L’adieu à Michael Jackson: historique ou histérique ?

Quand on a dépassé les bornes, il n’y a plus de limites, disait le vieux Pompidou. Le spectacle d’adieux à Michael Jackson lui aura donné raison. A regarder ces images transmises dans le monde entier (et en particulier par TF1 et par France 2, merci le service public), il fallait se pincer pour se convaincre qu’on ne rêvait pas. Devant un cercueil doré du meilleur goût modèle “Vegas”, des stars du showbizz se sont succédées pour nous dépeindre un Jackson que nous ne connaissions pas: le bon père de famille, le grand artiste, le militant de la cause noire, la victime du système. Le tout dans un style sirupeux a vomir.

Pour ceux qui ont un peu de mémoire, ces scènes rappelaient furieusement l’hystérie qui a suivi la mort de Lady Di. Là aussi, on a vait eu droit à une réécriture du personnage sous ses traits les plus avenants, et à un gommage systématique des côtés les moins savoureux. La femme morte dans la voiture d’un playboy richissime après une soirée un peu trop arrosée est devenu le symbole de la vertu familiale et de la défense des pauvres et des démunis. La “princesse du peuple” dans les mots de Tony Blair. Ainsi va notre monde.

Car le Michael Jackson réel est bien loin de son image médiatique. En tant qu’artiste, ce fut un pur produit du star-system des années 1980, fabriqué à coups de clips. C’est ce qui explique que Jackson, qui était  bien meilleur comme danseur que comme chanteur, ait pourtant réussi à battre des records de vente de disques. Sans la vogue du clip, il serait probablement resté un chanteur de seconde zone. Mais surtout, en examinant rétrospectivement son oeuvre, on voit mal quels sont les morceaux inoubliables qu’il laisse derrière lui. Parler de lui comme du plus grand musicien du XXème siècle est très excessif. Il n’a ni le talent ni l’originalité des Beatles. Il a certes inventé un pas de danse, le célébre “moonwalk” (1), mais pas de quoi passer à l’histoire.

Aussi fantaisiste est la peinture de Michael Jackson comme en pilier de la famille américaine. Il eut au contraire une enfance difficile avec un père tyrannique, et l’histoire de ses deux mariages relève plus de la chronique psychiatrique que des pages familiales. Il a eu deux enfants d’une femme avec laquelle il n’a jamais cohabité, et n’a jamais eu de vie de famille à proprement parler. Que sa famille veuille aujourd’hui récupérer le pactole est compréhensible, dans ce monde ou tout se vend et tout s’achète. Mais on n’est pas obligé d’être complices de cet hold-up post mortem ou l’on nous ressert le coup de big mamma et big papa pleurant son fiston, tout en demandant la garde des enfants de Michael et les millions qui vont avec.

Plus fantaisiste encore, la peinture de Jackson en militant de la cause noire. Militant involontaire, certes, mais qui dans les mots de Michael Jordan, a beaucoup fait pour la dignité des afro-américains. C’est prendre quelques libertés avec les faits. D’abord, Jackson n’a jamais revendiqué son appartenance à la minorité noire. Au contraire, il détestait tout ce qui dans son visage pouvait rappeler ses origines, et fit tout ce qui était en son pouvoir pour l’effacer: il abusa de la chirurgie esthétique et des traitements pour décolorer sa peau au point de transformer son visage en un masque monstrueux. Mais surtout, dans ses chansons Jackson prend une position clairement contraire aux militants de la “cause noire” (2) américains.

Michael Jackson est une figure tragique. Un enfant qui se détestait lui même au point de vouloir rendre son visage méconnaissable. Mais surtout, et c’est là que Jackson rentre en résonance avec un élément très profond de la psyché anglo-saxonne que les américains ont largement exporté, il était un enfant qui ne voulait pas grandir. Comme Lady Di, comme Marilyn Monroe avant elle, comme Judy Garland avant eux, Michael Jackson est un personnage qui associe une image sexuelle adulte avec un comportement infantile. Ils ont la toute-puissance de l’enfant (les caprices, les changements d’humeur, l’exigence de la jouissance immédiate) tout en refusant les responsabilités. Et c’est pour cette raison que ces personnages nous apparaissent comme victimes. S’ils assumaient leur caractère d’adultes, alors nous les percevrions comme des êtres libres et responsables de leurs actes. Mais comme ce sont des enfants, ils n’ont aucun contrôle sur ce qui leur arrive, et ne peuvent donc être responsables. Tout ce qui leur arrive est la faute du “système”.

La quasi-divinisation de personnages comme Lady Di ou Michael Jackson nous dit beaucoup sur l’infantilisation croissante de notre société. Hier, l’instrument privilégié pour résoudre les problèmes sociaux était la lutte politique. De plus en plus, il se trouve remplacée par le recours judiciaire. L’association des victimes de tel ou tel désastre remplace de plus en plus le parti politique. Cette dérive a un sens: de plus en plus, nous nous voyons en victimes impuissantes (et donc irresponsables) de notre environnement, au lieu de nous concevoir comme acteurs capables de modifier le monde qui nous entoure et obligés donc d’assumer nos responsabilités. Cette société infantilisée ne peut que se reconnaître en Lady Di, la princesse qui ne comprit jamais que son statut entraînait des devoirs bien plus lourds que de porter de belles robes (3), ou en Michael Jackson, le chanteur qui ne voulait pas grandir. L’hystérie qui a entouré ces deux décès, la soigneuse réécriture de l’histoire pour faire de ces personnages des saints nous dit à quel point cette infantilisation est profonde (4).

Repose en paix, Michael Jackson. Tu n’as pas mérité tout ça.

Descartes

(1) Un pas de danse qui, ironie de l’histoire, consiste pour le danseur à donner l’impression d’avancer alors qu’en fait il recule. Faut-il voir une allégorie ?

(2) Ainsi, dans “Black and White”, il écrit: “Ca n’a pas d’importance/si vous êtes noir ou blanc”

(3) A ce titre, il faut absolument voir ou revoir le film “The Queen”, de Stephen Frears. On trouve dans ce film une réflexion brillante sur l’hystérie médiatique et sur la responsabilité qui va avec le pouvoir.

(4) Une mention spéciale au service public de l’audiovisuel en général et à David Pujadas en particulier, qui ont prêté leurs antennes pour le premier et sa gueule pour  le second afin de participer à la campagne de décerebration de la population française. On croyait naïvement que le rôle du service public était de nous informer, au lieu de quoi on a eu droit à la sorte de panégyrique qu’on croyait réservé à  Kim-Il-Sung. Les invités de l’émission étaient particulièrement gratinés: à les entendre, on était en train d’enterrer le Phare de la Pensée Universelle et Le Plus Grand Artiste De Tous Les Temps. Le ridicule ne tue plus. Dommage.

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