Corinne nous quitte…

On démissionne beaucoup au PG ces jours-ci. En un an, si l’on croit des documents internes à la direction du PG révélés par la presse, le Parti est passé de 12.000 à 9.000 adhérents, soit une perte de 25% des effectifs. A la démission des petits et des sans grade, s’ajoute aujourd’hui celle de certains dirigeants. On peut ici vérifier un vieil dicton anglais qui dit « riez, et le monde entier rit avec vous, pleurez, et vous pleurerez tout seul ». En 2012, quand la dynamique du Front de Gauche était dans sa phase montante et que certains se prenait à rêver à un Mélenchon à 17% – si,si, relisez les textes de l’époque – et que sur son blog les commentateurs se battaient pour savoir s’il serait élu président au premier tour où s’il en serait réduit à attendre le second, tout le monde riait ensemble. Deux ans et trois élections perdues plus tard, l’ambiance n’est pas du tout la même. Le PG commence à comprendre qu’après une croissance relativement rapide, il est arrivé à son niveau de croisière. Conçu et construit pour une guerre éclair, le PG se trouve embourbé dans les tranchées d’une guerre de positions. A partir de là, il ne peut plus compter sur l’enthousiasme aveugle des troupes attirées par la perspective de victoires faciles et rapides. Si l’on veut encore croître et peser, il faut commencer à réfléchir sur le long terme, institutionnaliser son fonctionnement, se donner une idéologie cohérente pour guider l’action, établir des rapports de confiance avec des alliés stables…

La première conséquence, est une crise du Front de Gauche. Pourquoi ? Parce que contrairement à ce que croient les militants naïfs qui n’ont pas lu Lénine, on n’a pas d’amis en politique. Au risque de traumatiser certains de mes lecteurs, je vous le dis : Le FdG n’est pas une union entre des gens de bonne volonté qui se sont associés pour faire avancer un objectif commun, c’est un accord entre partis qui ne pensent d’abord qu’à leurs intérêts. Et ces intérêts sont diamétralement opposés. Pour le PCF, le FdG n’est qu’un avatar de la stratégie théorisée du temps du père UbHue et de sa « mutation », et qui connut son apogée avec la liste « bouge l’Europe ! ». Le projet était simple : il fallait conquérir les classes moyennes, son nouvel électorat. Et pour cela, il ne suffisait pas de renoncer à son histoire, son langage, ses symboles. Il fallait aussi des « garants », personnalités de la « société civile » et du « monde associatif » qui seraient en mesure de délivrer au PCF « mutant » un certificat de bonne conduite. « Bouge l’Europe ! » fut cela : une liste aux élections européennes à « double parité », octroyant à des « non-communistes » autant de places qu’aux communistes, les « non-communistes » étant d’une certaine manière la garantie que le PCF était « ouvert ». Cette stratégie a, bien entendu, un coût. D’abord, un coût idéologique : pour attirer ces « garants », il faut bien entendu tolérer leurs marottes. Et comme chacun en a une différente, cela pose quelques petits problèmes du point de vue de la cohérence du message. Ainsi, par exemple, des membres de la liste « Bouge l’Europe ! » approuveront bruyamment la guerre du golfe, au grand dam des communistes qui, eux, la condamnent. Mais la politique du « garant » a aussi un coût matériel. Car le « garant », il faut le rémunérer avec des postes. On a vu ainsi des épaves comme Michaela Friggiolini ou Fodé Sylla devenir, grâce à « Bouge l’Europe ! » députés européens. Avec les honneurs et surtout les émoluments qui s’y rattachent, car contrairement aux députés « communistes », les « garants » ne sont nullement tenus de reverser au Parti leurs indemnités d’élus…

Comme c’était prévisible, la liste « Bouge l’Europe ! » fut un immense flop. Mais un échec n’a jamais détourné les dirigeants du PCF « muté ». On le sait bien, si la stratégie n’a pas marché, ce n’est pas parce qu’elle est mauvaise, mais parce que les militants – ces pelés, ces galeux – ne se la sont pas « appropriée ». Avec cette logique, on a décidé de continuer, d’abord avec les CUAL – encore un échec – et ensuite avec le FdG. Comme quoi, la fusée Shadock a encore ses adeptes.

Pour le PG, l’objectif en rejoignant le FdG était tout à fait différent. Le projet était en deux phases : la première, obtenir la candidature présidentielle pour Jean-Luc Mélenchon, ce qui lui permettrait d’acquérir une surface politique et médiatique à laquelle il ne pouvait pas prétendre en tant que leader d’un groupuscule. La seconde phase était d’utiliser cette surface politique pour faire une OPA sur le PCF en transformant le FdG en un véritable parti politique dans lequel ses intégrants fusionneraient et dont Jean-Luc Mélenchon serait, évidemment, le président.

La première phase est un demi-succès. A 17%, Mélenchon aurait peut-être été incontournable. Mais à 11%, ce n’est pas assez. Par ailleurs, Mélenchon croyait encore avoir à faire à un PCF monolithique, où conclure un accord avec le sommet – son « amie » Marie-George Buffet, la continuatrice de la « mutation » chère à Robert Hue – suffit. Il se trompe lourdement : le PCF est devenue une structure fédérale, où les grands élus et les « notables » jouent un rôle déterminant. Le secrétaire national n’est plus roi, il n’est qu’un notable de plus, un « primum inter pares » obligé de tenir compte du pouvoir des autres. Tout cela fait que la deuxième phase échoue lamentablement. Non seulement le PCF refuse de se laisser imposer la stratégie de « l’autonomie conquérante » et revendique la liberté de conclure des alliances en fonction du contexte local comme il le fait depuis de longues années sans demander le visa des autres participants au FdG, il refuse de se coucher devant les injonctions médiatiques ou autres des leaders du PG et remet ceux-ci sèchement à leur place. Il refuse aussi de se laisser imposer des candidatures, en discutant âprement les têtes de liste aux européennes. Il devient évident qu’au FdG l’union est un combat.

Ce changement de perspective ne peut que provoquer des tensions chez les militants du PG, et notamment chez les jeunes ambitieux – ou les vieux ambitieux, car l’ambition n’atteint pas le nombre des années – qui se sont rapprochés du PG avec pour seul objectif de faire avancer leurs marottes et, bien entendu, leur carrière. Quand le nombre de sièges de conseiller municipal, de conseiller départemental, de conseiller régional, de député, de sénateur ou de député européen auxquels on peut prétendre se rétrécit, certains sont tentés de poignarder leur voisin pour réduire la concurrence, ou d’aller voir ailleurs. C’est humain, tellement humain…

Et parmi eux, l’emblématique Corinne Morel-Darleux. Il y a juste quelques jours, elle était aux yeux du monde membre du Secrétariat national, la plus haute instance du PG, avec la responsabilité éminente de « secrétaire nationale à l’écosocialisme ». Aujourd’hui, on peut lire dans le profil affiché sur son blog « secrétaire nationale du PG en charge de l'écologie puis de l'écosocialisme de 2008 à 2014 ». Subtile manière de confirmer une démission qui pour le moment reste privée même si la lettre de démission qu’elle a adressé aux dirigeants du PG semble avoir circulé assez largement. Mais bien entendu, nous sommes au PG, c'est-à-dire, dans une secte. L’expérience des démissions précédentes (Christophe Ramaux, Claude Desbons, Marc Dolez…) montre que le PG fait mine d’ignorer les départs, et qu’on ne retrouve généralement de trace que dans les remarques venimeuses et souvent anonymes de certains dirigeants (1).

Je mentirais si je vous disais que je regrette son départ. Abonnée régulière aux critiques de ce blog, j’avais plus d’une fois eu l’opportunité de souligner le manque total de sérieux du personnage, dont les écrits regorgent d’inexactitudes, d’à-peu-près quand ce n’est pas de mensonges éhontés. Corinne Morel-Darleux est l’exemple détestable du militant écolo-bobo pour qui la « cause » justifie tout, y compris qu’on torde les faits. Son départ du PG, s’il pouvait être le signe avant-coureur d’un changement de ligne politique, serait une excellente nouvelle pour les progressistes.

Malheureusement, je ne crois pas que ce soit le cas. C’est que, voyez vous, il y a une différence avec les affaires antérieures. Les démissionnaires précédents sont partis sur des désaccords politiques, qu’ils ont fait connaître largement en diffusant leur lettre de départ. Rien de tel chez Corinne Morel-Darleux. En dehors de la phrase sibylline que j’ai cité plus haut, on ne trouve dans son blog la moindre explication. Un peu comme si l’intéressée cherchait à ne pas couper les ponts sur le mode « retenez-moi ou je fais un malheur ». Ce qui me fait penser qu’il s’agit moins d’un départ sur désaccord qu’un coup joué dans l’échiquier complexe des rapports de pouvoir internes au PG. Il est assez évident que l’équilibre actuel est précaire et ne peut durer. Les œillades à peine déguisées vers EELV, la liberté donnée aux commentateurs sur le blog de Mélenchon – rappelons-le, lourdement modéré – pour tirer à vue sur le PCF montrent que le centre de gravité du PG pourrait se déplacer dans le sens défendu Martine, Corinne et leurs amis. Mélenchon a toujours dit qu’il ne resterait pas éternellement président du PG, et l’échec de sa stratégie pour conquérir la direction du FdG pourrait le pousser à se retirer. Une guerre de succession se profile donc, et chacun commence à placer ses pions.

Et cela dans un climat ou toute remise en question des orientations politiques est tabou. La réunion – dont bien entendu aucun compte rendu n’est publié – du Bureau national du PG des 14 et 15 juin, dont le but était l’analyse des élections européennes, n’a accouché finalement que d’une « déclaration politique » pleine d’autosatisfaction. Aucune interrogation sur les raisons des échecs qui ont jalonné l’activité du PG depuis deux ans. Aucune remise en question des objectifs et des priorités. Le seul problème serait que « Le Front de Gauche n’est pas perçu comme étant totalement indépendant du système »…

Descartes

(1) On se souvient des remarques de Mélenchon sur son blog sur le « syndicaliste aigri » dont le nom n’était pas mentionné, mais dont la référence à Claude Debons était évidente.

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20 réponses à Corinne nous quitte…

  1. Michel dit :

    Corinne Morel-Darleux est peut-être emblématique pour certains, pour moi, elle est inconnue au bataillon. D’autre part, je n’avais jamais réalisé que ce blog était tenu par un membre du PG.

    • Descartes dit :

      @Michel

      [Corinne Morel-Darleux est peut-être emblématique pour certains, pour moi, elle est inconnue au bataillon.]

      C’était tout de même l’une des sept têtes de liste du FdG pour les élections européennes… Et souvent citée en termes fort élogieux par le Petit Timonier lui même…

      [D’autre part, je n’avais jamais réalisé que ce blog était tenu par un membre du PG.]

      Moi non plus… quelque chose m’aurait-elle échappé ?

    • Michel dit :

      Alors pourquoi dire Corinne nous quitte, si vous n’êtes pas du FdG ?

    • Jean Pierre dit :

      Bonjour, c’est le quatorze juillet.
      La réponse à la question, Michel, est peut-être ici (premier billet du blog, en 2009) :
      "Hypocrite lecteur… je suis sur que tu te demanderas quel est mon engagement politique, tant il est vrai qu’il est difficile d’accepter le message sans savoir qui est le messager. Je satisfais donc ta curiosité: je refuse à me caractériser comme "de droite" ou "de gauche", car je pense que ces étiquettes ont perdu aujourd’hui une bonne partie de leur signification. Il y a des gens "à droite" qui sont partisans de l’intervention de l’Etat dans l’économie et hostiles à l’Europe libérale, il y a des gens "à gauche" qui privatisent à tour de bras (n’oublions pas que le gouvernement Jospin reste le recordman des privatisations) et qui votent oui au traité constitutionnel… Je dirai donc seulement que j’ai milité très longtemps au PCF, et que je me suis éloigné lorsque celui-ci a cessé d’être un lieu de débat et d’éducation politique pour se vautrer dans le gauchisme post-moderne. Je revindique personnellement l’héritage des lumières, jacobin, patriote (ce qui ne veut nullement dire chauvin ou xénophobe), républicain. Je reste convaincu que la théorie marxiste reste un outil puissant d’analyse du réél pour peu qu’on l’applique avec une certaine rigueur et en évitant de lui faire dire ce qui nous arrange. J’ai dit."
      Je ne trouve pas très honnête de tantôt sembler dire qu’on est membre du PG (et de parler comme tel) et tantôt de sembler n’être membre d’aucune organisation (et de parler itou). C’est inconséquent et brouille tout.
      Encore un effort pour être cartésien !

    • Jean Pierre dit :

      Je pense que la phrase de l’article qui a apporté une confusion est la suivante :
      "Mais bien entendu, nous sommes au PG, c’est-à-dire, dans une secte. "
      Cette première personne (du pluriel), sans doute purement rhétorique, a pu faire penser à certains (dont moi) que le rédacteur était membre du PG. Ce qui ne semble pas le cas.
      Dont acte.

    • Descartes dit :

      @ Michel

      [Alors pourquoi dire Corinne nous quitte, si vous n’êtes pas du FdG ?]

      Je vois que vous avez décidé de pinailler… Ce n’est qu’un recours littéraire, rien de plus, avec une pointe d’ironie. J’avais en fait hésité à écrire "Ne me quitte pas…", mais j’imagine que certains auraient tiré des conclusions encore plus inavouables…

    • Descartes dit :

      @ Jean Pierre

      [Bonjour, c’est le quatorze juillet.]

      Vive la République !

      [Je ne trouve pas très honnête de tantôt sembler dire qu’on est membre du PG (et de parler comme tel) et tantôt de sembler n’être membre d’aucune organisation (et de parler itou). C’est inconséquent et brouille tout.]

      Je rejette sans hésitation cette accusation. Je n’ai jamais « semble dire que je suis membre du PG ». Et je trouve – excusez ma franchise – d’une parfaite mauvaise foi l’interprétation que vous faites de mon texte. Si vous ne comprenez pas l’ironie, ce n’est pas ma faute. Je ne pense pas – et le paragraphe que vous citez le montre – avoir entretenu la moindre ambiguïté quant au lieu, au sens politique du terme, d’où je parle. Après un long parcours militant au PCF, je ne suis plus membre d’aucune organisation politique, non pas parce que je rejetterais ce type d’organisation mais parce que je ne trouve aujourd’hui aucune dans la quelle je me sente bien au point d’être prêt à assumer les obligations matérielles et morales qu’une telle adhésion implique à mon sens. Voilà, vous savez tout.

      [Je pense que la phrase de l’article qui a apporté une confusion est la suivante : "Mais bien entendu, nous sommes au PG, c’est-à-dire, dans une secte. ". Cette première personne (du pluriel), sans doute purement rhétorique, a pu faire penser à certains (dont moi) que le rédacteur était membre du PG. Ce qui ne semble pas le cas. Dont acte.]

      Bien entendu, ce « nous » est une formule rhétorique habituelle pour souligner un contexte. Lorsqu’un historien écrit « nous sommes alors en 1492 » cela n’implique pas qu’il vivait à cette époque, simplement qu’il inscrit l’événement dans ce contexte… franchement, je suis surpris que l’on puisse interpréter cela dans le sens ou vous le faites.

      Pour lever toute ambiguïté : je n’ai jamais été et je ne suis pas adhérent au PG. Et je n’ai aucune intention de le devenir.

    • Jean Pierre dit :

      "Corinne nous quitte." "Nous sommes au PG."…
      Ce n’est pas une "accusation" que de demander à quelqu’un de quel lieu il parle. On a le droit d’adhérer, ou de ne pas adhérer à un parti. Ce n’est pas une infamie!
      On peut reconnaître modestement avoir mal formulé un propos – cela arrive à chacun-, sans accuser le lecteur de bonne foi de porter une "accusation".
      Qu’il soit clair en tout cas que cette accusation, je n’ai pas voulu la porter. Il m’a semblé simplement faire l’effort de comprendre, en relisant ces propos depuis le premier en 2009.
      Je n’appartiens moi-même à aucune organisation politique, et je le regrette. Pour des raisons sans doute assez proches des vôtres, et de beaucoup, je me vois contraint de seulement "observer".
      Pourquoi donc se réjouir de voir un parti qui porte une espérance s’affaiblir? Pourquoi se réjouir qu’une voix se sépare?
      Je ne me réjouirai jamais de ce qu’une personne se voie contrainte de se séparer du combat commun.
      Justement parce que j’ai été moi-même contraint de me séparer (je n’ai pas été "exclu").
      Voyons plutôt ce qui nous rassemble que ce qui nous sépare, essayons d’entendre plutôt ce qui nous porte à nous exprimer et à nous battre que ce qui nous mènerait au silence et à l’inaction.
      Merci de ces éclaircissements, que je juge utiles pour mieux vous comprendre.

    • Descartes dit :

      @ Jean Pierre

      [Ce n’est pas une "accusation" que de demander à quelqu’un de quel lieu il parle.]

      Bien sur que non. Par contre, dire « je ne trouve pas très honnête de tel comportement » après avoir caractérisé ce comportement dans une personne constitue bien une « accusation ». Une accusation de malhonnêteté pour être précis.

      [On peut reconnaître modestement avoir mal formulé un propos – cela arrive à chacun-, sans accuser le lecteur de bonne foi de porter une "accusation".]

      Sauf que dans la circonstance, je ne vois pas en quoi j’aurais « mal formulé » mon propos. Je persiste : la formule « nous sommes dans tel ou tel contexte » n’implique nullement que celui qui en parle y soit lui-même immergé. La formule est couramment utilisée pour souligner l’importance d’un contexte particulier. On peut parfaitement écrire « nous sommes à Versailles en cette nuit de 1789 » sans pour autant être bicentennaire…

      [Qu’il soit clair en tout cas que cette accusation, je n’ai pas voulu la porter.]

      Je vous remercie de reconnaître modestement avoir mal formulé votre propos…

      [Pourquoi donc se réjouir de voir un parti qui porte une espérance s’affaiblir? Pourquoi se réjouir qu’une voix se sépare?]

      Peut-être parce que la « séparation » d’avec Corinne Morel-Darleux me semble de nature à améliorer la capacité du PG à « porter une espérance ». Je ne m’étais pas réjoui du départ de Christophe Ramaux ou de Marc Dolez, précisement parce que j’estimais ces personnalités, même si je ne partageais pas toutes leurs convictions, et j’ai pensé – et je pense toujours – que leur départ a appauvri le PG. Mais Corinne Morel-Darleux est pour moi l’incarnation de ce qu’il y a au PG de plus irresponsable, de plus réactionnaire, de plus opportuniste. Pourquoi ne devrais-je pas me réjouir de la voir partir ?

      [Je ne me réjouirai jamais de ce qu’une personne se voie contrainte de se séparer du combat commun.]

      Je n’ai pas de « combat commun » avec Corinne Morel-Darleux. Le monde qu’elle voudrait construire est un monde qui ne me convient pas du tout, et le sentiment est certainement réciproque. Je déteste cette hypocrisie qui règne dans la « gauche radicale » et qui veut nous faire croire en un « combat commun » qui réunirait jacobins et libertaires, adversaires et partisans des Lumières… Je suis désolé, mais je n’ai pas envie de vivre dans un monde « écosocialiste ».

      [Justement parce que j’ai été moi-même contraint de me séparer (je n’ai pas été "exclu").]

      Moi aussi, mon parti m’a quitté. Et alors ? Ce n’est pas pour autant que je vais me mettre en ménage avec le premier parti qui passe…

      [Voyons plutôt ce qui nous rassemble que ce qui nous sépare, essayons d’entendre plutôt ce qui nous porte à nous exprimer et à nous battre que ce qui nous mènerait au silence et à l’inaction.]

      Le problème, voyez-vous, c’est que ce qui porte Corinne Morel-Darleux à s’exprimer et à se battre est à l’exact opposé de ce qui me porte moi-même. Elle, elle s’exprime et se bat contre le progrès technologique et scientifique, contre l’énergie nucléaire, contre les grands projets d’équipement qu’elle qualifie de « inutiles ». Moi, c’est l’inverse. Alors, je vois mal comment on pourrait « voire plutôt ce qui nous ressemble que ce qui nous sépare » et en même temps « entendre ce qui nous porte à nous exprimer et à nous battre ». Si Corinne Morel-Darleux cesse de parler de ce qui nous sépare – l’écosocialisme, le nucléaire, l’aéroport de Notre-Dame des Landes, la liaison Lyon-Turin – je promets de faire de même. Ca vous irait ?

      Soyons sérieux : la conduite que vous proposez conduit tout droit à proposer aux citoyens un projet qui serait réduit aux éléments qui obtiendraient le consensus des l’ensemble des militants progressistes. Il faudrait donc s’abstenir de prendre position sur l’énergie nucléaire, sur le vote des immigrés, sur le genre, sur la croissance, sur la construction européenne, sur l’Euro, sur le « mariage pour tous »… car sur tous ce sujets, il y a des désaccords irréductibles. On ne pourra pas présenter un projet jacobin à cause des libertaires, ni un projet libertaire à cause des jacobins. Je crains que par cette voie on n’aboutisse à une intersection vide. C’est peut-être pour cela que la « gauche radicale » s’abstient de parler de son projet et préfère se réunir en définissant un ennemi commun, ce qui est toujours beaucoup plus facile.

      Il n’y a pas de « combat commun » à l’ensemble du camp qui, par manque d’un meilleur mot, je qualifierais de « progressiste ». Il y a des sujets sur lesquels on peut trouver des convergences réunissant une partie plus ou moins grande de ce camp. Il y a des domaines ou des accords tactiques peuvent s’établir malgré les divergences. Tout cela nécessite que les divergences soient formulées, discutées publiquement et publiquement assumées. Mais arrêtons de croire en ce graal du « combat commun » auquel tout le reste pourrait être subordonné.

      [Merci de ces éclaircissements, que je juge utiles pour mieux vous comprendre.]

      Toujours un plaisir. Et excusez moi si le ton un peu vif des échanges a pu vous blesser, ce n’était certainement pas mon intention.

    • bovard dit :

      Corrine Morel est en quête d’un éventuel reformatage à gauche.C’est son affaire,bon vent,elle en a le droit.Si le bien ne fait pas de bruit et que le brui ne fait pas du bien;laissons le PG,JLM et le PCF à leurs périgrinations;et d’aventure en aventure..L’ironie est tout à fait justifié,trés agréblement tournée grâce au talent de Descartes,car les questions de fond doivent être abordées.En effet, pour que la gauche de l’UMPS puisse se faire entendre comme le FN l’a fait aux européennes,les points suivants doivent être travaillés:
      Les questions du protectionnisme équitable,de l’intervention bienfaitrice de l’état;de la planification de l’économie bref de la Nation semble inconnues des cadres du FDG.Là est la lacune principale,non?

    • fredduss dit :

      CMD a démissionné de son poste de secrétaire nationale du PG mais est toujours au PG !!! ça vous fait beaucoup d’encre venimeuse déversée pour rien…

    • Descartes dit :

      @ fredduss

      [CMD a démissionné de son poste de secrétaire nationale du PG mais est toujours au PG !!! ça vous fait beaucoup d’encre venimeuse déversée pour rien…]

      Qu’est ce que vous en savez ? Avez-vous vu sa lettre de démission ? Si oui, vous avez beaucoup de chance, une chance que nous autres n’avons pas eu. C’est pourquoi je me suis bien gardé de prendre position dans un sens ou dans l’autre. Dans mon papier, écrit à l’encre venimeuse, je note simplement que CMD indique dans son propre blog avoir quitté les responsabilités qui sont les siennes au PG. C’est tout. Aussi longtemps que sa lettre de démission reste secrète, mieux vaut être prudent, non ?

      Je note en tout cas que personne ne semble très intéressé à la direction du PG à reconnaître la réalité de la démission de CMD : alors que l’on trouve des articles qui en font référence et citent même des extraits de sa lettre de démission dans des journaux aussi divers que Le Figaro ou Regards, sur le site officiel du PG on peut toujours lire le nom de CMD parmi les secrétaires nationaux, sans qu’il n’y figure la moindre expression commentant un acte qui, tout de même, devrait pousser les militants du PG à se poser quelques questions.

      Tiens, j’aimerais connaître votre opinion. A votre avis, pourquoi CMD a jugé nécessaire de quitter ses responsabilités tout en « étant toujours au PG » ?

  2. Rebel dit :

    Il y a 2 ans je quittais mes fonctions électives et le PG et faisais part de la même analyse que celle que je viens de lire sur votre blog.
    Ce n’était pas un caprice enfantin, mais bien une rupture avec un parti pseudo démocratique, pseudo de gauche, pseudo… tout. J’ai subi de nombreuses insultes et agressions physiques et verbales de la part des militants du PG téléguidés par le national parce que j’avais l’esprit rebelle et que je croyais bon de susciter le débat et formuler des objections.
    Le PG n’a toujours été et ne sera toujours qu’un outil faire-valoir de JL Mélenchon. Cet homme qui me disait les yeux dans les yeux "si je suis élu on quitte l’UE. ET NON je n’appellerai JAMAIS à voter pour le PS". On voit comment cet homme tient ses promesses.
    Quant à certains de ses lieutenants, ils ne voulaient qu’être califes à la place du calife et étaient prêt à tuer le père pour engranger l’héritage.
    Quel soulagement pour moi, après les avoir vu agir de près et de l’intérieur de constater qu’ils avaient finalement pris une sacrée branlée aux élections. Car ces gens ne sont pas au fond ce qu’ils disent. Mais simplement des être au fonctionnement totalitaire qui auraient pu être bien pires encore que ce que nous combattons aujourd’hui.

    Les "militants Debase" étaient sincères et y on cru. Ils ont été tellement bien manipulés, pris dans une spirale d’optimisme et d’espoir. Tout ceci n’est pas leur faute. Ils en sont les premières victimes.
    Que Corinne Morel-Darleux quitte le PG est la meilleure des choses à mes yeux. Mais pour aller où ? avec qui ? faire quoi ?
    Dans les couloirs, on susurre que le patriache va rendre son tablier. Voilà donc la fin annoncée qui s’approche à grands pas.

    Votre article me fait du bien. Contrairement à ce que me clamaient les lieutenants et premiers couteaux, ce n’est pas la folie qui m’envahissait, mais bel et bien de la clairvoyance.

    Et tout ceci sans dire que cet appareil n’était sans doute qu’un outil monté de toutes mains par certains pour capter l’électorat de gauche au bénéfice du PS. MAIS CHUUUTTTTT vous pourriez me qualifier de mauvaise langue…

    • Descartes dit :

      @ Rebel

      [Il y a 2 ans je quittais mes fonctions électives et le PG et faisais part de la même analyse que celle que je viens de lire sur votre blog.]

      Je ne prétends pas à une grande originalité. En fait, je l’avais exprimée sous une forme bien plus schématique lors du saynète que fut l’arrivée de Martine Billard et ses amis au PG, à mon avis sinon le tournant, au moins le symptôme le plus éclatant de tout ce qui ne marche pas au « parti creuset » devenu aujourd’hui une secte.

      [Ce n’était pas un caprice enfantin, mais bien une rupture avec un parti pseudo démocratique, pseudo de gauche, pseudo… tout. J’ai subi de nombreuses insultes et agressions physiques et verbales de la part des militants du PG téléguidés par le national parce que j’avais l’esprit rebelle et que je croyais bon de susciter le débat et formuler des objections.]

      C’est une très mauvaise idée que de susciter le débat et formuler des objections lorsqu’on est dans une église. Et encore plus lorsqu’on est dans une secte… Je m’étais beaucoup intéressé au PG lorsque le projet était d’en faire un « parti creuset ». Malheureusement, comme disait l’un des mes maîtres, « trotskyste un jour, trotskyste toujours ». Il y a des maladies dont on ne guérit jamais, et celle-là en est une. A la tolérance affichée et revendiquée pour les points de vue « différents » a rapidement succédé une intolérance absolue pour tout ce qui n’est pas « dans la ligne ». Une logique dans laquelle tout désaccord, toute dissidence était considérée comme une tentative de « affaiblir nos convictions » (sic) et son auteur comme un traître en puissance sinon en acte.

      [Le PG n’a toujours été et ne sera toujours qu’un outil faire-valoir de JL Mélenchon.]

      Si ce n’était que ça… n’oubliez jamais que les Coquerel, les Amard, les Morel-Darleux, les Corbière et les Garrido sont jeunes. Beaucoup plus jeunes que Mélenchon. Ils ont donc une longue carrière devant eux, carrière qui continuera bien après la retraite de leur Gourou… Croyez-moi, l’après-Mélenchon est déjà en préparation au PG. Au moins dans la tête de certains de ses « fidèles ».

      [Cet homme qui me disait les yeux dans les yeux "si je suis élu on quitte l’UE. ET NON je n’appellerai JAMAIS à voter pour le PS". On voit comment cet homme tient ses promesses.]

      Ne soyez pas trop dur. Mélenchon a derrière lui trente ans de vie politique. Et à cet âge, on ne se refait pas. Croire que l’homme qui garde pour François Mitterrand une piété quasi filiale, au point d’interdire sur son blog tout commentaire critique de l’ancien président, que l’homme qui a défendu passionnément le traité de Maastricht comme étant « un compromis de gauche » pouvait imaginer un projet en dehors de l’UE nécessite donc une grande naïveté. Quant au fait de dire « je n’appellerai jamais à voter pour le PS »… soyons sérieux. On sait ce que veut dire « jamais » dans la bouche d’un homme politique. Et c’est normal : il n’existe pas de « jamais » en politique, et un contexte particulier et imprévu peut toujours vous conduire à réviser les opinions de la veille.

      A ce niveau-là, la faute est partagée entre l’homme qui promet et celui qui croît en une telle promesse.

      [Quant à certains de ses lieutenants, ils ne voulaient qu’être califes à la place du calife et étaient prêt à tuer le père pour engranger l’héritage.]

      Tout à fait. Je pense qu’il est plus facile de comprendre certains fonctionnement du PG si l’on se souvient que Mélenchon n’est pas éternel.

      [Car ces gens ne sont pas au fond ce qu’ils disent. Mais simplement des être au fonctionnement totalitaire qui auraient pu être bien pires encore que ce que nous combattons aujourd’hui.]

      Tout à fait. Le PG est une secte ou l’unanimisme est la règle, et celui qui exprime le moindre désaccord est immédiatement réduit au silence. Pourquoi croyez-vous qu’il n’y a pas de compte rendu public des débats des organes dirigeants du PG, ni même de relevé de décisions avec le décompte des voix ? Parce que ces comptes rendus feraient apparaître des divergences. Or, toute secte repose sur la fiction de l’unanimité. Pour que le gourou soit infaillible, il faut que sa parole soit l’unique.

      [Les "militants Debase" étaient sincères et y on cru. Ils ont été tellement bien manipulés, pris dans une spirale d’optimisme et d’espoir. Tout ceci n’est pas leur faute. Ils en sont les premières victimes.]

      Oui et non. Je n’aime pas cette vision qui fait des militants des « victimes ». Les militants sont des hommes et des femmes doués de Raison. Ils ont un devoir de vigilance. Et s’ils manquent à ce devoir, ils commettent une faute qu’ils doivent assumer, eux et personne d’autre. Je me suis toujours battu lorsque j’étais au PCF contre ce courant qui à tout propos hurlait « nos dirigeants nous ont trompé ». C’est un peu trop facile. L’information sur les crimes de Staline ou sur le passé de Mitterrand étaient à la disposition du public. Les « dirigeants » en question n’avaient aucune donnée secrète. Tout était accessible pour qui prenait la peine de le lire. Si certains ont cru que Staline était un ange ou que Mitterrand était de gauche, ce n’est pas la faute de nos « dirigeants », c’est qu’ils ont voulu le croire, malgré l’évidence.

      Il faut encourager les militants à la vigilance. Si on les laisse se défausser en permanence sur les « dirigeants », on les encourage à l’irresponsabilité.

      [Que Corinne Morel-Darleux quitte le PG est la meilleure des choses à mes yeux. Mais pour aller où ? avec qui ? faire quoi ?]

      Je ne sais pas. Je ne connais pas les coulisses du PG suffisamment pour savoir si le départ de Corinne Morel-Darleux de la direction nationale est le premier pas d’une recomposition politique souhaitée par l’intéressée – par exemple, pour préparer son recasement à EELV ou bien, horresco referens, au PS – ou bien si elle a été poussée dehors par l’un de ces jeux de cour compliqués dont le PG a le secret. Peut-être rompt-elle avec le groupe dirigeant du PG d’aujourd’hui pour pouvoir se positionner avec ceux qui pourraient prendre le pouvoir au prochain congrès… je ne sais pas, et au fond je ne pense pas que cela ait un grand intérêt.

      [Dans les couloirs, on susurre que le patriarche va rendre son tablier. Voilà donc la fin annoncée qui s’approche à grands pas.]

      Tout à fait. Ce ne serait pas non plus la première fois que le « patriarche » menacerait de partir pour reprendre la main sur certains de ses suiveurs les plus turbulents…

      [Et tout ceci sans dire que cet appareil n’était sans doute qu’un outil monté de toutes mains par certains pour capter l’électorat de gauche au bénéfice du PS. MAIS CHUUUTTTTT vous pourriez me qualifier de mauvaise langue…]

      Je n’ai rien contre les mauvaises langues. Certains de mes meilleurs amis sont des mauvaises langues… Mais je pense surtout que ce commentaire fait la part belle à une vision complotiste. Si le but était de ramener des électeurs au PS, le moins qu’on puisse dire c’est que c’est raté.

  3. Emile dit :

    Bonjour,

    Peut-être qu’en dernier hommage à Corinne Morel-Darleux vous pourriez mettre à jour votre dernier papier sur le coût du nucléaire: 59.8 euro du MWh. La plus chère des filières conventionnelles, loin, très loin devant le charbon et le gaz. Finalement, votre triomphalisme fut peut-être légèrement imprudent…

    Toujours dans le domaine du nucléaire, cher à Madame Morel-Darleux tout autant qu’à vous même, vous avez vanté, à juste titre, la sécurité des centrales PWR. Vous avez néanmoins omis de préciser qu’il s’agissait de centrales sous licence Westinghouse. A l’heure de votre bilan à forte teneur propagandiste des commémorations du débarquement, peut-être auriez-vous pu avoir l’élégance de laisser cela aux américains ce qui leur appartient: la paternité de notre parc électro-nucléaire…

    • Descartes dit :

      @ Emile

      [Peut-être qu’en dernier hommage à Corinne Morel-Darleux]

      « Dernier hommage » ? J’ose espérer qu’on n’en est pas là…

      [vous pourriez mettre à jour votre dernier papier sur le coût du nucléaire: 59.8 euro du MWh.]

      J’aimerais bien connaître l’origine de ce chiffre. Cela vaut la peine de signaler tout de même qu’il est ridicule d’exprimer un chiffre avec une précision de 0,2%. Qui est capable d’estimer un prix avec une telle précision ? Les études sérieuses présentent généralement des fourchettes de coût, justement parce qu’il est très difficile d’estimer un chiffre à quelques pourcents près. L’estimation la plus sérieuse disponible aujourd’hui est celle de la Cour des Comptes qui, le hasard fait bien les choses, tombe dans la même fourchette que la commission Champsaur, c’est-à-dire quelque part entre 39 et 45 €/MWh.

      J’ajoute que ces estimations sont complexes parce qu’outre les difficultés techniques, pour faire une estimation sérieuse il faut faire des hypothèses éminemment politiques. Prenons un exemple : une centrale nucléaire est une installation fortement capitalistique. Le coût marginal – c’est-à-dire, celui estimé en faisant abstraction de l’amortissement des investissements – est très faible. Dans l’estimation du coût de l’énergie nucléaire, les choix sur l’amortissement du capital sont cruciaux. Par exemple, si l’on étale l’investissement sur 60 ans au lieu de 40, on gagne tout de suite une tranche appréciable sur le prix… à votre avis, pour calculer les « 59.8 €/MWh », quelle est l’hypothèse retenue ?

      [La plus chère des filières conventionnelles, loin, très loin devant le charbon et le gaz.]

      Vous faites erreur. Quand bien même le chiffre de 59,8 €/MWh serait retenu, le nucléaire ne deviendrait pas « la plus chère des filières conventionnelles » (le thermique au fuel serait encore derrière, avec des prix qui dépassent 80 €/MWh), et ne serait pas « très loin » derrière le gaz (60-70 €/MWh). Mais si vous voulez comparer, il faut comparer ce qui est comparable. Dans le prix de l’électricité nucléaire, vous comptez certainement les coûts de démantèlement et de gestion des déchets. Pour pouvoir comparer, il faudrait appliquer la même règle aux centrales au charbon. Il faudrait additionner à leurs coûts de production le coût de gestion du CO2 produit…

      [Finalement, votre triomphalisme fut peut-être légèrement imprudent…]

      Beaucoup moins que vous ne le croyez, en tout cas.

      [Toujours dans le domaine du nucléaire, cher à Madame Morel-Darleux tout autant qu’à vous même, vous avez vanté, à juste titre, la sécurité des centrales PWR. Vous avez néanmoins omis de préciser qu’il s’agissait de centrales sous licence Westinghouse.]

      J’ai « omis de le préciser » parce que ce n’est pas vrai. Westinghouse se retire de Framatome en 1981. En fait, seuls les deux réacteurs de Fessenheim et les quatre de Bugey sont des « purs » réacteurs Westinghouse. Les autres sont issus de la « francisation » de la filière développée par l’entreprise américaine.

      [A l’heure de votre bilan à forte teneur propagandiste des commémorations du débarquement, peut-être auriez-vous pu avoir l’élégance de laisser cela aux américains ce qui leur appartient: la paternité de notre parc électro-nucléaire…]

      Je veux bien leur laisser « la paternité de la filière PWR », mais je ne vois pas très bien au nom de quoi il faudrait leur laisser « la paternité de notre parc électro-nucléaire ». Après tout, pourquoi ne pas l’accorder aussi à Charles Algernon Parsons, inventeur de la turbine à vapeur. Et à Henri Becquerel, inventeur de la radioactivité. Et à Gramme, inventeur de l’alternateur. Comme vous voyez, c’est une « paternité » très partagée…

    • Emile dit :

      @ Descartes,

      Pour ce qui est du prix de revient que j’ai cité pour le nucléaire, je suis allé le chercher, pour respecter le parallélisme des formes, dans le dernier rapport que la Cour des Comptes a consacré à ce sujet: http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Le-cout-de-production-de-l-electricite-nucleaire. Je croyais l’avoir indiqué dans mon commentaire; ce n’est pas le cas; mea culpa. La précision en la matière est en effet illusoire (ce que montre d’ailleurs l’augmentation de 20% du prix de revient constaté entre 2010 et 2012 par la CdC pour la filière électro-nucléaire); mais enfin c’est le chiffre donné par la Cour, je le communique tel quel.

      Quant à la hiérarchie des coût des différents mode de production, j’ai en effet légèrement rosi le tableau, car si les centrales à charbon sortent sensiblement en deçà de €60/MWh en Europe (y compris en s’acquittant des droits carbone actuellement inférieurs à €10/tonne), il faut aller aux Etats-Unis pour trouver, grâce au gaz de schiste, des centrales à gaz produisant à des coûts sensiblement inférieurs à ceux du nucléaire – ce qui explique d’ailleurs la faillite récente de la société Energy Future Holdings, propriétaire, entre autres, de 2 importantes centrales nucléaires au Texas. En Europe, où les prix du gaz sont significativement supérieurs à ceux des Etats-Unis, cet avantage est moindre et les Cycles Combinés à Gaz sortent en effet actuellement aux alentours de 60-70 €/MWh en coût complet.

      Ceci dit, comme vous le savez, tout cela dépend de 2 paramètres très fluctuants: le prix des matières premières (gaz et charbon) et celui des droits à CO² (en Europe uniquement). Pour l’heure, le nucléaire a perdu l’avantage qu’il avait par rapport au charbon (en Europe et aux Etats-Unis) et au gaz (aux USA exclusivement), mais il est tout à fait possible, (voire probable) que cela ne soit que temporaire et qu’un monde de ressources rares et de volonté politique forte dans la lutte conte le changement climatique redonne à l’atome sa compétitivité érodée (sous réserve néanmoins que les coûts de production de l’EPR se rapprochent de ceux du parc existant).

      Cela suppose néanmoins, comme vous l’avez vous mentionné, que les prix des droits carbone soit pris en considération et à un niveau bien supérieur à celui où ils sont actuellement; sinon, il y aurait tout intérêt à remplacer quelques-uns de nos réacteurs vieillissants par des centrales à charbon dont les turbines seraient fournies par Alstom, par exemple…

      Ce qui m’amène à vous poser une question: vous utilisez une des conséquence du Protocole de Kyoto (l’existence de droits carbone) pour justifier la supériorité économique du nucléaire. Est-ce à dire que malgré votre industrialisme assumé vous êtes un défenseur de ce dernier? Et même un partisan de son extension car pour atténuer le fort avantage compétitif actuel des centrales à charbon, il faut des droits CO² supérieurs à 30 euro/tonne, ce qui ne peut être obtenu qu’avec une élévation de la contrainte sur les émissions.

      Enfin, quant à la paternité du parc électro-nucléaire français, je n’ai jamais nié que le CEA ou Framatome ait eu un rôle déterminant: il s’agit en effet d’une co-production franco-américaine. Je voyais simplement plus nos ingénieurs dans le rôle de la maman et ceux des Etats-Unis dans celui de fournisseur du liquide séminal…

    • Descartes dit :

      @ Emile

      [Pour ce qui est du prix de revient que j’ai cité pour le nucléaire, je suis allé le chercher, pour respecter le parallélisme des formes, dans le dernier rapport que la Cour des Comptes a consacré à ce sujet: http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Le-cout-de-production-de-l-electricite-nucleaire.%5D

      Il faut prendre cette estimation avec beaucoup de précautions. Si l’on regarde le tableau de la page 11 du rapport, on observe que la moitié de l’augmentation des coûts peut être attribuée aux investissements nouveaux. Or, puisque la prolongation du parc n’est pas acquise au-delà de quarante ans, la Cour cherche à amortir les investissements sur cette durée relativement courte. Or, une partie de ces investissements sont prévus pour prolonger le parc à 50 ans…

      [Quant à la hiérarchie des coût des différents mode de production, j’ai en effet légèrement rosi le tableau,]

      Dont acte… 😉

      [Ce qui m’amène à vous poser une question: vous utilisez une des conséquence du Protocole de Kyoto (l’existence de droits carbone) pour justifier la supériorité économique du nucléaire. Est-ce à dire que malgré votre industrialisme assumé vous êtes un défenseur de ce dernier? Et même un partisan de son extension car pour atténuer le fort avantage compétitif actuel des centrales à charbon, il faut des droits CO² supérieurs à 30 euro/tonne, ce qui ne peut être obtenu qu’avec une élévation de la contrainte sur les émissions.]

      Le fait d’être « industrialiste » n’empêche pas de chercher à minimiser les effets environnementaux de l’activité industrielle. Je ne suis pas un « partisan » du protocole de Kyoto non parce que je ne partage pas les objectifs, mais parce que je n’ai jamais cru que les mécanismes contenus dans le protocole avaient la moindre chance de marcher. Et je ne vois pas de raison de mettre un boulet à notre industrie si les autres – et notamment les « émergents » ne font pas de même.

      Cela étant dit, si l’on peut avoir du courant électrique nucléaire à un prix très proche – même s’il était légèrement supérieur – au charbon, cela a un sens d’investir ce petit « plus » pour réduire les émissions de CO2 et d’autres polluants liés au charbon. Je suis un pragmatique : je suis d’avis d’identifier les domaines où l’investissement pour réduire les impacts environnementaux de l’industrie sont les plus rentables, et d’y consacrer l’effort. Le mécanisme du « marché carbone » était censé atteindre cet objectif, mais pour cela il faudrait que ce soit un marché parfait, et c’est loin d’être le cas.

      [Enfin, quant à la paternité du parc électro-nucléaire français, je n’ai jamais nié que le CEA ou Framatome ait eu un rôle déterminant: il s’agit en effet d’une co-production franco-américaine.]

      Non, je persiste. C’est une production française, qui utilise une technologie inventée par les américains.

    • Emile dit :

      @ Descartes

      Merci de vos réponses. J’aurai néanmoins une question supplémentaire à vous poser si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

      Elle concerne le caractère optimal ou non du "tout nucléaire" tel qu’il est pratiqué en France et nulle part ailleurs. J’en connais les raisons (il s’agissait de faire baisser les coûts de fabrication des réacteurs en en massifiant la production) mais me demande si un parc plus diversifié ne présenterait pas un meilleur profil rendement/risque; tant sur le plan des tarifs (en cas de baisse tendancielle du prix du charbon ou du gaz par exemple) que sur celui de la sécurité et je pense là au risque systémique que pose le fait d’avoir 80% de la production électrique du pays assurée par un seul type d’énergie (pas obligatoirement la plus sûre comme l’ont montré les accidents de 3 Miles Islands, Tchernobyl et Fukushima) et qui plus est fondé sur une seule technologie (PWR). En cas de problème structurel sur un réacteur PWR, il me semble en effet qu’il n’y a plus plus qu’à éteindre la lumière et déclarer la faillite du pays.

      Ne serait-il donc pas plus rationnel de diversifier notre mix énergie et de construire des centrales à charbon et à gaz plutôt que de remplacer tous les réacteurs existant par des EPR?

    • Descartes dit :

      @ Emile

      [Elle concerne le caractère optimal ou non du "tout nucléaire" tel qu’il est pratiqué en France et nulle part ailleurs (…)

      Votre question est très pertinente. Mais il faut noter plusieurs éléments :

      1) Le parc nucléaire français est, lui-même, diversifié. Il consiste de plusieurs « paliers » : celui des réacteurs de 900 MW divisé en trois sous-paliers (CP0 (6 réacteurs), CP1 (18 réacteurs), CP2 (10 réacteurs)) ; celui des réacteurs 1300 MW (divisé là encore en deux sous-paliers, P4 (8 réacteurs) et P’4 (12 réacteurs) ; celui des réacteurs de 1450 MW (un seul palier, N4, 4 réacteurs). Le risque « systémique » est donc réduit puisqu’un défaut générique découvert sur un sous-palier ne se retrouve pas nécessairement sur les autres.

      2) Le fait d’utiliser un combustible unique – l’uranium enrichi – n’est pas véritablement une fragilité stratégique, et cela pour trois raisons : la première est que les réserves mondiales d’Uranium sont considérables, et distribuées sur l’ensemble de la planète, ce qui nous met à l’abri d’une crise politique régionale. La seconde, c’est que l’uranium ne rentre que pour une partie réduite (quelque 8%) du prix de l’électricité produite, l’essentiel du prix étant lié à l’amortissement des investissements. Des fluctuations de prix ont un effet très limité sur le prix de l’électricité. Et finalement, la densité énergétique de l’uranium est très grande, ce qui permet de stocker plusieurs années de fonctionnement du parc dans un volume très limité.

      3) Un parc de production électrique donnant plus de place aux combustibles fossiles permettrait certainement de profiter de la baisse conjoncturelle du prix du gaz et du charbon. Cependant, on peut prédire que sur le long terme le prix des énergies fossiles sera orienté à la hausse. Par ailleurs, un parc de production thermique est beaucoup plus sensible à la volatilité des prix du marché des combustibles. L’avantage du nucléaire est que le prix de l’électricité est quasi indépendant du prix du combustible.

      4) Finalement, le seul vrai argument pour la diversification du parc reste le fait que les réacteurs nucléaires ne sont pas adaptés à la gestion de la production en pointe. Il faut donc conserver un parc thermique pour fournir l’électricité à la pointe, et des exportations pour permettre aux réacteurs de fonctionner pendant les creux.

      J’ajoute que si l’on veut s’intéresser à la diversification énergétique, c’est le secteur des transports, dépendant à 90% des produits pétroliers, et non le secteur de l’électricité, qui pose les plus gros problèmes…

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