que j’aime tant.]
Je note cette déclaration d’amour pour la « culture reçue »… je dois dire que je partage tout à fait ce sentiment, à la fois de tendresse pour ce que l’on m’a transmis, et de devoir pour le transmettre aux autres. J’aurais tellement aimé être enseignant…
[Que l’on supprime ici ou là quelques lettres étymologiques qu’on ne prononce pas et qui ne servent pas à construire d’autres mots de la même famille, pourquoi pas.]
Pourquoi pas, en effet. Mais lorsqu’une lettre étymologique est totalement inutile, en général l’usage lui-même se charge de la raboter. Pas la peine de la supprimer par décret, il suffit de laisser le temps faire son œuvre…
[Ensuite, je pense qu’il faut défendre la langue française pour des raisons politiques: défendre notre langue, c’est défendre notre identité, notre culture, notre civilisation. La langue française est exigeante, parce que notre culture est exigeante. Et elle est exigeante parce qu’elle est ambitieuse. Et c’est pour cela qu’au XVIII° siècle Frédéric II de Prusse parlait et écrivait en français…]
C’est un peu notre défaut, à nous les français, de mépriser les trésors que nous possédons et que les autres nous envient.
[Voilà, je souhaitais apporter mon témoignage.]
Comme souvent, un très beau témoignage. Merci de l’avoir partagé.
Ne devrait-on pas dire :"il aurait fallu qu’il sût" ?
@ Descartes,
"j’ai toujours été frappé par ce défaut de concentration."
Bien sûr, c’est l’un des fléaux de l’époque: l’inattention, l’hyper-activité, l’incapacité à rester concentré plus de 5 ou 10 mn. Nous en pâtissons.
"le problème pour transmettre aujourd’hui le savoir, c’est de maintenir l’élève concentré, d’éviter qu’il se disperse."
Tout à fait. Mais pour remédier à ce problème, les "penseurs" de la pédagogie, et l’institution à leur suite, adoptent à mon avis une fausse bonne idée: ils cèdent à l’air du temps. L’élève n’est pas concentré? C’est parce que le cours est rébarbatif, répétitif, ennuyeux par essence. Il faut donc "innover", apporter sans cesse de l’originalité, d’où une "gadgetisation" croissante de l’enseignement: en ce moment, le "dada", c’est la "baladopédagogie" à coup d’iPod achetés et distribués par centaines, les TNI (Tableau Numérique Interactif), l’enseignement à partir des réseaux sociaux et j’en passe. Cela marche, jusqu’à ce que l’inévitable lassitude apparaisse, et il faut trouver autre chose. On nous explique qu’il faut "varier" les supports, changer fréquemment d’activité, éviter les extraits vidéos de plus de 5 mn… Je ne pense pas que ce soit en adaptant l’enseignement aux "défauts" des élèves qu’on arrivera à améliorer l’enseignement. Non seulement on encourage cette incapacité à se concentrer, mais on oblige les enseignants à toujours courir après la nouvelle méthode, le nouveau gadget,… C’est ainsi qu’on en arrive à la "pédagogie ludique" qu’évoquait bovard. On sacrifie le fond à la forme. Vous avez employé ailleurs une expression que j’aime bien: "apprendre, c’est d’abord un effort, une ascèse". En effet, et ce qu’on apprend est sérieux: outre le fait que je suis un "classique" fort peu porté par nature sur l’innovation et l’originalité, je dois dire que réduire l’histoire (pour ce qui me concerne) à un jeu de société, c’est au-delà de mes forces. La "grande" histoire est pleine de tragédies: je ne vois pas comment on peut s’en amuser… Initier les futurs citoyens au tragique de l’histoire, cela me paraît nécessaire (je parle pour le secondaire qui me concerne). La vie n’est pas qu’un jeu.
"On peut s’amuser énormément en apprenant."
Oui… quand on apprend par cœur les noms des joueurs de football de son équipe préférée ou ceux de sa série favorite. Mais à l’école, on n’apprend pas que ce qui nous intéresse.
"Pourtant, l’histoire est, me dit-on, l’une des matières les plus faciles à enseigner, précisément parce qu’on peut la « dramatiser »."
Ah! Eh bien "on" me paraît très optimiste. Intéresser et enseigner sont deux choses différentes. Je dirai pour ma part que l’histoire-géographie intéresse assez facilement un grand nombre d’élèves: l’histoire a volontiers le parfum de l’exotisme, et la géographie permet de faire des liens avec l’actualité. Malheureusement, pour faire apprendre, c’est autre chose: pour être maîtrisée, l’histoire suppose la connaissance du cadre chronologique (oui, les dates, on n’y coupe pas) et des personnages. Pour une période comme la Révolution, j’ai bien du mal à faire apprendre 5 dates en 4ème… Et on en demandait plus avant! Les élèves aiment qu’on leur raconte l’histoire, mais cela s’arrête là. Vous me direz: ils en retiennent quelque chose. Certes, mais c’est souvent insuffisant.
@ nationalistejacobin
[« le problème pour transmettre aujourd’hui le savoir, c’est de maintenir l’élève concentré, d’éviter qu’il se disperse. » Tout à fait. Mais pour remédier à ce problème, les "penseurs" de la pédagogie, et l’institution à leur suite, adoptent à mon avis une fausse bonne idée: ils cèdent à l’air du temps. L’élève n’est pas concentré? C’est parce que le cours est rébarbatif, répétitif, ennuyeux par essence. Il faut donc "innover", apporter sans cesse de l’originalité, d’où une "gadgetisation" croissante de l’enseignement:]
Mais, mon cher ami, vous n’avez pas compris le nouvel objectif de l’école. Il ne s’agit pas de transmettre des connaissances, de créer une discipline de la pensée, bref, d’instruire. Il s’agit de faire garderie. Le but, c’est que les élèves – et plus important, les parents – soient contents de la prestation en bons « clients » qu’ils sont devenus. Et accessoirement, éviter que les élèves cassent tout et que les enseignants aient à trop travailler, deux sujets sur lesquels la hiérarchie éducative et les syndicats enseignants s’entendent à merveille.
C’est pourquoi toutes les « innovations » qui sont proposées ont pour point commun d’économiser l’effort. Quelque soient les « gadgets » (tablettes, tableaux électroniques, « travaux personnels encadrés » – nom code pour « pompage sur wikipédia », selon certains amis enseignants) on retrouve cette constante : moins de travail pour l’élève, moins de travail pour l’enseignant.
[en ce moment, le "dada", c’est la "baladopédagogie" à coup d’iPod achetés et distribués par centaines, les TNI (Tableau Numérique Interactif), l’enseignement à partir des réseaux sociaux et j’en passe. Cela marche, jusqu’à ce que l’inévitable lassitude apparaisse, et il faut trouver autre chose.]
« Cela marche » dans quel sens ? Si c’est dans le sens que ça amuse les élèves, c’est bien possible. Mais je doute que cela les fasse apprendre plus et mieux. Je pense au contraire que cela contribue à concentrer les élèves sur le medium, et non sur le contenu. Un peu comme dans le dicton chinois, le professeur signale la lune et les élèves sont poussés à regarder le doigt.
[On nous explique qu’il faut "varier" les supports, changer fréquemment d’activité, éviter les extraits vidéos de plus de 5 mn… Je ne pense pas que ce soit en adaptant l’enseignement aux "défauts" des élèves qu’on arrivera à améliorer l’enseignement.]
J’ai beaucoup moins d’expérience d’enseignement que toi, mais je ne peux que partager ton diagnostic. En acceptant l’incapacité de l’élève de se concentrer comme si c’était une donnée intangible, on oublie que l’un des buts de l’école est précisément d’enseigner cette discipline de travail qu’est la concentration, et sans laquelle aucune acquisition n’est possible.
[« On peut s’amuser énormément en apprenant ». Oui… quand on apprend par cœur les noms des joueurs de football de son équipe préférée ou ceux de sa série favorite. Mais à l’école, on n’apprend pas que ce qui nous intéresse.]
Dans l’idéal, « humano sum… » et tout ce qui est humain devrait intéresser l’élève. Dans la pratique, c’est plus difficile que ça j’en conviens. Mais il n’y a rien dans ce qu’on enseigne à l’école qui soit par essence inintéressant. C’est pourquoi que j’ai écrit qu’on peut s’amuser en apprenant – et je garde personnellement de ma scolarité un souvenir très agréable – même si je suis d’accord avec vous que l’objectif de l’école ne peut pas être d’amuser. A l’école, on apprend parce qu’il faut apprendre. Ce qui n’exclue pas que l’enseignant cherche des moyens pour rendre l’apprentissage amusant.
[« Pourtant, l’histoire est, me dit-on, l’une des matières les plus faciles à enseigner, précisément parce qu’on peut la « dramatiser » ». Ah! Eh bien "on" me paraît très optimiste. Intéresser et enseigner sont deux choses différentes. Je dirai pour ma part que l’histoire-géographie intéresse assez facilement un grand nombre d’élèves: l’histoire a volontiers le parfum de l’exotisme, et la géographie permet de faire des liens avec l’actualité. Malheureusement, pour faire apprendre, c’est autre chose: pour être maîtrisée, l’histoire suppose la connaissance du cadre chronologique (oui, les dates, on n’y coupe pas) et des personnages. Pour une période comme la Révolution, j’ai bien du mal à faire apprendre 5 dates en 4ème… Et on en demandait plus avant! Les élèves aiment qu’on leur raconte l’histoire, mais cela s’arrête là. Vous me direz: ils en retiennent quelque chose. Certes, mais c’est souvent insuffisant.]
N’ayant jamais enseigné l’histoire, je me garderai bien de vous contredire. Je ne peux que m’appuyer sur mes propres souvenirs, mais peut-être ais-je eu des professeurs d’histoire exceptionnels ? Il faut dire qu’ils étaient bien aidés par une institution scolaire qui imposait sans états d’âme une véritable discipline d’étude.
@ Descartes et NJ
>Quelque soient les « gadgets » (tablettes, tableaux électroniques, « travaux personnels encadrés » – nom code pour « pompage sur wikipédia »<
C’est drôle, en lisant votre échange, je me suis remémoré mes propres "TPE", dont on nous rabattait les oreilles en première (il y a cinq ou six ans). On nous harcelait presque avec leur "importance cruciale". C’est en effet important étant donné le coefficient énorme auxquels ils sont soumis vu l’effort nécessaire. L’astuce, c’est en fait de comprendre qu’on aura automatiquement dix points en reformulant correctement quelques articles Wikipédia, quatre ou cinq points si l’on sait faire un powerpoint ou autre gadget, le reste dépendant de à quel point on a l’air sûr de soi lors de la prestation orale.
@ Albert
>Ne devrait-on pas dire :"il aurait fallu qu’il sût" ?<
En effet, la troisième personne du singulier à l’imparfait du subjonctif est la seule à ne pas être construite sur "susse"… Comme quoi, nous-mêmes ne sommes pas à l’abri !
[vous n’avez pas compris le nouvel objectif de l’école. Il ne s’agit pas de transmettre des connaissances, de créer une discipline de la pensée, bref, d’instruire. Il s’agit de faire garderie. Le but, c’est que les élèves – et plus important, les parents – soient contents de la prestation]
Si ça n’était que ça. Je me suis fait prêter un livre dont j’avais entendu parler mais que je n’avais pas lu : "La fabrique du crétin" de Jean-Paul Brighelli. Le thème de sa réflexion : si, alors que tout le monde ou presque reconnait que l’enseignement public se dégrade et que le niveau des élèves baisse, la situation perdure et s’aggrave, il doit bieny avoir une raison. Il en propose deux avec force arguments : 1) briser l’ascenseur social et permettre le maintien d’une caste au pouvoir. 2) fabriquer une masse d’individus (les crétins) incapables de penser et donc de se rebeller. Il prend pour exemple les alphas et les epsilon du "Meilleur des mondes". Personnellement ça me fait penser à une phrase terrible de 1984 : "Vous est-il jamais arrivé de penser, Winston, qu’en l’année 2050, au plus tard, il n’y aura pas un seul être humain vivant capable de comprendre une conversation comme celle que nous tenons maintenant ? "
[Et accessoirement, éviter que les élèves cassent tout et que les enseignants aient à trop travailler.]
Je vous trouve dur avec les enseignants. Je ne suis pas enseignant, mais j’en côtoie quelques uns. Ce sont les premiers à regretter cette situation et à déplorer ce qu’on les oblige à faire en classe…
@ Descartes,
"Mais, mon cher ami, vous n’avez pas compris le nouvel objectif de l’école. Il ne s’agit pas de transmettre des connaissances, de créer une discipline de la pensée, bref, d’instruire. Il s’agit de faire garderie."
C’est un peu plus compliqué que cela, je pense. Comme vous le savez, il n’est guère possible de "faire table rase du passé". L’Education Nationale est une institution qui a une histoire, et il n’est pas aisé de rayer d’un trait de plume ce passé. Je dirai donc que l’Education Nationale est écartelée entre deux pôles contradictoires: d’un côté, la pensée "dominante" que nous évoquions, avec les ravages que l’on sait, mais il ne faut pas complètement sous-estimer les éléments de résistance, les tenants de l’héritage élitiste, pourrait-on dire. C’est assez net quand on lit les programmes du secondaire et leurs exigences (parfois inatteignables dans le temps imparti pour traiter la question): il y a clairement ici ou là des traces de l’antique volonté de l’institution de transmettre une solide culture générale. Mais ensuite, cette volonté est freinée, voire contredite par le discours "pédagogiste" qui, ce n’est pas un hasard, s’en prend très régulièrement aux programmes, justement… Du coup, nous sommes confrontés à des instructions contradictoires, et le drame, c’est que les inspecteurs d’une même discipline ne tiennent pas toujours le même discours! Mais tant que les programmes sont là, malgré leurs défauts, que des exigences continuent officiellement à être formulées, cela signifie que dans les tréfonds du Ministère, il reste probablement des partisans de l’école "traditionnelle". Si les programmes nationaux venaient à être supprimés, l’école perdrait définitivement son qualificatif de "républicaine".
"Et accessoirement, éviter que les élèves cassent tout et que les enseignants aient à trop travailler, deux sujets sur lesquels la hiérarchie éducative et les syndicats enseignants s’entendent à merveille."
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous sur cette question. On allège le travail de l’élève, c’est certain, celui de l’enseignant, on le transforme plutôt. Nous en avions déjà parlé, et vous avez semble-t-il la conviction que les enseignants d’aujourd’hui travaillent moins que ceux d’hier. Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela avec autant d’assurance? Quelles sont vos sources, de combien de témoignages disposez-vous? Il est clair qu’avec l’idéologie de "la note qui terrifie" et de "l’évaluation qui traumatise le jeune en devenir", et vu le temps imparti pour traiter les thèmes du programme (en dépit, je le répète, d’exigences officielles ambitieuses), je vous accorde volontiers que nous passons aujourd’hui sans doute moins de temps à corriger des copies que nos prédécesseurs d’il y a trente ans. Par ailleurs, je ne contesterai pas non plus que certains enseignants bâclent le travail ou sont peu zélés. Je n’ai pas la prétention, du reste, d’appartenir aux plus courageux.
Mais la "gadgetisation" de l’enseignement demande plus de travail qu’on pourrait le penser: il faut maîtriser les nouveaux outils. Je me souviens, il y a quelques années, de mes premiers diaporamas que je mettais des heures à créer. Et une fois qu’on maîtrise l’outil, eh bien un nouveau gadget fait son apparition. Le Tableau Numérique Interactif, qui suppose d’apprendre à utiliser un certain nombre de logiciels que je ne connais pas, me rebute un peu. Et il n’y a pas que cela: avec la "différenciation pédagogique", nous sommes incités à concevoir, pour une même classe s’entend, différents types d’évaluation prenant en compte les "dys-" que nous évoquions, par exemple, ou les élèves immigrés "primo-arrivants" qui nous sont parfois balancés dans les classes alors qu’ils ne maîtrisent que quelques mots de français. Si on ajoute à cela les projets divers et variés, la nécessité de mener des "réflexions transdisciplinaires", le fait que l’enseignant fait de plus en plus office de conseiller d’orientation, eh bien cela peut représenter un travail supplémentaire non négligeable. Et je ne parle pas des "livrets de compétences" à compléter, ainsi que des réunions qui vont avec.
Le problème est que ce travail-là est invisible (nous ne sommes pas devant les élèves, ni à préparer des cours ou corriger des copies) et parfois inutile, il faut le dire. Tenez, je vais vous donner un exemple tout frais: le Ministère vient de décider que le CM1, le CM2 et la 6ème formeraient désormais un cycle unique et cohérent. Les professeurs des écoles de CM1 et CM2 ainsi que les professeurs de 6ème sont donc priés de se rencontrer et de se concerter. Pourquoi pas? Je me suis rendu à cette réunion de 2h (pour être tout à fait honnête, je n’étais pas obligé d’y aller). Hormis une première demi-heure intéressante (échanges avec les professeurs des écoles sur les élèves en difficulté), je dois bien admettre que j’ai perdu mon temps… Et pourtant je vous assure, cher Descartes, que je suis resté dans mon établissement de 17h à 19h.
Je n’ai pas la prétention de connaître les 800 000 enseignants de France, mais je dois dire que j’ai croisé beaucoup de professeurs sérieux et consciencieux. Ce que je dirai pour nuancer (et cela peut aller dans votre sens), c’est que j’ai le sentiment que certains collègues sont davantage prêts à s’investir pour une activité qu’ils ont choisie. Je m’explique: certains professeurs, en effet, sont prêts à se dépenser sans compter pour leur atelier théâtre, cinéma ou leur club échec ou tam-tam (avec des élèves triés sur le volet en général), plus peut-être que pour les cours "classiques" qui représentent à mon sens le cœur de notre métier, bien que les textes officiels en fassent de plus en plus une tâche parmi d’autres du métier de professeur.
Concernant les syndicats, j’appartiens pour ma part à un syndicat qui dénonce le "pédagogisme", l’idéologie de "l’élève au centre du système", etc. Nous sommes minoritaires, c’est vrai, mais nous existons et nous avons des élus. Le SNES-FSU, le SGEN, l’UNSA, syndicats plus "représentatifs" sont plus ou moins sur la ligne que vous décrivez. Il faut donc dire "la majorité des syndicats enseignants" mais se garder de mettre tout le monde dans le même sac.
"Si c’est dans le sens que ça amuse les élèves, c’est bien possible. Mais je doute que cela les fasse apprendre plus et mieux."
Oui, c’est ce que je voulais dire. "Cela marche" dans le sens où cela pique la curiosité de l’ "apprenant"… du moins pour quelques séances.
"Ce qui n’exclue pas que l’enseignant cherche des moyens pour rendre l’apprentissage amusant."
Nous sommes d’accord. Mais je voulais souligner qu’amuser l’élève ne peut être un but en soi. Par ailleurs, certaines questions ne se prêtent pas à l’amusement: il me paraît difficile d’aborder les guerres mondiales, par exemple, exclusivement sur le mode du jeu… La dimension tragique de l’histoire, les élèves doivent aussi la saisir (surtout en fin de collège, où ils acquièrent une certaine maturité).
"mais peut-être ais-je eu des professeurs d’histoire exceptionnels ?"
C’est fort possible. Il y a des professeurs de grand talent, il faut le reconnaître. Le professeur d’histoire, lorsqu’il sait raconter, lorsqu’il sait captiver son auditoire, peut obtenir des résultats surprenants. Mais tout ne se prête pas au récit.
"Il faut dire qu’ils étaient bien aidés par une institution scolaire qui imposait sans états d’âme une véritable discipline d’étude."
Ainsi que des programmes qui faisaient la part belle à l’acquisition de connaissances, et pas seulement de méthodes. Et ça change beaucoup de choses…
@ BolchoKek
[L’astuce, c’est en fait de comprendre qu’on aura automatiquement dix points en reformulant correctement quelques articles Wikipédia, quatre ou cinq points si l’on sait faire un powerpoint ou autre gadget, le reste dépendant de à quel point on a l’air sûr de soi lors de la prestation orale.]
En effet. C’est une excellente préparation pour le monde du travail – car malheureusement c’est ainsi que cela s’y passe… – mais en dehors de ça, les TPE sont un attrape-couillon. Du temps d’enseignement perdu. Ce qui me convainc le plus, c’est que la plupart des jeunes avec qui je discute n’ont en général aucun souvenir d’avoir appris quelque chose en faisant leur TPE…
@ BJ
[Si ça n’était que ça. Je me suis fait prêter un livre dont j’avais entendu parler mais que je n’avais pas lu : "La fabrique du crétin" de Jean-Paul Brighelli.]
Excellente lecture !
[Il en propose deux avec force arguments : 1) briser l’ascenseur social et permettre le maintien d’une caste au pouvoir.]
Je partage cet argument. J’ai exposé sur ce blog un raisonnement très similaire : les classes moyennes ont cassé l’ascenseur social pour empêcher les enfants des classes populaires de concurrencer leurs propres enfants. Car dans une société à faible croissance, le fils de l’ouvrier ne peut devenir médecin que si le fils du médecin peut devenir ouvrier. Autrement, en quelques générations nous serons tous médecins.
[2) fabriquer une masse d’individus (les crétins) incapables de penser et donc de se rebeller. Il prend pour exemple les alphas et les epsilon du "Meilleur des mondes". Personnellement ça me fait penser à une phrase terrible de 1984 : "Vous est-il jamais arrivé de penser, Winston, qu’en l’année 2050, au plus tard, il n’y aura pas un seul être humain vivant capable de comprendre une conversation comme celle que nous tenons maintenant ? "]
Là, je suis plus réservé. La vision de Brighelli me semble trop « conspirationniste ». J’ai du mal à croire qu’il y ait dans le ministère de l’éducation nationale un Grand Conseil qui ait décidé « les français doivent devenir des crétins », et encore moins que la profession enseignante ait comme un seul homme gobé les instructions de ce Grand Conseil sans se rebeller, elle qui sait si bien rebeller lorsqu’on touche à son week-end ou ses heures supplémentaires. Non, le consensus existant autour de la « fabrication du crétin » laisse penser plutôt à une communauté d’intérêts, plutôt qu’à une conspiration.
[Et accessoirement, éviter que les élèves cassent tout et que les enseignants aient à trop travailler.][Je vous trouve dur avec les enseignants.]
Ils le méritent. Eux qui sont si prompts à sortir dans la rue dès qu’on touche à leurs horaires ou à leurs payes, si prompts à devenir « désobéissants » lorsqu’il s’agit de ne pas évaluer, ont été les premiers complices de la destruction de l’école. Ce sont eux qui ont propagé les théories soixante-huitardes, ce sont eux qui ont joué les premiers les démagogues avec leurs critiques de « l’institution éducative », sciant au passage la branche sur laquelle ils sont assis. Comme corporation, ils ont collectivement failli, et il est bon qu’ils en prennent la responsabilité. Ce qui bien entendu ne remet pas en cause les individus, qui pour certains se sont battus contre cette destruction.
Les enseignants n’ont pas fait cela par méchanceté, mais par intérêt. Ils sont eux-mêmes partie des classes moyennes. Leurs enfants sont potentiellement en concurrence avec leurs élèves…
[Je ne suis pas enseignant, mais j’en côtoie quelques uns. Ce sont les premiers à regretter cette situation et à déplorer ce qu’on les oblige à faire en classe…]
Ah bon ? On les « oblige » ? Il y a un gendarme en classe pour vérifier « ce qu’ils font » ? Et celui qui ne le fait pas est jeté dans quelque Goulag ? Allons : la liberté de chaire existe dans notre beau pays, et les enseignants ont encore une large liberté de choix sur ce qu’ils font en classe. On n’oblige personne à enseigner les « ABCD de l’égalité », à appeler des « intervenants extérieurs » plus ou moins démago, à céder à la mode de la « sortie scolaire ». La « déploration » permanente des enseignants, je connais. Ca permet surtout de se sentir moins coupable.
@ nationalistejacobin
[Comme vous le savez, il n’est guère possible de "faire table rase du passé". L’Education Nationale est une institution qui a une histoire, et il n’est pas aisé de rayer d’un trait de plume ce passé. Je dirai donc que l’Education Nationale est écartelée entre deux pôles contradictoires: d’un côté, la pensée "dominante" que nous évoquions, avec les ravages que l’on sait, mais il ne faut pas complètement sous-estimer les éléments de résistance, les tenants de l’héritage élitiste, pourrait-on dire.]
Je suis d’accord. Lorsque je parlais des « objectifs », je faisais référence aux intentions qui animent les décideurs politiques et la superstructure administrative. Heureusement il existe une certaine rémanence institutionnelle qui protège notre éducation. Sans cela, ce serait un véritable champ de ruines, bien pire que ce que nous avons aujourd’hui.
[Mais tant que les programmes sont là, malgré leurs défauts, que des exigences continuent officiellement à être formulées, cela signifie que dans les tréfonds du Ministère, il reste probablement des partisans de l’école "traditionnelle". Si les programmes nationaux venaient à être supprimés, l’école perdrait définitivement son qualificatif de "républicaine".]
Tout à fait. La « résistance » s’organise autour des programmes. Et ce n’est pas un hasard : tant qu’ils touchent aux méthodes, les pédagogistes peuvent maintenir l’illusion qu’ils ne visent qu’à améliorer l’école. Mais couper dans les programmes les obligerait à tomber les masques, et à assumer le fait que leur programme est un programme de destruction.
[Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous sur cette question. On allège le travail de l’élève, c’est certain, celui de l’enseignant, on le transforme plutôt. Nous en avions déjà parlé, et vous avez semble-t-il la conviction que les enseignants d’aujourd’hui travaillent moins que ceux d’hier.]
Tout a fait. Vous m’avez parfaitement compris. Je parle bien entendu de travail, et non de présence et encore moins d’assistance à des réunions inutiles, de consultations de toutes sortes, etc.
[Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela avec autant d’assurance? Quelles sont vos sources, de combien de témoignages disposez-vous?]
Un gros paquet, croyez-moi. Des amis qui se souviennent ce que c’était d’enseigner quand la photocopie était encore chère, et que pour polycopier il fallait écrire de ses blanches mains un original pour la repro à l’alcohol ou l’hectographe. Des oncles qui se souviennent de l’époque ou l’on considérait encore comme un devoir de faire du « soutien scolaire » après les heures, et sans toucher des heures supplémentaires, ou des devoirs à la maison qu’on donnait régulièrement et qu’il fallait corriger ponctuellement.
[je vous accorde volontiers que nous passons aujourd’hui sans doute moins de temps à corriger des copies que nos prédécesseurs d’il y a trente ans.]
Dont acte. C’est bien à ce genre de changements que je faisais référence.
[Mais la "gadgetisation" de l’enseignement demande plus de travail qu’on pourrait le penser: il faut maîtriser les nouveaux outils. Je me souviens, il y a quelques années, de mes premiers diaporamas que je mettais des heures à créer. Et une fois qu’on maîtrise l’outil, eh bien un nouveau gadget fait son apparition. Le Tableau Numérique Interactif, qui suppose d’apprendre à utiliser un certain nombre de logiciels que je ne connais pas, me rebute un peu.]
C’est peut-être vrai pour les professeurs de votre génération. Mais pour les jeunes professeurs, l’utilisation de ces « gadgets » est naturelle. Et économise du travail. Ce qui ne me gênerait pas si le temps gagné était réinvesti dans les élèves. Mais ce n’est pas le cas : le nombre d’heures de cours dont bénéficient nos têtes blondes s’est largement réduit en trente ans.
[Le problème est que ce travail-là est invisible (nous ne sommes pas devant les élèves, ni à préparer des cours ou corriger des copies) et parfois inutile, il faut le dire.]
Et surtout, il demande souvent plus de présence que du travail. Encore une fois, il faut faire la différence entre ces deux questions. Les enseignants n’ont peut-être pas moins de présence, mais ils travaillent beaucoup moins.
[Concernant les syndicats, j’appartiens pour ma part à un syndicat qui dénonce le "pédagogisme", l’idéologie de "l’élève au centre du système", etc. Nous sommes minoritaires, c’est vrai, mais nous existons et nous avons des élus. Le SNES-FSU, le SGEN, l’UNSA, syndicats plus "représentatifs" sont plus ou moins sur la ligne que vous décrivez. Il faut donc dire "la majorité des syndicats enseignants" mais se garder de mettre tout le monde dans le même sac.]
Vous avez raison. J’ai été trop schématique.
[Par ailleurs, certaines questions ne se prêtent pas à l’amusement: il me paraît difficile d’aborder les guerres mondiales, par exemple, exclusivement sur le mode du jeu…]
Le terme « amuser » n’était pas le bon, et je regrette de l’avoir utilisé. Je voulais dire que l’apprentissage pouvait être agréable, attractif, intéressant, passionnant même. Pas que cela pouvait être « divertissant ».
[La dimension tragique de l’histoire, les élèves doivent aussi la saisir (surtout en fin de collège, où ils acquièrent une certaine maturité).]
100% d’accord !
@ Descartes,
D’abord, une remarque sur ce que vous répondez à BJ:
"Ah bon ? On les « oblige » ? Il y a un gendarme en classe pour vérifier « ce qu’ils font » ? Et celui qui ne le fait pas est jeté dans quelque Goulag ? Allons : la liberté de chaire existe dans notre beau pays, et les enseignants ont encore une large liberté de choix sur ce qu’ils font en classe. On n’oblige personne à enseigner les « ABCD de l’égalité », à appeler des « intervenants extérieurs » plus ou moins démago, à céder à la mode de la « sortie scolaire »."
Bien sûr que oui, parfois, on les y oblige. Encore une fois, je vais vous parler de mon établissement, pas plus tard que cette semaine: des collègues ont "perdu" une ou deux heures de cours suite à la venue d’une intervenante extérieure, venue décidée par la direction et les infirmières scolaires. Non seulement les enseignants n’ont pas été consultés, mais ils l’ont appris à la dernière minute, et ajoutons que l’intervention, inadaptée pour des collégiens, n’a pas été appréciée. Je puis vous certifier que ça a grondé en salle des profs. De manière générale, il est devenu fréquent que des chefs d’établissement décident, sans concertation avec les équipes pédagogiques, de faire venir des intervenants extérieurs. Nous sommes mis devant le fait accompli. De la même façon, je puis témoigner que certains chefs d’établissement font pression pour que les enseignants adoptent le dernier "gadget" à la mode ou organisent une sortie scolaire. "Forcer la main" est à peine en dessous de la réalité. Et il y a des méthodes pour cela: par exemple, insérer dans le projet d’établissement un "parcours de découverte culturelle" qui contraint de facto les enseignants à prévoir au moins une sortie par niveau… Bien sûr, la politique varie en fonction du chef d’établissement.
Il est donc faux de dire que les enseignants sont totalement maîtres de ce qu’ils font, et j’ajoute que les ingérences des personnels de direction se multiplient et, malheureusement, pas dans un sens positif le plus souvent, puisque les chefs d’établissement veulent quoi, au fond? Être bien vus par leur hiérarchie, et par conséquent, il faut présenter au rectorat les "projets" qui plaisent tant et qui montrent que l’établissement "fait des choses". Parce qu’aujourd’hui, si vous vous contentez de faire vos cours, d’évaluer vos élèves, d’essayer de leur transmettre des connaissances, aux yeux de votre hiérarchie, vous ne faites quasiment rien…
De manière générale, je dois dire que je suis toujours fasciné par l’attitude des gens: tout le monde s’imagine connaître le travail des enseignants et le fonctionnement d’un établissement scolaire, sous prétexte que tout le monde ou presque connaît au moins un enseignant. Un peu comme s’il suffisait de connaître un prêtre ou un rabbin pour tout savoir de la théologie chrétienne ou juive et de leurs subtilités…
"Mais couper dans les programmes les obligerait à tomber les masques, et à assumer le fait que leur programme est un programme de destruction."
Certains veulent couper dans les programmes, et je crains qu’ils y parviennent. J’entends des collègues dire: "les programmes sont une aberration", tout comme j’entends dire: "supprimons les notes". Comme vous vous en doutez, je ne suis pas sur cette ligne.
"Je parle bien entendu de travail, et non de présence et encore moins d’assistance à des réunions inutiles, de consultations de toutes sortes, etc."
Pardon, mais je trouve que vous allez un peu vite en besogne, cher ami. Le temps que je passe en réunion (même si elle n’est pas très productive, ce que je vous accorde volontiers), je ne le passe pas à faire mes courses ou devant ma télé. Ces réunions sont présentées par les textes officiels comme partie intégrante de notre travail. Il est bien évident que si vous me dites: le temps passé en réunion, ce n’est pas du travail, le temps passé à la photocopieuse, ce n’est pas du travail, le temps passé à se tenir au courant des avancées de la recherche dans ma discipline ou à me replonger dans un bouquin d’histoire, ce n’est pas du travail, alors effectivement, nous ne foutons pas grand-chose.
Mais un critique littéraire, lorsqu’il lit l’ouvrage dont il doit faire un compte-rendu, cela fait partie de son boulot, non? Pourquoi ne pas considérer que lire un roman pour un prof de lettres, regarder un documentaire ou consulter une encyclopédie pour un prof d’histoire-géographie, cela fait partie de leur travail? Les connaissances doivent s’entretenir. Mais il est difficile de quantifier précisément ce travail-là, car c’est souvent un travail diffus. Je peux par exemple utiliser ce que j’ai lu dans un article de presse pour mon cours, pourtant, au moment où j’ai lu l’article, je ne songeais pas forcément à cela.
Je fais aussi remarquer qu’une bonne partie du travail d’un PDG d’une grande entreprise ou de certains hauts fonctionnaires consiste à assister à des réunions. Diriez-vous que ces gens ne travaillent pas? Le vigile de mon supermarché est présent sur son lieu de travail, et c’est là l’essentiel de son activité: considérez-vous qu’il ne travaille pas? La réunion que j’évoquais, eh bien, le fait est que j’ai passé une heure et demie à écouter des choses qui sans doute ne me serviront guère, mais ce ne sont pas les enseignants qui avaient choisi le thème de la réunion…
"Un gros paquet, croyez-moi"
Je vous crois volontiers. Je vous demandais juste un ordre de grandeur: dix? cent? mille?
"Des amis qui se souviennent ce que c’était d’enseigner quand la photocopie était encore chère, et que pour polycopier il fallait écrire de ses blanches mains un original pour la repro à l’alcohol ou l’hectographe. Des oncles qui se souviennent de l’époque ou l’on considérait encore comme un devoir de faire du « soutien scolaire » après les heures, et sans toucher des heures supplémentaires, ou des devoirs à la maison qu’on donnait régulièrement et qu’il fallait corriger ponctuellement."
Les souvenirs, il faut s’en méfier, vous savez, la mémoire tend toujours à embellir les choses et à vous donner le beau rôle. Mais soyons précis: que vous ont dit précisément toutes ces personnes? Vous ont-elles dit: "aujourd’hui en 2014, je travaille nettement moins qu’il y a quarante ans lorsque j’ai débuté"? Ou bien s’agit-il de personnels qui, à la retraite ou à la veille de la retraite, portent un jugement sur leurs jeunes collègues en estimant que ces derniers travaillent bien moins qu’eux à leurs débuts?
Ce n’est pas par pure volonté de vous embêter que je vous pose ces questions, mais parce que j’ai deux remarques à formuler:
1) Je n’ai pas observé que les collègues ayant 40 ans de carrière travaillaient nécessairement plus que les jeunes professeurs;
2) il se trouve que moi aussi j’ai des témoignages d’enseignants ayant commencé à travailler dans les années 70, et ces collègues-là n’ont nullement l’impression que leur travail s’est allégé, bien au contraire, ils sont les premiers à protester contre les tâches diverses et variées qui se multiplient. Eux ont plutôt l’impression que la charge de travail s’est alourdie, alors même que le cœur du métier a perdu de sa consistance (un point sur lequel nous sommes d’accord, je pense).
Encore une fois les "souvenirs" nous jouent des tours, mais je me demande quand même pourquoi vos témoignages seraient plus fiables que les miens.
Ensuite, vous parlez d’une époque où la reconnaissance sociale envers les professeurs étaient réelle. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il ne reste donc que l’argent comme récompense pour le travail accompli. Encore une fois, je suis d’accord avec vous: notre corporation a failli collectivement, je plaide volontiers coupable. Mais, dans la mesure où je n’ai pas le droit à une reconnaissance symbolique, effectivement, je réclame le paiement de mes heures supplémentaires. Même s’ils ont de bonnes raisons, le fait que beaucoup de nos compatriotes nous critiquent sans cesse, que des politiques aussi, qui n’ont rien fait pour redresser l’institution malgré leurs discours (je pense à Sarkozy), nous attaquent systématiquement, ne m’incite pas au bénévolat, je l’admets. Je suis humain, que voulez-vous. Mais, comme vous, je regrette cette situation.
"C’est peut-être vrai pour les professeurs de votre génération. Mais pour les jeunes professeurs, l’utilisation de ces « gadgets » est naturelle."
D’une part, je suis un jeune professeur, d’autre part personne n’a un TNI chez lui, eu égard au coût et à l’encombrement. C’est un matériel spécifique qu’on ne trouve que dans les établissements scolaires.
"Mais ce n’est pas le cas : le nombre d’heures de cours dont bénéficient nos têtes blondes s’est largement réduit en trente ans."
Je n’ai pas trouvé les horaires matière par matière au collège au début des années 80. Mais vous avez raison au moins pour une matière et pas des moindres: le français, qui a perdu une demi-heure à une heure hebdomadaire, selon les niveaux, depuis cette date. Il faudrait vérifier pour les autres disciplines.
@nationalistejacobin
[Bien sûr que oui, parfois, on les y oblige. Encore une fois, je vais vous parler de mon établissement, pas plus tard que cette semaine: des collègues ont "perdu" une ou deux heures de cours suite à la venue d’une intervenante extérieure, venue décidée par la direction et les infirmières scolaires.]
Je ne parlais pas de ce genre d’interventions, mais de celles sollicitées et organisées par les enseignants eux-mêmes. Il ne me viendrait pas à l’idée de rejeter sur les enseignants la responsabilité des initiatives prises par les chefs d’établissement et sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle. A chacun ses responsabilités. Mais vous admettrez qu’il arrive maintenant très souvent que des enseignants fassent entrer dans leurs classes des intervenants extérieurs de leur propre initiative.
[De la même façon, je puis témoigner que certains chefs d’établissement font pression pour que les enseignants adoptent le dernier "gadget" à la mode ou organisent une sortie scolaire. "Forcer la main" est à peine en dessous de la réalité. Et il y a des méthodes pour cela: par exemple, insérer dans le projet d’établissement un "parcours de découverte culturelle" qui contraint de facto les enseignants à prévoir au moins une sortie par niveau… Bien sûr, la politique varie en fonction du chef d’établissement.]
Mais… que se passe-t-il si l’enseignant, malgré le « projet d’établissement », malgré les injonctions de son chef d’établissement, n’organise toujours pas la « sortie » en question ? Est-il sanctionné ? Reçois-t-il un blâme ? Est-il muté d’office ? Révoqué ? J’en doute. J’ai des amis qui refusent catégoriquement de céder à cette « gadgétisation ». Bien entendu, il sont mal vus de leur chef d’établissement ou des collègues « modernistes ». Mais quand on veut défendre des valeurs, on ne peut pas plaire à tout le monde.
[Il est donc faux de dire que les enseignants sont totalement maîtres de ce qu’ils font,]
Je n’ai jamais dit qu’ils soient « totalement maîtres » de ce qu’ils font. Mais ils gardent une liberté considérable, notamment dans le choix des contenus et des méthodes, qu’ils n’utilisent pas forcément à bon escient.
[et j’ajoute que les ingérences des personnels de direction se multiplient et, malheureusement, pas dans un sens positif le plus souvent, puisque les chefs d’établissement veulent quoi, au fond? Être bien vus par leur hiérarchie, et par conséquent, il faut présenter au rectorat les "projets" qui plaisent tant et qui montrent que l’établissement "fait des choses".]
De ce point de vue, le problème est un peu le même avec les enseignants. Eux aussi sont sensibles au fait d’être « bien vus par leur hiérarchie »…
[De manière générale, je dois dire que je suis toujours fasciné par l’attitude des gens: tout le monde s’imagine connaître le travail des enseignants et le fonctionnement d’un établissement scolaire, sous prétexte que tout le monde ou presque connaît au moins un enseignant. Un peu comme s’il suffisait de connaître un prêtre ou un rabbin pour tout savoir de la théologie chrétienne ou juive et de leurs subtilités…]
Ne vous plaignez pas : tout le monde se permet d’avoir une opinion sur le fonctionnement de l’énarchie ou du corps des mines, souvent sans même connaître un membre de l’une ou de l’autre. Vous entendez des opinions sur le fonctionnement des cabinets ministériels ou de « la haute fonction publique » par des gens qui n’y connaissent personne. Pourquoi les enseignants seraient-ils mieux traités. J’ajoute que mon opinion n’est pas fondée sur le fait de « connaître au moins un enseignant » – j’en connais plusieurs – mais d’avoir beaucoup discuté avec des fonctionnaires du ministère de l’éducation.
[Certains veulent couper dans les programmes, et je crains qu’ils y parviennent. J’entends des collègues dire: "les programmes sont une aberration", tout comme j’entends dire: "supprimons les notes". Comme vous vous en doutez, je ne suis pas sur cette ligne.]
C’est à craindre, en effet. Et lorsqu’on coupe dans les programmes, c’est souvent les parties les plus difficiles – et donc les plus intéressantes qu’on coupe. Ainsi, en mathématiques les coupes ces dernières années se traduisent moins pas par une diminution du nombre de théorèmes enseignés que par le nom de résultats à admettre « sans démonstration ». Ce qui à mon sens est une aberration. Je me souviens de mon professeur de mathématiques en 1ère-terminale. Il avait une répulsion presque physique pour les « résultats à admettre sans démonstration ». Au point qu’il ignorait olympiquement les directives venues d’en haut et il donnait les démonstrations manquantes sous forme « d’exercice ». Et je dois dire que son cours « compliqué » n’a en rien gêné notre réussite au bac. Au contraire !
["Je parle bien entendu de travail, et non de présence et encore moins d’assistance à des réunions inutiles, de consultations de toutes sortes, etc."
Pardon, mais je trouve que vous allez un peu vite en besogne, cher ami. Le temps que je passe en réunion (même si elle n’est pas très productive, ce que je vous accorde volontiers), je ne le passe pas à faire mes courses ou devant ma télé.]
Si vous vous en tenez à la définition retenue par la jurisprudence (« temps pendant lequel le travailleur est sous l’autorité de son employeur et ne peut vaquer librement à ses occupations ») on peut dire que c’est du temps de travail. Mais du point de vue de la dépense d’énergie, il est évident qu’être assis sur une chaise à écouter des inepties ne demande pas le même effort que d’être devant sa classe. Mais je vous accorde que mon utilisation de l’expression « temps de travail » était ambiguë. Remplacez donc « réduire le temps de travail des enseignants » par « réduire l’effort des enseignants ».
[Mais un critique littéraire, lorsqu’il lit l’ouvrage dont il doit faire un compte-rendu, cela fait partie de son boulot, non? Pourquoi ne pas considérer que lire un roman pour un prof de lettres, regarder un documentaire ou consulter une encyclopédie pour un prof d’histoire-géographie, cela fait partie de leur travail?]
C’est ce qui fait que le professeur, même s’il est juridiquement un salarié, fait un travail qui s’apparente plus à celui d’une profession libérale. Car si je me tiens à la définition donnée par la jurisprudence (voir plus haut) le temps passé à se cultiver ou a préparer ses classes n’est pas, stricto sensu, du temps de travail. Or, il est incontestable que ce travail préparatoire est nécessaire à la qualité de l’enseignement. Mais avec le même raisonnement, le fait que je me nourris est indispensable pour reconstituer ma force de travail, et pourtant lorsque je me fais la cuisine chez moi ce n’est pas compté comme temps de travail.
[Les connaissances doivent s’entretenir.]
Le corps aussi. Et pourtant le temps passé dans la salle de sport ou à table n’est pas compté comme temps de travail.
[Je fais aussi remarquer qu’une bonne partie du travail d’un PDG d’une grande entreprise ou de certains hauts fonctionnaires consiste à assister à des réunions. Diriez-vous que ces gens ne travaillent pas?]
Oui. Je peux vous dire que je suis dans cette situation. Une partie importante de mon travail consiste à assister à des réunions à l’utilité douteuse. Et oui, j’ai la nette impression de perdre mon temps, et de ne pas travailler. Si, comme le dit Ricardo, le travail est la source de valeur, j’aurais tendance par un raisonnement à contrario de me demander si une activité qui ne crée aucune valeur peut être qualifiée de « travail ». Mais je vous accorde que l’utilisation du mot « travail » est ici ambiguë. Le terme « d’effort » est plus approprié.
[Le vigile de mon supermarché est présent sur son lieu de travail, et c’est là l’essentiel de son activité: considérez-vous qu’il ne travaille pas?]
Ca n’a rien à voir. Un vigile, même lorsqu’il ne se passe rien, crée de la valeur au sens qu’il représente une assurance contre un risque qu’il tend d’ailleurs à diminuer par son effet dissuasif. Un pompier crée de la valeur du fait qu’il est disponible en attendant qu’un feu se déclenche, même si la valeur en question ne se « réalise » que le jour ou le feu apparaît effectivement. On est là dans la théorie de l’assurance.
[Les souvenirs, il faut s’en méfier, vous savez, la mémoire tend toujours à embellir les choses et à vous donner le beau rôle.]
Vous avez raison : « rien n’embellit autant le passé qu’une mauvaise mémoire », disait Oscar Wilde. Mais dans le cas présent, il s’agit de gens qui ont été enseignants et se sont consacrés plus tard à l’histoire de l’éducation.
[Mais soyons précis: que vous ont dit précisément toutes ces personnes? Vous ont-elles dit: "aujourd’hui en 2014, je travaille nettement moins qu’il y a quarante ans lorsque j’ai débuté"? Ou bien s’agit-il de personnels qui, à la retraite ou à la veille de la retraite, portent un jugement sur leurs jeunes collègues en estimant que ces derniers travaillent bien moins qu’eux à leurs débuts?]
Encore une fois, je me rends compte que le terme « travail », qui pousse à considérer la chose sous l’angle « temps de travail », crée une ambiguïté. Je préfère le terme « effort ». Et oui, la plupart des gens avec qui je discute sont des gens proches de la retraite et qui estiment que les « jeunes » font beaucoup moins d’efforts, et notamment qu’ils ne sont prêts à rien faire sans être payés pour. En d’autres termes, que l’enseignement a cessé d’être un magistère et devient une activité professionnelle comme une autre. Cependant, pour éviter le biais dont vous parlez justement je m’efforce de discuter avec des gens de tous ages, et paradoxalement beaucoup de jeunes coïncident dans leur jugement avec les « anciens », tout en faisant une analyse un peu différente : si on ne fait plus les efforts que faisaient les ancêtres, c’est parce que l’effort de « tenir » une classe est beaucoup plus intense que ce n’était du temps ou le respect du professeur allait de soi et était soutenu par la société toute entière.
[Ce n’est pas par pure volonté de vous embêter que je vous pose ces questions, mais parce que j’ai deux remarques à formuler:]
Je n’aurais jamais pensé que vous cherchiez à « m’embêter ». On discute ensemble maintenant depuis plusieurs années, et j’ai appris a vous connaître – un peu – et a vous estimer – beaucoup.
[1) Je n’ai pas observé que les collègues ayant 40 ans de carrière travaillaient nécessairement plus que les jeunes professeurs;]
Peut-être. Mais travaillaient-ils plus il y a quarante ans que ce que travaillent ceux qui commencent leur carrière aujourd’hui ?
[Ensuite, vous parlez d’une époque où la reconnaissance sociale envers les professeurs étaient réelle. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il ne reste donc que l’argent comme récompense pour le travail accompli.]
Sans doute. C’est peut-être pour cela qu’on a l’impression que les enseignants deviennent de plus en plus « vénaux » et qu’ils refusent des tâches gratuites qui auparavant étaient considérées comme « naturelles ». Sans aller jusqu’aux instituteurs du XIXème, qui souvent faisaient un double travail bénévole de secrétaire de mairie, je me souviens de professeurs qui faisaient gratuitement du soutien scolaire. Mais il est vrai que ces tâches étaient « rémunérées » par la considération sociale. Par ailleurs, l’heure de classe en 1950, avec un public qui respectait « naturellement » l’école et l’enseignant, n’implique certainement pas le même effort qu’une heure de classe en 2014.
[Encore une fois, je suis d’accord avec vous: notre corporation a failli collectivement, je plaide volontiers coupable. Mais, dans la mesure où je n’ai pas le droit à une reconnaissance symbolique, effectivement, je réclame le paiement de mes heures supplémentaires.]
Ok. Toute heure au delà des 1600 heures annuelles auxquelles sont astreints les fonctionnaires devraient être payées. Et avec la même logique implacable, toute heure en déça devrait être décomptée… Nous sommes d’accord ?
[Même s’ils ont de bonnes raisons, le fait que beaucoup de nos compatriotes nous critiquent sans cesse, que des politiques aussi, qui n’ont rien fait pour redresser l’institution malgré leurs discours (je pense à Sarkozy), nous attaquent systématiquement, ne m’incite pas au bénévolat, je l’admets. Je suis humain, que voulez-vous. Mais, comme vous, je regrette cette situation.]
La question n’est pas pour moi de distribuer des blâmes. Ce que je dis, c’est qu’on ne peut pas vouloir le beurre et l’argent du beurre. Si on veut que le professorat soit socialement reconnu, il faut qu’il soit institutionnalisé comme un magistère. Et cela implique pour les enseignants une discipline personnelle exigeante et une défense sans faille de l’institution qui est l’école. Si les professeurs veulent s’affranchir de cette discipline, s’ils veulent pouvoir critiquer publiquement les institutions – la leur et puis les autres – s’ils veulent invoquer le principe que « tout travail mérite salaire », alors ils deviennent des employés comme les autres, et ne peuvent prétendre à la reconnaissance sociale. Or, les enseignants veulent tout : se faire payer pour faire du soutien scolaire, pouvoir critiquer l’école, et en même temps être reconnus socialement comme serviteurs publics et respectés comme tels. Il faut se décider : ou bien l’éducation est un sacerdoce, et alors les enseignants doivent se comporter comme des prêtres, ou bien c’est un service marchand, et alors ils ne peuvent exiger plus de respect qu’un vendeur de téléphones portables.
[« C’est peut-être vrai pour les professeurs de votre génération. Mais pour les jeunes professeurs, l’utilisation de ces « gadgets » est naturelle. » D’une part, je suis un jeune professeur,]
J’oubliais que de nos jours on est « jeune » jusqu’aux premiers symptômes de l’Alzheimer…
[d’autre part personne n’a un TNI chez lui, eu égard au coût et à l’encombrement. C’est un matériel spécifique qu’on ne trouve que dans les établissements scolaires.]
Je n’ai pas dit le contraire. Il n’empêche que pour la génération formée sur les smartphones et les tablettes, l’utilisation du TNI est bien plus « naturelle » que pour ceux qui ont commencé avec la craie et le crayon.
@ Descartes,
"Mais vous admettrez qu’il arrive maintenant très souvent que des enseignants fassent entrer dans leurs classes des intervenants extérieurs de leur propre initiative."
"Très souvent", ça me paraît excessif. C’est très variable selon les enseignants, mais globalement (je parle pour les enseignants que j’ai côtoyés), les "intervenants extérieurs" restent assez rares. Je connais beaucoup de profs qui détestent qu’on vienne dans leur classe. Mais peut-être les intervenants sont-ils plus courants dans le primaire (que je connais moins)?
"Mais… que se passe-t-il si l’enseignant, malgré le « projet d’établissement », malgré les injonctions de son chef d’établissement, n’organise toujours pas la « sortie » en question ? Est-il sanctionné ? Reçois-t-il un blâme ? Est-il muté d’office ? Révoqué ? J’en doute"
L’enseignant est sanctionné, en effet, par le biais de sa note administrative qui lui est décernée par le chef d’établissement. Vous me direz: modeste sanction, et vous n’aurez pas complètement tort. Enseignant est l’un des rares métiers où l’on peut désobéir sans risquer grand-chose. Mais cela nuit un peu à l’avancement. Le principal vous convoquera et vous menacera, de ne pas vous donner votre lundi matin ou votre vendredi après-midi l’an prochain… C’est lamentable, j’en conviens, mais on en est là. Des collègues sont prêts à tout pour avoir la demi-journée disponible qui les arrange… Ensuite, c’est aussi une question de caractère: tout le monde n’a pas la volonté de tenir tête à son chef. Se fâcher avec sa hiérarchie n’est pas sans conséquence sur l’ambiance de travail.
"Mais ils gardent une liberté considérable, notamment dans le choix des contenus et des méthodes, qu’ils n’utilisent pas forcément à bon escient."
Je suis d’accord.
"De ce point de vue, le problème est un peu le même avec les enseignants. Eux aussi sont sensibles au fait d’être « bien vus par leur hiérarchie »…"
Mais tout à fait. La profession n’est d’ailleurs pas exempte de lèche-bottes.
"Ne vous plaignez pas"
Je ne me plaignais pas, je me bornais à constater. J’ajoute que les critiques sur les énarques ou le corps des mines sont loin d’être justifiées. Vous aurez d’ailleurs constaté, je pense, que parmi vos commentateurs, je ne suis certainement pas celui qui s’en prend le plus souvent à l’ENA, aux hauts fonctionnaires, ou aux "sachants" de manière générale (dont, modestement, je pense faire partie dans mon domaine). J’ai toujours beaucoup aimé cette phrase de l’historien byzantiniste français Charles Diehl: "il ne faut pas dire trop de mal des bureaucraties: elles ont certes leurs défauts, mais elles sont bien utiles".
"Remplacez donc « réduire le temps de travail des enseignants » par « réduire l’effort des enseignants »."
Là, nous sommes d’accord.
"si on ne fait plus les efforts que faisaient les ancêtres, c’est parce que l’effort de « tenir » une classe est beaucoup plus intense que ce n’était du temps ou le respect du professeur allait de soi et était soutenu par la société toute entière."
Je partage largement cette analyse. Je me souviens d’une classe très pénible que j’avais deux heures de suite: j’étais littéralement lessivé après chaque cours.
"On discute ensemble maintenant depuis plusieurs années, et j’ai appris a vous connaître – un peu – et a vous estimer – beaucoup"
Je vous remercie, et vous assure de la réciprocité de cette estime (au cas où vous en douteriez…).
"Mais travaillaient-ils plus il y a quarante ans que ce que travaillent ceux qui commencent leur carrière aujourd’hui ?"
Je ne saurai pas vous dire.
"Toute heure au delà des 1600 heures annuelles auxquelles sont astreints les fonctionnaires devraient être payées. Et avec la même logique implacable, toute heure en déça devrait être décomptée… Nous sommes d’accord ?"
Nous en avons déjà parlé: vous me proposez un bureau et l’ouverture des établissements pendant les vacances pour que j’aille faire mes 35h? Cela me va.
"Or, les enseignants veulent tout : se faire payer pour faire du soutien scolaire, pouvoir critiquer l’école, et en même temps être reconnus socialement comme serviteurs publics et respectés comme tels. Il faut se décider : ou bien l’éducation est un sacerdoce, et alors les enseignants doivent se comporter comme des prêtres, ou bien c’est un service marchand, et alors ils ne peuvent exiger plus de respect qu’un vendeur de téléphones portables"
Je suis tout à fait d’accord avec ce point. Et j’irai même plus loin: beaucoup de profs veulent les vacances et le revenu d’un médecin. Tout n’est pas possible, trop de collègues ne le comprennent pas. On ne peut pas tout avoir. En ce qui me concerne, je considère être très convenablement rémunéré par rapport au travail fourni, et j’ai toujours rejeté les revendications salariales de la corporation. Pour le reste, je vous dirai que j’ai un penchant pour l’idée du sacerdoce, et la rémunération symbolique m’attire. D’un autre côté, c’est vrai, je suis parfois tenté de me dire: "fais le travail pour lequel on te paie, et ne te pose pas de question". Prêtre ou mercenaire? Mon cœur balance, je l’avoue.
"J’oubliais que de nos jours on est « jeune » jusqu’aux premiers symptômes de l’Alzheimer…"
Cette pique ne vous ressemble pas… Je viens de passer la trentaine et j’ai moins de dix ans d’ancienneté. Je passe en effet pour un "jeune prof" auprès des collègues.
"Il n’empêche que pour la génération formée sur les smartphones et les tablettes, l’utilisation du TNI est bien plus « naturelle » que pour ceux qui ont commencé avec la craie et le crayon."
C’est possible, mais je n’en suis pas si sûr que vous.
@Descartes @nationalistejacobin
Je lisais vos échanges passionnants sur vos perceptions réciproques de l’évolution de l’éducation nationale, des profs, des programmes, du regard de la société sur son système d’éducation.
Débat passionnant … jusqu’à ce que je tombe sur cette phrase de Descartes :
[Mais avec le même raisonnement, le fait que je me nourris est indispensable pour reconstituer ma force de travail, et pourtant lorsque je me fais la cuisine chez moi ce n’est pas compté comme temps de travail.]
Descartes, parfois vous êtes horripilant.
Comparer le temps que le prof consacre à entretenir ses connaissances et ses compétences au temps que consacre chacun à « reconstituer sa force de travail » en prenant ses repas à la maison, ou en fréquentant une salle de sport, c’est … possible d’un point de vue dialectique, mais c’est de la pure mauvaise foi.
Un peu comme dans la cour de récré, pour pouvoir dire : « j’ai réponses à tout donc j’ai toujours raison ». Dommage, la qualité du débat y perd.
@nationalistejacobin
[L’enseignant est sanctionné, en effet, par le biais de sa note administrative qui lui est décernée par le chef d’établissement. Vous me direz: modeste sanction, et vous n’aurez pas complètement tort. Enseignant est l’un des rares métiers où l’on peut désobéir sans risquer grand-chose. Mais cela nuit un peu à l’avancement. Le principal vous convoquera et vous menacera, de ne pas vous donner votre lundi matin ou votre vendredi après-midi l’an prochain… C’est lamentable, j’en conviens, mais on en est là.]
Et oui. Je conçois qu’on puisse pardonner à celui qui n’a pas résisté à l’inacceptable au péril de sa vie. Mais j’ai du mal à pardonner ceux qui ne sont pas capables de résister au péril de leur vendredi après-midi libre.
[Des collègues sont prêts à tout pour avoir la demi-journée disponible qui les arrange…]
Quant on est prêt à tout pour une demi-journée libre, on ne peut assumer un magistère…
[Ensuite, c’est aussi une question de caractère: tout le monde n’a pas la volonté de tenir tête à son chef. Se fâcher avec sa hiérarchie n’est pas sans conséquence sur l’ambiance de travail.]
On n’a pas besoin de « se fâcher ». On peut être très courtois et poli avec sa hiérarchie et lui dire « non ». Croyez-moi, j’ai une longue expérience dans la matière…
[J’ajoute que les critiques sur les énarques ou le corps des mines sont loin d’être justifiées. Vous aurez d’ailleurs constaté, je pense, que parmi vos commentateurs, je ne suis certainement pas celui qui s’en prend le plus souvent à l’ENA, aux hauts fonctionnaires, ou aux "sachants" de manière générale (dont, modestement, je pense faire partie dans mon domaine).]
Je vous l’accorde. Mais mon point était que de nos jours cette « critique non informée » est généralisée. N’importe qui se permet de critiquer n’importe quoi sans le moindre titre ou compétence pour le faire. Le mépris pour les « sachants » propagé partout depuis mai 1968 a abouti à ouvrir les portes de la critique aux ignorants. Puisque les « sachants » ne savent rien, pourquoi Mme Michu ne pourrait critiquer le Corps des Mines ?
["Toute heure au delà des 1600 heures annuelles auxquelles sont astreints les fonctionnaires devraient être payées. Et avec la même logique implacable, toute heure en déça devrait être décomptée… Nous sommes d’accord ?"
Nous en avons déjà parlé: vous me proposez un bureau et l’ouverture des établissements pendant les vacances pour que j’aille faire mes 35h? Cela me va.]
Oui, j’aurais envie de proposer l’ouverture des établissements pendant les vacances pour des programmes d’animation scientifique et culturelle assurés par les enseignants pour les jeunes (en dehors bien entendu des cinq semaines de congés payés auxquels tout travailleur a droit). Ou pour du soutien scolaire pour les jeunes qui en auraient besoin. Et certainement un raccourcissement des vacances.
[Et j’irai même plus loin: beaucoup de profs veulent les vacances et le revenu d’un médecin. Tout n’est pas possible, trop de collègues ne le comprennent pas. On ne peut pas tout avoir. En ce qui me concerne, je considère être très convenablement rémunéré par rapport au travail fourni, et j’ai toujours rejeté les revendications salariales de la corporation. Pour le reste, je vous dirai que j’ai un penchant pour l’idée du sacerdoce, et la rémunération symbolique m’attire. D’un autre côté, c’est vrai, je suis parfois tenté de me dire: "fais le travail pour lequel on te paie, et ne te pose pas de question". Prêtre ou mercenaire? Mon cœur balance, je l’avoue.]
Je partage vos doutes. Mais j’ai eu plusieurs fois dans ma vie le choix entre le métier « commercial » grassement payé, et le service public. Je suis toujours resté du côté du service public, avec une rémunération moindre et une récompense symbolique que je ne néglige pas.
[Cette pique ne vous ressemble pas… Je viens de passer la trentaine et j’ai moins de dix ans d’ancienneté. Je passe en effet pour un "jeune prof" auprès des collègues.]
Je m’excuse. Je vous avoue que je vous faisais plus vieux, peut-être parce que j’ai été tellement accusé de « passéiste » que j’ai du mal à imaginer que mes déblatérations puissent intéresser les jeunes. Je dois dire que je suis encouragé chaque fois que je vois des jeunes qui participent sur ce blog… et donc ravi de savoir que vous êtes un « jeune prof » et non pas un ancien blanchi sous le harnois, comme je l’avais pensé.
@ v2s
[Mais avec le même raisonnement, le fait que je me nourris est indispensable pour reconstituer ma force de travail, et pourtant lorsque je me fais la cuisine chez moi ce n’est pas compté comme temps de travail.][Descartes, parfois vous êtes horripilant.]
Pourquoi « parfois » ?
[Comparer le temps que le prof consacre à entretenir ses connaissances et ses compétences au temps que consacre chacun à « reconstituer sa force de travail » en prenant ses repas à la maison, ou en fréquentant une salle de sport, c’est … possible d’un point de vue dialectique, mais c’est de la pure mauvaise foi.]
Je ne vois pas pourquoi. En quoi nourrir son cerveau – on parle bien entendu de suivre l’actualité et de nourrir sa culture générale – serait plus nécessaire au professeur que nourrir ses muscles pour le docker ou pour le policier ? C’est vous qui êtes « horripilant » en faisant une sorte de hiérarchie entre les « nourritures intellectuelles » et les « nourritures matérielles ».
La question ici est très simple : est ce qu’il faut compter comme « travail » toutes les activités qui permettent à un travailleur de mieux exécuter ses tâches professionnelles ? Poser ces questions n’a rien de « horripilant ». Et pourquoi faudrait-il établir une hiérarchie entre les activités en question ? Pourquoi pour le professeur visiter une exposition ou lire le journal serait du « travail », et pour le policier s’entraîner au judo pour un policier ne le serait pas ? Le militaire qui lave son uniforme est en train de « travailler » ? Et l’ouvrier qui lave son bleu de travail ?
Cette hiérarchisation est profondément injuste. Et je dois dire que je trouve scandaleux qu’on fasse une réduction aux professeurs dans les musées, alors qu’on en fait pas aux policiers dans les salles de sport ou aux ingénieurs dans les magasins de bricolage…
[Un peu comme dans la cour de récré, pour pouvoir dire : « j’ai réponses à tout donc j’ai toujours raison ».]
Je vous l’ai déjà dit : ne prenez pas votre cas pour une généralité…
[Dommage, la qualité du débat y perd.]
Ne vous en faites pas : grâce à votre post fort argumenté, il a considérablement remonté.
@ Descartes,
"Le mépris pour les « sachants » propagé partout depuis mai 1968 a abouti à ouvrir les portes de la critique aux ignorants. Puisque les « sachants » ne savent rien, pourquoi Mme Michu ne pourrait critiquer le Corps des Mines ?"
D’accord, mais vous n’êtes pas Mme Michu… Donc si les critiques du Corps des Mines sont discutables, celles portant sur l’Education Nationale peuvent faire l’objet des mêmes remarques, non?
"Oui, j’aurais envie de proposer l’ouverture des établissements pendant les vacances pour des programmes d’animation scientifique et culturelle assurés par les enseignants pour les jeunes (en dehors bien entendu des cinq semaines de congés payés auxquels tout travailleur a droit). Ou pour du soutien scolaire pour les jeunes qui en auraient besoin. Et certainement un raccourcissement des vacances."
J’avoue que vos propos me laissent perplexes. Je ne puis que vous encourager à consacrer un article à la question, parce que je ne crois pas qu’on puisse en quatre lignes présenter la recette miracle pour redresser notre enseignement. Méfions-nous des "y a qu’à"-"faut que".
Pour l’ouverture des établissements pendant les vacances, je pensais essentiellement aux enseignants qui pourraient profiter de ce temps, justement, pour se donner un peu de temps de concertation (il en faut tout de même) et, pourquoi pas, faire les conseils de classe et prévoir les formations utiles (il y en a malgré tout). Mais les élèves ne sont pas des salariés: je ne trouve pas choquant qu’ils aient plus de 5 semaines de congé par an. Si, déjà, on tirait le meilleur parti du temps scolaire qui est imparti, ce serait un progrès.
Pour ce qui est des "programmes d’animation scientifique et culturelle", en un mot: bof. Derrière le mot "animation", l’expérience montre qu’on trouve en fait deux éléments: garderie et intervenants extérieurs (même si vous précisez que ces programmes seraient confiés à des enseignants). C’est-à-dire que les parents vont être bien contents de laisser leurs gamins à l’école pour ne pas les avoir dans les pattes. Ensuite, il faut quand même clarifier un point: je suis professeur, mon boulot c’est d’enseigner l’histoire-géographie. Je ne suis en aucun cas "animateur culturel", je n’ai pas été formé pour, et franchement ce type de travail ne m’attire guère. Je préfère l’enseignement à l’ "animation culturelle", un terme fourre-tout dont je me méfie, et qui en général se traduit par une improvisation de dernière minute parce que la hiérarchie nous dit "on vous fait confiance pour innover" dont la meilleure traduction serait "démerdez-vous".
Maintenant sur le raccourcissement des vacances: pourquoi pas? Les vacances d’été pourraient être amputées d’une à deux semaines, et l’on pourrait imaginer réduire de deux semaines à dix jours les "petites" vacances (hormis celles de fin d’année qui je pense ont un statut particulier pour des raisons culturelles). Je parle ici en temps de classe-élève (en dehors donc de la possibilité pour les enseignants de venir travailler en plus pendant les périodes de vacances qui subsisteraient).
Toutefois, il faut bien voir que tout cela aura un coût, politique et financier:
1) Vous aurez le lobby du tourisme qui hurlera;
2) Vous aurez les syndicats enseignants (et lycéens naturellement) dans la rue;
3) Si vous me dites que vous souhaitez que les enseignants soient au même régime que les autres salariés, avec cinq semaines de congé payé, et pas une de plus, il va quand même falloir, indépendamment du sacerdoce, parler rémunération. Comme je vous l’ai dit, et contrairement à de nombreux collègues, j’estime être payé décemment pour le travail que j’effectue: 1800 euros net environ (hors heures supplémentaires, et je ne cours pas après) avec sept ans d’ancienneté. Je ne pense pas qu’on puisse dire que je suis surpayé. Ce salaire prend en compte le fait que j’ai davantage de vacances qu’un salarié du privé (ou même du public) de même "niveau", donc que je travaille moins (et c’est pourquoi les collègues qui se plaignent d’être sous-payés "oublient" que leur salaire reflète un travail moindre, disons-le honnêtement, que dans le privé). Mais si je ne me plains pas de mon salaire, il est évident que si vous me dites: "vous passez demain de 15 semaines de vacances à 5", soit dix semaines travaillées supplémentaires (dont 6 à faire de l’ "animation culturelle"), je dois dire qu’une augmentation sera la bienvenue. Or les caisses étant vides, la solution consistera à réduire le nombre d’enseignants pour les payer mieux (ce que propose d’ailleurs Nicolas Sarkozy).
Des classes à 30 ou 35 élèves, c’est possible… mais à certaines conditions, à savoir une véritable restauration de l’autorité de l’institution. Or cette restauration de l’autorité ne dépend pas uniquement des enseignants: elle dépend aussi du gouvernement, du ministère, de la société entière. Sarkozy en avait parlé, mais lorsqu’il était président, la fameuse maxime "pas de vague" est restée en vigueur (ça a été le cas pendant les dix ans de pouvoir de la droite). Je pense pour ma part qu’avant même de raccourcir les vacances, il convient de restaurer cette autorité, sans quoi les établissements scolaires feront garderie 11 mois de l’année au lieu de 8… Et le gain sera minime.
Votre commentaire me donne l’impression, dites-le moi si je me trompe, que pour vous, finalement, la solution c’est de "mettre (ou remettre) enfin les enseignants au travail". Encore une fois, notre corporation a failli, je ne le conteste pas, mais tous les problèmes ne sont pas de notre fait, vous le savez. La question de l’autorité et de l’utilisation à bon escient du temps de classe déjà imparti me paraît essentielle d’une part, et d’autre part, ne soyons pas naïf: augmenter le temps scolaire de trois ou quatre semaines par exemple, ce n’est pas une mauvaise idée, mais ne croyons pas que c’est la recette miracle. Vous-mêmes, Descartes, jeune écolier, combien aviez-vous de vacances? Est-ce que cela vous a nui? Sans vouloir vous offenser, les excellents professeurs dont vous gardez un souvenir ému ne seraient peut-être pas enthousiastes à l’idée de passer à seulement 5 semaines de congés. D’ailleurs, je ne suis pas sûr d’avoir bien saisi votre position: que réclamez-vous exactement? Un raccourcissement des vacances ou un strict alignement du temps de travail des enseignants sur les autres salariés?
Il est clair que la profession d’enseignant, aujourd’hui, comporte nombre d’avantages. On peut trouver ces avantages immérités ou exorbitants. Mais je ne pense pas qu’on puisse dire, à l’heure actuelle, qu’enseigner est un "métier facile" comme je l’entends parfois. Et donc, il me paraîtrait excessif de supprimer d’un coup (ou même progressivement) la totalité des avantages acquis. Après tout, d’autres professions ont des avantages. Mais je ne suis pas contre le fait que l’on réduise certains de ces avantages: raccourcir les vacances et mieux répartir le travail scolaire (des élèves comme des enseignants) sur l’année, disposer de plus de temps de cours pour mieux aborder nos disciplines, augmenter même le nombre d’heures hebdomadaires passées devant les élèves (dans des proportions raisonnables), permettre aux enseignants de travailler dans leurs établissements pendant une partie des vacances, je n’y suis pas hostile.
Mais il faut bien admettre que le ministre qui se lancera dans un tel chantier se heurtera à une très forte résistance.
@ nationalistejacobin
[D’accord, mais vous n’êtes pas Mme Michu…]
Vous me flattez…
[Donc si les critiques du Corps des Mines sont discutables, celles portant sur l’Education Nationale peuvent faire l’objet des mêmes remarques, non?]
Bien entendu. Tout est discutable. J’essayais seulement de vous faire noter que votre réaction semblait dire que seuls les enseignants peuvent critiquer les enseignants.
[J’avoue que vos propos me laissent perplexes. Je ne puis que vous encourager à consacrer un article à la question, parce que je ne crois pas qu’on puisse en quatre lignes présenter la recette miracle pour redresser notre enseignement. Méfions-nous des "y a qu’à"-"faut que".]
Je n’imagine pas un instant que mes propositions – si on peut les appeler ainsi – puissent « redresser notre enseignement ». Je note simplement que le temps de travail des enseignants et très largement inférieur à celui des autres professions, et bien loin de la moyenne de la fonction publique. Ce qui devrait conduire à relativiser les demandes de voir payer tout effort complémentaire en heures supplémentaires.
[Pour l’ouverture des établissements pendant les vacances, je pensais essentiellement aux enseignants qui pourraient profiter de ce temps, justement, pour se donner un peu de temps de concertation (il en faut tout de même) et, pourquoi pas, faire les conseils de classe et prévoir les formations utiles (il y en a malgré tout).]
Pourquoi pas. En suggérant des activités, je ne faisais qu’une proposition parmi d’autres. Mon point est qu’il me semble aujourd’hui nécessaire d’aligner le temps de travail des enseignants sur celui d’autres catégories professionnelles, seul moyen à mon avis de revaloriser le salaire enseignant et d’éviter d’attirer des candidats qui ne recherchent que les vacances.
[Mais les élèves ne sont pas des salariés: je ne trouve pas choquant qu’ils aient plus de 5 semaines de congé par an. Si, déjà, on tirait le meilleur parti du temps scolaire qui est imparti, ce serait un progrès.]
Précisément parce que ce n’est pas des salariés, je ne vois pas pourquoi ils devraient avoir plus de cinq semaines de congé. Le congé du travailleur et celui de l’élève-étudiant n’ont aucun rapport. Les congés des élèves devraient être fixés en fonction de critères pédagogiques. Je pense, personnellement, que les élèves ont trop de congés. Je pense en particulier aux divers congés qui interrompent l’année scolaire, et qui empêchent la routine, nécessaire à tout apprentissage, de s’installer.
[Pour ce qui est des "programmes d’animation scientifique et culturelle", en un mot: bof.]
Le terme est, je vous le concède, mal choisi et ne reflète pas ma pensée. Vous avez raison sur le fait que les enseignants sont des professionnels de l’enseignement, et qu’il ne faut pas confondre enseignement avec « animation ». Mais c’est bien d’enseignement que je voulais parler. Mon idéal serait d’offrir des enseignements – je dis bien des enseignements – facultatifs et évalués mais hors programme.
[Maintenant sur le raccourcissement des vacances: pourquoi pas? Les vacances d’été pourraient être amputées d’une à deux semaines, et l’on pourrait imaginer réduire de deux semaines à dix jours les "petites" vacances (hormis celles de fin d’année qui je pense ont un statut particulier pour des raisons culturelles).]
Personnellement, je laisserai celles de Noël à deux semaines et je supprimerais toutes les autres.
[Toutefois, il faut bien voir que tout cela aura un coût, politique et financier:]
Je suis pleinement conscient : on ne fait pas d’omelette sans casser des lobbies.
[3) Si vous me dites que vous souhaitez que les enseignants soient au même régime que les autres salariés, avec cinq semaines de congé payé, et pas une de plus, il va quand même falloir, indépendamment du sacerdoce, parler rémunération.]
Je ne suis pas contre. Je pense qu’il vaut mieux avoir moins d’enseignants mieux payés. Cela permettrait d’attirer des gens de qualité vraiment intéressés par la profession. Et je préfère un très bon professeur à la tête d’une classe de 30 gamins plutôt que deux très mauvais à la tête d’une classe de quinze. La proposition de Sarkozy d’avoir moins d’enseignants – et d’une manière générale moins de fonctionnaires – mieux payés n’était à mon avis pas idiote.
[Des classes à 30 ou 35 élèves, c’est possible… mais à certaines conditions, à savoir une véritable restauration de l’autorité de l’institution. Or cette restauration de l’autorité ne dépend pas uniquement des enseignants: elle dépend aussi du gouvernement, du ministère, de la société entière. Sarkozy en avait parlé, mais lorsqu’il était président, la fameuse maxime "pas de vague" est restée en vigueur (ça a été le cas pendant les dix ans de pouvoir de la droite). Je pense pour ma part qu’avant même de raccourcir les vacances, il convient de restaurer cette autorité, sans quoi les établissements scolaires feront garderie 11 mois de l’année au lieu de 8… Et le gain sera minime.]
Je partage tout à fait ce point de vue. Il faut arrêter de croire que le professeur peut être un « superman », capable par lui-même de « tenir » sa classe, d’imposer une discipline de travail, de transmettre des connaissances et d’amuser les gamins par-dessus le marché. Des professeurs qui sont capables de faire cela par eux-mêmes, sans être légitimés et protégés par l’institution, sont fort rares si tant est qu’ils existent. L’éducation n’est pas une affaire individuelle, mais une affaire institutionnelle.
[Votre commentaire me donne l’impression, dites-le moi si je me trompe, que pour vous, finalement, la solution c’est de "mettre (ou remettre) enfin les enseignants au travail".]
Vous vous trompez. Je partage avec vous l’idée que la difficulté se trouve au niveau institutionnel. Mais pour pouvoir réformer l’institution, il faut briser la résistance corporative des professeurs, et les « remettre » en effet au travail. La dégradation institutionnelle de l’école fait que les élèves comme les professeurs travaillent de moins en moins. Je ne vois pas comment on peut remettre l’école sur pied sans faire travailler les élèves mais aussi les professeurs un peu plus, en quantité comme en qualité.
[Encore une fois, notre corporation a failli, je ne le conteste pas, mais tous les problèmes ne sont pas de notre fait, vous le savez.]
Oui et non. La question de l’autorité, par exemple, que vous évoquez plus loin est une question ou le comportement du corps enseignant est particulièrement pervers. Comment le professeur peut-il exercer une autorité s’il passe son temps à dénigrer l’institution à laquelle il appartient et à en critiquer les règles ? Comment peut-il invoquer l’autorité et en même temps tolérer ou excuser la « désobéissance » ? Tous les problèmes ne sont pas du fait du corps enseignant. Mais vous devez admettre que dans les années qui ont suivi 1968 le corps enseignant à scié la branche sur laquelle l’éducation, et donc lui-même, est assis.
[Vous-mêmes, Descartes, jeune écolier, combien aviez-vous de vacances? Est-ce que cela vous a nui?]
Très peu, en fait. J’ai suivi l’enseignement primaire et la première partie du secondaire à l’étranger, dans un pays où les vacances d’été sont longues (8 semaines) mais où il n’y a pratiquement pas de vacances intercalaires (une semaine en hiver). Lorsque je suis arrivé en France pour entrer au lycée, j’ai été surpris de toute cette ribambelle de vacances intercalaires (toussaint, février, paques…).
[Sans vouloir vous offenser, les excellents professeurs dont vous gardez un souvenir ému ne seraient peut-être pas enthousiastes à l’idée de passer à seulement 5 semaines de congés.]
Je n’en sais rien, j’ai une certaine réticence à faire parler les absents et les morts… Mais je sais que plusieurs de ces enseignants faisaient du travail pour des organisations d’éducation populaire en dehors du temps de travail. Je ne pense donc pas que si ces activités avaient été reprises par l’institution elle-même ils auraient trouvé quelque chose à redire.
[D’ailleurs, je ne suis pas sûr d’avoir bien saisi votre position: que réclamez-vous exactement? Un raccourcissement des vacances ou un strict alignement du temps de travail des enseignants sur les autres salariés?]
Ni l’un ni l’autre. Ce que je « réclame », c’est qu’on organise le temps de travail des enseignants en fonction de critères liés au fonctionnement du service, et non par comparaison avec d’autres professions. Je vous rappelle d’où a démarré cette discussion : de votre commentaire sur le fait que si on faisait travailler plus les professeurs, il faudrait les payer plus en heures supplémentaires. Je vous ai répondu ironiquement que si on dépassait les 1600h (qui est le quota de tout fonctionnaire) je n’étais pas contre. Par cette réponse je voulais marquer qu’il faut arrêter de comparer et revenir aux servitudes du métier. Le métier d’enseignant a des servitudes particulières et des avantages particuliers. Le salaire doit tenir compte de l’ensemble de ces éléments. Mais j’avoue que je trouve curieux ce régime ou l’on paye aux enseignants des « heures supplémentaires », alors que les cadres de la fonction publique sont payés au forfait.
[Il est clair que la profession d’enseignant, aujourd’hui, comporte nombre d’avantages. On peut trouver ces avantages immérités ou exorbitants. Mais je ne pense pas qu’on puisse dire, à l’heure actuelle, qu’enseigner est un "métier facile" comme je l’entends parfois.]
Pas de ma bouche, en tout cas. Je pense au contraire que bien enseigner est aujourd’hui très difficile. Je n’ai jamais dit que les avantages des enseignants soient « immérités ou exorbitants ». Je n’ai pas d’opinion là-dessus. Mais je suis – et je ne dois pas être le seul – fatigué d’entendre des enseignants comparer leur salaire au mien, en oubliant convenablement que nous n’avons ni les mêmes horaires, ni les mêmes vacances, ni les mêmes sujétions. Vous me direz que c’est ce que font toutes les corporations, et vous aurez raison. Seulement, l’enseignement n’est pas un boulot comme les autres. Il y a là dedans une question d’exemplarité.
[Mais il faut bien admettre que le ministre qui se lancera dans un tel chantier se heurtera à une très forte résistance.]
C’est clair. Il lui faudrait un consensus politique et social solide, une résolution sans faille… et beaucoup de temps. Trois choses qui en général ne sont pas l’apanage du ministre moyen.
Le tout n’est pas de comprendre comment on est arrivé là, mais comment nous en partons !
Et c’est là que les pleutres et les culs-de-poule se figent ; comment remettre à l’endroit les esprits, comment faire taire les démagogies imbéciles et incultes, comment détruire les idéologies factices mais tellement protégées par la "démocratie" médiatique, comment ?
A part une période où les bonnes manières et les soumissions aux vertus des dialogues seraient abandonnées, où la sacro-sainte liberté individuelle serait mise entre parenthèses, où l’action serait un mérite, où le collectif serait toujours préféré … a part cela je ne vois pas.
C’est "fascisant" c’est vouloir le bonapartisme, sans doute, et nous voyons là toute l’ambiguïté du FN, serait-il cela ? c’est de moins en moins sur !
@ Gerard Couvert
[Le tout n’est pas de comprendre comment on est arrivé là, mais comment nous en partons !]
On ne s’en sortira pas sans comprendre les mécanismes qui nous ont amené là où nous sommes. Ceux qui conduisent leur voiture sans regarder dans le rétroviseur finissent souvent dans le fossé.
[Et c’est là que les pleutres et les culs-de-poule se figent ; comment remettre à l’endroit les esprits, comment faire taire les démagogies imbéciles et incultes, comment détruire les idéologies factices mais tellement protégées par la "démocratie" médiatique, comment ?]
D’abord, en essayant de comprendre pourquoi les « démagogies imbéciles et incultes » séduisent autant nos faiseurs d’opinion. On découvre en général que ces démagogies servent à justifier des politiques qui vont dans le sens de certains intérêts. Rien n’arrive par hasard, et chaque croyance – même lorsqu’elle parait idiote – a une fonction.
[A part une période où les bonnes manières et les soumissions aux vertus des dialogues seraient abandonnées, où la sacro-sainte liberté individuelle serait mise entre parenthèses, où l’action serait un mérite, où le collectif serait toujours préféré … a part cela je ne vois pas.]
Mais encore une fois, au delà du fait de savoir si une telle « période » est désirable, il faut se demander si elle est POSSIBLE. Le système a une puissante cohérence interne, et il ne changera que s’il y a un rapport de forces pour que ça change. En 1947, une fois la guerre terminée et la paix fermement rétablie, les français ont rejeté le bonapartisme gaullien et lui ont préféré un système d’instabilité permanente. De Gaulle était convaincu que ce système ne tiendrait pas, que les français s’en lasseraient rapidement et le rappelleraient au pouvoir. Il avait tort : la IVème République a duré onze ans, soutenue par un large consensus politique. Personne n’est sorti dans la rue pour exiger un exécutif fort et la fin du régime d’assemblée. Il a fallu un début de guerre civile pour que les intérêts qui maintenaient en vie la IVème cèdent la place. Et encore, ils ne l’ont pas fait de bonne grâce. Rappelez-vous d’un jeune politicien, un certain François Mitterrand, dont la carrière politique s’était construite sur l’instabilité et les magouilles de la IVème, tonnant contre le nouveau régime qui lui enlevait son gagne-pain…
Le système actuel se maintien parce qu’il a derrière lui une puissante alliance, celle de la bourgeoisie et des classes moyennes. A rien ne sert de rêver d’un nouveau « bonapartisme » comme en 1958 : les couches sociales aujourd’hui dominantes n’en veulent pas, parce que ce n’est pas dans leur intérêt.
dans le débat sur l’éducation la question des différentes évaluations est en effet cruciale.Trop cruciale,parfois il faudrait dépassionner ce débat.Avoir une mauvaise note ou une mauvaise appréciation n’est qu’un épiphénomène normal dans un processus d’éducation long de plusieurs décennies.Tout enfant a besoin d’être évalué,de façon très banale et dédramatisée.L’erreur est en effet très courante et donc banale.L’élève a besoin de l’adulte qui sait et lui dit comment il peut progresser.Que ce soit par des notes ou par évaluation formative,l’important est que l’enfant se sente sous l’attention des adultes.Traiter d’hérétique ceux qui donnent des notes ou ceux qui mettent des lettres ou cochent des cases ,est naïf et régressif.
C’est peut être ce que cherche les cadres de l’EN!
Crétiniser les enseignants comme le montre l’organisation des élections professionnelles du 4/12/2014 ,rebutantes tant les freins informatiques sont nombreux pour un vote massif,libre et non-faussé.
Le pédagogisme débilitant comme ces élections sabotées par le ministère lui même,sont au diapason du sabotage de l’EN organisé par le ministère et non par les enseignants ,n-en déplaise aux anti-profs..Les enseignants sont victimes non-consentantes de ce système.
@ bovard
[Le pédagogisme débilitant comme ces élections sabotées par le ministère lui même, sont au diapason du sabotage de l’EN organisé par le ministère et non par les enseignants, n’en déplaise aux anti-profs… Les enseignants sont victimes non-consentantes de ce système.]
Pas si vite. Les enseignants ont collectivement une responsabilité non négligeable dans la destruction de l’éducation nationale. Ce sont eux qui, autour de 1968, ont dit pis que pendre de l’institution éducative – classée parmi les « mécanismes répressifs de l’Etat », pour reprendre la formule d’Althusser. Ce sont eux qui ont réclamé la fin de la transmission et annoncé le règne du « professeur-copain » qui ne transmet plus le savoir, mais permet à ses élèves de le « reconstituer ». Ce sont eux qui ont introduit les idées de « la société sans école » d’Ivan Illich, dont les œuvres complètes, récemment rééditées, ont reçu des critiques dithyrambiques dans les revues qui comptent dans le monde de l’éducation.
Si la distance entre l’élève et le professeur – cette distance absolument nécessaire au travail pédagogique – a disparu, ce n’est pas « le ministère » qui est responsable. Ce n’est pas « le ministère » qui a décidé que les élèves pouvaient tutoyer leurs professeurs ou qu’ils n’avaient pas à se lever lorsque le professeur entre en classe. Ce n’est pas le ministère qui a décidé que les professeurs pouvaient faire cours en jean et t-shirt. Ce sont les professeurs qui se sont d’eux-mêmes dépouillés de leur dignité. Ils ont donc une responsabilité non négligeable dans le désastre.
Je voudrais juste faire 2 remarques:
1°) le texte ainsi publié au J.O. devient quasiment illisible!
2°) mon expérience m’oblige en outre à dire que cette publicité de vacance de poste est superfétatoire, le(la) bénéficiaire du poste en question étant déjà très probablement arrêté(e). Mais c’est une autre histoire….
@ Albert
[1°) le texte ainsi publié au J.O. devient quasiment illisible!]
N’est ce pas ? Dans la même veine, dans la page « Débats » du Monde daté du 4 novembre on trouve cette forte phrase : « dans un contexte (…) où la culture est plus que jamais nécessaire car VECTRICE de paix et de rassemblement… » (c’est moi qui souligne). J’ignore si le mot « vectrice » existe, et personnellement j’en doute. Mais il est intéressant de noter le genre de contorsions que certains sont prêts à faire pour montrer leur adhésion à la novlangue du « genre ». On ne doit plus écrire « il faut défendre la liberté de parole car c’est un droit essentiel » mais « il faut défendre la liberté de parole car c’est une droite essentielle »…
Dans la série néo féminisme débile, j’ai lâché de stupeur mon journal ce matin en lisant un article évoquant un collectif féministe intitulé… tenez-vous bien… GeorgETTE Sand.
Elle doit se retourner dans sa tombe si elle les lit. Alors oui, dans le passé, beaucoup de femmes de lettres (je préfère cette expression très noble à écrivainE qui écorche mes oreilles) ont utilisé des noms de plume masculins à leurs début pour des raisons diverses (et pas forcément machistes), mais le cas d’Aurore Dupin alias George Sand est très particulier car ce n’était pas seulement son pseudonyme d’écrivain mais aussi un personnage public qu’elle avait bâti ou un avatar. A son époque, tout le monde savait que G. Sand était une femme et elle tenait à ce nom, respectons sa volonté d’artiste. De plus elle avait choisi le prénom George pour sa signification étymologique. Georgette collé à Sand sonne horrible à mes oreilles.
Le pseudo masculin n’était d’ailleurs pas forcément une obligation pour les femmes de lettres : la comtesse de Ségur, la Marquise de Sévigné, ou Madame de La Fayette, qui furent antérieures à Sand, sont connues de leur titre féminin.
Les sœurs Brontë ont commencé sous des pseudos masculins quand elles portaient leurs manuscrits chez les éditeurs et cherchaient désespérément à se faire publier, mais une fois qu’elles connurent le succès, leurs livres ont été réédités sous leurs vrais noms.
Un écrivain qui débute veut surtout chercher à se faire publier et qu’on le lise, le pseudonyme protégeait certaines personnalités par rapport à leur entourage ou lorsque leurs idées étaient trop audacieuses à une certaine époque. Ce féminisme postmoderne qui cherche à rayer l’histoire fait parfois peur.
Va-t-on modifier les crédits de tous les films dans lesquels apparurent les actrices Gene Tierney ou Stéphane Audran et les transformer en Jane/June/Jean/Joan Tierney et Stéphanie Audran ?
@Descartes
Sur le le terrorisme de [La maffia du « genre »]
Avoir une opinion sur la laideur orthographique ou grammaticale du titre de Cheffe de service c’est bien. Ce serait pas mal non plus de se demander pourquoi 70 % des chefs de service sont des « mâles », comme 78% des sénateurs et 86% des députés, alors que dans le même temps les femmes sont majoritaires dans les effectifs des diplômés de l’éducation supérieure.
@ v2s
[Avoir une opinion sur la laideur orthographique ou grammaticale du titre de Cheffe de service c’est bien. Ce serait pas mal non plus de se demander pourquoi 70 % des chefs de service sont des « mâles », comme 78% des sénateurs et 86% des députés, alors que dans le même temps les femmes sont majoritaires dans les effectifs des diplômés de l’éducation supérieure.]
Oui. Et on pourrait aussi se demander pourquoi sur les 30% de « cheffes de service » et les 70% des « chef de service », 95% viennent des classes moyennes et supérieures, et moins de 2% ont des parents ouvriers. Curieusement, cette question ne semble intéresser personne. Et lorsque je dis « curieusement », c’est un euphémisme.
On peut se poser beaucoup de questions en effet. Ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est que les questions qu’on se pose sont les questions secondaires, et semblent masquer la question principale…
Je lis avec regret « professeure » (sic) de littérature. Cette graphie me choque à plusieurs titres .
Il ne s’agit naturellement en aucune façon de refuser la féminisation des titres, mais de féminiser à bon escient.
Seuls les adjectifs (le plus généralement des comparatifs) en « -eur » ont un féminin en « -eure » (comme meilleure , supérieure , etc.), et non les substantifs !
Le « e » n’est, en effet, pas une marque universelle de féminin, en particulier dans les mots en « -eur », comme fleur , blancheur , tiédeur , couleur , etc., tous féminins. La féminisation de termes comme docteur , professeur , auteur , par exemple, prend ainsi une forme épicène : une docteur, une professeur , une auteur , etc. Précisons que ce dernier mot a été employé ainsi par Boileau aux vers 463 et 464 de sa Satire X :
« […] De livres et d’écrits, bourgeois admirateur, Vais-je épouser ici quelque apprentive auteur ? »
Plus récemment, le féminin « autrice » , tenté par Emile de Girardin, aurait certainement mérité moins d’indifférence.
C’est dans ce nécessaire respect de l’orthographe que l’association (française) des professeurs de lettres mentionne ses membres de sexe féminin comme « professeur agrégée », « professeur certifiée », y compris quand celles-ci sont docteurs es lettres et auteurs d’ouvrages ! Le titre officiel est d’ailleurs, pour les deux sexes, « professeur des universités ».
L’argument de l’évolution, invoqué par certains pour justifier cette atteinte à l’orthographe, n’est pas judicieux. Si, en effet, la société évolue en faveur de la féminisation des titres et de la façon de les nommer ; la langue française, elle, a d’autres règles. Elle a, de façon constante, évolué de façon à éliminer les lettres qui ne se prononcent pas . Ce n’est donc pas pour en ajouter. En outre, toutes les recherches en psycho-mécanique du langage ont montré que, dans le français contemporain, les marques de genre et de nombre avaient une tendance marquée à disparaitre de la fin des mots et à ne plus se maintenir que dans les déterminants, c’est-à-dire à être anticipées ! L’idée de suffixer un « e » est donc, au sens propre, une démarche « réactionnaire » (je ne parle naturellement pas ici de politique).
Alors, oui, on peut dire « la ministre » (c’est même chez Racine), « la cheffe » (comme l’écrivait Jeanne d’Arc) ou « l’écrivaine » qui, si ces féminisations ne sont pas reçues par tous, ou n’ont pas la sanction du bon usage, ne heurtent cependant pas les règles du français. En revanche, il faut s’opposer de la façon la plus nette au non-sens linguistique des pseudo-féminins en « -eure » .
@ philippe
Merci d’abord de votre contribution d’une rare érudition.
[Seuls les adjectifs (le plus généralement des comparatifs) en « -eur » ont un féminin en « -eure » (comme meilleure, supérieure, etc.), et non les substantifs !]
D’accord : les substantifs ont un genre fixe et contrairement aux noms ne s’accordent pas. Ils ont donc une terminaison unique, qui peut – ou non – donner une indication sur leur genre grammatical. Mais certains, par exemple ceux qui désignent des êtres sexués, viennent en « couples » où l’on trouve un nom masculin et un nom féminin : ainsi par exemple chat/chatte, chien/chienne mais aussi coq/poule, verrat/truie et ainsi de suite. Comme on peut voir dans les exemples, dans certains cas les deux éléments du couple peuvent avoir des formes très différentes. Mais lorsqu’ils sont formés sur la même racine, il est courant que le féminin soit formé à partir du masculin terminé en consonne en ajoutant un « -e » final (et en doublant la dernière consonne si nécessaire) : chat/chatte, chien/chienne, lion/lionne, etc. Le couple « professeur/professeure » suit à mon avis cette règle. Ce qui laisserait penser que les professeurs seraient une espèce animale dont le male et la femelle sont respectivement le professeur et la professeure… je me demande comment les petits de l’espèce doivent être désignés. Après tout, le chien et la chienne ont le chiot, le sanglier et la truie ont le marcassin…
L’âme en contrition en raison des multiples fautes de grammaire ,je réalise que mon correcteur d’orthographe ne fonctionne pas.
Je fatigue donc très vite,mal organisé.
Je suis souvent ici sur une sellette que j’ai moi même organisé.
Merci à Marcailloux,pour son empathie et à Descartes toujours aussi intéressant.
Pour terminer,au sujet du genre,comment qualifier Yasmina Khadra autrement que comme un écrivain ?
Pourquoi cette faute éructerons les hyènes de garde?
Pas du tout,elles n’y sont pas, pour une fois je ne commets pas de faute orthographique.
En effet,Yasmina Khadra ,est un pseudo .
Tiens au fait pourquoi pas ‘une’ pseudo?
Maintenant je sais grâce à Descartes que le masculin inclue le neutre aussi.Donc il faut écrire un pseudo.
Mais bien que Yamina soit un prénom féminin,il faut écrire que Yasmina Khadra est un écrivain algérien.
Derrière ce pseudo,sorte de voile( qui n’est pas ici une atteinte à la laïcité) se cache un ex-haut gradé,des services secrets algériens,fils d’un ex-plus haut dirigeant de ces services secrets algériens.
En ce sens,je rejoins nos blogueurs,l’orthographe aussi a besoin de sévices secrets.