Malheur à la République où le citoyen est un enfant !

Chaque fois que j’entends dire « la vie est dure », j’ai envie de répondre « comparée à quoi ? » (attribué à Bertrand Russel).

Pour la génération de nos grands-parents, la vie était dure. Ce que je dis là n’est pas seulement une constatation factuelle. Oui, la vie était plus dure pour eux qu’elle ne l’est pour nous, tout comme elle a été plus dure pour nous qu’elle ne l’est pour nos enfants… quoi que. Mais je ne parle pas seulement en termes objectifs. Il y avait dans l’attitude de nos grands parents un élément subjectif qui n’est pas à négliger. Ce qui nous différentie de nos grands-parents, c’est qu’ils étaient, eux, conscients de la dureté de la vie. Conscients que la nature ne cédait pas volontiers ses fruits, que – sauf pour quelques privilégiés, et encore – rien ne vous était donné. Que s’offrir une vie agréable, qu’obtenir la reconnaissance de ses pairs et de ses concitoyens passait par l’effort, le travail, la ténacité. Bref, que la société ne vous devait qu’à proportion de ce que vous lui apportiez. Etaient-ils moins heureux pour autant ? Probablement pas, plutôt le contraire : les plaisirs qu’ils pouvaient voler lors de leur passage dans cette vallée de larmes – la formule utilisée à l’époque et disparue depuis est révélatrice – étaient d’autant plus intenses que l’effort pour les obtenir était plus grand et qu’ils étaient plus rares.

Deux générations plus tard, nous sommes dans la société du « fun ». La souffrance, l’effort sont remisés au placard des antiquailles. Tout doit être léger, amusant, divertissant. L’école doit être « ludique », le travail doit être « fun », la vie doit être un chemin de roses de laquelle tout effort, toute difficulté, toute angoisse doit être purgée. Le citoyen-consommateur a droit à ce que tout – la connaissance, le travail, la culture – lui soit servi prémâché, pour être avalé sans effort. Qui n’a pas entendu des « cultureux » expliquer qu’il faut « dépoussiérer » l’opéra ou le musée – ce qui en bon français veut dire organiser des expositions et des spectacles « faciles », qui ne nécessitent de l’auditoire aucun effort, aucun travail de compréhension ?

Et bien entendu, ce citoyen élevé au « fun » est un être fragile. L’exposer à la cruauté du monde pourrait sérieusement le traumatiser. Passer des vrais examens, où l’on exige des vraies connaissances et on ne remonte pas les notes de ceux qui ne savent pas ? Vous n’y croyez pas, cela pourrait affecter gravement la « confiance en soi » des étudiants. Alors, on soumet les gens à un discours psychologisant qui compatit en permanence aux malheurs de chaque catégorie – des victimes d’inceste aux bébés phoques – et où personne n’est responsable de ce qui lui arrive. Tout est la faute à quelqu’un d’autre : aux parents, à l’Etat, à la Grande Konspiration…

Quel est l’être à qui on offre tout prémâché, de qui on ne demande aucun effort, à qui on occulte la cruauté du monde ? Quel est l’être pour qui tout est jeu ? La réponse est évidente : c’est le jeune enfant. Nous vivons dans une société infantilisée, où chacun de nous est sous l’injonction de se comporter en enfant. Pas étonnant dans ses conditions qu’on découvre chez nous toutes sortes de perversions – on sait aussi depuis Freud que les enfants sont des pervers polymorphes – et ce sentiment de toute-puissance symbolique qui s’accompagne d’une impuissance sur le réel.

Vous trouvez que j’exagère ? Prenons un petit exemple, celui des étudiants universitaires aujourd’hui. Rappelons que les étudiants sont majeurs et vaccinés, et qu’à leur âge nos grands-parents étaient déjà souvent pères de famille et travaillaient aux champs ou dans les usines, quand on ne leur demandait pas d’aller tuer et mourir pour leur Patrie. Cela devrait permettre de relativiser les souffrances innommables complaisamment décrites dans les pages des journaux de référence.

Prenons par exemple l’article publié dans « Le Monde » du 5 février 2021 sur la situation des étudiants « victimes » de la pandémie : « A l’université Lyon-I, où les partiels ont eu lieu en présentiel, les enseignants du département de mathématiques ont décidé de remonter les notes, quitte à entretenir une illusion de réussite. « Les étudiants sont quasiment tous venus, la fleur au fusil, sans doute parce qu’ils n’ont pas conscience de leur niveau véritable, explique Anne Perrut, maîtresse de conférences en deuxième année de licence. Au vu des résultats, nous avons changé nos exigences et adopté un coefficient multiplicateur pour augmenter leur moyenne de trois à quatre points. On ne pouvait tout de même pas les enfoncer. »

Que nous explique cette enseignante universitaire ? Que des élèves qui n’ont pas les connaissances que l’institution estime indispensables auront quand même leur diplôme. Ne pas leur donner, ce serait les « enfoncer ». Et ça, « on ne peut pas ». Le diplôme cesse d’être un certificat, une représentation réelle des connaissances acquises, pour devenir une sorte de « droit » dont il serait injuste de priver les élèves au motif qu’ils ont été empêchés d’apprendre par une circonstance extérieure. On imagine ce que donnera un médecin qui ne connaît l’anatomie et à qui on aura donné le titre pour ne pas le « l’enfoncer »…

Mais pourquoi les élèves sont venus « la fleur au fusil » ? On parle ici d’étudiants de mathématiques, c’est-à-dire, d’une discipline où l’on travaille avec un crayon et un papier. Que des étudiants de médecine se plaignent de ne pas avoir pu effectuer des dissections, que des étudiants en physique aient perdu la possibilité de passer aux travaux pratiques, cela s’entend. Mais en mathématiques ? Certains me diront que les bibliothèques sont fermées. C’est un argument irrecevable : Les ouvrages fondamentaux sont disponibles sur l’Internet – car les bases des mathématiques n’ont pas changé fondamentalement depuis cinquante ans, et la plupart de ces textes sont dans le domaine public. Ainsi, vous pouvez vous amuser par exemple à télécharger les « éléments de mathématiques » de Bourbaki en format PDF sans difficulté. Bien sûr, le contact avec l’enseignant a son importance, et on peut imaginer que le niveau baisse un peu si les étudiants sont limités dans leurs contacts. Mais de là à arriver « la fleur au fusil » et « ne pas avoir conscience de leur niveau »…

Dans le même article, un professeur de droit à l’université de Toulouse explique le problème : « les étudiants sont moins efficaces car moins disponibles d’esprit. Ils se dispersent dans les sources dont ils disposent et, à la fin, ils produisent un travail moins substantiel que s’il avait été écrit à la main dans l’amphithéâtre ». Autrement dit, ils sont incapables de travailler tous seuls, de se concentrer, de se rendre « disponibles d’esprit » pour faire un effort. Pour le dire en bon français, ils ne sont pas AUTONOMES. Ils ont besoin qu’on leur dise ce qu’il faut faire, comment il faut le faire, et qu’on surveille qu’ils le font. Bref, qu’on les traite comme des enfants.

Madame Perrut – pas plus que l’auteur de l’article d’ailleurs –  ne semble réaliser le mécanisme monstrueux qui se met en route lorsqu’on falsifie – et c’est bien le mot qui convient – les notes pour maintenir ce qu’elle qualifie elle-même « d’illusion de réussite ». Elle ne comprend pas que c’est précisément parce qu’on entretien cette « illusion » que les étudiants « n’ont pas conscience de leur niveau véritable ». Comment pourraient-ils en prendre conscience si leurs maîtres, ceux qui sont chargés de leur dire la vérité des prix leur mentent, fut-ce avec la noble intention de « ne pas les enfoncer » ? Ce sont au contraire les professeurs – honte à eux – qui se prêtent à cette mascarade qui « enfoncent » leurs élèves en leur mentant sciemment sur leur niveau. Rater un examen, cela arrive à tout le monde et n’a jamais tué personne. L’illusion qu’on sait alors qu’on ne sait pas, elle, peut être fatale parce qu’elle est ensuite très difficile à dissiper.

On retrouve ici le schéma infantilisant, la crainte de traumatiser les étudiants, pauvres petits êtres fragiles, en leur disant trop brutalement quelques vérités sur eux-mêmes et sur leur niveau. Des étudiants à qui on ne peut pas dire qu’ils n’ont pas le niveau de peur qu’ils sautent par la fenêtre. Des étudiants qui exigent une « assistance psychologique » dès que quelqu’un leur marche sur un orteil. Et il ne faut pas s’étonner : quand on est élevé dans le « fun », dans l’idée que la vie n’est qu’une longue fête et que tout vous est dû, difficile d’accepter à 18 ans que les diplômes ne poussent pas dans les arbres.

Ceux qui nous expliquent que les étudiants sont traumatisés de ne pas pouvoir faire la fête, de devoir étudier seuls enfermés chez eux et éloignés de leurs professeurs, et qu’ils seraient pénalisés si leurs professeurs notaient honnêtement savent-ils que pendant la longue nuit de l’Occupation leurs ancêtres ont étudié dans des conditions infiniment pires ? Qu’on a passé le bac – le vrai bac, avec des vrais examens, pas le substitut que nous avons aujourd’hui – sous les bombes dans la Normandie de 1944, et qu’on ne « donna » pas l’examen pour ne pas « enfoncer » les candidats bacheliers ? Que l’université de Strasbourg pendant l’occupation a été repliée à Clermont-Ferrand et qu’on y étudia sous un couvre-feu bien plus sévère qu’aujourd’hui, avec le ventre vide et sous la menace des rafles. Et pourtant on ne fit pas de cadeaux aux examens, on ne baissa pas l’exigence, au contraire. Je me demande ce que Marc Bloch – qui fut professeur dans ces circonstances – aurait pensé de l’idée de conférer un faux diplôme – car un diplôme qui certifie des connaissances inexistantes est un faux, quand même bien il serait tamponné et signé dans les formes – pour ne pas « enfoncer » ses étudiants. Je me demande aussi ce que les étudiants de ce temps-là auraient pensé d’une université qui leur aurait accordé un grade qu’ils ne méritent pas.

Pour les étudiants d’aujourd’hui, notre professeure de mathématiques a son idée. Elle se dit : « convaincue que la promotion Covid saura « mettre en avant le fait d’avoir obtenu un diplôme dans une année aussi difficile » ». Dans sa tête, avoir obtenu son diplôme – avec des notes artificiellement augmentées – dans des conditions difficiles remplace les connaissances. Les chrétiens pensaient que la souffrance permettait la rédemption. Aujourd’hui, la souffrance remplace les connaissances. Personnellement, je ne confierais pas ma tête à un avocat qui me dirait « je ne connais pas mon droit, mais j’ai eu le diplôme l’année du Covid ». Et vous ?

On m’excusera d’être dur, mais quand j’entends que nos étudiants ne peuvent plus étudier, qu’ils « n’arrivent pas à se concentrer » dans leurs studios de vingt mètres carrés, je dis non. Les étudiants sont des adultes. Ils sont majeurs. Ils devraient être capables de s’organiser pour travailler sur des livres, des livres qui, comme disait mon grand-père qui pourtant a arrêté ses études avant le Certificat pour aller gagner sa vie et celle de sa famille, ne mordent pas. Des générations d’étudiants ont travaillé dans des mansardes mal chauffées, le ventre à moitié vide, et ont produit des travaux de qualité. Pourquoi les étudiants du XXIème siècle seraient-ils moins capables de se débrouiller ? Et s’ils n’en sont pas capables, alors ils n’ont rien à faire à l’Université.

On dénonce le fait que notre gouvernement nous traite comme des imbéciles ou des débiles. Mais le gouvernement ne fait que ce que l’ensemble des responsables institutionnels font à leur niveau : taire les vérités de peur de traumatiser les enfants que nous sommes devenus. Car, voyez-vous, nous sommes devenus faibles, nous avons besoin d’être conservés dans du coton, qu’on nous protège, y compris contre nous-mêmes, qu’on nous dise ce qu’il faut faire. Nous ne sommes plus capables de rien faire tous seuls : il faut des gens qui nous surveillent pour étudier, des gens qui nous « coachent » pour trouver du travail, des gens qui nous aident pour nos démarches. Et à force d’insister, on forme une société infantile, navigant entre la toute-puissance et l’impuissance. Une société où « tout le monde est Charlie », mais où comme à Ollioules l’ensemble de la « communauté éducative » (100% des professeurs, 89% des parents et 69% des élèves, selon LCI) ont voté « non » à la proposition de la mairie de renommer le collège pour lui donner le nom de Samuel Paty, au motif que cela « transformerait le collège en cible ». Depuis quand on abdique en France l’honneur d’être une cible ?

Un an de pandémie a mis en lumière la résilience des Français. Elle a aussi souligné cruellement la débilité de notre discours public, l’incapacité de nos élites – politiques, médiatiques, intellectuelles – à tenir aux citoyens un discours adulte. Ils ont versé dans l’infantilisation et la démagogie. Voilà un sujet qui mérite réflexion, notamment si l’on pense à la campagne électorale de 2022, si nous ne voulons pas que le monde d’après ressemble drôlement au monde de maintenant.

Descartes

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108 réponses à Malheur à la République où le citoyen est un enfant !

  1. Richard dit :

    Je pense, Descartes, que vous devriez mettre cet article en billet sur Mediapart. Quand je lis les commentaires des gens là-bas, je suis effaré. En tout cas cela remuerait les choses.
    Sinon je vis ce que vous avez décrit. Ma fille de 22 ans vient d’avoir des notes rehaussés pour des raisons “covid”. Ce qui me rassure c’est qu’elle pense que c’est ridicule. Elle l’a dit et on lui a proposé de les enlever…
     

    • Descartes dit :

      @ Richard

      [Je pense, Descartes, que vous devriez mettre cet article en billet sur Mediapart. Quand je lis les commentaires des gens là-bas, je suis effaré. En tout cas cela remuerait les choses.]

      Je ne dis pas non, mais je ne sais pas comment on fait pour “mettre un article en billet sur Médiapart”…

      [Sinon je vis ce que vous avez décrit. Ma fille de 22 ans vient d’avoir des notes rehaussés pour des raisons “covid”. Ce qui me rassure c’est qu’elle pense que c’est ridicule. Elle l’a dit et on lui a proposé de les enlever…]

      Je ne connais pas beaucoup d’étudiants – sauf les miens, mais je ne suis pas sûr qu’ils me diraient vraiment ce qu’ils pensent sur un tel sujet – alors j’ai du mal à savoir jusqu’à quel point le discours pleurnichard est le fait des élites médiatiques qui se projettent sur les jeunes, ou celui des jeunes eux-mêmes. Je crains cependant que votre fille fasse partie d’une minorité…

      • Un Belge dit :

        @Descartes :

        Je ne connais pas beaucoup d’étudiants – sauf les miens, mais je ne suis pas sûr qu’ils me diraient vraiment ce qu’ils pensent sur un tel sujet – alors j’ai du mal à savoir jusqu’à quel point le discours pleurnichard est le fait des élites médiatiques qui se projettent sur les jeunes, ou celui des jeunes eux-mêmes. Je crains cependant que votre fille fasse partie d’une minorité…

        Dans mon entourage étudiant (l’étant moi-même), beaucoup se plaignent de la pénibilité de la solitude, mais très peu réclament un traitement de faveur en termes de points. On tient à la valeur du diplôme !Les seuls pleurnichards sont les étudiants militants d’extrême-gauche qui conflictualisent jusqu’à l’outrance des questions du type “fallait-il organiser les examens en présentiel ou à distance ?” et ceux qui sont pleurnichards de base (le genre à se réorienter chaque année pendant 3 ans).
        (Précisons toutefois que l’échantillon est belge et essentiellement dans des filières scientifiques/ingénierie)

        • Descartes dit :

          @ Un Belge

          [Dans mon entourage étudiant (l’étant moi-même), beaucoup se plaignent de la pénibilité de la solitude, mais très peu réclament un traitement de faveur en termes de points.]

          Pour moi, c’est le point le plus intéressant. Lorsque les professeurs décident de multiplier les notes des étudiants pour « ne pas les enfoncer », répondent-ils à une véritable demande des étudiants, ou plaquent-ils sur ceux-ci leurs propres préjugés, leurs propres craintes ? Les étudiants qui sont allés « la fleur au fusil » sans connaître leur cours seraient-ils tellement « enfoncés » si leurs notes reflétaient cette réalité ? Où accepteraient-ils que ces notes reflètent la réalité, et soulignent le besoin d’un coup de collier pour rattraper le temps perdu ?

          Je ne saurais pas répondre à cette question sérieusement, mais ma perception est que les étudiants ont vraiment besoin qu’on leur dise la vérité. La vérité sur leur niveau, sur leurs perspectives, sur les efforts à faire. Je ne crois pas personnellement qu’un haut niveau d’exigence « enfonce » les gens dès lors qu’il est atteignable. Au contraire : c’est la difficulté qui vous valorise et vous légitime.

          [(Précisons toutefois que l’échantillon est belge et essentiellement dans des filières scientifiques/ingénierie)]

          Je ne sais pas si le système est le même qu’en France. En France, les filières scientifiques sont celles qui ont réussi le plus à préserver un niveau d’exigence important – notamment dans le système des Grandes Ecoles – alors que dans les matières littéraires le niveau d’exigence s’effondre. Dans mon poste actuel, je reçois très fréquemment des lettres de jeunes avocats… je ne vous dis pas le massacre. Remarquez, on n’a pas tous les jours l’opportunité de rire à gorge déployée chez nous…

          • Un Belge dit :

            @Descartes :
             

            Pour moi, c’est le point le plus intéressant. Lorsque les professeurs décident de multiplier les notes des étudiants pour « ne pas les enfoncer », répondent-ils à une véritable demande des étudiants, ou plaquent-ils sur ceux-ci leurs propres préjugés, leurs propres craintes ? Les étudiants qui sont allés « la fleur au fusil » sans connaître leur cours seraient-ils tellement « enfoncés » si leurs notes reflétaient cette réalité ? Où accepteraient-ils que ces notes reflètent la réalité, et soulignent le besoin d’un coup de collier pour rattraper le temps perdu ?

            N’ayant jamais connu d’échec à un examen, je prendrais assez mal le premier à arriver (tout en sachant que ce serait sans doute une bonne chose pour moi à terme). Et honnêtement, en juin j’aurais connu mon premier échec dans un cours si la moitié de la matière n’avait pas été annulée pour cause de pandémie. Je suis très heureux d’avoir échappé à cet échec, mais je suis assez lucide pour prendre conscience de mon niveau et j’ai retravaillé le cours pendant mes vacances. Plus généralement je pense que les étudiants sont majoritairement lucides, tout en étant contents d’avoir des allègements malgré tout. On reste humains !
             

            Je ne sais pas si le système est le même qu’en France. En France, les filières scientifiques sont celles qui ont réussi le plus à préserver un niveau d’exigence important – notamment dans le système des Grandes Ecoles – alors que dans les matières littéraires le niveau d’exigence s’effondre. Dans mon poste actuel, je reçois très fréquemment des lettres de jeunes avocats… je ne vous dis pas le massacre. Remarquez, on n’a pas tous les jours l’opportunité de rire à gorge déployée chez nous…

            Symétriquement, je connais trop mal le système français pour comparer. Je pense que le contraste est moins fort (qu’on étudie le droit ou l’ingénierie, c’est la même université !) mais il reste des différences de mentalité, et il y a un examen d’entrée pour les ingénieurs. (Plutôt facile mais qui demande quand même un effort sérieux tout au long de la dernière année de secondaire)

            • Descartes dit :

              @ Un Belge

              [N’ayant jamais connu d’échec à un examen, je prendrais assez mal le premier à arriver (tout en sachant que ce serait sans doute une bonne chose pour moi à terme).]

              Jamais ? Pas une seule mauvaise note dans votre vie ? Alors de deux choses l’une : ou bien vous êtes un étudiant exceptionnel… ou bien vous avez fait votre scolarité dans un système particulièrement permissif, où comme dans l’école des fans tout le monde gagne à la fin. 😉

              Cela étant dit, comme disait ma grand-mère, « ce sont les coups qui font les hommes ». Un échec de temps en temps, cela ne fait pas de mal au contraire.

              [Plus généralement je pense que les étudiants sont majoritairement lucides, tout en étant contents d’avoir des allègements malgré tout. On reste humains !]

              La paresse est quelque chose de très humain. C’est pourquoi il faut des professeurs pour faire travailler les étudiants (et des inspecteurs pour faire travailler les professeurs…). Le problème commence quand les professeurs capitulent. « corruptio optimi pessima » (« la corruption des meilleurs est la pire »).

            • Un Belge dit :

              @Descartes du 7/2 à 11h15

              Jamais ? Pas une seule mauvaise note dans votre vie ? Alors de deux choses l’une : ou bien vous êtes un étudiant exceptionnel… ou bien vous avez fait votre scolarité dans un système particulièrement permissif, où comme dans l’école des fans tout le monde gagne à la fin. 

              Des mauvaises notes, si, si on pousse les exigences au-delà de la simple réussite. Mais je n’ai jamais raté un examen au point de devoir le repasser. Ca n’est pas si exceptionnel que ça… Pour tout dire, j’ai eu deux vrais échecs dans ma vie, quand j’avais 12 ans : une interro de latin que j’avais snobée, et mon cours d’éducation physique…Suis-je exceptionnel ? Il parait mais franchement je n’y crois pas. Surement un peu plus curieux que la moyenne par contre.Le système permissif ? Je n’irai pas jusqu’à là, vu le nombre de camarades perdus à mi chemin, on ne peut pas dire que l’université refuse l’échec des étudiants. Mais il y a un monde entre “juste” obtenir le diplôme et se faire repérer par des professeurs ou entreprises.

            • Descartes dit :

              @ Un Belge

              [Des mauvaises notes, si, si on pousse les exigences au-delà de la simple réussite. Mais je n’ai jamais raté un examen au point de devoir le repasser. Ca n’est pas si exceptionnel que ça…]

              Je pense qu’en France cela doit être très exceptionnel. Mais il est vrai que dans ce pays on pratiquait à mon époque la sélection par écrémage, c’est-à-dire, on vous poussait à passer des examens de plus en plus difficiles, et forcément – sauf pour les rares capables d’arriver tout en haut de la pyramide – à un certain moment vous arriviez à votre « niveau d’incompétence » et ratiez la marche.

              [Pour tout dire, j’ai eu deux vrais échecs dans ma vie, quand j’avais 12 ans : une interro de latin que j’avais snobée, et mon cours d’éducation physique…Suis-je exceptionnel ?]

              Oui, je le pense. Personnellement, j’aurais du mal à compter le nombre d’examens « ratés » au cours de mes études.

          • Antoine dit :

            D’après les témoignages de mon entourage, il semblerait que ce soit souvent moins les professeurs qui “décident de multiplier les notes”  que la direction qui les y oblige  sous influence des syndicats d’extrême-gauche. 

            • Descartes dit :

              @ Antoine

              [D’après les témoignages de mon entourage, il semblerait que ce soit souvent moins les professeurs qui “décident de multiplier les notes” que la direction qui les y oblige sous influence des syndicats d’extrême-gauche.]

              Les directions seraient-elles “sous l’influence des syndicats d’extrême-gauche” ? Faut arrêter ce genre de fantasmes. Le magouillage des notes du baccalauréat se fait depuis des années avec l’accord – si ce n’est pas sous ordre – du ministre. Les “syndicats d’extrême gauche” ne jouent dans l’affaire qu’un rôle marginal.

    • Verklarte dit :

      mediapart n’a qu’un objectif : déclencher une dépression collective, en faisant constater que, dans le monde, à part les journalistes de médiapart et leurs alliés (LFI par exemple), il n’y a que des salauds. je reçois tous les jours le sommaire de médiapart. Il n’y a JAMAIS de nouvelles positives, mais en permanence la dénonciation et la revendication. mediapart est le vecteur du ressentiment

      • Descartes dit :

        @ Verklarte

        [mediapart n’a qu’un objectif : déclencher une dépression collective,]

        Mais non mais non. Médiapart à deux objectifs. L’un, c’est de s’autofinancer, d’où son intérêt pour les scandales et les affaires, qui font vendre du papier. L’autre, c’est de servir de base de pouvoir à Plenel & Co, d’où sa tendance à caresser les classes intermédiaires dans le sens du poil.

        [je reçois tous les jours le sommaire de médiapart. Il n’y a JAMAIS de nouvelles positives]

        N’oubliez pas que ce qui est négatif pour vous peut être positif pour quelqu’un d’autre. Le discours “tous pourris” vous désole, mais pour celui qui en est convaincu et recherche la confirmation, c’est un motif de joie profonde…

        • Ian Brossage dit :

          Bonjour,
          Puisqu’on parle de Médiapart, je mentionne en passant cet article récent qui fait suite à la polémique autour des propos de Gérard Noiriel et Stéphane Beaud sur les dérives identitaires en sciences sociales :

          Retour à l’envoyeur


           

          • Descartes dit :

            @ Ian Brossage

            [Puisqu’on parle de Médiapart, je mentionne en passant cet article récent qui fait suite à la polémique autour des propos de Gérard Noiriel et Stéphane Beaud sur les dérives identitaires en sciences sociales :]

            Excellent!

          • @ Ian Brossage,
             
            Merci pour cet article fort intéressant, bien qu’il soit écrit avec un zeste de pédanterie, je trouve.
             
            C’est très drôle de lire cela quand on connaît un peu Noiriel, qui est lui-même un militant déguisé en chercheur, un défenseur passionné de l’immigration qui maquille ses convictions (et il est bien libre d’en avoir) derrière la “science”. Je me souviens avoir lu des ouvrages ou des articles de Noiriel dans lesquels il expliquait que l’immigration avait toujours été une chance pour la France, qu’il n’y avait pas plus de problème avec les immigrés musulmans qu’avec ceux des précédentes vagues, que les nombreux “couples mixtes” attestaient d’une bonne intégration des immigrés dans la société. Il était venu il y a plus de dix ans, dans l’université où j’étudiais, donner une conférence pour dire tout le mal qu’il pensait de Sarkozy et de son “ministère de l’immigration et de l’identité nationale” (il était dans le camp de Plenel en ce temps-là), lequel naturellement ne pouvait qu’alimenter le racisme et la xénophobie. D’ailleurs, pour Noiriel et quelques autres chercheurs, personne à part eux n’est légitime pour parler d’immigration en France.
            Plus récemment, Noiriel s’est fendu d’un ouvrage où, en “honnête chercheur”, il établit un parallèle entre Edouard Drumont et Eric Zemmour pour montrer qu’à un siècle d’intervalle, ces polémistes jouent un rôle toxique dans le débat politique. 
             
            Et maintenant Noiriel est dépassé par des gens plus militants, plus “progressistes” que lui? Le pauvre! Voir tous ces bienpensants se déchirer entre eux est un vrai plaisir.

  2. Geo dit :

    @descartes
    On ne vous reprochera pas d’être dur, pas moi en tout cas.
    Un bémol: le caractère infantile est aussi un rôle obligatoire: personne n’est supposé travailler par nécessité, la passion est obligatoire, ou du moins le “fun”.
    Plaignez ceux qui non seulement devront obéir mais sourire au donneur d’ordres et prétendre que les ordres reçus le comblent de joie, ne sont pas des ordres au fond.
    Plaignez le précaire qui doit se définir comme “free-lance” et se prétendre “risquophile”.
    Plaignez tous ceux qui, supposés bosser pour s’assouvir, ne peuvent tout de même pas pousser l’outrecuidance jusqu’à prétendre être décemment payés.
    J’en ai rencontré.
     
     

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [Un bémol : le caractère infantile est aussi un rôle obligatoire : personne n’est supposé travailler par nécessité, la passion est obligatoire, ou du moins le “fun”. Plaignez ceux qui non seulement devront obéir mais sourire au donneur d’ordres et prétendre que les ordres reçus le comblent de joie, ne sont pas des ordres au fond.]

      Effectivement. Il n’y a qu’à voir : il n’y a plus dans les entreprises des « salariés » ou des « employés ». Ils sont tous devenus des « collaborateurs » et des « équipiers »… Remarquez, en France on n’en est pas au niveau des Etats-Unis, où on leur explique qu’ils doivent être fiers de leur licenciement, puisqu’en l’acceptant ils rendent service à l’entreprise !

      L’entreprise montrée en modèle est une sorte de colonie de vacances, ou l’équipe est une bande de copains qui travaille dans une ambiance détendue et amicale. On souligne jusqu’à la nausée combien dans les « start-up » à la californienne la tenue est décontractée, et le patron fournit salle de sports, salle de jeux, fauteuils confortables pour une petite sieste. Ce « fun » au travail ferait presque oublier que l’entreprise existe grâce à des investisseurs qui en veulent pour leur argent, et qui n’auront pas d’état d’âme à se priver des « collaborateurs » qui se révèleraient peu rentables. Derrière le « fun », c’est le paternalisme revu et corrigé à l’âge de Facebook.

      [Plaignez le précaire qui doit se définir comme “free-lance” et se prétendre “risquophile”.]

      Là aussi, la pub d’Uber est révélatrice, avec ses chauffeurs et ses livreurs qui grâce à leur statut d’autoentrepreneur « travaillent comme ils veulent, quand ils veulent »…

      Il faut revenir aux classiques. Quand Yahvé dit à Adam « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », il savait de quoi il parlait.

      • Verklarte dit :

        je ne comprends pas ce genre de généralisations. j’ai travaillé 40 ans dans différentes entreprises, de 200 personnes à 30000 personnes, et je n’ai jamais rencontré ces comportements. Notre travail était reconnu, et nous étions dans des relations saines, entre tous les niveaux hiérarchiques.Bien sûr il y avait des loupés (un gars de la CGT qui tire au pistolet sur son patron – exemple pour changer du sempiternel patrons voyous). Mais notre actionnaire  réinvestissait la totalité des profits , et notre trésorerie représentait une année de salaires, pour pouvoir tenir le coup. Mais évidemment, si un marché disparaissait , et qu’il n’y avait pas moyen de reconvertir les gens, on était obligé de s’en séparer. j’ai organisé plusieurs fois des reconversions de tuyauteurs en électriciens et réciproquement. Arrêtons de parler de l’entreprise sans savoir.

        • Descartes dit :

          @ Verklarte

          [je ne comprends pas ce genre de généralisations. j’ai travaillé 40 ans dans différentes entreprises, de 200 personnes à 30000 personnes, et je n’ai jamais rencontré ces comportements.]

          Vous voulez dire que vous avez travaillé dans quarante entreprises de 200 à 30.000 salariés dans lesquelles les actionnaires non seulement ne souhaitaient pas maximiser le profit tiré de leur investissement, mais se contentaient de n’en tirer aucun ?

          [Notre travail était reconnu, et nous étions dans des relations saines, entre tous les niveaux hiérarchiques. Bien sûr il y avait des loupés (un gars de la CGT qui tire au pistolet sur son patron – exemple pour changer du sempiternel patrons voyous).]

          J’ai du mal à comprendre. Si les relations étaient saines entre tous les niveaux hiérarchiques et que votre travail était reconnu, comment un salarié en est arrivé à tirer au pistolet sur son patron ? A moins que ce soit un coup de folie ou un cas psychiatrique, vous ne trouvez pas qu’il y a entre les deux termes de votre affirmation une petite contradiction ?

          [Mais notre actionnaire réinvestissait la totalité des profits,]

          Possible. Cela n’implique nullement qu’on sacrifie l’intérêt de l’actionnaire : l’investissement augmente la valeur de l’entreprise, et donc la valeur des actions qu’il détient. La véritable question n’est pas tant de savoir ce qu’on fait avec les profits (que l’actionnaire les touche sous forme de dividendes ou sous forme d’augmentation de la valeur des actions ne change rien) mais comment on cherche à les maximiser. Si vous me dites que dans les 40 entreprises ou vous avez travaillé, lorsqu’une nouvelle machine augmentait la productivité les actionnaires préféraient augmenter les salaires plutôt que les profits, j’aurais beaucoup de mal à vous croire….

          Il faut effectivement “arrêter de parler de l’entreprise sans savoir”, et revenir aux réalités. Une entreprise est créée avec un seul et unique objectif: faire gagner de l’argent à son fondateur. Personne ne met du capital dans une entreprise pour rendre service à ses concitoyens ou pour défendre les couleurs de son pays. Si l’on a envie d’aider son prochain, on crée une association, une fondation ou même une administration, mais pas une entreprise. La raison d’être de l’entreprise, c’est de faire gagner de l’argent à son propriétaire. Tout le reste…

  3. Bonjour Descartes,
     
    Je suis globalement d’accord avec votre constat.
     
    [Une société où « tout le monde est Charlie », mais où comme à Ollioules l’ensemble de la « communauté éducative » (100% des professeurs, 89% des parents et 69% des élèves, selon LCI) ont voté « non » à la proposition de la mairie de renommer le collège pour lui donner le nom de Samuel Paty, au motif que cela « transformerait le collège en cible ». Depuis quand on abdique en France l’honneur d’être une cible ?]
    Je note que les élèves sont un peu moins lâches que les adultes…
    Mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Dans une société où l’héroïsme, le courage, l’honneur, l’abnégation ont été disqualifiés depuis des années, il paraît difficile de demander aux gens, brusquement, de se conduire comme des héros. Les vertus ne sont pas innées, il faut les cultiver, les favoriser. Les gens sont les produits de la société qui les a formés, et cette société est devenue molle à force de renoncements. Les dirigeants (y compris ceux de l’Education Nationale) ont encouragé depuis des décennies une forme de passivité en expliquant que la situation n’était pas si grave, qu’il fallait éviter de faire des vagues, et l’on s’étonne aujourd’hui que les gens soient devenus des moutons. De qui se moque-t-on?
    Par ailleurs, les gens ne sont pas fous: tout le monde sait que l’Etat, les élus, les milieux intellectuels, bref les élites, ont la pétoche devant les musulmans (comme devant les écolos de Notre-Dame-des-Landes ou les black bloc des manifs, bref devant tout groupe déterminé et prêt à la violence). Ils savent pertinemment que nous sommes faibles face à l’islamisme. Chaque attentat, chaque attaque a renforcé l’islam conquérant. Après Charlie, après le Bataclan, on a pu se dire: “les choses vont changer”, seulement les choses ne changent pas, au contraire, nos dirigeants refusent de réarmer les esprits de peur d’alimenter le nationalisme, l’islamophobie, le repli identitaire, etc. L’islam se radicalise et se renforce, et on est incapable d’arrêter le processus. Un collège Samuel Paty? C’est la garantie d’un carnage dans les six mois. Et ce n’est pas avec un discours officiel mou sur le “vivre-ensemble” et le “respect de la différence” qu’on arme les consciences et les esprits.
     
    Maintenant, si être une cible est un honneur, je me permets cette question un peu abrupte, et je m’en excuse: accepteriez-vous de placarder en grosses lettres “Vive Samuel Paty!” sur votre voiture et d’aller faire quelques tours dans les cités séquano-dionysiennes?
     
    Il est d’ailleurs assez savoureux que la proposition vienne d’une mairie (les collèges dépendent cependant des conseils départementaux, d’ailleurs celui de mon département a fait la même proposition au collège où travaille ma femme, avec la même réaction qu’à Ollioules, ce que je comprends parfaitement), quand on sait que de nombreuses mairies sont coupables depuis des années de pratiquer du clientélisme communautaire et d’accepter des accommodements raisonnables…
     
    Je suis favorable à ce qu’on rebaptise des collèges du nom de Samuel Paty, à condition que cela s’inscrive dans une politique globale, pensée, cohérente, déterminée. Ras-le-bol des actes symboliques dictés par l’émotion du moment, et qui sont autant de feux de paille.

    • Descartes dit :

      @ nationaliste-ethniciste

      [Je note que les élèves sont un peu moins lâches que les adultes…]

      Encore heureux ! Mais je trouve inquiétant que plus de deux élèves sur trois, à un âge qui est encore celui de tous les possibles, votent déjà « non » à une telle proposition.

      [Mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Dans une société où l’héroïsme, le courage, l’honneur, l’abnégation ont été disqualifiés depuis des années, il paraît difficile de demander aux gens, brusquement, de se conduire comme des héros. Les vertus ne sont pas innées, il faut les cultiver, les favoriser. Les gens sont les produits de la société qui les a formés, et cette société est devenue molle à force de renoncements.

      Si par là vous voulez dire par là que le choix des les élèves, les enseignants et les parents d’élèves d’Ollioules n’est pas tout à fait individuel, qu’il s’inscrit dans un mouvement général de la société qui les dépasse largement, je suis bien entendu d’accord. D’ailleurs le cas d’Ollioules n’est pas unique, puisque la même situation s’est produite au Cap d’Ail. Mais l’éducation et la pression médiatique n’excusent pas tout, et les individus conservent une marge de liberté – et donc de responsabilité – dans leurs engagements.

      [Les dirigeants (y compris ceux de l’Education Nationale) ont encouragé depuis des décennies une forme de passivité en expliquant que la situation n’était pas si grave, qu’il fallait éviter de faire des vagues, et l’on s’étonne aujourd’hui que les gens soient devenus des moutons. De qui se moque-t-on ?]

      Je ne suis pas particulièrement étonné, et vous avez tout à fait raison. Les vertus civiques ne sont pas innées, elles dépendent de que la Cité elle-même met en exergue. L’idée que les affaires publiques sont NOS affaires au point qu’elles méritent que nous risquions notre vie et nos biens à leur profit n’est en rien naturelle, elle fait partie d’un « récit » social, un récit qui va à l’opposé de celui qu’on entend aujourd’hui, et qui met le bonheur et l’enrichissement individuel au-dessus de tout. On ne met pas l’entrepreneur en haut du podium à la place de l’enseignant, du politique ou du serviteur de l’Etat impunément…

      [Après Charlie, après le Bataclan, on a pu se dire: “les choses vont changer”, seulement les choses ne changent pas, au contraire, nos dirigeants refusent de réarmer les esprits de peur d’alimenter le nationalisme, l’islamophobie, le repli identitaire, etc. L’islam se radicalise et se renforce, et on est incapable d’arrêter le processus.]

      Sur ce point, je suis en total désaccord avec vous. Les choses ont changé. Malgré les résistances d’une partie des élites, certains débats qui hier étaient évacués d’un revers de manche avec l’invocation du « diable de confort » qu’était le Front National, sont aujourd’hui posés clairement sur la table, y compris à l’Assemblée nationale. Vous pouvez dire que cela ne va pas assez loin, j’ajouterais surtout que les solutions proposés n’ont aucune cohérence. Mais on ne peut pas dire que les choses « ne changent pas ».

      [Un collège Samuel Paty? C’est la garantie d’un carnage dans les six mois. Et ce n’est pas avec un discours officiel mou sur le “vivre-ensemble” et le “respect de la différence” qu’on arme les consciences et les esprits.]

      Bien entendu, je partage tout à fait votre remarque. Cela étant dit, mon papier allait bien plus loin que le cas particulier de Samuel Paty ou la problématique de l’immigration. La logique du « care » poussée à l’extrême dans notre société, que ce soit par le versant « victimiste » ou celui qui croit indispensable de garder les citoyens dans du coton, d’élever la jeunesse dans le mensonge de peur de la « traumatiser » touche l’ENSEMBLE des questions. Elle dissout toute pensée dans une espèce de bisounoursisme sirupeux.

      [Maintenant, si être une cible est un honneur, je me permets cette question un peu abrupte, et je m’en excuse : accepteriez-vous de placarder en grosses lettres “Vive Samuel Paty!” sur votre voiture et d’aller faire quelques tours dans les cités séquano-dionysiennes ?]

      Probablement pas. Mais ce serait là une initiative personnelle, et non institutionnelle. Par contre, si l’administration décidait de renommer le bâtiment ou je travaille du nom de Samuel Paty, je ne m’opposerais certainement pas – ou en tout cas pas pour cette raison.

      [Je suis favorable à ce qu’on rebaptise des collèges du nom de Samuel Paty, à condition que cela s’inscrive dans une politique globale, pensée, cohérente, déterminée. Ras-le-bol des actes symboliques dictés par l’émotion du moment, et qui sont autant de feux de paille.]

      Je partage. Donner le nom d’une personne à un bâtiment public, c’est donner cette personne en exemple. Et cela n’a de sens que si cette mise en exemple est assumée institutionnellement.

      • Vincent dit :

        @Descartes, N-E
         

        [Je suis favorable à ce qu’on rebaptise des collèges du nom de Samuel Paty, à condition que cela s’inscrive dans une politique globale, pensée, cohérente, déterminée. Ras-le-bol des actes symboliques dictés par l’émotion du moment, et qui sont autant de feux de paille.]
        Je partage. Donner le nom d’une personne à un bâtiment public, c’est donner cette personne en exemple. Et cela n’a de sens que si cette mise en exemple est assumée institutionnellement.

         
        Je suis en désaccord là dessus avec vous deux : S. Paty a été une victime absolument de l’islamisme. Mais il n’a jamais cherché à attaquer l’islamisme, à s’inscrire dans un combat (politique, idéologique, ou autre). Il n’y a aucun héroïsme à célébrer. Et sans vouloir insulter sa mémoire, aucun courage particulier à honorer.
        Rien à voir de ce point de vue avec un A. Beltrame.
        En célébrant S. Paty, on renforce le message trop permanent dans notre société que le graal est de pouvoir acquérir le statut de victime avec la visibilité médiatique associée. S. Paty a atteint le statut de victime absolue, et donc on le célèbre. Non. Pour moi, ça ne peut pas aller comme ça.
        Si un militant, un imam, un journaliste qui s’engage politiquement pour combattre l’islamisme, malgré des menaces de mort, se faisait assassiner, là, je dirais 1000 fois oui. Mais S. Paty n’est vraiment pas, je pense, le symbole qu’il faut à notre République.

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [Je suis en désaccord là dessus avec vous deux : S. Paty a été une victime absolument de l’islamisme. Mais il n’a jamais cherché à attaquer l’islamisme, à s’inscrire dans un combat (politique, idéologique, ou autre). Il n’y a aucun héroïsme à célébrer. Et sans vouloir insulter sa mémoire, aucun courage particulier à honorer. Rien à voir de ce point de vue avec un A. Beltrame.]

          Ça se discute. A la lecture du rapport de l’inspection, il semblerait que Samuel Paty ait été parfaitement conscient des menaces qui pesaient sur lui, et qu’il ait malgré elles maintenu sa position (et cela malgré les critiques de ses collègues…). Ce n’est peut-être pas de l’héroïsme, mais c’est tout de même un geste de courage. D’un courage qui, contrairement à celui du geste de Beltrame, est à la portée de chacun d’entre nous. Et l’affaire d’Ollioules montre à contrario combien ce type de courage mérite d’être montré en exemple.

          [En célébrant S. Paty, on renforce le message trop permanent dans notre société que le graal est de pouvoir acquérir le statut de victime avec la visibilité médiatique associée.]

          La question que vous posez est celle du type de récit qu’on associe à Samuel Paty. C’était déjà le cas avec « Charlie » : on peut raconter un récit « victimiste », celui de gens qui n’auraient « rien fait de mal » et qui pourtant ont été abattus ; et on peut raconter le récit « militant », c’est-à-dire, parler de gens qui ont été abattus PARCE QUE ils constituaient une véritable menace pour des intérêts locaux ou étrangers. On peut choisir de présenter l’affaire Paty comme celle de Charlie comme le fait de quelques fous – ce qui fait d’eux des « victimes » – ou comme les sujets d’un acte politique, ce qui en fait des militants.

          Je pense que donner le nom de Paty à un collège ne sert que si le récit qui accompagne ce changement de nom est un récit politique. Autrement, cela ne ferait qu’alimenter le victimisme ambiant.

          • Vincent dit :

            @Descartes

            Je pense que donner le nom de Paty à un collège ne sert que si le récit qui accompagne ce changement de nom est un récit politique. Autrement, cela ne ferait qu’alimenter le victimisme ambiant.

            Je vous avoue ne pas m’être particulièrement penché sur les détails de cette affaire. Et il est possible que mon opinion se soit basée sur une vision imparfaite.
            Force est tout de même de reconnaitre que le “discours ambiant” fait plutôt de Paty une victime innocente qu’un militant de la laïcité. Dans ce cadre, donner son nom à un lycée me semble inopportun.
             
            En revanche, et je vous rejoins, si ce discours pouvait être remplacé par un discours faisant de lui un militant silencieux de la laïcité, qui faisait respecter des principes républicains avec fermeté, à son niveau, et est tombé à cause de son intransigeance républicaine… Alors, là, oui, je signerais des deux mains pour que son nom soit récupéré !

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Force est tout de même de reconnaitre que le “discours ambiant” fait plutôt de Paty une victime innocente qu’un militant de la laïcité. Dans ce cadre, donner son nom à un lycée me semble inopportun.]

              Il est vrai qu’une bonne partie de l’opinion bienpensante a cherché à faire de lui une « victime ». Ca me rappelle ce que racontait l’écrivain argentin Osvaldo Soriano lorsque de retour à Buenos Aires après la fin de la dictature des généraux (1976-83) il s’était retrouvé dans une soirée avec un ami qui lui avait raconté que « untel avait dit que pour devoir t’exiler, tu avais du faire quelque chose, et moi je t’ai défendu en disant que tu n’avais rien fait ». Et Soriano lui avait répondu : « tu as eu tort, parce que pour être exilé, j’ai bien fait quelque chose ! ».

              [En revanche, et je vous rejoins, si ce discours pouvait être remplacé par un discours faisant de lui un militant silencieux de la laïcité, qui faisait respecter des principes républicains avec fermeté, à son niveau, et est tombé à cause de son intransigeance républicaine… Alors, là, oui, je signerais des deux mains pour que son nom soit récupéré !]

              C’est bien ce que je voulais dire. Lorsqu’on fabrique un symbole, ce sont moins les actes que le « récit » qui importe.

        • @ Vincent,
           
          [Mais il n’a jamais cherché à attaquer l’islamisme, à s’inscrire dans un combat (politique, idéologique, ou autre). Il n’y a aucun héroïsme à célébrer.]
          Je vous répondrai ce que me disait un formateur lorsque j’étais stagiaire: “qu’on le veuille ou non, notre enseignement bouscule les idées et les préjugés dont les élèves sont imprégnés par leur milieu familial”. Un professeur qui fait son travail, de facto, combat l’islamisme (et tout fondamentalisme religieux, en réalité). Vous avez raison, ce n’est pas de l’héroïsme, au sens où Paty n’a pas cherché à se mettre délibérément en danger, il a été dépassé par les événements. Mais je pense qu’on peut lui accorder une forme de courage dans la façon dont il a fait son travail.
           
          @ Descartes,
           
          [Et l’affaire d’Ollioules montre à contrario combien ce type de courage mérite d’être montré en exemple.]
          Je me permets de porter cette information à votre connaissance:
          https://actu.orange.fr/france/un-professeur-sous-escorte-policiere-pour-avoir-pris-la-defense-de-samuel-paty-magic-CNT000001wZuKY.html
           
          Je me permettrai trois remarques:
          1) Cet exemple montre que le péril est réel et la réaction du personnel et des parents d’Ollioules, si elle n’est pas reluisante, peut s’expliquer de manière rationnelle. La police, en tout cas, a jugé la menace sérieuse.
           
          2) La réaction de certains élèves (et ce sont des lycéens) montre que l’emprise communautaire et religieuse est dans certains secteurs très forte. Et ces secteurs se multiplient, ne nous voilons pas la face.
           
          3) “Je constate que la République a failli à Trappes” déclare ce collègue, qui enseigne la philosophie depuis 20 ans. Je vous invite Descartes, à bien méditer cette phrase, à sous-peser chaque mot, à vous demander si ça ne concerne que Trappes. Une fois de plus, le rôle de messager de malheur m’est dévolu, mais je vous le redis: la situation est d’une gravité que vous ne semblez pas percevoir. 

          • Descartes dit :

            @ nationaliste-ethniciste

            [Je me permets de porter cette information à votre connaissance: (…)]

            Merci, mais j’étais au courant… j’avais même lu son papier dans « l’Obs ».

            [1) Cet exemple montre que le péril est réel et la réaction du personnel et des parents d’Ollioules, si elle n’est pas reluisante, peut s’expliquer de manière rationnelle. La police, en tout cas, a jugé la menace sérieuse.]

            Je ne crois pas avoir dit que la réaction de la « communauté éducative » d’Ollioules soit irrationnelle. La lâcheté est souvent une conduite rationnelle de court terme, là où le courage est une conduite rationnelle à long terme.

            [2) La réaction de certains élèves (et ce sont des lycéens) montre que l’emprise communautaire et religieuse est dans certains secteurs très forte. Et ces secteurs se multiplient, ne nous voilons pas la face.]

            Loin de moi l’idée de « me voiler la face ».

            [3) “Je constate que la République a failli à Trappes” déclare ce collègue, qui enseigne la philosophie depuis 20 ans. Je vous invite Descartes, à bien méditer cette phrase, à sous-peser chaque mot, à vous demander si ça ne concerne que Trappes. Une fois de plus, le rôle de messager de malheur m’est dévolu, mais je vous le redis : la situation est d’une gravité que vous ne semblez pas percevoir.]

            Je ne comprends pas très bien pourquoi vous persistez à penser que je ne perçois pas la gravité de la situation. La fréquence avec laquelle ces sujets sont abordés sur ce blog à elle seule devrait vous montrer l’importance que j’accorde à la question. Et je ne pense pas avoir été tendre ici avec ceux qui à gauche – ma famille d’origine – ont pendant des années refusé de voir les problèmes. Je peux même vous dire que, jeune militant, j’ai soutenu à fonds la position du PCF qui appelait au contrôle de l’immigration et au maintien des pressions assimilatoires et je me suis fait traiter de « raciste » et de « xénophobe » par les bienpensants.

            Notre différence ne réside pas dans le DIAGNOSTIC, mais dans les REMEDES qui nous semblent les plus efficaces. Vous ne voyez pas d’autre solution qu’un retour à l’homogénéité ethnique, je pense possible de rétablir une forme d’homogénéité par l’assimilation. Mais je ne pense pas qu’on puisse m’accuser de négliger la gravité de la situation, ou de me « voiler la face ». Cela étant dit, je ne suis pas d’accord avec l’idée que « la Republique a failli », à Trappes ou ailleurs. La République, c’est la laïcité, c’est la séparation des sphères publique et privée, c’est l’intérêt général au-dessus des intérêts particuliers ou communautaires. Ce qu’on voit à Trappes et ailleurs, ce n’est pas la faillite de la République : ce sont les conséquences du fait que nos gouvernements, nos élites, nos classes dominantes ont trahi la République.

            • @ Descartes,
               
              [Merci, mais j’étais au courant…]
              Autant pour moi, je l’ignorais.
               
              [La lâcheté est souvent une conduite rationnelle de court terme, là où le courage est une conduite rationnelle à long terme.]
              Exposer des enfants à la violence me paraît assez discutable en terme de courage. J’ajoute que la mairie, dans l’exemple d’Ollioules (et le conseil départemental dans celui de l’établissement de ma femme), fait preuve d’un courage qui ne lui coûte pas cher: d’autres supportent le risque… Pourquoi ne pas baptiser la salle des délibérations de la mairie (ou du conseil départemental) “salle Samuel Paty” avec son portrait à l’entrée? Avant de demander du courage aux autres, ne faut-il pas donner l’exemple?
               
              [Je peux même vous dire que, jeune militant, j’ai soutenu à fonds la position du PCF qui appelait au contrôle de l’immigration et au maintien des pressions assimilatoires et je me suis fait traiter de « raciste » et de « xénophobe » par les bienpensants]
              Qu’entendez-vous par “contrôle de l’immigration”?
               
              [je pense possible de rétablir une forme d’homogénéité par l’assimilation.]
              Mais, même pour faire cela, vous serez obligé d’expulser, vous verrez. Parce que je vous rappelle que lorsque la France a assimilé les Italiens ou les Polonais, elle n’a assimilé que ceux qui sont restés. Et ils ne sont pas tous restés, certains ont été réexpédiés dans le cher pays d’origine… Or votre discours est quand même celui-ci: “les immigrés sont là, il faut faire avec, on ne va pas les chasser”. Si vous vous interdisez d’en chasser certains, vous n’assimilerez personne…
               
              [La République, c’est la laïcité, c’est la séparation des sphères publique et privée, c’est l’intérêt général au-dessus des intérêts particuliers ou communautaires.]
              Si c’est juste ça la République, ça ne fait pas rêver. En tout cas, moi, ça ne me fait pas rêver. D’ailleurs, je ne comprends pas cette espèce de sacralisation de la laïcité, qui pousse certains à affirmer que “la France, c’est la laïcité”. Cela me paraît un peu réducteur. La laïcité est simplement un principe de séparation du politique et du religieux. Je n’y suis pas hostile, mais je trouve qu’on y accorde beaucoup trop d’importance. Au demeurant, il n’y a pas vraiment de problème de laïcité en France. Le problème, ce sont des populations, des communautés, qui rejettent la sécularisation de la société, c’est un autre problème.
               
              [Ce qu’on voit à Trappes et ailleurs, ce n’est pas la faillite de la République : ce sont les conséquences du fait que nos gouvernements, nos élites, nos classes dominantes ont trahi la République.]
              Là, on a quand même un gros problème: quand vous avez des dirigeants qui depuis des décennies se gargarisent du mot “République” tout en affaiblissant et en appauvrissant la France, qui se permettent de distribuer des “brevets de républicanité”, il arrive un moment où des gens finissent par conclure de bonne foi que la République n’est pas le régime qui sert au mieux les intérêts du pays. Et si la “vraie République” n’est plus défendue que par des partis dits extrémistes et donc presque par définition anti-républicains, cela ne contribue pas à clarifier le débat, avouez-le. Personnellement, je me méfie du discours “mais ce n’est pas ça la République, la vraie”. On nous a si souvent fait le coup avec “mais ce n’est pas ça l’Europe, la vraie”… 

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« La lâcheté est souvent une conduite rationnelle de court terme, là où le courage est une conduite rationnelle à long terme. » Exposer des enfants à la violence me paraît assez discutable en terme de courage.]

              Cela dépend ce qu’on gagne à les exposer, ou ce qu’on perd à ne pas les exposer. Les résistants exposaient leurs familles à des dangers importants. Diriez-vous qu’ils ont eu tort ?

              [J’ajoute que la mairie, dans l’exemple d’Ollioules (et le conseil départemental dans celui de l’établissement de ma femme), fait preuve d’un courage qui ne lui coûte pas cher: d’autres supportent le risque…]

              Je vous trouve injuste. S’il devait y avoir un attentat contre le collège en question, on reprocherait certainement au maire le changement de nom et les électeurs seraient certainement sensibles. Sans compter sur les parents d’élèves qui ne manqueraient pas de demander des dommages et intérêts à la municipalité. Proposer ce changement de nom, c’est prendre un risque politique. Même si par le jeu de la « consultation » cette responsabilité se trouve un peu diluée…

              [Pourquoi ne pas baptiser la salle des délibérations de la mairie (ou du conseil départemental) “salle Samuel Paty” avec son portrait à l’entrée? Avant de demander du courage aux autres, ne faut-il pas donner l’exemple?]

              Donner à la salle du conseil municipal le nom de Paty, c’est comme donner à la salle des fêtes du collège le nom d’un conseiller municipal. S’il faut rendre hommage à Paty, que son nom soit donné à une institution d’enseignement me semble logique.

              [« Je peux même vous dire que, jeune militant, j’ai soutenu à fonds la position du PCF qui appelait au contrôle de l’immigration et au maintien des pressions assimilatoires et je me suis fait traiter de « raciste » et de « xénophobe » par les bienpensants » Qu’entendez-vous par “contrôle de l’immigration”?]

              Limitation de l’immigration en fonction des capacités d’accueil du pays. Dans le contexte de l’époque, cela impliquait la fermeture totale de l’immigration de travail et une politique restrictive de regroupement familial.

              [« je pense possible de rétablir une forme d’homogénéité par l’assimilation. » Mais, même pour faire cela, vous serez obligé d’expulser, vous verrez. Parce que je vous rappelle que lorsque la France a assimilé les Italiens ou les Polonais, elle n’a assimilé que ceux qui sont restés. Et ils ne sont pas tous restés, certains ont été réexpédiés dans le cher pays d’origine… Or votre discours est quand même celui-ci: “les immigrés sont là, il faut faire avec, on ne va pas les chasser”. Si vous vous interdisez d’en chasser certains, vous n’assimilerez personne…]

              Je ne crois pas avoir soutenu une telle position, au contraire : j’ai bien dit que pour moi l’assimilation ne pouvait se faire que si la société exerce une pression continue, et que cette pression s’articule sur le fait que seuls pourront rester ceux qui l’acceptent. Je ne rejette pas par principe l’expulsion. Tout ce que je dis, c’est qu’il faut offrir un choix : l’assimilation ou le départ. L’étranger qui n’accepte aucun des termes de ce choix ne peut avoir qu’un statut de résident précaire et révocable dès lors que son maintien sur le territoire ne présente aucun intérêt pour la nation.

              [« La République, c’est la laïcité, c’est la séparation des sphères publique et privée, c’est l’intérêt général au-dessus des intérêts particuliers ou communautaires. » Si c’est juste ça la République, ça ne fait pas rêver. En tout cas, moi, ça ne me fait pas rêver.]

              Et vous avez raison. Les institutions ne font jamais rêver. Ce n’est pas leur fonction. Ce qui peut faire rêver, c’est le « récit » que l’institution construit autour d’elle. En 1880, en 1945 la République a construit un récit qui faisait rêver. Aujourd’hui, je vous l’accorde volontiers, ce n’est pas le cas. Tout simplement parce que l’individualisme ambient a mis à bas tous les « récits » collectifs.

              [D’ailleurs, je ne comprends pas cette espèce de sacralisation de la laïcité, qui pousse certains à affirmer que “la France, c’est la laïcité”. Cela me paraît un peu réducteur. La laïcité est simplement un principe de séparation du politique et du religieux. Je n’y suis pas hostile, mais je trouve qu’on y accorde beaucoup trop d’importance.]

              La laïcité ne se réduit pas à la séparation du politique et du religieux. C’est aussi la séparation du droit et du religieux, du savoir et du religieux, bref, la séparation du religieux de l’ensemble de la sphère publique, et son cantonnement dans la sphère privée. Ce qui différentie la France de beaucoup d’autres pays, c’est que cette séparation a commencé chez nous bien plus tôt et a été bien plus loin que dans n’importe quel autre pays. Ce n’est pas par hasard si « cartésien » est dans beaucoup de domaines synonyme de « français » …

              [Au demeurant, il n’y a pas vraiment de problème de laïcité en France. Le problème, ce sont des populations, des communautés, qui rejettent la sécularisation de la société, c’est un autre problème.]

              Je suis pour l’essentiel d’accord avec cette affirmation. Et je l’ai souvent dit sur ce blog : le voile n’est ni un problème de laïcité, ni un problème de droit des femmes. C’est un problème de séparatisme, c’est-à-dire, d’une communauté qui prétend se séparer du reste du corps social pour vivre en accord avec ses propres règles. On a tort, à mon avis, de faire dire à la laïcité ce qu’elle ne dit pas.

              Cela étant dit, c’est bien la logique de la laïcité qui pose des problèmes à beaucoup de musulmans, et qui rend problématique l’image de la France dans beaucoup de pays musulmans – mais aussi dans certains pays anglo-saxons.

              [Là, on a quand même un gros problème: quand vous avez des dirigeants qui depuis des décennies se gargarisent du mot “République” tout en affaiblissant et en appauvrissant la France, qui se permettent de distribuer des “brevets de républicanité”, il arrive un moment où des gens finissent par conclure de bonne foi que la République n’est pas le régime qui sert au mieux les intérêts du pays.]

              Et on peut les comprendre, tout à fait. C’est pourquoi la dénonciation de ces « faux républicains » et la déconstruction de leur discours est à mon sens un travail de salut public. C’est précisément parce que le « récit » républicain faisait rêver que tant de parasites ont cherché à se l’approprier, quitte à l’utiliser pour défendre des idées qui auraient fait se retourner dans leurs tombes les fondateurs de la République.

  4. Luc dit :

    La jeunesse est exigeante et nombreux sont les étudiants qui récusent cette ‘charité déplacée’.Certains étudiants ont même abandonné leurs études ,dégoutés suite à de telles attitudes démagogiques.
    Or je n’arrive pas à leur dire bravo mais au fond je comprends leurs motivations.
    Mais faire des études n’est ce pas aussi ‘faire ses humanités’ avec ces travers aussi?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [Mais faire des études n’est ce pas aussi ‘faire ses humanités’ avec ces travers aussi?]

      Certainement. Il faut bien que jeunesse se passe, et c’est pourquoi mon propos était moins acerbe envers les jeunes qu’envers les adultes qui sont censés – et payés pour – les encadrer, leur enseigner des méthodes de travail, leur fixer des exigences, et leur tenir un discours cohérent mettant en exergue les valeurs qui feront d’eux de bons citoyens et des êtres pensants (ce qui, dans mon esprit, c’est un peu la même chose). Ce qui me gêne beaucoup, c’est que ces adultes se conçoivent non pas comme éducateurs dont la fonction est de transmettre, mais comme des soignants dont la fonction est d’être “gentils” avec leurs étudiants.

      Un enseignant n’est pas un soignant, et l’Université n’est pas un lieu pour soigner les dépressions ou les angoisses. C’est la confusion de ces deux rôles qui est pour moi le problème. Et l’Université n’est qu’un exemple: lorsque je vois un ministre essayer de nous remonter le moral, je pense la même chose.

  5. canard dit :

    [Je ne dis pas non, mais je ne sais pas comment on fait pour “mettre un article en billet sur Médiapart”]
    Je pense qu’il faut être abonné.
    Sans vous en rendre compte vous m’ôtez un problème . J’ai posté un commentaire l’autre jour sur Médiapart qui allait dans votre sens : je me suis fait injurier, mes propos tenant du pétainisme ! 
    Pourtant je basais mon commentaire sur ma propre expérience d’étudiant dans les années 1975-1980.
    Nous sommes dans une société qui s’en va à vau- l’eau  ,  nous sommes dans une “storrytelling” qui n’est faite que pour encenser la réussite du capitalisme. 
     

    • Descartes dit :

      @ canard

      [Je pense qu’il faut être abonné.]

      Je ne vais certainement pas m’abonner à ce torchon sensationnaliste qu’est Médiapart. Pas un sou pour Plenel et sa clique…

      [Sans vous en rendre compte vous m’ôtez un problème . J’ai posté un commentaire l’autre jour sur Médiapart qui allait dans votre sens : je me suis fait injurier, mes propos tenant du pétainisme !]

      Voilà ce qui arrive quand on va chez les trotskos… La logique du “cercle de la raison” ne se trouve pas que chez Alain Minc. Elle traverse l’ensemble de la gauche. Si vous n’êtes pas dans la ligne, vous avez le choix entre le rôle de l’idiot ou celui du traître. Saviez-vous que par ailleurs mon blog est catalogué parmi les “blogs conservateurs” ?

      • canard dit :

        [Je ne dis pas non, mais je ne sais pas comment on fait pour “mettre un article en billet sur Médiapart”…]
        Vous dites bien “je ne dis pas non” vous n’excluez donc pas de mettre votre article sur ce site tout de même ! 
        “blogs conservateurs” 
        je vous avoue que je ne sais pas trop bien où vous situer “politiquement” . A priori vous n’aimez pas les trotskystes (trotskos de mediapart) , vous n’aimez pas LFI, mais Zemmour est très cultivé …

        • Descartes dit :

          @ canard

          [Vous dites bien “je ne dis pas non” vous n’excluez donc pas de mettre votre article sur ce site tout de même !]

          Je n’exclus la publication de mes cogitations dans aucun moyen de diffusion. Si le magazine de la NPA ou celui du FN ont envie de reprendre mes articles, ils sont libres de le faire à condition d’indiquer la source. Par contre, j’exclus sans hésiter de m’abonner à Médiapart !

          [“blogs conservateurs” je vous avoue que je ne sais pas trop bien où vous situer “politiquement”.]

          Je ne me considère pas « conservateur » au sens que souvent les conservateurs veulent préserver dans le passé ce qu’il y a de pire. Je me positionne clairement pour un changement du mode de production qui conduise à une socialisation des grands moyens de production et d’échange, pour reprendre l’expression consacrée. Je doute que cela me place dans le courant « conservateur ».

          Par contre, je suis effectivement attaché à la connaissance du passé et des traditions, sensible aux questions de filiation et de transmission, et ces éléments sont considérés aujourd’hui dans la « gauche radicale » comme des marqueurs du conservatisme… après, je vous laisse choisir.

          [A priori vous n’aimez pas les trotskystes (trotskos de mediapart) , vous n’aimez pas LFI,]

          Pléonasme, pléonasme… je n’aime pas les méta-trotskystes de Médiapart exactement pour la même raison que je n’aime pas les méta-trotskystes de LFI.

          [mais Zemmour est très cultivé …]

          Et alors ? Le fait de reconnaître que Jean-Marie Le Pen est très cultivé vous place à l’extrême droite ? Le fait de reconnaître qu’Alain Badiou est très cultivé ferait de vous le suppôt de l’extrême gauche ? Que Zemmour est très cultivé, cela s’impose comme une évidence à quiconque écoute ses interventions, toujours parsemées de références historiques et de citations exactes. Après, on peut toujours être en désaccord avec lui, mais cela ne retire rien à sa culture. Je n’ai jamais pensé que les gens avec qui je ne suis pas d’accord soient nécessairement des imbéciles… remarquez, rien que cela fait probablement de moi un « conservateur »…

          • @ Descartes,
             
            [Je ne me considère pas « conservateur » au sens que souvent les conservateurs veulent préserver dans le passé ce qu’il y a de pire.]
            Mathieu Bock-Côté (qui assume d’être conservateur) dit en substance ceci: “le réactionnaire est celui qui rejette en bloc la modernité. Le conservateur, tel que je le définis, accepte la modernité mais cherche à en éviter les excès. Par ailleurs, le conservateur pense que la nation, la tradition, l’idée d’enracinement ne sont pas condamnables.”
            Par “excès de la modernité”, Bock-Côté, de ce que je comprends, désigne les nouvelles lubies “progressistes” (lui-même est Québécois, et bien placé pour connaître les dérives des sociétés nord-américaines).
             
            De manière générale, je trouve que Bock-Côté propose des analyses intéressantes, notamment sur la mécanique du politiquement correcte. Sa faiblesse, je trouve, est qu’il raisonne en terme d’idéologie pure, et que, contrairement à vous, il n’établit pas de lien entre le rapport de force économique et la production d’idéologie. Mais bon, son “conservatisme” me paraît compatible avec les idées que vous défendez. 

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Je ne me considère pas « conservateur » au sens que souvent les conservateurs veulent préserver dans le passé ce qu’il y a de pire. » Mathieu Bock-Côté (qui assume d’être conservateur) dit en substance ceci: “le réactionnaire est celui qui rejette en bloc la modernité. Le conservateur, tel que je le définis, accepte la modernité mais cherche à en éviter les excès. Par ailleurs, le conservateur pense que la nation, la tradition, l’idée d’enracinement ne sont pas condamnables.”]

              D’abord, je tiens à m’excuser, je me suis mal exprimé. La citation exacte est « la différence entre le conservateur et le réactionnaire, c’est que le réactionnaire veut garder dans le passé ce qu’il y a de pire ». C’est pourquoi je ne suis pas particulièrement gêné d’être classé parmi les « conservateurs ». Je crois d’ailleurs avoir fait mienne plusieurs fois la formule de Bartes : « soudain, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne »… j’adhère donc largement à la formule de Bock-Côté que vous citez.

              [De manière générale, je trouve que Bock-Côté propose des analyses intéressantes, notamment sur la mécanique du politiquement correcte. Sa faiblesse, je trouve, est qu’il raisonne en termes d’idéologie pure, et que, contrairement à vous, il n’établit pas de lien entre le rapport de force économique et la production d’idéologie. Mais bon, son “conservatisme” me paraît compatible avec les idées que vous défendez.]

              Je n’ai pas lu grande chose de lui, il faudrait que j’approfondisse. Je l’ai entendu chez Finkielkraut, et effectivement il est dans une logique formellement assez proche de la mienne. Cela étant dit, les mots n’ont pas forcément le même sens dans une approche idéaliste et dans une approche matérialiste…

          • Vincent dit :

            @Descartes

            [Je ne me considère pas « conservateur » au sens que souvent les conservateurs veulent préserver dans le passé ce qu’il y a de pire.]

             
            Je vous taquine un peu… mais connaissez vous quelqu’un qui se définit comme conservateur avec cette définition ?

          • canard dit :

            [Et alors ? Le fait de reconnaître que Jean-Marie Le Pen est très cultivé vous place à l’extrême droite ?]
            Bien sûr que non ! Ne s’intéresser qu’à des personnes , des publications , des sites internet qui sont de votre idéologie ne relève que d’un confort intellectuel. 
            Si vous pouviez voir la diversité de blogs et autres sites qui sont dans mes favoris vous seriez peut-être surpris. 
            Maintenant le tout est de savoir ce que l’on en fait et comment on le construit dans nos pensées.
            Je l’ai déjà dit et je le revendique: je suis néophyte en politique et questions sociétales.
            Je suis intoxiqué par les sciences dures , je souhaite rétablir un équilibre intellectuel.

          • Eth dit :

            Lorsque l’apothéose du progressisme consiste à pondre des oeufs (ectogénèse), ce qui en soi est une des stratégies possible dans la nature.et en une sorte de parthénogenèse?/gynogenèse ? (F.I.V. puis P.M.A.)Je ne suis pas biologiste, et les termes utilisés sont sans doute inexacts; mais ça n’a pas l’air d’aller dans le sens d’une plus grande diversité génétique/stratégie K, investissement dans la survie et l’éducation des jeunes, etc…A mon sens ça relativise pas mal le terme. ou alors il faudra me le définir…
            Et puis personne n’est dupe, il y a du moralisme derrière tout ça.

  6. Armel LE PANSE dit :

    Bonjour Descartes et bravo pour ce billet d’humeur auquel ne manque sans doute qu’un petit brin d’humour.
    Alors, s’il est permis de détendre un peu l’atmosphère, je vous relate ceci : dans mon collègue semi-rural éclate comme chaque jour une bagarre entre deux jeunes de 6ème, soit 11 ans. Pour déterminer la responsabilité des deux belligérants, les deux en question sont invités à donner les raisons de cette bagarre. L’un dit en montrant l’auteur des coups : “il m’a traité de gros”. L’autre alors proteste avec véhémence : “Mais ce n’est pas vrai, je ne l’ai pas traité de gros, je lui ai dit tu es une grosse merde”, pensant évidemment minorer sa faute.
    C’est comme s’il avait dit : “Mais je ne l’ai pas blessé, je l’ai tué”.
    Par cette anecdote, il est vrai plutôt cocasse ou tragiquement drôle, d’aucun dirait à pleurer je rejoins votre sujet sur l’inculture dominante et la culture de l’excuse, et si défendre le rapport solitaire et douloureux à la connaissance est réactionnaire, alors je me rallie joyeusement au camp des réactionnaires. On n’a rien sans rien, aimaient à dire aussi les anciens qui ne sont pas nés juste après les dinosaures.
    J’ai un vague souvenir de la revue Esprit qui avait sorti en 1982 je crois un numéro intitulé : “Enseigner quand même”. Je pense aussi au livre extraordinaire de Milner “De l’école”. Tous les deux ne sont pas réédités, on ne trouve plus preneurs, n’est-ce pas !
    On aurait pourtant bien besoin de redéfinir ou réactiver la relation forcément dissymétrique entre l’enseignant et l’élève car aujourd’hui et depuis quelques décennies déjà, celui qui transmet n’institue plus, il professe et celui qui est censé être instruit est devenu un “apprenant” comme aiment à le dire avec gourmandise bien des chefs d’établissement pour flatter la doxa ministérielle et, accessoirement, faire carrière.
    On apprend tout et n’importe quoi, Fortnite développe prétend-on autant les capacités intellectuelles, pardon, cognitives, qu’une règle de syntaxe, qu’un axiome de mathématiques ou une page d’histoire.
    Quitte à me répéter, on fabrique deux types de singes (et pardon pour ces adorables animaux) : des singes savants ou des singes ignorants mais dans tous les cas des singes, conditionnés, formatés et équipés pour trouver une place désignée dans une société infantile, cruelle et bienveillante à la fois.
    les vrais traumas sont à venir, je le crains.
    Mais, au moins, votre article, cher Descartes, est un acte de résistance auquel je souscris à quelques mois de la retraite !

    • Descartes dit :

      @ Armel LE PANSE

      [On aurait pourtant bien besoin de redéfinir ou réactiver la relation forcément dissymétrique entre l’enseignant et l’élève car aujourd’hui et depuis quelques décennies déjà, celui qui transmet n’institue plus, il professe et celui qui est censé être instruit est devenu un “apprenant” comme aiment à le dire avec gourmandise bien des chefs d’établissement pour flatter la doxa ministérielle et, accessoirement, faire carrière.]

      Tout à fait. Comme le disait le philosophe conservateur George Scruton – décédé récemment – la transmission n’est possible que s’il y a consensus sur le fait qu’il y a l’enseignant qui sait, l’élève qui ne sait pas, et une connaissance qui mérite d’être sue. En d’autres termes, le rapport de transmission est fondé sur une double dissymétrie : entre l’enseignant qui sait et l’élève qui ne sait pas, entre la société qui décide ce qui mérite d’être su – et que l’enseignant représente – et l’élève qui n’a pas voix au chapitre sur le sujet.

      Les libéraux libertaires ont détruit non seulement l’école mais plus largement le processus de transmission lui-même en postulant un rapport symétrique, celui d’un enseignant et d’un apprenant qui « s’enrichissent mutuellement » ou « apprennent ensemble ». Je me souviens avoir entendu il n’y a pas si longtemps un professeur ouvrir son cours avec une formule du genre « cette année nous allons apprendre telle ou telle chose ». Et bien, le « nous » est ici mortifère : le professeur ne va rien « apprendre », puisqu’il le sait déjà.

      [On apprend tout et n’importe quoi, Fortnite développe prétend-on autant les capacités intellectuelles, pardon, cognitives, qu’une règle de syntaxe, qu’un axiome de mathématiques ou une page d’histoire.]

      Ca, c’est autre chose. Cela tient de la formule de Cocteau : « ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ». Comme les enseignants et les parents n’ont pas envie de se battre contre leurs rejetons pour les écarter des jeux vidéo ou des téléphones portables, on invente des théories qui permettent de justifier leur passivité en trouvant des avantages éducatifs à ces pratiques ou objets. Certains – c’est mon cas – voient dans cette attitude non seulement une abdication mais surtout une marque de désintérêt, d’indifférence. Notre civilisation n’aime pas assez ses jeunes pour chercher à les éduquer, pour faire l’effort d’aller contre leurs pulsions.

      [Quitte à me répéter, on fabrique deux types de singes (et pardon pour ces adorables animaux) : des singes savants ou des singes ignorants mais dans tous les cas des singes, conditionnés, formatés et équipés pour trouver une place désignée dans une société infantile, cruelle et bienveillante à la fois.
      les vrais traumas sont à venir, je le crains.]

      Oh, ils sont déjà là. La rébellion des quadras contre leurs parents soixante-huitards – car c’est cela qui se joue derrière les affaires d’inceste ou de pédophilie largement médiatisées aujourd’hui – est de ce point de vue symptomatique.

      • maleyss dit :

        [en postulant un rapport symétrique, celui d’un enseignant et d’un apprenant qui « s’enrichissent mutuellement » ou « apprennent ensemble ». ] Oui, au cous de mon long passage dans l’Education nationale, j’ai entendu quelques professeurs tenir ce discours. J’ai eu la méchanceté de leur rétorquer que, quoi qu’il en soit, c’était bien eux qui étaient payés à la fin du mois, et qu’ils ne semblaient pas vouloir remettre cela en cause.

  7. Trouve un chemin dit :

    @Descartes,
    Je partage complétement la teneur générale de votre billet, mais je vous trouve un peu dur avec l’exemple des étudiants en mathématiques. Pourquoi ?  Voici deux raisons liées à ce que j’ai pu comprendre du fonctionnement actuel de l’éducation nationale :
    – Dans un parcours scolaire, ce qui compte le plus aujourd’hui, c’est la qualité du “dossier” ! Le dossier est bien sûr utilisé comme outil de sélection par les écoles (pour le recrutement), mais aussi par les établissements pour “mobiliser” les élèves (et avoir le soutien des parents) … . C’est peut-être ce qui a amené la professeure de mathématiques citée par “Le monde” à dire “on ne pouvait tout de même pas les enfoncer”,
    – Ensuite, pour faciliter les comparaisons entre dossiers, les établissements s’organisent pour équilibrer les classes et obtenir des moyennes stables (voire fixées à l’avance) … Pour un professeur, “adopter un coefficient multiplicateur” est donc une pratique courante, dès lors que la moyenne de la classe s’écarte un peu trop de la moyenne visée. Dans ce contexte, l’évaluation n’est pas destinée à s’assurer de la maîtrise des connaissances, mais juste une note permettant de classer et comparer … .
    Vous savez mieux que personne, je pense, que les modes de fonctionnement d’aujourd’hui sont les conséquences des décisions de hier ! Je vous laisserai compléter sur ce point si vous le souhaitez …
    Enfin, je me permets d’ajouter un questionnement personnel : lorsqu’un jeune a grandi avec une vision instrumentale de ses études (=> obtenir le bon diplôme pour pouvoir prétendre à …), pourra-t-il devenir un salarié curieux, interrogatif, qui aiment apprendre, comprendre, … ? Et si oui, que doivent faire les entreprises pour faciliter une telle “bascule” ?

    • Descartes dit :

      @ Trouve un chemin

      [– Dans un parcours scolaire, ce qui compte le plus aujourd’hui, c’est la qualité du “dossier” ! Le dossier est bien sûr utilisé comme outil de sélection par les écoles (pour le recrutement), mais aussi par les établissements pour “mobiliser” les élèves (et avoir le soutien des parents) … . C’est peut-être ce qui a amené la professeure de mathématiques citée par “Le monde” à dire “on ne pouvait tout de même pas les enfoncer”,]

      J’attire votre attention sur le fait que dans mon papier je faisais référence à la notation à l’université, et non dans le secondaire. La question du « dossier » est donc en principe réglée à ce stade…

      Mais la question que vous posez est très intéressante. Prenons un système dans lequel le diplôme est accepté comme certifiant véritablement un niveau de connaissances et des méthodes de travail. Dans un tel système, il est parfaitement normal et juste que le diplôme ait une valeur importante à l’heure de distribuer les postes et les rémunérations. Maintenant, prenons l’enseignant qui surnoterait « pour ne pas enfoncer ses étudiants ». Cet enseignant permet à ses étudiants de sauter la queue et d’occuper des postes et d’avoir des rémunérations sans proportion avec leurs connaissances réelles, qui en toute justice auraient dû aller à plus savants et plus travailleurs qu’eux.

      Mais cela n’est possible que si l’on est dans une logique de « passager clandestin », c’est-à-dire, si les enseignants qui font ce genre de chose sont ultra-minoritaires. Parce que si tout le monde s’adonne à ce genre de pratiques, alors rapidement les employeurs comprendront que les notes ne veulent plus rien dire, et le diplôme n’aura plus aucune valeur. Et c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui. Sur le papier, tous les titulaires d’un master sont égaux, mais on sait bien que certains sont plus égaux que d’autres. Et comment le recruteur les repèrera ? Et bien, grâce aux réseaux familiaux, par exemple… pourquoi croyez-vous que les carrières au mérite reculent alors que les recrutements sur recommandation se multiplient ? Si nos élites sont de plus en plus peuplées de « fils de… », ce n’est pas par hasard.

      Je ne reproche pas à cette pauvre enseignante de mathématiques de chercher à aider ses élèves. Elle est plongée dans un système inhumain, et essaye à sa façon de lui donner un peu d’humanité. Ce que je lui reprocherais, c’est de ne pas prendre conscience de l’extrême gravité de ce qu’elle fait, et du fait que par ces pratiques on détruit le processus d’apprentissage.

      [– Ensuite, pour faciliter les comparaisons entre dossiers, les établissements s’organisent pour équilibrer les classes et obtenir des moyennes stables (voire fixées à l’avance) … Pour un professeur, “adopter un coefficient multiplicateur” est donc une pratique courante, dès lors que la moyenne de la classe s’écarte un peu trop de la moyenne visée. Dans ce contexte, l’évaluation n’est pas destinée à s’assurer de la maîtrise des connaissances, mais juste une note permettant de classer et comparer … .]

      Tout à fait. Mais c’est bien là le problème. Je peux bâtir un système de sélection sur deux modèles : par niveau et par quota. Soit je choisis ceux qui dépassent une certaine qualification estimée indispensable pour être reconnu, soit je sélectionne les N meilleurs, quelque soit leur niveau (un système encore plus fort consiste à choisir les N meilleurs parmi ceux qui dépassent le niveau minimal d’exigence). Ce que vous me dites, c’est qu’on glisse d’un système de niveau à un système de quota. Ce glissement est très dangereux, parce qu’il ne permet pas de mettre en évidence la baisse générale de niveau. Si je donne le titre de médecin aux N meilleurs élèves (quand bien même ils ignorent l’anatomie), je diplômerai toujours N médecins chaque année, sans que la baisse de niveau soit visible. Si au contraire j’impose un niveau minimum pour devenir médecin, le nombre de diplômés chaque année me dira l’évolution du niveau général. C’est ce qui se passe de façon presque caricaturale pour le bac : les élèves savent de moins en moins, et réussissent de plus en plus. Comment voulez-vous que les élèves eux-mêmes puissent voir dans ce système une méritocratie du savoir ?

      [Vous savez mieux que personne, je pense, que les modes de fonctionnement d’aujourd’hui sont les conséquences des décisions de hier ! Je vous laisserai compléter sur ce point si vous le souhaitez …]

      Il faut aller plus loin que les simples « décisions d’hier ». Se concentrer sur les décisions, c’est rejeter la faute sur les décideurs, alors que souvent ces décideurs n’ont fait que ce que les gens – et surtout les couches dominantes – voulaient. Je pense que les modes de fonctionnement d’aujourd’hui sont le résultat d’une dynamique sociale. Pendant plus d’un demi-siècle, la société française a effectivement fonctionné comme une méritocratie, et cela ne posait pas de problème aux couches dominantes parce que dans une société en croissance la promotion sociale n’affectait pas l’avenir de leurs enfants. Quand la croissance s’arrête à la fin des années 1960, la sélection méritocratique qui rebat les cartes à chaque génération devient au contraire dangereuse.

      On dit beaucoup – surtout à l’extrême gauche – que la sélection dans l’éducation française pendant les trente glorieuses était injuste, et que la rébellion de 1968 contre la sélection était un acte de justice. Il y a là une étrange inversion : c’est précisément parce que la sélection était trop juste, parce qu’elle permettait la promotion sociale trop ouvertement, que du point de vue des classes intermédiaires il fallait y mettre fin.

      [Enfin, je me permets d’ajouter un questionnement personnel : lorsqu’un jeune a grandi avec une vision instrumentale de ses études (=> obtenir le bon diplôme pour pouvoir prétendre à …), pourra-t-il devenir un salarié curieux, interrogatif, qui aiment apprendre, comprendre, … ?]

      Et pourquoi pas ? Un étudiant peut être réaliste à l’heure de chercher à décrocher le « bon diplôme » pour avoir une vie matérielle tranquille, et être curieux, interrogatif et aimer comprendre. J’ajoute que personnellement je ne vois pas pourquoi on fait une dichotomie entre les « bons études » et le fait d’être « curieux, interrogatif, aimer apprendre, comprendre ». Pourquoi faudrait-il renoncer à l’un ou l’autre de ces termes ? En quoi préparer ou faire Polytechnique ou l’ENA devrait brider votre curiosité, votre envie de comprendre ? Les étudiants de sociologie à Nanterre ou Paris VIII sont-ils plus « curieux », ont-ils plus « envie de comprendre » que ceux de l’ENS ?

      [Et si oui, que doivent faire les entreprises pour faciliter une telle “bascule” ?]

      Mais qu’est ce qui vous fait penser que les entreprises ont envie – ou ce qui revient au même, intérêt – à avoir des salariés « curieux, interrogatifs, qui aiment apprendre et comprendre » ? Les entreprises veulent d’abord des cadres obéissants, qui croient ce qu’on leur dit de croire (ou du moins sont capables de faire semblant de manière convaincante). Et comme disait mon colon, « réfléchir, c’est commencer à désobéir ».

      • maleyss dit :

        Ne négligeons pas le fait que, jusqu’aux concours de recrutement de l’Education Nationale, les “savoirs savants”, autrement dit les connaissances inhérentes à la discipline, sont de plus en plus souvent remplacés par un gloubiboulga à base de catéchisme “citoyen”, et qu’on se propose de favoriser celui  qui , bien que parfaitement nul, est allé manifester contre le changement climatique…

        • Descartes dit :

          @ maleyss

          [et qu’on se propose de favoriser celui qui , bien que parfaitement nul, est allé manifester contre le changement climatique…]

          Tout à fait. Quand on pense que certaines Grandes Ecoles donnent même des points pour les “engagements sociaux”, comme si le fait d’être bénévole dans un refuge de la SPA pouvait remplacer chez un ingénieur la connaissance de la résistance des matériaux ou de l’analyse mathématique.

      • Ian Brossage dit :

        @Descartes

        Mais c’est bien là le problème. Je peux bâtir un système de sélection sur deux modèles : par niveau et par quota. Soit je choisis ceux qui dépassent une certaine qualification estimée indispensable pour être reconnu, soit je sélectionne les N meilleurs, quelque soit leur niveau (un système encore plus fort consiste à choisir les N meilleurs parmi ceux qui dépassent le niveau minimal d’exigence). Ce que vous me dites, c’est qu’on glisse d’un système de niveau à un système de quota.

        Le système de quota n’est-il justement pas le principe des concours, souvent présentés comme un exemple de la méritocratie à la française ?
         

        • Descartes dit :

          @ Ian Brossage

          [Le système de quota n’est-il justement pas le principe des concours, souvent présentés comme un exemple de la méritocratie à la française ?]

          Pas tout à fait. Le concours “à la français” combine l’idée de quota et celle de niveau minimal d’exigence. Ainsi, par exemple, il n’est pas rare que dans les concours de la fonction publique on ne recrute pas le nombre de candidats prévus au départ, alors même que le nombre de candidats dépasse celui des places à pourvoir. Les jurys définissent en général un niveau en deçà duquel les candidats ne sont pas classés. Et cela arrive dans des concours aussi prestigieux que ce lui de l’ENA.

  8. Vincent dit :

    Merci pour ce billet. J’ai été surpris de voir que vous écriviez sur ce sujet, que vous avez déjà traité il y a peu, alors que “l’affaire du Siècle” a connu un nouveau rebondissement…
    Mais je me permets toutefois quelques critiques et commentaires…
     

    [on sait aussi depuis Freud que les enfants sont des pervers polymorphes]

     
    J’ai plusieurs critiques à opposer à cette phrase, ce qui ne remet aucunement en cause la thèse de l’article.
     
    1°) La citation à laquelle vous faites référence est fausse, même si vous n’êtes pas le seul à vous être laisser abuser :
    https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/250120/une-fausse-citation-de-freud-l-enfant-est-un-pervers-polymorphe
    Même si, à priori, l’expression “pervers polymorphe” est effectivement de Freud.
     
    2°) Nous avions discuté il y a près d’un an de la nécessité de rigueur scientifique pour pouvoir aboutir à des connaissances. Or Freud en manquait singulièrement. Et l’expression -trop répandue- : “on sait depuis Freud que”, suivie de plein de choses ne peut qu’être abusive, dans la mesure ou Freud n’a jamais rien établi de manière scientifique.D’ailleurs, il faudrait encore que les termes de “pervers” et “polymorphe” soient correctement définis pour qu’on puisse en tirer quoi que ce soit. Et comme souvent en psychanalyse, ça n’est pas le cas.
     

    [Ceux qui nous expliquent que les étudiants sont traumatisés […] de devoir étudier seuls enfermés chez eux et éloignés de leurs professeurs […] savent-ils que pendant la longue nuit de l’Occupation leurs ancêtres ont étudié dans des conditions infiniment pires ? Qu’on a passé le bac – le vrai bac, avec des vrais examens, pas le substitut que nous avons aujourd’hui – sous les bombes dans la Normandie de 1944]

     
    La difficulté, à l’époque, était le stress de l’absence de lendemain, l’absence, sans doute, d’électricité, et de toute forme de distraction. Mais au final, rien de si rédhibitoire pour mener des études.
    Si on se met à la place d’un étudiant d’aujourd’hui, qui ne voit personne, mais qui a à ses cotés sont smartphone et son ordi, omniprésents, qui lui servent à la fois à discuter avec sa famille et ses amis, à écouter de la musique… et à suivre leurs cours, on est bien obligés d’admettre que la tentation de la distraction est grande.
    Il y a un cours de maths à suivre sur l’ordi… Ça n’empêche pas d’avoir 2/3 petites fenêtres de discussion ouvertes à côté ; voire pourquoi pas une vidéo youtube de je ne sais pas quoi !
    Au moins, quand il y a des cours physiques, cela rend nécessaire d’être attentif de manière plus ou moins continue à la matière enseignée, pendant la durée du cours. C’était déjà moins le cas depuis quelques années avec les smartphones et ordis qui débarquent dans les cours. Mais quand le cours devient l’ordi ou le smartphone lui même, comment reprocher à cette jeune génération de se disperser !
    Même sous les bombes, même à la lumière de la bougie. Et je dirais même, surtout dans ces conditions, il n’y avait rien de mieux à faire que de travailler : pas de télévision, impossible de sortir de chez soi.
    Avec le “confinement” actuel, rien de tel !
     
    L’absence de tentative d’expliquer la baisse de niveau des élèves est le principal reproche que je ferais à votre article : une fois n’est pas coutume, le constat ne fait pas l’objet d’une remontée complète dans l’arbre des causes.
    – Oui, il y a une infantilisation de la société, qui explique l’attitude de certains enseignants de remonter les notes. Peut être ce cette démarche pourrait également être expliquée par une confusion entre examen et concours (s’il y a normalement 20% d’échec les autres années, il est normal de bricoler pour arriver aux 20% d’échec).
    – Mais cela vient compenser une chute de niveau. Et cette dernière n’est pas expliquée. Du moins, vous ne vous risquez pas à proposer des explications… (alors même que, si je comprends bien, cette chute de niveau due aux conditions d’études n’avait pas été observée sous les bombes).
    Je ne sais pas si mon explication par la dispersion de concentration est valable, mais il  me semble qu’on ne peut pas se contenter, comme on le fait trop souvent, de considérer comme naturel que des cours par télé-enseignement conduisent à une baisse de niveau.
    Je m’explique :
     
     
    Je ne sais pas si vous avez l’expérience de personnes qui ont été déscolarisées pendant un an pour faire un tour du monde / suivre leurs parents en expat dans des pays reculés / etc. Et qui ont du suivre un enseignement à domicile.
    Bien souvent, le niveau des élèves qui reviennent après 1 an de déscolarisation a considérablement augmenté par rapport à leurs camarades ; alors même qu’ils passaient nettement moins d’heures à travailler que ce qu’ils auraient du passer sur les bancs du collège. L’explication est assez simple : ils travaillent à leur rythme, sans que le cours ne soit obligé de ralentir au rythme de l’élève le plus lent. Quelques témoignages (ressenti) d’enseignants suite au confinement de l’an dernier sont aussi que ça a creusé les écarts : ceux qui travaillaient chez eux ont eu une progression parfois supérieure à ce qu’ils auraient eu en classe, alors que ceux qui ne trouvaient pas le moyen de réellement travailler stagnaient totalement.
     
    En partant de ce “constat”, on aurait pu imaginer que l’enseignement à distance, en permettant à chacun de travailler à son rythme, aurait permis, au contraire, une amélioration du niveau. C’est l’inverse qui a été observé, et il faut bien chercher à l’expliquer :
    – les étudiants pouvaient plus facilement avancer à leur rythme,
    – ils n’avaient pas de soirées et autres sorties leur prenant du temps et les empêchant de travailler…
     
    Je ne vois donc pas d’autre explication que la tentation de la distraction sur internet pour expliquer ces difficultés. Peut être que je passe à côté de quelque chose, mais il me semble qu’on doit chercher à expliquer cette baisse de niveau, qui n’a pour moi rien d’automatique ou de naturel.

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Merci pour ce billet. J’ai été surpris de voir que vous écriviez sur ce sujet, que vous avez déjà traité il y a peu, alors que “l’affaire du Siècle” a connu un nouveau rebondissement…]

      Sur l’affaire du siècle, vous ne perdez rien pour attendre … pour le reste, je ne me souviens pas avoir traité cette question recemment.

      [« on sait aussi depuis Freud que les enfants sont des pervers polymorphes » (…) 1°) La citation à laquelle vous faites référence est fausse,]

      Quelle « citation » ? Vous noterez que je me suis bien gardé dans mon commentaire de mettre des guillemets, précisément parce que je sais qu’il y a une dispute sur ce que Freud a dit ou n’a pas dit sur ce sujet. J’ajoute que l’article que vous proposez m’a fait beaucoup rire, non seulement parce qu’il a tous les travers des querelles exégétiques entre les différentes églises psychanalytiques, mais surtout parce qu’il illustre bien la manière dont la boucle du retour au puritanisme victorien est bouclée. Quand Freud publie les « trois essais sur la théorie sexuelle » en 1905, le livre fait scandale parce qu’il brise l’illusion de l’enfant innocent et pur hérité de l’époque victorienne. Et un siècle plus tard, on trouve des avocats pour chercher à défendre Freud d’avoir dit quelque chose qui « arrangerait bien les pédophiles et pédocriminels »…

      En fait, les choses sont moins claires que Van Rillaer ne le dit. Freud utilise la formule « pervers polymorphes » a deux endroits de l’ouvrage. L’un est celui commenté par Van Rillaer, mais l’autre semble lui avoir échappé : « Nous avons constaté par des expériences que les influences externes de la séduction peuvent provoquer des brèches prématurées dans la période de latence, voire aller jusqu’à l’abolir, et qu’en l’occurrence LA PULSION SEXUELLE DE L’ENFANT S’AVERE ETRE DE FAIT DE TYPE PERVERS POLYMORPHE ». Je ne suis pas expert, mais la lecture que je fais de ce paragraphe est que la pulsion sexuelle de l’enfant est « perverse polymorphe », mais qu’elle reste latente aussi longtemps qu’un stimulus extérieur ne vient la révéler. Dans ce cadre, dire que « l’enfant et un pervers polymorphe » (même s’il ne se révèle pas toujours comme tel) est un raccourci je vous l’accorde un peu rapide, mais pas totalement faux.

      [2°) Nous avions discuté il y a près d’un an de la nécessité de rigueur scientifique pour pouvoir aboutir à des connaissances. Or Freud en manquait singulièrement. Et l’expression -trop répandue- : “on sait depuis Freud que”, suivie de plein de choses ne peut qu’être abusive, dans la mesure ou Freud n’a jamais rien établi de manière scientifique.]

      Vous donnez au verbe « savoir » un sens trop restrictif. La phrase « on sait que Yahvé a chassé Adam du paradis », ou « on sait depuis Homère que Paris a enlevé Hélène » sont parfaitement justes, alors même que la première situation est purement imaginaire, et nous ignorons l’historicité de la seconde. « On sait depuis X que… » est simplement une façon de dire que X fut le premier à le dire, et cela indépendamment du fait de savoir si le prédicat a été ou non établi scientifiquement ou même factuellement.

      [D’ailleurs, il faudrait encore que les termes de “pervers” et “polymorphe” soient correctement définis pour qu’on puisse en tirer quoi que ce soit. Et comme souvent en psychanalyse, ça n’est pas le cas.]

      Là, je vous trouve un peu sévère. Freud définit assez clairement ce qu’il appelle une « perversion ». Quant à « polymorphe », je pense qu’il utilise le mot dans le sens usuel : « qui peut prendre plusieurs formes ».

      [La difficulté, à l’époque, était le stress de l’absence de lendemain, l’absence, sans doute, d’électricité, et de toute forme de distraction. Mais au final, rien de si rédhibitoire pour mener des études.]

      Vous poussez un peu : outre le « stress de l’absence de lendemain » et d’électricité, et de toute forme de distraction, il faut ajouter le couvre-feu, la peur des rafles, la fermeture physique des universités et des bibliothèques, la surveillance des cours, des débats publics, des conférences… franchement, pensez vous qu’il était facile pour un étudiant d’histoire contemporaine de faire une thèse entre 1940 et 1945 ?

      [Si on se met à la place d’un étudiant d’aujourd’hui, qui ne voit personne, mais qui a à ses cotés sont smartphone et son ordi, omniprésents, qui lui servent à la fois à discuter avec sa famille et ses amis, à écouter de la musique… et à suivre leurs cours, on est bien obligés d’admettre que la tentation de la distraction est grande.]

      Plus grande que les tavernes et les bordels pour l’étudiant de la Sorbonne médiévale ? Le problème est moins la tentation que l’incapacité à y résister. Ou pour le dire autrement, le manque de DISCIPLINE. Et ce n’est pas la faute des étudiants seulement : ils ne font après tout que suivre les injonctions d’une société pour qui le mot discipline est devenu un gros mot. Je suis d’ailleurs toujours étonné par le fait que le mot « discipline » évoque aujourd’hui une imposition extérieure, alors que c’est d’abord une pratique intérieure, qui se manifeste d’abord dans la capacité de l’individu à s’imposer lui-même des règles.

      [Il y a un cours de maths à suivre sur l’ordi… Ça n’empêche pas d’avoir 2/3 petites fenêtres de discussion ouvertes à côté ; voire pourquoi pas une vidéo youtube de je ne sais pas quoi !]

      Et qu’est ce qui vous empêche de les fermer, les fenêtres en question ? Faut-il conclure que les étudiants – qui sont, rappelons-le, majeurs et responsables – sont incapables de s’imposer eux-mêmes une règle, de se concentrer sur un sujet ?

      [Au moins, quand il y a des cours physiques, cela rend nécessaire d’être attentif de manière plus ou moins continue à la matière enseignée, pendant la durée du cours. C’était déjà moins le cas depuis quelques années avec les smartphones et ordis qui débarquent dans les cours. Mais quand le cours devient l’ordi ou le smartphone lui même, comment reprocher à cette jeune génération de se disperser !]

      Je crois rêver… je ne sais pas quel est votre âge. Mais quand j’ai fait mes études, je m’asseyais chaque à ma table avec un livre de mathématiques ET JE BOSSAIS DEUX HEURES, avec une pause d’un quart d’heure pour me faire un café. Et pourtant ce n’est pas les tentations qui manquaient. Mais je ne prenais pas une BD, je ne décrochais pas le téléphone, je n’allumais pas la télévision, JE BOSSAIS. Voilà, c’est aussi simple que ça. Je ne vois pas pourquoi aujourd’hui, au même âge, il faut aux jeunes un gendarme derrière pour leur éviter de « se disperser ». Merde à la fin !

      Bien sûr, ce n’est pas seulement la faute aux jeunes. Ils sont immergés dans une idéologie qui a fait de la discipline un gros mot et de l’effort un repoussoir, ou tout doit être « fun » et ludique. Mais de là à dire qu’on ne peut rien leur reprocher… non, ce ne sont pas des simples victimes. Tout au moins, des complices.

      [Même sous les bombes, même à la lumière de la bougie. Et je dirais même, surtout dans ces conditions, il n’y avait rien de mieux à faire que de travailler : pas de télévision, impossible de sortir de chez soi. Avec le “confinement” actuel, rien de tel !]

      Si je comprends bien, vous pensez que la solution serait de mettre les étudiants dans des cellules isolées, au pain et à l’eau, loin de toute tentation et de toute distraction ? Un retour à l’université monastique sans la prière, en somme…

      [L’absence de tentative d’expliquer la baisse de niveau des élèves est le principal reproche que je ferais à votre article : une fois n’est pas coutume, le constat ne fait pas l’objet d’une remontée complète dans l’arbre des causes.]

      Je n’ai peut-être pas été assez explicite. Si la pandémie s’accompagne d’une baisse de niveau massive qu’on n’avait pas « observé sous les bombes », c’est parce que les étudiants d’aujourd’hui sont en moyenne bien moins armés pour étudier que ne l’étaient leurs ancêtres de 1940. D’abord, et ce n’est pas négligeable, en 1940 les étudiants – et même les candidats au baccalauréat – étaient une minorité. Je ne suis pas sûr que si l’on prenait aujourd’hui le 20% des meilleurs élèves dans notre enseignement supérieur on n’observerait un effet sur ne niveau bien moindre que sur la moyenne.

      L’étudiant de 1940 était bien plus autonome que celui de 2020. Il était passé par un lycée qui formait bien mieux aux méthodes de travail et à la discipline intellectuelle, était passé par un examen de sélection exigeant, et n’attendait pas de l’Université un encadrement équivalent à celui du secondaire. Ce à quoi on assiste depuis 1968, c’est une dérive de « sécondarisation » de l’Université.

      [– Oui, il y a une infantilisation de la société, qui explique l’attitude de certains enseignants de remonter les notes. Peut être ce cette démarche pourrait également être expliquée par une confusion entre examen et concours (s’il y a normalement 20% d’échec les autres années, il est normal de bricoler pour arriver aux 20% d’échec).]

      Je vous rappelle que dans la sélection par concours à la française, il y a toujours un niveau minimum de connaissances en deçà duquel les candidats ne sont pas retenus quand bien même leur ordre d’arrivée dans le classement serait suffisant s’ils avaient été classés.

      [Je ne sais pas si mon explication par la dispersion de concentration est valable, mais il me semble qu’on ne peut pas se contenter, comme on le fait trop souvent, de considérer comme naturel que des cours par télé-enseignement conduisent à une baisse de niveau.]

      Je suis d’accord avec vous. Le problème n’est pas le « télé-enseignement », mais le fait qu’aucun enseignement, aussi bon et personnalisé soit-il, ne peut remplacer le travail personnel de l’étudiant. Et que nos étudiants sont particulièrement mal armés pour travailler seuls.

      Je garde en tête l’expérience pédagogique mise en place par Daniel Gourisse à l’Ecole centrale de Paris dans les années 1980. Dans cette vénérable institution, les cours et les TD sont devenus facultatifs. Pas d’appel, pas de prise de noms. Cela a abouti à un taux de présence en amphi de l’ordre de 50%, c’est-à-dire, un centralien sur deux ne se rendait pas en cours. Et pourtant, cela ne s’est pas traduit par une baisse des résultats au niveau des examens partiels et finaux. Pourquoi ? Parce que les étudiants de Centrale sont passés par le système des classes préparatoires dont le grand mérite est de former à une méthode de travail. Ce qui distingue les anciens des classes préparatoires des autres étudiants, ce sont ces trois mots : « discipline de travail ». Les centraliens des années 1980 n’allaient peut-être pas en cours, mais ils avaient la capacité de s’asseoir à leur table, mettre de côté les « distractions », et bosser leur examen.

      [Je ne sais pas si vous avez l’expérience de personnes qui ont été déscolarisées pendant un an pour faire un tour du monde / suivre leurs parents en expat dans des pays reculés / etc. Et qui ont du suivre un enseignement à domicile. Bien souvent, le niveau des élèves qui reviennent après 1 an de déscolarisation a considérablement augmenté par rapport à leurs camarades ; alors même qu’ils passaient nettement moins d’heures à travailler que ce qu’ils auraient du passer sur les bancs du collège.]

      Vous avez ici un biais considérable. Les élèves qui partent faire leur tour du monde/suivre leurs parents dans des pays reculés/etc. ne sont pas un échantillon représentatif de la société. Ils appartiennent généralement aux classes supérieures, ont des parents eux-mêmes universitaires, etc.

      [L’explication est assez simple : ils travaillent à leur rythme, sans que le cours ne soit obligé de ralentir au rythme de l’élève le plus lent.]

      Prenons par exemple les enfants des « gens du voyage ». Eux aussi « travaillent à leur rythme », sans que le cours soit obligé de ralentir au rythme de l’élève le plus lent. Et pourtant, les résultats ne sont pas fameux. Soyons sérieux : ce n’est pas la même chose d’être instruit à la maison par un père universitaire qui se paye une année de tour du monde, et par un père ferrailleur.

      [Quelques témoignages (ressenti) d’enseignants suite au confinement de l’an dernier sont aussi que ça a creusé les écarts : ceux qui travaillaient chez eux ont eu une progression parfois supérieure à ce qu’ils auraient eu en classe, alors que ceux qui ne trouvaient pas le moyen de réellement travailler stagnaient totalement.]

      C’est bien mon point : ce qui est en cause ici n’est pas tant le cours, que la capacité des élèves et des étudiants au travail personnel. Autrement dit, à leur capacité à s’imposer une discipline de travail. Le « rythme » ne fait rien à l’affaire.

      [En partant de ce “constat”, on aurait pu imaginer que l’enseignement à distance, en permettant à chacun de travailler à son rythme, aurait permis, au contraire, une amélioration du niveau. C’est l’inverse qui a été observé, et il faut bien chercher à l’expliquer :]

      Mais l’explication est très simple : le « rythme » n’a rien à voir. Ce que la baisse de niveau traduit, c’est l’incapacité des étudiants et des élèves à travailler de façon autonome, de s’imposer une discipline de travail, sans un encadrement serré qui les isole des sollicitations et des distractions. C’est bien là l’illustration d’une infantilisation : le professeur est là moins pour enseigner que pour assurer la discipline. C’est acceptable au collège ou au lycée, puisqu’on s’adresse à des enfants ou adolescents auxquels il faut encore enseigner les méthodes de travail. Mais pas à l’Université.

      [Je ne vois donc pas d’autre explication que la tentation de la distraction sur internet pour expliquer ces difficultés. Peut être que je passe à côté de quelque chose, mais il me semble qu’on doit chercher à expliquer cette baisse de niveau, qui n’a pour moi rien d’automatique ou de naturel.]

      Je pense que vous regardez la chose sous un mauvais angle : le problème n’est pas « la tentation », mais le manque d’instruments pour y résister…

      • Vincent dit :

        @ Vincent
         

        [pour le reste, je ne me souviens pas avoir traité cette question recemment.]

         
        Je pensais à cet article : “L’école de la réussite (à 95%) est arrivée…” (13 juillet 2020).
        Mais il se trouve que je l’avais relu il y a peu, ce qui explique pourquoi j’avais l’impression qu’il était très récent.
         

        [Quand Freud publie les « trois essais sur la théorie sexuelle » en 1905, le livre fait scandale parce qu’il brise l’illusion de l’enfant innocent et pur hérité de l’époque victorienne. Et un siècle plus tard, on trouve des avocats pour chercher à défendre Freud d’avoir dit quelque chose qui « arrangerait bien les pédophiles et pédocriminels »…]

         
        Jacques Van Rillaer n’est pas précisément un avocat de Freud (avec des ouvrages comme “Les illusions de la psychanalyse” ou “Le Livre noir de la psychanalyse”).
        Même si cet article pourrait le laisser penser.
        Ceci dit, sur le fond, je vous concède assez facilement :
        – qu’on pourrait s’y méprendre à la lecture de l’article que j’avais mis en lien ; voire, que le passé psychanalytique de Van Rialler ressort un peu (avec des discussions quasi religieuse sur l’exégèse de ce que le Maître a écrit, en revenant à la langue d’origine pour éviter les déviations induites par la traduction…)
        – que le puritanisme de droite du XIXème a beaucoup de similitudes avec le puritanisme de gauche actuel. Même s’il ne vous aura pas échappé qu’il demeure quelques nuances (je ne sais pas ce que la Reine Victoria pensait des LGBTQ+…)
         

        [franchement, pensez vous qu’il était facile pour un étudiant d’histoire contemporaine de faire une thèse entre 1940 et 1945 ?]

         
        Si vous prenez cet exemple, bien sûr… Je pensais plutôt à l’exemple de votre article, d’un L2 de mathématiques.
         

        [Je crois rêver… je ne sais pas quel est votre âge. Mais quand j’ai fait mes études, je m’asseyais chaque à ma table avec un livre de mathématiques ET JE BOSSAIS DEUX HEURES, avec une pause d’un quart d’heure pour me faire un café. Et pourtant ce n’est pas les tentations qui manquaient. Mais je ne prenais pas une BD, je ne décrochais pas le téléphone, je n’allumais pas la télévision, JE BOSSAIS.]

         
        J’étais un peu comme vous. Même si je dépassais rarement 1h30 d’affilée.
        Mais il a pu m’arriver, quand je manquais fortement de motivation, de laisser tomber mes cours pour lire une BD, par exemple.
        Les exemples que vous donnez des distractions que nous pouvions avoir avant l’ère internet / smartphone / ordi omniprésent sont très éclairantes :
        Quand il n’y a qu’une seule télévision dans le logement, il faut laisser tomber ses cours, changer de pièce pour aller regarder la télévision. Quand on veut lire une BD, on laisse aussi tomber son cours. Et, ce faisant, on a parfaitement conscience d’avoir abandonné ce qu’on devait faire, et qu’on le remet à plus tard.
         
        Quand le cours est sur l’ordinateur, on peut avoir le cours ouvert, avec en parallèle :
        – une conversation Whatsapp sur le smartphone avec 2/3 personnes,
        – une vidéo youtube qui nous parle en arrière plan.
         
        On a toujours l’impression d’être sur son cours ; du moins, on peut avoir l’impression d’y être. Quand on a changé de pièce pour regarder la télé, ou qu’on lit une BD, on ne peut pas avoir l’impression d’être en train de travailler, alors qu’on peut avoir cette impression sur un écran en étant dispersé.
        Même si, bien sûr, la concentration n’y est pas. C e qui est rédhibitoire pour des matières comme les maths.
         
        Et donc, oui, je pense que la tentation nouvelle, à laquelle beaucoup ont du mal à résister, est la dispersion. “multitasking” pour reprendre un anglicisme à la mode. Cette tentation n’existait pas dans la Normandie de 1944.
         

        [Bien sûr, ce n’est pas seulement la faute aux jeunes. Ils sont immergés dans une idéologie qui a fait de la discipline un gros mot et de l’effort un repoussoir, ou tout doit être « fun » et ludique. Mais de là à dire qu’on ne peut rien leur reprocher… non, ce ne sont pas des simples victimes. Tout au moins, des complices.]

         
        Il y a effectivement aussi ce facteur : le travail, l’effort, sont de plus en plus absent du vocabulaire pédagogique. Mais il ne faut pas se leurrer, je crois que les jeunes en sont parfaitement conscients. Et que ceux qui veulent réussir sont prêts à faire des efforts.
         
        En revanche, je maintiens que beaucoup surestiment leur capacité à “gérer” plusieurs choses en même temps, comme ils disent. Alors même que pour apprendre et comprendre, il faut être concentré. Et qu’il ne suffit pas pour assimiler de nouvelles notions de “gérer” un cours comme on “gère” une commande sur Amazon ou une réservation d’un billet de train.
         

        [Si je comprends bien, vous pensez que la solution serait de mettre les étudiants dans des cellules isolées, au pain et à l’eau, loin de toute tentation et de toute distraction ? Un retour à l’université monastique sans la prière, en somme…]

         
        Je n’aurais pas pensé à l’écrire. Mais votre exemple est excellent. J’avais en Maths Spé 2 élèves de ma classe (musulmans d’ailleurs), venus en France faire leur prépa, et qui étaient hébergés dans un monastère. C’était, d’après eux, un cadre idéal pour travailler.
        La fameuse prépa privée “Ginette” (Ste Geneniève), à Versailles, impose un rythme de vie qui peut d’apparenter à un rythme monacal sans la prière.
         
        Sans qu’il soit utile d’être au pain sec et à l’eau, je pense effectivement qu’il s’agit du cadre optimal pour un objectif de réussite purement scolaire… Même si ce cadre prive d’autres expériences, notamment humaines, qui ont aussi leur intérêt dans la construction de l’individu.
         

        [les étudiants d’aujourd’hui sont en moyenne bien moins armés pour étudier que ne l’étaient leurs ancêtres de 1940. D’abord, et ce n’est pas négligeable, en 1940 les étudiants – et même les candidats au baccalauréat – étaient une minorité. Je ne suis pas sûr que si l’on prenait aujourd’hui le 20% des meilleurs élèves dans notre enseignement supérieur on n’observerait un effet sur ne niveau bien moindre que sur la moyenne.]

         
        Je ne suis pas certain. Je me trompe peut être, mais j’attribue à la dispersion d’attention qui résulte des “nouvelles technologies” une grande part dans les difficultés actuelles. Et il n’y a pas de raisons que cette dispersion d’attention se retrouve moins dans les 20% les meilleurs.
         

        [L’étudiant de 1940 était bien plus autonome que celui de 2020. Il était passé par un lycée qui formait bien mieux aux méthodes de travail et à la discipline intellectuelle, était passé par un examen de sélection exigeant, et n’attendait pas de l’Université un encadrement équivalent à celui du secondaire.]

         
        Je souscris.
        A un détail près : Le lycéen de 1940 n’était-il pas déjà, en entrant au lycée, davantage rompu à la nécessité de travail, de concentration, etc. que le jeune lycéen d’aujourd’hui ?
         
        Je remarque que vous ne mentionnez jamais le collège unique parmi les causes des difficultés rencontrées. Mais pour moi, il y a tout de même un lien qui ne peut pas être occulté :
        A partir du moment où tout le monde doit faire le collège, n’est-il pas normal qu’on y abaisse les exigences ? Si bien que la plupart des élèves pourront suivre le collège sans réellement se mettre au travail, sans rien apprendre en termes de nécessité de se concentrer, de travailler, etc.
        Dès lors, si on peut arriver au lycée sans avoir eu besoin de travailler, comme on ne veut pas non plus avoir des taux d’échec élevés au lycée, on est également obligés de baisser les exigences du lycée en termes de méthode de travail et de discipline.

        [Je garde en tête l’expérience pédagogique mise en place par Daniel Gourisse à l’Ecole centrale de Paris dans les années 1980. Dans cette vénérable institution, les cours et les TD sont devenus facultatifs. Pas d’appel, pas de prise de noms. Cela a abouti à un taux de présence en amphi de l’ordre de 50%, c’est-à-dire, un centralien sur deux ne se rendait pas en cours.]

        Vos informations sont correctes, à part que, selon les matières, les taux de présence étaient largement inférieurs à 50% (et il y avait des exceptions, comme les cours de langues, les TP, et les cours de sciences humaines). Ce système s’est prolongé bien après les année 1980.
        Ceci dit, ça fonctionnait de la même manière à l’université : il n’y a pas d’appel ou de liste de présence dans les universités…
         

        [[Je ne sais pas si vous avez l’expérience de personnes qui ont été déscolarisées pendant un an pour faire un tour du monde / suivre leurs parents en expat dans des pays reculés / etc. Et qui ont du suivre un enseignement à domicile.]
        Vous avez ici un biais considérable. Les élèves qui partent faire leur tour du monde/suivre leurs parents dans des pays reculés/etc. ne sont pas un échantillon représentatif de la société. Ils appartiennent généralement aux classes supérieures, ont des parents eux-mêmes universitaires, etc.]

         
        Naturellement ; je n’ai jamais prétendu l’inverse. Ce que je veux dire par là est que les mêmes élèves, avec les mêmes parents, qui avaient un niveau moyen/correct avant leur année de déscolarisation, se retrouvent, un an plus tard, après avoir “loupé” une année de scolarité, parmi les meilleurs élèves de leur classe.
        Alors même qu’ils ont passé moins de temps à travailler que le temps qu’ils auraient passé sur les bancs de l’école s’ils étaient resté en France (sans parler du temps de travail à la maison).
        Le point que je voulais montrer est que le télétravail peut être non seulement aussi efficace, mais même bien plus efficace que le travail en cours physique.
         
        D’où mon propos sur les échos d’enseignants qui confirment que le premier confinement a creusé les écarts : les meilleurs ont progressé davantage que s’ils étaient allé en cours ; les moins bons ont moins progressé que s’ils étaient allés en cours.
         

        [l’explication est très simple : le « rythme » n’a rien à voir. Ce que la baisse de niveau traduit, c’est l’incapacité des étudiants et des élèves à travailler de façon autonome, de s’imposer une discipline de travail, sans un encadrement serré qui les isole des sollicitations et des distractions. C’est bien là l’illustration d’une infantilisation : le professeur est là moins pour enseigner que pour assurer la discipline. C’est acceptable au collège ou au lycée, puisqu’on s’adresse à des enfants ou adolescents auxquels il faut encore enseigner les méthodes de travail. Mais pas à l’Université.]

         
        Je ne vous cache pas que je suis assez d’accord avec vous, et avec le fait que c’est problématique. Mais, à mon avis, l’aspect déconcentration / dispersion facilité par les nouvelles technologies y est pour beaucoup.
         

        [Je pense que vous regardez la chose sous un mauvais angle : le problème n’est pas « la tentation », mais le manque d’instruments pour y résister…]

         
        Puisque nous avions parlé d’addiction il y a quelques temps sur ce forum, je vais reprendre l’analogie…
        Certes, les étudiants de 1940 résistaient bien à la tentation du chocolat, et ceux d’aujourd’hui ont du mal à résister à la tentation de l’héroïne. Mais peut on en déduire que c’est uniquement de la faute des jeunes qui sont incapables de se discipliner ? Ne faut il pas aussi invoquer la différence entre les tentations d’antan et celles d’aujourd’hui ?
         
         

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [« franchement, pensez-vous qu’il était facile pour un étudiant d’histoire contemporaine de faire une thèse entre 1940 et 1945 ? » Si vous prenez cet exemple, bien sûr… Je pensais plutôt à l’exemple de votre article, d’un L2 de mathématiques.]

          C’était certainement plus facile, mais pas tant que ça : étudier les mathématiques avec le ventre vide, des vêtements troués et le chauffage au minimum, avec des coupures d’électricité, avec les bibliothèques fermées…

          [Les exemples que vous donnez des distractions que nous pouvions avoir avant l’ère internet / smartphone / ordi omniprésent sont très éclairantes : Quand il n’y a qu’une seule télévision dans le logement, il faut laisser tomber ses cours, changer de pièce pour aller regarder la télévision.]

          Seulement quand on a plusieurs pièces. Dans ma chambre d’étudiant j’avais un petit poste de télé et une radio. J’aurais parfaitement pu les allumer pendant que j’étudiais…

          [« Bien sûr, ce n’est pas seulement la faute aux jeunes. Ils sont immergés dans une idéologie qui a fait de la discipline un gros mot et de l’effort un repoussoir, ou tout doit être « fun » et ludique. Mais de là à dire qu’on ne peut rien leur reprocher… non, ce ne sont pas des simples victimes. Tout au moins, des complices. » Il y a effectivement aussi ce facteur : le travail, l’effort, sont de plus en plus absent du vocabulaire pédagogique. Mais il ne faut pas se leurrer, je crois que les jeunes en sont parfaitement conscients. Et que ceux qui veulent réussir sont prêts à faire des efforts.]

          J’espère que l’avenir vous donnera raison. Ce que je crains, c’est que beaucoup d’étudiants d’origine modeste comme moi, à qui le système donnait l’envie de « faire des efforts » et les instruments pour que ces efforts payent ne soient au contraire découragés par le confort de la position de la victime.

          [« L’étudiant de 1940 était bien plus autonome que celui de 2020. Il était passé par un lycée qui formait bien mieux aux méthodes de travail et à la discipline intellectuelle, était passé par un examen de sélection exigeant, et n’attendait pas de l’Université un encadrement équivalent à celui du secondaire. » Je souscris. A un détail près : Le lycéen de 1940 n’était-il pas déjà, en entrant au lycée, davantage rompu à la nécessité de travail, de concentration, etc. que le jeune lycéen d’aujourd’hui ?]

          Certainement. Les valeurs d’effort, de travail, de discipline, de mérite étaient un leitmotiv dès l’école primaire.

          [Je remarque que vous ne mentionnez jamais le collège unique parmi les causes des difficultés rencontrées. Mais pour moi, il y a tout de même un lien qui ne peut pas être occulté : A partir du moment où tout le monde doit faire le collège, n’est-il pas normal qu’on y abaisse les exigences ? Si bien que la plupart des élèves pourront suivre le collège sans réellement se mettre au travail, sans rien apprendre en termes de nécessité de se concentrer, de travailler, etc.]

          C’est là pour moi le grand débat. J’appartiens à ceux qui soutiennent l’idée – l’utopie ? – du savoir pour tous. Autrement dit, qu’on peut massifier sans nécessairement faire baisser l’exigence et donc le niveau. Bien entendu, ce n’est pas possible à tous les niveaux : le coût pour amener tous les Français au niveau du concours de Polytechnique serait énorme à supposer que ce fut possible. Mais au niveau qui devrait être celui du collège (celui du « petit lycée » avant 1968, par exemple) ce coût devrait rester raisonnable.

          Cela étant dit, c’est une toute autre question qu’il faut à mon avis se poser : même si c’est possible d’amener tout le monde au niveau du collège, est-ce que c’est UTILE ? Autrement dit, est-ce qu’il n’y a pas des enfants qui seront plus heureux en suivant une autre formation, celle des métiers manuels ou techniques ? La société n’a-t-elle pas besoin d’eux aussi ? En quoi un mauvais philosophe serait plus digne qu’un bon plombier ?

          [« Je garde en tête l’expérience pédagogique mise en place par Daniel Gourisse à l’Ecole centrale de Paris dans les années 1980. Dans cette vénérable institution, les cours et les TD sont devenus facultatifs. Pas d’appel, pas de prise de noms. Cela a abouti à un taux de présence en amphi de l’ordre de 50%, c’est-à-dire, un centralien sur deux ne se rendait pas en cours. » Vos informations sont correctes,]

          Dois-je comprendre que vous avez fréquenté cette vénérable école ?

          [Naturellement ; je n’ai jamais prétendu l’inverse. Ce que je veux dire par là est que les mêmes élèves, avec les mêmes parents, qui avaient un niveau moyen/correct avant leur année de déscolarisation, se retrouvent, un an plus tard, après avoir “loupé” une année de scolarité, parmi les meilleurs élèves de leur classe.]

          Difficile de tirer des conclusions de ce genre d’expérience marginale. Les variables en jeu sont très nombreuses. D’abord je me demande combien parmi les enfants qui ont fait ce genre d’expérience se retrouvent « les meilleurs élèves de leur classe » à leur retour, et combien se trouvent au contraire en queue de peloton. Les expériences que je connais de collègues expatriés sont plutôt négatives.

          [Le point que je voulais montrer est que le télétravail peut être non seulement aussi efficace, mais même bien plus efficace que le travail en cours physique.]

          Je veux bien. Mais tout dépend des instruments dont l’élève dispose. Un élève autonome, qui a les bonnes méthodes de travail et le bon encadrement parental peut apprendre dans les contextes les plus difficiles.

          [Je pense que vous regardez la chose sous un mauvais angle : le problème n’est pas « la tentation », mais le manque d’instruments pour y résister…]

          [Ne faut-il pas aussi invoquer la différence entre les tentations d’antan et celles d’aujourd’hui ?]

          « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation, l’esprit est ardent mais la chair est faible ». (Marc 14, 38 – Matthieu 26,41). Comme quoi la question ne date pas d’hier…

          • Vincent dit :

            @Descartes

            [Cela étant dit, c’est une toute autre question qu’il faut à mon avis se poser : même si c’est possible d’amener tout le monde au niveau du collège, est-ce que c’est UTILE ? Autrement dit, est-ce qu’il n’y a pas des enfants qui seront plus heureux en suivant une autre formation, celle des métiers manuels ou techniques ? La société n’a-t-elle pas besoin d’eux aussi ? En quoi un mauvais philosophe serait plus digne qu’un bon plombier ?]

            Les deux questions sont (je reformule vos propos) :
            – est il possible d’amener tout le monde à un niveau relativement élevé
            – est il nécessaire d’amener tout le monde à un niveau relativement élevé ?
            Vous répondez, à la première question (en résumé) : je le souhaite, mais je doute ; à la seconde : non, pas forcément.
             
            Sur la seconde question, naturellement, il n’est pas nécessaire d’amener tout le monde à un haut niveau général.
            Sur la première question… Tout dépend ce qu’on appelle un “haut niveau”. Certains pédagogistes vous expliquerons sans sourciller que c’est exactement ce que fait l’école aujourd’hui…
             
            A mon avis, les questions sont mal posées :
            – la première question devrait être : le collège unique permet-il de faire globalement monter le niveau de tout le monde (les meilleurs, les moyens, et les moins bons) ?
            – Est il nécessaire / utile d’amener tout le monde au même niveau ?
            Si on voulait philosopher, on pourrait se demander, en outre, s’il est souhaitable d’amener tout le monde à un très haut niveau…
             
            Sur la première question, mon intuition est que, oui, une séparation, que ce soit par des classes de niveau, ou toute autre segmentation permettant d’avoir des classes de niveau relativement homogène, serait souhaitable pour tous. Les profs, qui s’adaptent à leurs élèves, se fixent sur le niveau de la masse de leur classe. Si bien que les meilleurs, comme les moins bons, progressent moins que s’ils étaient dans des classes avec des gens de leur niveau.
            Le problème est particulièrement aigu dans les zones défavorisées, où le niveau moyen est très bas. Un élève de niveau relativement “lambda” s’y retrouvera au dessus du lot, et donc apprendra peu, et se retrouvera distance par des élèves, initialement du même niveau, vivant dans des zones plus favorisées.
             
            – Sur la seconde question : est il nécessaire / utile d’amener tout le monde au même niveau ? Comme vous le mentionnez, nous n’avons pas besoin d’avoir 80% de philosophes, de biologistes, ou d’ingénieurs dans une génération.
             
            – sur la question bonus : est il souhaitable d’amener tout le monde à un très haut niveau… Je dirais que pour l’exercice de la citoyenneté, la réponse est évidemment oui. Mais que du point de vue de l’épanouissement individuel, la réponse n’est pas si évidente : il y aura toujours besoin d’emplois peu qualifiés. Et si il est psychologiquement supportable d’exercer un tel emploi quand on est peu qualifié, travailler à la chaine si on a un très haut niveau éducatif doit être beaucoup plus dur à vivre…
             

            [[mêmes élèves, avec les mêmes parents, qui avaient un niveau moyen/correct avant leur année de déscolarisation, se retrouvent, un an plus tard, après avoir “loupé” une année de scolarité, parmi les meilleurs élèves de leur classe.]
            Difficile de tirer des conclusions de ce genre d’expérience marginale. Les variables en jeu sont très nombreuses.]

            Il s’agit de l’expérience de 3 familles différentes, et ça a fonctionné pour la totalité des 8 enfants des 3 familles.
            Pour les cas d’expatriations que je connais, les résultats sont plus mitigés (parfois de très bons résultats, parfois moyens) ; mais la situation n’est pas comparable, puisqu’il y avait des collèges ou lycées locaux.
             

            « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation, l’esprit est ardent mais la chair est faible ». (Marc 14, 38 – Matthieu 26,41). Comme quoi la question ne date pas d’hier…

             

            Je pense que vous sous-estimez l’addiction aux outils modernes de communication. Quand les restaurants réouvriront, je vous inviter à regarder des tables de jeunes (lycéens, typiquement) ensemble à table. Pas toujours, mais souvent, vous les verrez, pendant tout le repas, chacun sur leur portable.
            Je regarde tout le temps ça depuis que j’ai été “traumatisé” par un exemple archétypal : 2 jeunes femmes qui, du début à la fin de leur déjeuner, alors qu’elles étaient en face l’une de l’autre pendant tout le repas, ne se sont adressées la parole que pour le selfies qu’elles ont fait d’elles deux. Les seuls mots qu’elles ont échangé, sans se regarder, étaient à propos de messages sur des groupes commun que leur voisine avait envoyé.
            A un tel niveau d’addiction, comment imaginer qu’elles puissent être capables de se concentrer ne serait-ce que 10 minutes d’affilée sur n’importe quelle matière ?

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Les deux questions sont (je reformule vos propos) :
              – est il possible d’amener tout le monde à un niveau relativement élevé
              – est il nécessaire d’amener tout le monde à un niveau relativement élevé ?
              Vous répondez, à la première question (en résumé) : je le souhaite, mais je doute ; à la seconde : non, pas forcément.]

              Non. A la première question, je réponds « oui , mais cela a un coût ». Ce qui introduit la seconde question qu’on pourrait formuler sous la forme « est-il utile pour la société d’assumer ce coût » ?

              [Sur la seconde question, naturellement, il n’est pas nécessaire d’amener tout le monde à un haut niveau général.]

              La réponse n’est pas aussi évidente que vous ne la faites. D’abord, je ne parle pas de « nécessité » mais « d’utilité », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Ensuite, il n’est pas si évident que ça qu’il ne soit utile d’amener tout le monde à un niveau d’éducation et de culture « relativement élevé ». Certes, si l’on se limite à la question professionnelle, il n’est pas besoin d’avoir lu « la princesse de Clèves » pour tenir un guichet ou livrer des pizzas. Mais une société ou les guichetiers et les livreurs ont lu Voltaire ou Rousseau est une société plus civilisée, plus ordonnée, plus rationnelle et donc dans l’ensemble plus productive.

              [Sur la première question… Tout dépend ce qu’on appelle un “haut niveau”. Certains pédagogistes vous expliquerons sans sourciller que c’est exactement ce que fait l’école aujourd’hui…]

              Bien entendu, un « haut niveau » dépend de l’avancement de la société. En 1800, un « haut niveau » c’était lire et écrire correctement, et résoudre les problèmes de baignoires. En 1970, on y avait ajouté un minimum de littérature, d’histoire, de géographie, de physique-chimie, de mathématiques avancées… Mais au-delà des contenus, ce sont les méthodes de travail qui méritent qu’on s’y attarde. Ecrire un texte à partir d’un plan était réservé en 1800 à une élite très réduite. Aujourd’hui, cela devrait être universel.

              [A mon avis, les questions sont mal posées :
              – la première question devrait être : le collège unique permet-il de faire globalement monter le niveau de tout le monde (les meilleurs, les moyens, et les moins bons) ?]

              Ce n’est pas que la question est « mal posée », c’est que vous posez une autre question. Une chose est de se demander si le collège unique permet à chacun de réaliser tout son potentiel, et une autre de se demander si ce même collège permet à tout le monde d’atteindre un niveau « plancher ». Tout le monde sait que le collège unique est une illusion, qu’on n’enseigne pas dans un collège de La Courneuve comme on enseigne dans un collège du 7ème arrondissement. Personnellement, je ne suis pas contre les classes de niveau… à condition que le « niveau » ne soit pas lié au niveau social. Mais ce n’est pas là mon point. Mon point était la nécessité que le système scolaire garantisse un niveau minimal à tout le monde, et que ce niveau soit fixé en rapport avec les besoins sociaux.

              [– Est il nécessaire / utile d’amener tout le monde au même niveau ?]

              Encore une fois, ce n’est pas la question. Pourquoi faudrait-il amener tout le monde au même niveau ? Quelle serait l’utilité sociale d’un tel programme ? Non, ce qu’il faut c’est garantir que tout le monde accède à un niveau « plancher », défini en fonction des besoins de la société. Le fait que des gens aillent très au-delà de ce niveau et d’autres n’y aillent pas ne me gêne pas.

              [Sur la première question, mon intuition est que, oui, une séparation, que ce soit par des classes de niveau, ou toute autre segmentation permettant d’avoir des classes de niveau relativement homogène, serait souhaitable pour tous. Les profs, qui s’adaptent à leurs élèves, se fixent sur le niveau de la masse de leur classe. Si bien que les meilleurs, comme les moins bons, progressent moins que s’ils étaient dans des classes avec des gens de leur niveau.]

              Vous raisonnez comme un ingénieur : si on regroupe les pièces par lots en fonction de leur taille, le circuit de traitement thermique peut être optimisé sans qu’on perde de la place dans le four. Mais l’éducation n’est pas encore un processus industriel. Si les classes homogènes simplifie le travail de l’enseignant, elles ne permettent pas l’effet d’entrainement des élèves les plus forts sur les plus faibles. Le risque que les classes de niveau plus faible deviennent des classes de relégation est réel.

              [Le problème est particulièrement aigu dans les zones défavorisées, où le niveau moyen est très bas.]

              Mais justement, c’est là qu’il est le plus homogène… En fait, comme souvent le mot et la chose ne sont pas en accord. On parle de « collège unique », mais du fait des inégalités territoriales on retrouve sur le terrain des « classes de niveau »…

              [– Sur la seconde question : est il nécessaire / utile d’amener tout le monde au même niveau ? Comme vous le mentionnez, nous n’avons pas besoin d’avoir 80% de philosophes, de biologistes, ou d’ingénieurs dans une génération.]

              Non. Mais une société où 80% des gens ont une formation en philosophie, en biologie et en ingéniéie est une société plus civilisée, plus rationnelle, plus vivable. C’est d’ailleurs pourquoi à mon avis il faut résister à la tentation de spécialisation qui dévore notre système éducatif, et lui conserver autant que faire se peut un caractère généraliste. Cette culture n’est pas « nécessaire » au sens que le système peut fonctionner sans elle, mais elle est « utile » au sens qu’elle le rend meilleur.

              [– sur la question bonus : est il souhaitable d’amener tout le monde à un très haut niveau… Je dirais que pour l’exercice de la citoyenneté, la réponse est évidemment oui. Mais que du point de vue de l’épanouissement individuel, la réponse n’est pas si évidente : il y aura toujours besoin d’emplois peu qualifiés. Et si il est psychologiquement supportable d’exercer un tel emploi quand on est peu qualifié, travailler à la chaine si on a un très haut niveau éducatif doit être beaucoup plus dur à vivre…]

              En d’autres termes, mieux vaut un abruti heureux qu’un cultivé malheureux ? Désolé, mais je ne peux souscrire à ce raisonnement – qui est en fait celui du patronat le plus réactionnaire à la fin du XIXème siècle : « si on leur apprend à lire, on les rend malheureux » (formule reprise par Bradbury dans son « Farenheit 451 »). J’ai connu des ouvriers autodidactes qui avaient atteint un haut niveau de culture, et je n’ai pas l’impression qu’avoir lu Marx ou comprendre mieux qu’un ingénieur débutant comment fonctionnait la machine sur laquelle ils travaillaient les ait rendu plus malheureux, au contraire.

              [Il s’agit de l’expérience de 3 familles différentes, et ça a fonctionné pour la totalité des 8 enfants des 3 familles.]

              A quelle couche sociale appartenaient ces trois familles ?

              [Je pense que vous sous-estimez l’addiction aux outils modernes de communication.]

              Je ne « sous-estime » pas l’addition. Là où nous différons, c’est que vous voyez dans le téléphone ou l’ordinateur la cause de cette addiction, alors que moi je la recherche dans l’évolution des sociabilités et de l’éducation.

              [Quand les restaurants rouvriront, je vous inviter à regarder des tables de jeunes (lycéens, typiquement) ensemble à table. Pas toujours, mais souvent, vous les verrez, pendant tout le repas, chacun sur leur portable.]

              Admettons. Mais lorsque les cafés ont installé la télévision dans les salles, on a vu des phénomènes semblables.

          • Antoine dit :

            Je me permets de poursuivre notre échange ici pour tenter d’y inclure Vincent avec qui j’aimerais approfondir le sujet. Il est pour moi certain que vous sous-estimez l’influence négative des écrans et des technologies.  Ce n’est pas du tout pareil d’avoir dans son studio d’étudiant la radio et la TV comme vous le dîtes que de vivre un smartphone dans la poche dont on est parfois plus l’objet que le sujet. Si les générations qui ont appris à “scroller” avant d’apprendre à lire seront particulièrement handicapées,  aucune  catégorie de personne n’est à l’abri de ces nuisances, dont je persiste à dire que vous les sous-estimez ! 
            J’avais déjà pensé à cela, sans pour autant prendre le temps de réagir au moment où vous avez publié votre article sur le film Hold-up. Vous vous demandiez pourquoi un discours si faible sur le plan argumentatif attire autant de spectateurs. Je crois qu’une ébauche de réponse se trouve dans l’hyper-sollicitation par les images. Pendant le confinement, j’ai observé les baby-boomers de mon entourage (dont mes parents) accroître très fortement leur temps passé sur les écrans (whats app et Youtube en premier lieu). De manière corrélée, j’ai remarqué une adhésion nouvelle aux théories complotistes.  Cela ne prouve pas la causalité mais cela mérite au moins que l’on s’y intéresse davantage. Particulièrement sans balayer d’un revers de main la pensée d’Ellul, que vous qualifiez hâtivement de réactionnaire.  Je maintiens donc que l’hyper-sollicitation par les images en plus de nuire à la capacité de concentration, (Je l’ai observé en premier lieu sur moi-même), construit une pensée par l’évidence, l’association d’idée, et l’intuition. Puisque vous contestez le fait que cela nuise respectivement à l’esprit critique, au sens de l’effort et la curiosité, j’y reviens : – Pour l’esprit critique, je crois que cela est directement lié à ce que vous acceptez vous-même: “le  texte ou la parole nécessitent la médiation d’un langage organisé, et donc un décryptage, alors que l’image est une perception directe”. L’image produit du préjugé, de l’évident, de l’indiscutable. On ne peut pas discuter puisque ce sont deux modes de pensée divergents. – Pour le sens de l’effort, cela me paraît trivial. Moins d’efforts sont nécessaires pour regarder 10 minutes de vidéo que d’entamer la lecture d’un livre ne serait-ce que d’un article de quelques pages. Et puis en regardant un film  de 2 minutes vous êtes déjà  beaucoup plus vite plongés dans le réel qu’en sur la seconde guerre mondiale vous êtes déjà  beaucoup plus vite plongés dans le réel qu’en lisant 10 pages. – Pour la curiosité, je crois qu’il est facile de se dire  ( et mes élèves le répètent sans cesse), Monsieur à quoi ca sert de savoir cela vu qu’en deux secondes on peut le savoir en cliquant sur google ou sur wiki ?; Quand vous découvrez le smartphone et la TV lorsque pour des questions de génération ou d’éducation, vous avez  pu d’abord acquérir des habitudes de travail, un minimum d’esprit critique et une grande curiosité intellectuelle, vous avez sans doute les armes pour surmonter les tentations. Ce n’est pas le cas de tout le monde. 

            • Descartes dit :

              @ Antoine

              [Je me permets de poursuivre notre échange ici pour tenter d’y inclure Vincent avec qui j’aimerais approfondir le sujet. Il est pour moi certain que vous sous-estimez l’influence négative des écrans et des technologies. Ce n’est pas du tout pareil d’avoir dans son studio d’étudiant la radio et la TV comme vous le dîtes que de vivre un smartphone dans la poche dont on est parfois plus l’objet que le sujet.]

              Je constate que, tout comme Vincent, vous répétez cette affirmation mais sans donner aucun argument pour le soutenir. Ni des éléments de fait (comme par exemple une étude statistique) ni même un raisonnement montrant par quel mécanisme les uns seraient plus addictifs que les autres. Pourquoi est-ce plus difficile d’éteindre son portable que la radio ou la télévision ?

              [J’avais déjà pensé à cela, sans pour autant prendre le temps de réagir au moment où vous avez publié votre article sur le film Hold-up. Vous vous demandiez pourquoi un discours si faible sur le plan argumentatif attire autant de spectateurs. Je crois qu’une ébauche de réponse se trouve dans l’hyper-sollicitation par les images. Pendant le confinement, j’ai observé les baby-boomers de mon entourage (dont mes parents) accroître très fortement leur temps passé sur les écrans (whatsapp et Youtube en premier lieu). De manière corrélée, j’ai remarqué une adhésion nouvelle aux théories complotistes. Cela ne prouve pas la causalité mais cela mérite au moins que l’on s’y intéresse davantage.]

              Je vous rappelle que ce n’est pas la première fois dans l’histoire que les théories du complot fleurissent. C’était déjà le cas dans les années 1930 – le complot judéo-maçonnique, la Synarchie… – ou bien à la fin des années 1940 avec la guerre froide (souvenez-vous du personnage de Jack D. Ripper dans « docteur Folamour » ou bien ce tract d’époque : https://fr.wikipedia.org/wiki/Docteur_Folamour#/media/Fichier:Unholy_three.png)

              Et pourtant, il n’y avait pas de téléphone portable, pas de wathsapp ou de facebook…

              [Particulièrement sans balayer d’un revers de main la pensée d’Ellul, que vous qualifiez hâtivement de réactionnaire.]

              « Hâtivement » ? Non monsieur. Jai pris le temps de le lire avant…

              [Je maintiens donc que l’hyper-sollicitation par les images en plus de nuire à la capacité de concentration, (Je l’ai observé en premier lieu sur moi-même), construit une pensée par l’évidence, l’association d’idée, et l’intuition.]

              Admettons. Mais pourquoi l’image de la télévision serait-elle moins abrutissante que celle du téléphone portable ou de l’ordinateur ?

              [Puisque vous contestez le fait que cela nuise respectivement à l’esprit critique, au sens de l’effort et la curiosité, j’y reviens : – Pour l’esprit critique, je crois que cela est directement lié à ce que vous acceptez vous-même : “le texte ou la parole nécessitent la médiation d’un langage organisé, et donc un décryptage, alors que l’image est une perception directe”. L’image produit du préjugé, de l’évident, de l’indiscutable.]

              Mais vous ne répondez pas à la question fondamentale : pourquoi l’image remplace le texte ? Pourquoi on ferme le livre plutôt que d’éteindre la télévision ?

              [Pour le sens de l’effort, cela me paraît trivial. Moins d’efforts sont nécessaires pour regarder 10 minutes de vidéo que d’entamer la lecture d’un livre ne serait-ce que d’un article de quelques pages.]

              Là encore, je ne suis pas convaincu. Personnellement, j’ai beaucoup plus de mal à regarder une vidéo qu’à lire un texte. Vous aurez remarqué que les gens qui postent des commentaires ici avec du texte reçoivent une réponse rapide, alors qu’à ceux qui mettent des liens vers des vidéos je mets bien plus longtemps à répondre, tout simplement parce que j’ai beaucoup moins de mal à lire un texte qu’à regarder une vidéo. Je suis facilement une argumentation textuelle, alors que pour comprendre l’argumentation dans une vidéo il me faut souvent revenir plusieurs fois en arrière…

              [Pour la curiosité, je crois qu’il est facile de se dire (et mes élèves le répètent sans cesse), Monsieur à quoi ça sert de savoir cela vu qu’en deux secondes on peut le savoir en cliquant sur google ou sur wiki ?]

              Mais Google ou Wiki, est-ce de l’image ou du texte ? Cette remarque n’a aucun rapport avec la question de l’image… Maintenant sur le fond, que répondez-vous à vos élèves ?

              [Quand vous découvrez le smartphone et la TV lorsque pour des questions de génération ou d’éducation, vous avez pu d’abord acquérir des habitudes de travail, un minimum d’esprit critique et une grande curiosité intellectuelle, vous avez sans doute les armes pour surmonter les tentations. Ce n’est pas le cas de tout le monde.]

              Certes. Mais nous sommes donc d’accord que le problème ne se trouve pas dans les écrans eux-mêmes, mais dans le fait qu’on n’a pas transmis aux jeunes les instruments qui leur permettent d’y résister ?

            • Vincent dit :

              @Antoine, Descartes
               
              Je viens quand on m’appelle, pas de problème !
               
              Si je suis globalement d’accord avec Antoine (bien que n’ayant jamais lu Elul), le point que je voulais défendre ici était exclusivement limité à la dispersion d’attention. Quand on regarde des messages sur son smartphone toutes les 3 minutes, même si on travaille sur un livre, l’attention ne peut pas y être. Et à l’époque de la télévision et des BD, il n’y avait pas Whatsapp qui se rappelait à nous toutes les 3 minutes.
               
              Je réponds néanmoins à Descartes :
               

              [Je constate que, tout comme Vincent, vous répétez cette affirmation mais sans donner aucun argument pour le soutenir. Ni des éléments de fait (comme par exemple une étude statistique) ni même un raisonnement montrant par quel mécanisme les uns seraient plus addictifs que les autres.]

               
              Je vais commencer par un “coup de gueule”, non pas bien sûr contre vous, mais contre ce que vous me demandez, qui est un exemple de quelque chose qui m’énerve beaucoup dans les débats publics aujourd’hui: Cette attitude consiste, face à un ressenti partagé par beaucoup, à nier celui ci tant qu’il n’y a pas de chiffre validé à l’appui de ce ressenti.
               
              Nos hommes politiques, qui ne sont pas de formation scientifique, ont tout le temps tendance à fonctionner comme cela, et les journalistes leurs demandent systématiquement des chiffres pour étayer leurs propos.
              Résultat : Les débats deviennent souvent des batailles de chiffre, chacun choisissant ceux qui l’arrange, ce qui n’a plus aucun sens.
               
              Or, même s’il n’y avait pas d’études ou de chiffres, énormément de personnes ont le même ressenti que Antoine ou moi. Et ce ressenti, s’il focalise peut être sur une cause erronée, doit néanmoins pouvoir s’expliquer et être pris en compte. Oui, il peut arriver qu’il y ait des biais cognitifs (chacun a l’impression qu’il est toujours dans la queue qui n’avance pas au supermarché… tout simplement car il y passe plus de temps, et s’y ennuie, donc s’en souvient mieux). Mais même s’il n’y a pas de chiffre tangible étayant la réalité du ressenti, on doit au moins s’efforcer de comprendre et d’analyser celui ci. Que ce soit en raison de la réalité du phénomène, ou pour étudier le biais de perception.
               
              Avec de telles méthodes, consistant à ne s’appuyer que sur les chiffres, pendant des décennies, on nous a expliqué que le niveau des lycéens n’avait jamais arrêté de monter, qu’il n’y avait aucune corrélation particulière entre délinquance / islamisation / forte population immigrée, etc.
              Mais les ressentis d’un “sentiment de baisse de niveau” et d’un “sentiment d’insécurité” étaient bien là, et avaient tout de même raison.
               
              Ceci étant posé, il y a tout de même des articles qui semblent montrer que des scientifiques s’intéressent au phénomène sans le disqualifier :
              https://korii.slate.fr/tech/sante-cerveau-smartphones-attention-concentration-memoire-souvenirs
               

              [Admettons. Mais pourquoi l’image de la télévision serait-elle moins abrutissante que celle du téléphone portable ou de l’ordinateur ?]

              Vous ne posez pas ici la bonne question : “Assurons-nous bien du fait avant que de nous inquiéter de la cause”. La télévision est elle moins abrutissante que le téléphone portable ou l’ordinateur ?
               
              J’ai sur ma liste de lectures prochaines : La Fabrique du crétin digital” (Michel Desmurget). J’avais lu son livre sur les ravages de la télévision : plein de statistiques, d’expériences cognitives, etc. Sur des centaines de pages. Et ce tome 2, que je n’ai donc pas encore lu, en contient sur les nouveaux médias. D’après ce que j’ai compris, les études scientifiques de ce livre vont dans le sens de l’intuition d’Antoine ou de la mienne, à savoir que les nouveaux moyens de communication sont pires que la télévision par bien des aspects.
              Mais je préfère tout de même ne pas être trop affirmatif, ne l’ayant pas encore lu.
               
              Mais puisque vous voulez des raisons, j’en vois plusieurs :
              – les programmes de la télévision sont plus diversifiés que les vidéos que vous propose Youtube, qui sont toutes exactement dans le sens et sur le thème de celles que vous aviez vues par le passé. Abrutissant, et ne permettant aucune ouverture d’esprit, aucune multiplicité des points de vue,
              – quand le smartphone remplace à la fois le téléphone, la télévision, la radio, le journal, les discussions avec les potes, voire parfois le cours avec son prof… Doit on s’étonner qu’il y ait un mélange des genres, entre ce qui relève du travail et ce qui n’en relève pas ?
               

              [Mais vous ne répondez pas à la question fondamentale : pourquoi l’image remplace le texte ? Pourquoi on ferme le livre plutôt que d’éteindre la télévision ?]

               
              A l’époque de la télévision, on avait le choix entre 4 programmes (ou 6, ou 8). Mais le plus souvent, aucun sur les sujets qui nous intéresse. Pour les sujets qui nous intéresse, il fallait lire.
              Maintenant, on a des vidéos youtube autant que des livres, sur n’importe quel sujet : vous voulez en savoir plus sur les invasions Viking, l’histoire de la culture de la canne à sucre, ou l’architecture inca ? Vous trouverez des vidéos dessus. Pourquoi lire des livres ? Vous voulez des histoires à l’eau de rose ? Vous avez des youtubeurs qui racontent leur vie en faisant exprès qu’il leur arrive plein de choses pour faire comme un roman. Vous aimez les polars ? Les films d’action ? Vous trouverez toujours quelque chose pour vous…
               
              Ces nouveaux formats vidéo offrent suffisamment de choix pour remplacer le livre. Ce qui n’était pas le cas quand il y a avait seulement quelques chaines à la télé, et que la téléréalité n’existait pas.
               
              Là où je vous donne un point, c’est que l’augmentation du nombre de chaines, et des émissions débiles du style téléréalité avaient déjà commencé à se substituer au texte chez les amateurs de certains romans de gare. Mais avec youtube, on a une explosion des possibles.
               

              [Mais Google ou Wiki, est-ce de l’image ou du texte ? Cette remarque n’a aucun rapport avec la question de l’image… Maintenant sur le fond, que répondez-vous à vos élèves ?]

               
              Je ne mets pas du tout Wiki sur le même plan. C’est un désaccord que j’ai avec Antoine. Wikipedia est pour moi ni plus ni moins que le “Quid” qui existait dans les années 80 / 90 / début 2000. Mais 1000 fois plus complet, avec un accès plus rapide pour rechercher des informations.
              Pour des étudiants, ça peut être un très bon outil.
               

              [Certes. Mais nous sommes donc d’accord que le problème ne se trouve pas dans les écrans eux-mêmes, mais dans le fait qu’on n’a pas transmis aux jeunes les instruments qui leur permettent d’y résister ?]

               
              Pas tant dans les écrans que dans le contenu de ceux ci, avec notamment le problème des excès de vidéos, et surtout des réseaux sociaux.
              Dans tous les exemples que je vous ai donnés, je vous ai parlé de vidéos qui tournaient en arrière plan (avec quelqu’un qui vous parle en même temps que vous lisez), de messages Whatsapp, facebook, ou de je ne sais pas quel réseau social qui viennent vous interrompre dans ce que vous faites.
               
              L’utilisation d’un ordinateur pour lire un cours, pour lire un livre, pour consulter wikipedia, pour essayer de faire de la programmation, ou pour passer un appel 1 fois par semaine à un ami parti à l’étranger, ne me pose aucun problème, bien au contraire.
               
              De ce point de vue, oui, naturellement, le problème est l’usage qui en est fait, et je présume que personne ne propose de sortir de l’informatique !

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Et à l’époque de la télévision et des BD, il n’y avait pas Whatsapp qui se rappelait à nous toutes les 3 minutes.]

              Whatsapp ne se rappelle à nous que si nous le voulons. Il suffit d’appuyer sur le bouton « arrêt », et vous êtes libéré. Le problème n’est donc pas que Whatsapp se rappelle à vous toutes les trois minutes, il réside dans votre incapacité à le débrancher.

              [Je constate que, tout comme Vincent, vous répétez cette affirmation mais sans donner aucun argument pour le soutenir. Ni des éléments de fait (comme par exemple une étude statistique) ni même un raisonnement montrant par quel mécanisme les uns seraient plus addictifs que les autres.]

              [Je vais commencer par un “coup de gueule”, non pas bien sûr contre vous, mais contre ce que vous me demandez, qui est un exemple de quelque chose qui m’énerve beaucoup dans les débats publics aujourd’hui: Cette attitude consiste, face à un ressenti partagé par beaucoup, à nier celui-ci tant qu’il n’y a pas de chiffre validé à l’appui de ce ressenti.]

              Je ne comprends pas votre coup de gueule. Tant qu’un fait n’est pas établi, il n’est pas établi. Et le « ressenti », même s’il est largement partagé, n’y changera rien. Nier le ressenti lui-même, c’est absurde, mais mettre en doute le fait que se ressenti représente une réalité, cela me semble très sain.

              [Or, même s’il n’y avait pas d’études ou de chiffres, énormément de personnes ont le même ressenti que Antoine ou moi. Et ce ressenti, s’il focalise peut être sur une cause erronée, doit néanmoins pouvoir s’expliquer et être pris en compte. Oui, il peut arriver qu’il y ait des biais cognitifs (chacun a l’impression qu’il est toujours dans la queue qui n’avance pas au supermarché… tout simplement car il y passe plus de temps, et s’y ennuie, donc s’en souvient mieux). Mais même s’il n’y a pas de chiffre tangible étayant la réalité du ressenti, on doit au moins s’efforcer de comprendre et d’analyser celui ci. Que ce soit en raison de la réalité du phénomène, ou pour étudier le biais de perception.]

              Je ne dis pas le contraire. Mais analyser le biais de perception ne nous informe guère sur le fait lui-même, or c’est celui-là qui nous intéresse au premier chef. Je veux bien qu’on discute sur les raisons pour lesquelles on a l’impression que le téléphone portable a un effet addictif qui va au-delà des médias habituels, mais la question ici n’était pas celle-là, mais portait de votre côté su les effets de cette addiction, considérée comme un fait établi. Et bien, c’est ce « fait établi » que je remets en question. Est-ce que le téléphone portable est plus addictif que ne l’était par le passé la télévision ou le téléphone fixe ?

              [Ceci étant posé, il y a tout de même des articles qui semblent montrer que des scientifiques s’intéressent au phénomène sans le disqualifier : (…)]

              Tout à fait. Mais je cite l’article que vous donnez en référence : « Scientifiquement, rien ne prouve encore qu’à long terme, l’utilisation excessive des smartphones pourrait engendrer des effets sur le cerveau ou la mémoire des adultes. » QED ?

              [Mais puisque vous voulez des raisons, j’en vois plusieurs :
              – les programmes de la télévision sont plus diversifiés que les vidéos que vous propose Youtube, qui sont toutes exactement dans le sens et sur le thème de celles que vous aviez vues par le passé. Abrutissant, et ne permettant aucune ouverture d’esprit, aucune multiplicité des points de vue,]

              Vous êtes trop jeune pour vous en souvenir, mais pendant longtemps la France n’avait qu’une seule ou deux chaines à sa disposition. Et on ne peut pas dire qu’elles brillaient par la diversité des points de vue.

              [– quand le smartphone remplace à la fois le téléphone, la télévision, la radio, le journal, les discussions avec les potes, voire parfois le cours avec son prof… Doit on s’étonner qu’il y ait un mélange des genres, entre ce qui relève du travail et ce qui n’en relève pas ?]

              Mais encore une fois, votre explication est circulaire : « pourquoi votre fille est muette ? parce qu’elle ne parle pas ». POURQUOI permettons-nous au smartphone d’occuper une telle place ? POURQUOI sommes-nous incapables de le débrancher ? Personnellement, je ne crois pas que cela soit inhérent à l’objet.

              [A l’époque de la télévision, on avait le choix entre 4 programmes (ou 6, ou 8). Mais le plus souvent, aucun sur les sujets qui nous intéresse. Pour les sujets qui nous intéresse, il fallait lire.
              Maintenant, on a des vidéos youtube autant que des livres, sur n’importe quel sujet : vous voulez en savoir plus sur les invasions Viking, l’histoire de la culture de la canne à sucre, ou l’architecture inca ? Vous trouverez des vidéos dessus. Pourquoi lire des livres ?]

              Si l’on admet cette explication, alors il faut admettre que le public est sélectif sur le contenu, en d’autres termes, que si les médias électroniques attirent c’est parce qu’ils présentent des contenus qui correspondent à la recherche du spectateur. Mais dans ce cas, on ne peut parler de « distraction » : au lieu de lire un livre sur les viking, vous regarderez un documentaire sur les viking, mais vous resterez concentré sur votre sujet. Si le documentaire est bon, vous apprendrez autant. Il se peut bien entendu qu’il soit mauvais, mais c’est aussi le cas de certains livres… Votre explication nous éloigne donc de la problématique évoquée, celle de l’étudiant que les médias électroniques « distrairaient » de son sujet d’études.

              [Je ne mets pas du tout Wiki sur le même plan. C’est un désaccord que j’ai avec Antoine. Wikipedia est pour moi ni plus ni moins que le “Quid” qui existait dans les années 80 / 90 / début 2000. Mais 1000 fois plus complet, avec un accès plus rapide pour rechercher des informations.
              Pour des étudiants, ça peut être un très bon outil.]

              Malheureusement, wikipédia est beaucoup moins fiable que le « Quid ». Cela ne le rend pas inutile, mais nécessite de ceux qui le consultent une vision critique bien plus aiguisée…

            • Erwan dit :

              [Je constate que, tout comme Vincent, vous répétez cette affirmation mais sans donner aucun argument pour le soutenir. Ni des éléments de fait (comme par exemple une étude statistique) ni même un raisonnement montrant par quel mécanisme les uns seraient plus addictifs que les autres. Pourquoi est-ce plus difficile d’éteindre son portable que la radio ou la télévision ?]
               
              Je me permets de mettre mon grain de sel… Les applications des smartphones sont optimisées pour maximiser leur temps d’utilisation. La radio et la télévision tentent de faire cela, mais de manière plus artisanale (sans trop faire appel à des algorithmes), et sans les mêmes possibilités de personnalisation.
               
              L’exemple le plus édifiant est probablement l’algorithme de Facebook, l’un des premiers à utiliser les réseaux de neurones profonds, avec précisément comme critère d’optimisation le temps passé sur le site.

            • Descartes dit :

              @ Erwan

              [L’exemple le plus édifiant est probablement l’algorithme de Facebook, l’un des premiers à utiliser les réseaux de neurones profonds, avec précisément comme critère d’optimisation le temps passé sur le site.]

              Déjà à l’époque romaine, les boutiques étaient aménagées de manière à donner au client potentiel l’envie de rester le plus longtemps possible. Les premiers grands magasins puis la grande distribution ont fait leur fortune à partir d’une étude scientifique des comportements des clients. Ce que vous décrivez, c’est sur le principe aussi vieux que le commerce, même si les méthodes de calcul modernes permettent de raffiner comme jamais la technique.

            • Antoine dit :

              1)    Pourquoi est-ce plus difficile d’éteindre son portable que la radio ou la télévision ?
                     Une rapide recherche vous permet d’obtenir tous les résultats statistiques que vous souhaitez. Selon santé publique France, un adulte passe en moyenne 2h de plus par jour devant un écran aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Il est même possible de discriminer selon le type d’écran. Tous les indicateurs montrent que la TV perd du terrain face aux smartphones et à internet. Ce n’est plus le Télé7 jours qui vous donne le programme de votre film du dimanche soir mais c’est vous-même qui le choisissez entre 1000 sur Netflix. Rien que sur le smartphone, le temps d’écran moyen était estimé à 2,3 heures par jour contre seulement 1,8, il y a 2 ans.  Pour les enfants, on trouve grosso modo les mêmes chiffres, qui s’expliquent par un taux d’équipement en tablette très élevé (1 enfant  sur 3 est équipé d’une tablette personnelle). 
              La hausse de la consommation des écrans est donc indiscutable. Dès lors deux possibilités : soit il s’agit simplement de répondre à une nécessité (si vous le pensez, vous me direz laquelle), dans ce cas l’augmentation constatée est réfléchie, soit il s’agit d’une augmentation de l’addiction. Je vais essayer rapidement de vous montrer pourquoi je penche pour la deuxième idée. D’abord, l’étude des mécanismes de l’addiction montrent que plus vous êtes exposé jeune à une consommation ou à une pratique, plus vous êtes susceptible de développer une addiction, même pérenne à l’âge adulte. Or, en l’espèce, les enfants sont de plus en plus exposés aux écrans, les statistiques citées plus haut vous le montre. Il y a donc un risque accru pour eux de développer une addiction.  
              Ensuite, les différentes innovations permettent d’individualiser de plus en plus les pratiques. Par les supports, d’abord, mais aussi par les contenus. Dans un premier temps, la miniaturisation des appareils a permis d’en mettre dans toutes les pièces et plus particulièrement dans toutes les chambres. Puis, la petite taille du smartphone a permis de l’emmener aux toilettes (comme 55% des Français) ou de le regarder plus ou moins discrètement sous la couette ou  sous la table pendant un repas de famille par exemple. Pour les parents, surveiller la consommation des smartphones demande un effort autrement plus conséquent que surveiller la consommation de l’unique poste de TV familial qui trône dans le salon. Evidemment, vous pouvez toujours priver votre enfant complètement de smartphone pour vous simplifiez la tâche mais vous le condamnez quasiment à une mort sociale. Parallèlement, le développement et la diversification colossale des contenus permet d’avoir toujours quelque chose d’intéressant à regarder. Si les dessins animés étaient d’abord limités à un créneau horaire précis sur telle chaîne, les chaînes spécialisées puis la vidéo à la demande vous permettent de regarder ce que vous voulez quand vous voulez. J’ajoute que ce phénomène concerne tout le monde :  le fan d’info, le fan de match de football ou le fan de documentaires animaliers…. Désormais les algorithmes savent même ce que vous aimez faire ou visionner en ligne et vous propose des contenus adaptés avant même que vous n’ayez émis le besoin ou le souhait de les regarder. Comment dire non ? Comment ne pas reconnaître que ces circonstances rendent plus difficile d’éteindre son portable que sa télévision ? Enfin, la miniaturisation des supports et l’hyper personnalisation des contenus vous donne l’impression d’en être le maître. Si le smartphone est dans votre poche, la nécessité de l’éteindre vous apparaît moins évidente que quand la TV braille à vos côtés (a fortiori si le smartphone sert lui-même de support indispensable à votre cours dans le cadre d’une visio ou d’une recherche documentaire sur internet). Et pourtant : ce n’est plus vous qui sollicitez la télévision en l’allumant c’est le smartphone qui vous sollicite par ses multiples notifications. Comme le téléphone est le support unique de mille activités, il a autant de bonnes raisons de vous solliciter (les mails, whats’app, facebook et snapchat bien sûr mais aussi  l’alerte info« le monde », les réservations de billets de train, les nouveaux niveaux disponibles sur candy crush, la nouvelle vidéo vidéo passionnante de vulgarisation historique sur Youtube…). Il n’y a donc plus une activité à cesser mais 5 ou 6 ou plus ! La dispersion est considérable. Si pour certaines d’entre elles il est facile de considérer que c’est du temps perdu, pour d’autres, on a toujours une bonne raison pour justifier l’urgence.
              2)     Les complots ne sont pas nouveaux :
              Je ne dis pas que les écrans sont la cause unique et première de la pensée complotiste aussi votre point n’invalide-t-il pas le mien. Tout au plus supposais-je que les écrans et les réseaux sociaux avaient participé à leur recrudescence.  4 points pour le justifier : 
              -le nivellement de l’information : la surinformation rend extrêmement difficile le tri entre le futile et l’indispensable pour cerner les grands enjeux.
              -le nivellement  de l’autorité. Tous les points de vue se valent.
              -la sensation du nombre (sur les forums tout le monde pense comme moi, nous sommes la majorité silencieuse).
              -les algorithmes qui tendent à pré-classer les informations ou les contenus selon qu’ils correspondent ou non à vos idées a priori. Vous ne voyez progressivement plus que des points de vue qui renforcent les vôtres. Et cela limite les occasions d’exercer votre esprit critique.
              3)     Pourquoi l’image remplace le texte ? Pourquoi on ferme le livre plutôt que d’éteindre la télévision ?
              ð  D’abord, les images artificielles attirent par essence. Je ne saurai pas vous l’expliquer en termes neuro/psycho mais je le vois bien quand mon fils de quelques mois, mis devant un livre et un écran tourne systématiquement sa tête vers l’écran. Et vous le voyez bien devant la Joconde, combien de touristes regardent davantage Mona lisa par la médiation de leur écran d’appareil photo plutôt que par leur propres yeux ?Ensuite, on le fait par paresse et par facilité. 10 minutes de film sur la seconde guerre mondiale vous donnent  beaucoup plus d’élément que 10 pages de lecture sur le sujet. Le contact direct et global par les images simplifie ce qui serait si compliqué par le lent cheminement d’une analyse discursive puis d’une synthèse. J’imagine enfin que l’homme ayant soif de réel, il voit dans l’image brute, à mesure qu’il s’éloigne de son milieu naturel,  la réconciliation de ses contradictions et la compensation de ses abstractions. Pensez au portrait ovale d’Edgar Allan Poe.
              4)     Là encore, je ne suis pas convaincu. Personnellement, j’ai beaucoup plus de mal à regarder une vidéo qu’à lire un texte.
              ð  Votre cas est un phénomène rare. Je peux vous assurer que dans mon entourage personnel ou professionnel, relativement diversifié sur le plan générationnel comme sur le plan social, on dirait exactement l’inverse. Peut-être votre situation vous fait-elle minimiser une difficulté que vous ne rencontrez pas.
              5)     Mais Google ou Wiki, est-ce de l’image ou du texte ? Que répondez-vous à vos élèves  qui demandent à quoi cela sert d’apprendre un contenu accessible en 2 clics sur google ? 
              Je mets de côté l’aspect textuel. Google et Wiki intègrent pour moi au moins autant le champ des images que le champ du texte surtout quand on voit les contenus que les élèves y cherchent (une image, des images ou  un article le plus bref possible, vous vous en doutez). Je n’oppose pas l’image au texte, j’oppose l’image à l’analyse et la démonstration. Sur le fond, je suis bien embêté parce que je pense qu’ils ne peuvent pas comprendre une réponse explicite au moment où ils posent la question. Ils ne pourront en comprendre le sens que plus tard, une fois que les tâches parfois laborieuses (mais pas toujours) des apprentissages auront porté leur fruit.
              6)     Mais nous sommes donc d’accord que le problème ne se trouve pas dans les écrans eux-mêmes, mais dans le fait qu’on n’a pas transmis aux jeunes les instruments qui leur permettent d’y résister ?
              => C’est un peu l’histoire de l’œuf et de la poule. Le problème réside dans la vitesse fantastique des innovations technologiques. Celles-ci se déploient beaucoup plus vite que le développement d’une pensée qui permet de la comprendre et d’en trier les aspects positifs et négatifs. Aussi comment peut-on transmettre aux jeunes les instruments qui permettent d’y résister si nous n’avons pas nous-mêmes perçu tous les enjeux de l’hyper-sollicitation par les images ? Je vous l’ai dit, mes parents ont été tout autant victime des écrans que moi et mes élèves.  Ce n’est pas qu’une question de niveau social et de bagage culturel. Il faut prendre le temps de penser la médiation des images. Or à l’EN je vous garantis que l’identification de ces dangers n’est pas encore véritablement acquise. Tenez par exemple, dans le cadre de la formation initiale des professeurs du secondaire, nous sommes allés visiter très récemment, les archives départementales. En guise d’introduction, la professeur détachée aux archives pour y accueillir les classes et les enseignants nous présente deux vidéos pour presque 20 minutes de visionnage au total. Quel était le contenu de ces vidéos ? D’abord une visite virtuelle des archives avec une musique digne des plus grands films à suspens en fond sonore (alors même qu’une visite réelle cette fois-ci était prévue immédiatement après), puis quelques séquences d’interview de qualité très inégales de différents intervenants présentant l’histoire des archives et leur rôle. Une présentation magistrale même de qualité médiocre aurait été plus riche, plus stimulante intellectuellement et plus interactive puisqu’elle nous aurait laissé la possibilité de l’interrompre  avec des questions. En somme, les images apparaissent comme l’alpha et l’oméga de la société du « fun » que vous décrivez du reste très bien dans votre article. Il faut intéresser et amuser son public. Cette idéologie du fun a d’ailleurs permis de justifier notre incapacité à penser la multiplication des images. Elle est pour moi davantage une conséquence qu’une cause de la pensée par image. Elle n’en est d’ailleurs pas la seule. L’exigence du tout tout de suite et la multiplication des discours catastrophistes et apocalyptiques ( dont vous avez déjà parlé au sujet des écolos) en sont également. Il faudrait encore du temps pour le développer ! 

            • Descartes dit :

              @ Antoine

              1) Pourquoi est-ce plus difficile d’éteindre son portable que la radio ou la télévision ? (…) La hausse de la consommation des écrans est donc indiscutable. Dès lors deux possibilités : soit il s’agit simplement de répondre à une nécessité (si vous le pensez, vous me direz laquelle), dans ce cas l’augmentation constatée est réfléchie, soit il s’agit d’une augmentation de l’addiction.]

              Lorsque grâce à la presse de Gutenberg les livres sont devenus beaucoup moins chers, la consommation de textes imprimés a augmenté massivement. Peut-on parler « d’addiction » ? Je ne le crois pas. Lorsque l’offre de contenus augmente et que le coût pour y accéder diminue, la consommation s’accroit. Ce fut le cas pour le livre, pour la musique, pour le cinéma, pour la télévision, et aujourd’hui pour la vidéo numérique. Si vous voulez parler en terme de « besoin », on peut parler d’un « besoin de divertissement ».

              Mais la question que je posais ne portait pas tant sur les raisons pour lesquelles on ALLUME la télévision ou le portable, que sur les raisons pour lesquelles on est incapable de les ETEINDRE, par exemple, pour étudier.

              [Je vais essayer rapidement de vous montrer pourquoi je penche pour la deuxième idée. D’abord, l’étude des mécanismes de l’addiction montrent que plus vous êtes exposé jeune à une consommation ou à une pratique, plus vous êtes susceptible de développer une addiction, même pérenne à l’âge adulte. Or, en l’espèce, les enfants sont de plus en plus exposés aux écrans, les statistiques citées plus haut vous le montre. Il y a donc un risque accru pour eux de développer une addiction.]

              L’argument est faible. Il est clair que l’on tend à garder les pratiques que nous avons appris dans notre enfance et notre jeunesse. J’ai été éduqué en contact avec les livres depuis que je suis très jeune, et je ne crois pas qu’on puisse parler d’une « addiction ». J’aime certaines spécialités de la cuisine juive que j’ai mangé dans mon enfance, mais je ne dirais pas qu’il s’agit d’une addiction.

              [Désormais les algorithmes savent même ce que vous aimez faire ou visionner en ligne et vous propose des contenus adaptés avant même que vous n’ayez émis le besoin ou le souhait de les regarder. Comment dire non ?]

              C’est ce point-là que je n’arrive pas à comprendre. Il y a plein de choses que j’aime faire, mais pour autant je ne ressens pas le besoin de les faire TOUT LE TEMPS. J’irais même plus loin : j’aime manger du foie gras parce que je le fais de temps en temps. Si je devais manger du foie gras deux fois par jour tous les jours que dieu fait, j’en serai probablement rapidement dégouté. Je comprends parfaitement votre explication sur pourquoi les écrans peuvent être attractifs. Ce que vous ne m’expliquez pas, ce sont les raisons pour lesquelles les gens n’arrivent pas à les éteindre, par exemple, pour étudier.

              [Comment ne pas reconnaître que ces circonstances rendent plus difficile d’éteindre son portable que sa télévision ?]

              Au contraire. Avec la télévision, ce que je ne regarde pas aujourd’hui est perdu pour toujours. Par contre, avec le smartphone ou l’ordinateur, ce que je ne regarde pas maintenant je pourrai le regarder plus tard, à l’heure de mon choix. Pourquoi ai-je donc besoin d’être connecté en permanence ?
              [Et pourtant : ce n’est plus vous qui sollicitez la télévision en l’allumant c’est le smartphone qui vous sollicite par ses multiples notifications.]

              Je me répète, mais tant pis : une « notification » PEUT PARFAITEMENT SE DEBRANCHER. Pourquoi est-il si difficile de le faire ?

              [D’abord, les images artificielles attirent par essence. Je ne saurai pas vous l’expliquer en termes neuro/psycho mais je le vois bien quand mon fils de quelques mois, mis devant un livre et un écran tourne systématiquement sa tête vers l’écran.]

              Oui. Les images qui bougent – et en général, les objets qui bougent – attirent notre regard. C’est d’ailleurs commun à presque tous les animaux, puisque c’est un trait de survie : ce qui bouge peut-être au choix une proie ou un prédateur. Mais cela est valable autant pour la télévison que pour le smartphone… et ne répond pas à ma question de base : pourquoi n’arrivons-nous pas à l’éteindre ?

              [Ensuite, on le fait par paresse et par facilité. 10 minutes de film sur la seconde guerre mondiale vous donnent beaucoup plus d’élément que 10 pages de lecture sur le sujet.]

              Pour vous c’est une réalité où une illusion ? L’étudiant a l’IMPRESSION que dix minutes de film lui donnent plus d’information que dix minutes de lecture, ou est-ce une REALITE ? Parce que si on est dans le premier cas, il n’y a rien de mal à supprimer les livres et les remplacer par des films. Personnellement, je pense que c’est une illusion. Je dirai même que ce n’est même pas ça : je n’ai entendu personne soutenir rationnellement que regarder un film donne plus d’éléments que lire. Ceux qui argumentent en faveur de l’audiovisuel évoquent son caractère ludique et sa capacité à attraper l’attention, mais je n’ai jamais entendu quelqu’un affirmer que cela permettait de transmettre plus d’information.

              [Le contact direct et global par les images simplifie ce qui serait si compliqué par le lent cheminement d’une analyse discursive puis d’une synthèse. J’imagine enfin que l’homme ayant soif de réel, il voit dans l’image brute, à mesure qu’il s’éloigne de son milieu naturel, la réconciliation de ses contradictions et la compensation de ses abstractions. Pensez au portrait ovale d’Edgar Allan Poe.]

              Que l’homme soit naturellement paresseux, qu’il cherche naturellement la voie du moindre effort, je vous l’accorde. Mais ce qui fait que l’homme est homme, c’est sa capacité – individuelle mais surtout collective – à anticiper, à se rendre compte qu’un plus grand effort aujourd’hui lui permettra un confort infiniment plus grand demain. Si on n’avait pas été capable de ce processus, on serait encore en train de sauter d’une branche à l’autre. Or, s’il est vrai que « le contact direct avec les mages simplifie », il ne conduit pas du tout au même résultat que « l’analyse discursive ».

              [« Là encore, je ne suis pas convaincu. Personnellement, j’ai beaucoup plus de mal à regarder une vidéo qu’à lire un texte. » Votre cas est un phénomène rare. Je peux vous assurer que dans mon entourage personnel ou professionnel, relativement diversifié sur le plan générationnel comme sur le plan social, on dirait exactement l’inverse. Peut-être votre situation vous fait-elle minimiser une difficulté que vous ne rencontrez pas.]

              Peut-être. Mais dans mon entourage personnel et professionnel, je ne constate pas ce que vous signalez ici. Pour mes collègues comme pour ma famille, le texte reste irremplaçable et la vidéo est regardée comme un « gadget », amusant certes mais gadget enfin.

              [Je mets de côté l’aspect textuel. Google et Wiki intègrent pour moi au moins autant le champ des images que le champ du texte surtout quand on voit les contenus que les élèves y cherchent (une image, des images ou un article le plus bref possible, vous vous en doutez). Je n’oppose pas l’image au texte, j’oppose l’image à l’analyse et la démonstration.]

              Sur ce point, je diffère. Je trouve que le succès de Wikipédia (qui est d’abord un recueil de texte, et seulement accessoirement un réservoir d’images) montre combien la question de l’écrit reste importante même pour les plus jeunes générations. Quant à Google, il reste un moteur de recherche textuelle (on n’a pas encore inventé un moteur de recherche d’images…).

              [Sur le fond, je suis bien embêté parce que je pense qu’ils ne peuvent pas comprendre une réponse explicite au moment où ils posent la question. Ils ne pourront en comprendre le sens que plus tard, une fois que les tâches parfois laborieuses (mais pas toujours) des apprentissages auront porté leur fruit.]

              Pourtant, la réponse me paraît très simple (mais je surestime peut-être le niveau de vos étudiants) : je peux toujours aller chercher le théorème de Pythagore sur Wikipédia. Mais devant un problème pratique, penserai-je à utiliser ce théorème si je ne l’ai pas appris et compris ? Notre intelligence est construite autour de structures qui nous permettent de mettre en relation les informations que nous recevons à travers nos sens et une « base de données » de choses que nous avons apprises. Plus cette « base de données » est riche, et plus nous arrivons à établir des relations. Nous pouvons mettre une situation, un problème réel avec le drame de Médée, avec un épisode de la Révolution française ou avec la loi d’Ohm parce que nous avons stocké quelque part dans notre mémoire la compréhension du drame de Médée, de l’épisode de la Révolution ou de la loi physique. Bien sûr, nous pouvons aller chercher ces connaissances sur wikipédia. Mais si nous ne les avons pas compris et stocké dans notre mémoire, nous perdons la possibilité d’établir des ponts avec le réel.

              [Le problème réside dans la vitesse fantastique des innovations technologiques. Celles-ci se déploient beaucoup plus vite que le développement d’une pensée qui permet de la comprendre et d’en trier les aspects positifs et négatifs. Aussi comment peut-on transmettre aux jeunes les instruments qui permettent d’y résister si nous n’avons pas nous-mêmes perçu tous les enjeux de l’hyper-sollicitation par les images ?]

              Il ne faut pas exagérer. Les images animées font partie déjà depuis longtemps de notre vie. Le cinéma est maintenant centenaire, et la télévision le sera bientôt. Et les instruments pour y résister, on les connaît : le plus efficace, c’est de pousser le bouton « arrêt ». Moi, on m’a enseigné que lorsqu’on se met à étudier, on éteint la radio, la télévision, on ne se met pas devant une fenêtre et on ferme la porte de la chambre pour ne pas être distrait. A la maison, quand j’étais enfant, on devait demander l’autorisation des parents pour allumer la télévision, et on nous autorisait non pas à « regarder la télévision » mais à regarder telle ou telle émission, film ou documentaire (autrement dit, c’est moi qui choisit ce que je regarde, et non l’appareil). Ces simples règles de prophylaxie n’ont rien perdu de leur efficacité.

              [Tenez par exemple, dans le cadre de la formation initiale des professeurs du secondaire, nous sommes allés visiter très récemment, les archives départementales. En guise d’introduction, la professeur détachée aux archives pour y accueillir les classes et les enseignants nous présente deux vidéos pour presque 20 minutes de visionnage au total. (…) Une présentation magistrale même de qualité médiocre aurait été plus riche, plus stimulante intellectuellement et plus interactive puisqu’elle nous aurait laissé la possibilité de l’interrompre avec des questions.]

              Là, c’est une autre question. Ce n’est pas l’addiction aux images qui est en cause, mais la paresse intellectuelle et matérielle. La vidéo en lieu et place d’une présentation, c’est la solution de facilité. Un peu comme les parents qui utilisent le DVD de Disney pour avoir la paix – DVD qui remplace le petit coup de calva que certains de nos grands-parents mettaient dans le biberon… C’est comme l’inévitable présentation « powerpoint » dans les réunions : c’est la béquille de l’intelligence, et qui plus est, une béquille réutilisable.

              [En somme, les images apparaissent comme l’alpha et l’oméga de la société du « fun » que vous décrivez du reste très bien dans votre article. Il faut intéresser et amuser son public.]

              Oui, mais dans l’exemple que vous donnez, celui de la présentation des archives, la vidéo n’était pas particulièrement intéressante ou amusante…

              [Cette idéologie du fun a d’ailleurs permis de justifier notre incapacité à penser la multiplication des images. Elle est pour moi davantage une conséquence qu’une cause de la pensée par image.]

              Pour moi, ni l’un ni l’autre. Elles sont deux facettes d’un même mécanisme, celui de l’abrutissement de la masse et de la confiscation de la pensée par une petite élite. Au XVIIIème siècle, on pensait que la connaissance quelque chose de bien trop dangereux pour permettre au bas peuple d’y accéder. Et par voie de conséquence, on lui interdisait l’accès aux lieux de connaissance. Aujourd’hui, on est bien plus hypocrite. Au lieu de les interdire, on manipule la paresse humaine pour dissuader les gens d’y rentrer. La société du « fun », c’est cela.

            • Antoine dit :

              PS: je suis navré pour la mise en page abrupte de ces pavés, j’avais pourtant essayer de sauter des lignes, mais l’édition des commentaires ne semble pas le retenir. 

            • Descartes dit :

              @ Antoine

              [PS: je suis navré pour la mise en page abrupte de ces pavés, j’avais pourtant essayer de sauter des lignes, mais l’édition des commentaires ne semble pas le retenir.]

              J’ai l’impression que cela tient à l’éditeur de texte que vous utilisez pour écrire vos commentaires… Peut-être le faites vous sur Linux ?

            • Erwan dit :

              @ Descartes
               
              [Déjà à l’époque romaine, les boutiques étaient aménagées de manière à donner au client potentiel l’envie de rester le plus longtemps possible. Les premiers grands magasins puis la grande distribution ont fait leur fortune à partir d’une étude scientifique des comportements des clients. Ce que vous décrivez, c’est sur le principe aussi vieux que le commerce, même si les méthodes de calcul modernes permettent de raffiner comme jamais la technique.]
              Tout à fait, mon point était juste que les applications (plus précisément certaines applications) sur smartphone utilisent des algorithmes personnalisés qui exploitent des données massives leur permettant de faire ce qu’aucun humain ne pourrait faire à la main, et que cela rend plus difficile d’éteindre son portable que la radio ou la télévision. Il y a aussi le fait que l’on peut interagir avec l’application, on ne peut pas vraiment faire cela avec la radio ou la télévision.
              Pour les réseaux de neurones profonds, on ne peut pas vraiment dire que cela revient à raffiner la technique, plutôt à faire en sorte que l’ordinateur la redécouvre lui-même, et la pousse plus loin que même le plus avancé des autres types d’algorithmes d’apprentissage automatique ne la pousserait (pour cette tâche spécifique, ce n’est pas vrai en général).
               
              Auriez-vous une référence pour l’aménagement des boutiques romaines ?

            • Descartes dit :

              @ Erwan

              [Tout à fait, mon point était juste que les applications (plus précisément certaines applications) sur smartphone utilisent des algorithmes personnalisés qui exploitent des données massives leur permettant de faire ce qu’aucun humain ne pourrait faire à la main, et que cela rend plus difficile d’éteindre son portable que la radio ou la télévision.]

              J’avoue que j’ai du mal avec cette idée. J’admets bien volontiers que grâce à l’exploitation des bases de données par les algorithmes adéquats les sites internet peuvent nous proposer les contenus qui nous attirent et donc de nous « guider » pour que l’on reste le plus longtemps possible sur un site, ou qu’on aille sur un site donné. Mais je vois mal en quoi ces algorithmes peuvent rendre plus difficile la déconnexion. Si je sais que je dois étudier pour un examen, j’éteins mon ordinateur ou mon portable, et cela quelque soit l’habileté de l’algorithme pour me proposer les contenus qui me conviennent le plus. Car je sais que ces contenus seront toujours là si je reviens deux ou trois heures plus tard.

              A la réflexion, et après avoir relu ces échanges, je pense que l’incapacité de déconnecter ne doit rien aux algorithmes ou à l’attrait des images, et tout à l’incapacité dans laquelle notre société nous formate d’accepter la moindre frustration. Il nous faut « tout, tout de suite ». Et c’est ce « tout de suite » qui nous empêche de nous déconnecter. Quand bien même nous savons que les contenus que nous avons envie de regarder seront là dans une heure, un jour, une semaine, il nous est impossible d’attendre. C’est peut-être cette capacité à attendre qui sépare le plus les générations plus anciennes des plus récentes.

              Et cela ne touche pas que le rapport aux médias. Prenez le fonctionnement professionnel. Quand j’ai commencé la carrière, on tenait pour acquis qu’il y avait un « cursus honorum » à faire, et que même ceux qui étaient destinés aux plus hautes fonctions devaient attendre d’avoir complété un parcours initiatique et formateur pour pouvoir y accéder. Cette patience n’existe plus aujourd’hui, et on voit des petits blancs-becs – suivez mon regard – prétendre aux plus hauts fauteuils sans avoir derrière eux un vécu qui les rend dignes. Tout comme on voit des hommes politique abandonner la politique ou des étudiants abandonner les études au motif qu’ils n’ont pas eu immédiatement les satisfactions qu’ils en attendaient.

              [Auriez-vous une référence pour l’aménagement des boutiques romaines ?]

              Non, désolé, je l’ai entendu de la bouche d’un conférencier lors de la visite du musée archéologique de Pompéi. Il expliquait comment la disposition consistait à mettre les produits les moins chers à l’avant de la boutique, de manière à donner envie aux passants d’entrer, et les produits les plus chers, rares et précieux à l’arrière. L’art du commerçant étant de conduire le client attiré par les premiers vers les seconds.

            • Philippe Dubois dit :

              Bonsoir à tous
               
              J’ai lu quelque part que les réseaux sociaux engendraient une addiction particulière chez les jeunes : l’addiction à la récompense- le nombre de “like” sur facebook et twitter- le nombre de retweet- le nombre de partages sur fbetc….

            • Descartes dit :

              @ Philippe Dubois

              [l’addiction à la récompense- le nombre de “like” sur facebook et twitter- le nombre de retweet- le nombre de partages sur fbetc]

              Plus que la “récompense”, on peut voir là dedans une addiction à la célébrité…

  9. morel dit :

    « Deux générations plus tard, nous sommes dans la société du « fun ». La souffrance, l’effort sont remisés au placard des antiquailles. Tout doit être léger, amusant, divertissant. L’école doit être « ludique », le travail doit être « fun », la vie doit être un chemin de roses de laquelle tout effort, toute difficulté, toute angoisse doit être purgée. »
     
    En cette matière, je crois qu’il faut nuancer. D’une part la société du « fun » n’est pas valable pour tout le monde, et ce n’est pas donner dans le misérabilisme de demander, par exemple, leur avis à ces nombreux salariés de l’industrie dont les usines ne cessent de fermer depuis des décennies.
    D’autre part, l’humanité a toujours cherché, avec raison, à se soulager des tâches pénibles et plus, le mouvement ouvrier a ouvert pour la multitude les congés payés, la diminution substantielle du temps de travail et la retraite des salariés.
     
    Nous sommes bien d’accord que ce sujet ne doit pas être traité du point de vue « moral ».
     
    Pour reprendre les exemples, le lien est beaucoup plus évident entre congés résultant du travail d’une année ; retraite à la suite de longues années de travail et de cotisations ; diminution du temps de travail et hausse précédente de productivité,
     
    Le problème, c’est que la note , le passage au cours supérieur, voire l’orientation, le diplôme lui-même sont devenus quasi-automatiques et ne résultent pas d’un acquis personnel qui, lui, demande au moins un peu d’effort ; les fédérations de parents d’élèves alliés aux syndicats majoritaires de l’Éducation Nationale optant pour « l’évaluation positive ».
     
    Le problème c’est aussi qu’on peut parler d’un monde « facile » voire « écologique » lorsque les nécessaires travaux industriels sont renvoyés à des pays lointains où conditions de travail et salaires permettent d’élargir les profits, où la législation ou le régime politique ne sont favorables ni au salariat ni à une gestion raisonnée des ressources.
     
    « le travail doit être fun »
     
    Doit-être, peut-être mais je doute fort qu’il le soit dans le monde du même nom.
     
    « la vie doit être un chemin de roses de laquelle tout effort, toute difficulté, toute angoisse doit être purgée. »
     
    Ne serait-ce pas en fin de compte, là, la vraie source d’angoisse ?
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ morel

      [En cette matière, je crois qu’il faut nuancer. D’une part la société du « fun » n’est pas valable pour tout le monde, et ce n’est pas donner dans le misérabilisme de demander, par exemple, leur avis à ces nombreux salariés de l’industrie dont les usines ne cessent de fermer depuis des décennies.]

      Il ne faut pas confondre le plan symbolique et le plan réel. Les années 1980 sont appelées « les années fric » non pas parce que tout le monde avait de l’argent, mais parce que la symbolique de l’époque portait aux nues ceux qui faisaient de l’argent. Lorsqu’on parle de « la société du « fun » » cela n’implique pas que la vie soit devenue « fun » pour tout le monde, mais que l’injonction de l’idéologie dominante est de valoriser le « fun » par-dessus tout.

      [D’autre part, l’humanité a toujours cherché, avec raison, à se soulager des tâches pénibles et plus, le mouvement ouvrier a ouvert pour la multitude les congés payés, la diminution substantielle du temps de travail et la retraite des salariés.]

      Quel rapport avec « la société du « fun » » ? On parle ici d’une idéologie fondée sur l’idée que les gens ne peuvent accéder à la connaissance, à l’information, aux affaires publiques que sur le mode du divertissement. Tout ce qui demande de la concentration, de l’effort, de la discipline est « ennuyeux », « pas cool ». Rien à voir avec les congés payés.

      [Le problème, c’est que la note, le passage au cours supérieur, voire l’orientation, le diplôme lui-même sont devenus quasi-automatiques et ne résultent pas d’un acquis personnel qui, lui, demande au moins un peu d’effort ; les fédérations de parents d’élèves alliés aux syndicats majoritaires de l’Éducation Nationale optant pour « l’évaluation positive ».]

      Le problème de « l’évaluation positive » est résumé par la formule de Beaumarchais : « sans liberté de blâmer, il n’y a pas d’éloge flatteur ». Les jeunes ne sont d’ailleurs pas dupes, et une partie de leur mépris pour l’institution éducative tient aussi à ce qu’elle rompt le contrat de confiance avec ses usagers. Les jeunes ne sont pas idiots : un faible niveau d’exigence satisfait certainement notre paresse naturelle, mais on sait qu’à long terme cela se retourne contre vous.

      [« le travail doit être fun » Doit-être, peut-être mais je doute fort qu’il le soit dans le monde du même nom.]

      Encore une fois, on parle d’idéologie, pas de réalité. Dans les années 1930, l’archétype du « bon » emploi était celui qui vous permettait de vivre correctement tout en vous donnant une considération sociale. Dans les années 1970, c’était un emploi qui vous permettait de « vous réaliser ». Dans les années 2020, c’est un emploi ou l’on s’amuse. Que l’archétype corresponde ou non à la réalité vécue par la majorité de nos concitoyens, c’est un autre problème. L’idéologie ne s’occupe pas de ce qui est, mais de ce qui devrait être. Les appels à la fidélité conjugale n’ont jamais empêché l’adultère.

      [« la vie doit être un chemin de roses de laquelle tout effort, toute difficulté, toute angoisse doit être purgée. » Ne serait-ce pas en fin de compte, là, la vraie source d’angoisse ?]

      En grande partie. Le stress, la dépression, l’angoisse viennent pour une large part de l’écart entre ce qui nous est présenté comme souhaitable et ce qui est possible. D’un côté, on nous présente une vision de « start-up nation » ou des jeunes bien formés passent d’amusement en amusement (car on ne présente jamais cela comme du travail), de l’autre les jeunes se trouvent confrontés jour après jour à un monde qui devient de plus en plus dur. Comment ne pas être angoissé dans ces conditions ?

      Le jeune ouvrier de 1960 baignait dans une idéologie qui fixait des objectifs atteignables. Même si la société était inégalitaire, la perspective de s’acheter un petit appartement, d’avoir une voiture, de voir ses enfants faire des études correctes était atteignable. La société du « fun » fixe en fait des objectifs impossibles, parce que la vie ne peut pas être un divertissement permanent.

      • morel dit :

        « Il ne faut pas confondre le plan symbolique……… de valoriser le « fun » par-dessus tout. »
         
        En fait, mon intervention ne se situait pas sur ce plan. La vérité c’est que les pleurnicheries du « Monde » et d’autres sur les étudiants, nouveaux damnés de la terre m’agacent parce qu’à cet âge, je travaillais déjà depuis un certain temps – et j’étais loin d’être le seul – . J’ai voulu prendre ce biais des licenciements industriels qui sont bien plus graves dans leur balance des malheurs.Suivre des études me semble plutôt quelque chose d’enviable.
         
         
        « Quel rapport avec « la société du « fun » » ? ……. Rien à voir avec les congés payés. »
         
        Le rapport que de toujours l’humanité a cherché a rendre la vie moins difficile, ce qui est aussi devenu une réalité. Les idées elles-mêmes ne naissent pas dans n’importe quel contexte ; la vie, et plus particulièrement de notre jeunesse est (heureusement) plus douce.
         
        « Que l’archétype corresponde ou non à la réalité vécue par la majorité de nos concitoyens, c’est un autre problème. L’idéologie ne s’occupe pas de ce qui est, mais de ce qui devrait être. »
         
        Oui mais je ne voulais exprimer que les faits sont têtus et que la réalité rattrape les rêveurs quand on passe au monde du travail.
        Deux exemples parmi des gens que je connais qui datent maintenant d’une dizaine d’années mais :
        – une fille de 2 profs reçue à une grande école se dirige vers l’école de journalisme de Paris. Son rêve (qui me laissait pantois mais ses parents y croyaient) : journaliste sportif à « L’équipe ». Pas possibilité emplois région parisienne donc radio en province. Plusieurs contrats CDD ici ou là,pour des rubriques dont personne ne veut, chômage, A passé un concours administratif de l’enseignement.
        – un fils de cadre administratif très branché sport, Son fils aussi, se dirige vers des études de STAPS. N’a pu avoir le concours de prof de gym, devenu animateur d’activités sportives dans une grande ville.

        • cdg dit :

          “une fille de 2 profs reçue à une grande école se dirige vers l’école de journalisme de Paris”
          Quand j etais en ecole d ingenieur, j avais un condiciple que ses parents avaient forcé a aller la alors qu il voulait aussi faire journaliste (c etait les annees 80 donc en general un fils faisait ce que son pere lui disait).
          Resultat il ne faisait rien et c est logiquement fait virer a la fin de l annee.
          En tant que parent vous pouvez essayer d expliquer aux enfants que leur choix professionnel n est pas viable mais s ils veulent passer outre que faire ?
          Apres il y a evidement le probleme francais ou le diplome (ou son absence) conditionne sa carriere professionnelle (a 40 ans on m a demandé de quelle ecole j etais sorti !) et avec une economie faiblarde et un chomage massif, un profil atypique a que peu de chance
           

          • Descartes dit :

            @ cdg

            [“une fille de 2 profs reçue à une grande école se dirige vers l’école de journalisme de Paris”
            Quand j’étais en école d’ingénieur, j’avais un condisciple que ses parents avaient forcé a aller la alors qu il voulait aussi faire journaliste (c’était les années 80 donc en général un fils faisait ce que son père lui disait). Résultat il ne faisait rien et c’est logiquement fait virer à la fin de l’année. En tant que parent vous pouvez essayer d’expliquer aux enfants que leur choix professionnel n’est pas viable mais s’ils veulent passer outre que faire ?]

            Leur expliquer qu’un ingénieur fera probablement un meilleur journaliste que celui qui sera passé directement par une école de journalisme. J’ai connu dans ma vie pas mal de gens qui, ayant fait une école d’ingénieurs, se sont ensuite orienté vers des carrières totalement différentes : journaliste, professeur agrégé, acteur, préfet… j’en connais même un qui est devenu évêque. Il faut dire que c’était le temps où l’enseignement essayait d’être généraliste. On valorisait autant une tête bien faite qu’une tête bien pleine…

            [Après il y a évidemment le problème français ou le diplôme (ou son absence) conditionne sa carrière professionnelle (a 40 ans on m’a demandé de quelle école j’étais sorti !)]

            Je ne vois pas de quel « problème » vous parlez. D’abord, cela n’a rien de spécifiquement français. Tout le monde sait que George W. Bush sortait de Harvard – et de la fraternité « skull and bones ». Dirirez-vous que ce passage par l’une des universités les plus exclusives du pays n’a pas « conditionné sa carrière à 40 ans ?

            La grande différence, c’est qu’en France le diplôme certifie une véritable capacité de travail, et non une habilité athlétique, la fortune ou les liens familiaux…

            [et avec une économie faiblarde et un chômage massif, un profil atypique a que peu de chance]

            Cela dépend ce que vous appelez « profil atypique ».

  10. Luc dit :

    Allez ici,je vais parler ‘Vrai’ et de ceratins aspects de mon métier d’enseigant en lycée hors période COVID car ce qui est décrit ici dépasse le cadre du COVID , il est endémique à l’EN depuis et pour des décennies de part la réforme Blanquer.
    Le système au lycée pousse les enseignants à la gentillesse  excessive .Pourquoi ? car  seule l’Euphémisme ,’la gentilles façon pas de vagues’ sont capable d’instaurer auprès des membres de la communauté scolaire une image d’enseignant valorisante dont chaque prof souhaite se parer peut être névrotiquement,mais comment faire autrement dans une époque où seul le look compte.
    Les enseignants notrmaux c’est à dire, exigeants ,non démagogiques passent aux yeux des parents donc de l’administration des élèves et des autres ensignants pour des ‘olds schools’ , des grincheux et des archaïques.La détermination de cette mécanique impitoyable est : l’orientation et le choix des Enseignements de Spécialités(EDS) en fin de 2° et 1° au coeur de la réforme Blanquer.
    C’est maintenant en février/mars que ça se passe .Pour ‘les équipes éducatives’ ce eput être très dépréciatif et lourds de conséquences ?Comme le montre ces mails   que je reçois des collègues de spécialité sciences dans cette période de choix des EDS:’Comme l’année passée, le lobbying intense mené par  les collègues,d’autres disciplines, ainsi que l’absence et/ou les mauvaises infos données par les ProfsPrincipaux, conduisent trop d’élèves à abandonner notre Spécialité en 1ère, alors qu’il serait pertinent de la garder ! Le même problème se rencontre en 2nde…’
    Au delà des problèmes que cela peut poser ensuite aux élèves dans la poursuite de leurs études, ces pertes d’effectif menacent aussi nos postes : d’après les dernières données, seulement 38 élèves de 1ère garderaient notre spécialité en Terminale, contre 48 actuellement… On s’approche dangereusement du chiffre fatidique de 36 où on nous imposera un seul groupe de Terminale, dédoublé seulement sur un créneau de TP.Voilà à quoi nous sommes réduits pour garder nos postes. Vive la réforme. Vive Blanquer ‘.Là il ne s’agit plus d’émulation mais d’une concurrence impitoyable car chaque année avec ce sytème ce sont les postes de titulaires qui sont menacés au lycée .
    Au collège apparemment ça ne se passe pas comme ça..Du coup au lycée les profs de sciences humaines distribuent à tire la rigo,les 20/20.En Lettres la démagogie sévit aussi .Toutes les attitudes éducatives consistent à valoriser les élèves à les flatter. Cela s’est manifesté par des déclarations indignées face à mes exigences de civilités vis à vis des élèves irrespectueux lors de l’hommage à Samuel Patty.Mes propos pourtant édulcorés et en phase avec l’EN pour ce dernier exemple ont été qualifiées d’ ‘idées  nauséabondes’ par des très jeunes collègues bobos gauchistes titulaires venus sboter la cérémonie en la qualifiant de ‘nationaliste’ ‘raciste’.
    Aujourd’hui,si l’enseignant n’affiche pas sans cesse de la gentillesse vis à vis de tous ces élèves,de ces notes et appréciations il est ‘hasbeen’ bon pour être mis hors EN.Si l’enseignant est trop exigeant,alors immédiatement moins d’élèves s’inscrivent dans sa spécialité .Les postes dans sa discipline sont menacés,dont le sien propre.Pour le Prof exigeant,les réunions très nombreuses avec les collègues,les parents ,l’administration  se transforment sous prétexte de l’iberté d’expression en ‘tribunal populaire’ où l’enseignant est stigmatisé.La conscience des enseignants,les déchirures sont constantes.Sur plusieurs décennies d’une carrière de Prof , ça se paye en cancers ou dépressions.Malheur à l’enseignant qui a des enfants,des problèmes avec son conjoint ou sa famille.Physiquement,il ne tiendra pas le coup,au vu des exigences en’gentillesses tous azimuts et sempiternelles’.
    Totale et constante perfection , stabilité sur le trés long terme sont exigées par la communauté scolaire , sinon : ‘Out’!.
    Des DRH sont mis en place depuis plusieurs années pour proposer aux ensignants en difficultés de ‘prendre un nouveau départ’, de ‘rebondir’, de ‘s’épanouir dans un nouveau métier’ avec plusieurs dizaines de milliers d’Euros en prime démission pour les appater.Le fait que notre systéme éducatif français soit classé 27ième sur 29 pays de l’OCDE ne détermine pas nos décideurs de réorienter l’EN vers la fin de la démagogie .Tout ça tient  et c’est voulu par l’EN à l’emprise névrotique des parents pour qui ‘critiquer leur progéniture c’est assassiner’ un futur Mozart’.
    Alors qu’en classe,leur ‘ ex futur Mozart ‘ est plus dans le’ n’importe quoi’ que dans l’étude sérieuse..Il est vrai que le ‘N’importequoïsme’ est le crédo idéologique des classes dominates et des bobos depuis plusieirs décennies.Mais actuellement,je subis ces contraintes.Je mets un 10/20(alors qu’il mérite 2/20) en expliquant que leur enfant est rès gentil(alors qu’ilest dissipé)aux parents venus dare dare demandé des explications face à cette note indigne(il a 15/20 en littérature et 20/20 en sciences humaines..).Pourquoi car il ne faut pas faire de vagues pour que ma spécilité ait suffisemment d’effectifs pour qu’il n’y ait pas de suppressions de postes.Ne dois je pas préservé mon gagne pain ?
    Cher Descartes,tous ces phénomènes actuels dans les lycées  décrit par moi ci dessus , ne vous expliquent ils pas ce que vous dénoncez dans votre article ici ?

    • Descartes dit :

      @ Luc
      [Le système au lycée pousse les enseignants à la gentillesse excessive. Pourquoi ? Car seule l’Euphémisme, ’la gentillesse façon pas de vagues’ sont capable d’instaurer auprès des membres de la communauté scolaire une image d’enseignant valorisante dont chaque prof souhaite se parer peut-être névrotiquement, mais comment faire autrement dans une époque où seul le look compte.]

      Il faudrait se demander pourquoi. Dans le monde d’avant, les professeurs les plus « prestigieux » étaient souvent les plus exigeants, les plus sévères. On – que ce soit les élèves, les parents ou les directions – les craignait et on les respectait à la fois. Être un « bon » prof impliquait une certaine dose de sadisme. Comment en est-on passé au « prof-copain » ?

      [Les enseignants normaux c’est à dire, exigeants, non démagogiques passent aux yeux des parents donc de l’administration des élèves et des autres enseignants pour des ‘old school’, des grincheux et des archaïques. La détermination de cette mécanique impitoyable est : l’orientation et le choix des Enseignements de Spécialités (EDS) en fin de 2° et 1° au cœur de la réforme Blanquer.]

      Je peux comprendre que vous en vouliez à Blanquer, mais pourquoi le mettre à toutes les sauces, chercher à lui reprocher tous les péchés ? Après tout, dans sa réforme du lycée Blanquer ne fait que suivre la voie marquée par tous les gouvernements depuis plus de vingt ans : mettre « l’élève au centre », alléger les programmes, personnaliser les parcours.

      C’est maintenant en février/mars que ça se passe. Pour ‘les équipes éducatives’ ce peut être très dépréciatif et lourds de conséquences. Comme le montre ces mails que je reçois des collègues de spécialité sciences dans cette période de choix des EDS: ’Comme l’année passée, le lobbying intense mené par les collègues d’autres disciplines, ainsi que l’absence et/ou les mauvaises infos données par les Profs Principaux, conduisent trop d’élèves à abandonner notre Spécialité en 1ère, alors qu’il serait pertinent de la garder ! Le même problème se rencontre en 2nde…’ Au delà des problèmes que cela peut poser ensuite aux élèves dans la poursuite de leurs études, ces pertes d’effectif menacent aussi nos postes]

      Ce que vous expliquez ici est empreint de justice poétique. Les enseignants ont voté et revoté pour des socialistes qui ouvraient à la concurrence l’ensemble de nos services publics. Ils se croyaient à l’abri de cette « société de marché » que les socialistes ont mis en place tout en faisant semblant de la rejeter. Et bien, maintenant grâce au choix de spécialité ils sont eux-mêmes en concurrence les uns avec les autres… « je maudis celui qui se lève pour protéger son grenier, et ne s’est pas levé pour protéger le blé de tous en premier » (Pablo Neruda).

      Et dans un contexte de concurrence, le client est roi. Les professeurs qui font tomber une pluie bienfaisante de bonnes notes quelque soit le niveau des élèves sont sûrs d’avoir du public, ceux qui seront exigeants perdront leur clientèle, avec à la clé la fermeture de l’option et la disparition de leurs postes. Et comme les notes comptent pour le baccalauréat, on peut s’attendre à une inflation du taux de réussite…

      [Cher Descartes, tous ces phénomènes actuels dans les lycées décrit par moi ci-dessus, ne vous expliquent-ils pas ce que vous dénoncez dans votre article ici ?]

      En partie, oui. Votre exemple montre entre autres choses qu’il est impossible de séparer “l’économie de marché” et “la société de marché”.

  11. Geo dit :

    @Canard
    [ J’ai posté un commentaire l’autre jour sur Médiapart qui allait dans votre sens : je me suis fait injurier, mes propos tenant du pétainisme !]
    Si vous postez un jour un commentaire critique de l’hyper-féminisme sur un site féministe, signez plutôt “Canarde”, “Colverte” ou Ginette ; vos chances d’avoir une réponse rationnelle seront améliorées. Je suggère le procédé sans garantir le résultat. (Il n’est pas impossible que la femme non-féministe soit plus maltraitée sur Médiapart que Straus-kahn lui même. Je ne suis, du verbe suivre, pas assez Médiapart pour le savoir.)

  12. Cherrytree dit :

    @Descartes
    Quel  billet roboratif. Je vais prolongerà mon modeste niveau par:
    -Mon expérience
    -Mes constats
    -Ma crainte

    Issue d’une famille ouvrière, un grand ensemble HLM, années 70. Pas d’autre musique que celle émanant du transistor. J’ai donc très tôt écouté la radio et retenu ce qui m’intéressait.

    Peu de livres, mais une annexe de bibliothèque municipale à portée, et puis celle du collège, et plus tard du lycée.
    Pas de permission de sortie, donc jusqu’à mes 20 ans ni musée ni théâtre. Mais beaucoup de rêves autour des manuels de littérature et d’histoire, je suis devenue incollable  plus par  soif de connaissance que par goût du diplôme.
    Goût des études : boursière, pas question de redoubler. De toute façon punitions et baffes en guise d’encouragement familial.
    J’ai mesuré pleinement ma différence au lycée très chic que je fréquentais au centre ville, où j’avais obtenu de m’inscrire par des options qu’on n’avait pas dans ma cité.
    Une heure de trajet matin et soir. Mais ce centre ville, quelle merveille, les rues médiévales, la basilique romane, les musées (gratuits), je n’avais pas assez d’yeux. De bons profs, un environnement culturel  extraordinaire, avant de regagner ma triste cité.
    Confinée, oui. Pas de permission de sortie donc, théâtre  musique et danse dans le cadre scolaire. Près de mes camarades plus fortunés, je ne laissais rien perdre de ce que le lycée pouvait m’offrir.
    Terminale : mes profs me suggèrent d’intégrer les classes prépa. J’ai décliné, car je savais que je serais en concurrence avec des élèves qui baignaient tout naturellement dans une culture que j’en étais encore à acquérir, et puis parce que je travaillais pour compléter ma bourse. En effet, je vivais encore dans ma famille, abandonnant mes salaires, le montant de la bourse, assurant une bonne partie du ménage et élevant en grande partie le petit frère. Brimades, querelles incessantes des parents entre eux et qui se vengeaient sur moi chacun de leur côté. La fac m’a ouvert un espace de liberté dans la journée, c’était formidable. Ce n’était pas vraiment la fac que je souhaitais mais j’en ai retiré le meilleur. Préparation des concours, j’échoue de peu, mais j’échoue, on maintient ma bourse, 24 ans, il fallait que je m’en sorte: je me suis mariée pour échapper à cette famille-boulet. Sinon, j’aurais sauté par la fenêtre pour en finir, on habitait au 14ème étage et j’ai été tentée plus d’une fois.
    Étudiante salariée mais libre, j’ai repassé trois concours, en ai réussi un. Prof. Mutée loin. Autres concours, retour au pays.
     
    De cette expérience je garde le goût de la lutte, de ne pas me plaindre pour rien, de me passer parfois d’un repas ou d’un ticket de bus quand il pleuvait trop pour le vélo, pour acheter mes bouquins.C’est pourquoi les jérémiades estudiantines me laissent froide.
     
     
    J’ai constaté aussi plusieurs faits. Dans mes dernières années d’enseignement, les collégiens se moquaient, car après tout, grâce à internet, on pouvait se passer des profs. Ce sont les mêmes que je revois aujourd’hui, pleurant pour avoir des cours en présentiel. Cherchez l’erreur.
    J’ai remarqué que, depuis une bonne quinzaine d’années, on va au collège ou au lycée autant pour se montrer que pour apprendre, ce qui vient en droit ligne d’une vision de l’éducation made in  USA véhiculée par les téléfilms. On n’a plus de cartable ou de sacs à dos, mais des sacs à main ou des sacs de sport siglés. On fait des concours de smartphones. Par curiosité, je suis allée voir quelques sites qui fleurissent sur la toile, pour être stylé(e) pour la rentrée, pour aller en cours, pour éviter les fashion faux-pas qui vous ruinent la réputation. Les profs n’ont qu’à bien se tenir. Jeunes, ils se font draguer ou moquer s’ils n’ont pas le bon look. Plus vieux, on ne les écoute pas, ou ils doivent se conformer au diktat de leurs ouailles, et de leurs parents pour avoir la paix. Ce que j’ai observé il y a 15 ans au collèges, se retrou bien évidemment à l’Université’, sans surprise.
    J’ai été taxée de bien pis que “conservatrice” pour avoir osé dire que non, tout le monde n’a pas vocation à faire des études supérieures, et que je pense que la terminale devrait à tout le moins comporter une évaluation sérieuse. de la motivation
     
    Je suis parfois stupéfaite de voir des amphis pleins d’étudiants qui tapent frénétiquement sur le clavier de l’ordinateur tout ce que dit le prof. Ils seraient capables de transcrire un éternuement. Ils ne savent plus prendre de notes. Or, la prise de notes comporte une étape importante : la compréhension, et surtout le tri de l’information en fonction de son importance. Cette étape est sautée, et je ne compte plus les mémoires de diplôme indigestes réduits à de la compilation, avec le pendant du “par coeur” à l’oral. Que voulez-vous obtenir de ceux à qui on n’a pas appris à réfléchir ? À ne pas exprimer sans filtres ses petits états d’âme égoïstes, et à accepter que oui, les frustrations sont formatrices?
     
     
    Enfin, ma crainte. En ces temps de confinement, je lis, bien sûr. Et je regarde la TV, ne serait-ce que pour savoir comment évolue notre société, puisque je vis très isolée. J’entends depuis quelques semaines monter une idée inquiétante: si on confinait les vieux, les jeunes pourraient sortir. Ben voyons, comme si les vieux , que l’on a encouragés au maintien chez eux plutôt que lala mais de retraite, n’étaient pas déjà confinés (et pour beaucoup, dépressifs)? Et encore plus en milieu rural ?
    Puis est arrivé la course à la vaccination : que des animateurs radio ou TV posent la question de savoir si on vaccine d’abord les jeunes, puisque on n’a qu’à confiner les vieux, soit . Que des spectateurs ou auditeurs téléphonent à qui mieux mieux pour approuver l’idée qu’il est nécessaire que les jeunes sortent et aient du “lien social” (sous -tendant l’idée que les vieux ne feraient plus partie de la société), c’est le propre des émissions dites populaires. Mais que d’éminents professeurs en médecine acceptent ou pis, la défendent, c’est le bout du bout. J’ai ainsi entendu de tout. La génération actuelle des vieux s’est gavée de privilèges,  n’a pas connu la guerre, vivent de la retraite alors que les jeunes n’auront sans doute pas. À croire qu’aucun octogénaire n’a été envoyé en Algérie, étudiant ou pas. Quant aux retraites, je me souviens qu’en discussion avec mes étudiants pendant la grève de 2003, combien me répondirent:”c’est loin, on verra quand on y sera”. Ils sont quadra aujourd’hui et je n’ aimerais pas être à leur place dans vingt ans. 
    Parmi l’inquiétant florilège, j’ai relevé “à Fukushima, les personnes âgées se sont sacrifiées pour nettoyer les sols, pour épargner les jeunes”. Les sources n’étaient pas citées, mais sur le plateau télé personne ne s’est révélé, l’hypothèse a même été envisagée sans problème… Oui, le Japon où  pendant notre Siècle des Lumières, et même après, on sacrifiait “les bouches inutiles”.
    J’ai volontairement employé les termes Jeunes” et “Vieux” pour souligner cette guerre des générations sitôt qu’une ressource (vaccins) vient à manquer, dès qu’une restriction quelconque se profile,  on hésite de moins en moins à exprimer ouvertement l’idée de sacrifice des plus âgés.
    Baby boomeuse, j’ai aidé mes parents, j’ai élevé mes enfants, je les ai aidés, comme bien des gens qui n’ont pas de fortune personnelle. Nos retraites financent en partie aujourd’hui les études des petits-enfants, nous sommes les vacances et la nounou gratuites. Nous sommes la grande majorité des bénévoles associatifs.Nous sommes un lien social.
    La pandémie me fait bien moins peur que les réactions nauséabondes qu’elle suscite.À (ré)lire, Sa Majesté des mouches de W Goldring.

    • Descartes dit :

      @ Cherrytree

      [Issue d’une famille ouvrière, un grand ensemble HLM, années 70. Pas d’autre musique que celle émanant du transistor. J’ai donc très tôt écouté la radio et retenu ce qui m’intéressait. (…)]

      Merci de partager avec nous votre histoire. Elle me confirme dans une conviction : l’école, le collège, le lycée, l’université (pour ceux qui ont la volonté d’en profiter) lorsqu’elles mettent haut la barre de l’exigence sont des espaces de liberté et d’ouverture, et non comme le prétendent les libéraux-libertaires une prison, un lieu de formatage. L’oiseau-lyre de Prévert est un leurre.

      [De cette expérience je garde le goût de la lutte, de ne pas me plaindre pour rien, de me passer parfois d’un repas ou d’un ticket de bus quand il pleuvait trop pour le vélo, pour acheter mes bouquins. C’est pourquoi les jérémiades estudiantines me laissent froide.]

      D’un dinosaure à un autre, je partage totalement.

      [J’ai remarqué que, depuis une bonne quinzaine d’années, on va au collège ou au lycée autant pour se montrer que pour apprendre, ce qui vient en droit ligne d’une vision de l’éducation made in USA véhiculée par les téléfilms.]

      Tout à fait. Comme dit Homer Simpson, l’essentiel à l’école, c’est d’être populaire. L’école devient de plus en plus un lieu de sociabilité et de moins en moins un lieu d’apprentissage.

      [J’ai été taxée de bien pis que “conservatrice” pour avoir osé dire que non, tout le monde n’a pas vocation à faire des études supérieures, et que je pense que la terminale devrait à tout le moins comporter une évaluation sérieuse.]

      S’attaquer à la toute-puissance infantile ? Ou bien vous êtes courageuse, ou bien vous êtes inconsciente…

      [Enfin, ma crainte. En ces temps de confinement, je lis, bien sûr. Et je regarde la TV, ne serait-ce que pour savoir comment évolue notre société, puisque je vis très isolée. J’entends depuis quelques semaines monter une idée inquiétante : si on confinait les vieux, les jeunes pourraient sortir. Ben voyons, comme si les vieux, que l’on a encouragés au maintien chez eux plutôt que la maison de retraite, n’étaient pas déjà confinés (et pour beaucoup, dépressifs) ? Et encore plus en milieu rural ?]

      Effectivement, c’est une absurdité. Il suffit de regarder dans la rue : on ne voit presque plus de personnes âgées (et je ne parle même pas des transports).

      [Puis est arrivé la course à la vaccination : que des animateurs radio ou TV posent la question de savoir si on vaccine d’abord les jeunes, puisque on n’a qu’à confiner les vieux, soit. Que des spectateurs ou auditeurs téléphonent à qui mieux mieux pour approuver l’idée qu’il est nécessaire que les jeunes sortent et aient du “lien social” (sous -tendant l’idée que les vieux ne feraient plus partie de la société), c’est le propre des émissions dites populaires.]

      J’ai entendu pire : l’idée que vacciner les vieux c’est gâcher la marchandise, puisque de toute façon il ne leur reste que quelques années de vie… Cela me rappelle un vieux conte juif qu’on racontait dans ma famille. Il était une fois dans un village de Russie un couple avec un fils qui vivait avec le grand-père. Ils étaient si pauvres qu’en hiver la nourriture était à peine suffisante. Le couple décide donc de se débarrasser du vieillard en le mettant à la rue. Celui-ci leur fait remarquer combien il fait froid et demande qu’on lui laisse au moins emporter une couverture. Le père demande donc à l’enfant d’amener une couverture, celui-ci monte à l’étage et descend avec une grande couverture et une paire de ciseaux, et commence à couper la couverture en deux. Lorsque son père lui demande ce qu’il fait, l’enfant répond « je veux garder la moitié de la couverture pour te la donner le jour ou je te demanderai, à mon tour, de quitter la maison… »

      La façon dont une société traite ses vieux est importante, parce que nous savons que nous serons tous vieux un jour… Pourquoi, adulte, me battrais-je pour laisser à mes enfants un pays meilleur si, devenu vieux, ils sont prêts à me mettre à la rue ?

      [La pandémie me fait bien moins peur que les réactions nauséabondes qu’elle suscite. À (ré)lire, « Sa Majesté des mouches » de W Goldring.]

      Je vois que nous avons les mêmes goûts. Un livre absolument magnifique !

  13. Hugo dit :

    Bonjour,
    En tant que prof, je partage mon expérience.
    Pour le moment, je n’ai pas encore eu à faire de partiel. Pour autant je suis confronté directement aux étudiants, et, surtout, à l’équipe pédagogique. Plusieurs choses :
    – il faut d’abord comprendre que les étudiants, de bases, qui arrivent en école de commerce (je donne des cours là), n’ont pas le niveau. La plupart ont un niveau de dissertation de 3ème, de seconde, et les meilleurs, ceux qui, justement, sont autonomes, y arrivent. Même sans COVID il faut tout reprendre de 0. Et c’est l’horreur.
    – il est donc dur de demander de l’autonomie aux élèves, du moins au niveau individuel, ni même de les noter normalement, si mes prédécesseurs ont fait n’importe quoi dans la classe. La transmission du savoir est une chaîne pour former les étudiants. Si elle casse à un moment, pour une raison X ou Y, il est très dur de la rafistoler. Et plus on avance dans la vie étudiante, plus la chaîne est dure à rafistoler.
    – en réalité, avec un peu d’ingéniosité et de prise en compte du distanciel, on peut se débrouiller, à partir du moment ou le professeur et les élèves acceptent les nouvelles contraintes. c’est une dynamique qui se fait à deux : élèves et profs. Le plus dur, c’est davantage les problèmes de connexion.
    – mes cours favorisent donc l’entraide et l’autonomie de groupe des élèves. Pour le moment, mes tentatives de les rendre autonome individuellement sont plus mitigées. Mais j’avance. Pour le moment, j’ai choisi de surnoter les élèves, mais aussi parce que je fais exprès de faire des exercices bien plus difficiles que le programme en donne. Ils doivent acquérir, ensemble, puis individuellement, le goût de l’effort et de l’exercice réalisé. Il y a donc une valeur d’encouragement. Par contre, je les ai prévenus : au partiel en juin, c’est -5 points en moyenne. Maintenant qu’ils commencent à être mieux organisés, je fixe l’objectif. Et j’arrête de surnoter à partir de maintenant.
    – en tant que prof, tout le monde se doit de supporter l’équipe pédagogique, dont l’idée de “mettre l’élève au centre” accouche d’initiatives hyper farfelues….
    En bref, je suis d’accord avec vous, mais, sur le terrain il faut avancer à pas de loup et faire des compromis.

    • Descartes dit :

      @ Hugo

      [En tant que prof, je partage mon expérience.]

      Je vous en remercie, c’est toujours intéressant d’avoir l’œil des gens du métier.

      [– il faut d’abord comprendre que les étudiants, de bases, qui arrivent en école de commerce (je donne des cours là), n’ont pas le niveau. La plupart ont un niveau de dissertation de 3ème, de seconde, et les meilleurs, ceux qui, justement, sont autonomes, y arrivent. Même sans COVID il faut tout reprendre de 0. Et c’est l’horreur.]

      C’est bien le problème. L’objectif de Chevènement – « amener 80% d’une classe d’âge au niveau du bac » a été dévoyé : au lieu d’amener les élèves au niveau du bac, on a amené le bac au niveau des élèves. Comme conséquence, on voit arriver aux formations supérieures des étudiants qui n’ont pas les connaissances minimales pour suivre les enseignements mais qui – et c’est infiniment plus grave – n’ont même pas les méthodes de travail qui pourraient leur permettre des se remettre à niveau.

      [– il est donc dur de demander de l’autonomie aux élèves, du moins au niveau individuel, ni même de les noter normalement, si mes prédécesseurs ont fait n’importe quoi dans la classe.]

      Dur, mais nécessaire. De toute façon, dites-vous bien qu’un jour il faudra leur dire la vérité des prix. Et si ce n’est pas le professeur qui le fait, ce sera l’employeur qui, lui, n’a aucune raison d’avoir des scrupules, qui lui dira lors de l’entretien d’embauche. Si vous ne les « notez pas normalement », ils ne sauront jamais quel est leur niveau réel. Je ne dis pas que ce soit facile…

      [– en réalité, avec un peu d’ingéniosité et de prise en compte du distanciel, on peut se débrouiller, à partir du moment où le professeur et les élèves acceptent les nouvelles contraintes. C’est une dynamique qui se fait à deux : élèves et profs. Le plus dur, c’est davantage les problèmes de connexion.]

      Bien entendu. Ce n’est pas la fin du monde. Mais le cours ne fait pas tout, et il fait encore moins en distanciel. Dans le supérieur, le travail personnel est indispensable.

      [– mes cours favorisent donc l’entraide et l’autonomie de groupe des élèves. Pour le moment, mes tentatives de les rendre autonome individuellement sont plus mitigées. Mais j’avance. Pour le moment, j’ai choisi de surnoter les élèves, mais aussi parce que je fais exprès de faire des exercices bien plus difficiles que le programme en donne. Ils doivent acquérir, ensemble, puis individuellement, le goût de l’effort et de l’exercice réalisé. Il y a donc une valeur d’encouragement.]

      Si c’est fait dans le cadre d’un objectif pédagogique, pourquoi pas. J’ai eu des bons profs qui surnotaient un peu au début les plus faibles, pour resserrer la notation au fur et à mesure des progrès. Chercher l’autonomie par petits groupes n’est pas une mauvaise idée à mon sens, cela permet de profiter de l’effet d’entrainement.

      [En bref, je suis d’accord avec vous, mais, sur le terrain il faut avancer à pas de loup et faire des compromis.]

      Comme disait mongénéral alors qu’il était à Londres, « nous sommes trop faibles pour pouvoir faire des compromis »… 😉

  14. maleyss dit :

    Tous les discours misérabilistes sur les affres dans lesquelles seraient plongés les étudiants tiennent aussi au fait que, dans la société actuelle, la figure du héros comme exemple fondateur a laissé place à celle de la victime. Et ceci pour le plus grand profit, matériel et social, des psychologues et apparentés.

  15. Antoine dit :

    « Et qu’est ce qui vous empêche de les fermer, les fenêtres en question ? Faut-il conclure que les étudiants – qui sont, rappelons-le, majeurs et responsables – sont incapables de s’imposer eux-mêmes une règle, de se concentrer sur un sujet ? ». => Quand Vincent demande « quand le cours devient l’ordi ou le smartphone lui-même, comment reprocher à cette jeune génération de se disperser ?», il vise selon moi tout à fait juste. Nous mesurons encore mal l’ampleur des dégâts causés par les écrans. L’exposition aux écrans  nuit au développement cognitif des jeunes enfants et à leurs capacités d’attention  mais il affaiblit également leur sens de le l’effort, leur esprit critique et leur curiosité, leur liberté profonde en fait. L’image est globale, totale, elle est directement le réel et ne nécessite plus qu’on tente de  le saisir par l’expression orale ou écrite. On montre au lieu d’expliquer. Je viens d’achever la lecture d’un ouvrage de J.Ellul qui le dit d’une façon extrêmement convaincante : la nullité constatée aux examens tient en grande partie à la discordance suivante : l’élève a enregistré des images et on lui demande de restituer un discours.Je reproduis ci-dessous un extrait de son texte: “La volubilité et la prolixité des images donne l’impression du Tout est possible et du Tout est toujours nouveau, l’impression de la fluidité des circonstances et de la possibilité de les influencer et de les maîtriser. Mais comme cela se situe dans un univers de lanterne magique, cela ne dépasse jamais l’impression qui est tout le nécessaire pour démobiliser et pour intégrer plus complètement dans des combats fictifs. (…) L’homme des images est finalement un homme qui a perdu sa liberté profonde”. Dans cette dernière phrase vous avez je crois la différence peut-être entre vous et la majorité des élèves/étudiants des nouvelles générations, qui ont grandi devant un flot d’images incomparablement plus dense que vous et moi. 

    • Descartes dit :

      @ Antoine

      [Nous mesurons encore mal l’ampleur des dégâts causés par les écrans. L’exposition aux écrans nuit au développement cognitif des jeunes enfants et à leurs capacités d’attention mais il affaiblit également leur sens de l’effort, leur esprit critique et leur curiosité, leur liberté profonde en fait. L’image est globale, totale, elle est directement le réel et ne nécessite plus qu’on tente de le saisir par l’expression orale ou écrite. On montre au lieu d’expliquer.]

      Cela me paraît largement excessif. Oui, le remplacement du texte ou de la parole par l’image est un recul du point de vue cognitif, parce que le texte ou la parole nécessitent la médiation d’un langage organisé, et donc un décryptage, alors que l’image est une perception directe. Mais de là à dire que ce remplacement « affaiblit le sens de l’effort, l’esprit critique et la curiosité », cela me semble aller un peu trop loin.

      [Je viens d’achever la lecture d’un ouvrage de J.Ellul (…)]

      Tout s’explique… 😉 On peut être critique de l’état des choses actuel sans tomber dans la vision réactionnaire d’un Ellul. Parce que chez lui, la critique du « monde des images » est une critique déguisée de la modernité.

  16. marire dit :

    Le fond du problème n’est pas moral mais politique. J’ai lu un jour lointain dans un rapport de l’OCDE sur les prévisions d’éducation dans les pays de l’OCDE: Il prévoyait que nos pays auraient besoin de 3% de chefs, 20% de techniciens, et le reste de consommateurs. Donc qu’il fallait former 3% des scolaires et étudiants aux postes de chefs, 20% aux postes de courroies de transmission, le reste de consommateurs. Et cela a été fait, on a les 2% qui sortent de polytechnique, de HEC, ou de l’ENA, 20% qui sortent avec un diplôme utile  Et le reste auquel on  a appris le minimum pour consommer. Voyez la différence avec les pays d’Asie qui restent l’usine du monde. Je ne peux vous citer les références de ce rapport, j’en ai perdu la trace et vous serais reconnaissante si vous pouviez m’ai der à le retrouver. Il date d’au moins 30 ans.

    • cdg dit :

      Et vos consommateurs, comment font ils pour gagner de l argent pour pouvoir consommer ?
      Je doute qu un organisme serieux ait sorti une telle idiotie.
      Sinon il y a un siecle, on devait avoir 5 % de gens ayant fait des etudes superieures (universite). Moins de 20 % devait etre allé au delà du college et une bonne partie devait etre illetré (sans compter les immigrés qui devaient etre incapable d ecrire en francais). Et ces 80 % ne geignaient pas et travaillaient (en ayant souvent juste de quoi subvenir a leurs besoins de base)

  17. NG dit :

    “Depuis quand on abdique en France l’honneur d’être une cible ?”
    Depuis qu’on a pris connaissance du fameux aphorisme de Lichtenberg :

    Si vous faites peindre une cible sur la porte de votre jardin, vous pouvez être certain que l’on tirera dessus.

  18. Philippe Simon dit :

    Entièrement d’accord avec ce billet. Que la disparition du père a fait des dégâts..

  19. Cherrytree dit :

    À propos de notation.
     
    Il y a une petite trentaine d’années, jeune prof, j’ai reçu une leçon mémorable de mon principal de collège.
    Cet homme remarquable, de famille paysanne et qui avait une vision pragmatique de la formation des élèves, qui avait inventé un système de soutien personnalisé à partir des évaluations de collège.
    Un collège plutôt chic dans le centre d’Albi, j’avais en une seule année 6 enfants de médecins… Autant dire que, pour certains, il était hors de question de bousculer la précieuse progéniture. Pour être honnête, les autres n’étaient pas maltraités non plus. J’étais prof principale d’une classe de 3ème, et donc, en grande partie responsable de l’orientation. La pression des familles, je ne raconte pas. J’ai failli me faire arracher les yeux pour avoir évoqué l’enseignement technique pour un fils d’avocat. Mes collègues évitaient les obstacles à grand renfort de 9,5/20 et d’observations timides. C’est ainsi que je me suis retrouvée en fin d’année avec des moyennes qui ne révélaient rien, pas d’insuffisances notables qui auraient fait couiner les familles, bref de quoi remplir une panerée de futurs lycéens médiocres car  perdus dans des études pour lesquelles ils n’étaient manifestement pas faits, et de futurs étudiants en échec.
    Le principal me fit m’asseoir et me passa un savon: “Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de ça ?”. Il m’apprit que, comme il est dit dans l’Évangile (ça c’est moi qui le dis, le collège était public), qu’il faut qu’un oui soit un oui, et qu’un non soit un non. Qu’un 5/20 soit un vrai 5, et pas un 9,5 déguisé. Il m’apprit aussi qu’une orientation était comme un trépied : il faut au moins trois points forts, peu importe la matière. Moins, eh bien il n’y a plus d’équilibre. D’où la nécessité de notes bien tranchées, dans un sens comme dans l’autre d’ailleurs, car il faut signaler l’excellence.
     
    Je n’ai jamais oublié la leçon. Il est vrai que j’ai connu les réunions dites d'”harmonisation” avant les corrections du bac, où on nous conseillait de noter “large”, j’ai même vu une collègue être convoquée par le chef de centre d’examen, parce que les notes qu’elle avait données à l’oral étaient trop basses, et donc prière de remonter tout ça…J’avais interrogé quelques cancres appartenant au même établissement, et distribué quelques 2 bien sentis. Mais comme j’avais également attribué quelques 20, je ne fus pas inquiétée.
    Une légende tenace prétendait qu’un 0 sur une copie d’examen appelait automatiquement sa justification par le correcteur C’est faux. Pour des BTS, j’avais eu droit à des copies tellement torchonnées, à l’orthographe improbable, au contenu nul, que pour 5 copies j’avais refusé d’aller au-delà de la dixième ligne. 0. Et pour commentaire:” Si vous n’êtes pas d’accord avec cette évaluation, lisez vous-même cette copie”. Je n’ai jamais eu aucune contestation. Le O étant éliminatoire et je savais fort bien ce que je faisais. Mais laisser “passer” un étudiant très en dessous du niveau requis, ce n’est pas l'”enfoncer”. C’est éventuellement éviter de retrouver sur le marché du travail un technicien incompétent voire dangereux. C’est éviter à quelqu’un d’être malheureux dans son travail. C’est, tant que l’étudiant est jeune, laisser la possibilité d’une ré-orientation, qui vaut mieux qu’une reconversion.
    Ce n’est pas pour rien qu’un prof est stagiaire et doit passer un examen de titularisation : un jeune homme dont j’étais le référent avait ainsi fait une dépression sournoise avec dopants et somnifères alternés. C’était le fils d’un collègue qui m’a haïe pour avoir donne un avis défavorable. Mais son fils m’a remerciée.
    Mais ça, c’était avant. Mes dernières années d’enseignement m’ont montré la timidité des collègues en matière d’évaluation, pour avoir la paix avec les élèves et les parents, et par la pusillanimité des chefs d’établissement vis à vis des parents et de la hiérarchie. 
    J’ai été convoquée un jour pour avoir rabroué un gamin qui dormait ostensiblement : comme l’écrit @luc, le prof qui essaie de tenir le coup, fatigue à la longue, j’ai été arrêtée pour épuisement, au grand soulagement de mes collègues et de mes élèves.
    Je sais à peu près ce qu’ils sont devenus, du moins ceux que j’ai eus depuis2005. Pour beaucoup les filières professionnelles archi-bouchées: mécanique, coiffure, employées de collectivités. Pour les autres, quelques ingénieurs, quelques infirmiers, non, pas de profs🙄. Une surabondance d’employés de banque. Des auto-entrepreneurs en livraison. Pour ceux qui sont encore étudiants, de façon surprenante, un nombre incroyable d’étudiants en markteting, où l’on fourre tout et n’importe quoi. J’attends une étude sérieuse à partir des classes de 3ème, de ce que deviennent les élèves? 

  20. Guy dit :

    Allez, à mon tour de poser sur la table mon expérience d’enseignant dans le supérieur. La pratique de remonter les notes ne date pas d’hier. Les responsables de filières et d’UE n’ont pas attendu le Covid-19 pour ça. Il y a une quinzaine d’années, j’ai eu à enseigner les statistiques dans une école d’ingénieurs bien connue. L’examen que j’avais posé était du niveau que j’attendais de la part d’étudiants de master 1ère année (Bac +4 donc). Devant les notes pas très bonnes, je me suis fait remonter les bretelles par le responsable de l’UE qui m’a alors dit quelque chose comme : “tu comprends, ce master est une formation d’excellence et les étudiants ne peuvent pas avoir leur diplôme avec une moyenne générale inférieure à 12/20.” Notez qu’il était hors de question qu’un seul étudiant échouât à obtenir son diplôme. Les notes ont donc été remontées par ledit responsable de façon à ce que la moyenne de l’examen soit de 12/20.

    • Descartes dit :

      @ Guy

      [Allez, à mon tour de poser sur la table mon expérience d’enseignant dans le supérieur. La pratique de remonter les notes ne date pas d’hier. Les responsables de filières et d’UE n’ont pas attendu le Covid-19 pour ça. Il y a une quinzaine d’années (…)]

      On est bien d’accord. Cela ne s’est pas fait en un jour. On peut tracer symboliquement le début de la chute à 1968, quand pour la première fois en France on a « donné » les examens. C’est à cette époque aussi qu’on commence à s’attaquer à l’idée même de mérite dans l’enseignement et plus généralement à l’école et à l’université comme institutions. Et ce n’est en rien étonnant : c’était dans l’intérêt des classes intermédiaires de figer la société en arrêtant l’ascenseur social qu’était l’école…

  21. Baruch dit :

    Exemple d’infantilisation totale:
    Un master (bac plus quatre puis cinq ans)  une trentaine d’inscrits, sur dossiers sélectionnés, impossibilité statutaire de redoublement entre les deux années.Les délibérations n’ont pas encore eu lieu , je ne précise pas plus.
    Une épreuve consistait à rendre un travail sur un livre choisi dans une liste (certes, livres trapus de plus de six cents pages  en moyenne) de fondamentaux de la discipline, il ne s’agissait pas “d’une fiche de lecture” mais bien sûr de rendre un travail “de recherche” et approfondissement universitaires par des gens en quatrième année d’études supérieures se dirigeant a priori vers la recherche ou des concours à bac+5 à la sortie. Plusieurs dizaines de pages étaient attendues.Trois mois pour ce faire (les bibliothèques universitaires accessibles pour les prêts).
    Un étudiant rend un travail d’une page et demie.La direction du master reçoit trois jours après la date butoir un message de la mère (!) d’un autre étudiant précisant qu’il n’a pu envoyer son travail car ils avaient eu un problème de connexion informatique.Un étudiant “majeur” d’au moins vingt -deux ou vingt-trois ans, envoyant sa mère l’excuser d’un retard alors que chacun sait qu’un travail de fond doit être prêt et rédigé  en tout état de cause “avant” la date butoir.C’est prendre les enseignants du supérieur pour des crétins, ce sont tous des enseignants chercheurs et en l’occurrence dans ce cas particulier des “pointures” de leur discipline, maîtres de conférences à vingt-huit ans, professeurs des université à trente ils savent le travail à fournir et l’ont fait pour eux-mêmes, même avec de l’attention et de la compassion ils ne vont tout de même pas accepter ce type de comportement qui manifeste que l’étudiant n’a rien compris au bout de quatre ans à ce qu’était l’enseignement supérieur.Les études à l’Université sont très exigeantes,contrairement à l’idée reçue, les filières avec sélection réclament autonomie, et énormément d’investissement et de temps de travail personnel, en même temps les échanges individuels avec les profs qui reçoivent dans leur bureaux ou en visio-conférences à tout moment sur RV n’ont jamais été limités et permettent une progression remarquable .La compassion pour  l’épidémie n’a rien à faire là dedans et ces professeurs sont disposés à ne pas se laisser glisser .On verra ce qu’il en a été après les résultats…

    • Descartes dit :

      @ Baruch

      [La direction du master reçoit trois jours après la date butoir un message de la mère (!) d’un autre étudiant précisant qu’il n’a pu envoyer son travail car ils avaient eu un problème de connexion informatique. Un étudiant “majeur” d’au moins vingt -deux ou vingt-trois ans, envoyant sa mère l’excuser d’un retard alors que chacun sait qu’un travail de fond doit être prêt et rédigé en tout état de cause “avant” la date butoir.]

      Ce genre d’exemples, très illustratifs de l’infantilisation générale de notre société, tendent en effet à se multiplier. Des amis m’ont raconté des histoires semblables, avec des étudiants amenant à l’université – ou à leurs employeurs ! – des « mots d’excuse » de leurs parents. Quand j’étais étudiant, l’idée même que nos parents pourraient se mêler de nos affaires était impensable. Mes parents adressant une lettre d’excuses à mon professeur ? La honte à vie !

      [C’est prendre les enseignants du supérieur pour des crétins, ce sont tous des enseignants chercheurs et en l’occurrence dans ce cas particulier des “pointures” de leur discipline, maîtres de conférences à vingt-huit ans, professeurs des université à trente ils savent le travail à fournir et l’ont fait pour eux-mêmes, même avec de l’attention et de la compassion ils ne vont tout de même pas accepter ce type de comportement qui manifeste que l’étudiant n’a rien compris au bout de quatre ans à ce qu’était l’enseignement supérieur.]

      En êtes-vous bien sûr ?

  22. Simon dit :

    Cher Descartes,
    Je rejoins entièrement Vincent dans son “coup de gueule” sur les smartphones et sur leur potentiel de déconcentration. Je constate sur moi-même ou sur des amis de la même tranche d’âge (environ 30 ans) le temps énorme passé dessus, probablement lié au côté “tout en un” (bibliothèque, télévision, téléphone, radio, etc). Pour la question “est-ce que le potentiel de perturbation est plus important que la télévision ou qu’un journal imprimé”, à titre personnel, oui. Après, j’ai l’impression que c’est moins vrai pour mes parents et mes grands-parents. Je ne sais pas dans quelle mesure c’est le cas pour les plus jeunes, je dirais (par les témoignages des profs) que c’est aussi très/trop utilisé. Peut-être que le potentiel de perturbation est plus important si on a commencé à les utiliser avant un certain âge? Mais il me parait difficile de nier une utilisation excessive, et un potentiel de perturbation important, du smartphone pour les jeunes adultes (et probablement les adolescents)
    Sur le billet, je partage vos constats, et donner le diplôme pour être gentil ne donnera rien de bon.
    Bien cordialement,

  23. @descartes
    “Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières.Paresse et lâcheté sont les causes qui font qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les eut affranchis depuis longtemps d’une conduite étrangère […] restent cependant volontiers toute leur vie dans un état de tutelle ; et qui font qu’il est si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs.
    -Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?, 1784, in Vers la paix perpétuelle, Que signifie s’orienter dans la pensée, Qu’est-ce que les Lumières ? et autres textes, GF Flammarion, 2006, 206 pages, p.343.

    • Descartes dit :

      @ Johnathan R. Razorback
      [“Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. Paresse et lâcheté sont les causes qui font qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les eut affranchis depuis longtemps d’une conduite étrangère […] restent cependant volontiers toute leur vie dans un état de tutelle ; et qui font qu’il est si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs.”
      L’idéalisme kantien est tout entier inscrit dans ce paragraphe, qui montre à la foi la magnifique ambition des Lumières, et ses limites. Ce n’est qu’un siècle plus tard que Marx a mis en lumière le mécanisme d’aliénation, par lequel une idéologie dominante peut maintenir les hommes « sous la conduite d’un autre », et leur rendre plus difficile, voire impossible, de se « servir de leur entendement ». Ce n’est pas seulement une question de « courage » et de « résolution »…

  24. morel dit :

    Le maître mot de votre billet est l’infantilisation de notre société, ce qui est loin d’être faux mais là où ça ne devient pas simple, c’est que celle-ci n’est pas complètement étrangère aux éléments qui la composent. On peut tourner la question dans tous les sens, nous ne sommes pas dans une société totalitaire et nous pouvons par nos actions et nos votes ( on pourrait discuter de « l’offre » politique mais là aussi se pose le problème de l’engagement si absence de..) peser.
     
    Au-delà, on ne peut reprocher, me semble t-il, à autrui ce qu’il pratique – je songe et c’est nouveau pour moi, à tous ces profs qui ici s’insurgent à juste titre contre ce qu’il est convenu d’appeler « notation positive », rien n’empêche de commencer à vous mettre en conformité (pour les actifs, les retraités, comme moi, arrivant en soutien inconditionnel) avec ce que vous défendez ici.
     
    J’ai une grande amitié depuis longtemps avec une instit de mon syndicat. Elle a tout affronté : l’éloge des « méta-langages » par les autorités administratives (elle était « réac », bien entendu) , des « cours de langes et civilisations étrangères » données par des « enseignants » choisis par les gouvernements étrangers ( elle était « raciste », bien entendu), contre le piège des ZEP où l’exigence concernait surtout une E,N, spécifique et pas seulement des avantages, son credo de « lire, écrire, compter » en faisait une réactionnaire née même si, en fait ce qu’elle donnait dépassait ce cadre.
    Pour en revenir à votre billet, chaque fois qu’elle le jugeait nécessaire, elle demandait le redoublement d’élèves mais elle trouvait à son encontre l’opposition toute puissante des parents d’élèves, la volonté des commissions présidentes par l’inspection de ne pas faire de vagues mais elle y allait pour batailler (pour le gamin (e) lui-même disait-elle,
    Sa dernière action avant sa retraite fut de refuser l’accompagnement de voilées lors de quelques sorties (dont elle n’était pas coutumière, privilégiant l’enseignement en classe), lâcheté des collègues et de l’inspection.
    C’est elle qui m’a tout appris sur le primaire et donné bien des choses sur l’enseignement.
    Mon souhait c’est que beaucoup prennent la relèvent ici ou au-delà.
     

    • Descartes dit :

      @ morel

      [Le maître mot de votre billet est l’infantilisation de notre société, ce qui est loin d’être faux mais là où ça ne devient pas simple, c’est que celle-ci n’est pas complètement étrangère aux éléments qui la composent. On peut tourner la question dans tous les sens, nous ne sommes pas dans une société totalitaire et nous pouvons par nos actions et nos votes (on pourrait discuter de « l’offre » politique mais là aussi se pose le problème de l’engagement si absence de..) peser.]

      Oui. Mais il ne faut pas oublier ce que Marx appelle le mécanisme d’aliénation, et le rôle joué par l’idéologie dominante. L’idéologie dominante impose certains rapports comme relevant de l’ordre de la nature, de l’évidence. Et il est très difficile de déconstruire cette vision et montrer que le monde pourrait être autrement de ce qu’il est.

      [Au-delà, on ne peut reprocher, me semble-t-il, à autrui ce qu’il pratique – je songe et c’est nouveau pour moi, à tous ces profs qui ici s’insurgent à juste titre contre ce qu’il est convenu d’appeler « notation positive », rien n’empêche de commencer à vous mettre en conformité (pour les actifs, les retraités, comme moi, arrivant en soutien inconditionnel) avec ce que vous défendez ici.]

      Ce n’est pas, malheureusement, si simple. L’acte de notation est un acte institutionnel. Il est donc très difficile pour un individu de faire cavalier seul, et cela est incompréhensible pour l’usager. En effet, que va penser l’étudiant dont le professeur note conformément à la vérité des prix alors que tous les autres notent « positivement » ? Il pensera qu’il est injustement pénalisé, et il aura parfaitement raison. Tant qu’il s’agit de noter dans sa classe, le professeur peut parfaitement noter comme il l’entend – et tout le monde sait parfaitement que « un 10 avec X vaut un 16 avec Y ». Mais quand les notes permettent – via le livret scolaire – de comparer entre eux les élèves voire de décider de leur futur scolaire, cette liberté n’existe plus.

      [Pour en revenir à votre billet, chaque fois qu’elle le jugeait nécessaire, elle demandait le redoublement d’élèves mais elle trouvait à son encontre l’opposition toute puissante des parents d’élèves, la volonté des commissions présidentes par l’inspection de ne pas faire de vagues mais elle y allait pour batailler (pour le gamin (e) lui-même disait-elle. Sa dernière action avant sa retraite fut de refuser l’accompagnement de voilées lors de quelques sorties (dont elle n’était pas coutumière, privilégiant l’enseignement en classe), lâcheté des collègues et de l’inspection.]

      Bravo pour elle. C’est de ce genre de militants que le service public a besoin.

  25. Cherrytree dit :

    @Descartes
    D’un dinosaure à un autre 😏
    Je tiens tout d’abord à corriger l’orthographe du nom de l’auteur de “D’à Majesté des mouches”, Golding bien sûr, ah, les correcteurs d’orthographe quelle plaie.
     
    Mais je reviens sur le thème de la dureté de la condition étudiante.
    On entend bien peu parler des étudiants en alternance et autres apprentis. Leur formation est pourtant souvent devenue bien plus problématique que celle des étudiants en droit, par exemple. On parle beaucoup des étudiants qui trouvaient dans les petits boulots de la restauration un complément de revenu, mais quid des apprentis des métiers de l’hôtellerie et de la restauration, qui ne trouvent plus de maîtres de stage ? 
    Je propose une explication. Ces jeunes–là sont souvent, issus de familles moyennes voire modestes. Qui n’ont pas forcément les moyens de payer le loyer d’un studio ou d’une chambre à leur enfant. Donc celui-ci reste en famille. J’y reviendrai.
    Lorsque j’étais étudiante, les facs ne se trouvaient que dans les grandes métropoles. Dans ma région c’était Toulouse, et les Ariégeois, Tarnais, Lotois et autres Aveyronnais étaient bien forcés de faire ce sacrifice : cité U ou chambre en ville, avec un confort approximatif. Depuis une trentaine d’années, les facs sont décentralisées: il y en a à peu près partout, et souvent excellentes. Mais un certain tropisme conduit à s’entasser dans des campus bondés car au sein de villes attirantes et nettement plus”fun”, avec une vie estudiantine intense. Il est plus intéressant de s’éclater (pardon, ded”faire du lien” et d’avoir des”interactions àToulouse ou Montpellier plutôt qu’à Rodez ou à Cahors…
    Tous ces étudiants démunis dont nous voyons les images désastreuses aux infos,  privés de petits boulots, ils n’ont donc pas de famille ? Une famille où ils trouvent un toit, un lit, des repas chauds et un coin de salle à manger où poser son portable 6 h par jour, sauf le weekend pour suivre leurs cours, et une chambre pour faire leurs travaux ? Que certains soient dans une situation délicate ,famille mal logée ou aux ressources limitées, oui, mais c’est loin d’être la majorité, quand même ? C’est pas la guerre, et le confinement ou le couvre-feu, c’est pas l’Occupation?
    Pour ma part, la formation que je souhaitais se trouvait à Paris ou Poitiers, j’aurais pu prétendre à des aides, j’ai renoncé et choisi une voie semblable dans la fac  proche de chez moi. Nous vivions à cinq, dont un bébé, dans un F3. J’ai attendu l’âge de 17 ans pour avoir ma propre chambre. Mais même quand je partageais une chambre avec mon frère, j’y avais un bureau, et je défendais mon espace de travail. Je me levais de très bonne heure pour réviser dans la cuisine, ou je me couchais tard pour rédiger je n’en suis pas morte. En revanche, pour d’autres raisons, je n’avais pas le droit de sortir le soir sauf pour les cours de danse, et j’étais priée de mettre la main à la pâte, au ménage, à la cuisine, à la garde du petit, aux courses, à cumuler les petits boulots,et c’était à moi de m’organiser pour étudier de mon mieux. J’y ai gagné de la discipline et une méthode de travail pour aller à l’essentiel, utile pour les concours.
    Je ne dis pas que c’est un modèle à reproduire, mais si j’avais connu à l’époque une telle crise qui m’aurait privée du mes ressources, du moins j’aurais eu un toit où dormir et étudier, et de quoi me nourrir.
    J’ai souvent reçu des parents déboussolés car leur rejeton ne travaillait pas bien. Après avoir rappelé que l’étude du soir n’était pas faite pour les chiens, je demandais où il faisait ses devoirs, et combien de temps il y consacrait.”Dans sa chambre, madame, et il y reste au moins deux heures !”.
    Vérification faite, il y avait invariablement un écran dans la chambre en question, TV ou ordinateur. J’affirmais alors que la cuisine, où généralement la mère de famille oeuvrait vers 18 ou 19h, était le meilleur endroit pour apprendre les leçons et surtout les réciter, poser des questions, montrer cahiers ou classeurs. Comme suive n’est pas qu’une question d’espace, mais d’attention et d’apprentissage d’une organisation et d’une méthode, disons même d’un rituel de travail très tôt. Avec les ados, c’est la bagarre! Mais il faut bien savoir qu’après 13 ans, c’est trop tard, la discipline n’est généralement pas innée. Ne nous étonnons pas ensuite que les lycéens puis les étudiants sont incapables de résister à l’appel d’un écran quelconque.
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Cherrytree

      [On entend bien peu parler des étudiants en alternance et autres apprentis. Leur formation est pourtant souvent devenue bien plus problématique que celle des étudiants en droit, par exemple. On parle beaucoup des étudiants qui trouvaient dans les petits boulots de la restauration un complément de revenu, mais quid des apprentis des métiers de l’hôtellerie et de la restauration, qui ne trouvent plus de maîtres de stage ?]

      Tout à fait. Comme on n’entend pas parler des jeunes encore plus nombreux qui ne font pas d’études universitaires. Un petit exemple était la journée « jeunes » organisée jeudi dernier par France Inter, au cours de laquelle dans les différentes émissions on été censé évoquer les problèmes de la jeunesse sacrifiée par le Covid. Pratiquement TOUTES les questions évoquées concernaient les étudiants, les jeunes travailleurs n’existent tout bonnement pas. Même chose dans le journal dit de référence, qui se fend chaque jour d’un article – voir d’une page entière – concernant les malheurs des jeunes, mais dans laquelle on ne parle que des jeunes étudiants, pire, des jeunes étudiants en droit, communication, sociologie…

      [Je propose une explication. Ces jeunes–là sont souvent, issus de familles moyennes voire modestes. Qui n’ont pas forcément les moyens de payer le loyer d’un studio ou d’une chambre à leur enfant. Donc celui-ci reste en famille. J’y reviendrai.]

      Je pense surtout que si l’on n’évoque que les problèmes des étudiants, et surtout de certains étudiants, c’est parce que ce sont ceux qui ressemblent le plus aux enfants de ceux qui écrivent les articles ou parlent dans le poste… c’est « les classes intermédiaires parlent aux classes intermédiaires ». Cela étant dit, je pense que vous évoquez ici une question intéressante, qui est celle de la structure familiale selon les couches sociales, et plus généralement du délitement de la solidarité familiale.

      [Tous ces étudiants démunis dont nous voyons les images désastreuses aux infos, privés de petits boulots, ils n’ont donc pas de famille ? Une famille où ils trouvent un toit, un lit, des repas chauds et un coin de salle à manger où poser son portable 6 h par jour, sauf le weekend pour suivre leurs cours, et une chambre pour faire leurs travaux ? Que certains soient dans une situation délicate, famille mal logée ou aux ressources limitées, oui, mais c’est loin d’être la majorité, quand même ? Ce n’est pas la guerre, et le confinement ou le couvre-feu, ce n’est pas l’Occupation ?]

      Je pense qu’il faut prendre ici la mesure de l’évolution de la cellule familiale. Nos générations s’inscrivaient dans une logique d’interdépendance des générations, de dettes et de devoirs réciproques qui faisaient que certaines formes de solidarité étaient quasi-évidentes, automatiques, socialement sanctionnées. On n’avait donc pas à se sentir « coupable » de revenir chez ses parents, tout comme les parents ne se sentaient pas « coupables », devenus vieux, d’être soignés par leurs enfants.

      L’évolution de notre société tend à effacer les mécanismes de solidarité inconditionnels, que ce soit au niveau de la nation ou de la famille. De plus en plus, les avancées du capitalisme remplacent ces rapports par des relations purement économiques. Je vous renvoie à l’échange sur ce même article sur la question des retraites avec cdg, qui est à ce propos très éclairant. Au système ou les jeunes payent pour la pension des vieux et en échange les vieux transfèrent une partie de leur revenu aux jeunes, s’impose une pensée ou chacun paye pour lui-même, et ne doit rien à personne. Cette idéologie a des effets dans la psyché des gens. Les jeunes voient le retour chez leurs parents comme une catastrophe parce que l’idéal social n’est pas l’interdépendance, mais l’indépendance.

      [Comme suive n’est pas qu’une question d’espace, mais d’attention et d’apprentissage d’une organisation et d’une méthode, disons même d’un rituel de travail très tôt. Avec les ados, c’est la bagarre! Mais il faut bien savoir qu’après 13 ans, c’est trop tard, la discipline n’est généralement pas innée. Ne nous étonnons pas ensuite que les lycéens puis les étudiants sont incapables de résister à l’appel d’un écran quelconque.]

      Vous avez raison je pense d’insister sur le mot « rituel ». La capacité de l’homme à ritualiser certains comportements est un élément essentiel de l’apprentissage, parce que ce comportement décharge notre cerveau des questions d’organisation et le libère pour des tâches plus intéressantes. L’enfant ne devrait pas se demander s’il doit ou non étudier à telle ou telle heure, s’il mangera à telle ou telle heure, s’il doit se coucher à tel ou tel moment. Lorsque l’enfant sait qu’il étudie de 18 à 20h, qu’il mange à 20h et qu’il va au lit à 21h, et que c’est comme ça et pas autrement, et bien il peut réserver son « temps de cerveau disponible » à autre chose. Et ces rituels, une fois établis, organisent la vie et subsistent très longtemps… et aident à passer l’adolescence.

  26. Patriote Albert dit :

    [Passer des vrais examens, où l’on exige des vraies connaissances et on ne remonte pas les notes de ceux qui ne savent pas ? Vous n’y croyez pas, cela pourrait affecter gravement la « confiance en soi » des étudiants.]
    A ce propos, j’ai un élément qui va totalement aller dans votre sens. Les élèves de Terminale étaient censés passer des épreuves de bac au mois de mars cette année, dans la logique du nouveau bac Blanquer. C’est un fait que passer des épreuves 3 mois avant la fin de l’année a quelque chose d’absurde, et que s’y confronter à la fin de l’année scolaire a bien plus de sens. Mais lorsque le Ministre a annoncé la suppression de ces épreuves et le passage au contrôle continu, je n’ai pas entendu UN SEUL collègue s’émouvoir du fait que le bac ne certifiait du coup plus rien, si ce n’est l’appréciation des résultats des élèves par chaque collègue, dont on sait à quelles influences elle peut être soumise. Tout le monde était soulagé, et si des critiques sur le contrôle continu se sont faites entendre, la réaction dominante était “ouf, les élèves n’étaient pas prêts”. Comme si le fait que ces élèves ne soient pas prêts était l’oeuvre de la fatalité. Bref, il n’est plus besoin de prouver qu’avec les enseignants d’aujourd’hui, l’Éducation nationale n’a plus besoin d’ennemis!
    [ce sentiment de toute-puissance symbolique qui s’accompagne d’une impuissance sur le réel] Comme disait Clouscard, dans le néo-capitalisme de la séduction, “tout est permis, rien n’est possible”.
    [Rappelons que les étudiants sont majeurs et vaccinés, et qu’à leur âge nos grands-parents étaient déjà souvent pères de famille et travaillaient aux champs ou dans les usines, quand on ne leur demandait pas d’aller tuer et mourir pour leur Patrie. Cela devrait permettre de relativiser les souffrances innommables complaisamment décrites dans les pages des journaux de référence.]
    Certes, mais il y a me semble-t-il une différence de taille. La génération de vos grands-parents avait conscience de faire partie d’un tout (national, religieux, de classe, local…), ce qui libérait en partie de l’angoisse née de la sensation d’être entièrement responsable de son destin. Et ce tout était une réalité dans la mesure où les épreuves pouvaient généralement être affrontées ensemble (à l’armée, dans la grève, par la communion spirituelle…). Les jeunes étudiants d’aujourd’hui sont à la fois dans une situation d’isolement relationnel (à cause de la fermeture des universités et du couvre-feu) et pris dans un individualisme qui leur tient le discours “vous êtes seuls maîtres à bord”. Quand on ajoute le poids du terrorisme climatique qui dépeint une proche apocalypse, puis maintenant de la pandémie et de la crise économique associée, je comprends que cela devienne difficile à vivre.
    [Des générations d’étudiants ont travaillé dans des mansardes mal chauffées, le ventre à moitié vide, et ont produit des travaux de qualité. Pourquoi les étudiants du XXIème siècle seraient-ils moins capables de se débrouiller ?]
    Parce que la massification scolaire a tiré le niveau général vers le bas, que les élèves apprennent de moins en moins de choses à l’école, et qu’ils savent de moins en moins travailler par eux-même. L’Éducation nationale est devenue un immense tapis roulant où les élèves avancent sans qu’on leur dise jamais la vérité des prix. Et c’est à l’Université, où vont généralement les élèves les moins bons de Terminale générale, que d’un coup on découvre la supercherie. Il y a bien sûr une explication de classe que vous avez déjà maintes fois rappelée. Pour apporter un complément plus polémique, tout cela n’est pas sans lien non plus avec la féminisation du métier d’instituteur: mes contacts dans le métier me font apparaître que de nombreuses institutrices (90% des professeurs des écoles sont des professeures) font ce métier parce qu’elles aiment bien s’occuper des enfants, particulièrement dans les jeunes générations. D’où le fleurissement de toutes ces pédagogies “alternatives” qui font florès y compris dans l’EN, et qui se résument plus ou moins à: “il faut être gentil avec les enfants”. Je vous renvoie au succès d’une Céline Alvarez.
    [Un an de pandémie a mis en lumière la résilience des Français. Elle a aussi souligné cruellement la débilité de notre discours public, l’incapacité de nos élites – politiques, médiatiques, intellectuelles – à tenir aux citoyens un discours adulte. Ils ont versé dans l’infantilisation et la démagogie.]
    Pourriez-vous développer?Ce que je perçois du discours gouvernemental, c’est le refus d’expliquer les sources et les raisons des décisions prises. On a l’impression qu’un an après le début de la pandémie, on navigue toujours à vue, et les choix politiques ne font l’objet d’aucun débat. Les Français sont priés d’obéir sans rechigner, sous peine d’être vus comme des mauvais citoyens. Le Parlement aussi est prié de se taire, avec l’état d’urgence prolongé jusqu’au mois de juin. Or, ce qui était concevable dans l’urgence du printemps dernier le devient beaucoup moins aujourd’hui.
    Une parenthèse pour terminer: vous disiez récemment que vous seriez étonné que l’on continue à supprimer des lits à l’hôpital public actuellement. Il semble pourtant que c’est bien ce qu’il se passe, et je vous renvoie à cet article du Monde: https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/28/fermetures-de-lits-a-l-hopital-l-inquietude-remonte-chez-les-soignants_6064623_3224.htmlComment accepter ensuite que l’on demande encore et encore des sacrifices pour ne pas saturer l’hôpital public?

    • Descartes dit :

      @ Patriote Albert

      [Mais lorsque le Ministre a annoncé la suppression de ces épreuves et le passage au contrôle continu, je n’ai pas entendu UN SEUL collègue s’émouvoir du fait que le bac ne certifiait du coup plus rien, si ce n’est l’appréciation des résultats des élèves par chaque collègue, dont on sait à quelles influences elle peut être soumise. Tout le monde était soulagé, et si des critiques sur le contrôle continu se sont faites entendre, la réaction dominante était “ouf, les élèves n’étaient pas prêts”.]

      Quelqu’un qui aurait l’esprit mal tourné et la langue fourchue interpréterait cette dernière expression plutôt comme « ouf, nous n’avons pas à faire l’effort pour s’assurer que les élèves sont prêts ». La solution Blanquer a le douteux avantage de contenter tout le monde : les élèves parce qu’ils auront leur bac quoi qu’il arrive (quel prof osera se singulariser en mettant des notes qui mettront ses élèves en difficulté ?) ; les professeurs parce que sans examen national on distinguera pas entre ceux qui se sont cassé le cul – et les neurones – pour aider leurs élèves à apprendre et ceux qui ont baissé les bras ; et les parents parce que cela leur évitera d’avoir à gérer un adolescent qui s’est fait recaler, et qui s’imaginent encore que c’est le certificat et non les connaissances qui sont importantes. En fait, cette solution est la solution anti-méritocratique par excelence. Elle met à égalité les élèves qui ont travaillé et les autres, les professeurs qui ont fait l’effort et les autres…

      Cela étant dit, je comprends un peu Blanquer. L’éducation nationale fonctionne aujourd’hui comme une production de masse industrielle. Dans l’industrie, quand un lot de produits sort avec un défaut, plutôt que de corriger le défaut on jette le lot entier : il est plus rentable de continuer la production que d’arrêter la chaine pour corriger les défauts. Et bien, l’éducation nationale agit un peu de même, sauf que, comme on ne peut pas « jeter » un lot, on le met plutôt sur le marché et on laisse les employeurs futurs faire le sale boulot. Si vous décidez qu’une classe d’âge n’a pas le niveau, et quelle doit redoubler, vous encombrez la chaine de production parce qu’il y a une classe d’âge qui pousse derrière…

      [« ce sentiment de toute-puissance symbolique qui s’accompagne d’une impuissance sur le réel » Comme disait Clouscard, dans le néo-capitalisme de la séduction, “tout est permis, rien n’est possible”.]

      Une de ses plus belles formules.

      [Certes, mais il y a me semble-t-il une différence de taille. La génération de vos grands-parents avait conscience de faire partie d’un tout (national, religieux, de classe, local…), ce qui libérait en partie de l’angoisse née de la sensation d’être entièrement responsable de son destin. Et ce tout était une réalité dans la mesure où les épreuves pouvaient généralement être affrontées ensemble (à l’armée, dans la grève, par la communion spirituelle…).]

      Je partage tout à fait votre analyse. Le capitalisme dans son évolution – et c’est là qu’on réalise combien Marx était clairvoyant – remplace progressivement tous les rapports sociaux par des rapports d’argent. Et le corollaire de cette transformation est l’extension de la plage de liberté de l’individu, et donc de sa plage de responsabilité. Le mariage arrangé pouvait être pénible, mais aucun des époux ne considérait l’échec de l’union comme SON échec. C’était celui des parents qui n’avaient pas su bien choisir, de la société qui avait forcé le mariage. Et c’était moins grave parce que le mariage était un contrat entre deux familles, et non entre deux individus. Quand on lui substitue le mariage d’amour ou les partenaires se choisissent, l’échec est forcément un échec personnel, qu’on ne peut attribuer qu’à soi-même ou à l’autre. Parce qu’on est libre de choisir, on est responsable de l’erreur.

      C’est en cela que, sans être antilibéral, je mets un bémol aux idées libérales : il y a un équilibre à trouver entre la liberté individuelle et la régulation collective. C’est là à mon sens l’essence de la République, avec la séparation entre la sphère publique, qui est celle de la règle collective, et la sphère privée qui est celle des choix souverains de l’individu. En le bonheur ne se trouve pas dans l’extension infinie de l’une au détriment de l’autre.

      [Les jeunes étudiants d’aujourd’hui sont à la fois dans une situation d’isolement relationnel (à cause de la fermeture des universités et du couvre-feu) et pris dans un individualisme qui leur tient le discours “vous êtes seuls maîtres à bord”. Quand on ajoute le poids du terrorisme climatique qui dépeint une proche apocalypse, puis maintenant de la pandémie et de la crise économique associée, je comprends que cela devienne difficile à vivre.]

      Je comprends tout à fait, et je ne dis pas qu’il ne soit pas dur d’être jeune aujourd’hui – j’ai même écrit ici un papier pour dire le contraire. Mais si être jeune est dur, ce n’est certainement pas pour les raisons que les élites politico-médiatiques répètent jusqu’à la nausée. C’est la logique néolibérale poussée jusqu’au bout qui a généré à la fois cette instabilité et ce sentiment d’hyper-responsabilité impossible à assumer.

      [Pour apporter un complément plus polémique, tout cela n’est pas sans lien non plus avec la féminisation du métier d’instituteur : mes contacts dans le métier me font apparaître que de nombreuses institutrices (90% des professeurs des écoles sont des professeures) font ce métier parce qu’elles aiment bien s’occuper des enfants, particulièrement dans les jeunes générations. D’où le fleurissement de toutes ces pédagogies “alternatives” qui font florès y compris dans l’EN, et qui se résument plus ou moins à: “il faut être gentil avec les enfants”. Je vous renvoie au succès d’une Céline Alvarez.]

      Plus que la « féminisation de la profession » – j’ai au pas mal d’instituteurs et de professeurs de sexe féminin, et elles étaient souvent les plus strictes et les plus exigeantes – c’est la « féminisation des idées » avec l’extension de l’idéologie du « care » et le rejet de valeurs considérées – à tort – comme masculines telles que la rigueur, la discipline, l’effort… C’est ce que certains évoquent lorsqu’ils parlent de la « disparition du père »…

      [« Un an de pandémie a mis en lumière la résilience des Français. Elle a aussi souligné cruellement la débilité de notre discours public, l’incapacité de nos élites – politiques, médiatiques, intellectuelles – à tenir aux citoyens un discours adulte. Ils ont versé dans l’infantilisation et la démagogie. » Pourriez-vous développer?Ce que je perçois du discours gouvernemental, c’est le refus d’expliquer les sources et les raisons des décisions prises. On a l’impression qu’un an après le début de la pandémie, on navigue toujours à vue, et les choix politiques ne font l’objet d’aucun débat.]

      Je fais référence au discours sur les masques, par exemple. La question n’est pas tant pour moi de savoir si les choix font ou pas objet d’un débat. Un débat entre qui, d’ailleurs ? Ce que les citoyens demandent au gouvernement est une capacité à faire des choix et à les mettre en œuvre. Un gouvernement dont le porte-parole explique qu’elle ne saurait pas porter le masque prend les gens pour des imbéciles.

      [Les Français sont priés d’obéir sans rechigner, sous peine d’être vus comme des mauvais citoyens. Le Parlement aussi est prié de se taire, avec l’état d’urgence prolongé jusqu’au mois de juin.]

      Franchement, pensez-vous qu’un débat parlementaire changerait quelque chose ? La pauvreté du débat parlementaire ne tient pas tant aux choix du gouvernement qu’à la qualité du personnel parlementaire. Combien de députés aujourd’hui commandent le respect par la qualité de leur travail, par leur connaissance des dossiers, par leur capacité à chercher des consensus pour faire avancer le schmilblick ?

      [Une parenthèse pour terminer: vous disiez récemment que vous seriez étonné que l’on continue à supprimer des lits à l’hôpital public actuellement. Il semble pourtant que c’est bien ce qu’il se passe, et je vous renvoie à cet article du Monde: (…)]

      Dans cet article on parle des suppressions « prévues » à des horizons plus ou moins éloignés. Ils ne citent guère d’exemples de lit DE REANIMATION supprimés PENDANT la pandémie.

  27. BJ dit :

    morel : “Sa dernière action avant sa retraite fut de refuser l’accompagnement de voilées lors de quelques sorties”
    Descartes : “Bravo pour elle. C’est de ce genre de militants que le service public a besoin.”
    Voila, tout est dit. Il suffit d’attendre que les vieux partent à la retraite pour qu’il n’y ait plus d’opposition et que plus personne ne voit de problème.
    Un jour, quelqu’un ma dit sous forme de boutade :
    La dictature c’est “ferme ta gueule”. La démocratie “c’est cause toujours”. Maintenant c’est “tu vois bien que tu es d’accord.”
    Je me demande si c’était pas en 1984, d’ailleurs…

  28. Maximilien Duchesne dit :

    Je me permets d’essayer d’ajouter un élément de réflexion qui ne figure peut-être pas assez dans ces débats. L’université aussi fait l’objet de pressions concernant les résultats, ce qui me semble relativement nouveau et lié à des évolutions en cours depuis quelques années. Jusqu’ici, le bac faisait encore office de filtrage relativement efficace dans la mesure où les étudiants (nombreux) qui n’avaient guère leur place à l’université en partaient assez rapidement. Il me semble que l’objectif est désormais de “lutter contre le décrochage” et de montrer de bons chiffres en terme de réussite au diplôme, peu importe la qualité dudit diplôme. On retrouve, avec un décalage de quelques années, ce qui a tué le collège, puis le lycée, et qui devrait donc tuer l’université à moyen terme.
    Vous seriez peut-être surpris de voir, au-delà de la médiocrité générale des travaux que l’on corrige, le degré d’immaturité de certains étudiants, à travers par exemple les excuses qu’ils se trouvent pour expliquer un retard ou une absence. Or, les consignes reçues tendent à toujours plus les infantiliser et à faire preuve de “bienveillance”. Bien entendu, beaucoup d’enseignants du supérieur continuent à “honnêtement” faire le travail, mais il suffit de quelques responsables d’UE ou de département zélés et du suivisme (ou de l’impuissance, ou du manque de courage) des autres pour donner une inflexion négative, et petit à petit, c’st toute la machine qui suit.
    Les universités sont en effet de plus en plus “classées” par réussite au diplôme et mises en concurrence sur ce taux précis. Cela a des conséquences multiples sur les financements, l’éligibilité à des projets, le fait d’attirer ou non des étudiants (j’avais écrit financements, lapsus révélateur) etc. On incite donc à revoir à la baisse les exigences ; j’ajoute que les réformes en cours accentuent largement cet état de fait, faisant de l’université un gros BTS (même si beaucoup de facs se débrouilleront pour ne pas changer grand chose, c’est la direction qui est donnée et triomphera à terme). Ici, il faut aussi voir l’influence des réformes européennes, qui visent à professionnaliser au maximum les études universitaires et les raccourcir, quitte à sacrifier toute ambition qualitative.
    L’UE est un véritable poison pour nos universités (pas qu’en France) et est obsédée par le modèle américain ; tous les moyens sont bons pour aller en ce sens, à commencer par les fonctionnements “par projets” et une mise en concurrence généralisée (la concurrence, c’est parait-il le BIEN absolu). On retrouve toujours les mêmes mots-clefs vides de sens : “modernisation”, “normalisation” … In fine, le but est de désengager les états du milieu universitaire et, pour compenser, de jouer à la fois la carte de la massification étudiante et du privé. Dans ce cadre, les facs n’ont guère de choix que de dire amen à tout. J’ajoute que bien évidemment, les universitaires ne sont pas innocents dans ces réformes : beaucoup les appellent de leurs voeux et les encouragent, persuadés qu’ils sont que celles-ci sont inéluctables et/ou qu’ils sauront bien se débrouiller pour se tailler une belle part du gâteau. Partout où j’ai vu ces réformes se mettre en oeuvre, actuellement, on ne peut en tout cas pas dire que les résultats soient au rendez-vous en termes de qualité de la recherche ou de l’enseignement … Je pourrais approfondir bien davantage mais je ne sais si c’est bien là le lieu ; toujours est-il qu’il faut à mon sens prendre en compte aussi ces évolutions dans les phénomènes que vous décrivez : une université (à plus forte raison si elle dépend de ses étudiants-clients) ne peut guère se permettre de faire échouer, là où elle peut brader son diplôme sans conséquence négative visible immédiatement.

    • Descartes dit :

      @ Maximilien Duschesne

      [Il me semble que l’objectif est désormais de “lutter contre le décrochage” et de montrer de bons chiffres en termes de réussite au diplôme, peu importe la qualité dudit diplôme. On retrouve, avec un décalage de quelques années, ce qui a tué le collège, puis le lycée, et qui devrait donc tuer l’université à moyen terme.]

      Oui. C’est l’effet pervers classique lorsqu’on fixe des objectifs chiffrés de production sans fixer en même temps des objectifs de qualité : on sacrifie la qualité pour permettre d’augmenter la production. Qu’il s’agisse de diplômés ou de chaussures, le problème est la même.

      [Vous seriez peut-être surpris de voir, au-delà de la médiocrité générale des travaux que l’on corrige, le degré d’immaturité de certains étudiants, à travers par exemple les excuses qu’ils se trouvent pour expliquer un retard ou une absence. Or, les consignes reçues tendent à toujours plus les infantiliser et à faire preuve de “bienveillance”.]

      J’ai eu quelques opportunités de faire des interventions en milieu universitaire, et je ne peux qu’être d’accord avec eux. Pour qu’un étudiant se voit dire que son travail est médiocre, il faut vraiment qu’il le fasse exprès. Le pire est que beaucoup d’enseignants sont parfaitement conscients de la dérive, mais personne n’ose rompre l’omerta. Par lâcheté quelquefois, par aquabonisme souvent, pour éviter les ennuis aussi. Et du coup on donne le diplôme pour ne pas « pénaliser » l’étudiant… Personnellement, j’ai toujours dit la vérité aux étudiants sur leur niveau. Mais il est vrai que j’enseigne ad honorem et que ma carrière ne dépend pas de ce monde-là.

      [On incite donc à revoir à la baisse les exigences ; j’ajoute que les réformes en cours accentuent largement cet état de fait, faisant de l’université un gros BTS (même si beaucoup de facs se débrouilleront pour ne pas changer grand-chose, c’est la direction qui est donnée et triomphera à terme).]

      Oui, malheureusement l’obsession de la professionnalisation – et donc de la spécialisation – et la massification ont liquidé l’idée même de « universitas ». Qu’est-ce qu’une bonne formation universitaire ? C’est une formation qui permet de trouver un emploi. La qualité intellectuelle, l’équilibre entre la tête bien faite et la tête bien pleine… aucun intérêt. La logique anti-institutionnelle que le milieu universitaire a adopté avec enthousiasme après l’expulsion des « mandarins » en 1968 a fait le reste.

      [Dans ce cadre, les facs n’ont guère de choix que de dire amen à tout. J’ajoute que bien évidemment, les universitaires ne sont pas innocents dans ces réformes : beaucoup les appellent de leurs voeux et les encouragent, persuadés qu’ils sont que celles-ci sont inéluctables et/ou qu’ils sauront bien se débrouiller pour se tailler une belle part du gâteau.]

      Comme dans beaucoup d’autres domaines, c’est la trahison des élites qui est la pire. Ces élites dont les citoyens français ont payé la formation et la promotion sociale se sont retournées contre le pays. Pas étonnant que ces élites soient pour les couches populaires un sujet de colère ou de mépris.

      Cela étant dit, le balancier commence à retourner. Déjà les étudiants commencent à réaliser que le secondaire et le supérieur ne délivrent plus que des médailles en chocolat. On peut donc être optimiste…

      • Maximilien Duchesne dit :

        [Par lâcheté quelquefois, par aquabonisme souvent, pour éviter les ennuis aussi. Et du coup on donne le diplôme pour ne pas « pénaliser » l’étudiant… Personnellement, j’ai toujours dit la vérité aux étudiants sur leur niveau. Mais il est vrai que j’enseigne ad honorem et que ma carrière ne dépend pas de ce monde-là.]
        Ayant la chance de voir la chose de plus près dans deux établissements très différents (et donc la malchance de devoir prendre des gants …), il peut y avoir une grosse pression de l’administration et/ou de la hiérarchie, surtout pour les instituts à faible effectif qui doivent maintenir leurs effectifs … Mais oui, in fine il y a aussi une bonne part de responsabilité qui retombe sur le corps professoral.
         
        [Qu’est-ce qu’une bonne formation universitaire ? C’est une formation qui permet de trouver un emploi. La qualité intellectuelle, l’équilibre entre la tête bien faite et la tête bien pleine… aucun intérêt. ]
        C’est là que les réformes de fond menées à l’initiative de l’UE prennent toute leur importance, le tout est voulu et délibéré, et les conséquences en cascade sont lourdes. Si l’Etat se dégage et si les entreprises et les étudiants gagnent en poids, toute la maison universitaire risque de voir de sacrés pans de mur s’effondrer.
         
        [Comme dans beaucoup d’autres domaines, c’est la trahison des élites qui est la pire. Ces élites dont les citoyens français ont payé la formation et la promotion sociale se sont retournées contre le pays. Pas étonnant que ces élites soient pour les couches populaires un sujet de colère ou de mépris.]
        Amen. Le poisson pourrit par la tête, dit-on. De ce point de vue, la rupture entre le petit monde universitaire et le peuple (voire la nation) est terrible. Le plus grand conformisme règne dans les universités, les profils sont toujours les mêmes, et le mépris, au hasard, pour les vulgaires péquenots provinciaux qui votent RN, immense … D’ailleurs, on peut inclure dans le lot les ENS, dans mon domaine en tout cas : leur mépris (voire leur détestation) pour l’Etat et la nation ainsi que l’uniformité socio-économique y est pire encore que dans les universités, chez nous. C’est devenu une chasse gardée pour les “classes intermédiaires”, encore plus homogène que l’université ; on va de toute façon dans un système à deux vitesses qui sourira à ces classes, qui sauront toujours accéder aux écoles qui comptent, de toute façon.
         
        [On peut donc être optimiste…]
        Là, je ne suis pas sûr de vous suivre, tant les processus à l’oeuvre actuellement ne peuvent qu’amplifier ces problèmes (les “compétences” font enfin leur apparition dans le supérieur !). Il y aura peut-être une prise de conscience mais il est à souhaiter qu’elle ne tarde pas trop et soit complète (gare à l’UE et au grand frère américain, dans ce domaine) … Y a du boulot.

        • Descartes dit :

          @ Maximilien Duschesne

          [« Qu’est-ce qu’une bonne formation universitaire ? C’est une formation qui permet de trouver un emploi. La qualité intellectuelle, l’équilibre entre la tête bien faite et la tête bien pleine… aucun intérêt. » C’est là que les réformes de fond menées à l’initiative de l’UE prennent toute leur importance, le tout est voulu et délibéré, et les conséquences en cascade sont lourdes.]

          Je ne sais pas si « le tout est voulu et délibéré ». Il est clair que l’inscription de l’enseignement supérieur dans une logique de marché est « voulue » par l’UE et l’OCDE, institutions dont la matrice idéologique fait du marché le régulateur idéal de toute chose. Mais je ne suis pas persuadé que ceux qui poussent ces politiques aient vraiment « délibéré » sur les conséquences de celles-ci, et qu’ils les assument en connaissance de cause. La plupart de ces gens – du moins ceux que j’ai pu croiser – croient vraiment à la « société de la connaissance », et ne réalisent pas que la logique de marché tend à une spécialisation sur ce qui rapporte, et qu’une telle spécialisation est la négation même d’une société fondée sur la connaissance.

          [Si l’Etat se dégage et si les entreprises et les étudiants gagnent en poids, toute la maison universitaire risque de voir de sacrés pans de mur s’effondrer.]

          C’est déjà largement le cas.

          [« On peut donc être optimiste… » Là, je ne suis pas sûr de vous suivre, tant les processus à l’oeuvre actuellement ne peuvent qu’amplifier ces problèmes (les “compétences” font enfin leur apparition dans le supérieur !). Il y aura peut-être une prise de conscience mais il est à souhaiter qu’elle ne tarde pas trop et soit complète (gare à l’UE et au grand frère américain, dans ce domaine) … Y a du boulot.]

          Oui, beaucoup de boulot. Mais pour qu’on puisse commencer le travail de reconstruction, il faut d’abord une prise de conscience au niveau de la société et surtout du bloc dominant. Si les jeunes des classes intermédiaires réalisent que l’enseignement les paye en fausse monnaie, on aura fait un grand progrès.

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