Crise de l’euro: C’est l’histoire d’un trou…

“J’suis le poinçonneur des lilas… ” (S. Gaisnbourg)

 

 

A trente ans de distance, les adversaires du traité de Maastricht peuvent avoir au moins la satisfaction des sorciers dont les prédictions commencent à se réaliser. La situation critique des finances grecques et les palinodies bruxelloises pour “sauver la Grèce” montrent à quel point l’édifice bâti en 1992, au zénith de l’illusion europhile, repose sur des fondations fragiles.

 

Entendons nous bien: C’est l’éclatement de l’immense bulle financière qui a provoqué la crise. Pas l’Euro. Mais le système monétaire européen organisé autour de la monnaie unique démontre son incapacité à résister aux crises. Il est d’ailleurs révélateur de constater qu’alors que la crise est mondiale, seules la Grèce, le Portugal et l’Irlande sont au bord du “défaut” et n’ont été sauvés que par des dizaines de milliards de “plans de sauvetage”. Même l’Islande, dont les finances ont été mises à rude épreuve, s’en sort toute seule sans avoir à restructurer sa dette. Le fait que trois pays européens, aux traditions économiques et politiques assez différents par ailleurs, soient au bord du défaut de payement alors qu’aucun des membres de l’UE hors zone euro n’est dans cette situation devrait déjà être un sujet d’interrogation. Pire: le reste du monde semble naviguer en pleine tempête sans trop de difficultés, et sans avoir besoin de plans d’austérité draconiens ou de faire défaut sur sa dette souveraine. Décidément, quelque chose est pourri au royaume de l’Euro.

 

Mais pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut bien comprendre comment fonctionnent les “bulles”, et quel est l’effet de leur éclatement. Et c’est là où il nous faut parler du trou.

 

 

Comment se creusent les les trous

 

Pour montrer comment fonctionnent les “bulles”, prenons un petit exemple, tiré d’un vieux conte juif. Dans une rue de Cracovie, vivaient plusieurs joailliers qui s’échangeaient de temps en temps des objets. Et un jour, Isaac amène un magnifique collier qu’il met dans sa vitrine, avec une mise à prix de 5000€. Mais Jacob, son voisin, trouve qu’il vaut plus que cela. Il achète donc à Isaac le collier pour 5000€ en pensant le remettre en vente à sa vitrine pour 7000€. Mais pendant la nuit, Isaac se dit: “si Jacob m’a acheté le collier pour 5000€, c’est qu’il vaut certainement plus”. Dès l’aube, il va voir Jacob et après quelques négociations rachète le collier pour 6500 €. Jacob raconte quelques heures plus tard l’histoire à son ami Moïse. Et Moïse se dit: si Isaac était aussi pressé de le racheter, c’est que le collier doit valoir encore plus. Il se précipite donc chez Isaac et rachète le collier pour 10.000 €. Et le processus se répète des dizaines de fois. Le collier circule de main en main parmi les joailliers de Cracovie, et chaque fois à un prix plus haut. C’est ce qu’on appelle le gonflement d’une “bulle” spéculative.

 

Et un jour David, un joaillier bien connu, arrive de Varsovie. Et lorsqu’on lui raconte que le collier en question vient d’être vendu pour 100.000 €, il éclate de rire. Il raconte qu’il peut trouver des colliers de la même facture pour 5000€ tout au plus… et c’est la panique. Car celui qui à ce moment-là possède le collier découvre qu’il a en main un objet qu’il a acheté pour 100.000 € et que personne n’est prêt à lui racheter pour un vingtième de cette valeur… il se retrouve donc avec un trou dans ses comptes. C’est l’éclatement de la “bulle”…

 

Cette petite anecdote met en évidence un biais psychologique qui fait que les marchés “purs et parfaits” tels que les rêvent les libéraux n’existent pas. Les opérateurs de marché sont “moutonniers”, c’est à dire, ils tendent à suivre les mêmes mouvements. Dès lors que les autres se ruent sur un bien (qui peut être un collier, une action, de l’or…), c’est que ce bien en vaut la peine. Ce qui fait que plus de gens encore se ruent sur elle, et que son prix augmente, justifiant à postériori le comportement. Mais au bout d’un moment, personne ne sait plus exactement ce que vaut vraiment le bien en question, même si tout le monde est convaincu que quelque soit le prix auquel il l’achètera, il se trouvera toujours quelqu’un pour le racheter encore plus cher. Le processus ne crée pas de la richesse, mais donne à celui qui possède le bien en question à un instant donné l’illusion qu’il est plus riche qu’il ne l’est vraiment.

 

Mais le mouvement peut s’inverser brusquement. Qu’il apparaisse un élément qui fait douter de la valeur du bien en question, et le processus inverse se produit: personne ne voudra plus l’acheter, ce qui fera chuter son prix… justifiant là encore a posteriori le comportement des opérateurs. Et c’est l’effondrement: les détenteurs du bien en question se trouvent tout à coup avoir payé avec du bon argent quelque chose qui n’a plus aucune valeur.

 

Les années 2000 ont été témoins d’une énorme bulle financière. Pourquoi ? Parce que la dérégulation financière a déconnecté la prix des titres de la valeur des biens réels (machines, usines, terrains) sous-jacents, en faisant surgir des produits complexes dont même les opérateurs ne comprenaient bien le fonctionnement. Mais aussi parce que l’argent n’était pas cher: avec des taux d’intérêts faibles, il est rentable d’emprunter pour acheter des titres, même si ceux-ci rapportent peu. Mais ces achats font monter ces titres, donnant l’illusion qu’ils valent bien plus qu’ils ne valent en réalité. Cette bulle financière a été accompagnée par une bulle immobilière elle aussi énorme, alimentée par les crédits faciles (prêts “subprimes”) qui, comme dans l’histoire du collier, ne pouvaient être remboursés qu’en pariant sur l’augmentation continue du prix des maisons. C’est l’éclatement de ces deux bulles qui a creusé l’énorme trou que nous avons devant nous.

 

Comment se déplacent les trous

 

Lorsque la “bulle” éclate, quelqu’un se trouve avec un trou. Dans notre histoire du collier, imaginons que Jacob se trouve avec le collier qu’il a acheté 100.000€ lorsque la bulle explose. Pour l’acheter à ce prix, il a souscrit auprès de son banquier un prêt qu’il comptait rembourser le jour suivant lorsqu’il aurait vendu le collier pour 110.000 €. Mais voilà, le jour suivant , personne ne veut plus du collier à ce prix, et il faut rembourser le prêt. Jacob n’a pas le sou, il annonce à son banquier qu’il se déclare en faillite. Le collier est vendu pour 5000€ (son “vrai” prix)… et le banquier se trouve avec un “trou” de 95.000 €. Le trou de Jacob s’est donc déplacé pour devenir le trou du banquier.

 

Mais le banquier n’a pas prêté son argent: il prête par définition l’argent de ses déposant. Et lorsque ceux-ci entendent parler de la faillite de Jacob, ils s’inquiètent: est-ce que l’argent qu’ils ont déposé chez le banquier est toujours là ? Ils vont donc voir le banquier, et ils demandent à retirer leur argent. Et là, il y a plusieurs possibilités:

 

1) Ou bien le banquier peut dire “je ne peux pas payer”, il se déclare lui même en faillite et ce sont les déposants qui se retrouvent chacun avec une portion du “trou”. C’est ce qui s’est passé durant la crise de 1929, lorsque les gouvernements ont refusé de soutenir les banques.

 

2) Ou bien le banquier trouve quelqu’un d’autre pour lui prêter de l’argent de manière à pouvoir faire face à ses obligations. Mais cela veut dire que c’est ce “quelqu’un d’autre” qui assume une partie du “trou” en accordant un prêt dont il ne sait pas s’il sera remboursé un jour. C’est ce que les gouvernements ont choisi de faire une fois que la faillite de Lehman Brothers les a mis au pied du mur. C’est donc les états qui se sont trouvés avec le “trou” entre leurs mains.

 

Etais-ce la bonne chose à faire ? Je le pense. Une certaine gauche a beau vociférer contre “les cadeaux faits aux banques”, elle ne répond pas lorsqu’on demande quelles auraient pu être les alternatives. Une fois le “trou” créé, il faut le combler, et la seule question qui se pose est comment partager l’effort. Laisser les banques faire faillite n’aurait eu pour effet que de partager le “trou” entre les déposants d’une manière incontrôlée, en créant en plus une méfiance durable envers le système bancaire. On a vu ce que cela a donné en 1929. En fait, on a choisi la moins mauvaise des solutions: déplacer le “trou” privé vers l’Etat, ce qui donne ensuite à celui-ci la possibilité de le partager entre les différentes catégories de contribuables. C’est pourquoi la question vitale aujourd’hui est celle du partage du trou.

 

Il faut d’ailleurs noter qu’un défaut de la Grèce reviendrait encore à déplacer le “trou”. En cas de défaut, l’Etat grec effacerait ses dettes et ce sont les détenteurs de titres de dette grecs, en première instance, les banques, qui se retrouveraient avec un “trou” dans leurs comptes… et qu’il faudrait peut-être renflouer aux frais des Etats, déplaçant encore une fois le “trou”.

 

Trou rencontre trou pour faire beaucoup de petites crises…

 

Tous les trous ne sont pas spéculatifs. Il existe aussi des trous à creusement lent, qui ont pour origine les déséquilibres dans les finances publiques et privées d’un pays donné. Imaginons un pays dont la population consomme plus qu’elle ne produit. Il est évident que ce pays aura à un moment où un autre un problème: une telle situation ne peut se maintenir que si le pays achète plus qu’il ne vend, ce qui suppose un flux sortant de monnaie. Et que se passe-t-il quand la monnaie s’épuise ? Et bien, il faut emprunter. Et cela creuse un trou…

 

Ces choses-là arrivaient bien entendu avant la monnaie unique. Mais lorsque chaque pays avant sa propre monnaie, il y avait des mécanismes qui empêchent ces trous de devenir trop béants. En effet, un pays qui importe plus qu’il n’exporte a besoin de se procurer des devises sur le marché des changes, puisque les devises que procurent les exportations ne sont pas suffisantes pour payer ses importations. Or, pour acheter des devises il a besoin de vendre sa propre monnaie, ce qui fait baisser sa valeur. Cette baisse renchérit les importations (et tend donc à les faire diminuer) et rend plus compétitives les exportations (ce qui tend à les faire augmenter). Et en fin de compte, on tend vers un équilibre qui évite que le trou ne devienne béant.

 

La monnaie unique a eu pour effet de supprimer ces “stabilisateurs automatiques”. Un pays peut durablement “vivre au dessus de ses moyens” (c’est à dire, consommer plus qu’il ne produit) sans aucun effet négatif… sauf le creusement d’un trou que personne ne voit jusqu’à ce qu’un choc extérieur vienne  perturber le bel équilibre.

 

Et le même phénomène concerne les finances publiques: dans le temps, un Etat dont le déficit était excessif voyait sa cote se dégrader lentement, et cette dégradation agissait comme une sonette d’alarme. Mais du fait de l’Euro, les prêteurs ont longtemps eu l’illusion que prêter à la Grèce c’était comme prêter à l’Allemagne, illusion maintenue par le discours politique europhile qui prétendait que l’Union Européenne étant une seule et même nation, l’Allemagne se précipiterait fraternellement au secours de l’économie grecque en cas de malheur. On voit qu’il n’en est rien: l’Allemagne ne veut pas payer. Et elle a raison: pourquoi devrait-elle assumer les choix de politique économique des autres ?

 

La brutalité de la crise grecque vient justement de ces illusions. Pendant dix ans le gouvernement et les consommateurs grecs (mais aussi portugais ou irlandais) ont vécu l’illusion que leur économie était, grâce à l’UE, devenue brusquement aussi productive que celle de l’Allemagne ou de la France. Portés par cette illusion, ils ont creusé doucement un trou chaque jour plus profond. Et un jour, avec l’implosion de la bulle financière, l’Etat grec a été obligé d’assumer le “trou” bancaire que j’ai décrit plus haut. L’addition des deux trous à crée un abîme qu’il est impossible, même pour les plus illusionnés, de ne pas voir. La Grèce se retrouve donc avec un énorme trou, et peu de ressources pour le combler. L’idée allemande qu’il suffirait de mettre les grecs au pain et à l’eau pour que le trou soit comblé tient plus de l’idée protestante de rédemption par la souffrance que d’une véritable analyse économique. La réalité est que la Grèce ne pourra pas combler le trou toute seule. Elle sera obligée de le refiler à quelqu’un d’autre, par exemple au moyen d’un défaut plus ou moins assumé.

 

 

Comment on comble le trou

 

D’abord, pour combler le trou il faut l’empêcher de continuer à se creuser. Et donc de réduire les déficits des balances extérieures et des comptes publics en réduisant les dépenses et en augmentant les recettes. Avant l’Euro, c’était possible: lorsque le pays était en difficulté, la monnaie se dévaluait naturellement, et cette dévaluation réduisait le prix des biens locaux et augmentait celui des biens importés. Ce qui par contrecoup réduisait les importations et relançait les exportations, fournissant des ressources saines pour combler les trous. Mais avec l’Euro, ceci est devenu impossible, puisque la parité de la monnaie est fixe. La seule manière d’obtenir un effet équivalent est de provoquer une déflation simultanée des prix et des salaires (cela revient exactement à une dévaluation). Mais une telle déflation est extrêmement difficile à réussir sans instaurer un contrôle des prix. Car autrement les salaires baissent alors que les prix restent constants, et on provoque une crise sociale… ce qui est exactement ce qui arrive aujourd’hui. Et il ne semble pas que l’UE soit prête à admettre un contrôle des prix qui mettrait fin à la “concurrence libre et non faussée”…

 

Un autre instrument pour combler les trous, c’est l’inflation. En faisant tourner la planche à billets, l’Etat récupère de quoi payer les créanciers. Mais comme rien ne se crée et rien ne se perd, cette richesse doit sortir de quelque part. Et cela sort en fait de la poche des détenteurs de monnaie: chaque fois que l’Etat ajoute 10% à la masse monétaire, il y a 10% de plus en circulation pour acheter la même quantité de biens réels. Cela provoque une augmentation des prix (puisqu’il y a plus d’argent pour acheter) ce qui réduit la valeur de la monnaie que vous avez dans la poche. L’inflation monétaire est donc un impôt sur ceux qui détiennent de la monnaie. Un impôt “doux”, difficile à frauder, et finalement assez juste socialement. Seulement voilà: avec l’Euro, le gouvernement grec a perdu cette capacité à prélever l’impôt inflationnaire. Il ne peut donc pas partager de manière “douce” l’effort de comblement du trou. Dans ces conditions, le défaut est pratiquement inévitable.

 

Descartes

 

 

 

 

 

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20 réponses à Crise de l’euro: C’est l’histoire d’un trou…

  1. argeles39 dit :

    C’est une très bonne analyse que tu nous fais partager.
    La Grèce a toujours été un pays pauvre, je crois que les Grecques ont eu tendance à l’oublier avec toutes les tétines Européennes qu’ils ont eues.
    Pour ne rien arranger, les Grecques ont eu une politique fiscale qui n’est pas exempte de reproches (doux euphémisme).
    Je crois que tu aurais pu aussi rajouter l’Espagne dans ta liste des états en fâcheuse posture (En Espagne c’est corruption et dettes à tous les niveaux; et les niveaux de pouvoir et décision ce
    n’est pas ce qui manque dans ce pays…).
    L’union monétaire avec des pays aussi différents, à tous les niveaux, que la Grèce et l’Allemagne ça ne peut pas marcher, c’est une évidence ; ça l’était déjà en 1992 lors du traité de
    Maastricht.
    Pour que l’Europe puisse fonctionner il aurait fallu, à mon humble avis, qu’elle soit plus fédérale, avec un seul ministre des finances et une seule gouvernance (ce dont personne ne veut, hormis
    quelques libéraux style Attali).
    Maintenant tu poses la bonne question, qui va combler le trou ?
    Je crois qu’il n’y a pas 36 solutions, c’est soit les créanciers (fonds de pensions, fonds d’investissement, banques, tenants du capital……) soit les peuples (coupes claires dans la protection
    sociale, les services public, baisse des salaires et des retraites, augmentation des impôts…..), ou bien un peu tout le monde (il a des gens modestes qui sont peut-être aussi un peu créanciers via
    leurs assurances vie et autres plans de pensions…….).

    • Descartes dit :

      La Grèce a toujours été un pays pauvre, je crois que les Grecques ont eu tendance à l’oublier avec toutes les tétines Européennes qu’ils ont eues. Pour ne rien arranger, les Grecques ont eu
      une politique fiscale qui n’est pas exempte de reproches (doux euphémisme).

      En effet. Je crois qu’il y a une tendance dans la “gauche radicale” a vouloir décrire le monde en termes de “victimes vs. bourreaux”. Aujourd’hui, la “victime” serait le peuple grec. Je pense que
      cette vision moralisante ne permet pas de comprendre le monde qui nous entoure. Il n’y a pas de “grande conspiration contre la Grèce”. Il y a eu des politiques mises en oeuvre qui ont sacrifié
      l’avenir au présent: les grecs (mais aussi les espagnols, les irlandais, les islandais, les portugais…) ont fait la fête pendant dix ans sans se poser des questions sur le montant de l’addition
      et sur qui allait la payer. Ces politiques ont bénéficié d’un consensus total, que ce soit dans la classe politique ou dans l’électorat. Maintenant, il est trop facile de crier “on nous a menti”.
      La vérité, c’est qu’on n’a pas voulu voir, et cela malgré les voix insistants qui se sont élevées lors du débat sur Maastricht, qu’on métait un place un système qui allait creuser des “trous”
      qu’il faudrait un jour ou l’autre combler.

      L’union monétaire avec des pays aussi différents, à tous les niveaux, que la Grèce et l’Allemagne ça ne peut pas marcher, c’est une évidence ; ça l’était déjà en 1992 lors du traité de
      Maastricht.

      Exactement. Les technocrates bruxellois ont conçu un système qui ne peut marcher qu’à condition que tout le monde fasse preuve spontanément de discipline budgétaire, fiscale et économique
      impossible à gérer politiquement.

      Pour que l’Europe puisse fonctionner il aurait fallu, à mon humble avis, qu’elle soit plus fédérale, avec un seul ministre des finances et une seule gouvernance (ce dont personne ne veut,
      hormis quelques libéraux style Attali).

      Je suis en total désaccord avec cette idée. Ce n’est pas parce qu’il y aurait “un seul ministre des finances” que cela changerait quelque chose a des déséquilibres qui sont fondamentaux, inscrits
      dans la structure économique de chaque pays. Prend le cas d’un pays quelconque: tu trouves toujours des régions riches et des régions pauvres, des régions qui sont hautement productives et
      d’autres qui ne le sont pas. Le système marche parce qu’à l’intérieur d’une nation il existe une solidarité inconditionnelle: les parisiens acceptent sans réchigner de payer un peu pour la Corse
      ou pour l’Auvergne. Si une telle solidarité existait en Europe, il n’y aurait pas de problème. Mais il est clair que ce n’est pas le cas: les contribuables allemands ne sont pas prêts à payer
      pour la faible productivité grecque. A partir de là, qu’il y ait un ministre des finances où qu’il y ait vingt-sept, cela ne change pas grande chose.

      Il faut arrêter de croire que les problèmes de l’UE sont solubles purement en changeant le fonctionnement des institutions. Le fait est que l’UE n’est pas une Nation, simplement parce que les
      citoyens européens ne se considèrent pas comme les membres d’une même nation, liés par des liens de solidarité inconditionnelle. C’est un fait historique. Et aucune institution ne peut changer
      cela.

      Je crois qu’il n’y a pas 36 solutions, c’est soit les créanciers (fonds de pensions, fonds d’investissement, banques, tenants du capital……) soit les peuples (coupes claires dans la protection
      sociale, les services public, baisse des salaires et des retraites, augmentation des impôts…..), ou bien un peu tout le monde (il a des gens modestes qui sont peut-être aussi un peu créanciers
      via leurs assurances vie et autres plans de pensions…….).

      C’est bien là qu’est le problème, et les schémas simplistes d’une certaine “gauche radicale” ont trop tendance à l’oublier: quand on parle des “créanciers”, on parle aussi un peu des “gens
      modestes”, parce que c’est leur argent, le tien, le mien, que les banquiers investissent pour acheter des bons du trésor grec.

      La justice veut que le trou grec soit d’abord comblé par les grecs. Après tout, ce sont eux qui ont profité de la fête, il est juste qu’ils payent l’addition. Encore faut-il qu’ils aient les
      moyens. Et pour qu’ils aient les moyens, il faut éviter des mesures (comme celles mises en oeuvre aujourd’hui) qui ont un effet récessif. Pour que la Grèce rembourse, il faut que son économie se
      développe, et elle ne se développera pas si l’on coupe l’investissement, l’éduction, les services publics et les infrastructures. Il faut donc un système de coupes ciblées et d’aides ciblées pour
      remettre l’économie grecque sur un pied productif.

    • Descartes dit :

      Oui. C’est une excellente analyse dont je partage 100% les conclusions. Mais cette analyse étant posé, il faut se demander ce qu’on peut faire. Faut-il quiter le bateau avant qu’il coule ? Ou
      rester à bord jusqu’à la fin ? Faut-il se battre véritablement pour sauver l’euro, ou au contraire agrandir le trou pour qu’il coule au plus vite ?

      Quoi qu’il en soit, l’effondrement de l’euro est maintenant une possibilité, et une organisation  politique sensée ne peut donc se dispenser de préparer un plan “B” au cas où et de commencer
      à l’expliquer à la population. Parce que lorsqu’on sera au pied du mur, c’est celui qui aura le mieux préparé ses arguments qui emportera le morceau…

       

  2. Annette dit :

    Bonjour,

    J’aime beaucoup le conte juif qui illustre très bien le pourquoi du comment de la crise financière.
    Je voudrais nuancer ta réaction disant que la “gauche radicale” (i. e. hors PS/EELV) ne fait que geindre contre l’aide aux banques : il est vrai que des mots d’ordre du type “c’est à eux les
    banques de payer leur crise” sur certains tracts ou affiches sont simplistes. Dans des portions de la “gauche radicale”, si on s’est scandalisé de ce sauvetage c’est surtout parce qu’il n’y avait
    aucune contrepartie. C’est au moment du sauvetage qu’il aurait fallu faire en sorte que l’Etat puisse avoir la main pour ordonner le financement d’activités productives (beaucoup de PME viables se
    meurent du fait qu’il leur manque une facilité de caisse de quelques milliers d’euros), la taxation des activités financières pour augmenter les recettes, et le lancement de grands travaux
    d’infrastuctures par exemple. Or rien de tout cela n’a été fait, et la spéculation (et donc la formation de nouveaux trous) a continué de plus belle.

    • Descartes dit :

      Dans des portions de la “gauche radicale”, si on s’est scandalisé de ce sauvetage c’est surtout parce qu’il n’y avait aucune contrepartie.

      Ce n’est pas vrai. Lorsque des “contreparties” étaient possibles, elles ont été demandées et obtenus. C’est le cas en France, où l’Etat a aidé les banques avec des crédits à des taux raisonnables
      qui ont été remboursés. Le contribuable n’a pas perdu au change, il a même gagné quelques milliards… Dans le cas de l’Angleterre, par exemple, il a fallu “nationaliser” Northern Rock en
      catastrophe pour éviter sa faillite… qu’est ce qu’on pouvait demander comme “contrepartie” dans une telle situation ?

      C’est au moment du sauvetage qu’il aurait fallu faire en sorte que l’Etat puisse avoir la main pour ordonner le financement d’activités productives (beaucoup de PME viables se meurent du fait
      qu’il leur manque une facilité de caisse de quelques milliers d’euros), la taxation des activités financières pour augmenter les recettes, et le lancement de grands travaux d’infrastuctures par
      exemple.

      Arrêtons de fantasmer. Lorsqu’un projet bien construit se présente, les banques le financent. Croire que les banques refusent par méchanceté de financer les activités productives, c’est encore
      vouloir raisonner en termes “conspiratifs”. Pourquoi une banque irait refuser le crédit à une PME capable de rembourser et de payer les intérêts ? Par masochisme ?

      La “gauche de la gauche” serait plus crédible si au lieu de crier “il faut faire payer les banquiers” (ce qui, en plus d’être simpliste, n’a pas de sens) elle expliquait comment on pourrait en
      pratique taxer les capitaux et les revenus financiers, et surtout, comment on fait pour éviter la formation des bulles. Une telle politique pourrait d’ailleurs, dans le contexte actuel, être
      soutenue très largement dans la société (parce que les “bulles” ne font l’affaire de personne, capitalistes compris) et aurait quelque chance de devenir une politique publique.

  3. zéro dit :

    Un autre conte juif à propos des trous :

    http://www.youtube.com/watch?v=HsX4M-by5OY

    • Descartes dit :

      Très joli lien. J’avais failli mettre le titre de la chanson en exergue de mon article… mais j’ai oublié! je vais le corriger tout de suite

  4. Big Brother dit :

    “La crise de 2008 était un simple détonateur. La prochaine étape de la crise sera bien la Très Grande Panne du système économique, financier et monétaire mondial”.

    GEAB N°54
    http://sos-crise.over-blog.com/article-geab-n-54-15-avril-11-leap2020-la-tres-grande-panne-de-l-automne-2011-71808097.html

    GEAB N°56
    http://www.leap2020.eu/GEAB-N-56-Special-Ete-2011-est-disponible-Crise-systemique-globale-Derniere-alerte-avant-le-choc-de-l-Automne-2011_a6658.html

    Le petit jeu de la FED ne peux plus durer et ne durera pas jusqu’à la fin des temps.

    • Descartes dit :

      “La crise de 2008 était un simple détonateur. La prochaine étape de la crise sera bien la Très Grande Panne du système économique, financier et monétaire mondial”.

      Vous savez… le nombre d’individus qui au cours de l’histoire ont prédit la fin du monde pour le lendemain est incalculable. Et le monde est toujours là…

  5. Big Brother dit :

    Il n’est pas question de prédiction ni de fin du monde. Nous pouvons y voir la fin de quelque chose, ou bien y voir le début d’autre chose.

    La dette américaine à atteint sa limite légale le 16 mai (retardé au 2 août).
    http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2011/05/16/la-dette-americaine-atteint-le-plafond-autorise-par-les-parlementaires_1522456_3222.html

    Combien de temps encore pourront-ils reculer avant le grand saut ? L’injection massive d’argent virtuel atteint ses limites. Le fonctionnement de l’économie mondiale est un non sens à lui tout
    seul.

    Il n’est pas plus stupide de vouloir prendre en compte ce genre d’information pour une meilleure vision globale, que de vouloir tout nier en bloc.

    Réponses dans quelques mois.

  6. Torsade de Pointes dit :

    Il y a un élément qui me semble faire défaut dans votre petite parabole cracovienne. Si le dernier acheteur a payé 100.000 euros pour le collier, quelqu’un, le dernier vendeur, a dû empocher cette
    somme. Ces 100.000 euros ne s’étant pas évaporés, on peut se demander ce qu’il en est advenu. La somme a-t-elle été déposée dans la même banque, auquel cas il n’y aurait aucun problème (du moins
    pour la banque), ou dans une autre banque, peut-être chez un opérateur outre-mer? Cette affaire n’a-t-elle pas été orchestrée par quelque manipulateur qui aurait tiré parti de la naïveté et de
    l’appât du gain de nos trois juifs?

    Pour quitter l’allégorie et revenir à la réalité de la Grèce : qui a été le bénéficiaire de la bulle obligataire grecque? Peut-on imaginer que cette affaire ait été un coup monté par, justement,
    certains habiles aigrefins, bénéficiaires secrets de l’opération?

    • Descartes dit :

      Si le dernier acheteur a payé 100.000 euros pour le collier, quelqu’un, le dernier vendeur, a dû empocher cette somme

      Bien entendu. Il est faux de croire que les “bulles” font perdre de l’argent à tout le monde. Dans l’exemple du collier, il s’agit de toute évidence d’un jeu à somme nulle: ce qui est gagné par
      les uns doit nécessairement être perdu par les autres. En fait, c’est celui qui a le collier en main lorsque la bulle éclate qui perd tout. Dans les situations réelles, bien entendu, on joue le
      jeu avec beaucoup de joailliers qui se vendent les uns aux autres un grand nombre de colliers. Mais le jeu est toujours un jeu à somme nulle: rien ne se créé, rien ne se perd… sauf l’illusion
      de richesse.

      Pour quitter l’allégorie et revenir à la réalité de la Grèce : qui a été le bénéficiaire de la bulle obligataire grecque?

      Beaucoup de monde. Y compris les grecs, qui ont vécu pendant dix ans avec un niveau de vie que la productivité de l’économie greque n’aurait jamais pu leur offrir… et sans payer d’impôts. Ce
      n’est pas la peine d’aller chercher uen obscure conspiration de “bénéficiaires secrets” qui auraient “monté le coup”. La formation des “bulles” est un phénomène spontané, d’ailleurs connu depuis
      très longtemps. Il y eut des “bulles” spéculatives à l’époque romaine, et on connait la celèbre “bulle” de la South Seas Company (1720) dans l’explosion de laquelle Isaac Newton perdit vingt
      mille livres, une fortune à l’époque. Le célèbre mathématicien écrivit sur l’affaire “Je peux calculer le mouvement des étoiles, mais pas calculer la folie des hommes”. C’est d’ailleurs à cette
      occasion que le terme “bulle” (“bubble”, en anglais) fut utilisé pour la première fois.

  7. edgar dit :

    Pas d’accord sur un point : l’euro est largement responsable de l’état de la Grèce. Je développe ça chez moi…

    • Descartes dit :

      Je persiste: ce qui a provoqué la crise (au sens du mécanisme profond qui est sous-jacent) n’est pas l’euro, mais l’éclatement d’une bulle. On voit d’ailleurs que l’éclatement de
      la bulle a provoqué des crises dans des pays qui n’ont pas l’euro (Islande, Grande Bretagne…). Mais ce que j’ajoute dans mon commentaire, est qu’une fois la crise arrivée, le système monétaire
      bâti autour de l’euro a montré une incapacité crasse à réduire les effets de la crise. Au contraire, la monnaie unique tend à l’aggraver en empêchant le pays concerné d’utiliser les instruments
      monétaires pour en sortir…

      Pour le reste, je suis assez d’accord avec l’excellente analyse que tu développes sur ton site. Je voudrais rajouter un aspect: les bulles surgissent en général lorsque l’inflation est faible et
      la politique monétaire accomodante. En d’autres termes, l’une des manières d’empêcher les bulles de se former est de maintenir l’inflation à un niveau raisonnable. On peut par exemple constater
      que les “trente glorieuses” ont été une période d’euphorie économique… et pourtant on n’a pas observé de “bulle”. Et cela pendant trente ans. Pourquoi ? Parce qu’avec des taux d’intérêts rééls
      négatifs et une politique restrictive du crédit, il n’y avait pas de quoi alimenter une “bulle”…

       

  8. edgar dit :

    c’est aussi l’euro qui a contribué à la bulle : l’espagne, l’irlande, la grèce (leurs banques) ont pu emprunter à un taux trop faible auprès de la BCE compte tenu de leurs conjonctures nationales.
    Avec des banques centrales nationales, ces économies en plein boom auraient eu des taux d’intérêt plus élevés, donc moins d’occasion d’alimenter des bulles.

    • Descartes dit :

      c’est aussi l’euro qui a contribué à la bulle : l’espagne, l’irlande, la grèce (leurs banques) ont pu emprunter à un taux trop faible auprès de la BCE compte tenu de leurs conjonctures
      nationales.

      Auprès de la BCE, mais aussi et surtout auprès du système financier, qui a réalisé trop tard que le risque n’était pas le même dans tous les pays d’Europe. Le fonctionnement de l’Euro a fait
      sauter le “signal d’alarme” qui auparavant sonnait dès que la compétitivité d’un pays se dégradait. Du coup, la “bulle” a pu se former sans que personne ne s’en aperçoive à temps.

      Avec des banques centrales nationales, ces économies en plein boom auraient eu des taux d’intérêt plus élevés, donc moins d’occasion d’alimenter des bulles.

      Sans aucun doute

  9. bibi dit :

    merci pour ces explications en fait cela représente un grand jeu mondial et il faut apprendre a refiler le mistigri avant la sonnerie de fin du jeu. !

  10. marc malesherbes dit :

    à propos de la solidarité nationale (ou Européenne) …

    même dans le cas d’une solidarité nationale (ex: France, USA …), l’unification marchande d’un pays se traduit par la “désertification” des régions moins productives. exemple … la Lozère, la
    Corse …
    d’ou la vieux mythe 68 … “vivre et travailler au pays”
    une “détail” souvent oublié.
    les europhiles sont-ils prêt à voir des régions françaises désertifiées au profit de la Rhur ?
    (d’ou mon désaccord avec JP Chevénement qui met toujours en avant un accord hypothétique Franco-Allemand …)

    • Descartes dit :

      même dans le cas d’une solidarité nationale (ex: France, USA …), l’unification marchande d’un pays se traduit par la “désertification” des régions moins productives. exemple … la Lozère,
      la Corse …

      Cela dépend d’un choix politique. La communauté nationale peut décider de consacrer des moyens – qui pourraient être utilisés à autre chose – pour éviter ou limiter la désertification. C’est ce
      qu’on a fait en France avec les politiques d’aménagement du territoire. Mais ce sont des décisions de politique publique. D’autres pays ont décidé de laisser la logique de marché organiser le
      territoire. Et dans ces pays, il n’est pas rare de voir apparaître des “villes fantôme” (comme Liverpool dans les années 1980 et Détroit aujourd’hui) qui tombent en ruine et perdent de la
      population lorsque l’activité économique se déplace.

      les europhiles sont-ils prêt à voir des régions françaises désertifiées au profit de la Rhur ?

      Ca dépend des “europhiles”. Certains s’en foutent. Mais il y a aussi les europhiles “de bonne foi” qui croyent encore qu’on peut réformer l’UE pour qu’elle se comporte comme un véritable Etat et
      fasse de l’aménagement du territoire…

      (d’ou mon désaccord avec JP Chevénement qui met toujours en avant un accord hypothétique Franco-Allemand …)

      De ce que j’ai compris, pour JPC il s’agit toujours d’un accord d’état à état, qui ne porte pas atteinte à la souveraineté de chacun.

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