Ces derniers jours, il est difficile d’échapper au stress du professeur débutant. Qu’on écoute la radio, qu’on regarde la télévision, qu’on lise les journaux, ils sont partout ces “pôvres” professeurs débutants qui perdent le sommeil et l’appétit à l’idée de se retrouver devant leurs élèves. Des articles entiers leurs sont consacrés. Des tribunes libres leur permettent de prendre la parole pour nous raconter leurs nuits sans sommeil. Et de doctes pédagogues – sans aucune arrière pensée politique, bien entendu – nous montrent à l’aide de profondes analyses que ceci ne peut plus durer. D’où vient le problème ? Les avis diffèrent: le métier de plus en plus dévalorisé, les enfants de plus en plus difficiles, la formation de plus en plus insuffisante… mais si la cause est discutable, ce qui semble indiscutable peut être résumé en un seul mot: stress.
Et cela ne concerne pas que les professeurs. Regardez les enfants, ces petits êtres fragiles qu’une fessée peut traumatiser, dont une mauvaise note peut irréparablement détruire la confiance en soi. Regardez ces employés que la perspective de devoir changer de service pousse à la crise de nerfs. Ces jeunes chômeurs traumatisés à l’idée de devoir changer de domaine professionnel voire accepter un travail purement alimentaire. Les chasseurs de souffrance psychologique sont partout pour nous expliquer combien le monde moderne est cruel et impitoyable avec les êtres fragiles que sont les jeunes.
J’avoue avoir beaucoup de mal à comprendre cette jeunesse pleurnicharde. Peut-être parce que je me suis laissé trop bercer par les histoires de mon grand-père, vétéran de 14-18 et père aimant d’une nombreuse famille qu’il a fallu nourrir pendant la Grande Dépression et protéger pendant les années de l’occupation. Peut-être parce que j’ai trop écouté les récits de mon père, lui même engagé très jeune dans la résistance, qui vécut les combats en Allemagne puis les guerres d’Indochine et d’Algérie. Lorsqu’on connaît cette histoire, il est difficile de prendre le stress des jeunes générations au sérieux. La génération qui a aujourd’hui trente ans est la première pour laquelle la guerre ne soit ni ne réalité, ni même une perspective réaliste. Pour toutes les générations précédentes, le fait d’aller porter les armes pour défendre le territoire – ou de voir sa maison détruite et son pays occupé – était une réalité présente: il y a un peu plus d’une génération entre 1870 et 1914, une génération entre 1914 et 1939, une autre entre 1939 et 1954. Aujourd’hui, les jeunes qui commencent leur vie sont pratiquement certains de pouvoir vivre en paix.
Après la guerre, venons a un autre chevalier de l’Apocalypse: la peste. Il faut se souvenir ce qu’était la maladie dans les temps passés. Avant 1945 et l’universalisation de la sécurité sociale, une maladie même relativement benigne pouvait manger les maigres économies d’une famille. Et on mourrait encore de tuberculose, de la variole, de la poliomyélite faute de moyens pour se soigner. Les maladies infectieuses comme la diphtérie emportaient souvent les enfants à un âge tendre et sans prévenir. En fait, on pouvait être jeune et en bonne santé le lundi et être mort le dimanche (1). La combinaison des progrès de la médecine, de la création de la sécurité sociale et d’une meilleure alimentation ont changé fondamentalement la donne. Nous arrivons chaque fois jusqu’à un âge plus avancé, et nous y arrivons en étant moins vieux.
Et on pourrait continuer pendant des heures. Si l’on pense à l’homme de 1930, où à celui de 1900, ou même à celui de 1950, il avait infiniment plus de raisons de nous pour être angoissé. Nous avons la paix, la santé, la société nous fout une paix royale quand il s’agit de choisir de se marier ou pas, d’avoir des enfants ou pas, de vivre en couple ou pas, nous avons une protection contre le chômage infiniment plus performante… et pourtant, nous dit-on, les jeunes se meurent d’angoisser. Si les conditions objectives ne justifient pas ce “stress”dont on parle tant, c’est donc vers les conditions subjectives qu’il faut se tourner. Et c’est là qu’on trouve une différence flagrante: les gens, et notamment les jeunes, sont beaucoup moins capables de gérer le stress que les générations précédentes.
Cela se voit dans la manière dont les individus réagissent aujourd’hui à des situations anxiogènes qui sont vieilles comme le monde. Pourquoi le jeune dont l’agent de la RATP contrôle le billet aujourd’hui est d’une violence sans commune mesure avec celui qui devait montrer son billet il y a quarante ans ? Pourquoi le jeune qui met ses pieds sur la banquette du métro fait si peur aux adultes présents qu’aucun n’ose – contrairement à ce qui ce serait passé il y a quelques décennies – lui faire la remarque ? Pourquoi des conflits qui hier encore restaient dans le domaine de la violence verbale se traduisent aujourd’hui par un passage à l’acte ? Ce n’est pas le stress qui augmente, c’est la capacité des individus à gérer correctement le stress qui diminue. Pourquoi ?
Sans prétendre qu’il y ait une réponse unique, je crois que la première cause est l’intronisation de l’individu-roi.
Vous me direz qu’il n’y a rien de nouveau là-dedans: depuis la Révolution, la France est un pays individualiste et fier de l’être. Mais il y a individualisme et individualisme. Il y a l’individualisme républicain, qui conçoit l’individu comme un membre de la société, sujet de droits et tenu par des devoirs sociaux. Et il y a un individualisme post-moderne, pour qui l’individu doit au contraire se libérer de toute contrainte sociale pour ne suivre que ses désirs. Comme disaient certains des partisans de cette vision, un individu ayant le droit de “jouir sans entraves”. Mais comment réagit cet “individu” lorsque quelqu’un cherche à “entraver” sa jouissance, par exemple en lui signalant que mettre les pieds sur une banquette de métro détruit un bien collectif, ou qu’en omettant de payer son billet il vole la communauté ? Comment cet “individu” appelé à suivre ses désirs peut-il réagir devant le professeur qui ose insinuer que son “opinion” (c’est à dire, ses préjugés et son ignorance) ne valent pas grande chose, et que c’est Pascal ou Newton qui ont raison, et pas lui ?
Lorsqu’on écoute les angoisses de ces professeurs débutants qui craignent de se retrouver devant leur première classe, on reste coi devant leur vision du monde: Leur vision du métier, c’est de se trouver – près plusieurs années de formation les préparant à une telle épreuve – devant une classe de 15 élèves, sages comme des images et pleins d’envie d’apprendre. Seulement, si les élèves étaient ainsi, on n’aurait pas besoin de professionnels pour leur faire la classe. Le métier de professeur – comme tout autre métier, d’ailleurs – trouve sa noblesse dans le fait qu’il y a des difficultés à vaincre, des problèmes à résoudre, des murs à faire tomber. Le jeune policier réalise assez vite que les bandits ne viennent pas se livrer eux mêmes au commissariat: il faut aller les chercher, et c’est difficile et parfois dangereux. Le jeune maçon réalise assez vite que travailler dans un chantier ce n’est pas comme dans le lycée technique: le métier est difficile et dangereux. Et ne parlons pas du jeune médecin qui voit, malgré tous ses efforts, mourir son premier patient(2).
Nous avons élevé une jeunesse habituée à “jouir sans entraves” dans un monde où les adultes – pétris de la nostalgie de mai 1968 – ne se sentent pas la légitimité pour mettre des limites et baignent dans un discours où toute répression du désir est par définition mauvaise. Cette jeunesse élevée dans le coton par des adultes terrorisés à l’idée de la “traumatiser” finit – et ce n’est pas sa faute – par croire que tout lui est du et que sa volonté est toute-puissante. Comment en irait-il autrement après une enfance et une adolescence entouré d’adultes qui prennent systématiquement votre défense ? Seulement voilà: il arrive fatalement un jour où le désir butte sur la réalité. Pour certains, c’est lors d’un rejet amoureux ou d’un conflit avec d’autres jeunes. Pour les plus chanceux, lorsqu’ils affrontent un processus sélectif – comme les concours administratifs ou d’entrée aux grandes écoles – où lors de l’entrée dans le monde du travail. Car contrairement aux parents et à beaucoup de professeurs, la hiérarchie du monde du travail n’hésite pas à traumatiser la chère tête blonde en lui disant certaines vérités. Et là, comment gérer un stress auquel on ne peut se dérober ?
Vous souvenez-vous du débat qui avait opposé Jacques Chirac, alors président de la République, à un panel de jeunes français lors de la campagne pour le réferendum de ratification du TCE ? Lors de ce débat, il y eut une séquence magnifique ou notre Jacquot national avait avoué avec la franchise qui faisait son charme ne pas comprendre comment étais-ce possible que des jeunes éduqués, formés, ayant leur vie devant eux, soient aussi si frileux, si craintifs devant l’avenir. Peut-être parce qu’il avait, lui, conservé son optimisme et son envie de se battre malgré l’expérience – traumatisante – de la guerre d’Algérie.
Si l’on veut aider les jeunes, il faut leur dire la vérité. Et la vérité est que le monde dans lequel ils vivent est magnifique, mais qu’il n’est pas facile. Qu’on ne peut pas avoir tout ce qu’on veut, mais qu’on peut avoir beaucoup de choses à condition d’être prêts à travailler sérieusement pour elles. Que les règles sociales – et parmi elles celles de correction, de politesse, de protectiond des plus faibles et de respect des autres – existent non pas pour nous emmerder, mais pour maintenir une cohésion qui en fin de compte est profitable à tout le monde. Oui, je sais, ce n’est pas à la mode…
Descartes
(1) souvenez-vous de la magnifique scène de la mort du jeune frère dans “Jeux interdits”…
(2) Dans une conférence donnée il y quelques années, Jean Boissonnat avait raconté son expérience de membre du jury d’admission à l’ENA. Il avait commenté les candidats qu’il avait vu en ces termes: “j’avais devant moi des jeunes très travailleurs, très cultivés, très gentils, mais qui n’avaient pas l’air d’avoir réalisé que lorsqu’on devient haut fonctionnaire on reçoit souvent des coups, et parfois on en donne”. Même a ce niveau, les jeunes avaient encore une vision “bisounours” de leur futur métier…
Bonjour,
Le stress. Ce mot, assez récent, n’indique qu’assez peu l’état mental dans lequel les citoyens vivent notre époque. Je suis étonné que vous n’ayez pas employé – à la place même de ce mot stress –
une seule fois le mot frustration qui me semble plus correspondre à la plupart des malaises exprimés dans notre société.
Définition Wikipédia ( pour ne pas approfondir inutilement) :
Le stress (en anglais pression émotionnelle, de l’ancien
français destresse), ou syndrome général d’adaptation, est l’ensemble des réponses d’un organisme soumis à des pressions
ou contraintes de la part de son environnement. Dans le langage
courant, on parle de stress positif
(eustress en anglais) ou négatif (distress).
Nos prédécesseurs ont vécu des stress, comme vous l’évoquez très justement, bien plus importants en effet, et le stress actuellement exprimé comme subit est en fait un non stress c’est à dire une
incapacité généralisée à résister à la frustration.
Car la frustration, toujours selon Wikipédia (c’est un site bien pratique, même si quelquefois il s’y glisse des assertions contestées), se présente comme
….une réponse
émotionnelle à l’opposition. Liée à
la colère et la déception, elle survient lors d’une résistance perçue par
la volonté d’un individu. Plus l’obstruction est grande, ainsi
que la volonté de l’individu, plus grande sera la frustration. …….. lorsque le but d’un individu interfère dans le but d’un autre individu, cela peut créer une
dissonance
cognitive. Les causes externes de frustration impliquent des
conditions hors de l’individu, telles qu’une route barrée ou des tâches ménagères difficile à accomplir. Durant la frustration, certains individus peuvent s’engager dans
un [
Puis une explication sur les causes et symptomes:
…….Bien que la frustration moyenne, suite aux facteurs internes (ex. paresse, manque d’effort), soit souvent une force positive (inspirant la motivation), elle est perçue comme un problème
“incontrôlé” qui implique une frustration pathologique plus sévère. Un individu souffrant de frustration pathologique se sentira souvent impuissant à changer une situation dans laquelle il est
impliqué, conduisant à la frustration, ou, si c’est incontrôlable, une très grande colère…..
La génération des seniors nés dans les années 30 et 40 ( 60 à 80 ans), sont entrés dans l’age adulte dans une période de reconstruction du pays après la guerre ( 1945 à 1960 ). Le mot d’ordre
était en gros : “ bosse et tais toi ! ” On avait peut être à l’époque plus de réponses que de questions d’ailleurs. Puis, avec la télé, la fin de la société de production, le développement du
besoin de fêtes, de la société de spectacle, des surprises parties facilitées par l’industrie du disque, etc, etc …….l’explosion de mai 68 a dû correspondre à une sorte de dissolution à grande
vitesse, de la structure des valeurs sociales sans que la soc
Je suis étonné que vous n’ayez pas employé – à la place même de ce mot stress – une seule fois le mot frustration qui me semble plus correspondre à la plupart des malaises exprimés dans notre
société.
Ce n’est pas la même chose. La frustration est la cause, le stress est la conséquence. J’ai utilisé le mot “stress” parce que c’est celui qui revient systématiquement dans les “tribunes”
auxquelles je fais référence.
Mais vous avez raison sur un point: je fais un abus de langage en parlant d’une incapacité à gérer le stress. Il serait plus exact de dire que le niveau de stress est la conséquence d’une
incapacité à gérer les frustrations.
La génération des seniors nés dans les années 30 et 40 ( 60 à 80 ans), sont entrés dans l’age adulte dans une période de reconstruction du pays après la guerre ( 1945 à 1960 ). Le mot d’ordre
était en gros : “bosse et tais toi” !
Je ne le crois pas. D’ailleurs, ces années-là correspondent à la période de plus forte syndicalisation et politisation des travailleurs français. Le PCF aura pendant toute cette période plus d’un
demi-million d’adhérents, et la CGT plus de deux millions. Difficile de concilier ces chiffres avec un quelconque “mot d’ordre: bosse et tais toi”. Le mot d’ordre était “bosse!”. Personne ne vous
demandait de vous taire. Cette vision d’une France ensomeillée que la “révolution” de mai est venu réveiller fait à mon avis partie d’une théorie d’auto-justification fabriquée par les
nostalgiques de mai.
Pour la fin de votre message, une coupure intempestive rend difficile de le comprendre…
En effet, je rencontre depuis quelques temps des difficultés à transférer mes commentaires en Word (brouillon) sur votre site. Je reprend donc au début de la phrase
interrompue:
…….l’explosion de mai 68 a dû correspondre à une sorte de dissolution à grande vitesse, de la structure des valeurs sociales sans que la société soit en mesure d’imaginer et de mettre en
œuvre une ou des méthôdes adaptées pour contenir les multiples débordements constatés. On est passé sans transition du “ bosse et tais toi ” au “ tout est possible, il est interdit d’interdire ”
La réalité étant plus tétue que la vélléité, ceux qui, et ils sont nombreux, n’ont pu bénéficier ou se forger des outils d’adaptation et de correction, ont plongé dans un univers de frustration.
Et rien, actuellement, n’est mis en œuvre pour rattraper la mise. Faut il attendre une “ Kollossale ” claque pour que notre société se réveille ?
Le déferlement des infos, des opinions contradictoires, des sollicitations de toute nature, des agressions visuelles et sonores ne peuvent, sans une préparation intellectuelle adaptée, que tirer
nos sociétés vers une jungle ou la ruse, la force, la duplicité peuvent s’en donner à cœur joie. Nous avons à peu près tout pour réussir, sauf peuy -être le courage et la lucidité individuelle
comme collective.
Plus on sait, moins on a le sentiment de comprendre et de savoir ; plus on peut avoir, moins on a le sentiment de posséder, plus on a de relations personnelles, plus on se sent seul . Quel est le
point limite à l’insuportable ? Une voix royale n’est elle pas la lecture des stoiciens de l’antiquité ( Cicéron, Epictète, Marc Aurèle, Sénèque puis plus tard…..R.Descartes et actuellement, à
certains égards, A.Comte-Sponville)
Bon Week end
En effet, je rencontre depuis quelques temps des difficultés à transférer mes commentaires en Word (brouillon) sur votre site.
Il vaut mieux (et je dis ça pour un certain nombre de contributeurs qui ont le même problème) copier le texte puis le coller dans Notepad. Ensuite vous copiez le texte sur Notepad
et vous le collez ici. Cette opération fait disparaître un certain nombre d’éléments de mise en forme qui ne passent pas sur over-blog.
l’explosion de mai 68 a dû correspondre à une sorte de dissolution à grande vitesse, de la structure des valeurs sociales sans que la société soit en mesure d’imaginer et de mettre en œuvre
une ou des méthôdes adaptées pour contenir les multiples débordements constatés. On est passé sans transition du “bosse et tais toi” au “tout est possible, il est interdit d’interdire”
Je ne le crois pas. L’idée qu’avant 68 c’était “bosse et tais toi” est une pure invention auto-justificative. Les grandes grèves des années 1930, de 1947 ou de 1953 sont là pour montrer que les
gens ne se sont jamais “tu”.
Là encore, mai 1968 n’est qu’un symptôme d’une transformation profonde: celle d’une société de producteurs en une société de consommateurs. Une société où le statut de l’individu est moins
déterminé par sa contribution à la société (car le statut professionnel résume en fait cela) que par les objets dont il peut jouir. Or, une société de consommateurs est forcément une société
adolescente – car ce qui caractérise l’adolescence, c’est bien le fait de faire des choix de consommation alors qu’on ne produit pas. Et l’adolescence, c’est précisement l’âge de l’illusion de la
toute-puissance confrontée à la réalité de l’impuissance.
La “voie royale”, comme vous dites, ne peut venir seulement de la philosophie. Pour que la société change, il faut que son économie change.
Ce n’est pas le stress qui
augmente, c’est la capacité des individus à gérer correctement le stress qui diminue.
Je suis totalement en phase avec la première partie de ton billet. La vie,
pour l’immense majorité, était bien plus dure et bien plus anxiogène avant la seconde guerre mondiale.
D’ailleurs il y a une observation qui ne trompe pas, c’est l’évolution des
morphologies (les gens sont de plus en plus grands, de plus en plus « gros »). En 50 ans je ne pense pas qu’il puisse y avoir une significative évolution génétique de notre espèce,
c’est les conditions de vie qui se sont grandement améliorées et qui expliquent ce phénomène.
Sans prétendre qu’il y ait une réponse unique, je crois que la première cause est l’intronisation de l’individu-roi.
C’est sans aucun doute une
des causes, mais la première dans la hiérarchie je n’en suis pas sur.
Je crois que
l’amélioration du niveau de vie fait naturellement reculer l’instinct guerrier et la capacité à affronter l’adversité. L’amélioration du niveau de vie fait aussi que les gens ont « plus à perdre » en cas d’échec, et sont donc plus fébriles devant les
difficultés (ce qui paradoxal, car perdre sa vie c’est dans l’absolu la seule catastrophe irrémédiable, et ce risque c’est considérablement réduit).
Par ailleurs le tissu
social a été profondément modifié (moins de paysans et plus de citadins). Dans une structure urbaine d’aujourd’hui, l’individu est plus
« fragile » que dans une structure rurale d’autrefois.
Je crois que l’amélioration du niveau de vie fait naturellement reculer l’instinct guerrier
et la capacité à affronter l’adversité. L’amélioration du niveau de vie fait aussi que les gens ont « plus à perdre » en cas d’échec, et sont donc plus fébriles devant les
difficultés
La théorie est séduisante… mais elle présente une sérieuse difficulté: si le niveau de vie rendait moins capable à gèrer le stress, alors les
couches pauvres devraient être plus capable de le faire que les riches. Or, on observe exactement l’inverse: c’est dans les banlieues qu’un adolescent tue un autre pour un regard de travers,
qu’un élève “plante” un profeseur suite à une remarque. Pas dans le VIIème arrondissement. Je crains que l’idée selon laquelle c’est parce que la vie est facile que nous serions devenus plus “mous”
est un mythe, classique certes, mais un mythe tout de même.
Par ailleurs le tissu social a été profondément modifié (moins de paysans et plus de
citadins). Dans une structure urbaine d’aujourd’hui, l’individu est plus « fragile » que dans une structure rurale d’autrefois.
Là encore, je crains que tu ne cèdes au mythe de la “ville corruptrice” face à une ruralité
rédemptrice…
Bonsoir.
Le stress est un état normal pour tout individu qui s’apprête à affronter un changement. Il en est ainsi du jeune professeur qui va prendre une classe pour la première fois. On se dit: “serai-je
à la hauteur?”. Mais le stress a aussi des effets positifs: poussée d’adrénaline, renforcement du système immunitaire… Tout n’est pas négatif dans le stress.
Il y a cinq ans maintenant, jeune stagiaire fraichement certifié d’histoire-géographie, je prenais moi aussi une classe pour la première fois, dans un collège inconnu, dans une ville inconnue
(bien que pas très éloignée de ma ville natale). C’était l’époque des stages “à l’ancienne”: 6 à 8 heures de cours hebdomadaires (une 6ème et une 5ème pour moi), et le reste en formation avec des
interventions de qualité inégale. Mais cela était parfois bien utile, ne serait-ce que pour discuter et se rassurer en se disant qu’on rencontrait les mêmes soucis que les autres. Une année bien
chargée (contrairement à ce qu’on pourrait penser) avec des évaluations, un mémoire professionnel de “réflexion sur sa pratique”, des compétences innombrables à valider. Pas que des moments
agréables, quelques-uns humiliants (le test d’orthographe digne d’une fin d’école primaire alors que nous avions validé des épreuves écrites) mais rien que de très normal.
L’année dernière, effectuant un remplacement au lycée, j’ai eu pour collègue une jeune stagiaire “nouveau mode”. Après une formation théorique insignifiante, directement 18h de cours à donner,
l’horaire d’un titulaire plein temps. Plus une journée de formation hebdomadaire où oeuvrait pour l’essentiel un nuisible, ancien prof de philo, planqué depuis des années à l’IUFM car incapable
de tenir une classe selon toute probabilité. La formation disciplinaire, la seule qui vous aide vraiment, arrivait deux mois après la rentrée… Sans commentaire. Effectivement, cette jeune
collègue a eu des nuits blanches. D’autant que les visites-conseils des formateurs avaient vécu: les inspecteurs venaient en personne directement, deux fois dans l’année. Il est plus rassurant
d’avoir un formateur qu’on connaît au fond de la salle qu’un inspecteur, toujours plus impressionnant.
Honnêtement, si j’avais été confronté à ce nouveau type de stage, je ne suis pas sûr que je serais prof aujourd’hui. Et pour avoir discuté avec des profs stagiaires dans les années 70 et 80, ils
étaient effarés: de leur temps, le stage était moins lourd, le métier s’apprenait de façon plus sereine (et même un peu trop “cool” de l’aveu de certains). On ne peut aucunement empêcher le
stress, mais on peut faire en sorte que l’apprentissage du métier (car c’en est un) se fasse dans des conditions correctes.
Pour ce qui est des effectifs, 15 élèves par classe, c’est excessif. Mais 24 à 25 élèves en collège, 30 à 32 en lycée, cela me paraît raisonnable. Or on est souvent très au-dessus. 32 élèves dans
une classe de CM2, c’est beaucoup. D’autant que nos consignes sont claires: aider les élèves en difficulté, faire de la “pédagogie différenciée”. Soit, encore faut-il pouvoir, avoir un peu de
temps. En langue, il faut privilégier l’oral. Soit. Mais un professeur d’espagnol avec 35 élèves et 3h hebdomadaires peut-il vraiment évaluer convenablement ses élèves? Voilà les questions que
nous nous posons. Pour le reste, des élèves désagréables, insolents, rétifs, ma foi, il y en a toujours eu. Avec le temps, on prend de l’assurance. Et puis parfois, c’est vrai, on est débordé.
Cela arrive toujours, nous ne sommes pas infaillible. Tant pis, on tâche de se corriger. Mais le début reste le plus difficile, alors autant ne pas trop charger la mule pour les collègues
débutants.
Bien sûr, ce stress n’est pas comparable avec celui du soldat qui va risquer sa vie dans les tranchées ou dans les Aurès. Pourtant, Descartes, j’attire ton attention sur un point: le soldat n’est
pas seul, et il est armé. Tu me diras que ce n’est pas grand-chose, mais ça compte. Un professeur, et c’est là la véritable angoisse, est seul face à 25 gamins. Si le soldat trébuche, un camarade
peut venir l’aider. Si le jeune professeur n’arrive pas à s’imposer, personne ne viendra le sauver.
L’année dernière, effectuant un remplacement au lycée, j’ai eu pour collègue une jeune stagiaire “nouveau mode”. Après une formation théorique insignifiante, directement 18h de cours à
donner, l’horaire d’un titulaire plein temps. Plus une journée de formation hebdomadaire où oeuvrait pour l’essentiel un nuisible, ancien prof de philo, planqué depuis des années à l’IUFM car
incapable de tenir une classe selon toute probabilité. La formation disciplinaire, la seule qui vous aide vraiment, arrivait deux mois après la rentrée… Sans commentaire.
Tu parles comme si les stagiaires se voyaient confier une classe juste après avoir passé leur bac. Mais il faut pas pousser memère dans les orties: Les stagiaires “nouveau mode” sont, si ma
mémoire ne me trompe pas, recrutés au niveau master. Ce qui signifie qu’ils ont eu cinq ans d’études universitaires. Cinq années pendant lesquels ils ont eu toutes les opportunités pour acquérir
une formation théorique et disciplinaire solide.
Bien sûr, ce stress n’est pas comparable avec celui du soldat qui va risquer sa vie dans les tranchées ou dans les Aurès. Pourtant, Descartes, j’attire ton attention sur un point: le soldat
n’est pas seul, et il est armé.
Certes. Mais celui qu’il a en face est armé, lui aussi…
Un professeur, et c’est là la véritable angoisse, est seul face à 25 gamins. Si le soldat trébuche, un camarade peut venir l’aider. Si le jeune professeur n’arrive pas à s’imposer, personne
ne viendra le sauver.
Tiens, je croyais que la solidarité ente collègues, ça existait dans l’enseignement…
Désolé, mais on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Il fut un temps où les professeurs s’assumaient comme agents d’une institution. Et ils étaient légitimés par elle. Après 1968, ils
ont revindiqué d’être les maîtres absolus dans leur classe, y compris contre l’institution. Ce faisant, ils ont creusé leur propre tombe. Parce qu’il est difficile de jouir de la légitimation
institutionnelle et en même temps se revindiquer comme franc-tireur. Aujourd’hui, certains professeurs – de plus en plus nombreux – sont en train d’en revenir. Mais c’est un peu tard.
« Tu parles comme si les stagiaires se voyaient
confier une classe juste après avoir passé leur bac. Mais il faut pas pousser memère dans les orties: Les stagiaires “nouveau mode” sont, si ma mémoire ne me trompe pas, recrutés au niveau
master. Ce qui signifie qu’ils ont eu cinq ans d’études universitaires. Cinq années pendant lesquels ils ont eu toutes les opportunités pour acquérir une formation théorique et disciplinaire
solide. »
Mais, cher Descartes,
toute la formation théorique et disciplinaire qu’on veut n’est d’aucun secours face à une classe. Le défi de l’enseignant, c’est la gestion de la classe. Quand on débute, gérer deux classes ou en
gérer six, ça fait une différence, crois-moi. Et rien ne remplace la mise en situation. Comme Chirac peut-être, tu appartiens à une génération où l’optimisme était de mise, où le sentiment
dominant était que tout allait s’arranger. Et pour cause : on sortait de décennies de guerre. Mais l’euphorie n’a qu’un temps. La promotion sociale de tous, tout le temps n’est pas possible,
et pour la première fois, certains ont l’impression qu’ils vont stagner, voire que leurs conditions de vie vont se détériorer. Fantasme que tout cela, diras-tu. En partie peut-être. Je suis le
premier depuis quatre générations qui n’ait pas progressé d’un point de vue social. Peut-être que tu te moques de l’idée que j’ai une retraite à 75 ans (ou pas du tout, ou très peu élevée), moi
je ne m’en fiche pas. De plus, comme tu l’as rappelé toi-même à plusieurs reprises, notre époque a un problème avec la transmission du savoir. Or, l’arme du professeur, c’est le savoir qu’il a.
Si cette connaissance n’apparaît plus légitime, il est bien démuni…
« Mais celui qu’il a en face est armé, lui
aussi… »
Je n’en disconviens pas…
« Tiens, je croyais que la solidarité ente
collègues, ça existait dans l’enseignement… »
La solidarité entre collègues ? Besoin de rien, tu
peux compter sur nous, comme disait l’autre. Oui, cette profession manque cruellement d’esprit de corps au sens noble du terme, et je le regrette.
« Après 1968, ils ont revindiqué d’être les
maîtres absolus dans leur classe, y compris contre l’institution. Ce faisant, ils ont creusé leur propre tombe. Parce qu’il est difficile de jouir de la légitimation institutionnelle et en même
temps se revindiquer comme franc-tireur. Aujourd’hui, certains professeurs – de plus en plus nombreux – sont en train d’en revenir. Mais c’est un peu tard. »
Mais je suis tout à fait de ton avis, simplement je
n’étais pas né en 1968, et les stagiaires d’aujourd’hui non plus. Comprends qu’il est assez difficile pour les petits nouveaux de réparer d’un coup de baguette magique des décennies de
fourvoiement…
Au demeurant, personnellement, je ne me plains
pas : mon travail me convient, mon salaire aussi. Je n’aime pas l’habitude qu’ont certains de toujours geindre. Néanmoins, le fait est que les conditions d’entrée dans le métier ne se sont
pas arrangées (et lors des grèves pour dénoncer le sort des stagiaires, il n’y avait pas foule à suivre la grève… bel esprit de solidarité). Ce qui me pose problème dans les réformes actuelles,
c’est que l’enseignement, la transmission de connaissances, est de plus en plus considérée comme une tâche parmi d’autres, alors qu’il devrait être le cœur de notre mission.
Mais, cher Descartes, toute la formation théorique et disciplinaire qu’on veut
n’est d’aucun secours face à une classe.
C’est toi qui soulignait l’absence de formation théorique et disciplinaire des
professeurs “nouveau mode”. Nous sommes donc d’accord que ce n’est pas le problème.
Le défi de l’enseignant, c’est la gestion de la classe. Quand on débute, gérer
deux classes ou en gérer six, ça fait une différence, crois-moi. Et rien ne remplace la mise en situation.
C’est vrai. Mais la gestion de classe ne s’apprend que… en gérant une classe.
Penser que n’importe quel professionnel arrive à son premier poste avec tout le bagage nécessaire pour le remplir est une illusion. Presque tous les métiers s’apprennent en faisant. Et le stress
du “premier jour” est aussi inévitable pour le professeur que pour le maçon ou le chirurgien. Prétendre vider le métier de ce “stress” est absurde.
Comme Chirac peut-être, tu appartiens à une génération où l’optimisme était de
mise, où le sentiment dominant était que tout allait s’arranger.
Eh non… en fait, je suis beaucoup plus jeune que tu ne sembles le penser. Et
j’appartiens à la génération qui a commencé à travailler au début des années 1980, quand l’optimisme des “trente glorieuses” n’était plus qu’un souvenir. Et pourtant, je ne me souviens pas une seule fois d’avoir pensé
faire partie d’une “génération sacrifiée”. Peut-être parce que dans mon histoire familiale l’ombre de mon grand-père et de mon père immigrants était encore très forte…
La promotion sociale de tous, tout le temps n’est pas possible, et pour la
première fois, certains ont l’impression qu’ils vont stagner, voire que leurs conditions de vie vont se détériorer.
Et bien, c’est une fausse impression. En termes absolus, le niveau de vie augmente et
cela à tous les niveaux de la société. En termes relatifs, il est évident que dans une société à faible croissance, chaque fois que l’ascenseur social fait avancer quelqu’un il faut bien que
quelqu’un d’autre recule. C’est précisement pour cela que les classes moyennes ont cassé l’ascenseur social.
Peut-être que tu te moques de l’idée que j’ai une retraite à 75 ans (ou pas du
tout, ou très peu élevée), moi je ne m’en fiche pas.
Pourquoi me moquerais-je ? Seulement, je ne vois pas pourquoi tu devrais avoir une
retraite “pas du tout” à 75 ans.
De plus, comme tu l’as rappelé toi-même à plusieurs reprises, notre époque a un
problème avec la transmission du savoir. Or, l’arme du professeur, c’est le savoir qu’il a. Si cette connaissance n’apparaît plus légitime, il est bien démuni…
Tout à fait. Seulement, comme je te l’ai dit plus haut, ce sont les professeurs qui
les premiers, après 68, ont remis en cause la légitimité du savoir. Ce sont eux qui ont contesté l’idée d’un système d’enseignement fondé sur la transmission et qui ont tiré à boulets rouges sur
la république méritocratique. C’est pourquoi j’ai un peu de mal à les plaindre aujourd’hui, puisqu’ils sont les premiers responsables du désastre.
Mais je suis tout à fait de ton avis, simplement je n’étais pas né en 1968, et
les stagiaires d’aujourd’hui non plus. Comprends qu’il est assez difficile pour les petits nouveaux de réparer d’un coup de baguette magique des décennies de fourvoiement…
Je ne leur demande pas un coup de baguette magique. S’ils commençaient dejà par
abandonner la posture du “plus de moyens” et qu’ils se battaient plutôt pour reconstruire ce qui a été détruit, j’aurais plus d’estime pour eux. Malheureusement, comme tu le signales si bien,
c’est une profession qui a perdu tout esprit de corps. Et sans un esprit de corps, il est difficile de reconstruire une institution.
Je n’aime pas l’habitude qu’ont certains de toujours geindre.
Encore une fois, nous sommes 100% d’accord.
Ce qui me pose problème dans les réformes actuelles, c’est que l’enseignement, la
transmission de connaissances, est de plus en plus considérée comme une tâche parmi d’autres, alors qu’il devrait être le cœur de notre mission.
Tout à fait. Et le plus terrifiant, c’est qu’on ne voit pas chez les candidats
“alternatives” un projet fondamentalement différent de celui qui a été mis en oeuvre par tous les gouvernements depuis trente ans.
“Il fut un temps où les professeurs s’assumaient comme agents d’une institution. Et ils étaient légitimés par elle. Après 1968, ils ont revendiqué d’être les maîtres absolus dans leur classe,
y compris contre l’institution. Ce faisant, ils ont creusé leur propre tombe. Parce qu’il est difficile de jouir de la légitimation institutionnelle et en même temps se revendiquer comme
franc-tireur. Aujourd’hui, certains professeurs – de plus en plus nombreux – sont en train d’en revenir. Mais c’est un peu tard.”
Ceci est fort juste à l’exception de la généralisation que tu commets. “Les” professeurs, celà n’a jamais existé ; il y a eu une minorité activiste qui a joué les idiots utiles en déstabilisant
l’institution par la “gauche” quand les néolibéraux l’attaquaient par la “droite”. Mais la majorité des profs a simplement essayé de bien faire son boulot. C’est trop facile de stigmatiser une
profession entière – et, au passage, terriblement décourageant pour ceux qui rament à contre-courant.
Sur la question du “stress” : il ne provient pas d’une pénibilité objective des conditions, mais d’une dissonance cognitive entre les impératifs culturels et leurs conditions de réalisation. Les
profs les moins “stressés” sont sans doute ceux qui ont intérieurement renoncé à l’ambition de transmettre des connaissances solides. Mais même ainsi ils ne peuvent s’extraire de la contradiction
entre ce que leur demande “la société” par l’intermédiaire des parents et des élèves et les consignes contraires de l’institution. C’est commun a beaucoup de situations, car si nous ne sommes pas
une société pauvre, nous sommes sans conteste une société schizophrène ! L'”isolement” dans le travail ne s’explique pas autrement : rares sont ceux qui prennent le risque d’exposer en public
leur compromis particulier entre des injonctions contradictoires… Et quand il s’agit de juger les autres, c’est souvent au nom de principes”légitimes” qui les condamnent forcément.
“le plus terrifiant, c’est qu’on ne voit pas chez les candidats “alternatives” un projet fondamentalement différent”
Hélas non, mais le compassionalisme libéral s’étend bien au-delà de l’éducation ; c’est tout un modèle de manipulation psychologique en vigueur dans les entreprises qu’on cherche à
généraliser. “management par le stress”, justement. Pour le mettre en cause, il faudra un retournement général des logiques socio-économiques (dont, peut-être, la crise de l’euro nous
donnera l’occasion).
Ceci est fort juste à l’exception de la généralisation que tu commets. “Les” professeurs, celà n’a jamais existé ; il y a eu une minorité activiste qui a joué les idiots utiles en
déstabilisant l’institution par la “gauche” quand les néolibéraux l’attaquaient par la “droite”
Je l’admets volontiers: dans toute généralisation il y a une part d’abus. Et d’injustice. Il y eut et il y a encore des professeurs qui ont défendu l’institution contre l’attaque combiné de la
droite libérale et des gauchistes. Le meilleur exemple est Jean-Claude Brighelli, dont les livres sont à mettre entre toutes les mains. Cependant, la généralisation reste ici un recours
journalistique légitime, dans la mesure où une majorité d’enseignants a été, sinon acteur dans la destruction de l’enseignement, du moins complice. Son crime, à cette majorité silencieuse, n’aura
pas été de dire “oui”, mais de ne pas avoir dit “non”.
Mais la majorité des profs a simplement essayé de bien faire son boulot.
Et bien, ça ne suffit pas. Une profession qui revendique un magistère ne peut pas se contenter de “bien faire son boulot”. D’ailleurs, les enseignants ne se sont pas contentés de “faire leur
boulot”: ils ont défendu bec et ongles leur pré carré chaque fois que leurs intérêts individuels ont été menacés. Ils ont ainsi saboté avec succès plus d’une réforme. Que n’ont ils pas mis la
même énergie à défendre l’institution éducative…
C’est trop facile de stigmatiser une profession entière – et, au passage, terriblement décourageant pour ceux qui rament à contre-courant.
Cet argument n’est pas sérieux. On rend hommage aux “hussards noirs” sans tenir compte du fait que parmi eux il a du y avoir quelques incompétents et quelques tire au flanc. Pourquoi n’aurait-on
pas le droit de critiquer aujourd’hui une position qui reste ultra-majoritaire dans la profession enseignante sous prétexte qu’il y a parmi les enseignants quelques perles ? Comme je l’ai dit
plus haut, dans toute généralisation il y a forcément une injustice. Mais il ne faut pas tomber dans l’autre extrême et protéger une profession entière de la critique sous prétexte de “ne pas
décourager” les meilleurs d’entre eux. Au demeurant, je vois mal comment on pourrait décourager ceux qui rament à contre-courant en reprenant les critiques qu’ils formulent eux mêmes sur la
passivité de leurs collègues…
Sur la question du “stress” : il ne provient pas d’une pénibilité objective des conditions, mais d’une dissonance cognitive entre les impératifs culturels et leurs conditions de
réalisation.
100% d’accord. Mais alors, qu’on m’explique pourquoi le remède proposé par les organisations représentatives de l’enseignement est à chaque fois le même: plus de moyens ? Ce ne sont pas les
moyens qui vont résoudre la “dissonance cognitive”, n’est ce pas ?
Les profs les moins “stressés” sont sans doute ceux qui ont intérieurement renoncé à l’ambition de transmettre des connaissances solides.
Si je suis Brighelli, par exemple, c’est exactement le contraire. Selon lui, ceux qui renoncent à l’exigence sont ceux qui ont le plus de mal a asseoir une légitimité et à maintenir la
discipline. Il explique comment justement l’enseignant ne peut acquérir une légitimité qu’en étant exigeant sur les apprentissages. Et que plus son public est deshérité, plus les savoirs qu’il
transmet doivent être denses. Parce que la légitimité de l’enseignant ne peut être que celle du savoir.
Mais même ainsi ils ne peuvent s’extraire de la contradiction entre ce que leur demande “la société” par l’intermédiaire des parents et des élèves et les consignes contraires de
l’institution.
Où est la “contradiction” ? J’aurais tendance à penser qu’aujourd’hui il n’y a pas de contradiction entre ce que demande “la société” et ce que demandent ceux qui dirigent le système éducatif.
Tout simplement parce que la démagogie scolaire fait que l’institution n’est plus au service d’un objectif social mais, en bonne logique de consommation, au service du consommateur. Le problème
des enseignants n’est pas qu’il y ait contradiction entre le ministère et les parents, c’est que ministère et parents sont d’accord pour demander aux enseignants de faire l’impossible.
Devant cette injonction, quelques enseignants comme Brighelli résistent en se référant aux valeurs d’une institution qui, comme les astres morts, ne produit plus de lumière mais nous éclaire
encore de ses idées. La plupart adhèrent, par paresse ou par idéologie, au discours “post-moderne” sans se rendre compte que ce discours contient la destruction de leur propre métier.
L'”isolement” dans le travail ne s’explique pas autrement : rares sont ceux qui prennent le risque d’exposer en public leur compromis particulier entre des injonctions contradictoires…
Oui mais… pourquoi ? Ce genre d’échange est fréquent dans d’autres métiers où les compromis de ce type sont fréquents. C’est le cas par exemple dans la police, et dieu sait que les policiers
sont soumis au même type de contradiction. Et pourtant, les policiers ont l’esprit de corps et se serrent les coudes. Pourquoi les enseignants, lorsqu’ils se réunissent, passent leur temps à se
plaindre de leurs conditions de travail ou de leur manque de moyens, mais ne réflechissent jamais sur leur métier ?
Hélas non, mais le compassionalisme libéral s’étend bien au-delà de l’éducation ; c’est tout un modèle de manipulation psychologique en vigueur dans les entreprises qu’on cherche à
généraliser. “management par le stress”, justement.
J’avoue ne pas trop voir le rapport entre le “compassionnalisme libéral” et les méthodes de management des entreprises. Le “management par le stress” tel qu’il est pratiqué aujourd’hui n’a
absolument rien de “compassionnel”, tout au contraire. Mais je suis d’accord sur un point, et c’est que le “compassionnalisme” dans ses différentes formes (cocooning, victimisme, misérabilisme)
est un élément dominant de l’idéologie qui accompagne le néo-libéralisme. Que veux tu, il faut bien que les classes moyennes soignent leur conscience…
Pour le mettre en cause, il faudra un retournement général des logiques socio-économiques (dont, peut-être, la crise de l’euro nous donnera l’occasion).
Soyons optimistes…
Concernant la responsabilité collective, il ne s’agit pas en particulier des enseignants. Si l’on reporte sur les individus ce qui est en réalité une dérive sociale et culturelle, on les
culpabilise en manquant la véritable analyse de cette dérive. Les profs ne sont pas plus collectivement responsables que “les ouvriers” qui ont “laissé-faire” le chômage. Ou les plociers qui
“laissent faire” la montée de l’insécurité… La plupart d’entre eux n’a pas la clé politique pour mener une action collective qui inverserait la tendance, et les flatteries des dominants, les
petits cadeaux électoraux, etc., contribuent à les fourvoyer. Aux “alternatifs” de proposer autre chose… et de réussir à catalyser les bonnes volontés (plus facile à dire qu’à faire
évidemment).
“Si je suis Brighelli, par exemple, c’est exactement le contraire. Selon lui, ceux qui renoncent à l’exigence sont ceux qui ont le plus de mal a asseoir une légitimité et à maintenir la
discipline. Il explique comment justement l’enseignant ne peut acquérir une légitimité qu’en étant exigeant sur les apprentissages. Et que plus son public est deshérité, plus les savoirs qu’il
transmet doivent être denses. Parce que la légitimité de l’enseignant ne peut être que celle du savoir.”
Je suis souvent d’accord avec Brighelli, et sur cette idée tout particulièrement. Mais nous ne parlions pas de celà. Face au stress, la renonciation est un refuge ultime, on se “déconnecte”
devant la classe. C’est l’horreur mais on se préserve un peu psychologiquement.
Dernière remarque : les injonctions de l’institution ne sont pas les mêmes que celles des parents. certes les associations de parents d’élève (absolument non représentatives au demeurant) sont
l’aile marchante du pédagogisme. Mais les parents sont schizophrènes, comme tout le monde : il veulent le silence dans la classe et du contenu dans le cours. Ils voudraient que leur chéri ait de
bonnes notes, parce qu’il est exceptionnel, mais voudraient par ailleurs que la notation soit rigoureuse. Je ne jetterais pas plus la pierre “aux” parents qu'”aux” enseignants : ils sont englués
dans le consumérisme, ressentent que “ça ne marche pas” mais ne savent pas comment en sortir politiquement. Il ne leur reste que le chacun pour soi…
Si l’on reporte sur les individus ce qui est en réalité une dérive sociale et culturelle, on les culpabilise en manquant la véritable analyse de cette dérive. Les profs ne sont pas plus
collectivement responsables que “les ouvriers” qui ont “laissé-faire” le chômage.
Je ne suis pas d’accord. “Les ouvriers” constituent une couche sociale. Les enseignants, c’est un corps. Et ce sont deux choses fondamentalement différentes. L’acte d’un ouvrier n’engage pas “les
ouvriers”, ne serait-ce que parce que “les ouvriers” n’ont pas de pouvoir disciplinaire sur l’un des leurs. Mais l’acte de l’enseignant (comme celui du médecin, du militaire, du policier) engage
à un degré variable l’ensembe de ses collègues. C’est d’ailleurs pour cela qu’enseignants, militaires, policiers et médecins sont soumis à une discipline qui ne se limite pas à ce qu’ils font
pendant leur travail, mais qui empiète sur leur vie personnelle.
Par ailleurs, “les ouvriers” ne prétendent pas à exercer un magistère sur la société. Les enseignants, si. Et une telle prétension entraîne avec elle des devoirs et des responsabilités.
Ou les plociers qui “laissent faire” la montée de l’insécurité…
Si l’institution policière avait défendu le “laisez faire”, si ses idéologues officiels avaient défendu cette vision, ils auraient sans aucun doute une responsabilité collective. Mais ce n’est
pas, à ma connaissance, le cas. Contrairement à l’institution enseignante, l’institution policière n’est pas devenue “libérale” après mai 1968…
Ce débat rappelle furieusement celui sur la responsabilité des fonctionnaires de Vichy. Eux aussi “n’ont cherché qu’à bien faire leur travail”. Et eux aussi assument une responsabilité
collective, même si l’on sait que certains policiers ont prévenu les juifs pour leur permettre d’éviter les rafles, et que tous les préfets n’ont pas été des Papons.
Dans votre discours, il y a une prémisse cachée que je trouve intéressante. Vous rejetez l’idée de responsabilité collective, ce qui revient à faire des enseignants des professionnels
indépendants, placés en dehors de toute institution. Pour moi, au contraire, les enseignants constituent un corps, et assument donc une responsabilité collective qui est une responsabilité
institutionnelle.
Aux “alternatifs” de proposer autre chose… et de réussir à catalyser les bonnes volontés (plus facile à dire qu’à faire évidemment).
Non. L’éducation est une institution, et on ne reforme pas une institution en “catalysant les bonnes volontés”. Encore une fois, vous raisonnez comme si les enseignants étaient des professionnels
indépendants. Une telle vision contient en elle même la mort de l’éducation et sa transformation en un “service”. Il faut à l’éducation une légitimité institutionnelle pour pouvoir résister aux
pressions du consommateur. Et une légitimité institutionnelle implique une soumission des professeurs à des règles et des choix institutionnels. Il ne s’agit pas de “catalyser les bonnes
volontés”, il s’agit de formuler un projet institutionnel et de l’imposer. C’est une question de pouvoir, pas de “bonne volonté”.
Mais les parents sont schizophrènes, comme tout le monde : il veulent le silence dans la classe et du contenu dans le cours. Ils voudraient que leur chéri ait de bonnes notes, parce qu’il est
exceptionnel, mais voudraient par ailleurs que la notation soit rigoureuse.
Tout ça, au contraire, me paraît très cohérent: ils veulent des règles sevères pour les autres, et des exceptions pour leur petit chéri. Ce n’est pas très Kantien, mais ce n’est pas
contradictoire pour autant. Ce qui serait contradictoire, c’est de vouloir en plus que leur enfant ait des connaissances. Mais dans ce domaine, la plupart des parents n’a pas d’exigence
particulière, tant ils sont convaincus que les connaissances sont inutiles, et que seul le diplôme compte…
Je ne jetterais pas plus la pierre “aux” parents qu'”aux” enseignants : ils sont englués dans le consumérisme, ressentent que “ça ne marche pas” mais ne savent pas comment en sortir
politiquement. Il ne leur reste que le chacun pour soi…
Je rejette totalement cette vision, qui revient à transformer tout le monde en victime. Si les individus sont incapables de faire des choix éclairés et d’assumer les conséquences de ces choix, il
faut de toute urgence leur enlever le droit de vote… car comment leur faire confiance pour choisir leurs dirigeants ?
La République repose sur une exigence: celle de la responsabilité. Les parents et les enseignants doivent être tenus pour responsables de leurs choix, et il est donc légitime de leur “jeter la
pierre” si l’on pense qu’ils ont mal choisi. C’est en partie, je vous l’accorde, une fiction. Mais c’est une fiction nécessaire. Toute autre position conduit nécessairement à demander un
gouvernement aristocratique.
Par ailleurs, je vous trouve un peu naif: les gens savent parfaitement comment en sortir politiquement. Seulement, cette “sortie” a un coût qu’ils n’entendent pas payer. Et c’est particulièrement
vrai des classes moyennes, qui savent parfaîtement ou se trouve leur intérêt, et comment le défendre. L’école que vous et moi nous avons en tête n’est pas dans leur intérêt, c’est tout… et tant
que ce seront ces couches qui domineront la politique, l’école continuera dans la voie qu’elle à prise depuis 1968. Seul un retour des couches populaires sur la scène politique peut changer la
donne…
J’applaudis!
Mais encore ?
Mais rien de plus, monsieur, je trouve ça bien écrit, bien argumenté et rejoignant pour beaucoup mes positions sur le thème(donc évidemment, je trouve ça d’autant mieux écrit) et dès lors, assez
normalement dans ce genre de situation : “j’applaudis”.
Merci c’est très gentil à vous.
Bonsoir,
“ Dans votre discours, il y a une prémisse cachée que je trouve intéressante. Vous rejetez l’idée de responsabilité collective, ce qui revient à faire des enseignants des professionnels
indépendants, placés en dehors de toute institution. Pour moi, au contraire, les enseignants constituent un corps, et assument donc une responsabilité collective qui est une responsabilité
institutionnelle. ”
Cette notion de responsabilité collective me paraît tout à fait pertinente et demanderait une prolongation sur des exemples moins marqués que le corps des enseignants ou des policiers. Peut-on
isoler du reste de la nation, l’activité et la mission des corps principaux de l’Etat ? Qu’en est – il des professions qui exercent, non pas un magistère, terme qui me paraît un peu excessif,
mais une autorité qui s’impose à de nombreux collaborateurs, clients, administés ou usagers et ce dans le cadre d’institutions lieux de conflits d’intérets ?
Je pense particulièrement à la position d’un DRH par exemple,qui dans le cadre de l’institution qui l’emploie (l’entreprise) à laquelle il se doit d’être loyal et malgré le discours qu’elle tient
publiquement, incite de multiples façons, toutes plus pernicieuses les une que les autres, à ne défendre , au détriment des salariés et de l’avenir de l’entreprise voire d’intérets supérieurs
nationaux, qu’un appétit financier de court terme au seul bénéfice immédiat des actionnaires du moment.
Comment un sentiment d’appartenance à un corps élargi, celui des responsables socio économiques conscients et réfractaires aux dérives qui nous plongent actuellement dans des péroraisons
byzantines, peut-il se manifester sans se faire hara kiri ?
Ayant vécu douloureusement, en début de carrière, le démantellement de l’industrie de la machine-outil française, j’ai ressenti comme une trahison ou un aveuglement coupable des responsables et
des élites de l’époque, l’abandon d’ un secteur essentiel à la perrénité du savoir faire industriel de la France.
Les missions des corps de l’Etat que vous évoquez ( éducation, police, armée, etc) me paraît infiniment plus claire. Le statut de leurs membres les protège et libère leur parole.
Celles de l’économie sont changeantes et pour le moins souvent nébuleuses.
Si vous déniez à ces individus, membres honnis de la classe moyenne supérieure, la légitimité de se poser ce genre question, alors ne vous étonnez pas de les voir se comporter comme d’infâmes
consommateurs. Ces situations sont généralement vécu, non comme un stress mais comme une containte de l’équation, au pire une entrave.
p.s. : Ayant le sentiment de m’immiscer dans un échange d’universitaires, je sollicite, à l’instar des commentaires sur un billet précédent, une modification de l’angle d’observation, un effort
ponctuel d’empathie à l’égard des membres provisoires de l’économie libérale. Tout le monde n’a pas eu l’opportunité de devenir fonctionnaire ou assimilé, et chacun analyse les situations en
fonction de son expérience.
Qu’en est – il des professions qui exercent, non pas un magistère, terme qui me paraît un peu excessif, mais une autorité qui s’impose à de nombreux collaborateurs, clients, administés ou
usagers et ce dans le cadre d’institutions lieux de conflits d’intérets ? Je pense particulièrement à la position d’un DRH par exemple
Ce n’est pas l’autorité qui singularise le policier, le professeur, le militaire ou le médecin. C’est le fait que son action n’est pas guidée par l’intérêt général, et non pas par un intérêt
particulier (que ce soit celui de l’agent ou celui d’un tiers). C’est ce qui fait que la police, l’armée, l’enseignement ou l’hôpital sont des institutions. Une entreprise n’est pas une
institution, tout simplement parce qu’il n’existe pas de “politique de l’entreprise”, “d’intérêt de l’entreprise”. La politique d’une entreprise, les intérêts d’une entreprise sont ceux de ses
propriétaires.
Je pense particulièrement à la position d’un DRH par exemple,qui dans le cadre de l’institution qui l’emploie (l’entreprise) à laquelle il se doit d’être loyal
Un DRH n’est pas “employé par l’entreprise” et n’a aucune loyauté à avoir envers celle-ci. Il est employé par les patrons de l’entreprise, et on lui demande d’être loyal envers ceux-ci. Même si
le droit français reconnait à l’entreprise une personnalité propre séparée de celle de ses propriétaires, c’est une pure fiction juridique.
C’est pour cela que l’Etat n’est pas une entreprise (et ne saurait être géré comme telle). Contrairement aux agents d’une entreprise, qui sont là pour servir les intérêts de l’actionnaire ou du
propriétaire, les agents de l’Etat sont censés servir l’intérêt général. C’est pourquoi on ne peut pas confondre le cas d’un haut fonctionnaire public avec celui d’un DRH d’entreprise privée.
Les missions des corps de l’Etat que vous évoquez ( éducation, police, armée, etc) me paraît infiniment plus claire. Le statut de leurs membres les protège et libère leur parole.
Pas tout à fait: le statut protège, mais il n’est pas là pour “libérer la parole”, au contraire. Le serviteur public n’a pas – du moins es qualités – à exprimer “sa” parole. Il est le porte-voix
d’une institution qu’il se doit, du moins en théorie, de défendre. Et lorsqu’il ne le fait pas (comme c’est le cas couramment dans l’éducation) il perd toute légitimité. Même s’il n’en a pas
conscience. Et c’est bien là le problème de beaucoup d’enseignants…
Si vous déniez à ces individus, membres honnis de la classe moyenne supérieure, la légitimité de se poser ce genre question, alors ne vous étonnez pas de les voir se comporter comme d’infâmes
consommateurs.
Je ne vois pas de qui vous voulez parler. Je ne dénie à personne la “légitimité de se poser des questions” quelqu’elles soient. Au contraire…
Ayant le sentiment de m’immiscer dans un échange d’universitaires, je sollicite, à l’instar des commentaires sur un billet précédent, une modification de l’angle d’observation, un effort
ponctuel d’empathie à l’égard des membres provisoires de l’économie libérale.
J’ai du manquer un chapitre. J’ai du mal à voir en quoi les différents intervenants sur ce blog auraient pu manquer d’empathie envers “les membres provisoires de l’économie
libérale”…
je ne suis pas toujours d’accord avec vous, vous etes un ancien du PCF et moi de la gauche dite rocardienne, mais sur ce billet, je suis à 100 pour cent en accord, ayant commencé à travailler
dans le batiment à 14 ans comme platrier et ayant terminé comme artisan maçon à 60 ans, donc 46 ans de travail surtout manuel, sans compter les réunions, débats militantisme, militant syndical
ouvrier, et ensuite de l’autre coté de la table en tant que président régional d’organisations artisanales, allant toujours dans les écoles porter la bonne parole, et mon slogan fait peur 50
heures par semaine, 50 semaines par an et 50 ans et j’ai 70 ans et comme disait ma mère “on va loin après etre fatigué” et là on fait le bilan et l’on voit qui sont les bons, c’est simple facile,
et surtout regarder d’ou l’on est parti.
cela m’amuse et me fait rire enfin jaune de voir tous ces jeunes dit libérés mais surtout soumis à maman, qui les surprotege, tout est permis mais pas le travail, cela fatigue,
bonjour les lendemains qui déchante, mais enfin voyons le bon coté des choses, si il n’y avait pas des gens comme cela deja à mon epoque je n’aurais eu aucune chance d’accomplir la carriere que
j’ai faites , donc pour les courageux et les besogneux ils ont toutes les chances de percer et cela est très bien comme cela.
Je me méfie toujours des gens qui disent: “Ah de mon temps!”
En réfléchissant à tes arguments (toujours pertinents et qui invitent à la réflexion), Descartes, il m’est venu en tête un point qu’on n’a pas évoqué: la consommation d’alcool. Tu nous dis en
substance: “Ah! Mais jadis, les gens savaient gérer leur stress!”, tu parais oublier qu’au XIX° comme au début du XX° siècle, l’alcoolisme fut un fléau, aussi bien dans les campagnes que dans les
milieux ouvriers. Je dois avouer que dans ma propre famille, ils ont été nombreux au cours du XX° à avoir un souci avec la bouteille. La consommation globale d’alcool en France a diminué (celle
d’antidépresseurs a augmenté, nous sommes d’accord). Mais tout de même, Descartes: comment se fait-il que nos ancêtres “qui géraient si bien leur stress” buvaient tant? Pourquoi avaient-ils des
comportements dont la violence ferait passer les lascars de banlieues pour des chérubins? De surcroît, pouvons-nous affirmer que bon nombre d’entre eux ne se plaignaient pas?
Je me méfie toujours des gens qui disent: “Ah de mon temps!”
C’est pourquoi j’ai pris la précaution de parler du temps de mon grand-père, temps que je n’ai pas connu. On ne peut donc pas m’accuser de nostalgie…
Tu nous dis en substance: “Ah! Mais jadis, les gens savaient gérer leur stress!”, tu parais oublier qu’au XIX° comme au début du XX° siècle, l’alcoolisme fut un fléau, aussi bien dans les
campagnes que dans les milieux ouvriers.
Et il le reste. Et si la consommation a diminué, celle des drogues “douces” ou “dures” l’a avantageusement remplacé…
Mais tout de même, Descartes: comment se fait-il que nos ancêtres “qui géraient si bien leur stress” buvaient tant?
Il y a beaucoup, beaucoup de raisons. D’abord parce que pendant des siècles la bière et le vin ont été plus salutaires que l’eau, souvent polluée et peu potable. Ensuite, parce qu’ils
s’ennuyaient bien plus que nous. Dans beaucoup de villages, dans beaucoup de maisons, il n’y avait rien d’autre à faire. Relis “l’Assomoir” de Zola.
Pourquoi avaient-ils des comportements dont la violence ferait passer les lascars de banlieues pour des chérubins?
A quoi fais-tu allusion ?
De surcroît, pouvons-nous affirmer que bon nombre d’entre eux ne se plaignaient pas?
Certainement pas. Se plaindre a toujours été le sport favori des français, et je ne pense pas qu’une telle habitude puisse se développer en une seule génération. Mais la question n’est pas la
plainte. Il y a chez les jeunes aujourd’hui une véritable souffrance dans les situations de stress, et je le vois tous les jours avec des jeunes collègues.
« C’est pourquoi j’ai pris la précaution de parler
du temps de mon grand-père, temps que je n’ai pas connu. On ne peut donc pas m’accuser de nostalgie… »
Esquive habile. Mais ne te laisserais-tu pas aller en
cette occasion à un brin de sophisme ?
« Et il le reste. »
C’est vrai.
« Et si la consommation a diminué, celle des
drogues “douces” ou “dures” l’a avantageusement remplacé… »
Qu’entends-tu par
« avantageusement » ?
« A quoi fais-tu allusion ? »
A une violence domestique ou même politique qui au XIX°
et au début du XX° atteignait un niveau qui aujourd’hui paraîtrait scandaleux. Certains historiens pensent que, depuis le XVIII° siècle, la tolérance de la société vis-à-vis de comportements
violents n’a cessé de baisser (si l’on excepte cependant des périodes de guerre), ou plus exactement l’Etat s’est efforcé d’acquérir et de conserver le monopole de la violence (qu’il n’avait pas
forcément avant le XVIII° siècle).
Esquive habile. Mais ne te laisserais-tu pas aller en cette occasion à un brin de
sophisme ?
Meuh non, meuh non…
Qu’entends-tu par « avantageusement » ?
Qu’elles sont généralement plus efficaces lorsqu’il s’agit de diminuer le
stress.
A une violence domestique ou même politique qui au XIX° et au début du XX°
atteignait un niveau qui aujourd’hui paraîtrait scandaleux. Certains historiens pensent que, depuis le XVIII° siècle, la tolérance de la société vis-à-vis de comportements violents n’a cessé de
baisser (si l’on excepte cependant des périodes de guerre), ou plus exactement l’Etat s’est efforcé d’acquérir et de conserver le monopole de la violence (qu’il n’avait pas forcément avant le
XVIII° siècle).
C’est probablement vrai. Mais ta dernière ligne détruit justement ton argumentation,
puisqu’elle attribue la baisse de la violence non pas à un changement dans la capacité des gens à gérer le stress, mais bien à un autre élémént (la conquête par l’Etat du monopole de la
violence).
« Mais ta dernière ligne détruit justement ton
argumentation »
Non, elle la nuance. Pourquoi voudrais-tu absolument
que la première raison exclue nécessairement la seconde ? Deux phénomènes peuvent fort bien s’épauler. D’ailleurs, l’Etat, en se montrant plus sévère par le biais de sa justice, diffuse une
nouvelle norme de comportement dans la société. Mais rien ne dit qu’une partie de la société, par ailleurs, n’est pas demandeuse de cette nouvelle norme.
Autrement dit, je tente de saisir l’évolution du monde
dans toute sa complexité, en bon disciple de… toi, mon cher Descartes !
C’est bien!
L”individualisme et l’émotivité de notre époque. Tu t’attaques à un sujet bien grave. Il y a un problème en effet dans les “interactions” quotidiennes, comme disent les sociologues. Les gens se
fuient, se perçoivent mutuellement à travers des stéréotypes (comme ils perçoivent aussi le monde où ils vivent, la guerre de Libye par exemple, à travers cela) ou à travers des écrans
d’ordinateurs (les réseaux sociaux). Mais au fond il y a une crise de l’échange, une crise du langage – relisant mon journal de 1988-1991 je trouve beaucoup de situations où les inconnus se
parlaient dans la rue (à Paris), et qui sont devenues complètement impossibles aujourd’hui… Pas besoin de remonter aux années 1920 pour avoir des comparaison. Quand tout est médiatisé par
l’image, alors que les paroles désertent les échanges, le résultat est l’isolement complet des “monades” subjectives (pour citer ton disciple infidèle Leibnitz, cher Descartes). Ces monades
isolées, fragilisées, quand elles se rencontrent s’entrechoquent et se blessent facilement… Pas facile de dessiner des horizons communs avec ça. Pas facile notamment pour la moblisation
politique (une amie grecque me parlait jadis des réunions d’Attac où on se voyait pour discuter, presque pour “consommer de la parlote”, faire de la psychanalyse politique collective, et puis on
se quittait comme ça jusqu’au mois suivant, sans chercher vraiment à se connaître, sans approfondir la camaraderie… de sorte que tout cela a disparu comme cela s’est créé…)
Mais au fond il y a une crise de l’échange, une crise du langage
Je crois que la crise du langage,comme la crise de l’échange, sont en fait les symptomes d’une cause commune: la crise de la transmission. Entre la Renaissance et le XXème
siècle, on a vécu sur l’idée que la culture humaine était une affaire cumulative. Que “si nous voyons plus loin que nos prédecesseurs, ce n’est pas parce qu’on est plus grands qu’eux, mais parce
que nous sommes juchés sur leurs épaules”. Cela supposait que l’être humain – au sens que l’humanisme des lumières a donné à ce terme – était un produit historique, qu’il se faisait d’abord en
incorporant d’une manière critique le passé. Et cette incorporation lui donnait justement les instruments d’échange avec ses semblables: un langage, une mémoire commune.
Les transformations du dernier quart du XXème siècle – et dont mai 1968 est peut-être le “moment” le plus emblématique – ont changé tout ça. Ce n’est pas “l’individualisme” qu’il faut rejeter,
car il ne faut pas oublier que l’esprit des Lumières est d’abord un esprit individualiste. C’est un type très particulier d’individualisme qui substitue à “l’individu-produit historique” une idée
d’individu autocentré, capable de se “produire” lui même et deconnecté de toute “entrave” (celle d’un langage “correct”, celle de la tradition…). Or, ce changement est en fait un
“ensauvagement”: dès lors que chaque individu échappe aux “entraves” du passé, il n’a plus aucun moyen d’échanger. Pour ne donner qu’un exemple, si chacun est libre d’inventer son propre langage,
personne n’a plus l’assurance d’être compris. Pour que l’échange soit possible, il nous faut un substrat commun, et ce substrat commun ne peut que nous être imposé de l’extérieur.
Quand tout est médiatisé par l’image, alors que les paroles désertent les échanges, le résultat est l’isolement complet des “monades” subjectives
Oui. Mais si tout est “médiatisé par l’image”, c’est précisement parce que l’image est perçue – mais il faut être conscient qu’il ne s’agit que d’une perception, car il y a aussi un langage dans
l’image – comme un mode d’expression “naturel”, qui n’aurait pas besoin d’une “culture” prééxistante pour être interprétée. Au risque de me répéter: si l’échange n’existe pas, c’est parce que
l’échange implique nécessairement l’acceptation d’un socle commun. Or, ce socle commun n’existe plus.
Il me semble qu’il y a deux notions bien différentes qui devraient être séparées pour y voir clair. Elles me semblent, au contraire, enchevêtrées de manière inextricable dans votre
texte :
C’est le progrès technique et scientifique d’une part. Le progrès des relations entre humains d’autre part.
Si on peut se glorifier de l’ampleur du premier, on devrait en même temps être consterné de la stagnation du second.
C’est le progrès technique et scientifique d’une part. Le progrès des relations entre humains d’autre part. Si on peut se glorifier de l’ampleur du premier, on devrait en même temps être
consterné de la stagnation du second.
Je suis en total désaccord avec cette vision idéaliste de “relations entre les humains” qui seraient indépendantes des rapports économiques. Et encore plus avec ce pessimisme qui voudrait que les
“relations entre les humains stagnent”. C’est tout le contraire: le XXème siècle a vu une transformation radicale des “relations entre les humains”.
Pour n’en citer une, la plus évidente, il y a eu la naissance de l’Etat-providence. C’est à dire l’idée que les “humains” se doivent solidarité inconditionnelle. N’est-ce pas un changement
considérable par rapport à l’idée de charité ?
Tout à fait d’accord avec vous : la solidarité inconditionnelle est un progrès par rapport à l’idée de charité.
Mais justement cette idée de solidarité inconditionnelle est tellement mise en accusation voire en péril qu’elle me conforte dans mon idée que le progrès des relations entre humains
n’arrive pas à suivre. Sinon cette solidarité serait une idée indéboulonnable aujourd’hui.
Pour préciser mon point de vue sur ces deux formes distinctes de progrès, il faut que je vous dise que je les vois ensemble sur un même tableau. La courbe du progrès technique me paraît
exponentielle.celle des relations humaines me paraît une droite à peine positive. Les observant toutes deux ensemble, je vois surtout l’espace grandissant qui les sépare.
C’est pour cela que je peux dire à la fois “les relations entre humains ne sont pas pires que dans le passé” et “vu l’écart qui se creuse entre le progrès de ces relations et le progrès
technique, il est cohérent de ne pas être d’un optimisme béat”
Mais justement cette idée de solidarité inconditionnelle est tellement mise en accusation voire en péril qu’elle me conforte dans mon idée que le progrès des relations entre humains
n’arrive pas à suivre. Sinon cette solidarité serait une idée indéboulonnable aujourd’hui.
Et de fait, elle l’est. Quelque soient les attaques sur notre protection sociale, aucune n’a réussi à mettre en cause ce principe.
La courbe du progrès technique me paraît exponentielle.celle des relations humaines me paraît une droite à peine positive.
J’aimerais vous entendre argumenter ce point. Lorsque je pense ce qu’étaient les relations humaines du temps de mon grand-père, de mon père et enfin dans ma génération, je n’ai pas vraiment
l’impression que ce soit “une pente à peine positive”.
“Et de fait, elle l’est. Quelque soient les attaques sur notre protection sociale, aucune n’a réussi à mettre en cause ce principe”
J’ai le sentiment que là, c’est votre confiance qui est inconditionnelle.
“J’aimerais vous entendre argumenter ce point. Lorsque je pense ce qu’étaient les relations humaines du temps de mon grand-père, de mon père et enfin dans ma génération, je n’ai pas vraiment
l’impression que ce soit “une pente à peine positive”.
Encore une fois, je ne vois pas de régression. Le “c’était mieux avant” m’est étranger. Ce que je vois c’est une courbe du progrès technique s’éloigner inexorablement de la courbe du progrès des
relations. Et je pense que cet éloignement est à la fois symptomatique d’un mal et la cause de bien d’autres à venir.
Et là, ce qu’il me faudrait ce ne sont pas des exemples mais des contre-exemples. C’est comme prouver qu’un et un font deux. J’ai toujours vu que c’était vrai et finalement je ne sais pas
le prouver.
Enfin, essayons…Du temps de nos grands parrents, il devait y avoir des gens qui mourraient de faim.Mais à l’époque, ils ne le savaient pas et peut-être même que s’ils l’avaient su ils
n’auraient rien pu faire parce qu’ils survivaient eux-mêmes.
Aujourd’hui, grâce au progrès technique, on voit à la télé des gens mourir de faim. Et grâce à ce progrès technique, on n’a plus faim. Ni froid. Grâce à lui, on subvient parfaitement à nos
besoins vitaux.
Si la courbe des relations entre humains suivait la courbe du progrès, personne ne mourrait ni de faim ni de froid ni de maladies bénignes.
Entre la poire et le fromage, on regarde mourrir des gens bouffés par les mouches. Attention, je ne suis pas en train de jouer le tiers-mondistes culpabilisant dans le but de faire fonctionner le
charity-business. Je parle d’une maladie. Nous sommes malades pour nous comporter ainsi. Une maladie, ça ne se punit pas. Ca se soigne. Mais nous sommes tous malades. Qui va nous soigner ? Qui
sont les docteurs qui connaissent le remède et où sont-ils ?
On sait que ce problème existe et qu’on peut le résoudre et pourtant on ne fait rien d’autre que des gesticulations médiatiques. Tout le monde se tient par la barbichette.
Ce problème engendre de tels dysfonctionnements des consciences de ceux qui en sont à l’abri qu’il engendre autant de périls chez eux qui le regardent ébêtés qu’à ceux qui en pâtissent.
Mais ce n’est qu’un exemple.
J’ai le sentiment que là, c’est votre confiance qui est inconditionnelle.
Je regarde les faits. Certains ont pu contester l’étendue de la solidarité nationale, mais lorsqu’elle est accordée tout le monde est d’accord sur le fait qu’elle doit être inconditionnelle.
Personne n’a proposé de réserver les urgences des hôpitaux ou la CMU a des conditions de moralité, de religion ou d’origine, que je sache.
Ce que je vois c’est une courbe du progrès technique s’éloigner inexorablement de la courbe du progrès des relations.
J’aimerais que vous donniez quelques exemples…
C’est comme prouver qu’un et un font deux.
Justement, je vous appelle à remettre en cause une certitude. Par ailleurs, un et un ne font pas deux. En binaire, ils font 10.
Si la courbe des relations entre humains suivait la courbe du progrès, personne ne mourrait ni de faim ni de froid ni de maladies bénignes. Entre la poire et le fromage, on regarde mourrir
des gens bouffés par les mouches.
J’ai l’impression que vous mélangez trop de choses sous le terme “relations entre les humains”. Et que vous vous faîtes une fausse idée de comment les choses étaient “avant”. Avant, les gens
voyaient aussi les gens mourir de faim, non pas dans les pays lointains, mais à leur porte. Relisez Dickens ou Zola: ce n’était pas la peine d’aller dans des pays lointains, les enfants de douze
ans travaillaient dans les mines et d’autres crevaient de faim ou de maladie. Et cela n’a jamais empêché les bourgeois de Paris ou d’ailleurs de prendre du bon temps. Et ces bourgeois trouvaient
normal de mettre quelques sous “pour les pauvres” à la messe, mais auraient été horrifiés si on leur avait demandé de payer des impôts et des cotisations sociales pour financer l’éducation,
l’habillement, les soins, le logement et la nourriture des “vas nus pieds”… Aujourd’hui, vous trouvez un large consensus social pour penser que cette solidarité élémentaire est un devoir
social, et que l’Etat est parfaîtement légitime lorsqu’il utilise l’impôt pour garantir à tous un niveau raisonnable de protection, y compris dans les pays lointains où l’aide financée par nos
impôts permet de faire vivre et de soigner des milliers de personnes. Et vous trouvez que les “relations humaines” n’ont changé que marginalement ?
On sait que ce problème existe et qu’on peut le résoudre et pourtant on ne fait rien d’autre que des gesticulations médiatiques. Tout le monde se tient par la barbichette.
Je crois que vous êtes excessivement optimiste. Qu’est ce qui vous fait penser que “ce problème, on peut le résoudre” ? L’expérience a montré au contraire que chaque fois que l’on a essayé de
“résoudre le problème” à la place des gens, ça n’a pas marché. Il ne suffit pas de faire pleuvoir de la nourriture sur ceux qui ont faim pour “résoudre le problème”.
Je ne conteste pas l’existence de “faits”.Même si certains peuvent être imaginaires ou mal interprétés ou invisibles. Ca dépend du point de vue. Il faut admettre que les faits, en
général, existent. C’est une autre façon d’appeler “la vérité”. On pourrait peut-être même dire que la vérité c’est l’ensemble des faits (à condition de ne pas déclencher de tempête
philosophique). Tout comme la vérité, les faits sont vus par chacun de nous à partir de notre propre point de vue.Il se peut que certains faits passent inaperçus depuis un certain nombre
de points de vues. Il est aussi possible que ceux qui voient tels faits, en tirent des conclusions insuffisamment objectives par manque de perpectives. D’où l’intérêt des
débats et l’expression de l’opinion que chacun se fait à partir de son propre point de vue.
A propos de la solidarité inconditionnelle, vous êtes optimiste et je suis pessimiste. Nous manquons probablement de perspective. Vous dîtes regarder les faits : cette solidarité existe. Je
ne peux le contester car je la vois exister, moi aussi. Donc il n’y a pas lieu, pour vous, de voir des faits qui n’existent pas. Votre optimisme sur cette question ne me rassure pas dutout. Je
dirais même qu’il accentue mon pessimisme. Si des faits présents et passés doivent nous empêcher d’émettre des craintes sur des faits à venir possibles, le pessimisme du pessimiste est
décuplé. Ces craintes peuvent être issues d’autres faits présents que vous pourriez bien ne pas voir et peut-être à cause de votre optimisme. Alors en effet, peut-être qu’ils ne
sont que le fruit de mon imagination ou une mauvaise interpretation de certains faits par manque de perspective. Tout est possible. Seuls les débats peuvent nous permettre de cerner au mieux
la vérité.
Vous prenez exemple sur le passé dans notre propre pays pour dire que c’était pareil que pour nous aujourd’hui vis à vis de peuples lointains.
D’abord, je vous l’ai déjà dit : pour moi, ce n’était pas mieux avant. Nous ne sommes pas pire que nos ancêtres. Le problème, c’est que nous ne sommes pas suffisamment meilleur
qu’eux. Et ce n’est pas une insuffisance rédhibitoire des individus. Nous sommes très bien comme nous sommes. Le problème est ENTRE les individus. Nous débarquons dans la vie
sociale tout petit. Elle nous impose une mentalité en vigueur. Nous avons le choix entre l’accepter et y trouver notre place donc forcément, nous participons à l’entretenir et à la transmettre.
Oubien nous la contestons donc nous nous auto-excluons et vivons en marginaux. Le choix n’est pas neutre. Les conséquences sont énormes. Il est infiniment plus facile de se soumettre à la
mentalité en vigueur que de la contester.
Cette mentalité est une contrainte qui pèse sur chaque individu. Il en existe bien d’autres. Si on prend le passé, les éléments naturels exerçaient de terribles contraintes qui gravaient la
mentalité dans l’esprit humain à coup de burin. La mentalité était l’adaptation de l’esprit humain pour sa survie dans ce milieu hostile. L’esprit humain a décalqué cette loi de la nature (telle
qu’il la percevait plutôt que telle qu’elle était) sur ses relations sociales : c’est la raison du plus fort.
Grâce au progrès scientifique et technique les contraintes que la nature inflige à l’humain ont considérablement régressé. La mentalité de “la raison du plus fort” n’a absolument pas régressé en
proportion. Il y a la rémanence d’une mentalité obsolète qui fait des dégats considérables sur l’opinion que l’humain se fait de lui même. Et c’est tout à fait compréhensible : pour en sortir, il
faudrait que le tout petit enfant dès sa première expérience de socialisation disent “pas question que je marche dans votre système !” C’est absurde de penser qu’on s’en sortira ainsi. La seule
solution est qu’en prenant de l’âge, on ose le dire. Mais pour beaucoup, l’habitude est prise, elle leur a donné parfois des satisfactions…Pour beaucoup d’autres (ou pour les mêmes car l’humain
est complexe…) la résignation a pris le dessus.
Et puis…on voit à la télé que c’est pire ailleurs, que la vie de nos ancêtres existe toujours pour d’autres peuples. Alors on se dit que c’est déjà bien que nous en soyons à l’abri. Amen ?…
Non!!!… La conscience ne s’accommode pas si facilement de notre résignation et encore moins de notre complicité. Ces contraintes dont nous avons été libérés nous permettent de
réfléchir davantage, d’être plus réceptif à la souffrance des autres qui nous arrive dans le salon, dans notre intimité (toujours grâce à ce progrès technique). Si elle est loin et qu’elle
nous menace guère, les contraintes en sont d’autant affaiblies.
Eh bien c’est justement parce que ces contraintes sont de plus en plus faibles qu’on peut les regarder en face sans qu’elles nous fassent peur. C’est le bénéfice du progrès technique. Et
qu’est-ce qu’on voit ? notre immobilisme. Pourquoi existe-t-il ? parce que nous sommes coincés par des contraintes non naturelles ni sociales et burinées par la nature. Ces contraintes sont
purement sociales. C’est notre mentalité collective, l’ensemble des relations entre les individus dont nous avons hérité d’une époque révolue et que nous transmettrons.
Cette transmission de valeurs caduques explique la “courbe” rectiligne et à peine positive du progrès des relations et son éloignement de la courbe exponentielle du progrès technique.
La conscience (de cette fracture entre les deux courbes) me paraît bien réelle chez les occidentaux. Je pense que cette conscience est à l’origine de la souffrance bien réelle et très forte des
occidentaux en général et du peuple français en particulier. Contrairement à vous, si je ne me trompe qui me semblez considérer les soucis d’aujourd’hui comme secondaires.
Je ne conteste pas l’existence de “faits”.Même si certains peuvent être imaginaires ou mal interprétés ou invisibles.
Une question de vocabulaire: un “fait”, par définition, ne peut jamais être “imaginaire”.
Il faut admettre que les faits, en général, existent.
Non. Il faut admettre que les faits “existent” toujours, et non pas “en général”. Et là encore, c’est une question de définition. Un “fait” est par définition quelque chose qui
existe. Pour reprendre une célèbre formule, “les faits, c’est ce qui est toujours là lorsqu’on a cessé d’y croire”.
C’est une autre façon d’appeler “la vérité”.
Eh non. Le critère de “vérité” s’applique à une affirmation. Il n’y a pas de “vérité” en dehors de l’intelligence humaine. Tandis que le “fait” nous est extérieur. Pour le dire autrement, si
l’homme n’existait pas sur terre, il n’y aurait pas de “vérité”, mais il y aurait toujours des “faits”. Je pense que vous confondez “réalité” avec “vérité”. La “réalité” peut bien être comprise
comme l’ensemble des “faits”.
Donc il n’y a pas lieu, pour vous, de voir des faits qui n’existent pas.
Sans aucun doute. Si je le vois et cela n’existe pas, ce n’est plus un “fait”, c’est une illusion.
Si des faits présents et passés doivent nous empêcher d’émettre des craintes sur des faits à venir possibles, le pessimisme du pessimiste est décuplé.
Les faits présents et passés ne vous empêchent nullement d’émettre des craintes pour l’avenir. Mais vous ne pouvez pas au nom de ces craintes affirmer qu’elles se sont déjà réalisées. Je n’ai pas
dit que la solidarité inconditionnelle existera à jamais, j’ai dit que, dans la mesure où je peux l’observer aujourd’hui, elle existe. Et que, étant donné le consensus politique existant et
l’expérience qu’on peut avoir de son évolution, on peut être rassuré sur le fait qu’à court terme l’idée de solidarité inconditionnelle n’est pas menacée. C’est tout.
Vous prenez exemple sur le passé dans notre propre pays pour dire que c’était pareil que pour nous aujourd’hui vis à vis de peuples lointains.
Je ne vois pas à quoi vous faites allusion.
Nous ne sommes pas pire que nos ancêtres. Le problème, c’est que nous ne sommes pas suffisamment meilleur qu’eux.
“Suffisamment” suivant quelle norme ? Qui peut décider ce qui est “suffisant” ou “insuffisant” dans ce domaine?
Nous débarquons dans la vie sociale tout petit. Elle nous impose une mentalité en vigueur. Nous avons le choix entre l’accepter et y trouver notre place donc forcément, nous participons
à l’entretenir et à la transmettre. Oubien nous la contestons donc nous nous auto-excluons et vivons en marginaux.
Par chance, nous avons une troisième solution: celle d’une acceptation critique, qui nous permet de rester integrés avec une chance de faire évoluer l’héritage qui nous est transmis. La
dichotomie que vous exposez est classique dans la pensée gauchiste: il n’y a que deux chemins possibles, l’aliénation totale ou la rébellion totale. En imposant de choisir entre ces deux
positions, on annule toute possibilité d’évolution.
Il est infiniment plus facile de se soumettre à la mentalité en vigueur que de la contester.
Tout dépend de son compte en banque. S’il est bien garni, c’est l’inverse. Ce n’est pas étonnant d’ailleurs de voir que le conformisme social est souvent bien plus grand dans les couches modestes
de la société que dans les couches supérieures…
L’esprit humain a décalqué cette loi de la nature (telle qu’il la percevait plutôt que telle qu’elle était) sur ses relations sociales : c’est la raison du plus fort.
Ce discours est contredit par l’ensemble de l’expérience humaine. Parce que depuis le début de l’histoire (et il y a des raisons de penser que ce fut le cas aussi à la fin de la préhistoire) le
succès de l’homo sapiens sapiens vient justement du fait qu’il a laissé de côté cette “loi de la nature” pour la remplacer par des rapports sociaux fondés sur l’utilité collective. Depuis la nuit
des temps, l’homme a créé un droit qui limite la raison du plus fort et lui impose des contraintes nécessaires à améliorer les chances de survie du groupe. Et plus l’humanité à évolué, plus la
“raison du plus fort” a regressé. Nous arrivons ainsi à vivre dans une société où la force physique ne donne plus aucun avantage. N’est-ce pas un progrès extraordinaire ? Quant à la “force” au
sens large, elle est strictement encadrée: l’affaire DSK a montré à quel point.
La seule solution est qu’en prenant de l’âge, on ose le dire [“pas question que je marche dans votre système !”]. Mais pour beaucoup, l’habitude est prise, elle leur a donné parfois des
satisfactions…Pour beaucoup d’autres (ou pour les mêmes car l’humain est complexe…) la résignation a pris le dessus
Vous nagez en plein idéalisme. Ce n’est pas une question “d’habitudes” ou de “résignation” mais une question bien plus fondamentale. Une fois qu’on a dit “pas question que je marche dans votre
système”, qu’est ce qu’on fait ? On va dans une île déserte, sans électricité, sans médicaments, sans aucun des conforts de la vie moderne, vivre du (maigre, forcément maigre) produit de ses
mains ? Parce qu’il ne faut pas oublier que l’électricité, ls médicaments et tous les conforts que l’homme a construit en soixante siècles viennent avec “leur système”.
Les gens ne sont pas idiots, et ils savent faire un rapport coût/avatage. Ils n’ont pas d’illusions sur le “système”, mais ils ne vont pas jeter tout ce qu’ils ont péniblement acquis pour le
simple plaisir de dire “non”.Si l’on n’a pas à proposer un autre “système” qui fasse au moins aussi bien que celui qu’on a, les gens continueront à faire comme ils font. Et ils ont parfaitement
raison.
Quel régal ce blog !
Nous avons élevé une jeunesse habituée à “jouir sans entraves” dans un monde où les adultes – pétris de la nostalgie de mai 1968 – ne se sentent pas la légitimité pour mettre des
limites”
Ces adultes pétris de la nostalgie de 68 sont des grands-parents aujourd’hui. Moi-même qui était trop jeune pour participer à 68 et ne suis donc pas nostalgique d’événements que je n’ai pas vécu,
j’ai un fils de..23 ans ! et je n’étais pas tout jeune lorsque je suis devenu père.
Lorsque j’émets l’idée que peut-être si les communistes faisaient 22% aux élections en 69, ils le doivent à l’image (à l’aura) qui leur reste attachée de libérateurs de la
France plus qu’à une adhésion à leur programme, vous m’opposez le temps écoulé entre les deux événements.
Or entre 1945 et 1969, il s’est écoulé 24 ans. Alors qu’entre 1968 et 2011, il s’est écoulé 43 ans.
Ces adultes pétris de la nostalgie de 68 sont des grands-parents aujourd’hui.
Pas forcément. Attention, on peut être “nostalgique” d’une époque qu’on n’a pas vécu…
Lorsque j’émets l’idée que peut-être si les communistes faisaient 22% aux élections en 69, ils le doivent à l’image (à l’aura) qui leur reste attachée de libérateurs de la
France plus qu’à une adhésion à leur programme, vous m’opposez le temps écoulé entre les deux événements. Or entre 1945 et 1969, il s’est écoulé 24 ans. Alors qu’entre 1968 et 2011, il s’est
écoulé 43 ans.
Et alors ?
C’est fou çà ! Vous exprimez des désaccords avec ce que je dis… et vous savez quoi ? je suis d’accord avec vos désaccords !
Je pense de plus en plus que je m’exprime très mal.
vous nagez en plein idéalisme Merci, c’est le plus grand compliment qu’on puisse me faire. Sous réserve cependant que j’ai bien compris (maintenant, je doute de tout). Si vous
voulez dire que je parle d’idéal là ou vous préfèreriez parler de pragmatisme, je suis d’accord. Mais si vous sous-entendez que je suis en proie à une idéologie, alors là non. J’émets une
reflexion qui se veut intégrer l’idéal comme point de repère. Le naviteur parle du nord sans chercher à l’atteindre. Il le considère important parce qu’il lui permet de connaître la position
de son navire. C’est tout. Il serait en effet insensé, sous prétexte de savoir où se trouve le nord, de ne plus avoir d’autre but que celui d’atteindre ce point cardinal. Le pragmatisme n’est pas
sans danger non plus. Car certains en font une loi qui les conduit jusqu’au cynisme.
Sinon, je suis assez d’accord avec tout ce que vous dîtes. Je n’ai pas le sentiment de dire le contraire. Notamment concernant la dichotomie de la pensée gauchiste. Entre l’aliénation totale et
la rébellion totale, il y a une énorme place pour réaliser le bien être de l’humain sur Terre. Je dis juste que ce choix n’est pas “proposé” à des personnes adultes et libres de décider. Il
est “proposé” à des enfants de 3 ou 4 ans qui viennent de sortir de leur cocon familial.Et je ne dis rien de plus que vous : l’humain n’a pas le choix.
Comment faire pour qu’un choix s’offre un jour à l’humain ? je pense que tout en restant bien sagement dans la société telle qu’elle est, il faudrait développer le goût des échanges, de
la participation de chaque humain à la recherche d’un projet nouveau en tant que véritable acteur du débat. Ne rien menacer de changer tant qu’on n’a pas prouvé qu’on a mieux (C’est gauchiste, ça
?). Et non pas continuer comme ça se fait depuis toujours de lui proposer seulement un bulletin de vote tous les 5 ans et de fermer sa gueule entre les scrutins. Avec ce folklore de la campagne
électorale pour que son choix semble être bien réfléchi. Ni, s’il veut plus, un simple engagement à obéir dans un parti. Avec en prime, si la raison du plus fort (le plus convaincant, le plus
charismatique, etc..) lui est favorable de devenir celui qui fait obéir les autres ou trouve sa place dans la hiérarchie du parti. Ce système d’accession au pompon, 98% des gens n’y
participent pas. Et ça c’est un fait. Il n’y a guère plus de 2% de la population qui soit engagée dans ces entreprises à élections que sont les partis.
Autre point d’accord : l’ensemble des faits est la réalité et non la vérité. J’appelais ça “la vérité”. Pas de problème, à présent j’appellerai ça la réalité. Si vous me relisez, SVP remplacez
“vérité” par “réalité”. Une petite remarque : les faits ne peuvent être, par définition, imaginaires. Ils peuvent, en revanche, être imaginés et c’est alors une illusion. Je suis encore
d’accord. J’ai, ici aussi, abusé avec le terme “imaginaire”. J’aurais dû dire “imaginé”.
Encore un point d’accord : la raison du plus fort régresse depuis la nuit des temps. Mais pourquoi elle régresse ? parce que (à mon avis) elle est une aliénation. Chaque progrès libère un peu
l’humain des contraintes de la nature et tout naturellement (parce que c’est la nature de l’humain) il fait regresser des contraintes artificielles (comme la raison du plus fort) parce que sa
marge, sa prise de recul par rapport à la réalité le lui permet. Ce qui d’ailleurs me fait penser que l’humain se connaît de mieux en mieux à mesure qu’on avance dans le temps. Ce qui donc
contredit le “tout histoire” qui pourrait signifier que pour connaître la nature humaine il suffit de connaître son passé. Je dirais même (mais c’est impossible) que pour connaître l’humain
d’aujourd’hui il faudrait pouvoir lire son histoire future (voilà encore une utilisation de l’idéal non pas pour le faire advenir mais juste pour mieux comprendre la réalité). Je suis donc tout à
fait d’accord que la raison du plus fort régresse mais vu les immenses progrès techniques et donc l’immense régression des contraintes de la nature, le compte n’est pas bon. La régression de
la raison du plus fort n’est pas suffisante. Par rapport à quelle norme ? par rapport à la régression des contraintes de la nature. Il ya quelque chose qui ne fonctionne plus. Les
contraintes de la nature ne cessent de regresser de manière très importante mais depuis longtemps maintenant la raison du plus fort a presque cessé de régresser.La force physique n’est plus
nécessaire et en effet elle est de moins en moins utilisée, même pour soumettre. Mais cette force physique est facilement identifiable comme expression de la raison du plus fort. D’autres,
beaucoup plus sournoises, ne régressent quasiment pas. Peut-être même qu’elles se développent. Par exemple, la force que donne le savoir. Ce savoir qui était synonyme de lumière
est aujourd’hui le principal instrument du rapport de force.
Ni, s’il veut plus, un simple engagement à obéir dans un parti.
Et pourquoi pas ? “L’obéissance à la loi qu’on s’est soi même donné, c’est ça la liberté” (Rousseau, cité de mémoire). Au risque de décevoir les indécrottables “libertaires”, j’aurais tendance à
dire que l’obéissance à produit bien plus plus d’oeuvres magnifiques que la désobéissance…
Encore un point d’accord : la raison du plus fort régresse depuis la nuit des temps. Mais pourquoi elle régresse ? parce que (à mon avis) elle est une aliénation.
Et qu’est ce qui vous fait penser que les aliénations “regressent” ? Comme l’obéissance, comme l’interdit, l’aliénation est une nécessité sociale. L’exemple le plus classique est celui du
langage: tout langage est une aliénation, puisque parler un langage c’est se soumettre à une règle que nous ne faisons pas et que nous ne pouvons pas changer.
Si la “loi du plus fort” regresse, c’est pour une raison bien plus élémentaire et plus “matérialiste”: la “loi du plus fort” n’est pas la manière la plus efficace de règler les conflits. Une
société régie par la loi du plus fort a besoin de bien plus de travail et de capital pour arriver au même niveau de vie. Et c’est pourquoi les sociétés qui se sont extraites de la “loi du plus
fort” ont en général pu imposer leur loi aux autres.
Votre idée d’un recul des “contraintes artificielles” en paralelle avec le recul des contraintes naturelles, parallelisme que vous attribuez “à la nature de l’humain” est d’un niveau d’idéalisme
qui fait peur. Ce n’est pas par “nature” que l’homme abandonne la “loi du plus fort” pour lui substituer des contraintes autrement plus complexes. C’est par intérêt.
Par exemple, la force que donne le savoir.
Avec ce genre de raisonnement, on transforme n’importe quel rapport en rapport de force. Pourquoi pas “la force que donne la chance”, puisqu’on y est ?
Dans le discours de la méthode vous dîtes :
Un des problèmes dans la formation – si l’on peut appeler cela formation – que les partis de gauche offrent à leurs militants est précisément de ne proposer que des auteurs “dans la ligne”.
Ce qui donne au militant l’idée – fausse – qu’il n’y a qu’une manière de voir les problèmes, et que tout ce qui sort du discours de son parti est irrationnel ou pire, sert d’obscurs intérêts.
C’est une énorme faiblesse: pour convaincre un adversaire (ou même un indifférent), il est nécessaire de partir de son raisonnement, ce qui suppose de pouvoir le comprendre. Et pour cela,
il faut pouvoir se placer dans la sphère mentale de son interlocuteur”
Je trouve excellente cette description du problème. Je regrette même que vous ne la poussiez pas plus loin. En effet, si vous vous comporter aussi bien, avec autant de civilisation, face
à celui qui vous manifeste de l’adversité ou de l’indifférence, alors vous vous comporterez pas plus mal face à ceux qui vous témoignent de la considération. Donc ce que vous décrivez
là peut s’appliquer à tous les humains qui vous entourent. Et c’est ce que je trouve formidable dans votre texte. Ce comportement que vous décrivez du “parfait” militant est le comportement
parfait de toute personne. Tout simplement. Vous l’utilisez pour parler du militant d’un parti politique mais on est toujours militant de quelque chose. Un “parfait” citoyen est un militant
irréprochable de la démocratie. Chaque fois qu’un citoyen exprime le plus grand respect envers un semblable, il milite sans s’en rendre compte pour la démocratie. Quand un professeur applique ce
que vous dîtes, il milite pour la connaissance donc il est un professeur parfait.
Partir du raisonnement de celui qu’on veut convaincre (convaincre n’ayant rien à voir avec soumettre, non ?) , le comprendre. C’est pour moi la clé de tout. Cet immobilisme désespérant que
je ressens depuis plusieurs décennies tire pour moi son origine dans le fait que cette règle n’est pas appliquée. Et évidemment les 10% de désaccord vont appararaître : les partis et en
particulier ceux qui nous intéressent comme le PC tout comme les syndicats sont responsables de cette situation puisqu’ils ne se sont pas sentis le devoir d’appliquer cette règle.
Car pour comprendre celui qu’on veut convaincre il faut d’abord qu’il s’exprime. Comment serait-il possible de comprendre quelqu’un qui n’exprime rien ? Seulement pour que toute personne
s’exprime, il faut avoir promu la liberté d’expression. Voilà le chaînon manquant.
Cette conception selon laquelle celui qui ignore doit pouvoir s’exprimer pour que celui qui sait puisse le comprendre, c’est le fondement des idées de 68 ou alors je n’ai rien compris.
Justement…s’il n’y a pas de profond antagonisme entre Mercailloux et vous, je tenterais bien ici de dire que ce profond antagonisme existe entre le PC et le mouvement étudiant de 68. Et à ce
que vous dîtes, il me semble ne pas abuser de dire que vous seriez du coté du PC si cet antagonisme existait.
Donc (si je ne me trompe pas), ça fait partie de nos 10% de désaccord.
Chaque fois qu’un citoyen exprime le plus grand respect envers un semblable, il milite sans s’en rendre compte pour la démocratie.
Pardon, mais moi je n’ai jamais parlé de “respect”. Vous faites dire à mon commentaire ce qu’il ne dit absolument pas. Ne m’embarquez pas dans votre vision angélique du monde. Je ne dis pas que
le militant doive “respecter” la manière de penser de son interlocuteur (entre autres choses, parce que je ne suis pas sur que le terme “respecter” ait grande signification dans ce contexte: cela
veut dire quoi exactement “respecter une opinion” ?), je dis qu’il doit chercher à la comprendre, ne serais-ce que pour mieux la combattre.
Cette conception selon laquelle celui qui ignore doit pouvoir s’exprimer pour que celui qui sait puisse le comprendre, c’est le fondement des idées de 68 ou alors je n’ai rien compris.
Tu n’as rien compris. D’abord, tu as l’air de confondre “expression” et “expression libre”. Pour comprendre la pensée de quelqu’un, il n’est point nécessaire qu’il soit “libre” de s’exprimer. Il
suffit qu’il puisse s’exprimer, même dans un cadre contraignant. Un professeur peut par exemple utiliser les copies d’examen pour comprendre la manière de penser de ses élèves. Mais on peut
difficilement dire qu’un examen soit un contexte d’expression “libre”.
Ensuite, si les soixante-huitards ont quelque chose de commun entre eux, c’est justement leur refus de comprendre. Difficile en effet d’imaginer un mouvement qui ait été aussi intolérant
idéologiquement, dont les participants aient refusé aussi constamment d’admettre que quelqu’un pouvait avoir raison contre eux.
je tenterais bien ici de dire que ce profond antagonisme existe entre le PC et le mouvement étudiant de 68. Et à ce que vous dîtes, il me semble ne pas abuser de dire que vous seriez du coté
du PC si cet antagonisme existait.
C’est ainsi, et j’en suis très fier. En 1968 le PCF aurait pu d’un geste déclencher une guerre civile. Il ne l’a pas fait, et pour cela il mérite bien plus de considération qu’on ne lui accorde
en général… Si je peux me permettre, je vous conseille d’écouter “Les jeunes imbéciles” de Jean Ferrat. Vous m’en direz des nouvelles…
Ils ont troqué leur col Mao contre un joli costume trois-pièces
Ils ont troqué leurs idéaux contre un petit attaché-case
Citoyens de Paris ma ville, la plage est loin sous les pavés
Vivez en paix dormez tranquilles, le monde n’est plus à changer
Ce n’était alors que jeunes imbéciles, le poil au menton
Ce n’était alors que jeunes imbéciles, les voilà vieux cons
Ils ont troqué leur col Mao pour une tenue plus libérale
Le vieux slogan du père Guizot est devenu leur idéal
Nos soixante-huitards en colère reprennent un refrain peu banal
C’est enrichissez-vous mes frères en guise d’Internationale
(…)
C’est toujours avec les jeunes imbéciles, qu’on le veuille ou non
C’est toujours avec les jeunes imbéciles, qu’on fait les vieux cons.
Et alors ?
Evidemment si on peut être nostagique d’une époque qu’on n’a pas vécu, mon argumentation sur le nombre d’années séparant 68 à 2011 et 45 à 69 tombe à l’eau. Mouais….
Et puis d’ailleurs, nostalgique de quoi ? de la rébellion aux forces de l’ordre, de la confrontation entre ouvriers et patrons, du peace and love ? Ces trois raisons d’être nostalgique n’ont rien
à voir entre elles. Elles peuvent être cumulées mais c’est pas obligé.
Au fait, vous trouvez que les parents des enfants d’aujourd’hui sont nostalgiques de 68 ? Oubien que cette nostalgie persiste depuis 68, transmise d’une génération à l’autre, faisant que les
parents ont été nostalgiques d’une époque qu’ils ont vécue et leurs enfants nostalgiquess d’une époque qu’ils n’ont pas vécue ?
Personnellement, je trouve que les jeunes ne sont pas rebelles et en plus qu’ils sont sceptiques quant à la rébellion des générations précédentes. Je ne les sens pas admiratifs.
Moi, je ne suis nostalgique de rien. Et surtout pas de la violence. Parce qu’au fait, si on est nostalgique d’une époque qu’on a vécue comme d’une époque qu’on n’a pas vécu, être
nostalgique, c’est toujours d’une époque révolue, non ? Si je ne me trompe pas sur le sens de “nostalgique” je ne le suis pas car pour moi, les valeurs ont été émises en 68 mais
elles ne sont toujours pas appliquées. Quand elles le seront, elles donneront de telles caractéristiques à ce moment-là qu’on pourra parler d’une époque particulière, se
distinguant fortement des autres . Les quelques ébauches et échecs d’applications sont le brouillon. Je pense qu’on peut dire que mai68 at la décennie suivante sont le brouillon des
valeurs émises à ce moment-là. Un brouillon c’est pas très propre, c’est pas très clair. Attention : je parle des valeurs. Pour moi, la violence n’est pas une valeur.
Vous semblez ne pas aimer dutout mai68.
Ce serait donc l’avénement de l’individu-roi ? Kezako ? je connais l’enfant-roi :un enfant trop choyé et qui, à cause de cela, s’adapte mal aux responsabilités auxquelles il doit faire face
en grandissant.
Mais l’individu-roi, je connais pas. Ca me plaît beaucoup, en revanche. Ca me fait penser que chaque individu est roi. Donc finalement personne ne l’est. C’est formidable ! qui pourrait s’en
plaindre ? Si c’est une nouvelle déclaration de l’égalité des individus, une nouvelle façon d’exprimer les valeurs de la révolution pour les confirmer une fois de plus, j’applaudis.
C’est comme “il est interdit d’interdire” je trouve cette trouvaille magnifique. Magnifique parce que absurde. Elle se rend absurde elle-même pour rendre les interdits absurdes. Elle
s’engage donc (au sens noble du terme) à risquer le ridicule pour montrer qu’interdire est ridicule. Le sens noble de “s’engager”, c’est que lorsqu’on propose un changement dans la vie à sa
communauté et qu’il paraît risqué, c’est celui qui le propose qui prend ce risque le premier. Comme ça, pour voir ce que ça donne. Il sert de cobaye à sa propre expérimentation. Il y a bien
peu d’engagements au sens noble du terme ! C’est peut-être un des problèmes majeurs de la mentalité à laquelle nous sommes soumis tout petit et à laquelle nous participons ensuite.
L’engagement se résume malheureusement la plupart du temps à obéir (pour les plus nombreux) et à commander (pour les moins nombreux). Ceux qui sont commandés sont les cobayes de ceux qui
commandent oubien imposent (par obéissance à ceux qui commandent) à d’autres d’être des cobayes. Alors je loue ce slogan “il est interdit d’interdire” et je le donne en exemple à tous ceux
que je peux.
Je reviens sur mon idée de l’importance des communistes en 69 (importance toute relative d’ailleurs puisque si 22% votent pour eux, 78% ne votent pas pour eux). Comme je l’ai dit,
elle me fait automatiquemnt penser aux libérateurs. Ils ne sont pas les seuls…Et comme par hasard, les gaullistes sont toujours puissants dans les années 60/70 et encore plus
puissants que les communistes. Donc si ça ne vient pas de la reconnaissance du peuple pour les libérateurs, ça peut venir du fait (finalement assez lié) que les partis
“libérateurs” ont acquis une grande confiance en eux-mêmes. En leur capacité que mener le peuple, de le commander.
Il me semblerait donc logique que ce ne soit pas un hasard si ces deux partis ont en commun d’être ceux qui ont la plus grande aversion pour mai68. Car mai68 est une contestation de
l’autoritarisme et ces deux partis le sont.
Et puis d’ailleurs, nostalgique de quoi ? de la rébellion aux forces de l’ordre, de la confrontation entre ouvriers et patrons, du peace and love ? Ces trois raisons d’être nostalgique n’ont
rien à voir entre elles. Elles peuvent être cumulées mais c’est pas obligé.
Ceux qui l’ont vécu ont des circonstances atténuantes: on est toujours nostalgique de sa jeunesse. Ce qui m’inquiète plus, ce sont ces “jeunes” (enfin, relativement) qui invoquent mai 1968 sans
l’avoir connu. Parce que cela montre combien la génération de 68 a réussi à “vendre” sa vision du monde. Comme disait Mark Twain, un mensonge bien raconté est indestructible.
Au fait, vous trouvez que les parents des enfants d’aujourd’hui sont nostalgiques de 68 ?
Beaucoup trop, oui. Parce que leurs propres parents leur ont raconté une histoire mythique qui correspond très bien à ce qu’eux mêmes voudraient croire. L’histoire d’une génération qui aurait
“fait la révolution” et “libéré la France”. Céline disait que l’amour était le sublime à la portée des caniches. On peut dire que mai 1968, c’est la révolution française à la portée des classes
moyennes.
Personnellement, je trouve que les jeunes ne sont pas rebelles et en plus qu’ils sont sceptiques quant à la rébellion des générations précédentes. Je ne les sens pas admiratifs.
Je partage ce diagnostic. Lorsque je parle des “nostalgiques de 68”, je parle des gens de 30 à 50 ans. Pour les “jeunes”, c’est autre chose. La société française a beaucoup trop changé pour
qu’ils puissent accrocher à l’image “rebelle” de 1968.
je ne le suis pas [nostalgique] car pour moi, les valeurs ont été émises en 68 mais elles ne sont toujours pas appliquées.
Vous trouvez ? Moi je trouve au contraire que notre société applique amplement les “valeurs” de 1968: “jouir sans entraves”, “demandez l’impossible”… Comme disait Goethe, “quand les dieux
veulent nous punir, ils réalisent nos rêves”.
Vous semblez ne pas aimer dutout mai68.
Le verbe “semble” est à mon avis de trop.
Mais l’individu-roi, je connais pas.
Et pourtant, vous l’avez devant vous. Chaque fois qu’on vous dit que l’école doit “s’adapter à chaque élève”, chaque fois que vous entendez “parce que je le veux bien”, chaque fois qu’on vous
explique que l’homme a beaucoup de droits et peu de devoirs, chaque fois qu’une association où un parti décide qu’on peut ne pas appliquer les lois, vous êtes en présence de l’individu-roi.
Ca me plaît beaucoup, en revanche. Ca me fait penser que chaque individu est roi. Donc finalement personne ne l’est. C’est formidable !
Erreur! Chaque individu est bien roi. Et pour que cela soit possible, on découpe la société en petits territoires, chacun en guerre avec ses voisins, et chacun habité par un seul individu qui est
son roi. Pas si “formidable” que ça…
C’est comme “il est interdit d’interdire” je trouve cette trouvaille magnifique. Magnifique parce que absurde. Elle se rend absurde elle-même pour rendre les interdits absurdes. Elle
s’engage donc (au sens noble du terme) à risquer le ridicule pour montrer qu’interdire est ridicule.
Voyons si je comprends bien. Pour vous, il est “ridicule” d’interdire à l’élève de planter un couteau dans le ventre du professeur ? Vous croyez vraiment ça ?
Votre commentaire est l’exemple de ce que je déteste dans l’idéologie-68: cette espèce de conformisme qui anonne toujours les mêmes idioties “libertaires” sans se poser des questions sur la
réalité. Interdire n’a rien de ridicule. Sans interdits, la toute-puissance de l’individu ne connaît d’autre limite que le rapport de forces. C’est cela que vous voulez ?
Vous m’excuserez d’être vif, mais j’ai du mal à écouter votre discours idéaliste sans colère. C’est au nom du “il est interdit d’interdire” qu’on a fabriqué une génération sans répères, éduquée
par des parents et par des professeurs qui n’ont pas osé assumer leur tâche d’éducateurs en fixant et en maintenant l’interdit. Et vous me dites que “interdire est ridicule” ? Franchement…
Il me semblerait donc logique que ce ne soit pas un hasard si ces deux partis [gaullistes et communistes] ont en commun d’être ceux qui ont la plus grande aversion pour mai68.
Cela ne doit effectivement rien au hasard. Communistes et gaullistes partagent en effet une profonde aversion pour l’individu-roi et un fort attachement aux principes collectifs. En France, la
division “droite/gauche” est en fait moins forte que la division entre girondins et jacobins. Et gaullistes et communistes ont pendant des années formé le pole jacobin, alors que le centre droit
et le centre gauche représentaient la Gironde. Centre qui fut d’ailleurs fort sympathique envers mai-68…
Car mai68 est une contestation de l’autoritarisme et ces deux partis le sont.
Cela dépend de ce que vous appelez “être autoritaire”. Je ne suis pas convaincu que les maos de 1968, avec leur soumission aveugle à leurs dirigeants et en dernière instance au “Grand Timonier”,
aient été moins autoritaires que les communistes où les gaullistes…
Ce qui m’inquiète plus, ce sont ces “jeunes” (enfin, relativement) qui invoquent mai 1968 sans l’avoir connu.
Je fais partie de ces jeunes. Et le “relativement” me va comme un gant. J’ai profité des conséquences que ces événements ont eu sur la vie des années 70. Je suis très critique et depuis longtemps
de ma façon de profiter. Je pense que j’ai participé à dénaturer les idées de progrès que ces événements contenaient par une utilisation abusive et un détourenemnt de cet idéal.
Mais je ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. Chose qu’on peut faire avec toutes les avancées (comme l’idée communiste par exemple). Les abus ne devraient pas pouvoir se cacher
derrière les idées qu’ils piratent, travestissent et parasitent.
Voyons si je comprends bien. Pour vous, il est “ridicule” d’interdire à l’élève de planter un couteau dans le ventre du professeur ? Vous croyez vraiment ça ?
Vous ne comprenez pas bien dutout.
Dans votre réflexion, vous vous référez souvent au matérialisme. Je pense que toute théorie utile lorsqu’on la domine finit par être très dangereuse losrqu’elle nous domine. N’en seriez-vous pas
là avec le matérialisme ? J’ai l’impression qu’il vous domine, qu’il a fait de vous son jouet.
Je constate en tout cas que vous ne répondez pas à la question posée. Je ne vois pas très bien ce que vient faire ici le “matérialisme”. Vous me faites l’éloge de la formule “il est interdit
d’interdire” parce que celle-ci, selon vous, démontrerait combien “il est ridicule d’interdire”. Devant cette affirmation, je vous ai posé une question très concrète: est-ce “ridicule”
d’interdire à l’élève de planter un couteau dans le ventre du professeur ? Oui ou non ?
L’anarchisme à deux sous, ça va cinq minutes. Vous me rappellez le personnage principal de “la corde” de Hitchock, vous savez, ce professeur de philosophie qui défend devant ses élèves l’idée que
certains êtres sont “supérieurs”, et qui ensuite est horrifié que deux de ses étudiants traduisent cette idée en actes. Si pour vous “il est ridicule d’interdire”, assumez la conclusion
inévitable.
“est-ce “ridicule” d’interdire à l’élève de planter un couteau dans le ventre du professeur ? Oui ou non ?”
Oui c’est pour moi totalement ridicule. Car toute personne dotée de la moindre parcelle de Raison se l’interdit elle-même. Je trouve même que c’est pousser l’obscurantisme à un point
criminel que de penser qu’il faut l’interdire pour que cela ne se produise pas. Car cet interdit extérieur signifie que l’humain n’a pas en lui les éléments suffisants pour en
juger.
Je pense, au contraire, que c’est parmi les gens qui pensent ainsi que se trouve le plus grand nombre de criminels. Et dans des proportions sans commune mesure.
Certes, il y a suffisamment de faits divers pour prouver que le meurtre quasiment gratuit existe. Mais raison de plus pour montrer que l’intérêt personnel n’entre pas en jeu. Donc cette idée que
si le meurtre n’était pas puni, n’importe qui s’y livrerait pour satisfaire ses intérêts personnels (qui semblent être pour vous le ba-ba de toute action individuelle) ne tient pas. Puisque la
majorité des crimes abjects dans notre pays sont motivés par des raisons quasiment inexpliquables, en tout cas totalement irrationnelles.
Oui c’est pour moi totalement ridicule. Car toute personne dotée de la moindre parcelle de Raison se l’interdit elle-même.
Je crois que tu ne te rends pas compte de la portée de ce que tu dis. Si “toute personne dotée de la moindre parcelle de raison se l’interdit”, il s’ensuit que l’élève qui plante un couteau dans
le ventre d’un professeur – et ce sont des cas réels – n’est pas un être “doué de raison”. En d’autres termes, ce n’est pas un être humain (puisque le propre de l’être humain est précisement
d’être doué de raison). Si on suit ton idée, l’élève qui se rend coupable d’un tel acte ne doit pas être jugé – quel sens y a-t-il a juger un être privé de raison – mais sacrifié comme on
sacrifie un chien dangereux…
Je trouve même que c’est pousser l’obscurantisme à un point criminel que de penser qu’il faut l’interdire pour que cela ne se produise pas.
L’interdiction n’a pas pour objet que cela ne se produise pas. L’interdiction a pour objet de rendre l’acte punissable. C’est la punition qui est dissuasive, pas l’interdiction.
Car cet interdit extérieur signifie que l’humain n’a pas en lui les éléments suffisants pour en juger.
Dis donc, il faut dépasser Rousseau. Admettons que “l’humain” soit capable de juger. Mais il jugera en fonction de quelle loi ? Qui décide ce qui est permis et ce qui est interdit ? Chacun de
nous ? En fait, derrière ton idée que chacun devrait être capable sans intervention extérieure de décider ce qu’il faut ou pas faire implique l’existence d’une “loi naturelle” qui s’imposerait à
tous “de l’intérieur”. Que les interdits nécessaires au fonctionnement harmonieux de la société seraient en fait universels et naturels.
C’est ignorer que “dans l’état de nature” les hommes se laissent guider par leur intérêt et que leur volonté n’a d’autre limite que ls rapports de force. Les interdits sociaux n’ont rien de
“naturel”, ils sont construits historiquement. Ils ne peuvent donc pas être “internes”, même s’ils finissent par être “internalisés”.
Donc cette idée que si le meurtre n’était pas puni, n’importe qui s’y livrerait pour satisfaire ses intérêts personnels (qui semblent être pour vous le ba-ba de toute action individuelle) ne
tient pas.
Je ne vois pas très bien comment vous arrivez à cette conclusion. Les faits montrent amplement que “n’importe qui” se livre souvent à des activités que tout homme rationnel pourrait considérer
comme antisociales, et que du jour où ces activités sont criminalisées, leur incidence diminue. Croyez vous vraiment que si demain on supprimait l’obligation de payer les impôts, les gens
continueraient à donner leur argent volontairement ?
Puisque la majorité des crimes abjects dans notre pays sont motivés par des raisons quasiment inexpliquables, en tout cas totalement irrationnelles.
Vous vous trompez. L’immense majorité des “crimes abjects” (y en a-t-il d’autres ?) sont au contraire motivés pour des raisons parfaitement explicabls et totalement rationnelles. Le trafiquant de
drogue qui tue un concurrent est tout à fait rationnel dans son acte, comme l’est aussi le drogué qui tue une petite vieille pour lui piquer ses économies, ou l’élève qui tue un professeur pour
se venger. Tous ces actes sont parfaitement rationnels, au sens qu’ils atteignent un but pensé et refléchi à l’avance. Les crimes passionnels ne sont qu’une infime minorité.
il s’ensuit que l’élève qui plante un couteau dans le ventre d’un professeur n’est pas un être “doué de raison”. Je le pense. Soit permanent. Soit passager. C’est à la société en la
personne de professionnels de la psychiatrie de tenter d’élucider cette question.
Si on suit ton idée, l’élève qui se rend coupable d’un tel acte ne doit pas être jugé – quel sens y a-t-il a juger un être privé de raison La question est de savoir s’il est privé de
raison de manière permanente ou passagère. Si c’est permanent en effet le jugement ne me semble pas aussi efficace qu’habituellement. Mais il faudrait quand-même un jugement parce qu’il y a
une victime. Le jugement permet au moins de comprendre le pourquoi et le comment d’un acte insensé. Et c’est très important pour la victime en particulier et pour la société en général. Mais
il est vrai que la condamnation suivant logiquement le jugement peut être inefficace Si le coupable est dépourvu de raison de manière permanente, il est très probable qu’il ne la comprenne pas.
En revanche, celui privé momentanément de raison au moment des faits peut comprendre très bien pourquoi il est condamné.
En d’autres termes, ce n’est pas un être humain (puisque le propre de l’être humain est précisement d’être doué de raison). Au moment où il le commet, c’est plus que probable. Ce qui ne
veut pas dire que le coupable retrouve sa liberté d’aller et venir comme si de rien n’était. Le laxisme n’est pas forcément là où on le croit…. Remettre en liberté quelqu’un privé de raison de
manière permanente pose un sérieux problème. Car il peut recommencer à tout moment.
D’autre part la libération de quelqu’un ayant purgé sa peine n’est pas une mince affaire non plus. Il faut savoir grâce au jugement si son pétage de plomb passager peut se reproduire facilement
ou pas. Si oui, sa liberté ne doit pas être totale.La libération doit être conditionnée. Encore une fois, je crois qu’il y a malentendu. Je te surprends à être victime de la pensée
manichéenne. Je ne suis ni dans le camp du tout répressif ni dans le camp du tout préventif. Pour moi, la prévention est essentielle sinon la société doit être sur le banc des accusés.
Mais avec une excellente prévention, c’est à dire avec un maximum de compréhension du pourquoi et du comment les actes condamnables sont commis, alors la répression devrait être beaucoup plus
forte que ce qu’elle est. La compréhension des phénomènes de passage à l’acte doit être maximale afin de les empêcher et faire en sorte que les actes inévitables soient le plus condamnables
possible.
L’interdiction n’a pas pour objet que cela ne se produise pas. L’interdiction a pour objet de rendre l’acte punissable. C’est la punition qui est dissuasive, pas l’interdiction. Donc la
société s’en fout de la victime. Ce qui compte c’est de mettre le juste prix sur sa vie ? Punir n’est en fait que faire passer le coupable à la caisse ? Une telle société est pire que le coupable
des faits. Celui qui ne voit pas d’inconvénient à passer 30 ans en prison peut donc tuer ? Pourquoi organiser des procès ? on pourrait économiser toutes les dépenses de justice avec cette
idée. Il suffirait de publier les tarifs. Un peu comme une carte de restaurant. Quelle horreur !
Croyez vous vraiment que si demain on supprimait l’obligation de payer les impôts, les gens continueraient à donner leur argent volontairement ? Je trouve que cette question n’a pas sa
place dans une réflexion sur le crime.
il s’ensuit que l’élève qui plante un couteau dans le ventre d’un professeur n’est pas un être “doué de raison”. Je le pense.
C’est une pensée très dangereuse. Car un être qui ne serait pas doué de raison ne peut être jugé, et ne peut non plus être un sujet de droit. S’il est privé de raison, il peut être abattu comme
un chien sans autre forme de procès.
La question est de savoir s’il est privé de raison de manière permanente ou passagère.
Non. La “raison” n’est pas quelque chose qui vient et qui s’en va. Un être “doué de raison” l’est alors même qu’il dort ou qu’il est dans le coma. C’est une essence. Si l’on ne peut pas
débrancher un patient alors même qu’il est dans un coma profond, c’est parce qu’il reste un “être doué de raison”. Il ne faut pas confondre la “raison” et le “jugement” (qui lui, peut être
temporairement aboli).
Si c’est permanent en effet le jugement ne me semble pas aussi efficace qu’habituellement. Mais il faudrait quand-même un jugement parce qu’il y a une victime.
Un peu de sérieux: depuis quand le fait qu’il y ait une “victime” justifie qu’il y ait un jugement ? Lorsqu’un pitbull mord un enfant, juge-t-on le pitbull ? Et pourtant, il y a une victime…
Non, si le droit médioeval permettait de juger des animaux, l’un des principaux acquis du droit des lumières et précisement qu’on ne peut juger que les êtres doués de raison, puisque eux seuls
peuvent abriter des intentions criminelles et donc commettre un délit.
Le jugement permet au moins de comprendre le pourquoi et le comment d’un acte insensé. Et c’est très important pour la victime en particulier et pour la société en général.
Décidément, les théories victimistes font des ravages… Non, non, non et NON. Le jugement n’a pas pour but de “comprendre”. Ca, c’est la fonction de la science. Le but du jugement est
l’application de la loi. Et ce but est atteint à travers deux effets: l’effet dissuasif et l’effet exemplaire. Mais la victime ne devrait avoir dans ce processus aucune place. Le principe moderne
de la justice pénale est que la société prend sur elle l’offense faite à la victime et la transforme en une offense faite à la société. Revenir à une justice qui se fait au bénéfice des victimes
revient à rétablir la vengeance comme fondement du droit.
Remettre en liberté quelqu’un privé de raison de manière permanente pose un sérieux problème. Car il peut recommencer à tout moment.
Les renards, les sangliers, les moustiques sont “privés de raison de manière permanente” et pourtant ils sont en parfaite liberté… et je ne crois pas que cela pose trop de problèmes. Je crois
que tu ne te rends pas compte qu’en qualifiant un déliquant de “privé de raison”, tu le rabaisses au rang d’un animal. Un système politique ne peut pas fonctionner sur l’idée qu’un être humain
peut être expulsé de l’humanité à tout moment…
L’interdiction n’a pas pour objet que cela ne se produise pas. L’interdiction a pour objet de rendre l’acte punissable. C’est la punition qui est dissuasive, pas l’interdiction. Donc la
société s’en fout de la victime.
Pas du tout. Mais un instrument ne peut poursuivre plusieurs buts à la fois. C’est la punition qui protège la victime, pas l’interdiction. Il y a dans le Code Penal un certain nombre
d’obligations et interdictions qui ne sont assorties d’aucune peine (eg. celle de l’article 40). Et on ne peut pas dire qu’elles soient très efficaces…
Punir n’est en fait que faire passer le coupable à la caisse ? Une telle société est pire que le coupable des faits. Celui qui ne voit pas d’inconvénient à passer 30 ans en prison peut
donc tuer ?
Bien sur. Je ne dis pas que ce soit bien ou mal. C’est un fait, c’est tout. Que se passerait-il à ton avis si demain on abrogéait toutes les peines prévues au Code Pénal ? A ton avis, quel serait
l’effet d’une telle mesure sur la criminalité ?
Croire que les hommes ne commettent pas de crimes parce qu’ils sont convaincus de la justesse de l’interdiction, c’est pousser l’idéalisme jusqu’au ridicule. Nous sommes tous convaincus de la
justesse de payer l’impôt, et il n’empêche que s’il y avait une manière de ne pas le payer sans risquer de punition, on ne le payerait pas. Il est vrai que la punition joue en général un rôle
marginal, parce qu’avec les siècles la plupart d’entre nous avons internalisé un certain nombre d’interdictions et ne concevons même pas l’idée de commettre certains crimes. La repression est là
pour traiter les cas – finalement relativement peu nombreux – où l’interdiction n’est pas internalisée. Mais sa fonction est essentielle.
Pourquoi organiser des procès ? on pourrait économiser toutes les dépenses de justice avec cette idée. Il suffirait de publier les tarifs. Un peu comme une carte de restaurant.
Si les criminels avaient le bon goût de se dénoncer et de passer à la caisse, certainement. Malheureusement, ce n’est pas le cas.
Tu sembles scandalisé par quelque chose qui est finalement très factuelle et très triviale. Pourquoi beaucoup de cambrioleurs ne portent pas d’arme sur eux ? Parce que dans le menu le prix du
cambriolage à main armée est très lourd, alors que le cambriolage simple est beaucoup moins cher. Et les petits jeunes que tu vois sauter les portillons du métro on fait le même calcul: il est
moins cher de payer l’amende de temps en temps plutôt que de payer le ticket ou la carte orange.
“Croyez vous vraiment que si demain on supprimait l’obligation de payer les impôts, les gens continueraient à donner leur argent volontairement ?” Je trouve que cette question n’a pas sa
place dans une réflexion sur le crime.
L’une des réactions typiques des classes moyennes: le délit fiscal semble avoir un statut particulier qui le sépare des autres délits…
C’est ignorer que “dans l’état de nature” les hommes se laissent guider par leur intérêt et que leur volonté n’a d’autre limite que les rapports de force.
L’horreur communiste dans toute sa splendeur. Rudolf Rocker le dit fort bien “le communisme c’est le capitalisme sans la liberté, c’est pire”. Il dit cela en 1938 !
En 2011 on peut encore être dans cette impasse ? oui et je crains que ce soit parce que le procès du communisme n’a jamais eu lieu. Peut-être à cause de la résistance ? peut-être aussi à cause de
mai68 ? Un peu des deux certainement. En tout cas, les actes condamnables commis sous le prétexte de cette pensée n’ont jamais été jugés.Alors condamnés, n’en parlons pas.
Attention , ce n’est pas la pensée qu’il faut condamner. Ce sont des actes. Toujours les actes, rien que les actes, dans une démocratie. Jamais les idées, pas mêmes les mauvaises intentions.
C’est la grandeur de la démocratie. Elle est bien trop mal protégée.
L’horreur communiste dans toute sa splendeur. Rudolf Rocker le dit fort bien “le communisme c’est le capitalisme sans la liberté, c’est pire”. Il dit cela en 1938 !
Vous pouvez faire de l’anticommunisme primaire si ça vous chante, mais votre commentaire n’a aucun rapport avec le mien. Le communisme tel qu’il existait en 1938 était beaucoup de choses, mais
certainement pas un “état de nature”. C’était au contraire une société hautement (certains diront “trop”) régulée, où les rapports de force avaient une place très secondaire.
En 2011 on peut encore être dans cette impasse ? oui et je crains que ce soit parce que le procès du communisme n’a jamais eu lieu. Peut-être à cause de la résistance ? peut-être aussi à
cause de mai68 ? Un peu des deux certainement. En tout cas, les actes condamnables commis sous le prétexte de cette pensée n’ont jamais été jugés.Alors condamnés, n’en parlons pas.
Je ne partage pas cette vision “judiciaire” de l’histoire. Et je constate par ailleurs que ceux qui demandent le “procès du communisme” demandent rarement que soient jugés les autres régimes que
l’histoire a vu se succéder. Pourquoi pas un “procès de la monarchie”, un “procés du capitalisme”, un “procès du libéralisme” et ainsi de suite ? S’il faut attribuer les millions de morts des
camps de travail soviétiques au “communisme”, il faudra aussi attribuer au capitalisme les millions d’ouvriers morts du fait de la sur-exploitation dans l’Angleterre dickensienne ? A ce petit
jeu, on finit par condamner tout le monde. Est-ce le but ?
L’Histoire ne s’écrit pas au tribunal. C’est le travail des historiens de confronter les textes, les documents, les témoignages, et de bâtir des théories qui permettent de replacer les faits dans
un contexte et de comprendre leurs tenants et leurs aboutissants. La transformation de l’histoire en tribunal impose de poser les problèmes en termes de “coupables” et “innocents” et développe un
manichéisme étouffant qui abolit toute possibilité de comprendre l’histoire.
C’est la grandeur de la démocratie.
Arrêtons d’idéaliser. La “démocratie” ne vaccine elle non plus contre les crimes. La guerre d’Irak, avec son cortège de morts, de torturés, est le résultat de la volonté démocratique du peuple
américain.
Vous pouvez faire de l’anticommunisme primaire si ça vous chante C’est de l’anti (communisme primaire) que je fais et non de l'(anticommunisme) primaire.
les rapports de force avaient une place très secondaire. Je reste coi.
Je ne partage pas cette vision “judiciaire” de l’histoire.Ce n’est pas judiciaire c’est une sorte de “procès” que dois faire la civilisation à la babarie.
Pourquoi pas un “procès de la monarchie” il a eu lieu. La monarchie est condamnée à n’être plus que dans l’histoire.
un “procés du capitalisme”, un “procès du libéralisme” Je suis confiant dans les capacités de l’humain. Ces procès viendront.
Est-ce le but ? Non, ce n’est qu’un moyen ou plus exactement un repère. Faire le “procès” dans notre esprit des exactions commises dans l’histoire peut être un
moyen d’avancer. Mais c’est surtout un repère qui nous prouve qu’on avance.
L’Histoire ne s’écrit pas au tribunal. C’est le travail des historiens J’ai coupé ta phrase dans laquelle tu décris bien le travail des historiens. Mais justement, ce n’est pas aux
historiens de juger et de condamner. C’est aux citoyens.
en termes de “coupables” et “innocents” Au niveau d’un procès la question serait plutôt entre “coupables” et “victimes”. Tous ceux qui ne sont pas victimes ne sont pas pour autant
coupables. Ils sont innocents. Je suis d’accord qu’on n’est jamais innocent à 100 pour 100. La culpabilité se décline en une palette continue, certainement. Par exemple celui qui dénonçait
l’application du communisme en URSS dans les années 30 est bien moins coupable que celui qui pensait que le bilan était globalement positif dans les années 70 !
La “démocratie” ne vaccine elle non plus contre les crimes. Mais bien entendu ! Ce sont des faits qu’on doit condamner. Je l’ai dit. Ce n’est pas l’idée communiste, capitaliste,
libérale, démocratique qu’il faut condamner. C’est ce qu’on a commis avec. Il y a un des états de l’Inde qui est communiste aujourd’hui encore. Je crois savoir que c’est un des plus justes et des
plus tolérants. Les monarchies scandinaves sont plus civilisées que notre république.
“les rapports de force avaient une place très secondaire”. Je reste coi.
Je pense, en effet, que c’est le plus sage.
Ce n’est pas judiciaire c’est une sorte de “procès” que dois faire la civilisation à la babarie.
Et laissez moi deviner… le porte parole de la “civilisation”, c’est vous ? Et si ce n’est pas le cas, pourriez vous m’indiquer qui serait le représentant de la “civilisation” en mesure
d’instruire un tel procès ?
Mais justement, ce n’est pas aux historiens de juger et de condamner. C’est aux citoyens.
Je ne vois pas l’utilité d’un tel “jugement”.
Au niveau d’un procès la question serait plutôt entre “coupables” et “victimes”.
Au niveau d’un procès, la victime n’est jamais la question. La victime est établie avant le début du procès. Un procès cherche à établir l’innocence ou la culpabilité de l’accusé, pas le
caractère de “victime”…
Par exemple celui qui dénonçait l’application du communisme en URSS dans les années 30 est bien moins coupable que celui qui pensait que le bilan était globalement positif dans
les années 70 !
Ah… dans ton étrange “procès”, on peut aussi être coupable par la pensée ? Parce que pour ton information, ceux qui “pensainet que le bilan était globalement positif” n’ont, à ma connaissance,
tué personne. Ton idée de “culpabilité” ouvre d’ailleurs une perspective effrayante: ceux qui n’avaient pas d’opinion parce qu’ils se désintéressaient de la question, sont ils plus ou moins
coupables que ceux qui trouvaient le bilan “positif” ?
Ce sont des faits qu’on doit condamner. Je l’ai dit. Ce n’est pas l’idée communiste, capitaliste, libérale, démocratique qu’il faut condamner. C’est ce qu’on a commis avec.
Cela s’étend-il au nazisme ?
Tu veux me prouver qu’on peut faire un enfer de n’importe quoi ? Ce n’est pas nécessaire, je le pense déjà. C’est pourquoi je prends de préférence en exemple les idées du
communisme qui partent d’un bon sentiment mais qui aboutissent à une catastrophe. Ce n’est pas la faute aux bons sentiments. C’est que certains s’emparent du raisonnement et le conduisent où
ils veulent parce qu’ils n’ont d’autre passion que la raison du plus fort. Je le dis depuis le début. On peut faire la même chose avec n’importe quoi d’autre que le communisme dans la
mesure où on arrive à coincer quelqu’un dans un périmètre déterminé. Ce n’est pas de l’anticommunisme que de prendre une belle et noble idée pour montrer où on aboutit quand les plus forts
imposent leur raison. Le nazisme a la particularité d’être le seul ou cette raison du plus fort est affichée d’entrée de jeu et donc est poussée au paroxysme. Etre le plus fort, dans ce cas,
ne peut pas être modérément parce qu’il n’y a personne mu par de bons sentiments. La cruauté y est donc érigée en idéal. C’est l’horreur dès le départ car tous ceux qui y participent
vont dans le même sens. Au contraire, dans les idées qui ont un bon fond, seuls ceux qui veulent dominer participent à la raison du plus fort et donc au dévoiement de l’idée de départ. Ce
qui explique aussi pourquoi il faut tant de temps pour que les “honnêtes gens” se rendent compte de l’arnaque. Je prends le procès comme une image. Je ne sais pas si on peut dire une allégorie.
Ce n’est pas que le tribunal soit pour moi le paradis sur Terre. Je l’imagine plus souvent comme un enfer dans lequel par des raisonnements de la raison du plus fort on peut aboutir à embrouiller
la réflexion des jurés et obtenir la libération d’un criminel et pire encore la condamnation d’un innocent. Et d’ailleurs c’est ce qui prouve que la seule voie pour échapper à cet
enfer est la démocratie parce qu’elle offre des possibilités de choix très importants (comme l’élection des hommes du pouvoir politique) anonymement. Celui qui a fait un choix dans l’isoloir n’a
ainsi pas de compte à rendre. Si on suit tes raisonnements de l’humain qui doit être contraint pour se comporter comme il faut, on devrait avoir un résultat le catastrophique à chaque
élection. Et bien c’est le contraire qui se produit quasiment tout le temps. C’est la modération qui l’emporte. C’est inexplicable pour les fanatiques de la raison du plus fort. J’espère que ça
durera longtemps.
Tu veux me prouver qu’on peut faire un enfer de n’importe quoi ?
Pas particulièrement. J’avoue que je ne vois pas trop le rapport avec la discussion.
C’est pourquoi je prends de préférence en exemple les idées du communisme qui partent d’un bon sentiment mais qui aboutissent à une catastrophe. Ce n’est pas la faute aux
bons sentiments. C’est que certains s’emparent du raisonnement et le conduisent où ils veulent parce qu’ils n’ont d’autre passion que la raison du plus fort.
Vous me rappelez cette formule d’Althusser que j’ai cité plusieurs fois: “le concept de chien ne mord pas”. Oui, les idées n’ont jamais tué personne. Mais elles n’ont pas non plus sauvé personne.
Tout ce qui a été réalisé, en bien ou en mal, est le fait d’hommes qui se sont “emparés d’un raisonnement” et l’ont “conduit où ils veulent”. Cela est vrai du capitalisme, du communisme, et de
tous les “ismes”.
Cela étant dit, les idées ne sont pas interchangeables, et il n’est pas forcément facile de les “conduire où l’on veut” lorsqu’on ce qu’on veut ne correspond pas à la logique de ces idées. On ne
peut donc pas innocenter les idées et rejeter toutes les fautes sur les hommes qui s’en sont saisis…
Ce n’est pas de l’anticommunisme que de prendre une belle et noble idée pour montrer où on aboutit quand les plus forts imposent leur raison.
Si je suis votre raisonnement, les “belles et nobles idées” ne servent à rien, puisque par définition les plus forts imposent toujours leur raison. Vous connaissez un seul exemple historique ou
ait prévalu la raison des plus faibles ?
Le nazisme a la particularité d’être le seul ou cette raison du plus fort est affichée d’entrée de jeu
C’est vrai. Tous les autres sont bien plus hypocrites…
Et d’ailleurs c’est ce qui prouve que la seule voie pour échapper à cet enfer est la démocratie parce qu’elle offre des possibilités de choix très importants (comme l’élection des hommes du
pouvoir politique) anonymement.
Bien sur… a condition bien entendu que les électeurs aient le bon goût d’élire des gens “acceptables” dans le cadre du rapport de forces. Parce que dans le cas contraire, on aménage la
démocratie jusqu’à obtenir le résultat souhaité. Vous croyez réellement qu’on peut batir un régime politique ou la raison du plus faible puisse triompher ?
Si on suit tes raisonnements de l’humain qui doit être contraint pour se comporter comme il faut, on devrait avoir un résultat le catastrophique à chaque élection.
Pourquoi ? La contrainte ne s’arrête pas à la porte de l’isoloir… croyez-vous que l’électeur ne réalise pas quelles pourraient être les conséquences si son vote allait contre le véritable
rapport de forces ?
Et bien c’est le contraire qui se produit quasiment tout le temps. C’est la modération qui l’emporte. C’est inexplicable pour les fanatiques de la raison du plus fort.
Au contraire: la “modération”, c’est exactement ce qui convient aux plus forts… la “modération”, c’est la garantie de la perpétuation du monde qu’ils ont façonné…
Pas particulièrement. J’avoue que je ne vois pas trop le rapport avec la discussion.
Tu me fais penser à un joueur d’échecs. Tu peux être très fort en logique et retenir un nombre très grand de combinaisons, il manquera toujours l’essentiel. Tu gagneras le plus souvent possible
et après ? quel intérêt ? Moi, j’essaie de jouer à la réussite collective.
C’est vrai. Tous les autres sont bien plus hypocrites… Vu de trop loin ou de trop près, on pourrait en effet le dire. Mais à une certaine distance on voit tout autrement : les autres
systèmes paraissent hypocrites parce que les individus qui y participent ne jouent pas tous au jeu du plus fort. Il suffirait que la majorité des gens qui sont des modérés (rien à voir avec la
politique) dans leur façon de percevoir leurs relations avec les autres,ne se laissent plus dominer par les quelques uns qui jouent au jeu du plus fort.
Vous croyez réellement qu’on peut batir un régime politique ou la raison du plus faible puisse triompher ? Il existe déjà, c’est la démocratie. Il fonctionne pas très bien, c’est ça le
problème. L’égalité de souveraineté des individus pour choisir le pouvoir politique, cest la raison du plus faible. Dans notre système social pyramidal, il y a beaucoup plus de monde vers la
base que vers la pointe et ce sont les plus faibles qui sont dans la base. Les plus nombreux sont les plus faibles et tous (faibles et forts) sont égaux pour décider. C’est la définition même de
la raison du plus faible.
Tu me fais penser à un joueur d’échecs.
Et toi à un noyeur de poissons. Si au lieu de répondre par des longues tirades creuses tu essayais de répondre avec des exemples et des arguments, l’échange serait nettement plus intéressant.
Il suffirait que la majorité des gens qui sont des modérés (rien à voir avec la politique) dans leur façon de percevoir leurs relations avec les autres,ne se laissent plus dominer
par les quelques uns qui jouent au jeu du plus fort.
Et pourquoi, à ton avis, ces “gens modérés” se laissent si facilement dominer par ces “quelques uns” ? Il doit bien y avoir une raison, non ?
“Vous croyez réellement qu’on peut batir un régime politique ou la raison du plus faible puisse triompher ?” Il existe déjà, c’est la démocratie.
Ah bon ? Ou ça ? Pourriez vous donner un exemple de cette miraculeuse “démocratie” ou triomphe la raison du plus faible ?
Dans notre système social pyramidal, il y a beaucoup plus de monde vers la base que vers la pointe et ce sont les plus faibles qui sont dans la base.
Et vous avez l’impression que dans notre démocratie ce sont ceux de la base qui font prévaloir leurs intérêts ? Vous me surprenez…