Hollande débarque…

« Les peuples qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre », disait Ghandi. Ce que le sage hindou a omis c’est d’indiquer le sort des peuples qui, sous prétexte de maintenir vivante la mémoire, transforment leur histoire suivant les canons hollywoodiens jusqu’à en faire une présentation digne d’un film de Walt Disney. Voilà les réflexions qui m’ont assailli en regardant les reportages des cérémonies du 70ème anniversaire du débarquement anglo-américain sur les plages normandes.

Le débarquement de Normandie fait partie des épisodes de la IIème guerre mondiale les plus mythifiés. Du « jour le plus long » à « il faut sauver le soldat Bryan », Hollywood a prêté sa plume et sa caméra complaisante au mythe, ce même mythe qu’on retrouve dans la bouche de notre président. Celui du « bon » GI sacrifiant sa vie pour « libérer l’Europe », celui d’une bataille titanesque qui aurait « décidé du sort du continent », et ainsi de suite. Nous sommes supposés être éternellement reconnaissants à ces soldats qui sont venus nous libérer. Mais cette image d’Epinal occulte un certain nombre de vérités qu’il faut connaître si l’on veut comprendre la suite. Alors, on va essayer de rétablir ces vérités.

D’abord, sur les chiffres. Il y eut quelque 200.000 soldats, marins et autres personnels engagés dans le débarquement sur les plages normandes. Parmi eux, il y eut quelques 10.000 morts. A titre de comparaison, la bataille de Verdun à son apogée « consommait » 50.000 vies chaque jour, et la bataille de Stalingrad a englouti un demi million de soviétiques, plus du double de l’ensemble des morts américains sur le théâtre européen (180.000). Le débarquement n’est donc, à l’échelle des batailles de la première et de la deuxième guerre mondiale, qu’une bataille mineure. Il faut aussi rappeler que les GI’s qui ont débarqué sur les plages de Normandie n’étaient pas des volontaires engagés pour « libérer l’Europe », mais des conscrits tenus d’aller là où leur gouvernement les envoyait. Il y a donc dans la « reconnaissance » qu’on peut leur témoigner à titre individuel une certaine ambiguïté. Pourquoi devrions nous leur être « reconnaissants » aux soldats qui ont sauté sur nos plages, puisqu’ils n’avaient pas vraiment le choix ? S'il fallait être reconnaissant, c'est surtout envers le gouvernement américain, qui a décidé d’envoyer ses troupes, et non aux soldats qui sont allés là ou on les a envoyés. Cela n’exclut pas les gestes d’héroïsme personnels, gestes qu’on peut d’ailleurs trouver dans toutes les armées. Mais le soldat conscrit n’est pas un militant, il ne choisit pas sa cause et n’a donc aucun mérite personnel lorsqu’il se bat pour la bonne cause, pas plus qu’il n’est coupable lorsqu’il se bat pour la mauvaise.

Faut-il donc être reconnaissant au gouvernement américain pour nous avoir « libérés » ? S’il ne l’avait fait que pour cela, s’il avait sacrifié la vie de ses citoyens pour notre liberté, sans doute. Mais était-ce le cas ? On ne peut que constater que lorsque les américains décident enfin de s’engager en Europe, Hitler est au pouvoir en Allemagne depuis onze ans, les camps de la mort fonctionnent depuis belle lurette et les allemands occupent la France depuis quatre longues années. Et que pendant tout ce temps, les Etats-Unis ont conservé des relations diplomatiques et commerciales avec l’Allemagne – IBM aura des ennuis plus tard pour avoir fourni du matériel de bureau qui sera utilisé pour le fichage des juifs promis à la déportation. Et il a fallu que l’Allemagne prenne l’initiative de déclarer d’elle-même la guerre aux Etats-Unis pour que les américains sortent de leur neutralité. Il ne me semble pas abusif d'en conclure que pour les américains la liberté des européens était un souci assez secondaire…

En fait, les américains n’ont pas sacrifié leurs citoyens pour notre « liberté », mais pour la défense de leurs intérêts géopolitiques. Hitler était resté pour la diplomatie américaine un dirigeant parfaitement acceptable pendant une décennie, tout simplement parce qu’il constituait une barrière efficace contre le communisme, perçu comme le principal ennemi par les couches dirigeantes américaines. Et pas qu'américaines, d'ailleurs: jusqu'à 1939, les classes dirigeantes des puissances européennes s'étaient, elles aussi, fort bien accommodés du pouvoir nazi et refusé tout système de sécurité collective en Europe qui aurait pu s'opposer à l'Allemagne. Hitler n’est qu’un homme de plus parmi la longue série des tyrans sanguinaires que les américains ont soutenu pour la même raison, et qui inclut des noms aussi illustres que Suharto, Trujillo, Somoza, Franco ou Videla. C’est d’ailleurs à Franklin D. Roosevelt qu’on attribue la célèbre formule « Somoza est peut-être un fils de pute, mais c’est notre fils de pute ». Hitler était, lui aussi « notre fils de pute ». Seulement, le 2 février 1943 les troupes allemandes commandées par Von Paulus ont capitulé à Stalingrad. Depuis, les allemands reculent partout sur le front de l’Est. En août1943, à Koursk, la plus grande bataille de chars de l’histoire s’est terminée par une défaite allemande qui marque la fin des rêves de conquête du régime nazi. Début 1944, l’Armée Rouge traverse les anciennes frontières séparant l’URSS de la Pologne et de la Roumanie. Tout le monde sait alors que la guerre est perdue pour l’Allemagne, et qu’il n’est qu’une question de temps avant que les chars soviétiques se trouvent à Berlin. Le risque de voir l’URSS gagner toute seule la guerre et devenir prédominante sur le continent devient une possibilité réelle. Une possibilité que les américains ne peuvent permettre. Il faut débarquer rapidement en Europe non pas pour la « libérer », mais pour empêcher une prédominance soviétique sur le continent.

J'insiste: aussi longtemps que Hitler triomphait à l’Est, les américains lui ont foutu une paix royale. C’est lorsqu’il est devenu faible, lorsqu’il s’est avéré qu’il n’avait plus les moyens d’arrêter les progrès de l’Armée Rouge qu’il est devenu pour les américains un problème. Toute la réécriture de l’histoire de cette période repose sur un oubli volontaire des dates et des faits. Tout le monde répète la vulgate officielle, sans que personne n’ait la curiosité de se demander pourquoi les américains, si épris de liberté, ont attendu l’été 1944 – moins d’un an avant que les soviétiques atteignent Berlin, quelle coïncidence – pour finalement intervenir en Europe. La réalité historique ne correspond donc pas à la vision bisounours qu’on nous vend lors de ces commémorations. Les Etats n'agissent pas par sentiment, mais par intérêt. Il n’y a jamais eu d’Amérique éprise de liberté au point de sacrifier ses enfants sur l’autel de la liberté des autres. Il y a, et il y a toujours eu une Amérique soucieuse de défendre ses intérêts et agissant militairement en conséquence dans la plus stricte conformité avec les principes de la Realpolitik, soutenant les pires régimes et les pires dictateurs lorsque cela lui était avantageux, les renversant lorsqu’ils devenaient inutiles ou dangereux. L’amour de la liberté qui selon ses thuriféraires animait l’Amérique n’a pas suffit pour que celle-ci exige en 1945 le départ de Francisco Franco. Tout simplement, parce que le dictateur espagnol ne présentait guère de danger pour les intérêts américains, au contraire. Mais il fallait battre Hitler parce qu’il devenait dangereux par son alliance avec le Japon et inutile comme antidote au communisme.

Mais aujourd’hui, cette falsification de l’histoire est presque effacé par une falsification encore plus insidieuse, qui est celle conduite par les européistes. Depuis des années, les idéologues de la construction européenne essayent de fabriquer une « histoire d’Europe » consensuelle et donc lavée de tout conflit. Pour ce faire, on procède généralement par élision, les épisodes qui sortent du moule « nous sommes tous des européens » étant impitoyablement effacés. Suivant cette veine, des livres scolaires ont même été produits dont la lecture ne peut que provoquer l’hilarité d’un lecteur moyennement éduqué, tellement ils sont caricaturaux. Or, cette même doctrine semble maintenant appliquée lors des commémorations. Ainsi, nous avons pu voir dans les discours officiels un débarquement anglo-américain… sans ennemi. On a appris que les valeureux soldats anglais et américains s’étaient fait tirer sur les plages comme des lapins par les mitraillettes, qu’ils se sont noyés lorsque leurs bateaux ont heurté des mines… mais on ne sait toujours pas qui posait ces mines, qui tenait ces mitraillettes. Qui cela pouvait bien être ? Mystère…

Un mystère d’autant plus épais que le drapeau Allemand flottait à côté de ceux des peuples dont les combattants ont participé au débarquement. Et que le chancelier d’Allemagne était dans la tribune, parmi les chefs d’Etat et de gouvernement des nations alliées, pour contempler le spectacle et écouter les discours. L’Allemagne était donc du côté des alliés. Mais alors, qui tenait les mitraillettes ? Qui posait les mines ? Qui avait bâti le mur de l’Atlantique ? Qui avait occupé la France, cette France que les soldats du débarquement cherchaient, nous dit-on, à libérer ?

La mythologie européiste est simple : Hitler, tout le monde le sait, n’était pas allemand. C’était un alien venu de la planète Zorg avec son équipage. Ensemble, ils ont réussi grâce à leur technologie extraterrestre à prendre le contrôle des cerveaux des allemands – pour des raisons mystérieuses, cela n’a pas marché sur les autres – et à les pousser à une guerre criminelle et au génocide. Et un jour de mai 1945 Hitler se tire une balle dans la tête et tout à coup les allemands se réveillent du charme et se disent « comment est-ce possible ? Nous n’avons pas pu faire tout cela, ou en tout cas nous n’en sommes pas responsables puisque nous étions comme ensorcelés. Tout ça n’a rien à voir avec l’histoire, la culture, les institutions de l’Allemagne. C’est un pur produit de la planète Zorg ». Et le reste de l’Europe ne peut, bien entendu, que leur pardonner, puisque ce n’est pas leur faute. C’est grâce à ce raisonnement qu’on peut soutenir la contradiction de base qui consiste à nous demander d’un côté de nous souvenir éternellement « de ces jeunes gens qui sont venus d’Amérique nous libérer » tout en exigeant que nous oublions « ces jeunes gens qui sont venus d’Allemagne nous asservir ». On peut se demander comment une mémoire aussi sélective peut servir de base à une véritable compréhension historique.

Les habitants de la planète Zorg s’appellent « les nazis ». Ce sont eux les coupables de tout. Ce sont eux qui ont contrôlée les cerveaux des allemands. Et comme ils ont disparu, on peut sans crainte absoudre l’Allemagne d’aujourd’hui comme si elle n’avait pas de continuité avec l’Allemagne d’hier. Le problème, c’est que cette explication est un peu superficielle. Ce ne sont pas les « nazis » qui ont fait la guerre en Europe entre 1939 et 1945. C’est cette bonne vieille armée allemande, héritière des traditions prussiennes, dont les officiers en grande majorité méprisaient ces « parvenus » qu’étaient les nazis, mais qui ont collaboré avec eux parce que les nazis avaient le bon goût de leur laisser les mains libres. Hitler n’a pas forcé les généraux allemands à attaquer la France, la Pologne ni même l’URSS. Au contraire, il leur a donné l’opportunité de faire ce qu’ils cherchaient à faire depuis des longues années. La défaite de 1945 n’est pas celle des nazis, c’est celle de l’Allemagne, dont le peuple a soutenu le régime jusqu’à la dernière minute et même au delà. Comment comprendre sinon que bien des années après leur défaite les allemands aient conspué des personnalités allemandes connues pour s’être engagées aux côtés des alliés ? Y avait-il des revenants de Zorg lorsque la sublime Marlène Dietrich reçut des crachats pour s’être associée aux « ennemis de l’Allemagne » ?

Angela Merkel n’aurait pas du aller à Ouistreham, tout comme Joachim Gauck n’aurait pas du aller à Oradour il y a quelques mois. Leur présence en ces lieux à titre officiel est une falsification de l’histoire. Merkel assise à côté de Hollande, de Obama, d’Elizabeth II et même de Poutine donne l’illusion que l’Allemagne était du côté des soldats qui ont débarqué. Et bien non. Les allemands – que Merkel représente, car l’histoire ne commence pas en 1949 – étaient de l’autre côté. C’étaient eux qui tiraient sur les soldats auxquels la cérémonie d’Ouistreham prétendait rendre hommage. Franchement, si j’avais un parent mort sur les plages de Normandie, je me sentirais insulté de voir le drapeau allemand traité avec les mêmes honneurs que les autres, et le chancelier d’Allemagne suivre la cérémonie à parité avec les autres chefs d’Etat. Il ne s’agit pas de faire de l’antigermanisme primaire, mais de donner aux symboles toute leur importance. J’ai des amis allemands, que j’accueille avec grand plaisir en France, et il ne me viendrait pas à l’idée de leur reprocher les crimes de leurs ancêtres. Avec eux, nous ne parlons jamais de cette époque, tout simplement parce que nos rapports, notre « vivre ensemble » repose sur l’oubli des offenses passées. Et c’est pourquoi il ne me viendrait pas à l’idée de les inviter à une cérémonie du souvenir. Il y a une grande contradiction a invoquer le « devoir de mémoire » en même temps que le « droit à l’oubli ».

On peut se demander le sens d’une idéologie « européenne » fondée sur un mensonge. Non, l’Allemagne n’était pas du côté les alliés. Ni l’Allemagne officielle, ni l’Allemagne éternelle. Il n’y eut même pas un De Gaule allemand qui se serait réfugié à l’étranger, qui aurait pu revendiquer la représentation de la « vraie » Allemagne pendant la période nazi et sauver ainsi l’honneur. Cela était impossible tout simplement parce que Hitler a été le gouvernement légitime de l’Allemagne, soutenu par une grande majorité des allemands. Un soutien qui ne tenait pas seulement au régime de terreur et de contrôle instauré par les nazis, mais aussi parce que la politique impériale du gouvernement nazi répondait à une demande populaire. La meilleure preuve en est que quinze ans après la fin de la guerre, ceux qui avaient soutenu les alliés étaient encore considérés des traîtres : on se souvient de l’accueil glacial et des agressions dont fut victime Marlène Dietrich lors de son retour en Allemagne en 1960, et qui conduiront l’actrice à ne plus jamais retourner dans son pays natal. En 1966, vingt ans après la guerre, les allemands porteront au pouvoir un ancien haut fonctionnaire nazi, Hans Kiesinger. Dans ces conditions, je ne vois pourquoi l’Allemagne devrait participer officiellement à des commémorations qui ne sont pas les siennes.

Ce qui nous conduit à la troisième falsification de l’histoire dans cette affaire, qui est celle des rapports entre la France – c'est-à-dire le Gouvernement provisoire d’Alger – et le débarquement. Nonobstant l’action de Kieffer et de ses hommes, américains et britanniques ont tenu le gouvernement provisoire en général et De Gaulle en particulier à distance. Tout simplement parce que l’objectif initial n’était pas de « libérer » la France, mais de la soumettre à une nouvelle occupation, américaine cette fois-ci. Les américains ont constitué l’AMGOT (acronyme anglais pour « Allied Military Government of Occupied Territories »), dès 1943, organisme formé par des civils spécialement formés et censés administrer – dans l’intérêt des américains, cela va de soi – l’ensemble des pays « libérés » par les anglo-américains sur le modèle proconsulaire. Ce modèle a été effectivement mis en œuvre en Italie et au Japon est resté la doctrine des américains en la matière jusqu’à nos jours. C’est celle qui a été mise en oeuvre en Irak avec les résultats que tout le monde connaît. Des administrateurs américains seront installés à la place des préfets, des sous-préfets et des maires, des juges américains trancheront les litiges et un proconsul américain contrôlera les instruments de souveraineté et notamment la monnaie. Des « faux francs » (dits « francs drapeau », avec la mention « France » et non « République française ») ont été d’ailleurs imprimés et les troupes qui débarquent en Normandie en ont en poche.

Dans sa lettre à Churchill du 8 mai 1943, Roosevelt résume parfaitement sa vision de la France post-guerre : « Je suis de plus en plus convaincu que nous devons considérer la France comme un pays occupé militairement et gouverné par des généraux britanniques et américains (…). Nous devrions garder 90% des maires nommés par Vichy et une grande partie des fonctionnaires de base dans les municipalités et départements. Mais les postes importants doivent être sous la responsabilité des commandants militaires, américain et britanniques. Cela devrait durer entre six mois et un an (…). Peut-être que De Gaulle pourrait devenir gouverneur de Madagascar ».

Si ce modèle n’a finalement pas été mis en œuvre, ce n'est pas parce que les américains y ont renoncé. C'est le résultat de la guérilla conduite par le « gouvernement provisoire de la République français » constitué à Alger par De Gaulle. Guérilla sur le terrain, avec des « administrateurs » américains qui ont été presque toujours devancés par des commissaires de la République et des maires français issus de la Résistance qui ont pris les commandes, bénéficiant d'une administration patriote, largement infiltrée par la Résistance, qui sortait de quatre années d’occupation étrangère et n’avait pas envie de servir un nouvel occupant. Guérilla dans les médias américains aussi, ou la France Libre comptait d’importants appuis (1). C’est cette affaire qui explique pourquoi De Gaulle a toujours refusé de se rendre sur les plages du Débarquement ou de participer aux cérémonies de commémoration d’une affaire qu’il considérait – à juste titre – comme une tentative américaine d’asservir la France. Voici ce qu’il dit à Alain Peyrefitte le 30 octobre 1963 :

« Le débarquement du 6 juin, ç’a été l’affaire des Anglo-Saxons, d’où la France a été exclue. Ils étaient bien décidés à s’installer en France comme en territoire ennemi ! Comme ils venaient de le faire en Italie et comme ils s’apprêtaient à le faire en Allemagne ! Ils avaient préparé leur AMGOT qui devait gouverner souverainement la France à mesure de l’avance de leurs armées. Ils avaient imprimé leur fausse monnaie, qui aurait eu cours forcé. Ils se seraient conduits en pays conquis. C’est exactement ce qui se serait passé si je n’avais pas imposé, oui imposé, mes commissaires de la République, mes préfets, mes sous-préfets, mes comités de libération ! Et vous voudriez que j’aille commémorer leur débarquement, alors qu’il était le prélude à une seconde occupation du pays ? Non, non, ne comptez pas sur moi ! Je veux bien que les choses se passent gracieusement, mais ma place n’est pas là !

Et puis, ça contribuerait à faire croire que, si nous avons été libérés, nous ne le devons qu’aux Américains. Ça reviendrait à tenir la Résistance pour nulle et non avenue. Notre défaitisme naturel n’a que trop tendance à adopter ces vues. Il ne faut pas y céder !

En revanche, ma place sera au mont Faron le 15 août, puisque les troupes françaises ont été prépondérantes dans le débarquement en Provence, que notre première armée y a été associée dès la première minute, que sa remontée fulgurante par la vallée du Rhône a obligé les Allemands à évacuer tout le midi et tout le Massif central sous la pression de la Résistance. Et je commémorerai la libération de Paris, puis celle de Strasbourg, puisque ce sont des prouesses françaises, puisque les Français de l’intérieur et de l’extérieur s’y sont unis, autour de leur drapeau, de leurs hymnes, de leur patrie ! Mais m’associer à la commémoration d’un jour où on demandait aux Français de s’abandonner à d’autres qu’à eux-mêmes, non !

Les Français sont déjà trop portés à croire qu’ils peuvent dormir tranquille, qu’ils n’ont qu’à s’en remettre à d’autres du soin de défendre leur indépendance ! Il ne faut pas les encourager dans cette confiance naïve, qu’ils paient ensuite par des ruines et par des massacres ! Il faut les encourager à compter sur eux-mêmes !

Allons, allons, Peyrefitte ! Il faut avoir plus de mémoire que ça ! Il faut commémorer la France, et non les Anglo-Saxons ! Je n’ai aucune raison de célébrer ça avec éclat. Dites-le à vos journalistes. »

Il reprend : « Ceux qui ont donné leur vie à leur patrie sur notre terre, les Anglais, les Canadiens, les Américains, les Polonais, Sainteny et Triboulet seront là pour les honorer dignement. »

Voilà comment parlait un homme d’Etat, qui connaissait l’histoire et savait le poids des symboles. Le contraste avec notre « pépère », prêt à faire n’importe quoi pour apparaître sur la photo à côté d’Obama est saisissant…

Descartes

(1) Vous trouverez un excellent article sur la question (en anglais, malheureusement) à cette adresse : http://rall.com/1991/11/05/dubious-liberators-allied-plans-to-occupy-france-1942-1944.

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90 réponses à Hollande débarque…

  1. CVT dit :

    bonjour Descartes,

    merci pour tous ces rappels historiques. Franchement, c’est cette année que je réalise à quel point j’ai pu être manipulé par les médias à propos de ce D-Day (et non "jour J" car, comme disait Mongénéral, c’était une affaire anglo-saxonne). Toutefois, ça fait un bout de temps que je sais que les Anglo-Américains voulaient damner le pion aux Soviétiques dans la course vers Berlin…
    Moi, ce qui m’a frappé, c’est l’absence de cérémonies de commémoration pour les 70 ans de la bataille de Stalingrad, le 2 février 1943: rien à la télé!!! Et pourtant, la victoire de l’Armée Rouge marqua le vrai tournant de la guerre, avec des pertes considérables pour la Wehrmacht en matériel et en hommes qui ont largement pénalisé le régime nazi dans son effort de guerre. Et surtout, les médias oublient de dire que les Soviétiques comptent pour près de la moitié des morts de la Second Guerre mondiale. D’où un sentiment d’ingratitude que peuvent légitimement ressentir les Russes à l’égard des Occidentaux…
    Sinon, j’aurais une question pour vous: savez-vous s’il existe un "livre noir de l’anti-communisme"? Parce qu’avec tout ce que vous avez décrit, et sans même faire référence à des événements contemporains, il devrait y avoir un gros ouvrage sur la question. En fait, j’ai de plus en plus la sensation que, pour l’anti-communisme, le remède est souvent pire que le mal…

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [Moi, ce qui m’a frappé, c’est l’absence de cérémonies de commémoration pour les 70 ans de la bataille de Stalingrad, le 2 février 1943: rien à la télé!!!]

      Etonnant, n’est ce pas ? Vous constaterez aussi que cet épisode historique – pas plus que les autres épisodes du front de l’Est – ne semble avoir beaucoup intéressé les cinéastes et les producteurs « occidentaux ». Mais c’est sans doute une coïncidence…

      [Sinon, j’aurais une question pour vous: savez-vous s’il existe un "livre noir de l’anti-communisme"? Parce qu’avec tout ce que vous avez décrit, et sans même faire référence à des événements contemporains, il devrait y avoir un gros ouvrage sur la question.]

      Il y a certainement de quoi l’écrire. Mais je doute qu’il trouve aujourd’hui son public. Même les communistes – ou prétendus tels – n’ont aujourd’hui guère d’intérêt pour l’histoire.

    • Baruch dit :

      Le 2 février 2013 il y a eu en présence des ambassadeurs de Russie,Biélorussie,Cuba,Tukménie à Paris une petite manifestation de commémoration.
      Des organisations d’anciens résistants, déportés, le PRCF, quelques communistes comme Karman,des gaullistes de gauche,des historiens y ont appelé et ont demandé l’érection d’un monument plus imposant que la petite stèle qui se trouve sur le terre-plein .
      Le Parti Communiste français, n’a pas traversé la Place Stalingrad où cela se tenait, et pourtant le beau siège bâti par Nemeier y est situé…!
      II y avait des drapeaux tricolores, des drapeaux soviétiques, quelque(s) petite(s) centaine(s) de gens, je n’ai pu y aller on m’a raconté.

    • Descartes dit :

      @ Baruch

      [Le Parti Communiste français, n’a pas traversé la Place Stalingrad où cela se tenait, et pourtant le beau siège bâti par Nemeier y est situé…!]

      Le siège du PCF est situé place du Colonel Fabien, et non place Stalingrad. Mais peut-être les finances du Parti ne permettent plus de s’acheter quelques tickets de métro ?

    • Baruch dit :

      Autant pour moi pour l’adresse! (et pour l’orthographe de Niemeyer ).
      Cependant, si on en croit Aristote "les plantes ont des racines, mais les hommes ont des pieds", les gens de Fabien auraient pu faire 400 m à pied sans beaucoup se fatiguer, ni dépenser un ticket de métro ou user d’une voiture de fonction.
      Sur Stalingrad, l’héroïsme, la valeur des soldats soviétique ,lire et relire Grossman "Années de guerre", textes courts de reportage (éd. Autrement).

  2. "La défaite de 1945 n’est pas celle des nazis, c’est celle de l’Allemagne, dont le peuple a soutenu le régime jusqu’à la dernière minute et même au delà. "

    Abstraction faite, naturellement, des exilés politiques, ainsi que de la résistance intérieure allemande.

    • Descartes dit :

      @ Johnathan R. Razorback

      [abstraction faite, naturellement, des exilés politiques, ainsi que de la résistance intérieure allemande.]

      Bien entendu. Curieusement, ni les uns ni les autres n’ont bonne presse en Allemagne…

  3. Gérard Couvert dit :

    Comme dans "les envahisseurs" il semble qu’il y ait eut beaucoup de citoyen de Zorg tapis dans la société Allemande et ce jusqu’à nos jours …
    Sinon on pourrait ajouter que le père du sémillant JFK était un Zorgiste convaincu et malgré tout ambassadeur à Londres, que les États-Unis disposait d’un ambassadeur à Vichy, que Darlan leur convenait fort bien ; mais aussi que les usines Renault furent plus bombardées que celle de Ford.
    Petite anecdote, lorsque j’habitais à Rome l’un de mes plaisirs était d’aller lire les messages déposés sur les statues parlantes (Pasquino et les autres) ; lors des événements d’Irak il y a en avait un qui m’avait séduit : "Ici aussi ils ont venus pour nous libérer, 70 ans après leurs bases sont toujours là". De Gaulle est resté vivant mais Mattéi a été assassiné.

    • Descartes dit :

      @ Gérard Couvert

      Malheureusement, l’histoire de cette époque a été pratiquement oubliée. Qu’enseigne-t-on dans nos écoles de l’histoire américaine des années 1930 et 40 ? Même chose pour la France Libre et pour le régime de Vichy. Souvent, on est dans la caricature manichéenne. D’autant plus qu’au "tous résistants" a succédé l’autoflagellation du "tous collabos".

    • morel dit :

      Vous oubliez Willy Brandt (nom de clandestinité, devenu état-civil) dont la tête à été mise à prix par les nazis et qui ultérieurement sera même chancelier…

    • Descartes dit :

      @ morel

      [Vous oubliez Willy Brandt (nom de clandestinité, devenu état-civil) dont la tête à été mise à prix par les nazis et qui ultérieurement sera même chancelier…]

      Brandt (de son vrai nom Herbert Frahm) milite au début des années 1930 dans un parti d’extrême gauche (le SAP) qui sera interdit par les nazis en 1933. Mais je ne sais pas que « sa tête ait été mise à prix par les nazis », et je ne vois pas très bien pourquoi ils l’auraient fait. Après tout, Brandt quitte l’Allemagne pour s’installer en Norvège en 1933, pays dont il prend la nationalité après avoir été déchu de sa citoyenneté allemande en 1938 pour avoir refusé l’appel sous les drapeaux. Après l’occupation de la Norvège, en Suède où il passera le reste de la guerre. Ses activités antinazies se limitent à ses écrits de journaliste. Si les nazis avaient mis a prix la tête de tous les journalistes antinazis, cela aurait fait un paquet de fric…

  4. Olivier dit :

    Cette leçon d’histoire revisitée est passionnante. Je me suis souvent demandé comment devait dignement procéder l’état français pour ne pas froisser les dirigeants et le peuple allemand lors des commémorations des guerres qui ont opposé nos deux pays. La place de l’ancien ennemi est délicate, d’un coté on veut célébrer un épisode historique heureux (la victoire légitime d’un gagnant héroïque contre un méchant perdant) et de l’autre monter que la page est bien tournée, que les Allemands sont désormais nos alliés.

    Votre remarque est très juste, le "devoir de mémoire" est contradictoire avec le "droit à l’oubli".

    Cette vérité historique que vous nous relatez est primordiale. Ces falsifications sont des supercheries mises en place par des politiciens avec l’appui des médias. Trop peu de journalistes nous informent aussi bien que vous. Je ne sais pas si le but premier est stratégique en voulant conserver et afficher pleinement notre reconnaissance à nos anciens alliés (qui doivent le rester demain). De prime abord, je préfère que les Français aient une opinion positive de l’Allemagne et des États-Unis et j’ai plutôt tendance à penser que cultiver des sentiments belliqueux reste malsain et fait le jeu de l’extrémisme, mais ignorer la réalité géopolitique est encore plus dangereux que de se contenter d’une fable apaisante. Dénoncer ce type d’imposture est un devoir. Je vous remercie d’avoir aussi bien rétabli ces faits historiques un peu plus complexes que l’histoire réductrice qui nous est racontée à la télévision et dans de nombreux journaux.

    • Marcailloux dit :

      @ Olivier
      [ Je vous remercie d’avoir aussi bien rétabli ces faits historiques un peu plus complexes que l’histoire réductrice qui nous est racontée à la télévision et dans de nombreux journaux.]
      Tout de même ……
      Si vous êtes exigeant quant à l’évocation historique de cette période, des chaines comme "Histoire", "Planète", entre autres, vous informe souvent et ce, avec une relative objectivité, sur les événements de ce conflit mondial.

    • Descartes dit :

      @ Olivier

      [Je me suis souvent demandé comment devait dignement procéder l’état français pour ne pas froisser les dirigeants et le peuple allemand lors des commémorations des guerres qui ont opposé nos deux pays.]

      La meilleure manière, c’est de ne pas les y associer. Si le père de mon voisin a tué mon père, cela ne m’empêchera pas d’être son ami. Mais le jour ou je commémore ce deuil, je ne l’inviterai pas à la maison. Et d’ailleurs, pourquoi craindre de les « froisser » ? Je ne me souviens pas que le gouvernement allemand se soit beaucoup soucié de ne pas nous « froisser » en 1940…

      [La place de l’ancien ennemi est délicate, d’un coté on veut célébrer un épisode historique heureux (la victoire légitime d’un gagnant héroïque contre un méchant perdant) et de l’autre monter que la page est bien tournée, que les Allemands sont désormais nos alliés.]

      Si « la page est tournée », alors arrêtons de commémorer Oradour ou le D-day. Quand on « tourne une page », on choisit l’oubli. Le problème est précisément qu’en matière historique, aucune page n’est jamais complètement tournée. Le présent est toujours fils du passé, et cette filiation est impossible à rompre. Si les allemands, hier nos adversaires, sont devenu aujourd’hui nos alliés, on ne peut exclure que par un processus symétrique ils deviennent demain nos adversaires une nouvelle fois. Personnellement, je soutiendrais que c’est déjà le cas, même si la « guerre » entre nous a changé de forme, et est aujourd’hui plus politique et économique que militaire. Clausewitz avait déjà compris que « la guerre est la continuation de la diplomatie par d’autres moyens », en d’autres termes, qu’il y a une continuité entre les différents moyens utilisés par les Etats dans leurs rapports, et que la guerre n’est en fait que l’un d’eux.

      Les commémorations ont cela d’ambigu qu’elles rappellent que l’ami d’aujourd’hui a été l’ennemi d’hier, et que comme rien n’est jamais acquis à l’homme, il pourrait le redevenir demain. C’est pourquoi on vide les commémorations de leur sens en donnant l’illusion qu’il s’agit d’une victoire contre les aliens de la planète Zorg.

      [Je ne sais pas si le but premier est stratégique en voulant conserver et afficher pleinement notre reconnaissance à nos anciens alliés (qui doivent le rester demain).]

      Le but stratégique, c’est d’effacer l’histoire et de la remplacer par une mythologie qui justifie et soutien l’idéologie dominante. Aujourd’hui, cela consiste à nous persuader qu’il existe un camp du « bien » et de la « démocratie » – celui des Etats-Unis, de l’Union Européenne et de leurs alliés – qui s’oppose au camp du « mal » et des « dictatures » – celui de tous ceux qui s’opposent à eux. Et que l’opposition entre ces deux camps est inscrite dans l’essence des choses. D’où le danger de rappeler les faits, puisque ceux-ci montrent une image très différente. Celle de « démocraties » qui ont soutenu et alimenté des « dictatures » lorsque celles-ci étaient affines à leurs intérêts. Celle de « démocraties » faisant la guerre à d’autres « démocraties ». Celle de « dictatures » défendant les libertés alors que des « démocraties » laissaient faire les oppresseurs…

      [De prime abord, je préfère que les Français aient une opinion positive de l’Allemagne et des États-Unis et j’ai plutôt tendance à penser que cultiver des sentiments belliqueux reste malsain et fait le jeu de l’extrémisme, mais ignorer la réalité géopolitique est encore plus dangereux que de se contenter d’une fable apaisante.]

      Je ne vois pas pourquoi vous préférez que les Français aient une opinion « positive » de l’Allemagne ou des Etats-Unis en particulier, et pas de la Russie, la Chine ou l’Iran, par exemple. Si les sentiments belliqueux sont « malsains », pourquoi seraient ils moins « malsains » lorsqu’ils s’expriment contre l’Ethiopie que contre l’Allemagne ?

      Personnellement, je ne crois pas qu’il faille avoir une opinion « positive » – ou négative, d’ailleurs – de tel ou tel pays. Les rapports entre la France, l’Allemagne et les Etats Unis sont des rapports d’Etat à Etat, de puissance à puissance. Ils ne nous feront jamais de cadeaux, et nous ne leur ferons pas non plus. Si on s’entend avec eux, c’est parce que nous pouvons trouver à un moment donné une convergence d’intérêts, et si nos intérêts s’affrontent, alors nous nous affronterons. Cela ne m’empêche pas d’aimer la musique allemande, la peinture italienne, de passer mes vacances en Angleterre et d’avoir de nombreux amis venant de tous les pays du monde. Mais il ne faut pas confondre le personnel et le politique. Les hommes peuvent être amis, pas les Etats.

      [Je vous remercie d’avoir aussi bien rétabli ces faits historiques un peu plus complexes que l’histoire réductrice qui nous est racontée à la télévision et dans de nombreux journaux.]

      Je fais ce que je peux… Je reste persuadé qu’on ne peut faire de la politique sans connaître l’histoire. La première fonction d’un parti politique progressiste est pour moi de donner à ses militants une formation historique. C’est d’ailleurs ce qui manque cruellement aujourd’hui à gauche…

    • morel dit :

      « @ Johnathan R. Razorback

      [abstraction faite, naturellement, des exilés politiques, ainsi que de la résistance intérieure allemande.]

      Bien entendu. Curieusement, ni les uns ni les autres n’ont bonne presse en Allemagne… »

      C’est pourquoi je vous ai avancé Brandt à titre de contre-exemple.

      « Brandt quitte l’Allemagne pour s’installer en Norvège en 1933, »
      Parce qu’il aimait le tourisme ? Et c’est sans doute à ce titre qu’il séjourna sous une fausse identité dans l’Allemagne nazie. Son goût de l’aventure le conduit à être arrêté sous uniforme norvégien lors de l’invasion de ce pays. Toujours le tourisme : fuite vers la Suède. Vous auriez préféré qu’il mourût les armes à la main pour avoir enfin une preuve tangible d’antinazisme ?

    • Descartes dit :

      @ morel

      [« Brandt quitte l’Allemagne pour s’installer en Norvège en 1933, » Parce qu’il aimait le tourisme ? ]

      Pas plus que De Gaulle. Mais on peut difficilement considérer mongénéral comme un « résistant », titre dont je ne me souviens pas qu’il se le soit accordé à lui même. On peut être un exilé, un opposant, sans être pour autant un « résistant ». Même sous fausse identité.

      [Vous auriez préféré qu’il mourût les armes à la main pour avoir enfin une preuve tangible d’antinazisme ?]

      Ici on ne parlait pas de « antinazisme » mais de « résistance ». Les mots ont un sens, et je ne pense pas qu’il soit une bonne idée de les banaliser. Brandt était un opposant au nazisme. Il était un antinazi. Cela est incontestable. Mais un « résistant » ? Je ne le pense pas. Il y a une différence entre ceux qui ont émigré et combattu le régime de l’extérieur, et ceux qui sont restés pour le combattre de l’intérieur. Ni les risques pris, ni les disciplines nécessaires aux deux combats ne sont les mêmes. Je ne fais de reproche à personne, mais je ne pense pas qu’il faille confondre « opposant » et « résistant ». On le fait déjà trop quand certains partis de l’extrême gauche s’auto désignent « résistants » et se prétendent les égaux de Rol-Tanguy et de Moulin.

    • Ifig dit :

      Comme morel te l’indiquait, Brandt a séjourné de Septembre à Décembre 36 en Allemagne nazie sous une fausse identité d’étudiant norvégien. Il était à l’époque militant du SAPD, parti d’extrême gauche comme tu le dis, équivalent du POUM espagnol, ou du PSOP de Marceau Pivert, et membre du secrétariat du regroupement international de ces partis. Au moins sur ce laps de temps, les risques pris par Brandt sont ceux que tu attaches aux résistants.

    • Descartes dit :

      @Ifig

      Brandt aurait donc été "résistant" pendant trois mois. Dont acte.

  5. Marcailloux dit :

    Bonjour Descartes,
    Cet article est un des plus, sinon le plus décapant que j’ai lu de votre part. Cioran, Célines ne le banniraient probablement pas tant il est sans concession avec les faits….que nous connaissons pour l’essentiel, par ailleurs.
    D’où nous vient ce besoin perpétuel et inconscient de dissoudre la vérité dans une espérance lénifiante ?
    Comment, pour la plupart d’entre nous, survivre psychiquement face à la brutalité du réel ?
    Le gris est dans notre nature profonde, pouvons nous y échapper ?

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [D’où nous vient ce besoin perpétuel et inconscient de dissoudre la vérité dans une espérance lénifiante ? Comment, pour la plupart d’entre nous, survivre psychiquement face à la brutalité du réel ? Le gris est dans notre nature profonde, pouvons nous y échapper ?]

      Je crois qu’il y a chez l’homme un mécanisme qui le conduit à fuir la complexité du monde en simplifiant. C’est pourquoi le manichéisme nous est si naturel : le monde est divisé entre les « bons » et les « mauvais ». Nous sommes bien évidemment du côté des « bons », et cela nous donne tous les droits pour agir contre les « mauvais ». Cette idéologie permet d’expliquer le monde tout en remplissant deux fonctions : elle nous valorise, elle nous justifie. Que demander de mieux ?

      Pour celui qui veut faire de la politique, la compréhension de ce mécanisme est essentielle. Car on ne peut faire de la politique contre les gens. Une organisation qui prétend gouverner doit satisfaire les besoins psychiques de ses militants et de ses électeurs. Elle doit donc les valoriser et les justifier. Le manichéisme est donc inséparable au plan symbolique de l’action politique, c’est sa « fiction nécessaire », pour reprendre un concept qui m’est cher. Le risque, c’est qu’on finisse par confondre le plan symbolique et le plan réel. Au plan symbolique, la France ne peut que faire le bien. Au plan réel, il faut savoir que notre histoire est un peu plus complexe que cela. C’est la conjugaison de ces deux plans, la gestion différentié de ce qu’on doit savoir et ce qu’on doit croire, qui fait toute la complexité du politique.

    • morel dit :

      J’ai hésité : serait-il inconvenant d’insister à dire ce que je crois vrai ?
      Abruptement : Brandt s’est rendu clandestinement en Allemagne nazie pour réorganiser son (petit) parti. Il y a dans les faits une différence. Les responsables KPD qui ont fait de même risquaient tout autant leur vie.
      Ce qui ne vaut pas acquiescement à la politique ultérieure prônée par les uns ou les autres mais simple reconnaissance des faits.
      Par ailleurs depuis un certain temps, j’ai l’impression (et cela peut se comprendre à la mesure de l’actuel faillite des élites politiques françaises) que l’on déifie un peu trop De Gaulle. Incontestablement, il fût l’homme de la situation durant la guerre mais il me semble qu’on oublie un peu vite l’émergence d’un puissant mouvement ouvrier au sortir de la même guerre (qui, désolé, dépassait les limites du seul PCF) dont la marque imprime le programme (désormais trop mis à toutes les sauces à mon goût) du CNR et des années d’après-guerre.
      Bon, je continue à « vider mon sac » : les grèves ouvrières de mai et juin 68 que vous considérez trop unilatéralement comme une geste des « classes moyennes » sont là pour témoigner que la politique sociale du gouvernement De Gaulle dès lors que l’on s’éloignait du puissant contrepoids ouvrier revenait à sa nature de classe.

    • Descartes dit :

      @morel

      [J’ai hésité : serait-il inconvenant d’insister à dire ce que je crois vrai ? ]

      Bien sur que non. Par contre, vous vous exposez à ce que les autres insistent, eux aussi, sur ce qu’ils croient vrai…

      [Abruptement : Brandt s’est rendu clandestinement en Allemagne nazie pour réorganiser son (petit) parti. Il y a dans les faits une différence. Les responsables KPD qui ont fait de même risquaient tout autant leur vie.]

      Peut-être. Si j’en crois sa biographie, Brandt s’est rendu une fois clandestinement en Allemagne en septembre 1936, et y reste tris mois. Il retournera ensuite en Norvège puis en Suède et ne reviendra en Allemagne qu’après la fin de la guerre. Pendant son séjour, il ne s’occupera comme vous les dites que de réorganiser son parti, et ne participe à aucune action de contestation ou de sabotage au régime en place. Si « résistance » il y eut, elle aura duré à peine trois mois…

      Quant aux « responsables du KPD », je ne vois pas très bien le rapport.

      [Ce qui ne vaut pas acquiescement à la politique ultérieure prônée par les uns ou les autres mais simple reconnaissance des faits.]

      Justement, revenons aux faits. Que Brandt fut un militant antinazi, qu’il ait combattu les nazis depuis son exil, c’est un fait. Mais cela ne fait pas de lui un « résistant »…

      [Par ailleurs depuis un certain temps, j’ai l’impression (et cela peut se comprendre à la mesure de l’actuel faillite des élites politiques françaises) que l’on déifie un peu trop De Gaulle. Incontestablement, il fût l’homme de la situation durant la guerre mais il me semble qu’on oublie un peu vite l’émergence d’un puissant mouvement ouvrier au sortir de la même guerre (qui, désolé, dépassait les limites du seul PCF) dont la marque imprime le programme (désormais trop mis à toutes les sauces à mon goût) du CNR et des années d’après-guerre.]

      De Gaulle mérite largement cette « déification ». D’abord, il y a la guerre. Il est impossible de surestimer le miracle accompli par un homme, citoyen d’un pays vaincu, réfugié en pays étranger avec un poignée de fidèles et sans la moindre légitimité institutionnelle ou démocratique, et qui réussit en seulement quatre ans à devenir le seul représentant légitime de son pays et à l’imposer à la table des vainqueurs. Lorsqu’on lit aujourd’hui, trois quarts de siècle plus tard, ce que fut l’épopée de la France Libre et à quel point le caractère de De Gaulle fut déterminant, on a du mal à ne pas « déifier » le personnage.

      Mais il y a aussi l’après guerre. Et en particulier le pacte gaullo-communiste qui a permis la mise en œuvre du programme du CNR en 1945-47. Je ne sais pas si le « puissant mouvement ouvrier » dépassait ou non le PCF, mais on peut constater que c’est le PCF – et son relais, la CGT – qui a donné au mouvement ouvrier une représentation politique. Et le fait est que toute la puissance du mouvement ouvrier d’après guerre, toute la puissance du PCF et de la CGT n’ont servi à rien à partir du moment où De Gaulle quitte le pouvoir. Il ne faut que quelques mois pour que la « troisième force » voit le jour et que les principes du CNR soient remisés aux oubliettes pour laisser la place à l’atlantisme dans la politique extérieure et à l’affairisme sur le plan intérieur. Il faut le retour de mongénéral en 1958 pour qu’on renoue avec une politique de souveraineté nationale, de rétablissement de l’autorité de l’Etat contre les affairistes, et de progrès social.

      Alors, on « déifie » De Gaulle ? Oui et non. Bien sur, il n’était pas tout seul, et l’œuvre gaullienne ne serait rien sans le travail de ces ouvriers de l’ombre, grands commis de l’Etat, dirigeants politiques et syndicaux, intellectuels qui, avec ou contre lui, ont apporté leur pierre à l’édifice. Mais ce n’est pas « déifier » De Gaulle de lui reconnaître un rôle irremplaçable de d’impulsion, de référence, de catalyse dans ce processus. Moi, ce qui me gêne, ce n’est pas tant la « déification » de De Gaulle que sa récupération. En d’autres termes, l’appropriation de la figure gaullienne par ceux qui ont toujours rejeté les fondements du projet gaullien et qui ne reprennent la figure que pour mieux la vider de son contenu. Quand on entend les tenants des « transferts de souveraineté » se parer du manteau gaullien…

      [Bon, je continue à « vider mon sac » : les grèves ouvrières de mai et juin 68 que vous considérez trop unilatéralement comme une geste des « classes moyennes » sont là pour témoigner que la politique sociale du gouvernement De Gaulle dès lors que l’on s’éloignait du puissant contrepoids ouvrier revenait à sa nature de classe.]

      J’ai du mal à saisir votre raisonnement. D’abord, je ne me souviens pas d’avoir qualifié les grèves ouvrières de Mai 1968 comme « un geste des classes moyennes ». Ce que j’ai dit, c’est que ce sont les classes moyennes qui ont voulu récupérer les grèves ouvrières à leur profit pour les utiliser dans leur combat contre les institutions. Quand la CGT fait fermer les portes des usines aux « enragés », c’est exactement cette récupération qu’elle veut éviter.

      Par ailleurs, tout au long de la IVème République, les grèves ouvrières ont été réprimées, y compris par la troupe. Et les socialistes n’ont pas été les plus tendres dans ce domaine. Un certain Jules Moch, socialiste de son état, s’est même fait une réputation là dessus. A comparr avec la manière dont les mouvements sociaux de Mai 1968 ont été gérés par le gouvernement « de droite »…

  6. Jibal dit :

    (1) Vous trouverez un (autre) excellent article sur la question (en français, heureusement) à cette adresse :
    http://www.upr.fr/actualite/france/charles-de-gaulle-refusait-de-commemorer-le-debarquement-des-anglo-saxons-le-6-juin-1964
    … 😉

    • morel dit :

      « Brandt s’est rendu une fois clandestinement en Allemagne en septembre 1936, et y reste tris mois. Il retournera ensuite en Norvège puis en Suède et ne reviendra en Allemagne qu’après la fin de la guerre. Pendant son séjour, il ne s’occupera comme vous les dites que de réorganiser son parti, et ne participe à aucune action de contestation ou de sabotage au régime en place. Si « résistance » il y eut, elle aura duré à peine trois mois… »

      Vous êtes terriblement réducteur. Dois-je pousser la polémique en rappelant le nombre non de jours ni même heures ou minutes de résistance de Maurice Thorez ?
      Mais Brandt capturé sous uniforme norvégien (et heureusement non reconnu), quel farceur !

      « Quant aux « responsables du KPD », je ne vois pas très bien le rapport »

      Que de soupçons ! 1/ je n’ai mis aucun des guillemets que vous ajoutez 2/ il y eu aussi pour le KPD des responsables venant de l’extérieur réorganiser leur parti 3/ j’ai parlé du PC Allemand car il me semblait que c’est la seule référence à laquelle vous accordiez quelque crédit dans l’espoir de vous voir reconnaître l’identité de situation….

      Par ailleurs quel que soit les jugements, les faits restent là.

      « les grèves ouvrières de mai et juin 68 que vous considérez trop unilatéralement comme une geste des « classes moyennes » sont là pour témoigner que la politique sociale du gouvernement »

      Ma phrase était en effet trop ramassée : « geste » dans mon esprit se rapportait à « mai, juin 68 » (les « événements » comme dit la presse)
      Je n’évoque nullement ceux-ci sous l’angle de la répression mais souligne que la grève met en pleine lumière le manque d’appétence sociale des gouvernements De Gaulle et je ne crois pas que les salariés qui ont fait cette grève me contrediront.

    • Descartes dit :

      @ morel

      [Vous êtes terriblement réducteur. Dois-je pousser la polémique en rappelant le nombre non de jours ni même heures ou minutes de résistance de Maurice Thorez ?]

      Que vient faire Maurice Thorez dans cette affaire ? Personne n’a jamais dit que Thorez ait été un « résistant ». Pas même la propagande du PCF. Si vous pensiez me faire réagir avec cet exemple, c’est raté. Le terme « résistant » ne s’applique pas à Thorez ou à De Gaulle plus qu’à Brandt. Il y a beaucoup de gens pendant la deuxième guerre mondiale qui se sont réfugiés à l’étranger et qui ont combattu le nazisme et ses dérivés à coup de textes, de mobilisations, de films ou de chansons. C’est très honorable, mais cela ne fait pas d’eux des « résistants ». Il y a beaucoup de manières de combattre une dictature, et la "résistance" n’est que l’une d’entre elles. Ne galvaudons pas le mot en appelant tout le monde "résistant".

      [Mais Brandt capturé sous uniforme norvégien (et heureusement non reconnu), quel farceur !]

      Brandt a été capturé en tant que soldat norvégien combattant pour son pays – il avait pris la nationalité norvégienne – lors de l’occupation de la Norvège. C’était un prisonnier de guerre, et non un prisonnier politique.

      [« Quant aux « responsables du KPD », je ne vois pas très bien le rapport » Que de soupçons ! 1/ je n’ai mis aucun des guillemets que vous ajoutez]

      Aucun « soupçon ». Les guillemets que j’ai mis indiquent que c’est une citation textuelle de vos propos. Si « soupçon » il y a, il est donc chez vous, et pas chez moi…

      [2/ il y eu aussi pour le KPD des responsables venant de l’extérieur réorganiser leur parti]

      Certainement. Et s’ils ont passé trois mois en Allemagne avant le déclenchement de la guerre, cela ne fait pas d’eux des « résistants ».

      [3/ j’ai parlé du PC Allemand car il me semblait que c’est la seule référence à laquelle vous accordiez quelque crédit dans l’espoir de vous voir reconnaître l’identité de situation….]

      Mais justement, il n’y a pas « identité ». Les principaux dirigeants du KPD sont restés en Allemagne pour continuer la lutte contre le nazisme, et ont accepté de courir des risques bien plus importants que ceux qui ont choisi l’exil. Le président du KPD, Thälmann, est arrêté par les nazis, retenu dans diverses prisons puis assassiné au camp de Buchenwald. Lui mérite le nom de « résistant ».

      [Je n’évoque nullement ceux-ci sous l’angle de la répression mais souligne que la grève met en pleine lumière le manque d’appétence sociale des gouvernements De Gaulle et je ne crois pas que les salariés qui ont fait cette grève me contrediront.]

      Avec ce raisonnement, on devrait conclure que les grèves de 1936 « mettent en pleine lumière le manque d’appétence sociale du gouvernement » du Front Populaire… Je ne crois pas qu’il y ait un lien mécanique entre « l’appétence » d’un gouvernement pour les questions sociales et le niveau des grèves. L’Etat, d’une manière générale, est le fléau de la balance qui mesure les rapports de force à l’intérieur de la société. Il n’a pas en lui-même « d’appétence sociale » pas plus qu’il n’a « d’appétence patronale ». En 1968, les travailleurs étaient en position de force, du fait de la pénurie de main d’œuvre et des années de croissance forte. Ils ont réalisé ce rapport de force par le biais de la grève, et ils ont été entendus. En 1981, les sidérurgistes ont fait grève alors qu’il y avait un gouvernement en théorie bien plus « social » que celui de De Gaulle. Ils n’ont rien obtenu, parce que le rapport de forces leur était défavorable.

  7. Bannette dit :

    Passant devant un kiosque avec un Paris Match annonçant en couverture je ne sais combien de pages concernant le D-Day (ça dans le tourbillon commémoratif), j’ai juste eu envie de vomir. Je suis de plus en plus gênée devant ces génuflexions américanistes et l’oubli effarent des millions de morts sur le front est (avec comme corollaire la russophobie délirante des élites et des médias actuels).

    Le plus grave c’est la pernicieuse réification de l’Allemagne, et comme tu le dis la différence nazi / allemand pour parler de la nation à l’époque, qui est très grave. Désolée Jonathan, la "résistance allemande" a été marginale, et n’a pas joué un rôle déterminent dans l’issue de l’horreur de la seconde guerre mondiale. Claus Von Stauffenberg ou Oskar Schindler étaient très très très minoritaires, et encore pour eux (le 1er un militaire considérant à juste titre le Führer prenait des décisions absurdes amenant le pays à la défaite, le 2ème un bon vivant et bon capitaliste plus ou moins poussé par son comptable juif), oublier que c’était des exceptions qui confirmaient la règle (comme le souligne notre hôte, le nazisme n’est pas un accident ni une catastrophe involontaire dans l’histoire du peuple allemand) c’est du révisionnisme.

    Descartes parle de Dietrich : l’accueil très froid et immérité qu’elle reçut à Berlin vient du fait qu’elle était perçue comme traitresse, d’ailleurs elle finit ses jours à Paris. En plus, elle avait osé préférer tourner durant les années de guerre une production française avec Gabin ("Martin Roumagnac") au lieu des honneurs que son pays lui offrait, et à la fin de la guerre "La Scandaleuse de Berlin" de Wilder, où elle joue une icône des cabarets berlinois au passé nazi ce que je trouve courageux de sa part.

    Dans les livres d’histoire, quand on parle de conflits et de nations belligérantes, on parle bien des romains, des anglais, des allemands, etc. Dire "les allemands" pour parler de nos ennemis à l’époque n’a rien d’une généralité abusive. Ce serait dire "les nazis" qui serait faux, car ça sous-entendrait qu’il s’agit d’une minorité qui aurait pris le pouvoir sur un peuple victime.
    Cette perversion du langage (nazi / allemand) sous le prétexte éculé du "pas de généralité, c’est raciste !" me rappelle une autre acrobatie sémantique actuelle : "l’euro-Merkel" chez les gauchistes (on ne veut pas de cet euro là, comme s’il y en avait eu un autre) pour défendre l’euro quand certains adversaires vifs de l’euro en parlent comme du "deutchmark II le retour". Comme si la chancelière avait fabriqué l’euro toute seule dans un coin en 1992 et l’avait imposé à la baïonnette ! Toi-même Descartes tu as eu droit à un "germanophobe !" récent quand tu parles de la guerre économique que nos voisins d’outre Rhin nous mènent en rasant notre appareil industriel, sous la bénédiction de nos élites médiatiques. Nan mais qu’est-ce qu’il ne faut pas lire !

    Quand on argumente contre l’euro, monnaie servant uniquement les intérêts des entreprises allemandes, et qu’on peste contre la fascination de nos élites pour le "modèle" allemand (comme pour le président hollywoodien Obama), on entend la rengaine habituelle du franchouillard autocentré. J’ai déjà eu des échanges vifs avec des camarades gauchistes quand face à cette guerre, je pense qu’un parti prétendant défendre les prolétaires et les classes populaires doit réfléchir à la contre attaque dans cette guerre économique. Ben non, même l’attaque ça fait belliciste tu comprends, et l’ouvrier allemand ? Et la solidarité internationaliste ? Moi : mais l’obsession d’une monnaie forte EST un consensus dans la population allemande, même l’ouvrier allemand la défend bec et ongles, car ils ont une autre culture, une autre histoire (la dévalorisation traumatisante de leur monnaie dans les années 20), une inflation structurelle plus faible, alors vos conneries de subvertir l’euro… Et soudain, me revient en mémoire le pacifisme des années 1930 : ils sont comme eux finalement, faut pas se défendre en retrouvant notre monnaie, faut être "internationaliste" (penser d’abord à l’ouvrier allemand ou roumain ou magrébin, avant de penser à l’ouvrier français), faut voir au-delà de nos frontières étriquées.

    Le rappel sur l’injonction à avoir confiance en soi et en nos capacités de De Gaulle fait du bien. Avec une pincée de Jaurès aussi : "c’est dans les nations indépendantes que l’internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène. Je veux donc, une fois de plus, préciser ma pensée sur ce grand sujet : Je crois que l’existence des patries autonomes est nécessaire à l’humanité. Je crois notamment que la disparition ou la domestication de la France, serve d’une volonté étrangère, serait un désastre pour la race humaine, pour la liberté et pour la justice universelles."
    Ou comment un homme "de droite" et un "de gauche" disent en pensent en gros la même chose…

    Que des cinéastes fassent des films comme "Il faut sauver le soldat Ryan", "La Liste de Schindler" ou "Inglorious Basterds", c’est tout à fait leur droit (même de faire une uchronie), aucun film ne peut prétendre à l’exhaustivité des faits, mais c’est le rôle des élites et de l’éducation nationale d’enseigner l’histoire, qui n’a pas à se confondre avec la narrative ou le storytelling des opérations de com’ du type D-Day.
    Hollande en fayot qui veut à tout prix se faire photographier avec le président hollywoodien, on dirait une groupie qui cherche à se faire un selfie avec un acteur à la mode.

    • Descartes dit :

      @ Banette

      [Désolée Jonathan, la "résistance allemande" a été marginale, et n’a pas joué un rôle déterminent dans l’issue de l’horreur de la seconde guerre mondiale. Claus Von Stauffenberg ou Oskar Schindler étaient très très très minoritaires, et encore pour eux (le 1er un militaire considérant à juste titre le Führer prenait des décisions absurdes amenant le pays à la défaite, le 2ème un bon vivant et bon capitaliste plus ou moins poussé par son comptable juif),]

      Ni Von Stauffenberg ni Schindler ne peuvent être considérés comme des « résistants » au nazisme. Le premier méprisait certainement les nazis, mais ne fit rien contre eux aussi longtemps que le régime nazi a récolté les victoires militaires. Von Stauffenberg rentre dans le complot organisé par un certain nombre de généraux, généraux qui ne reprochent à Hitler qu’une chose, de mener l’Allemagne à la défaite. Le projet des conjurés au cas où Hitler aurait été tué était d’ailleurs d’ouvrir une négociation conduisant à une paix avec les alliés qui aurait permis à l’Allemagne de garder quelques unes de ses conquêtes.

      Quant à Schindler, c’était un affairiste sans scrupules qui a eu une crise morale qui l’a conduit à risquer sa vie pour sauver ses employés juifs. Quelque soit l’héroïsme de son geste, cela ne fait pas de lui un résistant.

      [Descartes parle de Dietrich : l’accueil très froid et immérité qu’elle reçut à Berlin vient du fait qu’elle était perçue comme traîtresse, d’ailleurs elle finit ses jours à Paris.]

      En d’autres termes, que pour l’allemand de 1960, avoir combattu pour la défaite des armées du Reich en 1945 revenait à avoir trahi l’Allemagne. Difficile d’exprimer d’une manière plus significative la continuité entre l’Allemagne des années 1940 et celle de 1960, non ?

      [Et soudain, me revient en mémoire le pacifisme des années 1930 : ils sont comme eux finalement, faut pas se défendre en retrouvant notre monnaie, faut être "internationaliste" (penser d’abord à l’ouvrier allemand ou roumain ou magrébin, avant de penser à l’ouvrier français), faut voir au-delà de nos frontières étriquées.]

      Tout à fait : la « haine de soi » associée à la fascination pour les modèles étrangers et au refus de tout conflit nous ramène furieusement aux années 1930. Le commentaire de De Gaulle sur la nécessité d’empêcher les français de suivre cette pente savonneuse était celui de quelqu’un qui savait de quoi il parlait.

      [Le rappel sur l’injonction à avoir confiance en soi et en nos capacités de De Gaulle fait du bien. Avec une pincée de Jaurès aussi : "c’est dans les nations indépendantes que l’internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène. Je veux donc, une fois de plus, préciser ma pensée sur ce grand sujet : Je crois que l’existence des patries autonomes est nécessaire à l’humanité. Je crois notamment que la disparition ou la domestication de la France, serve d’une volonté étrangère, serait un désastre pour la race humaine, pour la liberté et pour la justice universelles."]

      Merci d’avoir rappelé cette citation. Je doute que beaucoup de ceux qui se réclament aujourd’hui à cor et à cri les héritiers de Jaurès la connaissent…

    • Personnellement, je ne classerai pas les nationalistes concurrents d’Hitler comme « résistants ». J’avais d’autre exemples en tête, comme La Rose blanche ( http://fr.wikipedia.org/wiki/La_rose_blanche ), la désobéissance civile d’un Furtwängler ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Wilhelm_Furtw%C3%A4ngler_et_ses_relations_avec_le_r%C3%A9gime_nazi ) ou dans une moindre mesure d’un Jünger.

    • CVT dit :

      @Bannette,
      [Moi : mais l’obsession d’une monnaie forte EST un consensus dans la population allemande, même l’ouvrier allemand la défend bec et ongles, car ils ont une autre culture, une autre histoire (la dévalorisation traumatisante de leur monnaie dans les années 20), une inflation structurelle plus faible, alors vos conneries de subvertir l’euro… Et soudain, me revient en mémoire le pacifisme des années 1930 : ils sont comme eux finalement, faut pas se défendre en retrouvant notre monnaie, faut être "internationaliste" (penser d’abord à l’ouvrier allemand ou roumain ou magrébin, avant de penser à l’ouvrier français), faut voir au-delà de nos frontières étriquées.]

      il faut tordre le cou à un canard: le spectre de l’hyperinflation que les élites allemandes redoutent n’est pas celui de 1923, mais bien celui de 1948, qui a vu la valeur de reichsmark de l’Allemagne de l’ouest naissante, alors occupée par les Alliés, s’effondrer. Ce qu’on ne dit jamais dans les médias, car ça pourrait donner de très mauvaises idées, c’est que pour rétablir la situation, on avait crée le nouveau mark (ou deutschmark) a des conditions très particulières:
      "La moitié des sommes disponibles sur les comptes épargne est changée immédiatement, 100 Reichsmark donnant 10 deutsche Mark. Le reste est bloqué puis changé en octobre à raison de 3 deutsche Mark pour 100 Reichsmark."
      http://www.lesechos.fr/14/02/2002/LesEchos/18594-163-ECH_le—miracle—du-deutsche-mark.htm

      Ce n’était plus de l’euthanasie des rentiers, comme le signale le blogueur Yann, mais une exécution sommaire! C’est bien cet épisode-là que les médias veulent faire oublier, car il rappelle qu’existe une solution extrême à la dette…
      Sinon, pour en revenir à l’hyperinflation de 1923, je reste persuadé que c’était une façon d’organiser la faillite de l’Allemagne afin d’éviter de payer des réparations de guerre…
      Non, vraiment, je ne supporte plus cette fable du mark fort: cette monnaie a toujours été au service des milieux d’affaires allemands, et son nouvel avatar, l’euro, continue à ruiner la concurrence européenne…

    • Descartes dit :

      @Johnathan R. Razorback

      [J’avais d’autre exemples en tête, comme La Rose blanche, la désobéissance civile d’un Furtwängler ou dans une moindre mesure d’un Jünger.]

      Pour "la rose blanche" on peut effectivement parler de "résistance", même si on peut s’interroger sur la place qu’on donne a ce groupe d’étudiants idéalistes alors qu’on occulte systématiquement l’existence d’une résistance communiste en Allemagne. Mais bon…

      Pour Furtwangler ou Jünger, on ne peut vraiment pas parler de "résistance". Il ne faut pas à mon sens banaliser les mots. La "résistance" suppose une action clandestine réelle, systématique, pour saboter ou obstruer le fonctionnement d’un régime. La simple protestation – comme dans le cas Furtwangler – ou la détestation littéraire privée ne suffisent pas pour faire un "résistant".

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [il faut tordre le cou à un canard: le spectre de l’hyperinflation que les élites allemandes redoutent n’est pas celui de 1923, mais bien celui de 1948,]

      Je pense que ce n’est ni l’un, ni l’autre. Si les hyperinflations laissaient de telles traces, on devrait trouver une peur panique de l’inflation dans d’autres pays qui ont connu le même phénomène. Or, ce n’est pas le cas : il y eut des épisodes hyperinflationnaires dans beaucoup de pays au cours du XXème siècle. L’Argentine, pour n’en citer qu’un, en connut au moins trois en seulement trente ans. Et on ne détecte pas dans ce pays – où l’inflation reste aujourd’hui autour de 30% par an – une pression populaire pour une politique d’inflation nulle…

      En fait, la crainte allemande de l’inflation s’explique sans besoin de chercher des arguments dans la psychologie des masses. Les allemands détestent l’inflation pour des raisons purement économiques. Avec une démographie peu dynamique et un système social fondé sur la capitalisation, l’Allemagne est un pays de rentiers. Et l’inflation, c’est la mort du rentier.

    • morel dit :

      « Ne galvaudons pas le mot en appelant tout le monde "résistant". »

      Veuillez noter que je n’ai pas utilisé ce mot qui ne figure pas dans mes écrits. Après tout, je ne m’érige pas en juge ou arbitre distribuant les épithètes. Mon « désespoir » provient que vous avez du mal à admettre qu’un Allemand, devenu social-démocrate de surcroît puisse avoir combattu y compris au péril de sa vie l’hitlérisme. C’est d’ailleurs l’objet de mon intervention première car vous aviez souligné concernant les oppositionnels allemands à Hitler dans l’après-guerre : « Curieusement, ni les uns ni les autres n’ont bonne presse en Allemagne » d’où un contre-exemple. Faudrait-il s’ériger en comptable tatillon de caisse de retraite des anciens combattants pour compter en jours bonifiés les périodes admises à l’exclusion des autres ( les 3 mois ) et chipoter s’il faut admettre l’invasion de la Norvège par les nazis dans ce compte ? Ce jeune Brandt a-t-il oui ou non combattu les nazis ?

      « il ne s’occupera comme vous les dites que de réorganiser son parti, et ne participe à aucune action de contestation ou de sabotage au régime en place »

      C’est pourquoi j’évoque Maurice Thorez qui, lui, pas un instant ne risquera sa vie. Cela m’ennuie de citer à ce côté Jean Moulin qui sur une échelle beaucoup plus grande et une durée plus longue fît le même « travail ». Honneur à lui.

      Les principaux dirigeants du KPD sont restés en Allemagne pour continuer la lutte contre le nazisme,

      Comme Pieck et Ulbricht, ultérieurs dirigeants de la RDA ?

      Au-delà, j’ai l’impression que pour vous comme pour Mélenchon, l’Allemagne est l’empire du mal. Je ne défends rien hormis la raison : l’Allemagne des Lumières, la philosophie allemande, Marx, Engels…
      Ça n’a jamais existé ?
      A mon sens (et jamais je ne prétends tout savoir, cela serait « trop beau ») le malheur vient du fait que l’unification allemande se fit sous le militarisme prussien. Trop long à développer et peut-être intéressant. Droit du sol Républicain français, droit du sang allemand par exemple (modifié il y a peu). Arrêtons là.
      Les Allemands de 2014 ne sont pas leurs ancêtres. Ce qui n’empêche nullement les différences nationales y compris d’intérêts d’où la nécessité de la souveraineté.
      Mélenchon dresse l’épouvantail Merkel. Soit. Mais quid de nos dirigeants pro- UE ? Et en dernière analyse, le vote de nos concitoyens ?

      « Avec ce raisonnement, on devrait conclure que les grèves de 1936 « mettent en pleine lumière le manque d’appétence sociale du gouvernement » du Front Populaire… »

      Non. Nombre d’historiens ont analysé les grèves de 36 comme une « aide » au gouvernement de Front populaire. Cela participe de la poussée ouvrière.

      « Je ne crois pas qu’il y ait un lien mécanique entre « l’appétence » d’un gouvernement pour les questions sociales et le niveau des grèves »

      Moi non plus. De même que la victoire ou non résulte du rapport de force. Je ne voulais que souligner l’évidence : le gouvernement De Gaulle n’était pas (j’adoucis l’expression) à l’écoute des salariés, d’où la grève quelle que soit son issue.
      J’ajoute que j’ai l’impression que nous ne nous comprenons pas lorsque j’invoque 68 dans les manifestations ouvrières qui font date. J’ai pu mesurer l’acquis à distance d’âge (trop petit).

    • Descartes dit :

      @ morel

      [Veuillez noter que je n’ai pas utilisé ce mot qui ne figure pas dans mes écrits.]

      Non, mais vous avez répondu à un commentaire qui parlait de « la résistance intérieure allemande ». J’ai cru que vous intégriez Brandt dans cette catégorie.

      [Mon « désespoir » provient que vous avez du mal à admettre qu’un Allemand, devenu social-démocrate de surcroît puisse avoir combattu y compris au péril de sa vie l’hitlérisme.]

      Je ne me souviens jamais d’avoir contesté ce point. Au contraire, je crois avoir souligné l’existence d’une résistance intérieure allemande – en grande partie communiste – qui a combattu au péril de sa vie le nazisme. Mais je ne trouve pas juste de confondre ceux qui ont combattu le nazisme « au péril de leur vie » pendant de longues années avec ceux qui ont pris ce risque pendant six mois…

      [C’est d’ailleurs l’objet de mon intervention première car vous aviez souligné concernant les oppositionnels allemands à Hitler dans l’après-guerre : « Curieusement, ni les uns ni les autres n’ont bonne presse en Allemagne » d’où un contre-exemple.]

      Un contre-exemple qui montre ses limites. On peut dire de Brandt qu’il était antinazi, mais on ne peut pas dire qu’il ait combattu le nazisme. Il a passé l’essentiel de la guerre dans un pays neutre, et à ma connaissance il n’a rien fait pour aider la victoire des alliés. Les allemands qui se sont distingués dans cette qualité ont, je le répète, très mauvaise presse en Allemagne.

      [Faudrait-il s’ériger en comptable tatillon de caisse de retraite des anciens combattants pour compter en jours bonifiés les périodes admises à l’exclusion des autres ( les 3 mois ) et chipoter s’il faut admettre l’invasion de la Norvège par les nazis dans ce compte ? Ce jeune Brandt a-t-il oui ou non combattu les nazis ?]

      Trois mois de combat, dix ans de neutralité. Je laisse chacun se faire son opinion.

      [C’est pourquoi j’évoque Maurice Thorez qui, lui, pas un instant ne risquera sa vie.]

      C’est discutable. Si ma mémoire ne me trompe pas, la désertion en temps de guerre est punie de mort. Entre sa désertion fin septembre 1939 et son arrivée à Moscou début novembre il a risqué sa vie. Si vous comptez les trois mois de Brandt, je ne vois pas pourquoi vous refusez la même mansuétude à Thorez…

      [Cela m’ennuie de citer à ce côté Jean Moulin qui sur une échelle beaucoup plus grande et une durée plus longue fît le même « travail ». Honneur à lui.]

      C’est pourquoi Moulin est considéré et honoré comme un résistant, et pas Thorez.

      [« Les principaux dirigeants du KPD sont restés en Allemagne pour continuer la lutte contre le nazisme ». Comme Pieck et Ulbricht, ultérieurs dirigeants de la RDA ?]

      Vous êtes injuste. Ulbricht continue à militer clandestinement en Allemagne de1933 à 1937, et ne se réfugie à Paris puis en URSS qu’en 1938. Pieck restera six mois clandestinement en Allemagne (après l’arrestation de Thälmann) pour ensuite se réfugier à Paris. Mais il y a d’autres dirigeants, moins visibles et donc moins répérables, qui restent en Allemagne et qui feront souvent de longues années de prison. Erich Honecker en est un bon exemple.

      [Au-delà, j’ai l’impression que pour vous comme pour Mélenchon, l’Allemagne est l’empire du mal. Je ne défends rien hormis la raison : l’Allemagne des Lumières, la philosophie allemande, Marx, Engels… Ça n’a jamais existé ?]

      Ne croyez pas que pour moi l’Allemagne soit l’empire du mal. C’est une puissance comme une autre, avec un comportement de puissance. Et une histoire qui n’est pas précisément rassurante. Ce qui m’exaspère, c’est l’angélisme des européistes qui veulent nous convaincre que l’Allemagne est notre « amie », et qui pour cela ont une certaine tendance à réécrire l’histoire. C’est pourquoi je ne trouve pas inutile de rappeler de temps en temps combien le passé de l’Allemagne est compliqué est combien la rupture de l’Allemagne d’aujourd’hui avec celle d’hier est artificielle.

      Par ailleurs, l’Allemagne des Lumières n’existe pas. Il y a une Prusse des lumières, une Rhénanie des Lumières… mais d’Allemagne, point. L’Allemagne n’existe que depuis 1870. Pas plus Marx que Engels ne sont « allemands ». L’un était Rhénan, l’autre citoyen de la Confédération germanique. C’est par abus de langage qu’on en fait des « philosophes allemands ».

      [A mon sens (et jamais je ne prétends tout savoir, cela serait « trop beau ») le malheur vient du fait que l’unification allemande se fit sous le militarisme prussien. Trop long à développer et peut-être intéressant. Droit du sol Républicain français, droit du sang allemand par exemple (modifié il y a peu). Arrêtons là.]

      Il n’y a jamais une seule cause. Le nazisme est le fils naturel du militarisme prussien et du romantisme allemand, avec une touche du provincialisme d’une nation formée d’une myriade de petites principautés paranoïaques. Mais il est vrai qu’il serait trop long de développer ces questions.

      [Les Allemands de 2014 ne sont pas leurs ancêtres.]

      Non, ils sont les descendants de leurs ancêtres. Et contrairement à ce qu’on pense, ils n’ont que très superficiellement rompu avec ce passé.

      [Mélenchon dresse l’épouvantail Merkel.]

      Pas moi. Encore une fois, je n’ai aucune haine pour le peuple allemand, ni pour l’Allemagne. Je l’ai dit mille fois sur ce blog : que Merkel défende les intérêts de l’Allemagne me paraît parfaitement naturel. Comment lui reprocher d’imposer à l’ensemble de l’Union européenne une politique qui fait la richesse de son pays ? Mélenchon en est resté à l’angélisme maastrichien qui supposait que les dirigeants européens allaient sacrifier l’intérêt de leur pays à l’Europe. Moi, je ne suis jamais tombé dans ce piège. Merkel a raison de défendre les intérêts de son pays. Et ce sont nos dirigeants qui ont tort de ne pas défendre les nôtres.

      [J’ajoute que j’ai l’impression que nous ne nous comprenons pas lorsque j’invoque 68 dans les manifestations ouvrières qui font date. J’ai pu mesurer l’acquis à distance d’âge (trop petit).]

      Je m’excuse, mais je n’ai rien compris…

  8. Je suis en désaccord avec un certain nombre d’idées développées dans cet article.

    "Pourquoi devrions nous leur être « reconnaissants » aux soldats qui ont sauté sur nos plages, puisqu’ils n’avaient pas vraiment le choix ?"
    Mais, dans ce cas, pourquoi être reconnaissant à l’égard de nos "Poilus" de 14-18? Il est évident qu’un conscrit combat "là où son gouvernement l’envoie". Mais ce faisant, il accomplit toujours un devoir civique, et pour cela, il ne me paraît pas illogique de lui témoigner une certaine reconnaissance. Certes, les "GI’s" étaient des étrangers, mais ils étaient quand même très officiellement les alliés de la France Libre… et ce malgré les rapports houleux avec De Gaulle. Donc ces soldats américains sont tout de même tombés en combattant l’ennemi commun, qui était en l’occurrence l’ennemi de la France.

    "Hitler était, lui aussi « notre fils de pute »."
    C’est très discutable. D’abord, comparer Hitler avec des dictateurs latino-américains, issus de pays à l’époque faibles et sous-développés, n’a guère de sens. L’Allemagne n’a jamais été une "république bananière", mais une très grande puissance industrielle, politique et militaire, depuis la fin du XIX° siècle. De la même façon, Franco ou Suharto ne sont pas des Somoza. En vertu de la doctrine Monroe, les Etats-Unis ont toujours considéré que les Européens n’avaient pas à s’ingérer dans les affaires du continent américain, mais le corollaire était un relatif isolationnisme des Etats-Unis vis-à-vis de l’Europe. Assez tôt, les Etats-Unis ont considéré l’Amérique latine comme leur chasse gardée, ce que l’Europe n’était pas avant 1945.

    Maintenant, sur l’attitude des Américains vis-à-vis d’Hitler:
    a) On peut faire remarquer que l’expansion japonaise dans le Pacifique, beaucoup plus préjudiciable aux intérêts américains, n’a pas poussé les Etats-Unis à entrer en guerre avant d’être directement agressés à Pearl Harbour en décembre 1941. J’en déduis que la clique militaire japonaise était également acceptable, en dépit de sa politique de plus en plus hostile aux intérêts américains.
    b) Il est faux de dire que les Américains n’ont rien fait avant le 6 juin 1944: ils ont soutenu les Britanniques et commencé à les ravitailler et à leur accorder des prêts avant d’entrer en guerre; ils ont participé de manière décisive à la bataille de l’Atlantique et au débarquement d’Afrique du Nord en 1942, puis à l’invasion de la Sicile et de l’Italie. Attaquer dans un premier temps l’Italie, point faible de l’Axe, n’était pas nécessairement une mauvaise stratégie. Il se trouve que les Allemands sont intervenus énergiquement et ont réussi à bloquer assez efficacement l’offensive alliée. Ajoutons à cela que du matériel américain a été fourni à l’URSS. Comportement étrange pour un pays qui considérait Hitler comme un dirigeant "acceptable", non? Il est vrai cependant qu’il y avait aux Etats-Unis un mouvement de sympathie pour l’Allemagne et même pour le nazisme, notamment parmi les nombreux Américains d’ascendance allemande. Il est vrai également que l’inégalité des races défendue par l’idéologie nazie ne devait guère choquer un pays dans lequel régnait une stricte ségrégation. On peut dire que les Etats-Unis n’avaient pas de haine particulière pour l’Allemagne nazie, de là à accuser le gouvernement américain de "complaisance", il y a un pas.

    L’article use à plusieurs reprises du terme générique "Anglo-saxons", mais n’évoque guère que les Américains. Or il me semble très abusif de mettre tous les Anglo-saxons dans le même sac. Il faut distinguer les Britanniques des Américains. Je ne prétends pas que Churchill n’avait que des qualités, mais il en avait au moins une: une bonne mémoire. Il s’est souvenu des Français tombés à Verdun en 1916, et il s’est aussi souvenu des Français tombés (ou prisonniers) à Dunkerque en 1940 pour permettre aux Britanniques de se rembarquer. Cela a pesé dans la balance. De Gaulle est une personnalité exceptionnelle, mais il faut dire tout de même qu’il a pu, jusqu’à un certain point, compter sur une autre personnalité exceptionnelle, anglo-saxonne celle-là, Churchill, lequel ne partageait pas l’aversion de Roosevelt pour le chef de la France Libre.

    Il est donc faux d’affirmer que "aussi longtemps que Hitler triomphait à l’Est, les américains lui ont foutu une paix royale." Il faut d’ailleurs préciser que la Guerre du Pacifique a été d’abord une priorité pour les Américains, et que ces derniers ne s’en cachaient pas. Du point de vue des intérêts américains, c’était d’ailleurs recevable, sachant de surcroît qu’en Europe les Allemands étaient tenus en échec par les Soviétiques et dans une moindre mesure par les Britanniques, sinon en Europe, du moins en Afrique du Nord. De la même façon, Staline, qui s’était engagé à attaquer le Japon, n’a tenu parole que très tardivement, car logiquement la guerre en Europe de l’est revêtait à ses yeux une importance primordiale. Staline n’a cessé d’ailleurs de réclamer aux Anglo-saxons l’ouverture d’un second front. Même si on peut admettre que les Américains n’étaient pas mécontents de laisser les Soviétiques supporter l’essentiel de l’affrontement avec la machine de guerre allemande, il ne paraît pas fantaisiste de dire que l’attaque de l’Italie en 1943 puis le débarquement du 6 juin 1944 ont quelque peu soulagé les Soviétiques.

    Par conséquent, la version des faits présentée dans cet article me paraît assez éloignée de la réalité. A partir de 1942, une fois la situation stabilisée dans le Pacifique, les Américains ont commencé à tourner leurs forces vers l’Europe, à la demande des Britanniques… et des Soviétiques. J’ajouterai que des opérations de grande ampleur demandent une certaine préparation, ça ne s’improvise pas. Et quand on a des alliés, il faut s’entendre avec eux, cela prend un certain temps: il faut se rencontrer, négocier.

    Je souscris en revanche à ce que vous écrivez sur la soi-disante "disparition" du peuple allemand comme acteur de l’histoire durant la guerre, hypnotisé et manipulé par des nazis extraterrestres. Non seulement les nazis ne sont pas venus de la planète Zorg, mais ils sont bien les héritiers d’une certaine tradition politique allemande. Dans un pays récent (l’Allemagne unifiée date de 1870), fragilisé par la défaite de 1918 (révolutions et troubles de 1919) et la crise économique de 29, le III° Reich, centralisé et autoritaire, doit être considéré pour ce qu’il est: un moment de la construction nationale allemande. En tant que tel, il n’est pas tellement une "anomalie" de l’histoire allemande, mais l’expression extrême et exacerbé d’une tendance latente dans le nationalisme allemand. De la même façon, le fascisme en Italie est également un moment de la construction nationale italienne, dans un pays jeune lui aussi (né en 1861), fragilisé après 1918 malgré la victoire, en proie à des troubles, doté d’un Etat faible et d’un fossé important entre le Nord industriel et le Mezzogiorno pauvre et rural (voir "Le Christ s’est arrêté à Eboli" dans lequel Carlo Levi montre que le fascisme, d’une certaine manière, fait entrer l’idée de nation dans les villages du Sud). Le nazisme et le fascisme ne sont pas des "erreurs de l’histoire": ils sont apparus pour remédier aux problèmes que rencontraient à un moment de leur histoire les nations italienne et allemande. Un peu comme Bonaparte est apparu pour résoudre à sa manière les problèmes et les contradictions engendrés par la Révolution française…

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [« Pourquoi devrions nous leur être « reconnaissants » aux soldats qui ont sauté sur nos plages, puisqu’ils n’avaient pas vraiment le choix ? ». Mais, dans ce cas, pourquoi être reconnaissant à l’égard de nos "Poilus" de 14-18? Il est évident qu’un conscrit combat "là où son gouvernement l’envoie". Mais ce faisant, il accomplit toujours un devoir civique, et pour cela, il ne me paraît pas illogique de lui témoigner une certaine reconnaissance.]

      La question que vous posez est fondamentale. Je n’ai pas d’ailleurs de réponse simple à vous proposer. Je crois qu’il y a chez l’être humain un mécanisme d’empathie qui fait surgir chez nous un sentiment envers ceux qui nous sortent d’un mauvais pas, alors même qu’ils ne font que le boulot pour lequel ils sont payés ou le devoir auquel ils ne peuvent se soustraire. Ce sentiment existe même lorsque celui qui nous rend service ne fait que suivre son propre intérêt. Nous remercions avec effusion le plombier d’urgence qui vient étancher une fuite chez nous le week-end, alors que celui-ci n’a rien à faire de notre détresse et qu’il ne s’est déplacé que parce que l’urgence est facturée le double.

      Si l’on regarde rationnellement, cette « reconnaissance » n’a lieu d’être. Et pourtant elle existe. C’est cette « ambiguïté » que je voulais souligner.

      [Certes, les "GI’s" étaient des étrangers, mais ils étaient quand même très officiellement les alliés de la France Libre… et ce malgré les rapports houleux avec De Gaulle.]

      Non. Lorsque le débarquement a lieu le 6 juin 1944, les Etats-Unis ne reconnaissent pas encore la France Libre. Le gouvernement provisoire constitué par De Gaulle à Alger ne sera reconnu par les américains que le 23 août 1944. On voit mal dans ces conditions comment ils pouvaient être « très officiellement les alliés de la France Libre ».

      [Donc ces soldats américains sont tout de même tombés en combattant l’ennemi commun, qui était en l’occurrence l’ennemi de la France.]

      La question n’est pas celle-là. La question est de savoir quelle est la nature de la « reconnaissance » que je peux avoir pour quelqu’un qui combat mon ennemi parce qu’il n’a pas le choix. Les ressorts de cette « reconnaissance » ne sont pas évidents à comprendre.

      [D’abord, comparer Hitler avec des dictateurs latino-américains, issus de pays à l’époque faibles et sous-développés, n’a guère de sens.]

      Je n’ai pas comparé Hitler avec des dictateurs latino-américains. J’ai comparé les rapports entretenus par les Etats-Unis avec le régime nazi et ceux qu’ils ont pu entretenir avec les dictateurs en question. Vous m’accorderez que la ressemblance est frappante : aussi longtemps qu’ils servent les intérêts géopolitiques des américains, ils sont soutenus, dès qu’ils deviennent gênants, ils sont renversés. Avec une totale indifférence pour les petites questions d’honnêteté, de moralité publique ou de respect des droits de l’homme.

      [Maintenant, sur l’attitude des Américains vis-à-vis d’Hitler:
      a) On peut faire remarquer que l’expansion japonaise dans le Pacifique, beaucoup plus préjudiciable aux intérêts américains, n’a pas poussé les Etats-Unis à entrer en guerre avant d’être directement agressés à Pearl Harbour en décembre 1941. J’en déduis que la clique militaire japonaise était également acceptable, en dépit de sa politique de plus en plus hostile aux intérêts américains.]

      Ce n’est pas tout à fait vrai. L’attaque de Pearl Harbour, qui provoque la déclaration de guerre, n’est que le dernier épisode d’un longue suite de mesures hostiles prises alternativement par le Japon et par les Etats-Unis. Ainsi, par exemple, les américains avaient imposé au Japon le 26 juillet 1941 un embargo sur un certain nombre de produits stratégiques ainsi qu’un gel total des avoirs japonais détenus aux Etats-Unis, et soutenaient activement la Chine dans sa guerre contre le Japon. La différence avec l’Allemagne est flagrante : les Etats Unis n’ont à aucun moment, et jusqu’à la déclaration de guerre, instauré des sanctions contre l’Allemagne. Faut croire que la « clique militariste japonaise » était bien moins acceptable que la « clique nazie ».

      [b) Il est faux de dire que les Américains n’ont rien fait avant le 6 juin 1944:]

      C’est pourquoi je ne l’ai pas dit. Ce que j’ai dit, c’est qu’ils n’ont pas fait grande chose contre l’Allemagne nazi avant la bataille de Stalingrad, ce qui reste factuellement exact. Si les américains débarquent en Afrique du Nord en novembre 1942, cette opération ne les met pas aux prises avec les troupes allemandes. Il faut noter d’ailleurs que le Maghreb n’intéresse guère Hitler.Les seuls – et rares – combats les mettront en face de troupes… françaises fidèles au régime de Vichy.

      [ils ont soutenu les Britanniques et commencé à les ravitailler et à leur accorder des prêts avant d’entrer en guerre;]

      Prêts qui ont été d’ailleurs remboursés. C’était une aide fort intéressée donc. Business is business…

      [Attaquer dans un premier temps l’Italie, point faible de l’Axe, n’était pas nécessairement une mauvaise stratégie.]

      Peut-être. Mais elle n’a été mise en œuvre qu’après la victoire des soviétiques à Stalingrad. Une coïncidence, certainement.

      [Ajoutons à cela que du matériel américain a été fourni à l’URSS. Comportement étrange pour un pays qui considérait Hitler comme un dirigeant "acceptable", non?]

      Par « fourni » il faut entendre « vendu ». Une certaine précision terminologique aide à comprendre le pourquoi de certains comportements qui peuvent sembler « étranges » au premier abord. La position des anglo-américains était d’éviter une défaite trop rapide de l’URSS qui permettrait à Hitler de retourner l’ensemble de ses forces contre l’Angleterre. C’est la base de l’argumentation de Lord Beaverbrook qui convainquit le congrès américain de lever les barrières à l’exportation d’armes.

      [On peut dire que les Etats-Unis n’avaient pas de haine particulière pour l’Allemagne nazie, de là à accuser le gouvernement américain de "complaisance", il y a un pas.]

      « Complaisance » n’est pas le mot. Les Etats-Unis ont agi comme n’importe quel Etat : ils ont défendu leurs intérêts. Aussi longtemps que Hitler était une barrière efficace contre le communisme, ils l’ont soutenu. Lorsqu’il est devenu dangereux pour leur allié britannique, ils ont fait un compromis qui consistait à vendre des armes à ses adversaires tout en continuant leur commerce avec lui. Et lorsqu’il apparut qu’à l’évidence il n’était plus utile car incapable de défaire l’URSS, ils ont pris leurs dispositions pour empêcher les soviétiques de devenir dominants en Europe. C’est donc moins de la « complaisance » que d’une totale indifférence aux questions morales ou éthiques qu’il s’agit.

      [L’article use à plusieurs reprises du terme générique "Anglo-saxons", mais n’évoque guère que les Américains. Or il me semble très abusif de mettre tous les Anglo-saxons dans le même sac.]

      Vous avez raison, je n’ai pas été précis. Il aurait fallu écrire « anglo-américains ».

      [Il faut distinguer les Britanniques des Américains. Je ne prétends pas que Churchill n’avait que des qualités, mais il en avait au moins une: une bonne mémoire. Il s’est souvenu des Français tombés à Verdun en 1916, et il s’est aussi souvenu des Français tombés (ou prisonniers) à Dunkerque en 1940 pour permettre aux Britanniques de se rembarquer. Cela a pesé dans la balance.]

      Je ne le crois pas. Le même Churchill a été d’ailleurs très clair lorsqu’il a dit à De Gaulle « entre la France et les américains, je choisirai toujours les américains ». On peut dire que Churchill connaissait l’Europe mieux que les américains, et était conscient que le projet d’administrer la France comme un pays occupé était non seulement irréaliste, mais risquait de provoquer un rejet populaire et jouait dans la main de la résistance communiste française. Si Churchill a finalement plaidé la cause du GPRA devant les américains, c’est moins par « souvenir » ou par gratitude que par réalisme politique.

      [De Gaulle est une personnalité exceptionnelle, mais il faut dire tout de même qu’il a pu, jusqu’à un certain point, compter sur une autre personnalité exceptionnelle, anglo-saxonne celle-là, Churchill, lequel ne partageait pas l’aversion de Roosevelt pour le chef de la France Libre.]

      Là encore, je ne suis pas convaincu. Churchill avait sur Roosevelt l’avantage de mieux connaître l’histoire européenne et les rapports de force qui en découlaient. Contrairement à Roosevelt, il savait qu’on ne pouvait pas tenir la France pour quantité négligeable.

      [Il est donc faux d’affirmer que "aussi longtemps que Hitler triomphait à l’Est, les américains lui ont foutu une paix royale." Il faut d’ailleurs préciser que la Guerre du Pacifique a été d’abord une priorité pour les Américains, et que ces derniers ne s’en cachaient pas.]

      Quelque en soient les raisons, le fait est que les américains ne sont pas intervenus contre Hitler aussi longtemps que celui-ci a triomphé. Qu’ils aient eu d’autres priorités, c’est probable. Que leur inaction soit explicable, c’est possible. Mais le fait est là.

      [Du point de vue des intérêts américains, c’était d’ailleurs recevable,]

      Tout à fait. Nous sommes d’accord donc que les américains ont agi non pas « pour nous libérer », mais en suivant leurs intérêts ?

      [sachant de surcroît qu’en Europe les Allemands étaient tenus en échec par les Soviétiques]

      Oui, mais à quel prix… de plus, cela n’explique pas pourquoi les américains ne sont pas intervenus en 1939 pour aider la Pologne, en 1940 pour aider la France… à l’époque, Hitler n’était pas vraiment « tenu en échec » par personne.

      [De la même façon, Staline, qui s’était engagé à attaquer le Japon, n’a tenu parole que très tardivement, car logiquement la guerre en Europe de l’est revêtait à ses yeux une importance primordiale.]

      A la conférence de Yalta, Staline s’est engagé à attaquer le Japon trois mois après la fin des hostilités en Europe. L’attaque soviétique commence le 9 août 1945. L’accusation de l’avoir tenu « très tardivement sa parole » est donc superflue.

      [Staline n’a cessé d’ailleurs de réclamer aux Anglo-saxons l’ouverture d’un second front.]

      Oui. A une époque où un « second front » aurait soulagé les troupes soviétiques sur le front de l’Est et évité l’occupation de vastes territoires et l’extermination des populations civiles. A l’époque, les américains n’ont pas bougé. Mais tout à coup, après les batailles de Stalingrad, et de Koursk, alors que l’Armée Rouge sort des frontières de l’URSS, le « second front » devient tout à coup une priorité. Etonnant, n’est ce pas ?

      [Même si on peut admettre que les Américains n’étaient pas mécontents de laisser les Soviétiques supporter l’essentiel de l’affrontement avec la machine de guerre allemande, il ne paraît pas fantaisiste de dire que l’attaque de l’Italie en 1943 puis le débarquement du 6 juin 1944 ont quelque peu soulagé les Soviétiques.]

      Je n’ai pas dit le contraire. Mais même en admettant que c’ait été le résultat, on peut sérieusement douter que tel ait été le but.

      [Par conséquent, la version des faits présentée dans cet article me paraît assez éloignée de la réalité. A partir de 1942, une fois la situation stabilisée dans le Pacifique, les Américains ont commencé à tourner leurs forces vers l’Europe, à la demande des Britanniques… et des Soviétiques.]

      Cela n’explique pas pourquoi ils n’ont pas « tourné leurs forces vers l’Europe » en 1939-41, avant que le Pacifique devienne une priorité. A votre avis, pourquoi les américains se sont résolus à combattre Hitler en 1943, alors que cela leur avait paru superflu en 1939 , en 1940, en 1941 ? Qu’est ce qui à votre avis a provoqué ce changement de perspective ?

      [J’ajouterai que des opérations de grande ampleur demandent une certaine préparation, ça ne s’improvise pas. Et quand on a des alliés, il faut s’entendre avec eux, cela prend un certain temps: il faut se rencontrer, négocier.]

      Tout à fait. Pourquoi ne pas avoir commencé en 1933 ? En 1939 ? En 1940 ? En 1941 ?

      [Le nazisme et le fascisme ne sont pas des "erreurs de l’histoire": ils sont apparus pour remédier aux problèmes que rencontraient à un moment de leur histoire les nations italienne et allemande. Un peu comme Bonaparte est apparu pour résoudre à sa manière les problèmes et les contradictions engendrés par la Révolution française…]

      Tout à fait. Et de la même manière que nous n’avons pas fini avec Bonaparte, les allemands n’ont pas fini avec Hitler.

    • @ Descartes,

      "Si l’on regarde rationnellement, cette « reconnaissance » n’a lieu d’être. Et pourtant elle existe."
      Ce qui me paraît très rationnel, c’est de considérer qu’un citoyen qui risque sa vie pour sa patrie, sans avoir le choix, a besoin d’un peu plus qu’un salaire. Il a besoin d’une certaine reconnaissance. Il ne faut pas négliger les récompenses symboliques, auxquelles nos sociétés ont longtemps tenu, même si c’est moins le cas aujourd’hui (encore qu’aux Etats-Unis, justement…).

      "Lorsque le débarquement a lieu le 6 juin 1944, les Etats-Unis ne reconnaissent pas encore la France Libre."
      Ce qu’ils ne reconnaissent pas encore, c’est le Gouvernement provisoire de la République française. Mais il faut dire que celui-ci vient d’être proclamé le 3 juin… Auparavant le Comité français de libération nationale existait et coopérait avec les Alliés, qui le considéraient comme un interlocuteur légitime.

      "La question est de savoir quelle est la nature de la « reconnaissance » que je peux avoir pour quelqu’un qui combat mon ennemi parce qu’il n’a pas le choix."
      Mais le gouvernement américain, lui, a toujours eu le choix… Or les soldats qui débarquent en juin 44 en Normandie, enrôlés et payés par ledit gouvernement, ne sont-ils pas les représentants du gouvernement américain? Ne sont-ils pas solidaires de l’Etat qui les envoie se battre? Cela s’appelle une nation me semble-t-il.

      "Je n’ai pas comparé Hitler avec des dictateurs latino-américains."
      Vraiment? Je vous cite:
      "C’est d’ailleurs à Franklin D. Roosevelt qu’on attribue la célèbre formule « Somoza est peut-être un fils de pute, mais c’est notre fils de pute ». Hitler était, lui aussi « notre fils de pute »."
      Dans cette formulation, il n’y a certes pas de mot de comparaison, mais Hitler et Somoza sont bien placés sur le même plan, non? L’expression "lui aussi" semble accréditer cette interprétation.

      "aussi longtemps qu’ils servent les intérêts géopolitiques des américains, ils sont soutenus, dès qu’ils deviennent gênants, ils sont renversés."
      En quoi le régime nazi a-t-il servi, de manière claire, les intérêts américains? En combattant l’URSS? Mais Hitler a aussi conclu le "pacte germano-soviétique" avec Staline, permettant à celui-ci de mettre la main sur les états baltes et une partie de la Pologne. On n’a pas vu les Etats-Unis s’émouvoir… En 1940, la Finlande est en guerre contre l’URSS: pourquoi les Américains n’ont-ils pas apporté un soutien décisif à ce pays?

      "L’attaque de Pearl Harbour, qui provoque la déclaration de guerre, n’est que le dernier épisode d’un longue suite de mesures hostiles prises alternativement par le Japon et par les Etats-Unis."
      Oui, c’est une "montée des tensions". Mais aucune des mesures prises par le Japon n’a été considérée comme un casus belli avant Pearl Harbour. Le gouvernement américain souhaitait peut-être la guerre, mais il ne l’a pas déclenchée. Je me demande même si le gouvernement américain avait une stratégie et des buts de guerre très clairs. On a l’impression d’une certaine hésitation, et d’une certaine réticence à se mêler directement au conflit.

      "les Etats Unis n’ont à aucun moment, et jusqu’à la déclaration de guerre, instauré des sanctions contre l’Allemagne"
      Si l’Allemagne n’avait pas pris de mesures semblables, pourquoi l’auraient-ils fait? "Jusqu’à la déclaration de guerre", les Etats-Unis sont en paix avec l’Allemagne, et donc neutres dans le conflit qui ravage l’Europe. De même que Staline commerce avec Hitler avec lequel il est en paix jusqu’au déclenchement de l’opération Barbarossa à l’été 1941. Et au vu de la brillante prestation des armées soviétiques en 1941, la préparation des Soviétiques (car Staline se préparait paraît-il, il avait commencé à installer des usines dans l’Oural) laissait manifestement à désirer. Quand on y réfléchit, l’attitude de l’URSS et celle des Etats-Unis ont bien des points communs: tant qu’Hitler ne nous nuit pas, pourquoi le combattre? Par ailleurs, un commentaire évoque un hommage à rendre aux soldats tombés à Stalingrad. Mais le soldat russe de Stalingrad avait-il davantage le choix que le GI’s de Ouistreham?

      "C’est pourquoi je ne l’ai pas dit."
      Je vous cite:
      "les américains, si épris de liberté, ont attendu l’été 1944 – moins d’un an avant que les soviétiques atteignent Berlin, quelle coïncidence – pour finalement intervenir en Europe."
      La Sicile et l’Italie ne sont pas en Europe?

      "Prêts qui ont été d’ailleurs remboursés"
      Bien sûr. Mais pourquoi prêter à un ennemi de l’Allemagne, si la victoire d’Hitler ne gênait pas les Américains?

      "Aussi longtemps que Hitler était une barrière efficace contre le communisme, ils l’ont soutenu."
      Comment l’ont-ils soutenu? Vous avez évoqué IBM, mais c’est une entreprise américaine privée. Qu’est-ce que le gouvernement américain a fait concrètement pour le III° Reich?

      "Et lorsqu’il apparut qu’à l’évidence il n’était plus utile car incapable de défaire l’URSS"
      Quelle preuve avez-vous que les Etats-Unis ont "parié" sur la défaite de l’URSS? Et, à nouveau, comment les Américains ont-ils concrètement soutenu la "croisade contre le bolchevisme"?

      "Nous sommes d’accord donc que les américains ont agi non pas « pour nous libérer », mais en suivant leurs intérêts ?"
      Je n’ai jamais contesté ce point, relisez mon commentaire. Ce que j’ai contesté, c’est l’affirmation selon laquelle les Américains ont attendu 1944 pour intervenir en Europe. Les Américains ne nous ont pas "libérés", pas plus que les Soviétiques n’ont "libéré" les Roumains, les Hongrois ou les Bulgares… Et si Joukov était arrivé à Paris, il ne nous aurait pas plus "libéré" qu’Eisenhower.

      "de plus, cela n’explique pas pourquoi les américains ne sont pas intervenus en 1939 pour aider la Pologne, en 1940 pour aider la France… à l’époque, Hitler n’était pas vraiment « tenu en échec » par personne."
      Je crois qu’il ne faut pas sous-estimer l’isolationnisme latent de la population américaine. La politique européenne de Wilson en 1917-1919 n’avait pas soulevé l’enthousiasme outre-Atlantique. Roosevelt se méfiait sans doute de l’opinion. Sa correspondance avec Churchill laisse entrevoir une certaine sympathie pour le Royaume-Uni avant décembre 1941.

      "A l’époque, les américains n’ont pas bougé."
      A l’époque? Quelle époque? Les Etats-Unis entrent en guerre en décembre 1941. Il a fallu sécuriser les routes maritimes transatlantiques. Je suis désolé, mais vous négligez la durée et l’impact de la Bataille de l’Atlantique. Les Anglo-américains ont eu du fil à retordre avec les sous-marins allemands. Jusqu’au milieu de l’année 1943, les ravages des U-Boot sont considérables. Il n’est pas irréaliste de penser que les Américains ont mis un certain temps avant de pouvoir acheminer dans de bonnes conditions hommes et matériel en quantité suffisante. On a l’impression à vous lire d’une Amérique toute-puissante qui, entrée en guerre en décembre 1941, aurait pu sans la moindre difficulté débarquer en France en février 1942 et faire capituler l’Allemagne le 8 mai de la même année. Je pense que les Américains et les Anglais ont d’abord mené de durs combats maritimes pour mettre hors-jeu les sous-marins allemands, et cela n’a pas été une partie de plaisir…

      "on peut sérieusement douter que tel ait été le but."
      Qui est "on"? Hormis la "coïncidence" des dates, quels autres éléments "on" peut-il verser au dossier? Avez-vous des rapports, correspondances, conversations qui permettent d’affirmer que les Etats-Unis ont clairement cherché à faire battre l’URSS par les Allemands?

      Mais je me mets aussi à la place des Américains: soutenir l’URSS de Staline n’a pas dû être une décision facile pour le gouvernement de ce pays.

      "Cela n’explique pas pourquoi ils n’ont pas « tourné leurs forces vers l’Europe » en 1939-41, avant que le Pacifique devienne une priorité."
      Mais… Les Américains n’entrent en guerre qu’en 1941. Que seraient-ils venus faire en Europe en 1939? Depuis la Grande Guerre, les Etats-Unis étaient revenus à une politique plus isolationniste. Pourquoi vouloir voir à tout prix dans cette neutralité une preuve d’hostilité à l’URSS et de soutien tacite à l’Allemagne hitlérienne? C’est cela que je ne comprends pas. Est-il si impensable d’imaginer que les Etats-Unis n’avaient pas très envie de se mêler des affaires européennes?

      "Qu’est ce qui à votre avis a provoqué ce changement de perspective ?"
      L’agression japonaise et l’alliance entre le III° Reich et l’Empire du Japon. Encore une fois, pourquoi vouloir à tout prix chercher une autre raison, secrète et inavouable?

      "Pourquoi ne pas avoir commencé en 1933 ? En 1939 ? En 1940 ? En 1941 ?"
      En 1933? Hitler vient tout juste de devenir chancelier. Nul ne savait ce qu’il allait vraiment faire. Mais j’ai une question: pourquoi diable les Américains n’ont-ils pas envahi l’Allemagne en 1920, lors de la fondation du NSDAP par Drexler? C’eût été plus simple… Mais peut-être avaient-ils déjà "parié" sur l’Allemagne nazie contre l’URSS…
      En 1939, les Américains ont fait le choix de la neutralité, les Soviétiques de l’alliance allemande. Je suppose que chacun a agi en fonction de ses intérêts. Où est le problème?
      En 1940, après la défaite française (qui, après tout, a peut-être surpris le gouvernement américain, à moins que la CIA ait organisé la victoire d’Hitler, conformément aux intérêts américains?), Roosevelt déclare qu’il aidera le Royaume-Uni dans le cadre de la neutralité. Encore une fois, il est tout à fait possible que les Etats-Unis n’aient pris conscience qu’à ce moment-là de la réelle dangerosité d’Hitler (l’Axe est créé peu après, en septembre 1940). Et encore, cela n’a pas suffi à les pousser à entrer en guerre. Vue d’Amérique, l’Europe est loin… Ce n’est pas parce qu’on perçoit une menace qu’on est systématiquement tenté de la neutraliser dans les 24h. Il faudrait connaître précisément les débats qui ont agité les cercles dirigeants des Etats-Unis sur la politique étrangère à mener entre 1939 et 1941.

    • Guilhem dit :

      @ Descartes: Je suis d’accord avec nationalistejacobin en particulier sur la motivation américaine pour le débarquement en Normandie. Pour vous elle n’est que politique. Mais il y a un aspect militaire indéniable.
      Les américains débarquent d’abord au Maghreb lors de l’opération Torch. Effectivement comme vous l’avez indiqué: " Si les américains débarquent en Afrique du Nord en novembre 1942, cette opération ne les met pas aux prises avec les troupes allemandes. Il faut noter d’ailleurs que le Maghreb n’intéresse guère Hitler.Les seuls – et rares – combats les mettront en face de troupes… françaises fidèles au régime de Vichy. "
      C’est vrai, dans un premier temps. Très vite les Américains novices vont s’opposer aux troupes aguerries de l’Afrikakorps de Rommel dans la campagne de Tunisie et le premier affrontement entre Américains et Allemand à Kasserine se solde par une défaite des Américains. Par la suite les alliés réussiront à reprendre tout le Maghreb et feront 250 000 prisonniers allemands qu’Hitler avait refusé d’évacuer (et les soldants de l’Afrikakorps ont même été renforcés avec des troupes basées en Sicile) en leur ordonnant de se battre jusqu’au bout (curieux pour quelqu’un qui se s’intéresse pas au Maghreb).
      Puis il y a la campagne d’Italie et de Sicile pour renverser Mussolini. Ces deux opérations étaient militairement justifiées et devaient précéder tout débarquement en Normandie qui nécessitait une longue préparation (matérielle et humaine) et surtout qui ne pouvait se faire sans appui aérien. Or, en 43 les Allemands disposent encore d’une grande flotte aérienne dont la puissance de feu aurait grandement compromis les chances du débarquement en Normandie. En juin 44, la Luftwaffe n’existe plus et les alliés ont la maîtrise du ciel.
      Si on ne tient compte que de l’aspect politique, "contrer la progression soviétique en Europe", un débarquement dans les Balkans aurait été beaucoup plus profitable. C’est d’ailleurs dans cette vision que Churchill propose en 43 une telle opération à Roosevelt afin de ne pas laisser les pays balkaniques sous la coupe de Staline. Roosevelt refuse afin de se focaliser sur l’opération Overlord. Les motivations militaires priment donc sur les motivations politiques d’après-guerre. L’Histoire montrera que Churchill avait raison.

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [« Si l’on regarde rationnellement, cette « reconnaissance » n’a lieu d’être. Et pourtant elle existe ». Ce qui me paraît très rationnel, c’est de considérer qu’un citoyen qui risque sa vie pour sa patrie, sans avoir le choix, a besoin d’un peu plus qu’un salaire. Il a besoin d’une certaine reconnaissance. Il ne faut pas négliger les récompenses symboliques, auxquelles nos sociétés ont longtemps tenu, même si c’est moins le cas aujourd’hui (encore qu’aux Etats-Unis, justement…).]

      Admettons. Mais ce raisonnement s’applique autant au GI débarquant sur les plages de Normandie qu’au policier exerçant ses fonctions dans les quartiers nord de Marseille. Pourquoi faudrait il être plus « reconnaissant » – à titre individuel, s’entend – à l’un qu’à l’autre ?

      Il faut savoir ce qu’on « reconnaît » la dedans. Le policier tué alors qu’il cherchait à faire appliquer la loi mérite-t-il la « reconnaissance » si la loi qu’il applique est injuste ? Le « poilu » de 1914 mérite-t-il plus la « reconnaissance » des français que le soldat qui a combattu en Indochine ou en Algérie ? Si le soldat ne choisit pas sa cause, alors quel est le fondement de la « reconnaissance » ? Je pense qu’il faut revenir aux fondamentaux. La « reconnaissance » de la société envers certains métiers « dangereux » est une forme de compensation symbolique pour un « don de soi ». L’individu accepte de mettre ce qu’il a de plus précieux, sa vie, dans les mains de la collectivité en acceptant une subordination hiérarchique qui permet à l’autorité légitime de le soumettre au danger. En échange, la collectivité non seulement le rémunère, mais lui accorde des compensations exorbitantes du droit commun : la protection de la famille, les honneurs, une position symbolique.

      Et cela indépendamment de toute considération éthique ou morale : le soldat est « reconnu » par la Nation non pas parce qu’il défendait une bonne cause, mais parce qu’il a fait « don de soi » à la collectivité nationale. Ainsi, l’état Allemand d’aujourd’hui paye – et cela me paraît juste – les pensions des soldats qui ont servi le IIIème Reich, parce que c’est leur don de soi, et non la cause qu’ils ont servi, qui les rend créanciers. Les GI américains méritent la reconnaissance des citoyens américains au même titre. Mais en tant que français, je n’ai aucune raison de leur être reconnaissant. Ils n’ont pas fait « don de soi » à la République française, mais aux Etats-Unis d’Amérique. Ils sont morts non pas en obéissant aux ordres du gouvernement français, mais à celles du gouvernement américain.

      En tant que citoyen français, je pourrais à la rigueur être reconnaissant au peuple américain d’avoir envoyé ses soldats nous libérer – si tel était le cas. Mais je n’ai aucune raison d’être « reconnaissant » aux GI’s individuellement.

      [« Lorsque le débarquement a lieu le 6 juin 1944, les Etats-Unis ne reconnaissent pas encore la France Libre ». Ce qu’ils ne reconnaissent pas encore, c’est le Gouvernement provisoire de la République française. Mais il faut dire que celui-ci vient d’être proclamé le 3 juin… Auparavant le Comité français de libération nationale existait et coopérait avec les Alliés, qui le considéraient comme un interlocuteur légitime.]

      Cela ne suffit pas pour dire que « les américains étaient très officiellement les alliés de la France Libre ». Le CFLN n’a jamais été reconnu comme « interlocuteur légitime » au sens de seul représentant de la France – les américains ont jusqu’au bout eu plusieurs fers au feu – et aucune « alliance officielle » n’avait été conclue. Par ailleurs, si le CFLN devient GPRA, c’est bien dans l’intention d’empêcher les américains de chercher à constituer un gouvernement français autour de quelques personnalités modérées comme Edouard Herriot.

      [« La question est de savoir quelle est la nature de la « reconnaissance » que je peux avoir pour quelqu’un qui combat mon ennemi parce qu’il n’a pas le choix ». Mais le gouvernement américain, lui, a toujours eu le choix… Or les soldats qui débarquent en juin 44 en Normandie, enrôlés et payés par ledit gouvernement, ne sont-ils pas les représentants du gouvernement américain? Ne sont-ils pas solidaires de l’Etat qui les envoie se battre? Cela s’appelle une nation me semble-t-il.]

      C’est bien ce que je dis. La « reconnaissance » peut se discuter en ce qui concerne la nation américaine ou son gouvernement. Mais pas pour les soldats pris individuellement.

      ["C’est d’ailleurs à Franklin D. Roosevelt qu’on attribue la célèbre formule « Somoza est peut-être un fils de pute, mais c’est notre fils de pute ». Hitler était, lui aussi « notre fils de pute »." Dans cette formulation, il n’y a certes pas de mot de comparaison, mais Hitler et Somoza sont bien placés sur le même plan, non?]

      Non. Les rapports qu’entretiennent les Etats-Unis avec Somoza et ceux qu’ils entretiennent avec Hitler sont mis sur le même plan. Je vous le répète : ce sont ces rapports que je compare, et non les personnages.

      [« aussi longtemps qu’ils servent les intérêts géopolitiques des américains, ils sont soutenus, dès qu’ils deviennent gênants, ils sont renversés ». En quoi le régime nazi a-t-il servi, de manière claire, les intérêts américains? En combattant l’URSS?]

      Pas seulement. D’abord, en faisant partie du « cordon sanitaire » anticommuniste. La destruction du parti communiste allemand, l’un des plus puissants d’Europe, était pour les américains un motif suffisant.

      [Mais Hitler a aussi conclu le "pacte germano-soviétique" avec Staline, permettant à celui-ci de mettre la main sur les états baltes et une partie de la Pologne. On n’a pas vu les Etats-Unis s’émouvoir…]

      Vous faites erreur. Le pacte germano-soviétique fut regardé avec préoccupation à Washington. En 1940, la diplomatie américaine assure britanniques et français de son soutien pour une intervention militaire contre les soviétiques dans le conflit qui les oppose à la Finlande.

      [En 1940, la Finlande est en guerre contre l’URSS: pourquoi les Américains n’ont-ils pas apporté un soutien décisif à ce pays?]

      Parce qu’ils comptaient sur les puissances européennes pour le faire. Ce qui d’ailleurs a failli arriver… Mais au delà, parce que les Etats-Unis se remettaient à peine de la grande dépression, et que l’électorat américain n’était pas dans un phase où il pouvait admettre un engagement coûteux à l’étranger. C’est l’apogée du courant isolationniste américain.

      [« les Etats Unis n’ont à aucun moment, et jusqu’à la déclaration de guerre, instauré des sanctions contre l’Allemagne » Si l’Allemagne n’avait pas pris de mesures semblables, pourquoi l’auraient-ils fait?]

      « Semblables » à quoi ? Les américains imposent des sanctions en réponse à l’invasion par le Japon de ses voisins, et notamment de la Chine. Hitler a pris des « mesures semblables », et je n’ai pas l’impression qu’il ait fait l’objet de sanctions…

      [« Jusqu’à la déclaration de guerre », les Etats-Unis sont en paix avec l’Allemagne, et donc neutres dans le conflit qui ravage l’Europe. De même que Staline commerce avec Hitler avec lequel il est en paix jusqu’au déclenchement de l’opération Barbarossa à l’été 1941.]

      Le parallèle est absurde. Le pacte germano-soviétique a une histoire. Et cette histoire est celle d’un refus systématique par les puissances européennes de toutes les propositions soviétiques tendant à la constitution d’accords de sécurité collective. L’histoire du traité d’assistance franco-soviétique, signé par la France en 1935 puis systématiquement vidé de tout contenu en est la parfaite illustration. En 1938, l’URSS propose son aide militaire pour aider la Tchécoslovaquie à résister à Hitler. Alors que Bénes l’accepte, les puissances occidentales soutiennent alors le veto polonais (l’URSS n’avait pas à l’époque de frontière commune avec la Tchécoslovaquie, ses troupes auraient du traverser le territoire polonais). On peut donc comprendre que Staline ait préféré gagner du temps en cherchant l’accord avec la seule puissance prête à un accord.

      Les Etats-Unis, eux, n’ont jamais proposé de participer à une structure de sécurité collective. Ils n’ont jamais proposé d’agir contre Hitler, ni en 1936, ni en 1938. C’est bien le droit. Mais cela écorne singulièrement le discours des nobles américains venant libérer le continent européen par amour de la liberté.

      [Quand on y réfléchit, l’attitude de l’URSS et celle des Etats-Unis ont bien des points communs: tant qu’Hitler ne nous nuit pas, pourquoi le combattre?]

      Bien entendu. C’est l’attitude de n’importe quel Etat : sa politique extérieure est fondée sur ses intérêts. Nous sommes donc d’accord que lorsque les Etats-Unis débarquent en Normandie, lorsqu’ils combattent Hitler, ce n’est pas par amour de la liberté mais parce que leurs intérêts sont en jeu. CQFD.

      [Je vous cite: "les américains, si épris de liberté, ont attendu l’été 1944 – moins d’un an avant que les soviétiques atteignent Berlin, quelle coïncidence – pour finalement intervenir en Europe." La Sicile et l’Italie ne sont pas en Europe?]

      Vous avez raison. J’aurais du écrire « intervenir contre l’Allemagne ».

      [« Prêts qui ont été d’ailleurs remboursés ». Bien sûr. Mais pourquoi prêter à un ennemi de l’Allemagne, si la victoire d’Hitler ne gênait pas les Américains?]

      Qui a dit que « la victoire de Hitler ne gênait pas les Américains » ? Les américains avaient intérêt à ce que Hitler l’emporte contre l’URSS. Mais pas trop vite. Une victoire trop rapide libérerait d’énormes quantités de troupes et de matériel pour attaquer l’allié historique des américains, la Grande Bretagne. Une guerre longue d’usure d’où Staline serait sorti vaincu et Hitler très affaibli, voilà la solution idéale.

      [« Aussi longtemps que Hitler était une barrière efficace contre le communisme, ils l’ont soutenu ». Comment l’ont-ils soutenu? Vous avez évoqué IBM, mais c’est une entreprise américaine privée. Qu’est-ce que le gouvernement américain a fait concrètement pour le III° Reich?]

      Ne vous faites pas plus bête que vous ne l’êtes. Quand le gouvernement américain veut empêcher une « entreprise privée » de vendre ses produits dans un pays pour des raisons stratégiques, ils ne se sont jamais gênés pour le faire. Le IIIème Reich a bénéficié, du moins jusqu’à ce qu’il déclare la guerre aux Etats-Unis, de matières premières, de produits manufacturés et de crédits d’institutions financières américaines.

      [« Et lorsqu’il apparut qu’à l’évidence il n’était plus utile car incapable de défaire l’URSS »
      Quelle preuve avez-vous que les Etats-Unis ont "parié" sur la défaite de l’URSS?]

      Je ne comprends pas la question. Je ne crois pas avoir dit que les Etats-Unis aient « parié » sur une défaite de l’URSS. Qu’ils l’aient souhaité, c’est incontestable à la lecture des mémoires des principaux acteurs. Qu’ils y aient cru ressort par exemple assez clairement des papiers de la mission Beaverbrook-Harriman.

      [Et, à nouveau, comment les Américains ont-ils concrètement soutenu la "croisade contre le bolchevisme"?]

      En laissant faire. Leur stratégie fut de laisser soviétiques et allemands se combattre, et de garder leur puissance intacte pour ensuite imposer leur volonté à celui des deux qui sortirait vainqueur mais très affaibli.

      [« de plus, cela n’explique pas pourquoi les américains ne sont pas intervenus en 1939 pour aider la Pologne, en 1940 pour aider la France… à l’époque, Hitler n’était pas vraiment « tenu en échec » par personne ». Je crois qu’il ne faut pas sous-estimer l’isolationnisme latent de la population américaine.]

      Certainement, mais il ne faut pas le sur-estimer non plus. Dans les deux guerres mondiales, les américains ont pratiqué la même stratégie : laisser les belligérants s’affaiblir mutuellement, puis intervenir avec leur puissance intacte pour imposer leur influence à un coût minimum. Grâce à cette stratégie, les Etats-Unis sont sortis, avec un sacrifice en hommes et en matériel minimum, les grands vainqueurs des deux guerres. Curieusement, l’isolationnisme, qui était le grand prétexte pour ne pas intervenir au début, est tombé comme par enchantement lorsque les intérêts américains l’ont exigé. Curieux, non ?

      En 1939, les industriels et financiers américains n’avaient rien à gagner à intervenir. En 1944, si. C’est pourquoi en 1939 les médias ont bourré le crâne en expliquant que les Etats-Unis n’avaient rien à faire dans les affaires européennes, et en 1943 ils ont bourré le crâne avec la position inverse.

      [« A l’époque, les américains n’ont pas bougé. » A l’époque? Quelle époque? Les Etats-Unis entrent en guerre en décembre 1941. Il a fallu sécuriser les routes maritimes transatlantiques. Je suis désolé, mais vous négligez la durée et l’impact de la Bataille de l’Atlantique. Les Anglo-américains ont eu du fil à retordre avec les sous-marins allemands. Jusqu’au milieu de l’année 1943, les ravages des U-Boot sont considérables. Il n’est pas irréaliste de penser que les Américains ont mis un certain temps avant de pouvoir acheminer dans de bonnes conditions hommes et matériel en quantité suffisante. On a l’impression à vous lire d’une Amérique toute-puissante qui, entrée en guerre en décembre 1941, aurait pu sans la moindre difficulté débarquer en France en février 1942 et faire capituler l’Allemagne le 8 mai de la même année.]

      Pas « sans difficulté ». Mais pendant que les américains attendaient de « pouvoir acheminer dans de bonnes conditions » hommes et matériels, les soviétiques étaient obligés de les acheminer dans de très mauvaises conditions et avec d’énormes pertes. Oui, il est certain que si les américains avaient monté un débarquement en 1943, ils auraient perdu beaucoup plus d’hommes. Et les soviétiques en auraient perdu moins. Les américains ont préféré l’inverse. C’est ce choix que je voulais mettre en lumière…

      [« on peut sérieusement douter que tel ait été le but ». Qui est "on"? Hormis la "coïncidence" des dates, quels autres éléments "on" peut-il verser au dossier? Avez-vous des rapports, correspondances, conversations qui permettent d’affirmer que les Etats-Unis ont clairement cherché à faire battre l’URSS par les Allemands?]

      Je ne comprends pas la question. Le point ici était de savoir si le débarquement en Sicile et la campagne d’Italie avaient ou non pour but de soulager le front de l’Est. Le doute sur cette question est légitime, et si vous soutenez que le but était effectivement celui-là, c’est à vous de verser des éléments au dossier, et non l’inverse.

      [Mais je me mets aussi à la place des Américains: soutenir l’URSS de Staline n’a pas dû être une décision facile pour le gouvernement de ce pays.]

      Et pourquoi ça ? Je n’ai pas l’impression que soutenir l’Espagne de Franco, l’Indonésie de Suharto, le Vietnam du Sud de Van Thieu, l’Argentine de Videla, le Chili de Pinochet et j’en passe leur ait posé beaucoup de difficultés. Pourquoi l’URSS de Staline aurait du leur causer du souci, dès lors que c’était leur intérêt ?

      [« Cela n’explique pas pourquoi ils n’ont pas « tourné leurs forces vers l’Europe » en 1939-41, avant que le Pacifique devienne une priorité ». Mais… Les Américains n’entrent en guerre qu’en 1941. Que seraient-ils venus faire en Europe en 1939?]

      J’ignorais que les américains avaient besoin d’une invitation pour participer à une guerre. En 1939, l’Allemagne attaque la Pologne, en 1940 la France. Qu’est ce qui empêchait les Etats-Unis d’intervenir militairement pour soutenir ces deux pays ?

      [Depuis la Grande Guerre, les Etats-Unis étaient revenus à une politique plus isolationniste. Pourquoi vouloir voir à tout prix dans cette neutralité une preuve d’hostilité à l’URSS et de soutien tacite à l’Allemagne hitlérienne?]

      Parce que, curieusement, ce retour à « isolationnisme » ne les a pas empêché d’intervenir en Europe après Stalingrad. Alors, je m’interroge sur les raisons pour lesquelles les américains ont choisi l’isolationnisme en 1939-40 et l’interventionnisme en 1943-44.

      [C’est cela que je ne comprends pas. Est-il si impensable d’imaginer que les Etats-Unis n’avaient pas très envie de se mêler des affaires européennes?]

      Non, bien sur. Mais alors, il faut expliquer pourquoi cette envie leur est revenue après Stalingrad.

      [« Pourquoi ne pas avoir commencé en 1933 ? En 1939 ? En 1940 ? En 1941 ?» En 1933? Hitler vient tout juste de devenir chancelier. Nul ne savait ce qu’il allait vraiment faire.]

      Sauf ceux qui avaient lu Mein Kampf. Pour une fois qu’on est tombé sur un politicien qui fait ce qu’il promet dans ses écrits… 😉 Mais vous avez raison : ce n’est pas 1933 que j’aurais du écrire, mais 1936, avec le réarmement de la Rhénanie.

      [En 1939, les Américains ont fait le choix de la neutralité, les Soviétiques de l’alliance allemande. Je suppose que chacun a agi en fonction de ses intérêts. Où est le problème?]

      Aucun. Dès lors que vous admettez que les américains ont agi en fonction de leurs intérêts, il n’y en a aucun. Cela implique qu’en 1944, ils ont aussi agi en fonction de leurs intérêts. Que le débarquement en Normandie n’avait pas pour but de libérer la France, mais de faire avancer les intérêts des Etats-Unis. Dont acte.

      [En 1940, après la défaite française (qui, après tout, a peut-être surpris le gouvernement américain, à moins que la CIA ait organisé la victoire d’Hitler, conformément aux intérêts américains?),]

      Elle aurait eu du mal. La CIA n’a été créée qu’en 1947. Mais le pacifisme français a été copieusement encouragé par les américains, tout comme le refus d’intervenir en faveur de la République espagnole… je vous laisse juge du poids que cela aurait pu avoir dans la défaite française de 1940.

      [(…) Roosevelt déclare qu’il aidera le Royaume-Uni dans le cadre de la neutralité. Encore une fois, il est tout à fait possible que les Etats-Unis n’aient pris conscience qu’à ce moment-là de la réelle dangerosité d’Hitler (l’Axe est créé peu après, en septembre 1940).]

      Dangerosité pour qui ? Quel « danger » représente Hitler en 1940 pour les intérêts américains ? J’aurais au contraire tendance à dire que laisser faire Hitler, pour les américains, c’était tout bénéf : en dehors même de la croisade contre le communisme, le seul fait d’avoir affaibli les deux grandes empires qu’étaient la France et la Grande Bretagne ouvrait aux Etats-Unis la perspective de devenir la puissance dominante du monde occidental.

      [Et encore, cela n’a pas suffi à les pousser à entrer en guerre. Vue d’Amérique, l’Europe est loin…]

      C’est fou ce qu’elle s’est rapprochée après Stalingrad.

    • @ Descartes,

      "L’individu accepte de mettre ce qu’il a de plus précieux, sa vie, dans les mains de la collectivité en acceptant une subordination hiérarchique qui permet à l’autorité légitime de le soumettre au danger. En échange, la collectivité non seulement le rémunère, mais lui accorde des compensations exorbitantes du droit commun : la protection de la famille, les honneurs, une position symbolique"
      C’est à peu près ce que je voulais dire…

      "Mais en tant que français, je n’ai aucune raison de leur être reconnaissant. Ils n’ont pas fait « don de soi » à la République française, mais aux Etats-Unis d’Amérique."
      C’est vrai. Mais l’ambiguïté vient du fait que les soldats américains ont permis indirectement le retour de la République en France… même si ce fut contre l’avis du gouvernement américain.

      "et aucune « alliance officielle » n’avait été conclue"
      C’est exact. Il n’empêche que des soldats français se sont battus aux côtés des Américains et des Anglais en Italie. Il y a dans ce cas deux possibilités: a) soit ces Français étaient de vulgaires mercenaires enrôlés par les Anglo-saxons; b) soit il faut les considérer comme coopérant militairement avec les Anglo-américains au nom de la France… ce qui crée une alliance de fait. Toutefois, conclure une alliance de circonstance ne signifie pas nécessairement avoir les mêmes intérêts ni les mêmes objectifs. De Gaulle peut bien raconter ce qu’il veut: à son corps défendant peut-être, il a eu besoin des Anglo-américains…

      "La « reconnaissance » peut se discuter en ce qui concerne la nation américaine ou son gouvernement. Mais pas pour les soldats pris individuellement."
      Je suis d’accord.

      "Je vous le répète : ce sont ces rapports que je compare, et non les personnages."
      Eh bien ce n’est pas l’idée que vous suggérez par votre formulation.

      "Le parallèle est absurde"
      C’est sûr. Dès lors qu’on touche à la sacro-sainte URSS… Chacun son veau d’or n’est-ce pas?

      "Le pacte germano-soviétique a une histoire."
      Oui. Et je ne conteste nullement cette histoire que tu rappelles.

      "On peut donc comprendre que Staline ait préféré gagner du temps"
      Qui peut jurer que Staline cherchait réellement "à gagner du temps"? Et si Hitler n’avait pas attaqué l’URSS en 1941, est-il certain que Staline aurait fini par attaquer l’Allemagne? Je crois que Staline se serait fort bien accommodé de sa part de Pologne et d’une paix durable avec le III° Reich.
      Cela étant, je comprends tout à fait Staline. Au vu des circonstances, il a pris la meilleure décision pour son pays. On se demandera simplement pourquoi entre 1939 et 1941, ses préparatifs n’ont pas permis à ses armées de mieux résister à la Wehrmacht. A moins que Staline ait espéré échapper à la guerre…

      "Mais cela écorne singulièrement le discours des nobles américains venant libérer le continent européen par amour de la liberté"
      Je ne crois pas à ce discours, et ce n’est pas le point central de mon intervention. En revanche, je pense que la France se serait très difficilement libérée toute seule, et que le sacrifice des soldats américains (pour les intérêts de leur pays et non pour le nôtre, nous sommes d’accord) a été bien utile à De Gaulle. Si l’Armée rouge avait libéré la France, je ne suis pas sûr que De Gaulle aurait pu revenir.

      "Nous sommes donc d’accord que lorsque les Etats-Unis débarquent en Normandie, lorsqu’ils combattent Hitler, ce n’est pas par amour de la liberté mais parce que leurs intérêts sont en jeu. CQFD"
      Oui, nous sommes d’accord, et je n’ai pas contesté ce point. Mais je dis qu’en servant leurs intérêts, ils ont indirectement (et en partie contre leur gré) servit les intérêts de De Gaulle.

      "Ne vous faites pas plus bête que vous ne l’êtes."
      Dans cet échange, je ne prétends pas être le génie. Bien qu’historien de formation, la Seconde Guerre Mondiale n’est pas ma période de prédilection, loin s’en faut. J’interviens ici comme "honnête homme", du moins j’essaie. Mais ne vous faites pas plus méprisant que vous ne l’êtes.

      "Quand le gouvernement américain veut empêcher une « entreprise privée » de vendre ses produits dans un pays pour des raisons stratégiques, ils ne se sont jamais gênés pour le faire"
      Mêmes les entreprises américaines contournent parfois les embargos…

      "Leur stratégie fut de laisser soviétiques et allemands se combattre, et de garder leur puissance intacte pour ensuite imposer leur volonté à celui des deux qui sortirait vainqueur mais très affaibli"
      Cela m’ennuie de le dire, mais c’est une excellente stratégie. Les Etats-Unis ont fait ce qu’il fallait de leur point de vue.

      "Les américains ont préféré l’inverse. C’est ce choix que je voulais mettre en lumière…"
      C’est un choix fort sensé. Mais cela ne fait pas des Soviétiques des "pauvres victimes". S’ils avaient été à la place des Américains, ils auraient sans doute fait de même…

      "et si vous soutenez que le but était effectivement celui-là, c’est à vous de verser des éléments au dossier, et non l’inverse."
      Tout coup porté à l’Axe en Europe aidait de fait les Soviétiques. Les Allemands ont dû prendre en charge la défense de l’Italie à un moment où leur situation était déjà difficile. Admettons que ce n’était pas le but des Américains, mais que ces derniers souhaitaient damer le pion aux Soviétiques: pourquoi ne pas avoir mis toutes leurs forces dans la balance en Italie? Pourquoi ne pas avoir débarqué en Normandie dès 1943, alors que les Soviétiques venaient de gagner Stalingrad et que l’Allemagne était déjà en difficulté? Pourquoi avoir attendu que les Soviétiques avancent autant pour s’alarmer enfin de leurs progrès? Pourquoi avoir refusé une offensive dans les Balkans (que les Britanniques avaient proposé d’ailleurs)?

      "Et pourquoi ça ?"
      Il paraît qu’il y a une constante dans la politique étrangère américaine: un anticommunisme viscéral. Je suis surpris que vous l’ignoriez. Aucun des dictateurs que vous citez n’était communiste. Une coïncidence sans doute… Les Américains n’avaient sans doute aucun problème avec le fait que Staline fût un dictateur sanguinaire, mais le problème, c’est qu’il était un Rouge.

      "J’ignorais que les américains avaient besoin d’une invitation pour participer à une guerre"
      Eh bien vous vous trompez. Les Américains adorent être les agressés pour jouer le rôle confortable du pays neutre et pacifique, outragé et jeté contre son gré dans une guerre qu’il n’a pas voulu. De ce point de vue là, Pearl Harbour a été une "invitation" fort efficace.

      "Qu’est ce qui empêchait les Etats-Unis d’intervenir militairement pour soutenir ces deux pays ?"
      Leur bienveillance pour Hitler je suppose…

      "Alors, je m’interroge sur les raisons pour lesquelles les américains ont choisi l’isolationnisme en 1939-40 et l’interventionnisme en 1943-44."
      Je doute que l’interventionnisme de 1943-44 soit uniquement motivé par la volonté d’endiguer les progrès de l’URSS. Il se trouve que les Etats-Unis n’avaient pas leur territoire directement menacé en 39-40, et qu’un fort courant isolationniste (sans compter certaines sympathies dans l’opinion pour le nazisme) traversait la population américaine. Si vraiment les Etats-Unis avaient voulu empêcher le triomphe de l’URSS, c’était facile: juste après Stalingrad, alors qu’il devenait évident que les Allemands ne triompheraient pas des Soviétiques, il suffisait d’envahir l’Italie, les Balkans et de débarquer en France. Au lieu de cela, les Anglo-américains ont tardé et on connaît le résultat: Staline a mis la main sur la moitié de l’Europe. Une question me brûle les lèvres: pourquoi les Américains ont-ils laissé les Soviétiques prendre un tel avantage, alors qu’ils pouvaient exploiter rapidement, si l’on vous suit, les défaites de Koursk et de Stalingrad? Il y a là une contradiction qui m’échappe.

      "Mais alors, il faut expliquer pourquoi cette envie leur est revenue après Stalingrad."
      Il faut peut-être chercher l’explication dans les opérations du Pacifique, mais aussi dans une demande plus pressante des Britanniques et des Soviétiques. Après Stalingrad, Staline était en état de dire à ses alliés: "j’ai fait une partie du boulot, à vous de vous y mettre!".

      "Pour une fois qu’on est tombé sur un politicien qui fait ce qu’il promet dans ses écrits… ;-)"
      Exactement. Mais tous ceux qui ont lu Mein Kampf n’y ont pas cru…

      "Dès lors que vous admettez que les américains ont agi en fonction de leurs intérêts, il n’y en a aucun."
      Je l’admets et l’ai toujours admis. Je me borne à faire remarquer qu’en agissant pour leurs intérêts, ils ont été utiles aux nôtres, bien qu’ils aient tentés de les contrecarrer. Je crois aussi que le mythe (car c’en est un) des alliés, américains, anglais, français et soviétiques unis contre la "barbarie nazie" n’est pas inutile. Avec les procès de Nuremberg et la création de l’ONU qui a suivi, je pense que le monde a fait un progrès notable et jeté les bases d’un ordre mondial qui n’a pas si mal fonctionné jusqu’à la fin de la Guerre froide.

      "La CIA n’a été créée qu’en 1947."
      Oui, mais enfin vous ne me ferez pas croire qu’il n’existait pas un service équivalent…

      "Mais le pacifisme français a été copieusement encouragé par les américains,"
      Vous voulez dire: les mêmes Américains qui ont poussé Français et Anglais à intervenir militairement aux côté de la Finlande contre l’URSS en 1940? Quand je vous lis, j’ai l’impression que les Américains sont alternativement des génies machiavéliques et de sombres crétins. Le pacifisme est une arme à double tranchant…

      "Quel « danger » représente Hitler en 1940 pour les intérêts américains ?"
      Les Américains ont pu craindre que les Allemands, alliés des Japonais, finissent par fermer de vastes territoires au commerce américain. Et les Américains ont deux veaux d’or: Dieu et le business.

      "le seul fait d’avoir affaibli les deux grandes empires qu’étaient la France et la Grande Bretagne ouvrait aux Etats-Unis la perspective de devenir la puissance dominante du monde occidental."
      Sauf que l’Allemagne se retrouvait à la tête d’un nouvel empire européen, allié à un autre empire, celui du Japon, plus dangereux celui-ci pour les intérêts américains.

      "C’est fou ce qu’elle s’est rapprochée après Stalingrad."
      Si vous le dites. Finalement, il y a tout lieu de se réjouir de Stalingrad: une victoire soviétique, qui a accéléré l’implication des Américains en Europe.

    • Descartes dit :

      @ Guilhem

      [(…) la motivation américaine pour le débarquement en Normandie. Pour vous elle n’est que politique. Mais il y a un aspect militaire indéniable.]

      Je ne pense pas l’avoir « dénié ». D’autant plus que pour moi, comme pour Clausewitz, la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens.

      [Puis il y a la campagne d’Italie et de Sicile pour renverser Mussolini. Ces deux opérations étaient militairement justifiées et devaient précéder tout débarquement en Normandie qui nécessitait une longue préparation (matérielle et humaine) et surtout qui ne pouvait se faire sans appui aérien. Or, en 43 les Allemands disposent encore d’une grande flotte aérienne dont la puissance de feu aurait grandement compromis les chances du débarquement en Normandie.]

      Il est indéniable qu’un débarquement en Normandie en 1942 aurait été bien plus meurtrier qu’il ne le fut en 1944, et que son coût en hommes et matériel aurait été très supérieur. Mais on peut aussi difficilement contester que le fait de le retarder a transféré ce coût humain et matériel sur les soviétiques. C’est un choix politique autant que militaire que les alliés ont fait en laissant supporter par les soviétiques le fardeau de la guerre pour ensuite « libérer » l’Europe occidentale et établir leur prédominance a un coût minimum pour eux. Ajoutons que les Etats-Unis avaient déjà joué cette stratégie en 1914-18.

      [Si on ne tient compte que de l’aspect politique, "contrer la progression soviétique en Europe", un débarquement dans les Balkans aurait été beaucoup plus profitable.]

      Ce n’est pas évident. D’un côté, cela aurait laissé la voie libre aux russes sur la plaine d’Allemagne du nord, et mis à leur portée la partie la plus riche de l’Allemagne. Le partage « est/ouest » des zones d’influence était beaucoup plus favorable aux anglo-américains qu’un partage « nord/sud ». D’autre part, cela supposait pour les anglo-américains d’avancer sur l’Allemagne non pas sur la plaine de France, mais sur le relief torturé des Alpes et des Carpates… et finalement, il n’est pas du tout évident que Tito se serait révélé un allié plus commode que De Gaulle.

      [C’est d’ailleurs dans cette vision que Churchill propose en 43 une telle opération à Roosevelt afin de ne pas laisser les pays balkaniques sous la coupe de Staline. Roosevelt refuse afin de se focaliser sur l’opération Overlord. Les motivations militaires priment donc sur les motivations politiques d’après-guerre. L’Histoire montrera que Churchill avait raison.]

      De son point de vue, oui. Churchill dans cette affaire – comme lors du débarquement en Afrique du Nord – pense essentiellement aux intérêts anglais au Levant. Mais si cela assurait aux alliés la prédominance dans les balkans, c’était en échange de l’Allemagne du nord…

      Bien entendu, tout cela c’est des supputations, fondées au mieux sur les positions soutenues par les différents acteurs à l’époque. Nous ne savons pas ce qui serait arrivé si la stratégie choisie avait été différente.

    • Marcailloux dit :

      @ Nationalistejacobin
      Bonjour,
      [ "La CIA n’a été créée qu’en 1947."
      Oui, mais enfin vous ne me ferez pas croire qu’il n’existait pas un service équivalent…]
      Pour les lecteurs dont la mémoire fait défaut, la CIA a été précédée pendant 3 ans, de 1942 à 1945 par la fameuse OSS ( Office of Stratégic Service) dont le personnage de roman OSS117 est connu de tous. Auparavant, les services de renseignements américains étaient assurés par plusieurs administrations dont en partie le FBI.
      Par ailleurs, grand merci à vous et à Descartes pour vos échanges un tantinet contradictoires, car la vérité revêt de multiple facettes et personne ne peut prétendre la posséder à lui seul. Chacun la décrit au travers de lunettes teintées de ses propres convictions et références historiques, elles mêmes souvent en oppositions les unes aux autres, ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre. D’où l’intérêt majeur de votre débat contradictoire. Descartes est passionné, donc partisan et chacun saura percevoir dans ses écrits, la part qui relève du subjectif inhérent à son parcours personnel.
      Les petites piques ad hominem ne font qu’altérer la qualité de l’échange.

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [C’est vrai. Mais l’ambiguïté vient du fait que les soldats américains ont permis indirectement le retour de la République en France… même si ce fut contre l’avis du gouvernement américain.]

      Au même titre que Steve Jobs nous a donné la souris. Mais le fait qu’il l’ait fait moins pour assurer notre bonheur que pour se faire un paquet de fric rend la reconnaissance superflue à mon avis…

      [« et aucune « alliance officielle » n’avait été conclue ». C’est exact. Il n’empêche que des soldats français se sont battus aux côtés des Américains et des Anglais en Italie. Il y a dans ce cas deux possibilités: a) soit ces Français étaient de vulgaires mercenaires enrôlés par les Anglo-saxons; b) soit il faut les considérer comme coopérant militairement avec les Anglo-américains au nom de la France… ce qui crée une alliance de fait.]

      S’il s’agissait de français engagés à titre individuel dans l’armée américaine ou anglaise, alors c’était des soldats anglais ou américains et il n’y a aucune différence entre eux et leurs camarades, quelque fut leur nationalité. Un « soldat américain » n’est pas un soldat qui a la nationalité américaine, mais un soldat qui sert dans une unité régulière sous commandement américain – par exemple, un légionnaire, quelque soit sa nationalité, est considéré dans les conventions internationales comme un soldat français. Cela ne fait pas des français engagés sous drapeau américain ou anglais des « mercenaires », sauf à juger que l’argent est la seule motivation de leur engagement. Mais cela n’implique aucune « alliance », puisque l’autorité politique française n’y joue aucun rôle.

      S’il s’agit au contraire de français intégrés en tant qu’unités constituées dans l’armée américaine dans le cadre d’un accord entre la France Libre et les anglo-américains, on peut parler de coopération militaire. Mais de la simple coopération militaire à l’alliance, il y a tout de même un grand pas.

      [De Gaulle peut bien raconter ce qu’il veut: à son corps défendant peut-être, il a eu besoin des Anglo-américains…]

      Bien entendu. Et les anglo-américains de lui. Chacun a cherché à utiliser l’autre en profitant des rapports de force. C’est ça, l’essence de la politique.

      [« Le parallèle est absurde ». C’est sûr. Dès lors qu’on touche à la sacro-sainte URSS… Chacun son veau d’or n’est-ce pas?]

      Je ne m’abaisserai même pas à répondre à ce genre d’attaques ad hominem. Si vous en êtes réduit à ça, c’est que vous n’avez vraiment plus d’arguments à proposer.

      [« On peut donc comprendre que Staline ait préféré gagner du temps ». Qui peut jurer que Staline cherchait réellement "à gagner du temps"? Et si Hitler n’avait pas attaqué l’URSS en 1941, est-il certain que Staline aurait fini par attaquer l’Allemagne?]

      Probablement pas. Mais la question ne se pose pas : Staline n’a jamais douté que l’Allemagne finirait par attaquer l’URSS, même s’il a grandement surestimé le délai qu’il avait pu gagner avec le « pacte ». Je te recommande le livre de Crémieux-Brilhac « Les français de l’an quarante ». On y trouve une description saisissante des négociations simultanés des soviétiques avec la délégation française – pour donner un contenu militaire au traité d’assistance franco-soviétique – et avec la délégation allemande. Et combien les atermoiements de la partie française ont pesé dans la conclusion du « pacte ». On en retire la nette impression que la grande crainte de Staline était de se retrouver devant une attaque allemande sans alliance défensive.

      [Cela étant, je comprends tout à fait Staline. Au vu des circonstances, il a pris la meilleure décision pour son pays. On se demandera simplement pourquoi entre 1939 et 1941, ses préparatifs n’ont pas permis à ses armées de mieux résister à la Wehrmacht. A moins que Staline ait espéré échapper à la guerre…]

      Comme je l’ai dit plus haut, le gouvernement soviétique a beaucoup surestimé le répit que le « pacte » lui avait permis de gagner. Entre autres choses, parce qu’ils ont surestimé l’influence des militaires allemands sur Hitler. Les militaires allemands, après la première guerre mondiale, étaient obsédés par la question de la guerre sur deux fronts. Et la doctrine militaire allemande prescrivait donc d’assurer ses arrières et d’ouvrir un seul front à la fois. C’est pourquoi Staline était convaincu qu’Hitler ne se retournerait pas vers l’Est aussi longtemps que la Grande Bretagne restait invaincue.

      [En revanche, je pense que la France se serait très difficilement libérée toute seule, et que le sacrifice des soldats américains (pour les intérêts de leur pays et non pour le nôtre, nous sommes d’accord) a été bien utile à De Gaulle. Si l’Armée rouge avait libéré la France, je ne suis pas sûr que De Gaulle aurait pu revenir.]

      Là, on tombe un peu dans la politique fiction. On ne sait pas ce qui se serait passé si l’armée rouge était entrée à Paris. Est-ce que Thorez aurait traité De Gaulle comme De Gaulle a traité Thorez ? Est-ce que le PCF aurait mis à faire comprendre aux Soviétiques qu’il fallait laisser à la France sa « grandeur » la même énergie que De Gaulle a mis pour le faire comprendre aux anglo-américains ? Est-ce que Staline aurait écouté ses arguments avec plus de sympathie que Roosevelt a écouté ceux de mongénéral ? On ne le sait pas, et on ne le saura jamais.

      [« Ne vous faites pas plus bête que vous ne l’êtes ». Dans cet échange, je ne prétends pas être le génie. Bien qu’historien de formation, la Seconde Guerre Mondiale n’est pas ma période de prédilection, loin s’en faut. J’interviens ici comme "honnête homme", du moins j’essaie. Mais ne vous faites pas plus méprisant que vous ne l’êtes.]

      Quand vous me dites que les entreprises américaines auraient continuer à faire des affaires le plus légalement avec le IIIème Reich malgré la volonté de leur gouvernement du fait que ce dernier n’avait pas les moyens de les en empêcher, je ne peux tout simplement pas croire ce que vous dites. Je ne crois pas avoir été « méprisant ». Au contraire, je pense que vous êtes trop intelligent pour croire à votre propre argument, ce qui est plutôt un compliment qu’une marque de mépris.

      [« Quand le gouvernement américain veut empêcher une « entreprise privée » de vendre ses produits dans un pays pour des raisons stratégiques, ils ne se sont jamais gênés pour le faire » Mêmes les entreprises américaines contournent parfois les embargos…]

      Parfois. Mais en ce qui concerne le IIIème Reich, elles n’ont pas eu à contourner quoi que ce soit, puisque le gouvernement des Etats-Unis n’a pas cru utile d’imposer un embargo.

      [« Leur stratégie fut de laisser soviétiques et allemands se combattre, et de garder leur puissance intacte pour ensuite imposer leur volonté à celui des deux qui sortirait vainqueur mais très affaibli » Cela m’ennuie de le dire, mais c’est une excellente stratégie. Les Etats-Unis ont fait ce qu’il fallait de leur point de vue.]

      Tout à fait. Et c’est pourquoi nous ne leur devons aucune « reconnaissance » particulière. CQFD.

      [« et si vous soutenez que le but était effectivement celui-là, c’est à vous de verser des éléments au dossier, et non l’inverse ». Tout coup porté à l’Axe en Europe aidait de fait les Soviétiques.]

      Encore une fois, la question ici n’était pas si le débarquement en Sicile puis en Italie « aidait les soviétiques », mais si c’était le but poursuivi.

      [Admettons que ce n’était pas le but des Américains, mais que ces derniers souhaitaient damer le pion aux Soviétiques: pourquoi ne pas avoir mis toutes leurs forces dans la balance en Italie? Pourquoi ne pas avoir débarqué en Normandie dès 1943, alors que les Soviétiques venaient de gagner Stalingrad et que l’Allemagne était déjà en difficulté?]

      Parce que les difficultés pour atteindre l’Allemagne en passant par l’Italie étaient considérables, comme l’a montré l’enlisement rapide des alliés. La péninsule est étroite, avec un relief torturé, et une ligne de défense est plus facile à installer et à tenir que les plaines du nord de l’Europe. Si la campagne d’Italie avait permis aux alliés d’arriver rapidement en Bavière, le débarquement de Normandie n’aurait probablement pas eu lieu…

      [Pourquoi avoir attendu que les Soviétiques avancent autant pour s’alarmer enfin de leurs progrès?]

      Parce qu’aussi longtemps que la guerre se faisait en territoire soviétique, il n’y avait pas de raison de s’alarmer. Nous savons aujourd’hui que Stalingrad et Koursk sont les tournants de la guerre, mais pour les observateurs contemporains, c’était beaucoup moins évident.

      [Pourquoi avoir refusé une offensive dans les Balkans (que les Britanniques avaient proposé d’ailleurs)?]

      Parce que l’offensive des Balkans aurait probablement abouti à une division de l’Europe nord/sud, au lieu d’une division est/ouest. Le but des anglo-américains était d’éviter que les soviétiques s’emparent de l’Allemagne occidentale, qui contient les parties les plus riches. Lorsque Churchill propose une offensive dans les Balkans, il pense plus aux intérêts britanniques au Levant qu’à l’Europe.

      [« Et pourquoi ça ? ». Il paraît qu’il y a une constante dans la politique étrangère américaine: un anticommunisme viscéral. Je suis surpris que vous l’ignoriez. Aucun des dictateurs que vous citez n’était communiste. Une coïncidence sans doute… Les Américains n’avaient sans doute aucun problème avec le fait que Staline fût un dictateur sanguinaire, mais le problème, c’est qu’il était un Rouge.]

      Une preuve encore que la politique internationale est gouvernée par les intérêts, et non par des préjugés…

      [« Qu’est ce qui empêchait les Etats-Unis d’intervenir militairement pour soutenir ces deux pays ? ». Leur bienveillance pour Hitler je suppose…]

      Dont acte.

      [Je doute que l’interventionnisme de 1943-44 soit uniquement motivé par la volonté d’endiguer les progrès de l’URSS. Il se trouve que les Etats-Unis n’avaient pas leur territoire directement menacé en 39-40, et qu’un fort courant isolationniste (sans compter certaines sympathies dans l’opinion pour le nazisme) traversait la population américaine. Si vraiment les Etats-Unis avaient voulu empêcher le triomphe de l’URSS, c’était facile: juste après Stalingrad, alors qu’il devenait évident que les Allemands ne triompheraient pas des Soviétiques, il suffisait d’envahir l’Italie, les Balkans et de débarquer en France.]

      Vous commettez ici un pêché d’anachronisme. Nous savons aujourd’hui que la victoire de Stalingrad est le tournant de la guerre, mais cela n’apparaissait pas évident aux témoins de l’époque. La possibilité d’une guerre d’attrition longue entre l’URSS et l’Allemagne paraissait au contraire l’hypothèse la plus plausible, particulièrement aux américains qui gardaient encore en tête la guerre de positions de 1914-18. Il n’était évident pour personne que l’URSS eut les moyens humains et surtout techniques pour conduire une guerre de mouvements et buter les allemands hors de son territoire. C’est plutôt la bataille de Koursk, fin août 1943 qui, pour les experts militaires, a révélé les capacités des soviétiques dans ce domaine et montré que les soviétiques avaient toutes les chances de gagner la guerre. De la fin de la bataille de Koursk au débarquement en Normandie il s’écoule à peine 10 mois…

      [Au lieu de cela, les Anglo-américains ont tardé et on connaît le résultat: Staline a mis la main sur la moitié de l’Europe. Une question me brûle les lèvres: pourquoi les Américains ont-ils laissé les Soviétiques prendre un tel avantage, alors qu’ils pouvaient exploiter rapidement, si l’on vous suit, les défaites de Koursk et de Stalingrad? Il y a là une contradiction qui m’échappe.]

      Je ne suis pas sur de comprendre la question. Même après les défaites de Koursk et de Stalingrad, la machine militaire allemande restait formidable. Il n’était pas facile de « exploiter rapidement » la situation et d’arriver à Berlin avant les soviétiques.

      [« Mais alors, il faut expliquer pourquoi cette envie leur est revenue après Stalingrad ».Il faut peut-être chercher l’explication dans les opérations du Pacifique, mais aussi dans une demande plus pressante des Britanniques et des Soviétiques. Après Stalingrad, Staline était en état de dire à ses alliés: "j’ai fait une partie du boulot, à vous de vous y mettre!".]

      Et vous croyez vraiment que ce qui a changé la vision des américains c’est que Staline leur reproche de ne pas faire « leur part du boulot » ? Je croyais qu’on était tombé d’accord pour dire que les américains sont intervenus par intérêt, et non sur quelque vague considération morale… Les opérations du pacifique ont certainement aidé les courants interventionnistes à prendre le pas sur les courants isolationnistes. Mais l’attaque de Pearl Harbor a lieu en décembre 1941. Comment expliquer qu’il ait fallu deux ans et demi avant que les troupes américaines affrontent l’armée allemande ?

      [Je crois aussi que le mythe (car c’en est un) des alliés, américains, anglais, français et soviétiques unis contre la "barbarie nazie" n’est pas inutile. Avec les procès de Nuremberg et la création de l’ONU qui a suivi, je pense que le monde a fait un progrès notable et jeté les bases d’un ordre mondial qui n’a pas si mal fonctionné jusqu’à la fin de la Guerre froide.]

      Ca, je vous l’accorde. Je soutiens qu’il y a un certain nombre de « fictions nécessaires », et celle-ci en fait partie. Même si la Realpolitik n’a jamais tout à fait perdu ses droits, les Etats se sont sentis obligés pour un temps à coller à cette fiction, et cela a eu des effets très positifs.

      [« Mais le pacifisme français a été copieusement encouragé par les américains, » Vous voulez dire: les mêmes Américains qui ont poussé Français et Anglais à intervenir militairement aux côté de la Finlande contre l’URSS en 1940? Quand je vous lis, j’ai l’impression que les Américains sont alternativement des génies machiavéliques et de sombres crétins. Le pacifisme est une arme à double tranchant…]

      Je ne peux que vous conseiller une fois encore le livre de Crémieux-Brilhac dont j’ai parlé ci-dessus. Il montre bien combien le pacifisme français de l’entre-deux guerres – qui est un pacifisme essentiellement orienté vers les rapports franco-allemands – se conjugue avec un antisoviétisme agressif. Ceux qui refusaient de « mourir pour Dantzig » étaient tout à fait prêts à « mourir pour Moscou ». Les américains ont soutenu ce pacifisme parce qu’ils partageaient l’idée qu’il fallait arrêter de se faire la guerre entre puissances capitalistes pour se concentrer sur le véritable « ennemi de la civilisation ». Il n’y a pas plus de machiavélisme que de crétinisme là dedans.

      [« le seul fait d’avoir affaibli les deux grandes empires qu’étaient la France et la Grande Bretagne ouvrait aux Etats-Unis la perspective de devenir la puissance dominante du monde occidental ». Sauf que l’Allemagne se retrouvait à la tête d’un nouvel empire européen, allié à un autre empire, celui du Japon, plus dangereux celui-ci pour les intérêts américains.]

      Pas vraiment. L’Allemagne, après avoir affaibli la France et la Grande Bretagne, se trouvait aux prises avec les soviétiques et, à supposer qu’elle puisse gagner, ne pouvait sortir de cette guerre que très affaiblie. Si quelqu’un avait quelque chose à gagner avec le IIIème Reich, c’était bien les américains. A condition d’attendre sa victoire à l’Est et de s’en occuper ensuite.

      [Si vous le dites. Finalement, il y a tout lieu de se réjouir de Stalingrad: une victoire soviétique, qui a accéléré l’implication des Américains en Europe.]

      Et pourtant, on n’a pas l’air de s’en réjouir tant que ça…

    • Guilhem dit :

      @ Descartes
      Vous écrivez:"Il est indéniable qu’un débarquement en Normandie en 1942 aurait été bien plus meurtrier qu’il ne le fut en 1944, et que son coût en hommes et matériel aurait été très supérieur."
      Il aurait même été voué à l’échec, d’une part du fait de la puissance de feu de la Luftwaffe, de l’inexpérience des soldats américains face à des soldats chevronnés allemands et du manque de préparation de l’opération. Je vous rappelle que la réussite du débarquement en juin 1944 a tenu finalement à peu de choses, notamment côté allemand: l’absence de Rommel le 6 juin, le fait que Von Runstedt soit persuadé que les alliés débarqueraient dans le Pas-de-Calais et son refus d’appeler Hitler pour déplacer les divisions de Panzers vers la Normandie. L’organisation de la Résistance pour désorganiser les lignes téléphoniques allemandes est un autre élément décidsif du 6 juin (pas sûr qu’elle aurait été aussi efficace en 42). Les quelques heures qui suivent l’arrivée du premier soldat américain sur les côtes normandes ont été cruciales et il aurait été tout à fait probable que les alliés aient échoué. D’autant plus probable qu’Eisenhower avait préparé un discours pour l’occasion.
      Les alliés ont choisi dans l’ordre les objectifs militaires les plus pertinents : l’Afrique du Nord pour soutenir les Anglais qui combattaient l’Afrikacorps et pour s’aguerrir, la Sicile et l’Italie ensuite pour faire basculer le régime de Mussolini et la France ensuite.
      Que ce choix militaire ait eu des implications politiques je ne le nie absolument pas mais il n’était pas l’élément principal de la décision (la seule menace du débarquement a immobilisé plusieurs divisions allemandes en France alors qu’elles auraient été bien plus "utiles" sur le front Est). Roosevelt ne s’est pas comporté avec l’URSS comme Staline devant Varsovie. D’ailleurs seul Churchill semble avoir eu des objectifs anti-communistes avant la fin de la guerre sinon comment considérer la relative mansuétude des Américains à l’égard des communistes chinois et de Mao?
      Enfin un dernier élément: la politique de l’Etat-major américain dans ces choix stratégiques en 1942 alors qu’il doit mener une guerre sur deux fronts se résume en ces mots "Germany first" (politique suivie tout au long de la guerre au grand dam de Mc Arthur).

    • Descartes dit :

      @ Gilhem

      [Vous écrivez: « Il est indéniable qu’un débarquement en Normandie en 1942 aurait été bien plus meurtrier qu’il ne le fut en 1944, et que son coût en hommes et matériel aurait été très supérieur. » Il aurait même été voué à l’échec, d’une part du fait de la puissance de feu de la Luftwaffe, de l’inexpérience des soldats américains face à des soldats chevronnés allemands et du manque de préparation de l’opération.]

      C’est très loin d’être évident. D’abord, je ne vois pas pourquoi vous parlez de « manque de préparation ». On aurait pu commencer la préparation fin 1940. Pour un débarquement fin 1942, cela donnait largement le temps. Ensuite, s’il est vrai qu’en 1942 la puissance de la Luftwaffe était supérieure, il est aussi vrai qu’à l’époque le Mur de l’Atlantique constituait une fortification bien moins formidable. Bien entendu, pour garantir le succès, les anglo-américains auraient du être prêts à jeter au feu des centaines de milliers de leurs soldats, un peu comme les russes l’ont fait à Stalingrad. Mais cela est une autre histoire…

      [Je vous rappelle que la réussite du débarquement en juin 1944 a tenu finalement à peu de choses, notamment côté allemand: l’absence de Rommel le 6 juin, le fait que Von Runstedt soit persuadé que les alliés débarqueraient dans le Pas-de-Calais et son refus d’appeler Hitler pour déplacer les divisions de Panzers vers la Normandie. L’organisation de la Résistance pour désorganiser les lignes téléphoniques allemandes est un autre élément décisif du 6 juin (pas sûr qu’elle aurait été aussi efficace en 42). Les quelques heures qui suivent l’arrivée du premier soldat américain sur les côtes normandes ont été cruciales et il aurait été tout à fait probable que les alliés aient échoué.]

      La légende tend toujours à dramatiser les enjeux, à faire penser qu’il « s’en est fallu de peu » pour que l’histoire tourne autrement. Un peu comme si la longueur du nez de Cléopatre avait changé le résultat de la bataille d’Actium. Je pense que c’est en grande partie une erreur de perspective. Mais quand bien même le débarquement avait échoué, il aurait soulagé considérablement le front de l’Est, obligeant les allemands a reporter leur effort sur un deuxième front. Les anglo-américains ont préféré laisser les russes se débrouiller tous seuls.

      [D’autant plus probable qu’Eisenhower avait préparé un discours pour l’occasion.]

      Le fait qu’Eisenhower ait préparé un discours ne change en rien la probabilité de la victoire. Par ailleurs, ce « deuxième discours » d’Eisenhower m’a toujours paru légendaire…

      [Les alliés ont choisi dans l’ordre les objectifs militaires les plus pertinents : l’Afrique du Nord pour soutenir les Anglais qui combattaient l’Afrikacorps et pour s’aguerrir, la Sicile et l’Italie ensuite pour faire basculer le régime de Mussolini et la France ensuite.]

      Je n’ai jamais contesté que les anglo-américains – et non « les alliés », puisque certains « alliés » n’ont pas eu voix au chapitre dans ces choix – aient choisi « les objectifs militaires les plus pertinents ». Mais « pertinents » par rapport à quoi ? Les objectifs ont été choisis de manière à laisser l’URSS s’user seule à face à la puissance allemande. Et ce n’est que lorsque l’Armée Rouge, malgré cette usure, risque de déferler sur l’Europe que les alliés décident de faire quelque chose. C’est certainement très « pertinent » du point de vue des américains ou des britanniques.

      [Que ce choix militaire ait eu des implications politiques je ne le nie absolument pas mais il n’était pas l’élément principal de la décision (la seule menace du débarquement a immobilisé plusieurs divisions allemandes en France alors qu’elles auraient été bien plus "utiles" sur le front Est).]

      Oui, mais à un moment ou la guerre était perdue pour l’Allemagne et ou ces divisions n’auraient même pas retardé l’inévitable.

      [Roosevelt ne s’est pas comporté avec l’URSS comme Staline devant Varsovie.]

      Je vous rappelle que les soviétiques ont toujours utilisé pour se justifier de leur attentisme devant Varsovie le même argument que vous utilisez pour justifier le débarquement tardif en Normandie, à savoir, le fait que le succès de l’opération n’était pas garanti. A Varsovie, la traversée d’un fleuve d’une centaine de mètres de large dont tous les ponts avaient sauté n’avait, là non plus, rien d’évident. Accessoirement, je ne comprends pas votre exemple. Pensez-vous que l’arrêt de l’attaque soviétique devant Varsovie visait à permettre aux allemands « d’user » les alliés sur le front Ouest ?

      [D’ailleurs seul Churchill semble avoir eu des objectifs anti-communistes avant la fin de la guerre sinon comment considérer la relative mansuétude des Américains à l’égard des communistes chinois et de Mao?]

      De quelle « mansuétude » parlez vous ? Les américains ont soutenu Chiang Kai Chek, le leader du Kuomingtang, dont le positionnement anticommuniste est notoire depuis les années 1930. En 1945, il sera signataire avec Churchill et Truman de la déclaration de Potsdam. Les américains le soutiendront pendant toute la guerre civile, et continueront à le soutenir même après la défaite du Kuomingtang devant les troupes de Mao en 1949. Les objectifs « anticommunistes » de Roosevelt n’avaient rien à envier à ceux de Churchill.

      [Enfin un dernier élément: la politique de l’Etat-major américain dans ces choix stratégiques en 1942 alors qu’il doit mener une guerre sur deux fronts se résume en ces mots "Germany first" (politique suivie tout au long de la guerre au grand dam de Mc Arthur).]

      Je vois mal le rapport. La stratégie « Germany first » était une stratégie d’arbitrage entre les moyens consacrés au théâtre européen par rapport au théâtre Pacifique. Elle n’empêche en rien de laisser soviétiques et allemands s’user mutuellement et de n’intervenir que lorsque l’un d’eux semble l’emporter.

    • morel dit :

      Vous faites erreur Ulbricht arrive en octobre 33 à Paris puis Prague puis Moscou. (Les 6 mois de clandestinité).
      Pieck : arrive en France mi-mai 33 puis URSS.
      Sur Honecker c’est vrai.

    • Guilhem dit :

      @ Descartes
      [C’est très loin d’être évident. D’abord, je ne vois pas pourquoi vous parlez de « manque de préparation ». On aurait pu commencer la préparation fin 1940. Pour un débarquement fin 1942, cela donnait largement le temps. Ensuite, s’il est vrai qu’en 1942 la puissance de la Luftwaffe était supérieure, il est aussi vrai qu’à l’époque le Mur de l’Atlantique constituait une fortification bien moins formidable. Bien entendu, pour garantir le succès, les anglo-américains auraient du être prêts à jeter au feu des centaines de milliers de leurs soldats, un peu comme les russes l’ont fait à Stalingrad. Mais cela est une autre histoire…]
      Pourquoi préparer une guerre qui ne menace pas? Les Allemands n’étaient certainement pas une menace pour les Etats-Unis en 40 à l’inverse du Japon et pourtant les Etats-Unis ne s’étaient pas préparés à les affronter…
      Un point pour vous pour le mur de l’Atlantique mais toute la préparation du débarquement a résidé dans le fait de contourner au maximum ses défenses (horaire du débarquement, chars amphibies, chars démineurs, barges de débarquement adaptées…)
      La comparaison entre Stalingrad et la Normandie est surprenante. Le contexte est différent, au-delà du symbole Stalingrad est une bataille défensive sur le territoire soviétique, le débarquement est une bataille de conquête pour les alliés. Les enjeux militaires sont différents. La défaite à Stalingrad est un tournant pour Hitler comme elle l’aurait été pour Staline. Un échec du débarquement n’aurait rien changé à l’inéluctabilité de la défaite allemande (pour le partage ultérieur, cela aurait certainement eu un impact).

      [ Les anglo-américains ont préféré laisser les russes se débrouiller tous seuls.]

      Je pense, vous l’aurez compris, que, sur ce point précis, vous confondez cause et conséquence.

      [Je vous rappelle que les soviétiques ont toujours utilisé pour se justifier de leur attentisme devant Varsovie le même argument que vous utilisez pour justifier le débarquement tardif en Normandie, à savoir, le fait que le succès de l’opération n’était pas garanti. A Varsovie, la traversée d’un fleuve d’une centaine de mètres de large dont tous les ponts avaient sauté n’avait, là non plus, rien d’évident. Accessoirement, je ne comprends pas votre exemple. Pensez-vous que l’arrêt de l’attaque soviétique devant Varsovie visait à permettre aux allemands « d’user » les alliés sur le front Ouest ?]

      Non, je ne pense pas que tel était leur objectif. Staline ne souhaitait que la défaite de la résistance polonaise pour ne pas avoir à partager la victoire une fois la capitale polonaise reconquise. Pour se défendre d’avoir laisser les Polonais se faire massacrer par les troupes allemandes, Staline a fait fait larguer des armes aux résistants. Il a juste omis d’adjoindre aux caisses d’armes un parachute… Les armes réceptionnées étaient donc inutilisables.

      [De quelle « mansuétude » parlez vous ? Les américains ont soutenu Chiang Kai Chek, le leader du Kuomingtang, dont le positionnement anticommuniste est notoire depuis les années 1930. En 1945, il sera signataire avec Churchill et Truman de la déclaration de Potsdam. Les américains le soutiendront pendant toute la guerre civile, et continueront à le soutenir même après la défaite du Kuomingtang devant les troupes de Mao en 1949. Les objectifs « anticommunistes » de Roosevelt n’avaient rien à envier à ceux de Churchill.]

      L’exemple Chinois est peut-être pas le plus parlant. Je voulais seulement souligner que les Anglo-américains ont livré des armes aux communistes alors que Mao s’évertuait autant que faire se peut à éviter tout affrontement avec les Japonais… L’exemple Yougoslave est sans doute plus marquant, les Anglo-Américains ont clairement soutenu les troupes communistes de Tito et non celles du royaliste Mihailovic et n’empêchent pas la prise du pouvoir de Tito. Curieux pour des anti-communistes?

      [Je vois mal le rapport. La stratégie « Germany first » était une stratégie d’arbitrage entre les moyens consacrés au théâtre européen par rapport au théâtre Pacifique. Elle n’empêche en rien de laisser soviétiques et allemands s’user mutuellement et de n’intervenir que lorsque l’un d’eux semble l’emporter.]

      Justement cet arbitrage met clairement en évidence que les Américains souhaitaient favoriser l’affrontement contre les Allemands en suivant des objectifs militaires qui vous font dire qu’ils visaient à affaiblir l’URSS et non le Japon qui les avait pourtant directement attaquer sur leur propre territoire et qui les menaçait plus directement (ce que n’ont jamais fait les Allemands). Si j’avais voulu user les Soviétiques, j’aurai clairement priorisé le Japon.

    • Descartes dit :

      @ Guilhem

      [Pourquoi préparer une guerre qui ne menace pas? Les Allemands n’étaient certainement pas une menace pour les Etats-Unis en 40 à l’inverse du Japon et pourtant les Etats-Unis ne s’étaient pas préparés à les affronter…]

      Tout à fait d’accord. Pourquoi préparer une guerre qui ne menace pas… Mais en 1944, Hitler n’était pas vraiment une menace pour les Etats-Unis. Alors, si ce n’était pas Hitler, quelle était la « menace » qui a poussé les américains à préparer le débarquement du 6 juin 1944 ? Voilà une question qui est bonne…

      [Non, je ne pense pas que tel était leur objectif. Staline ne souhaitait que la défaite de la résistance polonaise pour ne pas avoir à partager la victoire une fois la capitale polonaise reconquise.]

      C’est la théorie habituellement soutenue par les antisoviétiques de tout poil, et complaisamment relayée par les médias. Mais je n’ai jamais pu trouver une étude historique qui soutient cette thèse. Le seul fait, c’est que les soviétiques sont restés devant Varsovie quelques semaines sans traverser la rivière, et qu’ils se sont justifiés en soulignant les difficultés d’une traversée alors que les ponts avaient été tous dynamités. Les intentions qu’on peut prêter à Staline dans cette affaire sont pure spéculation. Personnellement, j’ai toujours trouvé cette histoire peu crédible. Les soviétiques venaient de combattre un ennemi disposant d’énormes moyens, je ne pense pas que quelques dizaines de militants de l’AK leur faisaient peur.

      [L’exemple Chinois est peut-être pas le plus parlant. Je voulais seulement souligner que les Anglo-américains ont livré des armes aux communistes alors que Mao s’évertuait autant que faire se peut à éviter tout affrontement avec les Japonais… L’exemple Yougoslave est sans doute plus marquant, les Anglo-Américains ont clairement soutenu les troupes communistes de Tito et non celles du royaliste Mihailovic et n’empêchent pas la prise du pouvoir de Tito. Curieux pour des anti-communistes?]

      Pas du tout. Les américains ont une longue tradition de soutenir n’importe qui pourvu qu’il soit l’ennemi de leur ennemi. Les conflits entre Tito et Staline étaient bien connus des services d’intelligence, et soutenir Tito ne présentait donc que des avantages.

      [Justement cet arbitrage met clairement en évidence que les Américains souhaitaient favoriser l’affrontement contre les Allemands en suivant des objectifs militaires qui vous font dire qu’ils visaient à affaiblir l’URSS et non le Japon qui les avait pourtant directement attaquer sur leur propre territoire et qui les menaçait plus directement (ce que n’ont jamais fait les Allemands). Si j’avais voulu user les Soviétiques, j’aurai clairement priorisé le Japon.]

      Moi pas, puisque je souhaitais en même temps protéger mon allié, la Grande Bretagne. Moi j’aurais fait de la défense de la Grande Bretagne une priorité – d’où la priorité au théâtre européen – tout en retardant autant que possible l’intervention contre les troupes allemandes. Exactement ce qu’ont fait les américains…

    • Guilhem dit :

      @ Descartes

      Je vous prie de m’excuser pour mon manque de réactivité. Ma connexion internet était défaillante.

      [Tout à fait d’accord. Pourquoi préparer une guerre qui ne menace pas… Mais en 1944, Hitler n’était pas vraiment une menace pour les Etats-Unis. Alors, si ce n’était pas Hitler, quelle était la « menace » qui a poussé les américains à préparer le débarquement du 6 juin 1944 ? Voilà une question qui est bonne…]
      En supposant votre hypothèse vraie, les Américains se sont alors loupés dans le timing en laissant au final Berlin aux Soviétiques et, de fait, tous les pays de l’Europe de l’Est… Si l’on considère la situation militaire exclusivement, par analogie avec la France de 1940, les défaites successives de l’Allemagne devant Moscou, Stalingrad et Kousk auraient dû provoquer son effondrement et toujours en considérant cette analogie, les Soviétiques auraient pu atteindre très (trop?) rapidement les côtes de l’Atlantique… La résistance acharnée des Allemands, personne ne pouvait l’anticiper.

      En 1944, l’Allemagne était une menace pour la Grande-Bretagne. Et, comme vous l’écrivez très bien, un des objectifs américains est de protéger son allié la Grande-Bretagne, plus vraiment de la Luftwaffe décimée mais des V1 et des V2 qui continuent de tomber sur le territoire anglais.

      [C’est la théorie habituellement soutenue par les antisoviétiques de tout poil, et complaisamment relayée par les médias. Mais je n’ai jamais pu trouver une étude historique qui soutient cette thèse. Le seul fait, c’est que les soviétiques sont restés devant Varsovie quelques semaines sans traverser la rivière, et qu’ils se sont justifiés en soulignant les difficultés d’une traversée alors que les ponts avaient été tous dynamités. Les intentions qu’on peut prêter à Staline dans cette affaire sont pure spéculation. Personnellement, j’ai toujours trouvé cette histoire peu crédible. Les soviétiques venaient de combattre un ennemi disposant d’énormes moyens, je ne pense pas que quelques dizaines de militants de l’AK leur faisaient peur.]

      En résumé, vous prêtez une intention aux Américains sans qu’à mon sens les faits historiques et militaires les étayent et, dans le même temps, vous niez l’intention de Staline à l’égard des Polonais alors que le pacte Molotov-Ribbentrop, son "application" qui a consisté partager en deux la Pologne avec les massacres des Polonais qui en ont résulté (Katyn pour le citer que le plus symbolique) laissent supposer, pour le mois, une défiance de Staline à l’égard des Polonais. D’ailleurs, Staline ne reconnaitra jamais le gouvernement polonais en exil à Londres (qu’il appellera "bandits") et fera en sorte que soient reconnues par les Alliés les frontières de 1939 (ce qui sera un dilemme pour Churchill puisque l’attaque de la Pologne avait été le casus belli à l’origine de l’intervention britannique). Pour reprendre votre formule, pour Staline, "les ennemis de mes ennemis sont mes ennemis".

      [Pas du tout. Les américains ont une longue tradition de soutenir n’importe qui pourvu qu’il soit l’ennemi de leur ennemi. Les conflits entre Tito et Staline étaient bien connus des services d’intelligence, et soutenir Tito ne présentait donc que des avantages. ]

      Donc les Américains n’étaient pas selon vous anticommunistes mais plus spécifiquement anti-staliniens.

      [Moi pas, puisque je souhaitais en même temps protéger mon allié, la Grande Bretagne. Moi j’aurais fait de la défense de la Grande Bretagne une priorité – d’où la priorité au théâtre européen – tout en retardant autant que possible l’intervention contre les troupes allemandes. Exactement ce qu’ont fait les américains…]

      Pas tout à fait puisque les Américains ont affronté les troupes allemandes dès 42…

    • Descartes dit :

      @ Guilhem

      [En supposant votre hypothèse vraie, les Américains se sont alors loupés dans le timing en laissant au final Berlin aux Soviétiques et, de fait, tous les pays de l’Europe de l’Est…]

      Tout à fait. Les américains n’ont pas anticipé que les soviétiques allaient gagner leur bras de fer avec l’Allemagne. Leur vision de l’Armée Rouge, telle qu’elle nous est révélée par les correspondances diplomatiques, était que l’URSS allait, dans le meilleur des cas, être obligé de conclure avec l’Allemagne un armistice lui cédant de vastes territoires à l’est. Ils n’ont réalisé que tardivement que les soviétiques pouvaient non seulement expulser les allemands de leur territoire mais encore arriver à Berlin.

      [Si l’on considère la situation militaire exclusivement, par analogie avec la France de 1940, les défaites successives de l’Allemagne devant Moscou, Stalingrad et Kousk auraient dû provoquer son effondrement et toujours en considérant cette analogie, les Soviétiques auraient pu atteindre très (trop?) rapidement les côtes de l’Atlantique… La résistance acharnée des Allemands, personne ne pouvait l’anticiper.]

      Il est vrai que les américains ont sous-estimé la résistance des allemands sur le front ouest. Mais ils ont aussi très largement sous-estimé l’Armée Rouge… Par ailleurs, il n’y avait aucune raison de croire à l’effondrement des allemands après les défaites de Moscou, de Stalingrad ou de Koursk : on ne connaît pas de précédent d’un pays qui se soit « effondré » avec son territoire intact.

      [En résumé, vous prêtez une intention aux Américains sans qu’à mon sens les faits historiques et militaires les étayent]

      Pas du tout. Beaucoup de « faits historiques et militaires » étayent mon hypothèse. D’abord, la stratégie américaine de laisser les belligérants s’user pour ensuite intervenir et emporter la mise politique à un coût minimal avait déjà été mise en œuvre lors de la première guerre mondiale, et Cordell Hull était lui aussi sur cette ligne. Il y a aussi des échanges de correspondance entre Churchill et Roosevelt qui montre la préoccupation de ces deux leaders devant la possibilité que l’URSS apparaisse comme ayant gagné toute seule la guerre. Et finalement, il y a un peu trop de coïncidences sur les dates.

      [et, dans le même temps, vous niez l’intention de Staline à l’égard des Polonais alors que le pacte Molotov-Ribbentrop, son "application" qui a consisté partager en deux la Pologne avec les massacres des Polonais qui en ont résulté (Katyn pour le citer que le plus symbolique) laissent supposer, pour le mois, une défiance de Staline à l’égard des Polonais.]

      Je n’ai jamais « nié » quoi que ce soit de tel. Mais justement, on voit mal en quoi, après Katyn, après le « partage », en quoi Staline aurait pu estimer que quelques maquisards de l’AK dans Varsovie représentaient une menace. L’antisoviétisme viscéral des polonais leur a joué pas mal de tours : en 1938, ce sont eux qui ont empêché les soviétiques de soutenir la Tchécoslovaquie. En 1944, ils ont cru qu’ils pouvaient préempter les armées soviétiques en déclenchant un soulèvement alors que les soviétiques n’étaient pas en mesure d’entrer directement dans la ville. Pour ensuite, lorsqu’ils ont été réprimés, rejeter la faute des soviétiques qui n’ont pas voulu les aider…

      On peut par ailleurs difficilement reprocher à Staline de se méfier des polonais. On oublie un peu vite que dans les années 1920, sous Pilsudski, la Pologne avait soutenu les armées blanches, envahi le territoire soviétique et annexé des territoires…

      [« Pas du tout. Les américains ont une longue tradition de soutenir n’importe qui pourvu qu’il soit l’ennemi de leur ennemi. Les conflits entre Tito et Staline étaient bien connus des services d’intelligence, et soutenir Tito ne présentait donc que des avantages ». Donc les Américains n’étaient pas selon vous anticommunistes mais plus spécifiquement anti-staliniens.]

      Non. Ils étaient anticommunistes, mais tous les communistes ne leur paraissaient pas également dangereux. Et c’est pourquoi ils ont joué certains « communistes » contre d’autres : ainsi, par exemple, Ceaucescu, Tito et même les Khmers Rouges on pu bénéficier d’aide économique et de soutien politique parce qu’ils emmerdaient les soviétiques.

    • Guilhem dit :

      @ Descartes
      [Par ailleurs, il n’y avait aucune raison de croire à l’effondrement des allemands après les défaites de Moscou, de Stalingrad ou de Koursk : on ne connaît pas de précédent d’un pays qui se soit « effondré » avec son territoire intact. ]
      Je pensais à la France napoléonienne et à la Grande Armée qui a connu le même sort que les Allemands en Russie et dont le désastre a marqué le début de l’effondrement

      [Pas du tout. Beaucoup de « faits historiques et militaires » étayent mon hypothèse. D’abord, la stratégie américaine de laisser les belligérants s’user pour ensuite intervenir et emporter la mise politique à un coût minimal avait déjà été mise en œuvre lors de la première guerre mondiale, et Cordell Hull était lui aussi sur cette ligne. Il y a aussi des échanges de correspondance entre Churchill et Roosevelt qui montre la préoccupation de ces deux leaders devant la possibilité que l’URSS apparaisse comme ayant gagné toute seule la guerre. Et finalement, il y a un peu trop de coïncidences sur les dates. ]

      Sur la préoccupation de Roosevelt et Churchill à voir Staline remporter seul la guerre, elle existait évidemment mais si cela était leur préoccupation première pourquoi accorder des ressources indispensables à Staline dans le cadre du "prêt-bail", en particulier les camions de l’intendance nécessaires au ravitaillement des troupes (qui était critique en 44 et 45) qui permettront aux Soviétiques de rallier rapidement Berlin et d’autre part, dans cette logique de "course" avec l’URSS, pourquoi avoir diminué la part de renforts de soldats américains au moment de la contre-offensive des Ardennes au profit du Pacifique? Et enfin à Yalta, Staline "taquine" Churchill pour lui demander où en est l’offensive prévue sur Ljubljana à partir d’Italie (qui devait ensuite remonter sur Budapest), offensive que Churchill souhaitait pour ne pas laisser toute l’Europe de l’Est aux Soviétiques. Mais l’arbitrage américain sera différent puisqu’une partie des troupes d’Italie sera réaffectée sur le front Ouest.
      Ces faits témoignent que les Américains ont été pour le mois schizophrène pour prendre de vitesse les Soviétiques: ils leur permettent de se ravitailler facilement, réduisent leurs propres renforts et empêchent des offensives qui leur aurait permis de gagner des territoires sur les Soviétiques. Curieux si la préoccupation des Américains est exclusivement anti-communiste beaucoup plus cohérent s’ils ne visent qu’à des objectifs militaires et à gagner la guerre.

      [Les intentions qu’on peut prêter à Staline dans cette affaire sont pure spéculation. ]
      [Je n’ai jamais « nié » quoi que ce soit de tel.]
      Si cela n’est pas nier l’intention de Staline, je ne vois pas ce que c’est.

      [quelques maquisards de l’AK dans Varsovie représentaient une menace]
      C’était quand même 50 000 soldats alors qu’il n’y avait à Varsovie que 400 à 800 communistes… et parmi les premiers il y avait de nombreux dirigeants opposants aux Soviétiques des diplomates que connaissaient les Alliés et que Staline préférait voir morts que vivants.
      L’AK savait qu’elle n’avait que le recours à l’insurrection pour justifier son existence et préparer l’avenir de la Pologne. Si l’AK n’avait rien fait les Soviétiques ne se seraient pas gênés pour l’accuser de collaboration avec les Allemands et pour lui reprocher de conserver ses armes pour lutter contre l’armée rouge.
      De toute façon, le sort de la Pologne était déjà scellé puisque Staline ne reconnaissait que le gouvernement fantoche communiste de Lublin.

      [On peut par ailleurs difficilement reprocher à Staline de se méfier des polonais.]
      Vous êtes dans l’euphémisme.
      Est-ce que cela justifiait le partage de la Pologne et le massacre des officiers polonais…?

    • @ Descartes,

      "On peut par ailleurs difficilement reprocher à Staline de se méfier des polonais. On oublie un peu vite que dans les années 1920, sous Pilsudski, la Pologne avait soutenu les armées blanches, envahi le territoire soviétique et annexé des territoires…"
      Et on peut difficilement reprocher aux Polonais d’avoir eu quelques griefs vis-à-vis de la Russie. On oublie un peu vite que dans les années 1920, la Pologne venait juste de renaître de ses cendres. Et elle a profité de la défaite de l’Allemagne, de la destruction de l’Autriche-Hongrie et des difficultés de la Russie… un peu comme la Prusse, l’Autriche et la Russie ont profité des difficultés de la Pologne pour rayer ce pays de la carte de l’Europe dans la seconde moitié du XVIII° siècle, non?

      La Pologne n’a pas "envahi le territoire soviétique" (un territoire qui restait à construire d’ailleurs), elle a envahi la Biélorussie et le nord-ouest de l’Ukraine, anciens territoires de l’empire tsariste, nuance, et ce pour essayer de récupérer des territoires qui avaient été polonais. Et quand je dis qu’ils avaient été polonais (lituano-polonais pour être précis, mais les deux Etats avaient fusionné par l’union de Lublin de 1569), ce n’était pas en 200 avant Jésus-Christ, mais jusque dans les années 1770. Par conséquent, les Polonais tentaient de récupérer des territoires qu’ils pouvaient légitimement revendiquer, et de consolider leur frontière orientale en profitant de la guerre civile russe (avec l’appui de la France, et je m’en félicite). En d’autres termes, la Pologne a fait ce que tout pays fait: elle a profité des faiblesses de son voisin pour fortifier sa position. Elle ne faisait d’ailleurs que rendre à la Russie la monnaie de sa pièce…

      "L’antisoviétisme viscéral des polonais"
      Les Polonais étaient surtout viscéralement antirusses. Et ils avaient quelques bonnes raisons de l’être que vous balayez un peu vite. Les Polonais ont juste subi un joug étranger pendant plus d’un siècle…

      Mais pour revenir au fond du débat, je ne comprends pas "le deux poids, deux mesures" que vous défendez. Vous nous dîtes: "John Smith du Kansas qui est venu crever sur une plage de Normandie, nous n’avons pas à lui rendre hommage, car il s’est fait tué pour les intérêts de son pays et non pour les nôtres". Je suis on ne peut plus d’accord. Mais quand un commentateur s’offusque qu’on ne rende pas davantage hommage à Boris Vassilievitch de Nijni-Novgorod, tombé à Stalingrad, vous semblez abonder dans son sens. Faudrait savoir! Soit on rend hommage à tout le monde, en faisant semblant de croire que les alliés ont libéré l’Europe de la tyrannie nazie, soit on ne rend hommage à personne. Parce que Boris n’est pas mort à Stalingrad pour libérer la France, mais pour sauver son pays. C’est tout à fait honorable, et je salue son héroïsme, mais ce n’est pas un sacrifice pour "défendre les intérêts de la France".

      C’est pourquoi je persiste et signe, et c’est une critique de votre vision de l’histoire, pas une attaque ad hominem je le précise, vous êtes bienveillant à l’excès vis-à-vis de l’URSS, jusqu’à reprocher aux Etats-Unis les mêmes choses qu’on pourrait reprocher aux Soviétiques: défendre l’intérêt national. Du coup, vous donnez l’impression que l’URSS est votre veau d’or, vous le défendez contre vents et marées, et paraissez justifier systématiquement les décisions soviétiques, politiques ou militaires. Désolé, mais c’est ce qui ressort des échanges: les Soviétiques font ce qu’ils font parce que, vous comprenez, les pauvres, ils ne pouvaient pas vraiment faire autrement, alors que les Américains, eux, n’agissent qu’après moult calculs machiavéliques. Les Soviétiques sont en quelques sortes victimes du destin et les Américains, non. Tout cela est expliqué avec talent et culture, mais le postulat de départ me paraît erroné: vous vous exagérez, je pense, les marges de manoeuvres américaines et vous sous-estimez celles de l’URSS. Je rejette pour ma part tout antisoviétisme ou antistalinisme primaire, mais à l’inverse je me garderai d’opposer des Anglo-saxons cyniques et manipulateurs à des Soviétiques, sinon irréprochables, du moins jouets malheureux d’une fatalité tragique.

      De manière générale, il y a dans votre argumentation un net parti pris, et en vous relisant, certains arguments sont très discutables. Par exemple, lorsque vous écrivez à un endroit qu’un débarquement allié dans les Balkans aurait entraîné un partage des zones d’influence nord-sud et non est-ouest du continent, et que l’important pour les alliés était de mettre la main sur "les plaines d’Allemagne du Nord", les riches régions industrielles donc, ça ne tient pas. D’une part, les alliés n’ont récupéré que l’ouest des plaines d’Allemagne du Nord (avec la Ruhr), mais ils ont perdu les grandes régions industrielles d’Europe centrale, à savoir la Silésie et la Bohême tchèque…

    • Descartes dit :

      @ Guilhem

      [Sur la préoccupation de Roosevelt et Churchill à voir Staline remporter seul la guerre, elle existait évidemment mais si cela était leur préoccupation première pourquoi accorder des ressources indispensables à Staline dans le cadre du "prêt-bail", en particulier les camions de l’intendance nécessaires au ravitaillement des troupes (qui était critique en 44 et 45)]

      Je connais les livraisons de matériel au cours de l’année 1941. Mais je n’ai jamais entendu parler de livraisons significatives au titre du crédit-bail au cours de l’année 1944 et 1945. Pourriez-vous être plus explicite ?

      [qui permettront aux Soviétiques de rallier rapidement Berlin et d’autre part, dans cette logique de "course" avec l’URSS, pourquoi avoir diminué la part de renforts de soldats américains au moment de la contre-offensive des Ardennes au profit du Pacifique?]

      Probablement parce que les américains ont surestimé leur propre force et sous-estimé celle de l’adversaire. Cela leur arrive souvent…

      [Et enfin à Yalta, Staline "taquine" Churchill pour lui demander où en est l’offensive prévue sur Ljubljana à partir d’Italie (qui devait ensuite remonter sur Budapest), offensive que Churchill souhaitait pour ne pas laisser toute l’Europe de l’Est aux Soviétiques. Mais l’arbitrage américain sera différent puisqu’une partie des troupes d’Italie sera réaffectée sur le front Ouest.]

      Parce que à Yalta, les jeux sont faits. Le débarquement américain a réussi son but qui était de placer la limite entre la zone d’influence soviétique et la zone d’influence américaine en laissant l’ensemble de l’Europe « utile » (c’est-à-dire, riche) dans cette dernière. Roosevelt n’allait pas se battre pour éviter l’influence soviétique sur la Roumanie ou la Hongrie, dont l’intérêt stratégique n’était pas évident. Mais le résultat de Yalta aurait été très différent si les américains ne s’étaient pas assurés au préalable une solide présence en Europe occidentale.

      [[Les intentions qu’on peut prêter à Staline dans cette affaire sont pure spéculation. ]
      [Je n’ai jamais « nié » quoi que ce soit de tel.]
      Si cela n’est pas nier l’intention de Staline, je ne vois pas ce que c’est.]

      Je ne comprends pas très bien. Le fait de ne pas « nier » n’implique pas que j’aie affirmé le contraire…

      [« quelques maquisards de l’AK dans Varsovie représentaient une menace » C’était quand même 50 000 soldats alors qu’il n’y avait à Varsovie que 400 à 800 communistes… et parmi les premiers il y avait de nombreux dirigeants opposants aux Soviétiques des diplomates que connaissaient les Alliés et que Staline préférait voir morts que vivants.]

      Encore une fois, vous présumez les intentions de Staline. Y a-t-il le moindre document montrant que Staline avait exprimé une telle opinion ? Non ? Alors, soyons prudents…
      Mais supposons que ce fut le cas. La logique aurait voulu alors que les soviétiques traversent le fleuve le plus vite possible pour s’assurer de liquider les « 50.000 soldats » de l’AK et tous ces « dirigeants opposants et diplomates », n’est ce pas ? Et pourtant, Staline attend au risque de voir les « 50.000 soldats » l’emporter, ou les « dirigeants opposants et diplomates » échapper. Pas très logique…

      [L’AK savait qu’elle n’avait que le recours à l’insurrection pour justifier son existence et préparer l’avenir de la Pologne. Si l’AK n’avait rien fait les Soviétiques ne se seraient pas gênés pour l’accuser de collaboration avec les Allemands et pour lui reprocher de conserver ses armes pour lutter contre l’armée rouge.]

      Admettons. Mais pourquoi reprocher à l’armée soviétique de ne pas s’être mise en quatre pour aller secourir des gens qui ne songeaient qu’à lui tailler les croupières ? Les maquisards de Glières ou du Vercors n’ont pas été secourus par les américains que je sache.

      [De toute façon, le sort de la Pologne était déjà scellé puisque Staline ne reconnaissait que le gouvernement fantoche communiste de Lublin.]

      Vous voulez dire, au lieu de reconnaître le gouvernement fantoche de Londres ? Je vous rappelle que le gouvernement de la Pologne de l’avant-guerre, dont le gouvernement en exil en Grande Bretagne était le continuateur, était issu de la dictature de Pilsudski et du régime autoritaire de Rydz-Smigly, et avait une légitimité démocratique pour le moins douteuse. Le choix des alliés de le reconnaître était motivé par les mêmes soucis que celui de Staline par rapport au gouvernement de Lublin : mettre au pouvoir des gens « amis »…

      [« On peut par ailleurs difficilement reprocher à Staline de se méfier des polonais ». Vous êtes dans l’euphémisme. Est-ce que cela justifiait le partage de la Pologne et le massacre des officiers polonais…?]

      Non, pas plus que cela ne « justifie » le massacre de milliers de communistes pendant la guerre ruso-polonaise en 1922 et sous la dictature de Pilsudski. L’histoire est comme ça, pleine de massacres que personne ne prétend « justifier ».

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [Et on peut difficilement reprocher aux Polonais d’avoir eu quelques griefs vis-à-vis de la Russie. On oublie un peu vite que dans les années 1920, la Pologne venait juste de renaître de ses cendres. Et elle a profité de la défaite de l’Allemagne, de la destruction de l’Autriche-Hongrie et des difficultés de la Russie… un peu comme la Prusse, l’Autriche et la Russie ont profité des difficultés de la Pologne pour rayer ce pays de la carte de l’Europe dans la seconde moitié du XVIII° siècle, non?]

      Tout à fait. Mon point n’était pas de donner des brevets de « bon » et de « méchants », mais de noter que la vision moralisante d’une Pologne « victime » et d’une Russie « bourreau », complaisamment diffusée, est une falsification de l’histoire. La Pologne, lorsqu’elle a eu l’opportunité de tailler dans ses voisins, ne s’en est jamais privée. Curieusement, on nous rappelle à tout bout de champ que l’URSS a annexé une partie de la Pologne en 1939 (confirmé en 1945), personne ne rappelle que la Pologne avait fait de même en 1922. Une coïncidence, sans doute…

      [La Pologne n’a pas "envahi le territoire soviétique" (un territoire qui restait à construire d’ailleurs), elle a envahi la Biélorussie et le nord-ouest de l’Ukraine, anciens territoires de l’empire tsariste, nuance, et ce pour essayer de récupérer des territoires qui avaient été polonais.]

      Fort bien. Et en 1939, l’URSS a essayé de récupérer des territoires qui avaient été russes. Pourquoi alors faire tout un plat ? Vous savez, dans cette région les territoires ont changé de mains beaucoup de fois au cours de l’histoire. Pourquoi certains seraient légitimes à essayer de récupérer leurs « terres ancestrales », et pas les autres ?

      Par ailleurs, la Pologne a bien « envahi le territoire soviétique ». Le principe de la succession d’Etats a fait de l’Union Soviétique l’héritier territorial de l’empire russe. Autrement, il faudrait admettre que la chute de Louis XVI faisait perdre son caractère français à la Corse…

      [Et quand je dis qu’ils avaient été polonais (lituano-polonais pour être précis, mais les deux Etats avaient fusionné par l’union de Lublin de 1569), ce n’était pas en 200 avant Jésus-Christ, mais jusque dans les années 1770.]

      Lorsque l’URSS envahit la Pologne en 1939, le même principe s’applique.

      [Par conséquent, les Polonais tentaient de récupérer des territoires qu’ils pouvaient légitimement revendiquer,]

      Aussi « légitimement » que l’Allemagne pourrait revendiquer Strasbourg et la Suisse Mulhouse.

      [et de consolider leur frontière orientale en profitant de la guerre civile russe (avec l’appui de la France, et je m’en félicite). En d’autres termes, la Pologne a fait ce que tout pays fait: elle a profité des faiblesses de son voisin pour fortifier sa position. Elle ne faisait d’ailleurs que rendre à la Russie la monnaie de sa pièce…]

      Très bien. Alors je ne comprends pas pourquoi on reproche à l’URSS d’avoir fait exactement la même chose en 1939.

      [Mais pour revenir au fond du débat, je ne comprends pas "le deux poids, deux mesures" que vous défendez. Vous nous dîtes: "John Smith du Kansas qui est venu crever sur une plage de Normandie, nous n’avons pas à lui rendre hommage, car il s’est fait tuér pour les intérêts de son pays et non pour les nôtres". Je suis on ne peut plus d’accord. Mais quand un commentateur s’offusque qu’on ne rende pas davantage hommage à Boris Vassilievitch de Nijni-Novgorod, tombé à Stalingrad, vous semblez abonder dans son sens.]

      Je n’ai pas dit que nous ne devions pas rendre hommage à John Smith. Ce que j’ai dit, ce que nous n’avions aucune raison de lui être « reconnaissants », d’abord parce qu’il est venu par obligation, et non par choix, et que nous n’avions pas à être « reconnaissants » au gouvernement américain puisque sa politique avait pour but de défendre ses intérêts, et non les nôtres. Il se fait qu’à ce moment là ses intérêts et les notres ont coïncidé – et encore, les américains ont bombardé certaines localités provoquant d’énormes destructions inutilement, ou avec le souci d’épargner des vies américaines en sacrifiant des vies françaises – mais cela aurait aussi bien pu être l’inverse : en 1940, l’intérêt des américains avait été de soutenir Vichy et de faire des affaires avec Hitler.

      Et également, je ne pense pas qu’on doive être « reconnaissants » aux soviétiques pour les mêmes raisons. Cela ne nous empêche pas de rendre hommage au courage et au sacrifice des soldats, américains et soviétiques. Ce qui me gêne, c’est l’asymétrie dans les hommages. C’est pourquoi, lorsqu’un commentateur proteste que John Smith a le droit à tous les égards et que Boris Vassilieitch non, j’adhère.

      [Faudrait savoir! Soit on rend hommage à tout le monde, en faisant semblant de croire que les alliés ont libéré l’Europe de la tyrannie nazie, soit on ne rend hommage à personne. Parce que Boris n’est pas mort à Stalingrad pour libérer la France, mais pour sauver son pays. C’est tout à fait honorable, et je salue son héroïsme, mais ce n’est pas un sacrifice pour "défendre les intérêts de la France".]

      Tout à fait d’accord.

      [C’est pourquoi je persiste et signe, et c’est une critique de votre vision de l’histoire, pas une attaque ad hominem je le précise, vous êtes bienveillant à l’excès vis-à-vis de l’URSS, jusqu’à reprocher aux Etats-Unis les mêmes choses qu’on pourrait reprocher aux Soviétiques: défendre l’intérêt national.]

      Je n’ai jamais reproché aux américains – et à n’importe quelle autre nation – de défendre leur intérêt national. J’ai même écrit plusieurs fois par exemple qu’il ne fallait pas reprocher à Merkel de faire précisément cela. Un dirigeant qui oublierait de défendre l’intérêt national, chose pour laquelle il a été après tout élu, commettrait une faute. Mais puisqu’il semble y avoir une ambiguïté, je veux clarifier le point : je n’ai jamais pensé que les soldats soviétiques se soient battus à Stalingrad pour le bonheur du monde ou pour la libération de la France. Pas plus que ne l’ont fait les soldats américains sur les plages de Normandie.

      Ce qui m’énerve, c’est qu’on accorde aux américains un brevet de « libérateurs » qu’on refuse aux soviétiques. D’où mon souhait de rappeler quelles étaient les motivations réelles des américains, et quels ont été les faits d’armes des soviétiques. Personnellement, je partage la position gaullienne : nous n’avons pas de reconnaissance à montrer ni aux uns, ni aux autres, et pour leur courage et dévouement à leur pays, ils méritent exactement le même hommage. Avec peut-être un avantage tout de même aux soviétiques, parce que le soldat soviétique qui se battait à Stalingrad le faisait dans des conditions autrement plus dures et avec une probabilité de survie beaucoup plus maigre que le soldat américain de Normandie.

      [Du coup, vous donnez l’impression que l’URSS est votre veau d’or, vous le défendez contre vents et marées, et paraissez justifier systématiquement les décisions soviétiques, politiques ou militaires. Désolé, mais c’est ce qui ressort des échanges: les Soviétiques font ce qu’ils font parce que, vous comprenez, les pauvres, ils ne pouvaient pas vraiment faire autrement, alors que les Américains, eux, n’agissent qu’après moult calculs machiavéliques.]

      Si j’ai donné cette impression, je le regrette. Ce n’était certainement pas mon intention. Mais il est vrai que la diabolisation de l’URSS pendant plus d’un demi-siècle a laissé de telles marques dans notre inconscient collectif que toute tentative de rétablir l’équilibre est très vite interprétée comme une « défense contre vents et marées ». Le simple fait d’insinuer que Staline, tout comme Roosevelt ou Churchill, prenait ses décisions en fonction d’une analyse rationnelle des faits et des intérêts de son pays, et non par une combinaison de méchanceté et de paranoïa, vous expose à l’accusation de « stalinisme ».

      Les puissances occidentales ont agi selon leurs intérêts. Considérant que le communisme était leur ennemi le plus dangereux, la France et la Grande Bretagne ont laisse les régimes autoritaires s’installer en Allemagne, en Italie, en Hongrie, en Pologne, en Roumanie. Ces puissances ont saboté tout système de sécurité collective qui impliquait une alliance avec l’URSS, tout simplement parce qu’elles avaient l’espoir que Hitler se tournerait vers l’Est. Ils se sont trompés. Quant aux américains, ils ont parié sur une usure reciproque de l’Allemagne et de l’URSS, qui leur permettrait d’arriver à la fin de la guerre et d’imposer leurs conditions à moindre coût. De l’autre côté, on a aussi agi selon ses intérêts. L’URSS a cherché d’abord à construire un système de sécurité collective, et lorsqu’il devint évident que la France et la Grande Bretagne n’en voulaient pas, elle a cherché à gagner du temps en signant le « pacte » avec l’Allemagne, qui en plus lui permettait de récupérer une partie des territoires que la Pologne avait pris à l’empire Russe dans les années 1920. Aucun camp ne peut revendiquer avoir été le champion de la morale.

      [Les Soviétiques sont en quelques sortes victimes du destin et les Américains, non.]

      Du « destin », non. Mais de la malveillance de l’ensemble du monde capitaliste, oui, sans aucun doute. C’est d’ailleurs le sort commun de toutes les révolutions. La Révolution française eut son Stalingrad à Valmy. C’est la seule asymétrie dans cette affaire entre soviétiques et américains.

      [De manière générale, il y a dans votre argumentation un net parti pris, et en vous relisant, certains arguments sont très discutables. Par exemple, lorsque vous écrivez à un endroit qu’un débarquement allié dans les Balkans aurait entraîné un partage des zones d’influence nord-sud et non est-ouest du continent, et que l’important pour les alliés était de mettre la main sur "les plaines d’Allemagne du Nord", les riches régions industrielles donc, ça ne tient pas. D’une part, les alliés n’ont récupéré que l’ouest des plaines d’Allemagne du Nord (avec la Ruhr), mais ils ont perdu les grandes régions industrielles d’Europe centrale, à savoir la Silésie et la Bohême tchèque…]

      Une montée par les Balkans aurait laissé aux alliés la Bulgarie, la Roumanie, la Yougoslavie, mais on voit mal comment les alliés auraient fait pour arriver à la Bohème ou la Silésie avant les soviétiques. Et c’eut été au risque de perdre l’Allemagne occidentale, avec non seulement la Ruhr mais les ports hanséatiques et l’ensemble de l’Allemagne industrielle, sans compter les Pays Bas et la France… Je pense que le choix était vite fait.

      Si Churchill avait proposé une campagne aux balkans, c’était en grande partie pour des questions qui touchent la politique impériale britannique. La grande crainte des anglais était l’arrivée de l’URSS en Méditerranée et la perte de la Grèce.

    • @ Descartes,

      "Mon point n’était pas de donner des brevets de « bon » et de « méchants », mais de noter que la vision moralisante d’une Pologne « victime » et d’une Russie « bourreau », complaisamment diffusée, est une falsification de l’histoire."
      On peut me reprocher bien des choses, certainement pas de défendre une conception moralisante de l’histoire. La Pologne, en effet, a toujours profité des difficultés de la Russie et ne s’est pas privée de pratiquer l’ingérence (au XVII° siècle par exemple) quand elle le pouvait. Mais voilà, en 1939, l’URSS n’attaque pas la Pologne seule, elle l’attaque de concert avec le III° Reich. On peut également discuter des objectifs de guerre: que veut la Pologne au début des années 20? Consolider sa frontière orientale, recouvrer d’anciens territoires polonais ou détruire purement et simplement la Russie? En 1939, que cherchent à faire les Soviétiques et les Allemands? A détruire la Pologne en tant qu’Etat. Vous me direz peut-être que vous ne faites pas de différence, mais moi j’y vois une nuance.

      Par ailleurs, je voudrais qu’on revienne un instant sur la Finlande. Avec le statut de Grand-Duché autonome, la Finlande a fait partie de l’empire russe de 1806 à 1917. Elle proclame son indépendance en décembre 1917 et est reconnue en janvier 1918 par le tout jeune pouvoir soviétique. Vérification faite, les limites de la Finlande indépendante correspondent parfaitement à celles du Grand-Duché. La Finlande, elle, n’a pas profité des difficultés de la Russie pour s’agrandir, et pour cause: elle est en proie à la guerre civile entre "rouges" communistes (soutenus par les bolcheviks) et "blancs" non-communistes. Les "blancs" l’emportent mais après tout les Soviétiques ont reconnu cette indépendance. Pourtant, Staline a attaqué la Finlande en 1939 pour s’emparer de la Carélie, les Caréliens étant des Finnois proches des Finlandais "ethniques" (car il y a des Finlandais scandinaves d’origine suédoise). Je vous laisse le soin de justifier cette attaque alors qu’il ne s’agissait ni de récupérer des terres anciennement ou culturellement russes, ni de châtier un Etat qui aurait profité des troubles de la Révolution après 1917 pour s’agrandir au détriment de la Russie… La Finlande, bien que plutôt germanophile, n’a pas manifesté d’hostilité ouverte vis-à-vis de l’URSS entre 1917 et 1939 (ce sont plutôt les Soviétiques qui se sont ingérés dans les affaires finlandaises en 1918), et par ailleurs, le pacte germano-soviétique est toujours en vigueur en cette fin 1939. Enfin, la laborieuse victoire soviétique a montré les faiblesses de l’Armée rouge et les Soviétiques se sont faits un ennemi supplémentaire. Alors? Est-il excessif d’affirmer que, pour le coup, la Finlande a été "victime" des ambitions soviétiques?

      "Curieusement, on nous rappelle à tout bout de champ que l’URSS a annexé une partie de la Pologne en 1939 (confirmé en 1945), personne ne rappelle que la Pologne avait fait de même en 1922."
      Je ne sais pas qui est "on". Pour ma part, je connais et je ne remets pas en cause ce chapitre de l’histoire. Je note qu’il n’y a pas non plus grand monde pour se rappeler de l’offensive soviétique contre la Finlande… alors que cette dernière n’a pas "fait de même" en 1922.

      "Pourquoi alors faire tout un plat ?"
      Parce qu’il ne s’agit pas, comme en 1922, de consolider sa frontière et de récupérer quelques territoires: il s’agit de détruire un Etat et d’asservir une nation. Je ne crois pas que la Pologne en 1922 ait nourri la folle ambition de détruire la Russie et d’imposer son autorité à l’ensemble de la population russe.

      "Lorsque l’URSS envahit la Pologne en 1939, le même principe s’applique"
      Et en Finlande?

      "Aussi « légitimement » que l’Allemagne pourrait revendiquer Strasbourg et la Suisse Mulhouse."
      Non, car l’Allemagne n’existait pas avant 1871. L’Alsace a fait partie du Saint Empire, mais jamais de l’ "Allemagne" stricto sensu avant son annexion de 1871. Et le principe de la "succession d’Etats" ne s’applique pas: le Saint Empire disparaît en 1806 et l’Empire allemand naît 65 ans plus tard…

      "Ce qui me gêne, c’est l’asymétrie dans les hommages."
      Je partage ce point.

      "Ce qui m’énerve, c’est qu’on accorde aux américains un brevet de « libérateurs » qu’on refuse aux soviétiques. D’où mon souhait de rappeler quelles étaient les motivations réelles des américains, et quels ont été les faits d’armes des soviétiques. Personnellement, je partage la position gaullienne : nous n’avons pas de reconnaissance à montrer ni aux uns, ni aux autres, et pour leur courage et dévouement à leur pays, ils méritent exactement le même hommage. Avec peut-être un avantage tout de même aux soviétiques, parce que le soldat soviétique qui se battait à Stalingrad le faisait dans des conditions autrement plus dures et avec une probabilité de survie beaucoup plus maigre que le soldat américain de Normandie."
      Je suis d’accord avec votre position.

      "Mais il est vrai que la diabolisation de l’URSS pendant plus d’un demi-siècle a laissé de telles marques dans notre inconscient collectif que toute tentative de rétablir l’équilibre est très vite interprétée comme une « défense contre vents et marées »."
      Je suis d’accord pour "rétablir l’équilibre". Je signale que la bataille de Stalingrad est proposé comme exemple de bataille emblématique de la Seconde Guerre Mondiale dans le programme de 3ème. Et nous évoquons les conditions très dures des soldats russes. Mais j’ai trouvé que vous alliez très loin dans le "rééquilibrage". Il m’a semblé percevoir une certaine sympathie, voire un soutien voilé, à la politique de Staline. Vous me dites donc que je me trompe?

      "Mais de la malveillance de l’ensemble du monde capitaliste, oui, sans aucun doute."
      Vu le sort que les communistes réservent au capitalisme, ça me paraît logique… Nous, nous connaissons la suite de l’histoire mais, au risque de choquer, j’avoue que je conçois aisément que dans les années 30 Staline ait fait plus peur qu’Hitler. Il y avait les exilés, la peur du communisme, de la Révolution, les rumeurs sur la famine en Ukraine. Le régime soviétique, comme souvent les régimes issus d’une révolution, est quand même un régime dur, aux méthodes contestables et au fonctionnement effrayant pour un Occidental. Après tout, était-ce si insensé de craindre les Soviétiques davantage que les nazis, dans un premier temps?

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [La Pologne, en effet, a toujours profité des difficultés de la Russie et ne s’est pas privée de pratiquer l’ingérence (au XVII° siècle par exemple) quand elle le pouvait. Mais voilà, en 1939, l’URSS n’attaque pas la Pologne seule, elle l’attaque de concert avec le III° Reich.]

      Et alors ? De la même manière que la Pologne a profité lorsqu’elle a pu des difficultés de ses voisins – sans trop regarder qui en était la cause – l’URSS a profité des difficultés de la Pologne. J’ajoute que la Pologne a, elle aussi, profité d’une attaque du IIIème Reich pour dépecer l’un de ses voisins. On l’oublie un peu vite aujourd’hui, mais le 30 septembre 1938, le jour même où la Tchécoslovaquie contrainte et forcée se soumet aux accords de Munich, lla Pologne transmet un ultimatum à la Tchécoslovaquie et occupe la région de Cesky Tesin (Teschen en allemand, Zaolzie en polonais). Pourquoi, à votre avis, ce « coup de poignard dans le dos » des polonais – qui ont eux aussi « profité de l’attaque du IIIème Reich » – est presque oublié aujourd’hui, alors que celui des soviétiques est dans tous les livres d’histoire ?

      [On peut également discuter des objectifs de guerre: que veut la Pologne au début des années 20? Consolider sa frontière orientale, recouvrer d’anciens territoires polonais ou détruire purement et simplement la Russie?]

      Je pense qu’en 1920 la Pologne « voulait » détruire pure et simplement la Russie – quelque chose qu’elle a voulu depuis le XVème siècle – et l’aurait fait si elle en avait eu les moyens. Ne soyez pas naïf. Si la Pologne avait eu en 1920 les moyens d’occuper Moscou ou d’avancer jusqu’à Vladivostok, elle l’aurait fait. Quelle meilleur moyen de « consolider sa frontière orientale » ?

      [En 1939, que cherchent à faire les Soviétiques et les Allemands? A détruire la Pologne en tant qu’Etat. Vous me direz peut-être que vous ne faites pas de différence, mais moi j’y vois une nuance.]

      D’abord, vous partez de l’hypothèse que Soviétiques et Allemands avaient le même objectif. Ce qui n’a rien d’évident. Ensuite, qu’est ce qui vous fait dire que Staline cherchait à « détruire la Pologne comme état » et non à « sécuriser sa frontière orientale » et « récupérer d’anciens territoires russes » ? Que l’Allemagne ait voulu détruire la Pologne comme état, c’est certain. Mais dans le cas de l’URSS, cela ne semble nullement évident.

      [Par ailleurs, je voudrais qu’on revienne un instant sur la Finlande. (…) Pourtant, Staline a attaqué la Finlande en 1939 pour s’emparer de la Carélie, les Caréliens étant des Finnois proches des Finlandais "ethniques" (car il y a des Finlandais scandinaves d’origine suédoise). Je vous laisse le soin de justifier cette attaque alors qu’il ne s’agissait ni de récupérer des terres anciennement ou culturellement russes, ni de châtier un Etat qui aurait profité des troubles de la Révolution après 1917 pour s’agrandir au détriment de la Russie…]

      Je suis ravi de vous obliger. En octobre 1939, le gouvernement soviétique propose au gouvernement finlandais des échanges territoriaux. L’URSS recevrait le sud de la Carélie et le port de Hanko à location pour trente années, en tout quelque 2000 km2 en échange de concessions territoriales au nord de la Carelie pour une surface de 5000 km2. L’objectif est d’améliorer la défense de Leningrad : le recul de la frontière en Carélie met Léningrad hors de portée de l’artillerie, et le port de Hanko commande l’entrée du Golfe de Finlande et empêcherait les allemands d’installer un éventuel blocus. La Finlande est prête à accepter la rectification de la frontière en Carélie, mais refuse de céder sur le port de Hanko, celui-ci commandant aussi l’approvisionnement de la capitale finlandaise par mer. L’URSS attaque donc la Finlande, qui demande l’armistice après plusieurs semaines de combats. Le conflit se termine par le traité de Moscou du 12 mars 1940, par lequel l’URSS obtient ce qu’elle demandait au départ, avec en plus la ville de Vyborg. Les territoires et les bases ainsi récupérés se révèleront précieuses lors du siège de Leningrad. Certains auteurs estiment même que sans les voies d’approvisionnement passant par la Carélie, la ville n’aurait pu tenir.

      Ce n’était donc ni la vengeance, ni le désir de « récupérer des territoires soviétiques » qui ont motivé la politique soviétique envers la Finlande. Il faut noter d’ailleurs que lors de la conclusion du traité de Moscou les exigences soviétiques étaient assez modérées, et que jamais l’URSS n’a cherché à aller au-delà de ses demandes initiales.

      Par ailleurs, lors de l’attaque allemande « Barbarossa », les finlandais s’empresseront, là aussi, d’attaquer l’URSS pour « récupérer les territoires anciennement finlandais ». Comme quoi il y avait beaucoup de gens à cette époque pour profiter des attaques allemandes pour se refaire une santé sur le dos des voisins…

      [Je note qu’il n’y a pas non plus grand monde pour se rappeler de l’offensive soviétique contre la Finlande… alors que cette dernière n’a pas "fait de même" en 1922.]

      Vous « notez » à tort. L’épisode figure dans tous les manuels scolaires sur la période. Qui sont beaucoup plus discrets sur l’attaque finlandaise contre l’URSS en 1941. Encore une coïncidence…

      [Je ne crois pas que la Pologne en 1922 ait nourri la folle ambition de détruire la Russie et d’imposer son autorité à l’ensemble de la population russe.]

      A ma connaissance, ce n’était pas non plus l’ambition de l’URSS en 1939, qui s’est contenté de réoccuper les territoires perdus en 1922. Par ailleurs, je ne doute pas que si la Pologne n’a pas nourri l’ambition de détruire la Russie en 1922, c’était tout simplement parce qu’elle n’en avait pas les moyens.

      [Je suis d’accord pour "rétablir l’équilibre". Je signale que la bataille de Stalingrad est proposé comme exemple de bataille emblématique de la Seconde Guerre Mondiale dans le programme de 3ème. Et nous évoquons les conditions très dures des soldats russes.]

      Cela fait quelque temps que je n’ai pas eu la curiosité de me plonger dans les manuels scolaires d’histoire. Je vous fais confiance sur ce point.

      [Mais j’ai trouvé que vous alliez très loin dans le "rééquilibrage". Il m’a semblé percevoir une certaine sympathie, voire un soutien voilé, à la politique de Staline. Vous me dites donc que je me trompe?]

      Je pense qu’il y a un réflexe très humain qui consiste à prendre la défense de l’agressé plutôt que celle de l’agresseur. Et la politique internationale de l’entre-deux-guerres fut dominée par le désir des puissances occidentales de mettre fin à l’expérience socialiste en URSS, d’abord par les interventions de toutes sortes dans la guerre civile dans les années 1920, puis par le soutien aux régimes autoritaires pour créer un « cordon sanitaire » autour du premier état socialiste, ensuite par un soutien à peine déguisé aux régime nazi qu’on avait l’espoir de canaliser vers l’orient (« il faut chevaucher le tigre, et l’envoyer vers l’est », aurait dit Neville Chamberlain), et finalement par une gestion de la guerre mondiale qui tendait à laisser soviétiques et allemands s’user mutuellement pour ensuite venir et ramasser les fruits de la victoire. Bien sur, cette description est très schématique et forcément un peu caricaturale, mais résume à mon avis assez bien l’esprit de l’époque. Dans ces conditions, vous me pardonnerez d’aller peut-être un peu plus loin dans mon « soutien » à la politique soviétique que celle-ci ne le mérite…

      [« Mais de la malveillance de l’ensemble du monde capitaliste, oui, sans aucun doute. » Vu le sort que les communistes réservent au capitalisme, ça me paraît logique…]

      Nous coïncidons donc sur le diagnostic ? Dont acte…

      [Nous, nous connaissons la suite de l’histoire mais, au risque de choquer, j’avoue que je conçois aisément que dans les années 30 Staline ait fait plus peur qu’Hitler.]

      Moi aussi. Surtout aux détenteurs de capitaux, qui faisaient de très bonnes affaires avec le second, et qui avaient tout à craindre du premier…

      [Il y avait les exilés, la peur du communisme, de la Révolution, les rumeurs sur la famine en Ukraine. Le régime soviétique, comme souvent les régimes issus d’une révolution, est quand même un régime dur, aux méthodes contestables et au fonctionnement effrayant pour un Occidental. Après tout, était-ce si insensé de craindre les Soviétiques davantage que les nazis, dans un premier temps?]

      Ca dépend pour qui. Pour la bonne bourgeoisie, petite ou grande, certainement. Le cri « plutôt Hitler que le Front Populaire » avait sans aucun doute sa logique… mais il y avait dans cette crainte un point que vous semblez oublier. Le régime soviétique, aussi effrayant qu’il ait pu paraître, n’était guère un régime agressif. Au contraire : le choix fait au moment de la victoire de Staline sur ses adversaires au Parti Bolchévique du « socialisme dans un seul pays » ne laissait pas d’ambiguïté sur le fait que l’URSS entendait se concentrer sur les questions intérieures, et ne s’intéressait aux affaires internationales que dans la mesure où celles-ci la mettaient en danger directement. Avec la prise du pouvoir par Staline, le Komintern a cessé d’être l’état major de la révolution mondiale, et est devenu une organisation ayant pour priorité absolue la sécurité de l’URSS. Ce manque d’agressivité sera d’ailleurs une constante de l’histoire soviétique. L’URSS n’est sortie de ses frontières que du fait de l’attaque allemande, et son objectif a été d’abord et avant tout de se constituer un « glacis » pour assurer sa sécurité. En un demi-siècle, les troupes soviétiques ne sont intervenues en dehors de ce « glacis » qu’une seule fois, en Afghanistan. Comparé à la France, à la Grande Bretagne ou aux Etats-Unis, tous pays dont les troupes sont intervenues en dehors de leurs frontières plusieurs dizaines de fois, la différence est notable.

      Le régime nazi, au contraire, n’a jamais fait un secret de son caractère agressif. Il en a fait même une doctrine d’Etat. Dans ces conditions, difficile de conclure comme vous le faites qu’il était « sensé » de craindre plus les soviétiques que les nazis…

    • @ Descartes,

      "Je pense qu’en 1920 la Pologne « voulait » détruire pure et simplement la Russie"
      Que vous le pensiez n’implique nullement que ce soit vrai. Soit vous avez des preuves de ce que vous avancez, soit vous vous laissez aveugler par votre antipathie manifeste à l’égard de la Pologne.

      "quelque chose qu’elle a voulu depuis le XVème siècle"
      Ah bon? Sans être spécialiste, je connais un peu l’histoire de la Russie et de la Pologne. Je me demande d’où vous tirez votre affirmation. D’une part, le danger le plus pressant pour la Russie est venu pendant tout le Moyen Âge d’Asie centrale et non de l’Ouest, ensuite il faut se rappeler que la Russie comme Etat est assez récent: au XV° siècle, la Russie moscovite commence à peine à s’affirmer. En Biélorussie et en Ukraine, les Polonais (en fait les Lituaniens pour être précis) annexent un territoire morcelé en principautés rivales. Puis, dès le XVI° siècle, la Pologne devient une monarchie élective, dominée par une aristocratie turbulente, minée par les divisions. Dès lors, l’expansionnisme polonais marque le pas, et même si la Pologne profite des troubles en Russie au début du XVII° pour tenter d’imposer un tsar à sa dévotion (une entreprise qui échoue), l’Etat polonais est déjà trop faible pour espérer subjuguer son voisin. Au XVII° siècle, la Suède devient le principal ennemi de la Russie.

      "Ce qui n’a rien d’évident."
      Ah bon? Le plan de partage ne prévoyait pas la disparition de l’Etat polonais? A Katyn, les Soviétiques n’ont pas massacré plusieurs milliers de cadres polonais, civils et militaires? Décidément, je n’y connais rien…

      "Je suis ravi de vous obliger."
      Mais je vous en prie. Pour une raison qui m’échappe, vous ne répondez pas à la question de savoir si la Finlande peut être considérée, oui ou non, comme une "victime" de l’URSS dans cette affaire.

      "Ce n’était donc ni la vengeance, ni le désir de « récupérer des territoires soviétiques » qui ont motivé la politique soviétique envers la Finlande."
      Tout à fait: ce qui a motivé cette politique, c’est l’impérialisme soviétique, car il faut bien le nommer ainsi.

      "Il faut noter d’ailleurs que lors de la conclusion du traité de Moscou les exigences soviétiques étaient assez modérées, et que jamais l’URSS n’a cherché à aller au-delà de ses demandes initiales."
      Tout comme les demandes de Bismarck en 1871 étaient somme toute modérées… La Finlande a dû céder 10 % de son territoire national. Je ne pense pas que les Finlandais aient goûté cette "modération".

      "les finlandais s’empresseront, là aussi, d’attaquer l’URSS pour « récupérer les territoires anciennement finlandais »."
      Tout à fait. Et cela se justifie davantage que l’offensive soviétique, qui ne faisait suite à aucune annexion ou agression finlandaise.

      "ce n’était pas non plus l’ambition de l’URSS en 1939, qui s’est contenté de réoccuper les territoires perdus en 1922."
      Ah bon? Pardonnez ma surprise, mais j’ignorais que "réoccuper des territoires perdus" nécessitait le massacre sans procès de plusieurs milliers de cadres civils et militaires polonais à Katyn. Non, il ne s’agissait pas seulement de "réoccuper les territoires perdus", mais de frapper également les élites de la nation asservie.

      "si la Pologne n’a pas nourri l’ambition de détruire la Russie en 1922, c’était tout simplement parce qu’elle n’en avait pas les moyens"
      Cette affirmation est gratuite et ne repose pas sur des preuves sérieuses, pardonnez-moi.

      "Je pense qu’il y a un réflexe très humain qui consiste à prendre la défense de l’agressé plutôt que celle de l’agresseur."
      C’est vrai. Malgré ses torts, que je ne nie pas, c’est bien la Pologne qui est agressée en 1939. Et la Finlande est aussi l’agressé.

      "Surtout aux détenteurs de capitaux, qui faisaient de très bonnes affaires avec le second, et qui avaient tout à craindre du premier…"
      Pas seulement: vous savez très bien que la Révolution de 1917 n’a pas été une promenade de santé. Lors d’une révolution, beaucoup de gens ont beaucoup à perdre, et pas seulement les bourgeois. Avec Staline, nombre de paysans russes ont beaucoup perdu par exemple. Sans être bourgeois, on peut hésiter à l’idée de plonger son pays dans la guerre civile comme en Russie, en Finlande, en Hongrie entre 1917 et le début des années 20.

      "Pour la bonne bourgeoisie, petite ou grande, certainement."
      En France, la III° République repose sur l’alliance entre la bourgeoisie et la paysannerie, encore très nombreuse à l’époque. Croyez-vous que les paysans français étaient prêts à accepter les kolkhozes et les sovkhozes?

      "l’URSS entendait se concentrer sur les questions intérieures"
      Pour le moment… L’idéal révolutionnaire est fait pour s’exporter: on l’a vu en 1789 comme en 1917. Le choix de Staline pouvait fort bien apparaître comme provisoire: après avoir stabilisé la révolution en URSS, il aurait pu envisager de la propager ailleurs, non?

      "Ce manque d’agressivité sera d’ailleurs une constante de l’histoire soviétique. L’URSS n’est sortie de ses frontières que du fait de l’attaque allemande, et son objectif a été d’abord et avant tout de se constituer un « glacis » pour assurer sa sécurité."
      C’est vrai. Mais en 1939, les souvenirs de la vague révolutionnaire de 1917-1920 sont encore frais. Ensuite, il y a les choix politiques de Staline et il y a les souhaits des partis communistes en-dehors de l’URSS. Et ces partis tenaient un discours révolutionnaire.

      "Dans ces conditions, difficile de conclure comme vous le faites qu’il était « sensé » de craindre plus les soviétiques que les nazis…"
      Je pense que certains ont cru qu’Hitler perdrait de son agressivité une fois au pouvoir… ou bien, comme vous le dîtes, qu’on "canaliserait" cette agressivité contre les "Rouges". Ces gens se sont trompés. Je suis d’accord que dès 1936, les illusions auraient dû tomber. On sait ce que cet aveuglement nous a coûté…

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [« Je pense qu’en 1920 la Pologne « voulait » détruire pure et simplement la Russie ». Que vous le pensiez n’implique nullement que ce soit vrai.]

      Vous me demandez mon opinion, je vous la donne. Si vous voulez connaître l’histoire, regardez dans un bon livre.

      [Soit vous avez des preuves de ce que vous avancez, soit vous vous laissez aveugler par votre antipathie manifeste à l’égard de la Pologne.]

      Aucune « antipathie », croyez moi. Seulement une question de logique. Lorsque vous avez un « ennemi héréditaire » aux portes, si vous avez un moyen de le faire disparaître, vous le faites.

      [« Ce qui n’a rien d’évident ». Ah bon? Le plan de partage ne prévoyait pas la disparition de l’Etat polonais?]

      Non. Le « plan de partage » ne faisait que préciser le tracé de la frontière entre la zone qui serait occupée par l’URSS, et celle qui serait occupée par l’Allemagne. Je ne sais pas qu’il y eut aucune référence à la « disparition de l’Etat polonais ». Si l’Allemagne ou l’URSS avaient souhaité garder un « Etat polonais » dans leur zone d’occupation, rien dans le protocole secret du pacte germano-soviétique ne l’interdisait.

      [A Katyn, les Soviétiques n’ont pas massacré plusieurs milliers de cadres polonais, civils et militaires? Décidément, je n’y connais rien…]

      Je ne vois pas très bien le rapport avec l’existence d’un Etat polonais. Mais si cela est un critère, alors l’exécution en 1922 de milliers de communistes par les polonais devrait prouver que les polonais voulaient effectivement en finir avec l’Etat soviétique.

      [« Je suis ravi de vous obliger ». Mais je vous en prie. Pour une raison qui m’échappe, vous ne répondez pas à la question de savoir si la Finlande peut être considérée, oui ou non, comme une "victime" de l’URSS dans cette affaire.]

      Je n’ai pas l’habitude de répondre a des questions qui n’ont pas de sens. C’est quoi un « état victime » ?

      [« Ce n’était donc ni la vengeance, ni le désir de « récupérer des territoires soviétiques » qui ont motivé la politique soviétique envers la Finlande ». Tout à fait: ce qui a motivé cette politique, c’est l’impérialisme soviétique, car il faut bien le nommer ainsi.]

      Je n’en vois pas la nécessité. On peut juger condamnable d’engager une guerre pour s’assurer de positions stratégiques en prévision de la défense d’une ville. Mais je trouve que parler de « impérialisme » à ce propose est impropre.

      [« Il faut noter d’ailleurs que lors de la conclusion du traité de Moscou les exigences soviétiques étaient assez modérées, et que jamais l’URSS n’a cherché à aller au-delà de ses demandes initiales ». Tout comme les demandes de Bismarck en 1871 étaient somme toute modérées…]

      J’avoue que je ne me souvenais pas que Bismarck ait proposé à la France avant la guerre d’échanger l’Alsace et la Lorraine contre un territoire allemand d’une surface double. Mais bon, cela a du m’échapper. Personnellement, je pense que dans le contexte de 1939 qui permettait à l’Union soviétique d’annexer l’ensemble du pays, le fait de se contenter strictement des demandes considérées comme nécessaires pour assurer la sécurité de Leningrad est une preuve de modération. Si vous pensez le contraire, je crains que nous ne devions nous contenter de constater ce désaccord.

      [« ce n’était pas non plus l’ambition de l’URSS en 1939, qui s’est contenté de réoccuper les territoires perdus en 1922 ». Ah bon? Pardonnez ma surprise, mais j’ignorais que "réoccuper des territoires perdus" nécessitait le massacre sans procès de plusieurs milliers de cadres civils et militaires polonais à Katyn.]

      Je ne vois pas le rapport avec Katyn. Nous échangions ici sur la question des territoires annexés par les uns et les autres, et la légitimité des guerres faites pour les récupérer. Si on commence à se jeter les morts à la figure, faudra compter aussi les communistes fusillés ou assassinés par les troupes polonaises lors de la guerre de 1922. Un épisode qui, à aussi, semble oublié. Toujours cette assymétrie…

      [« Pour la bonne bourgeoisie, petite ou grande, certainement ». En France, la III° République repose sur l’alliance entre la bourgeoisie et la paysannerie, encore très nombreuse à l’époque. Croyez-vous que les paysans français étaient prêts à accepter les kolkhozes et les sovkhozes?]

      Non, mais je ne pense pas un instant que le projet de Staline ait été de mettre les paysans français dans des kolkhozes et des sovkhozes. Franchement, qu’avaient les paysans français à craindre de Staline ?

      [« l’URSS entendait se concentrer sur les questions intérieures ». Pour le moment… L’idéal révolutionnaire est fait pour s’exporter: on l’a vu en 1789 comme en 1917. Le choix de Staline pouvait fort bien apparaître comme provisoire: après avoir stabilisé la révolution en URSS, il aurait pu envisager de la propager ailleurs, non?]

      L’expérience de 1789 répond à cette question : les grandes idées s’exportent, mais elles prennent dans chaque pays une forme différente, adaptée à l’histoire locale. Il faut une très grande dose de mauvaise foi pour imaginer que si les communistes français avaient pris le pouvoir ils auraient collectivisé l’agriculture française sous la même forme que les bolcheviques soviétiques. De ce point de vue, il est intéressant de relire ce que fut le programme du PCF dans les années staliniennes : jamais la collectivisation de l’agriculture n’a figuré au programme…

    • @ Descartes,

      "Si vous voulez connaître l’histoire, regardez dans un bon livre."
      Je vous remercie du conseil: c’est ce que j’ai fait, et je vous invite à en faire de même, j’y ai appris des choses fort instructives. Par exemple, la Pologne n’a en réalité que peu soutenu les armées russes "blanches", car ses généraux considéraient la Pologne comme faisant partie de l’Empire, alors que les bolcheviks passaient pour plus ouverts sur la question de "la liberté des peuples". La guerre russo-polonaise commence en 1919, au moment où l’Armée rouge est en passe de neutraliser les armées blanches. Dans un premier temps, les Polonais ont d’ailleurs mené des opérations surtout en Galicie, dans l’Ouest de l’Ukraine, une région échappant totalement au contrôle des Soviétiques. Ensuite, si les Polonais ont pris l’initiative de l’offensive, les Soviétiques avaient massé des troupes pour envahir la Pologne en vue de tenter une jonction avec les communistes hongrois et allemands (car à ce moment précis, les bolcheviks espèrent exporter leur révolution). Staline fait d’ailleurs partie des chefs militaires soviétiques. Après quelques succès initiaux polonais, les Soviétiques prennent l’avantage et arrivent aux portes de Varsovie. Durant cette guerre, la Pologne ne jouait pas seulement l’annexion de quelques territoires à l’est, mais bien son existence même. J’ai lu également que la Pologne n’avait pas très bonne presse en Occident, et n’a reçu un soutien que tardivement. Les "états capitalistes malveillants" ont apparemment peiné à se mobiliser…

      "Lorsque vous avez un « ennemi héréditaire » aux portes, si vous avez un moyen de le faire disparaître, vous le faites."
      Je me suis penché un peu sur le détail des opérations: non seulement la Pologne n’a jamais eu les moyens de "détruire" la Russie bolchévique, mais rien dans les opérations et les stratégies de l’état-major polonais ne permet d’arriver à cette conclusion. En 1919, la Pologne n’a pas véritablement exploité les succès de Denikine et, comme je l’ai dit, la sympathie de la Pologne pour les Russes blancs était plus que tiède. Il semble que l’objectif de Pilsudski ait été de créer une fédération regroupant Pologne, Lituanie, Biélorussie et Ukraine (d’où l’alliance avec la République populaire d’Ukraine de Petlioura). Il n’a jamais été question de conquérir la Russie jusqu’à Vladivostok, ni même de prendre Moscou…

      "Je ne sais pas qu’il y eut aucune référence à la « disparition de l’Etat polonais »."
      Excusez-moi, j’aurais dû écrire "Etat polonais indépendant et souverain".

      "Je ne vois pas très bien le rapport avec l’existence d’un Etat polonais"
      Un Etat se porte mieux lorsqu’il dispose d’élites pour le gouverner, d’officiers pour commander son armée…

      "l’exécution en 1922 de milliers de communistes par les polonais devrait prouver que les polonais voulaient effectivement en finir avec l’Etat soviétique."
      Les chiffres que j’ai trouvés indiquent des pertes comparables dans les deux camps. J’ajoute que la guerre russo-polonaise de 1919-1922 s’est déroulé en partie dans des régions peuplées majoritairement de Polonais, et pas seulement en territoire "russe" (en fait biélorusse et ukrainien). J’ajoute que la volonté d’en finir avec la Pologne non-communiste est manifeste du côté soviétique, Toukhatchevsky déclarant: "A l’Ouest! Sur le cadavre de la Pologne blanche se trouve la route de la révolution mondiale".

      "C’est quoi un « état victime » ?"
      Je vais vous l’expliquer simplement: un état "victime", dans un conflit, est un pays qui est agressé par un autre sans avoir chercher à provoquer l’hostilité de son agresseur. Le refus de la Finlande d’ "échanger" des territoires n’est pas une provocation, c’était son droit d’Etat souverain.

      "J’avoue que je ne me souvenais pas que Bismarck ait proposé à la France avant la guerre d’échanger l’Alsace et la Lorraine contre un territoire allemand d’une surface double."
      Je parlais uniquement des conditions contenus dans le Traité mettant fin au conflit.

      Je vous cite:
      "Il faut noter d’ailleurs que lors de la conclusion du traité de Moscou les exigences soviétiques étaient assez modérées", nous parlions donc bien des conditions imposées par Staline après le conflit?

      "dans le contexte de 1939 qui permettait à l’Union soviétique d’annexer l’ensemble du pays"
      Rien n’est moins sûr. L’annexion de toute la Finlande aurait fort bien pu entraîner un mouvement de résistance diffus, difficile à mater, recevant des soutiens depuis la Norvège et la Suède, et mobilisant de nombreuses troupes soviétiques afin de pacifier la pays. La Finlande est peu peuplée, mais relativement vaste et boisée. Un terrain idéal pour une guérilla longue et pénible.

      "Je ne vois pas le rapport avec Katyn."
      Je me répète: les Soviétiques ne se contentent pas de "réoccuper des territoires", ils "décapitent" la nation polonaise en la privant de ses élites.

      "Si on commence à se jeter les morts à la figure, faudra compter aussi les communistes fusillés ou assassinés par les troupes polonaises lors de la guerre de 1922."
      Rien ne permet d’affirmer que les Soviétiques ont été moins cruels durant la guerre de 1919-1922… Je ne comprends pas où est l’ "asymétrie" dont vous parlez.

      "je ne pense pas un instant que le projet de Staline ait été de mettre les paysans français dans des kolkhozes et des sovkhozes."
      Peut-être. Mais la menace pouvait sembler plausible. Le danger venant moins de Staline que des communistes français. Après tout, si les Soviétiques avaient anéanti la Pologne en 1920 et fait leur jonction avec les communistes allemands et hongrois, comme ils en avaient l’intention, on ne sait pas ce qui serait advenu: peut-être y aurait-il eu des kolkhozes en Allemagne et en Hongrie. Ajoutons que nous savons aujourd’hui que Staline a "régné" sur l’URSS jusqu’à sa mort en 1953. Mais il aurait pu mourir plus tôt ou être renversé, et qui sait alors si son successeur n’aurait pas changé de politique.

      "il est intéressant de relire ce que fut le programme du PCF dans les années staliniennes : jamais la collectivisation de l’agriculture n’a figuré au programme…"
      Mais ce n’est pas en collectivisant les terres que Lénine a obtenu le soutien de la paysannerie russe. Pourtant Staline l’a fait, supprimant les mesures qui avaient rendu les communistes populaires dans le monde rural…

    • odp dit :

      @ Descartes

      Sur les livraisons de matériel US à l’URSS dans le cadre de la loi prêt bail, vous trouverez, page 52 du lien ci-après, la statistique suivante: 52% d’entre elles furent effectuées entre Juin 41 et Juin 43 et 48% entre Juillet 43 et Septembre 45 (http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_1984_num_15_3_2510).

      Cette belle régularité dès le déclenchement de l’opération Barbarossa, invalide doublement votre théorie, puisque d’une part les livraisons ont commencé bien avant Stalingrad (dès Septembre 1941 pour être plus précis) et d’autre part qu’elles n’ont aucunement ralenti au fur et à mesure des victoires soviétiques.

      A vrai dire, s’il fallait absolument exhumer la formule de Roosevelt sur Somoza, c’est à Staline bien plus qu’à Hitler qu’il faudrait l’appliquer. Celui-ci ne s’y est d’ailleurs pas trompé puisqu’en Novembre 1943, à la conférence de Téhéran, il déclara, portant un toast: "je voudrais ce que nous autres russes devons au Président et au peuple américain. Cette guerre est une guerre de forces mécaniques. Vous produisez trois fois plus d’avions que nous. Sans ceux que vous nous avez livrés au titre de la loi prêt-bail nous aurions perdu la guerre".

    • odp dit :

      @ Descartes

      [Non. Le « plan de partage » ne faisait que préciser le tracé de la frontière entre la zone qui serait occupée par l’URSS, et celle qui serait occupée par l’Allemagne. Je ne sais pas qu’il y eut aucune référence à la « disparition de l’Etat polonais ».]

      Vous omettez, dans votre analyse, le Traité germano-soviétique de délimitation et d’amitié (sic) du 28 Septembre 1939 qui organise la "dissolution de l’Etat polonais" et sa répartition selon "des intérêts d’empire réciproques".

      Vos apprécierez également la déclaration conjointe de Ribbentrop et Molotov imputant la responsabilité de la guerre à la France et à l’Angleterre et dédouanant l’Allemagne.

      http://fr.wikisource.org/wiki/Pacte_Molotov-Ribbentrop

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [« Si vous voulez connaître l’histoire, regardez dans un bon livre. » Je vous remercie du conseil: c’est ce que j’ai fait, et je vous invite à en faire de même, j’y ai appris des choses fort instructives.]

      Pas la peine de se vexer. Je répondais à l’une de vos remarques me reprochant d’exprimer une opinion personnelle, en vous disant que ce que j’écris n’est que mon opinion, et ne prétend pas être une vérité révélée ou même scientifique.

      [Par exemple, la Pologne n’a en réalité que peu soutenu les armées russes "blanches", car ses généraux considéraient la Pologne comme faisant partie de l’Empire, alors que les bolcheviks passaient pour plus ouverts sur la question de "la liberté des peuples".]

      Faut pas exagérer. Si les polonais n’ont pas soutenu les « impériaux » (c’est-à-dire, les russes blancs dont le crédo politique était le rétablissement de l’empire), ils ont activement soutenu les « régionalistes », notamment en Ukraine.

      [Ensuite, si les Polonais ont pris l’initiative de l’offensive, les Soviétiques avaient massé des troupes pour envahir la Pologne en vue de tenter une jonction avec les communistes hongrois et allemands (car à ce moment précis, les bolcheviks espèrent exporter leur révolution).]

      Une « guerre préventive », en somme ? On se demande pourquoi alors que la position de la Pologne était purement défensive l’affaire s’et terminée avec l’annexion de vastes territoires à la Pologne…

      [Staline fait d’ailleurs partie des chefs militaires soviétiques.]

      Je ne comprends pas très bien le sens de cette remarque…

      [Après quelques succès initiaux polonais, les Soviétiques prennent l’avantage et arrivent aux portes de Varsovie. Durant cette guerre, la Pologne ne jouait pas seulement l’annexion de quelques territoires à l’est, mais bien son existence même.]

      L’Union soviétique, aussi…

      [J’ai lu également que la Pologne n’avait pas très bonne presse en Occident, et n’a reçu un soutien que tardivement. Les "états capitalistes malveillants" ont apparemment peiné à se mobiliser…]

      Où avez-vous lu ça ?

      [Je me suis penché un peu sur le détail des opérations: non seulement la Pologne n’a jamais eu les moyens de "détruire" la Russie bolchévique, mais rien dans les opérations et les stratégies de l’état-major polonais ne permet d’arriver à cette conclusion. En 1919, la Pologne n’a pas véritablement exploité les succès de Denikine et, comme je l’ai dit, la sympathie de la Pologne pour les Russes blancs était plus que tiède. Il semble que l’objectif de Pilsudski ait été de créer une fédération regroupant Pologne, Lituanie, Biélorussie et Ukraine (d’où l’alliance avec la République populaire d’Ukraine de Petlioura). Il n’a jamais été question de conquérir la Russie jusqu’à Vladivostok, ni même de prendre Moscou…]

      Par manque d’envie ou par manque de moyens ? Pilsudski n’était pas fou, il savait que la destruction complète de la Russie n’était pas à portée de la Pologne. Il s’est fixé les objectifs d’affaiblir la Russie autant que possible qui étaient compatibles avec ses forces.

      [« Je ne sais pas qu’il y eut aucune référence à la « disparition de l’Etat polonais ». Excusez-moi, j’aurais dû écrire "Etat polonais indépendant et souverain".]

      Encore une fois, j’aimerais que vous m’indiquiez la référence précise à « la disparition de l’Etat polonais indépendant et souverain ».

      [« Je ne vois pas très bien le rapport avec l’existence d’un Etat polonais ». Un Etat se porte mieux lorsqu’il dispose d’élites pour le gouverner, d’officiers pour commander son armée…]

      L’Allemagne a déporté un grand nombre d’écrivains, d’ingénieurs ou de militaires français. Pensez-vous qu’on puisse conclure une volonté de l’Allemagne de détruire la France comme Etat ? Faut pas exagérer…

      [« l’exécution en 1922 de milliers de communistes par les polonais devrait prouver que les polonais voulaient effectivement en finir avec l’Etat soviétique ». Les chiffres que j’ai trouvés indiquent des pertes comparables dans les deux camps.]

      Vous me ressortez Katyn, je vous fais remarquer que sous Pilsudski un grand nombre de communistes polonais et russes ont été exécutés. Dans les deux cas, on a cherché à liquider les « élites » de l’autre. Quel rapport avec les « pertes comparables » ? Pensez vous que les « pertes » dans une bataille soient comparables à l’exécution de prisonniers ? Dans ce cas, vous conviendrez que Katyn, avec ses quelques milliers de morts, n’est qu’un massacre mineur dans le contexte de la seconde guerre mondiale…

      [J’ajoute que la guerre russo-polonaise de 1919-1922 s’est déroulé en partie dans des régions peuplées majoritairement de Polonais, et pas seulement en territoire "russe" (en fait biélorusse et ukrainien).]

      C’est un peu comme dire qu’en 1914 l’Alsace était « peuplée majoritairement de français ». Je crains que vous ne sacrifiiez aux fantasmes ethniques.

      [J’ajoute que la volonté d’en finir avec la Pologne non-communiste est manifeste du côté soviétique, Toukhatchevsky déclarant: "A l’Ouest! Sur le cadavre de la Pologne blanche se trouve la route de la révolution mondiale".]

      Je ne pense pas que les sentiments de Pilsudski pour la « Russie rouge » (ou pour la « Pologne rouge », en fait) fussent plus tendres. D’ailleurs, la liste est longue des gens qui ont dit à peu près la même chose par rapport à la « Russie rouge », de Laval à Thatcher…

      [« C’est quoi un « état victime » ? ». Je vais vous l’expliquer simplement: un état "victime", dans un conflit, est un pays qui est agressé par un autre sans avoir chercher à provoquer l’hostilité de son agresseur.]

      Merci. En 1920, donc, on peut considérer l’état soviétique comme « victime », à la fois de la France, la Grande Bretagne et la Pologne ? Qu’a-t-il fait, le jeune état des soviets, pour « provoquer l’hostilité » de ceux qui sont intervenus dans la guerre civile ?

      [Le refus de la Finlande d’ "échanger" des territoires n’est pas une provocation, c’était son droit d’Etat souverain.]

      Tout à fait. Comme était le « droit » des soviétiques de prendre toutes les mesures pour la protection de Leningrad. « Salus populo suprema lex esto ». Je sais, cela semble contradictoire, mais cela fait partie de la tragédie.

      [« J’avoue que je ne me souvenais pas que Bismarck ait proposé à la France avant la guerre d’échanger l’Alsace et la Lorraine contre un territoire allemand d’une surface double. » Je parlais uniquement des conditions contenus dans le Traité mettant fin au conflit.]

      Mais vous ne pouvez pas séparer l’avant et l’après. Que les soviétiques n’aient réclamé après des combats particulièrement durs, et alors qu’ils étaient en position de force, que ce qu’ils avaient demandé dès le départ me semble permettre de leur accorder le bénéfice du doute quant à leur affirmation qu’ils ne demandaient que ce qui était strictement nécessaire à la défense de la deuxième ville du pays.

      [« Je vous cite: "Il faut noter d’ailleurs que lors de la conclusion du traité de Moscou les exigences soviétiques étaient assez modérées", nous parlions donc bien des conditions imposées par Staline après le conflit?]

      Oui, mais cette « modération » je la juge par rapport aux demandes avant le conflit. Si après avoir demandé la main Staline avait profité de la victoire de ses armées pour prendre le bras, je serais d’accord pour admettre une vision expansionniste. Dans le cas d’espèce, l’URSS avait demandé des échanges territoriales en argumentant qu’elles étaient nécessaires à la sécurité de Leningrad, et ayant emporté la victoire militaire elle n’a fait que maintenir les mêmes demandes. Ne pensez vous pas que ce soit assez significatif ?

      [« dans le contexte de 1939 qui permettait à l’Union soviétique d’annexer l’ensemble du pays ». Rien n’est moins sûr. L’annexion de toute la Finlande aurait fort bien pu entraîner un mouvement de résistance diffus, difficile à mater, recevant des soutiens depuis la Norvège et la Suède, et mobilisant de nombreuses troupes soviétiques afin de pacifier la pays.]

      J’ai dit que l’URSS aurait pu annexer la Finlande, pas qu’elle aurait pu effectivement contrôler l’ensemble de son territoire. Accessoirement, je pense que vous surestimez les possibilités d’une guérilla dans le contexte de l’époque. La Norvège et la Suède avaient d’autres problèmes, et n’avaient aucune raison de chercher un conflit avec un voisin dangereux. Lorsque Staline annexera les républiques baltes, la « résistance » fera long feu.

      [« Si on commence à se jeter les morts à la figure, faudra compter aussi les communistes fusillés ou assassinés par les troupes polonaises lors de la guerre de 1922. » Rien ne permet d’affirmer que les Soviétiques ont été moins cruels durant la guerre de 1919-1922… Je ne comprends pas où est l’ "asymétrie" dont vous parlez.]

      Vous voulez voir en Katyn une extermination des « élites polonaises », prélude à une destruction de l’Etat polonais. Je vous propose une autre lecture possible : Katyn n’est qu’un exemple de la manière dont tout au long du XXème siècle « rouges » et « blancs » – au sens le plus large du terme – ont massacré les « élites » de l’autre. Des Katyn, il y en eut beaucoup : de l’assassinat systématiquement les « commissaires politiques » communistes par les armées blanches entre 1918 et 1921 à la directive de tuer systématiquement les « cadres » viethminh durant la guerre du Vietnam, en passant par l’assassinat des « élites » de gauche pendant la guerre civile espagnole.

      Pour des raisons qui tiennent à la communication de la guerre froide, le massacre de Katyn – et avec lui d’autres massacres commis par les « rouges » sont continûment rappelés, d’ailleurs en les privant de leur caractère politique, alors que ceux commis par les « blancs » sont discrètement mis sous le tapis. Voilà où se trouve « l’asymétrie ».

      [« je ne pense pas un instant que le projet de Staline ait été de mettre les paysans français dans des kolkhozes et des sovkhozes. » Peut-être. Mais la menace pouvait sembler plausible. Le danger venant moins de Staline que des communistes français.]

      Mais quand les communistes français ont-ils proposé ou même donné la moindre indication de vouloir placer les paysans français dans des kolkhozes et des sovkhozes ? La « menace » n’avait rien de « crédible ». Si des gens y ont cru, c’est du fait d’une propagande constante, et non de la crédibilité de la menace…

      [Après tout, si les Soviétiques avaient anéanti la Pologne en 1920 et fait leur jonction avec les communistes allemands et hongrois, comme ils en avaient l’intention, on ne sait pas ce qui serait advenu: peut-être y aurait-il eu des kolkhozes en Allemagne et en Hongrie.]

      Avec des « si », on mettrait Paris en bouteille. Le fait, c’est qu’il n’y en eut pas, et lorsque la Pologne, la Hongrie et l’Allemagne orientale ont été placées après la guerre dans la sphère d’influence soviétique, il n’y eut pas d’avantage de kolkhozes et sovkhozes dans ces pays. Les soviétiques ont été finalement plus respectueux des spécificités nationales qu’on ne le pense généralement.

      [Ajoutons que nous savons aujourd’hui que Staline a "régné" sur l’URSS jusqu’à sa mort en 1953. Mais il aurait pu mourir plus tôt ou être renversé, et qui sait alors si son successeur n’aurait pas changé de politique.]

      Vous m’accorderez que fonder une politique sur ce genre de considérations est pour le moins aventureux. Roosevelt aurait lui aussi pu être assassiné et remplacé par un président fasciste.

      [Mais ce n’est pas en collectivisant les terres que Lénine a obtenu le soutien de la paysannerie russe. Pourtant Staline l’a fait, supprimant les mesures qui avaient rendu les communistes populaires dans le monde rural…]

      Oui. Parce que Staline a du répondre en 1928 à des problèmes qui n’existaient pas en 1918. Mais je ne vois pas très bien le rapport avec la justification des peurs que pouvaient ressentir les paysans français. Encore une fois, le projet stalinien n’était pas d’étendre au monde entier les méthodes soviétiques.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Sur les livraisons de matériel US à l’URSS dans le cadre de la loi prêt bail, vous trouverez, page 52 du lien ci-après, la statistique suivante: 52% d’entre elles furent effectuées entre Juin 41 et Juin 43 et 48% entre Juillet 43 et Septembre 45 (http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_1984_num_15_3_2510).]

      Il ne vous aura pas échappé, à la lecture du document, qu’il s’agit d’un papier financé par la fondation Rockefeller, et que les chiffres en question sont presque exclusivement fondées sur des documents américains. Il ne vous aura pas non plus échappé que l’auteur du papier est une personnalité bien connu dans l’émigration polonaise par son anticommunisme et son antisoviétisme…

      Le papier mentionne – pour la balayer d’un revers de manche – les chiffres soviétiques qui tendent à relativiser l’amplitude de cette aide.

      [A vrai dire, s’il fallait absolument exhumer la formule de Roosevelt sur Somoza, c’est à Staline bien plus qu’à Hitler qu’il faudrait l’appliquer.]

      Pas vraiment. Le rôle des occidentaux dans l’ascension au pouvoir de Staline a été nul, et on ne peut pas dire que le régime stalinien ait reçu beaucoup de soutien à Londres, Paris ou Washington. L’ascension de Hitler, par contre, à bénéficié dans les milieux politiques et surtout économiques occidentaux d’une grande bienveillance, quand ce ne fut d’un soutien couvert ou déclaré.

      [Celui-ci ne s’y est d’ailleurs pas trompé puisqu’en Novembre 1943, à la conférence de Téhéran, il déclara, portant un toast: "je voudrais ce que nous autres russes devons au Président et au peuple américain. Cette guerre est une guerre de forces mécaniques. Vous produisez trois fois plus d’avions que nous. Sans ceux que vous nous avez livrés au titre de la loi prêt-bail nous aurions perdu la guerre".]

      Oui… un peu comme Daladier avait dit à Munich « nous avons sauvé la paix de notre temps ». Si vous accordez à ce que les gens disent lors des toasts et des contacts diplomatiques une valeur de déclaration sous serment, vous allez avoir de drôles de surprises.

      [« Non. Le « plan de partage » ne faisait que préciser le tracé de la frontière entre la zone qui serait occupée par l’URSS, et celle qui serait occupée par l’Allemagne. Je ne sais pas qu’il y eut aucune référence à la « disparition de l’Etat polonais ». Vous omettez, dans votre analyse, le Traité germano-soviétique de délimitation et d’amitié (sic) du 28 Septembre 1939 qui organise la "dissolution de l’Etat polonais" et sa répartition selon "des intérêts d’empire réciproques".]

      La lecture du texte du « traité de délimitation et d’amitié » ne fait apparaître nullement la « dissolution de l’Etat polonais ». Il n’y a d’ailleurs dans ce traité quelque référence que ce soit à « l’Etat polonais ». Le texte ne fait que délimiter les « intérêts d’empire » – la formule moderne serait « zones d’influence » – mais ne précise en rien ce que deviendront les Etats situés dans la zone d’influence de chacun. En fait, la seule mention au sort de l’Etat polonais que je connaisse dans les traités germano-soviétiques se trouve dans le protocole secret annexé au pacte germano-soviétique de non agression du 23 septembre 1939. La disposition est ainsi rédigée :

      « La question de savoir si l’intérêt des deux parties rend souhaitable la conservation d’un Etat polonais indépendant, et celle des limites qui doivent être fixées à cet Etat pourront être déterminées seulement au cours des développements politiques ultérieurs. En tout état de cause, les deux gouvernements régleront cette question par des accords à l’amiable. »

      En d’autres termes, il apparaît clairement que les deux parties ont entendu ne pas prendre position sur la question du maintien ou non de l’Etat polonais indépendant, ce qui laisse penser qu’il y avait un désaccord entre les allemands et les soviétiques sur cette question. Autrement, pourquoi renvoyer cette question à « des développements politiques ultérieurs » ? Il est donc un peu rapide de prétendre qu’en signant ce texte soviétiques et allemands se sont mis d’accord pour faire disparaître l’Etat polonais.

      [Vos apprécierez également la déclaration conjointe de Ribbentrop et Molotov imputant la responsabilité de la guerre à la France et à l’Angleterre et dédouanant l’Allemagne.]

      Oui… ca ressemble drôlement à la déclaration du Golfe de Tonkin. C’est une constante de l’histoire : la guerre, c’est toujours la faute des autres.

    • @ Descartes,

      "Pas la peine de se vexer."
      Je crois que vous projetez sur moi vos propres contrariétés… Je signalais juste avoir suivi votre conseil, et il n’y avait aucune mauvaise humeur dans ma réponse…

      "Si les polonais n’ont pas soutenu les « impériaux » (c’est-à-dire, les russes blancs dont le crédo politique était le rétablissement de l’empire), ils ont activement soutenu les « régionalistes », notamment en Ukraine."
      Ce n’est pas tout à fait la même chose. Dont acte.

      "Je ne comprends pas très bien le sens de cette remarque…"
      Staline a pu à cette occasion développer une certaine hostilité (justifiée de son point de vue) à l’égard de la Pologne.

      "L’Union soviétique, aussi…"
      Plus vraiment à ce moment-là. Nous sommes avant le triomphe de la "doctrine Staline" sur le socialisme dans un seul Etat. En 1920, je le répète, beaucoup de bolcheviks ont encore l’espoir d’exporter leur révolution. Les Soviétiques sont tout autant agressés qu’agresseurs en 1920. Contre la Pologne, la Russie rouge joue sa domination sur la Biélorussie et l’ouest de l’Ukraine. Vous semblez d’ailleurs considérer que les Polonais sont sortis grands vainqueurs du conflit, or c’est faux: l’URSS conserve l’essentiel de l’Ukraine et une partie de la Biélorussie. Je vous invite à ouvrir un atlas historique: vous constaterez que la Pologne n’a nullement reconstitué le territoire qu’elle possédait du XVI° siècle jusqu’aux partages de la seconde moitié du XVIII° siècle.

      "Où avez-vous lu ça ?"
      Dans le bon livre que vous m’avez conseillé. Vous ne m’avez pas dit où vous avez lu que Pilsudski aurait détruit la Russie s’il en avait eu les moyens… Au début du conflit, l’armée polonaise manque de moyens et d’équipements, le gouvernement britannique n’a pas très envie de s’impliquer dans le conflit. C’est au moment critique qu’une "mission de soutien militaire" et des équipements sont fournis aux Polonais. Apparemment, Pilsudski ne faisait pas l’unanimité en Occident.

      "Par manque d’envie ou par manque de moyens ?"
      Où sont les preuves de cette "envie"?

      "j’aimerais que vous m’indiquiez la référence précise à « la disparition de l’Etat polonais indépendant et souverain »"
      A partir du moment où un pays est partagé en deux zones d’occupation attribuées à des puissances étrangères, il me paraît difficile de considérer qu’il s’agit encore d’un Etat "indépendant et souverain". Mais vous avez le droit de penser le contraire.

      "Pensez-vous qu’on puisse conclure une volonté de l’Allemagne de détruire la France comme Etat ?"
      Bien sûr. D’ailleurs, dans "Mein Kampf", Hitler affirme sans détour sa volonté de détruire la France.

      "Vous me ressortez Katyn"
      Si vous ne m’autorisez pas à utiliser des faits qui me permettent d’étayer mon argumentation, que voulez-vous que je fasse? Vous me dites qu’on fait tout un tapage autour de Katyn, et que ce tapage est trop excessif pour être honnête. D’accord, mais si on commence à rejeter tous les événements que l’historiographie "capitaliste et anticommuniste" retient, alors il va devenir difficile de débattre.

      "Je crains que vous ne sacrifiiez aux fantasmes ethniques"
      Varsovie et sa région ne sont pas très majoritairement peuplées de Polonais en 1920? Ce n’est pas ce que disent les atlas de répartition des nationalités et des langues en Europe orientale. Quant aux régions plus orientales, il y avait beaucoup de Polonais, mais ils n’étaient pas partout majoritaires, c’est vrai. Polonais que Staline a déplacé vers l’ouest après la guerre, lorsque les nouvelles frontières ont été tracées. En général, on appelle cela du "nettoyage ethnique". Une façon d’éloigner durablement les Polonais du voisinage de Moscou, je suppose.

      "Je ne pense pas que les sentiments de Pilsudski pour la « Russie rouge » (ou pour la « Pologne rouge », en fait) fussent plus tendres."
      Peut-être, mais cela relativise l’agressivité polonaise et la posture défensive soviétique.

      "Qu’a-t-il fait, le jeune état des soviets, pour « provoquer l’hostilité » de ceux qui sont intervenus dans la guerre civile ?"
      Il a cherché à encourager et à donner la main aux autres révolutionnaires, de Hongrie et d’Allemagne par exemple.

      "Comme était le « droit » des soviétiques de prendre toutes les mesures pour la protection de Leningrad."
      Un Etat n’est pas dans son tort tant que les "mesures" qu’il prend n’empiètent pas sur le territoire et la souveraineté de ses voisins…

      "ils ne demandaient que ce qui était strictement nécessaire à la défense de la deuxième ville du pays."
      Demain, je demande la Belgique et la moitié de la Rhénanie pour protéger Lille, ainsi que le Bade-Wurtemberg pour assurer la sécurité de Strasbourg. Ce genre de raisonnement peut nous amener loin…

      "Des Katyn, il y en eut beaucoup"
      Je ne le nie pas, mais je me méfie de l’argument: "on va pas en faire un fromage, hein, on en a vu d’autres, ce que les Soviétiques ont fait, d’autres l’ont fait". J’ai évoqué Katyn, parce que Katyn s’insère dans notre discussion sur les rapports soviéto-polonais. Mais vous devez avoir raison: c’est un détail insignifiant. Il y a eu tellement de Katyn. Attention quand même à ne pas tout relativiser.

      "alors que ceux commis par les « blancs » sont discrètement mis sous le tapis"
      Katyn n’est qu’un des nombreux massacres commis par les "Rouges"… et les premiers datent de la Révolution de 17 et de la guerre civile.

      "Vous m’accorderez que fonder une politique sur ce genre de considérations est pour le moins aventureux"
      Je vous l’accorde.

      "Parce que Staline a du répondre en 1928 à des problèmes qui n’existaient pas en 1918."
      Quels problèmes?

      Il me semble que le "socialisme dans un seul pays" consiste à faire de l’URSS un Etat modèle. Et une fois que cet Etat modèle fonctionnera correctement, n’est-il pas question, quand même, d’essayer de diffuser ledit modèle? Ou alors Staline a renoncé au marxisme qui, je crois, veut débarrasser tous les prolétaires de l’exploitation capitaliste.

    • Guilhem dit :

      [Je connais les livraisons de matériel au cours de l’année 1941. Mais je n’ai jamais entendu parler de livraisons significatives au titre du crédit-bail au cours de l’année 1944 et 1945. Pourriez-vous être plus explicite ?]

      Je n’ai pas trouvé d’informations précises et insoupçonnables de partialité sur le sujet. Mais vous sous-entendez que les Américains ont fourni des armes aux Soviétiques tant qu’ils perdaient pour affaiblir les Allemands en prévision de leur propre attaque contre l’Allemagne et que, dès que les rôles se sont inversés, les Américains ont cessé leur approvisionnement?

      [[qui permettront aux Soviétiques de rallier rapidement Berlin et d’autre part, dans cette logique de "course" avec l’URSS, pourquoi avoir diminué la part de renforts de soldats américains au moment de la contre-offensive des Ardennes au profit du Pacifique?]

      Probablement parce que les américains ont surestimé leur propre force et sous-estimé celle de l’adversaire. Cela leur arrive souvent…

      [Et enfin à Yalta, Staline "taquine" Churchill pour lui demander où en est l’offensive prévue sur Ljubljana à partir d’Italie (qui devait ensuite remonter sur Budapest), offensive que Churchill souhaitait pour ne pas laisser toute l’Europe de l’Est aux Soviétiques. Mais l’arbitrage américain sera différent puisqu’une partie des troupes d’Italie sera réaffectée sur le front Ouest.]

      Parce que à Yalta, les jeux sont faits. Le débarquement américain a réussi son but qui était de placer la limite entre la zone d’influence soviétique et la zone d’influence américaine en laissant l’ensemble de l’Europe « utile » (c’est-à-dire, riche) dans cette dernière. Roosevelt n’allait pas se battre pour éviter l’influence soviétique sur la Roumanie ou la Hongrie, dont l’intérêt stratégique n’était pas évident. Mais le résultat de Yalta aurait été très différent si les américains ne s’étaient pas assurés au préalable une solide présence en Europe occidentale.]

      Très certainement. Mais l’est de Allemagne et la Pologne ne faisaient-ils pas partie des régions riches de l’Europe?
      Berlin était à portée de main des Anglo-Américains en avril 1945 et les Allemands focalisant leur défense vers l’Est étaient plus "enclin à se laisser conquérir" (les guillemets sont importants) par les Anglo-américains que les Soviétiques et pourtant, les armées américaines sont stoppées sur l’Elbe par Eisenhower et Marshall car Berlin ne représente pour eux qu’une prise "de prestige" et non stratégique. Les Américains ont-ils pensé à l’après-guerre à ce moment-là?
      Staline de son côté n’avait-il pas prévu de pousser ses armées jusqu’à l’Atlantique en 45? Seulement il n’avait pas anticipé la bombe atomique… .

      [[« quelques maquisards de l’AK dans Varsovie représentaient une menace » C’était quand même 50 000 soldats alors qu’il n’y avait à Varsovie que 400 à 800 communistes… et parmi les premiers il y avait de nombreux dirigeants opposants aux Soviétiques des diplomates que connaissaient les Alliés et que Staline préférait voir morts que vivants.]

      Encore une fois, vous présumez les intentions de Staline. Y a-t-il le moindre document montrant que Staline avait exprimé une telle opinion ? Non ? Alors, soyons prudents…
      Mais supposons que ce fut le cas. La logique aurait voulu alors que les soviétiques traversent le fleuve le plus vite possible pour s’assurer de liquider les « 50.000 soldats » de l’AK et tous ces « dirigeants opposants et diplomates », n’est ce pas ? Et pourtant, Staline attend au risque de voir les « 50.000 soldats » l’emporter, ou les « dirigeants opposants et diplomates » échapper. Pas très logique…]

      91000 membres de l’AK furent effectivement envoyés en Sibérie et certains exécutés pour collaboration avec l’ennemi. L’AK avait eu quelque raison de se méfier des Soviétiques… Pendant la révolte de Varsovie, l’armée de l’AK perd la moitié de ses hommes lors des combats contre les troupes allemandes aguerries et équipées de chars alors qu’ils n’ont que des armes légères. Je rappelle l’hypocrisie soviétique pour justifier le soutien de la révolte polonaise par le largage d’armes aux Polonais mais sans parachute. Staline était donc certain que les Polonais ne l’emporteraient pas et que les Allemands feraient le travail pour eux. Les Soviétiques ne pouvaient se présenter comme des conquérants de la Pologne face aux Anglais et aux Américains, il fallait qu’ils soient des libérateurs et de préférence les seuls, ils ne pouvaient partager ce prestige avec la résistance polonaise. Qu’ils empêchent ensuite la tenue d’élections démocratiques en Pologne comme convenu à la conférence de Téhéran est un détail.

      [[L’AK savait qu’elle n’avait que le recours à l’insurrection pour justifier son existence et préparer l’avenir de la Pologne. Si l’AK n’avait rien fait les Soviétiques ne se seraient pas gênés pour l’accuser de collaboration avec les Allemands et pour lui reprocher de conserver ses armes pour lutter contre l’armée rouge.]

      Admettons. Mais pourquoi reprocher à l’armée soviétique de ne pas s’être mise en quatre pour aller secourir des gens qui ne songeaient qu’à lui tailler les croupières ? Les maquisards de Glières ou du Vercors n’ont pas été secourus par les américains que je sache. ]

      Je suis d’accord avec vous. Il faut être cohérent. Staline a voulu s’emparer de la Pologne (entre autres) en évitant de vexer au maximum les Anglo-Américains, il a parfaitement réussi.

      [[De toute façon, le sort de la Pologne était déjà scellé puisque Staline ne reconnaissait que le gouvernement fantoche communiste de Lublin.]

      Vous voulez dire, au lieu de reconnaître le gouvernement fantoche de Londres ? Je vous rappelle que le gouvernement de la Pologne de l’avant-guerre, dont le gouvernement en exil en Grande Bretagne était le continuateur, était issu de la dictature de Pilsudski et du régime autoritaire de Rydz-Smigly, et avait une légitimité démocratique pour le moins douteuse. Le choix des alliés de le reconnaître était motivé par les mêmes soucis que celui de Staline par rapport au gouvernement de Lublin : mettre au pouvoir des gens « amis »…]

      La légitimité démocratique en Pologne a mis 45 ans pour revenir…

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [Plus vraiment à ce moment-là. Nous sommes avant le triomphe de la "doctrine Staline" sur le socialisme dans un seul Etat. En 1920, je le répète, beaucoup de bolcheviks ont encore l’espoir d’exporter leur révolution.]

      Oui, chez les trotskystes. Mais on est après le traité de Brest-Litovsk. Lénine a bien marque de quel côté allaient ses préférences : la consolidation de l’URSS passe avant les velléités de « révolution permanente » ou de « révolution mondiale ». Je vous accorde que c’est bien moins tranché qu’après le triomphe de Staline dans la course au pouvoir au Parti, mais c’est déjà le cas.

      [Les Soviétiques sont tout autant agressés qu’agresseurs en 1920. Contre la Pologne, la Russie rouge joue sa domination sur la Biélorussie et l’ouest de l’Ukraine.]

      La Biélorrussie et l’ouest de l’Ukraine étaient des provinces de l’empire russe. Elles faisaient donc partie de l’URSS par le jeu de la succession d’Etats. Parler de « domination de la Russie sur la Biélorussie et l’Ukraine » c’est comme parler de la « domination de l’Ile de France sur la Bretagne ou l’Alsace » en 1789. La Pologne a joué le jeu dangereux d’essayer de détacher certaines provinces de l’empire russe et d’en annexer d’autres. C’était bien elle « l’agresseur » en 1920. A ma connaissance, l’URSS naissante n’a pas attaqué une Pologne pacifique, elle a répondu à une agression.

      [Vous semblez d’ailleurs considérer que les Polonais sont sortis grands vainqueurs du conflit, or c’est faux: l’URSS conserve l’essentiel de l’Ukraine et une partie de la Biélorussie.]

      Un peu comme la IIIème République « sort vainqueur » de la guerre de 1870. Après tout, elle conserve l’essentiel des provinces qui constituaient le IIème empire, non ?
      Vous faites comme si la Biélorussie ou l’Ukraine étaient des Etats indépendants dont la Russie et la Pologne se disputaient la domination. Mais la Biélorussie ou l’Ukraine de 1918-22, c’est la Vendée de 1791.

      [Je vous invite à ouvrir un atlas historique: vous constaterez que la Pologne n’a nullement reconstitué le territoire qu’elle possédait du XVI° siècle jusqu’aux partages de la seconde moitié du XVIII° siècle.]

      Je n’ai pas dit le contraire. Elle est quand même le vainqueur de la guerre de 1920. Elle aura accru considérablement son territoire au préjudice de l’URSS.

      [« Où avez-vous lu ça ? » Dans le bon livre que vous m’avez conseillé. ]

      Ca m’étonnerait.

      [Au début du conflit, l’armée polonaise manque de moyens et d’équipements, le gouvernement britannique n’a pas très envie de s’impliquer dans le conflit. C’est au moment critique qu’une "mission de soutien militaire" et des équipements sont fournis aux Polonais. Apparemment, Pilsudski ne faisait pas l’unanimité en Occident.]

      Il a quand même eu les équipements « au moment critique », non ?

      [« Par manque d’envie ou par manque de moyens ? ». Où sont les preuves de cette "envie"?]

      Dans les sept cents ans d’histoire des rapports russo-polonais.

      [« j’aimerais que vous m’indiquiez la référence précise à « la disparition de l’Etat polonais indépendant et souverain » ». A partir du moment où un pays est partagé en deux zones d’occupation attribuées à des puissances étrangères, il me paraît difficile de considérer qu’il s’agit encore d’un Etat "indépendant et souverain".]

      Si je comprends bien, pour vous la République Fédérale d’Allemagne n’était pas un « état indépendant et souverain » entre 1949 et sa réunification ?

      [« Pensez-vous qu’on puisse conclure une volonté de l’Allemagne de détruire la France comme Etat ? ». Bien sûr. D’ailleurs, dans "Mein Kampf", Hitler affirme sans détour sa volonté de détruire la France.]

      Détruire la France comme Etat ? Pourriez-vous indiquer la citation exacte de « Mein Kampf » ou Hitler déclare cette « volonté » ?

      [« Je crains que vous ne sacrifiiez aux fantasmes ethniques ». (…) Quant aux régions plus orientales, il y avait beaucoup de Polonais, mais ils n’étaient pas partout majoritaires, c’est vrai.]

      Je ne comprends pas très bien votre raisonnement. Vous voulez dire que dans les régions les plus orientales de Pologne, la majorité des gens n’était pas des citoyens polonais ? Ils étaient des citoyens de quel pays, alors ?

      [Polonais que Staline a déplacé vers l’ouest après la guerre, lorsque les nouvelles frontières ont été tracées. En général, on appelle cela du "nettoyage ethnique". Une façon d’éloigner durablement les Polonais du voisinage de Moscou, je suppose.]

      Avant de supposer des choses, vérifiez les faits. Lorsqu’à la fin de la guerre l’URSS récupère les territoires que la Pologne lui avait pris en 1922, elle ne « déplace » personne. C’eut été absurde, puisque les populations locales avaient été autrefois russes et que l’URSS les revendiquait comme ses citoyens. Je crois que vous confondez avec les allemands installés dans les territoires que la Pologne a reçu sur sa frontière occidentale, et qui, eux, ont été effectivement déplacés vers l’Allemagne.

      [« Qu’a-t-il fait, le jeune état des soviets, pour « provoquer l’hostilité » de ceux qui sont intervenus dans la guerre civile ? ». Il a cherché à encourager et à donner la main aux autres révolutionnaires, de Hongrie et d’Allemagne par exemple.]

      Je crois me souvenir que la Finlande de Mannerheim a, elle aussi, pris le parti des « blancs » contre les « rouges »…

      [« Comme était le « droit » des soviétiques de prendre toutes les mesures pour la protection de Leningrad. » Un Etat n’est pas dans son tort tant que les "mesures" qu’il prend n’empiètent pas sur le territoire et la souveraineté de ses voisins…]

      Churchill ne s’est pas gêné à Mers-el-Kebir. Il a estimé que la destruction de la flotte française était indispensable pour garantir la sécurité de la Grande Bretagne, dont la défense dépendait de la maîtrise des mers. Et il a agi en conséquence. Je classerait l’attaque soviétique sur la Finlande dans la même catégorie. Celle des actes qui sont bien contraires au droit, mais qui se justifient selon le principe « salus populi… »

      [« Des Katyn, il y en eut beaucoup ». Je ne le nie pas, mais je me méfie de l’argument: "on va pas en faire un fromage, hein, on en a vu d’autres, ce que les Soviétiques ont fait, d’autres l’ont fait".]

      Ce n’est pas mon argument. Mon argument serait plutôt « pourquoi alors qu’il y eut tant de Katyn certains figurent dans les manuels scolaires et d’autres pas ? Et comment se fait que ceux qui n’y figurent pas sont toujours du même côté, politiquement parlant ? »

      [J’ai évoqué Katyn, parce que Katyn s’insère dans notre discussion sur les rapports soviéto-polonais. Mais vous devez avoir raison: c’est un détail insignifiant. Il y a eu tellement de Katyn. Attention quand même à ne pas tout relativiser.]

      Je m’excuse de la digression, mais je voudrais aborder une question qui me paraît fondamentale. Oui, au risque de vous choquer, il faut relativiser Katyn. Nous avons le privilège de vivre dans un pays extraordinaire, où l’ordre et l’Etat reposent sur un consensus large qui nous met à l’abri des éruptions de violence politique qu’ont connu nos voisins. Nous n’avons pas eu chez nous ni camps de concentration politiques, ni corps francs. Après la fin de la Terreur, même aux pires moments de notre histoire, la violence politique est restée modérée. Cela a tendance à nous faire oublier combien la politique est violente, combien l’expression des rapports de force est impitoyable ailleurs. Nous sommes éduqués dans une vision bisounours de la politique internationale, et c’est pour cela que nous avons tant de mal à comprendre un certain nombre de conflits. La vision que nous avons en France de Staline est un exemple intéressant : nous voyons en lui un dictateur qui extermina non seulement ses ennemis, mais aussi ses amis, et tout cela inutilement, par pure paranoïa. Mais nous oublions un peu vite que cette paranoïa a permis à Staline de mourir dans son lit, alors que ceux qui ont affronté la bourgeoisie et qui ont respecté les règles, traité avec justice leurs opposants et refusé d’avoir recours aux moyens extraordinaires – Salvador Allende, pour ne donner qu’un exemple – n’ont que très rarement été récompensés de leur bonté et de leur esprit démocratique.

      L’histoire n’est pas un film hollywoodien. Elle est immorale. Ce ne sont pas les plus honnêtes, les plus humains, les plus « démocratiques » qui gagnent à la fin. Ce sont les plus forts, les plus rusés, les plus impitoyables. Le réflexe qui consiste à essayer de détruire les « élites » du camp adverse est si naturel qu’il passe quelquefois inaperçu. Lorsque Pinochet enferme et fait assassiner artistes, journalistes, intellectuels, dirigeants et militants de gauche, qu’est ce qu’il fait d’autre ? Lorsque Suharto lance une répression impitoyable qui coûte la vie à un demi million de militants et de cadres communistes, lorsque les américains organisent la traque des anciens dirigeants du parti baas et de l’Etat iraquien, quelle est la différence de fond avec Katyn ? Aucune.

      La seule différence, c’est que Katyn est dans nos livres de classe pour expliquer aux jeunes que Staline était très méchant, et que les dirigeants qui ont présidé aux Katyns américains, britanniques, israéliens ou français – car il y en eut aussi – se voient accorder le bénéfice non pas du doute, mais de l’amnésie. Cette amnésie me paraît éminemment dangereuse. Elle transforme les débats de politique étrangère ou de défense dans notre pays en débats de moralité. Je pense au contraire qu’il faut revenir au sens du tragique qui est l’essence de la politique en général et de la politique internationale en particulier. Il y a des situations où l’homme d’Etat doit faire ce qui est nécessaire, même si c’est immoral. La raison d’Etat, que cela nous plaise ou pas, existe.

      [« Parce que Staline a du répondre en 1928 à des problèmes qui n’existaient pas en 1918. » Quels problèmes?]

      Celui de l’accaparement et de la spéculation sur les denrées alimentaires. Encore une fois, pensez-vous vraiment que Staline se soit réveillé un jour en se disant « tiens, j’ai envie d’emmerder les koulaks » ?

      [Il me semble que le "socialisme dans un seul pays" consiste à faire de l’URSS un Etat modèle. Et une fois que cet Etat modèle fonctionnera correctement, n’est-il pas question, quand même, d’essayer de diffuser ledit modèle? Ou alors Staline a renoncé au marxisme qui, je crois, veut débarrasser tous les prolétaires de l’exploitation capitaliste.]

      D’essayer de le diffuser, certainement. De la même manière que la France, la Grande Bretagne ou les Etats-Unis ont cherché à le faire. Mais il ne s’agit plus de faire de l’URSS « l’état major de la révolution mondiale ».

    • odp dit :

      <Il ne vous aura pas échappé, à la lecture du document, qu’il s’agit d’un papier financé par la fondation Rockefeller, et que les chiffres en question sont presque exclusivement fondées sur des documents américains. Il ne vous aura pas non plus échappé que l’auteur du papier est une personnalité bien connu dans l’émigration polonaise par son anticommunisme et son antisoviétisme…

      Le papier mentionne – pour la balayer d’un revers de manche – les chiffres soviétiques qui tendent à relativiser l’amplitude de cette aide.>

      Cela ne m’a pas échappé en effet, mais j’ai lu avec suffisamment d’attention cet article pour constater que les divergences entre les sources russes et les sources américaine ne portait pas sur les montants de l’aide américaine (11.0 MM$ selon les américains contre 9.8 MM$ selon les russes) mais sur l’évaluation de son impact sur l’économie de guerre russe.

      D’ailleurs, contrairement à ce que vous dites, l’auteur ne "balaye pas d’un revers de la main" les chiffres soviétiques mais fait une critique sérieuse de leur interprétation par l’ancien responsable du Gosplan qui estima en 1947 que l’aide américaine ne représenta que 4% de la "production globale" soviétique "du temps de guerre".

      De toute façon ces débats n’intéressent guère notre sujet, puisque, comme je l’ai déjà indiqué, les responsables russes reconnurent la réalité de l’aide américaine entre 1941 et 1945 chiffrée par eux à 9.8 MM$.

      Enfin, si les patronymes polonais vous déplaisent et que le détails des relations économiques entre les Etats-Unis et l’URSS vous intéressent je vous propose de jeter un coup d’oeil à l’article suivant: c’est encore plus détaillé que le précédent et est rédigé par un historien britannique qui vécut et étudia à Moscou et était encore membre du Parti Communiste de Grande Bretagne quand parut l’article. http://www2.warwick.ac.uk/fac/soc/economics/staff/academic/harrison/public/lendlease.pdf.

      Puisque les mots de Staline lors lors de conférence de Téhéran ne vous suffisent pas, je vous propose ceux de Khrouchtchev dans ses mémoires: "sans le corned beef nous n’aurions pas pu nourrir notre armée"; "imaginez comment nous serions allé de Stalingrad à Berlin sans les camions américains!"

    • @ Descartes,

      "La Biélorrussie et l’ouest de l’Ukraine étaient des provinces de l’empire russe."
      Annexées dans la seconde moitié du XVIII° siècle… Il n’est pas inutile de rappeler que la Biélorussie et l’Ouest de l’Ukraine ont été plus longtemps polonaises (plus de trois siècles) que russes (moins de deux siècles). Cela ne fait pas des Biélorusses et des Ukrainiens des Polonais, mais on peut quand même se demander si ce sont des Russes. Par ailleurs, vous commettez une erreur: la Galicie, c’est-à-dire l’Ukraine occidentale, que la Pologne revendique, était autrichienne, et non russe, jusqu’en 1918.

      "Parler de « domination de la Russie sur la Biélorussie et l’Ukraine » c’est comme parler de la « domination de l’Ile de France sur la Bretagne ou l’Alsace » en 1789."
      Non. La Biélorussie et l’Ukraine sont non seulement des annexions relativement récentes, mais en plus la Russie de 1917 n’est pas la France de 1789: c’est un empire multinational sans véritable conscience nationale. Au contraire en France, la politique unificatrice des rois a déjà largement entamé le processus de construction de la nation depuis la fin du Moyen Âge. Il est d’ailleurs intéressant de noter que 1789 n’entraîne pas de sécession en France. Au contraire, en 1917, les pays baltes, l’Ukraine, la Géorgie, les peuples d’Asie centrale commencent à quitter le navire, preuve d’un manque certain de cohésion. D’abord un peu désemparés, les bolcheviks sont finalement obligés de renouer avec le centralisme unitaire des tsars. Nous en avons déjà parlé: les communistes ont des difficultés à penser la nation. Et on voit le résultat: en 2014, la République française existe encore, alors que l’URSS a disparu, et l’Ukraine est indépendante, pas la Bretagne, ni l’Alsace. La construction politique tsariste puis soviétique souffrait d’une faiblesse bien plus grande que la France. Aussi, comparer des nationalistes ukrainiens et des indépendantistes bretons ou alsaciens au XX° siècle, c’est comparer deux situations qui n’ont pas grand chose en commun, fruits d’histoires très différentes.

      "La Pologne a joué le jeu dangereux d’essayer de détacher certaines provinces de l’empire russe et d’en annexer d’autres."
      La Galicie, que Staline annexera à l’URSS en 1945, n’a jamais été russe. Alors? N’y aurait-il pas là une façon de châtier la Pologne? Est-il impensable que Staline ait nourri une certaine animosité à l’encontre de la Pologne?

      "Mais la Biélorussie ou l’Ukraine de 1918-22, c’est la Vendée de 1791."
      Certainement pas, pour les raisons que j’ai expliqués ci-dessus. D’ailleurs, les Vendéens ne cherchent pas à créer un nouvel Etat, les nationalistes ukrainiens, si.

      "Dans les sept cents ans d’histoire des rapports russo-polonais."
      Je l’ai évoqué dans un commentaire précédent, je n’y reviens pas, mais la "haine héréditaire" entre Polonais et Russes est loin d’être aussi évidente que vous l’affirmez, quand on regarde l’histoire. Mais je vois bien qu’il est inutile d’essayer de vous faire entendre raison.

      "pour vous la République Fédérale d’Allemagne n’était pas un « état indépendant et souverain » entre 1949 et sa réunification ?"
      Un Etat indépendant sous étroite surveillance, je dirais. Pleinement souverain, je ne crois pas. Mais au fait, à quel moment précis Staline recrée-t-il un Etat polonais? Pourquoi avoir attendu?

      "Pourriez-vous indiquer la citation exacte de « Mein Kampf » ou Hitler déclare cette « volonté » ?"
      Extrait de "Mein Kampf" dans un manuel de 1ère:
      « Notre objectif primordial est d’écraser la France. Il faut rassembler d’abord toute notre énergie contre ce peuple qui nous hait. Dans l’anéantissement de la France, l’Allemagne voit le moyen de donner à notre peuple sur un autre théâtre toute l’extension dont il est capable ».
      Je ne peux vous fournir mieux, désolé. Les termes me paraissent assez forts tout de même.

      "Vous voulez dire que dans les régions les plus orientales de Pologne, la majorité des gens n’était pas des citoyens polonais ?"
      Je veux dire qu’ils étaient de langue biélorusse ou ukrainienne et de tradition orthodoxe, non de langue polonaise et de tradition catholique.

      "Avant de supposer des choses, vérifiez les faits."
      Mon atlas historique m’indique que 3 millions de Polonais ont été déplacés des territoires anciennement polonais de l’est, annexés par l’URSS, vers la "nouvelle" Pologne, en 1945.

      "Je crois que vous confondez avec les allemands installés dans les territoires que la Pologne a reçu sur sa frontière occidentale, et qui, eux, ont été effectivement déplacés vers l’Allemagne."
      Je ne confonds rien du tout. Il y avait des Polonais en Galicie, dans l’ouest de la Biélorussie et au sud de la Lituanie avant 1939. Il n’y en a plus après 1945. Puisque ni les Allemands, ni les Soviétiques ne les ont complètement exterminés, où sont-ils passés? On a bien dû les déplacer…

      Concernant votre digression, ne vous excusez pas, elle s’insère tout à fait dans notre débat. Mais je dirais ceci: vous me dites finalement que notre débat n’a pas lieu d’être parce que "la raison d’Etat existe". Eh bien je ne suis pas de cet avis. Oui, il y a eu beaucoup de Katyn, mais tous ne se justifient pas de la même façon. Je pense qu’il est sain de discuter au cas par cas, d’interroger les motivations des acteurs, de discuter la "nécessité" de telle ou telle décision et de tenter d’établir une hiérarchie, même imparfaite, même contestable. Ce que je veux dire, c’est que chaque massacre doit être replacé dans son contexte: par exemple, le massacre d’un village vendéen en 1794 se passe dans un contexte de révolution, de guerre généralisée, d’un régime qui peine à s’installer. Lorsque Katyn se produit, la révolution est stabilisée, il s’agit de régler le problème d’un territoire récemment occupé dont la population est rétive. Le massacre d’un village juif en Lituanie par les Einsatzgruppen se produit encore dans un contexte différent, ou le massacre de Srebrenica, plus près de nous. Je ne crois pas qu’on puisse dire que tout se vaut. Le degré de justification de ces crimes n’est pas le même, et on doit aussi tenir compte de l’ampleur des massacres: exécuter 700 Polonais, ce n’est pas pareil qu’en massacrer 25 000.

      Sur Staline, ma position a toujours été nuancée: Staline est un produit de l’histoire, de la Révolution de 1917. Il est le tyran au sens antique du terme qui restaure la stabilité d’un Etat après de grands bouleversements. Il est le Napoléon de l’URSS, et indéniablement un grand homme d’Etat comme il l’a montré durant la guerre. Le recours à la violence, à la répression, était inévitable. Staline était à mon avis paranoïaque, mais cela n’empêche pas qu’il avait des ennemis réels, dans le parti et ailleurs. Est-ce que, pour autant, les circonstances excusent tout, justifient tout? Est-ce qu’on ne peut pas discuter, s’interroger, sur la brutalité policière, l’ampleur de la répression, le culte de la personnalité digne d’un monarque? Sommes-nous condamnés à dire: "Staline n’avait pas le choix, il faut comprendre, il y avait les circonstances et la Raison d’Etat"? Doit-on bannir absolument l’idée qu’un chef d’Etat peut se montrer parfois brutal et cruel à l’excès, que ses actes ne sont pas toujours ni légitimes, ni nécessaires? Staline ne pouvait certainement pas se permettre d’être un enfant de choeur, mais cela ne signifie pas que sa répression aveugle ait été systématiquement justifiée et même efficace. Surtout, cette répression se poursuit parfois s’intensifie, alors que la révolution se stabilise, que le communisme s’institutionnalise. J’y vois pour ma part une dérive autocratique.

      Pour le reste, je suis d’accord: l’histoire est immorale, ce sont les plus impitoyables qui l’emportent. Mais puisque je n’approuve ni Pinochet, ni Suharto, ni l’Oncle Sam en Irak, pourquoi devrais-je approuver Staline? Je revendique un regard, non pas moralisant, mais critique sur l’histoire, y compris de mon propre pays. Par exemple, moi qui ai une sympathie pour Robespierre et Saint-Just, je comprends la mise en place de la Terreur, dans un contexte difficile, de guerres, de révoltes, de suspicion et de peur. Mais il y a eu des dérives (dont Robespierre avait en partie conscience d’ailleurs) qui ont nui au régime. C’est tout le problème d’un Etat en danger qui se dote d’instruments extraordinaires pour faire face: l’équilibre entre la nécessité et l’excès est parfois ténu… Mais en tant qu’héritiers de cette histoire, pouvons-nous faire l’économie de ce débat? Je ne le pense pas.

      "Encore une fois, pensez-vous vraiment que Staline se soit réveillé un jour en se disant « tiens, j’ai envie d’emmerder les koulaks » ?"
      Sans doute. Mais c’est un fait qu’il s’est montré d’une grande brutalité. Est-ce que toute cette violence se justifiait? Peut-être, mais on peut en discuter.

    • Descartes dit :

      @ Guilhem

      [Je n’ai pas trouvé d’informations précises et insoupçonnables de partialité sur le sujet. Mais vous sous-entendez que les Américains ont fourni des armes aux Soviétiques tant qu’ils perdaient pour affaiblir les Allemands en prévision de leur propre attaque contre l’Allemagne et que, dès que les rôles se sont inversés, les Américains ont cessé leur approvisionnement?]

      Je ne « sous-entend » rien du tout. Je demandais simplement des informations, qui ont d’ailleurs été fournies par un autre commentateur, ODP. Même si du faut de la source proposée, elles sont assez « soupçonnables ».

      Je ne serais pas étonné que les américains aient continué à fournir du matériel jusqu’à la fin de la guerre aux soviétiques. Après tout, les soviétiques étaient formellement des alliés, et il importait de maintenir au moins une façade qui rende cette alliance plausible aux yeux des opinions publiques. Couper les vivres aux soviétiques aurait montré un peu trop clairement aux opinions publiques le délitement de l’alliance, ce qui dans le contexte 1944-45 n’était pas évident.

      [Très certainement. Mais l’est de Allemagne et la Pologne ne faisaient-ils pas partie des régions riches de l’Europe?]

      Pas vraiment, non. L’est de l’Allemagne est une région d’agriculture pauvre et faiblement industrialisée en comparaison avec l’ouest. La Pologne a des réserves charbonnières immenses, mais en dehors de cela pas grande chose.

      [Berlin était à portée de main des Anglo-Américains en avril 1945 et les Allemands focalisant leur défense vers l’Est étaient plus "enclin à se laisser conquérir" (les guillemets sont importants) par les Anglo-américains que les Soviétiques et pourtant, les armées américaines sont stoppées sur l’Elbe par Eisenhower et Marshall car Berlin ne représente pour eux qu’une prise "de prestige" et non stratégique. Les Américains ont-ils pensé à l’après-guerre à ce moment-là?]

      Bien entendu. Les américains se sont arrêtés sur la ligne prévue par les accords de Yalta. Même si certains stratèges américains avaient proposé de continuer et d’engager même la guerre contre les soviétiques, il était clair que les opinions publiques en 1945 n’auraient pas suivi.

      [Staline de son côté n’avait-il pas prévu de pousser ses armées jusqu’à l’Atlantique en 45? Seulement il n’avait pas anticipé la bombe atomique…]

      En 1945, certainement pas. Autrement, il n’aurait pas signé les accords de Yalta. En 1945, l’ambition de l’URSS était d’entamer sa reconstruction à l’intérieur de frontières sûres et reconnues internationalement, et protégée par un « glacis » d’Etats amis. Par contre, si les soviétiques étaient arrivés à Berlin alors que du côté ouest aucun débarquement n’avait eu lieu… il semble évident qu’ils auraient continué d’avancer jusqu’à l’Atlantique. Peut-être même qu’ils auraient cherché à renverser Franco, contrairement aux alliés occidentaux…

      [91000 membres de l’AK furent effectivement envoyés en Sibérie]

      La source de ces chiffres ?

      [L’AK avait eu quelque raison de se méfier des Soviétiques…]

      Et vice-versa. L’AK n’avait jamais fait secret de son anticommunisme et de son antisoviétisme. C’est pour cela que le soulèvement de l’AK à Varsovie en 1944 était une folie de quelque manière qu’on le contemple. Si les soviétiques n’intervenaient pas, leur défaite aux mains des allemands était pratiquement sûre. Si les soviétiques intervenaient, il y avait toute raison de penser qu’ils feraient le nécessaire pour mettre l’AK hors d’état de nuire. Il est difficile de comprendre la mécanique qui a conduit au déclenchement de l’insurrection. Les dirigeants de l’AK semblent avoir surestimé leurs forces et l’appui de leurs soutiens occidentaux, et sous-estimé la résolution des alliés de placer la Pologne dans la zone d’influence soviétique.

      [Pendant la révolte de Varsovie, l’armée de l’AK perd la moitié de ses hommes lors des combats contre les troupes allemandes aguerries et équipées de chars alors qu’ils n’ont que des armes légères.]

      Cela ne parle pas très hautement de la compétence des dirigeants de l’AK… que pensaient-ils qu’il allait se passer lorsqu’ils décident de déclencher l’insurrection ? Que les soviétiques qu’ils haïssent et dont qu’ils n’ont cessé d’attaquer dans leur propagande allaient leur envoyer des chars ?

      [Je rappelle l’hypocrisie soviétique pour justifier le soutien de la révolte polonaise par le largage d’armes aux Polonais mais sans parachute.]

      Encore une fois, peut-on avoir la source de cette affirmation ? Vous savez, c’est une affaire sur laquelle on a dit tellement de bêtises… franchement, je ne vois pas trop l’intérêt de larguer des armes sans parachute. Autant ne pas les larguer et faire dire à la propagande le contraire, c’est moins cher et cela aboutit au même résultat.

      [Staline était donc certain que les Polonais ne l’emporteraient pas et que les Allemands feraient le travail pour eux.]

      Je ne comprends pas. Si l’AK a déclenché l’insurrection, c’est qu’elle était convaincue de pouvoir l’emporter, non ? Et pourtant, elle avait des informations bien plus détaillées sur l’état des forces que celles que pouvait avoir Staline. Alors, si la défaite de l’AK était si évidente que même Staline pouvait en être certain, comment expliquer que l’AK ait lancé l’insurrection ?

      Encore une fois, il y a dans le récit « canonique » de cette affaire de telles incohérences que cela me fait penser que nous n’avons pas tous les éléments de l’affaire.

      [Les Soviétiques ne pouvaient se présenter comme des conquérants de la Pologne face aux Anglais et aux Américains, il fallait qu’ils soient des libérateurs et de préférence les seuls, ils ne pouvaient partager ce prestige avec la résistance polonaise.]

      Je pense que tout le monde s’en foutait. Pensez-vous vraiment que dans le contexte de 1944 quelqu’un aurait pu un instant imaginer que l’armée rouge avait besoin du « prestige » d’avoir libéré toute seule la ville de Varsovie (car l’insurrection ne touchait pas l’ensemble de la Pologne) ?
      [Qu’ils empêchent ensuite la tenue d’élections démocratiques en Pologne comme convenu à la conférence de Téhéran est un détail.]

      A la conférence de Téhéran, la question polonaise ne fut pas discutée. Vous confondez avec la conférence de Yalta.

      [« Vous voulez dire, au lieu de reconnaître le gouvernement fantoche de Londres ? Je vous rappelle que le gouvernement de la Pologne de l’avant-guerre, dont le gouvernement en exil en Grande Bretagne était le continuateur, était issu de la dictature de Pilsudski et du régime autoritaire de Rydz-Smigly, et avait une légitimité démocratique pour le moins douteuse. Le choix des alliés de le reconnaître était motivé par les mêmes soucis que celui de Staline par rapport au gouvernement de Lublin : mettre au pouvoir des gens « amis »… » La légitimité démocratique en Pologne a mis 45 ans pour revenir…]

      Non. Elle ne pouvait pas « REvenir » en 45 ans parce qu’en 1939 elle n’était pas « venue ». Je trouve que vous accordez un peu vite son passeport de « démocrate » à Pilsudski et ses successeurs du gouvernement en exil de Londres, ce même passeport que vous refusez au gouvernement de Lublin et à ses successeurs à Varsovie…

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Cela ne m’a pas échappé en effet, mais j’ai lu avec suffisamment d’attention cet article pour constater que les divergences entre les sources russes et les sources américaine ne portait pas sur les montants de l’aide américaine (11.0 MM$ selon les américains contre 9.8 MM$ selon les russes) mais sur l’évaluation de son impact sur l’économie de guerre russe.]

      Oui, mais la question est fondamentale. En effet, ce n’est pas la même chose d’envoyer une aide symbolique – à un moment ou diplomatiquement il était difficile de ne rien envoyer – que d’envoyer une aide massive.

      [D’ailleurs, contrairement à ce que vous dites, l’auteur ne "balaye pas d’un revers de la main" les chiffres soviétiques mais fait une critique sérieuse de leur interprétation par l’ancien responsable du Gosplan qui estima en 1947 que l’aide américaine ne représenta que 4% de la "production globale" soviétique "du temps de guerre".]

      Bof… cela ne me paraît pas très « sérieux ».

      [Enfin, si les patronymes polonais vous déplaisent]

      Qu’est ce qui vous fait penser que « les patronymes polonais me déplaisent » ? Ce n’est pas le patronyme de l’auteur qui me gêne, c’est son engagement dans différentes organisations anticommunistes et antisoviétiques, ce qui à mon avis permet d’avoir quelques doutes sur la neutralité à laquelle un historien est en théorie tenu…

      [et que le détails des relations économiques entre les Etats-Unis et l’URSS vous intéressent je vous propose de jeter un coup d’oeil à l’article suivant: c’est encore plus détaillé que le précédent et est rédigé par un historien britannique qui vécut et étudia à Moscou et était encore membre du Parti Communiste de Grande Bretagne quand parut l’article. http://www2.warwick.ac.uk/fac/soc/economics/staff/academic/harrison/public/lendlease.pdf.%5D

      Un article très intéressant. Il remet très bien les choses en perspective. D’abord, en montrant qu’il faut faire une distinction entre ce qui relève de l’aide et ce qui relève du commerce. Une partie des matériels livrés par les américains à l’URSS l’était dans le cadre d’un échange où l’URSS livrait en échange des matières premières. Difficile dans ces conditions de parler d’aide, étant donné que ces matières premières étaient détournées de l’effort de guerre. Par ailleurs, le papier met la portée de cette aide en perspective, montrant que son montant (de l’ordre de 10 Md$) est très faible comparé à l’effort de guerre allié (de l’ordre de 300 Md$).

      [Puisque les mots de Staline lors lors de conférence de Téhéran ne vous suffisent pas, je vous propose ceux de Khrouchtchev dans ses mémoires: "sans le corned beef nous n’aurions pas pu nourrir notre armée"; "imaginez comment nous serions allé de Stalingrad à Berlin sans les camions américains!"]

      Etant donné l’intérêt qu’avait Khrouchtchev à réduire la portée des victoires emportées par Staline, je ne suis pas très surpris. Les mémoires de Khrouchtchev ne sont pas, par ailleurs, connues par leur fiabilité historique…

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [« La Biélorrussie et l’ouest de l’Ukraine étaient des provinces de l’empire russe ». Annexées dans la seconde moitié du XVIII° siècle…]

      Oui. Et alors ? En 1789, la Lorraine n’est intégrée dans le royaume de France que depuis moins de trente ans. Qu’auriez vous pensé de ceux qui auraient cherché de détacher la Lorraine de la France au moment de l’effondrement de la monarchie française ?

      [Il n’est pas inutile de rappeler que la Biélorussie et l’Ouest de l’Ukraine ont été plus longtemps polonaises (plus de trois siècles) que russes (moins de deux siècles).]

      Oui, un peu comme la Lorraine a appartenu plus longtemps au Saint Empire qu’au Royaume de France…

      [Cela ne fait pas des Biélorusses et des Ukrainiens des Polonais, mais on peut quand même se demander si ce sont des Russes.]

      En 1917, ils étaient du point de vue du droit et de la reconnaissance internationale, incontestablement russes. On peut toujours contester le rattachement d’une province à tel ou tel état. Mais le fait d’utiliser la force armée comme moyen de contestation vous expose généralement à une réaction violente.

      [Par ailleurs, vous commettez une erreur: la Galicie, c’est-à-dire l’Ukraine occidentale, que la Pologne revendique, était autrichienne, et non russe, jusqu’en 1918.]

      Vous avez raison, j’ai fait erreur. Mais elle n’appartient pas pour autant à la Pologne.

      [« Parler de « domination de la Russie sur la Biélorussie et l’Ukraine » c’est comme parler de la « domination de l’Ile de France sur la Bretagne ou l’Alsace » en 1789. » Non. La Biélorussie et l’Ukraine sont non seulement des annexions relativement récentes, mais en plus la Russie de 1917 n’est pas la France de 1789: c’est un empire multinational sans véritable conscience nationale. Au contraire en France, la politique unificatrice des rois a déjà largement entamé le processus de construction de la nation depuis la fin du Moyen Âge.]

      Je ne partage pas votre vision. En 1789, la France est encore largement « multinationale ». Comme c’est le cas dans l’Empire russe, ni le droit, ni la langue usuelle ne sont unifiés dans l’ensemble du territoire, même si la langue administrative l’est. Bien entendu, il y a un effet de taille qui fait que les français de 1789 connaissent la France mieux que les russes de 1917 ne connaissent l’ensemble de leur Empire. Mais au-delà de cette particularité, je ne vois pas de véritable différence.

      [Il est d’ailleurs intéressant de noter que 1789 n’entraîne pas de sécession en France. Au contraire, en 1917, les pays baltes, l’Ukraine, la Géorgie, les peuples d’Asie centrale commencent à quitter le navire, preuve d’un manque certain de cohésion.]

      Vous ne pouvez pas comparer. En 1789, l’état-nation en est à ses premiers balbutiements. L’idée qu’un « pays » puisse se déclarer « indépendant » et constituer son Etat est presque inimaginable, tant l’idée de vassalité personnelle est encore forte. D’ailleurs, les régions françaises qui auront des velleités « séparatistes » le manifestent en se déclarant fidèles aux bourbons. En 1917, en Europe centrale, les états-nations sont une réalité politique dominante, et chaque peuple ou presque aspire à avoir le sien sur une base ethnique. Je ne crois pas qu’on puisse parler de « manque de cohésion » à propos de l’Empire russe en 1917 par comparaison à la France de 1789. Dans les deux cas, la cohésion était faible, mais les mécanismes à l’œuvre n’étaient pas les mêmes.

      [D’abord un peu désemparés, les bolcheviks sont finalement obligés de renouer avec le centralisme unitaire des tsars. Nous en avons déjà parlé: les communistes ont des difficultés à penser la nation.]

      Je pense que nous sommes d’accord là-dessus. L’influence « libertaire » sur le mouvement communiste a fait que la réflexion sur la nation et l’Etat chez les marxistes a toujours été faible. La prédiction marxiste de « dépérissement de l’Etat », qui pour son auteur était en fait une situation limite, a été interprétée comme une réalité réalisable. Et à quoi bon penser une entité qui doit « dépérir » ?

      [Et on voit le résultat: en 2014, la République française existe encore, alors que l’URSS a disparu, et l’Ukraine est indépendante, pas la Bretagne, ni l’Alsace.]

      Je ne crois pas que ce les deux choses soient liées. Finalement, l’URSS a adopté bien des idées dérivées de la réflexion nationale de la Révolution française. Mais elle n’a pas eu ni le temps, ni les ressources pour les mettre en œuvre. En particulier, il était difficile de brasser les populations comme cela a été fait en France.

      [« La Pologne a joué le jeu dangereux d’essayer de détacher certaines provinces de l’empire russe et d’en annexer d’autres. » La Galicie, que Staline annexera à l’URSS en 1945, n’a jamais été russe.]

      La Galicie, oui. Mais il y eut d’autres, non ?

      [Alors? N’y aurait-il pas là une façon de châtier la Pologne? Est-il impensable que Staline ait nourri une certaine animosité à l’encontre de la Pologne?]

      Je ne crois pas que dans le comportement des hommes d’Etat « l’animosité » joue un si grand rôle, pas plus que la volonté de « châtier ». En 1945, l’Union Soviétique est en position de force, et elle profite pour rétablir ses frontières et même pour gagner quelques concessions territoriales. C’est de bonne guerre. Tous les pays ont fait de même.

      [« Dans les sept cents ans d’histoire des rapports russo-polonais. » Je l’ai évoqué dans un commentaire précédent, je n’y reviens pas, mais la "haine héréditaire" entre Polonais et Russes est loin d’être aussi évidente que vous l’affirmez, quand on regarde l’histoire.]

      Comme je vous l’ai dit, je ne pense pas que ce soit une question de « haine », héréditaire ou pas. Simplement une question d’intérêt : dans la région, les intérêts polonais et les intérêts des russes sont en opposition. Faire disparaître l’autre permet de faire avancer ses intérêts. A partir de là, si on a les moyens, pourquoi s’en priver ? La Russie a eu plusieurs fois les moyens de faire disparaître la Pologne, et elle les a utilisés. La Pologne n’a jamais eu les moyens de faire, mais elle a fait tout ce qu’elle a pu dans cette direction…

      [Mais je vois bien qu’il est inutile d’essayer de vous faire entendre raison.]

      Heureux l’homme qui peut être sûr d’avoir raison…

      [« pour vous la République Fédérale d’Allemagne n’était pas un « état indépendant et souverain » entre 1949 et sa réunification ? » Un Etat indépendant sous étroite surveillance, je dirais. Pleinement souverain, je ne crois pas.]

      Dans la mesure où l’Etat allemand ne connaît pas depuis 1949 d’autre loi que celle qu’il fait lui-même, je ne vois pas en quoi il ne serait pas « pleinement souverain ».

      [Mais au fait, à quel moment précis Staline recrée-t-il un Etat polonais? Pourquoi avoir attendu?]

      J’avoue que je n’ai pas fréquenté Staline suffisamment pour lui poser la question… on peut supposer qu’il n’avait pas d’objection en à la renaissance d’un Etat polonais dès le début 1943, lorsqu’il laisse se constituer en URSS le « comité des patriotes polonais » sous l’égide des soviétiques, ce qui suppose qu’il y a une « patrie polonaise » en perspective. En tout cas, lorsque les troupes soviétiques traversent en juillet 1944 la frontière polonaise, il n’y a aucun doute que Staline entend reconstituer un état polonais, puisqu’il constitue un « comité polonais de libération nationale » chargé de fonctions administratives quasi-gouvernementales.

      Pourquoi avoir attendu ? J’ai l’impression que les soviétiques ne croyaient pas vraiment dans cette logique de « gouvernements en exil », inutiles aussi longtemps qu’il n’y avait rien à « gouverner ». Même si des communistes français, belges, hollandais, allemands, hongrois, tchèques, etc. étaient réfugiés à Moscou, on ne vit pas immédiatement se constituer des « comités de libération » parmi eux. Par contre, le gouvernement soviétique a entretenu d’excellentes relations avec certains « gouvernements en exil », y compris des pays d’Europe centrale. C’est le cas notamment celui de la Tchécoslovaquie, qui deviendra le gouvernement de la Tchécoslovaquie après la libération du pays par l’Armée Rouge.

      [« Pourriez-vous indiquer la citation exacte de « Mein Kampf » ou Hitler déclare cette « volonté » ? ». Extrait de "Mein Kampf" dans un manuel de 1ère: « Notre objectif primordial est d’écraser la France. Il faut rassembler d’abord toute notre énergie contre ce peuple qui nous hait. Dans l’anéantissement de la France, l’Allemagne voit le moyen de donner à notre peuple sur un autre théâtre toute l’extension dont il est capable ». Je ne peux vous fournir mieux, désolé. Les termes me paraissent assez forts tout de même.]

      Assez forts, certainement. Mais pas assez : nulle part on voit ici une volonté de « faire disparaître la France en tant qu’Etat ». Simplement, d’écraser la France et d’en faire un état secondaire. C’est d’ailleurs ce qu’il fera en 1940.

      [« Vous voulez dire que dans les régions les plus orientales de Pologne, la majorité des gens n’était pas des citoyens polonais ? ». Je veux dire qu’ils étaient de langue biélorusse ou ukrainienne et de tradition orthodoxe, non de langue polonaise et de tradition catholique.]

      C’était bien mon point. Les wallons sont de tradition catholique et de langue française. Sont-ils français pour autant ? On ne peut pas avoir une règle ici et une autre ailleurs. Dire que certains biélorusses étaient « polonais », c’est comme dire que certains belges sont « français ».

      [« Avant de supposer des choses, vérifiez les faits. » Mon atlas historique m’indique que 3 millions de Polonais ont été déplacés des territoires anciennement polonais de l’est, annexés par l’URSS, vers la "nouvelle" Pologne, en 1945.]

      « Ont été déplacés » ou « se sont déplacés » ?

      [Je ne confonds rien du tout. Il y avait des Polonais en Galicie, dans l’ouest de la Biélorussie et au sud de la Lituanie avant 1939. Il n’y en a plus après 1945. Puisque ni les Allemands, ni les Soviétiques ne les ont complètement exterminés, où sont-ils passés?]

      Ils ont changé de passeport, et devenu des citoyens soviétiques. Ou bien ils ont préféré vivre en Pologne et sont partis de leur plein gré.

      [Concernant votre digression, ne vous excusez pas, elle s’insère tout à fait dans notre débat. Mais je dirais ceci: vous me dites finalement que notre débat n’a pas lieu d’être parce que "la raison d’Etat existe".]

      Ce n’est pas ce que j’ai dit. Je n’ai pas dit que « notre débat n’a pas lieu d’être ». Ce que j’ai dit, c’est que la « raison d’Etat » – résumée par le principe « salus populi… » – fait qu’on ne peut juger les faits historiques avec un prisme purement juridique ou moral. C’est Churchill je crois qui notait que « la première victime de toutes les guerres est la vérité ». Ce n’est pas bien de mentir, mais c’est nécessaire.

      [Eh bien je ne suis pas de cet avis. Oui, il y a eu beaucoup de Katyn, mais tous ne se justifient pas de la même façon. Je pense qu’il est sain de discuter au cas par cas, d’interroger les motivations des acteurs, de discuter la "nécessité" de telle ou telle décision et de tenter d’établir une hiérarchie, même imparfaite, même contestable.]

      Aucun Katyn ne se « justifie » d’un point de vue juridique ou moral. Ils ne peuvent se « justifier » que sur la base de la raison d’Etat. En d’autres termes, en posant la question « cet acte moralement insupportable et juridiquement illégal était-il utile pour atteindre un objectif supérieur ? Je n’ignore pas, vous le savez bien, les dangers implicites dans cette question.

      [Ce que je veux dire, c’est que chaque massacre doit être replacé dans son contexte: par exemple, le massacre d’un village vendéen en 1794 se passe dans un contexte de révolution, de guerre généralisée, d’un régime qui peine à s’installer. Lorsque Katyn se produit, la révolution est stabilisée, il s’agit de régler le problème d’un territoire récemment occupé dont la population est rétive. Le massacre d’un village juif en Lituanie par les Einsatzgruppen se produit encore dans un contexte différent, ou le massacre de Srebrenica, plus près de nous. Je ne crois pas qu’on puisse dire que tout se vaut. Le degré de justification de ces crimes n’est pas le même, et on doit aussi tenir compte de l’ampleur des massacres: exécuter 700 Polonais, ce n’est pas pareil qu’en massacrer 25 000.]

      Je ne crois pas avoir dit que « tout se vaut ». Simplement que ces événements ne peuvent pas être jugés sur des critères moraux ou juridiques. Ils relèvent de la logique de la « raison d’Etat », et la question est donc de savoir si le « bien » qu’on entendait protéger valait le crime, et si celui-ci était nécessaire. Le crime des Einsatzgruppen est injustifiable d’abord et avant tout parce qu’il est inutile. A supposer même qu’il ait été commis pour sauvegarder l’avenir du peuple allemand, on voit mal en quoi le massacre des populations civiles ukrainiennes ait contribué à cet objectif. Mais dès lors qu’un massacre pour raison d’Etat semble servir les objectifs qui lui sont assignés, on semble le trouver parfaitement justifiable. Ainsi, par exemple, la répression massive organisée par Pinochet ne semble pas avoir empêché Margaret Thatcher ou Ronald Reagan de lui serrer la main. Même la guerre d’Irak, dont l’utilité paraît aujourd’hui douteuse, n’a pas donné à ceux qui l’ont ordonné le statut de criminels. George Bush peut se promener de par le monde sans risquer de comparaître devant un tribunal.

      Alors, pourquoi faire de Katyn un cas particulier ? Pourquoi ce massacre semble ranger Staline du côté des « horribles », alors que l’intervention en Irak (deux-cents mille morts, excusez du peu) n’a pas le même effet pour Bush ?

      [Sur Staline, ma position a toujours été nuancée: Staline est un produit de l’histoire, de la Révolution de 1917. Il est le tyran au sens antique du terme qui restaure la stabilité d’un Etat après de grands bouleversements. Il est le Napoléon de l’URSS, et indéniablement un grand homme d’Etat comme il l’a montré durant la guerre. Le recours à la violence, à la répression, était inévitable. Staline était à mon avis paranoïaque, mais cela n’empêche pas qu’il avait des ennemis réels, dans le parti et ailleurs. Est-ce que, pour autant, les circonstances excusent tout, justifient tout? Est-ce qu’on ne peut pas discuter, s’interroger, sur la brutalité policière, l’ampleur de la répression, le culte de la personnalité digne d’un monarque? Sommes-nous condamnés à dire: "Staline n’avait pas le choix, il faut comprendre, il y avait les circonstances et la Raison d’Etat"? Doit-on bannir absolument l’idée qu’un chef d’Etat peut se montrer parfois brutal et cruel à l’excès, que ses actes ne sont pas toujours ni légitimes, ni nécessaires?]

      Bien sur que non. Au contraire, toutes ces questions sont parfaitement légitimes. Ce que je voulais dire – apparemment pas assez clairement… – est que ces questions ne peuvent pas être posées en termes moraux ou juridiques. Un homme normal qui tue un autre homme est un criminel, et condamné du double point de vue moral et pénal. Un homme d’Etat qui tue un autre homme ex officio… c’est plus compliqué. Cela ne veut pas dire dans mon esprit que toute invocation de la raison d’Etat soit justifiée, ni qu’elle puisse justifier n’importe quoi. Il faut dans chaque instance examiner la légitimité du but poursuivi et l’économie des moyens vis-à-vis du but, non seulement sur le plan objectif, mais aussi sur le plan subjectif, en tenant compte des informations dont disposaient ceux qui ont pris les décisions. Ce que je combat, c’est la tendance à faire du moralisme ou du juridisme lorsqu’on examine des questions historiques.

      [Pour le reste, je suis d’accord: l’histoire est immorale, ce sont les plus impitoyables qui l’emportent. Mais puisque je n’approuve ni Pinochet, ni Suharto, ni l’Oncle Sam en Irak, pourquoi devrais-je approuver Staline?]

      Par exemple, parce que vous approuvez ses buts. Car l’une des difficultés avec la raison d’Etat est celle-là : la « justification » se trouve tant dans l’économie des moyens que dans la légitimité du but poursuivi. Le peux admettre que Pinochet était « justifié » au sens qu’il a utilisé les moyens les plus « économiques » d’atteindre son but. Mais je ne peux pas le « justifier » du point de vue du but poursuivi.

      [Je revendique un regard, non pas moralisant, mais critique sur l’histoire, y compris de mon propre pays. Par exemple, moi qui ai une sympathie pour Robespierre et Saint-Just, je comprends la mise en place de la Terreur, dans un contexte difficile, de guerres, de révoltes, de suspicion et de peur. Mais il y a eu des dérives (dont Robespierre avait en partie conscience d’ailleurs) qui ont nui au régime. C’est tout le problème d’un Etat en danger qui se dote d’instruments extraordinaires pour faire face: l’équilibre entre la nécessité et l’excès est parfois ténu… Mais en tant qu’héritiers de cette histoire, pouvons-nous faire l’économie de ce débat? Je ne le pense pas.]

      Vous savez bien que je partage ce point de vue. Mais encore une fois, si nous examinons l’actuation de Robespierre, la question n’est pas « est-ce que ce qu’il a fait était moral » ou « est-ce que ce qu’il a fait était légal », mais « est-ce que ce qu’il a fait était indispensable pour atteindre un but » et « est-ce que ce but était nécessaire ».

    • odp dit :

      @ Descartes

      Je vous propose d’en rester là sur la loi prêt-bail et plus généralement sur ma critique de votre interprétation des rapports américano-russes pendant la 2ème guerre mondiale. Vous faites fi de toute l’historiographie consacrée aux acteurs anglo-saxons de l’époque (Roosevelt, Harriman, Churchill, Beaverbrook, Eden…) en faveur d’une interprétation qui n’est étayée par des conjectures; libre à vous. Si j’en juge des réactions de NJ et Guilhem, il semblerait, qu’en dehors des encartés, ça ne "passe" pas vraiment.

      En revanche, je souhaiterais vous répondre sur le sujet de la "dissolution de l’Etat polonais" telle que relatée dans le traité germano-soviétique de délimitation et d’amitié du 20 septembre 1939 et ses annexes. Vous avez du faire erreur ou alors ne pas lire le texte dans son intégralité car la déclaration afférente des 2 gouvernements y fait explicitement référence: http://fr.wikisource.org/wiki/Pacte_Molotov-Ribbentrop.

    • odp dit :

      @ Descartes et NJ:

      Bonjour,

      Puis-je interrompre un moment votre fort intéressant dialogue pour vous poser une question: vous semblez apparemment tous deux attentifs à ne pas verser dans une "vision moralisante" de l’histoire. Très bien. Louable effort de contextualisation.

      Néanmoins:

      a) vous êtes tous deux partisans du "roman national" – quintessence de la vision moralisante de l’histoire en vue de l’édification des masses ; et

      b) vous semblez vouloir arrêter cette ambition "réaliste" au seuil de la défaite française de juin 1940 – i.e. ne pas l’appliquer à Pétain, Laval, Darlan et consorts.

      Pourquoi?

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Je vous propose d’en rester là sur la loi prêt-bail et plus généralement sur ma critique de votre interprétation des rapports américano-russes pendant la 2ème guerre mondiale. Vous faites fi de toute l’historiographie consacrée aux acteurs anglo-saxons de l’époque (Roosevelt, Harriman, Churchill, Beaverbrook, Eden…) en faveur d’une interprétation qui n’est étayée par des conjectures; libre à vous.]

      J’accepte votre proposition. Vous faites fi de toute l’historiographie consacrée aux différents acteurs et aux travails des historiens des rapports soviéto-américains en faveur d’une interprétation devenue dogmatique pendant la guerre froide qui n’est étayée que par des documents de propagande. Libre à vous…

      [En revanche, je souhaiterais vous répondre sur le sujet de la "dissolution de l’Etat polonais" telle que relatée dans le traité germano-soviétique de délimitation et d’amitié du 20 septembre 1939 et ses annexes. Vous avez du faire erreur ou alors ne pas lire le texte dans son intégralité car la déclaration afférente des 2 gouvernements y fait explicitement référence: http://fr.wikisource.org/wiki/Pacte_Molotov-Ribbentrop.%5D

      C’est vous qui n’avez pas lu les textes dans leur intégralité et avec attention. Contrairement à ce que vous avez affirmé, la question ne figure ni dans le « traité de délimitation et d’amitié » du 28 septembre 1939, ni dans ses annexes. La question n’est abordée que dans la « déclaration » – c’est-à-dire dans le communiqué de presse – faite à l’occasion de la signature du traité.

      Par ailleurs, le traité en question ne « relate » rien du tout, il tire les conclusions de « l’écroulement de l’Etat polonais » qui est donné dans le texte comme un fait, et non comme une décision. Le traité mentionne par ailleurs (dans son 3°) des « mesures de restauration politique » qui ne peuvent être interprétées que comme visant la restauration d’une structure étatique.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [a) vous êtes tous deux partisans du "roman national" – quintessence de la vision moralisante de l’histoire en vue de l’édification des masses ;]

      Je crois que vous avez mal compris. Le « roman national », comme son nom l’indique, est une construction imaginaire. Ce n’est pas de l’histoire, même s’il a un rapport avec elle. Croyez-vous vraiment que je puisse croire un instant que faire répéter à des petits maghrébins « nos ancêtres les gaulois » ait un quelconque rapport avec un travail d’historien ?

      Le « roman national » est une construction pédagogique, destinée à fournir aux citoyens un cadre de référence commun et une lecture de l’histoire qui permette de mettre en avant les valeurs de la République. Son exactitude historique n’a qu’un intérêt secondaire. D’ailleurs, dans certains pays on enseigne à l’école l’histoire d’un côté, le « roman national » de l’autre. Et les deux enseignements coexistent sans problèmes.

      [b) vous semblez vouloir arrêter cette ambition "réaliste" au seuil de la défaite française de juin 1940 – i.e. ne pas l’appliquer à Pétain, Laval, Darlan et consorts.]

      Je n’ai pas très bien compris cette remarque. Je pense au contraire avoir défendu les historiens qui font une lecture « réaliste » du régime de Vichy. Pourriez-vous être plus explicite, par exemple en donnant des exemples ou j’aurais « arrêté cette vision réaliste » à Pétain, Laval, Darlan et al. ?

    • odp dit :

      @ Descartes

      Bien sûr que roman national et histoire peuvent coexister, mais à une condition: que le roman national ne soit qu’une version légèrement idéalisée, légèrement biaisée ou légèrement amnésique de l’histoire et pas une construction outrageusement mensongère. Faudrait quand même pas prendre les gens pour des imbéciles: ils ont des yeux, des oreilles et même un cerveau.

      Et que "voient" ces yeux, ces oreilles et ce cerveau?

      Qu’en 1917 les bolchéviques, traversant l’Europe dans un train allemand pour fomenter la Révolution d’Octobre, cessaient le combat commun contre l’Allemagne que la Russie avait pourtant très largement contribué à déclencher tandis que les américains, eux, entraient dans la guerre à nos côté et nous permettaient de remporter la victoire.

      Qu’à peine plus de 20 ans plus tard, contre toute logique géostratégique, l’URSS offrait à Hitler la France sur un plateau en signant le pacte germano-soviétique et précipitait par là-même notre effondrement militaire puis l’Occupation, tandis que les américains, eux, débarquaient en Afrique du Nord, puis en Sicile et enfin en Normandie pour libérer le continent de l’emprise nazie.

      Après la guerre, ces mêmes yeux, oreilles et cerveau ont "vu" les américains se retirer des pays libérés (France, Benelux et Danemark) ou occupés (Italie, Allemagne), y organiser des élections libres et financer leur reconstruction tandis qu’ils "voyaient", dans les pays "libérés" par l’Armée Rouge et toujours sous sa menace, les russes installer des dictatures communistes, organiser répression de masse et procès politiques puis barbeler les frontières afin d’éviter que les citoyens soient tentés de fuir "le paradis socialiste".

      Partant, le roman national qui nous a été servi lors des commémorations du Débarquement correspond exactement à ce que l’on peut attendre de ce type d’exercice: une vision partielle, un peu tronquée, de la "réalité" mais qui en reste suffisamment proche pour susciter l’adhésion des "masses".

      Que cette vision un peu simpliste soit corrigée pour enlever la légère couche de propagande qu’elle comprend me paraît tout à fait sain; et rappeler le rôle de l’Armée Rouge dans la défaite nazie est légitime. C’est d’ailleurs ce qui a été fait, à l’initiative de la France, en conviant Vladimir Poutine aux commémorations du 70ème anniversaire du débarquement.

      Cependant, remplacer cette saine critique par une vision complètement contre-factuelle des événements tant sur le rôle des américains (par exemple: "les américains n’ont pas combattu les allemands en Afrique du Nord" ou "les américains ne sont pas intervenus en Europe avant juin 44") que sur celui des soviétiques (dans leurs rapports avec les polonais par exemple) me paraît très largement franchir les limites de l’acceptable.

      De fait, le roman national que vous nous servez là n’est pas celui de la France, mais de l’Union Soviétique de Staline et le drapeau que vous arborez en en-tête de votre blog ne devrait pas être frappé des 3 couleurs mais agrémenté de la faucille et du marteau. Les choses auraient au mois le mérite d’être claires. Mais il est vrai que l’infiltration est une spécialité communiste…

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Bien sûr que roman national et histoire peuvent coexister, mais à une condition: que le roman national ne soit qu’une version légèrement idéalisée, légèrement biaisée ou légèrement amnésique de l’histoire et pas une construction outrageusement mensongère. Faudrait quand même pas prendre les gens pour des imbéciles: ils ont des yeux, des oreilles et même un cerveau.]

      Justement. Et un cerveau qui est capable de gérer bien mieux que vous ne le pensez le décalage entre la réalité telle qu’elle est perçue et la réalité telle qu’elle est construite. Ce qui fait la force du « roman national », c’est le consensus sur sa nécessité. Et si ce consensus existe, il se soutient alors même qu’il contredit non seulement les travaux des historiens, mais même l’expérience personnelle et individuelle des citoyens.

      L’exemple le plus classique, c’est le mythe de la « France résistante » construit après 1945 et qui est resté intouché – et intouchable – jusqu’aux années 1980. Pourtant, les gens qui ont soutenu ce mythe savaient, non seulement par le travail des historiens mais par leur expérience personnelle, que la résistance avait été un phénomène relativement marginal avant 1943, qu’il y eut une majorité d’indifférents et pas mal de collaborateurs… et ce n’est pas le seul exemple : on enseigne dans les écoles israéliennes que la construction d’Israel fut « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » alors que la réalité montre de toute évidence que c’est faux.

      Le « roman national » est un acte de foi, une envie collective de croire. Bien entendu, si l’on peut faire coïncider le « roman national » et l’histoire, on tend à le faire. Mais ce n’est nullement une obligation…

      Et que "voient" ces yeux, ces oreilles et ce cerveau?

      [Qu’en 1917 les bolchéviques, traversant l’Europe dans un train allemand pour fomenter la Révolution d’Octobre, cessaient le combat commun contre l’Allemagne que la Russie avait pourtant très largement contribué à déclencher tandis que les américains, eux, entraient dans la guerre à nos côté et nous permettaient de remporter la victoire.
      Qu’à peine plus de 20 ans plus tard, contre toute logique géostratégique, l’URSS offrait à Hitler la France sur un plateau en signant le pacte germano-soviétique et précipitait par là-même notre effondrement militaire puis l’Occupation, tandis que les américains, eux, débarquaient en Afrique du Nord, puis en Sicile et enfin en Normandie pour libérer le continent de l’emprise nazie.]

      Ces yeux, ces oreilles et ce cerveau ont une perception assez sélective. Elles ne semblent pas « voir » les interventions militaires anglo-britanniques pendant la guerre civile russe, el soutien donné aux armées blanches – y compris celles qui massacraient de manière indiscriminée juifs et communistes. Ils ne « voient » pas non plus la politique de « cordon sanitaire », avec le soutien des occidentaux aux régimes dictatoriaux, antisémites, anticommunistes. Ils ne « voient » pas les sabotage systématique des tentatives de bâtir un système de sécurité collective en Europe, les concessions faites à Hitler (réarmement de la Rhénanie, accords de Munich) avec l’espoir de l’envoyer vers l’Est. Ils ne voient pas la déflation Laval, le décret Sérol… Comme vous dites, il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles.

      [Après la guerre, ces mêmes yeux, oreilles et cerveau ont "vu" les américains se retirer des pays libérés (France, Benelux et Danemark) ou occupés (Italie, Allemagne), y organiser des élections libres et financer leur reconstruction]

      Là encore, vous oubliez un certain nombre de choses. Par exemple, que les élections « libres » ont été organisées avec des systèmes électoraux construits pour empêcher le succès des partis communistes, que mesures avaient été prises pour « rectifier » les résultats là ou le système électoral s’avérait insuffisant, et que lorsque tout à échoué, on n’a pas hésité à avoir recours au coup d’Etat ou à la guerre civile, comme en Grèce…

      [Partant, le roman national qui nous a été servi lors des commémorations du Débarquement correspond exactement à ce que l’on peut attendre de ce type d’exercice: une vision partielle, un peu tronquée, de la "réalité" mais qui en reste suffisamment proche pour susciter l’adhésion des "masses".]

      Toute falsification de l’histoire ne devient pas « roman national » par décret. Je ne crois pas que la version servie lors des commémorations du Débarquement soit appuyée aujourd’hui sur un consensus national aussi fort que pouvaient l’être « nos ancêtres les gaulois ». Entre autres choses, parce qu’il est difficile de fonder un « roman national » sur une reconnaissance éternelle à une force étrangère. Les gens aiment croire qu’ils sont capables de s’en sortir par eux-mêmes.

      [Que cette vision un peu simpliste soit corrigée pour enlever la légère couche de propagande qu’elle comprend me paraît tout à fait sain; et rappeler le rôle de l’Armée Rouge dans la défaite nazie est légitime. C’est d’ailleurs ce qui a été fait, à l’initiative de la France, en conviant Vladimir Poutine aux commémorations du 70ème anniversaire du débarquement.]

      C’est ça… et l’invitation à Angela Merkel, elle visait à quoi, exactement ?

      [Cependant, remplacer cette saine critique par une vision complètement contre-factuelle des événements]

      Je croyais que vous m’aviez proposé « d’en rester là » concernant notre désaccord sur ces points. Si vous n’êtes pas capable de vous tenir à votre propre proposition…

      [De fait, le roman national que vous nous servez là n’est pas celui de la France, mais de l’Union Soviétique de Staline et le drapeau que vous arborez en en-tête de votre blog ne devrait pas être frappé des 3 couleurs mais agrémenté de la faucille et du marteau.]

      J’ai l’habitude de traiter ce genre d’insultes avec le plus grand mépris, et je n’entend pas faire une exception pour vous.

      [Les choses auraient au mois le mérite d’être claires. Mais il est vrai que l’infiltration est une spécialité communiste…]

      Vous avez oublié « les cocos à Moscou ! ». Ces deux dernier paragraphes devraient ouvrir les yeux de nos lecteurs quand à votre position. Quant à moi, je considère cet échange comme terminé.

    • @ Descartes,

      "Oui, un peu comme la Lorraine a appartenu plus longtemps au Saint Empire qu’au Royaume de France…"
      Sauf que le Saint Empire a cessé d’être un véritable "Etat" après la chute des Hohenstaufen au XIII° siècle pour évoluer vers une sorte de confédération composée d’une multitude d’Etats quasiment souverains, l’empereur n’étant que le "primus inter pares", et ne conservant progressivement que des prérogatives symboliques, malgré les efforts de certains empereurs pour restaurer un pouvoir impérial fort. Au contraire, l’Empire russe est un Etat très centralisé, avec un pouvoir central fort.

      "En 1789, la France est encore largement « multinationale ». Comme c’est le cas dans l’Empire russe, ni le droit, ni la langue usuelle ne sont unifiés dans l’ensemble du territoire, même si la langue administrative l’est. Bien entendu, il y a un effet de taille qui fait que les français de 1789 connaissent la France mieux que les russes de 1917 ne connaissent l’ensemble de leur Empire. Mais au-delà de cette particularité, je ne vois pas de véritable différence."
      Si, la différence est considérable. La France de 1789 reste bigarrée, c’est certain, mais beaucoup moins "multinationale" que l’Empire russe de 1917. Tout simplement parce que le processus de construction étatique et le développement d’une conscience nationale est entamée depuis plus longtemps en France. Il faut se souvenir que le premier tsar est Ivan le Terrible au XVI° siècle. Jusqu’au XV° siècle, il n’ y a pas d’Etat russe à proprement parler, simplement une nébuleuse de principautés, dont celle de Moscou, en guerre les unes contre les autres et tributaires des Mongols. En France, dès le XIII° siècle, Philippe Auguste et Louis IX imposent leur autorité aux princes. Il y aura bien évidemment des soubresauts et des résistances, mais l’autorité royale et l’Etat traverseront les différentes crises. L’habitude de vivre sous l’autorité d’un même monarque, les efforts, précoces, de produire et de diffuser une culture nationale, en français, dès le XVI° siècle, font progresser l’idée d’unité. Par ailleurs, il ne faut pas s’exagérer la "diversité" de la France en 1789: au-delà des particularismes locaux, que je ne conteste pas, il y a quand même un fond largement commun, et les territoires du royaume de France participent à une civilisation commune depuis le Moyen Âge. Hormis dans quelques provinces périphériques (Basse-Bretagne, Alsace), on parle des langues romanes apparentées et le catholicisme domine. L’Empire russe de 1917 regroupe des Polonais catholiques, des Kazakhs musulmans, des Toungouzes animistes, aux moeurs et aux langues bien différentes, tous sujets d’un pouvoir russophone orthodoxe. C’est peu de dire, je crois, qu’il y a une différence…

      "Vous ne pouvez pas comparer."
      Pas plus que vous ne pouvez comparer l’Ukraine et la Biélorussie de 1917 à la Vendée de 1792… C’est pourtant ce que vous avez fait. Je ne refuse pas que vous me donniez des conseils, mais je ne me souviens plus où j’ai lu récemment "Faites ce que je dis mais pas ce que je fais…". Je ne pense pas que mes comparaisons soient moins légitimes que les vôtres… d’autant que mon argumentation était précisément de dire que les deux situations ne se comparent pas. Ni la Vendée (qui n’est que le Bas Poitou, rappelons-le, avant la départementalisation) ni même la Lorraine (pourtant un Etat étranger) n’ont véritablement produit de culture "nationale" au XVIII° siècle. Au contraire, les élites ukrainiennes (du moins une partie d’entre elles) ont, au XIX° siècle, opéré un travail sur la langue, produit une littérature et encouru les foudres du tsar qui a interdit l’enseignement et la presse en ukrainien. Certes, le processus est inachevé, incomplet, contestable même sans doute, mais le fait est que les Ukrainiens arrivent en 1917 avec un début de conscience nationale.

      "L’idée qu’un « pays » puisse se déclarer « indépendant » et constituer son Etat est presque inimaginable, tant l’idée de vassalité personnelle est encore forte."
      Je ne suis pas d’accord: la Suisse et les Provinces-Unies se sont détachés du Saint-Empire depuis pas mal de temps déjà en 1789. Et la Catalogne, au XVII° siècle, s’est révoltée contre le roi d’Espagne, et a tenté une sécession. On pourrait aussi parler des révoltes en Irlande ou de l’annexion éphémère du Portugal par l’Espagne.

      "Je ne crois pas qu’on puisse parler de « manque de cohésion » à propos de l’Empire russe en 1917 par comparaison à la France de 1789."
      Je pense que si, pour les raisons que j’ai essayé d’exposer.

      "Mais elle n’a pas eu ni le temps, ni les ressources pour les mettre en œuvre. En particulier, il était difficile de brasser les populations comme cela a été fait en France."
      Je suis d’accord sur le manque de temps, pas sur le reste. L’URSS a opéré un brassage considérable: des centaines de milliers de Russes (ethniques) se sont installés, encouragés par l’Etat, en Ukraine, en Lettonie, au Kazakhstan (et ailleurs en Asie centrale), en Sibérie. Mais il faut reconnaître que la diversité de l’Empire russe est sans commune mesure avec celle de la France métropolitaine. D’autre part, je crois que l’URSS a manqué de volonté, incapable de choisir entre une fédération de nations et la construction d’une "nation" soviétique "une et indivisible". En donnant une République à la plupart des peuples de l’Empire, avec hymne, drapeau et constitution, en opérant une distinction entre citoyenneté et nationalité (que la Révolution française a associé étroitement), l’URSS a fait reposer l’unité du pays sur la seule force de l’Etat central. Le jour où l’Etat s’est effondré, il a emporté l’unité dans la tombe…

      "La Russie a eu plusieurs fois les moyens de faire disparaître la Pologne, et elle les a utilisés."
      Vous êtes dur! La Russie n’a rayé la Pologne de la carte qu’une fois, de concert avec la Prusse et l’Autriche, au XVIII° siècle. Mais vous vous êtes efforcé, non sans talent, de me convaincre que Staline n’a jamais affiché une volonté claire et incontestable de détruire l’Etat polonais. Je vous accorde le point. Et le fait est que dans la réorganisation de l’Europe de l’est communiste, les Polonais ont eu un Etat, d’une taille somme toute raisonnable.

      "nulle part on voit ici une volonté de « faire disparaître la France en tant qu’Etat »"
      Tout dépend comment on interprète "anéantissement de la France". Les projets d’Hitler pour notre pays ne sont pas clairs, mais un dépeçage en règle n’était pas à écarter, me semble-t-il.

      "« Ont été déplacés » ou « se sont déplacés » ?"
      On considère que ces mouvements de population ont été orchestrés par Staline, pour une raison d’ailleurs compréhensible: en favorisant la création d’Etats plus homogènes ethniquement, il semble que Staline souhaitait mettre fin à l’irrédentisme et au problème insoluble des minorités. Du coup, il y a eu des échanges de populations non-négligeables. Mais pour être tout à fait juste, il faut dire que ces Polonais ont pu occuper les régions comme la Silésie ou la Poméranie orientale que la Pologne a gagnées sur l’Allemagne, et d’où les Allemands ont été expulsés. Staline pouvait ainsi espérer mettre un terme à l’expansionnisme allemand ainsi qu’aux ambitions polonaises à l’est.

      "Ils ont changé de passeport, et devenu des citoyens soviétiques. Ou bien ils ont préféré vivre en Pologne et sont partis de leur plein gré."
      Non, ces déplacements ont été forcés. Par ailleurs, en URSS, la nationalité et la citoyenneté ne se confondent pas (comme dans la Fédération de Russie ou même en Ukraine aujourd’hui). Par conséquent, si ces Polonais étaient restés, ils serait devenus citoyens soviétiques de "nationalité" polonaise (puisque les républiques soviétiques accordaient une reconnaissance aux minorités). Or ce ne fut pas le cas…

      "Alors, pourquoi faire de Katyn un cas particulier ?"
      Je ne comprends pas cette question. Je n’ai jamais dit que Katyn fût "un cas particulier" ou même un cas isolé. Mais nous discutions des rapports entre Polonais et Soviétiques au XX° siècle. Dans le cadre du débat, je ne vois pas au nom de quoi je ne pourrais pas "ressortir Katyn" au motif que c’est un leitmotiv de la propagande occidentale durant la Guerre froide. J’ai simplement défendu l’idée que le massacre de Katyn était une façon de priver la Pologne de ses élites anticommunistes. Cela a pu certes se faire en d’autres lieux et en d’autres temps, mais je pense qu’il est légitime de considérer cet acte comme une agression contre la nation polonaise. Cela ne fait pas des élites polonaises une caste de saints vertueux et irréprochables, ni n’efface les massacres commis par les Polonais durant le conflit de 1920. Je me borne à constater que l’AK, que je ne connais pas et qu’un autre commentateur a évoqué, semble avoir eu des rangs plus étoffés que la résistance communiste polonaise… On ne saurait exclure qu’après tout une majorité de Polonais penchait plutôt pour l’anticommunisme, par méfiance des Russes entre autres.

      "Pourquoi ce massacre semble ranger Staline du côté des « horribles », alors que l’intervention en Irak (deux-cents mille morts, excusez du peu) n’a pas le même effet pour Bush ?"
      Ne caricaturez pas mes propos, s’il vous plaît. Je n’ai pas écrit que Staline fût un monstre. Mais je pense avoir le droit de m’interroger sur les motivations soviétiques qui ont présidé au massacre de Katyn. De même que je questionne les objectifs américains en Irak. Par ailleurs, ne soyons pas trop larmoyant sur Staline: il est mort dans son lit, adulé comme un héros. Dans cinquante ans, je doute que Georges W. Bush passe pour un héros et le messie de la démocratie au Moyen Orient.

      "Par exemple, parce que vous approuvez ses buts."
      Oui, j’approuve les buts de Staline durant la guerre, mais nous sommes avant le début de l’invasion de l’URSS par le III° Reich. Du coup je me pose une question, et je vous la pose aussi: le massacre de Katyn était-il une absolue nécessité? Si oui, pourquoi?

    • @ odp,

      D’abord, je ne suis pas tout à fait adepte du même "roman national" que Descartes, je soutiens pour ma part une version réactualisée, prenant en compte les avancées de la recherche historique et débarrassée de certains mythes et clichés. Ensuite, je défends avant tout la primauté de l’histoire nationale dans l’enseignement français et je rejette toute repentance, car, je pense que vous me l’accorderez, cette dernière ne peut être que le produit d’une "vision moralisante" de l’histoire, bien pire que le "roman national"…

      Le "roman national" a pour moi comme objectif de fédérer les Français autour d’un passé commun. Il ne s’agit pas de taire les crimes, les erreurs, les reniements, il s’agit de montrer que nous, Français, avons aussi fait de grandes choses dont nous pouvons être légitimement fiers, mais qu’il n’est point de grandeur sans souffrances ni sacrifices. Toute médaille a son revers… Mon souhait le plus cher est de transmettre ce message à nos jeunes générations: "la République, la démocratie, la liberté, l’égalité, tout cela c’est très beau, c’est très bien, mais souvenez-vous que ça ne s’est pas fait en un jour: il a fallu tâtonner, se battre, mourir et tuer parfois". Parce que ces valeurs, ces principes qui nous paraissent si naturels, ne le sont pas du tout. En France, la République et ses valeurs sont nées dans la violence et dans la douleur, il faut l’accepter.

      Enfin, je ne comprends pas ce que vous dîtes au sujet de Pétain, Laval, Darlan. Ai-je jamais affirmé, au cours de nos échanges, que ces hommes n’appartenaient pas à l’histoire de France? Je n’ai jamais approuvé la collaboration, mais je peux la comprendre. Et je me garderai bien de juger hâtivement des hommes comme Pétain, Laval et Darlan, du moins au début du régime de Vichy: si j’avais été haut fonctionnaire ou officier de marine après Mers-el-Kébir, quel parti aurais-je choisi fin 1940? Je ne jurerais de rien, l’honnêteté m’oblige à le dire. En revanche, je pense qu’au bout d’un moment, le "pari" de la collaboration était clairement perdu, l’Allemagne n’ayant jamais allégé ses exigences, ce n’est que par aveuglément ou pronazisme que certains ont persévéré dans cette voie… Mais en 1940, dans un pays effondré, vaincu et désemparé, qui se cherchait un sauveur, un "père de la patrie" rassurant, je ne crois pas qu’il soit sage de porter des jugements à l’emporte-pièce sur les choix de tel ou tel…

      Cela étant, le "roman national" tel que je le conçois, sans faire l’impasse sur les heures sombres, doit selon moi insister sur les aspects positifs. Pourquoi? Parce que je ne crois pas qu’un pays se porte bien quand on incite ses citoyens à ne pas l’aimer. Oui, il faudrait enseigner la "fierté d’être français", pas parce que le peuple français est meilleur ou supérieur aux autres, mais simplement parce que c’est une condition nécessaire à notre cohésion nationale. On n’enseigne plus cette fierté, et je pense que vous avez pu en voir les conséquences néfastes, que ce soit après une victoire sportive de l’Algérie ou lors de récents heurts communautaires dans les rues de notre pays…

    • odp dit :

      @ Descartes

      [J’ai l’habitude de traiter ce genre d’insulte par le mépris, et je n’entends pas faire une exception avec vous (…). Ces deux derniers paragraphes devraient ouvrir les yeux de nos lecteur quant à votre position. Quant à moi, je considère cet échange terminé.]

      J’avoue trouver votre courroux bien excessif et n’en pas comprendre les raisons. Peut-être avez-vous trouvé la forme de mon interpellation un petit peu abrasive mais vous-même n’hésitez pas à rudoyer bien plus sérieusement certains de vos lecteurs parmi les plus fidèles (dernier en date : Marcailloux). Par ailleurs, la question de fond demeure.

      En effet, comme l’a souligné précédemment un autre commentateur, il n’est pas anormal de chercher à savoir "d’où parle" son interlocuteur. Dans la présentation que vous avez donné de votre parcours, vous indiquez clairement un passé de militant PCF; mais précisez également que vous avez quitté le parti depuis longtemps et que vous revendiquez des conditions patriotiques et républicaines. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’au cours de sa longue et tumultueuse histoire, le PCF n’a pas toujours soutenu des positions que l’on puisse qualifier de "républicaine" et encore moins de "patriotique".

      Chacun peut avoir sa propre définition du républicanisme mais il me semble que la quasi-totalité des commentateurs s’accorderont pour indiquer que, dans la tradition française, la République, c’est le règne de la volonté générale telle manifestée au travers d’élections libres et garanties par une loi identique pour tous. Par définition, cela exclue la "dictature du prolétariat" ainsi que les appels à l’insurrection, à la sédition ainsi qu’à l’action illégale ou clandestine qui, à de multiples reprises, ont été encouragés par le PCF et la mouvance communiste.

      Quant au patriotisme, les contradictions entre les positions du PCF et ce qualificatif sont encore plus flagrantes. N’est pas patriote le parti qui soutient les insurrections antifrançaise au Maroc dans les années 20 et les "travailleurs allemands" lors de l’occupation de la Ruhr, qui refuse, jusqu’en 1936, de voter les crédits militaires, qui, en 1940, soutien le traité germano-soviétique et dont le Secrétaire Général choisit, à cette occasion, de déserter. N’est généralement pas non plus considéré comme patriote le parti qui, après la 2ème guerre mondiale, soutint les combattants du Viet-Mihn et du FLN contre les soldats français et déposa un amendement pour interdire à la République la possession de l’arme atomique. D’une manière générale, ne saurait être patriote le parti qui plaçât l’allégeance à une puissance étrangère (l’URSS) au dessus de celle à son pays.

      Cela ne veut pas dire que le PCF ne soutint jamais des positions que l’on peut qualifier de patriotiques (les plus évidentes étant celles de la période de l’Occupation) et encore moins que certains de ses membres ne furent de sincères patriotes ; mais en revanche, cela interdit, selon moi, de reprendre à son compte l’ensemble de la ligne du PCF de sa création jusqu’à nos jours et de soutenir la politique d’alignement systématique sur Moscou telle qu’inscrite dans les conditions d’admission à l’Internationale Communiste.

      Dans ce contexte, votre défense systématique et acharnée (bolchévique pourrait-on dire) de la politique de l’URSS ne laisse pas d’interroger, surtout quand elle concerne une période où l’action de cette puissance a été particulièrement défavorable à la France soit directement (paix de Brest-Litovsk, traité de Rapallo, traité germano-soviétique) soit indirectement (par le biais de l’action du PCF jusqu’en 1936).

      Fussiez-vous un internationaliste convaincu que cela ne me choquerait pas plus que ça : il y a plein d’internationalistes tout à fait respectables et la menace soviétique n’est plus ce qu’elle était. En revanche, ce va-et-vient incessant entre votre casquette de patriote républicain et celle de bolchévique est assez déconcertante, car, comme dit le dicton, on ne saurait avoir le beurre et l’argent du beurre.

    • odp dit :

      [C’est ça… et l’invitation à Angela Merkel, elle visait à quoi, exactement ?]

      A célébrer la réconciliation franco-allemande et le défaite du nazisme.

      Sinon, puisque dans votre "c’est ça…" j’ai cru distinguer une pointe de scepticisme, voici un extrait du discours de Hollande:

      "Je veux saluer le courage de l’Armée rouge qui loin d’ici face à 150 divisions allemandes a été capable de les refouler, de les battre ! Et une fois encore, mais cela ne sera jamais trop, je tiens à souligner la contribution décisive des peuples de ce que l’on appelait l’Union soviétique, ces peuples-là nous sommes aussi dans le devoir de reconnaître ce qu’ils ont fait pour notre propre liberté, pour la victoire contre le nazisme".

      Si cela vous intéresse, vous en trouverez l’intégralité là: http://www.elysee.fr/declarations/article/ceremonie-internationale-de-commemoration-du-70e-anniversaire-du-debarquement-en-normandie-ouistreham-dday7/.

      Vous noterez que les premiers soldats que mentionne le Président de la République sont ceux du commando Kieffer.

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [« Oui, un peu comme la Lorraine a appartenu plus longtemps au Saint Empire qu’au Royaume de France… » Sauf que le Saint Empire a cessé d’être un véritable "Etat" après la chute des Hohenstaufen au XIII° siècle pour évoluer vers une sorte de confédération composée d’une multitude d’Etats quasiment souverains,]

      Raison de plus : si l’on peut douter que la Biélorussie ait figuré dans l’Empire Russe de son plein accord, on peut considérer que l’appartenance de la Lorraine au Saint Empire était plus liée à un choix. Dès lors, en quoi l’appartenance à la France serait elle plus « légitime » que son appartenance à l’Allemagne ou même son indépendance ?

      [Si, la différence est considérable. La France de 1789 reste bigarrée, c’est certain, mais beaucoup moins "multinationale" que l’Empire russe de 1917. Tout simplement parce que le processus de construction étatique et le développement d’une conscience nationale est entamée depuis plus longtemps en France. Il faut se souvenir que le premier tsar est Ivan le Terrible au XVI° siècle. Jusqu’au XV° siècle, il n’ y a pas d’Etat russe à proprement parler, simplement une nébuleuse de principautés, dont celle de Moscou, en guerre les unes contre les autres et tributaires des Mongols. En France, dès le XIII° siècle, Philippe Auguste et Louis IX imposent leur autorité aux princes.]

      Je pense que vous faites de l’anachronisme en regardant Philippe Auguste comme l’initiateur de la France moderne. Philippe Auguste fut un seigneur féodal qui réussit à s’imposer à d’autres seigneurs féodaux. Mais de là à voir en lui le fondateur de la « conscience nationale »… il y a un pas un peu gros à franchir. Par ailleurs, la France de Philippe Auguste n’est qu’une petite portion de la France moderne.

      Lorsqu’on regarde la France de 1789, les différences avec la Russie de la fin du XIXème ne sautent pas aux yeux. La seule qui est évidente, c’est la question de la taille. Il était relativement facile pour les français de se rendre à Paris, beaucoup plus que pour un russe du fond des steppes de se rendre à St Pétersbourg.

      [Par ailleurs, il ne faut pas s’exagérer la "diversité" de la France en 1789: au-delà des particularismes locaux, que je ne conteste pas, il y a quand même un fond largement commun, et les territoires du royaume de France participent à une civilisation commune depuis le Moyen Âge. Hormis dans quelques provinces périphériques (Basse-Bretagne, Alsace), on parle des langues romanes apparentées et le catholicisme domine. L’Empire russe de 1917 regroupe des Polonais catholiques, des Kazakhs musulmans, des Toungouzes animistes, aux moeurs et aux langues bien différentes, tous sujets d’un pouvoir russophone orthodoxe. C’est peu de dire, je crois, qu’il y a une différence…]

      Oui, mais pas si grande que vous le pensez, du moins pour ce qui concerne la Russie européenne, dont la population est très majoritairement chrétienne. Les protestants français ne sont pas, en proportion, beaucoup moins nombreux que les catholiques russes.

      [Ni la Vendée (qui n’est que le Bas Poitou, rappelons-le, avant la départementalisation) ni même la Lorraine (pourtant un Etat étranger) n’ont véritablement produit de culture "nationale" au XVIII° siècle. Au contraire, les élites ukrainiennes (du moins une partie d’entre elles) ont, au XIX° siècle, opéré un travail sur la langue, produit une littérature et encouru les foudres du tsar qui a interdit l’enseignement et la presse en ukrainien.]

      Encore une fois, vous êtes dans l’anachronisme. Au XVIII, l’idée même d’Etat-nation était en train de naître. Comment la Lorraine ou le Bas-Poitou auraient pu développer une culture « nationale » que personne ou presque n’avait encore. Les régions françaises qui ont développé des revendications « nationales » l’ont toutes fait au XIXème siècle. Tout comme les régions russes, d’ailleurs. Où est la culture « nationale » de l’Ukraine avant le XVIIIème siècle ?

      [Certes, le processus est inachevé, incomplet, contestable même sans doute, mais le fait est que les Ukrainiens arrivent en 1917 avec un début de conscience nationale.]

      Un peu comme les Bretons ou les Provençaux à la même époque…

      [« L’idée qu’un « pays » puisse se déclarer « indépendant » et constituer son Etat est presque inimaginable, tant l’idée de vassalité personnelle est encore forte. » Je ne suis pas d’accord: la Suisse et les Provinces-Unies se sont détachés du Saint-Empire depuis pas mal de temps déjà en 1789.]

      Et toutes les deux sont des Républiques, ou le lien de vassalité soit n’a jamais existé, soit s’est dilué.

      [Et la Catalogne, au XVII° siècle, s’est révoltée contre le roi d’Espagne, et a tenté une sécession. On pourrait aussi parler des révoltes en Irlande ou de l’annexion éphémère du Portugal par l’Espagne.]

      Je ne connais pas l’histoire de Catalogne suffisamment pour pouvoir vous répondre, mais dans le cas de l’Irlande la révolte n’a rien de « nationale ». C’est en fait une révolte clanique, lorsque les chefs de clan voient leurs intérêts menacés par la conquête anglaise. Leur idée n’est pas une Irlande indépendante, c’est revenir à l’époque ou chaque « clan » dominait sa part de l’île…

      [je crois que l’URSS a manqué de volonté, incapable de choisir entre une fédération de nations et la construction d’une "nation" soviétique "une et indivisible". En donnant une République à la plupart des peuples de l’Empire, avec hymne, drapeau et constitution, en opérant une distinction entre citoyenneté et nationalité (que la Révolution française a associé étroitement), l’URSS a fait reposer l’unité du pays sur la seule force de l’Etat central. Le jour où l’Etat s’est effondré, il a emporté l’unité dans la tombe…]

      Je partage cette analyse. Cela étant dit, je ne sais pas si dans le contexte géographique russe il était possible d’imaginer un état unitaire.

      [« Ont été déplacés » ou « se sont déplacés » ? On considère que ces mouvements de population ont été orchestrés par Staline, pour une raison d’ailleurs compréhensible: en favorisant la création d’Etats plus homogènes ethniquement, il semble que Staline souhaitait mettre fin à l’irrédentisme et au problème insoluble des minorités.]

      La question demeure : que Staline ait eu de bonnes raisons pour souhaiter qu’ils bougent, c’est possible. Qu’il l’ait encouragé, c’est possible aussi. Mais les a-t-il, oui ou non, « déplacés » ? Lorsque Staline voulait « déplacer » des gens, il ne prenait pas de gants. Or, il ne semble pas que les polonais de Biélorussie ou d’Ukraine aient été déportés vers la Pologne.

      [Non, ces déplacements ont été forcés.]

      Vous avez une référence ?

      [« Alors, pourquoi faire de Katyn un cas particulier ? » Je ne comprends pas cette question. Je n’ai jamais dit que Katyn fût "un cas particulier" ou même un cas isolé.]

      Je ne parlais pas de vous, mais de l’ensemble du système politique, médiatique, universitaire…

      [J’ai simplement défendu l’idée que le massacre de Katyn était une façon de priver la Pologne de ses élites anticommunistes.]

      Ah non… vous avez dit que c’était « un moyen de priver la Pologne de ses élites ». La distinction entre les élites « anticommunistes » et les autres ne figuraient nulle part dans votre propos. Je vous rappelle que vous donniez cet exemple pour appuyer votre théorie selon laquelle Staline cherchait à détruire la Pologne comme Etat, par exemple, en éliminant ses élites.
      [Cela a pu certes se faire en d’autres lieux et en d’autres temps, mais je pense qu’il est légitime de considérer cet acte comme une agression contre la nation polonaise.]

      Pensez-vous que la destruction des « élites pro-communistes » par Suharto ou par Pinochet aient été respectivement des agressions « contre la nation » indonesienne et chilienne ? Non ? Alors je comprends pas. Liquider les élites « anticommunistes » est une agression contre la nation, liquider les élites « pro-communistes » non. Etrange, n’est ce pas ?

      [« Par exemple, parce que vous approuvez ses buts. » Oui, j’approuve les buts de Staline durant la guerre, mais nous sommes avant le début de l’invasion de l’URSS par le III° Reich. Du coup je me pose une question, et je vous la pose aussi: le massacre de Katyn était-il une absolue nécessité? Si oui, pourquoi?]

      Je n’ai pas de réponse ni à l’une ni à l’autre de ces questions. J’imagine que Staline ne s’amusait pas par simple sadisme à ordonner le massacre des gens, et il faudrait savoir donc ce qu’il avait en tête lorsqu’il a ordonné le massacre – à supposer qu’il l’ait ordonné personnellement. Mais si vous posez ces questions, c’est que vous admettez qu’il est au moins théoriquement possible que le massacre ait été une nécessité, et que si c’était le cas votre jugement historique serait changé.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [« J’ai l’habitude de traiter ce genre d’insulte par le mépris, et je n’entends pas faire une exception avec vous (…). Ces deux derniers paragraphes devraient ouvrir les yeux de nos lecteur quant à votre position. Quant à moi, je considère cet échange terminé ». J’avoue trouver votre courroux bien excessif et n’en pas comprendre les raisons. Peut-être avez-vous trouvé la forme de mon interpellation un petit peu abrasive mais vous-même n’hésitez pas à rudoyer bien plus sérieusement certains de vos lecteurs parmi les plus fidèles (dernier en date : Marcailloux).]

      Non. Je peux être vif avec certains de mes interlocuteurs. Mais je ne les insulte jamais. Je ne me souviens pas d’avoir suggéré que ceux qui partagent les idées de Marcailloux seraient des « experts en infiltration », qu’il devrait changer le drapeau tricolore par un autre drapeau (sous entendant qu’il serait un « mauvais français ») et qu’il serait le serviteur dévoué d’une puissance étrangère. Ne vous réfugiez donc pas derrière Marcailloux pour jouer aux victimes. Relisez le dernier paragraphe de votre dernier commentaire. Cela devrait vous aider à comprendre mon courroux.

      [Par ailleurs, la question de fond demeure.]

      Et elle demeurera en ce qui me concerne. Comme je vous l’ai indiqué, cet échange est pour moi terminé. Si vous avez envie d’échanger avec moi, alors respectez des règles minimales de respect et de courtoisie. Je n’ai pas envie de voir les débats sur ce blog se transformer en échanges de noms d’oiseau.

    • Guilhem dit :

      @ Descartes
      [Je ne « sous-entend » rien du tout. Je demandais simplement des informations, qui ont d’ailleurs été fournies par un autre commentateur, ODP. Même si du faut de la source proposée, elles sont assez « soupçonnables ».]

      C’est en référence à ces informations et à votre commentaire que je parlais de nécessiter de trouver une source insoupçonnable.

      ]Bien entendu. Les américains se sont arrêtés sur la ligne prévue par les accords de Yalta. Même si certains stratèges américains avaient proposé de continuer et d’engager même la guerre contre les soviétiques, il était clair que les opinions publiques en 1945 n’auraient pas suivi.]

      C’est certain. Mais les accords de Yalta prévoyaient également des élections libres en Pologne, mais elles n’ont jamais eu lieu.

      [En 1945, certainement pas. Autrement, il n’aurait pas signé les accords de Yalta. En 1945, l’ambition de l’URSS était d’entamer sa reconstruction à l’intérieur de frontières sûres et reconnues internationalement, et protégée par un « glacis » d’Etats amis. Par contre, si les soviétiques étaient arrivés à Berlin alors que du côté ouest aucun débarquement n’avait eu lieu… il semble évident qu’ils auraient continué d’avancer jusqu’à l’Atlantique. Peut-être même qu’ils auraient cherché à renverser Franco, contrairement aux alliés occidentaux…]

      Le fils de Beria parle dans la biographie de son père que la Stavka envisageait sérieusement de poursuivre sa progression vers l’Ouest en tablant sur le fait que les Américains devaient abandonner l’Europe et qu’Anglais et Français seraient paralysés du fait des problèmes coloniaux et qu’ils ne feraient pas longtemps le poids face aux 400 divisions soviétiques…

      [[91000 membres de l’AK furent effectivement envoyés en Sibérie]

      La source de ces chiffres ?]

      Antony Beevor dans La seconde guerre mondiale. J’ai retrouvé le passage où il indique ce chiffre mais il ne précise pas de références pour le justifier. L’intérêt de cet historien est qu’il a eu accès, le premier, aux archives soviétiques.

      [Encore une fois, peut-on avoir la source de cette affirmation ? Vous savez, c’est une affaire sur laquelle on a dit tellement de bêtises… franchement, je ne vois pas trop l’intérêt de larguer des armes sans parachute. Autant ne pas les larguer et faire dire à la propagande le contraire, c’est moins cher et cela aboutit au même résultat.]

      Idem

      [Je ne comprends pas. Si l’AK a déclenché l’insurrection, c’est qu’elle était convaincue de pouvoir l’emporter, non ? Et pourtant, elle avait des informations bien plus détaillées sur l’état des forces que celles que pouvait avoir Staline. Alors, si la défaite de l’AK était si évidente que même Staline pouvait en être certain, comment expliquer que l’AK ait lancé l’insurrection ?]

      Non, comme je l’ai indiqué précédemment ils savaient que s’ils ne se battaient pas ils passeraient pour des collaborateurs des Allemands vis-à-vis des Soviétiques (ce qui fut le cas malgré tout). Je dirai qu’ils ont tenté l’unique chance qu’ils avaient (mais certains généraux polonais s’y sont opposés comme le général Anders).

      [Encore une fois, il y a dans le récit « canonique » de cette affaire de telles incohérences que cela me fait penser que nous n’avons pas tous les éléments de l’affaire. ]

      Vous avez sans doute raison.

      [Je pense que tout le monde s’en foutait. Pensez-vous vraiment que dans le contexte de 1944 quelqu’un aurait pu un instant imaginer que l’armée rouge avait besoin du « prestige » d’avoir libéré toute seule la ville de Varsovie (car l’insurrection ne touchait pas l’ensemble de la Pologne) ? ]

      Je trouve que cela colle bien avec l’image "paranoïaque" de Staline.

      [A la conférence de Téhéran, la question polonaise ne fut pas discutée. Vous confondez avec la conférence de Yalta.]

      Vous avez raison.

      [Non. Elle ne pouvait pas « REvenir » en 45 ans parce qu’en 1939 elle n’était pas « venue ». Je trouve que vous accordez un peu vite son passeport de « démocrate » à Pilsudski et ses successeurs du gouvernement en exil de Londres, ce même passeport que vous refusez au gouvernement de Lublin et à ses successeurs à Varsovie…]

      Peut-être je ne sais pas s’ils auraient mis en place une démocratie libre et indépendante des anglo-américains s’ils étaient parvenus au pouvoir ce que je sais c’est que les Soviétiques ne l’ont pas permis.

      Un dernier point, vous indiquez en réponse à un commentaire que nous Occidentaux envisageons Staline comme un dictateur "paranoïaque" mais que cette paranoïa lui a permis de mourir dans son lit à l’inverse de socio-démocrates comme Allende mais d’aucuns disent que Staline a été empoisonné par son acolyte de toujours Béria qu’il tentait d’éliminer en montant de faux dossiers à son encontre (et qui n’a pas profité longtemps de sa mort!)… Mais bon, je suis d’accord cela peut tenir du fantasme…

    • odp dit :

      @ Descartes

      J’ai bien compris votre souhait de ne plus participer à cet échange; cependant, je souhaiterais continuer à préciser ma position afin, qui sait, d’éviter d’éventuels malentendus futurs.

      Tout d’abord, techniquement, je ne vous ai pas accusé d’être à la solde d’une puissance étrangère. La faucille et le marteau ne sont pas l’apanage de l’URSS et ils ont orné jusqu’à récemment le logo du PCF. Soit dit en passant, qu’un parti politique choisisse, pour son logo, les symboles du drapeau d’une puissance étrangère n’est pas banal. Ce n’est pas non plus le fruit du hasard. A ce titre, les thématiques de la "5ème colonne" ou de "l’ennemi intérieur" ne sont pas uniquement le fruit du cerveau malade d’anticommunistes compulsifs, mais correspondent bien à une réalité historique complexe, plutôt centrée sur la période 1917-1936 mais que l’on retrouve par épisodes dans la deuxième partie du siècle. Vous en trouverez un récit détaillé dans cet article de la Revue Historique des Armées : http://rha.revues.org/7576#ftn14.

      De fait, mon invite à la clarification portait en réalité sur la contradiction qui m’apparaît entre le patriotisme intransigeant dont vous faites preuves "à longueur de colonnes" et le soutien tout aussi intransigeant que vous apportez à la ligne du PCF prise comme un bloc – y compris quand celui-ci défendait des positions contraires à « l’intérêt national ». D’aucuns diront que l’on ne saurait être marxiste si l’on n’est pas internationaliste; d’autres qu’on ne peut conjuguer lutte des classes et culte de la Nation; pour ma part, si je ne vois pas de contradiction insurmontable au fait d’être membre du PCF et patriote, il me semble que vouloir défendre à la fois Staline et la France relève de l’aporie la plus totale.

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [D’abord, je ne suis pas tout à fait adepte du même "roman national" que Descartes, je soutiens pour ma part une version réactualisée, prenant en compte les avancées de la recherche historique et débarrassée de certains mythes et clichés.]

      « Certains » seulement. Dont acte. Notre désaccord porte donc sur la liste des « mythes et clichés » qu’il faut conserver, et ceux dont il faudrait « se débarrasser ». Vous m’accorderez que c’est une différence mineure par rapport à la question fondamentale, qui est celle de savoir s’il faut conserver des « mythes et clichés » dans l’enseignement, ou bien s’il faut en rester strictement à un enseignement de l’histoire.

      [Ensuite, je défends avant tout la primauté de l’histoire nationale dans l’enseignement français et je rejette toute repentance, car, je pense que vous me l’accorderez, cette dernière ne peut être que le produit d’une "vision moralisante" de l’histoire, bien pire que le "roman national"…]

      Disons que la « repentance » fait partie d’un autre « roman »… de ce roman anti-national et plus largement anti-institutionnel qui est le corollaire inévitable d’une société centrée sur l’individu-île.

      [Le "roman national" a pour moi comme objectif de fédérer les Français autour d’un passé commun.]

      Oui, mais d’un « passé commun » qui n’est pas forcément le leur si l’on en reste à la stricte chronologie des faits. Si l’on veut rendre l’assimilation à la collectivité nationale de ceux qui viennent d’ailleurs possible, il faut poser comme principe que ce passé peut être « adopté ».

      [Il ne s’agit pas de taire les crimes, les erreurs, les reniements, il s’agit de montrer que nous, Français, avons aussi fait de grandes choses dont nous pouvons être légitimement fiers, mais qu’il n’est point de grandeur sans souffrances ni sacrifices. Toute médaille a son revers…]

      Je crains que cela ne suffise pas. Le manichéisme est si fortement implanté dans le fonctionnement de l’être humain que vous n’arriverez jamais à créer un sentiment d’appartenance à partir d’un bilan coût/avantages. Ceux qui ont construit la République – et son école – ont bien compris qu’il fallait dans la vision que la celle-ci donnait d’elle-même un élément épique, romanesque. Et je crains que ce besoin soit infiniment plus fort aujourd’hui.

      [Mon souhait le plus cher est de transmettre ce message à nos jeunes générations: "la République, la démocratie, la liberté, l’égalité, tout cela c’est très beau, c’est très bien, mais souvenez-vous que ça ne s’est pas fait en un jour: il a fallu tâtonner, se battre, mourir et tuer parfois". Parce que ces valeurs, ces principes qui nous paraissent si naturels, ne le sont pas du tout. En France, la République et ses valeurs sont nées dans la violence et dans la douleur, il faut l’accepter.]

      Le problème, c’est qu’il faut partir du fait que le jeu en valait la chandelle. Or, comment Vercingétorix et Philippe-Auguste, Richelieu et Colbert pouvaient-ils savoir qu’ils « tâtonnaient, se battaient, mouraient et quelquefois tuaient » pour qu’un jour vienne « la République, la démocratie, la liberté, l’égalité » ? Votre « message » donne une vision téléologique de notre histoire qui va bien au-delà du raisonnable. C’est la France, et non la République, que tous ces gens là cherchaient à construire. Que la République soit à ce jour le régime le plus achevé que la France ait construit, je suis d’accord avec vous. Mais faut-il effacer de nos mémoires Richelieu et Napoléon, Philippe-Auguste ou Colbert sous prétexte qu’ils n’étaient pas « républicains » ?

      [Mais en 1940, dans un pays effondré, vaincu et désemparé, qui se cherchait un sauveur, un "père de la patrie" rassurant, je ne crois pas qu’il soit sage de porter des jugements à l’emporte-pièce sur les choix de tel ou tel…]

      Tout à fait d’accord. Comme disait l’un des maréchaux de Napoléon, « en temps troublés, la difficulté est moins de faire son devoir que de le connaître ».

      [Cela étant, le "roman national" tel que je le conçois, sans faire l’impasse sur les heures sombres, doit selon moi insister sur les aspects positifs. Pourquoi? Parce que je ne crois pas qu’un pays se porte bien quand on incite ses citoyens à ne pas l’aimer. Oui, il faudrait enseigner la "fierté d’être français", pas parce que le peuple français est meilleur ou supérieur aux autres, mais simplement parce que c’est une condition nécessaire à notre cohésion nationale.]

      Tout a fait d’accord. J’ajouterais qu’un « roman national » parle autant du passé que de l’avenir, parce qu’il organise un passé – en partie historique, en partie mythique – en fonction d’un projet. La IIIème République a paré les hommes du passé des vertus – honnêteté, épargne, travail, dévouement à la chose publique – qui lui semblait nécessaire de promouvoir dans la France bourgeoise du XIXème siècle, quitte à passer discrètement lorsque les personnages mis en exemple ne possédaient pas certaines de ces qualités. Je pense que si notre « roman national » est en difficulté, ce n’est pas parce que notre rapport au passé ait changé, mais parce que nous ne sommes plus capables de définir ensemble un projet national qui lui donne un sens.

    • Descartes dit :

      @ Guilhem

      [C’est en référence à ces informations et à votre commentaire que je parlais de nécessiter de trouver une source insoupçonnable.]

      Difficile dans ce domaine de trouver des « sources insoupçonnables ». La question était tellement cruciale en termes de propagande pendant la guerre froide, que tous les documents de cette période sont entachés par le soupçon. Il faudrait revenir aux document de la période antérieure à 1945, mais là on se retrouve avec un autre problème : les gens avaient des choses plus importantes à faire que la comptabilité…

      [« Bien entendu. Les américains se sont arrêtés sur la ligne prévue par les accords de Yalta. Même si certains stratèges américains avaient proposé de continuer et d’engager même la guerre contre les soviétiques, il était clair que les opinions publiques en 1945 n’auraient pas suivi ». C’est certain. Mais les accords de Yalta prévoyaient également des élections libres en Pologne, mais elles n’ont jamais eu lieu.]

      Je crois me souvenir que cette provision ne s’appliquait pas qu’à la Pologne. Elle s’étendait à l’ensemble des pays occupés par l’Allemagne. Les puissances alliées ont chacune organisé des élections plus ou moins « libres » dans sa zone d’influence en fonction des résultats prévisibles de la consultation. Là où on savait le résultat favorable à son camp, on a laissé la démocratie prendre son cours. Ailleurs, on a choisi le mode de scrutin qui permettait d’assurer la victoire à son camp (comme en France), organisé la fraude électorale (comme en Italie). Souvent, on a mis en place des structures paramilitaires (l’exemple classique est Gladio, mais il y en a d’autres) au cas ou le camp d’en face arriverait à passer quand même. Et finalement, là où la démocratie ne pouvait pas donner la victoire à ses protégés, les libérateurs se sont purement et simplement dispensés de consulter le peuple et mis en place un gouvernement à leur botte (par exemple en Grèce). Le choix de ne pas organiser les élections libres en Pologne était dans la droite ligne de la politique des autres alliés…

      [Le fils de Beria parle dans la biographie de son père que la Stavka envisageait sérieusement de poursuivre sa progression vers l’Ouest en tablant sur le fait que les Américains devaient abandonner l’Europe et qu’Anglais et Français seraient paralysés du fait des problèmes coloniaux et qu’ils ne feraient pas longtemps le poids face aux 400 divisions soviétiques…]

      Les états major font des plans, c’est leur métier. D’ailleurs, ils seraient dans leur tort s’ils n’évaluaient pas toutes les possibilités. Mais aucun élément ne montre que l’autorité politique soviétique ait envisagé une telle campagne. D’ailleurs, faudrait savoir : si la Stavka envisageait une telle campagne, c’est que l’aide que l’URSS recevait des américains n’était pas si importante, puisqu’ils pensaient pouvoir continuer une campagne militaire – et quelle campagne – dans des conditions qui l’auraient rendu impossible…

      [Antony Beevor dans La seconde guerre mondiale. J’ai retrouvé le passage où il indique ce chiffre mais il ne précise pas de références pour le justifier. L’intérêt de cet historien est qu’il a eu accès, le premier, aux archives soviétiques.]

      Beevor est un historien militaire, et a eu accès aux archives militaires soviétiques en particulier celles concernant les grandes batailles de la seconde guerre mondiale. Mais je ne sais pas qu’il ait eu accès aux archives concernant l’envoi en Sibérie de 91.000 membres de l’AK. Je me demande d’ailleurs comment les soviétiques ont pu déterminer qui était membre de l’AK… après tout, il s’agissait d’une organisation secrète. Le fait qu’il ne fournisse pas de référence me semble indiquer qu’il ne fait que répéter une « vérité admise ».

      [« Encore une fois, peut-on avoir la source de cette affirmation ? Vous savez, c’est une affaire sur laquelle on a dit tellement de bêtises… franchement, je ne vois pas trop l’intérêt de larguer des armes sans parachute. Autant ne pas les larguer et faire dire à la propagande le contraire, c’est moins cher et cela aboutit au même résultat ». Idem]

      Toujours pas de référence ? Décidément, Beevor traite cette affaire avec une certaine désinvolture. Moi, dans ces cas, j’ai tendance à utiliser le rasoir d’Occam.

      [« Je ne comprends pas. Si l’AK a déclenché l’insurrection, c’est qu’elle était convaincue de pouvoir l’emporter, non ? Et pourtant, elle avait des informations bien plus détaillées sur l’état des forces que celles que pouvait avoir Staline. Alors, si la défaite de l’AK était si évidente que même Staline pouvait en être certain, comment expliquer que l’AK ait lancé l’insurrection ? » Non, comme je l’ai indiqué précédemment ils savaient que s’ils ne se battaient pas ils passeraient pour des collaborateurs des Allemands vis-à-vis des Soviétiques (ce qui fut le cas malgré tout). Je dirai qu’ils ont tenté l’unique chance qu’ils avaient (mais certains généraux polonais s’y sont opposés comme le général Anders).]

      Encore une fois, je pense que l’utilisation du rasoir d’Occam est ici indispensable. Je vois mal pourquoi l’AK, qui n’avait aucune illusion sur ce que les soviétiques pensaient d’elle, aurait eu le souci de ne pas passer à leurs yeux pour des collaborateurs des allemands. De tout ce qui a été écrit sur cette affaire, la théorie la plus raisonnable est celle que l’AK avait pour principal souci d’apparaître comme incontournable dans le jeu d’échecs politique qui s’annonçait. L’insurrection a été lancée moins pour redorer le blason de l’AK auprès des soviétiques (qui s’en foutaient) que des anglo-américains, qui après avoir soutenu pendant des années le gouvernement polonais en exil commençaient à envisager l’architecture d’une Europe partagée en zones d’influence avec la Pologne dans la zone d’influence soviétique. Il fallait faire pression sur les occidentaux en constituant un « territoire libéré » qu’ils seraient obligés de reconnaître et de défendre. Et si cela avait marché, si les allemands s’étaient retirés en laissant Varsovie et sa région aux mains de l’AK, l’histoire aurait pu être assez différente…

      [« Je pense que tout le monde s’en foutait. Pensez-vous vraiment que dans le contexte de 1944 quelqu’un aurait pu un instant imaginer que l’armée rouge avait besoin du « prestige » d’avoir libéré toute seule la ville de Varsovie (car l’insurrection ne touchait pas l’ensemble de la Pologne) ? » Je trouve que cela colle bien avec l’image "paranoïaque" de Staline.]

      Je ne vois pas en quoi. Franchement, les armées soviétiques, après Stalingrad, après Koursk, après avoir libéré non seulement leur propre territoire mais la moitié de l’Europe, n’avaient pas besoin du « prestige » d’avoir libéré Varsovie. Seuls les polonais pensent que l’axe du monde passe par la Place du Château.

      [Peut-être je ne sais pas s’ils auraient mis en place une démocratie libre et indépendante des anglo-américains s’ils étaient parvenus au pouvoir ce que je sais c’est que les Soviétiques ne l’ont pas permis.]

      S’ils étaient parvenu au pouvoir… on peut raisonnablement penser que l’AK aurait mis en place une démocratie libre et indépendante aussi longtemps que cette « démocratie » aurait produit un gouvernement favorable aux intérêts des anglo-américains, et que cette « démocratie » aurait cessé d’être « libre et indépendante » si les électeurs avaient eu la mauvaise idée de porter les communistes au pouvoir. Un peu comme en Grèce…

      [Un dernier point, vous indiquez en réponse à un commentaire que nous Occidentaux envisageons Staline comme un dictateur "paranoïaque" mais que cette paranoïa lui a permis de mourir dans son lit à l’inverse de socio-démocrates comme Allende mais d’aucuns disent que Staline a été empoisonné par son acolyte de toujours Béria qu’il tentait d’éliminer en montant de faux dossiers à son encontre (et qui n’a pas profité longtemps de sa mort!)… Mais bon, je suis d’accord cela peut tenir du fantasme…]

      Oui, je pense que cela tient du fantasme. Mais quand bien même ce serait la vérité historique, Staline aurait réussi à gouverner pendant un peu moins de 25 ans, alors qu’Allende n’a tenu le sixième de cette durée. Mon point est que si la « paranoïa » de certains leaders est excessive, elle n’est pas totalement irrationnelle…

    • Guilhem dit :

      Merci pour tout le temps que vous avez consacré à répondre à mes commentaires.
      Cela a été très enrichissant (même si je ne suis encore pas vraiment convaincu des supposés calculs pré-débarquements des Américains. Mais bon c’est la première fois depuis que je vous lis (soit près de deux ans), que je ne suis pas convaincu par vos arguments, la moyenne reste honorable 😉 ) et en tout état de cause, cela me servira de piqûre de rappel pour toujours appliquer le principe du rasoir d’Occam.

    • Descartes dit :

      @Guilhem

      [Cela a été très enrichissant (même si je ne suis encore pas vraiment convaincu (…)]

      Vivons avec nos désaccords. L’échange est fécond s’il oblige chacun à se réinterroger sur ses convictions et sur la pertinence de ses arguments…

  9. L'inconnue de l'Orient Express dit :

    Ah Descartes comme votre article est d’une remarquable limpidité ! j’y souscris à 100 % et cela fait d’ailleurs un bon bout de temps que je savais la supercherie !

    Vous savez, gamine, j’avais des étoiles dans les yeux quand mon père nous racontait "son" histoire, vécue de l’intérieur ! ces braves amerloques distribuant du chewing-gum etc…, la belle légende des sauveurs de la France, quoi dans toute sa splendeur ! Mais c’était avant, du temps où les gens n’avaient droit qu’à une seule version de la grande Histoire ! Et puis avec le recul, est venu le temps de la Vérité, implacable.

    Aujourd’hui, grâce notamment à internet, ceux qui le veulent peuvent accéder à l’autre versant et c’est tant mieux ! mais y en a t-il tant que ça qui font usage du net pour mieux sortir de l’abrutissement ?

    En tout cas bravo pour votre billet ! ça me rend nostalgique d’un temps que je n’ai pas connu ! Qu’on aimerait en ces temps incertains, croiser encore et toujours la longue silhouette de De Gaulle au lieu de celle, de peu d’envergure de celui que l’on ne peut évoquer qu’en termes peu flatteurs, à la limite du ridicule (Pépère, boite à outils, le casqué… ha ha ha ha… quoi faire d’autre à part en rire ?)

    On n’est pas sorti de l’auberge avec de tels loustics au pouvoir et ceux qui vont se présenter en 2017 hein on les connait tous déjà et on sait d’avance que c’est de la daube (à gauche comme à droite) !

    J’espère que le peuple prendra sa destinée en main parce qu’il n’y a hélas aucune autre issue pour lui ! Je fais cependant partie de ceux qui considèrent qu’il faut quand même un chef d’orchestre dans tout ça ! Mais hélas, point d’homme visionnaire et à poigne à l’horizon en France !
    Beaucoup de gens s’estimant patriotes, écoeurés et découragés lorgnent du côté des Russes et se mettent à considérer qu’ils ont bien de la chance d’avoir un dirigeant digne de ce nom, eux !

    • Descartes dit :

      @ l’inconnue de l’Orient Express

      [En tout cas bravo pour votre billet ! ça me rend nostalgique d’un temps que je n’ai pas connu !]

      Ne pas l’avoir connu facilite beaucoup les choses. « Rien n’embellit autant le passé qu’une mauvaise mémoire », disait Oscar Wilde…

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