Qu’est ce qu’on attend ?

Depuis quelques années déjà, la rhétorique de la gauche de la gauche se conjugue sur le mode interrogatif. Et ces interrogations sont de deux sortes: D’un côté, on trouve ceux qui se morfondent d’attendre. Leurs interpellations sont du genre “Qu’est-ce qu’on attend pour…” au choix “faire la fête”, “organiser la grève générale”, “changer nos comportements”, “faire la révolution”, etc. De l’autre côté, on retrouve les rêveurs. Eux, ce serait plutôt “Et si… ?” ou “Pourquoi ne pas…” suivie là aussi des prédicats les plus variés (1).

Dans les deux cas, cette utilisation systématique de l’interrogation devrait… nous interroger. Il y a d’abord dans cette fausse interrogation une technique publicitaire. D’abord, il faut comprendre que ces questions sont purement rhétoriques. Personne ne s’attend à ce qu’elles reçoivent une véritable réponse. En fait, ces questions servent à déguiser une prise de position, somme toute discutable, pour qu’elle paraisse comme une évidence. Lorsqu’un dirigeant demande dans un meeting du PCF “Pourquoi ne pas taxer les patrons pour pouvoir augmenter les salaires”, ce qu’il est en train de dire en fait est “Il faut taxer les patrons pour pouvoir augmenter les salaires”. Mais le “il faut”, qui exprimerait  une prise de position somme toute débatable et contestable, se trouve noyé sous la forme d’un “pourquoi” qui fait croire que la réponse est évidente et qu’il ne peut y avoir qu’une.

Ce que l’utilisation de la forme interrogative trahit, en fait, c’est l’horreur qu’on éprouve à gauche à l’idée de devoir prendre une position tranchée, prescriptive, et de l’assumer comme telle. Tous les “trucs” mis en place ces dernières années, depuis la “démocratie participative” – qui consiste en général pour l’homme ou la femme politique à écouter poliment les gens s’exprimer pour ensuite conclure dans un sens prédétermine – jusqu’à la rhétorique interrogative qui envahit toute la réflexion de la gauche en général et du PCF en particulier, pointent dans cette même direction. On est passés d’une conception du politique-berger (qui prend des positions politiques dictées par sa raison et son expérience et cherche à les faire partager) au politique-brebis (qui ne prend pas une position personnelle mais qui fait la “synthèse” de ce que pense le troupeau). “Je suis leur leader, je dois les suivre” semble être le mot d’ordre du jour.

Il y a un deuxième aspect à cette habitude langagière, et c’est le fait qu’en transformant une question légitime en questions purement rhétorique, on réduit à néant le débat. La question “qu’est-ce qu’on attend pour s’organiser ?” devrait pouvoir ouvrir une analyse sur les raisons qui font que les gens ne s’organisent pas, et non pas se transformer en un appel déguisé à s’organiser. Car les gens qui posent ces questions oublient souvent que si “un autres monde est  possible”, il n’y a qu’un monde qui soit “réel”. Et si les autres mondes en question restent une “possibilité” jamais traduite en fait, il doit bien y avoir des raisons. En d’autres termes, que chercher à comprendre ce qui est fait partie nécessairement du processus de changement. La politique interrogative devient essentiellement une politique incantatoire, qui ayant renoncé à opérer sur la réalité – comme le montrent des slogans style “rêve générale” – occupe le champs du “pourquoi pas” ?

Descartes

(1) Les exemples de cette rhétorique sont innombrables. Il suffit de parcourir les sites de discussion politique sur le réseau ou ceux des partis politiques. Ainsi, sur le site Bellaciao, on trouve l’article intitulé “L’avenir du travail: qu’est-ce qu’on attend pour se décider”, sur celui du NPA “Pourquoi ne pas encourager, partout, de vraies revendications chiffrées, comme les 200 ou 300 euros ?”, sur celui du PCF “Et si on refaisait de la politique ?”

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