Pourquoi la gauche se trompe sur le vote des étrangers

La prise du Sénat par la gauche permet d’avoir un avant-goût de ce que pourrait être un futur gouvernement de ce signe politique après mai 2012. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas brillant. La nouvelle majorité sénatoriale semble se faire plaisir en ressuscitant les vieilles lunes de la gauche bienpensante. Ce faisant, elle donne une idée de sa vision des priorités dans le contexte politique et économique actuel. Le chômage ? La désindustrialisation ? C’est nul, ce n’est pas “moderne”. Mieux vaut consacrer son temps à “la violence faite aux femmes” ou au vote des immigrés.

 

Cette fixation sur le vote des immigrés est intéressante parce qu’elle est, et cela depuis de longues années, un concentrat de toutes les contradictions de la gauche, un révélateur de son manque de cohérence, et une incapacité à traduire ses principes en termes de politiques réalistes.

 

Tout d’abord, explorons la question sur le fond. Qu’est ce qui dans un régime politique démocratique légitime le droit au vote. En d’autres termes, qu’est ce qui justifie que certains aient le droit de vote et d’autres pas ? Dans ce domaine, il y a deux conceptions: l’une plutôt économique, l’autre plutôt politique.

 

La conception économique du droit de vote est celle issue de la fameuse interpellation qui fonde le droit des Parlements dans l’Angleterre du XVIIème siècle: “no taxation without representation”. En d’autres termes, celui qui paye a le droit de participer aux décisions qui concernent l’emploi des fonds qu’il remet à la collectivité. Dans cette conception, il n’y a aucune raison de refuser le vote à l’étranger, dès lors qu’il contribue fiscalement. Le problème de cette conception, c’est que la légitimité du vote est croissante avec l’amplitude de la contribution. En d’autres termes, si l’on retient cette source de légitimité, on peut donner le vote aux étrangers… mais pas aux pauvres.

 

La conception politique du droit de vote fonde ce droit non pas sur l’apport fiscal, mais sur les devoirs qui sont attachés à la qualité de membre d’une collectivité. Dès lors que l’individu a une communauté de destin avec la collectivité, qu’il est donc soumis aux conséquences des décisions qui sont prises par celle-ci, il a le droit de participer à leur élaboration. En d’autres termes, le droit de vote est légitimé par les obligations que la collectivité peut imposer à ses membres, obligations qui vont bien au delà de l’obligation fiscale.

 

Maintenant, à laquelle de ces deux visions se rattachent ceux qui proposent de donner le droit de vote aux étrangers ? Les discours qu’on entent sur le mode “ils payent des impôts, il est juste qu’ils votent” laisseraient penser qu’on est dans le cadre de la première. Mais alors, on comprend mal pourquoi la proposition est de n’accorder le droit qu’aux étrangers installés en France pendant une période plus ou moins longue (de l’ordre de dix ans). Après tout, les étrangers installés sur notre sol payent l’impôt dès la première année. Pourquoi faudrait-il qu’ils payent pendant dix ans avant de décider ce qu’on fait de leur argent ? Par ailleurs, que fait-on des étrangers qui ne payent pas d’impôts ? Faut-il les exclure du vote ?

 

Peut-on alors rattacher la proposition de donner le droit de vote aux étrangers à la deuxième conception ? Pas vraiment: cela supposerait soumettre les étrangers qui recevraient le vote aux mêmes obligations que les français, et notamment, l’impossibilité de se soustraire à ces obligations en rentrant dans leur pays. Imagine-t-on de modifier la loi pour permettre la réquisition des étrangers ou leur mobilisation ? On n’est donc pas dans la conception politique du droit de vote.

 

Mais alors, sur quelle legitimité les proposants du droit de vote des étrangers fondent leur proposition ? En examinant les arguments, on tombe sur un curieux mélange:

 

Le premier argument est un argument utilitaire: ce qui rend le vote légitime, c’est que “c’est une manière de mieux intégrer les étrangers”. Mais cet argument n’a aucun fondement. D’abord, parce qu’il est proposé de n’accorder ce droit qu’aux étrangers installés de longue date sur le territoire. Est-ce à dire qu’il faut attendre dix ans pour commencer à “intégrer” ? D’ailleurs, les expériences étrangères montrent que là où ils ont le droit de vote, les étrangers votent peu, et que ce sont les mieux intégrés qui utilisent ce droit. L’intégration est donc un préalable à l’utilisation effective du vote, pas sa conséquence.

 

Le deuxième argument est un argument psychologique: les enfants d’immigrés, eux mêmes français, ne “comprendraient” pas que leurs parents n’aient pas le droit de vote. L’argument est tellement pauvre qu’il ne mérite même pas une analyse en profondeur. Disons que même en supposant que ce fut vrai, on ne donne pas des droits aux gens simplement parce que ceux-ci ne “comprendraient” pas qu’on les en prive. Moi je ne comprends pas pourquoi je devrais payer des impôts. Va-t-on les supprimer pour autant ?

 

Le troisième argument est un argument d’égalité: on a accordé le droit de vote aux étrangers communautaires lors de la signature du Traité de Maastricht. Pourquoi ne pas l’accorder aux autres ? Mais les tenants de ce point de vue oublient que la décision d’accorder le droit de vote aux citoyens communautaires se rattache au moins formellement à la conception politique du droit de vote. Ses partisans se fondaient sur l’existence d’un hypothétique “peuple européen” ayant précisément une communauté de destin et donc des obligations envers la communauté. Or il est difficile d’invoquer ce principe pour les citoyens extra-communautaires.

 

Enfin, le troisième argument est un argument dogmatique. L’extension des droits étant un bien en soi, donner plus de droits aux étrangers ne peut qu’améliorer les choses.

 

On le voit: les proposants du droit de vote des étrangers ne fondent la légitimité de ce droit sur aucune base solide. Comme souvent dans la gauche bienpensante, plus que la traduction d’une conception politique il s’agit d’une proposition moralisante. Elle correspond à une vision individualiste de la politique qui propose comme objectif l’extension constante des droits personnels sans que ceux-ci aient une quelconque contrepartie en termes sociaux. Elle correspond aussi à un projet de fractionnement de la société en une infinité de statuts différents dont l’aboutissement ne peut être que le communautarisme.

 

Vous trouvez que je vais trop loin ? Réflechissons un peu: ce qui caractérisait l’Ancien Régime, c’était le fractionnement des statuts. Chacun se voyait appliquer des règles différentes selon sa région d’origine, son lieu d’établissement, sa naissance. La révolution, en créant le statut de citoyen, unifie ces règles. En dehors du domaine politique, il n’existe plus qu’un seul statut: la loi civile et pénale est la même pour tous. Dans le domaine politique, elle conserve deux statuts: celui de citoyen, membre de la collectivité nationale et à ce titre soumis à certaines obligations et bénéficiant de certains droits (dont le vote); et celui d’étranger. Cette uniformisation des droits est fondamental pour le fonctionnement de la République. Car la République se meurt lorsque chacun invoque son statut personnel à tort et à travers.

 

Aujourd’hui, la gauche va précisément dans ce sens: il s’agit de multiplier les statuts spécifiques, avec des droits, des devoirs et des protections différenciées. On le voit dans toutes les propositions de doter telle ou telle minorité de “droits” particuliers (“droits des femmes”, “droits des étrangers”, “droits des homosexuels”). Conférer le droit de vote aux étrangers va parfaitement dans ce sens: si cette proposition était approuvée, il y aurait deux catégories d’étrangers: ceux qui auront le vote (parce qu’il résident depuis plus de dix ans, par exemple) et ceux qui ne l’auront pas. Et aussi deux catégories de citoyens: l’une qui aurait le plénitude des droits politiques et toutes les obligations attachées à la nationalité, l’autre qui n’aurait que certains droits politiques et aucune des obligations.

 

Au fond, c’est là où se trouve le problème. On peut choisir – comme le proposent les “républicains” – une conception exigeante de la citoyenneté, faite de droits et de devoirs, où alors avoir comme les libéraux-libertaires une conception purement utilitaire où la citoyenneté n’est faite que de droits qu’il s’agit d’étendre à l’infini et sans contrepartie. Pour les tenants de la première conception, il est hors de question de donner le droit à celui qui n’assume pas les devoirs. Celui qui veut voter n’a qu’à accepter l’intégralité des droits et devoirs du citoyen en prenant la nationalité française. Mais dans la deuxième conception, évidement, il n’y a aucune raison de refuser des droits a qui que ce soit.

 

Que la gauche se range à la deuxième vision plutôt qu’à la première montre à quel point elle a abandonné toute idée de contrepartie dans le lien politique qui lie l’individu à la collectivité nationale pour faire du citoyen un “client”. Il est vrai que l’affaiblissement progressif des obligations et charges  réelles ou symboliques que nous devons à la Nation en tant que citoyens ne contribue pas à clarifier le débat. Lorsque le fait d’avoir un passeport français vous exposait à la possibilité bien réelle de mourir dans les tranchées – ou plus banalement de donner gratuitement un an de votre vie à l’armée – la séparation entre le citoyen et l’étranger était peut-être plus lisible qu’aujourd’hui (1). En réduisant la collectivité nationale à une fonction de guichet ou l’on donne tout et où l’on n’exige jamais rien on ouvre la porte à son délitement. Et la proposition de loi discutée au Sénat à l’initiative de la gauche ne fait qu’aller dans ce sens (2).

 

 

Descartes

 

 

(1) même si le refus de beaucoup d’étrangers résidant depuis longtemps sur notre sol à acquérir la nationalité française montre que cette conscience existe toujours.

 

(2) Il y a d’autres arguments contre cette proposition, notamment le fait que donner le droit de vote aux étrangers ne peut qu’importer les conflits communautaires et ceux des pays d’origine dans le débat politique français. Si je ne me suis pas étendu sur cette question, c’est que je voulais insister sur le fait que ce projet est mauvais en dehors de toute considération d’opportunité.

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18 réponses à Pourquoi la gauche se trompe sur le vote des étrangers

  1. Benjamin dit :

    Je n’arrivais pas à me faire une religion sur cette question, faute peut-être de m’y être assez penché (l’urgence du problème m’avait jusqu’ici échappé). Merci pour ce billet, je souscris
    pleinement à vos arguments. 

  2. argeles39 dit :

    Quand la sociale démocratie se couche devant l’oligarchie et admet le néo-libéralisme comme étant une
    fatalité (le fameux TINA de Thatcher), il ne lui reste que le domaine sociétal pour exister.

    Elle n’a pas le courage et la force pour reconquérir notre tissu industriel et agricole ou pour juguler les
    dérives du capitalisme financier, et encore moins pour sauvegarder « l’état providence » issu du CNR, alors elle se rabat sur le vote des immigrés, le mariage et l’adoption homo, la
    légalisation des drogues……., et elle est même prête à sacrifier le nucléaire, un de nos derniers fleurons industriels, pour accéder à une part de fromage  (ce qui est une faute lourde envers les générations futures, eu égard aux enjeux énergétiques et climatiques).

    Personnellement j’ai la conviction que la France est encore une grande puissance et qu’elle a énorme
    potentiel, dans l’inertie de Napoléon et De Gaulle (sans oublier le PCF et Jacques Duclos en tant que rédacteur du programme du CNR), mais j’ai du mal à comprendre comment on peu collectivement,
    dans les urnes, accepter son délitement progressif.

     

  3. Trubli dit :

    Encore une fois les socialistes jouent les pervers. 

    Cette position sent le marketing électoral a plein nez. Pourtant elle est incohérente.

    Incohérente parce qu’elle saucissonne la citoyenneté : 

    On accorderait aux étrangers la possiblité de voter aux élections locales mais pas de se présenter.  

    On accorderait aux étranger le voté aux élections locales mais pas aux élections d’enjeu “national” (présidentielle, députés) 

    Ce projet sens bon le libéralisme politique. Les libéraux sont porteur d’un universalisme paulinien. Selon St Paul au royaume de Dieu il ‘ny aura plus d’homme, de femme ou d’enfant, de noir ou de
    blanc, de jeune ou de vieux. Pour les libéraux, au royaume du marché, de la concurrence et de l’individualisme, la nation est un archaïsme. Les libéraux envisagent déjà un au-delà des nations, un
    gouvernement mondial des hommes. Une des étapes clés pour cet au-delà des nations est de donner aux étrangers de manière progressive et prudente autant de droits que les citoyens.

     

    Je ne sais pas si un au-delà des nations est possible et souhaitble. On voit bien que dans cette prise de position il y a un enjeux de court terme, électoral, et un enjeu de long terme lié à la
    nature même du projet libéral dont la Gauche est dépositaire en tant qu’héritère des Lumières.

    • Descartes dit :

      Les libéraux sont porteur d’un universalisme paulinien. Selon St Paul au royaume de Dieu il ‘ny aura plus d’homme, de femme ou d’enfant, de noir ou de blanc, de jeune ou de vieux.

      En fait, c’est plus contradictoire que cela. Pour les libéraux il n’y a pas de “société” en tant que telle. Il y a un individu abstrait unique qui est effectivement paulinien, sujet de droits. Et
      puis des individus concrets, chacun d’eux différent et libre de faire ses propres choix sans se voir imposer par la société ce qu’il doit penser ou croire. La société surgit en fait des rapports
      contractuels entre ces individus.

      Pour les libéraux, au royaume du marché, de la concurrence et de l’individualisme, la nation est un archaïsme. Les libéraux envisagent déjà un au-delà des nations, un gouvernement mondial des
      hommes.

      Je pense que tu cèdes à ce discours absurde qui prétend chercher la cause ultime de tout dans “le libéralisme”. L’immense majorité des libéraux ne propose pas de donner le droit de vote aux
      étrangers, plutôt le contraire. Les nations lù le libéralisme idéologique est le plus fort (Angleterre, Etats-Unis) réservent jalousement le vote à leurs nationaux.

       

  4. Joe Liqueur dit :

    @ Descartes

    Tu oublies quand même de préciser qu’il s’agit d’un droit de vote aux élections locales. Personnellement l’octroi d’un tel droit ne me choquerait pas, sauf que dans le discours de la
    “gauche” c’est surtout un gadget un peu dérisoire… comme tu le soulignes aussi au début de ton texte. Et ton analyse sur le fond est intéressante. En tout cas cela tend à confirmer que les
    stratèges du P”S” font grand cas des analyses navrantes de Terra Nova.

    @ Argelès 39

    D’accord avec toi sauf sur un point : la légalisation des drogues n’est pas une question “sociétale”, c’est une question éminemment politique. Je ne dis pas que ce soit la question la plus
    importante aujourd’hui, mais de mon point de vue on ne peut la réduire à une question “sociétale”, il y a des enjeux très considérables derrière ça. Par ailleurs, à ma connaissance, la “gauche”
    dont on parle se fout un peu de la légalisation – ou plutôt, elle n’a pas le courage d’affronter les lobbyistes de la prohibition… qui, eux, ne font pas de politique – ils défendent des intérêts
    sonnants et trébuchants.

    • Descartes dit :

      Tu oublies quand même de préciser qu’il s’agit d’un droit de vote aux élections locales.

      Je ne vois pas très bien ce que cela change sur le fond. Les éléctions locales sont aussi des éléctions politiques, et les collectivités locales sont amenées – d’autant plus avec les différentes
      vagues de décentralisation – à prendre des décisions qui engagent à long terme l’avenir de leur territoire et dans certains cas celui de la République. Lorsqu’une commune est appelée par exemple
      à accepter l’implantation sur son territoire d’un centre de stockage de déchets nucléaires, qui est une servitude nationale, on voit mal pourquoi on devrait associer à cette décision des gens qui
      n’ont aucun engagement de long terme avec le pays.

      Que les étrangers votent pour les élections syndicales, pour les prud’hommes, ou au sein d’associations cela me parait normal, puisque toutes ces instances prennent des décisions qui ne
      concernent que la personne et le court terme. Mais dès lors qu’l s’agit de décisions qui engagent l’ensemble de la collectivité et sur le long terme, pour moi c’est non.

       

       

  5. Bannette dit :

    Perso, je n’avais pas d’avis sur le droit de vote aux étrangers extra-européens aux élections locales, partant du
    principe que même s’ils l’avaient, ils ne voteraient pas dans leur grande majorité. Mais il est vrai que cette insistance de la gauche sur ce thème en pleine période de crise aigüe m’exaspère.
    J’y vois d’une part leur démission face aux problèmes économiques, et d’autre part, leur volonté à tout prix de se démarquer du FN pour faire bonne image (on voit la même chose quand il s’agit de
    l’Euro ou du protectionnisme, ils n’osent pas avoir une position nette sur ces points qui irait en faveur des dépossédés – donc non à l’un et oui à l’autre en gros – il s’agit uniquement de ne
    surtout pas faire comme le FN).

    Pour faire le lien sur le politiquement correct de ton billet précédent, et le terrorisme intellectuel bienpensant, je voudrais
    évoquer une anecdote à l’école, si tu me le permets.

    En cours de français, on étudiait un extrait de l’Electre de Giraudoux. Un de mes camarades de classe (le genre leader et grande
    gueule) interrompt le cours pour dire au prof qu’il a un problème avec cet auteur, et assure qu’il fait partie, avec Heidegger, des grands intellectuels égarés du XXème siècle, à cause de sa
    complaisance raciste. Il cite un texte de Giraudoux extrait des Pleins Pouvoirs sur la politique raciale et d’immigration que devrait avoir la France.

    Giraudoux y promeut l’adoption d’une politique d’immigration, afin, non pas « d’obtenir dans son intégrité, par l’épuration, un type physique primitif, mais de constituer, au besoin avec des apports étrangers, un type moral et culturel,,à l’exclusion de ces races primitives ou imperméables dont les civilisations, par leur médiocrité ou leur caractère exclusif, ne peuvent donner que des amalgames lamentables » (G. citait les arabes en
    exemple pour ces derniers) – cf wikipédia qui parle de ce texte.

    Donc on est parti de l’étude d’un passage concernant Eghiste d’une pièce de théâtre, à une polémique sur un autre texte. Pour le prof,
    après tout pourquoi pas, car le texte en question était en réalité très intéressant pour lancer un vrai débat citoyen, surtout au sein de lycéens qui
    vont avoir l’âge de voter. Mais la volonté de l’élève en question était uniquement de « prouver » que l’école française fait étudier des auteurs racistes, que le prof était inconscient
    voire complice, blablabla, le ton était monté. Un autre élève lui finit par obtenir la parole et donne l’interprétation du texte de G. à savoir que l’écrivain-diplomate faisait un plaidoyer
    républicain qui s’oppose à la conception de la citoyenneté qui irait de pair avec une ethnie/religion exclusive. Il reconnaissait qu’il y avait un vocabulaire daté (comme le mot race était encore
    utilisé jusqu’au milieu des années 50 dans le sens peuple/population – les

    anglophones par exemple l’utilisent toujours). L’autre continue à foutre une mauvaise ambiance et à le traiter de sophiste, que G. en
    tant que grand écrivain connaît le vocabulaire mieux que d’autres, donc quand il utilise un mot, il sait très bien ce qu’il écrit, etc.

    A ce moment, le prof qui était en difficulté a accueilli l’élève B un peu comme le messie, dans le sens où le rapport de forces
    commençait à s’inverser. Il proposa à notre classe comme prochain cour, que les élèves réfléchissent que la conception de la citoyenneté comme défendue par G. et l’interprétation qu’a donnée B
    versus la conception critiquée par G. qu’il considère comme primitive. Inutile de dire que l’élève A n’en démordait pas de sa polémique, et promettait qu’il en discuterait avec des
    « responsables ».

    Prochain cours, grosse déception (pour moi en tout cas), le prof a laissé tomber son idée du fait qu’il fallait respecter le
    programme, blablabla.

     

    J’ai relaté l’expérience quelques années plus tard à un autre prof, plus vieux et à très forte personnalité (collègue d’une de mes
    amies), qui m’a confirmé que l’élève B avait fait la bonne interprétation de Giraudoux, et qu’il regrettait un peu la lâcheté du prof sur le débat promis puis annulé, même s’il la comprenait.
    Peut être qu’il connaissait mieux les rapports de forces en dehors de la classe (entre profs/proviseur/rectorat, prof/assoc de parents d’élèves), et qu’il a jugé qu’ils étaient en sa défaveur et
    ne voulait pas être emmerdé. De toute façon, comme dans la classe, il y avait des élèves intelligents comme B qui ont très bien compris la manœuvre de A, il a estimé qu’il avait fait son
    devoir.

     

    Tout ça pour dire qu’il est inadmissible qu’en classe on ne puisse pas avoir de vrais débats comme celui qui a failli avoir lieu
    (pourtant j’étais dans un lycée plutôt bobo/bourge, pas de problèmes de violence ou de dégradations), car le texte de Giraudoux méritait qu’on s’y attarde pour élever la conscience citoyenne des
    futurs électeurs.

     

    Je dois avouer que perso, j’adhère à la vision de G. la nationalité comme un type moral et culturel (il est évident qu’il ne dit pas
    moral dans le sens religieux), il s’inscrivait en fait dans la grande tradition républicaine depuis les Lumières. Qu’il ait nommé un peuple pour le critiquer en disant qu’ils avaient une vision
    médiocre, exclusive et imperméable (ce sur quoi était basée l’insistance de A pour polémiquer) ne veut pas dire qu’il ait atteint le point Godwin.
    Comme l’a dit l’élève B on peut à la limite dire qu’il aurait pu s’en dispenser, mais ce qu’il fallait retenir, c’est l’esprit du texte (l’ouverture aux autres et la promotion d’une certaine
    discipline républicaine) et non la lettre.

     

    Là où G s’est trompé, c’est qu’il trouvait que les USA cadraient avec sa vision républicaine, or ceux-ci permettent à ceux qui ont une
    vision ‘exclusive et imperméable’ d’avoir des droits particuliers, d’être défendus par des lobbys et de faire pression.

  6. Marcailloux dit :

    Bonjour,

    Ce billet mérite l’adjectif de magistral, car en deux coup de cuillère à pot, il a retourné mon opinion sur cette question, qu’au départ je considérai comme mineure, de pure humanisme(on garde
    définitivement sa dose de naïveté), s’agissant d’élections locales.

    Où je suis en désaccord, à partir de là et en conséquence, avec votre titre, c’est sur l’emploi de “….Se Trompe…”, alors qu’il s’agit, et c’est plus grave de “…Nous Trompe…”. N’ayant pas
    la “moelle épinière” adaptée à la situation, le PS, dans sa pâle copie de la politique actuelle, va à coup sure nous inonder de gadgets, de mesures symboliques (il en faut, certes pour le
    principe, mais seules, elles ne servent à rien), ce qui va les doter d’un masque réformiste qui leur assurera, sans prendre de risques d’accéder aux marocains et prébendes convoités. Ce qui sera
    encore plus pertinent ( ou impertinent pour d’autres), ce seront vos probables billets de décorticage des turpitudes electoralistes du programme de F.Hollande. Car enfin, il n’y a que 5 à 6
    sujets fondamentaux sur lesquels devraient porter la campagne et se prononcer les citoyens, le reste n’est que poudre aux yeux.

    À noter que JP Chevènement s’inscrit bien dans cette épure.

  7. Joe Liqueur dit :

    @Descartes

    Ton raisonnement se tient, mais là tu choisis quand même un exemple assez particulier… En ce qui me concerne je suis assez jacobin pour me demander carrément si ce genre de décision ne devrait
    pas revenir plutôt à Paris…

    Pour le reste, les élections locales, c’est plus souvent une histoire d’aménagement du rond-point de la gare… alors que des étrangers y mettent leur grain de sel, dans la mesure où ils résident
    sur la commune, je ne vois pas le problème et je trouve que c’est même assez logique.

    • Descartes dit :

      En ce qui me concerne je suis assez jacobin pour me demander carrément si ce genre de décision ne devrait pas revenir plutôt à Paris…

      Bien évidement, si l’on rapatriait les décisions “de long terme” vers l’Etat et on ne laissait aux collectivités locales que les décisions du genre organisation de la fête votive ou le placement
      des pissotières, il n’y aurait pas de mal à donner aux étrangers le droit de vote. Mais ce n’est pas le cas pour le moment.

      Pour le reste, les élections locales, c’est plus souvent une histoire d’aménagement du rond-point de la gare…

      Non. C’est aussi des décisions qui concernent les écoles, les collèges et les lycées, les hôpitaux, la police municipale.

       

  8. sethangkormwa dit :

    Je suis bien d’accord que le vote des étrangers devrait être le dernier de nos soucis. Mais si les socialos le mettent sur la table, je pense plutôt que c’est  pour trouver un
    moyen de perdre les élections. Gouverner notre nauffrage n’est pas bien ragoutant. Je ne suis pas d’accord avec cette idée que l’association droits-devoirs soit une notion claire et simple
    qu’il suffise d’appliquer. Il ne me paraît pas juste de caricaturer ceux qui privilégient les droits sur les devoirs. Toujours plus de droits ne signifie pas qu’il n’y a pas de limite. Les
    limites sont évidemment les droits des autres. Mes droits s’arrêtent là où je commencerai à empièter sur ceux des autres.Et si je mets un peu de tolérance entre les gens et moi, j’évite le risque
    de leur marcher sur les pieds.C’est la forme de société la plus exigeante qui soit.Envers elle-même évidemment. Car être exigeant envers les autres n’a jamais été un signe de civilisation.Une
    société qui met en avant les devoirs et récompense ceux qui les respectent en leur accordant des droits me paraît moralement bien peu exigeante envers elle-même. Depuis la nuit des temps, toute
    communauté de bandits, de pirates, de mercenaires, etc…offre de gros avantages aux individus qui acceptent de mettre leur vie en jeu pour elle.Plutôt que d’aller bosser pour le smic, attaquer
    une banque est autrement lucratif. Oui mais voilà…il faut mettre sa vie en jeu. Est-ce que cette bande de brigants est un modèle de société exigeante ? Pour moi, une cité
    exigeante, c’est une cité qui refuse de mettre la vie de ses citoyens en jeu. Donc c’est une cité qui cherche à mettre la guerre hors la loi. Toi, au contraire, tu mets tous les droits comme
    dépendant de la possibilité de mobiliser des troupes. Franchement, je trouve le raisonnement un peu léger. Pour mettre la guerre hors la loi, il faut avoir l’audace de chercher la
    solution dans la création de cultures. Car la guerre se trouve bel et bien dans toutes celles qui existent déjà.Il ne suffit pas de triturer les textes et les idées du passé comme s’ils
    recelaient la solution. Cette attitude me semble fortement imprégnée de Révélation. La solution est dans l’avenir. Elle n’est pas encore écrite. C’est pour cela que tant de
    contradictions émanent de ceux qui la cherchent. Avoir des contradictions c’est déjà un espoir de progrès.Depuis 50 ans que je vois vivre les gens, je constate cette
    caractéristique infaillible : les plus cohérents sont les plus égoïstes. Est-ce la solution à suivre ?

    • Descartes dit :

      Mais si les socialos le mettent sur la table, je pense plutôt que c’est  pour trouver un moyen de perdre les élections.Gouverner notre nauffrage n’est pas bien ragoutant.

      Arrêtons les délires conspirationnistes. Gouverner notre nauffrage n’est peut être pas ragoûtant, mais du point de vue d’un politicien professionnel, cela l’est nettement plus que de voir l’autre
      camp le faire et truster au passage les postes et les avantages.

      Je ne suis pas d’accord avec cette idée que l’association droits-devoirs soit une notion claire et simple qu’il suffise d’appliquer.

      Je ne me souviens pas d’avoir dit que l’association droits-devoirs fut une notion claire. Au contraire, je pense qu’elle est aujourd’hui une notion très mal comprise et integrée.

      Il ne me paraît pas juste de caricaturer ceux qui privilégient les droits sur les devoirs.

      Je ne crois pas avoir “caricaturé” cette position. Je l’ai par contre critiquée, ce qui me semble indispensable.

      Toujours plus de droits ne signifie pas qu’il n’y a pas de limite. Les limites sont évidemment les droits des autres. Mes droits s’arrêtent là où je commencerai à empièter sur ceux des
      autres.

      C’est absurde. Tout droit empiète sur le droit de l’autre: mon droit de propriété implique que tu ne peux pas jouir de ce qui est mien. Le seul qui pouvait exercer des droits sans que cet
      exercice fut au détriment des autres fut Robinson Crusoe, et encore, avant l’arrivée de Vendredi.

      Le problème de ceux qui “privilégient les droits sur les devoirs” n’est pas qu’ils “n’ayent pas de limite”. C’est qu’ils ne répondent pas à une question fondamentale, qui est celle de la
      source de ces droits. Pourquoi diable une société devrait être appelée à garantir les droits d’individus qui n’ont aucune obligation envers elle ?

      Une société qui met en avant les devoirs et récompense ceux qui les respectent en leur accordant des droits me paraît moralement bien peu exigeante envers elle-même.

      L’exigence “morale” n’est pas mon problème. Je n’ai pas envie de vivre dans une société qui aurait envers moi des exigences “morales”. La morale est du domaine privé, et la société n’a rien à y
      faire. Je prefère infiniment une société qui est exigeante à l’heure d’établir les règles de vie en commun et de les faire respecter.

      Depuis la nuit des temps, toute communauté de bandits, de pirates, de mercenaires, etc…offre de gros avantages aux individus qui acceptent de mettre leur vie en jeu pour elle.

      Beh… pas vraiment. Les individus qui “mettaient leur vie en jeu pour elle” restaient à la merci des rapports de force à chaque instant. Même disposé à “mettre sa vie en jeu”, le bandit ou le
      pirate était toujours à la merci d’une trahison, du changement d’humeur d’un chef. Lorsque ces communautés de bandits, de pirates ou de mercenaires ont commencé à faire des règles générales et
      impersonnelles qui garantissaient à ceux “disposés à mettre leur vie en jeu” leurs gros avantages…. elles sont devenues des Etats.

      Plutôt que d’aller bosser pour le smic, attaquer une banque est autrement lucratif. Oui mais voilà…il faut mettre sa vie en jeu. Est-ce que cette bande de brigants est un modèle
      de société exigeante ?

      Je ne vois pas trop le rapport avec la choucroute. Tu sembles confondre le fait de risquer sa vie et le fait de faire son devoir. Or, ce sont deux choses totalement différentes. On peut faire son
      devoir sans risquer sa vie, et au contraire on peut risquer sa vie par jeu ou par appât du gain sans qu’il y ait le moindre “devoir” dans l’affaire.

      Tu compliques à l’extrême un problème qui est fort simple: dans une vie en société, la jouissance par certains de “droits” est suspendue au fait que d’autres s’abstiennent de les violer. Cette
      abstention prend la forme d’un “devoir”. Ainsi, le “droit” que constitute la liberté d’expression implique de l’autre côté le “devoir” de respecter l’expression des autres. L’équilibre entre
      droits et devoirs chez chaque individu est la garantie du “vivre ensemble”. C’est pourquoi l’idée de droits sans devoirs est aussi pernicieuse: elle transforme celui qui en bénéficie en “passager
      clandestin”.

      Pour moi, une cité exigeante, c’est une cité qui refuse de mettre la vie de ses citoyens en jeu.

      Une cité sans pompiers donc…

      Toi, au contraire, tu mets tous les droits comme dépendant de la possibilité de mobiliser des troupes.

      Certainement pas. J’attache les droits à un ensemble d’obligations et de sujetions, dont la mobilisation des troupes n’est que la plus extrême – et la plus symbolique. Mais il y
      en a bien d’autres.

      Pour mettre la guerre hors la loi, il faut avoir l’audace de chercher la solution dans la création de cultures. Car la guerre se trouve bel et bien dans toutes celles qui existent
      déjà.

      Si elle se trouve dans “toutes celles qui existent dejà”, il doit bien y avoir une raison… et cela me rend très pessimiste sur la possibilité de “créer” une telle
      culture.

       

       

       

  9. Jonathan dit :

    C’est un sujet sur lequel je voulais écrire quelque chose cet automne, mais j’ai été débordé de travail, et n’ai pas pu m’y consacrer. Je souscris de point en point à ton argumentaire. La gauche
    se perd un peu plus dans ces considérations sociétales, maigre cache-sexe de son indigence idéologique et de son refus d’endosser à nouveau un contenu de classe. Tout le monde feint de
    s’offusquer de ce que propose Terra Nova ; et pour cause : les propositions de cette fondation ne font qu’officialiser ce que la gauche fait depuis de nombreuses années…

    Bonne continuation et très bonne année à toi

     

  10. Trubli dit :

    En echos à votre article, je vous envoie le lien de l’article du professeur Laurent Bouvet sur lequel je viens de tomber.

    http://laurentbouvet.wordpress.com/2011/12/10/pour-une-citoyennete-une-et-indivisible/

     

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