Ukraine: à l’Est, rien de nouveau

Lire les éditoriaux sur l’Ukraine aujourd’hui, c’est faire un voyage dans le temps. Prenons celui de Nathalie Nougayrède publiè dans Le Monde du 7 mars 2014 : « Quelles leçons tirer à ce stade de la spectaculaire crise surgie au cœur du continent européen, en Ukraine, longtemps ce « fantôme de l’Europe », selon une expression de l’ancien dissident Léonide Plioutch ? La diplomatie russe est un formidable rouleau compresseur avançant sans relâche, dans le style Gromyko des années 1970 (…) ». Quelques jours auparavant, le grand quotidien du soir avait publié plusieurs dessins de Plantu montrant Poutine arborant la faucille et le marteau. Le communisme a beau être mort, son fantôme semble toujours hanter les rêves des anticommunistes.

Mais je vois que mes jeunes lecteurs semblent perplexes. Je vois que vous demandez qui peut bien être Léonide Plioutch. Est-ce un chanteur de Rock ? Un homme d’affaires peut-être ? Et non… c’est « super-dissident ». On a du mal à croire que son nom, comme celui de Iouli Daniel, de Anatoli Chtcharansy, d’Andrei Siniavsky et beaucoup d’autres a été pendant une décennie à la une des gazettes les plus en cours sur la place de Paris. Que des titres aussi prestigieux parmi la bienpensance que Le Nouvel Observateur, Libération, Le Point, Le Monde ou l’Express leur ouvraient généreusement leurs colonnes. Qu’ils étaient la coqueluche de toutes sortes d’émissions de télévision, de pétitions et de colloques. Aujourd’hui, qui s’en souvient d’eux ? Oh ! combien de marins, combien de capitaines, qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, dans ce morne horizon se sont évanouis ?

Tous ces éminentes mathématiciens, philosophes, écrivains, intellectuels qui en leur temps furent qualifiés de conscience du monde sont aujourd’hui oubliés. Qui lit les œuvres complètes de Iouli Daniel ou Andrei Siniavsky, dont wikipédia nous dit que ce sont des « écrivains » mais ne cite pas une seule de leurs œuvres ? Qui connaît un seul travail des éminents mathématiciens Plioutch ou Chtcharansky ? Personne, bien entendu. C’est d’ailleurs aussi le cas pour des « dissidents » ayant eu une carrière médiatique de premier plan, comme Andreï Sakharov – le physicien génial qui n’a rien produit en physique – ou même Alexandre Soljénitsine. « L’archipel du Goulag » doit être le livre qui bat le record du rapport entre les gens qui en parlent et ceux qui l’ont lu.

Comme disait Coco Chanel, « la mode est ce qui se démode ». Et les « dissidents » se sont affreusement démodés. Ils avaient été élevés au rang de « grands intellectuels » dans une logique de propagande au service d’une politique, celle du néolibéralisme reagano-thatchérien de la fin des années 1970 au début des années 1990 qui a fort habilement utilisé le mécontentement des « fausses classes moyennes » (1) surgies en URSS et dans les autres pays socialistes pour abattre ces régimes. Dès lors que l’objectif a été atteint, ils ont été rangés au magasin des accessoires. Plus d’entretiens exclusifs, plus de pétitions, plus d’articles. Certains sont devenus d’ailleurs peu présentables à force de survivre à leur cause. Tant qu’ils se contentaient de dire du mal de l’URSS, ça passait. Mais lorsqu’un Soljénitsyne s’embarque dans des délires nationalistico-mystiques aux forts relents antisémites pour finir par embrasser sur la bouche Pinochet et de prononcer son éloge, lorsqu’un Chtcharansy devient en Israel un politicien d’extrême droite et milite pour le « grand Israel », cela commence à faire désordre. Et certaines personnalités de ce qu’on appelait pudiquement « la gauche non communiste » – nom code pour la gauche anticommuniste – ont pu légitimement se demander s’ils n’avaient pas servi d’idiots utiles à une campagne politique qui les dépassait et dont ils n’avaient pas compris les véritables tenants et aboutissants (2).

Certains me diront que cela n’a guère de l’importance. Que seuls les résultats comptent, et que le résultat est là : la démocratisation d’une grande partie de l’Europe de l’Est et son intégration aux institutions internationales qui assurent la stabilité du monde occidental, l’amélioration des niveaux de vie… c’est une objection valable et que je garde pour un prochain papier. Mais le projet thatchero-reaganien allait bien plus loin que cela. Il s’agissait de remettre en cause l’ensemble du « pacte social » issu de la deuxième guerre mondiale. Sur le plan intérieur, cela voulait dire le retour à un libéralisme sauvage et la disparition des organes de redistribution de la richesse. Sur le plan extérieur, la remise en cause des principes fondamentaux inscrits dans la logique des nations unies, et notamment les principes de non ingérence dans les affaires intérieures des états, d’intangibilité des frontières et d’action collective.

En quoi consistent ces principes ? Celui de non ingérence semble être évident : chaque nation souveraine gère ses conflits internes comme bon lui semble, et les autres nations n’ont pas à intervenir. Celui de l’intangibilité des frontières aussi : les frontières des nations telles qu’elles ont été fixées après 1945 sont intangibles et aucune modification qui ne se fasse par un commun accord n’est possible. Enfin, le principe d’action collective implique qu’on puisse dans des circonstances exceptionnelles violer les deux premiers principes, mais seulement avec un accord unanime des grandes puissances et une majorité des nations. C’est la logique de fonctionnement du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Ces principes n’ont rien de sacré ou de naturel. Ils sont au contraire teintés de pragmatisme. Celui de la non ingérence comme celui de l’intangibilité des frontières tirent les leçons des deux guerres mondiales, et notamment la question des minorités nationales : l’espoir de faire modifier les frontières invitait les minorités à refuser tout accord et jouer la politique du pire – ce fut le cas dans les Sudètes, par exemple – et aux états voisins de se mêler des affaires intérieures. En même temps, le principe d’action collective donnait une soupape dans les cas ou le comportement d’un Etat serait si contraire aux intérêts de tous que l’unanimité des puissances pourrait être obtenue. Comme tout « principe », ceux-ci ont connu un certain nombre de violations pendant la période 1945-80. Mais à chaque fois, ces violations ont été soigneusement limitées pour ne pas faire apparaître la violation au grand jour. Dans le monde bipolaire de l’époque, il paraissait difficile de donner à l’autre camp des arguments en violant les principes en question d’une manière trop flagrante. La France et la Grande Bretagne ne l’ont pas compris en 1956, lors de l’intervention de Suez, et se sont fait moucher.

La « chute du mur » et ce qui s’en est suivi a permis pendant quelques années aux américains et leurs alliés de croire à un monde unipolaire. Les USA étant tout-puissants, on allait voir ce qu’on allait voir. On allait pouvoir enfin faire triompher le Bien et le Beau sans avoir à se gêner avec des consultations et des principes obsolètes. Et chacun se donna à cœur joie. Les américains ont conçu le rêve délirant de sauver le monde un peu partout : en Somalie, en Irak… avant de constater que les choses ne sont pas si simples, et que comme le disait Talleyrand, on peut se faire un trône avec des baïonnettes, mais qu’il est imprudent de s’asseoir dessus. En Europe, ce fut l’Allemagne – à qui Mitterrand n’avait rien à refuser – qui réalisa son rêve : casser les ensembles multinationaux pour fabriquer des petits états ethniques, plus faciles à intégrer à l’espace centro-européen dominé par l’Allemagne. La reconnaissance de la Slovénie – qui aura pour effet de provoquer les guerres de Yougoslavie – tout comme celle des pays baltes ou la division de la Tchécoslovaquie ont mis en morceaux le principe de l’intangibilité des frontières. Mais l’exemple le plus dramatique reste sans doute le Kossovo. Dans cette affaire, les puissances occidentales sont intervenues sans mandat de l’ONU pour détacher une province d’un état souverain dont les frontières étaient reconnues. Tout ça, bien entendu, au nom du plus grand Bien et de la Morale la plus élevée. D’accord, c’était illégal, mais comment peut-on être aussi mesquin lorsqu’il s’agit d’un tyran comme Milosévic ?

Ce sont vingt ans de turpitudes qui reviennent nous rendre visite aujourd’hui. Après le Kossovo, on devrait avoir du mal à chanter avec des trémolos dans la voix la sérénade de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Si les kossovars avaient la possibilité, sous prétexte qu’ils ne s’entendaient pas avec les serbes, d’obtenir des bombardements de l’OTAN sur Belgrade pour obliger la Serbie à leur accorder l’indépendance, pourquoi les ukrainiens russophones de crimée (ou d’ailleurs…) n’auraient eux aussi la possibilité de faire bombarder Kiev pour obtenir la même liberté ? Heureusement que Poutine est plus modéré que Clinton…

Lorsqu’on représente le Bien, nous dit la doctrine actuelle, tout est permis. Pour faire le Bien, on peut bombarder un pays, emprisonner des gens pendant une décennie sans jugement ni même accusation, assassiner des gens par simple décision administrative. Dès lors qu’on est du côté de l’excellence morale – et c’est nous qui déterminons qui est de ce côté, donc la boucle est bouclée – on peut légitimement tout se permettre. Et c’est exactement ce qu’on fait depuis trente ans. Il est paradoxal de constater que l’effondrement du communisme a eu pour effet secondaire l’effondrement de tous les principes philosophiques et moraux que le « monde libre » avait semblé soutenir avec autant de vigueur lorsque le monstre communiste était encore débout. Je me souviens encore d’un de mes éminents professeurs de droit argumentant que la supériorité du monde occidental sur le système communiste était contenue dans le principe d’habéas corpus. Je me demande ce qu’il enseignerait aujourd’hui, ce professeur, au vu de Guantanamo, des « extraordinary renditions », des « assassinats ciblés ».

C’est que la chute du communisme, contrairement à la croyance naïve de beaucoup de « dissidents » et de leurs amis occidentaux, ne s’est pas traduit par le triomphe du Bien. Le rêve d’une Russie, ou de n’importe quel autre pays intégrant l’ancienne URSS, allant vers un capitalisme libéral ne pouvait qu’être déçu. Pour la simple raison qu’un capitalisme de type féodal était bien plus intéressant non seulement pour les couches moyennes russes, mais aussi pour les entreprises multinationales. Aux premières, un capitalisme féodal offrait la possibilité de mettre la main sur une bonne partie des actifs publics de l’époque soviétique et bâtir du jour au lendemain des fortunes. Aux secondes, cela offrait la possibilité de juteuses affaires. C’est pourquoi le « système » Boris Eltsine – dont la corruption n’avait rien à envier à celle du régime Poutinien – a été soutenu jusqu’au bout par l’ensemble des puissances occidentales, celles-là mêmes qui reprochent tout et le reste à Poutine (3). Pourquoi ? Parce que, comme disait Roosevelt à propos de Somoza, Eltsine était un fils de pute mais c’était notre fils de pute. Poutine est peut-être un fils de pute, mais ce n’est pas le notre. D’où la campagne qui s’abat sur lui depuis un certain nombre d’années, et surtout chaque fois qu’il met en cause le « je fais ce que je veux et je vous emmerde » des occidentaux. Mais au-delà des postures médiatiques, si les chancelleries occidentales condamnaient les dirigeants corrompus et autoritaires simplement parce qu’ils sont corrompus et autoritaires cela se saurait. Et on observe au contraire que ces chancelleries s’accomodent fort bien de la corruption et de l’autoritarisme chez ceux qui servent leurs intérêts.

Et le même raisonnement vaut pour l’Ukraine. Ioulia Timochenko était prête à vendre l’Ukraine à l’Union Europenne. Les occidentaux ont donc soutenu la « révolution orange » puis le gouvernement corrompu et clientéliste qui en est issu. Et lorsqu’elle a fini en prison – ce qu’elle méritait incontestablement – on l’a encore et toujours défendue. De la même manière, le gouvernement corrompu et clientéliste de Viktor Ianoukovitch n’a semblé gêner personne aussi longtemps qu’il semblait prêt à signer l’accord d’association avec l’Union européenne. Et s’il l’avait signé, cet accord, il serait certainement en train de siroter son thé dans sa mansion de Kiev en compagnie de quelque dignitaire occidental venu lui rendre visite et s’enquérir de ses besoins. Mais voici qu’il décide plutôt de signer avec la Russie. Et tout à coup, le clientélisme et la corruption deviennent pour nos dirigeants insupportables, scandaleux au point de justifier son renversement par la rue. Par contre, la légitimité du nouveau gouvernement ukrainien, présidé par un ancien du gouvernent Timoshenko – les clientélistes et les corrompus doivent trembler de peur – et comptant plusieurs ministres néo-nazis ne pose de problème à personne…

Il suffit d’écouter la radio ou de lire les journaux pour réaliser qu’on essaye de nous faire repartir en croisade morale. On nous invite à considérer la crise ukrainienne en termes manichéens. Du côté du Bien, le « peuple de Maïdan » formé essentiellement des classes moyennes urbaines mais qui prétend représenter « peuple ukrainien. Du côté du Mal, l’infâme Poutine et les affreux « russophones » qui, et ce n’est pas totalement innocent, coïncident aussi avec l’Ukraine industrielle et ouvrière. Ca ne vous rappelle rien ?

Pourtant, cette présentation manichéenne montre quelques fissures et devient vite incohérente. Ainsi, on découvre par exemple que le gouvernement ukrainien composé sous la pression de « euro-Maïdan » compte une participation importante du mouvement politique « Svoboda », dont l’expression publique ferait passer Jean-Marie Le Pen pour un agréable modéré, et Marine Le Pen pour une gauchiste. Polonophobie, russophobie, antisémitisme, homophobie – je dis cela pour les dragons de vertu qui, dans le cas de Poutine, semblent beaucoup plus regardants – sont les mamelles du discours de cette organisation. Qui s’est distinguée par exemple en glorifiant le passe collaborationniste ukrainien, ou en organisant la commémoration du 70ème anniversaire de la création de la division SS Halychyna constituée de collaborateurs ukrainiens et qui s’est distinguée, si l’on peut dire, par des actes de barbarie qui font pâlir la réputation de la SS Das Reich. Une organisation qui maintient des contacts nourris avec les partis néo-nazis les plus extrêmes, comme le NPD allemand. Un mouvement qui détient aujourd’hui cinq postes ministériels dans le gouvernement ukrainien et pas des moindres : premier ministre adjoint, secrétariat du Conseil de Sécurité et de Défense, Procureur général, ministère de l’Education… Pour un gouvernement censé représenter le Bien, on est bien mal parti. Mais bon, le nouveau premier ministre a promis de signer l’accord d’association avec l’Union Européenne, et cela vaut toutes les indulgences. Quand on pense qu’il n’y a pas si longtemps Bruxelles s’était fâché tout rouge lorsque les autrichiens s’étaient donnés un gouvernement de coalition avec l’extrême droite…

Revenons donc à la réalité, même si cela doit faire de la peine à Natalie Nougayrède et couper les élans lyriques et assez délirants – l’âge n’arrange généralement rien à la mégalomanie – de BHL. L’Ukraine est une région de l’empire russe devenue, par les hasards de l’histoire, indépendante. Et malgré tous les efforts pour reconstruire une « culture nationale ukrainienne » à partir des bribes d’une histoire très complexe au cours de laquelle le territoire qui est celui de l’ukraine aujourd’hui a été plusieurs fois divisé et re-divisé, colonisé et recolonisé par des peuples de langues, de cultures et de traditions différentes, on peut se demander s’il existe un véritable « état-nation » ukrainien. Il faut remonter au XVIIème siècle pour trouver une unité politique indépendante, et encore, il s’agit de l’Hetmanat cosaque, qui ne couvrit qu’une petite partie du territoire actuel. L’Ukraine, c’est en plus, un capitalisme féodal, dominé par des oligarques extraordinairement riches dans une société très pauvre. Et comme toute féodalité, ces oligarques ne craignent rien autant que la constitution d’un pouvoir fort, d’un tsar en mesure de mettre au pas les boyards. C’est pourquoi cette oligarchie pousse à l’intégration européenne plutôt qu’aux accords avec la Russie. La soi-disante surveillance de Bruxelles n’a jamais empêché les systèmes maffieux de prospérer. Pour le constater il suffit de passer quelques jours en Pologne, en Roumanie, en Bulgarie en Italie ou à Bruxelles même, la ville aux cent mille lobbistes. Poutine est dangereux parce qu’il peut vous mettre en prison, tout oligarque que vous êtes. A-t-on jamais vu Bruxelles mettre un oligarque en prison ? Vous plaisantez…

Il y a aussi en Ukraine une classe moyenne urbaine qui rêve d’Europe. Disposant de diplômes, de capital, bref, de tout ce qu’il faut pour se lancer, elle rêve de vivre comme les classes moyennes à Paris, à Londres ou à Berlin. On peut compter sur elle pour aider à renverser tout pouvoir qui la priverait de ses rêves.

Et il y a finalement une classe ouvrière qui est dans l’attente. Elle sait par expérience combien l’intégration européenne est ambiguë à son égard. D’un côté, elle lui apporte du travail et des investissements, attirés par le faible coût de main d’œuvre, des contraintes administratives et environnementales. D’un autre côté, elle détruit le tissu économique et social du pays en le faisant entrer en compétition avec des économies à très haute productivité. Les régions industrielles sinistrées de Pologne, d’Allemagne de l’Est, de Roumanie rappellent cette triste réalité.

A cette réalité sociologique s’impose une seconde, une réalité ethnique. Les temps ne permettent pas aujourd’hui une politique de type jacobin, qui « ukrainiserait » les russes installés dans le coin pour certains depuis trois cents ans. Dans ces conditions, les alternatives sont la partition ou le fédéralisme accompagné d’un état central suffisamment efficace pour donner envie aux provinces fédérées d’y rester. Le vote par le parlement ukrainien sous la pression de « euro-Maïdan » d’une loi faisant de l’ukrainien la seule langue officielle et excluant donc le russe montre que sur cette question le Kiev prêche plutôt l’intolérance. Ce n’est pas un début encourageant.

La partition de l’Ukraine serait en fait dans la continuité de cette doctrine ethniciste et communautariste qu’on nous sérine depuis trente ans et qui veut qu’on ne puisse vivre correctement qu’avec des gens qui sont comme nous. C’est au nom de ce principe idiot qu’on est reparti pour constituer des états « ethniquement purs » en Europe sur les ruines fumantes des états « multinationaux ». Tchèques est Slovaques étaient-ils si différents qu’ils ne pouvaient pas partager un Etat ? Serbes et Croates, Slovènes et Macédoniens qui avaient vécu un demi-siècle en paix étaient-t-ils prédestinés à la guerre ? Et plus près de chez nous, ne nous raconte-t-on pas qu’il est urgent de donner aux Flamands, aux Catalans, aux Basques, aux Bretons et aux Corses leur indépendance puisqu’il est évident qu’ils ne peuvent partager des institutions avec des gens qui ne sont pas comme eux ?

Pourquoi ce qui serait parfaitement légitime à Anvers ne le serait pas à Kharkov ? Pourquoi ce qui vaut pour Sébastopol ne vaudrait pas aussi pour Bilbao ou Bastia ? Le principe d’intangibilité des frontières protégeait autant la paix en Ukraine que celle de la Belgique ou de la France. Il serait peut-être temps de s’en souvenir.

Descartes

(1) Vous direz que c’est ma marotte, et je l’assume. Je pense que le rôle des classes moyennes est fondamental pour comprendre la dynamique des sociétés du dernier quart du XXème siècle. Cette question prend une forme particulière dans le monde capitaliste, celle d’une couche sociale qui arrive à empocher la totalité de la valeur qu’elle produit. Ce phénomène n’existe pas, bien entendu, dans un système socialiste. Cependant, dans un monde ou chacun sait ce que les autres font, elle produit un effet miroir. Le professeur, l’ingénieur, le petit commerçant soviétique pouvait observer les avantages et privilèges dont jouissaient les gens ayant un capital équivalent au sien, et désirer donc un retour au capitalisme qui ne pouvait être qu’à son avantage. C’est à mon sens ce mécanisme d’effet miroir qui explique la puissance de la pression exercée par ces groupes sociaux sur Gorbatchev pour rétablir une forme de capitalisme, et ensuite, lorsqu’il s’est avéré qu’il n’était pas prêt à aller assez loin, à le destituer et le remplacer par une personnalité capable d’ouvrir bien grandes les vannes. C’est sous Eltsine que la « fausse classe moyenne » soviétique est devenue une vraie classe moyenne, reprenant les meilleures traditions des classes moyennes occidentales, y compris celle de jeter la classe ouvrière au crocodile…

(2) Par charité chrétienne je n’évoquerais pas plus longuement ici la transformation médiatique des Talibans et autres obscurantistes locaux en « combattants de la liberté », ou la défense du régime des Khmers Rouges par les anciens maos lorsque le régime vietnamien – allié, horresco referens, de l’URSS – prit le parti de les renverser. Pas plus que je n’évoquerai l’histoire des « repentis », anciens militants communistes qui après une révélation divine passèrent le reste de leur vie à brûler ce qu’ils avaient adoré et adorer ce qu’ils avaient brûlé. Ce qui bien entendu ne gêna nullement leur carrière. On peut vivre longtemps, avec trente deniers…

(3) A ce propos, l’affaire Khodorkhovsky est assez révélatrice. Mikhail Khodorkhovsky est un oligarque russe qui a fait sa fortune – par les moyens qu’on peut imaginer – durant la période eltisinienne. Une très grande fortune, est-il besoin de le préciser ? Emprisoné par le régime de Poutine suite à d’obscurs conflits entre nouveaux et anciens oligarques, Khodorkhovsky a été emprisonné. On aurait pu s’attendre à ce que nos commentateurs concluent cette affaire d’un lapidaire « celui qui tue par le fer, périra par le fer ». Et bien non : du jour de son incarcération, il est devenu la coqueluche des médias occidentaux. Une sorte de nouveau « dissident », en somme, au point de mériter une pleine page dythirambique dans « Le Monde ». Et aussi – ce qui est plus étrange – il a pu compter sur l’attention d’un certain nombre de gouvernements. Ainsi, par exemple, Angela Merkel avait sollicité, lors d’une visite officielle en Russie, sa libération. Ce qui amène à s’interroger sur le véritable rôle de Khodorkhovsky pendant les années Eltsine… était-il plus qu’un simple agent d’influence ?

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43 réponses à Ukraine: à l’Est, rien de nouveau

  1. bovard dit :

    La désinformation des médias,du gouvernement par rapport à la Crimée,est irresponsable,lamentable et dangereuse.
    J’ai visité la Crimée,il y a 2 ans et ,elle est Russe.
    Loin des clichés du type village potmkine ou propagande soviétique, rapellons deux faits:
    -La république autonome de Crimée a le droit d’organiser le libre choix démocratique de sa population menacée par le coup de force de la place Maîden.Laissons les urnes s’exprimer.
    -Le coup d’état de Kiev a peut être eu lieu après la provocation criminelle décrite ci dessous et menace directement la paix dans la région.
    Le site ZeroHedge[1] a mis en ligne une conversation téléphonique entre Mme Catherine Ashton (représentant l’UE) et c quant à l’origine des snipers qui ont fait une partie des morts lors des manifestations de la place Maidan à Kiev qui ont conduit à l’éviction du Président légal, M Ianoukovitch. On peut y entendre (la conversation est en anglais) :

    Paet : Toutes les évidences montrent que les personnes qui ont été tuées par des snipers des deux côtés, les policiers et les personnes dans les rues, que c’était les mêmes snipers tuant ces personnes des deux côtés…Des photos montrent que ce sont les mêmes pratiques, le même type de balles, et il est très troublant que maintenant la nouvelle coalition, ils ne veulent pas faire une enquête sur ce qui c’est exactement passé. Ainsi il y a maintenant une compréhension de plus en plus forte que derrière ces snipers il n’y avait pas Ianukovitch mais quelqu’un de la nouvelle coalition.

    Ashton : Je pense que nous ne voulons pas d’enquête. Enfin, je n’avais pas saisi cela, c’est intéressant. Gosh.

    Paet : Cela discrédite déjà la nouvelle coalition.

    Ceci est extrêmement grave. Cette fuite, confirmée par ailleurs par le Ministère des Affaires Étrangères de l’Estonie[2], indique que ce sont bien des provocations organisées par des personnes dans le camps de manifestants, qui ont abouti à créer l’émotion nécessaire pour forcer le Président Ianoukovitch au départ. Ces provocations sont responsables de dizaines de morts. On discerne alors mieux la trajectoire de ce qui s’est déroulé. Après l’accord du 21 février 2014, certains dans le camp des anti-Ianoukovitch ont décidé de passer en force, et dans ce but ont organisé des provocations criminelles, qui ont été relayées par la presse dans les pays de l’UE et aux Etats-Unis. On comprend mieux, dans ce contexte, l’inquiétude qui s’est rapidement propagée dans l’Ukraine de l’Est et du Sud, conduisant aux manifestations pro-Russes de la fin de semaine dernière. Très clairement cela établit aussi que autant le début du mouvement avait bien était démocratique, autant ce qui s’est passé à Kiev relève d’un coup d’état et non d’une « révolution ». Les citoyens des pays de l’UE sont donc en droit d’exiger des comptes à Mme Ashton et à leur gouvernement et précisément :

    1.Est-il vrai que Mme Ashton a été informée de ces événements et qu’elle n’a pas voulu diligenter une enquête. Si cela s’avérait exact, la seule issue possible serait la démission de Mme Ashton.
    2.Pourquoi l’UE ne veut elle pas faire de commentaire à ce sujet ou même de démenti ?
    3.Que savaient les responsables de la diplomatie française ? Il est urgent que la commission des affaires étrangères se réunisse dans les plus brefs délais et entende le Ministre à ce sujet.
    4.Une enquête doit donc être faite dans les plus brefs délais, par une commission indépendante. En attendant il faut suspendre tout contact entre les pays de l’UE et le nouveau pouvoir de fait en Ukraine.

    [1] http://www.zerohedge.com/news/2014-03-05/behind-kiev-snipers-it-was-somebody-new-coaltion-stunning-new-leak-reveals-truth

    [2] http://www.vm.ee/ ?q=node/19352

    • Descartes dit :

      @bovard

      [La désinformation des médias, du gouvernement par rapport à la Crimée,est irresponsable,lamentable et dangereuse. J’ai visité la Crimée,il y a 2 ans et ,elle est Russe]

      Bien sur. Et elle a été russe pendant des siècles. Ce n’est qu’une décision de Khroutchev en 1954 qui pour des raisons purement administratives a mis la Crimée en Ukraine. Lorsque cette décision a été prise, personne ne pensait un instant que la frontière russo-ukrainienne pouvait devenir un jour une frontière internationale. Paradoxalement, les adversaires de la partition de la Crimée invoquent l’intangibilité des frontières internationales. L’argument serait plus convaincant si les mêmes n’avaient pas pendant trente ans cherché par tous les moyens à nier ce même principe en ré-découpant la carte de l’Europe.

      [Loin des clichés du type village potmkine ou propagande soviétique, rapellons deux faits:
      -La république autonome de Crimée a le droit d’organiser le libre choix démocratique de sa population menacée par le coup de force de la place Maîden. Laissons les urnes s’exprimer.]

      Là, je ne suis pas d’accord avec vous. On ne va pas commencer à demander à chacun s’il veut vivre avec son voisin. Avec cette logique, on aboutira assez rapidement à la sécession des régions les plus riches de chaque pays (Flandre, Catalogne…) laissant les plus pauvres se débrouiller par eux-mêmes. Ce n’est pas parce que les néo-libéraux et les eurolâtres – ce sont souvent les mêmes – ont joué avec le feu qu’il faut aujourd’hui leur emboîter le pas. Le principe d’intangibilité des frontières est un principe sain, qu’il importe de rétablir.

      [-Le coup d’état de Kiev a peut être eu lieu après la provocation criminelle décrite ci dessous et menace directement la paix dans la région. Le site ZeroHedge[1] a mis en ligne une conversation téléphonique entre Mme Catherine Ashton (représentant l’UE) (…)]

      A partir de là, votre message est un pompage éhonté d’un papier paru sur le site de Jacques Sapir sous le titre "Provocation à Kiev ?", que vous ne prenez même pas la peine de remercier pour sa peine. Je vous ai déjà dit que je n’aimais pas qu’on recopie en commentaire sur mon blog des articles d’autres blogs, et encore moins lorsqu’on le fait en douce. La prochaine fois, je supprimerai votre message sans autre forme de procès. C’est clair ?

      Franchement, je n’accorde aucun crédit à ce genre de soi-disant « informations ». D’abord, elles sont invérifiables : leurs sources nous sont inconnues, et nous n’avons aucun moyen de déterminer leur authenticité. Il n’est pas difficile de falsifier une conversation entre deux personnes, vous savez… alors, je vous invite à être méfiant, et d’autant plus méfiant que l’information va dans votre sens. C’est fou combien notre sens critique est moins aiguisé lorsqu’une information semble confirmer nos préjugés…

      [2.Pourquoi l’UE ne veut elle pas faire de commentaire à ce sujet ou même de démenti ?]

      Parce que si l’UE se mettait à « commenter » ou « démentir » les informations parues sur les sites de propagande, elle passerait son temps à ça. Je vous le répète, il est trop facile de fabriquer aujourd’hui l’enregistrement de « conversations » de toutes pièces.

    • Ifig dit :

      La conversation entre Ashton et le ministre estonien a bien été confirmée par celui-ci mais la source initiale (la doctoresse de Maidan censée avoir dit que les tireurs sur les manifestants et les policiers étaient les mêmes) a démenti l’avoir dit. (Voir à 15.17 sur ce lien: http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/ukraine/10677370/Ukraine-Russia-crisis-live.html ) En gros, le ministre répète une théorie du complot mais sans avoir spécialement d’argument pour.
      Par ailleurs, contrairement à ce qui est dit ici, Ashton dit bien qu’elle veut une enquête.

    • Descartes dit :

      @Ifig

      La seule chose qu’on peut tirer de cette affaire, c’est que les ministres européens sont prêts à colporter n’importe quelle rumeur. Au fond, ils ne valent guère mieux que les gens qui écrivent sur les blogs complotistes…

    • Ifig dit :

      L’excitation fait perdre sa tête même à un ministre estonien des affaires étrangères 🙂

  2. CVT dit :

    Bonjour Descartes,

    c’est du grand art, ce texte!

    Pour le coup, je pense que cette fois-ci, le charme a été rompu concernant les vertus de l’Europe en Ukraine: même Jean Quatremer, le fameux propagandiste de l’UE, a fustigé le rôle délétère de l’UE dans l’affaire ukrainienne. A mon avis, nous ne sommes plus très loin de le faire basculer du côté obscur de la Force, celle des nations :):

    http://www.dailymotion.com/video/x1ecpoj_quatremer-poutine-a-atteint-son-but-de-guerre_news#from=embediframe

    Quatremer est sur le point de comprendre que son Union Européenne, celle pour laquelle il s’est battu toute sa vie, n’est que le porte-faix des intérêts américains. Il est certes encore aveuglé par sa foi européiste, mais de temps à autres, percent des éléments très intéressants dans ses articles: par exemple, il fustige la perte d’influence du français à Bruxelles (ce n’est pas chez les "socialistes" qu’on verrait une chose pareille, notamment après le vote de la loi Fioraso) et dans les institutions européennes, ou encore, il est au première loge pour dénoncer les méfaits du nationalisme flamand, et surtout, prédire la fin de la Belgique. En somme, il déplore les effets dont il chérit les causes, comme l’aurait dit l’écrivain Bossuet. Or un croyant trahi fait souvent le plus redoutable des antireligieux, à l’image du petit père Combes qui est à l’origine de la loi de 1905 sur la laïcité en France. Donc, je pense qu’il ne faut pas désespérer de gens lucides comme Quatremer…

    Pour en revenir à l’Ukraine, les chances que les choses finissent comme en 2008 au Caucase sont très grandes: il y aura une partition de fait de l’Ukraine, avec reconnaissance sans rattachement à la Russie de la Crimée et de l’est du pays, surtout après que le gouvernement ultra-nationaliste de Kiev ait trouvé malin d’abolir le russe comme seconde langue nationale. Le pire, c’est que les Occidentaux ont cru naïvement que Poutine, et les Russes (car oui, les Russes soutiennent Poutine) allaient laisser l’Ukraine tomber dans des mains hostiles sans réagir!
    Et surtout, il y a encore une chose qui me consterne: c’est la troisième fois en un an que la diplomatie française soutient le mauvais camp! Après la pantalonnade Evo Moralès/Snowden de juillet dernier, suivie de la ridicule épopée syrienne deux mois plus tard, voici les Français soutenant les néo-fascistes de Svoboda contre les 2/3 du reste de l’Ukraine! Oui, j’en ai assez de cette diplomatie française et de son inculture crasse: c’est à croire qu’on n’enseigne pas la culture générale et les civilisations à l’ENA ou à Normale Sup.
    Mais j’oubliais, c’est vrai! Notre gouvernement est essentiellement constitué d’anciens assistants parlementaires! L’inculture et l’"ignardise" des membres du gouvernement y est donc la règle, et sa profonde ignorance du monde qui nous entoure au moment même où l’Etat nous somme, nous Français, de disparaître en tant que peuple et nation pour nous ouvrir au monde, a quelque chose de choquant et d’atterrant. En effet, comment notre pays a pu tomber aussi bas, être aussi suiviste à l’égard des Américains et des Allemands, et pire, chercher même à les surpasser en atlantisme sur certains sujets comme en Iran ou en Russie? Nous ne sommes plus au temps de la guerre froide, et pourtant, les ministres français parlent de Poutine à la manière d’un Brejnev ordonnant l’invasion de l’Afghanistan…. Dieu sait si je ne suis pas fan de Poutine, mais depuis l’élection du président Hollande, je me retrouve systématiquement à le défendre, alors que je n’approuverais pas ses actions en temps normal; seulement, Poutine fait ce que bien des Français aimeraient voir de la part du gouvernement: il défend les intérêts de son pays, et bizarrement (oui…) le droit international, quand les Français, depuis Kouchner et BHL,ne font que de la morale. D’une certaine façon, cela explique en partie l’atlantisme de notre gouvernement: pour faire de la morale (la moraline chère à Nietsche serait un mot plus juste), il faut se situer du bon côté du manche, en l’occurrence "la communauté internationale"; or c’est le choix de la facilité, de la ligne de plus grande pente, bref de la loi du plus fort, donc celui de la négation du droit international. J’ai honte de mes dirigeants, qui sont indignes de leur prédécesseurs, car c’est le choix de la lâcheté, et il conduit aussi à brader les intérêts économiques du pays: en effet, comment se défendre dans la concurrence mondiale si on est prêt à se soumettre à tous les diktats politico-économiques? La Bérézina est également située en Ukraine, et deux siècles après la retraite de Russie, nous venons d’assister à un nouveau revers cinglant de notre diplomatie, et même de nos intérêts dans cette région du monde…

  3. CVT dit :

    Bonjour Descartes,

    c’est du grand art, ce texte!

    Pour le coup, je pense que cette fois-ci, le charme a été rompu concernant les vertus de l’Europe en Ukraine: même Jean Quatremer, le fameux propagandiste de l’UE, a fustigé le rôle délétère de l’UE dans l’affaire ukrainienne. A mon avis, nous ne sommes plus très loin de le faire basculer du côté obscur de la Force, celle des nations :):

    http://www.dailymotion.com/video/x1ecpoj_quatremer-poutine-a-atteint-son-but-de-guerre_news#from=embediframe

    Quatremer est sur le point de comprendre que son Union Européenne, celle pour laquelle il s’est battu toute sa vie, n’est que le porte-faix des intérêts américains. Il est certes encore aveuglé par sa foi européiste, mais de temps à autres, percent des éléments très intéressants dans ses articles: par exemple, il fustige la perte d’influence du français à Bruxelles (ce n’est pas chez les "socialistes" qu’on verrait une chose pareille, notamment après le vote de la loi Fioraso) et dans les institutions européennes, ou encore, il est au première loge pour dénoncer les méfaits du nationalisme flamand, et surtout, prédire la fin de la Belgique. En somme, il déplore les effets dont il chérit les causes, comme l’aurait dit l’écrivain Bossuet. Or un croyant trahi fait souvent le plus redoutable des antireligieux, à l’image du petit père Combes qui est à l’origine de la loi de 1905 sur la laïcité en France. Donc, je pense qu’il ne faut pas désespérer de gens lucides comme Quatremer…

    Pour en revenir à l’Ukraine, les chances que les choses finissent comme en 2008 au Caucase sont très grandes: il y aura une partition de fait de l’Ukraine, avec reconnaissance sans rattachement à la Russie de la Crimée et de l’est du pays, surtout après que le gouvernement ultra-nationaliste de Kiev ait trouvé malin d’abolir le russe comme seconde langue nationale. Le pire, c’est que les Occidentaux ont cru naïvement que Poutine, et les Russes (car oui, les Russes soutiennent Poutine) allaient laisser l’Ukraine tomber dans des mains hostiles sans réagir!
    Et surtout, il y a encore une chose qui me consterne: c’est la troisième fois en un an que la diplomatie française soutient le mauvais camp! Après la pantalonnade Evo Moralès/Snowden de juillet dernier, suivie de la ridicule épopée syrienne deux mois plus tard, voici les Français soutenant les néo-fascistes de Svoboda contre les 2/3 du reste de l’Ukraine! Oui, j’en ai assez de cette diplomatie française et de son inculture crasse: c’est à croire qu’on n’enseigne pas la culture générale et les civilisations à l’ENA ou à Normale Sup.
    Mais j’oubliais, c’est vrai! Notre gouvernement est essentiellement constitué d’anciens assistants parlementaires! L’inculture et l’"ignardise" des membres du gouvernement y est donc la règle, et sa profonde ignorance du monde qui nous entoure au moment même où l’Etat nous somme, nous Français, de disparaître en tant que peuple et nation pour nous ouvrir au monde, a quelque chose de choquant et d’atterrant. En effet, comment notre pays a pu tomber aussi bas, être aussi suiviste à l’égard des Américains et des Allemands, et pire, chercher même à les surpasser en atlantisme sur certains sujets comme en Iran ou en Russie? Nous ne sommes plus au temps de la guerre froide, et pourtant, les ministres français parlent de Poutine à la manière d’un Brejnev ordonnant l’invasion de l’Afghanistan…. Dieu sait si je ne suis pas fan de Poutine, mais depuis l’élection du président Hollande, je me retrouve systématiquement à le défendre, alors que je n’approuverais pas ses actions en temps normal; seulement, Poutine fait ce que bien des Français aimeraient voir de la part du gouvernement: il défend les intérêts de son pays, et bizarrement (oui…) le droit international, quand les Français, depuis Kouchner et BHL,ne font que de la morale. D’une certaine façon, cela explique en partie l’atlantisme de notre gouvernement: pour faire de la morale (la moraline chère à Nietsche serait un mot plus juste), il faut se situer du bon côté du manche, en l’occurrence "la communauté internationale"; or c’est le choix de la facilité, de la ligne de plus grande pente, bref de la loi du plus fort, donc celui de la négation du droit international. J’ai honte de mes dirigeants, qui sont indignes de leur prédécesseurs, car c’est le choix de la lâcheté, et il conduit aussi à brader les intérêts économiques du pays: en effet, comment se défendre dans la concurrence mondiale si on est prêt à se soumettre à tous les diktats politico-économiques? La Bérézina est également située en Ukraine, et deux siècles après la retraite de Russie, nous venons d’assister à un nouveau revers cinglant de notre diplomatie, et même de nos intérêts dans cette région du monde…

    • Descartes dit :

      @CVT

      [Pour le coup, je pense que cette fois-ci, le charme a été rompu concernant les vertus de l’Europe en Ukraine: même Jean Quatremer, le fameux propagandiste de l’UE, a fustigé le rôle délétère de l’UE dans l’affaire ukrainienne. A mon avis, nous ne sommes plus très loin de le faire basculer du côté obscur de la Force, celle des nations :):]

      Ne croyez pas ça… les eurolâtres me font penser à ces femmes battues qui à chaque fois reviennent au foyer conjugal et trouvent des excuses à leur compagnon. L’Union Européenne a beau les maltraiter, les décevoir, piétiner leurs rêves et leurs principes, ils y reviennent toujours, et toujours avec la chanson « si seulement on avait une « vraie Europe » fédérale, cela aurait été différent ». Le système de raisonnement eurolâtre est un système de raisonnement dogmatique, qui trouve en lui-même sa propre justification : quelque soit le niveau d’intégration européenne, il est toujours insuffisant. Tous les échecs sont par avance justifiés puisqu’ils trouvent leur origine non pas dans les décisions prises, mais dans le fait qu’on n’a pas été assez loin. C’est un peu le raisonnement chrétien : si le monde est cruel et injuste, ce n’est pas parce que Dieu est mauvais – ou qu’il n’existe tout simplement pas – mais parce que l’homme a pêché.

      On ne fera pas basculer Quatremer et les siens du « bon côté de la force » aussi longtemps que l’on ne sera pas capable de proposer un projet qui satisfasse les besoins symboliques des classes moyennes comme a pu le faire le projet européen. C’est là à mon sens toute la difficulté. Comment satisfaire le « besoin d’idéal » des classes moyennes tout en leur faisant accepter un partage du gâteau qui leur serait moins favorable…

      [Quatremer est sur le point de comprendre que son Union Européenne, celle pour laquelle il s’est battu toute sa vie, n’est que le porte-faix des intérêts américains.]

      Mais non, justement. Il comprend au contraire que l’Union Européenne, ce mécanisme bancal résultat de l’opposition des « souverainistes » de tout poil à un véritable fédéralisme et à une constitution supranationale, est le porte-faix des intérêts américains. Mais il va rapidement vous expliquer que cette Europe n’est pas « l’Europe pour laquelle il s’est battu toute sa vie ». C’est cela qui est pervers dans la propagande eurolâtre : les défauts inhérents à la construction supranationale sont à chaque fois attribués au fait que les fédéralistes n’ont pas eu les mains libres. Un tel système de raisonnement ne peut jamais être mis en défaut, puisqu’il s’agit d’un raisonnement circulaire.

      [Or un croyant trahi fait souvent le plus redoutable des antireligieux, à l’image du petit père Combes qui est à l’origine de la loi de 1905 sur la laïcité en France. Donc, je pense qu’il ne faut pas désespérer de gens lucides comme Quatremer…]

      Je suis bien plus pessimiste que vous. Mais peut-être que la détérioration de la situation économique qui commence à menacer les classes moyennes – il n’y a pratiquement plus personne d’autre a lancer au crocodile – aura un effet sur l’idéologie européenne au point de briser le cercle du raisonnement exposé plus haut. Si les classes moyennes commencent à exiger des résultats, l’Europe est foutue.

      [Le pire, c’est que les Occidentaux ont cru naïvement que Poutine, et les Russes (car oui, les Russes soutiennent Poutine) allaient laisser l’Ukraine tomber dans des mains hostiles sans réagir! ]

      J’avais plusieurs fois évoqué le sujet ici : nos élites politiques sont devenues essentiellement administratives. Elles n’ont aucune conscience du tragique. Ils ont géré l’affaire de l’accord d’association comme si c’était un vulgaire contrat commercial, et non une décision qui engage la vie des ukrainiens et l’avenir de l’Etat. Je pense que les dirigeants européens ont été les premiers surpris de constater qu’on pouvait encore faire une guerre pour cela. Poutine, lui, a un sens historique bien plus aigu, et une conscience profonde qu’on ne dirige pas un Etat avec des dossiers et en gants blancs. Et que certaines questions politiques sont des questions de vie ou de mort, et non des sujets de débat au Café de Flore.

      [Oui, j’en ai assez de cette diplomatie française et de son inculture crasse: c’est à croire qu’on n’enseigne pas la culture générale et les civilisations à l’ENA ou à Normale Sup.]

      Pourquoi faut-il s’en prendre à l’ENA ou a Normale Sup ? Pourquoi faut-il que tout reproche aboutisse à mettre en cause nos grandes écoles ?

      Non, on n’apprend pas à l’ENA de « culture générale », puisqu’il faut l’avoir acquise pour pouvoir passer avec quelques chances de succès le concours d’entrée. Et nos normaliens sont fort cultivés. Le problème n’est pas l’ENA ou Normale Sup. Le problème, c’est le type de relation que les hommes politiques entretiennent avec les électeurs et, partant de là, avec le savoir. Jusqu’aux années 1980, il était impensable pour un homme politique de premier plan, de droite comme de gauche, de ne pas montrer dans ses interventions et dans ses discours une certaine culture littéraire et historique. L’électorat exigeait d’ailleurs cela : Madame Michu avait beau ne pas avoir de culture et lire un livre – l’almanach Vermot – par an ; mais lorsqu’il s’agissait de choisir un politique pour la représenter, elle tenait à en choisir un qui cause bien, qui ait des lettres et qui lise des livres. Mitterrand et De Gaulle, Marchais et Pompidou n’effrayaient pas leurs électeurs en citant qui Eluard, qui Aragon, qui Chateaubriand, qui Hugo. Par ailleurs, faire de la politique, c’était s’inscrire dans une histoire. Familiale quelquefois – les dynasties militaires, administratives ou politiques étaient courantes -, théorique toujours. Là encore, le sens du tragique dominait la politique, parce que la guerre était toujours une possibilité.

      Avec l’arrivée au pouvoir des premières générations n’ayant pas connu la guerre – et pour qui la guerre demeure une abstraction de jeu vidéo – ce sens du tragique s’est perdu. Et donc ce rapport à l’histoire. On a expliqué à Madame Michu que le meilleur représentant qu’elle puisse avoir est quelqu’un qui lui ressemble en tout, l’ignorance incluse. Et les hommes politique – avec quelques rares exceptions – se sont empressés d’oublier leur culture ou de la masquer pour accéder à cet idéal de représentant « normal ». La professionnalisation de la classe politique – qui n’est pas un mal en soi – accentue ce phénomène : à quoi bon perdre son temps à lire des livres si cela ne vous rapporte rien ?

      Ce n’est donc pas vers l’ENA ou Normale Sup qu’il faut regarder, c’est en nous-mêmes. La politique est devenue un marché comme un autre, et l’homme politique fournit ce que le client-électeur demande. Si le client exigeait des citations latines, nos hommes politiques parleraient latin. Si l’électeur exigeait une culture et des références historiques, l’homme politique serait ravi de les fournir. GB Shaw avait raison : la démocratie sert à garantir que nous ne sommes pas gouvernés mieux que nous ne le méritons.

      [En effet, comment notre pays a pu tomber aussi bas, être aussi suiviste à l’égard des Américains et des Allemands, et pire, chercher même à les surpasser en atlantisme sur certains sujets comme en Iran ou en Russie?]

      Parce que nous sommes dans une phase ou la « petite France » s’impose à la grande. Nos classes moyennes dominent l’espace politique, et leur seule ambition dans la vie est de jouir paisiblement de leur part de gâteau. Et si pour cela il faut laisser la conduite des grandes affaires du monde à d’autres, pourquoi pas ? A quoi bon se priver des vacances de neige pour soutenir une armée qui ira se battre dans des contrées lointaines ? Autant laisser les américains payer, si ça les amuse…

      La dernière fois qu’on a fait ce raisonnement, c’était dans les années 1930. On ne peut pas dire que les résultats aient été brillants.

      [Dieu sait si je ne suis pas fan de Poutine, mais depuis l’élection du président Hollande, je me retrouve systématiquement à le défendre, alors que je n’approuverais pas ses actions en temps normal; seulement, Poutine fait ce que bien des Français aimeraient voir de la part du gouvernement: il défend les intérêts de son pays, et bizarrement (oui…) le droit international, quand les Français, depuis Kouchner et BHL, ne font que de la morale.]

      Tout à fait. Poutine est peut-être un sale type. Mais c’est un sale type dans la lignée de Richelieu ou de Louis XIV. Si l’on tient compte de ce qu’est la politique russe, c’est ce que les russes peuvent avoir de mieux. Parce que l’alternative ce n’est pas « Poutine ou la démocratie », comme les moralistes veulent nous le faire croire, mais « Poutine ou le pouvoir des boyards ». Poutine, c’est Richelieu ou Louis XIV mettant au pas la noblesse. Je sais bien que la mode aujourd’hui est à vouer aux gémonies le Cardinal et le Grand Roi. Qui n’étaient certainement ni des grands démocrates ni des moralistes, et qui en plus ont totalement négligé les droits des LGBT. Un peu comme Poutine, quoi.

      D’ailleurs, ni Khouchner ni BHL ne se demandent pourquoi malgré toutes les tares de Poutine les russes dans leur immense majorité soutiennent leur gouvernement. Or c’est la question essentielle.

  4. Bonjour,

    Je me permettrai quelques remarques, bien qu’étant globalement d’accord avec le fond de cet article, très intéressant comme d’habitude (tout flatteur vit aux dépens… pardon).

    Je pense pour ma part qu’il y existe une nation ukrainienne, mais que cette nation est inachevée et ses contours demeurent floues pour les raisons historiques que tu évoques. Mais l’absence d’Etat historique n’est pas complètement rédhibitoire: Slovaques, Slovènes, Lettons et Estoniens n’ont pas eu d’Etat avant le XX° siècle, et pourtant ils ont une conscience nationale. Pour les Ukrainiens, mais cela est valable pour d’autres peuples d’Europe centrale et orientale, cette conscience nationale se développe surtout à partir du XIX° siècle et je pense que l’idée de nation diffusée par la Révolution française et l’Empire n’est pas complètement étrangère au phénomène qui pousse beaucoup de populations d’Europe à s’interroger sur leur identité nationale. En tout cas, l’affirmation d’une identité nationale ukrainienne fut jugée suffisamment inquiétante par le tsar qui interdit l’usage publique de la langue ukrainienne dans les écoles et les journaux durant les années 1870.

    Ensuite, je dois dire que le rôle des communistes, excuse-moi, me paraît un peu ambigu dans cette affaire. Pourquoi diable avoir créé une "République socialiste soviétique d’Ukraine" avec son drapeau, ses institutions, son hymne, son siège à l’ONU après 1945, si l’Ukraine n’était au fond qu’une simple "région de l’Empire russe" qui plus est peuplée de Slaves de tradition orthodoxe, comme les Russes donc? Créer cette république, n’était-ce pas déjà admettre l’existence d’une nation ukrainienne, distincte de la nation russe? Et pourquoi lui avoir donner les régions de l’est, complètement russifiées? Qui a décidé cet étrange découpage? Par la suite, le pouvoir soviétique a soufflé le chaud et le froid. Dans les années 20, les communistes ukrainiens ont fait un gros travail de promotion et de codification de la langue ukrainienne, notamment sous l’égide de Mykola Skrypnyk (originaire de l’est le l’Ukraine par parenthèse). Ce processus d’ "Ukrainisation", jugé "nationaliste" (alors que la plupart des communistes ukrainiens semblaient loyaux envers Moscou), a été brutalement stoppé par Staline. Mais si Staline a réprimé la culture ukrainienne, il a laissé en place la République socialiste d’Ukraine… Mieux encore! Il n’a cessé d’agrandir cette Ukraine en lui annexant la Galicie polonaise, la Ruthénie tchécoslovaque et la Bucovine roumaine, renforçant ainsi l’Ouest traditionnellement ukrainophone et nationaliste. Il y avait quand même de quoi devenir schizophrène: vous, Ukrainiens, avez le droit à un semblant d’Etat, à un drapeau, un hymne, mais vous n’avez pas le droit d’apprendre ou d’enseigner la langue ukrainienne. Donc vous êtes Ukrainiens, mais sans l’être vraiment… A la limite, Staline aurait été plus cohérent d’abolir la République socialiste d’Ukraine et de rattacher le pays à la République socialiste de Russie.

    C’est une chose qui m’a toujours un peu gêné dans les états communistes: la reconnaissance, jusqu’à un certain point, des minorités (qui ne peut à mon avis qu’encourager une forme de communautarisme) quitte à les réprimer violemment si leur "conscience nationale", préalablement encouragée, les conduit à nourrir des tentations séparatistes. La distinction entre nationalité (c’est-à-dire en fait appartenance ethnique) et citoyenneté m’a toujours paru contenir en germe un danger pour la stabilité des états communistes. Je n’ai jamais compris ce culte des minorités, qui part sans doute d’un bon sentiment et d’un souci d’égalité, mais qui à mon sens génère plus de clivages qu’il ne favorise le vivre-ensemble comme on dit.

    Après je te rejoins sur un point qui est finalement de savoir si toute nation doit nécessairement avoir son propre Etat. Je pense en effet que Tchèques et Slovaques auraient gagné à rester ensemble, que Serbes, Monténégrins, Macédoniens et Bosniaques auraient davantage de perspectives s’ils étaient restés unis dans une Yougoslavie. La Russie actuelle est une fédération, et finalement on peut se demander si la Biélorussie et l’Ukraine n’auraient pas plutôt leur place comme République fédérée ou autonome à l’intérieur de la Russie. Mais à la chute de l’URSS, 90 % des Ukrainiens ont opté pour l’indépendance. On peut le regretter, mais c’est ainsi. Toutefois l’extrême "balkanisation" de l’Europe centrale et orientale conduit à la création d’Etats fantoches (tu citais le Kosovo) qui ne peuvent guère survivre qu’à l’ombre d’une grande puissance. Il est cependant difficile de dire quelle devrait être la taille minimale d’un pays pour assurer sa viabilité et son entière indépendance, et la question des minorités est toujours un problème en Europe de l’est. Mais entre une répression impitoyable des minorités par un pouvoir central fort et l’engrenage séparatiste des partitions et sécessions, il doit bien être possible de trouver un juste équilibre.

    • Descartes dit :

      @nationalistejacobin

      [Je me permettrai quelques remarques, bien qu’étant globalement d’accord avec le fond de cet article, très intéressant comme d’habitude (tout flatteur vit aux dépens… pardon).]

      La flatterie peut coûter cher – un fromage, sans jeu de mots – mais elle est souvent si agréable… dans ces conditions, pourquoi ne pas se la payer ?

      [Je pense pour ma part qu’il y existe une nation ukrainienne, mais que cette nation est inachevée et ses contours demeurent flous pour les raisons historiques que tu évoques. Mais l’absence d’Etat historique n’est pas complètement rédhibitoire: Slovaques, Slovènes, Lettons et Estoniens n’ont pas eu d’Etat avant le XX° siècle, et pourtant ils ont une conscience nationale.]

      La question est très complexe. D’abord, il faut corriger une erreur : slovaques, slovènes, lettons et estoniens ont eu des Etats bien avant le XXème siècle. Ce n’étaient pas des états souverains, certes. Mais des états provinciaux à l’intérieur d’ensembles relativement peu organisés qui permettaient à chaque membre de garder des institutions politiques et juridiques distinctes ainsi que sa langue. La Bavière, la Saxe ou le Brandebourg du XVII siècle peuvent raisonnablement être considérés comme des « Etats » même si leurs seigneurs étaient sujets du sacré empire romain germanique. Les états baltes ont eux aussi conservé un droit, des institutions et une langue propre à l’intérieur de la confédération polonaise, tout comme la Bohème qui fut un duché à l’intérieur de l’empire autrichien.

      Le cas de l’Ukraine est très différent parce qu’il s’agit d’un territoire qui contient des peuples très divers, chacun avec sa langue, ses institutions politiques et juridiques. Entre les tatars de Crimée – qui sont des turcomanes et parlent une langue affine au Turc –, les slavons de la partie orientale, les ruthènes de la partie occidentale, les cosaques… comment construire une logique institutionnelle, juridique, linguistique qui soit commune ? Un pays aussi divers ne peut générer une « conscience nationale » – comme ce fut le cas en France – qu’à partir d’un Etat central fort. Or, précisément, cet état n’existe pas dans l’histoire ukrainienne. Voilà pourquoi la « conscience nationale » ukrainienne me semble bien plus fragile et artificielle que celle de la Lituanie ou de la Tchéquie, par exemple.

      [Pour les Ukrainiens, mais cela est valable pour d’autres peuples d’Europe centrale et orientale, cette conscience nationale se développe surtout à partir du XIX° siècle et je pense que l’idée de nation diffusée par la Révolution française et l’Empire n’est pas complètement étrangère au phénomène qui pousse beaucoup de populations d’Europe à s’interroger sur leur identité nationale. En tout cas, l’affirmation d’une identité nationale ukrainienne fut jugée suffisamment inquiétante par le tsar qui interdit l’usage publique de la langue ukrainienne dans les écoles et les journaux durant les années 1870.]

      Tout à fait d’accord. Mais il ne faut pas confondre l’idée et l’utilisation qu’on en fait. L’idée de nation construite non à partir d’un fondement ethnique mais d’une contractualité politique s’étend en Europe avec la Révolution puis les campagnes napoléoniennes. Ces idées conduisent des ensembles partageant une histoire, une langue, des institutions politiques et juridiques communes à se constituer en « nation » et prétendre à la souveraineté. Mais ces idées provoquent aussi un mouvement à rebours : certaines élites en conflit avec un pouvoir central ont constitué artificiellement souvent de toutes pièces des « nations » pour légitimer leurs revendications. Ce fut le cas par exemple avec les différents mouvements « régionalistes » en France dans le dernier quart du XIXème siècle : les élites locales les plus réactionnaires ont fabriqué une « nation bretonne » ou une « nation provençale » pour s’opposer à un état central modernisateur et laïque. Je me demande si l’interdiction par le tsar en 1870 de l’utilisation de la langue ukrainienne dans les écoles et les journaux visait à s’opposer à un sentiment national réel, ou bien à la fabrication de celui-ci.

      [Ensuite, je dois dire que le rôle des communistes, excuse-moi, me paraît un peu ambigu dans cette affaire. Pourquoi diable avoir créé une "République socialiste soviétique d’Ukraine" avec son drapeau, ses institutions, son hymne, son siège à l’ONU après 1945, si l’Ukraine n’était au fond qu’une simple "région de l’Empire russe" qui plus est peuplée de Slaves de tradition orthodoxe, comme les Russes donc? Créer cette république, n’était-ce pas déjà admettre l’existence d’une nation ukrainienne, distincte de la nation russe?]

      Tu n’as pas à t’excuser… et le point que tu signales est parfaitement valable. Les communistes ont toujours souffert d’un problème théorique lorsqu’il s’agit de penser la Nation et l’Etat. Dans la vision marxiste « classique », la lutte des classes primant sur tout le reste, on ne pouvait que se méfier des institutions dont le but avoué était d’établir un équilibre entre les différentes classes sociales pour leur permettre de vivre ensemble en paix. L’Etat était perçu comme l’instrument de la bourgeoisie – il a fallu l’apparition de l’Etat-providence après 1945 pour que cette vision change – et la Nation comme le siège des idées les plus réactionnaires.

      Les communistes soviétiques ont donc agi sans avoir derrière eux une théorie solide sur ces questions, et y sont allés pragmatiquement. D’abord, l’empire russe est un empire immense, composé de peuples très différents les uns des autres, sans que l’autorité tsariste ait véritablement cherché une uniformisation linguistique. Il y avait donc une problématique réelle pour garder l’unité du pays à trouver une idéologie qui justifie qu’on maintienne ensemble tous ces peuples qui n’avait en commun que sa relation quasi-filiale avec un tsar par ailleurs disparu. La solution à ces problématiques, ce fut la fiction de « l’union des républiques » constituées avant tout sur une base linguistique avec toute une hiérarchie entre « républiques fédérées », « républiques autonomes », « régions autonomes » etc.

      [Et pourquoi lui avoir donner les régions de l’est, complètement russifiées? Qui a décidé cet étrange découpage?]

      Ces régions n’étaient pas « russifiées » à l’époque. La région du Dniepr fut un des eldorados de l’industrialisation soviétique, avec les mines du Donbass, les grands barrages hydroélectriques comme le Dnieprostroï, la sidérurgie… cela provoqua une immigration interne considérable, et une « russification » de régions qui auparavant ne l’étaient pas forcément.

      [Par la suite, le pouvoir soviétique a soufflé le chaud et le froid. Dans les années 20, les communistes ukrainiens ont fait un gros travail de promotion et de codification de la langue ukrainienne, notamment sous l’égide de Mykola Skrypnyk (originaire de l’est le l’Ukraine par parenthèse). Ce processus d’ "Ukrainisation", jugé "nationaliste" (alors que la plupart des communistes ukrainiens semblaient loyaux envers Moscou), a été brutalement stoppé par Staline.]

      Le problème, c’est que les autorités soviétiques se sont aperçues un peu tard qu’une division du pays sur une base linguistique allait tôt ou tard poser des problèmes politiques. Contrairement aux jacobins français, qui ont compris combien il était important de brasser les populations et leur donner des institutions et une langue commune, les révolutionnaires de 1917 ont eu une approche « multilinguistique » qui tendait au contraire a préserver les spécificités locales et devint un frein à la constitution d’une véritable « nation soviétique ». D’où le rétropédalage dans les années 1930.

      [A la limite, Staline aurait été plus cohérent d’abolir la République socialiste d’Ukraine et de rattacher le pays à la République socialiste de Russie.]

      C’est-à-dire, en terminer avec une division administrative fondée sur un découpage linguistique et diviser l’URSS en départements ? C’eut été certainement plus cohérent. Mais tu sais que les divisions administratives, une fois établies, sont assez difficiles à modifier. Staline avait certainement des problèmes plus pressants que de faire éclater une division administrative qui somme toute ne marchait pas si mal.

      [C’est une chose qui m’a toujours un peu gêné dans les états communistes: la reconnaissance, jusqu’à un certain point, des minorités (qui ne peut à mon avis qu’encourager une forme de communautarisme) quitte à les réprimer violemment si leur "conscience nationale", préalablement encouragée, les conduit à nourrir des tentations séparatistes.]

      Je partage ta gêne. Je pense que cela vient d’une insuffisance théorique dans l’analyse du concept de Nation. Même dans un pays comme la France, ou l’Etat et la Nation sont liés à notre histoire révolutionnaire, les communistes ont mis beaucoup de temps à accepter « le mariage du drapeau rouge et du drapeau tricolore », à admettre que la Nation méritait d’être défendue et que l’Etat n’était pas nécessairement l’ennemi. Dans d’autres pays ou la Nation est plus liée à la droite réactionnaire – comme c’est le cas en Allemagne – les communistes n’ont d’ailleurs jamais franchi le pas.

      [Mais à la chute de l’URSS, 90 % des Ukrainiens ont opté pour l’indépendance. On peut le regretter, mais c’est ainsi.]

      Tu vas un peu vite en besogne, et le vote à un moment donné ne préjuge pas de ce que pourrait être le même vote quelque temps plus tard. Par ailleurs, si l’on a demandé aux ukrainiens s’ils voulaient devenir indépendants, on n’a pas posé la même question aux criméens…

      A la chute de l’URSS, tout le monde a voté l’indépendance – je crois qu’aucune république fédérée de l’ex-URSS n’a voté pour le maintient d’une fédération avec la Russie – parce que l’idéologie du temps était que « small is beautiful » et qu’on pouvait toujours mieux négocier en étant tout seul qu’en risquant d’être emporté par le maelström de la crise russe. Je ne sais pas si aujourd’hui, au vu des dégâts, le vote serait le même. Mais je partage un point de ton raisonnement : la construction de l’URSS, avec des républiques fédérées de tailles et poids très différents, ne pouvait qu’alimenter les séparatismes dès lors qu’il n’y avait plus un Etat fort pour maintenir la cohésion. On ne peut qu’admirer la prescience de la Révolution de 1789 lorsqu’elle a découpé le territoire en unités suffisamment petites pour qu’aucune ne craigne d’être dominée par une autre. En France, le séparatisme est régional, et non départemental…

  5. Demos dit :

    Bravo pour cet article clair et convaincant. Je partage votre analyse en regrettant que les médias fassent preuve d’une hypocrisie et d’un cynisme effrayants. De quoi être vraiment en colère et s’inquiéter pour l’avenir !

  6. marc.malesherbes dit :

    article composite, dont je voudrais commenter un des aspects "le droit des minorités", droit qui s’oppose à celui du "droit souverain de la majorité".
    A partir de quand est-il "légitime" qu’une minorité demande le droit d’avoir son état indépendant ?
    Il me semble qu’il ne peut y avoir de réponse "théorique" à ces deux droits contradictoires, tout est affaire de cas d’espèce, de contexte, et généraliser, idéaliser, est très dangereux.

    Dans le cas de l’Ukraine, il serait évidement "idéal" qu’elle soit gérée comme une grande Suisse, avec de bonnes relations avec la Russie et les autres pays.
    Mais il y avait u en place un régime manifestement corrompu, avec une opposition qui a manifesté pacifiquement au début . Mais avec le temps la radicalisation s’opère, comme toujours en pareil cas (voir la Syrie). En l’occurrence, la radicalisation se fait au profit de l’extrême droite et non de l’islamisme.

    Maintenant que faire en tant que Français ?
    Notre intérêt bien compris est une extension des pays démocratiques qui assurent au moins mal le bien être de leur population, sans être un danger pour nous. Dans ce cadre toute "partition" de l’Ukraine est la bienvenue. Laissons aux Russes ceux qui ont envie d’y vivre, et assurons aide et soutien aux autres. Plus le morceau sera "petit", plus cela sera facile à faire. Laissons donc faire la Russie en Crimée et dans le Donetz si cela plaît aux populations concernées.

    nb: je précise que je suis tout à fait pour l’indépendance, si ils le souhaitent, des Réunionais, Guyannais, Corse, Basque, Bretons et autres … Mais si ils veulent rester Français, qu’ils parlent français, et acceptent les mêmes lois.

    • Descartes dit :

      @marc.malesherbes

      [A partir de quand est-il "légitime" qu’une minorité demande le droit d’avoir son état indépendant ?]

      La règle générale me paraît personnellement très claire : à partir du moment où la majorité refuse de garantir à cette minorité les droits dont elle jouit elle même. Lorsqu’elle prend une telle attitude, la majorité rompt le « pacte » sur lequel la nation est construite, et la séparation devient légitime.

      [Il me semble qu’il ne peut y avoir de réponse "théorique" à ces deux droits contradictoires, tout est affaire de cas d’espèce, de contexte, et généraliser, idéaliser, est très dangereux.]

      Je ne suis pas d’accord. S’il n’y a pas de « réponse théorique », si l’on décide en fonction du cas d’espèce, alors celui qui détiendra le pouvoir de légitimer ou délégitimer la revendication sera celui qui aura à juger le cas d’espèce. Et qui proposes-tu de mettre à cette place ?

      Que l’on puisse déroger à une règle générale pour prendre en compte les spécificités d’un cas d’espèce, je ne dis pas non. Mais qu’on dise « c’était bon au Kossovo et pas bon en Ukraine parce que c’est comme ça », non.

      [Dans le cas de l’Ukraine, il serait évidement "idéal" qu’elle soit gérée comme une grande Suisse, avec de bonnes relations avec la Russie et les autres pays.]

      Pourquoi serait-ce « idéal » ? Je ne me mêle pas de dire aux nations quelle serait la manière « idéale » de gérer leurs affaires. C’est à eux de voir. A la rigueur, je peux dire ce qui serait « idéal » du point de vue de mon intérêt. Ce qui est, vous me l’accorderez, une vision assez étroite de « l’idéal ».

      [Maintenant que faire en tant que Français ? Notre intérêt bien compris est une extension des pays démocratiques qui assurent au moins mal le bien être de leur population, sans être un danger pour nous.]

      Pourriez-vous m’expliquer en quoi « l’extension des pays démocratiques » est dans notre intérêt ? Nous pouvons avoir une préférence morale pour la démocratie, et nous réjouir qu’un pays « assure le bien être de sa population » par empathie humaine. Mais si vous voulez parler d’intérêt, alors les catégories « démocratie » ou « bien-être » ne paraissent pas très pertinentes.

      [Dans ce cadre toute "partition" de l’Ukraine est la bienvenue. Laissons aux Russes ceux qui ont envie d’y vivre, et assurons aide et soutien aux autres. Plus le morceau sera "petit", plus cela sera facile à faire. Laissons donc faire la Russie en Crimée et dans le Donetz si cela plaît aux populations concernées.]

      Beh non. Parce que cela peut donner de très mauvaises idées aux autres. Je n’ai peut-être pas été assez explicite dans mon article, mais pour moi le principe de l’intangibilité des frontières est un excellent principe de base pour fonder des rapports internationaux sains. Si les puissances internationales déclaraient qu’après les turpitudes et errements des trente dernières années elles ont finalement compris et ne toléreront aucune modification des frontières reconnues, je serais le plus heureux des hommes. Si on admet aujourd’hui la sécession de la Crimée, de quel droit irait-on contester la sécession de la Bretagne ?

      [nb: je précise que je suis tout à fait pour l’indépendance, si ils le souhaitent, des Réunionais, Guyannais, Corse, Basque, Bretons et autres … Mais si ils veulent rester Français, qu’ils parlent français, et acceptent les mêmes lois.]

      Et bien, moi pas. D’abord, parce que je ne sais pas ce qu’est un « breton ». C’est quelqu’un qui vit en Bretagne ? Qui y est né ? Qui compte vingt générations d’ancêtres nés en Bretagne ? Qui parle Breton ?

      C’est cela, la grandeur de la France jacobine: non seulement elle a donné une langue commune à tous les français, mais elle a brassé les populations. Des bretons sont allez vivre à Paris et épousé des parisiennes. Des alsaciens sont allé vivre en Bretagne et ont épousé des bretonnes. La moitié de la police parisienne est venue de Corse. Les "nationalismes" régionaux buttent en France sur cette réalité. Si demain la Corse ou la Bretagne devenaient des "nations" indépendantes, elles se trouveraient avec une moitié d’habitants qui ne seraient pas citoyens, et une moitié de citoyens qui habitent ailleurs…

      C’est pourquoi si nous voulons préserver la nation française, il est essentiel de poursuivre ce mouvement de brassage. Le service militaire, qui était un élément de brassage non seulement régional mais aussi social, a malheureusement disparu. Mais la rotation des fonctionnaires doit être préservée contre toute tentative de "régionalisation des emplois", tout comme doit être préservée l’égalité foncière contre toute tentative de réserver la propriété aux "natifs" de telle ou telle région.

    • Courtial Des Pereires dit :

      Bonjour Descartes, j’ai beaucoup aimé vos deux derniers articles et je vais les partager.

      Votre analyse de la situation en Ukraine est plutôt répandue dans les commentaires des sites d’informations et les sites dits de "réinformation". En effet, les utilisateurs prennent assez souvent la défense de V. Poutine – je le fais moi-même systématiquement au quotidien, non pas par admiration (je ne connais pas bien la politique en Russie de toutes façons et je déteste les gens qui prennent position sans une bonne connaissance des faits) mais pour rétablir un certain équilibre face à la diabolisation intégrale dont il est l’objet dans tous les grands médias et que je trouve insupportable – et critiquent l’axe du bien USA-UE et ses leçons de morale. Je n’arrive pas à comprendre comment la grande presse peut avoir une vision aussi homogène de la crise Ukrainienne, et qu’elle nous rappelle en permanence que les médias sont à la botte du pouvoir en Russie… Les choses bougent petit à petit avec des articles du côté des habitants pro-Russe des régions de l’Est et du Sud mais j’ai l’impression que ces individus sont traités avec moins de bienveillance (c’est probablement une illusion car mon avis est biaisé). N’avez-vous pas vous-même cette impression d’uniformité dans l’information ?

      J’ajoute aussi que j’ai trouvé particulièrement violente et insupportable le fait qu’Obama déclare que V. Poutine était du "mauvais côté de l’Histoire". On est dans le manichéisme le plus complet, c’est Hollywood maintenant… l’Histoire est bonne ou mauvaise…

      Aussi, je voulais vous interpelez sur votre commentaire au sujet de la grandeur de la France jacobine. Voilà le passage qui m’a interrogé : >

      Cette description me fait un peu penser au discours des "eurolâtres" et des mondialistes. En effet, n’y a-t-il pas un raisonnement semblable lorsque certains encouragent l’abandon des frontières, la libre circulation des hommes et des marchandises, un grand mélange de peuple qui pourrait sur le long terme adopter des règles communes (celles de l’UE par exemple), et pourquoi pas une langue supra-nationale commune (l’Anglais ?). Vous semblez défendre les jacobins alors que je n’ai pas eu l’impression jusqu’à présent que vous étiez enthousiaste à l’idée d’une Europe fédérale ou d’un mondialisme intégral (qui relève de la Science Fiction pour le moment mais qui a ses défenseurs). Vous défendez très souvent l’assimilation et le roman national, qui sont deux éléments qui permettent à un peuple de se sentir unis et donc portés sur la défense de leurs valeurs communes. Comment faites-vous la différence entre ces idéologies ? Quel est selon vous l’entité (famille, ville, région, nation, continent) qu’il serait la plus légitime de défendre et pourquoi ? La dernière phrase de votre dernier commentaire : "tout comme doit être préservée l’égalité foncière contre toute tentative de réserver la propriété aux "natifs" de telle ou telle région" me fait aussi penser que vous seriez contre l’idée d’une préférence nationale par exemple.

    • Descartes dit :

      @Courtial Des Pereires

      [Bonjour Descartes, j’ai beaucoup aimé vos deux derniers articles et je vais les partager.]

      N’hésitez pas. C’est fait pour. En indiquant la source, of course…

      [En effet, les utilisateurs prennent assez souvent la défense de V. Poutine – je le fais moi-même systématiquement au quotidien, non pas par admiration (je ne connais pas bien la politique en Russie de toutes façons et je déteste les gens qui prennent position sans une bonne connaissance des faits) mais pour rétablir un certain équilibre face à la diabolisation intégrale dont il est l’objet dans tous les grands médias et que je trouve insupportable]

      Je partage en grande partie votre réaction. Un homme qui est diabolisé par BHL ne peut être totalement mauvais.

      [Je n’arrive pas à comprendre comment la grande presse peut avoir une vision aussi homogène de la crise Ukrainienne, et qu’elle nous rappelle en permanence que les médias sont à la botte du pouvoir en Russie…]

      Dans les régimes autoritaires, la presse est à la botte du pouvoir. Dans les démocraties libérales, elle est à la botte du client/consommateur. Car c’est lui qu’il faut séduire si l’on veut pouvoir vendre de la publicité. C’est de là que résulte la très grande homogénéité de nos médias : elle reflète l’homogénéité de la couche de clients/consommateurs ayant le pouvoir d’achat le plus significatif, c’est-à-dire, des classes moyennes.

      [J’ajoute aussi que j’ai trouvé particulièrement violente et insupportable le fait qu’Obama déclare que V. Poutine était du "mauvais côté de l’Histoire".]

      Moi, j’ai plutôt trouvé la chose comique. Un américain libéral expliquant à un nostalgique de l’URSS que l’Histoire aurait un « sens » comme un vulgaire marxiste, avouez que ce n’est pas banal…

      [Cette description me fait un peu penser au discours des "eurolâtres" et des mondialistes. En effet, n’y a-t-il pas un raisonnement semblable lorsque certains encouragent l’abandon des frontières, la libre circulation des hommes et des marchandises, un grand mélange de peuple qui pourrait sur le long terme adopter des règles communes (celles de l’UE par exemple), et pourquoi pas une langue supra-nationale commune (l’Anglais ?).]

      Bien entendu. Et pourquoi pas ? Si les européens vivaient sous les mêmes normes, étaient éduqués dans une langue commune et dans un « récit » commun, et qu’on organisait le brassage des européens, l’Europe aurait une chance de devenir une nation. Et personnellement, si un tel miracle était possible je n’aurais rien à redire. Là où nous différons, moi et l’eurolâtre, c’est précisément dans la question de savoir si un tel miracle est possible. Car on aurait tort de croire que la nation française s’est construite ainsi. Si la Révolution a pu faire accepter au peuple le brassage que représentait la conscription, si la IIIème République a pu imposer sans rencontrer une grande résistance l’unification linguistique, c’est parce que la nation existait déjà. En d’autres termes, le brassage, la langue, le « roman national » renforcent la nation, mais ne la fabriquent pas ex-nihilo. En 1789 l’Etat-nation français au sens moderne du terme n’existait pas encore, mais la France était déjà une communauté politique ayant « le souvenir de grandes choses faites ensemble, et le désir d’en accomplir de nouvelles ». Rien de tel en Europe.

      [Vous semblez défendre les jacobins alors que je n’ai pas eu l’impression jusqu’à présent que vous étiez enthousiaste à l’idée d’une Europe fédérale ou d’un mondialisme intégral (qui relève de la Science Fiction pour le moment mais qui a ses défenseurs).]

      Je ne vois pas ce qui vous étonne. Je défend les jacobins parce que je crois à la nation comme la plus grande communauté politique viable, le plus grand ensemble dont les membres soient prêts à assumer une solidarité inconditionnelle les uns envers les autres. Je m’oppose donc à une Europe supranationale, fédérale ou pas, parce qu’une telle construction implique arracher la souveraineté au corps politique qu’est la nation pour la confier à une bureaucratie sans âme. L’Europe ne peut être autre chose, puisqu’il n’y a pas une « nation européenne » dont la souveraineté pourrait émaner.

      [Vous défendez très souvent l’assimilation et le roman national, qui sont deux éléments qui permettent à un peuple de se sentir unis et donc portés sur la défense de leurs valeurs communes. Comment faites-vous la différence entre ces idéologies ? Quel est selon vous l’entité (famille, ville, région, nation, continent) qu’il serait la plus légitime de défendre et pourquoi ?]

      Mais… toutes ces « entités » sauf une sont « légitimes »… à condition de les maintenir dans leurs limites. La famille est « légitime » par exemple pour ce qui concerne l’éducation des enfants, la ville est légitime lorsqu’il s’agit d’organiser certains services publics, de surveiller la sécurité et la salubrité. Mais lorsqu’on parle de souveraineté, seule la nation est légitime. Aucune autre « entité » ne peut exercer un pouvoir de contrainte qui ne lui ait été explicitement accordé par la nation toute entière. En d’autres termes, le fait de défendre la famille ou la nation ne m’empêche nullement de défendre aussi la région ou la ville…

      L’entité qui n’a pas aucune légitimité, vous l’avez deviné, c’est le « continent », construction largement arbitraire. La décision de faire se terminer l’Europe à la frontière polonaise plutôt qu’à l’Oural (ou au Kamchatka, puisqu’on y est) n’a aucun fondement dans les faits. J’ai des critères objectifs qui me permettent de définir un parisien, un belge ou un membre de la famille Rotchild. Je n’ai aucun critère qui me permette de distinguer un « européen ».

      [La dernière phrase de votre dernier commentaire : "tout comme doit être préservée l’égalité foncière contre toute tentative de réserver la propriété aux "natifs" de telle ou telle région" me fait aussi penser que vous seriez contre l’idée d’une préférence nationale par exemple]

      Pas du tout. Tout ce que j’ai dit, c’est qu’on ne doit pas permettre que des citoyens d’une nation aient des droits différents en fonction de leur région d’origine. Mais pas que les citoyens de nations différentes doivent avoir, lorsqu’ils résident à un endroit donné, les mêmes droits. Je sais que je ne vais pas me faire que des amis en vous disant ça, mais ne suis pas à priori contre l’idée de « préférence nationale ». Et je dois dire que dans les faits, cette position est partagée par tous, absolument tous les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir en France depuis la Révolution, puisque tous ont admis que certains emplois liés à l’exercice de la souveraineté ne soient accessibles qu’aux citoyens français.

  7. Ifig dit :

    Un point factuel: la loi retirant le statut de langue officielle au Russe a certes été votée très vite par le parlement ukrainien après le changement de gouvernement, mais le nouveau gouvernement ne l’a pas promulguée, justement parce qu’ils se sont rendus compte de l’effet désastreux sur les russophones de l’Est.
    Sur la situation en Ukraine, il faut distinguer d’un point de vue de droit la situation de la Crimée de celle de l’Est ukrainien. La Crimée avait déjà un statut de droit autonome, différenciée du reste de l’Ukraine. Donc, si elle se sépare ou rejoint la Russie, on peut argumenter que cela ne donne pas forcément un précédent pour créer de nouveaux états ailleurs. Ce n’est pas le cas du Donbass qui n’a pas un statut spécial au sein de l’Ukraine autant que je sache. Je pense que Poutine fait attention à cette nuance, et que si la sécession reste limitée à la Crimée, la crise ne sera pas plus grave que ça. Par contre, il est nécessaire de se dire officiellement scandalisé par l’intervention en Crimée pour être sûr que cela n’aille pas plus loin. Un indice du fait que la crise n’est pas très poussée: pas de retrait du contrat de vente des porte-hélicoptères construits à St-Nazaire.
    Un autre point sur l’Ukraine: ton analyse en terme de classe moyenne est intéressante, mais elle passe à côté de quelque chose, j’ai l’impression, c’est que les "valeurs" défendues dans ce cadre par ce que tu appelles les classes moyennes sont très positives et universelles, à savoir l’état de droit, la démocratie et l’absence de corruption. Tu as beau dire que l’UE peut très bien vivre avec la corruption, je pense que tu te fais des illusions si tu ne vois pas la différence entre la Russie et l’UE sur cet aspect et comment c’est quelque chose de très attirant pour les populations de l’Europe de l’Est. Le fait que Poutine puisse mettre en prison des oligarques n’est pas un signe d’état de droit, juste un signe d’arbitraire de plus. Le mouvement qui a abouti à la chute du gouvernement de Ianoukovich est typiquement motivé plus par un ras-le-bol d’avoir des dirigeants qui piquent littéralement dans la caisse qu’autre chose.
    Enfin sur l’état nation. Tu défends l’état nation comme seul lieu possible d’exercice de la démocratie, mais en même temps tu refuses aux "petites" nations le droit de l’exercer (la Slovaquie, j’imagine l’Ecosse pour leur prochain référendum, la Bretagne bien sûr etc) pour des raisons pas très claires: efficacité étatique? Intangibilité des frontières? Pourquoi Tchèques et Slovaques doivent-ils être forcés à vivre dans un même état pour reprendre ton exemple? C’est une position intenable démocratiquement; si suffisamment d’Ecossais, de Flamands, de Catalans veulent un état demain, personne ne pourra l’empêcher à long terme. C’est pourquoi le projet d’UE fait sens: il s’agit d’accepter qu’une souveraineté multinationale gère des aspects où la masse donne du poids tout en acceptant la souveraineté nationale sur les aspects où elle fait sens. (Après que l’implémentation de cette théorie ne soit pas parfaite, on peut tomber d’accord là-dessus…)

    • Descartes dit :

      @Ifig

      [Un point factuel: la loi retirant le statut de langue officielle au Russe a certes été votée très vite par le parlement ukrainien après le changement de gouvernement, mais le nouveau gouvernement ne l’a pas promulguée, justement parce qu’ils se sont rendus compte de l’effet désastreux sur les russophones de l’Est.]

      Le fait c’est qu’il s’est trouvé une majorité de députés à la Rada de Kiev pour voter cette loi, et que le « peuple de Maïdan », qui sait si bien y faire, n’a pas jugé nécessaire de faire pression sur ses députés pour changer leur vote. Qu’une loi aussi imbécile ait pu être votée rapidement à un tel moment montre combien les extrémistes pèsent lourd sur les bancs du parlement ukrainien. Et accessoirement, la déplorable qualité du personnel politique ukrainien.

      [Sur la situation en Ukraine, il faut distinguer d’un point de vue de droit la situation de la Crimée de celle de l’Est ukrainien. La Crimée avait déjà un statut de droit autonome, différenciée du reste de l’Ukraine. Donc, si elle se sépare ou rejoint la Russie, on peut argumenter que cela ne donne pas forcément un précédent pour créer de nouveaux états ailleurs.]

      C’est discutable. Le Pays basque et la Catalogne ont eux aussi des « statut de droit autonome ». Même chose pour l’Ecosse ou les Flandres.

      [Un autre point sur l’Ukraine: ton analyse en terme de classe moyenne est intéressante, mais elle passe à côté de quelque chose, j’ai l’impression, c’est que les "valeurs" défendues dans ce cadre par ce que tu appelles les classes moyennes sont très positives et universelles, à savoir l’état de droit, la démocratie et l’absence de corruption.]

      Personne n’est idiot en politique. Les dirigeants des classes moyennes ukrainiennes savent pertinemment que ce n’est pas en proclamant leur amour de la corruption, leur mépris pour l’état de droit et de la démocratie qu’ils gagneront le soutien des opinions publiques occidentales. Avant donc de gober le discours des « valeurs », il faut regarder un peu plus avant ce que ces couches ont fait lorsqu’elles ont eu le pouvoir. Pourquoi, par exemple, ont-elles porté puis maintenu au pouvoir lors de la « révolution orange » des gens qui en matière de corruption, de piétinement de l’état de droit et de la démocratie n’avaient rien a envier à Ianoukovitch ?

      Les classes moyennes ne détestent la corruption que lorsqu’elle ne leur profite pas. C’est pour cela que les gouvernants corrompus, lorsqu’ils sont intelligents, font en sorte que les classes moyennes en tirent elles aussi avantage. Pinochet, et Marcos, pour ne donner que deux exemples, ont gouverné plus d’une décennie avec l’appui massif des classes moyennes.

      [Tu as beau dire que l’UE peut très bien vivre avec la corruption, je pense que tu te fais des illusions si tu ne vois pas la différence entre la Russie et l’UE sur cet aspect et comment c’est quelque chose de très attirant pour les populations de l’Europe de l’Est.]

      Non, j’avoue que je ne vois pas très bien la différence. Pourrais-tu être plus précis ?

      [Le fait que Poutine puisse mettre en prison des oligarques n’est pas un signe d’état de droit, juste un signe d’arbitraire de plus.]
      Ni l’un ni l’autre. Pourquoi le fait de mettre un oligarque en prison serait per se « arbitraire » ? Dans les « états de droit » les oligarques ne vont jamais en prison ? La seule chose qu’on peut déduire du fait que Poutine puisse mettre en prison un oligarque, c’est que ce ne sont pas les oligarques qui détiennent le pouvoir. C’est déjà pas mal. La concentration du pouvoir et la victoire du roi contre les nobles est le début de la constitution de l’Etat moderne…

      [Le mouvement qui a abouti à la chute du gouvernement de Ianoukovich est typiquement motivé plus par un ras-le-bol d’avoir des dirigeants qui piquent littéralement dans la caisse qu’autre chose.]

      Tu crois ça ? Mais alors, pourquoi la foule a applaudi le discours de Ioulia Timoshenko qui, elle aussi, a piqué amplement dans la caisse ? Certains voleurs seraient-ils plus acceptables à cette foule éprise de justice que d’autres ? Le crime qui a entraîné la chute de Ianoukovich n’a pas été de voler, mais de ne pas partager le butin avec les couches moyennes urbaines de l’ouest du pays. Et si Timoshenko est applaudie, ce n’est pas parce qu’elle est honnête, mais parce qu’elle avait le bon goût de nourrir sa clientèle.

      [Enfin sur l’état nation. Tu défends l’état nation comme seul lieu possible d’exercice de la démocratie, mais en même temps tu refuses aux "petites" nations le droit de l’exercer]

      Ce n’est pas une question de « petit » ou de « grand ». Je ne vois aucun inconvénient à ce que la Suisse ou l’Islande exercent leur souveraineté. Seulement, je ne suis pas convaincu que la Slovaquie, l’Ecosse ou la Bretagne soient des « nations », grandes ou petites.

      [Pourquoi Tchèques et Slovaques doivent-ils être forcés à vivre dans un même état pour reprendre ton exemple?]

      Parce que l’histoire est comme ça. La Bretagne aurait pu être une « nation » aujourd’hui si elle était restée indépendante au XVème siècle. Seulement voilà, elle ne l’a pas été. Elle a adopté les institutions, la langue, le droit, le « récit national » français. Ses enfants ont participé aux joies et aux peines du peuple français. Ils sont partis vivre ailleurs en France et se sont mariés avec des filles de France, et des français sont allés s’installer en Bretagne et on fait racine. C’est comme ça. On pourrait aujourd’hui séparer artificiellement la Bretagne du reste de la France, tout comme les allemands ont donné à la Slovaquie son indépendance en 1939. Mais cela n’en fait pas une « nation ».

      [C’est une position intenable démocratiquement; si suffisamment d’Ecossais, de Flamands, de Catalans veulent un état demain, personne ne pourra l’empêcher à long terme.]

      Peut-être. Mais cela n’en fera pas pour autant des « nations »… Si les électeurs de Neuilly sur Seine décident d’avoir leur propre état pour ne plus avoir à payer pour les plus pauvres qu’eux, cela ne fera pas de Neuilly une « nation »…

      [C’est pourquoi le projet d’UE fait sens: il s’agit d’accepter qu’une souveraineté multinationale gère des aspects où la masse donne du poids tout en acceptant la souveraineté nationale sur les aspects où elle fait sens. (Après que l’implémentation de cette théorie ne soit pas parfaite, on peut tomber d’accord là-dessus…)]

      Mais d’où procède la « souveraineté multinationale » dont tu parles ? Parce que sauf à revenir à la théorie du droit divin des rois, la souveraineté ne tombe pas du ciel. Dans chaque Etat-nation, la souveraineté réside dans la nation, qui constitue des pouvoirs publics puis leur délègue des compétences précises pour qu’ils gouvernent en son nom. Mais chez qui réside la « souveraineté multinationale » ?

    • Ifig dit :

      Ma réponse d’hier a sauté dans un bug de navigateur, rageant… Trois points rapides:
      * sur le respect de l’état de droit, je reste persuadé que la situation est meilleure dans l’UE, y compris à l’Est, qu’en Russie. Sans preuve, donc n’hésite pas à ne pas être d’accord et à me juger intoxiqué par les médias. Cela ne veut pas dire que Poutine n’est pas légitime – il gagne les élections – et tape moins dans la caisse qu’Eltsine.
      * sur les nations. Je trouve ta position fixiste. Une nation existe parce qu’elle existe, et cela ne peut pas changer. Comment interprètes-tu ce qui se passe en Ecosse, en Catalogne? Est-ce que ces nations existaient déjà, ou bien est-ce qu’elles sont (peut-être) en train de se former?
      * aussi, tu n’imagines pas que la citoyenneté puisse se détacher de la nationalité et que l’état nation puisse être une forme historique qui décline et non la forme définitive d’exercice de la souveraineté. Alors que par ailleurs tu identifies très bien le mécanisme qui le met à mal, à savoir l’individualisme moderne (des classes moyennes dans ta vision, mais pas seulement…) En gros, chacun aujourd’hui se définit de plus en plus comme ayant plusieurs identités et cela veut dire que le niveau national ne sera plus le seul pour traiter toutes les politiques.

    • Descartes dit :

      @Ifig

      [Ma réponse d’hier a sauté dans un bug de navigateur, rageant…]

      Un bon conseil : écrire ses réponses sur un traitement de texte, et copier-coller le résultat sur le navigateur. Cela évite beaucoup de désastres…

      [* sur le respect de l’état de droit, je reste persuadé que la situation est meilleure dans l’UE, y compris à l’Est, qu’en Russie. Sans preuve, donc n’hésite pas à ne pas être d’accord et à me juger intoxiqué par les médias.]

      Je ne sais pas quels sont tes critères pour juger ce qui est « meilleur » dans ce domaine. Prenons par exemple les « extraordinary renditions » dont plusieurs états européens ont été complices. On ne parle pas là des « excès » d’un commissaire de police bourré au fond d’une campagne, mais des plus hautes autorités de l’Etat. Comment évaluerais-tu leurs décisions vis-à-vis des principes de l’Etat de droit, légalité des actes administratifs et des peines, non rétroactivité des lois pénales, droit au recours juridictionnel pour n’en citer que trois ?

      [* sur les nations. Je trouve ta position fixiste. Une nation existe parce qu’elle existe, et cela ne peut pas changer. Comment interprètes-tu ce qui se passe en Ecosse, en Catalogne? Est-ce que ces nations existaient déjà, ou bien est-ce qu’elles sont (peut-être) en train de se former?]

      Contrairement à ce que tu crois, ma position n’est en rien « fixiste ». Je suis tout à fait d’accord que les nations peuvent naître ou disparaître. Seulement, cela ne se fait pas en cinq minutes, et ce n’est pas si courant que ça.

      Dans le cas de l’Ecosse, on peut poser la question de la « nation » : c’est un territoire ayant depuis des siècles des institutions politiques et un droit qui lui sont propres, une langue et une histoire commune, etc. Mais cela ne suffit pas pour faire une « nation » : encore faut-il qu’il y ait une « communauté de destin », une volonté de faire ensemble. Je ne connais pas assez l’Ecosse pour dire que c’est le cas. Peut-être que l’Ecosse est une « nation » en train de naître. La Catalogne, cela me paraît moins évident. Mais ce qui est notable chez toutes ces soi-disant « nations », c’est qu’elles ne sont « séparatistes » que lorsqu’elles sont riches. De là à supposer que les « séparatismes » en question tiennent plus au vieux réflexe égoïste des riches qui ne veulent pas payer pour les pauvres que d’une véritable revendication nationale, il n’y a qu’un pas…

      [* aussi, tu n’imagines pas que la citoyenneté puisse se détacher de la nationalité et que l’état nation puisse être une forme historique qui décline et non la forme définitive d’exercice de la souveraineté.]

      Là encore, je reste modeste. Je n’ai jamais dit que pour moi la nation soit « la forme définitive d’exercice de la souveraineté ». Le seul fait que je puisse constater, c’est que pour le moment la nation est la seule enceinte dans laquelle la souveraineté puisse résider, parce que c’est la plus grande collectivité dont les membres sont liés par une solidarité inconditionnelle. Et que personne ne propose une autre enceinte avec des arguments convaincants. Dans ces conditions, on peut difficilement me reprocher de ne pas vouloir lâcher la proie pour l’ombre…

      [En gros, chacun aujourd’hui se définit de plus en plus comme ayant plusieurs identités et cela veut dire que le niveau national ne sera plus le seul pour traiter toutes les politiques.]

      Franchement, je ne vois pas le rapport. Sans revenir sur cette idée – à mon avis fausse – d’avoir « plusieurs identités », je vois mal en quoi le fait que les gens se définissent homosexuels ou végétariens serait le signe que « le niveau national ne sera plus le seul pour traiter toutes les politiques ».

      Le niveau national n’a jamais été seul pour traiter toutes les politiques, et ce n’est même pas souhaitable qu’il le soit. Ce qui distingue le niveau national de tous les autres, c’est qu’il est le siège de la souveraineté. Et cela n’est pas près de changer.

  8. bovard dit :

    Merci de publier cetteVersion,ci dessous et non la précédente pleine de fautes(je sors d’une chimio)..
    bonjour,
    La relecture de ce texte de très grande qualité m’oriente vers une dimension immanente mais non explicite.
    Il s’agit des relations entre le communisme français et cette partie du monde.
    Je ne reviendrai pas sur l’attraction que Makhno,l’anarchiste ukrainien a exercé sur les communistes/libertaires micogropusculaires de notre pays.
    Mais l’évocation des dissidents,vedettes médiatiques s’il en fut, à la fin des années soixante dix a remué mon ‘marigot intellectue’l et des bulles sont remontées.
    Je vous cite:’ Léonide Plioutch. Est-ce un chanteur de Rock ? Un homme d’affaires peut-être ? Et non… c’est « super-dissident ». On a du mal à croire que son nom, comme celui de Iouli Daniel, de Anatoli Chtcharansy, d’Andrei Siniavsky’.
    Effectivement,après la publication de l’Archipel du Goulag de Soljénitsyne,ces dissidents faisaient la une de la presse et des comités de soutien animés par’ les nouveaux philosophes’.
    J’étais lycéen dans la région de Tarbes et l’effervescence gagnait tout le monde,des trotskistes,aux maoïstes,aux socio/radicaux,auxThorézien,aux staliniens.
    Mais ce sont les euro-communistes qui’ surfèrent’ le mieux,pour moi, sur cette vague de la dissidence.
    Certains dirigeant d’un PCF alors à plus de 21%(européennes de 1979),des revues comme ‘Nouvelle critique’,’France-Nouvelle’ allèrent jusqu’à animer des comités de soutien à Plioutch,Chtaransky,Bukowsky (au grand dam ‘des partis frères’ de l’Est)et leur serrer la main.
    PierreJuquin et Marchais en 1977, obtinrent même la libération de certains dissidents soviétiques,tchèques,roumains et leurs serrèrent la main au siège de la rédaction de ‘l’Humanité’.
    L’apex de ce mouvement fut la brochure de qualité intitulée ‘vivre libre’ de Pierre Juquin et le 22ième congrès.
    En France,il y était écrit que le socialisme serait démocratique contrairement au socialisme de caserne de l’Est qu’à cette époque le PCF condamnait!
    Mais ce n’est qu’après coup;37 ans après ,que j’ai pu formuler l’histoire de cette période.
    Essentiellement grâce à l’arrêt de la loi de ‘l’oemetta’ qui plongeait dans le silence les motivations des dirigeants du PCF.
    Leroy,Piquet,entre autres, se sont exprimés.
    Pierre Juquin a beaucoup écrit et c’est instructif.
    Cet ex- dirigeant du PCF à l’écriture de grande qualité,cet écrivain hors pair a permis de comprendre ce qu’avait été ce mouvement eurocommuniste.
    Explicitement sympathisant des dissidents ;il plaçait l’URSS de Brejnev effectivement comme ‘horresco referens’.
    Les jugements ‘ad hominem’ n’ayant pas leur place dans votre blog ,à juste titre ,permettez cependant que je cite l’œuvre d’anthologie de Pierre Juquin sur ‘Aragon'(en 2 volumes et plusieurs milliers de pages).
    Nous y apprenons que Thorez et Aragon,ont souvent combattu l’hégémonisme du PC l’URSS mais,en contrebande,souterrainement,tant était élevé le prestige de l’URSS à leur époque.
    Les jalons de la naissance de l’eurocommunisme à la française tels qu’ils m’ apparaissent dans cet ouvrage et d’autres sont:
    -les dirigeants de l’ex-SFIO devenus SFIC dont les bolchéviks se méfiaient énormément.
    Ils furent exclus comme les trotskystes, rapidement des cercles dirigeants du PCF.

    -Thorez et Aragon qui fonctionnaient en ‘binôme’ politique et qui par une alchimie très curieuse se ‘nourrissaient’ par complémentarité de leurs personnalités respectives.

    -Lili Brick ,soeur d’Elsa Triolet ,amoureuses de Maîakovsky qui se suicida face à l’ampleur du désastre soviétique.

    -Waldeck Rochet qui réprouva avec une majorité du bureau politique l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968.

    -Kanapa,Marchais,Paul Laurent (père de Pierre) qui jusqu’en 1978/79 firent vivre au maximum cette ligne quelque peu anti-URSS,en s’opposant aux pro-URSS soutenus par l’argentier du pcf,Gaston Plissonier.

    Au final,si les eurocommunistes avaient survécus,ils auraient certainement étaient circonspects face à Poutine et à Maïden.
    Mais au fond ,le texte du PCF, sur l’Ukraine élaboré entre autre,par le fils de Paul Laurent,est assez équilibré et dans l’esprit de l’eurocommunisme de 1977.
    En effet,’ils renvoient dos à dos les oligarques pro-poutine et ceux pro-Maïden..
    Chacun conviendra alors que la nouveauté ‘à l’Est’,c’est la présence d’oligarques..
    Mais quelles sont les différences entre les oligarques de l’époque de Poutine et les potentats de l’époque de Brejnev ?

    • Descartes dit :

      @bovard

      [(je sors d’une chimio)..]

      Mes meilleurs vœux de rétablissement. Je sais combien cela peut être dur…

      [Il s’agit des relations entre le communisme français et cette partie du monde. Je ne reviendrai pas sur l’attraction que Makhno, l’anarchiste ukrainien a exercé sur les communistes/libertaires micogropusculaires de notre pays.]

      Un point de précision : Makhno n’a jamais exercé le moindre attrait sur « le communisme français ». Il est resté une figure de référence pour le mouvement anarchiste, en grande partie parce qu’il permettait à ses militants de se livrer à leur jeu préféré, l’antisoviétisme, sous prétexte que le pauvre Makhno a été combattu par la jeune république des soviets…

      [Mais ce sont les euro-communistes qui’ surfèrent’ le mieux, pour moi, sur cette vague de la dissidence.]

      Je n’irai pas jusque là. Les « eurocommunistes », c’est à dire ceux qui au sein du PCF proposaient une ligne de rupture avec les pays du « socialisme réel » ont essayé de surfer sur la « vague de la dissidence » pour renforcer leur position devant les courants plus conservateurs du PCF. Mais dans les faits, cela n’a pas donné grande chose. Il n’y a que chez les militants universitaires et ceux des classes moyennes que cette propagande a pris.

      [L’apex de ce mouvement fut la brochure de qualité intitulée ‘vivre libre’ de Pierre Juquin et le 22ième congrès.]

      Oui, mais si le PCF utilisait ses rapports avec les « dissidents » comme symbole d’une politique d’ouverture vers les classes moyennes et les intellectuels, cela restait un élément marginal. Les dissidents ne sont devenus obsessionnels dans le langage médiatique que bien plus tard, sous le règne de François II.

      [Pierre Juquin a beaucoup écrit et c’est instructif. Cet ex- dirigeant du PCF à l’écriture de grande qualité,cet écrivain hors pair a permis de comprendre ce qu’avait été ce mouvement eurocommuniste.]

      Méfiez vous. Le rapport de Pierre Juquin avec les faits est assez lointain. Et ses écrits sont plus des pladoyers pro domo que de véritables analyses.

      [Nous y apprenons que Thorez et Aragon, ont souvent combattu l’hégémonisme du PC l’URSS mais, en contrebande, souterrainement, tant était élevé le prestige de l’URSS à leur époque. (…) Kanapa, Marchais, Paul Laurent (père de Pierre) qui jusqu’en 1978/79 firent vivre au maximum cette ligne quelque peu anti-URSS, en s’opposant aux pro-URSS soutenus par l’argentier du pcf, Gaston Plissonier.]

      Bof. Cette théorie – qui a l’avantage pour Juquin de mettre dans son camp les dirigeants les plus prestigieux du PCF et de fournir une figure de méchant, celle de Plissonnier- je l’ai entendue mille fois. Elle est trop schématique pour être prise au sérieux. Beaucoup de dirigeants communistes, y compris les plus grands, avaient avec le « parti frère » d’URSS des rapports complexes. Ni la soumission obséquieuse dont certains les ont accusé, ni cette « opposition souterraine » à laquelle Juquin veut nous faire croire.

      [Au final, si les eurocommunistes avaient survécus, ils auraient certainement étaient circonspects face à Poutine et à Maïden.]

      Je n’en sais rien. Mieux vaut ne pas faire parler les morts.

      [Mais au fond ,le texte du PCF, sur l’Ukraine élaboré entre autre,par le fils de Paul Laurent,est assez équilibré et dans l’esprit de l’eurocommunisme de 1977. En effet,’ils renvoient dos à dos les oligarques pro-poutine et ceux pro-Maïden.]

      Cela s’appelle « ne pas choisir ». C’est un position très confortable, celle qui consiste à dire « tous des mauvais sauf moi »…

      [Chacun conviendra alors que la nouveauté ‘à l’Est’, c’est la présence d’oligarques… Mais quelles sont les différences entre les oligarques de l’époque de Poutine et les potentats de l’époque de Brejnev ?]

      D’abord, que les « potentats de l’époque de Brejnev » n’achetaient pas les plus belles propriétés de Londres ou de la Côte d’Azur. La « nomenklatura » brejnevienne avait certainement un niveau de vie supérieur à la moyenne de la population, mais la pyramide des révenus était certainement beaucoup plus plate du temps de Brejnev. Ensuite, leur pouvoir politique était bien plus faible. Aucun n’était en mesure de contrer un membre du Politburo et s’en sortir la tête haute…

  9. Vin dit :

    Petit synthèse sur les enjeux autours de l’Ukraine.

    http://www.blogactualite.org/2014/03/ukraine-au-dela-des-actualites-en-boucle.html
    Il faut toujours aller plus loin que ce qui est montré aux informations, cela éclaire beaucoup de choses et le point de vue peut être nuancé.

    • Gugus69 dit :

      François II ? Dans le contexte, ami, je pense que vous faites référence à François Mitterrand.
      Je sais bien que le roi de France François II n’a régné qu’un an. Mais est-ce une raison pour l’évacuer de l’Histoire ?

    • Descartes dit :

      @Gugus69

      Horreur, malheur! Oui, j’avais oublié ce pauvre François II: un roi faible (ce n’était pas sa faute, il n’avait que 15 ans à la mort de son père et était de santé fragile) pendant le règne duquel ce furent les grands nobles qui faisaient la pluie et le beau temps, et qui accessoirement se déchirèrent dans leurs course aux honneurs et aux privilèges, affaiblissant le royaume dans le processus. Tiens, ça me rappelle un autre François…

  10. Bruno dit :

    [La partition de l’Ukraine serait en fait dans la continuité de cette doctrine ethniciste et communautariste qu’on nous sérine depuis trente ans et qui veut qu’on ne puisse vivre correctement qu’avec des gens qui sont comme nous.]

    Bonjour Descartes et merci pour cet excellent papier. J’ai juste un petit questionnement sur cette phrase : n’est-ce pas l’opposé qu’on nous récite à l’envi depuis 30 ans? Je pensais à cette idée de la richesse de la "diversité", des bienfaits du vivre ensemble et du métissage, mais aussi d’une reconnaissance croissante du communautarisme (notamment dans l’offre politique) qui semblent être désormais la doxa. Ai-je tapé à côté? Merci.

    • Descartes dit :

      @Bruno

      [J’ai juste un petit questionnement sur cette phrase : n’est-ce pas l’opposé qu’on nous récite à l’envi depuis 30 ans? Je pensais à cette idée de la richesse de la "diversité", des bienfaits du vivre ensemble et du métissage, mais aussi d’une reconnaissance croissante du communautarisme (notamment dans l’offre politique) qui semblent être désormais la doxa. Ai-je tapé à côté? Merci.]

      Vous avez tapé très juste, en soulignant l’une des grandes contradictions du discours public de notre société. Oui, on nous parle de la « richesse de la diversité » et du « métissage », mais en même temps on fait avancer chaque jour plus une vision « communautariste » qui caractérise les êtres humains en fonction de la « communauté » à laquelle ils appartiennent – qu’ils le veuillent ou non – et qui leur propose comme la seule solution pour éviter des tension de se regrouper et de vivre au milieu de gens qui leur ressemblent. A cette fin, chacun est prie d’être « fier » de ce qu’il est et se préserver inchangé.

    • Ifig dit :

      Dans la société post-moderne, les individus sont valorisés (ce qui est aussi une descendance des Lumières). Chacun va donc se définir suivant une multitude d’identités (mettons, gitan, perpignanais, catalan, français, européen, homosexuel, végétarien pour prendre un exemple un peu caricatural 🙂 Chaque identité pourra demander des décisions politiques adaptées à une de ces identités suivant les sujets, que cette identité soit fantasmée ou pas. Et bien sûr cela implique des conflits: les homosexuels demandent un droit du mariage qui choque les catholiques intégristes. Mais des conflits qui restent limités et résolubles dans le cadre démocratique. Et par ailleurs, l’échelon le plus élevé va avoir tendance à gérer les questions les plus techniques (typiquement la monnaie) ce qui dépolitise le débat public ("les gens" sont intéressés par les questions de voile islamique, par exemple, plus que par la politique de la BCE, alors que le second sujet a beaucoup plus d’importance.)

      Ce cadre ne te plaît pas, mais c’est de plus en plus celui de la société qui t’entoure. Je pense que lutter contre ce mouvement est certes légitime mais un peu perdu d’avance.

    • Descartes dit :

      @Ifig

      [Dans la société post-moderne, les individus sont valorisés (ce qui est aussi une descendance des Lumières).]

      Pas tout à fait. Les Lumières, tout comme le post-modernisme, valorise « l’individu », mais ce n’est pas tout à fait le même individu. L’individu des Lumières est un individu abstrait, sujet de droits et de devoirs, et capable par l’usage de sa raison de comprendre le monde. Mais l’individu des Lumières n’a ni sexe, ni âge, ni couleur de peau. Les idéologies post-modernes, au contraire, déprécient cet « individu abstrait », considéré comme un leurre, pour valoriser au contraire les individus « concrets », c’est à dire, paradoxalement, ce qui dans l’individu est le moins « individuel ». Pour les postmodernes, il n’existe pas de « droits de l’homme » applicables à tous les hommes. Il existe des « droits des noirs », « droits des femmes », « droits des handicappés ». Et pourquoi pas des « droits des femmes noires et handicappées ».

      [Chacun va donc se définir suivant une multitude d’identités (mettons, gitan, perpignanais, catalan, français, européen, homosexuel, végétarien pour prendre un exemple un peu caricatural :-)]

      Pas pour les Lumières, pour qui « l’être humain » sujet de droits quelque fut son « identité ». Je pense, accessoirement, que l’on donne au mot « identité » une signification tellement extensive qu’il finit par ne plus rien vouloir dire. Si « végétarien » est une « identité », pourquoi « joueur de boules », « sado-masochiste » ou « amateur de J.S. Bach » ne le seraient-elles pas ? Il ne faut pas galvauder les mots. Il n’y a pas une « multitude d’identités » parce que « l’identité » est précisément l’ensemble d’éléments qui font que je peux me voir comme différent des autres. Mais l’identité d’un être humain donné est toujours UNIQUE. Un gitan perpignanais homosexuel et végétarien n’a pas PLUSIEURS « identités ». Il n’en a qu’une seule, faite de tous ces éléments.

      [Chaque identité pourra demander des décisions politiques adaptées à une de ces identités suivant les sujets, que cette identité soit fantasmée ou pas. Et bien sûr cela implique des conflits: les homosexuels demandent un droit du mariage qui choque les catholiques intégristes.]

      Je ne suis pas très sur de savoir ce que tu entends par « identité ». Tu sembles mettre ce mot à toutes les sauces. Lorsque les entrepreneurs demandent la baisse des charges sociales, c’est aussi une « décision politique adaptée à leur identité » qu’ils demandent ? Lorsque les végétariens demandent des repas végétariens dans les cantines, c’est là aussi une question « d’identité » ? Comment sépares-tu les revendications « identitaires » des autres, puisque pour toi tout peut être « identité » ?

      [Mais des conflits qui restent limités et résolubles dans le cadre démocratique.]

      Le cadre démocratique ne permet pas de « résoudre » les conflits, mais de vivre avec.

      [Ce cadre ne te plaît pas, mais c’est de plus en plus celui de la société qui t’entoure. Je pense que lutter contre ce mouvement est certes légitime mais un peu perdu d’avance.]

      Il y a des combats qu’il est honorable – et je dirais même indispensable – d’entamer même si l’on pense que la partie est perdue d’avance. On ne change peut-être pas le monde, mais au moins on peut se regarder chaque jour dans sa glace et raconter sa vie à ses petits enfants sans avoir honte.

    • Ifig dit :

      Descartes: "Pas tout à fait. Les Lumières, tout comme le post-modernisme, valorise « l’individu », mais ce n’est pas tout à fait le même individu. L’individu des Lumières est un individu abstrait, sujet de droits et de devoirs, et capable par l’usage de sa raison de comprendre le monde. Mais l’individu des Lumières n’a ni sexe, ni âge, ni couleur de peau." Oui, bien sûr, mais une fois que tu as donné le primat à l’individu abstrait (plutôt qu’à l’Eglise, au Roi etc), les individus concrets viendront te dire naturellement "il est bien beau votre individu abstrait, mais moi individu concret, j’ai envie de ci et de ça pour établir mon primat à moi :-)" Après, que la société n’ait pas à accepter toutes les demandes identitaires, évidemment, mais la manière de combattre des demandes infondées ne peut pas être de demander à l’individu concret de renoncer à son identité pour devenir un individu abstrait (qui, le plus souvent, est un individu concret qui se trouve avoir obtenu un moment une position dominante…)

      Exemple pour illustrer ce que je dis: les langues régionales. Les demandes maximales concernant les langues régionales consisteraient à avoir le même statut pour toutes les langues parlées en France, donc un breton (un citoyen de la République se déclarant breton et voulant utiliser cette langue, si tu te demandes comment définir ce qu’est un breton) vivant à Nice pourrait demander à être jugé en breton alors que son avocat pourrait exiger que sa plaidoirie soit faite en nissard. On peut parfaitement refuser cette demande pour des raisons pratiques, de besoin d’une langue commune, tout en reconnaissant un statut (lequel? à débattre dans le cadre démocratique) au breton en Bretagne, au nissard à Nice etc. Mais c’est peine perdue de refuser toutes les demandes sur les langues régionales en disant que les citoyens ne doivent utiliser qu’une seule langue en toute occasion (qui se trouve être celle des franciliens, la région du pouvoir royal au Moyen Âge – le citoyen abstrait en France parle français parce que des individus concrets franciliens ont eu le pouvoir un moment, est-ce juste dans une perspective républicaine universaliste?), une seule langue pour des raisons d’unité de la nation, quelle que soit l’identité desdits citoyens, et que toutes les autres langues doivent être considérées comme des langues étrangères. Parce que les individus concrets ne sont plus prêts à voir leur identité concrète niée au profit d’un individu abstrait.

      Descartes: "Il y a des combats qu’il est honorable – et je dirais même indispensable – d’entamer même si l’on pense que la partie est perdue d’avance." Bien sûr. Mais si on se rend compte que les principes auxquels on croit implique de toujours mener des combats politiques (très) minoritaires, on peut peut-être questionner lesdits principes? En se disant que la société a peut-être abandonné ces principes, à tort ou à raison, et qu’ils ne reviendront pas.

      Autre exemple de combat "républicain" qui me semble vain aujourd’hui: le service militaire. Dans la perspective d’une nation souveraine, c’est bien sûr une évidence et aussi pour l’aspect de brassage social et régional dont tu parlais. Maintenant, essaie de revendiquer la remise en place du service, élargi aux femmes (pas de discrimination dans ta vision républicaine, et à juste titre)… Comme tu es pragmatique, je suis sûr que tu choisis d’autres combats que celui-ci pour pousser ta cause mais il fait sûrement partie de ton programme maximum, non? Je pense – sans sondage, donc peut-être à tort – qu’une telle demande est très minoritaire, parce que les individus concrets refusent de risquer leur vie et même de donner un an de leur temps à la nation, sauf si ils en font le choix explicite. (Et accessoirement parce que les militaires te diront que l’armée est devenu un ensemble de métiers très techniques, et donc qu’il leur faut des professionnels pour être efficaces, bien plus que des conscrits.) Si tu montais un parti politique, est-ce que tu mettrais dans le programme un service (militaire ou civique) obligatoire?

      Merci pour le débat que j’ai trouvé très intéressant. Pas sûr que je le poursuive, mais au plaisir de te relire.

    • Descartes dit :

      @Ifig

      [Oui, bien sûr, mais une fois que tu as donné le primat à l’individu abstrait (plutôt qu’à l’Eglise, au Roi etc), les individus concrets viendront te dire naturellement "il est bien beau votre individu abstrait, mais moi individu concret, j’ai envie de ci et de ça pour établir mon primat à moi :-)"]

      Et bien, à nous de leur répondre NON. La société, c’est comme les parents. Elle n’a pas à céder à tous les caprices des individus concrets.

      [Après, que la société n’ait pas à accepter toutes les demandes identitaires, évidemment, mais la manière de combattre des demandes infondées ne peut pas être de demander à l’individu concret de renoncer à son identité pour devenir un individu abstrait (qui, le plus souvent, est un individu concret qui se trouve avoir obtenu un moment une position dominante…)]

      Personne ne demande aux individus concrets de renoncer à quoi que ce soit. S’ils ont envie chez eux de jouer du biniou, de porter le voile ou de se faire fouetter par leur femme, c’est leur « identité » et leur affaire. Ce sur quoi par contre la société doit être intransigeante à mon avis c’est sur la défense de la sphère publique contre l’empiètement des « identités ». Dans la sphère publique, il n’y a qu’un individu, l’individu abstrait.

      [Exemple pour illustrer ce que je dis: les langues régionales. Les demandes maximales concernant les langues régionales consisteraient à avoir le même statut pour toutes les langues parlées en France, donc un breton (un citoyen de la République se déclarant breton et voulant utiliser cette langue, si tu te demandes comment définir ce qu’est un breton) vivant à Nice pourrait demander à être jugé en breton alors que son avocat pourrait exiger que sa plaidoirie soit faite en nissard. On peut parfaitement refuser cette demande pour des raisons pratiques,]

      On se trompe en le faisant. La question essentielle n’est pas « pratique » mais bien théorique. L’existence d’un espace public dépend du fait que nous puissions communiquer avec nos concitoyens. Permettre l’utilisation officielle des langues régionales, c’est découper ce grand espace de communication en petits espaces étanches, chacun incapable de communiquer avec les autres. Or, nous sommes attachés à cet espace de communication unique. Nous sommes attachés à l’idée qu’un breton puisse s’installer en Auvergne et qu’un marseillais puisse s’installer à Paris et échanger sans effort avec ses nouveaux voisins, amis, collègues. Et bien, si nous ne voulons pas que cela s’effondre, si nous ne voulons pas que demain chacun soit enfermé dans sa « petite patrie », il nous faut défendre tout ce qui fait lien, et nous opposer tout ce qui prétend diviser le corps politique en petites cellules étanches.

      [de besoin d’une langue commune, tout en reconnaissant un statut (lequel? à débattre dans le cadre démocratique) au breton en Bretagne, au nissard à Nice etc.]

      Ce statut existe déjà : c’est le statut privé. Rien n’empêche aux bretons de parler breton dans leur famille ou avec leurs amis, et aux nissards, basques, chtis ou yddishisants de faire de même avec leurs langues. Rien ne leur empêche de constituer des associations, des clubs et même des écoles pour l’enseigner. Mais le fait est que les langues dites « minoritaires » n’intéressent en fait qu’une toute petite minorité folklorisante. Le nombre de locuteurs des langues régionales a diminué très fortement en deux générations. Qui parle aujourd’hui occitan, nissard, basque ou chti à la maison ? Combien en font une langue habituelle d’échange ? Pratiquement personne. En fait, ce n’est pas par la répression que l’Etat jacobin a tué les langues et particularismes régionaux. C’est un offrant une alternative attractive, si attractive que les gens habitués à parler leur langue régionale à la maison se sont converties en une génération au français. Si les parents bretons ou occitan jugeaient leur langue si importante, qu’est ce qui leur empêchait de le parler avec leurs enfants à la maison et de le transmettre ainsi de génération en génération ?

      [Mais c’est peine perdue de refuser toutes les demandes sur les langues régionales en disant que les citoyens ne doivent utiliser qu’une seule langue en toute occasion]

      Personne à ma connaissance n’a jamais en France soutenu une telle position. La position jacobine est que la langue française doit être utilisée exclusivement dans la sphère publique. Dans la sphère privée, chacun fait comme il l’entend.

      [(qui se trouve être celle des franciliens, la région du pouvoir royal au Moyen Âge – le citoyen abstrait en France parle français parce que des individus concrets franciliens ont eu le pouvoir un moment, est-ce juste dans une perspective républicaine universaliste?)]

      « Un moment » relativement long. Mais surtout, c’est autour de ces rois-là que l’Etat puis la Nation se sont créés. Il n’y a aucun « universalisme » à avoir là dedans : nous sommes le produit d’une histoire. Qui aurait pu certes être différente, mais ne l’a pas été.

      [une seule langue pour des raisons d’unité de la nation, quelle que soit l’identité desdits citoyens, et que toutes les autres langues doivent être considérées comme des langues étrangères.]

      Pourquoi « étrangères » ? Du domaine privé, je dirais plutôt…

      [Parce que les individus concrets ne sont plus prêts à voir leur identité concrète niée au profit d’un individu abstrait.]

      Le problème, c’est que les « individus concrets » ne se rendent souvent pas compte des effets terrifiants de l’irruption de « l’individu concret » dans la sphère publique. Les bretons militants sont tous fiers de dire « je veux être jugé en breton », sans se rendre compte qu’une fois cette porte ouverte leurs adversaires peuvent eux aussi exiger d’être jugés dans une langue qu’ils ne comprennent pas. Quand les Corses parlent de « corsiser les emplois », ils ne notent jamais que la même règle conduirait à renvoyer dans l’île les nombreux fonctionnaires d’origine corse qui travaillent sur le continent. « L’individu concret » est en fait très myope. Il ne se rend pas compte que dans une logique kantienne la règle dont il demande à bénéficier doit s’appliquer à tous, et que cette application risque de lui coûter plus cher qu’elle ne lui rapporte…

      [Bien sûr. Mais si on se rend compte que les principes auxquels on croit implique de toujours mener des combats politiques (très) minoritaires, on peut peut-être questionner lesdits principes? En se disant que la société a peut-être abandonné ces principes, à tort ou à raison, et qu’ils ne reviendront pas.]

      Pas nécessairement. D’abord, parce que de très nobles principes ont été « minoritaires » pendant des siècles, et qu’il a fallu un patient travail de sape pour qu’ils deviennent un jour « majoritaires ». Descartes – le vrai – n’est pas né de rien, mais du travail patient de nombreux philosophes qui avant lui ont essayé de défendre la raison contre l’Eglise et qui souvent on paye très cher leur combat. Où en serions nous si ces philosophes avaient « questionné leurs principes » ? Et ensuite, parce qu’il est très difficile de prédire ce que sera la société dans vingt ans, et de quel côté le fléau de la balance penchera alors…

      [Autre exemple de combat "républicain" qui me semble vain aujourd’hui: le service militaire. Dans la perspective d’une nation souveraine, c’est bien sûr une évidence et aussi pour l’aspect de brassage social et régional dont tu parlais. Maintenant, essaie de revendiquer la remise en place du service, élargi aux femmes (pas de discrimination dans ta vision républicaine, et à juste titre)… Comme tu es pragmatique, je suis sûr que tu choisis d’autres combats que celui-ci pour pousser ta cause mais il fait sûrement partie de ton programme maximum, non?]

      Bien entendu. Il y a des combats que chacun de nous considère « prioritaires » parce que des conquêtes réelles sont possibles, et d’autres qui relèvent plus du « témoignage » que d’un véritable combat. Mais pour ce qui concerne le service national – qu’il ne faut pas confondre avec le service militaire – je pense que c’est un combat qui pourrait aujourd’hui être gagné si seulement on arrivait à intéresser quelques ténors et à dépasser l’opposition des militaires.

      [Je pense – sans sondage, donc peut-être à tort – qu’une telle demande est très minoritaire, parce que les individus concrets refusent de risquer leur vie et même de donner un an de leur temps à la nation, sauf si ils en font le choix explicite.]

      La « demande » est très faible parce qu’il n’y a pas de produit véritable sur le marché. Pour que les gens soient attirés, il faut raconter une histoire. Aujourd’hui, étant donné les problèmes éducatifs, la difficulté de trouver le premier emploi, etc. l’idée de placer les jeunes dans une sorte de « congélateur » pendant un an séduirait certainement les parents. Quant aux jeunes eux-mêmes, je suis souvent surpris par la demande de discipline et d’encadrement qu’ils expriment.

      [Si tu montais un parti politique, est-ce que tu mettrais dans le programme un service (militaire ou civique) obligatoire?]

      Oui. Même si je n’avais aucune intention de le traduire dans les faits. Parce que cette histoire d’une jeunesse qui donne une année de sa vie à la Nation, et à qui la Nation propose en échange une certaine formation et une certaine discipline, c’est une histoire que j’ai envie de raconter.

    • Ifig dit :

      Descartes: "Dans la sphère publique, il n’y a qu’un individu, l’individu abstrait. "
      Je te réponds juste sur ce point qui est le noeud du problème: je suis d’accord avec cette phrase dans l’abstrait; je serai probablement opposé sur deux aspects, 1) la définition des limites respectives entre sphère publique et privée et 2) que l’individu abstrait n’existe pas, seul des individus concrets existent, et que la demande de ne reconnaître que des individus abstraits sert souvent à entériner des injustices au profit d’individus concrets.

    • Descartes dit :

      @Ifig

      [Je te réponds juste sur ce point qui est le noeud du problème: je suis d’accord avec cette phrase dans l’abstrait; je serai probablement opposé sur deux aspects, 1) la définition des limites respectives entre sphère publique et privée]

      Mais sommes nous d’accord sur la nécessité de préserver une sphère privée, c’est-à-dire, un domaine qui échappe au pouvoir de la collectivité ? Si on est déjà d’accord sur ce concept, on peut ensuite commencer le débat sur la délimitation. Le problème, aujourd’hui, c’est qu’il y a un courant d’opinion qui refuse l’idée même de sphère privée…

      [et 2) que l’individu abstrait n’existe pas, seul des individus concrets existent,]

      Cela dépend du sens que tu donnes au mot « exister ». S’il s’agit d’exister au sens d’avoir une réalité tangible, l’individu abstrait n’existe pas, pas plus que la justice, la liberté, les triangles isocèles ou l’intelligence. L’homme abstrait existe comme concept, il est une partie de chacun d’entre nous.

      [et que la demande de ne reconnaître que des individus abstraits sert souvent à entériner des injustices au profit d’individus concrets.]

      J’ai mille fois entendu cette formule, mais personne n’a jamais été capable de m’expliquer ce qu’elle signifie, ou de me donner un exemple concret. Par ailleurs, je n’ai pas l’impression que les sociétés qui reconnaissent les individus concrets dans la sphère publique soient moins "injustes" ou "inégalitaires" que celles qui ne le font pas… ce serait plutôt tout le contraire.

  11. Koko dit :

    La Crimée est incontestablement russe. Elle a toujours été russe jusqu’en 1954 quand un beau soir où il avait probablement bu trop de vodka comme à son habitude, cet imbécile de Krouchtchev a décidé de donner la Crimée à sa région d’origine.

    Voir les occidentaux s’indigner du référendum en Crimée en dit long sur leur conception de la démocratie, surtout quand nous nous souvenons qu’en 1999 ils ont bombardé la Yougoslavie pour voler la région Kosovo à la Serbie, c’est à dire le berceau de sa civilisation.

    Je profite d’ailleurs de cette occasion pour rendre hommage au président yougoslave Slobodan Milosevic, qui était un socialiste sincère (je pense même qu’il était communiste mais qu’en raison du contexte – chute du communisme en Europe de l’Est – il n’avait d’autre choix que de transformer la ligue communiste de Serbie en parti socialiste), qui a trop souvent été diabolisé et qui a pourtant fait le maximum pour préserver l’intégrité de la Yougoslavie. Mais vu les forces surpuissantes d’en face qui voulaient la faire exploser, son combat était perdu d’avance. Cet homme a été trainé devant le "tribunal" américain TPI, a ridiculisé ses accusateurs durant son procès en les confondant grâce à sa culture et à son intelligence, et a été tué avant la fin de son procès car le seul verdict qui s’imposait était l’acquittement et la condamnation du criminel Clinton (devant une juridiction impartiale, il va sans dire). Je pense que l’Histoire et les historiens rendront justice à Slobodan Milosevic.

    • Descartes dit :

      @Koko

      [La Crimée est incontestablement russe. Elle a toujours été russe jusqu’en 1954 quand un beau soir où il avait probablement bu trop de vodka comme à son habitude, cet imbécile de Krouchtchev a décidé de donner la Crimée à sa région d’origine.]

      Je ne crois pas qu’il faille être aussi sévère. Dans le contexte de l’époque, la décision de rattacher la Crimée à l’Ukraine n’avait qu’un caractère administratif. Un peu comme la décision de rattacher tel ou tel département français à telle ou telle région. Je ne crois pas qu’il faille voir quelque chose de plus politique là derrière.

      [Voir les occidentaux s’indigner du référendum en Crimée en dit long sur leur conception de la démocratie, surtout quand nous nous souvenons qu’en 1999 ils ont bombardé la Yougoslavie pour voler la région Kosovo à la Serbie, c’est à dire le berceau de sa civilisation.]

      Plus qu’une question de « conception de la démocratie », cette affaire montre combien la notion de « doctrine » est aujourd’hui absente dans les relations internationales. Pendant des siècles, les chancelleries avaient comme mission de définir clairement la « doctrine » de leur pays. Ces « doctrines » étaient un ensemble de règles qui permettaient aux autres pays d’anticiper ce que serait la réaction d’un pays donné devant telle ou telle situation diplomatique, et d’éviter donc les faux-pas qui pouvaient résulter d’une mauvaise anticipation. Ainsi, par exemple, lorsque la France s’est doté de la bombe atomique, elle a défini une « doctrine » dite « la dissuasion du faible au fort » qui permettait d’anticiper quelles seraient les situations dans lesquelles la France pourrait faire usage de sa bombe.

      Depuis trente ans, les « doctrines » ont été remplacées progressivement par des arguments ad hoc. Par exemple, on peut défendre aujourd’hui l’intangibilité des frontières pour s’opposer à un partage de l’Ukraine, alors que dans un autre contexte on bombarde la Serbie pour forcer sa partition. A la règle qui consistait à appliquer ses propres doctrines – quitte à les modifier si elles paraissaient obsolètes – on préfère aujourd’hui la logique du « je fais ce que je veux ».

      [Je profite d’ailleurs de cette occasion pour rendre hommage au président yougoslave Slobodan Milosevic, qui était un socialiste sincère (je pense même qu’il était communiste mais qu’en raison du contexte – chute du communisme en Europe de l’Est – il n’avait d’autre choix que de transformer la ligue communiste de Serbie en parti socialiste), qui a trop souvent été diabolisé et qui a pourtant fait le maximum pour préserver l’intégrité de la Yougoslavie.]

      Faudrait tout de même pas exagérer. Je ne sais pas si Milosevic était un « communiste sincère », mais ses expressions en font plutôt un héraut d’idées nationalistes au fondement ethnique qui ne me paraissent pas très compatibles avec une telle idéologie. Je trouve comme vous excessive la diabolisation du personnage, mais de là à en faire un saint…

  12. marc.malesherbes dit :

    hors sujet: JL Mélenchon, le nucléaire, les écologistes

    interview très intéressant de JL Mélenchon par JJ Bourdin
    http://video-streaming.orange.fr/actu-politique/j-l-melenchon-bourdin-direct-bfmtv_13851944.html

    JL Mélenchon déclare clairement (10’54")
    « il faut fermer toutes les centrales ((nucléaires)) du pays… dans 20 ans … »
    Il déclare également (12’20")
    "que les écologistes prennent la tête de l’opposition de gauche, … nous les aiderons "

    Que pensez-vous de fermer toutes les centrales nucléaires dans un délai aussi bref ? Cela ne risque-t-il pas d’avoir de sérieuses conséquences sur notre facture énergétique extérieure ? Faut-il faire table rase d’un de nos points fort concurrentiel ? Les nouvelles recommandations de sécurité pour les centrales sont-elles insatisfaisantes ?

    Quand à la déclaration des Verts comme futur "leader" de la "vraie gauche", n’est-ce pas entériner l’Europe et le "tout marché" ?

    Sur ces deux points, j’ai du mal à faire le lien avec ses autres déclarations très "sociales".

    Si il arrive au pouvoir avec ces alliances, ce qu’il déclare être son but, que va-t-il sacrifier ? L’europe et l’abandon du nucléaire, ou le social ? Ou un peu des deux ?

    • Descartes dit :

      @marc.malesherbes

      [Que pensez-vous de fermer toutes les centrales nucléaires dans un délai aussi bref ? Cela ne risque-t-il pas d’avoir de sérieuses conséquences sur notre facture énergétique extérieure ?]

      Extérieure et intérieure. La question nucléaire est en fait très simple : nos centrales nucléaires sont une poule aux œufs d’or. Elles fabriquent un MWh à 42€, la où le charbon le fait à 50, le gaz entre 60 et 75, l’éolien entre 80 et 110, le solaire entre 150 et 300 (et encore, pour le solaire et l’éolien, il faut compter avec les aléas de la météo). Fermer nos centrales nucléaires en vingt ans est parfaitement possible si les français acceptent de voir doubler leurs factures d’électricité. C’est aussi simple que ça.

      Mélenchon, comme d’habitude, parle de ce qu’il ne connaît pas. Il n’y a pas une seule personne dans son entourage qui ait la moindre connaissance en matière de politique énergétique. Il se contente donc de répéter un mantra appris par cœur, celui de « sortir du nucléaire ». Il n’a pas la moindre idée par quoi le remplacer – il s’était amplement ridiculisé en parlant de la géothermie, souvenez-vous. Ce genre de déclaration montre que Mélenchon et les siens ne sont pas murs pour aller au pouvoir.

      [Les nouvelles recommandations de sécurité pour les centrales sont-elles insatisfaisantes ?]

      Bien sur que non. Toutes les prédictions apocalyptiques n’empêchent pas le parc nucléaire français d’accumuler des heures de fonctionnement sans accident.

      [Quand à la déclaration des Verts comme futur "leader" de la "vraie gauche", n’est-ce pas entériner l’Europe et le "tout marché" ?]

      Mélenchon prépare le changement d’alliance depuis longtemps. Comme son charme semble avoir cessé d’opérer côté communiste, et que le NPA reste toujours perché sur sa tour d’ivoire, il fait la danse du ventre du côté des Verts. Cela manque singulièrement de dignité. Et aussi de flair politique : j’imagine mal le PG conduire une campagne européenne allié aux eurolâtres d’EELV…

      [Si il arrive au pouvoir avec ces alliances, ce qu’il déclare être son but, que va-t-il sacrifier ?]

      C’est un peu comme se demander combien d’anges peuvent tenir debout sur la tête d’une épingle. Mélenchon a autant de chances d’arriver au pouvoir sur cette ligne que moi de danser le rôle principal du lac des cygnes à l’Opéra de Paris.

  13. Trubli dit :

    Bonjour,
    je comprends votre ligne de conduite du respect de l’intégralité territoriale. Cependant il y a 3 cas de figures pour lesquels je ne respecte pas ce principe :
    Le Canada, je souhaite que le Canada francophone, en gros le Québec retrouve sa liberté perdue suite à la conquête anglaise.
    L’Ecosse, je souhaite que l’Ecosse devienne un état souverain, ce qui permettra d’affaiblir un ennemi historique… l’Angleterre !
    La Belgique, qui n’existe que parce que l’Angleterre a tout fait pour contrecarrer l’expansion française vers la mer du Nord. La dislocation de la Belgique permettrait par la suite le rattachement de la Wallonie à la France.

    • Descartes dit :

      @Trubli

      [je comprends votre ligne de conduite du respect de l’intégralité territoriale. Cependant il y a 3 cas de figures pour lesquels je ne respecte pas ce principe :]

      Si vous vous autorisez à faire des exceptions, ce n’est plus un « principe ». Faut savoir ce que l’on veut : si l’on veut défendre un principe général dans les rapports internationaux, et qu’on s’autorise des dérogations quand ça nous arrange, alors cela autorisera d’autres à prendre les mêmes libertés quand ça les arrangera.

  14. v2s dit :

    Vous avez raison de nous mettre en garde contre ceux qui voudraient nous faire croire que le monde se partagerait en bons et en méchants. Votre tentative, (réussie !!), de nous montrer que les choses ne sont pas aussi manichéennes que la presse, ou BHL, veulent bien le dire, ne doit pas vous autoriser à conclure que le mal absolu c’aurait été la chute du communisme.
    J’ai relevé deux passages dans votre texte qui nous montrent que votre idéologie l’emporte parfois sur la réalité objective :

    [Aux premières, (les couches moyennes russes) un capitalisme féodal offrait la possibilité de mettre la main sur une bonne partie des actifs publics de l’époque soviétique et bâtir du jour au lendemain des fortunes.]

    Vous n’avez pas oublié, j’espère, que ces couches moyennes russes pour la Russie, ou ukrainiennes pour l’Ukraine, qui ont fait main basse sur les actifs de l’ex URSS, n’ont pas jailli ex-nillo, comme une génération spontanée de méchants capitalistes, au moment de la chute du communisme ? Le spécialiste que vous êtes du communisme et de sa chute, ne peut pas ignorer que cette classe moyenne, prédatrice pour ne pas dire rapace, est tout entière issue des groupes qui tenaient le pouvoir en URSS, à savoir les membres du parti et leur progéniture. Ces derniers se sont reconvertis au « business » en moins de temps qu’il n’en avait fallu à leurs parents et grands parents pour gravir la hiérarchie du parti. Les plus hauts placés faisant mains basses sur les pans de l’industrie les plus juteux, les autres se partageant le reste, tout le reste, jusqu’à la moindre petite entreprise. Comme quoi, le communisme aussi est soluble dans l’égoïsme et la cupidité.

    [Les régions industrielles sinistrées de Pologne, d’Allemagne de l’Est, de Roumanie rappellent cette triste réalité.]

    Je connais insuffisamment l’Allemagne de l’Est et la Roumanie, mais, par contre, j’ai travaillé plusieurs années, dans une demi-douzaine d’entreprises, dans la Pologne des années 90 et 2000, que je connais bien. Dire, ou laisser entendre, que l’industrie sinistrée Polonaise serait la conséquence de l’arrivée de l’économie libérale est simplement une contre-vérité.
    La Pologne industrielle communiste, comme le reste du bloc de l’Est, pratiquait massivement une politique de « chômage sur le lieu de travail ». Une invention du communisme, qui consiste à employer des gens à ne rien faire, pour maintenir un plein emploi apparent.
    J’ai en mémoire une usine de transformation du papier, (cahiers, agendas) dans la ville de Włocławek, qui employait plus de 400 personnes et qui, une fois réorganisée, n’en employait plus que 150, pour une production équivalente. Et ce, sans nouveaux investissements, uniquement en s’assurant que chacun était correctement occupé. Et cet état de fait ne concernait pas que les industries légères. L’industrie de transformation dans son ensemble, non soumise à concurrence, s’est enfoncée, au fil des décennies communistes, dans l’inefficacité et le sous investissement.
    Depuis, les régions ou les secteurs de l’économie polonaises, qui contribuent aujourd’hui à la croissance du pays ainsi qu’au redressement de la production industrielle et aux exportations, sont les secteurs ou les régions où les investisseurs allemands, français, européens en général ou américains, ainsi que les investissements importants de la diaspora polonaise, rentrée au pays après la disparition du communisme, ont sauvé et redéployé des pans entiers de l’ex-économie communiste sinistrée.

    • Descartes dit :

      @v2s

      [Vous n’avez pas oublié, j’espère, que ces couches moyennes russes pour la Russie, ou ukrainiennes pour l’Ukraine, qui ont fait main basse sur les actifs de l’ex URSS, n’ont pas jailli ex-nillo, comme une génération spontanée de méchants capitalistes, au moment de la chute du communisme ?]

      Bien sur que non. Et je n’ai jamais rien écrit de pareil. Le phénomène de formation d’une classe moyenne en URSS a été parallèle à la formation des classes moyennes occidentales : une fois la phase de la reconstruction des énormes destructions de guerre terminée, l’enrichissement de la société permet à une partie des couches populaires d’accumuler un capital. La grande différence est qu’en URSS, parce que l’accumulation du capital matériel était entravée, c’est le capital immatériel – les diplômes, les réseaux, les connaissances – qui ont porté les classes moyennes. Beaucoup plus que les classes moyennes occidentales, les classes moyennes soviétiques étaient une « intelligentsia ».

      [Le spécialiste que vous êtes du communisme et de sa chute,]

      Spécialiste, spécialiste… c’est vite dit. Je n’ai rien d’un « spécialiste » dans ces domaines, tout au plus je suis un amateur éclairé…

      [ne peut pas ignorer que cette classe moyenne, prédatrice pour ne pas dire rapace, est tout entière issue des groupes qui tenaient le pouvoir en URSS, à savoir les membres du parti et leur progéniture.]

      On peut « l’ignorer » sans danger parce que c’est une description inexacte.
      Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut bien comprendre les phénomènes. D’abord, c’était quoi « être membre du parti » en URSS ? Le Parti est la structure de formation politique par excellence. Si vous souhaitez accéder à des fonctions de direction, vous adhérez au Parti de la même manière qu’aux Etats-Unis vous iriez à une université de la « Yvy League » et en France vous passeriez un concours pour entrer dans une grande école comme Polytechnique ou l’ENA. Le Parti était en 1930 une structure combattante. En 1970, c’est une institution civile, une sorte de « super-corps » d’administration.

      Ensuite, que s’est-il passé lorsque l’Etat s’est effondrée ? Et bien, ce sont les mieux formés, les mieux préparés, et aussi ceux qui avaient les réseaux les plus solides qui se sont emparés des morceaux les plus juteux. C’est ce qu’on observe dans n’importe quelle situation de ce genre. En 1940, ce ne sont pas les prolétaires ou les paysans qui ont récupéré en priorité les biens juifs ou ceux des entreprises tombées en déshérence. Dans la mesure où ceux qui avaient les plus hautes compétences se pressaient pour rentrer au Parti, il n’est pas étonnant que les compétences s’y soient concentrées.

      [Ces derniers se sont reconvertis au « business » en moins de temps qu’il n’en avait fallu à leurs parents et grands parents pour gravir la hiérarchie du parti.]

      Et pourquoi pas ? Qu’auriez-vous fait à leur place ? Il faut bien vivre, vous savez… et dans toute structure, l’immense majorité des gens n’ont qu’une idéologie, celle qui remplit le mieux leur panse. Si demain les communistes prenaient le pouvoir en France et que cette prise paraissait irréversible, combien de temps croyez vous qu’il faudrait à nos capitalistes et nos libéraux les plus vocaux pour aller proposer leurs services en échange de postes et honneurs ? Encore une fois, souvenez-vous de Vichy…

      [Les plus hauts placés faisant mains basses sur les pans de l’industrie les plus juteux, les autres se partageant le reste, tout le reste, jusqu’à la moindre petite entreprise. Comme quoi, le communisme aussi est soluble dans l’égoïsme et la cupidité.]

      Votre commentaire m’étonne. Le marxisme est avant tout un matérialisme. Imaginer que les gens cesseraient tout à coup d’être cupides et égoïstes parce qu’ils auraient lu « Le Capital » relève d’une vision totalement idéaliste. Ce sont les règles – et les juges – qui maintiennent les gens dans le droit chemin, pas les idées. Dès lors que l’institution n’avait plus le pouvoir de maintenir la discipline interne, c’est « chacun pour soi ». Comment aurait-il pu en aller autrement ?

      [Dire, ou laisser entendre, que l’industrie sinistrée Polonaise serait la conséquence de l’arrivée de l’économie libérale est simplement une contre-vérité.]

      Le fait est que la Pologne avait par exemple des chantiers navals florissants, et que depuis la libéralisation ces chantiers ont fermé. Ils ne se sont pas diversifiés, ils ne se sont pas modernisés, ils ont fermé. Et on n’a pas ouvert d’autres. Difficile de ne pas voir le lien de cause à effet.

      [La Pologne industrielle communiste, comme le reste du bloc de l’Est, pratiquait massivement une politique de « chômage sur le lieu de travail ». Une invention du communisme, qui consiste à employer des gens à ne rien faire, pour maintenir un plein emploi apparent.]

      Oui, mais ce n’est nullement une « invention du communisme ». En occident ça s’appelle le « partage du travail », et est défendu depuis des années par la CFDT et par les démocrates-chrétiens. Mais je ne vois pas le rapport avec la discussion. J’aurais pu comprendre que l’économie libérale venue, on réduise les effectifs pour éliminer ces emplois « inutiles » – et mettre leurs titulaires à la charge du contribuable ou de leurs collègues, mais c’est une autre histoire. Mais ce n’est pas ce qui est arrivé en Pologne. Les chantiers navals n’ont pas été « dégraissés », ils ont été fermés.

      [J’ai en mémoire une usine de transformation du papier, (cahiers, agendas) dans la ville de Włocławek, qui employait plus de 400 personnes et qui, une fois réorganisée, n’en employait plus que 150, pour une production équivalente.]

      Je veux bien le croire. Mais dites moi… que sont devenus les 250 travailleurs restants ? Sont ils morts de faim ? Sont ils au chômage ? Et si oui, qui paye leurs allocations ?

      Là encore, il y a un choix à faire. Avec la même production, les mêmes investissements etc. Je peux faire travailler 150 personnes et payer aux autres le chômage, ou je fais travailler 400 et payer à toutes un salaire. Les deux situations sont économiquement équivalentes me direz vous. Mais socialement, elles ne le sont pas.

    • v2s dit :

      Et bien Descartes, sur le sujet des nouveaux riches Russes et Ukrainiens, anciens dignitaires du parti, j’ai bien aimé votre réponse !
      Bien sur, au début, vous annoncez que ma description est inexacte, c’est logique, c’est le contraire qui m’aurait étonné. Mais tout de suite après vous nous expliquez que c’est bien logique, [Et pourquoi pas ? Qu’auriez-vous fait à leur place ? Il faut bien vivre, vous savez… et dans toute structure, l’immense majorité des gens n’ont qu’une idéologie, celle qui remplit le mieux leur panse.]
      Et bien cette petite phrase « l’immense majorité des gens n’ont qu’une idéologie celle qui remplit le mieux leur panse », cette petite phrase vous rend beaucoup « humain » à mes yeux.
      Parce que, si « l’immense majorité » a pour idéologie de se « remplir sa panse », alors, nous ne sommes pas loin d’etre d’accord. Pas besoin du communisme pour cette idéologie là. Il suffit (mais ça n’est pas si simple !), il suffit d’un grand homme d’état, avec un profil de despote éclairé, un De Gaulle ou un Frédéric II, un Lee Kuan Yew, capable surtout de désintéressement personnel et capable tout à la fois de faire taire tous les intérêts partisans, et de casser les reins à toutes les corruptions, à toutes les mafias.
      Je vous parlais un jour d’un système libéral ou l’état ne serait là que pour assurer les gardes fous. Et vous me répondiez « ou voyez vous les gardes fous ? » et malheureusement, vous n’aviez pas tord.
      Mais qu’est-ce donc qu’une « démocratie » libérale, ou populaire, dans laquelle la corruption tient tout, les passes droits s’achètent, les Berlusconi, les Sarkozy ou les Poutines s’appuient sur l’argent qu’ils ont fait gagner à leurs amis pour asseoir leur pouvoir ?

    • Descartes dit :

      @v2s

      [Bien sur, au début, vous annoncez que ma description est inexacte, c’est logique, c’est le contraire qui m’aurait étonné. Mais tout de suite après vous nous expliquez que c’est bien logique,]

      Non. J’ai « annoncé » que votre description est inexacte parce qu’elle l’est. Je vous rappelle l’affirmation à laquelle cette qualification s’appliquait : « cette classe moyenne, prédatrice pour ne pas dire rapace, est tout entière issue des groupes qui tenaient le pouvoir en URSS, à savoir les membres du parti et leur progéniture ». C’est le « toute entière » qui rend votre description fausse. Vous pouvez trouver sans difficulté dans ces « classes moyennes prédatrices » des personnages qui n’ont jamais appartenu au PCUS. Vous trouverez même des émigrés russes réfugiés en Europe occidentale et aux Etats-Unis pendant la période soviétique, et qui sont revenus faire du « bizness » après la chute du mur. Diriez-vous que ces émigrés rentrent dans la catégorie « des groupes qui tenaient le pouvoir en URSS » ?

      [Et bien cette petite phrase « l’immense majorité des gens n’ont qu’une idéologie celle qui remplit le mieux leur panse », cette petite phrase vous rend beaucoup « humain » à mes yeux.]

      Vous saviez bien pourtant, puisque vous lisez couramment ma prose, que j’étais un matérialiste orthodoxe. J’ai donc un peu de mal à comprendre votre surprise.

      [Parce que, si « l’immense majorité » a pour idéologie de se « remplir sa panse », alors, nous ne sommes pas loin d’être d’accord. Pas besoin du communisme pour cette idéologie là. Il suffit (mais ça n’est pas si simple !), il suffit d’un grand homme d’état, avec un profil de despote éclairé, un De Gaulle ou un Frédéric II, un Lee Kuan Yew, capable surtout de désintéressement personnel et capable tout à la fois de faire taire tous les intérêts partisans, et de casser les reins à toutes les corruptions, à toutes les mafias.]

      Pas tout à fait. Il faut l’homme… et il faut les circonstances qui permettent à cet homme de défier avec succès les intérêts particuliers et de casser les reins aux « corruptions ». Les De Gaulle et les Frédéric II, les Napoléon et les Staline ne surgissent pas par hasard. Ils sont le produit de circonstances particulières. Et d’ailleurs, lorsque ces circonstances ont disparu, lorsqu’on fait le bilan de leur action alors que les circonstances de leur action ne sont plus présentes dans la mémoire publique, ce bilan nous paraît ambigu, avec des grandes zones d’ombre autant que de lumière…

      J’ai par contre du mal à vous suivre sur la question de « besoin de communisme ». Le communisme, comme le capitalisme, ne sont pas des idéologies mais des modes de production, des manières d’organiser l’allocation des facteurs de production et de distribuer les produits. Il y a « des » idéologies qui se rattachent au communisme, comme il y a « des » idéologies qui se rattachent au capitalisme.

      [Mais qu’est-ce donc qu’une « démocratie » libérale, ou populaire, dans laquelle la corruption tient tout, les passes droits s’achètent, les Berlusconi, les Sarkozy ou les Poutines s’appuient sur l’argent qu’ils ont fait gagner à leurs amis pour asseoir leur pouvoir ?]

      C’est bien là le problème. Comment faire dans un Etat complexe pour empêcher que se constituent des féodalités claniques ou du moins – parce que l’empêcher est impossible – de les empêcher de trop nuire. Je reste convaincu qu’une fonction publique de carrière, recrutée et promue par concours, ayant un fort « esprit de corps » – seule manière pour les individus de dépasser la finitude de leur propre vie – est l’antidote le plus efficace dans notre culture. Ailleurs, dans les pays aux traditions « communautaires » fortes, c’est la surveillance de la « communauté » qui joue ce rôle préventif. L’erreur serait de plaquer sur une culture ce qui marche dans une autre… en France, la transposition du modèle communautaire – sous le joli nom de « société civile » n’a rien amélioré tout en paralysant le système de décision.

  15. Vin dit :

    Petite synthèse de ce qu’il s’est passé en Crimée autour du référendum : Pourquoi ? Comment ? Quelles conséquences ?

    http://www.blogactualite.org/2014/03/la-crimee-vote-la-russie-et-apres.html

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