Le joyeux délitement de l’idée européenne

Il est rare que je prenne du plaisir à lire un éditorial du “journal de référence”. Et pourtant, ce miracle s’est produit aujourd’hui. Quelle ne fut ma surprise en voyant “Le Monde”, le propagandiste le plus borné et le plus béat de la “construction européenne”, titrer son éditorial “Le triste délitement de l’idée européenne”.

 

Lisons donc le “journal de référence”:

 

Les Français veulent moins d’Europe. Une majorité d’entre eux se dit indifférente à l’idée européenne. Quand elle n’y est pas hostile. Moins d’un Français sur deux estime important que l’Europe permette à son pays de peser davantage sur les décisions politiques et économiques prises au niveau mondial. Le même pourcentage juge que la défense d’un ” modèle européen ” – économie de marché associée à une forte protection sociale – n’est pas une priorité en ce XXIe siècle naissant.

S’il y avait au sein de l’Union européenne (UE) un classement des opinions en fonction de leur degré d’europhilie, la France serait sans doute dans les rayons du bas. Les derniers partisans de l’intégration européenne sont prévenus : ils vont très vite avoir besoin d’une solide dose d’antidépresseurs.

Tels sont du moins les enseignements d’un sondage réalisé par l’insitut Ipsos/Logica pour Le Monde sur ” L’attitude des Français à l’égard de l’Europe “. On peut toujours chicaner sur la difficulté qu’il y a à appréhender les évolutions de l’opinion sur une question aussi vaste. Mais, enfin, le résultat est là, que nous publions ce jour. Il mesure l’humeur du pays sur l’Europe : elle est défavorable.

Cela explique sans doute qu’aucun des candidats en lice pour le scrutin présidentiel du 22 avril ne manifeste le moindre enthousiasme européen.

Il y a un côté paradoxal dans ce désamour pour l’Europe. Pour faire face ” aux grands problèmes des années à venir “, une majorité de Français réclame une renationalisation des politiques. Ils veulent un ” renforcement des pouvoirs de décision de la France “, même, disent-ils, ” si cela doit conduire à limiter ceux de l’Europe “.

Or, depuis une dizaine d’années, les institutions communautaires ont de moins en moins de pouvoir. ” Bruxelles ” ne décide plus grand-chose, les Etats ont repris le dessus. L’Europe n’a jamais été moins fédérale qu’aujourd’hui. Il y a une renationalisation de toutes les politiques.

On n’ose jamais le dire, mais une partie de la crise de l’euro vient de là. Les Etats, à commencer par l’Allemagne et la France, ont estimé qu’ils pouvaient s’affranchir des règles fixées par traité sur le niveau autorisé de leur déficit budgétaire. Aucune instance ” bruxelloise ” n’a eu assez d’autorité pour s’imposer aux Etats.

L’école souverainiste l’a emporté. Elle est majoritaire aujourd’hui dans l’opinion, à en croire le sondage. L’idée de souveraineté partagée – au coeur de la construction européenne – est battue en brèche. Les souverainistes français sont ainsi venus conforter la conception britannique de l’Europe : aucun empiétement sur les pouvoirs des Etats, et notamment de leurs Parlements. Hormis l’établissement du grand marché unique, il n’y a plus guère de ” politique communautaire “. Mais la perception de l’opinion est qu’il y en a encore trop… C’est regrettable. Le rôle des politiques est de convaincre que la réponse aux défis de l’avenir passe par plus d’Europe.

 

Ce qui est intéressant dans cet éditorial, c’est de constater à quel point les eurolâtres sont incapables de sortir du cadre mental dans lequel ils raisonnent depuis trente ans. Ils constatent – difficile de faire autrement – le désamour des français pour la construction européenne, mais ils ne le comprennent pas. Comment les français peuvent-ils demander la renationalisation des politiques pour “faire face aux grands problèmes des années à venir” ? (message implicite: alors que seule l’Europe permettrait de le faire ?). Il est urgent d’y remédier, et “le rôle des politiques” n’est nullement de suivre le désir de leurs mandants, mais au contraire de les convaincre que “la réponse aux défis de l’avenir passe par plus d’Europe”.

 

L’éditorial pêche par excès d’optimisme. L’école souverainiste ne l’a pas emporté. Ou du moins pas encore, puisqu’il reste quand même “le grand marché unique” et la monnaie unique à défaire. Mais plus fondamentalement, ce ne sont pas les “souverainistes” qui ont gagné, ce sont les fédérastes qui ont perdu. Il n’est pas inutile de rappeler l’histoire: depuis l’accession de Giscard d’Estaing à la présidence en 1974, les fédérastes ont eu le champ libre. Avec l’effacement des gaullistes et la montée au pouvoir des centristes – de droite puis de gauche – plus aucun obstacle pour bloquer le processus d’intégration. Pendant les trente ans qui ont suivi, les fédérastes ont pu faire à peu près ce qu’ils ont voulu, portés par une opinion hypnotisée par le discours europhile distillé par l’ensemble des médias et l’immense majorité de la classe politique. Ce furent les années Delors-Mitterrand, ou texte après texte on a transféré aux institutions européennes et aux marchés les pouvoirs des états. L’acte unique, les accords de Schengen, le traité de Maastricht ne sont que deux jalons de cette longue suite d’abandons. Les fédérastes ont donc eu une extraordinaire opportunité historique: ils ont eu trente ans pour montrer que les institutions “fédérales” et les marchés pouvaient permettre aux européens de vivre plus heureux, plus riches, mieux protégés.  Que l’intégration européenne permettait à l’ensemble de peser plus lourd dans les discussions internationales que la somme de ses composantes. Ils ont eu toutes les manettes, ils ont pu faire à peu près ce qu’ils ont voulu. Il est normal qu’ils soient jugés sur les résultats.

 

Or, les résultats sont devant nous. L’Europe qui sort de ces trente ans de frénésie fédéraliste est plus inégalitaire, plus précaire, moins influente que jamais. L’obsession libérale a mis par terre les services publics, et notamment les services publics qui sont des monopoles naturels, où le coût de fonctionnement du marché et la désoptimisation qu’il apporte dépasse de très loin les avantages qu’il procure. Elle a aussi provoqué une course à l’échalotte pour voir qui baissait plus fortement les impôts sur les sociétés pour attirer les entreprises chez lui, qui réduisait plus vite les dépenses sociales au nom de la sacro sainte “compétitivité”, et ces courses ont affaibli les réseaux de solidarité sociale et le “vivre ensemble” a l’intérieur et à l’extérieur des nations. Et s’il est exact de dire que l’Europe s’est globalement enrichie, bien téméraire qui pourrait attribuer cet enrichissement à la construction européenne, dont la croissance globale a été inférieure à celle de ses principaux concurrents.

 

Au fur et à mesure que les désastres provoqués par le “marché unique” et la fuite en avant vers l’élargissement ont été visibles, les eurolâtres ont été obligés de se rabattre sur le seul argument invérifiable dont ils disposent, la fameuse “paix” que la construction européenne est censée assurer. Seulement voilà, cet argument qui pouvait déclencher chez les générations qui ont connu les guerres mondiales un réflexe irrationnel d’adhésion perd son efficacité au fur et à mesure que ces générations disparaissent.

 

Les eurolâtres ont aussi essayé de rejeter sur les autres leurs fautes et leurs erreurs, expliquant que si l’Europe fonctionnait mal c’était parce que les méchants “souverainistes” enkystés dans les états-nations leurs mettaient des bâtons dans les roues. C’est le conte de fées, répété pendant trente ans, qui raconte que si ça marche mal, “ce n’est pas parce qu’on a trop d’Europe, mais parce qu’on n’en a pas assez”. Cet argument, qui servit pendant trente ans à confier à la technostructure européenne un levier après l’autre a fini par lasser le public. D’abord, parce que de toute évidence les méchants souverainistes étaient impuissants à empêcher que des textes nettement fédéralistes soient votés les uns après les autres.

 

Le “triste délitement” dont l’éditorialiste de Le Monde parle sans se demander un instant quelles pourraient être les causes est  le reflet d’un constat d’échec. D’un échec accablant. D’un échec issu de la combinaison entre le dogmatisme libéral des eurolâtres et du “hubris” fédéraliste qui les a rendu sourds aux objections rationnelles contre leurs projets, y compris lorsqu’elles venaient de leur propre camp. La conception de l’Euro en est peut-être l’exemple le plus absurde: lorsqu’on lit aujourd’hui sous la plume de Jacques Delors qu’il était parfaitement conscient en 1992 des défauts de conception de la monnaie unique, on peut se demander pourquoi il n’avait pas tiré la sonnette d’alarme à l’époque. Mais bien sur, c’était impossible. C’eût été considéré comme un acte de trahison et puni d’exil politique. L’important était d’imposer la monnaie unique avant que les opinions publiques réalisent, et le reste on verrait plus tard. Et plus tard, on a vu.

 

Le désarroi des europhiles, dont l’éditorial du Monde témoigne, est compréhensible. Refusant de regarder la réalité en face et d’en tirer les conséquences, ils ne peuvent comprendre pourquoi les peuples rejettent leur idéal. Comme ils n’ont pas anticipé et pas compris la victoire du “non” en 2005. Et donc à chaque échec ils n’arrivent à proposer comme remède que cette potion éculée du “il faut plus d’Europe” et charger les politiciens de porter cette bonne parole. Qui peut croire aujourd’hui que l’exemple désastreux des grecs, des espagnols, des portugais et des irlandais chassés de leurs maisons, de leurs emplois et pour beaucoup réduits au chômage, à la misère et à l’exil pourrait être rendu acceptable par des discours politiques ? La “construction européenne” nous avait été vendue par les politiques avec la promesse que tout cela n’arriverait jamais. Pourquoi les croire s’ils venaient à nous dire aujourd’hui que cela n’arrivera plus jamais à condition qu’il y ait “plus d’Europe” ?

 

Cette crise a été pour tous les européens l’opportunité de comprendre que l’Europe n’était pas – et n’est pas prête d’être – une communauté politique. Que contrairement à ce qui se passe à l’intérieur d’une nation, ou la solidarité entre les différentes unités qui la composent est automatique et inconditionnelle – pensez aux transferts permanents entre les régions françaises riches et les régions pauvres – la solidarité entre les unités qui composent l’Europe n’est ni automatique, ni inconditionnelle. Et une fois que l’on admet que l’Europe n’est pas une “communauté politique”, l’idée d’une souverainété “partagée” tombe d’elle même (1). Comment pourrions nous “partager” la souverainété avec des gens qui ne sont pas prêts à nous aider sans poser des conditions – léonines – lorsque nous sommes dans la mouise ou plus banalement, lorsque nous sommes plus pauvres qu’eux ?

 

Et une fois que les peuples ont compris cela, une fois qu’ils ont été réveillés du songe europhile dans lequel la méchante fée les avait plongés, il est logique qu’ils arrivent à la conclusion que si l’Europe n’est pas capable de les protéger – au sens large du terme – il feraient mieux de se tourner vers l’Etat national qui, lui, a développé au cours de longs siècles cette capacité. Et donc de lui redonner pour cela tous les instruments qu’il avait confié au cours des années à la technostructure européenne, technostructure qui a montré au cours de la crise son insensibilité, son manque d’empathie, et il faut bien le dire, son incompétence devant les problèmes qu’elle avait, par action ou omission, créé.

 

Ainsi, après des années de nous répèter sans cesse que l’Europe était notre avenir, les eurolâtres commencent finalement à comprendre que l’Europe pourrait bientôt être notre passé.

 

Descartes

 

 

(1) Je mets le mot “partagée” entre guillemets parce que, par essence, la souveraineté ne se partage pas. Le terme de “souverainété partagée” a été inventé pour déguiser le fait que, dans la tête de ses concepteurs, il s’agissait de déposséder de la souverainété le niveau national pour la situer au niveau européen. Ce qui suppose l’existence d’un “peuple européen” où la souverainété pourrait résider “essentiellement”, pour reprendre les termes de la Déclaration de 1789. Parler de “peuple européen” implique que l’Europe constitue une “communauté politique”.

 

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11 réponses à Le joyeux délitement de l’idée européenne

  1. Trubli dit :

    UN TEXTE TRES JUSTE.

    D’ailleurs alors que l’échéance se rapproche on entend enfin Asselineau sur quelques médias nationaux : Sud Radio, France Info, I-télé, un entretien au salon de l’agriculture, 

    J’espère qu’il va réussir à se qualifier pour le 1er tour parce qu’avec lui on va bien rigoler. Ce type attaque les eurolatres au lance-flamme, pas de quartier, pas de fioriture. Il est moins
    timoré qu’un Dupont-Aignan. Et je pense qu’il a raison. L’Union européenne est purement irrécupérable. Il faut la détruire et bâtir des coopérations à géométrie variable en fonction de nos
    intérêts. Un partenariat renforcé de la francophonie et avec les pays de la Méditerranée pourraient nous donner une base plus solide et plus saine que l’organisation de Bruxelles pilotée par
    Washington. 

    • Descartes dit :

      D’ailleurs alors que l’échéance se rapproche on entend enfin Asselineau (…) J’espère qu’il va réussir à se qualifier pour le 1er tour parce qu’avec lui on va bien rigoler. Ce type attaque
      les eurolatres au lance-flamme, pas de quartier, pas de fioriture. Il est moins timoré qu’un Dupont-Aignan.

      En politique, le but n’est pas de se faire plaisir – enfin, pas seulement – mais de changer le réel. Asselineau a beau “attaquer les eurolâtres au lance-flammes”, le problème n’est pas, n’est
      plus là. Alors que, comme le dit Le Monde, on assiste au “délitément de l’idéal européen”, le défi des souverainistes n’est pas, n’est plus de démontrer que la “construction européenne” est une
      voie sans issue, mais de mettre en place une alternative. C’est sur cela que nos compatriotes vont nous juger.

      L’effondrement du crédo libéral a ouvert un boulevard aux “altermondialistes”… et a montré en même temps que ceux-ci n’avaient rien à proposer de véritablement consistant. Les souverainistes
      vont bientôt être soumis à la même épreuve du feu: sortir de la tour d’ivoire de l’imprécation et des principes et se frotter aux réalités. Il faut s’y préparer dès maintenant. Et
      malheureusement, je crains que seul Chevènement ait pris conscience de ce changement.

  2. Marcailloux dit :

    Bonjour à tous,

     Un petit mot de M.Onfray que vous semblez, Descartes, me semble -t-il, ne pas trop apprécier, malgré de nombreux écrits très pertinents:

    L’Europe des crétins

    Les gens qui vont voter Non à la constitution européenne sont des crétins, des abrutis, des imbéciles, des incultes. Petit pouvoir d’achat, petit cerveau, petite pensée, petits sentiments.
    Pas de diplômes, pas de livres chez eux, pas de culture, pas d’intelligence. Ils habitent en campagne, en province. Des paysans, des pécores, des péquenots, des ploucs. Ils n’ont pas le sens de
    l’Histoire, ne savent pas à quoi ressemble un grand projet politique. Ils ignorent le grand souffle du Progrès. Ils crèvent de peur. Jadis, ces mêmes débiles ont voté non à Maastricht ignorant
    que le oui allait apporter le pouvoir d’achat, la fin du chômage, le plein emploi, la croissance, le progrès, la tolérance entre les peuples, la fraternité, la disparition du racisme et de la
    xénophobie, l’abolition de toutes les contradictions et de toute la négativité de nos civilisations post-modernes, donc capitalistes, version libérale.

    L’électeur du Non est populiste, démagogue, extrémiste, mécontent, réactif. C’est le prototype de l’homme du ressentiment. Sa voix se mêle d’ailleurs à tous les fascistes, gauchistes, alter
    mondialistes et autres partisans vaguement vichystes de la France moisie, cette vieille lune dépassée à l’heure de la mondialisation heureuse. Disons le tout net : un souverainiste est un
    chien.

    En revanche, l’électeur du Oui est génial, lucide, intelligent. Gros carnet de chèque, immense encéphale, gigantesque vision du monde, hypertrophie du sentiment généreux. Diplômé du
    supérieur, heureux possesseur d’une bibliothèque de Pléiades flambant neufs, doté d’un savoir sans bornes et d’une sagacité inouïe, il est propriétaire en ville, urbain convaincu, parisien si
    possible. Il a le sens de l’Histoire, d’ailleurs il a installé son fauteuil dans son sens et ne manque aucune des manies de son siècle. Le Progrès, il connaît. La Peur ? Il ignore. Le debordien
    Sollers, le sartrien BHL et le kantien Luc Ferry vous le diront.

    Bien sûr le Ouiste a voté oui à Maastricht et constaté que, comme prévu, les salaires s’en sont trouvé augmentés, le chômage diminué et fortifiée l’amitié entre les communautés. Le votant du
    Oui est démocrate, modéré, heureux, bien dans sa peau, équilibré, analysé de longue date. Sa voix se mêle d’ailleurs à des gens qui, comme lui, exècrent les excès : le démocrate chrétien libéral,
    le chiraquien de conviction, le socialiste mitterrandien, le patron humaniste, l’écologiste mondain. Dur de ne pas être Ouiste…Citoyens, réfléchissez avant de commettre l’irréparable
    !

    Michel ONFRAY

    Je n’ai pas la date de l’écrit, ni son support d’édition… désolé.

    Cordialement

    • Descartes dit :

      Un petit mot de M.Onfray que vous semblez, Descartes, me semble -t-il, ne pas trop apprécier,

      Vous avez raison: je n’apprécie pas le personnage, et je ne partage pas ses idées. Mais cela ne l’empêche pas de temps en temps d’écrire un texte sur lequel je me retrouve, et celui-ci en est
      un.

  3. Joe Liqueur dit :

    @ Descartes

     

    Deux petites remarques :

     

    -Sur la forme : je crois que tu confonds : “opportunité” et “occasion”. Le mot français “occasion” se traduit en anglais par “opportunity”. En français, “opportunité” a un sens différent, assez
    proche de “pertinence” je dirais. Du moins c’est ce que disaient mes profs de lettres dans le temps – un temps pas si lointain.

     

    -Sur le fond : je te trouve un peu dur avec Asselineau. Son programme (à télécharger ici) propose me semble-t-il une alternative assez sérieuse. Tu
    pourras trouver qu’elle n’est pas suffisamment charpentée, mais il faut comprendre qu’elle intègre un souci de rassemblement national – un souci qui est constant, et qui va de pair avec des
    pratiques d’une grande loyauté à cet égard (je trouve) dans le discours de l’UPR. Mais bon, je parle en tant qu’adhérent du parti… C’est vrai que ce n’est pas la taille du lance-flammes qui
    compte, mais à l’occasion, tu nous diras quand même ce que tu penses de ce programme, maintenant qu’il est disponible sous forme écrite ?

     

    Quant à Chevènement, tu sais que j’ai un très grand respect pour lui (même si j’aime moins son côté un peu réac – c’est mon côté “gauchiste”…), mais je pense quand même qu’il aurait pu attendre
    le deuxième tour avant de se rallier au P”S”. Je sais bien qu’il y a derrière cela des préoccupations stratégiques, mais pour un homme qui a raison depuis 1983, cela manque un peu d’ambition.

    • Descartes dit :

      Sur la forme, vous avez parfaitement raison si l’on croit les puristes. Je dirai cependant pour ma défense que je suis en bonne compagnie: “Non, il n’a pas le génie adroit et cauteleux d’un
      procureur qui ne perd ni une minute ni une opportunité…”  (Stendhal, Le Rouge et le
      Noir, 1830, chap. LXIV)

      Sur le fonds, j’avais déjà lu – à votre instance, si je me souviens bien – le “programme présidentiel” d’Asselineau. C’est un texte essentiellement “principiste”, dont la
      seule mesure véritablement concrète est la sortie de l’Euro. Il y a un paquet de mesures “institutionnelles” (modification de la constitution) au caractère essentiellement symbolique, et
      notamment beaucoup de mesures de caractère libertaire. Mais pas grande chose sur les problèmes qui préoccupent véritablement les couches populaires, la triade “sécurité-emploi-économie”. Je ne
      crois pas qu’il y ait vraiment réflechi, et on le voit bien dans certaines propositions qui fleurent bon la “petite France” crypto-pétainiste: “Réussir l’alliance entre capital et travail
      (favoriser les formules de type SCOP, autoentrepreneur, etc.)”, ou “actionnariat salarié”…

      La relecture du programme du CNR – qui est réproduit en partie dans la brochure – est d’ailleurs très cruelle par comparaison. On se rend compte alors à quel point les
      auteurs du programme du CNR avaient une “vision” de la France qu’ils voulaient, alors qu’Asselineau a surtout une vision de ce qu’il ne veut pas. L’analyse lexicographique montre d’ailleurs la
      prédominance des mots négatifs (interdire, supprimer, refuser…) dans l’annonce des mesures.

      Quant à Chevènement, tu sais que j’ai un très grand respect pour lui (même si j’aime moins son côté un peu réac – c’est mon côté “gauchiste”…)

      Ce côté “réac” – en fait jacobin – est précisement l’un des éléments qui me fait accorder ma confiance à Chevènement et me pousse à me méfier d’Asselineau. Son côté “libertaire” sent un peu trop
      les girondinisme des classes moyennes…

      mais je pense quand même qu’il aurait pu attendre le deuxième tour avant de se rallier au P”S”.

      Franchement, si l’on fait le choix de se rallier, ce choix n’a de sens que si l’on fait le coup très tôt, quand il y a encore une incertitude à négocier. Le soir du premier tour, les candidats de
      la gauche non-socialiste n’auront plus le choix, alors il n’y aura rien à négocier.

      Au demeurant, le texte présenté comme “accord de législature” est plutôt une déclaration commune qui liste un certain nombre de points d’accord et de désaccord. Il ouvre la voie à la
      participation des chevènementistes au gouvernement socialiste sans qu’il leur soit demandé de renier leurs désaccords, ce que je trouve plutôt bien. Si le PCF avait clairement acté ses désaccords
      avant d’entrer au gouvernement de la “gauche plurielle”, il aurait eu des marges de manoeuvre autrement plus larges.

      mais pour un homme qui a raison depuis 1983, cela manque un peu d’ambition.

      Malheureusement, en politique il ne suffit pas d’avoir raison…

  4. Joe Liqueur dit :

    @ Descartes

     

    Bon d’accord pour la citation de Stendhal, et bravo pour la trouvaille… Le fait est que les langues anglaise et française se sont joyeusement métissées depuis belle lurette, et puis c’est tant
    mieux.

     

    Je ne partage pas tout à fait votre vision du programme de l’UPR. Je commence par les points d’accord éventuel entre nous – et vous verrez pourquoi je précise “éventuel” : je pense ici à ce qui
    concerne “l’alliance entre capital et travail” et l'”actionnariat salarié”. Vous remarquerez que je n’ai pas repris le chapitre en question dans la présentation de ce programme que j’ai
    faite sur mon blog. Je suis socialiste, et je me méfie beaucoup de ce genre de truc, sans doute autant que vous.

     

    Cependant, quand vous évoquez à ce propos une “”petite France” crypto-pétainiste”, j’estime que vous franchissez les bornes de la décence. Pour le coup, c’est vous qui cédez ici, de mon
    point de vue, à des réflexes de type “gauchistes”. La “participation”, c’est aussi une proposition gaulliste. Peut-on confondre le “gaullisme social” et le “crypto-pétainisme” ? N’est-ce pas le
    moment, bien au contraire, de remettre au goût du jour l’alliance historique (et provisoire) entre les (néo)-gaullistes et les (vrais) socialistes ? Surtout quand les (néo)gaullistes en question
    manifestent autant de bonne volonté…

     

    Sur la stratégie de Chevènement, j’admets que votre raisonnement se tient. D’un autre côté, il y a peut-être un moment où il devient nécessaire, ou du moins judicieux, de sortir du bois et de
    renverser la table. Asselineau, qui est certes a priori un homme de droite, a eu ce courage et cette volonté, tout en faisant je pense un effort louable et loyal en terme de neutralité
    partisane, en vue du rassemblement national qu’il propose. L’histoire tranchera quant à savoir si tout cela était nécessaire et/ou judicieux.

     

    Enfin, je suis assez d’accord sur l'”analyse lexicographique”. C’est sans doute une faiblesse de ce programme, que j’ai également ressentie à la lecture, mais sans avoir songé jusqu’ici à le
    formuler de cette manière.

     

    Je passe aux points de désaccord :

     

    -En quoi la sortie de l’UE et de l’OTAN ne seraient-elles pas des mesures concrètes ?

     

    -Je ne vois décidément pas beaucoup de “mesures à caractère libertaire” dans ce programme de l’UPR. Alors qu’à vrai dire j’aimerais en voir davantage… (du type libéralisation de l’usage de
    drogues, par exemple – mais cela serait sans doute contradictoire avec l’objectif de rassemblement national). En fait je ne vois dans ce programme que des mesures à caractère démocratique (en
    faveur des libertés publiques), et je ne peux que les approuver. “Son côté “libertaire” sent un peu trop les girondinisme des classes moyennes…”, dites-vous. Je dois dire que je ne
    comprends pas très bien… Pour les classes moyennes, à la rigueur, mais où exactement avez-vous décelé des traces de “girondinisme” ?

     

    -A propos de Chevènement, quand j’évoque son “côté réac”, je ne parle en aucun cas de son jacobinisme, étant moi-même jacobin, et pas qu’un peu. Je pense plutôt à sa faible appétence pour la
    défense des libertés individuelles. Il semble que l’on se soit mal compris…

    • Descartes dit :

      Cependant, quand vous évoquez à ce propos une “”petite France” crypto-pétainiste”, j’estime que vous franchissez les bornes de la décence. Pour le coup, c’est vous qui cédez ici, de mon point
      de vue, à des réflexes de type “gauchistes”. La “participation”, c’est aussi une proposition gaulliste.

      Certes. Mais la “participation” était une vision du partage entre capital et travail des fruits de l’activité productive. Elle ne prétendait pas effacer les frontières en parlant de
      “coopératives” ou de “accionariat salarié”. J’ai utilisé l’expression “crypto-pétainiste” et je ne voudrais pas que vous voyez quelque indécence que ce soit. Je n’ai pas dit qu’Asselineau ou
      l’UPR fussent “pétainistes”. Par “crypto-pétainiste” j’ai voulu souligner que même en rejettant le pétainisme on peut, par inadvertence, adopter quelques uns des réflexes ou des principes de la
      Révolution Nationale. L’idée d’un effacement de la contradiction fondamentale entre capital et travail, la vision d’une société corporative, la défense des “petits” (petits commerçants, petits
      paysans, petites industries), la poursuite d’un retour à la terre qui, elle, ne ment pas, tout ça fait partie de l’idéologie que Pétain a adopté et fini par incarner.

      Peut-on confondre le “gaullisme social” et le “crypto-pétainisme” ?

      Bien sur que non: le “gaullisme social” n’a jamais cherché à créer une société fondée sur la coopérative et l’actionnariat populaire. Au contraire. Le “gaullisme social” est fondamentalemet
      modernisateur. Il s’agit de distribuer plus justement le fruit des activités productives fondées sur l’investissement massif, les grands projets, la grande industrie, toutes activités bien trop
      capitalistiques et complexes pour pouvoir fonctioner comme une SCOP. A la lecture du programme de l’UPR, et plus encore dans sa comparaison avec le programme du CNR, on est frappé par la
      tentation du retour en arrière, vers une “économie villageoise”, pour schématiser.

      Sur la stratégie de Chevènement, j’admets que votre raisonnement se tient. D’un autre côté, il y a peut-être un moment où il devient nécessaire, ou du moins judicieux, de sortir du bois et de
      renverser la table.

      Peut-être. Mais je ne crois pas que ce moment soit arrivé. Le rapport de force n’est pas vraiment favorable.

      Asselineau, qui est certes a priori un homme de droite, a eu ce courage et cette volonté, tout en faisant je pense un effort louable et loyal en terme de neutralité partisane, en vue du
      rassemblement national qu’il propose. L’histoire tranchera quant à savoir si tout cela était nécessaire et/ou judicieux.

      Vous l’avez bien compris je pense, le fait qu’Asselineau soit “un homme de droite” n’est pas pour moi le défaut rhédibitoire. Ce qui me gêne chez lui, c’est qu’il ne semble pas avoir une vision
      très claire de la direction à prendre. 

      -En quoi la sortie de l’UE et de l’OTAN ne seraient-elles pas des mesures concrètes ?

      Le mot “concret” n’est pas très bien choisi, je vous l’accorde. Ce que je voulais dire, c’est que sortir de l’UE ou de l’OTAN ne sont pas des mesures en elles mêmes. C’est une signature en bas
      d’une déclaration. Les mesures, c’est ce qu’il faudra faire pour organiser cette sortie et pour faire fonctionner notre économie et notre défense une fois sortis. Et là, je dois dire que le
      programme reste muet, sauf peut-être sur la question de la sortie de l’Euro.

      -Je ne vois décidément pas beaucoup de “mesures à caractère libertaire” dans ce programme de l’UPR. (…) En fait je ne vois dans ce programme que des mesures à caractère démocratique (en
      faveur des libertés publiques)

      Pour ne donner que quelques exemples: le référendum d’initiative populaire, la “grande politique publique des médecines douces”, “référendums sur des sujets clés”…

      Je dois dire que je ne comprends pas très bien… Pour les classes moyennes, à la rigueur, mais où exactement avez-vous décelé des traces de “girondinisme” ?

      Il y a un certain nombre de mesures proposées qui sentent le fédéralisme interne: la transformation du Conseil constitutionnel en Cour constitutionnelle sur le modèle allemand, référendum
      d’initiative populaire, retour au “localisme”…

      -A propos de Chevènement, quand j’évoque son “côté réac”, je ne parle en aucun cas de son jacobinisme, étant moi-même jacobin, et pas qu’un peu. Je pense plutôt à sa faible appétence pour la
      défense des libertés individuelles. Il semble que l’on se soit mal compris…

      J’ai du mal à comprendre comment vous arrivez à être en même temps libertaire et jacobin. Le jacobinisme repose implicitement sur une idée “résiduelle” des libertés publiques (en d’autres termes,
      sur la légitimité de l’Etat à restreindre les libertés lorsque l’intérêt général le commande). De ce point de vue, Chèvenement est certainement un jacobin. Mais pas Asselineau…

       

       

  5. Trubli dit :

    Je saisis au vol votre échange avec Joe Liqueur. 

     

    Vous avez écrit : 

    Peut-on confondre le “gaullisme social” et le “crypto-pétainisme” ?

    Bien sur que non: le “gaullisme social” n’a jamais cherché à créer une société fondée sur la coopérative et l’actionnariat populaire. Au contraire. Le “gaullisme social” est fondamentalement
    modernisateur. Il s’agit de distribuer plus justement le fruit des activités productives fondées sur l’investissement massif, les grands projets, la grande industrie, toutes activités bien trop
    capitalistiques et complexes pour pouvoir fonctionner comme une SCOP. A la lecture du programme de l’UPR, et plus encore dans sa comparaison avec le programme du CNR, on est frappé par la
    tentation du retour en arrière, vers une “économie villageoise”, pour schématiser.

     

    En réponse à votre commentaire sur le crypto pétainisme d’Asselineau je cite ce passage du dernier bouquin de Michéa : 

     

    [En 1892 Karl Kautsky reconnaissait déjà qu’il n’y avait « rien de plus lamentable que l’existence d’un petit industriel ou d’un petit paysan qui lutte contre la concurrence de la grande
    industrie. Ce n’est pas sans raison que l’on dit que les ouvriers salariés sont aujourd’hui en meilleure situation que les petits paysans ou les maitres artisans » ( Le programme
    socialiste, Les bons caractères, 2004, p37). En bon marxiste partisan du « développement infini des forces productives », Kautsky demeurait
    toutefois persuadé qu’  « à l’époque de la vapeur et de l’électricité » il était devenu impossible de faire refleurir le métier et la petite exploitation paysanne » (p40). Nous
    savons, à présent, quel bénéfice politique la droite et le fascisme ont su tirer de cette incapacité des marxistes orthodoxes à comprendre le rôle
    historiquement indépassable des petites entreprises locales et régionales (qu’elles soient privées ou coopérative) dans une société socialiste décente et plurielle. 

     

    Ce passage est éloquent parce qu’il montre à quel point vous, Descartes, n’arrivez pas à vous départir de cette vision marxiste qui ne comprend pas que la petite entreprise, la scop a toute sa
    place dans l’économie. L’échec du gaulo-communisme est de ne pas avoir réussi à installé  un « mittelstand » à l’allemande en France. La grande industrie, les grands projets (TGV, Mirage,
    Ariane) c’est très bien mais il faut à côté de cela  des TPE et des PME puissantes.  Nos campagnes par ailleurs ne doivent pas nécessairement ressembler aux latifundias d’Amérique du
    sud ou aux exploitations géantes d’Amérique du Nord. 

    • Descartes dit :

      Nous savons, à présent, quel bénéfice politique la droite et le fascisme ont su tirer de cette incapacité des marxistes orthodoxes à comprendre le
      rôle historiquement indépassable des petites entreprises locales et régionales (qu’elles soient privées ou coopérative) dans une société socialiste décente et plurielle. 

      Nous ne “savons” rien de tel. Quel bénéfice politique la droite et le fascisme ont-ils tiré de cete “incapacité” ?

      Ce passage est éloquent parce qu’il montre à quel point vous, Descartes, n’arrivez pas à vous départir de cette vision marxiste qui ne comprend pas que la petite entreprise, la scop a toute
      sa place dans l’économie.

      Toute sa place, mais pas plus. Et cette place est, j’ai le regret de vous dire, secondaire. Dans une économie qui produit en masse des produits de plus en plus sophistiqués, les énormes besoins
      en capital et en recherche/innovation limitent drastiquement l’apport des petites structures. On voit difficilement une entreprise de 20 personnes inventer une nouvelle technologie ou développer
      une nouvelle machine. L’idéalisation des TPE et PME/PMI correspond à la vision d’une économie désindustrialisée et dominée par des services peu capitalistiques.

      Il est d’ailleurs notable que vous ayez besoin d’aller citer Kautsky, qui écrivait en 1892, pour justifier un point de vue qui, je l’imagine, vous entendez appliquer à l’économie du XXIème
      siècle. J’attire accessoirement votre attention que Kautsky écrivait… au pays du “mittelstand”. Il faut croire qu’il ne trouvait pas le modèle économique allemand aussi attirant que vous…

      L’échec du gaulo-communisme est de ne pas avoir réussi à installé  un « mittelstand » à l’allemande en France.

      Et pourquoi ça ? Je suis toujours surpris de la tendance des gens à se chercher un “modèle”. Pourquoi le “mittelstand” à l’allemande serait-il le seul modèle possible. Après tout, le modèle
      français de la grande entreprise intégrée a pendant trente glorieuses années bien mieux réussi que le modèle du “mittelstand” à l’allemande ou à l’anglaise.

      La grande industrie, les grands projets (TGV, Mirage, Ariane) c’est très bien mais il faut à côté de cela  des TPE et des PME puissantes.

      Pourquoi ? J’aimerais connaîter le raisonnement qui vous permet d’aboutir à cette conclusion. Par ailleurs, j’aimerais savoir ce qu’est pour vous une TPE “puissante”…

      Nos campagnes par ailleurs ne doivent pas nécessairement ressembler aux latifundias d’Amérique du sud ou aux exploitations géantes d’Amérique du Nord.

      Là encore, j’aimerais connaître votre raisonnement. Pourquoi pas ? Et à quoi “doivent” elles ressembler ?

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