Ce qui est terrible dans le système médiatique actuel, c’est l’impression que l’univers est né le jour où les commentateurs en ont pris conscience. L’inceste existe depuis la plus haute antiquité, il ne devient un problème digne qu’on s’en occupe que du moment où une victime apparaît dans les médias. Il faut des évènements médiatiques pour que tout le monde – le monde qui compte, celui qui lit Le Monde – découvre les problèmes.
Et comme une découverte chasse l’autre au gré des explosions des « faits de société », on découvre aujourd’hui le problème des bandes d’adolescents. Les pages de nos journaux se sont fait l’écho cette semaine de cette nouvelle menace pour notre société, celle de groupes d’adolescents qui s’affrontent périodiquement pour un regard de travers une offense réelle ou supposée, une violation du territoire de l’adversaire. Des affrontements qui depuis des années se concluent par plusieurs décès chaque année, sans compter avec les blessures quelquefois graves. Du tabassage du jeune Youri aux deux adolescents morts à Saint-Chéron et Boussy-Saint-Antoine dans l’Essonne fin février, nos médias ont découvert un phénomène devenu banal à force de répétition. Avec la mise en marche du redoutable mécanisme « un fait divers, une loi ». Le politique peut ignorer pendant des années un problème, mais dès lors qu’il devient médiatique, il faut bien faire quelque chose.
C’est souvent dans le passé qu’on trouve les explications du présent. La littérature commise sur ces affaires m’a ramené en arrière. Non pas aux épisodes des « blousons noirs » et autres « apaches », mais bien avant, à ce classique qu’est devenu « La guerre des boutons ». Je ne parle pas des horribles adaptations cinématographiques de 2011, celle de Yann Samuell ou de Chirstophe Barratier, toutes deux anachroniques et empreintes de moraline bienpensante, pas plus que celle d’Yves Robert de 1962, plus intelligente mais qui n’a pas la force de l’original. Non, je parle du roman de Louis Pergaud, publié en 1912 et qui n’a pas pris une ride.
Pour ceux qui n’auraient pas lu le roman – et qui devraient courir se le procurer – celui-ci raconte la « guerre » à laquelle se livrent les « bandes » d’enfants de deux villages « rivaux », ceux de Velrans et ceux de Longeverne, villages imaginaires mais dont l’inspiration vient du village de Landresse (Doubs), où Pergaud était instituteur. Une « guerre » faite d’affrontements d’une violence qu’on qualifierait aujourd’hui d’insupportable : coups de bâton, de pierres, fouettage des prisonniers… et bien entendu la privation des fameux boutons qui imposent à l’adversaire une humiliation et la punition aux mains des parents.
Et pourtant, cette violence ne déborde jamais. On ne sort pas les couteaux, on ne cherche pas à blesser l’ennemi pour de vrai. Pourquoi ? Qu’est ce qui empêche ces enfants de franchir la ligne rouge ? J’y vois à cela deux raisons.
La première est que ces enfants sont éduqués dans une société encore marquée par les valeurs chevaleresques que la République a fait siennes : On ne frappe pas un homme à terre, on protège les faibles, on défère aux femmes, on ne trahit pas ses amis. Et ces valeurs sont tellement internalisés qu’elles ont la force de l’évidence. Les enfants de Longeverne comme ceux de Velrans sont marqués par la logique de l’honneur. On a dans cette société une conscience aigüe de « ce qui se fait » et « ce qui ne se fait pas », des lignes rouges à ne pas franchir. Et celui qui les franchit accepte sa punition « comme un homme » parce qu’il comprend où se trouvent les limites.
Mais surtout la violence ne déborde jamais parce que dans la vie des enfants de Longeverne comme de Velrans, le monde adulte est présent en permanence. Les jeunes que décrit Pergaud ont une conscience aigüe du fait que leur statut est passager, et que le monde adulte a d’autres règles (la séquence où l’instituteur associe le statut du citoyen et l’âge est de ce point de vue révélatrice). Les jeunes du roman savent que l’enfance est un état passager, et que très vite il leur faudra entrer dans ce monde adulte avec ses possibilités mais aussi ses responsabilités. De ce point de vue, la séquence la plus révélatrice du roman est la dernière, lorsque les enfants commentent, après avoir été terriblement punis pour avoir frappé un camarade – le « traître » de l’histoire – avoir entendu leurs propres parents raconter leurs frasques de jeunesse. Et un personnage de conclure « Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu’eux ». L’entrée au monde adulte n’est pas une option, c’est un destin.
Bien sûr, me direz-vous, ce n’est qu’un roman. Mais il résume admirablement une réalité : combattre le phénomène des « bandes », c’est se tromper de cible. La « bande » joue un rôle important, je dirais même irremplaçable, dans la construction de la personnalité d’un jeune. A condition qu’elle soit une porte d’entrée dans le monde adulte, et non une prison dans un statut d’éternel « djeune ».
De ce point de vue, la lecture de l’entretien du maire de Boussy-Saint-Antoine publiée dans « Le Monde » du 2 mars 2021 est intéressante, parce que ce texte contient à la fois un diagnostic intéressant et un remède inapproprié. Commençons par le diagnostic :
« Il faut s’attaquer aux racines du mal : comment des ados qui vivent à quelques kilomètres les uns des autres peuvent en arriver là ? C’est dramatique, mais ces affrontements sont parfois devenus un processus de socialisation dans ces quartiers, une sorte de rite initiatique pour « devenir un homme ». Ce qui montre d’ailleurs qu’ils n’arrivent pas à acquérir cette reconnaissance ailleurs. »
Et ensuite, la solution proposée :
« Il faut travailler avec les tout petits : faire en sorte que les enfants de 6, 7, 8 ans de ces quartiers passent du temps ensemble, se connaissent, fraternisent. Ça peut paraître idiot, mais je pense que c’est comme ça qu’on peut participer à traiter le problème de fond. Avec les maires d’Epinay-sous-Sénart et de Quincy-sous-Sénart, nous avons proposé de leur faire partager des vacances dans le même centre de loisirs. »
La lecture de Pergaud aurait informé monsieur le maire du fait que l’affrontement n’est pas « devenu » un processus de socialisation, un rite initiatique. Il l’a toujours été. Et c’est vrai dans pratiquement toutes les cultures, toutes les civilisations. S’il en est ainsi, c’est parce que ce processus d’identification comme membre solidaire d’une collectivité par affrontement avec les autres est indispensable pour la construction d’une personnalité adulte. La question n’est donc pas d’empêcher l’affrontement, mais de l’encadrer, l’organiser, le ritualiser. Pourquoi croyez-vous qu’on ait inventé les sports et les jeux, qui permettent à des équipes représentant des institutions, des quartiers, des villes, des nations de s’affronter dans des cadres codifiés ?
Imaginer qu’on résout le problème en faisant « fraterniser » les enfants, c’est ne rien comprendre à la difficulté. Eliminer l’affrontement collectif, c’est priver les jeunes d’une expérience structurante de leur personnalité, une expérience qui fait le pont entre l’enfant et l’adulte. Alors que monsieur le maire a bien compris que pour les jeunes cet affrontement est un « rite initiatique » par lequel on « devient un homme », sa réponse n’est pas d’offrir un autre « rite » ayant la même fonction à un coût humain plus faible, mais de refuser le « rite » lui-même, de priver les jeunes de cette « initiation » en leur proposant à la place la passivité irénique du « tous copains ». Comment s’étonner dans ces conditions que ces adolescents aient du mal à se projeter dans le monde adulte, qu’ils soient réduits à inventer leurs propres rituels d’initiation sans bénéficier du processus de symbolisation qui est inséparable du processus de civilisation ?
Dans la plupart des cultures, c’est la figure du père qui fait le pont entre le monde infantile et celui de l’adulte. C’est lui qui arrache l’enfant aux jupes de sa mère et l’amène vers la cité. C’est ce passage que notre société rejette aujourd’hui. C’est pourquoi elle ne veut pas de rituels de passage, qui supposent nécessairement des épreuves et des souffrances. A la rigueur, on nous explique que le mieux serait que chacun préserve « son âme d’enfant » toute sa vie. Le père a été chassé de son piédestal, et la mère – pardon, la « maman » – occupe toute la place dans un monde infantilisé. Ce n’est pas par hasard si nous avons élu un président de la République à la figure enfantine qui a réalisé le rêve de tout enfant, se marier avec l’institutrice.
William Golding avait magnifiquement montré combien le monde de l’enfance n’est pas le monde des bisounours. Sans l’adulte pour mettre des limites, la toute-puissance infantile conduit à des drames comme ceux dont nous sommes témoins ces jours-ci.
Descartes
Entièrement d’accord avec vous. J’avais posté il y a un ou deux messages en commentaire que l’on payait la disparition du père et la fin de l’autorité. Je vois que vous concluez de même.
@ Philippe Simon
[Entièrement d’accord avec vous. J’avais posté il y a un ou deux messages en commentaire que l’on payait la disparition du père et la fin de l’autorité. Je vois que vous concluez de même.]
Oui, mais avec une petite nuance. La disparition du père et la fin de l’autorité ne sont pas la CAUSE du problème, mais un symptôme. La cause se trouve dans une transformation du mode de production et donc des rapports de forces entre les classes sociales. Ces transformations font de l’individu consommateur l’acteur exclusif. Quelque chose que le père, en tant qu’institution, ne pourrait permettre.
C’est d’ailleurs drôle – si l’on peut dire – d’entendre aujourd’hui la gauche tenir le discours vouant aux gémonies le “patriarcat”, sans s’apercevoir que c’est précisément ce dont le capitalisme néolibéral a besoin…
C’est d’ailleurs drôle – si l’on peut dire – d’entendre aujourd’hui la gauche tenir le discours vouant aux gémonies le “patriarcat”, sans s’apercevoir que c’est précisément ce dont le capitalisme néolibéral a besoin…
Votre phrase n’est pas claire, ami et camarade.
Le capitalisme néolibéral a besoin du patriarcat, ou il a besoin qu’on voue le patriarcat aux gémonies ?
Même si je crois que je connais la réponse…
@ Gugus69
[Votre phrase n’est pas claire, ami et camarade. Le capitalisme néolibéral a besoin du patriarcat, ou il a besoin qu’on voue le patriarcat aux gémonies ?]
Cher ami et camarade (quelle belle formule, c’est celle qu’utilisait G. Marchais pour ouvrir ses discours: “Françaises, Français… (petite pause) Chers amis et camarades”), vous avez tout à fait raison, je n’ai pas été clair.
Le capitalisme est le pire ennemi du patriarcat. Imaginer que le capitaliste a intérêt à ce que la femme reste à la cuisine est une absurdité. Le capitaliste a intérêt à détruire toutes les barrières qui s’opposent à l’entrée d’une catégorie dans le marché du travail. C’est pourquoi partout le capitalisme a cherché d’abord à abolir le servage et l’esclavage, à sortir les femmes de leur foyer pour augmenter à l’infini la population susceptible de vendre leur force de travail.
@ Descartes
[ C’est pourquoi partout le capitalisme a cherché d’abord à abolir le servage et l’esclavage, à sortir les femmes de leur foyer pour augmenter à l’infini la population susceptible de vendre leur force de travail.]
Quand il y a la notion de vendre, il y a forcément la notion d’acheter. Je ne crois pas du tout au fait que ‘le capitalisme a cherché d’abord à abolir le servage et l’esclavage’ car ils avaient leur force de travail gratuitement pour rien. Ils n’allaient donc pas abolir l’esclavage pour le plaisir de pouvoir acheter. L’abolition du servage et de l’esclavage ne vient pas du bon vouloir du capitalisme mais de la lutte des serfs, des esclaves et des gens de bon sens.
Certes, je sais que pour le capitaliste, tout s’achète et tout se vend. J’ai à l’esprit la phrase de Pierre Bergé qui disait que puisqu’une femme vend ses bras pour le travail, elle peut très bien vendre son ventre pour enfanter et vendre son bébé. Quels propos infects !!
@ domino
[Quand il y a la notion de vendre, il y a forcément la notion d’acheter. Je ne crois pas du tout au fait que ‘le capitalisme a cherché d’abord à abolir le servage et l’esclavage’ car ils avaient leur force de travail gratuitement pour rien.]
Pas « pour rien ». Un esclave, c’était un investissement comme le serait aujourd’hui une machine. Il fallait l’entretenir, le nourrir, le loger, le soigner. Autrement, il ne travaillait pas. Mais surtout, la main d’œuvre esclave est une main d’œuvre de très faible qualité. L’esclave n’a en effet aucune raison à chercher à s’améliorer, à acquérir de nouvelles compétences, à améliorer la qualité de son travail. Et puis, l’esclavage rend très difficile l’adaptation de la main d’œuvre à la demande. L’esclave, il faut le nourrir, le loger et le vêtir même lorsqu’il n’y a de travail à lui donner (sans quoi vous ne l’aurez plus quand vous en aurez besoin). L’ouvrier, lui, peut être licencié quand on en a plus besoin et il peut aller travailler ailleurs en attendant que l’ouvrage revienne.
[Ils n’allaient donc pas abolir l’esclavage pour le plaisir de pouvoir acheter. L’abolition du servage et de l’esclavage ne vient pas du bon vouloir du capitalisme mais de la lutte des serfs, des esclaves et des gens de bon sens.]
C’est quand même curieux que la lutte des serfs, des esclaves et des gens de bon sens, qui a duré des siècles, ait abouti – juste au moment où le mode de production évoluait et que le recours à l’esclavage ou au servage devenait un obstacle à son développement. Une coïncidence, peut-être ?
[Certes, je sais que pour le capitaliste, tout s’achète et tout se vend.]
Il n’y a pas que pour le capitaliste. On vendait et on achetait beaucoup déjà dans la Rome antique. Ce que le capitalisme a inventé, c’est la possibilité d’acheter non pas le travailleur, mais la force de travail…
Votre dernier paragraphe place le capitalisme sous un jour plutôt flatteur. Pour ma part,je pencherais plutôt pour une autre raison : reprenant les thèses de Jancovici, la fin de l’esclavage peut s’expliquer par l’arrivée de machines capables de remplacer le travail physique des hommes. Il en irait de même pour le féminisme : l’apparition de l’électroménager aura libéré les femmes de nombreuses corvées, ce qui aura poussé les ménages à avoir deux salaires au lieu d’un, sans qu’une idéologie y soit pour quelque chose.
Néanmoins cette hypothèse explique mal pourquoi les femmes se seraient organisees en groupes luttant contre les hommes. Après tout elles partent leur vie avec ceux ci.
@ Badou
[Votre dernier paragraphe place le capitalisme sous un jour plutôt flatteur.]
Disons plutôt que je me refuse à le diaboliser. Je me tiens d’ailleurs à l’analyse de Marx dans le « manifeste » : le capitalisme est à ses débuts un régime révolutionnaire, qui a réussi à libérer d’énormes forces productives qui, sous le mode de production antérieur, restaient prisonnières de liens archaïques. Il faut toujours replacer les mouvements historiques dans leur contexte : le système féodal nous paraît aujourd’hui injuste et oppressif, mais en l’an 800 c’était un progrès considérable.
[Pour ma part, je pencherais plutôt pour une autre raison : reprenant les thèses de Jancovici, la fin de l’esclavage peut s’expliquer par l’arrivée de machines capables de remplacer le travail physique des hommes. Il en irait de même pour le féminisme : l’apparition de l’électroménager aura libéré les femmes de nombreuses corvées, ce qui aura poussé les ménages à avoir deux salaires au lieu d’un, sans qu’une idéologie y soit pour quelque chose.]
C’est une explication très incomplète. L’esclavage a disparu en France avant le XIIIème siècle, et on voit mal quelles sont les « machines » qui début du bas moyen-âge auraient rendu l’esclavage inutile.
Jancovici sur ce point me paraît avoir mal lu les marxistes. Oui, le progrès technique et le mode de production sont dialectiquement liés : sans machinisme, il n’y aurait pas de capitalisme, et à l’inverse le développement des rapports capitalistes a permis un développement massif du recours à la machine. Mais ce n’est pas le seul facteur. La fin de l’esclavage tient aussi à la difficulté croissante, dans le contexte du haut moyen-âge, de se procurer des esclaves.
Quant à la théorie qui ferait de la femme « la prolétaire de l’homme », elle est peu conforme avec les réalités économiques, et m’apparaît plutôt comme une tentative de diviser les luttes en suggérant que la femme ouvrière n’a pas les mêmes intérêts que l’homme ouvrier…
@ Descartes
[C’est une explication très incomplète. L’esclavage a disparu en France avant le XIIIème siècle, et on voit mal quelles sont les « machines » qui début du bas moyen-âge auraient rendu l’esclavage inutile.]
Un autre exemple historique intéressant : les romains, du moins pendant le principat, étaient tout à fait capables de mettre en place des équipements et des chaînes de production quasi-industriels, c’est à dire qui permettaient des économies de force de travail et un accroissement de la productivité tels qu’on ne les reverra pas avant l’époque moderne. Mais même avec cela, l’économie romaine est restée basée sur l’exploitation de la main d’œuvre servile. L’esclavage médiéval en bout de course est vite disparu en l’absence de machines, et l’esclavage romain a dominé malgré les pseudo-machines…
[Mais ce n’est pas le seul facteur. La fin de l’esclavage tient aussi à la difficulté croissante, dans le contexte du haut moyen-âge, de se procurer des esclaves.]
Il y a eu une évolution graduelle de l’esclavage tardif dans l’empire romain. De ce que l’on sait des recensements de l’époque, les esclaves à proprement parler en tant que catégorie se sont progressivement amalgamés aux nouvelles formes de servilité, que l’on pourrait qualifier de proto-servage, facilitées par l’appauvrissement continu des vastes couches modestes de la population libre, qui remplaceront petit-à-petit l’esclavage stricto sensu, et entre autres les réformes fiscales de Dioclétien. D’ailleurs, si on se souvient de Constantin comme de l’empereur chrétien, il est également important pour l’histoire économique, puisqu’on peut dire que c’est lui qui a institutionnalisé le proto-servage, par l’adoption de lois restreignant considérablement les droits et libertés des coloni ruraux vis-à-vis des propriétaires terriens – notamment, en les attachant de façon quasi-irrémédiable à leur terre, ce qui est une des principales caractéristiques du servage.
@ BolchoKek
[Un autre exemple historique intéressant : les romains, du moins pendant le principat, étaient tout à fait capables de mettre en place des équipements et des chaînes de production quasi-industriels, c’est à dire qui permettaient des économies de force de travail et un accroissement de la productivité tels qu’on ne les reverra pas avant l’époque moderne. Mais même avec cela, l’économie romaine est restée basée sur l’exploitation de la main d’œuvre servile.]
Lorsque vous parlez de « chaines de production quasi-industrielles », vous penses à quoi exactement ? Les romains ont développé effectivement des « machines » simples et poussé la division du travail à un niveau qu’on ne retrouvera effectivement qu’après la Renaissance. Mais on ne peut pas vraiment dire qu’ils aient développé un véritable machinisme.
[« Mais ce n’est pas le seul facteur. La fin de l’esclavage tient aussi à la difficulté croissante, dans le contexte du haut moyen-âge, de se procurer des esclaves. » Il y a eu une évolution graduelle de l’esclavage tardif dans l’empire romain. De ce que l’on sait des recensements de l’époque, les esclaves à proprement parler en tant que catégorie se sont progressivement amalgamés aux nouvelles formes de servilité, que l’on pourrait qualifier de proto-servage, facilitées par l’appauvrissement continu des vastes couches modestes de la population libre, qui remplaceront petit-à-petit l’esclavage stricto sensu, et entre autres les réformes fiscales de Dioclétien.]
Tout à fait. Mais quelle est la cause de cette mutation ? Dès lors que l’esclave devient une denrée rare, on ne peut plus se permettre de fonctionner dans une économie ou l’esclave est jetable. Il faut au contraire faire en sorte d’améliorer sa condition, de l’attacher à la terre, de ne pas lui donner de motifs pour se révolter. C’est la rareté relative des esclaves – l’empire romain n’avait plus de conquêtes pour s’alimenter en main d’œuvre – qui a poussé à changer le mode de production.
Je crois qu’il y a quelque chose de spécifique dans le dénigrement du père et de l’autorité. Je ne sais pas me prononcer sur les rapports de production. Mais il y a eu une volonté de toute puissance infantile qui n’est pas liée à la consommation mais véritablement à une remise en cause totale de la verticalité. Il est d’ailleurs assez évident que l’on constate aujourd’hui dans les pathologies l’inverse de ce qu’observait Freud. Il voyait les conséquences d’un excès de règles et d’autorité, nous l’inverse.
Je pense vraiment que ça dépasse l’économie. Il y a eu chez une minorité d’activistes la volonté d’abattre la structure de la société mais aussi le refus de toute limite, de toute contrainte. Que cela se marie parfaitement avec la société de consommation c’est indéniable. Mais pour moi ce sont deux choses distinctes.
@ Philippe Simon
[Je crois qu’il y a quelque chose de spécifique dans le dénigrement du père et de l’autorité. Je ne sais pas me prononcer sur les rapports de production. Mais il y a eu une volonté de toute puissance infantile qui n’est pas liée à la consommation mais véritablement à une remise en cause totale de la verticalité. Il est d’ailleurs assez évident que l’on constate aujourd’hui dans les pathologies l’inverse de ce qu’observait Freud. Il voyait les conséquences d’un excès de règles et d’autorité, nous l’inverse.]
Oui, mais il faut se poser la question du pourquoi. Parce que des contestations de la « verticalité », il y en a toujours eu au cours de l’histoire humaine. Mais à certaines époques ces idéologies sont restées marginales, et à d’autres elles sont devenues dominantes. Pourquoi, à votre avis ?
Une idéologie devient dominante ou reste marginale selon qu’elle soit ou non fonctionnelle aux intérêts de la classe dominante du moment. La classe ascendante de 1789, la bourgeoisie, avait besoin pour compléter sa prise de pouvoir de casser les institutions, et on a vu donc pendant quelque temps se développer une idéologie égalitaire et anti-verticale, le temps de faire le ménage. Une fois installée au pouvoir, la bourgeoisie est revenue à une logique de « verticalité » puisqu’elle était au pouvoir.
De la même manière, les classes intermédiaires avaient besoin de casser le consensus institutionnel de l’après-guerre pour s’installer au pouvoir, et la vague néolibérale s’est installé grâce à l’idéologie « libérale-libertaire » qui se développe à partir de la fin des années 1960. Le problème est que, contrairement à la bourgeoisie à la fin du XVIIIème, les classes intermédiaires n’arrivent pas à stabiliser leur situation. Il n’y a pas de « Napoléon des classes intermédiaires », et il ne peut y avoir parce que la position des classes intermédiaires est fondamentalement précaire, puisque ce qui fait leur force – le capital immatériel – doit être reconstitué à chaque génération. Les classes intermédiaires ne peuvent donc pas dépasser l’étape « révolutionnaire » pour passer à l’étape suivante. Elles ont des Robespierre mais pas de Napoleon, des Lénine mais pas de Staline…
[Je pense vraiment que ça dépasse l’économie. Il y a eu chez une minorité d’activistes la volonté d’abattre la structure de la société mais aussi le refus de toute limite, de toute contrainte. Que cela se marie parfaitement avec la société de consommation c’est indéniable. Mais pour moi ce sont deux choses distinctes.]
Bien entendu. Ce qui est déterminant, c’est le mode de production, et non le mode de consommation. Le refus « de toute limite, de toute contrainte » SAUF CELLE DU MARCHE, c’est la logique du néolibéralisme.
Bonjour Descartes,
Vous dites :
“Le problème est que, contrairement à la bourgeoisie à la fin du XVIIIème, les classes intermédiaires n’arrivent pas à stabiliser leur situation. Il n’y a pas de « Napoléon des classes intermédiaires », et il ne peut y avoir parce que la position des classes intermédiaires est fondamentalement précaire, puisque ce qui fait leur force – le capital immatériel – doit être reconstitué à chaque génération. Les classes intermédiaires ne peuvent donc pas dépasser l’étape « révolutionnaire » pour passer à l’étape suivante.”
D’une certaine façon, ce qui se passe avec l’idéologie dite “progressiste” n’est-elle pas un pas dans cette direction ? Il y a une claire hiérarchisation des positions et des personnes (les “racistes”, “islamophobes”, etc. désignés comme tels tout en bas de l’échelle sociale ; les “progressistes” et “alliés” tout en haut), des marqueurs de classe (la capacité à parler en écriture inclusive, à utiliser les derniers termes à la mode, etc.), et la suppression progressive des dispositifs d’évaluation “objectifs” (par notes, par concours…) qui donnent beaucoup plus de force aux réseaux et aux comportements de classe (un exemple parmi d’autres : un enseignant à Sciences Po qui donnait des points bonus aux élèves rendant leurs copies en écriture inclusive ; mais on devrait trouver des procédures beaucoup plus systémiques et répandues dans les universités américaines). Ce n’est pas encore le niveau de reproduction et de hiérarchisation sociale atteint par la bourgeoisie, mais ça s’en rapproche un peu.
@ Dell Conagher
[D’une certaine façon, ce qui se passe avec l’idéologie dite “progressiste” n’est-elle pas un pas dans cette direction ?]
Les « classes intermédiaires » ont pris le pouvoir, mais elles ne savent pas très bien quoi en faire. La bourgeoisie triomphante a été créatrice d’institutions. Elle s’appuyait sur une réflexion sur le fonctionnement de la société et de ses valeurs qui fabriquait un « récit » commun. Quitte à donner à ses adversaires les instruments pour la contester. Les classes intermédiaires en sont incapables parce que toute leur énergie est utilisée pour se maintenir dans leur position, ce qui suppose d’atomiser la société pour empêcher l’apparition de toute contestation. Pour le dire autrement, on a l’impression que la bourgeoisie était suffisamment assurée de sa position pour se permettre d’ouvrir un véritable débat, alors que les classes intermédiaires vivent dans une insécurité permanente qui les poussent à réprimer symboliquement toute opposition. D’où le terrorisme intellectuel du « politiquement correct ».
Cher Descartes,
Merci pour ce billet, clair et bien écrit, auquel je n’ai rien à ajouter, sinon qu’il prend le contre-pied complet du programme de “dévirilisation” de certaines élites* progressistes https://www.huffingtonpost.fr/entry/la-virilite-a-un-cout-et-cette-historienne-la-calcule_fr_603e4552c5b601179ec09966
Que les garçons deviennent des hommes à faible coût humain, comme vous le proposez, me semble infiniment préférable.
*élites confondant coût financier pour l’etat et coût socio-économiques dit coût social
@ Simon
[Merci pour ce billet, clair et bien écrit, auquel je n’ai rien à ajouter, sinon qu’il prend le contre-pied complet du programme de “dévirilisation” de certaines élites* progressistes (…)]
L’article que vous citez illustre parfaitement ce qu’est un raisonnement ad-hoc. Si les prisons sont remplies à 90% par des hommes, c’est la preuve que les hommes sont plus violents. Avec le même raisonnement, on devrait déduire que si 80% des scientifiques sont des hommes, c’est que les femmes sont plus bêtes. Mais non, c’est parce qu’elles sont « discriminées ». Alors, ne devrait-on pas se demander si la surrépresentation masculine en prison ne résulte pas d’une plus forte sévérité des juges – en majorité des femmes – à leur égard ?
En fait, si on allait jusqu’au bout du raisonnement de Lucille Peytavin, il faudrait mettre en face des « coûts » du virilisme ce que ce dernier rapporte. Et là, le bilan est très nettement positif. Oui, 90% des criminels sont des hommes. Mais si l’on regarde les découvertes, les inventions, les œuvres d’art dont nous profitons aujourd’hui, 99% d’entre elles sont le produit du « virilisme »…
[Que les garçons deviennent des hommes à faible coût humain, comme vous le proposez, me semble infiniment préférable.]
De toute façon, on n’a pas le choix. La « dévirilisation » de la société est un leurre. Cela fait un demi-siècle qu’on essaye. On a ouvert aux femmes tous les champs professionnels, toutes les fonctions politiques, toutes les institutions. On a banni tous les rituels « virilistes ». On a imposé à l’école un discours bisounours, on a expurgé les textes scolaires de toute référence « violente » ou pouvant offenser qui que ce soit. Les livres pour enfants sont remplis d’histoires de loups qui deviennent végétariens pour contribuer à l’amour universel. Avez-vous l’impression que tout cela ait rendu notre jeunesse moins violente ou moins névrosée ? Franchement, ce n’est pas l’impression que cela donne.
L’idéal irénique d’une société « féminine » n’apparaît pas par hasard. C’est l’idéologie d’une société d’abondance peuplée de consommateurs – c’est-à-dire, une société à l’image des classes intermédiaires. Ce n’est que dans ce contexte que les contradictions et la compétition associées au « virilisme » disparaissent. Mais dès qu’on redescend dans le monde réel, on retrouve le fait que les ressources sont rares…
@Descartes,
Pourtant, n’est-ce pas l’idéal capitaliste, celui de l’homo economicus?
A croire que l’intuition de Friedrich Nietzsche sur la féminisation de la société allant de paire avec l’avènement du capitalisme bourgeois n’était pas si idiote que je croyais…
A dire vrai, je n’ai jamais été un grand fan des idées du philosophe allemand, mais il était cohérent dans son mépris, voire son aversion, pour les valeurs bourgeoises, lui qui se faisait le héraut de la force et la virilité, donc d’un monde dominé par les vertus masculines.
Est-ce à dire que pour retrouver une société d’abondance qui soit enfin “décente”, il nous faudra lutter contre cette “féminisation”? Une réflexion en l’air, comme ça…
@ CVT
[A croire que l’intuition de Friedrich Nietzsche sur la féminisation de la société allant de pair avec l’avènement du capitalisme bourgeois n’était pas si idiote que je croyais…]
Bien entendu. Le parallèle entre notre société et la société victorienne n’est pas oiseux. Il faut se souvenir que le romantisme fut aussi un mouvement d’exaltation des vertus supposées « féminines » (la sensibilité, l’émotion, la proximité avec la nature) par rapport aux vertus dites « masculines » (la force, la rationalité, la ruse). Des choses que vous retrouvez aujourd’hui, si vous regardez bien. Nietzche c’est un peu une révolte contre la dérive romantique, et en cela il est parfaitement actuel.
[Est-ce à dire que pour retrouver une société d’abondance qui soit enfin “décente”, il nous faudra lutter contre cette “féminisation” ? Une réflexion en l’air, comme ça…]
A titre individuel, c’est certainement le combat d’aujourd’hui si l’on veut vivre dans une société civilisée. Mais il faut être conscient que c’est un peu comme lutter contre la marée : la « féminisation » n’est pas le résultat d’un choix de quelques individus, mais d’une transformation de la société. Et c’est pourquoi le combat, même s’il est digne d’être mené, ne peut être qu’un combat de témoignage. Cela étant dit, les marées montent… et puis elles descendent !
@Descartes
> Cela étant dit, les marées montent… et puis elles descendent !
Venant de vous, je ne comprends pas cette phrase. A priori, dans la vision marxienne de l’histoire, il y a une flèche du temps (une économie passée au capitalisme ne retombe pas dans le féodalisme au bout de quelques décennies). Pourquoi pensez-vous qu’on est face à un phénomène cyclique ?
@ Ian Brossage
[« Cela étant dit, les marées montent… et puis elles descendent ! » Venant de vous, je ne comprends pas cette phrase. A priori, dans la vision marxienne de l’histoire, il y a une flèche du temps (une économie passée au capitalisme ne retombe pas dans le féodalisme au bout de quelques décennies). Pourquoi pensez-vous qu’on est face à un phénomène cyclique ?]
Cela mérite en effet une explication. Bien entendu, il y a dans le développement économique de l’humanité une « flèche du temps » tout simplement parce que l’humanité ne peut pas « désapprendre ». En d’autres termes, chaque étape compte avec la connaissance des étapes précédentes, et c’est pourquoi un retour à l’identique est impossible : « un adulte ne peut redevenir enfant sans être puéril ».
Mais sur le plan de l’idéologie, on observe au contraire un mouvement pendulaire. Cela tient au fait que toute nouvelle idéologie a tendance à rechercher sa légitimité dans le passé, et donc à rédécouvrir des idées anciennes et de les réinterpréter pour les remettre au goût du jour. Le rationalisme grec, mis de côté par le christianisme médiéval est « redécouvert » à la Renaissance. Les puritains anglais redécouvrent l’église primitive. Les idées républicaines des romains sont remises au goût du jour à la Révolution.
Ce n’est donc pas le “phénomène” qui est cyclique, mais sa représentation idéologique.
[“Dans la plupart des cultures, c’est la figure du père qui fait le pont entre le monde infantile et celui de l’adulte. C’est lui qui arrache l’enfant aux jupes de sa mère et l’amène vers la cité. C’est ce passage que notre société rejette aujourd’hui.”], rappelez-vous.
Hélas, il semblerait que dans la plupart de ces cas de violences impliquant une jeunesse pour l’essentielle immigrée (de 2e ou 3e génération, mais trop souvent toujours s’identifiant plutôt à des origines si mythiques soient-elles qu’au pays dont on est censément citoyen), les pères justement ne soient pas là du tout, voire vivent ailleurs (au bled ?) du fruit de leur fécondité, fécondité éventuellement multipliée par diverses formes de polygamie ou de concubinage (permises par les antiques idéologies abrahamiques de prolifération) plus ou moins tolérée dans notre république sociale.
Et on se doute bien combien vite faute de père, et donc de repère, l’adolescence finisse par s’auto-socialiser en hordes où ce sont les rivalités entre éphémères dominants du moment qui comptent, dominants d’autant plus sourcilleux d’imposer leur domination qu’ils la savent fragile.
Cette régression culturelle en cours rappelle le “point d’honneur” un peu médiéval (Cf. Shakespeare ou Corneille) au nom duquel depuis la nuit des temps on savait se provoquer et se tuer pour ne “pas perdre la face”, pour l’honneur de la race (au sens de lignée familiale, où pourtant ni pères ni repères ne manquaient). Or, on sait que si la justice (qui n’est pas vengeance) se fait un devoir de s’instruire (le mot est bien choisi) le temps de l’enquête, l’honneur exige réparation sur le champ et combien la rivalité mimétique des petites différences entraîne vite dans sa fatale mécanique.
Comme la technique des smartphones et réseaux sociaux (via la diffusion d’images) permettent les échanges immédiats et tous azimuts des provocations, hontes et autres défis, il est fatal que cela dégénère (encore un mot approprié).
Pour ma part, je ne vois absolument pas comment prévenir ces violences, les empêcher ou y remédier. Car si le seul et évident remède était la mise au travail, l’intégration à un métier dont on pourrait être fier, à une classe de travailleurs à laquelle on pourrait s’identifier pour se créer, ensemble, des lendemains qui chantent, on sait que ce n’est pas demain qu’on en disposera.
Quant à prévenir de telles violences par des violences policières ou judiciaires, on sait qu’elles sont contre-productives.
A se demander si ce n’est pas Riss, dans son dernier édito de Charlie, qui aurait raison de craindre que seule une nouvelle St Barthélémy ne puisse apprendre à ces jeunes “identitaires” (de quartiers, d’origine ou de culture) où peuvent mener les guerres civiles et combien il importe de les éviter, “quoi qu’il en coûte”.
@ Claustaire
[Hélas, il semblerait que dans la plupart de ces cas de violences impliquant une jeunesse pour l’essentielle immigrée (de 2e ou 3e génération, mais trop souvent toujours s’identifiant plutôt à des origines si mythiques soient-elles qu’au pays dont on est censément citoyen), les pères justement ne soient pas là du tout,]
C’est compréhensible. Les immigrés non assimilés essayent de reconstruire en France les logiques sociales du pays d’origine. Mais cette reconstruction ne peut être complète. Ainsi, par exemple, dans la société arabe traditionnelle ce n’est pas le père biologique mais l’oncle maternel (le frère ainé de la mère) qui assure la fonction paternelle. Sauf que dans la famille immigrée reconstituée grâce au regroupement familial, l’oncle en question est généralement absent. Les mécanismes sociaux qui protègent la cellule familiale et assurent sa cohésion ne peuvent pas être reconstitues à l’identique. Et du coup, la famille y est bien plus destructurée que chez les « souchiens » – ou ce n’est déjà pas brillant.
[Cette régression culturelle en cours rappelle le “point d’honneur” un peu médiéval (Cf. Shakespeare ou Corneille) au nom duquel depuis la nuit des temps on savait se provoquer et se tuer pour ne “pas perdre la face”, pour l’honneur de la race (au sens de lignée familiale, où pourtant ni pères ni repères ne manquaient).]
Non, justement. Le « point d’honneur » était une institution, avec des règles précises délimitant qui pouvait se battre avec qui, pour quelles raisons et jusqu’à quel point. Le « point d’honneur » soumettait l’individu à un ensemble de règles qui le rattachaient à un passé, à une histoire, à une lignée. Et qui lui imposaient des limites. C’est d’ailleurs pourquoi la logique de l’honneur se prête à une vision tragique, c’est-à-dire à un récit où les individus sont déterminés par des forces qu’ils ne contrôlent pas.
La « régression culturelle en cours » est celle de l’orgueil primitif, qui n’a qu’une parenté lointaine avec la logique de l’honneur. La logique de l’honneur est une logique de statut dans laquelle on ne peut être insulté que par ses égaux, et ou l’insulte est lavée par des moyens codifiés. L’orgueil primitif est au contraire une logique de guerre de tous contre tous.
[Or, on sait que si la justice (qui n’est pas vengeance) se fait un devoir de s’instruire (le mot est bien choisi) le temps de l’enquête, l’honneur exige réparation sur le champ et combien la rivalité mimétique des petites différences entraîne vite dans sa fatale mécanique.]
Encore une fois, l’honneur codifie et donc évite la violence inutile. D’abord, l’honneur ne permet que le combat entre égaux. Un noble ne peut défier en duel qu’un noble de même rang. Il ne peut défier son seigneur, pas plus qu’il ne peut se battre avec ses serfs. Ensuite, l’honneur est réparé par une violence codifiée. Réunir sa « bande » pour aller frapper celui qui vous a insulté, cela n’a rien de « honorable ». Encore une fois, il ne faut pas confondre la logique de l’honneur avec celle de l’orgueil blessé.
[Comme la technique des smartphones et réseaux sociaux (via la diffusion d’images) permettent les échanges immédiats et tous azimuts des provocations, hontes et autres défis, il est fatal que cela dégénère (encore un mot approprié).]
Je ne vois pas très bien ce que le smartphone change. Les bon vieux « je t’attends à la sortie » proférés en cours de récréation permettaient au moins autant. Pourquoi ne dégénéraient-ils pas, ou du moins plus rarement ?
[Pour ma part, je ne vois absolument pas comment prévenir ces violences, les empêcher ou y remédier. Car si le seul et évident remède était la mise au travail, l’intégration à un métier dont on pourrait être fier, à une classe de travailleurs à laquelle on pourrait s’identifier pour se créer, ensemble, des lendemains qui chantent, on sait que ce n’est pas demain qu’on en disposera.]
Ce n’est pas le seul. Le rétablissement des « statuts », des rituels de passage d’un statut à l’autre, la valorisation du monde adulte seraient déjà des pas importants.
Merci d’avoir utilement rappelé que la notion de “point d’honneur” impliquait un système social très codifié. Votre distinction entre honneur et orgueil me semble aussi salutaire.
Sur la nouveauté entraînée par les smartphones, c’est que la bonne vieille provocation à la “je t’attends à la sortie” (qui impliquait un “je” et un “tu”) a été remplacée par “nous t’attendons à la sortie” ou “mon grand-frère t’attend à la sortie”.
La puissante chambre d’écho que constituent les réseaux dits sociaux + la technologie smartphone donnant à chacun accès à la photo et au film ainsi qu’à leur démultiplication (voire à leur piratage) a visiblement entraîné non seulement la multiplication des occasions de provocations et d’affrontements mais aussi des personnes impliquées ou s’y impliquant.
Question “statuts” : il n’y a qu’à voir combien le statut même d’un enseignant (recruté par des pairs, longuement formé et préparé, longtemps admiré pour la noblesse de sa mission, exercée au sein d’une institution nationale très officielle) s’est effondré à mesure que se dégradaient ses conditions de travail, les conditions de vie de ses élèves et de leurs parents, en même temps que se développait le culte de l’hubris rigolarde (cf. le Cohn-Bendit & Co de 68), de la transgression tous azimuts en même temps du maternage pédago.
Question “rituels” de passage : voir ce qu’est devenu le Bac… dans une société de plus en plus inégale… mais où chacun doit pouvoir se targuer des mêmes droits à la fois à l’égalité formelle et aux différences singulières permettant à chacun de se poser en étalon des souffrances et des injustices subies.
@ Claustaire
[Sur la nouveauté entraînée par les smartphones, c’est que la bonne vieille provocation à la “je t’attends à la sortie” (qui impliquait un “je” et un “tu”) a été remplacée par “nous t’attendons à la sortie” ou “mon grand-frère t’attend à la sortie”.]
Oui, mais quel rapport avec les smartphones ? Si vous me dites que le « combat singulier » – qui est un élément de l’honneur – a été remplacé par un système où tout est permis, je vous l’accorde volontiers. Mais je ne vois pas ce que les smartphones viennent faire dans cette galère.
[La puissante chambre d’écho que constituent les réseaux dits sociaux + la technologie smartphone donnant à chacun accès à la photo et au film ainsi qu’à leur démultiplication (voire à leur piratage) a visiblement entraîné non seulement la multiplication des occasions de provocations et d’affrontements mais aussi des personnes impliquées ou s’y impliquant.]
Je vois mal en quoi le smartphone « multiplierait » les opportunités de conflit. Je pense que le smartphone – et d’une façon plus générale les réseaux sociaux – introduisent une autre dimension : le problème du contrôle de l’image. L’adolescent se trouve pris dans une contradiction entre une injonction à se montrer et à être vu (car si on n’est pas vu et « liké », on n’existe pas) et le fait qu’une fois l’image émise, vous ne la contrôlez plus. Et ce problème ne touche pas que les adolescents… il n’y a qu’à voir la difficulté que peuvent avoir les politiques pour contrôler leur image.
[Question “statuts” : il n’y a qu’à voir combien le statut même d’un enseignant (recruté par des pairs, longuement formé et préparé, longtemps admiré pour la noblesse de sa mission, exercée au sein d’une institution nationale très officielle) s’est effondré à mesure que se dégradaient ses conditions de travail, les conditions de vie de ses élèves et de leurs parents, en même temps que se développait le culte de l’hubris rigolarde (cf. le Cohn-Bendit & Co de 68), de la transgression tous azimuts en même temps du maternage pédago.]
Pardon, pardon. Trouvez-vous que les « conditions de travail » de l’instituteur aujourd’hui sont moins bonnes que celles de l’instituteur que décrit Louis Pergaud ? Que les élèves d’aujourd’hui vivent moins bien que ne vivaient La Crique ou L’Aztec ? Non, bien sur que non. Ce n’est pas par-là que les choses se passent.
Quel est le discours des enseignants sur l’institution éducative depuis la fin des années 1960 ? Ce sont eux qui ont été les premiers à vouer aux gémonies leur propre institution, à parler d’une « société sans école » dans le sillage d’Ivan Illich, à dénoncer l’école des savoirs et a « mettre l’élève au centre du système ». L’hubris rigolard de Cohn-Bendit, ce sont les enseignants qui l’ont fait leur, il ne faudrait pas l’oublier.
L’enseignant a cessé d’être admiré parce qu’il a cessé d’être admirable. L’enseignant de la fin du XIXème et du début du XXème ne se contentait pas de faire ses heures et de pester sur ses primes. C’était d’abord des militants. Ils considéraient comme faisant partie de leur magistère de faire le secrétariat de la mairie ou de prendre leur bâton de pèlerin et affronter les éléments pour aller persuader des parents modestes que leur enfant était doué et qu’il fallait le pousser à faire des études malgré leurs réticences. Et c’est ainsi qu’ils gagnaient le respect de la collectivité. Pas par leurs conditions de travail, o leurs salaires mirobolants (qu’ils n’ont jamais eu d’ailleurs).
[Question “rituels” de passage : voir ce qu’est devenu le Bac… dans une société de plus en plus inégale… mais où chacun doit pouvoir se targuer des mêmes droits à la fois à l’égalité formelle et aux différences singulières permettant à chacun de se poser en étalon des souffrances et des injustices subies.]
Le problème est que là où personne n’échoue, personne ne réussit. Ce sont les deux faces de la même médaille…
On pourra aisément estimer que les conditions de travail d’un instituteur actuel sont meilleures que celui qui enseignait naguère à une classe unique (constituée d’une demi-douzaine de niveaux différents).
Mais, pour avoir enseigné moi-même en collège, j’ai fini aussi, devant une même classe, par (devoir) enseigner à plusieurs niveaux différents d’élèves tant les savoirs, aptitudes et comportements des uns et des autres étaient différents au sein d’une même classe.
Sur le fond, c’est la notion même d’enseignant qui devrait être fondamentalement questionnée : un enseignant, c’est (condition sine qua non) d’abord un adulte qu’un élève écoute. Cet élève est d’abord un enfant à qui des parents ont appris à écouter des adultes (à commencer par eux, les parents).
Par ailleurs, lorsque des adultes se veulent “parents d’élèves” alors qu’ils sont avant tout “parents d’enfants”, il est fatal que cela finisse en conflit de légitimité avec l’adulte chargé d’être “enseignant d’élèves”.
A propos des pères, repères et rites de passage, il est visible que faute de repère ou autres rites sociaux d’initiation ou de passage, nombre de jeune égarés se trouvent, en prison, à la fois un repaire et un rite de passage dans le monde ou le milieu des plus grands… Hélas
@ Claustaire
[On pourra aisément estimer que les conditions de travail d’un instituteur actuel sont meilleures que celui qui enseignait naguère à une classe unique (constituée d’une demi-douzaine de niveaux différents).]
Il n’y a pas que la question de la classe unique. Il est plus facile d’enseigner dans une salle de classe chauffée au gaz et éclairée à l’électricité que dans une salle chauffée au poêle à bois et éclairée à la lampe à pétrole.
[Mais, pour avoir enseigné moi-même en collège, j’ai fini aussi, devant une même classe, par (devoir) enseigner à plusieurs niveaux différents d’élèves tant les savoirs, aptitudes et comportements des uns et des autres étaient différents au sein d’une même classe.]
Ce n’est pas tout à fait la même chose. Dans une classe d’âge, vous pouvez avoir des différences importantes de niveau en termes de savoir, attitudes et comportements. Mais vous avez une certaine homogénéité au niveau des structures mentales. La classe unique regroupe des enfants qui sont à des stades de développement des structures mentales différents.
[Sur le fond, c’est la notion même d’enseignant qui devrait être fondamentalement questionnée : un enseignant, c’est (condition sine qua non) d’abord un adulte qu’un élève écoute. Cet élève est d’abord un enfant à qui des parents ont appris à écouter des adultes (à commencer par eux, les parents).]
On revient sur la formule de Roger Scruton que j’ai cité ici plusieurs fois : « la transmission repose sur le consensus sur trois points : qu’il y a un professeur qui sait, qu’il y a un élève qui ne sait pas, et qu’il y a une connaissance qui vaut la peine d’être connue ».
[Par ailleurs, lorsque des adultes se veulent “parents d’élèves” alors qu’ils sont avant tout “parents d’enfants”, il est fatal que cela finisse en conflit de légitimité avec l’adulte chargé d’être “enseignant d’élèves”.]
Il n’y a pas de « conflit de légitimités ». Simplement, nous sommes passés d’une société de citoyens à une société de clients. Les parents d’élèves – comme les élèves eux-mêmes – se comportent en clients de l’école. Jospin ne croyait pas si bien dire quand il proclamait son intention de « mettre l’élève au centre ». C’est une reformulation du principe « le client est roi ». Dans ce contexte, l’école ne peut instruire. Parce que l’instruction repose précisément sur l’idée que ce n’est pas le client qui décide.
Cette petite phrase m’a permis de me rappelé avoir , il y a quelques années, discuté de la question de l’absence du père avec des gens qui bossaient dans le domaine de la pédopsy.
Ils m’avaient confirmé que l’absence de père, ou le père trop souvent absent, était un réel problème pour la construction de l’enfant, et que ça donnait souvent des problèmes de respect de toute autorité chez les enfants, et potentiellement des individus qui auraient des problèmes de sociabilité.
Etant comme je suis (on ne se refait pas, et Descartes n’est pas le seul que je titille parfois), j’ai commencé à essayer de vérifier si leur théorie se tenait. En prenant par exemple pour le cas des enfants de militaires, dont les pères étaient très souvent absents… Et dont je ne savais pas qu’ils étaient connus pour leur manque de respect de l’autorité.
Ils m’ont confirmé qu’il n’y avait aucun problème avec ses enfants, car l’important est la présence symbolique du père. Un père absent, mais qui est en train de se battre en Afrique, ou même qui est mort au combat, est toujours symboliquement présent. Qui plus est avec une image héroïsée, ce qui aide beaucoup à se construire.
L’exemple inverse qui m’a été donné est celui des pères qui sont en prison, et qui, pour le coup, sont absents eux aussi, mais ne renvoient absolument pas l’image d’un modèle avec lequel se construire.
Bref, mon message n’est, je pense, pas du tout en contradiction avec le votre. Mais j’ai voulu poster cette modeste contribution pour illustrer que, même dans le milieu -pourtant très peu réactionnaire- de la pédopsy, l’importance du rôle d’une image paternelle n’est pas du tout niée. Et aussi pour modérer ce qu’on appelle l’absence du père.
Un point annexe sur lequel je pense qu’il y aura davantage de controverse est la question de savoir s’il est possible de maintenir cette image paternelle tout en vivant dans un monde où les pères s’occupent autant des enfants que les mères, y compris au plus jeune âge, pour leur donner leurs biberons, pour les porter en porte-bébé, etc.
J’ai tendance à “intuiter” qu’il n’y a aucune incompatibilité. Mais je n’ai pas non plus de certitude. Mais je pense que la société gagnerait infiniment à assumer que, même si les pères peuvent partager équitablement la charge d’éducation, ils doivent avoir un rôle qui est davantage de pousser à la compétition, au dépassement, à s’ouvrir sur le monde extérieur. Là où la mère sera meilleure dans la réassurance et le “pouponnage”.
@ Vincent
[Cette petite phrase m’a permis de me rappeler avoir, il y a quelques années, discuté de la question de l’absence du père avec des gens qui bossaient dans le domaine de la pédopsy.
Ils m’avaient confirmé que l’absence de père, ou le père trop souvent absent, était un réel problème pour la construction de l’enfant, et que ça donnait souvent des problèmes de respect de toute autorité chez les enfants, et potentiellement des individus qui auraient des problèmes de sociabilité.]
[Ils m’ont confirmé qu’il n’y avait aucun problème avec ses enfants, car l’important est la présence symbolique du père. Un père absent, mais qui est en train de se battre en Afrique, ou même qui est mort au combat, est toujours symboliquement présent. Qui plus est avec une image héroïsée, ce qui aide beaucoup à se construire.]
Tout à fait. Le problème aujourd’hui n’est pas seulement l’absence physique, mais surtout l’absence symbolique. Lorsqu’il est présent, le père est invité à partager les tâches ménagères, à s’occuper des enfants. Il n’est pas le gagne-pain attitré de la famille, et n’a aucune position particulière. Le discours ambiant est que l’idéal serait de transformer le père en une seconde mère – et que d’ailleurs avoir « deux mamans » n’est pas un problème. C’est donc la présence symbolique du père qui est remise en cause.
On le voyait bien dans beaucoup de familles ouvrières : le père partait souvent travailler lorsque les enfants dormaient encore, et rentrait fatigué le soir alors qu’ils étaient couchés. Il n’avait pas le temps ni l’envie de beaucoup partager avec eux. Mais il était présent non seulement parce qu’il gagnait le pain de sa famille, mais aussi parce que souvent la mère gouvernait en son nom (combien de fois j’ai entendu la menace « je le dirai à ton père… »). Par certains côtés, son statut symbolique dérivait de son éloignement, un peu comme un dieu dont seul le grand prêtre peut recueillir la parole.
[L’exemple inverse qui m’a été donné est celui des pères qui sont en prison, et qui, pour le coup, sont absents eux aussi, mais ne renvoient absolument pas l’image d’un modèle avec lequel se construire.]
Cela dépend. S’il a été mis en prison du fait d’un acte criminel, cela est souvent perçu par les enfants comme un abandon. Mais s’il est par exemple en prison pour des raisons politiques, il peut rester une figure de référence.
[Bref, mon message n’est, je pense, pas du tout en contradiction avec le vôtre. Mais j’ai voulu poster cette modeste contribution pour illustrer que, même dans le milieu -pourtant très peu réactionnaire- de la pédopsy, l’importance du rôle d’une image paternelle n’est pas du tout niée. Et aussi pour modérer ce qu’on appelle l’absence du père.]
Non seulement votre message n’est pas en contradiction avec le mien, mais va dans le même sens. Pour moi, l’absence SYMBOLIQUE du père est bien plus nuisible que son absence PHYSIQUE. Et c’est pourquoi tout le discours néoféministe sur la dilution des rôles est néfaste.
[Un point annexe sur lequel je pense qu’il y aura davantage de controverse est la question de savoir s’il est possible de maintenir cette image paternelle tout en vivant dans un monde où les pères s’occupent autant des enfants que les mères, y compris au plus jeune âge, pour leur donner leurs biberons, pour les porter en porte-bébé, etc.]
Je ne crois pas qu’il y ait de « controverse » là-dessus. La réponse est décidément négative. Pour que la figure paternelle existe, il faut qu’il soit distincte, c’est-à-dire, qu’il y ait une différentiation des rôles. Je suis tout à fait prêt à accepter que la distribution des rôles dans le couple héritée du XIXème siècle ne soit plus adaptée. Mais je suis convaincu qu’il faudrait chercher non pas un partage « égalitaire », mais une nouvelle distribution des rôles plus conforme à une société moderne mais sans effacer la différentiation. Ce qui est aujourd’hui très difficile, puisque cela revient à accepter qu’il existe des rôles prédéterminés par la société, et qui échappent donc à la toute puissance individuelle…
[J’ai tendance à “intuiter” qu’il n’y a aucune incompatibilité. Mais je n’ai pas non plus de certitude. Mais je pense que la société gagnerait infiniment à assumer que, même si les pères peuvent partager équitablement la charge d’éducation, ils doivent avoir un rôle qui est davantage de pousser à la compétition, au dépassement, à s’ouvrir sur le monde extérieur. Là où la mère sera meilleure dans la réassurance et le “pouponnage”.]
Réfléchissez. Si le père et la mère sont à égalité lorsqu’il s’agit de gagner un salaire, s’ils font de façon indifférente les tâches ménagères, s’ils jouent à égalité avec les enfants, s’ils les accompagnent indifféremment à l’école ou dans leurs différentes activités, comment l’enfant pourrait savoir que d’un côté il y a la réassurance et le pouponnage, et de l’autre l’autorité et le monde extérieur ? A moins de faire porter aux membres du couple des badges de couleur différente, je vois mal comment on fait…
Le père est le père parce qu’il est loin. La mère est la mère parce qu’elle est tout près. L’enfant reconnaît la différence parce que leurs comportements, leurs domaines sont différents. Si maman va travailler et papa reste à la maison et fait la cuisine, comment l’enfant se rend compte de qui est qui ?
Vous avez tous eux raison d’insister sur l’importance du “symbolique” dans la construction d’une personnalité, et, comme le souligne la psychanalyse, du “sur-moi” pour la construction d’un “moi”.
Mais du coup, outre la banalisation des divorces de couples parfois à peine géniteurs (et dont la progéniture risquera fort d’être plus ou moins privée de père ou de mère), il faudrait bien que nous finissions par être conscients de vivre une véritable révolution anthropologique avec la manière dont nos lois permettent la programmation d’enfants destinés à être d’office orphelins de “(re)père”.
@ Claustaire
[Mais du coup, outre la banalisation des divorces de couples parfois à peine géniteurs (et dont la progéniture risquera fort d’être plus ou moins privée de père ou de mère),]
A ce propos, je me souviens quand j’étais jeune d’avoir connu des gens de la génération de mes parents qui souhaitaient divorcer mais sont restés ensemble “à cause des enfants”. Autrement dit, ces gens étaient conscients qu’en amenant des enfants au monde ils avaient assumé une responsabilité dont ils ne pouvaient pas se débarrasser pour convenance personnelle. Je pense que dans notre société individualiste, ce cas est devenu beaucoup plus rare…
@Descartes,
Vous m’avez coupé l’herbe sous pied😊!
Autant, voire plus, que la contraception ou l’avortement, le divorce est, depuis l’avènement de la séparation “par consentement mutuel” (joli euphémisme pour signifier la divorce pour faute) la véritable arme de destruction massive de la famille nucléaire, et donc de la toute-puissance symbolique du père…
Parce que si on fie aux statistiques en France, la mère obtient la garde 4 fois sur 5 lors d’un divorce. Et c’est pratiquement partout le même rapport dans les pays occidentaux; cela signifie que c’est désormais la mère qui choisit symboliquement le père de l’enfant…
Les féministes auront beau jeu de dire que les pères ne réclament jamais la garde de leurs enfants, pour autant cela n’en reste pas moins une DISCRIMINATION par rapport au sexe et bizarrement, on entend peu de protestations contre une telle injustice 😈… Possible que ce soit la marque de l’extrême féminisation de la Justice, mais je dois voir le mal partout😬.
Dans un de vos commentaires précédents, vous réclamiez une remise à jour de la répartition des rôles entre hommes et femmes qui tiennent compte de l’évolution de la transformation du rôle de la femme dans le société et le divorce serait un excellent candidat aux changements!!! La balance est désormais très déséquilibrée pour les hommes, qui sont toujours soumis aux mêmes devoirs que du temps de la société “patriarcale”, tout en ayant beaucoup moins de droits et de recours!
Je songe notamment à la pension alimentaire, à l’heure où les femmes sont plus indépendantes et devraient donc être moins rapaces envers les ex-conjoints de bonne foi (je ne demande pas de dispense pour le père, juste des évolutions de barèmes…).
Dans la même veine, mais plus explosif, un autre changement serait le bienvenu, celui de la reconnaissance de paternité dans deux cas: la fausse paternité et la paternité forcée.
Dans le premier cas, celui où un homme élève un enfant qu’il pense être le sien mais qui ne l’est pas, je ne vois pourquoi, en 2021, les tests ADN ne pourraient pas être utilisés pour confirmer le père reconnu est bien le père biologique. Il y a quelque années, cette proposition avait soulevé un taulé en Allemagne, notamment de la part des féministes: on se demande bien pourquoi😈. En France, les tests ADN sont carrément interdits car soi-disants nuisibles à l’intérêt de l’enfant, alors que la mère fautive ne risque rien🤬…
Dans le cas des paternités forcés, en cas de grossesse inattendue, il y a dissymétrie: si la mère veut mettre l’enfant au monde, le père n’a rien à dire et il sera susceptible de payer une pension alimentaire, même s’il ne désire pas garder l’enfant. Dans le cas inverse (rare, c’est vrai…), à savoir si la mère veut avorter mais que le père veut garder l’enfant, même chose: il n’a pas son mot à dire!
Pour moi, symboliquement du moins, les deux “futurs parents” devraient être sur le même pied d’égalité (j’ai dit un gros mot😬) et avoir la même possibilité de renoncer à leurs droits et devoirs parentaux. Pour la mère, les choses sont claires, mais en revanche, pour le père “non-désirant” qui manifeste explicitement sa volonté, il doit pouvoir obtenir, sous certaines conditions, un droit irréfragable de ne pas devenir légalement père, un peu comme cela était le cas avec les naissances sous X…
Je suis un doux rêveur et un grand naïf: dans cette société gangrénée par la tyrannie féministe, qui est l’archétype de l’idéologie ad hoc qui veut pour les femmes toujours plus de droits, voire de privilèges, que les hommes, et avec toujours moins de devoirs…
@ CVT
[Autant, voire plus, que la contraception ou l’avortement, le divorce est, depuis l’avènement de la séparation “par consentement mutuel” (joli euphémisme pour signifier le divorce pour faute) (…)]
Je ne comprends pas très bien ou est « l’euphémisme ». Le divorce pour faute existe depuis la Révolution. Le divorce « par consentement mutuel » permet la dissolution du mariage dans les cas où aucune faute ne peut être reprochée par un conjoint à l’autre. Vous noterez d’ailleurs que le divorce par consentement mutuel existait de facto bien avant son entrée dans les textes : les époux se mettaient d’accord pour que l’un reconnaisse une faute imaginaire, et le divorce était prononcé à ses torts, l’autre ne demandant pas de réparation.
[(…) la véritable arme de destruction massive de la famille nucléaire, et donc de la toute-puissance symbolique du père…]
Je ne crois pas qu’on puisse parler de « toute-puissance symbolique du père ». La puissance symbolique de la mère était au moins aussi importante, sinon plus. Mais sur le fond de votre commentaire, je pense que vous prenez le symptôme pour la cause. En général, les institutions juridiques ne précèdent pas les changements de la société, elles les suivent. Les éléments économiques qui consolidaient la famille nucléaire – c’est-à-dire, la division du travail – ayant disparu, il est normal que l’institution devienne plus précaire.
Au XIXème siècle, une femme ne pouvait pas vivre sans un homme qui ramenait son salaire, un homme ne pouvait pas vivre sans une femme pour tenir sa maison – car l’économie domestique restait très importante. Le mariage n’était donc pas seulement une question d’amour, mais un contrat économique. Et cela le rendait infiniment plus solide. On ne divorçait que lorsque la situation devenait vraiment intenable, parce que le divorce impliquait pour l’homme comme pour la femme des difficultés économiques importantes, sans compter le problème des enfants sur lesquels on comptait pour vous entretenir dans vos vieux jours…
[Parce que si on fie aux statistiques en France, la mère obtient la garde 4 fois sur 5 lors d’un divorce. Et c’est pratiquement partout le même rapport dans les pays occidentaux ; cela signifie que c’est désormais la mère qui choisit symboliquement le père de l’enfant…]
Pas tout à fait. Le père, même divorcé, reste le père. Et tant qu’il est présent, il est rare que le beau-père choisi par la mère puisse jouer ce rôle. L’enfant sait très bien d’ailleurs combien le statut du beau-père est précaire, puisque comme vous dites la femme peut choisir de le rejeter à tout moment. Curieusement, l’instabilité des couples tend à renforcer l’importance symbolique des liens de sang, puisque c’est la seule chose « stable » qui reste. A ce propos, regardez ce que donne le débat sur les « nés sous X », qui pendant des siècles se sont contentés de ne pas connaître leur parent biologique, et qui aujourd’hui réclament à cor et à cri cette possibilité.
[Les féministes auront beau jeu de dire que les pères ne réclament jamais la garde de leurs enfants, pour autant cela n’en reste pas moins une DISCRIMINATION par rapport au sexe et bizarrement, on entend peu de protestations contre une telle injustice 😈… Possible que ce soit la marque de l’extrême féminisation de la Justice, mais je dois voir le mal partout😬.]
En effet. Je pense plutôt que le modèle « ancien » de parentalité reste, quoi qu’en disent les néoféministes, très fort dans notre société. Une mère qui élève seule ses enfants est bien plus protégée par la société qu’un père qui veut assumer le même rôle. De la même façon qu’une femme qui dénonce des violences familiales est accueillie avec attention, alors qu’un homme qui viendrait au commissariat pour dénoncer la même chose serait objet de ridicule.
[Dans la même veine, mais plus explosif, un autre changement serait le bienvenu, celui de la reconnaissance de paternité dans deux cas : la fausse paternité et la paternité forcée.
Dans le premier cas, celui où un homme élève un enfant qu’il pense être le sien mais qui ne l’est pas, je ne vois pourquoi, en 2021, les tests ADN ne pourraient pas être utilisés pour confirmer le père reconnu est bien le père biologique.]
Ce que vous réclamez existe déjà. La présomption irréfragable de paternité est opposable à tous… sauf au père lui-même, qui peut la contester et prouver par n’importe quel moyen qu’il n’est pas le père. La présomption irréfragable n’est pas destinée à imposer à un homme une « fausse paternité » dont il ne voudrait pas, mais au contraire de protéger sa décision d’assumer une telle paternité vis-à-vis d’une contestation par des tiers. Et c’est important que l’enfant sache que si celui qu’il pense être son père l’aime, le lien qui l’unit à lui est protégé même s’il est fictif.
[En France, les tests ADN sont carrément interdits car soi-disants nuisibles à l’intérêt de l’enfant, alors que la mère fautive ne risque rien🤬…]
Je pense que le but des lois est de protéger les gens plus que de punir des fautes. Les tests ADN sont nuisibles parce qu’ils créent une incertitude. Un enfant a besoin de savoir que le lien qui le lie à ses parents est solide et incontestable. Le test ADN ouvre la porte précisément à la contestation de ces liens.
[Dans le cas des paternités forcés, en cas de grossesse inattendue, il y a dissymétrie : si la mère veut mettre l’enfant au monde, le père n’a rien à dire et il sera susceptible de payer une pension alimentaire, même s’il ne désire pas garder l’enfant. Dans le cas inverse (rare, c’est vrai…), à savoir si la mère veut avorter mais que le père veut garder l’enfant, même chose : il n’a pas son mot à dire !]
Dans le premier cas, le droit à prévu la solution. La présomption de paternité n’est irréfragable que vis-à-vis des tiers, mais pas du mari qui peut la contester. Le deuxième cas est plus épineux, parce que si un enfant se fait à deux, la décision de mettre fin à son développement devrait être partagée. Cependant, il faut faire preuve d’un minimum de sens pratique : quelle serait la psychologie d’un enfant qui naîtrait malgré le désir de sa mère de mettre fin à sa vie ?
[Pour moi, symboliquement du moins, les deux “futurs parents” devraient être sur le même pied d’égalité (j’ai dit un gros mot😬) et avoir la même possibilité de renoncer à leurs droits et devoirs parentaux.]
C’est impossible. La biologie étant ce qu’elle est.
@Descartes,
Je devrais me relire encore plus rigoureusement😳. Dans le passage suivant, il y a une coquille qui change complètement la nature de mon argument, et que je souhaiterais corriger:
En fait, je voulais signifier précisément l’inverse, à savoir “d’un joli euphémisme pour signifier la fin du divorce pour faute”, réforme du code pénal votée en 1975.
C’est bien la fin du divorce pour faute qui est à l’origine de l’augmentation spectaculaire des divorces: plus d’un mariage sur deux au bout de dix ans, sachant qu’il est réclamé 8 fois sur 10 par les femmes.
C’est en ce sens-là que c’est une arme de destruction massive du “patriarcat”… Et c’est logique: à partir du moment où l’autorité paternelle a disparu du droit, la femme peut donc quitter le foyer sans trop de casse pour elle et l’autorité du père biologique est désormais révocable sur un plan pratique. Et comme vous le signalez plus haut, le statut du beau-père est fragile, fragilité d’autant plus confirmée par la loi car il n’a aucune autorité sur ses beaux-enfants…
Moi, j’aurais plutôt tendance à penser que, dans la société féminisée actuelle, sur le plan symbolique, le père biologique d’un enfant est dévalorisé au point d’être mis EXACTEMENT sur le même plan que ses beaux-pères. C’est en cela que j’affirmais que c’est bien la mère qui désignait le Père (au sens symbolique du terme).
C’est d’autant plus vrai qu’en pratique, avec l’envolée du nombre de familles dites recomposées, il arrive même assez souvent que le beau-père soit présent plus longtemps dans la vie de l’enfant que son père biologique. Lien du sang ou non, et dans ce cas, le rôle du Père devient alors plus abstrait, et encore plus livré à l’arbitraire de la mère. C’est à ce point vrai que certain-e-s (je suis d’humeur très inclusive 😈😬 ) pensent même pouvoir le remplacer par…UNE FEMME!!! Même notre cher Président de la République l’a affirmé l’été dernier, en défense de sa loi visant à légaliser la PMA non thérapeutique.
Vous prêchez un convaincu😬.
J’ai parlé plus haut de la PMA dite pour toutes, et cela va exactement à l’encontre de cette revendication de levée d’anonymat! Dans cette affaire, le plus insupportable, c’est l’incohérence, étant qu’aucune solution n’est vraiment convaincante à la base.
Justement, non: au moins, on serait fixé sur qui est le père (…ou pas)! Pour moi, les tests ADN devraient être obligatoires lors de la rédaction des certificats de naissance, indépendamment du statut marital des deux parents. En clair, le mariage civil ne sera plus une présomption de paternité; encore une de ses attributions qui tombe, mais ce n’est pas bien grave, puisqu’aujourd’hui, il n’offre plus grand chose😬…
Sans compter que même si on ne veut pas “punir”, pourquoi un homme qui apprendrait qu’il n’est pas le père biologique de son enfant serait-il, en cas de séparation probable avec sa mère, contraint par la justice de payer une pension alimentaire pour la progéniture d’un autre?
J’entends bien l’interêt de l’enfant passe avant celui du père légal, mais pourquoi c’est systématiquement le père qui doit trinquer? Et surtout cerise moisie sur le gâteau pourri, la mère fautive demeure protégée des conséquences de sa faute (qui était un délit jusqu’en 1975): en quoi est-ce juste?
Bizarrement, cet intérêt de l’enfant passe soudain à la trappe dès qu’il s’agit des revendications pour étendre à l’infini les droits des femmes: divorce, PMA dite “pour toutes”, etc…
Je ne dis pas le contraire 😊: je voudrais juste qu’on mette fin à certains déséquilibres, pour ne pas dire injustices, en termes de droits et de devoirs pour les parents là où c’est possible.
@ CVT
[C’est bien la fin du divorce pour faute qui est à l’origine de l’augmentation spectaculaire des divorces : plus d’un mariage sur deux au bout de dix ans, sachant qu’il est réclamé 8 fois sur 10 par les femmes.]
Au risque de me répéter : ce qui faisait la solidité du mariage, c’était son caractère de contrat économique. Dans un monde ou les époux étaient COMPLEMENTAIRES, il était difficile pour les deux époux de se séparer sans baisser considérablement sa qualité de vie. Dès lors que le mariage devient une question d’amour, l’instabilité ne peut que devenir la règle. Souvenez de ce qu’écrivait André Mauroios : « il est plus facile de mourir pour la femme qu’on aime que de vivre avec elle ».
[C’est en ce sens-là que c’est une arme de destruction massive du “patriarcat”… Et c’est logique: à partir du moment où l’autorité paternelle a disparu du droit, la femme peut donc quitter le foyer sans trop de casse pour elle et l’autorité du père biologique est désormais révocable sur un plan pratique. Et comme vous le signalez plus haut, le statut du beau-père est fragile, fragilité d’autant plus confirmée par la loi car il n’a aucune autorité sur ses beaux-enfants…]
Il n’est pas si facile que cela de « révoquer » l’autorité du père. Le divorce peut effacer sa présence physique, mais plus difficilement sa présence symbolique. Et on voit quelles sont les difficultés des mères qui élèvent seules leurs enfants lorsqu’il y a absence.
[C’est d’autant plus vrai qu’en pratique, avec l’envolée du nombre de familles dites recomposées, il arrive même assez souvent que le beau-père soit présent plus longtemps dans la vie de l’enfant que son père biologique. Lien du sang ou non, et dans ce cas, le rôle du Père devient alors plus abstrait, et encore plus livré à l’arbitraire de la mère. C’est à ce point vrai que certain-e-s (je suis d’humeur très inclusive 😈😬 ) pensent même pouvoir le remplacer par…UNE FEMME!!! Même notre cher Président de la République l’a affirmé l’été dernier, en défense de sa loi visant à légaliser la PMA non thérapeutique.]
On verra ce que cela donnera quand ces enfants là deviendront à leur tour adultes.
[Justement, non: au moins, on serait fixé sur qui est le père (…ou pas)! Pour moi, les tests ADN devraient être obligatoires lors de la rédaction des certificats de naissance, indépendamment du statut marital des deux parents. En clair, le mariage civil ne sera plus une présomption de paternité; encore une de ses attributions qui tombe, mais ce n’est pas bien grave, puisqu’aujourd’hui, il n’offre plus grand chose😬…]
En d’autres termes, un enfant qui sort de la maternité aujourd’hui avec la conviction qu’il a un père et une mère et que leur lien est incontestable sortirait avec la certitude que son père n’est pas son père biologique. Qu’est-ce qu’il aura gagné ? Vous savez, quelquefois les fictions sont utiles…
A ce propos, je me souviens quand j’étais jeune d’avoir connu des gens de la génération de mes parents qui souhaitaient divorcer mais sont restés ensemble “à cause des enfants”. Autrement dit, ces gens étaient conscients qu’en amenant des enfants au monde ils avaient assumé une responsabilité dont ils ne pouvaient pas se débarrasser pour convenance personnelle. Je pense que dans notre société individualiste, ce cas est devenu beaucoup plus rare…
Je connais des trentenaires qui raisonnent exactement comme cela. Par exemple qui veulent bien se marier mais pas faire d’enfants, car ils trouvent que c’est un peu lourd, en termes d’engagement. Ou dans la même situation, qui considèrent que la séparation n’est pas une option tant que les enfants n’ont pas plus de 20 ans.
Peut-être qu’il y a eu un saut de génération, et qu’il y a une aspiration croissante dans les générations plus jeunes à revenir vers un ordre plus traditionnel ?
@ Vincent
[Peut-être qu’il y a eu un saut de génération, et qu’il y a une aspiration croissante dans les générations plus jeunes à revenir vers un ordre plus traditionnel ?]
Dans certains milieux, c’est incontestable.
@CVT
Si je comprends bien, vous souhaitez que la paternité soit avant tout quelque chose de biologique ?
Je suis assez choqué par cette idée. Je pense au contraire qu’on laisse aujourd’hui une place bien trop importante à la reconnaissance génétique de paternité.
Qu’un Yves Montand ait été déterré pour faire un test de reconnaissance génétique d’une personne dont il a toujours, de son vivant, nié être le père, me choque énormément.
Là où je vous j’irai peut être dans le même sens que vous, c’est sur l’assymétrie :
Si une femme a une relation occasionnelle avec un homme, qui ne veut pas d’enfant, et qu’elle assure celui ci qu’elle prend bien un contraceptif (alors qu’au contraire, elle n’en prend pas et est en pleine période de fertilité)… Elle peut lui faire un enfant dans le dos. Et une fois celui ci né, l’assigner devant les tribunaux pour obtenir une pension alimentaire.
Le père n’a aucun moyen d’action pour éviter cela. Alors qu’à l’inverse, la mère dispose de la contraception, et de l’IVG.
Dans l’ancien temps, en cas de relation, quand il n’y avait ni contraception, ni IVG, ni tests génétiques, la situation était complètement inverse, et un homme pouvait promettre tout ce qu’il voulait sur les enfants à naître, sans risquer d’être recherché. Mais la dissymétrie s’est inversée.
A mon sens, lors de la déclaration de grossesse, il faudrait que les femmes (non mariées) déclarent le nom du père, et que celui ci signe également la déclaration de grossesse. Et si la femme remplit une déclaration de grossesse sans avoir déclaré de père, elle renonce de ce fait à chercher à faire reconnaitre la paternité à quelqu’un qui ne le voudrait pas.
Dès lors, les teste génétiques seraient inutiles en toutes circonstances (je veux dire hors enquêtes criminelles).
@ Vincent
[Si je comprends bien, vous souhaitez que la paternité soit avant tout quelque chose de biologique ?
Je suis assez choqué par cette idée. Je pense au contraire qu’on laisse aujourd’hui une place bien trop importante à la reconnaissance génétique de paternité.]
Deux remarques. La première est que ce qu’on « souhaite » dans ce domaine ne peut faire abstraction de ce que les gens souhaitent. Or, les débats autour du « droit aux origines » montre combien l’origine biologique compte pour les individus, combien elle est profondément inscrite dans la psyché humaine. Le législateur peut-il ignorer ce fait ?
Mais surtout, et c’est ma deuxième remarque, vous ignorez un élément fondamental : le droit n’est pas fait chez nous pour protéger le père ou la mère, mais pour protéger l’enfant. Le problème de la parentalité « élective », c’est qu’elle est fondamentalement précaire. Si votre père est celui qui a choisi de vous aimer et de vous élever, vous ne pouvez pas échapper au fait qu’il aurait pu faire le choix inverse. Or, cette incertitude, cette peur de l’abandon, est un sérieux problème qui apparaît régulièrement dans les enfants adoptés. Si vos parents vous ont choisi, alors vous ne pouvez pas ignorer le fait qu’ils auraient pu – et peuvent encore ? – choisir quelqu’un d’autre à votre place. L’avantage du lien biologique, c’est qu’il ne dépend pas de la volonté des parties. Fonder la paternité sur la biologie, c’est lui donner un caractère objectif.
[Qu’un Yves Montand ait été déterré pour faire un test de reconnaissance génétique d’une personne dont il a toujours, de son vivant, nié être le père, me choque énormément.]
On peut le voir comme quelque chose d’excessif. Mais quelle est l’option inverse ? Celle ou un parent pourrait rejeter un enfant selon son bon plaisir et le priver de tout secours ?
[Là où je vous j’irai peut-être dans le même sens que vous, c’est sur l’asymétrie :
Si une femme a une relation occasionnelle avec un homme, qui ne veut pas d’enfant, et qu’elle assure celui-ci qu’elle prend bien un contraceptif (alors qu’au contraire, elle n’en prend pas et est en pleine période de fertilité)… Elle peut lui faire un enfant dans le dos. Et une fois celui-ci né, l’assigner devant les tribunaux pour obtenir une pension alimentaire.]
Oui. Mais je vous rappelle que le code civil a été fait en pensant non aux parents, mais à l’enfant. Et c’est pour cela qu’il est rédigé de manière à augmenter autant que possible le nombre de personnes qui lui doivent des aliments. C’est d’ailleurs pourquoi à une époque ou l’on ne pouvait pas établir avec certitude la paternité une femme pouvait demander des aliments pour son enfant à TOUS les hommes avec lesquels elle a avait eu des rapports pendant la période de conception, c’est-à-dire, à tous ceux qui auraient pu potentiellement être le père de l’enfant. Et en cela, le code civil est parfaitement symétrique : le père et la mère doivent des aliments en égale mesure.
@Vincent,
Comme le disait l’hôte de ce site, avec l’évolution des moeurs de notre société féministe hyper-subjective et hyper-affective, les liens du sang sont désormais les seuls qui soient OBJECTIFS: par défaut, la paternité est biologique; c’est une donnée qui n’a cure de mes souhait ou de mes opinions. En revanche, la paternité symbolique est une construction sociale qui n’aurait aucun sens sans l’existence de sa version biologique.
Je ne rejette nullement les liens symboliques comme l’adoption légale; en revanche, je m’oppose à l’idée que la paternité symbolique devienne CONTINGENTE, et plus précisément, qu’elle relève du seule bon vouloir de la mère.
Enfin, il ne faut pas se voiler la face: les tests ADN en vente libre, très répandus sur Internet, sont en train de solder la question de la véracité de la paternité, même si ces kits de test demeurent illégaux en France dans le cadre des affaires relevant du droit civil. Cependant, je ne doute pas une seconde, qu’à l’image de la GPA, certains soient déjà en train de contourner la loi pour y avoir recours… Ce n’est donc qu’une question de temps avant qu’ils ne soient accessibles légalement au grand public en France comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis.
Bizarrement, dans notre époque pétrie d’hédonisme et de nombrilisme, les gens sont très friands de ces tests ADN pour connaître leur généalogie, se découvrir leurs “illustres ancêtres” ainsi que des lointains cousins encore en vie dans ce bas-monde…
@ CVT
[Ce n’est donc qu’une question de temps avant qu’ils ne soient accessibles légalement au grand public en France comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis.]
Admettons. Répondez-moi la main sur le cœur, s’il vous plaît : si demain un test ADN devenait disponible, demanderiez-vous à le faire ? Chercheriez vous à établir sans le moindre doute votre filiation, ou bien laisseriez-vous les choses comme elles sont, et continueriez à vivre avec votre part d’incertitude ?
Je pense connaître la réponse : c’est non. En tout cas, je sais qu’il ne me viendrait pas à l’idée de le faire. Je préfère continuer à vivre dans la fiction que je suis le fils de celui que j’ai toujours considéré mon père, alors même que la ressemblance n’est pas frappante… qu’est ce que je gagnerais à la remettre en cause ? Faire de la peine à mes parents ? M’imposer l’angoisse du « ce que j’aurais pu être si je n’étais pas ce que je suis » ? A quoi bon ?
@Descartes, CVT
C’est un bon argument : il faut se préoccuper de ce que les gens veulent.
Mais vous conviendrez avec moi que, entre ce que le citoyen veut imposer comme loi, car il le considère souhaitable pour la collectivité, et ce que l’individu a envie de faire tant que la loi ne le lui interdit pas, il y a une nuance, pas toujours si fine que cela.
Est ce que les français approuvent majoritairement l’interdiction du travail au noir ? Oui, bien évidemment. Est ce que la majorité des français n’y a absolument jamais eu recours… j’ai plus de doutes…
Pour l’établissement de la loi, ce qui importe est l’opinion du citoyen, et l’appétence de certains individus pour des tests génétiques n’indique pas, à mon sens, qu’une majorité souhaite détruire la filiation actuelle.
Je pense que vous n’avez pas bien compris ma proposition. C’est exactement l’inverse.
Quand un couple est marié, il n’y a pas de problème : le mari est le père, point barre. Et il n’y a aucune précarité pour l’enfant.
Mais il faut prendre acte de ce qu’il y a beaucoup de naissances hors mariage, et offrir à l’enfant la même sécurité dans le cas des couples non mariés. D’où la nécessité pour le père de reconnaître l’enfant tôt pendant la grossesse, et cette reconnaissance est aussi définitive que l’est la reconnaissance de paternité dans le cas d’un mariage.
Qui plus est en mettant cette reconnaissance à un moment où l’avortement est encore possible, cela fait que la mère peut être assurée que son enfant aura un père qui le reconnaît au moment où elle décide de ne pas avorter.
Justement, dans ma proposition, il n’y a pas de possibilité de renier l’enfant “adopté” par le père avant sa naissance. Il s’agit juste de maintenir le principe actuel, mais au lieu que la reconnaissance de paternité se fasse juste après la naissance, elle se fasse avant.
A moins d’imposer le mariage pour avoir le droit de procréer, je vois mal ce qui pourrait davantage sécuriser l’enfant…
L’option inverse est que le “père” n’ayant jamais considéré avoir été le père, il n’est pas le père, quoi qu’en dise la biologie.
Il me semble qu’il s’agit d’un archaïsme à l’époque de la contraception, de l’avortement, et des allocations et différentes aides pour les parents isolés…
@ Vincent
[Mais vous conviendrez avec moi que, entre ce que le citoyen veut imposer comme loi, car il le considère souhaitable pour la collectivité, et ce que l’individu a envie de faire tant que la loi ne le lui interdit pas, il y a une nuance, pas toujours si fine que cela.]
Tout à fait d’accord. C’est pour cette raison que je rejette la démocratie directe et que j’adhère au système représentatif. Le représentant sert précisément à créer une barrière entre ce que les individus veulent pour eux-mêmes et ce que les citoyens veulent collectivement pour leur société. Sa fonction est maïeutique.
[Pour l’établissement de la loi, ce qui importe est l’opinion du citoyen, et l’appétence de certains individus pour des tests génétiques n’indique pas, à mon sens, qu’une majorité souhaite détruire la filiation actuelle.]
C’est pourquoi l’effet matériel de l’autorisation des testes ADN serait minime. Mais l’effet symbolique serait, lui, important. En les légalisant, notre société proclamerait que la fiction sur laquelle repose la filiation n’existe plus.
[Je pense que vous n’avez pas bien compris ma proposition. C’est exactement l’inverse.
Quand un couple est marié, il n’y a pas de problème : le mari est le père, point barre. Et il n’y a aucune précarité pour l’enfant.]
En d’autres termes, vous soutenez la présomption irréfragable de paternité dans le mariage ?
[Mais il faut prendre acte de ce qu’il y a beaucoup de naissances hors mariage, et offrir à l’enfant la même sécurité dans le cas des couples non mariés. D’où la nécessité pour le père de reconnaître l’enfant tôt pendant la grossesse, et cette reconnaissance est aussi définitive que l’est la reconnaissance de paternité dans le cas d’un mariage.]
Mais c’est déjà le cas aujourd’hui. Pour une naissance hors mariage, l’enfant n’a de père connu que si celui-ci le reconnaît. Et la reconnaissance peut précéder la naissance. Je ne comprends pas très bien ce que vous voudriez changer…
[Il me semble qu’il s’agit d’un archaïsme à l’époque de la contraception, de l’avortement, et des allocations et différentes aides pour les parents isolés…]
Les aides et allocations sont prises en compte lorsqu’il s’agit de discuter les « aliments » dus par les parents.
Presque rien en fait. Dans le cas des couples mariés, pour moi, aucun changement à faire.
Dans les autres cas, la reconnaissance de paternité est possible avant la naissance, mais il s’agit de quelque chose de distinct de la déclaration de grossesse. L’objectif est de mettre les deux en même temps, de manière que, quand la mère dépose sa déclaration de grossesse, elle coche bien la case “naissance sans père déclaré” sur sa déclaration.
Si jamais un père se présente après coup, que la mère reconnait comme tel, très bien. Mais si la mère a délibérément choisi de conserver son enfant sans père, ce faisant, elle renonce à forcer qui que ce soit à reconnaitre la paternité contre sa volonté.
C’est pour moi la logique inverse de celle de CVT. CVT voudrait (si je comprends bien) que le père ait un droit de regard sur les choix d’avortement, étant donné qu’il aura à assumer les responsabilités de père après la naissance.
Je considère pour ma part qu’il s’agit d’une décision qui ne peut être que celle de la mère. Mais, sur une logique symétrique, je considère qu’un père qui ne veut pas reconnaitre d’enfant à naitre ne peut pas être tenu d’assumer les conséquences d’une décision prise par la mère seule.
@ Vincent
En d’autres termes, vous voudriez donner aux hommes une sorte d’avortement administratif: la femme peut toujours décider d’avoir ou non un enfant, mais l’homme peut décider s’il accepte ou non les devoirs de paternité.
@Vincent et Descartes
Et bien c’est très exactement ce que je réclame.
Je n’entends absolument pas limiter la liberté de la mère à avorter; je voulais juste faire comprendre que le père était pieds et poings à la décision de la mère, et qu’il sera plus tard sans recours devant la justice si celle-ci le traîne devant un tribunal en le désignant comme père biologique alors qu’il a manifesté à plusieurs reprise son refus de paternité.
@Descartes,
merci pour toutes vos réponses.
Je ne conteste nullement l’aspect patrimonial du mariage, ainsi que la transmutation du mariage de raison en mariage d’amour.
Toutefois, il faut bien admettre qu’aujourd’hui, la perte de revenus et donc la baisse de niveau de vie, notamment pour les enfants, ne dissuadent plus les époux de se séparer. L’envolée du nombre de parents célibataires (dans les faits, des mères célibataires…), est l’une des évolutions majeures de nos sociétés occidentales.
Ce phénomène est même littéralement promu par notre société féministe: par exemple, la future réforme de la PMA dite “pour toutes”, décidément bien “utile”, s’appliquera également aux femmes célibataires…
Sinon, votre remarque sur la complémentarité des époux soulève en moi une question à laquelle j’ai du mal à trouver une réponse satisfaisante. Si, jadis, le mariage de raison allait de pair avec la différenciation des rôles du Père et de la Mère, notre époque loue le mariage d’amour, et en même temps (😬), exige l’INDIFFERENCIATION de ces mêmes rôles. Comment arriver à concilier ces deux dernières revendications, que je trouve antinomiques? Peut-être que le mâle noir cis-genre que je suis a l’imagination bornée et pense que l’amour requiert justement la différence des sexes, tant biologique que symbolique; mais j’ai peur que certains censeurs me fassent un procès en LGBTQI*phobie 😬😈…
Vous me trouverez probablement cruel, mais dans ce cas particulier, je conteste l’idée d’une fiction utile. Avant tout, est-ce vraiment dans l’intérêt de l’enfant de vivre dans un mensonge?
Sans compter que le père élèvera cet enfant précisément parce qu’il sera convaincu qu’il est de lui, et il se saignera aux quatre veines pour lui jusqu’à sa majorité. Par conséquent, il a le droit de savoir dans quoi il met les pieds. Enfin, je pense que la mère doit être mise devant ses responsabilités en cas de fausse paternité. Ce genre d’infidélités finit presque toujours par se savoir, et les conséquences seront d’autant plus dévastatrices qu’elles seront découvertes tardivement…
Vous rappelez assez souvent que le mariage avait été instauré à l’origine pour donner un cadre légal à la famille, mais également sanctionner l’adultère, et donc prévenir justement ce cas de figure: dès lors que la technique permet de prouver la faute, pourquoi ne pas y avoir recours?
@ CVT
[Toutefois, il faut bien admettre qu’aujourd’hui, la perte de revenus et donc la baisse de niveau de vie, notamment pour les enfants, ne dissuadent plus les époux de se séparer. L’envolée du nombre de parents célibataires (dans les faits, des mères célibataires…), est l’une des évolutions majeures de nos sociétés occidentales.]
Oui. Mais cela tient surtout au fait que la « baisse de niveau de vie » – en fait, il faudrait plutôt parler de qualité de vie – dont vous parlez est en fait relativement limitée. Il ne faut pas oublier ce qu’était l’économie domestique du temps de nos grand-mères ou de nos arrière-grand-mères, quand pour manger un poulet il fallait le tuer et le plumer soi-même… Le plat préparé et le four microondes a fait bien plus pour déstabiliser le couple que le mariage par consentement mutuel.
Je me souviens d’une conversation entre ma grand-mère et une amie à elle qui songeait à divorcer. Ma grand-mère ne voyait pas le problème : « en quoi est-ce un mauvais mari ? Il te frappe ? Non. Il boit la paye ? Non, il la ramène religieusement à la maison. Qu’est ce que tu veux de plus ? ».
[Peut-être que le mâle noir cis-genre que je suis a l’imagination bornée et pense que l’amour requiert justement la différence des sexes, tant biologique que symbolique; mais j’ai peur que certains censeurs me fassent un procès en LGBTQI*phobie 😬😈…]
Je le crains, en effet. La doxa actuelle confond « différent » et « inégal ». Et au nom de l’égalité refuse la différence. La promotion de l’amour homosexuel « à égalité » avec l’amour hétérosexuel fait partie de cette confusion. L’amour homosexuel, parce qu’il ne peut aboutir à la procréation, est DIFFERENT de l’amour hétérosexuel. Cela n’implique pas d’établir une HIERARCHIE entre les deux, simplement ils sont différents. Et pourtant on cherche à les encadrer par les mêmes institutions…
[Vous me trouverez probablement cruel, mais dans ce cas particulier, je conteste l’idée d’une fiction utile. Avant tout, est-ce vraiment dans l’intérêt de l’enfant de vivre dans un mensonge ?]
Je fais une différence entre un mensonge et une fiction. Quand vous dites à votre enfant que le Père Noël lui amène les cadeaux, s’agit-il d’un « mensonge » ? Ni le parent ni l’enfant n’y croient vraiment (au sens où l’on « croit » que Napoléon est mort à Sainte-Hélène ou que le soleil se lèvera demain). C’est une forme de convention ou chacun fait semblant de croire.
Et puis, oui, c’est l’intérêt de l’enfant de vivre dans une fiction si le fait de connaître la vérité ne lui apporte rien. Pourquoi croyez-vous que l’homme fabrique des fictions depuis le début de l’histoire humaine ?
[Sans compter que le père élèvera cet enfant précisément parce qu’il sera convaincu qu’il est de lui, et il se saignera aux quatre veines pour lui jusqu’à sa majorité. Par conséquent, il a le droit de savoir dans quoi il met les pieds. Enfin, je pense que la mère doit être mise devant ses responsabilités en cas de fausse paternité. Ce genre d’infidélités finit presque toujours par se savoir, et les conséquences seront d’autant plus dévastatrices qu’elles seront découvertes tardivement…]
Je ne le crois pas. Personnellement, si je découvrais demain que celui que j’ai toujours considéré comme mon père ne l’était pas au sens biologique du terme, cela ne me « dévasterait » pas le moins du monde. Pourquoi je devrais ? Il a joué le rôle du père, et j’y ai cru. Et cette croyance m’a permis de me structurer comme adulte. Qu’est ce que cela changerait d’apprendre que tout était une fiction ?
[Vous rappelez assez souvent que le mariage avait été instauré à l’origine pour donner un cadre légal à la famille, mais également sanctionner l’adultère, et donc prévenir justement ce cas de figure: dès lors que la technique permet de prouver la faute, pourquoi ne pas y avoir recours?]
Je ne crois pas d’avoir dit que le mariage avait été créé pour « sanctionner l’adultère ». Le mariage a été créé pour protéger l’institution de la filiation. L’adultère est puni lorsqu’il devient public, mais toutes les sociétés l’ont abondamment pratiqué en privé. S’il est puni lorsqu’il devient public, c’est parce qu’il menace la fiction, et non la réalité de la filiation.
@Descartes
“L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans éloignement”
[de Gaulle]
Je parlais de la situation française aujourd’hui. Et je ne crois pas que celles ci soient peuplées de prisonniers politiques. Mais si je pense à, par exemple, l’ancien cadre d’Alstom qui a été emprisonné aux USA, oui, sans doute ne peut il pas être mis dans la même case que les prisonniers.
Je ne pense pas que le fait de travailler soit -en soit- un problème. Après, je pense qu’il y a plusieurs manière de s’occuper d’eux. Un père emenant ses enfants au parc pourra plus les pousser au dépassement, à escalader des choses un peu difficiles, à dépasser ses peurs. Là où la mère pourra plus jouer à des jeux de rôles.
Combien de fois ai-je entendu des femmes me dire : “oh, tu es dur” quand je m’occupais de mes enfants en bas âge “à ma manière” (s’il voulait sa tétine, il fallait qu’il réussisse à l’attraper tout seul, ce qui pouvait lui prendre longtemps à moins de 6 mois).
Ceci dit, je pourrais tomber d’accord avec vous qu’il ne doit pas y avoir de recherche d’une égalité (ni encore moins d’une identité) stricte des rôles dans tous les domaines.
Mais je crois que nous sommes assez éloignés des débats politiques usuels sur cette question. La question posée par les féministes (ou plutôt la question qu’elles devraient poser) est : Dès lors qu’une femme, par son travail, par tout un tas de choses, s’ouvre sur le monde davantage que par le passé, et autant que son mari, et qu’elle participe elle même à une forme de compétition, etc. Ne pourrait elle pas assumer une partie du rôle qui était dévolu au père ? Avec, réciproquement le père qui jouerait une partie du rôle dévolu à la mère ?
Il ne me semble pas évident que la réponse soit négative.
Malheureusement, la manière dont est présentée la chose est effectivement, comme vous le soulignez, que le père doit tout faire comme la mère, les femmes devant servir de modèle. Et je suis d’accord avec vous que ça ne peut pas bien fonctionner.
@ Vincent
[Je ne pense pas que le fait de travailler soit -en soit- un problème.]
Je m’interroge. La légitimité du père en tant que lien entre la famille et la cité tient aussi au fait qu’il est celui qui travaille et gagne le pain de la famille. Est-ce que la figure paternelle peut survivre au fait que les femmes contribuent à égalité à l’entretien du foyer ? C’est une excellente question à laquelle je n’ai pas de réponse… mais j’ai tendance à penser qu’elle est négative. Pour le marxiste que je suis, ce sont les rapports économiques qui en dernière instance structurent les rapports institutionnels. L’égalité économique ne peut que pousser à l’indifférentiation.
[Après, je pense qu’il y a plusieurs manière de s’occuper d’eux. Un père emenant ses enfants au parc pourra plus les pousser au dépassement, à escalader des choses un peu difficiles, à dépasser ses peurs. Là où la mère pourra plus jouer à des jeux de rôles.]
Oui, mais qu’est ce qui LEGITIME ces rôles ? Comme vous dites, un père « pourra » les pousser au dépassement, ou « pourra » faire autre chose. Difficile d’instituer un rôle alors que chacun peut ou non l’assumer selon son choix. L’instituteur est celui qui enseigne, et non pas quelqu’un qui « pourra » enseigner. Le président de la République est quelqu’un qui gouverne, et non pas quelqu’un qui « pourra » gouverner si le cœur lui en dit. On ne peut pas instituer un rôle en fonction des préférences personnelles de l’occupant.
Le Père et la Mère sont des rôles institués. L’enfant mais aussi le reste de la société attendent de chacun un certain comportement, leur attribue certains droits et certains devoirs – et protègent les uns et sanctionnent les autres – qui échappent aux choix individuels. C’est cette institutionnalisation qui permet de structurer le développement de l’enfant, qui du coup vit dans un monde prévisible. Si chacun peut assumer le rôle qui l’arrange ou le laisser tomber en fonction de ses préférences du moment, la structure est perdue.
[Ceci dit, je pourrais tomber d’accord avec vous qu’il ne doit pas y avoir de recherche d’une égalité (ni encore moins d’une identité) stricte des rôles dans tous les domaines.]
Je ne sais pas s’il « doit » y avoir indifférenciation, je ne peux que constater que dans les FAITS on va vers ça, et chercher à comprendre pourquoi.
[Mais je crois que nous sommes assez éloignés des débats politiques usuels sur cette question. La question posée par les féministes (ou plutôt la question qu’elles devraient poser) est : Dès lors qu’une femme, par son travail, par tout un tas de choses, s’ouvre sur le monde davantage que par le passé, et autant que son mari, et qu’elle participe elle-même à une forme de compétition, etc. Ne pourrait-elle pas assumer une partie du rôle qui était dévolu au père ? Avec, réciproquement le père qui jouerait une partie du rôle dévolu à la mère ? Il ne me semble pas évident que la réponse soit négative.]
Et pourtant, les névroses de notre société tendent à montrer que la réponse est bien négative. Car il y a un petit obstacle sur la route de l’indifférenciation, et c’est le fait que les femmes et seulement elles peuvent donner naissance à un enfant. Historiquement, les hommes ont renoncé à la domesticité, à la tranquillité du foyer pour aller dans les champs, dans les mines, dans les tranchées ou sur les mers. Tout le discours sur le fait de « concilier la vie professionnelle et la vie familiale » montre que les femmes ne sont pas prêtes à faire ce sacrifice. Les femmes veulent « en même temps » la liberté et la domesticité, et cela crée une contradiction insoluble que les féministes déguisent sous le discours sur la « charge mentale ».
Une institution ne peut pas être assumée partiellement. Un individu qui voudrait assumer « une partie du rôle » de père et pas l’autre, c’est comme un président de la République qui voudrait assumer « une partie du rôle » et pas le reste. Un peu comme François Hollande regrettant que le président ne puisse pas arrêter le boulot à 18h et rentrer chez lui à sa vie privée comme tout le monde. L’enfant a besoin de savoir à qui il doit s’identifier. Si vous lui imposez de décoder la distribution des rôles dans sa famille (qui n’a aucune raison d’être la même que chez ses petits copains, d’ailleurs…) vous créez une confusion préjudiciable à son développement.
@ Descartes,
[Je m’interroge. La légitimité du père en tant que lien entre la famille et la cité tient aussi au fait qu’il est celui qui travaille et gagne le pain de la famille. Est-ce que la figure paternelle peut survivre au fait que les femmes contribuent à égalité à l’entretien du foyer ?]
J’avoue que je suis toujours surpris de votre conservatisme (et de ma part, ce n’est pas une insulte) en ce qui concerne les rôles respectifs des hommes et des femmes. Cela fait quand même beau temps que l’homme n’est plus le seul dans le couple à “gagner le pain de la famille”. Et ça a commencé avec l’industrialisation. Faut-il rappeler au militant d’un parti ouvrier que vous fûtes que les femmes allèrent en leur temps travailler à la mine et à l’usine, et ce bien avant la Grande Guerre? Pour autant, la famille ouvrière a-t-elle cessé d’être patriarcale? Par ailleurs, si le développement du travail féminin a bien arrangé les capitalistes, il n’a pas eu que des effets négatifs, il a également participé à l’émancipation des femmes. Puisque certaines femmes ont manifestement la compétence requise pour être de bonnes ouvrières mais aussi de bonnes avocates, de bonnes universitaires, de bons médecins, pourquoi leur fermerait-on ces emplois?
Je vais essayer de formuler ma question autrement: est-ce que les avantages que la société dans son ensemble tire de l’arrivée des femmes sur le marché de l’emploi ne l’emportent pas tout de même sur les inconvénients que vous soulignez, et dont je ne nie pas l’existence? J’aurais tendance à répondre positivement.
Maintenant sur le rôle “institué” du père, je trouve, pardon de vous le dire, que vous avez une vision très idéalisée, très “vieux Romain” de la chose: la littérature, l’histoire, la mémoire familiale conservent les nombreux exemples de pères dénués d’autorité souveraine au sein du foyer. Des femmes au caractère bien trempé qui “portaient la culotte” comme on dit, ce n’était pas si rare. Les mères autoritaires et les pères effacés, ça existe quand même depuis longtemps. Et, contrairement à ce que vous affirmez, le père absent ne détient pas nécessairement une autorité symbolique plus grande. Mon père était très présent (surtout dans mes jeunes années) et je puis vous garantir qu’il a toujours su incarner l’autorité… Alors qu’il avait été élevé essentiellement par sa mère, soit dit en passant.
De plus, et là encore je m’excuse d’avance de paraître désagréable, mais la conclusion logique de votre discours est que “bobonne” serait finalement mieux à la maison à faire la popotte et à torcher les mômes qu’à aller bosser. Sur le principe, honnêtement, je ne suis pas contre, si madame est d’accord. Mais ça, c’est bon quand on est ingénieur ou cadre sup et qu’on palpe 5 à 6000 euros par mois. En ce qui me concerne (pardon d’évoquer mon cas personnel mais il faut bien à un moment raisonner sur des exemples), fonctionnaire à 2 000 euros par mois, le fait que mon épouse apporte un revenu comparable permet d’élever les enfants dans un confort qui ne nous serait pas accessible si j’étais le seul à travailler… Et si cette année nous nous sommes résolus à ce que madame prenne un temps partiel, nous savons que, pour des raisons financières, c’est temporaire. La maintien d’un niveau de vie satisfaisant nécessite parfois que chaque membre du couple ramène de l’argent.
De mon expérience d’enseignant, je vous dirai ceci: le problème essentiel, à mon avis, n’est pas que les rôles “traditionnels” du père et de la mère évoluent, parce que c’est inévitable. Un des problèmes principaux est que les parents (et de ce point de vue les pères portent souvent une responsabilité comparable à celle des mères) n’arrivent pas à incarner l’autorité. Trop d’entre eux cèdent à la tentation du “parent-copain”, et c’est néfaste. L’adulte est celui qui dit “non”, celui qui fixe la règle et la fait respecter, et la mère doit aussi le faire. Enfin, je pense que le rôle premier du père est celui du “séparateur”, c’est-à-dire de briser le lien fusionnel entre la mère et l’enfant. Et dans ce registre, le rôle du père a de beaux jours devant lui. On peut aussi rappeler le rôle dans la filiation: la mère donne naissance, le père donne son nom, et de ce point de vue, la transmission des patronymes me paraît devoir être défendue contre le “libre choix” du nom de famille donnée aux enfants. Personnellement, je n’aurais pas toléré que mes enfants légitimes ne portent pas mon nom.
En ce qui concerne les tâches ménagères et domestiques, je pense que les hommes peuvent au moins aider. De toute façon, le partage est rarement complètement égalitaire: je passe moins de temps à m’occuper de la vaisselle que ma femme à s’occuper du linge et à repasser. Assez souvent, les hommes ont une plus grande tolérance au désordre et à la saleté que les femmes. Donc les choses sont simples: quand la femme estime qu’il faut absolument faire le ménage et que l’homme pense que ça peut attendre, eh bien c’est à elle de prendre l’aspirateur… Mais je pense qu’on peut être un “vrai père” et passer l’aspirateur de temps en temps. La bonne formule, c’est que chacun se spécialise dans une série de tâches, ainsi tout le monde gagne du temps.
@ nationaliste-ethniciste
[« Je m’interroge. La légitimité du père en tant que lien entre la famille et la cité tient aussi au fait qu’il est celui qui travaille et gagne le pain de la famille. Est-ce que la figure paternelle peut survivre au fait que les femmes contribuent à égalité à l’entretien du foyer ? » J’avoue que je suis toujours surpris de votre conservatisme (et de ma part, ce n’est pas une insulte) en ce qui concerne les rôles respectifs des hommes et des femmes.]
Je pense que depuis le temps qu’on échange, vous avez compris ma démarche intellectuelle. Je suis profondément persuadé que tout comportement social qui nous vient du passé a une raison d’être, sans quoi il ne se serait pas maintenu aussi longtemps, et à ce titre bénéficie d’une présomption d’utilité. Et qu’il faut comprendre cette raison avant de se lancer à le reformer. Cette position conduit nécessairement à un certain conservatisme – au bon sens du terme – puisque dans beaucoup de cas vous trouverez qu’un comportement qui nous paraît archaïque ou obsolète a en fait une excellente justification. En ce sens, je ne pense pas – et ce fut l’une des raisons pour lesquelles je ne me suis jamais senti tout à fait confortable à gauche – que le changement ou la nouveauté soient bons par définition.
[Cela fait quand même beau temps que l’homme n’est plus le seul dans le couple à “gagner le pain de la famille”. Et ça a commencé avec l’industrialisation. Faut-il rappeler au militant d’un parti ouvrier que vous fûtes que les femmes allèrent en leur temps travailler à la mine et à l’usine, et ce bien avant la Grande Guerre? Pour autant, la famille ouvrière a-t-elle cessé d’être patriarcale?]
Il faut nuancer. Les femmes sont bien allées « à la mine », mais ne sont jamais descendues au fond. Si elles ont pris des postes « masculins » pendant les guerres – parce que les hommes étaient au front ou prisonniers – elles sont souvent revenus à des tâches « féminines » une fois la guerre terminée. Quand vous alliez sur une chaîne de production de Renault ou dans une centrale électrique dans les années 1980, vous trouviez une main d’œuvre essentiellement masculine.
Oui, les femmes travaillent depuis longtemps. Mais le salaire féminin a été considéré jusqu’à très récemment – et c’est d’ailleurs toujours le cas dans une grande partie des couches populaires – un salaire d’appoint. Et il ne faut pas par ailleurs oublier la dimension symbolique qui reste vivace dans notre société : l’homme qui n’arrivait pas à nourrir sa famille est un raté à ses propres yeux, un individu méprisé socialement. Ce n’est nullement le cas de la femme, qui dans la même position est au contraire considérée comme une victime. C’est d’ailleurs pourquoi le chômage a un effet psychologique bien plus fort sur les hommes que sur les femmes. On connait des cas d’hommes qui, ayant été licenciés, cachent le fait à leur femme. L’inverse est beaucoup plus rare.
[Par ailleurs, si le développement du travail féminin a bien arrangé les capitalistes, il n’a pas eu que des effets négatifs, il a également participé à l’émancipation des femmes. Puisque certaines femmes ont manifestement la compétence requise pour être de bonnes ouvrières mais aussi de bonnes avocates, de bonnes universitaires, de bons médecins, pourquoi leur fermerait-on ces emplois?]
Je n’ai pas dit qu’il faille le faire. Mais d’un autre côté, il ne faut pas négliger les effets de ce changement sur la structure familiale. Dès lors que femmes et hommes agissent dans les mêmes domaines, ont les mêmes droits et les mêmes obligations et sont de tout point de vue identique en termes économiques, on peut difficilement imaginer qu’il puisse y avoir une différence institutionnalisée dans la famille. Et les observations empiriques confirment très largement cette hypothèse.
[Je vais essayer de formuler ma question autrement : est-ce que les avantages que la société dans son ensemble tire de l’arrivée des femmes sur le marché de l’emploi ne l’emportent pas tout de même sur les inconvénients que vous soulignez, et dont je ne nie pas l’existence ? J’aurais tendance à répondre positivement.]
Je suis plus prudent que vous. Je suspends mon jugement en attendant de voir ce que seront les effets à long terme. Mais dans tous les cas, il faut être cohérent : si vous répondez « positivement », alors vous ne pouvez pas en même temps vous désoler des « inconvénients ». Dieu se rit de ceux…
[Maintenant sur le rôle “institué” du père, je trouve, pardon de vous le dire, que vous avez une vision très idéalisée, très “vieux Romain” de la chose: la littérature, l’histoire, la mémoire familiale conservent les nombreux exemples de pères dénués d’autorité souveraine au sein du foyer. Des femmes au caractère bien trempé qui “portaient la culotte” comme on dit, ce n’était pas si rare.]
Bien entendu. Il ne faut pas confondre l’institution et la réalité. On a institué le célibat des prêtres, et le moins qu’on puisse dire est que celui-ci n’est pas universellement observé. On a institué la fidélité dans le mariage, et cela n’a pas empêché l’adultère de rester fréquent. L’institutionnalisation du père ne vise pas à rendre tous les pères autoritaires, mais à définir ce qu’est l’image du « bon père » telle que la société le conçoit. Oui, la littérature, l’histoire, la mémoire familiale conservent les nombreux exemples de pères sans autorité. Mais à ces exemples est accolée l’image d’un « mauvais père », d’un père qui ne remplit pas son rôle de père.
[Et, contrairement à ce que vous affirmez, le père absent ne détient pas nécessairement une autorité symbolique plus grande. Mon père était très présent (surtout dans mes jeunes années) et je puis vous garantir qu’il a toujours su incarner l’autorité… Alors qu’il avait été élevé essentiellement par sa mère, soit dit en passant.]
Je n’ai pas dit que le père présent ne puisse incarner l’autorité. Mais c’est plus facile pour un père absent. Pensez à la religion : dieu garde une autorité absolue… alors qu’il n’existe même pas. L’autorité ne va pas sans une part de mystère, et le mystère est bien plus facile pour un être absent…
[De plus, et là encore je m’excuse d’avance de paraître désagréable, mais la conclusion logique de votre discours est que “bobonne” serait finalement mieux à la maison à faire la popotte et à torcher les mômes qu’à aller bosser.]
Seulement si vous donnez à mon analyse un caractère prescriptif. Or, ce n’est nullement mon but. Ce n’est pas mon affaire de dire ce qu’il serait « mieux » de faire. Je me contente de souligner qu’avec l’effacement des rôles, on se prépare à avoir une jeunesse déboussolée et qui aura beaucoup de mal à sortir de l’adolescence et se projeter dans le monde adulte. C’est tout. Je laisse à d’autres le soin de penser si ce qu’on gagne au changement vaut ce qu’on perd.
|En ce qui me concerne (pardon d’évoquer mon cas personnel mais il faut bien à un moment raisonner sur des exemples), fonctionnaire à 2 000 euros par mois, le fait que mon épouse apporte un revenu comparable permet d’élever les enfants dans un confort qui ne nous serait pas accessible si j’étais le seul à travailler… Et si cette année nous nous sommes résolus à ce que madame prenne un temps partiel, nous savons que, pour des raisons financières, c’est temporaire. Le maintien d’un niveau de vie satisfaisant nécessite parfois que chaque membre du couple ramène de l’argent.]
Certes. Mais creusons un peu l’exemple. J’imagine que si votre épouse prend un temps partiel, c’est pour pouvoir être plus présente à la maison pour élever les enfants. Pourquoi est-ce votre épouse, et non vous qui prenez un « temps partiel » ?
[De mon expérience d’enseignant, je vous dirai ceci : le problème essentiel, à mon avis, n’est pas que les rôles “traditionnels” du père et de la mère évoluent, parce que c’est inévitable. Un des problèmes principaux est que les parents (et de ce point de vue les pères portent souvent une responsabilité comparable à celle des mères) n’arrivent pas à incarner l’autorité. Trop d’entre eux cèdent à la tentation du “parent-copain”, et c’est néfaste.]
Oui, mais ce que vous ne voyez pas, c’est que les deux phénomènes sont liés. L’indifférenciation des rôles conduit nécessairement à l’effacement du Père (comme institution, s’entend, d’où la majuscule), qui devient contingent, devant la Mère qui reste nécessaire.
[L’adulte est celui qui dit “non”, celui qui fixe la règle et la fait respecter, et la mère doit aussi le faire.]
Au fonds, votre proposition consiste à avoir non pas deux Mères mais deux Pères. Seulement, pour la raison que je l’ai expliqué plus haut, c’est impossible dans une logique d’indifférenciation. Si l’enfant a deux parents équivalents, ce seront forcément deux Mères…
[Enfin, je pense que le rôle premier du père est celui du “séparateur”, c’est-à-dire de briser le lien fusionnel entre la mère et l’enfant. Et dans ce registre, le rôle du père a de beaux jours devant lui.]
Encore faut-il qu’il ait la légitimité pour le faire. Hier, son rôle de gagne-pain de la famille et de pont entre le monde domestique et celui de la cité lui donnait cette légitimité. Mais aujourd’hui ? Si son rôle n’est plus que contingent là où la Mère reste nécessaire, quelle serait sa légitimité pour briser le lien fusionnel et amener l’enfant au monde social ?
[On peut aussi rappeler le rôle dans la filiation: la mère donne naissance, le père donne son nom, et de ce point de vue, la transmission des patronymes me paraît devoir être défendue contre le “libre choix” du nom de famille donnée aux enfants. Personnellement, je n’aurais pas toléré que mes enfants légitimes ne portent pas mon nom.]
Mais encore une fois, vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre. L’indifférenciation sur le plan économique entraine nécessairement l’indifférenciation sur le plan symbolique. Si tous deux à égalité « fixent les règles », si tous deux gagnent à égalité le pain du foyer, sur quel fondement voulez-vous établir une règle dissymétrique pour la transmission des noms ? Si vous ne pouvez pas « tolérer » de ne pas transmettre le nom, alors vous ne pouvez pas d’un autre côte dire que l’indifférenciation a plus d’avantages que d’inconvénients, ou qu’elle est inévitable.
[En ce qui concerne les tâches ménagères et domestiques, je pense que les hommes peuvent au moins aider. De toute façon, le partage est rarement complètement égalitaire : je passe moins de temps à m’occuper de la vaisselle que ma femme à s’occuper du linge et à repasser.]
Le partage égalitaire des tâches ne risque pas d’advenir bientôt parce qu’il y a une logique économique derrière le partage des tâches qui permet une certaine spécialisation. Que ce soit toujours le même qui répare la voiture, qui fait la cuisine ou qui rédige la déclaration d’impôts est raisonnable, parce que ces tâches se font plus rapidement si la personne a l’habitude de les faire.
[Assez souvent, les hommes ont une plus grande tolérance au désordre et à la saleté que les femmes.]
Est-ce génétique ? Si la réponse est « non », alors l’indifférenciation des rôles rendra cette différence elle aussi caduque. Et on voit d’ailleurs les jeunes hommes des générations jeunes qui sont nettement plus soucieux d’ordre et de propreté que ne l’étaient ceux de la mienne. Là encore, la féminisation générale avance.
[Mais je pense qu’on peut être un “vrai père” et passer l’aspirateur de temps en temps.]
Oui, tant que cela reste un choix et non une obligation instituée au rôle… or, ce n’est pas du tout la voie qui est prise.
@ Descartes,
[Je pense que depuis le temps qu’on échange]
Plus de dix ans déjà! ça se fête…
[Les femmes sont bien allées « à la mine », mais ne sont jamais descendues au fond.]
Je ne suis pas d’accord. Avec mes élèves de 4ème, j’étudie parfois le témoignage d’une jeune femme anglaise du début des années 1840 qui, attachée à un harnais, tirait les wagonnets remplis de charbon dans la mine, y compris durant sa grossesse, plusieurs heures par jour. Son témoignage est cité dans un rapport parlementaire anglais de 1842 sur les conditions de travail dans les mines, et rien ne permet de penser que son cas soit isolé. Les femmes sont descendues dans les mines… jusqu’à ce que la législation “victorienne” pose des limites au travail des femmes. C’est une nuance importante.
[Mais le salaire féminin a été considéré jusqu’à très récemment – et c’est d’ailleurs toujours le cas dans une grande partie des couches populaires – un salaire d’appoint.]
Je ne suis pas du tout d’accord. Dans les foyers modestes, le salaire de la femme est important. En revanche, je peux vous citer nombre d’ingénieurs et de cadres sup qui ont une femme à mi-temps (parfois enseignante) qui bosse pour son argent de poche et/ou pour ne pas s’ennuyer… Mais peut-être vous référez-vous à une étude précise?
[Je suis plus prudent que vous. Je suspends mon jugement en attendant de voir ce que seront les effets à long terme.]
Prenons les riches sociétés arabes du Golfe. Les femmes y sont largement maintenues au foyer. Diriez-vous que ces sociétés sont aussi productives et aussi libres que la nôtre? Il me semble, mais je peux me tromper, que les sociétés les plus industrialisées, les plus productives, ont eu tendance à envoyer les femmes au travail. Et cela concerne aussi les pays communistes, de l’URSS à la Chine.
[Mais dans tous les cas, il faut être cohérent : si vous répondez « positivement », alors vous ne pouvez pas en même temps vous désoler des « inconvénients ».]
Je ne me “désole” pas des inconvénients, j’ai écrit que je ne les niais pas, ce qui n’est pas la même chose. Ce que je dis c’est qu’il faut essayer d’en atténuer les effets avec une nouvelle répartition des tâches domestiques.
[Mais c’est plus facile pour un père absent.]
J’avoue que ce que vous présentez comme une évidence me laisse sceptique. Sur quoi vous fondez-vous pour soutenir un tel raisonnement? La référence à Dieu le père me paraît osée: on ne peut pas comparer Dieu et un père réel. D’ailleurs, Jésus est le fils de Dieu… mais Joseph est quand même là! Comme quoi, un père présent, ce n’est pas inutile. Même si un père mort à la guerre garde une présence symbolique, il est de peu de secours pour participer à l’éducation des enfants. Quant au père vivant mais absent… mon expérience montre qu’un père trop absent finit par être un père inexistant.
[Seulement si vous donnez à mon analyse un caractère prescriptif. Or, ce n’est nullement mon but.]
D’accord. Mais, dans l’idéal, quel modèle familial vous paraît le plus souhaitable et le plus efficace d’un point de vue social et économique?
[Pourquoi est-ce votre épouse, et non vous qui prenez un « temps partiel » ?]
Je vous réponds: parce qu’elle allaite le petit dernier. Moi, voyez-vous, je ne peux pas le faire… Ce qu’oublient trop souvent certaines féministes, c’est qu’il y a une réalité biologique derrière la répartition de certaines tâches. Encore une fois, je ne plaide pas pour une “indifférenciation des rôles” mais pour une renégociation de la répartition des tâches. Ce n’est pas tout à fait pareil. Et oui, je pense que le fait que les femmes travaillent rend notre société plus productive, plus riche, plus agréable à vivre. Le fait est que les femmes ont une certaine appétence pour certains métiers comme celui d’infirmière, et on a besoin d’infirmières. Et je constate que dans les ghettos ethniques des banlieues, les femmes sont nombreuses à rester à la maison. On ne peut pas dire que l’éducation des enfants y gagne, croyez-moi.
[Oui, mais ce que vous ne voyez pas, c’est que les deux phénomènes sont liés]
Il y a corrélation mais pas forcément causalité. A titre personnel, j’y vois deux conséquences distinctes d’un hyper-individualisme qui rêve de l’ “individu-île” n’ayant que des rapports horizontaux, et aucun rapport vertical. Le Père incarne certes la verticalité du pouvoir, mais il est un peu excessif de faire de la Mère l’incarnation de l’égalité et de la gentillesse. Vous ne voulez pas voir, ce me semble, qu’historiquement beaucoup de sociétés, y compris européennes, ont accordé une véritable autorité à la Mère. Une autorité différente de celle du Père, mais une autorité tout de même. En Italie, la “Mamma” est une institution, peut-être plus forte encore que celle du père. Peut-être pouvez-vous nous parler de la figure de la “mère juive”?
[Au fonds, votre proposition consiste à avoir non pas deux Mères mais deux Pères.]
Je ne fais pas de “proposition”. Je me borne à constater que les mères, à certaines périodes, ont été investies d’une certaine autorité. Le patriarcat tel que vous le concevez n’est pas immuable depuis deux mille ans. Pendant des siècles, la plupart des hommes ne partaient pas à la guerre et n’allaient pas à l’usine: ils travaillaient aux champs, et leurs femmes avec eux, même si elles n’effectuaient pas les mêmes tâches. Et les pères n’étaient pas si absents que ça. Le modèle auquel vous vous référez est celui du père ouvrier travaillant dix heures par jour à l’usine et mobilisé en temps de guerre. Mais ce modèle date en réalité du XIX° siècle… Dans les campagnes, je peux vous dire que nombre de fermes tournaient grâce à des femmes dont les maris étaient perçus comme “peu courageux”. Et la honte de ces derniers étaient assez supportable, si j’en crois les histoires de famille. De ce point de vue, le monde paysan ne fonctionne pas tout à fait comme le monde ouvrier.
[Hier, son rôle de gagne-pain de la famille et de pont entre le monde domestique et celui de la cité lui donnait cette légitimité.]
Mais avant-hier, il jouait un rôle un peu différent, notamment dans les campagnes, et il n’y avait pas vraiment de “cité”. Et il transmettait quand même son nom. Alors?
[Si vous ne pouvez pas « tolérer » de ne pas transmettre le nom, alors vous ne pouvez pas d’un autre côte dire que l’indifférenciation a plus d’avantages que d’inconvénients, ou qu’elle est inévitable.]
Je n’ai pas parlé d’ “indifférenciation”. Il y a des réalités biologiques qui rendent à mon sens l’indifférenciation totale impossible, et guère souhaitable. J’ai dit que je trouvais positif le fait que les femmes travaillent, et je ne pense pas qu’il soit scandaleux qu’elles apportent un revenu à la famille. Maintenant, je trouve aussi normal que certains métiers soient davantage dévolus aux hommes, et d’autres aux femmes. Je ne me permettrais pas de vous poser des questions sur votre vie conjugale, mais à vous lire, j’ai l’impression que vous empêcheriez votre femme de travailler afin de ne surtout pas mettre en péril la sacro-sainte “différenciation” telle que vous la concevez. N’est-ce pas un peu excessif?
Personnellement, je ne pense pas qu’un père puisse avoir le même rapport à son enfant qu’une mère. La mère a porté l’enfant, parfois l’a allaité, toute chose interdite au père. Je le vois avec mes enfants: je les câline moins parce que, bébés, ils passaient beaucoup plus de temps contre leur mère. Je m’occupe surtout de la grande, parce qu’elle est plus autonome, et que sa mère doit davantage se consacrer au petit dernier. Mais, oui, les règles sont définies d’un commun accord et appliquées par celui qui est présent à tel ou tel moment. Et je suis un père plutôt présent.
[Que ce soit toujours le même qui répare la voiture, qui fait la cuisine ou qui rédige la déclaration d’impôts est raisonnable, parce que ces tâches se font plus rapidement si la personne a l’habitude de les faire.]
Pour moi, l’essentiel réside dans une forme de complémentarité qui permet à chacun de définir son périmètre d’intervention, si je puis dire. Cela n’empêche pas de donner un coup de main de temps en temps. Un homme ne se déshonore pas s’il aide quelquefois sa femme à étendre le linge…
Et puis je vous rappelle ce que chantait Ferrat:
“Il faudra réapprendre à vivre, Ensemble écrire un nouveau livre, Redécouvrir tous les possibles. Chaque chose enfin partagée, Tout dans le couple va changer D’une manière irréversible.”
@ nationaliste-ethniciste
[« Je pense que depuis le temps qu’on échange » Plus de dix ans déjà! ça se fête…]
Si vous voulez, on peut faire une petite fête chez vous quand ce confinement sera terminé. Chartres n’est pas si loin…
[« Les femmes sont bien allées « à la mine », mais ne sont jamais descendues au fond. » Je ne suis pas d’accord. Avec mes élèves de 4ème, j’étudie parfois le témoignage d’une jeune femme anglaise du début des années 1840 qui, attachée à un harnais, tirait les wagonnets remplis de charbon dans la mine, y compris durant sa grossesse, plusieurs heures par jour. Son témoignage est cité dans un rapport parlementaire anglais de 1842 sur les conditions de travail dans les mines, et rien ne permet de penser que son cas soit isolé. Les femmes sont descendues dans les mines… jusqu’à ce que la législation “victorienne” pose des limites au travail des femmes. C’est une nuance importante.]
Vous avez raison. Les femmes pouvaient en théorie descendre dans les mines jusqu’au début des années 1870 (en France l’interdiction date de 1874) mais seulement pour pousser les wagonnets (les « hercheuses » dans l’argot des mines). Elles n’allaient pas sur le front de coupe, qui est le travail le plus pénible et le plus dangereux.
[« Je suis plus prudent que vous. Je suspends mon jugement en attendant de voir ce que seront les effets à long terme. » Prenons les riches sociétés arabes du Golfe. Les femmes y sont largement maintenues au foyer. Diriez-vous que ces sociétés sont aussi productives et aussi libres que la nôtre ?]
Il me parait difficile – et peu intéressant – de comparer des sociétés qui vivent sur une économie de rente avec des rapports sociaux et politiques archaïques avec des sociétés modernes et industrialisées. Prenons plutôt le cas de l’Allemagne et de la France, ou l’on observe une véritable différence dans le taux d’emploi des femmes dans l’économie. Diriez-vous que la société allemande est moins libre et moins productive que la nôtre ?
Je pense que vous inversez l’effet et la cause. Dans une société ou la productivité est faible, faire ses confitures ou son pain à la maison – c’est-à-dire, dans un contexte de faible productivité – reste compétitif. Et c’est pourquoi dans les sociétés à faible productivité, l’économie domestique est importante. Mais dès lors que le pain et les confitures sont faites industriellement, il est plus rentable pour une femme de sortir travailler dans une boulangerie industrielle ou une fabrique de confitures – ou dans n’importe quelle autre activité économique et acheter pain et confiture au supermarché – plutôt que de les faire chez elle. Ce n’est donc pas la sortie des femmes du foyer qui entraine une hausse de la productivité, mais la hausse de la productivité qui entraîne la sortie des femmes du foyer.
La fin de l’économie touche même les enfants, dont on a cherché là aussi à « industrialiser » la « production » : les crèches, la nounou, l’école… toutes ces institutions reposent sur une division du travail et sur la massification. Là où un seul parent inexpert gardait et éduquait un enfant (ou plusieurs d’âges différents) chez lui, vous avez un système où des assistantes maternelles ou des enseignants experts gardent et éduquent un groupe homogène d’enfants dans des locaux et avec des outils adaptés. Si ce n’est pas l’industrialisation, il faut m’expliquer ce que c’est.
Seulement, l’enfant n’est pas une confiture. Car le processus industriel repose aussi sur le fait que la haute productivité permet la mise au rebut des malfaçons… et on commence à en observer !
[Il me semble, mais je peux me tromper, que les sociétés les plus industrialisées, les plus productives, ont eu tendance à envoyer les femmes au travail. Et cela concerne aussi les pays communistes, de l’URSS à la Chine.]
J’ai du mal à qualifier l’URSS ou la Chine parmi les pays à forte productivité…
[Ce que je dis c’est qu’il faut essayer d’en atténuer les effets avec une nouvelle répartition des tâches domestiques.]
Mais cette « nouvelle répartition » dans votre esprit doit-elle être institutionnalisée, ou laisser chaque couple décider de son côté ?
[« Mais c’est plus facile pour un père absent. » J’avoue que ce que vous présentez comme une évidence me laisse sceptique. Sur quoi vous fondez-vous pour soutenir un tel raisonnement ? La référence à Dieu le père me paraît osée: on ne peut pas comparer Dieu et un père réel.]
Au père absent, pourquoi pas ? Mais je vous accorde que ma comparaison était surtout ironique. Mon raisonnement est celui de Beaumarchais quand il écrivait « qu’il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre ». L’exercice de l’autorité exige un certain éloignement.
[Quant au père vivant mais absent… mon expérience montre qu’un père trop absent finit par être un père inexistant.]
Je ne parlais pas bien entendu d’une « absence » physique, d’un éloignement. Le père qui gagne le pain de sa famille, qui prend les décisions sur l’éducation de ses enfants reste symboliquement « présent » quand bien même ses enfants ne le verraient physiquement que rarement.
[D’accord. Mais, dans l’idéal, quel modèle familial vous paraît le plus souhaitable et le plus efficace d’un point de vue social et économique ?]
Pour moi, un modèle fondé sur la division institutionnalisée des rôles qui rendent les deux parents complémentaires – c’est-à-dire, que chacun ait besoin de l’autre – et ou les pôles que sont la loi de la cité et la règle domestique soient bien séparés. Mais ce modèle est à mon avis incompatible avec un capitalisme avancé comme celui que nous vivons.
[« Pourquoi est-ce votre épouse, et non vous qui prenez un « temps partiel » ? » Je vous réponds : parce qu’elle allaite le petit dernier. Moi, voyez-vous, je ne peux pas le faire… Ce qu’oublient trop souvent certaines féministes, c’est qu’il y a une réalité biologique derrière la répartition de certaines tâches.]
Mais l’allaitement maternel n’est plus une obligation. La technologie nous fournit des laits maternisés qui remplacent tout à fait le lait maternel. Pourquoi en rester à une pratique « archaïque » venu de l’époque où les femmes ne travaillaient pas ?
[Encore une fois, je ne plaide pas pour une “indifférenciation des rôles” mais pour une renégociation de la répartition des tâches. Ce n’est pas tout à fait pareil.]
Je vois mal dans l’exemple que vous proposez ce qu’il y aurait à « négocier », puisque vous dites vous-même que c’est la biologie qui impose ici la solution. Ce qui est curieux dans votre point de vue est que vous défendez un partage des tâches « négocié », mais dans votre exemple vous illustrez exactement le contraire !
[Et oui, je pense que le fait que les femmes travaillent rend notre société plus productive, plus riche, plus agréable à vivre.]
Comme je vous l’ai montré plus haut, c’est l’inverse : c’est parce que la productivité dans l’activité économique augmente que les femmes quittent le foyer pour aller travailler.
[Le fait est que les femmes ont une certaine appétence pour certains métiers comme celui d’infirmière, et on a besoin d’infirmières.]
Mais cette appétence serait-elle génétique ? Si ce n’est pas le cas, alors elle devrait disparaître dès lors que les femmes ont accès à égalité avec les hommes à toutes les activités.
[Et je constate que dans les ghettos ethniques des banlieues, les femmes sont nombreuses à rester à la maison. On ne peut pas dire que l’éducation des enfants y gagne, croyez-moi.]
On ne peut pas dire que dans les ghettos ethniques des banlieues les femmes soient si nombreuses que cela à rester à la maison. C’était peut-être le cas pour la génération précédente, mais cela a beaucoup changé. Déjà, le nombre de familles monoparentales est important, et on voit mal comment le parent seul pourrait ne pas travailler. Quand aux effets éducatifs, toutes choses égales par ailleurs notez-vous une différence dans votre classe entre les enfants dont la mère travaille et les autres ?
[Le Père incarne certes la verticalité du pouvoir, mais il est un peu excessif de faire de la Mère l’incarnation de l’égalité et de la gentillesse. Vous ne voulez pas voir, ce me semble, qu’historiquement beaucoup de sociétés, y compris européennes, ont accordé une véritable autorité à la Mère. Une autorité différente de celle du Père, mais une autorité tout de même.]
Je suis d’accord. Mais la question pour moi n’est pas celle de « l’autorité » mais celle de la « loi ». Le Père incarne une autorité fondée sur la loi de la cité et la volonté. La Mère incarne une autorité fondée sur la tradition et le sentiment. Là où le Père dit « fais ce que tu dois », la Mère dit « fait ce qui est bon pour toi, ce qui te fera plaisir ».
[En Italie, la “Mamma” est une institution, peut-être plus forte encore que celle du père.]
Oui, et c’est cette puissance maternelle qui maintien les jeunes hommes dans une forme d’infantilité.
[Peut-être pouvez-vous nous parler de la figure de la “mère juive”?]
La « mère juive » est un cas particulier, parce qu’elle gouverne très largement au nom d’un père physiquement absent. Je me souviens encore de ma grand-mère répétant à l’envi « ton grand-père va se fâcher »… alors que mon grand-père, je l’ai su bien après, ne s’est jamais fâché de sa vie. Dans la tradition juive, en effet, les hommes n’ont que très peu de rapports avec leurs enfants jusqu’à l’âge de 12-13 ans, c’est-à-dire jusqu’à la Bar-Mitzvah qui marque le passage de l’enfant de l’univers de la Mère à l’univers du Père. Pour l’enfant juif, le Père est une figure terrible, auprès de laquelle la mère est l’intercesseur. Cette position particulière permet ensuite à la mère de manipuler les enfants en utilisant la culpabilité comme instrument, d’autant plus que la culture juive insiste en permanence sur la dette que l’enfant a envers ses parents…
[Et les pères n’étaient pas si absents que ça. Le modèle auquel vous vous référez est celui du père ouvrier travaillant dix heures par jour à l’usine et mobilisé en temps de guerre. Mais ce modèle date en réalité du XIX° siècle…]
Je ne connais pas assez le fonctionnement de la famille paysanne sous l’ancien régime pour vous contredire avec des documents. Mais on peut imaginer à partir des descriptions de l’époque qu’étant donnée la faible productivité de l’agriculture à l’époque, les gens travaillaient de très longues heures – même s’il s’agissait souvent d’efforts saisonniers. Et que pendant ces « longues heures », les hommes sortaient aux champs, aux étangs, accompagnaient les troupeaux loin de leurs enfants, alors que les femmes se consacraient à des travaux qui leur permettaient de rester proches des enfants pour les garder.
[Dans les campagnes, je peux vous dire que nombre de fermes tournaient grâce à des femmes dont les maris étaient perçus comme “peu courageux”. Et la honte de ces derniers étaient assez supportable, si j’en crois les histoires de famille. De ce point de vue, le monde paysan ne fonctionne pas tout à fait comme le monde ouvrier.]
Probablement. Il n’en reste pas moins que ces maris « peu courageux » marquent l’histoire familiale, alors que les épouses « peu courageuses » ne sont en général pas mentionnées. Comment expliquer cette différence, si ce n’est pas parce que la société de l’époque exigeant le « courage » des hommes, et non des femmes ?
[« Hier, son rôle de gagne-pain de la famille et de pont entre le monde domestique et celui de la cité lui donnait cette légitimité. » Mais avant-hier, il jouait un rôle un peu différent, notamment dans les campagnes, et il n’y avait pas vraiment de “cité”. Et il transmettait quand même son nom. Alors ?]
Je pourrais vous répondre qu’à l’époque il n’y avait pas de « nom » à transmettre. Le « nom de famille » n’apparait qu’à partir du XVème siècle dans les villes… précisément à l’époque ou l’on voit un retour à l’idée de « cité » avec la Renaissance… le père de Léonard ne s’appelait pas « Vinci ».
[J’ai dit que je trouvais positif le fait que les femmes travaillent, et je ne pense pas qu’il soit scandaleux qu’elles apportent un revenu à la famille. Maintenant, je trouve aussi normal que certains métiers soient davantage dévolus aux hommes, et d’autres aux femmes. Je ne me permettrais pas de vous poser des questions sur votre vie conjugale, mais à vous lire, j’ai l’impression que vous empêcheriez votre femme de travailler afin de ne surtout pas mettre en péril la sacro-sainte “différenciation” telle que vous la concevez. N’est-ce pas un peu excessif ?]
Certainement. Sans rentrer dans les détails de ma vie conjugale, je ne me vois pas « empêcher » mon conjoint de travailler si tel était son souhait. Je serais probablement attristé si elle devait choisir de devenir pilote de chasse ou catcheur professionnel, mais je ne pense pas que je divorcerai pour autant. Je serais aussi inquiet si elle gagnait plus que moi, parce que j’aurais l’impression qu’elle aurait un peu moins besoin de moi, de la même manière que j’ai abandonné toute velléité de me mettre à la cuisine lorsque j’ai remarqué que ma compagne ressentait cela comme une invasion de son domaine réservé pour la même raison (ma belle-mère avait l’habitude de dire que l’on conquiert les hommes par le cœur, mais qu’on les garde par l’estomac)… Je pense qu’une bonne partie du secret de notre longue relation est que chacun de nous a renoncé à faire ce qui pourrait le rendre indépendant, à ne plus avoir besoin de l’autre.
[Personnellement, je ne pense pas qu’un père puisse avoir le même rapport à son enfant qu’une mère. La mère a porté l’enfant, parfois l’a allaité, toute chose interdite au père. Je le vois avec mes enfants : je les câline moins parce que, bébés, ils passaient beaucoup plus de temps contre leur mère. Je m’occupe surtout de la grande, parce qu’elle est plus autonome, et que sa mère doit davantage se consacrer au petit dernier. Mais, oui, les règles sont définies d’un commun accord et appliquées par celui qui est présent à tel ou tel moment. Et je suis un père plutôt présent.]
J’hésite à discuter ces sujets, parce qu’il est facile d’offenser. Mais je prends le risque. Si « les règles sont définies d’un commun accord » et « appliquées par celui qui est présent à tel ou tel moment », en quoi l’un ou l’autre de vous deux est « indispensable » aux enfants ? Si au lieu d’être deux vous étiez trois ou un, qu’est-ce que cela changerait ?
[Et puis je vous rappelle ce que chantait Ferrat: “Il faudra réapprendre à vivre, Ensemble écrire un nouveau livre, Redécouvrir tous les possibles. Chaque chose enfin partagée, Tout dans le couple va changer D’une manière irréversible.”]
Cette référence me rappelle ce que disait un commentateur désabusé après la première guerre mondiale : « quand j’avais vingt ans, on disait « je ne dirai jamais que j’ai vécu le meilleur moment de ma vie, le meilleur est toujours à venir ». Nous ne savions pas ce que l’avenir nous réservait… ». Je crains que les dieux, pour le punir, aient réalisé les rêves de Ferrat…
@ Descartes,
[on peut faire une petite fête chez vous quand ce confinement sera terminé. Chartres n’est pas si loin…]
Mais… pourquoi pas?
[Prenons plutôt le cas de l’Allemagne et de la France, ou l’on observe une véritable différence dans le taux d’emploi des femmes dans l’économie. Diriez-vous que la société allemande est moins libre et moins productive que la nôtre ?]
Eh bien parlons de l’Allemagne. De ce que j’ai entendu, les Allemands ne sont guère plus productifs que les Français. Quant au bonheur… Les femmes françaises qui se rendent en Allemagne sont nombreuses à être frappées par la “distance” adoptée par les hommes, tant le conditionnement néoféministe est plus avancé là-bas que chez nous. Et les Allemandes sont tellement heureuses de rester à la maison qu’elles font moins d’enfants que les Françaises. Parce qu’à l’heure de choisir, certaines préfèrent le travail que la maternité. Comme quoi, vouloir “concilier vie familiale et vie professionnelle” n’est peut-être pas si stupide…
[toutes ces institutions reposent sur une division du travail et sur la massification. Là où un seul parent inexpert gardait et éduquait un enfant (ou plusieurs d’âges différents) chez lui, vous avez un système où des assistantes maternelles ou des enseignants experts gardent et éduquent un groupe homogène d’enfants dans des locaux et avec des outils adaptés. Si ce n’est pas l’industrialisation, il faut m’expliquer ce que c’est.]
Je vous avoue que je ne vous comprends pas. Le processus que vous décrivez, pour moi, représente un progrès. Vous êtes contre l’industrialisation? On ne peut pas passer à un système économique de production massive et standardisée sans qu’il y ait un impact sur l’organisation sociale et même familiale. Ne me dites pas que vous en doutiez… J’ai l’impression que vous voulez maintenir un modèle familial “traditionnel” dans un monde industrialisé et individualiste, mais en rejetant l’un des rares éléments qui irait dans votre sens, à savoir la tradition religieuse judéo-chrétienne (pour aller vite). Je trouve cette attitude très incohérente.
[Mais cette « nouvelle répartition » dans votre esprit doit-elle être institutionnalisée, ou laisser chaque couple décider de son côté ?]
Très bonne question. Je ne sais pas trop. Notre époque produit tellement d’injonctions contradictoires et montre une telle allergie pour l’institutionnalisation. Je vous dirais qu’idéalement, il faudrait un modèle institutionnel. Après, chacun est maître chez lui pour le suivre, l’adapter… On parle quand même de choses qui se passent dans la sphère privée.
[Pourquoi en rester à une pratique « archaïque » venu de l’époque où les femmes ne travaillaient pas ?]
Mais mon pauvre ami, l’allaitement est redevenu “tendance” ces derniers temps. D’abord, c’est mon épouse qui l’a souhaité, elle est en effet la première concernée. Ensuite, cela permet justement d’introduire une “différenciation” entre les parents: préparer et donner un biberon, tout le monde peut le faire; il n’y a que la mère qui peut allaiter. Et on voit déjà les effets (bénéfiques selon moi) sur ma fille de 4 ans qui a bien compris que les femmes ont des seins et pas les hommes, et que les femmes allaitent les bébés et pas les hommes. Elle en conclut que les hommes et les femmes, ce n’est pas la même chose, même si son père passe l’aspirateur…
[Ce qui est curieux dans votre point de vue est que vous défendez un partage des tâches « négocié », mais dans votre exemple vous illustrez exactement le contraire !]
Pardon de ne pas être clair: en-dehors de quelques tâches dictées par la biologie (vous noterez que l’allaitement n’est l’affaire que de quelques mois), le reste est négociable: étendre le linge, tondre la pelouse, ranger la vaisselle, passer l’aspirateur… Ajoutons que l’usage de machines tend à rendre ces tâches plus simples, nécessitant une moindre spécialisation. Mais ce n’est pas le cas pour d’autres tâches: la cuisine, le repassage, où il faut un réel savoir-faire. Là, mieux vaut se mettre d’accord sur qui prend en charge telle activité. Mais faut-il une affectation obligatoire des tâches en fonction du sexe? Est-ce anormal, pour des raisons d’horaires de travail par exemple, que ce soit un père qui prépare le dîner des enfants?
[Je pourrais vous répondre qu’à l’époque il n’y avait pas de « nom » à transmettre. Le « nom de famille » n’apparait qu’à partir du XVème siècle dans les villes…]
Aux XVII° et XVIII° siècles, en tout cas, les simples paysans transmettent déjà des noms de famille si j’en crois mon arbre généalogique… Et cela semble être le cas au moins depuis le XVI° siècle.
[J’hésite à discuter ces sujets, parce qu’il est facile d’offenser.]
Je comprends et je m’excuse de donner l’impression d’ “étaler” ma vie privée. Seulement, à un moment, sur ces sujets, il faut bien confronter la théorie à la pratique. Je suis désolé si je vous mets mal à l’aise. Quant à l’offense… Je ne partage guère la culture de l’offense qui est devenue si courante parmi nos contemporains. Peut-être pour une mauvaise raison d’ailleurs, c’est que, jusqu’à un certain point, je garde la certitude d’être dans le vrai… Vous pouvez donc tirer, mon cher, et je n’hésiterai pas à riposter. Courtoisement, comme toujours.
[Mais je prends le risque. Si « les règles sont définies d’un commun accord » et « appliquées par celui qui est présent à tel ou tel moment », en quoi l’un ou l’autre de vous deux est « indispensable » aux enfants ?]
Très bonne question. Lorsque l’on est deux à travailler, ce n’est pas mal, croyez-moi, d’être deux pour gérer les enfants. Certains soirs, il arrive que l’un soit plus fatigué que l’autre. En bref, “l’union fait la force”. Alors, vous allez me dire, autant être trois. Il paraît que ça se fait. Nous, nous avons fait des enfants à deux, alors on les élève à deux. Cela étant, je vous rappelle que jadis, dans les familles où cohabitaient plusieurs générations et parfois les collatéraux, il y avait plus de deux adultes pour éduquer les enfants… Quand j’étais enfant, même si elle ne vivait pas sous notre toit, une de mes grands-mères habitait le même quartier et était très présente. Il n’est pas abusif de dire qu’elle a largement participé à mon éducation.
[Si au lieu d’être deux vous étiez trois ou un, qu’est-ce que cela changerait ?]
Pour trois, j’ai répondu. Pour un, la réponse est que ce serait beaucoup plus fatigant. Et lorsque celui qui fait respecter la loi est trop fatigué, la loi est rarement bien appliquée.
Mais je suis curieux, vous le savez: comment concevez-vous la “définition des règles”? En vous lisant, il me semble voir le père, investi de la pleine souveraineté, rédigeant les règles de la maison le soir, au dernier étage de la demeure à la lueur d’une chandelle, et le lendemain matin, tel Dieu remettant le Décalogue à Moïse, tendre le règlement ainsi rédigé à la mère en lui disant d’un ton solennel: “Femme, voici les règles que j’ai fixées. Je m’en vais gagner notre pain de ce jour. Je te prie de faire respecter l’ordre en la demeure en mon absence. A ce soir.” Et la mère n’a pas été ne serait-ce que consultée. Est-ce ainsi que vous voyez les choses? La mère étant celle qui est présente, n’aurait-elle pas un mot à dire sur les règles qu’elle a à appliquer? Par ailleurs, si on s’en tient à la loi aujourd’hui en France, l’autorité parentale est “exercée conjointement” par les père et mère de l’enfant. C’est une réalité juridique.
Comme je l’ai dit, l’indifférenciation totale me paraît être une aberration. Ce que je dis en revanche, c’est que maintenant que les femmes travaillent hors du foyer et apportent une part du revenu, il n’est pas scandaleux que les hommes se voient attribuer un peu plus de tâches ménagères.
@ nationaliste-ethniciste
[« Prenons plutôt le cas de l’Allemagne et de la France, ou l’on observe une véritable différence dans le taux d’emploi des femmes dans l’économie. Diriez-vous que la société allemande est moins libre et moins productive que la nôtre ? » Eh bien parlons de l’Allemagne. De ce que j’ai entendu, les Allemands ne sont guère plus productifs que les Français.]
Mais guère moins non plus, surtout si vous corrigez de « l’effet chômage ».
[Quant au bonheur…]
Il n’était pas ici question du « bonheur ». Vous aviez parlé d’une société « libre et productive », pas d’une société heureuse.
[Je vous avoue que je ne vous comprends pas. Le processus que vous décrivez, pour moi, représente un progrès.]
En termes économiques, c’est certain. De la même manière que la chute de l’empire romain et son remplacement par le système féodal fut un progrès. Mais en termes de civilisation, la question reste posée…
[Vous êtes contre l’industrialisation? On ne peut pas passer à un système économique de production massive et standardisée sans qu’il y ait un impact sur l’organisation sociale et même familiale. Ne me dites pas que vous en doutiez… J’ai l’impression que vous voulez maintenir un modèle familial “traditionnel” dans un monde industrialisé et individualiste, mais en rejetant l’un des rares éléments qui irait dans votre sens, à savoir la tradition religieuse judéo-chrétienne (pour aller vite). Je trouve cette attitude très incohérente.]
Dans cet échange, je ne « veux » rien. Je me contente d’observer. Ce que je dis, c’est qu’on ne peut pas à la fois se réjouir des changements du modèle familial et pleurer sur leurs effets. Peut-être que le progrès économique nous condamne à vivre dans un monde tel que décrit par Burgess dans « Orange mécanique », mais je ne vois aucun motif de m’en réjouir. Et je ne vois pas très bien où vous voyez chez moi un « rejet de la tradition religieuse judéo-chrétienne ».
[« Mais cette « nouvelle répartition » dans votre esprit doit-elle être institutionnalisée, ou laisser chaque couple décider de son côté ? » Très bonne question. Je ne sais pas trop. Notre époque produit tellement d’injonctions contradictoires et montre une telle allergie pour l’institutionnalisation. Je vous dirais qu’idéalement, il faudrait un modèle institutionnel. Après, chacun est maître chez lui pour le suivre, l’adapter… On parle quand même de choses qui se passent dans la sphère privée.]
Justement, là est toute la question. Si le partage est « institutionnalisé », alors la chose ne se passe plus dans la « sphère privée », puisque la société se mêle d’édicter des règles. L’ambiguïté de votre réponse illustre l’hésitation de l’époque. S’il n’y a pas de modèle institutionnalisé, comment l’enfant pourrait savoir « à quoi ressemble » d’être un homme ou une femme, s’il reçoit des signaux contradictoires de sa famille, de l’école, de la télévision, des familles de ses amis ?
[« Pourquoi en rester à une pratique « archaïque » venu de l’époque où les femmes ne travaillaient pas ? »vMais mon pauvre ami, l’allaitement est redevenu “tendance” ces derniers temps. D’abord, c’est mon épouse qui l’a souhaité, elle est en effet la première concernée. Ensuite, cela permet justement d’introduire une “différenciation” entre les parents : préparer et donner un biberon, tout le monde peut le faire ; il n’y a que la mère qui peut allaiter. Et on voit déjà les effets (bénéfiques selon moi) sur ma fille de 4 ans qui a bien compris que les femmes ont des seins et pas les hommes, et que les femmes allaitent les bébés et pas les hommes. Elle en conclut que les hommes et les femmes, ce n’est pas la même chose, même si son père passe l’aspirateur…]
Oui, mais… si elle a compris que « les femmes allaitent les bébés et pas les hommes », il lui reste à comprendre qu’il y a certaines choses utiles que les hommes font et les femmes ne font pas. Quelle activité proposez-vous de retenir pour cette démonstration ? Votre exemple illustre parfaitement mon point. Maman allaite, elle est la seule à pouvoir le faire. Papa passe l’aspirateur, mais ça tout le monde peut le faire. Quelle conclusion tirez-vous, si ce n’est que la Mère est essentielle, et le Père contingent ?
On est ramené toujours au même point. L’indifférenciation – sociale, s’entend, l’indifférenciation biologique étant impossible – conduit à instaurer l’empire de la Mère et à l’effacement du Père. Vous avez été prévenu.
[« Ce qui est curieux dans votre point de vue est que vous défendez un partage des tâches « négocié », mais dans votre exemple vous illustrez exactement le contraire ! » Pardon de ne pas être clair: en-dehors de quelques tâches dictées par la biologie (vous noterez que l’allaitement n’est l’affaire que de quelques mois),]
Vous voulez dire qu’une fois l’allaitement terminé, votre femme reprendra le travail à plein temps ?
[le reste est négociable: étendre le linge, tondre la pelouse, ranger la vaisselle, passer l’aspirateur… Ajoutons que l’usage de machines tend à rendre ces tâches plus simples, nécessitant une moindre spécialisation. Mais ce n’est pas le cas pour d’autres tâches: la cuisine, le repassage, où il faut un réel savoir-faire. Là, mieux vaut se mettre d’accord sur qui prend en charge telle activité. Mais faut-il une affectation obligatoire des tâches en fonction du sexe? Est-ce anormal, pour des raisons d’horaires de travail par exemple, que ce soit un père qui prépare le dîner des enfants?]
Encore une fois, je ne prétends pas donner des prescriptions. Chacun fait comme il veut. Mais il faut comprendre les conséquences de ce qu’on fait. Pour le moment, vous m’expliquez qu’il y a des fonctions réservées par la biologie à la femme (sans qu’il y ait de réciproque), et que tout le reste est négociable. Vous ne pouvez pas ne pas voir que cela conduit à une conclusion évidente…
[« Je pourrais vous répondre qu’à l’époque il n’y avait pas de « nom » à transmettre. Le « nom de famille » n’apparait qu’à partir du XVème siècle dans les villes… » Aux XVII° et XVIII° siècles, en tout cas, les simples paysans transmettent déjà des noms de famille si j’en crois mon arbre généalogique… Et cela semble être le cas au moins depuis le XVI° siècle.]
Certes. Mais nous sommes alors déjà dans une culture ou la « cité » est revenue… même chez les paysans !
[« Mais je prends le risque. Si « les règles sont définies d’un commun accord » et « appliquées par celui qui est présent à tel ou tel moment », en quoi l’un ou l’autre de vous deux est « indispensable » aux enfants ? » Très bonne question. Lorsque l’on est deux à travailler, ce n’est pas mal, croyez-moi, d’être deux pour gérer les enfants. Certains soirs, il arrive que l’un soit plus fatigué que l’autre. En bref, “l’union fait la force”.]
En d’autres termes, c’est un arrangement purement pratique. Mais on parlait ici de l’aspect symbolique. Si les deux parents sont interchangeables, alors comment pourraient-ils incarner des modèles différents ?
[Mais je suis curieux, vous le savez : comment concevez-vous la “définition des règles” ? En vous lisant, il me semble voir le père, investi de la pleine souveraineté, rédigeant les règles de la maison le soir, au dernier étage de la demeure à la lueur d’une chandelle, et le lendemain matin, tel Dieu remettant le Décalogue à Moïse, tendre le règlement ainsi rédigé à la mère en lui disant d’un ton solennel: “Femme, voici les règles que j’ai fixées. Je m’en vais gagner notre pain de ce jour. Je te prie de faire respecter l’ordre en la demeure en mon absence. A ce soir.” Et la mère n’a pas été ne serait-ce que consultée.]
Encore une fois, je n’ai pas la prétention d’être prescriptif. Je ne peux que constater que dans la plupart des sociétés dites « traditionnelles », ce n’est ni le père ni la mère qui définissent les règles. Celles-ci sont institutionnalisées. La société vous apprend depuis la plus tendre enfance quels sont les droits et les devoirs de chaque rôle, et vous prépare à assumer le vôtre. Et personne, pas plus l’homme que la femme, n’est « consulté ». Maintenant, je ne peux que constater que ce modèle a volé en éclats, et qu’à partir de là les gens essayent de définir à leur niveau l’organisation de leur couple et de leur foyer. Et que ce passage d’une organisation « institutionnalisée » à une organisation « personnalisée » a des effets dramatiques sur l’organisation du couple, sur la transmission, sur l’éducation des enfants. C’est tout. Si vous me demandez comment les choses « devraient » être, je vous répondrais que je n’en sais rien. Chacun de nous – surtout quand on a eu une vie heureuse – a une certaine nostalgie pour l’ordre de sa jeunesse, et je ne suis pas l’exception. Je ne suis pas moins conscient que le retour en arrière est impossible.
@ Descartes,
[En termes économiques, c’est certain. De la même manière que la chute de l’empire romain et son remplacement par le système féodal fut un progrès.]
Je m’inscris en faux contre cette affirmation. La chute de l’empire romain (d’Occident, précisons-le) a entraîné une forte réduction des échanges commerciaux à l’échelle méditerranéenne. Le système économique romain, reposant sur le développement de l’urbanisation et un début de spécialisation, s’est effondré, entraînant une régression économique.
Pour ne prendre qu’un exemple, l’importante diffusion des productions “standardisées” des grands ateliers nord-africains de céramique sigillée a reculé au profit de productions locales, souvent de moins bonne facture.
[Dans cet échange, je ne « veux » rien.]
Ah bon? Je jurerais pourtant qu’il y a des choses dont vous ne voulez pas…
[Ce que je dis, c’est qu’on ne peut pas à la fois se réjouir des changements du modèle familial et pleurer sur leurs effets.]
En effet. Je me permets cependant de vous retourner la remarque. Parce que, pardon de vous le rappeler, mais la distinction entre sphère publique et sphère privée, et la très large liberté accordée aux individus dans la sphère privée, c’est un héritage des Lumières, de la modernité. Et vous m’expliquez à présent que la société serait fondée à “édicter des règles pour institutionnaliser les rôles au sein de la famille”. Vous ne pouvez pas laisser la sphère privée à l’écart du contrôle de la société, et regretter ensuite que les gens fassent comme ils le veulent dans ladite sphère… Ou alors, il vous faut aussi accepter que la société se mêle de ce qui se passe dans la chambre à coucher des gens.
[Et je ne vois pas très bien où vous voyez chez moi un « rejet de la tradition religieuse judéo-chrétienne ».]
J’ignorais que les communistes voyaient autre chose dans la religion que, comment disait ce vieux Karl déjà?, ah oui, “l’opium du peuple”, ce qui ne me semblait pas être une déclaration d’amour. Mais si vous me dites que vous êtes attaché à la tradition religieuse judéo-chrétienne, je vous crois volontiers et j’admets mon erreur.
[Quelle conclusion tirez-vous, si ce n’est que la Mère est essentielle, et le Père contingent ?]
Le Père, ce “superflu si nécessaire” aurait dit Voltaire… Blague à part, votre conclusion est juste… Sauf qu’en fait, ça a toujours été comme ça. Chez nombre d’espèces de mammifères, la mère seule élève les petits. Le Père est une construction sociale et culturelle, et – ce que les féministes n’arrivent pas à comprendre – une construction d’une très grande fragilité. Le “patriarcat oppressif” est un mythe. Il suffit de gratter un peu, et l’empire de la mère revient. Le patriarcat limite, confine l’empire de la mère, il ne l’efface jamais complètement.
Je pense que ce que vous observez (et peut-être déplorez, moi en tout cas je le déplore), c’est en fait, plus généralement un effacement du masculin. Mais je pense que le capitalisme n’en est que partiellement responsable. Traditionnellement, dans les sociétés occidentales chrétiennes, les fonctions masculines par excellence étaient celles de la guerre et de la religion, alors que la fonction nourricière était partagée avec les femmes. Or nous vivons dans une société qui est en passe d’oublier ce qu’est la guerre (une vraie guerre s’entend), et la religion connaît une forte désaffection, du moins chez les Européens de souche. Lorsque je suis né au début des années 80, beaucoup de gens vivants avaient connu la 2ème guerre mondiale ou la guerre d’Algérie. Ces gens sont en train de disparaître. La guerre a disparu de l’horizon depuis presque deux générations, et ce n’est pas pour rien dans l’effacement du tragique en politique. Avec le déclin de la religion, c’est le transcendant qui s’en va. Sans tragique ni transcendance, et avec de surcroît un hyper-individualisme encouragé par le capitalisme libéral, pas étonnant qu’il ne reste que les valeurs larmoyantes attachées à la féminité: compassion, empathie, le “care”, etc.
Mais comme vous ne voulez pas m’accompagner dans ma Croisade anti-musulmane pour restaurer les valeurs viriles de la France éternelle…
[L’indifférenciation – sociale, s’entend, l’indifférenciation biologique étant impossible – conduit à instaurer l’empire de la Mère et à l’effacement du Père. Vous avez été prévenu.]
Merci de me prévenir, je prends – toujours – bonne note de vos remarques. Vous savez, je vis dans une époque que je n’aime guère. Mais je peux difficilement changer les rapports familiaux à moi tout seul. J’essaie, à mon humble niveau, de défendre une certaine idée de l’image paternelle, car avec le nom, j’essaie de transmettre une “geste familiale” si j’ose dire. Vous me laissez entendre que ce combat est vain. C’est possible et j’ai conscience d’être entraîné moi aussi par un mouvement profond qui affecte notre société. Je fais partie de cette société, que voulez-vous.
[Vous voulez dire qu’une fois l’allaitement terminé, votre femme reprendra le travail à plein temps ?]
Oui.
[Encore une fois, je ne prétends pas donner des prescriptions. Chacun fait comme il veut.]
Mais est-ce que, à vos yeux, certains font “mieux” que d’autres? Est-ce que l’équilibre que vous avez su instaurer avec votre moitié vous paraît suffisamment “bon” pour le proposer à l’ensemble de la société? Si la réponse est “oui”, vous “voulez” bien quelque chose, à savoir promouvoir un certain modèle de répartition des rôles dans la famille. Ce n’est pas honteux que je sache.
[La société vous apprend depuis la plus tendre enfance quels sont les droits et les devoirs de chaque rôle, et vous prépare à assumer le vôtre. Et personne, pas plus l’homme que la femme, n’est « consulté ».]
Soit. Mais dans ce cas, la liberté dans la sphère privée est un leurre. Le seul modèle viable serait celui des sociétés holistes.
@ nationaliste-ethniciste
[« En termes économiques, c’est certain. De la même manière que la chute de l’empire romain et son remplacement par le système féodal fut un progrès. » Je m’inscris en faux contre cette affirmation. La chute de l’empire romain (d’Occident, précisons-le) a entraîné une forte réduction des échanges commerciaux à l’échelle méditerranéenne.]
J’ignorais que pour vous le progrès économique se mesurait à l’extension du commerce. D’ailleurs, beaucoup d’auteurs ont défié le récit traditionnel qui faisait du bas moyen-âge un « âge obscur ».
[« Ce que je dis, c’est qu’on ne peut pas à la fois se réjouir des changements du modèle familial et pleurer sur leurs effets. » En effet. Je me permets cependant de vous retourner la remarque. Parce que, pardon de vous le rappeler, mais la distinction entre sphère publique et sphère privée, et la très large liberté accordée aux individus dans la sphère privée, c’est un héritage des Lumières, de la modernité. Et vous m’expliquez à présent que la société serait fondée à “édicter des règles pour institutionnaliser les rôles au sein de la famille”. Vous ne pouvez pas laisser la sphère privée à l’écart du contrôle de la société, et regretter ensuite que les gens fassent comme ils le veulent dans ladite sphère… Ou alors, il vous faut aussi accepter que la société se mêle de ce qui se passe dans la chambre à coucher des gens.]
Je crois que vous faites ici une confusion entre les « sphères » et « espaces ». La chambre à coucher est un espace privé, mais les rapports entre les époux appartiennent à la sphère publique, puisqu’ils sont réglés par une norme sociale, et non par la volonté individuelle. La famille est une institution, et comme toute institution, appartient à la sphère publique.
Je défends l’autonomie de la sphère privée par rapport à la sphère publique, et c’est bien là l’héritage des Lumières. Mais l’autonomie fonctionne dans les deux sens. Et défendre la sphère publique contre les empiètements de la sphère privée, c’est là aussi être fidèle à l’esprit en question.
[« Et je ne vois pas très bien où vous voyez chez moi un « rejet de la tradition religieuse judéo-chrétienne ». » J’ignorais que les communistes voyaient autre chose dans la religion que, comment disait ce vieux Karl déjà?, ah oui, “l’opium du peuple”, ce qui ne me semblait pas être une déclaration d’amour.]
Je vous conseille de relire le paragraphe complet de Marx ou figure cette formule, et vous verrez qu’il est bien moins négatif que vous ne le pensez. Mais je vous rappelle que vous me reprochiez de rejeter la TRADITION, et non la RELIGION. Ce n’est pas du tout la même chose. Je connais beaucoup de communistes qui ont baptisé leurs enfants et enterré religieusement leurs parents, tout en étant parfaitement athées.
[Sauf qu’en fait, ça a toujours été comme ça. Chez nombre d’espèces de mammifères, la mère seule élève les petits. Le Père est une construction sociale et culturelle, et – ce que les féministes n’arrivent pas à comprendre – une construction d’une très grande fragilité. Le “patriarcat oppressif” est un mythe. Il suffit de gratter un peu, et l’empire de la mère revient. Le patriarcat limite, confine l’empire de la mère, il ne l’efface jamais complètement.]
Certes. Mais on peut aussi se dire que si l’homme a été de tous les primates celui qui a réussi le mieux à s’adapter à son environnement, c’est aussi parce que le rapport coopératif entre la femelle et le mâle et la division du travail entre eux donne aux petits plus de chance de survivre et de se reproduire.
[Je pense que ce que vous observez (et peut-être déplorez, moi en tout cas je le déplore), c’est en fait, plus généralement un effacement du masculin. Mais je pense que le capitalisme n’en est que partiellement responsable. Traditionnellement, dans les sociétés occidentales chrétiennes, les fonctions masculines par excellence étaient celles de la guerre et de la religion, alors que la fonction nourricière était partagée avec les femmes.]
Vous avez une vision fort idéaliste je pense. La guerre et la religion, oui. Mais aussi l’art, la science, la technique, le droit.
[La guerre a disparu de l’horizon depuis presque deux générations, et ce n’est pas pour rien dans l’effacement du tragique en politique. Avec le déclin de la religion, c’est le transcendant qui s’en va. Sans tragique ni transcendance, et avec de surcroît un hyper-individualisme encouragé par le capitalisme libéral, pas étonnant qu’il ne reste que les valeurs larmoyantes attachées à la féminité : compassion, empathie, le “care”, etc.]
Oui mais… pourquoi la guerre – au sens classique du terme – a-t-elle disparu de nos contrées ? C’est bien là un effet du capitalisme : la guerre est devenue trop chère. Pourquoi la transcendance disparait ? Parce que c’est un obstacle à la consommation. Les valeurs « larmoyantes » dont vous parlez sont celles du capitalisme.
[Mais comme vous ne voulez pas m’accompagner dans ma Croisade anti-musulmane pour restaurer les valeurs viriles de la France éternelle…]
Parce que je pense que vous vous trompez d’ennemi. Ce n’est pas en chassant les musulmans que vous rétablirez les « valeurs viriles »…
[Merci de me prévenir, je prends – toujours – bonne note de vos remarques. Vous savez, je vis dans une époque que je n’aime guère. Mais je peux difficilement changer les rapports familiaux à moi tout seul. J’essaie, à mon humble niveau, de défendre une certaine idée de l’image paternelle, car avec le nom, j’essaie de transmettre une “geste familiale” si j’ose dire. Vous me laissez entendre que ce combat est vain. C’est possible et j’ai conscience d’être entraîné moi aussi par un mouvement profond qui affecte notre société. Je fais partie de cette société, que voulez-vous.]
Loin de moi l’idée de vous adresser un quelconque reproche. Chacun de nous fait du mieux qu’il peut, et ceux qui comme vous et moi n’aiment pas l’époque qui leur est échue n’ont d’autre alternative positive que de lutter à leur niveau pour préserver ce qui peut l’être. Ne croyez pas que je méprise ce combat, c’est aussi le mien !
[Mais est-ce que, à vos yeux, certains font “mieux” que d’autres ? Est-ce que l’équilibre que vous avez su instaurer avec votre moitié vous paraît suffisamment “bon” pour le proposer à l’ensemble de la société ? Si la réponse est “oui”, vous “voulez” bien quelque chose, à savoir promouvoir un certain modèle de répartition des rôles dans la famille. Ce n’est pas honteux que je sache.]
Il n’y aurait pas de honte. Mais pour un matérialiste comme moi, le fait de « proposer à l’ensemble de la société » mon modèle est une perte de temps. Ce modèle ne peut être adopté, parce qu’il va contre les intérêts des classes dominantes.
[« La société vous apprend depuis la plus tendre enfance quels sont les droits et les devoirs de chaque rôle, et vous prépare à assumer le vôtre. Et personne, pas plus l’homme que la femme, n’est « consulté ». » Soit. Mais dans ce cas, la liberté dans la sphère privée est un leurre. Le seul modèle viable serait celui des sociétés holistes.]
Pas du tout. Qu’on n’ait pas le choix du rôle n’implique pas qu’on n’ait pas une marge de liberté. Et c’est dans cette marge que réside la sphère privée. Les « rôles » imposaient à l’homme de nourrir sa famille, à la femme de faire la cuisine. Mais ils n’imposaient ni le choix de la profession, ni le choix du menu.
@ Descartes,
[J’ignorais que pour vous le progrès économique se mesurait à l’extension du commerce.]
C’est un critère, je n’ai pas dit que ce fut le seul, ne caricaturez pas mes propos. Le déclin des villes, et donc de l’économie urbaine, est bien réel en Occident durant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge. Bien sûr, toutes les provinces ne sont pas affectées simultanément, mais le mouvement est général, très précoce en Bretagne, précoce en Gaule et en Illyrie, nettement plus tardif en Italie et en Afrique du nord. Le développement urbain alimentait non seulement un commerce à grande distance, mais stimulait également la production et les échanges au niveau local. L’activité édilitaire, importante entre le 1er et le III° siècle, entretenait également tout un secteur économique (on dirait aujourd’hui “le bâtiment”). Le fait est que tout cela décline, les villes rétrécissent, la demande urbaine s’effondre, l’activité édilitaire se fait modeste. Même dans les campagnes, on observe dans de nombreuses régions le remplacement à terme des grandes “villae” par des structures plus modestes. Ailleurs, des terres sont abandonnées.
La preuve de ce que j’avance se trouve dans le fait que le redémarrage économique de l’Occident à partir du XI° siècle coïncide avec un essor urbain bien visible (en Italie du nord, en Flandres, avant de se diffuser ailleurs) et une intensification des échanges avec l’Orient. Un hasard sans doute…
[D’ailleurs, beaucoup d’auteurs ont défié le récit traditionnel qui faisait du bas moyen-âge un « âge obscur ».]
Les mêmes qui nous expliquent que la France n’a jamais existé? Ah, que la vie serait morne sans le déconstructivisme… Blague à part, il faut évidemment se garder des excès: l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge ne sont pas ces “âges obscurs” qui ont jadis joué le rôle de repoussoir commode, coincés entre deux “âges d’or”, l’empire romain et le “beau Moyen Âge” des cathédrales gothiques. Ce sont des périodes de mutation, de recomposition. Mais ce changement a un coût. Et ce coût fut un déclin économique et culturel bien réel. Dans le domaine de la justice, on n’est pas loin d’une franche régression avec l’institutionnalisation de la faide (sorte de vendetta du droit germanique).
Si Justinien au VI° siècle a pu abattre les royaumes vandale et ostrogoth en Afrique et en Italie (des régions ayant pourtant conservé une relative prospérité), tout en tenant en respect l’empire perse sassanide, dites-vous bien que c’est parce que l’empire romain d’Orient gardait une puissance économique que les royaumes barbares d’Occident avaient manifestement perdu, malgré leurs efforts pour conserver les structures sociales et administratives héritées de Rome.
[Je connais beaucoup de communistes qui ont baptisé leurs enfants et enterré religieusement leurs parents, tout en étant parfaitement athées.]
C’est une attitude à mes yeux incompréhensible. Un sacrement comme le baptême a une signification profondément religieuse, d’ailleurs rappelée par le prêtre lors de la cérémonie. Faire baptiser ses enfants quand on est athée, c’est au mieux du conformisme (ce qui paraît surprenant pour un communiste français des années 70-80), au pire de l’hypocrisie.
[Vous avez une vision fort idéaliste je pense. La guerre et la religion, oui. Mais aussi l’art, la science, la technique, le droit.]
Je ne vois pas où est “l’idéalisme” dans mon propos. Je me réfère à Adalbéron de Laon qui, au XI° siècle, distingue les trois ordres: ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent pour nourrir les autres. L’art et le droit ont partie liée avec la religion, et pendant longtemps la science et la technique ont tout à voir avec la guerre, que ce soit dans le domaine de l’architecture ou des soins médicaux.
[Les valeurs « larmoyantes » dont vous parlez sont celles du capitalisme.]
Il fut un temps pas si lointain où le capitalisme s’accommodait (pour ne pas dire rendait possible d’un point de vue productif) des guerres de masse, durant plusieurs années, mobilisant tous les hommes en âge de se battre. Le capitalisme a dû muter… Pour ma part, je pense que le capitalisme ne véhicule pas de véritables valeurs: après tout, on trouve le capitalisme aussi bien dans des démocraties à prétentions égalitaires que dans des dictatures militaires.
[Parce que je pense que vous vous trompez d’ennemi. Ce n’est pas en chassant les musulmans que vous rétablirez les « valeurs viriles »…]
Contrairement à vous, je pense que quand la violence reviendra dans notre société (et elle revient à bas bruit), les “valeurs viriles” balaieront les valeurs féminines. Le capitalisme a besoin d’une société avec un minimum d’ordre et de stabilité. Le moment venu, je ne doute pas que le capitalisme nous vendra les valeurs viriles aussi sûrement qu’il nous vend aujourd’hui le “woke” et autres fadaises “progressistes”.
Quant à l’ennemi, je pense que nous avons un profond désaccord sur la nature de ce qui fonde la solidarité inconditionnelle entre les membres de la cité. Pour moi (mais je reprends ici la thèse de certains penseurs politiques, je ne me prends pas pour un génie), ce qui fonde la solidarité au sein de la cité, c’est la nécessité de se défendre contre un ennemi commun. La solidarité est d’abord une solidarité guerrière face à l’Autre. Régis Debray interprète d’ailleurs le mot “Fraternité” de la devise nationale comme étant à l’origine une fraternité d’armes, si ma mémoire ne me trompe pas. Or l’ennemi a disparu, en même temps que l’Autre, le non-citoyen, le non-Français, puisque il y a une injonction à être solidaire avec le migrant, le sans-papier, le musulman, etc. J’attire d’ailleurs votre attention sur le fait que l’idéal communiste, qui est un idéal de fraternité universelle, déboucherait au final sur le même résultat, bien qu’il emprunte un chemin différent de celui du capitalisme. Or supprimer l’ennemi est un tort. Je vais être provocateur, mais nous avons besoin d’un ennemi afin de rappeler la nécessité de la solidarité au sein de la cité. C’est pourquoi l’effacement de la figure de l’ennemi affaiblit les liens entre citoyens. C’est même pire puisqu’on a accordé la pleine citoyenneté à l’ennemi! La conséquence, nous la voyons tous les jours: qui a envie de cultiver la solidarité vis-à-vis de gens qui rejettent notre mode de vie, nos traditions, qui ne veulent rien partager avec nous, lorsqu’ils n’affichent pas ouvertement leur haine et leur mépris pour notre identité?
[Et c’est dans cette marge que réside la sphère privée. Les « rôles » imposaient à l’homme de nourrir sa famille, à la femme de faire la cuisine. Mais ils n’imposaient ni le choix de la profession, ni le choix du menu.]
Si la liberté de la femme se limite à choisir le menu qu’elle prépare, cela semble être une vision extrêmement restrictive de la liberté… Pour vous, la liberté se limite à une étroite marge de manœuvre dans un cadre finalement très contraint. Je ne me prononce pas sur le bien-fondé de cette conception. Je me bornerai à observer qu’en effet, une telle conception est inacceptable pour beaucoup de nos contemporains.
@ nationaliste-ethniciste
[« J’ignorais que pour vous le progrès économique se mesurait à l’extension du commerce. » C’est un critère, je n’ai pas dit que ce fut le seul, ne caricaturez pas mes propos. Le déclin des villes, et donc de l’économie urbaine, est bien réel en Occident durant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge.]
Certes. Mais si ce « déclin » se traduit par un appauvrissement des classes les plus fortunées, par un effondrement de l’économie somptuaire – et donc des arts, des produits de luxe, de la construction de grands bâtiments publics – peut-on pour autant dire qu’il se traduit par une baisse générale du niveau de vie pour l’ensemble des classes de la société ? Cela paraît loin d’être évident.
[« D’ailleurs, beaucoup d’auteurs ont défié le récit traditionnel qui faisait du bas moyen-âge un « âge obscur ». Les mêmes qui nous expliquent que la France n’a jamais existé ?]
Au contraire. Parmi ces historiens, on trouve non seulement des modernes, mais aussi des classiques – je pense à Lavisse et à son travail sur le règne de Philippe Auguste – dont le but était justement de trouver une filiation à la France « éternelle ». La redécouverte du moyen-âge n’est pas seulement le fait des « révisionnistes » postmodernes…
[Ce sont des périodes de mutation, de recomposition. Mais ce changement a un coût. Et ce coût fut un déclin économique et culturel bien réel.]
J’ai une vision un peu différente. Ce genre de périodes est marqué par le déclin économique des classes les plus hautes de la société. L’effondrement des structures provoque une redistribution de la richesse dans laquelle les plus pauvres s’enrichissent, et les plus riches s’appauvrissent. Le problème est que la créativité artistique, scientifique, philosophique d’une société est le fait des classes les plus riches. C’est pourquoi les périodes révolutionnaires s’accompagnent en général d’un appauvrissement « culturel », tout simplement parce que la redistribution fait disparaître les surplus et les concentrations de richesse nécessaires à la production « culturelle ». Mais en déduire que la société s’est appauvrie globalement… c’est à mon avis un abus.
[Si Justinien au VI° siècle a pu abattre les royaumes vandale et ostrogoth en Afrique et en Italie (des régions ayant pourtant conservé une relative prospérité), tout en tenant en respect l’empire perse sassanide, dites-vous bien que c’est parce que l’empire romain d’Orient gardait une puissance économique que les royaumes barbares d’Occident avaient manifestement perdu, malgré leurs efforts pour conserver les structures sociales et administratives héritées de Rome.]
Là encore, je pense qu’il ne faut pas confondre la richesse d’une société et sa capacité à concentrer cette richesse sur un seul objectif. Pourquoi l’URSS a pu être une superpuissance mondiale ? Pas à cause de sa richesse, qui était bien inférieure à celle de beaucoup de pays occidentaux. Elle l’a été parce que son système politique et administrative lui permettait de concentrer massivement la richesse sur les domaines jugés « stratégiques ». On peut je pense appliquer le même raisonnement à la situation que vous évoquez.
[« Je connais beaucoup de communistes qui ont baptisé leurs enfants et enterré religieusement leurs parents, tout en étant parfaitement athées. » C’est une attitude à mes yeux incompréhensible. Un sacrement comme le baptême a une signification profondément religieuse, d’ailleurs rappelée par le prêtre lors de la cérémonie. Faire baptiser ses enfants quand on est athée, c’est au mieux du conformisme (ce qui paraît surprenant pour un communiste français des années 70-80), au pire de l’hypocrisie.]
Je ne suis pas d’accord avec vous. Je pense que vous confondez ici « religieux » et « spirituel ». Oui, le baptême a une profonde signification religieuse – au sens étymologique du terme, c’est-à-dire, « ce qui relie » les hommes entre eux. Et en ce sens, il n’y a aucune contradiction entre le fait d’être athée et baptiser ses enfants, puisqu’il s’agit d’établir un lien entre des hommes, indépendamment de l’existence ou non d’un dieu.
Baptiser ses enfants, se marier au temple, se faire enterrer selon les rites n’a pas nécessairement un sens spirituel, un lien avec une divinité. Pour beaucoup de gens, c’est un moyen de s’inscrire dans un « lien » entre les hommes, non seulement ceux d’aujourd’hui, mais aussi ceux du passé, en perpétuant un geste accompli par nos ancêtres. Certains de ces gestes sont d’ailleurs plus anciens que le christianisme lui-même, et ont été repris de croyances païennes. Pourquoi le fait d’être athée et communiste retirerait du sens ou de la sincérité au geste ?
[« Je ne vois pas où est “l’idéalisme” dans mon propos. Je me réfère à Adalbéron de Laon qui, au XI° siècle, distingue les trois ordres: ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent pour nourrir les autres. L’art et le droit ont partie liée avec la religion, et pendant longtemps la science et la technique ont tout à voir avec la guerre, que ce soit dans le domaine de l’architecture ou des soins médicaux. »]
La technique, c’était aussi l’irrigation pour l’agriculture, pour ne donner qu’un exemple classique. C’est bien lié au troisième ordre, ceux qui « nourrissent »… je pense que vous êtes idéaliste au sens que vous adhérez à la description d’Adalbéron sans vous interroger sur la base matérielle de ces trois ordres. Pourquoi une partie de la société – la plus large, d’ailleurs – acceptait de trimer sous le soleil et la pluie pour que les deux autres puissent vivre dans un confort relatif ?
[« Les valeurs « larmoyantes » dont vous parlez sont celles du capitalisme. » Il fut un temps pas si lointain où le capitalisme s’accommodait (pour ne pas dire rendait possible d’un point de vue productif) des guerres de masse, durant plusieurs années, mobilisant tous les hommes en âge de se battre. Le capitalisme a dû muter…]
Tout à fait. Et c’est le développement des moyens techniques qui a provoqué cette mutation : avec des armes aux effets de plus en plus terrifiants, le coût des guerres a considérablement augmenté, au point de mettre en danger l’équilibre du capitalisme lui-même.
[Pour ma part, je pense que le capitalisme ne véhicule pas de véritables valeurs: après tout, on trouve le capitalisme aussi bien dans des démocraties à prétentions égalitaires que dans des dictatures militaires.]
Oui et non. Bien sûr, le capitalisme ne véhicule pas une organisation politique donnée, et on trouve des économies capitalistes régies par des dictatures bien plus souvent que par des démocraties. Mais il est excessif de dire que le capitalisme ne véhicule pas de véritables valeurs : l’autonomie de l’individu, la liberté du commerce et de l’industrie, le respect de la propriété privée sont des valeurs typiquement capitalistes – au sens qu’elles font partie de l’idéologie dominante du capitalisme.
[« Parce que je pense que vous vous trompez d’ennemi. Ce n’est pas en chassant les musulmans que vous rétablirez les « valeurs viriles »… » Contrairement à vous, je pense que quand la violence reviendra dans notre société (et elle revient à bas bruit), les “valeurs viriles” balaieront les valeurs féminines. Le capitalisme a besoin d’une société avec un minimum d’ordre et de stabilité. Le moment venu, je ne doute pas que le capitalisme nous vendra les valeurs viriles aussi sûrement qu’il nous vend aujourd’hui le “woke” et autres fadaises “progressistes”.]
Je crains – et je le regrette, croyez-moi – que le retour de la violence, loin de retablir les « valeurs viriles », n’aille plutôt dans le sens d’une violence aveugle qui ne soit pas modérée par des logiques comme celles de l’honneur, de la protection des plus faibles, etc. Je ne doute pas que, comme vous le dites, le capitalisme ait besoin d’un minimum d’ordre et de stabilité. Mais je doute qu’il ait les moyens symboliques pour l’obtenir, autres que la réponse à la violence aveugle par une autre violence aveugle.
[Quant à l’ennemi, je pense que nous avons un profond désaccord sur la nature de ce qui fonde la solidarité inconditionnelle entre les membres de la cité. Pour moi (mais je reprends ici la thèse de certains penseurs politiques, je ne me prends pas pour un génie), ce qui fonde la solidarité au sein de la cité, c’est la nécessité de se défendre contre un ennemi commun. La solidarité est d’abord une solidarité guerrière face à l’Autre. Régis Debray interprète d’ailleurs le mot “Fraternité” de la devise nationale comme étant à l’origine une fraternité d’armes, si ma mémoire ne me trompe pas. Or l’ennemi a disparu, en même temps que l’Autre, le non-citoyen, le non-Français, puisque il y a une injonction à être solidaire avec le migrant, le sans-papier, le musulman, etc. J’attire d’ailleurs votre attention sur le fait que l’idéal communiste, qui est un idéal de fraternité universelle, déboucherait au final sur le même résultat, bien qu’il emprunte un chemin différent de celui du capitalisme. Or supprimer l’ennemi est un tort. Je vais être provocateur, mais nous avons besoin d’un ennemi afin de rappeler la nécessité de la solidarité au sein de la cité. C’est pourquoi l’effacement de la figure de l’ennemi affaiblit les liens entre citoyens.]
Je vais vous surprendre, mais je partage votre analyse. Là où nous différons, c’est que je ne pense pas que l’ennemi doive être un « autre » incarné. Pour le dire autrement, on peut se faire des ennemis abstraits : l’ignorance, la misère, la maladie, la pauvreté. C’est d’ailleurs ce que les communistes dans les années glorieuses – parfaitement conscients de la problématique que vous soulevez – ont essayé de faire. Regardez la littérature communiste, et vous verrez partout la « bataille de la production » ou le « combat contre l’ignorance ». Il y a une formule de Staline que j’avais appris dans ma jeunesse et qui m’a toujours impressionné : « l’ignorance est une forteresse qu’il nous faut conquérir ». L’usage d’un vocabulaire militaire dans des batailles contre des ennemis abstraits n’est pas à mon avis une coïncidence.
Pourquoi refuser de penser la solidarité inconditionnelle dans la lutte non contre un « ennemi » incarné, mais contre des adversaires abstraits ? Souvenez-vous des hussards noirs de la République, mobilisés contre l’obscurantisme et l’ignorance… et capables de sacrifices dont les militaires n’auraient pas à rougir. Relisez « La meilleure part » (ou regardez le film avec Gérard Philippe), et vous verrez qu’on peut faire vivre les valeurs « viriles » du combat contre un ennemi sans que cet ennemi soit concret…
Bien entendu, cela suppose une idéologie qui fasse de la santé des français, de la puissance industrielle et scientifique de la France, de la qualité de notre protection sociale ou de notre éducation une question COLLECTIVE, et non plus INDIVIDUELLE. Il faut que l’ignorance, la pauvreté, la maladie, la misère de nos concitoyens soit un problème non seulement pour celui qui en est victime, mais pour l’ensemble de la société. C’est pourquoi pour moi le véritable ennemi est moins le musulman que l’individualisme.
[« Et c’est dans cette marge que réside la sphère privée. Les « rôles » imposaient à l’homme de nourrir sa famille, à la femme de faire la cuisine. Mais ils n’imposaient ni le choix de la profession, ni le choix du menu. » Si la liberté de la femme se limite à choisir le menu qu’elle prépare, cela semble être une vision extrêmement restrictive de la liberté…]
Ne vous faites plus bête que vous ne l’êtes… vous voyez-bien que c’est une métaphore, un exemple, et rien de plus. La marge de liberté de la femme – comme de l’homme d’ailleurs – dans le modèle traditionnel va bien au-delà du choix des menus.
[Pour vous, la liberté se limite à une étroite marge de manœuvre dans un cadre finalement très contraint. Je ne me prononce pas sur le bien-fondé de cette conception. Je me bornerai à observer qu’en effet, une telle conception est inacceptable pour beaucoup de nos contemporains.]
Et pourtant, c’est le lot commun de la plupart de nos concitoyens. Car si les déterminations par les rôles sociaux se sont effacés, la détermination économique demeure, et elle est infiniment plus contraignante. Je trouve amusant qu’on juge « inacceptable » toute contrainte sociale dans la distribution des tâches ménagères, alors que le fait de naître dans une famille ouvrière contraint infiniment plus les choix de vie, de parcours professionnel, de mariage, de lieu de vie… Il serait je pense intéressant de se demander pourquoi la première contrainte est de plus en plus rejetée alors que la seconde est de plus en plus considérée comme naturelle et parfaitement acceptable.
@nationaliste-ethniciste
[Faire baptiser ses enfants quand on est athée, c’est au mieux du conformisme (ce qui paraît surprenant pour un communiste français des années 70-80), au pire de l’hypocrisie.]
Vous oubliez le pari de Pascal. Faire baptiser ses enfants quand on est athée, c’est leur prendre une assurance pas chère qui ne peut que leur être bénéfique et jamais leur nuire.
@ Descartes,
[J’ai une vision un peu différente. Ce genre de périodes est marqué par le déclin économique des classes les plus hautes de la société. L’effondrement des structures provoque une redistribution de la richesse dans laquelle les plus pauvres s’enrichissent, et les plus riches s’appauvrissent. Le problème est que la créativité artistique, scientifique, philosophique d’une société est le fait des classes les plus riches. C’est pourquoi les périodes révolutionnaires s’accompagnent en général d’un appauvrissement « culturel », tout simplement parce que la redistribution fait disparaître les surplus et les concentrations de richesse nécessaires à la production « culturelle ». Mais en déduire que la société s’est appauvrie globalement… c’est à mon avis un abus.]
Votre vision est intéressante, mais je me permettrai de la critiquer sur plusieurs points:
1) Ce que vous appelez l’ “économie somptuaire”, la production d’objets de luxe, la construction de monuments publics, tout cela donnait du travail à toute une catégorie d’artisans urbains, et pas seulement des esclaves. Ces artisans, sans faire partie des “riches”, avaient un niveau de vie suffisant pour stimuler la consommation. Lorsque les constructions publiques ont cessé, que sont devenus les tailleurs de pierre, les sculpteurs, les mosaïstes qui travaillaient sur ces chantiers? Si, comme vous le dites, les riches se sont appauvris, que sont devenus les orfèvres, les fabricants de céramique fine, les travailleurs de l’ivoire qui fournissaient les produits de luxe?
2) En fait, l’économie somptuaire ne disparaît pas vraiment. Les élites romaines survivent, à côté des nouvelles élites barbares, auxquelles elles finissent par se mêler. Simplement, la richesse tend désormais à se concentrer dans les cours royales, à l’époque mérovingienne, alors qu’auparavant chaque cité avait son aristocratie. Ceux qui disparaissent, ce sont plutôt les “classes moyennes urbaines”, tous ces artisans qui vivaient grâce au système de la cité en construisant les monuments, en fabriquant les sculptures, les mosaïques, commandés par les aristocrates des cités, lesquels privilégient désormais leurs résidences rurales. C’est ce qu’illustre mon exemple de la céramique sigillée, une production de “semi-luxe” qui était accessible à une population moyennement aisée.
3) Dernier point: où sont les indices d’un “enrichissement des plus pauvres”? Je ne suis pas expert sur la question, mais ce que j’ai lu laisse à penser que les conditions de vie des paysans au haut Moyen Âge ne sont pas tellement meilleures que durant l’Antiquité: les rendements sont faibles, il n’y a pas de réel changement dans l’outillage, les études des sépultures ne semblent pas montrer une augmentation de l’espérance de vie ou une amélioration notable de la santé des populations. L’esclavage recule, mais dans le même temps la petite paysannerie libre passe de plus en plus sous la dépendance des grands propriétaires, un phénomène commencé dans l’Antiquité tardive qui aboutira à la seigneurie médiévale. Sans doute faudrait-il nuancer ce constat. Mais pour prendre un exemple que je connais un peu, l’Afrique du nord romaine, il me semble indéniable que la domination vandale et la création de principautés berbères a entraîné le déclin économique d’une province encore très riche au début du V° siècle. Et la reconquête byzantine n’a pas pu enrayer ce déclin. La longue guerre entre Byzantins et Ostrogoths a ruiné l’Italie, et l’invasion lombarde est survenue trop tôt pour laisser le temps aux Byzantins de panser les plaies du pays. En Gaule et en Espagne, le phénomène des Bagaudes (mouvements de révolte d’esclaves, de paysans ruinés et déclassés) durant toute la 1ère moitié du V° siècle montre l’ampleur de la crise économique. Nombre de villes sont pillées par les Francs, les Wisigoths, les Burgondes sans parler des Saxons qui infestent les côtes. Au VI° siècle, les guerres entre Mérovingiens entretiennent une relative insécurité.
[Certains de ces gestes sont d’ailleurs plus anciens que le christianisme lui-même, et ont été repris de croyances païennes. Pourquoi le fait d’être athée et communiste retirerait du sens ou de la sincérité au geste ?]
D’accord, le baptême est un acte religieux, qui “relie les hommes”… Mais quels hommes? Ceux qui se disent chrétiens et qui croient que Jésus est le Sauveur, le Fils de Dieu. S’il s’agit simplement de faire un acte “religieux” dénué de contenu spirituel, pourquoi le baptême plutôt que la circoncision? Le baptême comme la circoncision ont comme fonction de distinguer ceux qui appartiennent à telle communauté, et ceux qui n’en sont pas. Quel intérêt d’être compté parmi les chrétiens si l’on pense que Jésus est un imposteur ou une invention?
[Pourquoi une partie de la société – la plus large, d’ailleurs – acceptait de trimer sous le soleil et la pluie pour que les deux autres puissent vivre dans un confort relatif ?]
La question ne se posait certainement pas en ces termes. Chaque ordre “trime” à sa façon. Pendant que le paysan travaille dur, des moines prient nuit et jour pour écarter de la société entière la colère de Dieu et ses conséquences terribles (famine, épidémie…). Quant à ceux qui combattent, ils ont une fonction de protection des paysans. A sa manière, chaque ordre contribue à la bonne marche du monde.
[Ne vous faites plus bête que vous ne l’êtes… vous voyez-bien que c’est une métaphore, un exemple, et rien de plus.]
Croyez-le ou non, je n’avais pas compris votre métaphore. Comme vous mettiez le choix du menu en parallèle avec le choix d’une profession, j’ai cru que vous parliez au premier degré. On n’a pas toujours, hélas, l’intelligence qu’on vous prête…
[C’est d’ailleurs ce que les communistes dans les années glorieuses – parfaitement conscients de la problématique que vous soulevez – ont essayé de faire]
Mais les communistes n’avaient-ils pas tout de même des ennemis bien réels (les bourgeois, le monde capitaliste, les Etats-Unis…)?
[Et pourtant, c’est le lot commun de la plupart de nos concitoyens. Car si les déterminations par les rôles sociaux se sont effacés, la détermination économique demeure, et elle est infiniment plus contraignante.]
Je suis d’accord. Il ne suffit pas de rejeter les contraintes dans le discours pour qu’elles disparaissent.
[Je trouve amusant qu’on juge « inacceptable » toute contrainte sociale dans la distribution des tâches ménagères, alors que le fait de naître dans une famille ouvrière contraint infiniment plus les choix de vie, de parcours professionnel, de mariage, de lieu de vie… Il serait je pense intéressant de se demander pourquoi la première contrainte est de plus en plus rejetée alors que la seconde est de plus en plus considérée comme naturelle et parfaitement acceptable.]
Laissez-moi deviner… Parce que les classes intermédiaires y ont intérêt? Défendre les femmes battues ou l’égale répartition des tâches ménagères ne bousculent pas vraiment l’ordre social (dans la mesure où les classes intermédiaires ont souvent les moyens de se payer une femme de ménage ou une baby-sitter en cas de besoin). Par contre, si vous parlez des inégalités économiques, de la précarisation des travailleurs, ça c’est plus embêtant. Vous pourriez susciter une remise en cause de l’ordre existant…
@ nationaliste-ethniciste
[Votre vision est intéressante, mais je me permettrai de la critiquer sur plusieurs points:
1) Ce que vous appelez l’ “économie somptuaire”, la production d’objets de luxe, la construction de monuments publics, tout cela donnait du travail à toute une catégorie d’artisans urbains, et pas seulement des esclaves. Ces artisans, sans faire partie des “riches”, avaient un niveau de vie suffisant pour stimuler la consommation. Lorsque les constructions publiques ont cessé, que sont devenus les tailleurs de pierre, les sculpteurs, les mosaïstes qui travaillaient sur ces chantiers? Si, comme vous le dites, les riches se sont appauvris, que sont devenus les orfèvres, les fabricants de céramique fine, les travailleurs de l’ivoire qui fournissaient les produits de luxe?]
Eux aussi se sont appauvris ou ont disparus. Mais mon point est que même cette population représente une fraction minoritaire de la société. On ne peut donc pas déduire de l’appauvrissement des riches et des « classes intermédiaires » de l’époque un appauvrissement GENERAL de la société. Car in fine, c’est le travail des paysans et des esclaves qui alimentait les riches et ceux qui travaillaient pour eux. L’effondrement de la société romaine a appauvri ces derniers, mais a permis aussi une formidable redistribution de richesse en faveur des premiers.
[3) Dernier point : où sont les indices d’un “enrichissement des plus pauvres” ? Je ne suis pas expert sur la question, mais ce que j’ai lu laisse à penser que les conditions de vie des paysans au haut Moyen Âge ne sont pas tellement meilleures que durant l’Antiquité : les rendements sont faibles, il n’y a pas de réel changement dans l’outillage, les études des sépultures ne semblent pas montrer une augmentation de l’espérance de vie ou une amélioration notable de la santé des populations.]
Je ne suis pas un expert de la question, mais je me souviens avoir lu cette thèse chez Le Goff. Il est vrai qu’il est très difficile d’étudier le niveau de vie des classes inférieures, dans la mesure où elles nous ont laissé relativement peu de documents. J’ajoute qu’on observe bien une augmentation de l’espérance de vie, mais on peut l’attribuer autant à une amélioration du niveau de vie qu’à la réduction dans les échanges, qui favorisaient la diffusion des maladies infectieuses.
[« Certains de ces gestes sont d’ailleurs plus anciens que le christianisme lui-même, et ont été repris de croyances païennes. Pourquoi le fait d’être athée et communiste retirerait du sens ou de la sincérité au geste ? » D’accord, le baptême est un acte religieux, qui “relie les hommes”… Mais quels hommes ? Ceux qui se disent chrétiens et qui croient que Jésus est le Sauveur, le Fils de Dieu.]
Pas nécessairement. Il peut « relier » ceux qui se reconnaissent comme les descendants et successeurs de ceux qui naguère croyaient que Jésus était le Sauveur, le Fils de Dieu. Il peut relier ceux qui croient que l’institution religieuse, indépendamment du statut de Jésus, est la clé de voute d’une organisation sociale, d’une morale, d’une filiation. Pour avoir été éduqué dans une « religion laïque », je peux vous dire qu’on peut croire à la religion sans croire en dieu…
[S’il s’agit simplement de faire un acte “religieux” dénué de contenu spirituel, pourquoi le baptême plutôt que la circoncision ?]
Parce que vos ancêtres se sont fait baptiser, et non circoncire – pour les miens, ce serait plutôt l’inverse. Si le but est de perpétuer des actes qui nous relient à nos ancêtres, alors le choix de l’acte ne nous appartient pas. Accessoirement, la circoncision pour les juifs n’a pas de contenu « spirituel » particulier. Contrairement au baptême chrétien, il n’efface nullement les péchés et ne change en rien le statut du nouveau-né vis-à-vis de Yahvé. C’est bien la perpétuation du geste d’Abraham.
[Le baptême comme la circoncision ont comme fonction de distinguer ceux qui appartiennent à telle communauté, et ceux qui n’en sont pas. Quel intérêt d’être compté parmi les chrétiens si l’on pense que Jésus est un imposteur ou une invention ?]
On revient à la théorie des fictions nécessaires. Quand même Jésus serait un imposteur ou une invention, ce qui a été fait en son nom – le bon comme le mauvais – est bien réel. Ceux qui sont morts pour la France dans les tranchées sont peut-être morts pour une France qui n’avait pas d’existence réelle, qui était une invention des auteurs du « roman national ». Il n’empêche que leur sacrifice n’est pas moins réel. La cohérence de certaines sociétés tribales est assurée par la croyance que tous les membres de la société sont issus d’un ancêtre commun. Le fait que cet ancêtre commun soit une « invention » ne retire rien à son pouvoir unificateur.
[« Pourquoi une partie de la société – la plus large, d’ailleurs – acceptait de trimer sous le soleil et la pluie pour que les deux autres puissent vivre dans un confort relatif ? » La question ne se posait certainement pas en ces termes. Chaque ordre “trime” à sa façon. Pendant que le paysan travaille dur, des moines prient nuit et jour pour écarter de la société entière la colère de Dieu et ses conséquences terribles (famine, épidémie…). Quant à ceux qui combattent, ils ont une fonction de protection des paysans. A sa manière, chaque ordre contribue à la bonne marche du monde.]
Certes. Mais toutes n’ont pas le même niveau de vie…
[« C’est d’ailleurs ce que les communistes dans les années glorieuses – parfaitement conscients de la problématique que vous soulevez – ont essayé de faire » Mais les communistes n’avaient-ils pas tout de même des ennemis bien réels (les bourgeois, le monde capitaliste, les Etats-Unis…)?]
Non. Contrairement aux anarchistes ou aux gauchistes, le communisme marxiste ne personnalise jamais la lutte des classes. Celle-ci se pose entre des entités abstraites, « la bourgeoisie » et « le prolétariat ». L’ennemi n’est pas LE bourgeois – et de tout temps il y eut certains « bourgeois » qui ont soutenu le PCF. Contrairement aux anarchistes, les communistes n’ont pas fait de l’attentat individuel un instrument de lutte.
[« Je trouve amusant qu’on juge « inacceptable » toute contrainte sociale dans la distribution des tâches ménagères, alors que le fait de naître dans une famille ouvrière contraint infiniment plus les choix de vie, de parcours professionnel, de mariage, de lieu de vie… Il serait je pense intéressant de se demander pourquoi la première contrainte est de plus en plus rejetée alors que la seconde est de plus en plus considérée comme naturelle et parfaitement acceptable. » Laissez-moi deviner… Parce que les classes intermédiaires y ont intérêt ?]
Je vous laisse la responsabilité de votre analyse…
En fait, je pense qu’il y a deux effets. D’un côté, c’est effectivement dans l’intérêt du « bloc dominant », et pas seulement les classes intermédiaires. Toute différentiation est pour le capitalisme un frein, un coût. De la même façon que le capitalisme pousse à la standardisation des ordinateurs ou des frigos, il pousse à la standardisation des êtres humains. Une humanité formée d’individus indifférenciés qui consomment les mêmes choses, peuvent prendre les mêmes emplois, c’est le rêve capitaliste fait réalité. Et c’est pourquoi le capitalisme s’attaque à toutes les structures – matérielles ou symboliques – qui établissent des barrières à la mobilité. Que ce soit les états et leurs frontières, les ordres professionnels ou la division du travail dans la structure familiale.
Le deuxième effet est plus idéologique. Le fractionnement des luttes (« racisés vs. blancs », « femmes vs. hommes ») permet d’occulter le rapport qui structure la société capitaliste, à savoir, la lutte des classes.
@Descartes
Deux questions :
1) avez-vous une référence concernant cette « formidable » redistribution de richesse ?
2) que mettez-vous derrière le terme « richesse » dans ce cas précis ? Les terres agricoles ?
Il me semble par ailleurs que N-E omet un facteur dans ceux qui ont dégradé durablement le fonctionnement de l’économie : le guerroiement permanent caractéristique du système féodal, en plus de perturber les échanges commerciaux, entraîne une destruction régulière de biens et de ressources (razzias dans les villages et les campagnes, notamment).
@ Ian Brossage
[1) avez-vous une référence concernant cette « formidable » redistribution de richesse ?]
Je crois l’avoir lu chez Le Goff, mais je n’ai pas la référence exacte sous la main. Je crois que Jacques Heers fait aussi référence dans « le moyen âge, une imposture ».
[2) que mettez-vous derrière le terme « richesse » dans ce cas précis ? Les terres agricoles ?]
J’utilise le terme « richesses » au pluriel pour faire référence à l’ensemble des biens produits. Ce n’est donc pas tant au patrimoine – dont la signification dépend beaucoup du régime de propriété – qu’aux revenus. Quand je parlais de « redistribution de la richesse » à la fin de l’empire romain, ce que je voulais dire est que les biens qui, sous la domination romaine étaient canalisés vers des couches sociales privilégiées relativement peu nombreuses sont devenus disponibles pour l’ensemble de la population.
[Il me semble par ailleurs que N-E omet un facteur dans ceux qui ont dégradé durablement le fonctionnement de l’économie : le guerroiement permanent caractéristique du système féodal, en plus de perturber les échanges commerciaux, entraîne une destruction régulière de biens et de ressources (razzias dans les villages et les campagnes, notamment).]
C’est un point à prendre en compte. Mais la « pax romana » avait elle aussi un coût : il fallait entretenir une armée régulière nombreuse. On peut se demander si à un moment donné le coût du système ne l’emporte sur les avantages.
@ BJ,
[Vous oubliez le pari de Pascal. Faire baptiser ses enfants quand on est athée, c’est leur prendre une assurance pas chère qui ne peut que leur être bénéfique et jamais leur nuire.]
L’usage est de verser une somme correcte à l’Eglise lorsqu’on demande le baptême. Si Dieu n’existe pas, on voit mal de quelle assurance vous parlez, et quel est l’intérêt de payer ne serait-ce que quelques centaines d’euros pour une telle cérémonie…
@ Gugus69,
[Et ça a été l’occasion de super fêtes de famille avec des gueuletons mémorables.]
On n’est quand même pas obligé de passer à l’église pour faire des gueuletons et des fêtes de famille. Par ailleurs, je vous rappelle qu’il existe un “baptême civil” créé pour nos amis athées et/ou anticléricaux. Dans les années 20 et 30, des municipalités communistes organisaient même des “baptêmes rouges” où l’on entonnait des chants anticléricaux. Faut réactiver vos rites, camarade…
Que les athées et les communistes aient créé leurs propres rites, je trouve ça très bien. Mais de grâce, qu’ils laissent le baptême aux croyants.
@ nationaliste-ethniciste
[On n’est quand même pas obligé de passer à l’église pour faire des gueuletons et des fêtes de famille. Par ailleurs, je vous rappelle qu’il existe un “baptême civil” créé pour nos amis athées et/ou anticléricaux. Dans les années 20 et 30, des municipalités communistes organisaient même des “baptêmes rouges” où l’on entonnait des chants anticléricaux. Faut réactiver vos rites, camarade…]
Oui, mais il faut constater que le “baptême rouge” n’a pas eu beaucoup de postérité. Pourquoi ? Parce que la fonction du baptême est d’inscrire le nouveau né (et ses parents) dans une lignée, en accomplissant les mêmes gestes que leurs ancêtres ont accompli avant eux. C’est d’ailleurs pourquoi le mariage civil a repris assez largement les éléments rituels du mariage chrétien – qui lui-même avait repris ceux du mariage juif. Les “baptêmes rouges” représentaient une rupture trop grande par rapport à la tradition pour pouvoir être perçus comme sa continuation.
[Que les athées et les communistes aient créé leurs propres rites, je trouve ça très bien. Mais de grâce, qu’ils laissent le baptême aux croyants.]
Par définition, un rite dont la fonction est de vous rattacher aux générations passées ne peut être “inventé” de toutes pièces. Il ne peut que résulter de l’évolution d’un rite plus ancien…
Que les athées et les communistes aient créé leurs propres rites, je trouve ça très bien. Mais de grâce, qu’ils laissent le baptême aux croyants.]
@ nationaliste-ethniciste
Que les athées et les communistes aient créé leurs propres rites, je trouve ça très bien. Mais de grâce, qu’ils laissent le baptême aux croyants.
Cher monsieur, dans quel monde vivez-vous ?
Vous croyez vraiment qu’il existe des familles cathos à 100% et des familles athées à 100% ? Ce n’est pas comme ça dans la vraie vie.
Ma mère était croyante, mon père était athée.
Ma mère tenait à ce que je sois baptisé. Mon père voulait faire plaisir à ma mère… et célébrer ma naissance en famille. Donc ils m’ont fait baptiser… Et c’est très bien comme ça.
J’ai fait baptiser mes enfants alors que je suis athée.
Je savais évidemment que ma belle-famille est catholique (surtout les femmes). Ce sont de bien braves gens. Pourquoi leur faire de la peine en refusant de baptiser mes enfants ? Par goût de la provocation ? Qu’est-ce que les uns et les autres (et les petits) y auraient gagné ? Et le plaisir de partager un gueuleton… Pourquoi s’en priver ?
Le curé qui m’a marié savait que j’étais incroyant. Si vous aviez été à sa place, auriez-vous refusé de célébrer cette union ? Lui semblait penser que c’était son devoir…
J’ai l’impression que l’amour du prochain est plus “large” chez moi que chez vous. Je me trompe ?
Vous oubliez le pari de Pascal. Faire baptiser ses enfants quand on est athée, c’est leur prendre une assurance pas chère qui ne peut que leur être bénéfique et jamais leur nuire.
Et puis vous oubliez qu’on est Français.
Je suis athée et j’ai fait baptiser mes enfants.
Ça a fait plaisir à ma belle-mère.
Ça n’a fait aucun tord à mes enfants…
Et ça a été l’occasion de super fêtes de famille avec des gueuletons mémorables.
D’ailleurs tout athée que je sois, je fête Noël et Pâques, et je mange du poisson le vendredi.
Souvent je me dis que, tant qu’à faire de choisir une religion, j’aurais pris l’option catholique : C’est quand même la seule religion où tout est prétexte à faire des bringues !
C’est quand même les moines qui ont décrété que les grenouilles et les escargots, c’est “maigre”, ce n’est pas de la viande !
Pour terminer, je suis athée et mes parents m’avaient fait baptiser, selon les mêmes traditions théo-festives.
Franchement, ça ne m’a jamais donné d’urticaire. Je m’en fous ! À la votre !
@ Gugus69
[Et ça a été l’occasion de super fêtes de famille avec des gueuletons mémorables.
D’ailleurs tout athée que je sois, je fête Noël et Pâques, et je mange du poisson le vendredi.
Souvent je me dis que, tant qu’à faire de choisir une religion, j’aurais pris l’option catholique : C’est quand même la seule religion où tout est prétexte à faire des bringues !]
Vous soulignez avec humour un sujet sérieux. Dans le « religio », la fête joue un rôle aussi important sinon plus que la spiritualité. Faire la fête ensemble, c’est aussi un moyen de resserrer les liens, de s’inscrire dans une histoire. C’est d’ailleurs pourquoi toutes les religions ont un élément festif. Et contrairement à ce que vous pensez, ce n’est pas limité au christianisme : pensez à la rupture du jeune de Ramadan chez les musulmans ou les nombreuses fêtes (souccot, la « fête des cabanes » qui célèbre les récoltes, ou hannoukha, la fête des lumières) chez les juifs…
Comme il y a sans doute pas mal d’abonnés au Monde.fr parmi vos lecteurs, peut-être auront-ils lu le très immergé reportage sur certaines adolescentes errances urbaines de notre riche capitale. Reportage d’autant plus touchant qu’il pointe toutes les douleurs, sans jamais envisager quelque remède. Bah, il paraît que tout organisme finit par s’adapter plus ou moins à ses maladies chroniques, jusqu’à la fin (des unes ou de l’autre).
https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/03/05/drogue-prostitution-delinquance-les-enfants-perdus-de-barbes_6072014_4500055.html
@ Claustaire
[Comme il y a sans doute pas mal d’abonnés au Monde.fr parmi vos lecteurs, peut-être auront-ils lu le très immergé reportage sur certaines adolescentes errances urbaines de notre riche capitale. Reportage d’autant plus touchant qu’il pointe toutes les douleurs, sans jamais envisager quelque remède.]
Ce reportage pose une question très intéressante. Les adolescentes en question ne manifestent aucune souffrance, aucun désir de s’en sortir. Elles ont trouvé dans la rue un mode de vie qui nous paraît A NOUS terrible, mais qui semble leur convenir parfaitement. D’où la question : avons-nous le droit d’imposer aux adolescents NOS conceptions de la vie ? S’ils préfèrent la liberté de la rue – avec les contraintes qui vont avec – plutôt que l’insertion dans une société qui implique d’autres possibilités mais aussi d’autres contraintes ?
Personnellement, ma réponse est positive simplement parce que cette vie repose sur la prédation, et que dans ma conception les proies ont le droit de se refuser aux prédateurs. Mais si l’on laisse de côté cet argument, quelle légitimité avons-nous pour imposer nos conceptions de ce qui constitue une « bonne » vie ? Vous voyez qu’il est difficile de trouver une réponse sans contester la vision individualiste aujourd’hui dominante dans notre société…
La “bonne vie” est celle qui, généralisée, assurerait au mieux non seulement la survie de l’individu qui la vivrait mais aussi du groupe qui en aurait adopté le mode, en fonction d’un environnement permettant cette vie ou survie.
L’individualisme actuel n’est possible qu’au sein d’une société sociale-collectivisée bien structurée et assez opulente pour laisser de grosses miettes sous la table : on pourra d’autant se permettre d’audacieux bonds hors système voire antisystème que sera solide le filet récupérant les chutes tentées.
Une société de voleurs (qu’ils soient prédateurs capitalistes ou rebelles anticapitalistes proliférant ou survivant dans les marges d’une société capitaliste) ne survivra qu’aussi longtemps qu’elle disposera d’un environnement humain à exploiter.
@ Claustaire
[La “bonne vie” est celle qui, généralisée, assurerait au mieux non seulement la survie de l’individu qui la vivrait mais aussi du groupe qui en aurait adopté le mode, en fonction d’un environnement permettant cette vie ou survie.]
Il ne vous reste maintenant qu’à définir ce que vous appelez « au mieux ». Quels sont les critères qui permettent de hiérarchiser les « survies » pour déterminer si tel ou tel choix de vie aboutit ou non au « mieux ». En fait, vous ne faites qu’occulter la difficulté…
[Une société de voleurs (qu’ils soient prédateurs capitalistes ou rebelles anticapitalistes proliférant ou survivant dans les marges d’une société capitaliste) ne survivra qu’aussi longtemps qu’elle disposera d’un environnement humain à exploiter.]
Oui. Et alors ? Comment savez vous que ce n’est pas là l’organisation qui « assure au mieux la survie du groupe » ?
Assurer la survie “au mieux” suppose qu’on étudie ou pronostique (statistiquement ou scientifiquement) la durée ou la durabilité de ce “au mieux” : le développement industriel (avec les conforts domestiques et le consumérisme multiple qu’il aura permis) rendu possible par l’exploitation de l’énergie fossile (charbon au 18e et 19e) puis pétrole (20e) n’aura pu se faire que moyennant la dégradation de l’atmosphère et le réchauffement climatique induit par la prolifération de GES. Et ce “au mieux” des sociétés industrialisées n’aura pu se faire (provisoirement) qu’au pire de la biosphère globale.
De même des prédateurs ne peuvent (durant un certaine temps) se faire leur laine sur le dos du mouton exploité (prolétaire par le capitaliste ou sédentaire par le nomade) qu’aussi longtemps que ce mouton trouve à bouffer et à se sentir rassuré d’être en meute (ou en nation).
@ Claustaire
[Assurer la survie “au mieux” suppose qu’on étudie ou pronostique (statistiquement ou scientifiquement) la durée ou la durabilité de ce “au mieux” : (…)]
Je vous rappelle que vous n’avez toujours pas répond à ma question quant aux critères qui permettraient de hiérarchiser les manières d’assurer la survie pour savoir laquelle « au mieux »… tant que vous n’aurez pas apporté une réponse, cela restera un concept fumeux du genre « vous voyez bien que… » ou « il est évident que… ».
[le développement industriel (avec les conforts domestiques et le consumérisme multiple qu’il aura permis) rendu possible par l’exploitation de l’énergie fossile (charbon au 18e et 19e) puis pétrole (20e) n’aura pu se faire que moyennant la dégradation de l’atmosphère et le réchauffement climatique induit par la prolifération de GES. Et ce “au mieux” des sociétés industrialisées n’aura pu se faire (provisoirement) qu’au pire de la biosphère globale.]
Mais qu’est ce qui vous permet de dire que le développement industriel est un « mieux » ? Encore une fois, sans définir le concept, il est difficile de savoir de quoi on parle.
[De même des prédateurs ne peuvent (durant un certaine temps) se faire leur laine sur le dos du mouton exploité (prolétaire par le capitaliste ou sédentaire par le nomade) qu’aussi longtemps que ce mouton trouve à bouffer et à se sentir rassuré d’être en meute (ou en nation).]
Je vous rappelle que, à long terme, on est tous morts… Le choix du prédateur qui sait que sa position n’est pas « durable » ad indefinitum mais qu’elle durera bien jusqu’à la fin de sa vie est parfaitement rationnel… et c’est d’ailleurs pourquoi le discours bisounours sur le climat n’est qu’une façon de se donner bonne conscience. PERSONNE de vivant n’est prêt à sacrifier sa situation au bénéfice de gens qui vivront dans un siècle.
Bonjour,
Votre texte me laisse songeur. Non point que je sois en désaccord, loin de là. Mais je me rends compte que ce que vous écrivez là est aujourd’hui inaudible pour beaucoup de nos contemporains. Les gens ne comprennent pas comment fonctionne une société, j’ai presque envie de dire qu’ils ne comprennent pas comment fonctionne l’animal social qu’est l’homme.
C’est étonnant, parce que il n’y a pas tant de nouveauté que cela. A Sparte déjà, dans l’Antiquité, les jeunes garçons étaient groupés en “bandes” rivales, sous la direction d’un plus âgé, et c’était une méthode pédagogique pour apprendre l’entraide, la solidarité, et cultiver l’esprit de compétition. Ce qui est raconté dans “la guerre des boutons” vient de loin.
Mais aujourd’hui, notre société refuse la compétition (y compris intellectuelle, faut plus de notes, de mentions, de classements, de concours, vous comprenez, ça démoralise les jeunes…), la conflictualité. Il est interdit ou presque de se comparer, de se mesurer les uns aux autres, de rivaliser. Sauf peut-être dans le domaine sportif, et encore. Enfant, j’aimais être le meilleur de la classe, avoir une meilleure note que mes rivaux (souvent des rivales). L’émulation est nécessaire dans une société.
@ nationaliste-ethniciste
[Votre texte me laisse songeur. Non point que je sois en désaccord, loin de là. Mais je me rends compte que ce que vous écrivez là est aujourd’hui inaudible pour beaucoup de nos contemporains.]
C’est une très bonne question. Il est évident je pense que mon discours va à contre-courant du discours consensuel des médias, des politiques et des intellectuels organiques au système. Mais quid de l’homme de la rue, et tout particulièrement celui des quartiers populaires ?
Je ne suis pas sûr qu’à ce niveau mon discours soit si « inaudible » que ça. Si le rigorisme fait des ravages parmi les jeunes des cités, si les « grands frères » ont une telle influence sur les jeunes, c’est aussi parce qu’ils sont à la recherche de figures « paternelles » qui puissent leur indiquer une direction, leur fournir des références, donner à leur vie un sens. Et je suis persuadé que chez les « souchiens » la même exigence existe, même si elle s’exprime différemment.
Je suis convaincu que s’il y a une telle déconnexion entre les institutions – et l’école d’abord – et la population, cela n’a rien à voir avec le système électoral ou le manque de démocratie participative. C’est surtout parce que les institutions ont cessé d’écouter les citoyens, et donc de répondre à leurs demandes. A un moment ou les jeunes cherchent des références, des causes, des directions, communes les institutions leur répondent avec un discours individualiste. Alors que les jeunes cherchent les portes d’entrée dans le monde adulte, on persiste à les infantiliser.
[C’est étonnant, parce que il n’y a pas tant de nouveauté que cela. A Sparte déjà, dans l’Antiquité, les jeunes garçons étaient groupés en “bandes” rivales, sous la direction d’un plus âgé, et c’était une méthode pédagogique pour apprendre l’entraide, la solidarité, et cultiver l’esprit de compétition. Ce qui est raconté dans “la guerre des boutons” vient de loin.]
Tout à fait. Je me souviens d’ailleurs des débats au sein du mouvement communiste sur la question de la « compétition » dans les années 1930. Il y avait en effet un conflit larvé en URSS entre les « gauchistes » pour qui tout ce qui s’apparentait à de la compétition faisait « ancien monde » et était indigne d’un vrai état communiste, et les « réalistes » pour qui la compétition, en poussant les gens à s’améliorer, était un moteur social dont on ne pouvait pas se priver. C’est ainsi qu’est apparue l’idée « d’émulation » qui fut l’un des moteurs du succès des plans quinquennaux. Il s’agissait de réhabiliter l’idée de compétition, mais dans une logique d’honneur, et non de poursuite de la récompense matérielle.
[Mais aujourd’hui, notre société refuse la compétition (y compris intellectuelle, faut plus de notes, de mentions, de classements, de concours, vous comprenez, ça démoralise les jeunes…), la conflictualité. Il est interdit ou presque de se comparer, de se mesurer les uns aux autres, de rivaliser.]
Exactement. Au lieu de se placer dans une perspective réaliste de réguler le conflit, on s’imagine qu’on peut l’abolir. Et cela dans tous les ordres. Le « en même temps » de Macron est peut-être la plus merveilleuse illustration de l’esprit du temps.
C’est très intéressant. Avez vous des sources qui décrivent ces débats dans l’URSS ?
Puisque vous ne l’avez pas fait, je me permets de recommander l’ouvrage que vous avez déjà recommandé plusieurs fois et que vous m’avez fait découvrir : “Le siècle de Monsieur Pétain”, qui théorise et décrit en long et en large à quelle déchéance peut conduire le refus du conflit, et l’idée de son abolition / dépassement.
Et on ne peut pas accuser son auteur de chercher à comparer Macron à Pétain, puisque notre Président n’avait que 28 ans quand le livre est sorti.
@ Vincent
[C’est très intéressant. Avez vous des sources qui décrivent ces débats dans l’URSS ?]
Le problème est posé par Lénine dans un article célèbre intitulé « Comment organiser l’émulation » (https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/12/vil19171227.htm), mais si le problème est alors bien posé, on voit que Lénine peine à trouver une solution satisfaisante. C’est Staline qui poussera le plus loin la réflexion et qui en fera une politique d’Etat. On trouve par exemple le sujet traité dans le « manuel d’économie politique de l’académie des sciences de l’URSS » écrit au début des années 1950 (https://d-meeus.be/marxisme/manuel/chap31sect05.html).
Je ne sais pas s’il y a des travaux historiques sérieux sur cette question, et j’en doute : la réflexion économique ou politique « stalinienne » est couverte par l’anathème général, et personne n’oserait s’intéresser à cette période si ce n’est dans une logique condamnatoire.
[Puisque vous ne l’avez pas fait, je me permets de recommander l’ouvrage que vous avez déjà recommandé plusieurs fois et que vous m’avez fait découvrir : “Le siècle de Monsieur Pétain”, qui théorise et décrit en long et en large à quelle déchéance peut conduire le refus du conflit, et l’idée de son abolition / dépassement.]
Très bonne référence, en effet. Pour Slama, la démocratie est inséparable de la multiplicité des points de vue et donc du conflit entre eux. La raison d’être des systèmes démocratiques est donc d’organiser la confrontation et de codifier le conflit, et non de les effacer. Dès lors qu’on parle d’effacer le conflit dans une sorte de consensus universel, on ouvre la porte d’un système totalitaire.
TRES PERTINENTE ,cette référence au roman de Louis Pergaud.Alors que je suis très anxieux de l’abandon de l’Astra Zeneca par la Norvège,le Danemark ,l’Islande,l’Afrique du sud,la Lettonie,la Tchéquie et d’autres peut être.Ces temps de pandémie nous ramènent à des angoisses existentielles de l’enfance ou de l’adolescence.Vacciné à la 1ère dose d’Astra zaneca ce 04/03/2021,j’ai envie de dire comme le petit Gibus de la guerre des boutons:’Si j’avais su,j’serai pas venu …me faire vacciner , non’ ?
Dans le fond ,vous êtes loin d’être découragé par la nature des formes politiques actuelles et de leur médias,non?
Ne pensez vous pas que dans cette affaire des bandes comme dans celle de la royauté anglaise,et toutes les autres ,les chaines d’infos en ligne ,montent en épingle,dramatisent,amplifient pour garder de l’audience donc du chiffre avec les pubs afférentes ?
@ Luc
[TRES PERTINENTE, cette référence au roman de Louis Pergaud.Alors que je suis très anxieux de l’abandon de l’Astra Zeneca par la Norvège, le Danemark, l’Islande, l’Afrique du sud, la Lettonie, la Tchéquie et d’autres peut être. Ces temps de pandémie nous ramènent à des angoisses existentielles de l’enfance ou de l’adolescence. Vacciné à la 1ère dose d’Astra zeneca ce 04/03/2021, j’ai envie de dire comme le petit Gibus de la guerre des boutons : ’Si j’avais su ,j’serai pas venu …me faire vacciner , non’ ?]
Cette affaire est plutôt une illustration de la panique qui s’empare des autorités politiques au moindre risque. Pourquoi certains pays ont abandonné le vaccin ? Parce qu’il y a eu UN cas de décès d’une infirmière en Autriche et quelques cas reportés de troubles de la coagulation de personnes ayant reçu le vaccin alors que de l’aveu même de l’agence danoise du médicament « A l’heure actuelle, on ne peut pas conclure à l’existence d’un lien entre le vaccin et les caillots sanguins ». Autrement dit, alors qu’on a en main un médicament qui peut empêcher des centaines de morts PAR JOUR, on suspend son administration parce qu’on a repéré UN cas « suspect » et que rien n’est prouvé. Seulement voilà, on ne fera pas un procès à l’agence pour ne pas avoir sauvé les centaines, et on pourrait lui en faire pour avoir laissé circuler un médicament qui présente un risque résiduel minime. Donc, pas de risques, pas d’emmerdes. Même si la position prise est statistiquement absurde.
Vous avez donc bien fait de vous vacciner avec un produit dont la balance avantage/coût penche décidément du premier côté. Affaire suivante.
[Dans le fond, vous êtes loin d’être découragé par la nature des formes politiques actuelles et de leur médias, non ?]
Non. Je suis plutôt découragé par la stupidité des gens. J’avais une plus haute opinion de mes concitoyens, franchement. Je n’aurai jamais cru que dans le pays de Descartes et de Pasteur on allait prêter oreille aux charlatans à ce point.
[Ne pensez-vous pas que dans cette affaire des bandes comme dans celle de la royauté anglaise, et toutes les autres, les chaines d’infos en ligne, montent en épingle, dramatisent, amplifient pour garder de l’audience donc du chiffre avec les pubs afférentes ?]
Tout à fait. L’information est un marché, et sur un marché le client est roi. C’est sa demande qui détermine l’offre. Les gens ont envie de scandales et de complots, et les médias ne font que leur donner ce qu’ils réclament. Si les gens se pressaient dans les émissions de débat ou pour regarder les grandes pièces de théâtre, on aurait des débats et la Comédie française tous les soirs à la télé. La question n’est donc pas tant qui contrôle les médias, mais comment sont-ils financés. Dès lors qu’ils sont financés par le marché, c’est le public qui décide.
Admettez que dans le cycle descendant d’un public qui “décide” en fonction de “l’offre” qu’on lui fait en fonction du public qui la demande, etc., il y aurait bien moyen d’introduire une dialectique permettant aux plus éclairés, instruits, humanistes, cultivés, etc. (une aristocratie ?) de faire pencher la balance vers le plaisir qu’il y a à se trouver en intelligence avec des intelligences jouant sur la discordance plutôt qu’en vibration avec des pulsions et répulsions rameutantes ou grégaires.
Une société ne peut durer que par la transmission aux plus jeunes de savoirs anciens accumulés (d’autant plus qu’ils seraient toujours améliorables). Toute société qui laisserait la génération montante se satisfaire de ses pulsions instinctives ne peut que rapidement végéter et disparaître au profit d’une société voisine plus structurée dans la durée (c’est pourquoi un communautarisme exogène en dynamique pourra, localement pour commencer, triompher aisément d’un individualisme indigène en déliquescence).
@ Claustaire
[Admettez que dans le cycle descendant d’un public qui “décide” en fonction de “l’offre” qu’on lui fait en fonction du public qui la demande, etc., il y aurait bien moyen d’introduire une dialectique permettant aux plus éclairés, instruits, humanistes, cultivés, etc. (une aristocratie ?) de faire pencher la balance vers le plaisir qu’il y a à se trouver en intelligence avec des intelligences jouant sur la discordance plutôt qu’en vibration avec des pulsions et répulsions rameutantes ou grégaires.]
Je vois très mal comment. Pourriez-vous expliciter en quoi consiste le « moyen » en question, et donner un exemple ou cela ait marché ?
[Toute société qui laisserait la génération montante se satisfaire de ses pulsions instinctives ne peut que rapidement végéter et disparaître au profit d’une société voisine plus structurée dans la durée]
Vous m’avez convaincu. Demain je me mets au Mandarin…
Trêve de plaisanterie: vous avez parfaitement raison. La force des communautés musulmanes, c’est leur volonté de transmettre. La faiblesse de nos sociétés occidentales, c’est que nous avons renoncé à cette volonté.
A Lacédémone, la cryptie n’était pas une joyeuse initiation genre camp de scouts, les jeunes spartiates (pas les jeunes périèques, ni les jeunes hilotes ) lancés non en bandes, mais isolés dans la campagne à peine vêtus, sans nourriture, devaient y aller pour tuer, massacrer les Hilotes qu’ils rencontraient. Ils prolongeaient la guerre de classe des spartiates stricto sensu, les seuls “égaux” de cette société contre les esclaves qu’ils fallait exterminer, en tous les cas les plus forts et les plus vindicatifs d’entre eux, à dates régulières sous le prétexte de l’initiation de la petite catégorie des spartiates.Si la “guerre des boutons” a été un de mes livres d’enfance préférés (et pourtant je ne suis qu’une femme !) , le texte que nous avons eu à traduire à la fin de la sixième (dans mon lycée public de filles) du latin (à partir de Plutarque ,en grec) où l’enfant spartiate qui a capturé un renard dans son initiation, préfère se faire manger le flanc plutôt que d’avouer son larcin, m’avait révulsée, profondément, comme la fable des membres et de l’estomac lorsque la plèbe s’était retirée sur l’Aventin, la fille d’ouvrier que j’étais, avait conscience à onze ans de l’existence de la lutte de classes…N’ayons pas d’illusion morale sur les modes d’éducation, ne croyons pas trop non plus à une éternité anthropologique de la “nature” humaine…
@ Baruch
[A Lacédémone, la cryptie n’était pas une joyeuse initiation genre camp de scouts, les jeunes spartiates (pas les jeunes périèques, ni les jeunes hilotes ) lancés non en bandes, mais isolés dans la campagne à peine vêtus, sans nourriture, devaient y aller pour tuer, massacrer les Hilotes qu’ils rencontraient. Ils prolongeaient la guerre de classe des spartiates stricto sensu, les seuls “égaux” de cette société contre les esclaves qu’ils fallait exterminer, en tous les cas les plus forts et les plus vindicatifs d’entre eux, à dates régulières sous le prétexte de l’initiation de la petite catégorie des spartiates.]
J’attire votre attention sur le fait que les sources dont nous disposons à propos de la cryptie ne nous permettent pas de savoir s’il s’agit d’une pratique réelle ou légendaire, et quelle était sa véritable portée. On peut sérieusement douter du fait qu’on pouvait véritablement tuer des esclaves. Après tout, les esclaves étaient un produit coûteux, et je ne suis pas persuadé que les patrons d’esclaves voyaient d’un bon œil qu’on leur prive de leur outil de production.
J’ai fais court en faisant cette remarque : les hilotes ne sont pas vraiment des “esclaves” plutôt des serfs attachés à la terre, en tous les cas on pense que ce sont les populations anciennes autochtone de la Laconie..La Kryptie cette éducation / initiation violente avait essentiellement un aspect rituel , religieux.Mais les hilotes victimes étaient justement le plus souvent les hilotes les moins résignés à leur sort, ce n’était pas le pur “hasard divin” qui mettait les jeunes sur le chemin de ces individus mais les “égaux” arrangeaient un peu le hasard de la rencontre sur les éléments à éliminer, d’après ce que l’on sait.Si j’ai fait cette remarque ce n’est pas pour”étaler” mon pauvre savoir sur votre site, c’est plutôt pour dire que l’initiation des adolescents à chaque époque correspond bien aux problèmes de la société précise dans laquelle ils se trouvent.Je pense que vous avez raison de dire que l’éducation émolliente de notre époque correspond à ces couches sociales intermédiaires (je ne parlerai pas pour ma part de féminité et de virilité, les femmes étant aussi capables d’une violence destructrice et castratrice, j’ai eu des ancêtres accusées d’empoisonnement ).Les mythes grecs, les légendes, mais aussi l’histoire grecque nous en apprennent sur la façon dont les grecs se représentaient le monde.Sur le Parthénon la frise dorique représente ce que l’homme grec doit vaincre pour aboutir à l’excellence humaine.Les monstres démesurés: la gigantomachie La lutte contre la “féminité” la femme n’étant pas pour eux un homme comme les autres: l’amazonomachieLa lutte contre les barbares au langage d’oiseau : le sac de Troie la ville d’Asie.La lutte contre l’animalité en soi, la centauromachie.L’éducation grecque passait par ces luttes, elle passait aussi par l’éducation sexuelle d’un “aimé”, par l’ adulte amoureux de l’enfant :le “pédéraste”: ceci aussi bien à Sparte qu’à Athènes !
Comme quoi dans l’éducation il y a un fort enjeu de domination des classes les unes sur les autres et ce avec quoi je n’étais pas d’accord dans la discussion c’est le fait de dire “cela a toujours été identique toujours et partout” .Oui il y a des sociétés où la violence rituelle régnait , oui il y a des sociétés où on a besoin de guerriers, mais pas dans toutes les couches de la société, en revanche dans toutes les sociétés “l’idéologie dominante est l’idéologie de la classe dominante” : ce serait bien de comprendre ce que ce que vous appelez “déviralisation” plutôt d’ailleurs l’infantilisation (car comme vous le remarquez justement, on ne dit plus les mères mais les “mamans) implique comme domination par ailleurs et en première instance.
@ Baruch
[Si j’ai fait cette remarque ce n’est pas pour ”étaler” mon pauvre savoir sur votre site, c’est plutôt pour dire que l’initiation des adolescents à chaque époque correspond bien aux problèmes de la société précise dans laquelle ils se trouvent.]
C’est évident. Dans les sociétés où la chasse joue un rôle important, l’adolescent devient adulte en chassant un animal particulièrement difficile ou symbolique. Dans la société de la IIIème République, qui voulait constituer une élite républicaine de savants et de soldats, le passage se faisait par le certif, le baccalauréat et la conscription. Le rituel pour devenir un adulte dépend de ce que la société considère être les vertus d’un « bon » adulte.
[Je pense que vous avez raison de dire que l’éducation émolliente de notre époque correspond à ces couches sociales intermédiaires (je ne parlerai pas pour ma part de féminité et de virilité, les femmes étant aussi capables d’une violence destructrice et castratrice, j’ai eu des ancêtres accusées d’empoisonnement ).]
La question n’est pas tant l’éducation « émolliente » que l’effacement du rôle de l’adulte. Les rituels de passage ne disparaissent pas par hasard. Ils disparaissent parce qu’il n’y a rien vers lequel « passer ». Nous vivons dans une société qui au contraire tend à prolonger les comportements adolescents jusqu’à la fin de vie. Pensez à l’affaire de Grenoble : quelle différence entre le comportement des étudiants et le comportement des collègues des professeurs attaqués ?
[Comme quoi dans l’éducation il y a un fort enjeu de domination des classes les unes sur les autres et ce avec quoi je n’étais pas d’accord dans la discussion c’est le fait de dire “cela a toujours été identique toujours et partout”.]
Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit que le phénomène de « bande » (c’est-à-dire, d’identification collective) a toujours existé. Pas qu’il est « identique toujours et partout ». En fait, j’ai essayé de montrer le contraire : que le phénomène était naguère contrôlé – et jusqu’à un certain point organisé – par l’adulte, alors que ce n’est plus le cas aujourd’hui.
[Oui il y a des sociétés où la violence rituelle régnait , oui il y a des sociétés où on a besoin de guerriers, mais pas dans toutes les couches de la société, en revanche dans toutes les sociétés “l’idéologie dominante est l’idéologie de la classe dominante” : ce serait bien de comprendre ce que ce que vous appelez “dévirilisation” plutôt d’ailleurs l’infantilisation (car comme vous le remarquez justement, on ne dit plus les mères mais les “mamans) implique comme domination par ailleurs et en première instance.]
Dévirilisation et infantilisation vont de pair. Naguère, le garçon était arraché aux jupes de sa mère et à l’espace domestique pour être présenté à la communauté. Dans la tradition juive, pour ne prendre qu’un exemple, deux rituels représentent cet arrachement : la circoncision (qui est une mutilation) et la Bar-Mitzva, ou l’adolescent est emmené dans le sol du temple (alors qu’en tant qu’enfant il était confiné à la gallérie des femmes) puis doit lire un paragraphe de la Torah, ce qui consacre son entrée comme membre actif de la communauté.
Ces rituels de passage étaient réservés aux hommes, puisqu’ils étaient censés aller dans la sphère publique de la cité alors que les femmes restaient dans l’espace domestique. Aujourd’hui, la tendance est de faire disparaître les rituels « civiques » et tout ramener à l’espace intime. C’est en ce sens qu’on peut parler de « dévirilisation » et d’une infantilisation à la fois.
@ Descartes
[On peut sérieusement douter du fait qu’on pouvait véritablement tuer des esclaves. Après tout, les esclaves étaient un produit coûteux]
Les Hilotes n’étaient pas vraiment des esclaves. Leur statut se rapprochait plutôt du servage. On ne pouvait pas les vendre ni les échanger, seulement la terre dont ils dépendaient. Ce n’était pas d’ailleurs unique à Sparte, la Thessalie avait un système assez comparable.
Si on ne sait pas avec précision en quoi la krypteia consistait – il s’agit après tout d’une pratique secrète d’un état qui par paranoïa ne documentait presque rien, c’est d’ailleurs pour cela que les sources que nous avons sur Sparte sont presque intégralement extérieures – on a quand même quelques idées. Il est possible qu’à l’origine il se soit agi d’espionner les hilotes – le cœur idéologique de l’État lacédémonien est que les citoyens sont des envahisseurs, soldats à temps plein, en guerre perpétuelle avec les autochtones. Il était d’ailleurs rituel de rappeler que les spartiates étaient “en guerre” contre les hilotes. Après la défaite spartiate face aux thébains, ceux-ci sont devenus strictement isolationnistes, et la société lacédémonienne semble s’être recroquevillée dans une sorte de caricature réactionnaire d’elle-même. Il est possible que, à partir de cette époque, la krypteia ait en effet évolué vers une chasse aux hilotes pure et simple, la haine à leur égard augmentée par le fait qu’ils avaient désormais leur propre état indépendant en Messénie – et corolairement, que la plupart en aient profité pour fuir dans cette direction à la première occasion.
@ BolchoKek
[« On peut sérieusement douter du fait qu’on pouvait véritablement tuer des esclaves. Après tout, les esclaves étaient un produit coûteux » Les Hilotes n’étaient pas vraiment des esclaves. Leur statut se rapprochait plutôt du servage. On ne pouvait pas les vendre ni les échanger, seulement la terre dont ils dépendaient. Ce n’était pas d’ailleurs unique à Sparte, la Thessalie avait un système assez comparable.]
Vous avez parfaitement raison, je ne voulais pas rentrer dans les détails. Mon point était que dans toute société le but des classes dominantes n’est pas de tuer les dominés, mais de les faire travailler. Si vous commencez à tuer vos esclaves ou vos serfs, vous finissez par avoir des problèmes. Et si tant de patrons lors de la révolution industrielle ont construit des mutuelles et autres hôpitaux, ce n’est pas seulement par grandeur d’âme, c’est aussi parce qu’ils ont compris qu’une force de travail en bonne santé était plus productive. C’est pourquoi je tends à penser que la description de Plutarque du massacre des hilotes est probablement exagérée.
Il me semble que dans la guerre du Péloponnèse, Thucydide parle d’un événement particulier où la citoyenneté spartiate pleine et entière fut accordée à plusieurs centaines d’hilotes et où ceux-ci disparurent mystérieusement, sous-entendant qu’ils avaient été éliminés car soupçonnés d’être les plus susceptibles de se révolter.
J’ai écouté récemment un reportage sur le harcèlement scolaire: c’est terrifiant parce que les harceleurs sont très peu punis et que ce sont les harcelés qui doivent subir pendant des années ou déménager. La responsabilité en revient, à mon avis, à l’administration, qui, pour ne pas faire de vagues, ne soutient ni ses enseignants, ni ses élèves maltraités. L’école, la justice pénalisent très peu les violences des mineurs qui n’ont plus de limites.
@ Marire
[J’ai écouté récemment un reportage sur le harcèlement scolaire: c’est terrifiant parce que les harceleurs sont très peu punis et que ce sont les harcelés qui doivent subir pendant des années ou déménager.]
Le problème du harcèlement scolaire c’est que, comme souvent avec les délits commis par des mineurs, les enfants n’ont pas forcément conscience de la gravité des faits qu’ils commettent. Punir sans qu’il y ait prise de conscience de ce qu’on punit exactement n’a pas beaucoup de sens. A cela s’ajoute une difficulté supplémentaire: parents, enseignants et administration ont une vision angélique de l’enfant, et ont beaucoup de mal à réaliser que l’enfant peut être aussi méchant, vicieux et insensible que l’adulte, voir plus!
A propos de “La guerre des boutons” j’ai lu il y a quelques années le livre de feu Bertrand Rothé “Lebrac, trois mois de prison”. Il y montre que pour les actes accomplis par ce héros de fiction du début du XXe siècle un Lebrac écoperait probablement aujourd’hui de trois mois d’enfermement en centre fermé mais aussi ce qui a changé dans notre société. Tout d’abord les héros du roman entraient très vite dans le monde du travail, dès l’âge de 12 ans, dans les milieux populaires on quittait l’école pour les champs, l’usine, l’atelier, la mine, la boutique. C’est beaucoup plus facile de se projeter dans le monde adulte quand l’échéance est proche que quand comme maintenant elle est à un horizon indéfinissable. D’autre part à l’époque le système scolaire était structurellement inégalitaire, divisée entre un système payant et élitiste, le système secondaire et un système primaire où la grande majorité se contentait du certif. Personne ne reprochait à l’école d’échouer à éliminer les inégalités sociales car fondamentalement ce n’était pas son but. Puis nous avons la judiciarisation de notre société, désormais toute infraction à la norme commise par un mineur même très jeune se retrouvé déférée à la justice. On a eu ainsi plusieurs exemples de jeux sexuels entre enfants de primaire ayant été signalés à la gendarmerie et les gamins se retrouvés devant des juges, des psys et traités comme des délinquants sexuels à inscrire sur un fichier comme délinquants sexuels à vie.
@ cd
[A propos de “La guerre des boutons” j’ai lu il y a quelques années le livre de feu Bertrand Rothé “Lebrac, trois mois de prison”. Il y montre que pour les actes accomplis par ce héros de fiction du début du XXe siècle un Lebrac écoperait probablement aujourd’hui de trois mois d’enfermement en centre fermé mais aussi ce qui a changé dans notre société.]
Je ne connais pas le livre, alors je ne peux pas le commenter. Il ne faut pas oublier non plus que si Lebrac n’écope pas dans le roman de Pergaud d’une sanction pénale, il est très sévèrement puni par ses parents. C’est peut-être cette présence de l’adulte au niveau de la famille qui pouvait dispenser de passer devant un juge.
[Tout d’abord les héros du roman entraient très vite dans le monde du travail, dès l’âge de 12 ans, dans les milieux populaires on quittait l’école pour les champs, l’usine, l’atelier, la mine, la boutique. C’est beaucoup plus facile de se projeter dans le monde adulte quand l’échéance est proche que quand comme maintenant elle est à un horizon indéfinissable.]
Je ne pense pas que ce soit une question de distance temporelle, mais plutôt de balisage du parcours : lorsque le jeune passe par des étapes successives marquées par des « rites de passage » et dont la conclusion logique est l’entrée au monde adulte, la projection est possible même si l’horizon est lointain. La différence entre le Lebrac de 1900 et celui de 2000 est que le Lebrac de 1900 avait un parcours très balisé par des « passages » : de la culotte courte au pantalon, de l’imberbe au rasage, la première cuite et le premier bistro, l’initiation sexuelle…
[D’autre part à l’époque le système scolaire était structurellement inégalitaire, divisée entre un système payant et élitiste, le système secondaire et un système primaire où la grande majorité se contentait du certif.]
Elitiste, certainement. Payant, pas vraiment. A l’époque, la moitie des lycéens étaient boursiers. Quant aux autres, l’enseignement dans les lycées publics était gratuit, et seuls les frais d’internat étaient à la charge des familles.
[Personne ne reprochait à l’école d’échouer à éliminer les inégalités sociales car fondamentalement ce n’était pas son but.]
Je pense que vous faites une mauvaise interprétation. Personne ne reprochait à l’école d’échouer à éliminer les inégalités sociales PARCE QU’ELLE N’ECHOUAIT PAS. Au contraire : elle représentait l’élément le plus tangible de la promotion sociale dans une société qui avait besoin de reconstituer ses élites. Elle ouvrait aux paysans les plus pauvres les portes des métiers qualifiés (postier, enseignant…) et pour les plus doués l’accès au secondaire et au supérieur (pensez à Camus ou a Bourdieu…).
[Puis nous avons la judiciarisation de notre société, désormais toute infraction à la norme commise par un mineur même très jeune se retrouvé déférée à la justice.]
N’exagérez pas. Si TOUTE infraction était traduite devant un juge, la justice serait dix fois plus encombrée qu’elle ne l’est. La judiciarisation des mineurs tient à l’effacement de l’autorité parentale. L’enfant du temps de Pergaud n’était pas perçu comme un sujet de droit, et les pouvoirs de ses parents pour le punir étaient quasi-illimités. Dès lors qu’on parle de « droits de l’enfant », on est obligé d’introduire le juge dans l’équation.
@ Descartes
Bonjour Descartes. Je ne voudrais surtout pas vous déranger avec un sujet que vous allez sans doute juger un peu futile, mais il se trouve que je viens de m’infliger, une nouvelle fois, l’épreuve du visionnage du journal de 20h de France 2. Or, malgré la tisane que je m’étais préparée, mes exercices de méditation, de yoga, bref tous mes efforts pour rester “zen”, cela m’a mis, une fois de plus, absolument hors de moi. A chaque fois, en effet, c’est la même chose : 5 minutes consacrées, je dirais, à passer les divers messages du gouvernement – et encore, à condition qu’il y en ait – puis 15 minutes de “micro-trottoirs”, que je regrouperais sous le titre : “Ce n’est pas nous qui nous informons, mais vous qui nous informez de vos petits tracas quotidiens”, et enfin, 15 minutes d’ “info-magazine” généralement révoltante de bêtise et de conformisme. Alors pourquoi cela me met-il à ce point hors de moi ? Parce que je crois que ce que je qualifierais ainsi de “refus patent et obstiné d’info”, plutôt que de véritable “info”, me donne l’impression que la démocratie est définitivement morte, surtout si, comme je le crains, le grand public en “redemande”.
@ dsk
[Bonjour Descartes. Je ne voudrais surtout pas vous déranger avec un sujet que vous allez sans doute juger un peu futile, mais il se trouve que je viens de m’infliger, une nouvelle fois, l’épreuve du visionnage du journal de 20h de France 2.]
Pourquoi tant de masochisme ? Personnellement, cela fait longtemps que je ne regarde plus les journaux télévisés pour m’informer. On n’y apprend jamais rien. Ils n’ont plus qu’un intérêt sociologique, un peu comme lire les horoscopes. Ils disent plus ce que les gens veulent entendre que ce qui se passe vraiment.
[Alors pourquoi cela me met-il à ce point hors de moi ? Parce que je crois que ce que je qualifierais ainsi de “refus patent et obstiné d’info”, plutôt que de véritable “info”, me donne l’impression que la démocratie est définitivement morte, surtout si, comme je le crains, le grand public en “redemande”.]
Sur ce point, je peux vous rassurer : la démocratie ne s’est jamais faite à la télévision. Au contraire : la télévision a toujours été le pire ennemi de la démocratie. Parce que le propre de la télévision est de tout transformer en spectacle. Souvenez-vous de ceux qui nous expliquaient que « droit de réponse » était le summum en matière de démocratie. Et qu’est-ce qu’on a vu ? Les véritables débats ont été vite enterrés sous les échanges d’insultes et les cendriers qui volent, avant que la place soit prise par les Rouquier et les Hanouna qui ont raffiné les méthodes pour capter l’audience sur fond de pugilat.
@ Descartes
[“Sur ce point, je peux vous rassurer : la démocratie ne s’est jamais faite à la télévision.”]
Cela ne me rassure pas vraiment. Il me semble, pour reprendre un concept qui vous est cher, qu’il y aurait néanmoins une “fiction nécessaire” quant au rôle de l’information sur le “service public”, qui serait censée permettre aux masses de participer de façon éclairée aux choix démocratiques. Or, une telle fiction me semble aujourd’hui ouvertement abandonnée, ce qui me paraît, au minimum, le signe d’un recul de l’idée démocratique elle-même.
[“Au contraire : la télévision a toujours été le pire ennemi de la démocratie. Parce que le propre de la télévision est de tout transformer en spectacle.”]
Soit. Mais dans ce cas, je demande qu’Anne-Sophie Lapix s’habille autrement qu’avec des pulls à col roulé Kiabi et des chemisiers La Redoute. Et je demande aussi qu’on m’offre un meilleur spectacle que ces interminables défilés de “micro-trottoirs” dans lesquels les gens se plaignent du froid, du chaud, du confinement, du prix des boîte de conserve, et que sais-je encore.
[“Et qu’est-ce qu’on a vu ? Les véritables débats ont été vite enterrés sous les échanges d’insultes et les cendriers qui volent, avant que la place soit prise par les Rouquier et les Hanouna qui ont raffiné les méthodes pour capter l’audience sur fond de pugilat.”]
Exactement. Très bien vu.
@ dsk
[« Sur ce point, je peux vous rassurer : la démocratie ne s’est jamais faite à la télévision. » Cela ne me rassure pas vraiment. Il me semble, pour reprendre un concept qui vous est cher, qu’il y aurait néanmoins une “fiction nécessaire” quant au rôle de l’information sur le “service public”, qui serait censée permettre aux masses de participer de façon éclairée aux choix démocratiques.]
Je ne vois là aucune « fiction », et encore moins sa nécessité. Personne n’a jamais cru que la fonction du « service public » soit d’informer. De De gaulle à Giscard, c’était « la voix de la France » à qui on demandait de propager une « certaine idée de la France ». Avec Mitterrand, elle entre dans l’ère de la concurrence et l’information devient un spectacle.
[« Au contraire : la télévision a toujours été le pire ennemi de la démocratie. Parce que le propre de la télévision est de tout transformer en spectacle. » Soit. Mais dans ce cas, je demande qu’Anne-Sophie Lapix s’habille autrement qu’avec des pulls à col roulé Kiabi et des chemisiers La Redoute. Et je demande aussi qu’on m’offre un meilleur spectacle que ces interminables défilés de “micro-trottoirs” dans lesquels les gens se plaignent du froid, du chaud, du confinement, du prix des boîte de conserve, et que sais-je encore.]
Ca dépend de la concurrence. Si les gens regardent Lapix malgré le fait qu’elle s’habille comme l’as de pique, et ne zappe pas devant les micro-trottoir, pourquoi investir plus ? Le temps où le journal était un argument de vente est révolu. Les gens sont bombardés d’informations, et ne s’attendent à rien apprendre de nouveau en regardant le journal. Alors, pourquoi dépenser des mille et des cents pour faire un journal de qualité ?
@ Descartes
[” Je ne vois là aucune « fiction », et encore moins sa nécessité. Personne n’a jamais cru que la fonction du « service public » soit d’informer. “]
Ah bon ? Dans ce cas, j’aimerais qu’on m’explique ce qui justifie que l’Etat subventionne la presse écrite, si ce n’est que l’information serait censée jouer un “rôle essentiel en démocratie”. Or, si tel est bien le cas, je ne vois pas pourquoi cela ne serait vrai, a fortiori, de l’information sur les chaînes de service public.
[“Alors, pourquoi dépenser des mille et des cents pour faire un journal de qualité ?”]
Parce que cela justifierait au moins la redevance.
@ dsk
[Ah bon ? Dans ce cas, j’aimerais qu’on m’explique ce qui justifie que l’Etat subventionne la presse écrite, si ce n’est que l’information serait censée jouer un “rôle essentiel en démocratie”.]
Mais personne n’a dit que l’information ne joue pas “un rôle essentiel en démocratie”. J’ai tout simplement dit que personne n’a jamais cru que la fonction du “service public” soit d’apporter cette information. La difficulté tient à ce qu’il est impossible de présenter l’information sans qu’il entre dans cette présentation une grosse partie de subjectivité, non seulement dans la présentation elle même, mais dans les sujets que vous choisissez de présenter. Dès lors qu’il y a subjectivité, l’information n’est plus apportée par une source, mais par l’agrégation d’une multiplicité de sources. Le citoyen n’est pas informé par un journal, mais par une multiplicité de journaux. Et cette multiplicité ne peut exister que si les journaux économiquement faibles sont aidés par l’Etat.
@ Descartes
[” J’ai tout simplement dit que personne n’a jamais cru que la fonction du “service public” soit d’apporter cette information. La difficulté tient à ce qu’il est impossible de présenter l’information sans qu’il entre dans cette présentation une grosse partie de subjectivité, non seulement dans la présentation elle même, mais dans les sujets que vous choisissez de présenter. Dès lors qu’il y a subjectivité, l’information n’est plus apportée par une source, mais par l’agrégation d’une multiplicité de sources. Le citoyen n’est pas informé par un journal, mais par une multiplicité de journaux. Et cette multiplicité ne peut exister que si les journaux économiquement faibles sont aidés par l’Etat.”]
Avec un tel raisonnement, je vous ferais remarquer qu’il faudrait que le service public de l’éducation nationale renonce aussi sans doute à l’enseignement de l’histoire, car “personne ne croirait que ce serait sa fonction”, et que l’Etat se contente, à la place, de subventionner les éditeurs de livres d’histoire.
D’autre part, si la fonction du “service public” ne pouvait être d’informer pour la raison, si je vous suis bien, qu’il serait “impossible” que n’y entre une “grosse partie de subjectivité”, alors tel devrait être également le cas de tout organe de presse. Or, diriez-vous que personne n’aurait jamais cru que leur fonction soit d’informer ?
@ dsk
[Avec un tel raisonnement, je vous ferais remarquer qu’il faudrait que le service public de l’éducation nationale renonce aussi sans doute à l’enseignement de l’histoire,]
Mais… n’est-ce déjà le cas ?
Trêve de plaisanterie : l’éducation nationale n’a jamais « enseigné l’histoire ». Elle a enseigné un « roman national », fait d’épisodes historiques soigneusement choisis et interprétés en fonction d’une doxa précise, et dont le but était de fournir à l’ensemble des citoyens un cadre commun de référence. Et les révisionnistes d’après 1968, au nom de la « vérité historique », n’ont fait que remplacer un « roman » par un autre.
[car “personne ne croirait que ce serait sa fonction”, et que l’Etat se contente, à la place, de subventionner les éditeurs de livres d’histoire.]
Oui, où des instituts universitaires ou des historiens peuvent développer des points de vue différents et débattre et confronter leurs résultats. C’est de cette multiplicité de travaux et des points de vue que surgit l’Histoire…
[D’autre part, si la fonction du “service public” ne pouvait être d’informer pour la raison, si je vous suis bien, qu’il serait “impossible” que n’y entre une “grosse partie de subjectivité”, alors tel devrait être également le cas de tout organe de presse. Or, diriez-vous que personne n’aurait jamais cru que leur fonction soit d’informer ?]
Il y a des gens qui « croient » n’importe quoi. Mais qui peut rationnellement soutenir que des gens investissent des capitaux et des efforts importants avec pour seul but d’informer honnêtement leurs concitoyens, en laissant de côté tout intérêt personnel ?