Henri Alleg, in memoriam

J'apprends avec une grande tristesse la mort d'Henri Alleg. Je n'ai pas eu l'honneur de le connaître personnellement, mais j'ai eu l'opportunité de partager avec lui quelques discussions lors des débats auxquels il participait souvent, et j'avais toujours été ému par sa profonde humanité, sa tendresse pour les gens, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir des convictions fermes et réfléchies.

C'était aussi un homme qui avait une conscience aigüe du caractère tragique de la politique, lui qui après avoir risqué sa vie et subi la torture pour l'indépendance de l'Algérie devint persona non grata dans le pays qu'il avait pris pour sien – il est parmi les rares européens qui aient pris la nationalité algérienne après l'indépendance – et dut quitter l'Algérie trois ans après les accords d'Evian. C'est cette vision du tragique qui lui permit de ne point garder de rancune ou d'aigreur envers l'Algérie indépendante, tout comme il ne tint pas rigueur à la France dans son ensemble des tortures qui pourtant lui furent infligées en son nom. C'est peut-être aussi ce sens du tragique qui l'empêcha de rejoindre les bienpensants de la gôche en général et du PCFen particulier lorsque ceux-ci ont décidé de brûler ce qu'ils avaient adoré…

A ce sujet, j'ai trouvé très amusant l'hommage rendu à Henri Alleg par Pierre Laurent au nom du PCF. S'il retrace rapidement la trajectoire du disparu, s'il mentionne son adhésion au PCF en 1972 puis son travail dans la rédaction de l'Humanité… il omet tout détail sur la suite. Permettez ici de combler les trous de mémoire du camarade Laurent: Henri Alleg sera très critique de la "mutation" du PCF initiée par Robert Hue, qu'il considère comme une "dérive social-démocrate". Il ira jusqu'à rejoindre le "pôle de rénaissance communiste en France", organisation qui regroupe des militants et anciens militants du PCF et qui fustige les dérives "gauchistes" du PCF, et tout particulièrement l'abandon du centralisme démocratique. Henri Alleg sera aussi membre du "comité Erich Honecker", formé pour défendre l'ancien secrétaire général du SED est-allemand devant la vengeance judiciaire des dirigeants allemands après la réunification.

Une vie politique ne s'achète pas au détail, et le Henri Alleg qui s'est dressé contre la torture et pour l'indépendance de l'Algérie ne peut être séparé de celui qui s'est opposé aux dérives des dirigeants du PCF, que Laurent a accompagné à défaut d'avoir initié. A l'heure de rendre hommage à l'homme entier que fut Henri Alleg, il eut été plus honorable de la part de la direction du PCF de respecter cette intégrité.

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57 réponses à Henri Alleg, in memoriam

  1. Jo dit :

    "S’il retrace rapidement la trajectoire du disparu, s’il mentionne son adhésion au PCF en 1972 puis son travail dans la rédaction de l’Humanité… il omet tout détail sur la suite."
    C’est exactement ce que je me suis dit aussi (et Le Hyaric est dans la même veine). Rien sur sa contestation de la ligne du PCF depuis, et notamment, outre ce que vous avez déjà décrit, qu’il ait signé des textes alternatifs à ceux de la direction du Parti, notamment avec André Gérin.

    • Descartes dit :

      C’était notre rubrique "Paul Laurent réécrit l’histoire du PCF comme ça l’arrange". Encore heureux qu’ils n’aient pas présenté Alleg comme un fervent partisan du Front de Gauche… il faut dire que ces disparitions sont une rude épreuve pour le PCF: chaque fois qu’un de ces géants disparaît, sa mort met en évidence combien les dirigeants qui leur ont succédé sont des nains… imagine à quoi pourrait ressembler demain la nécrologique de Pierre Laurent, de Patrice Bessac ou de Olivier Dartigolles… "ils furent des apparatchiks dévoués, sans jamais avoir eu une idée personnelle, touchant sans connaitre la peur leur salaire à la fin du mois…".

  2. CVT dit :

    Bonsoir Descartes,

    Je ne connaissais pas ce monsieur, et son décès ravive en moi une question que je me pose à propos de l’attitude du PCF durant la guerre d’Algérie.
    Loin de moi l’idée d’émettre un jugement moral comme un vulgaire gauchiste, mais j’avoue avoir du mal à réprimer un sentiment de malaise: est-ce à dire que cette homme a aidé à faire tuer des soldats français, comme le firent jadis les porteurs de valise du FLN? Je suis un anti-colonialiste, mais j’avoue ne pas avoir de tendresse particulière pour des gens qui font tuer des soldats français…
    Je suis peut-être dur, mais j’ai le sentiment que de nos jours, on donne trop souvent le mauvais rôle à la France, et ce serait bien qu’on se souviennent qu’une grande partie des soldats en Algérie était des appelés, ce que bien des gauchistes et autres bobos moralistes semblent oublier…

    • Descartes dit :

      Votre question illustre parfaitement ce que j’ai dit sur la question du tragique en politique. C’est la tragédie de ces gens qui, à la fois français et algériens, ont été placés dans une situation impossible de devoir choisir l’une des "patries" par rapport à l’autre. Des "porteurs de valises" – qui ont choisi l’Algérie indépendante contre la France – aux Harkis – qui ont fait le choix inverse… D’ailleurs, les deux tragédies sont parallèles: les harkis ont été abandonnés par la France qu’ils avaient pourtant servie, les gens comme Henri Alleg ont été rejetés par l’Algérie indépendante qu’ils avaient pourtant contribué à créer.

      Le propre de la tragédie est que ses personnages échappent au jugement moral. Tout au plus pouvons nous constater que les hommes comme Henri Alleg se sont engagés généreusement pour ce à quoi ils croyaient, qu’ils ont été prêts à faire le sacrifice suprême pour leurs idées, et qu’ils ont été conséquents avec leurs choix jusqu’au bout. A partir de là, ils deviennent des exemples. Cela étant dit, je n’irais pas jusqu’à décorer Alleg de la légion d’honneur. C’est à l’Algérie de le faire, si elle l’en estime digne…

      Je suis d’accord avec vous sur la question du "mauvais rôle" qu’on donne à la France. J’y vois un signe malheureux de cette incapacité à comprendre l’élément tragique ce qui amène à penser qu’on peut juger l’action des Etats en termes moraux. Fabien a-t-il eu raison de tuer l’aspirant Moser, qu’il ne connaissait pas, qui était peut-être un excellent père de famille qui n’avait fait du mal à personne, et cela seulement parce qu’il portait un uniforme allemand ? Il n’y a pas de jugement moral possible. C’est l’essence du tragique…

  3. Baruch dit :

    Henri Alleg était un militant communiste, c’est comme membre du PCAlgérien, comme journaliste de la presse communiste algérienne, intellectuel impliqué dans la lutte idéologique qu’il a été arrêté et torturé.
    Il n’a pas été de ceux qu’on a appelé les "porteurs de valises", il a fait son travail de militant révolutionnaire.
    C’est aussi en tant que communiste qu’il a été à la direction de la rédaction de l’humanité quand le journal était encore l"organe central" du PCF , à ma connaissance c’est bien avant la "mutation" de Robert Hue qu’il a fait partager et circuler d’autres analyses que celles de la direction. Dans le parti d’alors on ne parlait pas de tendances et cela n’en était pas, mais des textes, des rencontres et des discussions (j’ai souvenir de certains) propageaient d’autres perspectives.
    Merci d’avoir salué Alleg, ma copine de lycée a essayé hier de mettre une phrase d’hommage vers midi hier sur le site de Mélenchon, elle a été éjectée, le second message vers 17h demandant si le nom même d’Alleg gênait sur le site d’un ancien ministre de Mitterrand a eu le droit à "on ne doit pas parler de n’importe qui et n’importe quoi sur le site de Mélenchon". Pas plus qu’il ne fallait parler en Janvier de la victoire de Stalingrad sur ce même site. Si le PG l’a éjecté, le PCF l’a découpé !
    Bref, il faut lire "La question", et peut-être sans que je crois un seul instant à une quelconque transmission biologique de la théorie! le livre de Jean Salem son fils, professeur à Paris I : Rideau de fer sur le Boul’ Mich. Notes sur la représentation des pays dits de l’Est chez l’élite cultivée du peuple le plus spirituel du monde. — Éditions de la Croix de Chavaux, 1985. — 211 p.

    Merci donc d’avoir dit qui était Henri Alleg. Hommage à lui.

    • Descartes dit :

      Mon cher Baruch, je te remercie de tes remerciements. Quant au livre que tu cites, je l’ai dans ma bibliothèque mais j’ignorais que l’auteur était Jean Salem. Sur mon édition, c’est un pseudonyme, "Jean Sarat" qui apparaît. Et je ne connais pas assez le milieu universitaire pour savoir qui se cachait derrière ce nom. Mais le livre en vaut la peine: avec beaucoup d’humour, il dénonce le déferlement d’anticommunisme qui a marqué le premier septennat de Mitterrand, et qui a préparé la montée du FN.

  4. cyberic dit :

    "" tout particulièrement l’abandon du centralisme démocratique. Henri Alleg sera aussi membre du "comité Erich Honecker", formé pour défendre l’ancien secrétaire général du SED est-allemand devant la vengeance judiciaire des dirigeants allemands après la réunification."""

    ….le centralisme démocratique, c’était bien la boutade de G.Marchais aux journalistes, on en souris encore, quand a Honecker le triste fonctionnaire d’un régime communiste totalitaire, on en souris moins. Alleg un homme perdu dès le départ, un sérieux problème d’identité on dirait..

    • Descartes dit :

      J’avoue que j’ai du mal à comprendre le sens de votre intervention. Pensez-vous que vous faites avancer vos idées en crachant sur un – des – cadavres ? Que le fait de vous moquer des "problèmes d’identité" d’Henri Alleg vous rendra plus sympathique ou apportera quelque chose au débat ? S’il vous plaît, ayez la bonté d’éclairer ma lanterne…

    • cyberic dit :

      vous êtes sérieux là?..je ne crache sur personne d’abord et en lisant vos énormités que je cite plus haut j’ai eu envie de "modérer". Où vous êtes aveugle ou où vous jouez la provocation..?

      nb/ je ne connais pas du tout Alleg donc c’est plutôt vous qui me posez question.

    • Descartes dit :

      [vous êtes sérieux là?..je ne crache sur personne d’abord]

      Vous êtes sérieux, là ? Je vous cite "Alleg, un homme perdu dès le départ, un sérieux problème d’identité, on dirait…". C’est dans ce terme que vous aimeriez qu’on parle d’un de vos morts ? Et c’est d’autant plus détestable que vous avouez "ne pas connaître du tout Alleg"… ainsi vous vous permettez de qualifier de "perdu dès le départ" et d’évoquer les "problèmes d’identité" de quelqu’un que vous ne connaissez pas ?

      [et en lisant vos énormités]

      Il est vrai qu’on voit toujours la paille dans l’oeil du prochain plutôt que la poutre dans le sien…

    • cyberic dit :

      ""Blog de débat pour ceux qui sont fatigués du discours politiquement correct et de la bienpensance à gauche""

      C’est précisément ce qui m’a fait venir ici, et je dois dire que vous êtes surprenant a manier les poncifs les plus lourds..vous louez son action en faveur du "centralisme démocratique" qui est une vaste connerie, sans parler d’Honecker et de la RDA qui n’avait de démocratique que le sigle. Je repose ma question, êtes vous sérieux où alors vous avez un problème ? désolé.

    • Descartes dit :

      @cyberic

      [C’est précisément ce qui m’a fait venir ici, et je dois dire que vous êtes surprenant a manier les poncifs les plus lourds..vous louez son action en faveur du "centralisme démocratique" qui est une vaste connerie,]

      Vous devriez lire avec attention. Je vous mets au défi de m’indiquer où j’aurais « loué son action en faveur du centralisme démocratique ». Voici exactement ce que j’ai écrit : « Permettez ici de combler les trous de mémoire du camarade Laurent: Henri Alleg sera très critique de la "mutation" du PCF initiée par Robert Hue, qu’il considère comme une "dérive social-démocrate". Il ira jusqu’à rejoindre le "pôle de renaissance communiste en France", organisation qui regroupe des militants et anciens militants du PCF et qui fustige les dérives "gauchistes" du PCF, et tout particulièrement l’abandon du centralisme démocratique ». Ou voyez-vous donc une quelconque « louange » ? Je me contente de rappeler certains faits que, pour des raisons qui me semblent évidentes, le camarade Paul Laurent préfère ignorer.

      Mais vos commentaires méritent une réponse plus globale. Le débat, qui est le but de ce blog, implique un échange d’arguments. Or, vous vous contentez d’affirmer votre opinion comme si celle-ci était une vérité d’évidence, comme si elle n’avait pas besoin d’être argumentée. C’est votre droit de croire que le centralisme démocratique est une « vaste connerie ». Mais ce n’est pas parce que vous le croyez que cela devient vrai. En fait, loin d’être une « vaste connerie », la question du « centralisme démocratique » est un débat fondamental au sein du mouvement ouvrier. D’abord, c’est quoi le centralisme démocratique ? C’est une conception de l’organisation politique dans laquelle une fois les décisions prises après un débat démocratique dans une instance, ces décisions sont applicables par tous sans discussion, et s’imposent aux instances de rang inférieur.

      Cette conception apparaît en réaction à la « trahison » des partis socialistes dont certaines personnalités – Millerand, par exemple – séduites par des offres de postes, d’argent ou d’honneurs acceptent de participer ou de soutenir des gouvernements « bourgeois ». D’où l’idée que pour contrer les moyens quasi-illimités des régimes bourgeois il faut aux partis ouvriers une discipline de fer, proche d’une discipline militaire. Après la décision des partis socialistes français et allemand de participer aux gouvernements de conduite de la guerre en 1914, Lénine défend la constitution de partis d’un type nouveau, faisant du « centralisme démocratique » leur principe d’organisation. C’est l’un des motifs de la scission du Congrès de Tours qui donne naissance à la SFIO d’un côté et à la SFIC – qui deviendra le PCF – de l’autre.

      Depuis, ce débat est resté très vivace entre les organisations mais aussi à l’intérieur de celles-ci. Lorsque la direction du PS déclare que des députés socialistes ne sauraient pas voter contre le gouvernement que le Parti soutient, il ne fait que revivre ce débat. La question de savoir si les députés ou les militants d’un Parti sont libres d’exprimer leur opinion ou sont soumis à une discipline de Parti est loin d’être une « vaste connerie ». Que vous puissiez la qualifier de tel me fait penser que vous ne savez pas de quoi vous parlez, tout comme vous vous permettez de qualifier la personnalité d’Henri Alleg sans savoir – de votre propre aveu – rien du tout sur lui.

      [sans parler d’Honecker et de la RDA qui n’avait de démocratique que le sigle. Je repose ma question, êtes vous sérieux où alors vous avez un problème ?]

      Je suis parfaitement sérieux, et je n’ai aucun problème. Et je trouve assez amusante votre essai de terrorisme intellectuel sur le mode « si vous ne pensez pas comme moi, c’est que vous êtes fou ». Pour être honnête, vos opinions – et les miennes – n’ont aucun intérêt. La seule chose intéressante ici, c’est l’argumentation que l’on peut exposer pour les soutenir. Si vous n’avez pas d’argument à exposer, vous feriez mieux de vous souvenir du proverbe qui veut que la parole soit d’argent et le silence, d’or.

  5. Pienol dit :

    Descartes, vous me décevez, et le mot est faible. Vous avez été sensible à la la personnalité de cet homme, très bien. Mais qu’est-ce qui vous pousse à faire l’éloge d’une vie d’engagement politique au service d’une idéologie totalitaire et criminelle. Partout, toujours, essentiellement totalitaire et criminelle. Vous allez jusqu’à reprocher au PCF de passer sous silence que M. Alleg lui a reproché, à ce pauvre PCF, de prendre ses distances (pourtant, Dieu sait que ce fut lentement, et pour ainsi dire subrepticement) avec les sources idéologiques du pire totalitarisme du XXe siècle. Vous ecrivez qu’Alleg, dans un livre, "dénonce le déferlement d’anticommunisme qui a marqué le premier septennat de Mitterrand, et qui a préparé la montée du FN." Etes-vous sérieux ? Si oui, que visez-vous par là ? Serait-ce ce que l’on a appelé le "moment anti-totalitaire" qui, de la publication de l’Archipel du Goulag à 1989, a vu une bonne part de l’intelligentia française se retrouver enfin, au-delà des multiples divergences, sur la défense de la démocratie libérale en tant que "régime des droits de l’homme" ? Si oui, alors vous n’êtes pas un républicain français. On peut être un répblicain français à la manière de Pierre Manent ou à la manière de Régis Debray, mais pas à la manière d’Alain Badiou (et encore, je crains qu’Alleg n’aie considéré ce dernier comme un "gauchiste"). Prendre la défense d’Erich Honecker "devant la vengeance judiciaire des dirigeants allemands après la réunification"… Franchement, on croit rêver. Je vous conseille de traduire votre billet en polonais, tchèque, hongrois, lithuanien, estonien, bulgare, roumain, et de le publier : vous pourrez ainsi entrer dans une discussion bien intéressante avec ceux qui ont connu le communisme réel. J’ajoute que ce qui frappe, dans la transition démocratique en Europe centrale et orientale depuis 1990, c’est l’absence de vengeance, judiciaire ou autre. Alors en Allemagne… franchement, à quelle "vengeance" faites-vous allusion ? Pour finir, que diable venez-vous établir un lien entre l’anti-communisme et la montée du FN ? Vous reprenez ainsi à votre compte la pire propagande staliniste du communisme comme rempart contre le fascisme. La montée du FN est due à la trahison du peuple français par ses élites politico-administratives. Cette trahison opère à de nombreux niveaux et dans de nombreux domaines (UE, éducation, insécurité, installation massive de l’islam, etc). Attribuer à Mitterrand un rôle quelconque dans l’effondrement du communisme comme force politique en France serait déjà extrêmement contestable. Attribuer à une soi-disant déferlante anti-communiste sous Mitterrand un rôle primordial dans la montée du FN, c’est vraiment n’importe quoi.

    • Descartes dit :

      [Mais qu’est-ce qui vous pousse à faire l’éloge d’une vie d’engagement politique au service d’une idéologie totalitaire et criminelle.]

      De quelle « idéologie totalitaire et criminelle » parlez vous ? Je crois que vous faites ici une confusion entre l’idéologie et les actions des hommes. Les actes de Staline étaient criminels, mais l’idéologie dont il se réclamait, était-elle criminelle pour autant ? Il y a là une différence essentielle qui est souvent ignorée par la bienpensance dont le credo est « communisme=nazisme ». A supposer même que les gouvernements qui se réclamaient de ces deux idéologies aient commis des crimes de même nature – ce que personnellement je ne crois pas – il y a entre ces deux idéologiques une différence subjective qui est essentielle. Le nazisme défend explicitement l’extermination des plus faibles et des races inférieures. Les camps d’extermination ne sont pas un accident du nazisme, ils sont la conséquence évidente des postulats idéologiques nazis. Rien de tel pour l’idéologie communiste, qui même si elle est « totalitaire » – au sens qu’elle ignore la séparation entre sphère publique et sphère privée – est une idéologie qui proclame l’égalité entre tous les hommes, la fraternité, la liberté. Rien qui annonce les camps et l’extermination. Lorsque les communistes « idéologiques » ont découvert les camps, ils en furent généralement horrifiés. Lorsque les nazis « idéologiques » ont découvert les camps, ils furent ravis. Voilà toute la différence.

      Peut-on dire que l’idéologie qui animait un Gabriel Péri, un Colonel Fabien, un Rol-Tanguy, un Eluard, un Aragon était « criminelle » ? Je ne le pense pas.

      [Vous allez jusqu’à reprocher au PCF de passer sous silence que M. Alleg lui a reproché, à ce pauvre PCF, de prendre ses distances (pourtant, Dieu sait que ce fut lentement, et pour ainsi dire subrepticement) avec les sources idéologiques du pire totalitarisme du XXe siècle.]

      Là, je ne vous comprends plus. D’un côté, vous accusez Henri Alleg d’avoir milité constamment et jusqu’à la fin de sa vie pour une idéologie « criminelle », et d’un autre côté vous trouvez normal que la direction du PCF lui rende hommage en occultant ce fait. Faudrait savoir… si l’idéologie à laquelle Henri Alleg est resté fidèle jusqu’au dernier soupir était « criminelle », pourquoi faudrait-il lui rendre hommage ?

      [Vous ecrivez qu’Alleg, dans un livre, "dénonce le déferlement d’anticommunisme qui a marqué le premier septennat de Mitterrand, et qui a préparé la montée du FN." Etes-vous sérieux ?]

      Je n’ai jamais écrit ça, et j’ai donc du mal à répondre à votre question.

      [Si oui, que visez-vous par là ? Serait-ce ce que l’on a appelé le "moment anti-totalitaire" qui, de la publication de l’Archipel du Goulag à 1989, a vu une bonne part de l’intelligentia française se retrouver enfin, au-delà des multiples divergences, sur la défense de la démocratie libérale en tant que "régime des droits de l’homme" ?]

      Tout a fait. Faut dire que l’intelligentsia française a un certain chic pour se tromper. Après avoir tressé des couronnes à Staline puis à Mao, elle se découvre lors de ce « moment » dévote de Saint Reagan et Sainte Thatcher… et si vous ne me croyez pas, revoyez ce magnifique document qu’est « Vive la Crise » avec l’ineffable signeur de pétitions Yves Montant en vendeur de soupe néo-libérale…

      [Si oui, alors vous n’êtes pas un républicain français.]

      Veuillez m’excuser, mais je ne pense pas que vous ayez l’autorité pour décerner ou retirer les brevets de républicanisme. Si vous avez un point de vue argumenté, vous êtes ici le bienvenu. Mais sachez que coller des étiquettes d’infamie ne constitue pas un argument.

      [Prendre la défense d’Erich Honecker "devant la vengeance judiciaire des dirigeants allemands après la réunification"… Franchement, on croit rêver.]

      En effet, on croit rêver. Une petite comparaison entre l’épuration contre les anciens communistes de la RDA et celle des anciens nazis après 1945 devrait vous réveiller de votre mauvais rêve. Combien d’anciens dirigeants nazis ont pu continuer leur vie paisiblement dans des refuges sur grâce à la bienveillance des américains ou du Vatican ? Combien ont poursuivi de belles carrières dans la RFA même ? Comment expliquez-vous qu’on n’ait pas été aussi clément pour les anciens dirigeants de la RDA ?

      [Je vous conseille de traduire votre billet en polonais, tchèque, hongrois, lithuanien, estonien, bulgare, roumain, et de le publier : vous pourrez ainsi entrer dans une discussion bien intéressante avec ceux qui ont connu le communisme réel.]

      J’ai du mal à comprendre le sens de cet argument. Qu’est ce que cela prouverait ?

      [J’ajoute que ce qui frappe, dans la transition démocratique en Europe centrale et orientale depuis 1990, c’est l’absence de vengeance, judiciaire ou autre. Alors en Allemagne…]

      Je ne peux que vous suggérer de mieux vous informer sur cette question. En particulier, vous pourriez lire ce qui a été écrit sur la loi dite « de lustration » en Pologne, au nom de laquelle on a expulsé de l’Université un grand nombre de professeurs et d’intellectuels, mais aussi interdit de vie politique un certain nombre de personnalités. En Allemagne, l’exemple Honecker – dans lequel on a transformé pour les besoins de la cause une incrimination essentiellement politique en crime de droit commun – que vous ne connaissez manifestement pas mériterait aussi une étude un peu plus approfondie.

      [Pour finir, que diable venez-vous établir un lien entre l’anti-communisme et la montée du FN ?]

      Parce que la campagne anti-communiste de la fin des années 1970 et des années 1980 avait un objectif politique précis : affaiblir le PCF et faire du PS le parti hégémonique de la gauche. L’affaiblissement du PCF consécutif à cette campagne a eu deux conséquences : d’une part, il a éradiqué les réseaux de solidarité – associations, organisations d’éducation populaire – qui fournissaient dans les quartiers un encadrement de la jeunesse ; et d’autre part a laissé les couches populaires de l’électorat sans représentation politique. C’est dans ce vide que le Front National a pu se développer.

      [Vous reprenez ainsi à votre compte la pire propagande staliniste du communisme comme rempart contre le fascisme.]

      Pas vraiment. Je pense avoir suffisamment défendu la thèse que le FN n’a rien d’un parti fasciste pour qu’on ne puisse pas me reprocher pareille chose…

    • pienol dit :

      Que des personnes de valeur aient pu embrasser une idéologie intrinsèquement criminelle, se battre contre l’homme alors qu’ils croyaient se battre pour lui, c’est précisément le grand mystère de la fascination communiste au XXe s., et pas seulement chez les intellectuels. François Furet a écrit un très grand livre là-dessus. D’autre part, sur les héros communistes de la Résistance, vous ne pouvez pas négliger la médiation du patriotisme. Que les personnes que vous citez aient été communistes, c’est indéniable ; est-ce leur foi communiste ou leur amour de la France qui les a fait se jeter dans la bataille contre l’ennemi ?

      [Le communisme "est une idéologie qui proclame l’égalité entre tous les hommes, la fraternité, la liberté. Rien qui annonce les camps et l’extermination."]

      Je préférerais éclater de rire mais puisque ce blog valorise les positions argumentées, allons-y. Le jugement in abstracto sur le communisme, et sa comparaison in abstracto avec le nazisme, n’ont pas de valeur. Ce qui compte historiquement et doit permettre de réfléchir moralement à l’idélogie communiste, c’est la réalité indéniable, très précisément établie historiquement, des massacres de masse organisés par les régimes communistes partout où ces régimes ont existé, sans exception. Beacucoup de ces crimes de masse, d’ailleurs, visaient à l’extermination de catégories de population définies sur des critères ethniques, de nationalité, religieux ou sociaux et sont des crimes contre l’humanité.

      Je pense en outre que vous faites un contresens moral dans votre appréciation relative du nazisme et du communisme. Il est plus grave à mes yeux de massacrer au nom du bien que de massacrer au nom du mal.

      Sur les "brevets de républicanisme", ne jouez pas au modeste s’élevant contre l’arrogance. Veillez plutôt à lire et rapporter en entier le passage de mon billet. Je mentionne des penseurs à bien des égards opposés, mais s’inscrivant dans le cadre républicain français. La République française, c’est une tentative (plutôt réussie à mes yeux) de conjuguer les règles de la démocratie libérale, la liberté économique (liberté d’entreprendre et propriété privée des moyens de production) et la justice sociale conçue comme égalité. Le communisme est entièrement basé sur le projet de renversement par la force de la démocratie libérale (ou "bourgeoise", comme vous dites si bien) et de supprimer la liberté économique en vue d’instaurer une égalité "réelle". Ce projet est incompatible avec le projet républicain français. La trajectoire intelletuelle et politique d’un Régis Debray, du communisme à la République, est bien intéressante. J’ajoute que partout où le projet communiste a été mis en oeuvre, partout sans exception, il a abouti à la suppression des libertés fondamentales et à la criminalité d’Etat. Vous avez bien sur le droit de l’ignorer, ou de faire semblant.

      Pour rétablir la vérité factuelle : vous avez effectivement écrit la phrase que je citais, dans une réponse à Baruch, mais il ne s’agissait pas d’un livre de Alleg lui-même (mea culpa). Je vous cite in extenso : "Mon cher Baruch, je te remercie de tes remerciements. Quant au livre que tu cites, je l’ai dans ma bibliothèque mais j’ignorais que l’auteur était Jean Salem. Sur mon édition, c’est un pseudonyme, "Jean Sarat" qui apparaît. Et je ne connais pas assez le milieu universitaire pour savoir qui se cachait derrière ce nom. Mais le livre en vaut la peine: avec beaucoup d’humour, il dénonce le déferlement d’anticommunisme qui a marqué le premier septennat de Mitterrand, et qui a préparé la montée du FN."

      Ne venez pas m’expliquer, comme vous l’avez tenté dans une de vos réponses à Cyberic à propos du "centralisme démocratique", que ce n’est vous qui pensez cela et que vous ne faites que rapporter ce que dit ce livre. La mauvaise foi — même la vôtre — doit trouver ses limites.

      Pour finir — vous semblez avoir bien du temps à consacrer à votre blog, cher Descartes, mais ce n’est pas mon cas — je voudrais vous dire que votre méthode de discussion n’est pas très honnête. Vous devez considérer un commentaire dans son ensemble, en saisir la thèse et éventuellement la discuter. Dégommer chaque phrase d’un texte ne fait pas une critique intelligente et honnête de ce texte.

    • Descartes dit :

      @pienol

      [Que des personnes de valeur aient pu embrasser une idéologie intrinsèquement criminelle,]

      Je vous rappelle que vous n’avez toujours pas argumenté en quoi l’idéologie en question serait « intrinsèquement criminelle ». Répéter une affirmation ne constitue pas un argument. Je vous mets donc au défi de m’indiquer en quoi, à votre avis, l’idéologie communiste serait « intrinsèquement criminelle ». Et j’insiste sur le mot « intrinsèque ». Si l’idéologie en question est « intrinsèquement criminelle », cela veut dire que le caractère criminel est contenu dans l’idéologie elle-même. Votre argumentation ne peut donc s’appuyer que sur les éléments de l’idéologie en question, et non sur des éléments de fait…

      [D’autre part, sur les héros communistes de la Résistance, vous ne pouvez pas négliger la médiation du patriotisme. Que les personnes que vous citez aient été communistes, c’est indéniable ; est-ce leur foi communiste ou leur amour de la France qui les a fait se jeter dans la bataille contre l’ennemi ?]

      Les deux, mon général. Et le fait est que ceux qui avaient cette idéologie ont été beaucoup plus nombreux à se jeter dans le combat – et avec des risques bien supérieurs – à ceux qui professaient les idéologies contraires. Comme quoi, le « patriotisme » semble-t-il n’était pas suffisant.

      [Le jugement in abstracto sur le communisme, et sa comparaison in abstracto avec le nazisme, n’ont pas de valeur.]

      Beh… je me demande comment vous faites pour déterminer qu’une idéologie est « intrinsèquement criminelle » sans l’analyser « in abstracto ».

      [Ce qui compte historiquement et doit permettre de réfléchir moralement à l’idéologie communiste, c’est la réalité indéniable, très précisément établie historiquement, des massacres de masse organisés par les régimes communistes partout où ces régimes ont existé, sans exception.]

      Avec ce critère, il faudrait attribuer les crimes de la colonisation à l’idéologie du capitalisme libéral. Contesteriez-vous que c’est au nom de cette idéologie que les puissances coloniales ont massacré, violé et pillé l’Afrique et l’Asie ? Est-ce que le massacre des indiens d’Amérique et l’esclavage des noirs africains ferait du christianisme – sous les auspices duquel ces crimes furent commis – une idéologie « intrinsèquement criminelle » ? Je crois que vous sous-estimez l’ampleur des casseroles qu’on peut attacher, si l’on suit votre raisonnement, à n’importe quelle idéologie. Y compris la votre.

      [Je pense en outre que vous faites un contresens moral dans votre appréciation relative du nazisme et du communisme. Il est plus grave à mes yeux de massacrer au nom du bien que de massacrer au nom du mal.]

      Vous pensez vraiment ça ? Si je suis votre raisonnement, j’en conclus que les Anglo-américains auraient dû chercher une alliance avec Hitler plutôt qu’avec Staline. Après tout, les crimes du premier sont moins graves que ceux du dernier, puisqu’il massacrait « au nom du mal »…

      [Sur les "brevets de républicanisme", ne jouez pas au modeste s’élevant contre l’arrogance.]

      Faisons un pacte : vous cessez de jouer l’arrogant, et j’arrête de jouer au modeste… d’accord ?

      [Veillez plutôt à lire et rapporter en entier le passage de mon billet. Je mentionne des penseurs à bien des égards opposés, mais s’inscrivant dans le cadre républicain français. La République française, c’est une tentative (plutôt réussie à mes yeux) de conjuguer les règles de la démocratie libérale, la liberté économique (liberté d’entreprendre et propriété privée des moyens de production) et la justice sociale conçue comme égalité.]

      C’est vrai. J’attire tout de même votre attention sur le fait que ce paradis doit beaucoup à l’action des suppôts d’idéologies « intrinsèquement criminelles ». Mais vous croyez peut-être que la « justice sociale » a été généreusement accordée par le patronat dans une crise irrépressible de bonté ?

      [Le communisme est entièrement basé sur le projet de renversement par la force de la démocratie libérale (ou "bourgeoise", comme vous dites si bien) et de supprimer la liberté économique en vue d’instaurer une égalité "réelle".]

      Oui. Et le capitalisme libéral est entièrement basé sur le projet du capitaliste d’exploiter le travailleur le plus possible en vue de s’enrichir, quitte à réduire le travailleur à la misère la plus abjecte. Heureusement, en France le rapport de force entre communistes et capitalistes a permis de trouver une voie médiane qui, pendant de longues années, a assuré un progrès raisonnable pour tous. Est-ce une coïncidence si l’affaiblissement du mouvement communiste correspond à un retour en arrière ? Je laisse la réponse à cette question à votre sagacité…

      [Ce projet est incompatible avec le projet républicain français. La trajectoire intelletuelle et politique d’un Régis Debray, du communisme à la République, est bien intéressante.]

      Ah bon ? Régis Debray était communiste ? Première nouvelle…

      [J’ajoute que partout où le projet communiste a été mis en oeuvre, partout sans exception, il a abouti à la suppression des libertés fondamentales et à la criminalité d’Etat. Vous avez bien sur le droit de l’ignorer, ou de faire semblant.]

      Oh, vous savez… la plupart des régimes capitalistes libéraux ont commencé de la même manière. Ce n’est que lorsque les régimes en question ont été assurés de leur stabilité et de leur pouvoir qu’ils sont devenus, timidement, démocratiques. Et cela a pris des décennies, voire des siècles.

      [Pour rétablir la vérité factuelle : vous avez effectivement écrit la phrase que je citais, dans une réponse à Baruch, mais il ne s’agissait pas d’un livre de Alleg lui-même (mea culpa).]

      En d’autres termes, l’affirmation que vous m’attribuiez n’était pas de moi. Dont acte.

      [Ne venez pas m’expliquer, comme vous l’avez tenté dans une de vos réponses à Cyberic à propos du "centralisme démocratique", que ce n’est vous qui pensez cela et que vous ne faites que rapporter ce que dit ce livre. La mauvaise foi — même la vôtre — doit trouver ses limites.]

      S’il y quelque chose qui dégrade le débat, c’est le manque de rigueur et l’esprit d’à-peu-près. Je suis toujours prêt à assumer ce que j’ai écrit. Mais je ne vois aucune raison d’assumer ce qu’à votre avis je pense. Dans la phrase que vous citez, je ne fais que rapporter ce que dit le livre. Si vous voulez savoir ce que j’en pense, vous pouvez toujours me le demander.

      [Pour finir — vous semblez avoir bien du temps à consacrer à votre blog, cher Descartes, mais ce n’est pas mon cas — je voudrais vous dire que votre méthode de discussion n’est pas très honnête.]

      Encore une fois, la paille dans l’œil du voisin vous empêche de voir la poutre dans le votre. Ce n’est pas moi après tout qui attribue à Alleg des livres qu’il n’a pas écrit.

      [Vous devez considérer un commentaire dans son ensemble, en saisir la thèse et éventuellement la discuter. Dégommer chaque phrase d’un texte ne fait pas une critique intelligente et honnête de ce texte.]

      C’est ce que je fais avec les textes qui ont une thèse. Mais ce n’est pas le cas du votre. Vous vous contentez de répéter des poncifs sans jamais exposer la moindre argumentation. Dans ces conditions, vous ne me donnez pas beaucoup de matière à argumenter de mon côté.

    • pienol dit :

      La dictature du prolétariat, ce n’est pas criminel ? Pas à vos yeux, j’imagine, puisque ce ne sont jamais que les bourgeois capitalistes exploiteurs qui font les frais de la violence révolutionnaire. Défi relevé. Et puis si ca vous fait vraiment plaisir, je suis prêt à remplacer "intrinsèquement" criminelle par "dont la mise en oeuvre a infailliblement conduit au crime de masse". Ca vous va ? Je prefere l’histoire à la philosophie, elle donne moins prise au mensonge.

      On a peine à vous le rappeler, mais Roosevelt et Churchill, eux, ne faisaient pas de philosophie (ils faisaient l’Histoire) et ils ont fait alliance avec Staline parce que, euh, pourquoi déjà? Ah, oui, parce que Hitler avait envahi toute l’Europe, bombardait l’Angleterre jour et nuit, et avait envahi la Russie. Je pense que ni Roosevelt, ni Churchill (ni de Gaulle, c’est certain), n’ignorait quoi que ce soit du caractère (intrinsèquement?) criminel du communisme, et en tout cas des crimes de Staline. Votre question idote sur les alliances est très drôle, sans le vouloir, car vous oubliez que celui qui avait fait alliance avec Hitler dans cette affaire, c’était précisément Staline. Une alliance qui a mis les communistes français, ces grands amis de l’humanité prisonniers d’une abjecte démocratie capitaliste bourgeoise, dans une situation bien difficile… jusqu’en 1941.

      Je maintiens, pour ma part, que massacrer au nom du bien est plus grave moralement que de massacrer au nom d’une idéologie évidemment maléfique. Chaque fois qu’on a massacré au nom du Christ, on a massacré au nom du bien et cela entre dans le champ de mon appréciation. Je doute, en revanche, qu’on ait jamais massacré au nom du capitalisme (il n’y a jamais eu d’étendard capitaliste comme il y a eu des étendards communistes, et même des étendards chrétiens), mais dans tous les cas jamais personne n’a présenté le capitalisme comme une idéologie du bien.

      Oui, Régis Debray était un révolutionnaire communiste, même s’il n’a jamais été au PC et n’a jamais été stalinien (lui).

      Oui, parfaitement, les premiers éléments de protection sociale et d’assistance ont été, pratiquement tous, initiés par les patrons en dehors de toute obligation légale. C’est particulièrement le cas dans le capitalisme de grandes familles catholiques (dans le Nord) et protestantes (dans l’Est). On apprend même cela sur les bancs de l’école républicaine, alors c’est vous dire si ça doit être vrai.

      Voilà donc encore une réponse dénuée de toute thèse et de toute argumentation, remplie de poncifs, qui va donc vous obliger à faire usage de mauvaise foi alors que vous auriez tant voulu la prendre au sérieux, si seulement elle le méritait… Pauvre coco.

    • Descartes dit :

      @pienol

      [La dictature du prolétariat, ce n’est pas criminel ? Pas à vos yeux, j’imagine, puisque ce ne sont jamais que les bourgeois capitalistes exploiteurs qui font les frais de la violence révolutionnaire. Défi relevé.]

      Je ne vois pas très bien quel défi vous avez relevé. Dire « la dictature du prolétariat, ce n’est pas criminel ? » ne prouve strictement rien. J’attends toujours votre argumentation démontrant que la dictature du prolétariat serait « criminelle ». Ce n’est que lorsque vous aurez réussi à argumenter votre affirmation que vous aurez « relevé le défi »…

      J’ai l’impression d’ailleurs que vous n’avez pas une idée très claire de ce qu’est la « dictature du prolétariat ». Pour Marx, la « dictature du prolétariat » est une phase dans la transition entre capitalisme et communisme pendant laquelle le pouvoir doit être exercé par une seule classe sociale, le prolétariat. Il n’y a là rien d’extraordinaire : il y a beaucoup d’exemples historiques de sociétés où le pouvoir était réservé à une classe sociale. C’était le cas dans tous les régimes aristocratiques, de la Grèce antique aux régimes féodaux. C’était le cas du premier capitalisme, qui conserva le suffrage censitaire, réservant donc le pouvoir politique à ceux qui possédaient un capital. Doit-on considérer tous ces régimes comme « criminels » ?

      Car contrairement à ce que vous avez l’air de croire, la « dictature du prolétariat » dans la vision de Marx n’est pas nécessairement violente ni implique la suppression physique des autres classes sociales. Rien de criminel donc là dedans.

      [Et puis si ca vous fait vraiment plaisir, je suis prêt à remplacer "intrinsèquement" criminelle par "dont la mise en oeuvre a infailliblement conduit au crime de masse".]

      La question n’est pas ce qui me fait plaisir. Le fait est que la formule « intrisèquement criminelle » est inexacte. Vous savez, admettre une erreur n’est pas honteux…

      [Ca vous va ? Je prefere l’histoire à la philosophie, elle donne moins prise au mensonge.]

      Vous croyez ça ? Dans ce cas, vous allez être très déçu. Parce qu’il y a plusieurs exemples de « mise en œuvre » qui n’ont pas conduit « infailliblement » au crime de masse. Prenons par exemple le régime d’Allende au Chili…

      [On a peine à vous le rappeler, mais Roosevelt et Churchill, eux, ne faisaient pas de philosophie (ils faisaient l’Histoire) et ils ont fait alliance avec Staline parce que, euh, pourquoi déjà?]

      Une petite visite à Auschwitz devrait vous permettre de répondre à cette question.

      [Ah, oui, parce que Hitler avait envahi toute l’Europe, bombardait l’Angleterre jour et nuit, et avait envahi la Russie. Je pense que ni Roosevelt, ni Churchill (ni de Gaulle, c’est certain), n’ignorait quoi que ce soit du caractère (intrinsèquement?) criminel du communisme, et en tout cas des crimes de Staline.]

      Et pourtant, ils ont fait alliance avec lui. De Gaulle a même pris des ministres « criminels » dans son gouvernement. Etrange, non ? Faut croire que ces gens là, contrairement à vous, ne trouvaient pas le fait de s’allier à des criminels si grave que ça. C’est peut-être pour cela qu’ils faisaient l’Histoire…

      [Votre question idote sur les alliances est très drôle,]

      J’ignore ce que c’est qu’une question « idote ». Mais si c’est ce que je pense, je vous conseille de mieux surveiller votre langage à l’avenir. Si vous n’êtes pas capable d’échanger sans injurier votre interlocuteur, vous n’êtes pas le bienvenu sur ce blog. Compris ?

      [sans le vouloir, car vous oubliez que celui qui avait fait alliance avec Hitler dans cette affaire, c’était précisément Staline.]

      Alliance ? Encore une fois, vous prenez des drôles de libertés avec les termes… non, Staline et Hitler n’ont jamais conclu d’alliance. Ils ont conclu un « pacte de non-agression ». Et ils n’ont pas été les seuls : les britanniques et les français les avaient précédés en signant à Munich un accord avec Hitler.

      Et Staline ne s’est résolu à signer le « pacte » en question qu’après que les puissances occidentales aient refusé tout pacte de sécurité collective avec l’URSS, aient admis le réarmement de l’Allemagne et cédé à Hitler la Tchecoslovaquie. Dans ce contexte, on peut comprendre que les soviétiques aient tiré la conclusion qu’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes pour se défendre, et qu’ils aient fait le nécessaire pour gagner du temps et mieux préparer leur défense. C’est d’ailleurs ce que la bienpensance occidentale ne leur a jamais pardonné : de nous avoir doublé.

      [Je maintiens, pour ma part, que massacrer au nom du bien est plus grave moralement que de massacrer au nom d’une idéologie évidemment maléfique.]

      La répétition ne constitue pas un argument.

      [Chaque fois qu’on a massacré au nom du Christ, on a massacré au nom du bien et cela entre dans le champ de mon appréciation.]

      En d’autres termes, l’église catholique est pour vous une « organisation criminelle » ? Eh ben, vous allez vous en faire, des amis…

      [Je doute, en revanche, qu’on ait jamais massacré au nom du capitalisme (il n’y a jamais eu d’étendard capitaliste comme il y a eu des étendards communistes, et même des étendards chrétiens),]

      Mais bien sur que si… seulement, vous oubliez que « capitalisme » est un terme inventé par les adversaires de celui-ci. Et personne ne se fait des étendards en utilisant le nom que lui donnent ses ennemis. Le capitalisme a eu ses drapeaux, ceux de la « civilisation » à l’époque coloniale, ceux du « monde libre » pendant la guerre froide… et on a beaucoup massacré au nom de ces drapeaux.

      [Oui, Régis Debray était un révolutionnaire communiste, même s’il n’a jamais été au PC et n’a jamais été stalinien (lui).]

      Ah bon ? Dans quelle organisation militait-il ? Vous savez, on ne peut pas être « révolutionnaire communiste » à titre individuel…

      [Oui, parfaitement, les premiers éléments de protection sociale et d’assistance ont été, pratiquement tous, initiés par les patrons en dehors de toute obligation légale.]

      Et certainement, la pression des organisations ouvrières, les grèves – dont certaines durement réprimées – et la peur de voir les organisations socialistes se renforcer n’y sont absolument pour rien dans ces largesses patronales… C’était de la philanthropie pure.

      [Voilà donc encore une réponse dénuée de toute thèse et de toute argumentation, remplie de poncifs,]

      Ce n’est pas moi qui ira vous contredire… au contraire.

    • odp dit :

      @ Descartes:

      Sauf erreur de ma part:

      [Alliance ? Encore une fois, vous prenez des drôles de libertés avec les termes… non, Staline et Hitler n’ont jamais conclu d’alliance. Ils ont conclu un « pacte de non-agression ». Et ils n’ont pas été les seuls : les britanniques et les français les avaient précédés en signant à Munich un accord avec Hitler.]

      Le pacte Germano-soviétique fut bien plus qu’un Traité de non-agression en raison de des clauses secrètes qu’il comportait et qui concernait, notamment, le partage de la Pologne "en cas de réorganisation territoriale" et l’échange d’opposants politiques (dont Margarete Buber-Neuman fut la plus célèbre).

      Ces clauses sécrètes ouvrirent d’ailleurs la voie à la signature, 2 mois plus tard, du "Traité Germano-soviétique de délimitation à d’amitié" qui entérinait la 4ème partition de la Pologne. Plus qu’une alliance donc, de l’amitié.

      Pour l’édification des masses je me permets de citer le protocole relatif à la Résistance Polonaise qui annonçait le massacre de Katyn: « Aucune des deux parties ne tolérera sur son territoire d’agitation polonaise quelconque qui menacerait le territoire de l’autre partie. Chacune écrasera sur son propre territoire tout embryon d’une telle agitation, et les deux s’informeront mutuellement de tous les moyens adéquats pouvant être utilisés à cette fin. »

      [Il y a plusieurs exemples de « mise en œuvre » qui n’ont pas conduit « infailliblement » au crime de masse. Prenons par exemple le régime d’Allende au Chili…]

      Sauf erreur de ma part, Salvador Allende n’était pas communiste mais socialiste; et son gouvernement qui regroupait socialistes, radicaux, sociaux démocrates et indépendants ne comptait que 3 communistes sur 15 membres.

      [Ah bon ? Dans quelle organisation militait-il (Regis Debray) ? Vous savez, on ne peut pas être « révolutionnaire communiste » à titre individuel…]

      Régis Debray a été un combattant de l’Armée de Libération Nationale de Bolivie, une guérilla marxiste-léniniste fondée et dirigée par Che Guevara.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Le pacte Germano-soviétique fut bien plus qu’un Traité de non-agression en raison de des clauses secrètes qu’il comportait et qui concernait, notamment, le partage de la Pologne "en cas de réorganisation territoriale" et l’échange d’opposants politiques (dont Margarete Buber-Neuman fut la plus célèbre).]

      Le pacte Germano-soviétique fut un peu plus qu’un traité de non agression – il contenait des clauses économiques de fourniture de biens – mais ne constituaient pas une « alliance » qui aurait impliqué le combat côté à côté contre un ennemi commun. Les mots ont un sens, et parler « d’alliance » dans ce contexte est faire un contresens historique.

      [Ces clauses sécrètes ouvrirent d’ailleurs la voie à la signature, 2 mois plus tard, du "Traité Germano-soviétique de délimitation à d’amitié" qui entérinait la 4ème partition de la Pologne. Plus qu’une alliance donc, de l’amitié.]

      Faut pas exagérer. « L’amitié » n’est pas une catégorie diplomatique. Et si le fait de s’accorder par traité sur le partage d’un pays tiers était suffisant pour constituer une « alliance », il faudrait conclure à une alliance entre l’Allemagne nazie, la France et la Grande-Bretagne. Après-tout, n’ont-ils tous signé les accords de Munich, qui enterinaient la partition de la Tchecoslovaquie ?

      En pratique, le « traité germano-soviétique de délimitation » ne partageait nullement la Pologne. Il entérinait le retour à l’URSS des territoires russes que la Pologne avait occupée dans les années 1920.

      [Pour l’édification des masses je me permets de citer le protocole relatif à la Résistance Polonaise qui annonçait le massacre de Katyn: « Aucune des deux parties ne tolérera sur son territoire d’agitation polonaise quelconque qui menacerait le territoire de l’autre partie. Chacune écrasera sur son propre territoire tout embryon d’une telle agitation, et les deux s’informeront mutuellement de tous les moyens adéquats pouvant être utilisés à cette fin. »]

      Je ne vois pas trop le rapport avec le massacre de Katyn. J’imagine que vous n’insinuez pas que les soviétiques ont massacré les officiers polonais parce qu’ils craignaient qu’ils attaquent l’Allemagne, non ? Mais bon, il est vrai que dans toute conversation sur l’URSS, Katyn sort toujours tôt ou tard du chapeau…

      [Sauf erreur de ma part, Salvador Allende n’était pas communiste mais socialiste;]

      Tout comme Lénine, si vous allez par là. Après tout, le vieux Nikolai n’était que le chef de la fraction majoritaire du Parti Ouvrier Social-Démocrate Russe…

      [Régis Debray a été un combattant de l’Armée de Libération Nationale de Bolivie, une guérilla marxiste-léniniste fondée et dirigée par Che Guevara.]

      Une guérilla « marxiste-léniniste » est une contradiction dans les termes. Je vous rappelle que la théorie du « foc » qui était celle qui guidait l’action de Guevara était à l’opposé de la position léniniste sur le parti de masse. Vous savez, il faut se méfier des étiquettes. Que Debray ait été guévariste, c’est possible – et encore, je pense qu’il était surtout romantique. Mais « communiste » ? Non.

    • odp dit :

      [En pratique, le « traité germano-soviétique de délimitation » ne partageait nullement la Pologne. Il entérinait le retour à l’URSS des territoires russes que la Pologne avait occupée dans les années 1920.]

      Il me semble que vous faites erreur. Voici les frontières de la Pologne telles que définies par le Traité de Versailles http://commons.wikimedia.org/wiki/File:PBW_December_1919.png et voici la ligne de démarcation germano-soviétique telle que définie par le traité de délimitation et d’amitié: http://www.ushmm.org/wlc/fr/media_nm.php?ModuleId=19&MediaId=782. Les russes ont annexé une bande de territoire de 200 à 300 km du nord au sud.

      [Je ne vois pas trop le rapport avec le massacre de Katyn. J’imagine que vous n’insinuez pas que les soviétiques ont massacré les officiers polonais parce qu’ils craignaient qu’ils attaquent l’Allemagne, non ? Mais bon, il est vrai que dans toute conversation sur l’URSS, Katyn sort toujours tôt ou tard du chapeau…]

      Vous êtes un peu injuste avec moi. On ne parlait pas de l’URSS mais de la Pologne et de l’URSS au cours de la seconde guerre mondiale. Dans ce cadre là, évoquer Katyn ne me paraît pas vraiment tiré par les cheveux. Ceci dit je ne l’aurai pas fait si je n’étais tombé par hasard sur ce protocole qui envisageait "l’écrasement" de la Résistance polonaise dans l’hypothèse où celle-ci se manifesterait. Ce genre de termes ne présage pas d’une occupation, qu’elle soit allemande ou soviétique, particulièrement tendre.

      [Le pacte Germano-soviétique fut un peu plus qu’un traité de non agression – il contenait des clauses économiques de fourniture de biens – mais ne constituaient pas une « alliance » qui aurait impliqué le combat côté à côté contre un ennemi commun. Les mots ont un sens, et parler « d’alliance » dans ce contexte est faire un contresens historique.]

      Il me semble que l’invasion de la Pologne polonais par l’armée rouge le 17 Septembre 1940 alors que l’armée polonaise est en train de se réorganiser en attendant une offensive française correspond exactement à la définition que vous donnez de l’alliance: combat, côte à côte (disons chacun de son côté) d’un ennemi commun (la Pologne). Exactement comme la France et la Russie en 1914 (contre l’Allemagne) ou l’Allemagne et l’Italie en 1940 (contre la France).

    • odp dit :

      Et pour la forme, Debray a adhéré au PCF après ses études secondaires et a milité à l’Union des Etudiants Communistes. Ensuite, était-il communiste selon votre goût, seul vous pouvez le savoir.

    • Descartes dit :

      @odp

      [Il me semble que vous faites erreur. Voici les frontières de la Pologne telles que définies par le Traité de Versailles]

      L’URSS, si ma mémoire m’est fidèle, n’était pas partie au traité de Versailles. Les alliés ont été très généreux avec la Pologne, en lui accordant les territoires de la « grande Pologne ».

      [Vous êtes un peu injuste avec moi. On ne parlait pas de l’URSS mais de la Pologne et de l’URSS au cours de la seconde guerre mondiale. Dans ce cadre là, évoquer Katyn ne me paraît pas vraiment tiré par les cheveux.]

      Je ne suis nullement « injuste ». On ne parlait pas de « la Pologne et l’URSS », mais de « l’Allemagne et l’URSS », et particulièrement du « pacte » de non-agression. Le massacre de Katyn n’a aucun rapport avec ce « pacte ». Point à la ligne.

      [Il me semble que l’invasion de la Pologne polonais par l’armée rouge le 17 Septembre 1940]

      L’URSS n’a pas « envahi la Pologne polonais », mais repris les territoires que la « grande Pologne » de Pilsudski avait chipé en profitant de la faiblesse de l’URSS pendant les années de la guerre civile. Un peu comme si on reprochait à la France d’avoir depecé l’Allemagne au prétexte qu’elle a récupéré l’Alsace-Moselle…

    • Descartes dit :

      [Et pour la forme, Debray a adhéré au PCF après ses études secondaires et a milité à l’Union des Etudiants Communistes. Ensuite, était-il communiste selon votre goût, seul vous pouvez le savoir.]

      Mon goût n’a rien à faire la dedans. Quand il militait à l’UEC, il était communiste. Quant il a cessé de militer chez les communistes, il a cessé de l’être…

    • odp dit :

      Je vous laisse profiter de vos vacances. A votre retour, peut-être pourra-t-on essayer de dépasser les arguments d’autorité type "point à la ligne"… Surtout quand les arguments que vous déployez sont si peu convaincant que je doute que vous y croyez vous-même.

    • Descartes dit :

      @odp

      J’avais cru, en lisant vos dernières contributions, que vous aviez décidé de vous tenir correctement. Je constate qu’il n’en est rien, et que vous continuez à prendre vos interlocuteurs pour des imbéciles. Dans ce dernier commentaire, vous me laissez le choix entre l’imbécilité de croire à des arguments "si peu convaincants" ou la malhonnêteté d’utiliser des arguments auxquels je ne crois pas. Je vous conseille de profiter de mes vacances pour acquérir quelques manières…

  6. Marencau dit :

    Bonjour Descartes,

    J’avoue ne pas connaître Henri Alleg… de ce que je peux en lire ici et là le personnage semble effectivement très intéressant. Dans les périodes de troubles ou chacun perd ses repères et que le monde ne se résume pas aux gentils contre les méchants, les réflexions et cheminements de pensée des acteurs du conflit sont de toute façon en général passionnants. Mais sur la guerre d’Algérie, là aussi, hélas, je suis plutôt ignare et il faut que je remplisse ma bibliothèque… alors pourquoi ne pas commencer par "La Question" !

    Autrement, de ce que tu en dis, il illustre plutôt bien le communiste "assumé" par rapport à la tendance "mea culpa" actuelle. Alors, d’accord, les seconds ont plus ou moins laissés tomber les classes populaires et c’est entre autres en abandonnant le discours des premiers que le PCF a dégringolé dans les élection. Mais il ne faut pas abuser non plus ! Sans faire d’amalgame entre Alleg et le mouvement dont il était membre du comité national de parrainage, j’ai voulu me renseigner un peu sur le "Pôle de Renaissance Communiste en France"… connais-tu ce groupe ? Quel est ton avis à ce sujet ?

    Sur leur site Internet on y retrouve, je dois dire, pas mal d’analyses et propositions très raisonnables dont certaines ont déjà été débattues ici. Mais on y retrouve aussi des choses plus étonnantes: soutien de la Corée du Nord qui "lutte contre l’impérialisme Américain" et de Cuba, tropisme chaviste, refus absolu de collaborer avec ceux qui se diraient "de droite" (même gaullistes comme NDA) parfois un petit côté gauchiste… et le problème est le même comme souvent avec certains partis "résolument à gauche". Pas de mention de l’immigration qui pèse à la baisse sur les salaires, des problèmes de sécurité qui préoccupent les classes populaires, et la nation c’est comme une cuillère d’huile de foie de morue: on sait qu’il faut en parler et dire que c’est bien de temps en temps mais on voit que le sujet met presque mal à l’aise alors on n’insiste pas pour autant. En bref, lectures intéressantes malgré tout… au moins ça donne un point de vue qui change !

    Marencau

    • Descartes dit :

      [Mais il ne faut pas abuser non plus ! Sans faire d’amalgame entre Alleg et le mouvement dont il était membre du comité national de parrainage, j’ai voulu me renseigner un peu sur le "Pôle de Renaissance Communiste en France"… connais-tu ce groupe ? Quel est ton avis à ce sujet ?]

      Je n’en suis pas un fan. Je trouve qu’ils disent quelques choses justes, et surtout ils regroupent des militants de grande valeur. Mais ils ont une certaine tendance à regarder un peu trop dans le rétroviseur. Ils ont aussi un côté « groupusculaire » et gauchiste qui m’exaspère, avec un refus d’analyser la réalité et la croyance qu’il suffit de répéter les slogans et les dogmes du passé pour aller quelque part.

  7. Guilhem dit :

    Bonjour Descartes,

    Je voudrais juste revenir sur l’une de vos réponses à un commentaire:
    [Combien d’anciens dirigeants nazis ont pu continuer leur vie paisiblement dans des refuges sur grâce à la bienveillance des américains ou du Vatican ? Combien ont poursuivi de belles carrières dans la RFA même ? Comment expliquez-vous qu’on n’ait pas été aussi clément pour les anciens dirigeants de la RDA ?]

    Peut-on comparer ce qui n’est pas comparable? Dans le premier cas, après la guerre, les Allemands n’avaient plus la "main" sur leur avenir. Les alliés ont décidé pour eux. C’est pour cela, comme vous l’indiquez, que de nombreux nazis ont évité des procès du fait de leur "utilité"… A l’inverse, à la chute du mur, seuls les Allemands avaient ce pouvoir de décision (dans ces deux cas votre "on" n’est pas le même et les intérêts de chacun divergent). Malgré tout la plupart des chefs nazis n’ont-ils pas été jugés et condamnés alors qu’Honecker a été libéré avant la fin de son procès et qu’il a fini ses jours libre au Chili? (je sais qu’il est difficile de faire d’un exemple même significatif une généralité)

    • Descartes dit :

      [Peut-on comparer ce qui n’est pas comparable? Dans le premier cas, après la guerre, les Allemands n’avaient plus la "main" sur leur avenir.]

      Oui. Mais ils l’ont récupéré le 23 mai 1949, avec la création de la République Fédérale d’Allemagne. Et on ne peut pas dire que la RFA ait poursuivi avec beaucoup d’énergie le travail de « dénazification ». Et pas parce que cette « dénazification » était impossible : la RDA est créée quelques mois plus tard, le 7 octobre 1949, et poursuivra une politique de dénazification en profondeur.

      [Les alliés ont décidé pour eux. C’est pour cela, comme vous l’indiquez, que de nombreux nazis ont évité des procès du fait de leur "utilité"…]

      Pas seulement. Rien n’aurait empêché la RFA de poursuivre des personnalités ayant un passé nazi et que les alliés ont protégées. Ce ne fut pas le cas, entre autres choses parce qu’une bonne partie des fonctionnaires et des politiciens de la RFA étaient eux-mêmes des anciens nazis. L’exemple le plus éclatant est celui de Kurt Kiesinger. Ce personnage adhère à la CDU en 1947, devient député au Bundestag dès la création de la RFA en 1949, et deviendra ministre-président du Länd de Bade-Wurtemberg de 1958 à 1966, puis Chancelier de la RFA de 1966 à 1969. Pas mal, comme carrière, non ? Et une carrière qui n’a nullement souffert du fait que Kiesinger était adhérent au NSDAP depuis 1933, haut fonctionnaire au Ministère des Affaires Etrangères, où il deviendra sous Joachim Von Ribentropp directeur-adjoint de la propagande radiophonique, fonctions qui l’amèneront à travailler en étroite coopération avec Goebbels et lui vaudra le surnom de « Goebbels de l’étranger ».

      Et j’ajoute que ce passé n’était nullement inconnu des allemands. Le 7 novembre 1968 Beate Klarsfeld le giflera en public pour rappeler son passé nazi. Personne ne demandera pourtant sa démission, et il restera chancelier pendant un an encore, jusqu’aux élections du 21 octobre 1969. Il ne sera par ailleurs jamais poursuivi, et mourra paisiblement dans son lit, couvert d’honneurs. La comparaison avec le traitement qu’ont subi les fonctionnaires communistes en RDA est éclairante, je trouve…

      [Malgré tout la plupart des chefs nazis n’ont-ils pas été jugés et condamnés alors qu’Honecker a été libéré avant la fin de son procès et qu’il a fini ses jours libre au Chili?]

      Non, « la plupart » des chefs nazis n’ont pas été jugés, et encore moins condamnés. Certains parce qu’ils se sont suicidés, mais un bien plus grand nombre parce qu’ils ont pu s’enfuir avec la complicité des anglo-américains ou du Vatican. Ce fut le cas d’Eichmann, de Menguele, de Von Braun… Ce ne fut même pas le cas de tous les ministres de Hitler. Trois d’entre eux furent même acquittés par le tribunal de Nürnberg : Hans Fritzsche (responsable des nouvelles au ministère de la propagande), Franz Von Papen (Vice Chancelier au moment de l’incendie du Reichtag, ambassadeur à Vienne pour préparer l’Anschluss, puis ambassadeur en Turquie jusqu’à la fin de la guerre) et Hjalmar Schacht (le représentant du grand patronat allemand dans l’entourage de Hitler).

      Quant à Honecker, il ne dut le fait de finir sa vie « en liberté » qu’à un cancer en phase terminale, qui rendait son jugement aléatoire et risquait de le transformer en victime. Il survivra à peine un an à sa libération.

  8. odp dit :

    Bonjour Descartes,

    Ce court papier, malgré son caractère assez anodin, est, selon moi, tout à fait passionnant en raison des questions qu’il soulève et sur lesquelles je serai ravi d’avoir vos éclaircissements.

    La première, la plus évidente, correspond à la partie "algérienne" de la vie de Henri Alleg, et est celle de vos allégeances que, d’aucuns jugeront contradictoire, au "PCF" d’une part et "la France" de l’autre.

    Quand le PCF inscrit sa stratégie dans la cadre de la "solidarité nationale" (comme, par exemple, de 1935 à 1947), il n’y a aucun problème; quand il s’agit du "parti de l’étranger" (comme, par exemple, de 1921 à 1934 ou de 1948 à 1953), c’est évidemment un peu plus compliqué.

    Le cas Henri Alleg est à ce titre, tout à fait emblématique: bon communiste il fut probablement (vous en savez plus que moi sur le sujet); "bon français", il est permis d’en douter et j’imagine d’ailleurs que ce ne fut pas une catégorie dans laquelle il se serait reconnu. En tous cas, pour les militaires français comme pour les Pieds Noirs, c’était probablement un traître qu’il aurait fallu coller au poteau comme Brasillach en son temps. A ce titre, je dois dire que la défense de Baruch ne me paraît guère convaincante car il me semble pas que ce soit parce que communiste que Alleg fut torturé mais tout simplement parce qu’il était partisan de l’indépendance algérienne et soutien du FLN.

    En ce qui me concerne, les catégories type "bon français" ou "mauvais français" ne m’intéresse pas plus que ça, principalement parce que, comme disent les anglais, "la beauté est dans l’oeil de celui qui regarde".

    Néanmoins, cela nous ramène au débat sur la nationalité qui a traversé les échanges nés de votre papier sur Villeneuve-sur-Lot. Vous y indiquiez (je cite de mémoire) que les enfants d’immigrés nés en France devaient en quelque sorte mériter leur éventuelle nationalisation en "servant la France". Or, voici quelqu’un qui est né étranger à l’étranger et qui a été naturalisé. A-t-il bien servi la France? Poser la question c’est y répondre. Aurait-il du être déchu de sa nationalité? Je vous laisse le soin de répondre à cette épineuse question.

    Quant à moi, je ne crois pas qu’il faille exiger plus des naturalisés que des français "de droit"; dans le deux cas le respect des lois me suffit ou, dans le cas inverse, l’exécution de la peine que la justice aura prononcée.

    La deuxième question que soulève l’itinéraire politique de Henri Alleg est celle qui est formulée de manière assez abrupte par phénol (mais vu mes états de service en la matière, je ne saurai lui en vouloir) et qui traversait également mon premier commentaire à votre précédent post: comme la très grande majorité des intervenants sur ce blog je me définis comme républicain, ce qui pour moi veut dire que la "chose publique" doit primer sur les "intérêts particuliers", ou, plus simplement, que les réalisations collectives ont plus de valeur que les réalisations individuelles.

    Néanmoins, la liberté individuelle et la démocratie me semblent devoir préexister à ces catégories et non en être la variable d’ajustement: c’est parce que les citoyens sont au départ atomisés/individualisés qu’ils peuvent chercher à transcender cette atomisation/individualité dans un "tout" qui les dépasse; ce n’est néanmoins ni une obligation et encore moins un absolu qui doit surplomber le reste.

    Dit autrement, selon moi, les régimes communistes, même expurgés de leur réalisations proprement criminelles (qui, il faut le dire, restent tout de même assez ahurissantes) et par conséquent "simplement" totalitaires (comme Cuba pour faire simple), me semblent devoir être exclus du champ des possibles; même pour "un plus grand bien".

    Se revendiquer à la fois du "socialisme" et du "nationalisme" (i.e. des deux mouvements politiques qui ont tout de même le plus de sang sur les mains) peut apparaître séduisant si l’un forme une sorte de contre-pouvoir à l’autre (à la haine de classe d’un côté et à la xénophobie de l’autre); si au contraire l’une des passions (la passion nationale) sert d’adjuvant à l’autre (la passion égalitaire) comme cela à été si fréquemment réalisé à la fin du 19ème et dans la première partie du 20ème siècle, par nombre de membre de l’extrême gauche française (cf. La droite révolutionnaire de Sternhell), il me paraît clair que, comme le dit phénol, on ne peut se revendiquer d’un républicanisme "à la française".

    Qu’en pensez-vous?

    • Descartes dit :

      @odp

      [Ce court papier, malgré son caractère assez anodin, est, selon moi, tout à fait passionnant en raison des questions qu’il soulève]

      Oui. C’est l’intérêt d’une figure comme celle d’Alleg, dont la complexité et les contradictions
      – et sous ma plume ce n’est pas une critique – résiste aux tentatives désespérées que les uns et les autres font pour la récupérer en la « pasteurisant ». Ainsi, Pierre Laurent peut rendre hommage à Alleg en oubliant convenablement qu’il fut fort critique des évolutions du PCF après 1994. « Le Canard Enchainé », de son côté, se débrouille pour publier un « hommage » (qui en fait se transforme rapidement en un hommage au « Canard » lui-même) sur un quart de page sans une seule fois écrire le mot « communiste »… C’est drôle de voir combien il est difficile pour les « bienpensants » de rendre hommage à une figure qui ne correspondrait point par point à leurs propres conceptions de ce que fait un héros…

      [Le cas Henri Alleg est à ce titre, tout à fait emblématique: bon communiste il fut probablement (vous en savez plus que moi sur le sujet); "bon français", il est permis d’en douter et j’imagine d’ailleurs que ce ne fut pas une catégorie dans laquelle il se serait reconnu.]

      Etait-il seulement français ? C’est une question intéressante. Né à Londres, il s’installe en Algérie à 19 ans. Certes, l’Algérie est française, mais lui se considère algérien, et non français. Il aura combattu pour l’indépendance de ce qu’il considérait son pays. Sa tragédie, ce fut d’être rejeté par l’Algérie indépendante en 1966, et découvrir alors qu’il était en fait plus français qu’algérien. A partir de là, il fut je pense un « bon français ».

      [En tous cas, pour les militaires français comme pour les Pieds Noirs, c’était probablement un traître qu’il aurait fallu coller au poteau comme Brasillach en son temps. A ce titre, je dois dire que la défense de Baruch ne me paraît guère convaincante car il me semble pas que ce soit parce que communiste que Alleg fut torturé mais tout simplement parce qu’il était partisan de l’indépendance algérienne et soutien du FLN.]

      Le fait d’être communiste n’a pas du l’aider, connaissant le biais anticommuniste de l’armée française – et pas qu’elle – pendant les années de la « guerre froide ». Un « porteur de valises » socialiste risquait bien mois qu’un militant communiste pour les mêmes faits. Mais vous avez raison sur le fond : le propre des guerres civiles, ce qui les rend si destructrices, c’est que chaque camp voit l’autre comme un ramassis de « traîtres ».

      [Néanmoins, cela nous ramène au débat sur la nationalité qui a traversé les échanges nés de votre papier sur Villeneuve-sur-Lot. Vous y indiquiez (je cite de mémoire) que les enfants d’immigrés nés en France devaient en quelque sorte mériter leur éventuelle nationalisation en "servant la France".]

      Je n’ai jamais dit ça. J’ai dit qu’à une époque un certain nombre d’étrangers ont accédé à la nationalité en « servant la France », et que ce geste était un élément d’assimilation. Mais je ne pense pas qu’il soit possible pour tous les immigrés ou leurs enfants de s’assimiler par ce mécanisme.

      [Or, voici quelqu’un qui est né étranger à l’étranger et qui a été naturalisé. A-t-il bien servi la France? Poser la question c’est y répondre.]

      Non, certainement. Je ne pense pas qu’on puisse rendre hommage à Alleg en tant que « serviteur de la France ». On peut lui tenir crédit d’avoir été un homme de convictions, courageux, prêt à consentir les plus grands sacrifices pour ce qu’il estimait juste. Mais de là à le faire rentrer au Panthéon…

      [Aurait-il du être déchu de sa nationalité? Je vous laisse le soin de répondre à cette épineuse question.]

      D’une certaine manière, il l’a été lorsqu’il a été obligé de quitter l’Algérie, qui était pour lui « sa » Patrie. Je n’aurais pas trouvé scandaleux qu’il fut déchu de la nationalité française lorsqu’il choisit en 1962 d’adopter la citoyenneté algérienne.

      [Quant à moi, je ne crois pas qu’il faille exiger plus des naturalisés que des français "de droit"; dans le deux cas le respect des lois me suffit ou, dans le cas inverse, l’exécution de la peine que la justice aura prononcée.]

      Moi j’exige du naturalisé quelque chose de plus que du français « de souche » : je lui exige de s’assimiler, d’adopter la langue, les traditions, la culture du pays qui le naturalise au point de les considérer comme siennes. Une telle exigence envers les « de souche » n’aurait pas de sens… puisqu’ils n’ont pas véritablement le choix. J’ajoute que l’énorme majorité des naturalisés comprennent parfaitement cette exigence, et l’acceptent.

      [Dit autrement, selon moi, les régimes communistes, même expurgés de leur réalisations proprement criminelles (qui, il faut le dire, restent tout de même assez ahurissantes) et par conséquent "simplement" totalitaires (comme Cuba pour faire simple), me semblent devoir être exclus du champ des possibles; même pour "un plus grand bien".]

      Je crois qu’on mélange deux choses qui sont différentes. Le capitalisme et le communisme sont des modes de production. Ils ne préjugent pas d’une organisation politique. Il y eut des dictatures totalitaires capitalistes, et des démocraties républicaines capitalistes. Je dirais même qu’en général les systèmes capitalistes ont commencé par être des dictatures, et ce n’est qu’avec le temps, lorsque la bourgeoisie s’est sentie sûre de son pouvoir, qu’elle a admis la République. Et on voit d’ailleurs que dès lors que la bourgeoisie se sent menacée, sa tendance naturelle est de limiter les libertés publiques jusqu’à revenir, dans les cas extrêmes, vers des régimes dictatoriaux. L’exemple de la chute d’Allende au Chili est de ce point de vue révélateur.

      La difficulté avec le système communiste, est que pour le moment aucun régime fondé sur un système de ce type-là n’a pu fonctionner dans un environnement apaisé. Tout au contraire : le monde capitaliste a organisé méthodiquement l’attrition économique et militaire de ces expériences. De la guerre civile en Russie dans les années 1920 à la promotion des régimes autoritaires dans les années 1930, de la « guerre froide » après 1945 à la politique de « containment » et de destruction systématique de toute expérience socialiste, on voit mal comment l’un de ces régimes aurait pu sortir d’un « régime de guerre » pour aller vers un exercice plus libéral du pouvoir.

      Je suis un républicain, et à ce titre mon objectif est un régime de souveraineté populaire qui sépare strictement la sphère publique et la sphère privée. C’est-à-dire, tout le contraire d’un régime totalitaire. Mais je suis aussi un réaliste : si la Révolution française s’était refusé le « totalitarisme » de la terreur, elle n’aurait pas pu tenir devant les menées des princes. Et même ainsi, il fallut plusieurs allées et retours pour que le capitalisme français prenne un visage démocratique et républicain.

      [Se revendiquer à la fois du "socialisme" et du "nationalisme" (i.e. des deux mouvements politiques qui ont tout de même le plus de sang sur les mains)]

      Comme disait je ne sais plus qui, les seuls qui n’aient pas de sang sur les mains sont ceux qui n’ont pas de mains. Dès lors qu’on veut faire des grandes choses, on court des grands dangers.

      [peut apparaître séduisant si l’un forme une sorte de contre-pouvoir à l’autre (à la haine de classe d’un côté et à la xénophobie de l’autre); si au contraire l’une des passions (la passion nationale) sert d’adjuvant à l’autre (la passion égalitaire) comme cela à été si fréquemment réalisé à la fin du 19ème et dans la première partie du 20ème siècle, par nombre de membre de l’extrême gauche française (cf. La droite révolutionnaire de Sternhell), il me paraît clair que, comme le dit phénol, on ne peut se revendiquer d’un républicanisme "à la française".]

      Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre point. Le « républicanisme à la française » est fait de trois éléments : l’Etat de droit et l’égalité devant la loi, la souveraineté populaire et la séparation stricte de la sphère publique et de la sphère privée. A partir de là, je vois mal en quoi « la passion nationale » ou « la passion égalitaire » seraient intrinsèquement contraires à un « républicanisme à la française ». Ce n’est que lorsque ces passions empiètent sur l’Etat de droit, sur la souveraineté populaire ou sur la séparation des sphères que cela pose problème.

      Il est vrai que le PCF, notamment dans sa période « gauchiste » de l’avant-guerre, a été idéologiquement un parti « totalitaire », refusant la séparation des sphères et l’Etat de droit. Tout cela a changé avec l’expérience de la Résistance, qui fut pour les cadres communistes une expérience formatrice quant aux risques du totalitarisme. Le PCF de l’après guerre fut légaliste – ce que les soixante-huitards, qui étaient eux-mêmes « totalitaires » lui ont beaucoup reproché…

    • Guilhem dit :

      Merci pour la leçon d’histoire. Je ne connaissais pas l’histoire de Kurt Kiesinger.
      Malgré tout à l’exclusion notable d’Eichmann, on ne peut pas dire que Mengele ou von Braun aient été des chefs nazis. Mengele n’était qu’un médecin de camp et von Braun un ingénieur balistique (chef d’un programme emblématique certes) et ceux qui ont été libérés suite à Nurenberg ont quand même été jugés.
      Vous écrivez qu’Honecker n’a été libéré que du fait de son cancer en phase terminale alors que certains chefs nazis (dont les plus notables) ont échappé à un procès par le suicide. Dans les deux cas, il ne peut être reproché à la justice de ne pas avoir fait son travail.
      En prenant comme postulat que vous ayez raison (ce qui est pour le moins raisonnable n’est-ce pas?) quant à la différence de traitement entre les anciens dirigeants nazis et est-allemands par l’Allemagne, quelle est selon vous l’origine de cette différence? Est-ce simplement dû au fait qu’à la fin des années 40, l’administration et les autorités allemandes étaient dirigées par des anciens nazis peu enclins à condamner des leurs alors qu’à la fin des années 80, c’est la RFA qui a jugé les dirigeants est-allemands avec d’autant plus de sévérité qu’ils ne les connaissaient pas?

    • Descartes dit :

      @Guilhem

      [Merci pour la leçon d’histoire.]

      Il n’est pas dans mon intention de « donner des leçons » à personne. Vous m’aviez posé une question, et j’ai essayé de répondre avec un exemple historique qui me paraît illustrer à la perfection la manière dont la RFA a géré la « dénazification »…

      [Malgré tout à l’exclusion notable d’Eichmann, on ne peut pas dire que Mengele ou von Braun aient été des chefs nazis. Mengele n’était qu’un médecin de camp et von Braun un ingénieur balistique (chef d’un programme emblématique certes) et ceux qui ont été libérés suite à Nurenberg ont quand même été jugés.]

      Les leaders nazis « de premier rang » ont été jugés lorsqu’ils ont pu être capturés. Il était difficile de faire autrement, car il ne faudrait pas oublier que les Soviétiques ont participé au choix des personnalités à juger, et qu’ils ont été bien plus intransigeants sur ce sujet que les anglo-américains. L’exemple de Rudolf Hess est de ce point de vue éclairant : après sa condamnation, les anglo-américains ont proposé assez rapidement de le gracier, ce que les soviétiques ont refusé. Les demandes se sont succédées, toutes refusées, jusqu’à la mort de Hess en 1987.

      Cependant, parmi les leaders « de second rang », beaucoup ont échappé à la condamnation (ce fut le cas du maréchal Guderian), d’autres comme Von Manstein, pourtant coupables de massacres de populations civiles sur le front de l’Est, ont été condamnés puis rapidement libérés. Le cas de Von Manstein est d’ailleurs révélateur : condamné à 18 ans de prison en 1949, il sera libéré en 1953… pour devenir trois ans plus tard conseiller de l’Etat-major de la Bundeswehr, l’armée de la RFA. Etonnant, non ? Un état démocratique faisant conseiller ses armées par un homme condamné pour crime de guerre…

      [Vous écrivez qu’Honecker n’a été libéré que du fait de son cancer en phase terminale alors que certains chefs nazis (dont les plus notables) ont échappé à un procès par le suicide. Dans les deux cas, il ne peut être reproché à la justice de ne pas avoir fait son travail.]

      Bien sur que non. On peut par contre lui reprocher de ne pas faire son travail lorsque des criminels ont été libérés sans être jugés (comme le maréchal Schörner ou Kiesinguer) ou bien libérés rapidement après une peine « symbolique » pour continuer ensuite une brillante carrière commencée sous le nazisme, comme Von Manstein.

      [En prenant comme postulat que vous ayez raison (ce qui est pour le moins raisonnable n’est-ce pas?)]

      La flatterie ne vous conduira nulle part, jeune homme…

      [quant à la différence de traitement entre les anciens dirigeants nazis et est-allemands par l’Allemagne, quelle est selon vous l’origine de cette différence? Est-ce simplement dû au fait qu’à la fin des années 40, l’administration et les autorités allemandes étaient dirigées par des anciens nazis peu enclins à condamner des leurs alors qu’à la fin des années 80, c’est la RFA qui a jugé les dirigeants est-allemands avec d’autant plus de sévérité qu’ils ne les connaissaient pas?]

      Il y a plusieurs raisons. La première, c’est que les pour les anglo-américains qui ont mis en place la RFA comme pour les élites conservatrices qu’ils ont mis au pouvoir, la priorité des priorités était la « lutte contre le communisme ». Or, les anciens nazis étaient de ce point de vue idéologiquement fiables et avaient une longue expérience de lutte anticommuniste qu’on pouvait mettre à profit. Les élites conservatrices allemandes et leurs alliés occidentaux ont donc bâillonné leurs scrupules et embrassé les anciens nazis sur la bouche. Et ce comportement n’avait rien de nouveau : les milieux conservateurs allemands avaient fait la même chose dans les années 1920 et 1930, quand ils avaient aidé les nazis voyant là un rempart contre les socialistes et surtout les communistes.

      La seconde raison, c’est que l’opinion allemande n’était pas foncièrement antinazi. Le gouvernement hitlérien a pu compter l’appui de la population civile et de l’armée jusqu’à la fin. Les allemands dans leur ensemble n’ont reproché qu’une seule chose à Adolf Hitler : le fait d’avoir perdu la guerre (1). Il y eut bien des résistants en Allemagne, mais ceux-ci étaient issus des rangs de la gauche et surtout des communistes. Dans ces conditions, la population allemande et ses élites politiques conservatrices n’avait aucune raison profonde pour demander le jugement et la punition de gens dont elle avait partagé les buts et admis les moyens ?

      A la chute de la RDA, c’est tout le contraire : c’est le « vainqueur » qui impose ses règles au « vaincu ». Il ne s’agissait pas seulement de punir les dirigeants communistes, il s’agissait aussi de les humilier, et au passage de leur refuser à la RDA la dignité d’Etat en jugeant ses dirigeants non pas pour des délits politiques, mais pour des délits de droit commun.

      (1) On parle aujourd’hui beaucoup du « complot des généraux » pour assassiner Hitler dont la figure visible était Von Stauffenberg. Certains veulent même nous comprendre que ce complot fut un acte de résistance antinazi. C’est un contresens : Von Stauffenberg et ses amis n’avaient cure de l’extermination des juifs, ou des massacres de civils sur le front de l’Est et n’étaient pas opposés aux objectifs de Hitler. Leur motivation était la conviction que Hitler était un fou dangereux qui conduisait le pays à la défaite.

    • BolchoKek dit :

      >Etonnant, non ? Un état démocratique faisant conseiller ses armées par un homme condamné pour crime de guerre…<
      Oh étonnant… imaginez un peu que ce soit le cas en Bosnie, au Kosovo ou en Croatie…
      Aussi en Afghanistan, et peut-être demain en Syrie…
      Heureusement que notre civilisation européenne démocratique et libérale empêche cela ! Pas vrai ?

    • CVT dit :

      [Les allemands dans leur ensemble n’ont reproché qu’une seule chose à Adolf Hitler : le fait d’avoir perdu la guerre (1). Il y eut bien des résistants en Allemagne, mais ceux-ci étaient issus des rangs de la gauche et surtout des communistes. Dans ces conditions, la population allemande et ses élites politiques conservatrices n’avait aucune raison profonde pour demander le jugement et la punition de gens dont elle avait partagé les buts et admis les moyens ?]

      C’est bizarre, mais ce n’est pas le souvenir que j’en ai, même si je pense que dans le fond, vous n’avez pas tort. Je m’explique.
      Je suis suffisamment âgé pour me souvenir que lorsqu’il y avait deux Allemagne (Est et Ouest), les Allemands de l’Ouest avaient honte de Hitler, d’eux-même et surtout de toute forme de nationalisme et d’impérialisme. Konrad Adenauer, Willy Brandt, jusqu’à Beate Klarsfeld, incarnaient dans un large mesure la honte, voire une certaine haine de soi largement incompatibles avec un orgueil national(voire nationaliste). Dans mon souvenir, les Allemands de l’ouest dont je me rappelle ou que j’ai pu connaître détestaient profondément l’idéologie nazie, car elle avait coûté fort cher d’abord à eux-mêmes, et également aux autres. C’est pour cela que j’ai énormément de mal à percevoir en quoi les Allemands vaincus étaient restés pro-nazi (ou de moins nazi jusqu’au bout), alors que ce système politique avait entraîné la ruine et la partition du pays.
      Avec toute cette accumulation de souvenirs, j’ai du mal à comprendre comment vous pouvez affirmer que globalement, les Allemands ont reproché à Hitler d’avoir échoué. Vous me direz que la RFA d’alors était occupée par les Américains, et que les vainqueurs ont pu "extirper" le nazisme des esprits ouest-allemands, et que cela pourrait expliquer la haine de soi que j’ai évoqué plus haut, mais comment savez-vous que les Allemands avaient soutenu Hitler jusqu’au bout?
      Votre propos est franchement politiquement incorrect, et j’imagine qu’il fait (et fera) grincer bien des dents, mais il me rappelle un épisode de la Grande Guerre, côté français: celui des mutineries de 1916 et 1917. Il y a quelques années, j’ai entendu sur une radio de RTBF un documentaire traitant de ce sujet, qui allait à rebours du récit qu’on a pu entendre jusqu’ici dans les médias, particulièrement venant de la "gauche" bobo-pacifiste. Les intervenants y soulignaient qu’une majorité des mutins se sont révoltés contre les ordres absurdes des généraux, non parce qu’ils refusaient de se battre contre les "Boches" ou de mourir pour la patrie, mais surtout parce qu’ils estimaient que leur généraux n’étaient pas à la hauteur pour vaincre les Allemands. Il ne s’agissait nullement de refuser la guerre car les Poilus voulaient chasser les envahisseurs du pays, mais il s’agissait surtout d’une remise en cause de l’aptitude des généraux à atteindre cet objectif. D’où la violence de la répression à l’égard des mutins, qui dépassait largement celle qui s’appliquait en cas d’insubordination ordinaire.
      Au passage, tout comme les généraux putschistes anti-Hitler, les mutins ont été réhabilités par la gauche bobo-liblib, sans se poser la question de savoir si on saluait l’insurrection pour elle-même (attitude typiquement "mai 68"), ou les motivations des insurgés…

    • Descartes dit :

      [Je suis suffisamment âgé pour me souvenir que lorsqu’il y avait deux Allemagne (Est et Ouest), les Allemands de l’Ouest avaient honte de Hitler, d’eux-même et surtout de toute forme de nationalisme et d’impérialisme. Konrad Adenauer, Willy Brandt, jusqu’à Beate Klarsfeld, incarnaient dans un large mesure la honte, voire une certaine haine de soi largement incompatibles avec un orgueil national (voire nationaliste). Dans mon souvenir, les Allemands de l’ouest dont je me rappelle ou que j’ai pu connaître détestaient profondément l’idéologie nazie, car elle avait coûté fort cher d’abord à eux-mêmes, et également aux autres. C’est pour cela que j’ai énormément de mal à percevoir en quoi les Allemands vaincus étaient restés pro-nazi (ou de moins nazi jusqu’au bout), alors que ce système politique avait entraîné la ruine et la partition du pays.]

      Pour avoir aussi travaillé avec des allemands, je dois dire que leurs sentiments envers la période nazi en général et Hitler en particulier m’ont toujours paru très ambigus. En surface, on avait effectivement l’impression qu’ils avaient incorporé le discours des vainqueurs en l’exagérant même, avec une forte composante pacifiste et anti-nationaliste. Mais dès que vous grattez un peu… les choses sont moins claires. C’est l’expérience qu’a faite l’actrice Marlène Dietrich, dont on connaît l’engagement antinazi pendant la guerre, et qui lors de son premier retour en Allemagne en 1960, quinze ans après la défaite du IIIème Reich, reçoit un accueil glacial et se fait même agresser physiquement. Comme quoi, l’acceptation de la justesse de la cause des alliés n’est pas si évidente que vous le dites.

      Oui, les allemands ont « détesté profondément » le régime qui a entraîné « la ruine et la partition du pays ». Mais ont il détesté le régime qui a déporté les communistes puis les juifs, qui a organisé les massacres effroyables en Pologne et en URSS ? Finalement, votre constatation n’est pas si loin de la mienne : si le régime nazi au lieu de conduire à la ruine avait conduit à la victoire, l’auraient-ils « détesté » autant ?

      [mais comment savez-vous que les Allemands avaient soutenu Hitler jusqu’au bout?]

      Parce qu’ils se sont battus jusqu’au bout pour lui, alors que de toute évidence la guerre était perdue. Pensez à la bataille de Berlin. Parce que même lorsque les alliés sont entrés en Allemagne – c’est-à-dire, a un moment où il n’y avait plus rien à craindre de la Gestapo et autres structures répressives du régime – il n’y eut que fort peu de manifestations de la population allemande contre le nazisme. Ce sont les alliés, pas les allemands, qui ont arraché les portraits de Hitler des mairies et autres édifices publics.

      [Les intervenants y soulignaient qu’une majorité des mutins se sont révoltés contre les ordres absurdes des généraux, non parce qu’ils refusaient de se battre contre les "Boches" ou de mourir pour la patrie, mais surtout parce qu’ils estimaient que leur généraux n’étaient pas à la hauteur pour vaincre les Allemands. Il ne s’agissait nullement de refuser la guerre car les Poilus voulaient chasser les envahisseurs du pays, mais il s’agissait surtout d’une remise en cause de l’aptitude des généraux à atteindre cet objectif.]

      J’attire votre attention sur une différence fondamentale : les poilus de 1914-18 défendaient le territoire de leur pays, dirigé par un régime démocratique qui les représentait, et qui quelque fussent ses erreurs, n’était pas un régime criminel. Les allemands qui souhaitaient la victoire de Hitler ne défendaient pas leur pays, mais un régime qui avait occupé l’essentiel de l’Europe, qui avait organisé l’extermination des opposants politiques et des populations civiles… vous ne trouvez pas qu’il y a une petite différence ?

    • BolchoKek dit :

      >Parce que même lorsque les alliés sont entrés en Allemagne – c’est-à-dire, a un moment où il n’y avait plus rien à craindre de la Gestapo et autres structures répressives du régime – il n’y eut que fort peu de manifestations de la population allemande contre le nazisme. <
      Je pense que c’est à nuancer. Il y a pas mal de témoignages d’anciens officiers de la Wehrmacht qui racontent s’être faits jeter des pierres en traversant certains villages, qui avaient déjà sorti les drapeaux blancs. Mais il est vrai que ce genre de scène a eu lieu quasi-exclusivement sur le front ouest. Les allemands avaient une peur bleue de la vengeance que pourraient chercher les soviétiques, et quitte à se rendre, préféraient le faire aux puissances occidentales. Cette peur n’était pas nouvelle : pour faire paniquer les soldats d’occupation allemands en France, la grosse blague était de leur faire croire que leur unité allait être envoyée à l’est…

    • Descartes dit :

      [Je pense que c’est à nuancer. Il y a pas mal de témoignages d’anciens officiers de la Wehrmacht qui racontent s’être faits jeter des pierres en traversant certains villages, qui avaient déjà sorti les drapeaux blancs.]

      Certes. Mais ceux qui jetaient les pierres, que reprochaient à la Wehrmacht ? Était-ce leur soutient sans faille au régime nazi, leurs exactions dans les pays occupés ? Ou n’était-ce pas plutôt d’avoir été battue ?

    • BolchoKek dit :

      >Mais ceux qui jetaient les pierres, que reprochaient à la Wehrmacht ?<
      En pleine défaite, je pense surtout qu’ils leur reprochaient d’être là et de risquer d’attirer les combats dans la zone.
      >Ou n’était-ce pas plutôt d’avoir été battue ?<
      Il y avait sûrement de cela, aussi.

    • Guilhem dit :

      Le noeud du problème pour les Allemands est, à mon sens, la difficulté de distinguer l’Allemagne du nazisme entre 33 et 45 et plus particulièrement les soldats de la Wehrmacht de ceux partisans de l’idéologie nazie. C’est pour cette raison que je ne suis pas certain que l’épisode avec Marlène Dietrich soit significatif de l’"ambigüité" des Allemands. Dietrich avait chanté et encouragé les G.I.s américains qui n’avaient pas seulement combattu le régime nazi mais aussi tué des soldats allemands qui avaient le seul tort d’avoir l’âge de combattre. Certains peuvent avoir assimiler cela à une trahison contre son propre pays. Parallèlement à cela, la tentative d’assassinat ciblée contre Hitler menée par von Stauffenberg est célébrée alors qu’ainsi que vous l’avez indiqué leurs motivations n’avaient rien d’humanistes ( contrairement à celles de Dietrich)…

    • Descartes dit :

      [Le noeud du problème pour les Allemands est, à mon sens, la difficulté de distinguer l’Allemagne du nazisme entre 33 et 45 et plus particulièrement les soldats de la Wehrmacht de ceux partisans de l’idéologie nazie.]

      C’est bien pire que ça… Le problème, c’est que le nazisme n’est pas venu de nulle part. Ce n’est pas un ovni qui est tombé par hasard un jour sur le peuple allemand. Le nazisme, c’est l’expression paroxystique d’un certain nombre d’éléments qui sont depuis longtemps dans l’idéologie nationale allemande : une vision de la Nation fondée sur une base ethnique (« le sang et les morts »), un romantisme qui, beaucoup plus profondément qu’en France, fut déiste et anti-humaniste, un système politique archaique… Wagner n’a pas attendu le nazisme pour écrire la Tetralogie, et ce n’est pas par hasard si l’on trouve dans celle-ci les éléments qui plus tard seront repris par le nazisme.

      Contrairement à ce que veut nous expliquer l’idéologie euro-fédéraliste, l’histoire a une cohérence profonde, et rien n’arrive totalement par hasard. Il y a bien entendu des « accidents » dans l’Histoire, mais la réaction des peuples à ces « accidents » obéit à une logique profonde. Le pétainisme n’aurait pas été possible sans la défaite, mais il s’inscrit tout de même dans une histoire longue des droites françaises. Et de la même manière, le nazisme est peut-être un « accident » produit par la défaite de 1918 et la crise de 1929, mais c’est un « accident » qui doit aussi beaucoup à la mentalité et la tradition politique allemande. Une mentalité et une tradition politique qui n’ont pas disparu miraculeusement le 8 mai 1945, et qui ont repris rapidement leurs droits au fur et à mesure que la mémoire des années noires s’estompe.

      Bien sur, cela prend des formes différentes. L’écologisme allemand est l’une d’elles. Rappelons d’ailleurs que la « naturschutzguesetz » de 1933 est l’une des premières législations de protection de « la nature ». Aujourd’hui, on retrouve chez les écologistes cette même vision de la politique comme une guerre – et donc de la violence comme légitime pour atteindre des buts politiques -, ce même anti-humanisme et ce même culte de la « nature », le même fanatisme et le même mépris pour tous ceux qui ne pensent pas comme eux…

      Pour reprendre votre commentaire, il est difficile de « distinguer l’Allemagne du nazisme entre 33 et 45 » tout simplement parce que cette distinction est purement artificielle. L’Allemagne fut nazi entre 1933 et 1945. Le peuple allemand a fait le choix du nazisme, et ne l’a pas rejeté ensuite de son propre chef. Il fallut une défaite militaire extérieure et l’occupation du pays pour que le régime nazi soit balayé. En ce sens, la comparaison avec le pétainisme est trompeuse. Le régime de Vichy est fils de la défaite, et son évolution est imposée par une armée d’occupation. Aucune armée d’occupation n’a imposé le nazisme aux allemands, pas plus qu’il n’a imposé au gouvernement nazi la création de camps de concentration – dès 1934 pour enfermer les communistes d’abord, les opposants politiques ensuite, les minorités ethniques « impures » enfin. C’est un choix allemand, fait par des allemands, et qui a suscité une opposition et une résistance si faibles qu’on peut raisonnablement penser qu’une grande majorité des allemands étaient favorables à ces mesures ou du moins pas choqués par elles.

      [C’est pour cette raison que je ne suis pas certain que l’épisode avec Marlène Dietrich soit significatif de l’"ambigüité" des Allemands. Dietrich avait chanté et encouragé les G.I.s américains qui n’avaient pas seulement combattu le régime nazi mais aussi tué des soldats allemands qui avaient le seul tort d’avoir l’âge de combattre. Certains peuvent avoir assimiler cela à une trahison contre son propre pays.]
      Certes. Mais cette « assimilation » n’est possible que si on considère que l’Allemagne de 1933-1945 restait pour les allemands de 1960 « leur pays ». En d’autres termes, cela renforce le point que je voulais poser plus haut : séparer « l’Allemagne éternelle » du nazisme est une opération purement artificielle. Les allemands furent dans leur grande majorité nazis, par action ou par omission. Et le fait que Marlène Dietrich ait été snobée et agressée en 1960 montre à quel point les allemands, quelque soient leurs expressions publiques de pacifisme, se sentent toujours solidaires de cette partie de leur histoire.

    • odp dit :

      @ CVT, Descartes, Bolchokek et Guilhem

      Messieurs,

      Je me permets d’intervenir dans ce débat et y ferai les remarques suivantes.

      1. Les allemands de 1944-1945 étaient en effet, dans leur très grande majorité, pro-nazis et la chose principale qui fut reproché à Hitler au cours de cette période, c’est d’avoir perdu. Le dernier livre de I. Kershaw (La fin) décrit d’ailleurs tout à fait bien la situation: le soutien au régime ne s’est vraiment détérioré qu’après l’échec, à l’ouest, de l’offensive des Ardennes et le déclenchement, à l’est, de l’offensive russe sur la Vistule et l’Oder qui ouvrait les portes de la Prusse Occidentale. Il faut dire qu’auparavant, l’armée allemande avait effectué un remarquable redressement, tant sur le front ouest (avec l’enlisement de Montgomery en Belgique) que sur le front est (avec la victoire de Guderian devant Varsovie) qui pouvait laisser espérer qu’une solution "négociée" puisse être avec les anglo-américains.

      2. Ceci dit, ce jusqu’au-boutisme n’est, de mon point de vue, pas très étonnant. Après tout, Hitler était arrivé au pouvoir par les urnes, le pays avait été profondément fanatisé au cours de la décennie précédente et la résistance intérieure brisée tandis que la guerre, comme bien souvent, avait radicalement bouleversé les repères moraux traditionnels. Il eut été donc fort surprenant que les allemands se découvrissent sincères antinazis à la 24ème heure; d’autant que le détail du sort réservé aux juifs, clairement l’élément le plus monstrueux du bilan nazi, restait alors inconnu au plus grand nombre. Après la guerre, le contexte de la guerre froide et la mise à jour des crimes du stalinisme, n’a pas dû, par ailleurs, amoindrir, chez les plus politisés d’entre eux, l’idée qu’ils avaient été le rempart de la civilisation européenne contre la "barbarie asiatique" (i.e. la Russie Soviétique) et s’étaient en quelque sorte sacrifiés pour les autres peuples du continent.

      3. Néanmoins, contrairement à ce qu’écrit Descartes, quand à partir de janvier 1945, il devient clair que la guerre était non seulement perdue mais que l’Allemagne serait envahie, je ne pense pas qu’on puisse dire que les soldats allemands se soient majoritairement battus "pour Hitler", dont la crédibilité s’était effondrée, mais plutôt "pour l’Allemagne", "pour la patrie", "par devoir", "par habitude" ou encore plus prosaïquement, à l’est, pour éviter les représailles russes. En ce qui concerne ce dernier point, l’histoire a montré qu’ils n’avaient d’ailleurs pas eu complètement tort, puisque la mortalité des soldats allemands dans les camps de prisonniers russes s’est avérée être près de 20 fois supérieure à celle survenue dans les camps de prisonniers anglo-américains (mais plus de moitié inférieure à celle survenue pour les soldats russes dans les camps de prisonniers allemands).

      4. Ceci dit, être pro-nazi ne signifiait pas, pour la grande majorité des allemands, se féliciter de l’extermination des juifs ou du massacre de civils non-juifs en Europe de l’Est. En ce qui concerne la Solution Finale, le consensus historique actuel est que très peu d’allemands y était en réalité favorable (par ailleurs, comme je l’ai déjà dit, seule une infime minorité en connaissait les détails) tandis qu’en ce qui concerne les populations civiles non-juives, la notion de "lutte contre le terrorisme" permettait de jeter un voile pudique sur une réalité déjà passablement obscurcie par "le brouillard de la guerre". Aussi, la plupart du temps, être pro-nazi, voulait simplement dire, pour paraphraser la devise fasciste: "croire, obéir et combattre"; fanatiquement si possible.

      5. Tout cela n’empêche cependant pas les allemands des générations suivantes d’avoir été sincèrement et profondément antinazi grâce, notamment, au travail des historiens, de la classe politique et des médias sur le sujet. Le cas de Beate Klarsfeld est un exemple emblématique mais ont pourrait les multiplier. Les symptômes de cette culpabilité historique sont en effet très nombreux, à commencer par l’effondrement des naissances quand les générations nées après la guerre furent en âge de procréer, le phénomène de la bande à Baader, ou encore, l’importance, dans la vie politique et culturelle allemande, des mouvements alternatifs type Grünen ou Parti des Pirates.

      6. A ce titre, il me semble que Descartes fait un contresens en voyant dans l’importance du vote écologiste la trace des "mentalités et pratiques politiques" qui menèrent au nazisme. Ce serait en effet selon moi plutôt une réaction de rejet à l’encontre de ce dernier qui fut clairement "scientifique", "industriel" et "de masse". Les trajectoires intellectuelles de Gunther Anders, personnalité phare des anti-nucléaires, ou de Hans Jonas, père du principe de précaution, et philosophe le plus lu en Allemagne sont là pour témoigner des liens très forts existant entre le mouvement écologiste allemand et le traumatisme du nazisme et de la Shoah. Par ailleurs, même misanthrope, s’il était resté tout seul tranquille au Berghof à regarder les Alpes tout en réfléchissant à l’avenir des scarabées, Hitler n’aurait jamais pu envoyer à la mort 6 millions de juifs. Dans le monde des écologistes, la mort de masse n’existe pas.

    • Descartes dit :

      @odp

      [Il eut été donc fort surprenant que les allemands se découvrissent sincères antinazis à la 24ème heure; d’autant que le détail du sort réservé aux juifs, clairement l’élément le plus monstrueux du bilan nazi, restait alors inconnu au plus grand nombre.]

      Je ne crois pas qu’il fut aussi « inconnu » que cela. Bien sur, les détails manquaient. Mais ceux qui voulaient savoir savaient beaucoup de choses. Les soldats qui revenaient en permission de Pologne parlaient, tout comme ceux qui revenaient d’autres territoires occupés. Les cheminots qui faisaient rouler les trains de déportés à travers l’Allemagne savaient que quelque chose se passait. Les allemands avaient lu Mein Kampf, et avaient été témoins de la « nuit de cristal ». Alors, si les gens n’ont pas su, c’est qu’ils n’ont pas voulu savoir.

      [Après la guerre, le contexte de la guerre froide et la mise à jour des crimes du stalinisme, n’a pas dû, par ailleurs, amoindrir, chez les plus politisés d’entre eux, l’idée qu’ils avaient été le rempart de la civilisation européenne contre la "barbarie asiatique" (i.e. la Russie Soviétique) et s’étaient en quelque sorte sacrifiés pour les autres peuples du continent.]

      Il faut dire que les organisateurs de la « guerre froide » ont considérablement encourage ce mode de pensée, qui était fort utile pour préparer la confrontation suivante.

      [3. Néanmoins, contrairement à ce qu’écrit Descartes, quand à partir de janvier 1945, il devient clair que la guerre était non seulement perdue mais que l’Allemagne serait envahie, je ne pense pas qu’on puisse dire que les soldats allemands se soient majoritairement battus "pour Hitler", dont la crédibilité s’était effondrée, mais plutôt "pour l’Allemagne", "pour la patrie", "par devoir", "par habitude" ou encore plus prosaïquement, à l’est, pour éviter les représailles russes.]

      J’ai du mal à croire que ceux qui ont accompagné Hitler jusqu’à la mort, que les officiers qui ont obéi ses ordres jusqu’à la dernière minute aient pensé que Hitler avait perdu toute crédibilité. Si c’était le cas, pourquoi n’ont-ils pas désobéi ? Le fait est qu’aucun des militaires qui a fréquenté Hitler pendant les dernières semaines de son règne n’a eu l’idée de lui foutre une balle dans la tête, ce qui aurait probablement abrégé la guerre et sauvé de nombreuses vies, allemandes et alliées. Par ailleurs, j’ai du mal à saisir en quoi le fait de combattre jusqu’au bout pouvait rendre les représailles russes moins lourdes…

      [En ce qui concerne ce dernier point, l’histoire a montré qu’ils n’avaient d’ailleurs pas eu complètement tort, puisque la mortalité des soldats allemands dans les camps de prisonniers russes s’est avérée être près de 20 fois supérieure à celle survenue dans les camps de prisonniers anglo-américains (mais plus de moitié inférieure à celle survenue pour les soldats russes dans les camps de prisonniers allemands).]

      Normal. Les russes avaient à peine de quoi nourrir leur propre peuple. Il me semble presque inhumain de leur reprocher d’avoir réservé le pain qu’ils avaient pour leurs enfants, plutôt que de le donner à des gens qui avaient détruit leur pays et massacré presque un homme valide sur trois…

      [4. Ceci dit, être pro-nazi ne signifiait pas, pour la grande majorité des allemands, se féliciter de l’extermination des juifs ou du massacre de civils non-juifs en Europe de l’Est. En ce qui concerne la Solution Finale, le consensus historique actuel est que très peu d’allemands y était en réalité favorable (par ailleurs, comme je l’ai déjà dit, seule une infime minorité en connaissait les détails)]

      Je ne sais pas. Je ne crois pas qu’il y ait eu de sondages de fait pour déterminer combien d’allemands était favorable à la « solution finale » en 1942. Ce que nous savons, par contre, c’est que de la « nuit de cristal » à la « solution finale », très rares ont été ceux qui ont cherché à faire quelque chose pour aider les juifs ou pour mettre des bâtons dans les roues de la machine nazie.

      [5. Tout cela n’empêche cependant pas les allemands des générations suivantes d’avoir été sincèrement et profondément antinazi grâce, notamment, au travail des historiens, de la classe politique et des médias sur le sujet.]

      Alors, comment expliquez vous qu’un ancien du NSDAP et fonctionnaire de la propagande nazi pendant la guerre ait pu devenir chancelier d’Allemagne dans les années 1960, sans que personne ne trouve rien à redire, alors même que son pedigree était publiquement connu ? Que les allemands des générations suivantes aient communié dans une rhétorique antinazi, je veux bien le croire. Qu’ils soient « sincèrement et profondément antinazi », je demande à voir.

      [le phénomène de la bande à Baader, ou encore, l’importance, dans la vie politique et culturelle allemande, des mouvements alternatifs type Grünen ou Parti des Pirates.]

      Justement, le phénomène de la bande à Baader ou celui des Grünen rappelle qu’un certain nombre d’éléments qui ont permis le nazisme sont toujours vivaces dans la culture allemande…

      [6. A ce titre, il me semble que Descartes fait un contresens en voyant dans l’importance du vote écologiste la trace des "mentalités et pratiques politiques" qui menèrent au nazisme. Ce serait en effet selon moi plutôt une réaction de rejet à l’encontre de ce dernier qui fut clairement "scientifique", "industriel" et "de masse". Les trajectoires intellectuelles de Gunther Anders, personnalité phare des anti-nucléaires, ou de Hans Jonas, père du principe de précaution, et philosophe le plus lu en Allemagne sont là pour témoigner des liens très forts existant entre le mouvement écologiste allemand et le traumatisme du nazisme et de la Shoah.]

      Oui et non. On retrouve dans le mouvement écologiste les contradictions du romantisme allemand. D’un côté l’aspect libertaire, de l’autre le fanatisme, l’idée que la violence est un moyen légitime de faire avancer ses idées politiques, l’anti-humanisme.

  9. Marencau dit :

    Bonjour Descartes,

    Je rebondis sur les discussions que tu as sur ce fil et sur un autre avec Pienol, odp et et vent2sable sur, en gros, "le communisme aujourd’hui".

    La position de tes interlocuteurs me semble avoir une certaine analogie avec celle de Diderot face à "La Maréchale" à propos de la religion:
    DESCARTES – Voilà bien les abus ; mais ce n’est pas la chose.
    PIENOL – C’est la chose, si les abus en sont inséparables.
    DESCARTES. – Et comment me montrerez-vous que les abus du communisme sont inséparables du communisme ?

    C’est là où l’analogie s’arrête car la démonstration qui suit pour montrer "communisme=intrinsèquement criminel" ne me paraît guère convaincante – et puis je m’en voudrais de te laisser le mauvais rôle 😉 Comme tu le précises, le cas d’Allende au Chili montre qu’il peut y avoir marxisme sans abus… même si certains ont trouvé cela irresponsable et se sont empressés de le remplacer par un dictateur. Mais existe-t-il vraiment d’autres cas significatifs ? Attention, ce n’est pas une question rhétorique mais une vraie question, ça m’intéresse authentiquement.

    Pour faire le lien avec le PRCF dont je parlais plus haut, je ne pense pas qu’on puisse faire de la Corée du Nord ou de Cuba des modèles de la "lutte contre l’impérialisme Américain". Tu as raison, tous les pays tentés par l’expérience marxiste ont été harcelés de l’extérieur par tous les moyens pour les déstabiliser. Mais en l’occurrence, est-ce que ces expériences auraient pu selon toi "bien tourner" (au sens réussite économique + limitation des droits individuels limités) ? Je pense qu’il y avait un problème à la racine. Une des particularités du communisme c’est qu’il se place comme un défenseur des exploités. A partir de là, n’est-ce pas tentant voire facile pour un populiste ou dictateur en herbe de récupérer cette idéologie pour se placer en "héros de la classe ouvrière" et derrière instaurer un pouvoir personnel brutal ? Ça ne veut pas dire que c’est un défaut intrinsèque du communisme, mais je pense qu’il faut en être conscient et être vigilant.

    Par ailleurs, j’aimerais avoir ton avis sur le bilan économique de l’URSS. J’ai bien du mal à trouver des documents intéressants alors que je suis en pleines recherches. Soit je tombe sur des textes expliquant qu’en URSS on vivait bien mieux qu’aux Etats-Unis, soit sur des bouquins qui expliquerait presque que les soviétiques mangeaient leurs enfants tellement ils mourraient de fin. Je pense personnellement sans me mouiller qu’il y a du avoir des choses bonnes et mauvaises dans cette expérience.

    Des bonnes assurément, car par exemple il est choquant de voir que l’espérance de vie des russes a diminué depuis la chute. De mauvaises également, car l’URSS ne semble pas avoir atteint les niveaux de production que le communisme aurait du atteindre (le capitalisme devenant une limite pour l’extension des forces productives) – sans compter les atteintes aux droits individuels. Ceci peut d’ailleurs être illustré par le fait que si les russes y avaient beaucoup perdu au change, les partis communistes locaux auraient probablement un poids électoral plus important…

    Il y a également le cas Chinois dont on ne sait finalement pas grand chose et dont on ne parle pas énormément en France (à mon avis). Entre capitalisme d’Etat et "collectivisation des grands moyens de production", la frontière peut être parfois mince. Si la Chine se recentrait sur sa consommation interne au lieu d’exploiter ses salariés pour exporter pas cher, si les droits individuels étaient mieux préservés… alors peut-être qu’on aurait un vrai modèle alternatif viable de production…

    • Descartes dit :

      @Marencau

      [Comme tu le précises, le cas d’Allende au Chili montre qu’il peut y avoir marxisme sans abus…]

      J’ai essayé de montrer plutôt l’inverse : que la tentative d’avoir « du marxisme sans abus » ne pouvait que tourner à la catastrophe, parce que le système capitaliste n’était prêt à accepter la défaite et à laisser le gouvernement démocratiquement élu gouverner. Et cela a toujours été comme cela : lorsque la bourgeoisie en France prend le pouvoir, surgit immédiatement une « coalition des princes » pour saboter le régime de l’intérieur et lui faire la guerre de l’extérieur. Il fallut les excès de la Terreur puis le militarisme de l’Empire pour y faire face. On peut faire une analyse similaire à propos de la guerre civile anglaise des années 1640. Et quelquefois, il fallut plusieurs « essais » avant que la nouvelle classe arrive à s’établir au pouvoir : la restauration monarchique en Angleterre après la mort de Cromwell, les allers-retours entre des républiques et des monarchies de plus en plus « bourgeoises » en France…

      La leçon de la tragédie chilienne est que chaque fois qu’une classe nouvelle accède au pouvoir par la voie démocratique, on ne peut compter sur la classe « sortante » pour accepter la défaite et laisser le nouveau système s’établir. Au contraire, elle utilisera tous les moyens légaux comme illégaux pour retenir son pouvoir, souvent avec l’appui de l’étranger. Cette confrontation antagonique rend les « abus » quasiment inévitables. En ce sens, les « abus » commis en URSS ne sont pas liés au communisme. Ils apparaissent chaque fois qu’une classe est substituée au pouvoir par une autre classe. C’est une mécanique infernale qui fait partie de la tragédie de l’histoire.

      [Mais existe-t-il vraiment d’autres cas significatifs ? Attention, ce n’est pas une question rhétorique mais une vraie question, ça m’intéresse authentiquement.]

      C’est difficile à dire. Le problème, est que la plupart des tentatives « pacifiques » de construire le socialisme ont été immédiatement attaquées, et que ces attaques ont soit tué l’expérience dans l’œuf, soit obligé le régime à se défendre, donnant lieu aux « abus » en question.

      [Pour faire le lien avec le PRCF dont je parlais plus haut, je ne pense pas qu’on puisse faire de la Corée du Nord ou de Cuba des modèles de la "lutte contre l’impérialisme Américain". Tu as raison, tous les pays tentés par l’expérience marxiste ont été harcelés de l’extérieur par tous les moyens pour les déstabiliser. Mais en l’occurrence, est-ce que ces expériences auraient pu selon toi "bien tourner" (au sens réussite économique + limitation des droits individuels limités) ?]

      Je ne vois pas pourquoi pas. Si les énormes moyens intellectuels et matériels qui ont du être consacrés à répondre aux agressions extérieures avaient pu être dédiés à la réussite économique, si la logique de « forteresse assiégée » n’avait pas rendu pratiquement impossible le débat ouvert et le respect des droits individuels, l’histoire aurait été certainement très différente. Je ne vois pas de faiblesse intrinsèque au projet socialiste ou communiste qui rende le totalitarisme et l’échec économique inévitable.

      [Je pense qu’il y avait un problème à la racine. Une des particularités du communisme c’est qu’il se place comme un défenseur des exploités. A partir de là, n’est-ce pas tentant voire facile pour un populiste ou dictateur en herbe de récupérer cette idéologie pour se placer en "héros de la classe ouvrière" et derrière instaurer un pouvoir personnel brutal ?]

      Non. Le communisme dans l’opposition se place en « défenseur des exploités », mais au pouvoir il est censé faire disparaître l’exploitation. Rien là dedans qui le prédispose plus au pouvoir personnel que le capitalisme. Après tout, il ne manque pas d’exemples de pouvoir personnel capitaliste, non ?

      [Par ailleurs, j’aimerais avoir ton avis sur le bilan économique de l’URSS. J’ai bien du mal à trouver des documents intéressants alors que je suis en pleines recherches. Soit je tombe sur des textes expliquant qu’en URSS on vivait bien mieux qu’aux Etats-Unis, soit sur des bouquins qui expliquerait presque que les soviétiques mangeaient leurs enfants tellement ils mourraient de fin. Je pense personnellement sans me mouiller qu’il y a du avoir des choses bonnes et mauvaises dans cette expérience.]

      Le bilan sérieux du socialisme soviétique en tant qu’expérience économique reste très largement à faire. La plupart des livres publiés sur la question sont victimes de biais idéologiques, cherchant soit à chanter les louanges du système, soit à le diaboliser. Il y a quand même quelques éléments qu’il me semble important de noter :

      Le premier, c’est que le régime soviétique a clairement failli sur le plan de la productivité. Les économistes soviétiques n’ont tout simplement pas compris l’importance de ce paramètre, alors qu’ils se polarisaient essentiellement sur la question des volumes produits. Il s’en est suivi un gâchis considérable de matières premières, de ressources en capital et en travail qui ont pesé sur l’efficacité de l’économie. Le deuxième élément qui me semble important de noter est le peu d’attention prêtée au système de fixation des prix. Ayant rejeté le marché comme mécanisme de formation des prix, le système soviétique s’est révélé incapable de mettre en place une alternative efficiente en termes d’allocation des ressources. L’illusion que la bonne politique économique est de fixer les prix au niveau le plus bas possible pour permettre le plus large accès aux biens – illusion qui est encore soutenue par une bonne partie de la gauche, voir les débats sur les prix de l’électricité – a rendu inopérant le signal prix dans le choix des agents économiques, et conduit à d’énormes gaspillages (donner du pain à manger aux cochons plutôt que du maïs, par exemple).

      Mais l’économie soviétique peut s’enorgueillir aussi d’importantes réussites. Si la productivité a limité la taille du gâteau, il faut admettre que celui-ci était assez égalitairement reparti. On peut aussi constater que dans les domaines qui sont mal régulés par le marché (éducation, santé, grands services publics, défense, recherche) le régime soviétique avait réussi à hisser son pays dans le peloton de tête. Ce n’est pas là une mince réussite.

      Si j’avais à faire un bilan, je dirais que le régime soviétique a échoué dans les domaines où le mécanisme de marché est un bon régulateur (produits de consommation de masse, notamment) alors qu’il a réussi dans les domaines qu’on peut considérer comme « régaliens »…

    • Marencau dit :

      @Descartes

      [J’ai essayé de montrer plutôt l’inverse : que la tentative d’avoir « du marxisme sans abus » ne pouvait que tourner à la catastrophe]
      Je comprend bien ton point et ton exemple de la Révolution Française est à mon avis convaincant. C’est d’ailleurs pourquoi Clemenceau, lucide, considérait que la Révolution était un bloc et qu’il n’y avait pas de raison de faire le tri entre les bons et les mauvais révolutionnaires.

      Mais cela pose un autre problème. Cela veut dire qu’en se positionnant comme révolutionnaire, on annonce la couleur. Je n’ai pas de problème avec ça en soit. Mais cela veut dire qu’il faudra que la révolution apporte des avantages réellement conséquents pour faire passer la pilule par rapport à ses désavantages engendrés. Et on retombe sur l’histoire de la "forteresse assiégée" plus bas…

      [Je ne vois pas pourquoi pas. Si les énormes moyens intellectuels et matériels qui ont du être consacrés à répondre aux agressions extérieures avaient pu être dédiés à la réussite économique, si la logique de « forteresse assiégée » n’avait pas rendu pratiquement impossible le débat ouvert et le respect des droits individuels, l’histoire aurait été certainement très différente. ]
      On ne peut certes pas refaire l’Histoire. Mais je ne suis pas sûr que la Corée du Nord aurait pu donner quoi que ce soit d’autre. Après tout, Kim Il-sung a développé, entre autres, un culte de la personnalité extrêmement tôt… et a instauré une véritable dynastie héréditaire.

      [Je ne vois pas de faiblesse intrinsèque au projet socialiste ou communiste qui rende le totalitarisme et l’échec économique inévitable.]
      Intrinsèquement, non. Mais tu le dis toi même: le fait est que lorsqu’une nation fait une révolution socialiste, on lui tombe dessus et elle est obligée d’être dans la logique de la "forteresse assiégée". C’est comme ça, il faut le prendre en compte.

      A partir de là, soit la révolution vaut quand même le coup malgré les moyens intellectuels et matériels "gâchés" et toutes les conséquences sur les droits individuels, soit la nation étouffe sans soutien extérieur et court au désastre. Avoue que ça complique sacrément la chose… et que, probablement, la liste des pays qui peuvent soutenir une telle révolution avec des conséquences positives est minime.

      Enfin, le problème serait limité si on avait un "embrasement révolutionnaire" mondial. Mais on a déjà pu voir que ce n’était nullement évident. Et qu’il faut bien un premier pays qui fasse sa révolution et tienne le choc alors que tout le monde lui tombe dessus.

      [Rien là dedans qui le prédispose plus au pouvoir personnel que le capitalisme. Après tout, il ne manque pas d’exemples de pouvoir personnel capitaliste, non ?]
      Je ne suis pas d’accord. Les exemples de pouvoir personnel capitaliste ne manquent pas, c’est un fait. Mais je pense que ces pouvoirs étaient certes des dictatures, mais des dictatures dans l’intérêt des classes dirigeantes qui les ont maintenu en place.

      Or, dans certains pays où l’on a par exemple une faible éducation et un faible taux d’alphabétisation, je pense que les classes populaires peuvent se laisser plus facilement abuser. Il faut que je vérifie la source, mais pour prendre un exemple récent, je crois qu’en Egypte, pendant les élections, il y a eu une grosse campagne pour faire croire que 1 vote pour Morsi = 1 travail après l’élection.

      Si Pinochet faisait le bonheur de la bourgeoisie chilienne, je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui la présence de Kim Jong-un au pouvoir en Corée du Nord soit vraiment bénéfique pour les travailleurs…

      Sinon, je te remercie pour ta réponse sur l’économie de l’URSS. Pour l’instant je n’ai trouvé aucun ouvrage qui ne me satisfait… mais je vais continuer à chercher !

    • Descartes dit :

      @Marencau

      [Mais cela pose un autre problème. Cela veut dire qu’en se positionnant comme révolutionnaire, on annonce la couleur. Je n’ai pas de problème avec ça en soit. Mais cela veut dire qu’il faudra que la révolution apporte des avantages réellement conséquents pour faire passer la pilule par rapport à ses désavantages engendrés.]

      Bien entendu. Il ne faut pas donner l’illusion que la révolution pourrait être une partie de plaisir. Comme disait Mao, « la révolution n’est pas un dîner de gala ». C’est d’ailleurs pour cette raison que les « situations révolutionnaires » sont si rares dans l’histoire. Pour qu’il s’en produise une, il faut que la classe révolutionnaire ait très peu à perdre et beaucoup à gagner. Je dirais même, il faut qu’elle soit poussée dans un retranchement d’où la révolution est la seule sortie raisonnable. L’intelligence d’un révolutionnaire, c’est de comprendre cette dynamique et chercher à réduire au maximum l’intensité de la confrontation qui suit inévitablement.

      [On ne peut certes pas refaire l’Histoire. Mais je ne suis pas sûr que la Corée du Nord aurait pu donner quoi que ce soit d’autre. Après tout, Kim Il-sung a développé, entre autres, un culte de la personnalité extrêmement tôt… et a instauré une véritable dynastie héréditaire.]

      Un peu comme Napoleon chez nous, non ? Je ne connais pas assez bien la question coréenne pour pouvoir donner une réponse. Mais j’attire ton attention sur le fait que la Corée du Nord est en guerre depuis sa création contre un ennemi infiniment plus puissant qu’elle. On peut se demander quelle aurait été l’évolution du régime s’il n’avait pas du vivre comme une citadelle assiégée.

      [A partir de là, soit la révolution vaut quand même le coup malgré les moyens intellectuels et matériels "gâchés" et toutes les conséquences sur les droits individuels, soit la nation étouffe sans soutien extérieur et court au désastre. Avoue que ça complique sacrément la chose… et que, probablement, la liste des pays qui peuvent soutenir une telle révolution avec des conséquences positives est minime.]

      Je n’ai jamais dit le contraire : la révolution est l’exception dans l’histoire des peuples, et non la règle. Combien de révolutions dans l’histoire de France ? Une, deux peut-être ?

      [Or, dans certains pays où l’on a par exemple une faible éducation et un faible taux d’alphabétisation, je pense que les classes populaires peuvent se laisser plus facilement abuser. Il faut que je vérifie la source, mais pour prendre un exemple récent, je crois qu’en Egypte, pendant les élections, il y a eu une grosse campagne pour faire croire que 1 vote pour Morsi = 1 travail après l’élection.]

      Mais ce genre de démagogie est parfaitement possible dans un pays capitaliste aussi… et je ne donne pas d’exemples pour ne pas faire de jaloux.

      [Si Pinochet faisait le bonheur de la bourgeoisie chilienne, je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui la présence de Kim Jong-un au pouvoir en Corée du Nord soit vraiment bénéfique pour les travailleurs…]

      Franchement, je n’en sais rien. Mais je me souviens qu’on nous a répété que la chute du dictateur Saddam Hussein ne pouvait qu’améliorer la vie des irakiens. A l’expérience, je ne suis pas persuadé que ce soit le cas.

    • CVT dit :

      [J’attire votre attention sur une différence fondamentale : les poilus de 1914-18 défendaient le territoire de leur pays, dirigé par un régime démocratique qui les représentait, et qui quelque fussent ses erreurs, n’était pas un régime criminel. Les allemands qui souhaitaient la victoire de Hitler ne défendaient pas leur pays, mais un régime qui avait occupé l’essentiel de l’Europe, qui avait organisé l’extermination des opposants politiques et des populations civiles… vous ne trouvez pas qu’il y a une petite différence ?]
      Est-ce que j’ai dit le contraire? Il est parfaitement LEGITIME pour des soldats de défendre leur pays, d’autant plus quand celui-ci est occupé par l’ennemi! Mon propos portait seulement sur la colère qui avait animée les deux mutineries, et non pas sur les buts de guerre, dont je mesure évidemment les différences fondamentales.
      En 1914-18, Poilus et Officiers étaient d’accord sur l’objectif, chasser les "verts de gris" du territoire, et donc les soldats français en voulaient à l’état-major, non à cause d’un quelconque pacifisme ou objection de conscience, mais parce qu’ils doutaient de la compétence de leurs supérieurs, suite à de tragiques erreurs stratégiques. Idem pour ces officiers putschistes qui ont tenté de renverser Hitler.
      Mon rapprochement avec les deux situations était le suivant: dans les deux cas, c’était bien la base qui voulait continuer la guerre, et c’est peut-être cette vérité-là que les gens d’aujourd’hui ont du mal à comprendre, et pire, qu’ils essaient de travestir, comme le démontre la réhabilitation des mutins de 1917 par les gouvernements de gauche, qui ressemble pour moi à une critique indirecte de la volonté de victoire et de sacrifice des Poilus. D’ailleurs, je redoute les relectures de l’histoire de la Grande Guerre qui vont être faites lors de la célébration de son centenaire…

    • Descartes dit :

      [D’ailleurs, je redoute les relectures de l’histoire de la Grande Guerre qui vont être faites lors de la célébration de son centenaire…]

      Connaissant la tendance de nos dirigeants actuels à plaquer sur l’histoire une lecture moralisante, on peut en effet craindre le pire…

    • BolchoKek dit :

      >D’ailleurs, je redoute les relectures de l’histoire de la Grande Guerre qui vont être faites lors de la célébration de son centenaire…<
      Je redoute également le centenaire de la mort de Jaurès. Dans un contexte où le gouvernement socialiste sera probablement dans la même crise de confiance qu’aujourd’hui, je vois venir les récupérations…

    • Guilhem dit :

      Tout à fait d’accord, le régime nazi n’est pas apparu ex nihilo et les réactions face au "Diktat" du traité de Versailles, la crise de 29 ou les balbutiements désastreux de la démocratie en Allemagne n’expliquent pas tout. Néanmoins, le parti nazi n’a jamais obtenu la majorité absolue aux élections ("seulement" 43% aux élections de 33), une majorité d’Allemands ne partageaient donc pas leurs idées. J’ai bien entendu l’argument selon lequel ils ne s’en sont pas débarrassés seuls mais ne peut-on pas dire qu’ils ont été bernés par Hitler qui dans un premier temps a apporté les solutions adéquates: baisse significative du chômage, arrêt de l’inflation et autonomie économique. Il a "criminalisé" ses opposants directs, les communistes en les impliquant dans l’incendie du Reichstag et, je pèche peut-être par naïveté mais le peuple allemand n’a jamais su (ou voulu savoir) la présence des camps sur le territoire allemand d’abord. Ce qui fait que l’aspect criminel de ce régime lui a été caché jusqu’à ce qu’il soit trop tard et que le pays soit engagé dans une guerre mondiale…
      Entendons-nous bien, je ne cherche absolument pas à déresponsabiliser le peuple allemand de l’apparition du nazisme mais je m’interroge sur le fait que l’Allemagne dans son ensemble ait été nazie dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui, dans toute son horreur, alors que la criminalité du régime ne s’est révélée qu’après (sur les Juifs tout du moins).
      Je pense que la réaction de la Wehrmacht est symptomatique du peuple Allemand dans son ensemble. Dès Stalingrad, la plupart des officiers supérieurs ont continué de servir ce régime qui les menait au désastre, peu se sont rebellés et tardivement. C’est cette fidélité "jusqu’au boût" que nous avons du mal à comprendre, nous Français.

    • Descartes dit :

      @guilhem

      [Néanmoins, le parti nazi n’a jamais obtenu la majorité absolue aux élections ("seulement" 43% aux élections de 33), une majorité d’Allemands ne partageaient donc pas leurs idées.]

      C’est vrai. Néanmoins, il fut soutenu au Reichtag par des partis politiques détenant ensemble une large majorité des électeurs. Il n’est pas donc irrationnel de penser qu’une majorité d’allemands souhaitaient lui donner les moyens de gouverner, même s’ils ne partageaient pas toutes ses idées…

      [J’ai bien entendu l’argument selon lequel ils ne s’en sont pas débarrassés seuls mais ne peut-on pas dire qu’ils ont été bernés par Hitler qui dans un premier temps a apporté les solutions adéquates: baisse significative du chômage, arrêt de l’inflation et autonomie économique. Il a "criminalisé" ses opposants directs, les communistes en les impliquant dans l’incendie du Reichstag et, je pèche peut-être par naïveté mais le peuple allemand n’a jamais su (ou voulu savoir) la présence des camps sur le territoire allemand d’abord. Ce qui fait que l’aspect criminel de ce régime lui a été caché jusqu’à ce qu’il soit trop tard et que le pays soit engagé dans une guerre mondiale…]

      Faut pas prendre les gens pour des imbéciles. Ou alors, il faut renoncer à la démocratie. Comment pouvez-vous confier les destinées du pays à des gens aussi faciles à berner, qui peuvent ignorer des camps de concentration tout en vivant à 100 mètres d’un d’eux ? Vous devriez visiter le site de Dachau, dans la banlieue de Munich. Vous constaterez que ceux qui ne savaient pas, c’est parce qu’ils ne voulaient pas savoir. Hitler n’a jamais cherché à « cacher » ce qu’il était. Il l’avait au contraire écrit noir sur blanc dans « Mein Kampf ». Un livre que beaucoup d’allemands avaient lu.

      D’ailleurs, admettons que Hitler ait « berné » les allemands en 1933… Mais les allemands qui ont combattu alors que tout était perdu à Berlin en 1945, ceux qui ont craché sur Marlène Dietrich en 1960, il les avait « berné » aussi ? Difficile à croire, n’est ce pas ? Non, je pense qu’il faut utiliser comme toujours le rasoir d’Occam. Les allemands avaient toute l’information nécessaire pour savoir qui était Hitler. Ils pouvaient savoir dès 1933 qu’il était arrivé au pouvoir par la violence, violence qu’il avait exercé impitoyablement non seulement contre ses adversaires, mais contre ceux qui le critiquaient dans son propre camp. Son antisémitisme, sa vision d’un état fondé sur le « führerprinzip » n’étaient un secret pour personne. Ce qui n’ont pas su, c’est qu’ils n’ont pas voulu savoir.

      [Entendons-nous bien, je ne cherche absolument pas à déresponsabiliser le peuple allemand de l’apparition du nazisme mais je m’interroge sur le fait que l’Allemagne dans son ensemble ait été nazie dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui, dans toute son horreur, alors que la criminalité du régime ne s’est révélée qu’après (sur les Juifs tout du moins).]

      C’est que, comme le dit si bien Terry Pratchett, les gens font le mal non pas parce qu’ils disent « oui », mais parce qu’ils ne disent pas « non ». L’immense majorité des allemands ne furent peut être pas des nazis. Mais une majorité n’a pas perdu le sommeil la nuit sachant ce que les nazis infligeaient aux communistes et aux juifs, aux polonais et aux russes. Si cela avait été le cas, il y aurait eu une majorité pour exiger que les nazis soient punis après la guerre. Ils ne l’ont pas exigé, et à peine quinze ans plus tard un ancien fonctionnaire nazi devenait chancelier d’Allemagne sans que personne ne trouve à redire.

      [C’est cette fidélité "jusqu’au boût" que nous avons du mal à comprendre, nous Français.]

      Tout a fait. Et c’est pourquoi il n’y a pas de « führers » dans notre histoire… "pro rege saepe, pro patria semper" disait la devise de Colbert. Et il faut croire que même Louis XIV n’a pas trouvé à redire…

    • Marencau dit :

      @ BolchoKek @ CVT @ Descartes

      Oh, ce n’est pas très compliqué d’imaginer comment l’anniversaire de la Grande Guerre sera présenté dans nos journaux préférés…

      Ce sera, comme d’habitude, une vision purement idéaliste: l’idée de nation qui mène forcément au conflit et à la guerre ; par conséquent il faut dissoudre les nations. Et grâce à l’Union Européenne, prix Nobel de la paix, nous ne connaissons plus la guerre car nous ne sommes plus nationalistes et les souverainistes nous mèneraient à la guerre. Et tout cela en 2014, soit pendant les élections européennes (même si l’anniversaire à proprement parler soit quelques mois plus tard). Mais je doute que cela convainc qui que ce soit.

      Si le PCF en 1939 s’est planté en qualifiant la IIème guerre mondiale qui débutait de "conflit impéraliste provoqué par les capitalistes"*, on ne peut pourtant pas dire que le constat soit faux si on l’applique à la Ière guerre… en gros liée aux empires coloniaux, à la recherche de débouchés, de main d’oeuvre bon marché, de ressources, bref, au capitalisme. J’imagine que pas grand chose ne sera dit sur le sujet.

      *Encore que, comme Descartes tu le disais, c’était une position favorable à l’URSS dont la vitalité était sensée être favorable aux travailleurs dans le monde, ce que l’histoire a montré comme plutôt vrai. Il en reste que ça a coûté très cher aux communistes en France, probablement bien plus qu’une rupture avec Moscou…

    • Marencau dit :

      Navré, j’insiste un peu si tu le permet… c’est rare d’avoir des débats sur ce genre de choses alors autant en profiter.

      [Bien entendu. Il ne faut pas donner l’illusion que la révolution pourrait être une partie de plaisir. Comme disait Mao, « la révolution n’est pas un dîner de gala ».]
      D’accord, mais je me demande vraiment comment tu présentais la chose à l’époque en tant que militant du PCF ! Car de mon côté, dès que j’entend quelqu’un parler du communisme, c’est immédiatement pour paraphraser "le petit livre noir" avec les 100 millions de morts…

      Tiens, ODP te parle plus haut de Katyn. Que répondais-tu lorsqu’on te disait que le communisme avait causé ce massacre des élites polonaises ?

      Si la réponse à toutes ces accusations de massacre et de violations des droits individuels était "certes, mais c’était pour protéger la révolution" et "si on fait à notre tour la révolution on devra la protéger ensuite par tous les moyens même en violant les droits individuels", je doute que ça ait convaincu énormément de monde… désolé pour ce petit couplet "droit de l’hommiste", mais en termes de rhétorique je pense que c’est extrêmement intéressant.

      [Pour qu’il s’en produise une, il faut que la classe révolutionnaire ait très peu à perdre et beaucoup à gagner. Je dirais même, il faut qu’elle soit poussée dans un retranchement d’où la révolution est la seule sortie raisonnable. ]
      Pourtant, si on prend par exemple les années 60, on ne peut pas dire que les ouvriers n’avait "rien à perdre et beaucoup à gagner". Et le PCF était bien dans une logique révolutionnaire et il attirait beaucoup de voix.

      Parallèlement, si tu considères 68 comme le début d’une révolution libérale, pas sûr que la "classe révolutionnaire" que tu appelles classe moyenne n’y ait perdu grand chose. Au contraire même. Et l’intensité de la confrontation qui suit… ne fut pas vraiment élevée. Pire avec la chute du mur.

    • Descartes dit :

      @Marencau

      [D’accord, mais je me demande vraiment comment tu présentais la chose à l’époque en tant que militant du PCF ! Car de mon côté, dès que j’entend quelqu’un parler du communisme, c’est immédiatement pour paraphraser "le petit livre noir" avec les 100 millions de morts…]

      Même lorsque j’étais militant du PCF, je n’ai jamais cru que la révolution pouvait être une fête. Et je ne crois pas que le PCF ait jamais présenté les choses de cette manière. On peu reprocher beaucoup de choses au PCF de la grande époque, mais pas d’avoir manqué de sens du tragique…

      [Tiens, ODP te parle plus haut de Katyn. Que répondais-tu lorsqu’on te disait que le communisme avait causé ce massacre des élites polonaises ?]

      La même chose qu’aujourd’hui : qu’attribuer à un mode de production un massacre, c’est faire une erreur d’analyse. Le massacre de Katyn n’a pas été « causé par le communisme » pas plus que le massacre de My Lai n’a pas été « causé par le capitalisme ».

      [Si la réponse à toutes ces accusations de massacre et de violations des droits individuels était "certes, mais c’était pour protéger la révolution" et "si on fait à notre tour la révolution on devra la protéger ensuite par tous les moyens même en violant les droits individuels", je doute que ça ait convaincu énormément de monde… désolé pour ce petit couplet "droit de l’hommiste", mais en termes de rhétorique je pense que c’est extrêmement intéressant.]

      Et bien, l’argument était à l’époque moins difficile à comprendre qu’il en a l’air aujourd’hui. Pour la génération qui avait vécu la guerre mondiale, la résistance, les massacres, les guerres coloniales, le tragique de la « raison d’Etat » et l’idée que « salus populo suprema lex esto » (« le salut du peuple est la loi suprême ») était bien plus compréhensible que ne peut l’être pour la génération d’aujourd’hui, qui ont perdu le sens du tragique. La figure d’un Allende qui préféra la mort plutôt que de sortir de la légalité républicaine et des « droits de l’homme » fait peut-être un beau martyr, mais on peut se demander s’il n’eut mieux fait de penser plus à son peuple et moins à ses principes…

      [Pourtant, si on prend par exemple les années 60, on ne peut pas dire que les ouvriers n’avait "rien à perdre et beaucoup à gagner". Et le PCF était bien dans une logique révolutionnaire et il attirait beaucoup de voix.]

      Non. Le PCF, dans les années 1960 n’était certainement pas dans une « logique révolutionnaire ». Il était plutôt dans une logique de combat pour obtenir un partage le plus équitable possible des fruits de la croissance des « trente glorieuses ». Son attitude en mai 1968, que les « révolutionnaires » lui ont d’ailleurs beaucoup reproché, en est la meilleure illustration.

      [Parallèlement, si tu considères 68 comme le début d’une révolution libérale, pas sûr que la "classe révolutionnaire" que tu appelles classe moyenne n’y ait perdu grand chose.]

      Elle n’a rien perdu, et elle y a beaucoup gagné…

  10. cyberic dit :

    ""Les camps d’extermination ne sont pas un accident du nazisme, ils sont la conséquence évidente des postulats idéologiques nazis. Rien de tel pour l’idéologie communiste, qui même si elle est « totalitaire » – au sens qu’elle ignore la séparation entre sphère publique et sphère privée – est une idéologie qui proclame l’égalité entre tous les hommes, la fraternité, la liberté. Rien qui annonce les camps et l’extermination. Lorsque les communistes « idéologiques » ont découvert les camps, ils en furent généralement horrifiés. Lorsque les nazis « idéologiques » ont découvert les camps, ils furent ravis. Voilà toute la différence. ""

    Bonjour Descartes,

    Comme souvent bravo pour la thoracique utilisée, vous faites ça très bien..mais je considère que vous dépensez beaucoup d’énergie pour ne pas reconnaître l’échec idéologique du communisme dans le monde et surtout ses quelques applications sanglantes. Les Goulags sont un détail qu’il n’est pas nécessaire de citer bien sur. J’irai poster désormais sur les sujets d’actualité.

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