Il est minuit, docteur Schweitzer…

Aujourd’hui, je n’ai pas envie de parler politique…

 

Alors parlons d’autre chose. De cinéma, tiens. Avez-vous été voir “Minuit à Paris” de Woody Allen ? Non ? Alors je vous envie. Parce qu’il vous reste à découvrir un film délicieux, subtil, plein de cette tendresse pour l’espèce humaine qu’on trouve si souvent dans les films de ce réalisateur, et qui se fait si rare de nos jours dans l’espace intellectuel. Alors que le cinéma d’auteur “à la française” se perd dans des personnages qui se regardent le nombril – filmés par des réalisateurs qui se regardent eux aussi le nombril… ce qui ne contribue pas à améliorer le cadrage – c’est un plaisir de voir qu’il y a encore des auteurs capables de construire un récit, et pas seulement des personnages.

 

Car comme souvent dans les films de Woody Allen, celui-ci est construit à partir d’une chute autour de laquelle tout le film est brodé “à rebours”. La fin, comme la moralité d’une fable, est construite dès le départ, ce qui donne au film une saveur tout à fait différente de ces films dont on se demande si le réalisateur sait où il veut aller. Le personnage principal est un écrivain américain. Ou plutôt, voudrait en être un (un écrivain, bien entendu, pas un américain), mais il a du mal à écrire autre chose que du banal. Et le voilà qui se retrouve à Paris en touriste, avec sa promise et ses parents, un horrible couple d’américains. Paris, c’est la ville de ses rêves, et ses rêves c’est surtout la nostalgie de l’âge d’or intellectuel des années 1920, qui a vu se croiser Hemingway et Dali, Buñuel et Gertrude Stein. C’est là que la magie intervient: notre héros trouve par hasard un moyen de voyager dans le temps, de retrouver le Paris de ses rêves, peuplé de personnages qui l’aident à mieux écrire, à devenir l’écrivain qu’il voudrait être. Mais ces personnages, comme lui, ont la nostalgie d’un âge encore antérieur, de l’âge d’or de Manet et de Toulouse-Lautrec…

 

La réalisation du film est impeccable. Les dialogues sont en même temps drôles et profonds. Le côté magique du film est inséré dans la réalité sans que cela apparaisse artificiel. Il faut dire que Woody Allen est coutumier du fait: il avait réussi le même tour de force dans “La rose pourpre du Caire” en faisant sortir un personnage de film de l’écran, dans “Alice” où le personnage parvient à connaître ce que les autres pensent de lui grâce à un philtre d’invisibilité, dans “Zelig”, avec son extraordinaire homme-caméléon, et dans tant d’autres. Et contrairement à tant de films “intellectuels”, Woody Allen n’a pas besoin d’un cancer, d’un viol ou d’un retour d’un camp de concentration pour nous émouvoir. Ses personnages sont des gens très quelconques. Toute la magie est dans les situations. C’est ça, le vrai cinéma.

 

Mais derrière sa tendresse pour les personnages et son amour pour notre capitale, le point que le film essaye de montrer est très sérieux et on peut le résumer ainsi: il n’y a pas de véritable création qui ne soit construite sur une filiation avec le passé. Pas dans la nostalgie d’un âge d’or dont le personnage comprend à la fin qu’il n’existe pas, mais dans le dialogue avec les créateurs d’hier. Dans cette période de crise de la transmission et de mépris pour tout ce qui n’est pas “moderne” ou “inédite”, cette leçon vaut la peine d’être entendue.

 

Et zut! En bout de compte, j’ai bien parlé politique…

 

Descartes

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2 réponses à Il est minuit, docteur Schweitzer…

  1. Alexandre A dit :

    Bonjour,

    Votre conclusion est superbe. Ce film est une réussite. Je le situerai entre le “Paris est une fête” d’Hemingway et “Tout le monde dit I love you” de Woody Allen. Toutefois, ce réalisateur c’est
    lui aussi très souvent regardé le nombril de sorte que la plupart de ces films tournés dans les entre 1990 et 2003 ne sont pas tous franchement réussis.

    Bonne journée !

    • Descartes dit :

      Je partage votre sentiment. Les films plus “introspectifs” de Woody Allen sont souvent moins réussis, alors que ceux dans lesquels il brode autour d’un récit sont des quelquefois des pures
      merveilles. Mais j’avoue que je trouve assommant ce côté intello du cinema d’auteur français qui fait la part belle aux personnages et ignore totalement le récit. Ce ne fut pas toujours le cas:
      Carné, Renoir, Clouzot, Clément, Duvivier et même plus récemment Truffaut ou Chabrol étaient de superbes conteurs…

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