Ceux qui dénoncent ce genre de réunion comme une tentative de recomposition vers le centre se trompent. Cette réunion est un épiphénomène, un symptôme d’un mal beaucoup plus profond. Les Peillon, Hue, Cohn-Bendit et de Sarnez, auxquels on peut ajouter les Montebourg et ceux qui avec lui proposent des primaires ouvertes a gauche se trompent en prétendant soigner le symptôme et non pas la maladie elle même. Si la gauche est atomisée, ce n’est pas parce qu’il lui manque des “personnalités courageuses” prêtes à tailleur une bavette ensemble, mais parce qu’il lui manque ce qui fait le ciment de toute organisation politique, à savoir, une idéologie commune. Et seule une idéologie peut faire passer les intérêts personnels des uns et des autres au second plan, en appelant au sacrifice de ceux-ci au nom d’un “intérêt supérieur” (celui du Peuple, de la Patrie, du Socialisme, du Parti… à vous de choisir). Mais lorsqu’une telle vision “transcendante” – au sens qu’elle va au delà des individus – n’existe pas, rien ne vient alors contrarie les instincts de compétition et de carriérisme qui sommeillent chez chacun de nous…
L’ennui, c’est que l’idéologie commune de la gauche a explosé avec l’effacement de sont acteur central, la classe ouvrière, et sous le poids des expériences de la gauche au pouvoir. Trois fois la gauche a gagné une élection qui la mettait en état de gouverner: la première (1981) vit le tournant de la rigueur et la totale hégémonie du PS qui affichait ouvertement son mépris pour le reste de la gauche; la seconde (1988) vit la conversion au neolibéralisme, avec le traité de Maastricht, les privatisations et la “réconciliation des français avec l’entreprise”; la troisième enfin (1997) vit le gouvernement de la “gauche plurielle” renier ses engagements, continuer les privatisations et la politique néolibérale de la droite. A chaque fois, la gauche promettait de “changer la vie” avant l’élection, et se repliait sur les bonnes vieilles recettes de droite après. A chaque fois, le PS une fois élection gagnée malmenait et méprisait ses alliés (2). Quelle crédibilité peuvent alors avoir les appels à un “rassemblement” aujourd’hui, pour ceux qui se souviennent ce que sont devenus les “rassemblements” d’hier ?
C’est pourquoi le seul élément d’unité de la gauche aujourd’hui, la haine de Sarkozy, est inopérant à la rassembler. Pourquoi chercher à battre Sarkozy alors qu’on a rien à mettre à sa place ? Quelqu’un croit vraiment que si Ségolène (ou Strauss-Kahn, ou Valls, ou Peillon, ou qui vous voulez à gauche) s’était installée à l’Elysée, la politique suivie – je ne parle pas de symboles, je parle de politique – aurait été fondamentalement différente ? Il faut vraiment être très naïf pour le croire: lorsqu’on arrive au pouvoir sans avoir les idées claires, sans une ligne directrice ferme, on finit par faire la politique de celui qui parle plus fort. Et celui qui parle plus fort, c’est toujours le propriétaire du haut-parleur.
“Unité” et “rassemblement” sont de jolis mots, mais encore faut-il avoir quelque chose sur quoi se rassembler. A quoi pourrait ressembler un projet politique capable d’attirer les électeurs du Modem et ceux du PCF ? Ceux d’Europe-Ecologie et ceux du NPA ? Croit-on vraiment qu’on peut aujourd’hui “rassembler” la gauche sur un projet commun ? Bien sur que non, et la meilleure preuve, c’est qu’on déplace le débat de la question du projet vers la question des alliances. L’important n’est pas “pour quoi faire” mais “avec qui”. Cohn-Bendit a, pour une fois, très bien posé la question en se référant aux alliances avec le centre: “que préférez vous, avoir raison, ou être majoritaires ?”. La question est révélatrice, et cela pour deux raisons: d’une part, parce qu’elle nous montre que le leader d’Europe-Ecologie a bien compris qu’on ne peut pas “avoir raison et être majoritaire”; c’est l’un ou l’autre. Et d’autre part, parce qu’elle pose le vrai dilemme entre le débat politique traditionnel qui cherche à convaincre et le rassemblement de “personnalités” sur un certain nombre de “valeurs” aussi vagues que possible: “l’écologie”, “la VIème République” (pourquoi pas la VIIème tout de suite, comme ça on gagne du temps), le “socialisme” (qui ne fait plus peur à personne, puisqu’il n’a plus aucun contenu) qui seul peut apporter la victoire.
La proposition de Cohn-Bendit semble au premier abord séduisante. Mais en fait, elle ne conduit nulle part. Le “rassemblement” tant recherché ne peut que s’effondrer sous le poids de ses contradictions. Gramsci a vu juste: la victoire politique est dialectiquement liée à une hégémonie idéologique. Si les droites ont pu dans les dernières vingt années dans toute l’Europe pousser dehors la social-démocratie, elles ne le doivent pas à leur capacité de “rassemblement” ou a leurs merveilleuses tactiques. Elles le doivent surtout à l’hégémonie conquise par l’idéologie libérale. Croire qu’on peut reconstruire la gauche à partir d’une pure réflexion tactique, sans se demander ce que pourrait être une idéologie de gauche aujourd’hui, c’est mettre la charrue alors qu’on n’a pas de boeufs.
Bien sûr, une idéologie, cela ne se construit pas en claquant des doigts… Mais je laisse cette question pour une prochaine chronique.
Descartes
(1) C’est Peillon qui le dit sur son blog: (http://peillon.typepad.fr/index/2009/08/du-modem-au-pcf-peillon-met-en-chantier-un-rassemblement-%C3%A9cologique-socialiste-et-d%C3%A9mocratique-afp.html#more). On tremble
(2) Ce qui a fini par coûter cher à Jospin en 2002. La manière cavalière dont les socialistes ont traité leurs alliés chevenementistes et radicaux de gauche a été instrumentale dans la défaite de Jospin au premier tour.