Une société sans empathie

Un adolescent est tué par un policier, et la France s’embrase. Des mairies, des écoles, des salles de fêtes, des centres sociaux, des commissariats de police partent en fumée. Des doctes sociologues et autres professionnels de la profession interviennent sur les ondes pour  nous expliquer qu’il s’agit d’une explosion de colère, d’un réflexe d’identification avec Nahel, de solidarité entre pairs. Bien entendu, les stars médiatiques y vont chacune de sa larme et de sa condamnation, le président de la République lui-même qualifie la chose de « drame injustifiable », et l’Assemblée nationale fait une minute de silence.

Le 15 février dernier, un adolescent de 17 ans, le même âge que Naël, était tué à la cité de La Paternelle, dans les quartiers nord de Marseille. Pas par la police, mais par des individus à ce jour non identifiés. Et pas n’importe comment. Le meurtre fut particulièrement barbare : le corps « présentait des traces de coups de couteau aux mains et aux cuisses ainsi qu’une plaie ouverte à la tête. La victime portait également les traces de nombreux coups portés par un objet contondant comme une barre de fer ». Et il n’est pas le seul : cinq jours plus tôt, un adolescent de 14 ans avait été blessé par balle lors d’une fusillade. La nuit du 2 au 3 avril, dans le quartier de la Joliette, toujours à Marseille, c’est un adolescent de 15 ans qui est mort dans une fusillade.

Et là, pas de solidarité entre pairs. Pas d’identification. Pas d’explosion de colère. Tout le monde sait dans la cité où est le point de deal, qui sont les trafiquants, qui sont les « nourrices ». Mais personne n’est allé leur mettre le feu. Pas de message de Killian Mbappé ou d’Omar Sy, pas de minute de silence à l’Assemblée nationale, pas de condamnation présidentielle. Non, la « colère devant le meurtre d’un semblable », le sentiment qu’on vous a « pris votre petit frère » dont parlent les doctes sociologues sur France Inter ne semble pas s’être manifesté.

Pourquoi cette différence ? Pourquoi la mort donnée accidentellement par un policier – car personne n’imagine que le policier ait eu l’intention préméditée d’assassiner l’adolescent – provoque un tel émoi, alors que la mort donnée volontairement, de façon préméditée et avec la plus grande barbarie par des trafiquants de drogue semble accueillie comme chose normale, comme un « drame excusable », pour reprendre la formule présidentielle ? Pourquoi, si le moteur des violences urbaines qu’on a pu voir ces derniers jours sont la « colère » et le sentiment de « solidarité », celles-ci sont aussi sélectives ?

Une explication simple – et donc attractive – est que les risques ne sont pas les mêmes. Le policier, lui, ne fait plus peur à personne. Au contraire, c’est lui qui a peur, sachant parfaitement que le moindre écart lui sera facturé au prix fort. On peut caillasser la voiture du policier, lui cracher dessus, menacer sa famille et à l’occasion lui lancer des cocktails molotov sans risquer grande chose. Les trafiquants, eux, ne sont limités par aucun code pénal, par aucune charte de déontologie. Détruire une voiture de police, c’est quelques mois de prison avec sursis, quelques heures de travaux d’intérêt général. Regarder un trafiquant de travers, c’est le risque de finir dans une décharge avec une balle dans la tête. Alors, quand on a envie de jouer à la guerre, mieux vaut la jouer avec les policiers qui ont l’ordre de minimiser les blessés et éviter les morts, plutôt qu’avec les trafiquants qui, eux, n’hésitent pas à tuer quand on les titille.

Mais ce n’est pas là la seule explication. Ce que nous voyons depuis montre bien que la mort de Nahel n’est pas là la cause des violences urbaines qui ont suivi. Ce n’est là qu’un prétexte à une sorte de fête païenne, de carnaval, de grand spectacle. Un moment ludique, une manière pour une partie de la jeunesse d’exister – car, comme disait Nietzche, « j’existe, puisque je peux détruire ». Parce qu’on arrive toujours à la même question : si c’est la colère contre la police qui motive l’explosion, pourquoi incendier une mairie, une école, une bibliothèque, un gymnase, une maison des services publics ? Qui peut croire qu’on « punit » la police en incendiant les voitures de secours d’ENEDIS, des bus, des rames de tramway ? Quel hommage rendent à Nahel les jeunes qui sortent des boutiques pillées les bras chargés de vêtements ou de chaussures de sport, pendant que leurs camarades filment avec leurs portables pour ensuite partager les images sur les réseaux sociaux ?

Non, le but est le spectacle, et surtout, se donner en spectacle. Chacun aspire à son quart d’heure de gloire. Car tout est spectacle aujourd’hui. Hier, les grandes douleurs étaient muettes. Aujourd’hui, la mère de Nahel n’hésite pas livrer sa peine sur TikTok sans la moindre pudeur. Ceux qui pillent les magasins, qui incendient des bus et des rames de tramway, qui détruisent mairies, bibliothèques, centres sociaux et salles de sport affichent leurs exploits. Ils les filment et les laissent filmer, et se les échangent sur les réseaux sociaux comme des badges d’honneur. Mélenchon commet une grave erreur lorsqu’il déclare que « les manifestations prennent la forme qu’elles veulent. La colère qui s’exprime est légitime ». Il se trompe parce qu’il s’imagine que les émeutes que nous vivons sont des « manifestations » qui « expriment » quelque chose. Désolé, Jean-Luc, mais ces émeutes n’ont en fait aucun contenu. Et on le voit bien : au fur et à mesure que les jours passent, on oublie Nahel et sa mort, il ne reste plus que le plaisir de détruire, de piller, et de se mettre en scène.

Que deviendra une jeunesse qui prend plaisir à détruire et de piller – et qui déguise ce plaisir en prétextant une fausse solidarité avec un mort dont trois jours plus tard on ne parle même plus ? Que faire d’une société où il n’y a plus d’empathie, au point qu’on détruit le petit magasin du quartier sans jamais se mettre dans la peau de celui qui trime chaque jour pour le tenir, et qu’on côtoie tous les jours, qu’on brûle le « bus du cœur » qui dépistait les maladies cardiovasculaires chez les femmes dans les quartiers ? Que fait-on d’un gouvernement qui donne pour instruction à la police d’éviter tout risque de blessure et de mort quitte à laisser la rue aux émeutiers, ce qui transforme l’affaire en une sorte de jeu grandeur nature où l’on peut détruire et piller sans risque ? Que fait-on d’une gauche dont le principal dirigent s’imagine qu’on pourrait changer les choses en poussant au chaos et à l’anomie (1) ?

La paix civile ne va jamais de soi. Elle suppose que la grande majorité des citoyens s’abstiennent de détruire, de piller, de saccager, de tuer, non seulement parce qu’ils ont peur du gendarme, mais parce qu’ils sont capables de se mettre à la place de l’autre. Plus que la répression, c’est l’empathie qui est le fondement de la paix civile. Et cette empathie n’est pas naturelle. Elle se construit, et d’abord dans les institutions. Si chaque individu est une île, qui ne regarde que son intérêt, qui ne se sent redevable à personne – et surtout pas à ses concitoyens – la paix civile s’effondre. Or, cela fait quarante ans que les gouvernements successifs s’évertuent, avec plus ou moins d’enthousiasme, de démonter les institutions, de créer cette « société de marché » dont les néolibéraux sont les prophètes. Cela fait quarante ans qu’on persuade nos jeunes que « seule la victoire compte ». Cela fait quarante ans qu’on s’attaque à tout ce qui peut créer une empathie entre les Français. Et les évènements que nous vivons montrent que nous ne sommes pas loin du point de rupture. Mais, contrairement à ce qu’imaginent les « insoumis », cette rupture ne sera en rien révolutionnaire.

Descartes

PS : Et puis, je ne peux m’empêcher de penser à l’homme qui a tiré : un policier expérimenté, bien noté, titulaire de plusieurs médailles du courage et du dévouement. Pourquoi a-t-il tiré ? L’enquête le dira, mais il n’est pas inutile de rappeler ici ce qu’est le dilemme du policier. Lorsqu’un membre des forces de l’ordre vous contrôle, il y a entre le vous et lui une grosse asymétrie d’information. Vous, vous savez que vous avez devant vous un policier, qui porte un uniforme, qui reçoit ses pouvoirs d’une institution et qui est contrôlé par elle, qui aura à répondre de ses actes devant sa hiérarchie et, éventuellement, devant le juge. Lui, il ne sait rien sur vous : vous pouvez être un honorable père de famille, ou au contraire un criminel endurci. Ce renflement dans votre pantalon, est-ce un pistolet ou un portefeuille ? Ce cylindre dans la poche de votre veste, est-ce un briquet ou un couteau ? Ce geste que vous faites, est-ce pour sortir vos papiers, ou bien une arme ?  Aucune façon de le savoir à priori. A chaque contrôle, le policier doit être préparé au pire. Vous, non. Alors, on peut comprendre que le policier soit nerveux, qu’il puisse interpréter un geste un peu brusque comme une tentative d’agression. Et qu’il réponde en conséquence, en application du principe de précaution qui veut qu’il vaille mieux être jugé par douze hommes que porté par six.

Les bienpensants – de Macron à LFI – n’ont pas attendu le travail de la justice et de l’IGPN pour décider que le geste du policier était « injustifiable ». Tous à leur sollicitude pour la victime, ils ont passé à côté du tragique de la situation. Car le choix du policier est, au sens propre, tragique : devant ce qu’il perçoit comme une menace, il doit choisir en une fraction de seconde s’il doit ou non utiliser son arme. S’il l’utilise, il risque de tuer un innocent, s’il ne le fait pas, il risque sa propre vie ou celle de ses collègues. Les idées de légitime défense, de proportionnalité dans l’usage de la force semblent tellement simples quand on les entend dans un cours de droit. Mais ce n’est pas du tout la même chose quand il faut les apprécier dans la rue, devant un adolescent qui, au volant d’une BMW a déjà brulé un feu rouge et failli écraser plusieurs piétons, et qui démarre brusquement alors que vous essayez de le contrôler. Est-il absurde de penser que ce policier a tout simplement commis une erreur ? Une erreur aux conséquences dramatiques, certes, mais erreur tout de même…

Mon grand-père disait que la peur du gendarme est le début de la sagesse. Il avait parfaitement raison. Lorsque le gendarme fait peur, il n’a pas besoin de faire usage de la force. La crainte suffit pour assurer l’obéissance. Mais moins il fait peur, et plus il a besoin d’avoir recours à la force. Avec le risque qu’à l’usage, cette force se révèle létale. C’est la faiblesse de la police, plus que sa force, qui est dangereuse. La peur du gendarme aurait probablement sauvé Nahel.

(1) De ce point de vue, le fait que Mélenchon ait nommé sa fondation « La Boétie » est assez ironique. L’auteur du « discours sur la servitude volontaire » avait écrit en effet : « soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres ». Ce que La Boétie n’a pas développé, c’est ce que les hommes feraient ensuite de cette liberté. Ce que nous voyons aujourd’hui dans les rues nous en donne une petite idée. Hobbes, moins d’un siècle plus tard, lui répond… mais Mélenchon a-t-il seulement lu Hobbes ?

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92 réponses à Une société sans empathie

  1. Gugus69 dit :

    Cher ami et camarade, vous parlez d’une fausse solidarité avec un jeune tué par un policier, comme prétexte à ce déchainement de sauvagerie.
    Mais, quel prétexte est invoqué pour les mêmes émeutes récurrentes, chaque 14 juillet et chaque saint-Sylvestre ? Aucun. Nul besoin.
    Simplement, s’ajoute dans ce cas précis l’opportunité de tenir la police éloignée des cités où prospèrent les trafics, avec la complicité des élus LFI qui s’y font élire. Et la possibilité d’avancer encore d’un cran vers un séparatisme quasi tribal.
    Quant au jeune tué à Nanterre, les bien pensants nous expliquent que c’était un “ange” ! La preuve ? Son casier judiciaire était vierge. Ils ne se rendent même pas compte qu’ils pointent du doigt le véritable problème : ce gamin avait été arrêté une quinzaine de fois, dont une demi-douzaine pour conduite sans permis et refus d’obtempérer, sans jamais avoir subi la moindre sanction ! Comment voulez-vous qu’il ne se sente pas assuré d’une impunité totale ? Alors quand un gardien de la paix l’arrête après une longue et dangereuse course poursuite dans un bolide hors de prix, et le met en joue en lui intimant l’ordre de couper le contact, le “petit ange” redémarre en trombe… et il est tué… par le laxisme judiciaire.

    • Descartes dit :

      @ Gugus69

      [Cher ami et camarade, vous parlez d’une fausse solidarité avec un jeune tué par un policier, comme prétexte à ce déchainement de sauvagerie. Mais, quel prétexte est invoqué pour les mêmes émeutes récurrentes, chaque 14 juillet et chaque saint-Sylvestre ? Aucun. Nul besoin.]

      Merci de cet exemple, qui apporte encore de l’eau à mon moulin. C’est une évidence : les incidents avec la police sont les déclencheurs, mais pas la cause des violences, n’en déplaise aux doctes sociologues de Paris VIII qui se répandent dans les médias.

      [Simplement, s’ajoute dans ce cas précis l’opportunité de tenir la police éloignée des cités où prospèrent les trafics, avec la complicité des élus LFI qui s’y font élire. Et la possibilité d’avancer encore d’un cran vers un séparatisme quasi tribal.]

      Tout à fait. Remarquez, quand un élu LFI est allé à la rencontre des jeunes à Nanterre, il s’set pris un coup sur la tête et dut battre en retraite. J’ignore s’il a déposé plainte pour violences sur un élu de la République. Ce serait ironique, non ?

      [Quant au jeune tué à Nanterre, les bien pensants nous expliquent que c’était un “ange” ! La preuve ? Son casier judiciaire était vierge. Ils ne se rendent même pas compte qu’ils pointent du doigt le véritable problème : ce gamin avait été arrêté une quinzaine de fois, dont une demi-douzaine pour conduite sans permis et refus d’obtempérer, sans jamais avoir subi la moindre sanction ! Comment voulez-vous qu’il ne se sente pas assuré d’une impunité totale ?]

      Eh bien, c’est ce sentiment d’impunité qui lui a coûté la vie. S’il avait été puni à temps, il aurait eu peur du policier et il aurait obtempéré. Un bon exemple qui montre qu’on ne rend pas service aux jeunes en tolérant leurs transgressions.

  2. Rossignol dit :

    Merci 

  3. optimiste? dit :

    Votre analyse, qui ne manque pas de justesse, me semble tout de même très partielle. Vous ignorez totalement ce qui me parait (pas qu’à moi : il n’y a qu’à lire l’entretien de G. Bensoussan dans le Figaro, ou encore Bock-Côté qui parle de “populations qui ne croient pas appartenir au même peuple”, sans parler évidemment d’E. Zemmour) l’aspect principal de ce qui est en train de se passer, à savoir l’aspect ethnique : dans les cités et les quartiers, une partie non négligeable de la population issue de l’immigration entend vivre sans respecter aucune des règles de la république, rejette et hait tout ce qui représente la France, les lois, l’autorité. Ils sont dans une logique de clan et de sécession : le quartier est notre territoire, la police (mais aussi les pompiers, les écoles, etc.) n’a pas à y entrer et à nous imposer ses lois, ici on est chez nous et on fait à notre façon. C’est à la faillite totale de l’intégration d’une partie de l’immigration que l’on assiste.

    • Descartes dit :

      @ Optimiste?

      [Votre analyse, qui ne manque pas de justesse, me semble tout de même très partielle. Vous ignorez totalement ce qui me parait (pas qu’à moi : il n’y a qu’à lire l’entretien de G. Bensoussan dans le Figaro, ou encore Bock-Côté qui parle de “populations qui ne croient pas appartenir au même peuple”, sans parler évidemment d’E. Zemmour) l’aspect principal de ce qui est en train de se passer, à savoir l’aspect ethnique]

      Je ne sais pas jusqu’à quel point il y a un « aspect ethnique ». Bock-Côté ou Zemmour me rappellent le dicton qui veut que pour celui qui a un marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous. Cela n’aide pas de poser comme dogme que tous les problèmes ont un « aspect ethnique ».

      [dans les cités et les quartiers, une partie non négligeable de la population issue de l’immigration entend vivre sans respecter aucune des règles de la république, rejette et hait tout ce qui représente la France, les lois, l’autorité.]

      Mais… est-ce que ce n’est pas le cas aussi chez beaucoup de jeunes « gaulois » ? A Sainte-Soline, à Notre Dame des Landes, à Bure, ce n’étaient pas des immigrés qui rejetaient les lois et l’autorité, que je sache…

      [Ils sont dans une logique de clan et de sécession : le quartier est notre territoire, la police (mais aussi les pompiers, les écoles, etc.) n’a pas à y entrer et à nous imposer ses lois, ici on est chez nous et on fait à notre façon. C’est à la faillite totale de l’intégration d’une partie de l’immigration que l’on assiste.]

      Même si je partage votre diagnostic sur la question du « séparatisme » des communautés immigrées, je me dois de pointer que ce « séparatisme » se manifeste aussi chez les « gaulois ». Les ZAD sont là pour illustrer le propos.

      • Bob dit :

        Les participants aux ZAD n’attaquent les écoles ou les commissariats, c’est quand même très différent. Là, on a affaire à des hordes de voyous qui s’attaquent à ce qui réprésente la France, la signification est tout autre.

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Les participants aux ZAD n’attaquent les écoles ou les commissariats, c’est quand même très différent.]

          Je n’ai pas dit le contraire. Ce que j’ai écrit, c’est que l’on retrouve chez les zadistes le même rejet pour la loi et l’autorité que chez les émeutiers d’aujourd’hui, et je maintiens que c’est le cas. J’ai aussi écrit que les zadistes jouaient eux aussi la carte du “séparatisme”, et je pense que la création d’une sorte de “zone libérée” à Notre Dame des Landes, où les forces de l’ordre ne sont pas admises et les lois qui s’appliquent ne sont pas celles de la République, est un exemple assez démonstratif.

          Oui, il y a plein de différences entre zadistes et émeutiers. Mais sur ces deux points spécifiques, ils se ressemblent beaucoup…

  4. Gautier Weinmann dit :

    En théorie, la société de marché n’est pas l’anarchie. C’est normalement une société de liberté et d’État de droits. Elle suppose le respect des droits individuels, la liberté que les autres accomplissent leurs projets et aspirations, le respect de la propriété privée. Pour bien comprendre l’individualisme libéral, lire Pascal Salin.

    • Descartes dit :

      @ Gautier Weinmann

      [En théorie, la société de marché n’est pas l’anarchie. C’est normalement une société de liberté et d’État de droits. Elle suppose le respect des droits individuels, la liberté que les autres accomplissent leurs projets et aspirations, le respect de la propriété privée. Pour bien comprendre l’individualisme libéral, lire Pascal Salin.]

      Il faut bien comprendre la différence entre une « société de marché » et une « société libérale ». Parce que le libéralisme classique n’est pas aussi dogmatique sur la question du marché que ne le sont les néolibéraux. Une « société de marché », autrement dit, une société où TOUS les rapports sont régulés par des mécanismes de marché, tend non pas à l’anarchie, mais à l’anomie. Reprenez le raisonnement de Castoriadis : dans une société de marché, le juge donne raison à la partie qui paye le mieux… comment dans ces conditions pouvez vous avoir une société ou “le respect des droits individuels” soit acquis ?

      Pour que les droits soient respectés, il vous faut un policier honnête, un juge incorruptible. C’est à dire, des personnes dont le travail n’est pas régulé par un raisonnement de marché.

      • Gautier Weinmann dit :

        Sauf que nous sommes loin d’être dans une “société de marché” quand la France compte près de 6 millions de fonctionnaires et que le taux de prélèvement obligatoires sur le PIB atteint 45%. Et je ne considère en aucun cas que la justice ou la police en France soient corrompues ! Il faudrait approfondir vos assertions qui peuvent être considérées comme stigmatisantes pour des fonctionnaires souvent dévoués et respectables.
         
        Il faudrait aussi voir la distinction entre libéraux et néo-libéraux que vous faites. Pour Pascal Salin cette distinction n’existe pas et n’est pas à faire.
        Il y a le courant constructiviste – ou socialiste – et le courant libéral. Pascal Salin soutient la vague libérale de Thatcher-Regan, sans appeler cela du “néo-libéralisme”. Il y a le collectivisme et l’individualisme. Le libéralisme libertaire n’en est pas justement car il conduit à l’anarchie et au refus du droit de propriété. 
         
        Pour finir, il n’y a aucune distinction à faire entre société de marchés et économie de marché, laquelle suppose TOUJOURS des règles et une certaine administration pour faire respecter les règles du jeu.
         
        L’anomie n’est pas non plus une “menace”… Laissons le mot à Pascal Salin :
        “L’être humain est par nature un être social, c’est-à-dire qu’il vit grâce à ses relations avec autrui, ce qui se traduit par toutes sortes d’échanges, échanges de marque d’amitié ou d’affection, échanges de paroles dans la discussion, mais aussi échanges monétaires, c’est-à-dire échanges économiques. Lorsqu’elles résultent de la libre volonté de leurs partenaires, ces activités d’échange leur sont nécessairement utiles (sinon ils ne les pratiqueraient pas). Ainsi l’échange est-il par nature une activité sociale créatrice de valeur pour tous les échangistes. De ce point de vue, il constitue un système de coopération sociale qui exclut par nature l’exercice de la violence et l’existence de conflits.”

        • Descartes dit :

          @ Gautier Weinmann

          [Sauf que nous sommes loin d’être dans une “société de marché” quand la France compte près de 6 millions de fonctionnaires et que le taux de prélèvement obligatoires sur le PIB atteint 45%.]

          Je ne saisis pas le rapport. Pour ce qui concerne les fonctionnaires, la logique de marché s’est largement insérée dans la fonction publique : aujourd’hui, les fonctionnaires de carrière sont mis en concurrence pour leur promotion avec les agents venant du privé, puisqu’un décret macronien permet à un contractuel pratiquement tous les emplois, y compris les emplois supérieurs. Les fonctionnaires eux-mêmes sont de plus en plus mis en concurrence, avec la suppression progressive des corps de la fonction publique qui, en réservant certains emplois à certaines catégories du personnel, restreignaient la concurrence.

          Pour ce qui concerne les prélèvements obligatoires, je ne vois là encore pas très bien le rapport entre le niveau des prélèvements et la « société de marché ». La question n’est pas tant le niveau des prélèvements, mais la manière dont les dépenses sont choisies…

          [Et je ne considère en aucun cas que la justice ou la police en France soient corrompues !]

          Ces choses-là ne se font pas en un jour. Mais lorsque la règle sera l’aller-retour entre le public et le privé, lorsque les juges pourront devenir avocats et les avocats juges, la corruption commencera à s’installer. Comment agira le juge qui envisage de rejoindre un grand cabinet d’avocats, par exemple, lorsqu’il lui faudra juger un client de ce cabinet ?

          [Il faudrait approfondir vos assertions qui peuvent être considérées comme stigmatisantes pour des fonctionnaires souvent dévoués et respectables.]

          Ce n’est pas une question de personnes, c’est une question de mécanismes. Quand les bonnes carrières sont réservées à ceux qui font des aller-retour entre privé et public, il faut être un surhomme pour ne pas céder à la tentation de préparer son prochain point de chute. Et on ne peut exiger des fonctionnaires, tout dévoués et respectables qu’ils sont, d’être des surhommes.

          [Il faudrait aussi voir la distinction entre libéraux et néo-libéraux que vous faites. Pour Pascal Salin cette distinction n’existe pas et n’est pas à faire.]

          Et bien, disons que Salin et moi ne sommes pas d’accord. Le libéralisme classique voit l’intérêt de réguler les échanges par le marché – la fameuse « main invisible » d’Adam Smith – mais ne considère pas qu’il soit opportun de réguler l’ensemble des rapports sociaux par le marché. Pour eux, il y a des domaines qui doivent échapper au marché, qui doivent faire l’objet d’une régulation « morale ». C’est notamment le cas de l’éducation. Les néolibéraux, eux, considèrent que le marché est le meilleur régulateur dans tous les domaines.

          [Pour finir, il n’y a aucune distinction à faire entre société de marchés et économie de marché, laquelle suppose TOUJOURS des règles et une certaine administration pour faire respecter les règles du jeu.]

          Oui, mais ces règles, pour les néolibéraux, sont purement fonctionnelles. Autrement dit, les règles ne concernent que le fonctionnement du marché, et l’administration n’a pour mission que de faire appliquer ces règles-là.

          [L’anomie n’est pas non plus une “menace”… Laissons le mot à Pascal Salin :
          “L’être humain est par nature un être social, c’est-à-dire qu’il vit grâce à ses relations avec autrui, ce qui se traduit par toutes sortes d’échanges, échanges de marque d’amitié ou d’affection, échanges de paroles dans la discussion, mais aussi échanges monétaires, c’est-à-dire échanges économiques. Lorsqu’elles résultent de la libre volonté de leurs partenaires, ces activités d’échange leur sont nécessairement utiles (sinon ils ne les pratiqueraient pas). Ainsi l’échange est-il par nature une activité sociale créatrice de valeur pour tous les échangistes. »]

          Vous noterez qu’on est passé des « échanges qui résultent de la libre volonté de leurs partenaires » à « l’échange est PAR NATURE… etc. ». Autrement dit, on fait comme si les échanges étaient PAR NATURE le résultat de la « libre volonté des partenaires ». Mais quid des autres ? Par exemple, celui qui m’oblige de vendre ma force de travail au prix fixé par mon employeur, sans quoi je risquerais de mourir de faim ? Est-ce là un « choix libre » ? Et si oui, alors qu’est ce que vous appelez un « choix contraint » ?

          Je suis étonné de voir un matérialiste comme vous invoquer ce monde idéal où les échanges se font sur un pied d’égalité, comme si les rapports de force n’existaient pas.

          [De ce point de vue, il constitue un système de coopération sociale qui exclut par nature l’exercice de la violence et l’existence de conflits.”]

          Ah bon ? Diriez-vous que l’échange de la force de travail contre le salaire « exclut par nature l’exercice de la violence et l’existence de conflits » ?

          • Gautier Weinmann dit :

            C’est un débat. Ma lecture du moment : Pascal Salin. Vous l’aurez deviné. Merci pour ce débat approfondi.
            Vous m’invitez à donner mon avis personnel. Je pense que le capitalisme pourri, numérique, financier, égoïste et parasite tue la France et la civilité française historique, son savoir-vivre, la sociabilité. On va vers de forts soubresauts, des turbulences et sûrement un effondrement… Un dégoût généralisé, un repli sur soi…
            Les propositions alternatives sont urgentes. Elles sont assez faibles dans le champ politique. En clair l’opposition n’est pas à la hauteur de la tâche et n’a pas compris qu’une autre politique n’est pas possible dans le cadre des traités européens.
            “socialisme ou barbarie” ?

            • Descartes dit :

              @ Gautier Weinmann

              [C’est un débat. Ma lecture du moment : Pascal Salin. Vous l’aurez deviné. Merci pour ce débat approfondi.]

              J’avais compris. Mais il faut lire Salin avec un œil critique. Pascal Salin est un économiste néolibéral, qui est même qualifié de « libertarien » par certains. Il n’est pas inutile de lire des gens qui pensent différent, mais il faut examiner attentivement leurs prémisses…

            • Gautier Weinmann dit :

              Toujours que moyennement convaincu par l’argument de la société de marchés… Le libéralisme ne prône pas la liberté pour chacun de faire n’importe quoi mais la liberté d’agir en respectant les droits légitimes d’autrui. Il faut donc respecter la morale universelle, soit les droits des autres dont les droits de propriété. En s’attaquant à des personnes, en s’en prenant à des commerces individuels, à des baraques à frites et autres, les émeutiers n’ont pas été poussés par la société de marchés… Ils ont été poussés par une soif de destruction pure, un nihilisme social. Il faut démontrer que le capitalisme actuel conduit à cette tendance et à ce comportement. Par des phénomènes d’isolement ? Une anomie ? Un manque de liens sociaux ? Il faut argumenter.

            • Descartes dit :

              @ Gautier Weinmann

              [Toujours que moyennement convaincu par l’argument de la société de marchés… Le libéralisme ne prône pas la liberté pour chacun de faire n’importe quoi mais la liberté d’agir en respectant les droits légitimes d’autrui.]

              Certes… mais qui garantit que les individus agiront « en respectant les droits légitimes d’autrui » ? Pour cela, il vous faut un juge intègre et un policier incorruptible, autrement dit, des acteurs qui échappent à la logique de marché. C’est pour moi la principale différence entre le libéralisme classique et le néolibéralisme. Les libéraux classiques, empreints de morale – en général protestante – acceptaient que l’ensemble des fonctions dans la société ne pouvaient pas être régulées par un mécanisme de marché. Les néolibéraux ont beaucoup plus de mal à admettre cette limitation…

              [Il faut donc respecter la morale universelle, soit les droits des autres dont les droits de propriété.]

              C’est quoi, la « morale universelle » ?

              [En s’attaquant à des personnes, en s’en prenant à des commerces individuels, à des baraques à frites et autres, les émeutiers n’ont pas été poussés par la société de marchés… Ils ont été poussés par une soif de destruction pure, un nihilisme social. Il faut démontrer que le capitalisme actuel conduit à cette tendance et à ce comportement. Par des phénomènes d’isolement ? Une anomie ? Un manque de liens sociaux ? Il faut argumenter.]

              J’ai essayé de le faire, justement. La « société de marché » voulue par les néolibérales et imposée par l’approfondissement du capitalisme conduit à briser tous les obstacles au marché. Le consommateur idéal, c’est « l’individu-île », régi par le principe de plaisir et ignorant le principe de réalité. La filiation, la tradition, les solidarités, les institutions, toutes ces productions anthropologiques sont des obstacles à un marché « libre et non faussé ». Or, un tel individu est incapable d’empathie.

  5. lessart dit :

    entièrement d’accord avec votre post-sciptum.

  6. cdg dit :

    J ignore qui etaient les victimes torturées et tuées mais je suppose que c etait d autres trafiquants. Donc la mort est le risque du metier (je vole une partie de la recette du point de deal, je me fais prendre et je suis executé afin de faire un exemple). Donc mort tout a fait acceptable pour les habitants de ces lieux : c est les risques du metier et pour certain un bon debarras
    Pour le reste, il est clair que le fameux Nahel est juste un pretexte au pillage et au defoulement. Et que celui ci est en effet favorisé par la faiblesse de l etat et de la repression de ce type de comportement. C est d ailleurs le point faible de votre texte. Ceci n a rien a voir avec le liberalisme si le “pas de vague” et les zones de non droit pullulent en France, ou si la France est incapable d enrayer une immigration bas de gamme qui refuse de s integrer
    On le voit bien encore aujourd hui avec l attitude de Melenchon et de l extreme gauche, pour qui les emeutiers sont les heros. A ma connaissance Melenchon n est pas liberal
    Si demain, l etat francais disposait de 30 % de ressources en plus, ou vous croyez que l argent sera employé ? a traquer et mettre hors d etat de nuire la racaille (appelons un chat un chat) ? ou a creer des pistes cyclables interdites aux hommes (projet EELV de strasbourg), distribuer gratuitement des tampax ou etudier la culture du viol chez les chiens (https://www.francetvinfo.fr/sante/decouverte-scientifique/la-culture-du-viol-chez-les-chiens-un-vaste-canular-academique-piege-des-revues-americaines-de-sociologie_2971525.html))
    PS: pour pouvoir se payer a 17 ans une AMG (elles sont louees juste pour eviter la saisie en cas d arrestation),  le fameux Nahel devait etre un dealer doué. C est vraiment une perte pour la France ;-(

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [J’ignore qui étaient les victimes torturées et tuées mais je suppose que c’était d’autres trafiquants. Donc la mort est le risque du métier (je vole une partie de la recette du point de deal, je me fais prendre et je suis exécuté afin de faire un exemple). Donc mort tout à fait acceptable pour les habitants de ces lieux : c’est les risques du métier et pour certain un bon débarras.]

      D’abord, si la première victime que j’ai citée était bien compromise dans le trafic de stupéfiant, ce n’est pas le cas pour les deux autres, qui n’ont été tués que parce qu’ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Mais quand bien même ils auraient été mêlés au trafic, le raisonnement des anti-flics qui clament dans le cas de Nahel que « le refus d’obtempérer n’est pas puni de mort » s’applique. Si l’on croit nos doctes sociologues, les émeutiers de ces dernières nuits semblent considérer « normal » que le vol de la recette d’un point de deal soit puni de mort, mais pas le refus d’obtempérer, puisqu’ils protestent dans un cas et pas dans l’autre.

      [Pour le reste, il est clair que le fameux Nahel est juste un prétexte au pillage et au défoulement. Et que celui-ci est en effet favorisé par la faiblesse de l’état et de la répression de ce type de comportement. C’est d’ailleurs le point faible de votre texte. Ceci n’a rien a voir avec le libéralisme si le “pas de vague” et les zones de non droit pullulent en France, ou si la France est incapable d’enrayer une immigration bas de gamme qui refuse de s’intégrer.]

      Pardon, cela a beaucoup à voir avec le néolibéralisme. Pour ce qui concerne ceux qui « refusent de s’intégrer », c’est bien la logique néolibérale qui conduit à renoncer à la logique d’assimilation pour la remplacer par une vague « intégration » qui fait le lit du communautarisme. Mais plus largement, il faut bien comprendre que le néolibéralisme vise à la destruction de toute logique d’empathie. Parce que l’empathie, c’est un obstacle à la sacro-sainte compétitivité.

      [On le voit bien encore aujourd’hui avec l’attitude de Mélenchon et de l’extrême gauche, pour qui les émeutiers sont les héros. A ma connaissance Mélenchon n’est pas libéral]

      Ce ne serait pas la première fois que les gauchistes serviront d’avant-garde aux néolibéraux. Mai 1968 me semble être un exemple très illustratif à cet égard. C’est bien le discours anti-institutionnel et la promotion de l’individu-roi des libertaires soixante-huitards qui ont fait le lit de la révolution néolibérale des années 1980. Il n’y a qu’à voir ce que ces soixante-huitards ont fait lorsqu’ils ont été au pouvoir après 1981…

      [Si demain, l’état français disposait de 30 % de ressources en plus, ou vous croyez que l’argent sera employé ?}

      Cela dépend beaucoup de quel est le rapport de force dans la société. Si le rapport de force était favorable au prolétariat, alors ces 30% seraient logiquement utilisés à satisfaire les demandes des couches populaires, et parmi elles la sécurité figure haut dans la liste. Si le rapport de force est favorable aux classes intermédiaires, alors il sera probablement dépensé sur les problématiques qui intéressent ces classes-là…

  7. Patriote Albert dit :

    [Des mairies, des écoles, des salles de fêtes, des centres sociaux, des commissariats de police partent en fumée.]
    Et des milliers de véhicules que beaucoup utilisaient pour se rendre au travail, et des dizaines de petits commerces qui participaient à faire vivre les centre-villes et les quartiers. Cela a une importance car il y a de nombreuses victimes directes des émeutes, qui vont garder des traces profondes de ce qu’elles ont vécu ces dernières nuits.La violence a été aveugle. Quoique, je n’ai pas entendu parler d’attaques de bâtiments religieux…
    [et l’Assemblée nationale fait une minute de silence.]
    Ça c’est vraiment le scandale, on a totalement perdu le sens des hiérarchies. Si on fait une minute pour Nahel, alors il faut en faire une tous les jours pour les innombrables morts regrettables qui surviennent dans le pays. Encore un manque de maturité de nos députés !
    [Ce que nous voyons depuis montre bien que la mort de Nahel n’est pas là la cause des violences urbaines qui ont suivi. Ce n’est là qu’un prétexte à une sorte de fête païenne, de carnaval, de grand spectacle.]
    Oui mais tout de même, je ne crois pas que toutes les jeunesses soient entrées dans ce carnaval. Et je pense que tu passes sous silence le fait que si le feu a perdu sa dimension communautaire, l’étincelle de départ l’a bien. Dans de nombreux quartiers, la première réaction a été “ils ont tué l’un des nôtres”. Sinon, comment expliquer que les violences épargnent globalement les territoires ruraux ? On y trouve pourtant aussi des jeunes.
    [Que fait-on d’une gauche dont le principal dirigent s’imagine qu’on pourrait changer les choses en poussant au chaos et à l’anomie (1) ?]
    Honnêtement, dans cette affaire, LFI a perdu le peu de crédibilité qu’il pouvait lui rester. On le voit aux rétropédalages massifs mais maladroits de la plupart des ténors du parti qui ont fini par condamner les émeutes et expliquer qu’on avait mal compris leurs propos. La désapprobation des Français a été massive, a tel point que j’ai vu passer un sondage selon lequel 70% des personnes interrogées soutenaient l’intervention de l’armée pour arrêter les émeutes. D’ailleurs, le manque d’empathie s’est aussi révélé dans l’autre sens, avec des discours assassins visant les émeutiers. Ce que révèle cet épisode, selon moi, c’est aussi la dissolution de la communauté nationale, avec d’un côté une certaine jeunesse désaffiliée, en état d’anomie, et de l’autre des Français “honnêtes” qui sont prêts à leur tirer dessus à balles réelles. On revient donc aussi sur la nécessité de l’assimilation.
    [Que fait-on d’un gouvernement qui donne pour instruction à la police d’éviter tout risque de blessure et de mort quitte à laisser la rue aux émeutiers, ce qui transforme l’affaire en une sorte de jeu grandeur nature ou l’on peut détruire et piller sans risque ?]
    Selon toi, aurait-il fallu ordonner aux forces de l’ordre d’arrêter les troubles par tous les moyens nécessaires ? D’un côté j’ai l’impression que c’était attendu par une majorité de la population, mais de l’autre, cela aurait pu faire déraper encore la situation, et je ne suis pas sûr que la population y était vraiment prête.Dans tous les cas, l’arrêt assez brutal des émeutes va dans le sens d’un accès de violence nihiliste : à ce qu’il me semble, la situation vis-à-vis de la mort de Nahel n’a pas évolué d’un pouce en 5 jours, et on ne comprend pas bien pourquoi tout s’arrêterait maintenant si c’était le mobile des incendiaires.

    • Descartes dit :

      @ Patriote Albert

      [Et des milliers de véhicules que beaucoup utilisaient pour se rendre au travail, et des dizaines de petits commerces qui participaient à faire vivre les centres-villes et les quartiers. Cela a une importance car il y a de nombreuses victimes directes des émeutes, qui vont garder des traces profondes de ce qu’elles ont vécu ces dernières nuits. La violence a été aveugle. Quoique, je n’ai pas entendu parler d’attaques de bâtiments religieux…]

      Intéressante remarque… je n’y avais pas pensé, mais vous avez probablement raison. Si un lieu de culte avait été saccagé, cela serait sans aucun doute passé aux informations. Comment interpréter cette particularité ?

      [« Ce que nous voyons depuis montre bien que la mort de Nahel n’est pas là la cause des violences urbaines qui ont suivi. Ce n’est là qu’un prétexte à une sorte de fête païenne, de carnaval, de grand spectacle. » Oui mais tout de même, je ne crois pas que toutes les jeunesses soient entrées dans ce carnaval. Et je pense que tu passes sous silence le fait que si le feu a perdu sa dimension communautaire, l’étincelle de départ l’a bien. Dans de nombreux quartiers, la première réaction a été “ils ont tué l’un des nôtres”. Sinon, comment expliquer que les violences épargnent globalement les territoires ruraux ? On y trouve pourtant aussi des jeunes.]

      On trouve peu de jeunes dans les territoires ruraux, pas assez en tout cas pour constituer une masse critique. Et puis, les jeunes sont bien mieux encadrés par les adultes dans ces territoires que dans les grandes villes. Il n’empêche que cette fois-ci – ce n’était pas le cas en 2005 – les faits de violence se sont étendus à des villes petites et moyennes. Par ailleurs, difficile de parler de réflexe communautaire alors qu’on ne sait pas très bien à quelle « communauté » appartient Nahel.

      [Honnêtement, dans cette affaire, LFI a perdu le peu de crédibilité qu’il pouvait lui rester. On le voit aux rétropédalages massifs mais maladroits de la plupart des ténors du parti qui ont fini par condamner les émeutes et expliquer qu’on avait mal compris leurs propos.]

      Je vous trouve bien optimiste. Si je lis « Le Monde » ou j’écoute « France Inter », on écoute des discours qui ne sont pas très loin, sur le fond, de celui de LFI. Malheureusement, à supposer même que 70% des français trouvent le discours de LFI aberrant, il restera 30% qui le trouvent admissible. Et cela suffit pour que LFI fasse son beurre.

      [D’ailleurs, le manque d’empathie s’est aussi révélé dans l’autre sens, avec des discours assassins visant les émeutiers. Ce que révèle cet épisode, selon moi, c’est aussi la dissolution de la communauté nationale, avec d’un côté une certaine jeunesse désaffiliée, en état d’anomie, et de l’autre des Français “honnêtes” qui sont prêts à leur tirer dessus à balles réelles. On revient donc aussi sur la nécessité de l’assimilation.]

      Je vais beaucoup plus loin : l’assimilation est indispensable pour rétablir notre capacité à constituer une nation. Mais l’empathie nécessite bien plus que cela : tant qu’on fera de l’argent la valeur suprême et du marché le seul régulateur légitime, il n’y a pas d’empathie possible. Prenez le patron qui délocalise son usine en Bulgarie pour la rendre « plus compétitive », quitte à mettre au chômage ses ouvriers. Peut-on lui reprocher, alors que dans un monde régulé par le marché, le choix est d’être compétitif ou mourir ? Et pourtant, quelle serait la place de l’empathie dans une telle décision ?

      En relisant mes notes, je me rends compte qu’il y a aussi dans cette affaire un point que je n’ai pas traité : les émeutiers sont très jeunes. Beaucoup sont mineurs, et à l’inverse on en voit peu au dessus de 25 ans. Pourquoi ? Ma théorie est que jamais comme aujourd’hui chaque classe d’âge vit avec ses pairs, et n’a que peu de relations avec le monde adulte. Les adolescents vivent dans un monde d’adolescents, échangent entre eux, consomment des produits pensés pour eux, sans que le monde adulte fasse sentir sa présence et impose ses règles. Ce monde adolescent vit donc dans une anomie totale, dans une forme « d’état de nature »…

      [Selon toi, aurait-il fallu ordonner aux forces de l’ordre d’arrêter les troubles par tous les moyens nécessaires ?]

      Je me pose la question. Que vaut-il mieux : quelques blessés – voir un ou deux morts – au début de l’affaire, ou une suite de violences qui, tôt ou tard, feront elles aussi des morts et des blessés. Hier, un jeune pompier est mort en s’attaquant à un départ de feu probablement volontaire dans un parking. La femme du maire de l’Hay les Roses est à l’hôpital suite à la tentative d’incendie de sa maison. Et bien, tant qu’à faire, je préfère que cela arrive aux émeutiers qu’aux honnêtes citoyens.

      Cela étant dit, la véritable question est de savoir si la société – et notamment les couches dominantes – sont prêtes à assumer un tel tour de vis. Aujourd’hui, je doute que ce soit le cas, et la réaction de LFI le montre. Peut-être dans quelques années…

      • Patriote Albert dit :

        [Si un lieu de culte avait été saccagé, cela serait sans aucun doute passé aux informations. Comment interpréter cette particularité ?]
        J’ai entendu parler d’infiltrations fréristes dans les mouvements émeutiers, sans être capable d’en vérifier la véracité. Plus généralement, je pense que la religion est la seule chose que ces jeunes respectent, dans un mélange de transmission familiale et de mimétisme : là dessus aussi nous rejoignons la société américaine. Cela dit, les appels au calme des imams n’ont pas l’air d’avoir bien fonctionné. La question reste donc ouverte.
         
        [difficile de parler de réflexe communautaire alors qu’on ne sait pas très bien à quelle « communauté » appartient Nahel.]
        Manifestement, les jeunes (hommes) de banlieue se sentent appartenir à une communauté, puisqu’ils ne se sont pas battus entre eux mais ont détruit tout ce qui leur est apparu comme extérieur. Je réfléchis à la pertinence de la communauté “habitants des banlieues d’origine immigrée”, qui me semble peu ou prou correspondre au profil des émeutiers. En tous cas il y a des réseaux qui se sont coordonnés pour piller, une culture commune (rap, argent facile…)…
         
        [Malheureusement, à supposer même que 70% des français trouvent le discours de LFI aberrant, il restera 30% qui le trouvent admissible. Et cela suffit pour que LFI fasse son beurre.]
        Je sais que les réseaux sociaux ne sont qu’un microscope déformant, mais les élus LFI s’y font littéralement étriller depuis 5 jours. J’ai également vu passer un sondage, qui montre que seulement 3% des Français approuvent les violences.
         
        [Ma théorie est que jamais comme aujourd’hui chaque classe d’âge vit avec ses pairs, et n’a que peu de relations avec le monde adulte. Les adolescents vivent dans un monde d’adolescents, échangent entre eux, consomment des produits pensés pour eux, sans que le monde adulte fasse sentir sa présence et impose ses règles. Ce monde adolescent vit donc dans une anomie totale, dans une forme « d’état de nature »…]
        Je rajouterai que le monde adolescent est de plus en plus un monde de consommation, et de moins en moins un monde de travail. L’affaiblissement de l’effort scolaire, l’éloignement du monde du travail, coexistent avec la consommation très assidue de vidéos et de réseaux sociaux, le tout entretenu financièrement par la famille qui porte au pinacle cet âge de la vie. Pas étonnant que cela débouche sur des envies de destruction.
         
        [Hier, un jeune pompier est mort en s’attaquant à un départ de feu probablement volontaire dans un parking.]
        D’après les pompiers, cela n’a pas de liens avec les émeutes. En revanche, un policier a reçu une balle de 9mm et a été sauvé par son gilet pare-balles.
         
        [Cela étant dit, la véritable question est de savoir si la société – et notamment les couches dominantes – sont prêtes à assumer un tel tour de vis.]Je suis d’accord, d’autant que les bourgeois ont été au final peu touchés par les incendies. Ma crainte, c’est que plus on attend et plus traiter le problème va devenir douloureux. D’un côté, je préférerai que “ça pète” maintenant et que l’on se coltine le travail pour remettre ces jeunes dans le droit chemin. Si ça s’arrête maintenant, on peut être sûr que le gouvernement va remettre la poussière sous le tapis, jusqu’à la prochaine… Et en attendant, l’ensauvagement va continuer.

        • Descartes dit :

          @ Patriote Albert

          [J’ai entendu parler d’infiltrations fréristes dans les mouvements émeutiers, sans être capable d’en vérifier la véracité. Plus généralement, je pense que la religion est la seule chose que ces jeunes respectent,]

          Oui mais… TOUTES les religions ? Ce serait remarquable…

          [« difficile de parler de réflexe communautaire alors qu’on ne sait pas très bien à quelle « communauté » appartient Nahel. » Manifestement, les jeunes (hommes) de banlieue se sentent appartenir à une communauté,]

          Si j’en croit la direction centrale du renseignement territorial, l’une des nouveautés de ces émeutes est la participation de jeunes filles. Parler donc des « jeunes (hommes) » me paraît imprudent…

          [puisqu’ils ne se sont pas battus entre eux mais ont détruit tout ce qui leur est apparu comme extérieur.]

          Jusqu’à quel point la petite boutique du boulanger de leur quartier est « extérieure » ? Souvent ce boulanger a la même origine que les émeutiers, habite le même quartier, va peut-être à la même mosquée. Alors difficile de parler d’un « réflexe communautaire »…

          [Je sais que les réseaux sociaux ne sont qu’un microscope déformant, mais les élus LFI s’y font littéralement étriller depuis 5 jours.]

          Ca dépend quels réseaux vous consultez…

          [J’ai également vu passer un sondage, qui montre que seulement 3% des Français approuvent les violences.]

          Mais combien qui les comprennent ou les justifient sans les approuver ?

          [Je rajouterai que le monde adolescent est de plus en plus un monde de consommation, et de moins en moins un monde de travail. L’affaiblissement de l’effort scolaire, l’éloignement du monde du travail, coexistent avec la consommation très assidue de vidéos et de réseaux sociaux, le tout entretenu financièrement par la famille qui porte au pinacle cet âge de la vie. Pas étonnant que cela débouche sur des envies de destruction.]

          Tout à fait.

          [« Hier, un jeune pompier est mort en s’attaquant à un départ de feu probablement volontaire dans un parking. » D’après les pompiers, cela n’a pas de liens avec les émeutes.]

          Non. D’après les pompiers, « aucun lien n’a pu être établi ». Ce n’est pas tout à fait pareil. On sait quand même qu’il s’agissait d’un incendie criminel, un bidon d’essence ayant été trouvé sur les lieux.

          [En revanche, un policier a reçu une balle de 9mm et a été sauvé par son gilet pare-balles.]

          Oui, il a eu de la chance. Mais il n’est pas mort, ce qui rend difficile la comparaison.

          [D’un côté, je préférerai que “ça pète” maintenant et que l’on se coltine le travail pour remettre ces jeunes dans le droit chemin. Si ça s’arrête maintenant, on peut être sûr que le gouvernement va remettre la poussière sous le tapis, jusqu’à la prochaine… Et en attendant, l’ensauvagement va continuer.]

          Oui. Comme vous, je préférerais que la crise éclate et « qu’on s’y mette ». Mais malheureusement, je pense qu’on reviendra au « business as usual » rapidement. On réparera le plus vite possible les dégâts aux frais de la princesse – ou plutôt aux frais des honnêtes contribuables – et on reprendra les affaires… jusqu’au prochain coup.

          • Patriote Albert dit :

            [Si j’en croit la direction centrale du renseignement territorial, l’une des nouveautés de ces émeutes est la participation de jeunes filles. Parler donc des « jeunes (hommes) » me paraît imprudent…]
            [Jusqu’à quel point la petite boutique du boulanger de leur quartier est « extérieure » ? Souvent ce boulanger a la même origine que les émeutiers, habite le même quartier, va peut-être à la même mosquée. Alors difficile de parler d’un « réflexe communautaire »…]
            Je précise ma pensée en même temps que ma réflexion avance. Je pense que derrière le mot unificateur d’émeutes, il y a en réalité une pluralité de phénomènes. Au départ, c’est-à-dire lors de la première nuit, on assiste aux émeutes classiques de “jeunes de banlieue”, terme correspondant bon an mal an au “nous” dont ont fait état plusieurs personnes interrogées dans ces quartiers quand elles ont dit “[la mort de Nahel], ça aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre nous”. En effet, les cibles sont principalement alors des édifices publics et le territoire principalement la banlieue parisienne.
            A partir du lendemain, profitant de l’aubaine, on assiste à ce que dont tu parles dans cet article, auquel on pourrait ajouter quelques personnes (adultes) venues se servir de produits auxquels elles n’ont habituellement pas accès, d’où les pillages, y compris des petits commerces, dans un moment dramatiquement ludique de destruction. Et à ce moment là cette pulsion s’étend des jeunes hommes issus de l’immigration à un public bien plus divers.Sans cette explication en deux temps, je ne comprends pas pourquoi c’est la mort de Nahel qui donne le top départ des émeutes et pas n’importe quel autre événement.
             
            [Ca dépend quels réseaux vous consultez…]
            Je suis allé consulter les profils Tweeter des responsables LFI eux-même, qui d’ordinaire sont plutôt commentés par des adorateurs (la fameuse chambre d’échos), mais qui cette fois-ci étaient majoritairement l’objet de critiques.
             
            [Mais combien qui les comprennent ou les justifient sans les approuver ?]
            Vous avez raison de faire la nuance : dans le même sondage, on trouve 28% des Français qui les “comprennent mais ne les approuvent pas”. Cela dit, le terme de comprendre est polysémique… Et je dirais que le discours LFI, qui est l’objet de notre débat au départ, est plutôt de les approuver.
             
            [malheureusement, je pense qu’on reviendra au « business as usual » rapidement. On réparera le plus vite possible les dégâts aux frais de la princesse – ou plutôt aux frais des honnêtes contribuables – et on reprendra les affaires… jusqu’au prochain coup.]
            On dirait bien qu’on est partis pour cela. Ce qui me consterne, c’est la vélocité du monde médiatique : on est déjà en train de passer à autre chose, alors que c’est justement maintenant qu’il conviendrait de faire les analyses de fond pour bien comprendre les événements, et d’ouvrir un débat public sur ce que l’on a pu voir la semaine passée. Alors, à moins que le 14 juillet soit l’occasion de nouvelles flambées, il semblerait bien qu’on en reste à la politique de l’autruche.

            • Descartes dit :

              @ Patriote Albert

              [Je précise ma pensée en même temps que ma réflexion avance. Je pense que derrière le mot unificateur d’émeutes, il y a en réalité une pluralité de phénomènes. Au départ, c’est-à-dire lors de la première nuit, on assiste aux émeutes classiques de “jeunes de banlieue”, terme correspondant bon an mal an au “nous” dont ont fait état plusieurs personnes interrogées dans ces quartiers quand elles ont dit “[la mort de Nahel], ça aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre nous”.]

              Mais alors, comment expliquez-vous que les morts d’adolescents dans les cités dans des fusillades – soit que les victimes aient été visées, soit qu’elles se soient trouvées par hasard au mauvais endroit au mauvais moment – ou à des rixes entre bandes ne provoquent pas la même réaction ? Pourquoi ces évènements ne provoquent pas d’émeute, alors qu’elles aussi « auraient pu arriver à n’importe lequel d’entre nous » ? Après tout, un jeune de banlieue a plus de chances de mourir d’une balle tirée par un trafiquant ou d’un coup de couteau que sous les balles d’un policier. Pourtant, je ne connais pas de point de deal attaqué ou de voiture de trafiquant caillassée. Curieux, n’est-ce pas ?

              Si le « ça aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre nous » était le véritable déclencheur, alors il faut expliquer pourquoi d’autres évènements tout aussi terribles et qui « pourraient arriver à n’importe lequel d’entre nous » ne déclenchent JAMAIS l’émeute. C’est cela qui m’amène à penser que la mort de Nahel n’est qu’un prétexte, et cela dès le départ.

              [« Ca dépend quels réseaux vous consultez… » Je suis allé consulter les profils Tweeter des responsables LFI eux-mêmes, qui d’ordinaire sont plutôt commentés par des adorateurs (la fameuse chambre d’échos), mais qui cette fois-ci étaient majoritairement l’objet de critiques.]

              S’il est ainsi, il y a encore de l’espoir…

              [On dirait bien qu’on est partis pour cela. Ce qui me consterne, c’est la vélocité du monde médiatique : on est déjà en train de passer à autre chose, alors que c’est justement maintenant qu’il conviendrait de faire les analyses de fond pour bien comprendre les événements, et d’ouvrir un débat public sur ce que l’on a pu voir la semaine passée.]

              Oui. On se scandalise, mais on ne compte rien faire. Et c’est logique : les émeutes auront couté tout au plus quelques centaines de millions d’euros, dont une bonne partie sera payée par les plus modestes. Pour traiter le problème, il faudrait faire des politiques dont le coût est bien supérieur, et dont le poids serait supporté en grande partie par les classes intermédiaires… le choix est vite fait : mieux vaut se payer une émeute tous les dix ou quinze ans… où est le problème ?

            • Patriote Albert dit :

              [Mais alors, comment expliquez-vous que les morts d’adolescents dans les cités dans des fusillades – soit que les victimes aient été visées, soit qu’elles se soient trouvées par hasard au mauvais endroit au mauvais moment – ou à des rixes entre bandes ne provoquent pas la même réaction ?]
              Et toi, comment l’expliques-tu ? Si après tout la mort de Nahel est un prétexte comme un autre, pourquoi celle d’une victime d’une fusillade ne le serait pas ?
              Il y a une haine de la police enkystée dans les quartiers, pour des raisons que je ne maîtrise pas complètement, mais qui fait que les dérapages policiers déclenchent des réactions violentes, quand ceux dus au trafic de drogue semblent faire partie d’une certaine normalité. Comme le disent régulièrement les personnages de l’excellente série The Wire, “it’s in the game, yo” : cela fait partie des risques du métier, en quelque sorte. Par ailleurs, les trafiquants font partie du “nous”, pas les policiers qui sont perçus comme une force hostile et extérieure. Enfin,, comme tu l’as dit, il est beaucoup plus facile de se révolter contre l’État que contre les trafiquants.
               
              [S’il est ainsi, il y a encore de l’espoir…]
              Pour continuer dans les notes d’espoir, je te partage cette interview d’une femme écrivain issue des quartiers, à qui il pourrait être intéressant de donner davantage la parole. Et elle semble avoir lu ton article! https://www.youtube.com/watch?v=mMC4i2lPFug

            • Descartes dit :

              @ Patriote Albert

              [« Mais alors, comment expliquez-vous que les morts d’adolescents dans les cités dans des fusillades – soit que les victimes aient été visées, soit qu’elles se soient trouvées par hasard au mauvais endroit au mauvais moment – ou à des rixes entre bandes ne provoquent pas la même réaction ? » Et toi, comment l’expliques-tu ? Si après tout la mort de Nahel est un prétexte comme un autre, pourquoi celle d’une victime d’une fusillade ne le serait pas ?]

              Elle pourrait l’être, si elle tombait au bon moment – c’est-à-dire, dans un contexte où les « djeunes » veulent s’amuser un peu. On a vu des violences urbaines démarrer suite à une rixe entre bandes rivales (pour donner un exemple historique, à Garges les Gonnesse en 1994). Bien entendu, ce sont des affaires locales qui n’ont souvent pas l’honneur des médias nationaux, et restent par conséquent confinés…

              [Il y a une haine de la police enkystée dans les quartiers, pour des raisons que je ne maîtrise pas complètement, mais qui fait que les dérapages policiers déclenchent des réactions violentes, quand ceux dus au trafic de drogue semblent faire partie d’une certaine normalité.]

              La haine de la police est logique dans une société qui cultive soigneusement l’image de l’individu-île et de la toute-puissance infantile. Parce que le policier est chargé de mettre des limites à cette toute-puissance. Dans une culture ou personne – ni les parents, ni les enseignants, ni les assistantes sociales – n’assume de marquer des limites, le policier reste le seul à rappeler les interdits.

              [Par ailleurs, les trafiquants font partie du “nous”, pas les policiers qui sont perçus comme une force hostile et extérieure.]

              Vous voulez dire que pour les jeunes du quartier les trafiquants sont perçus comme une force amicale ? Vous êtes finalement plus sévère que moi… oui, comme le signale Fourquet, qui fait une comparaison intéressante avec les trafiquants de sel sous l’ancien régime, il y a une véritable économie souterraine liée au trafic de drogue, devenu le premier employeur dans certaines cités. Certains analystes pensent d’ailleurs que si le vandalisme s’est déplacé vers les centre-ville, c’est en partie parce que les trafiquants ne veulent pas d’incidents dans la cité, qui pourraient perturber leurs affaires et faire peur aux « clients ».

              [Pour continuer dans les notes d’espoir, je te partage cette interview d’une femme écrivain issue des quartiers, à qui il pourrait être intéressant de donner davantage la parole. Et elle semble avoir lu ton article!]

              Peut-être. Ou peut-être – et c’est plus vraisemblable – elle arrive aux mêmes conclusions parce qu’elle part des mêmes prémisses…

        • Renard dit :

           @ Descartes
          [Jusqu’à quel point la petite boutique du boulanger de leur quartier est « extérieure » ? Souvent ce boulanger a la même origine que les émeutiers, habite le même quartier, va peut-être à la même mosquée. Alors difficile de parler d’un « réflexe communautaire »…]
          Pensez-vous que beaucoup de boulangeries ont été vandalisées ?
          J’avais commencé mon commentaire pour défendre un caractère communautaire à ces violences, en me basant sur un témoignage d’une habitante de la cité de la Duchère dans l’est lyonnais, qui me rapportais que les voitures incendiées au pied de sa barre d’immeuble appartiennent à des blancs, et que les commerces hallal ont été totalement ignorés.
          Toutefois.
          Les articles de presse recensent des pillages de bâtiments publics et de magasins de grandes chaines. Pas vraiment de petits commerces. Il est possible, bien sûr, qu’ils aient été ignorés par un biais journalistique, mais faute de données précises, j’ai le sentiment que les pilleurs étaient motivés par le plaisir de détruire au hasard (d’où les voitures brulées, les appartements visés au mortier), l’avidité de biens de consommations (d’où les pillages des magasins d’électroniques, de magasins de chaussures, mais aussi de bijouteries et de supérettes) et le rejet des institutions (les mairies, les bibliothèques, les bus).
          Si tel est bien le cas, les commerces hallal ou les boulangeries pouvaient être relativement épargnés sans considérer de réflexe communautaire : ils ne représentant pas l’autorité, et il n’y a rien à y piller. Quand à la voiture… Peut-être que les blancs avaient plus de chance d’avoir une voiture dans ce secteur ?
          [Oui mais… TOUTES les religions ? Ce serait remarquable…]
          Les articles de presse que j’ai pu lire ne mentionnent pas d’attaques de leu de cultes. En même temps, ils ne se trouvent pas majoritairement dans les zones “chaudes”, ne représentant pas vraiment des institutions aux yeux des jeunes, et il n’y a presque rien à y piller.

          • Descartes dit :

            @ Renard

            [« Jusqu’à quel point la petite boutique du boulanger de leur quartier est « extérieure » ? Souvent ce boulanger a la même origine que les émeutiers, habite le même quartier, va peut-être à la même mosquée. Alors difficile de parler d’un « réflexe communautaire »… » Pensez-vous que beaucoup de boulangeries ont été vandalisées ?]

            Je ne sais pas. Mais j’en connais au moins une…

            [J’avais commencé mon commentaire pour défendre un caractère communautaire à ces violences, en me basant sur un témoignage d’une habitante de la cité de la Duchère dans l’est lyonnais, qui me rapportais que les voitures incendiées au pied de sa barre d’immeuble appartiennent à des blancs, et que les commerces hallal ont été totalement ignorés.]

            Pour ce qui concerne les voitures, j’ai beaucoup de mal à le croire. Cela supposerait non seulement que les émeutiers savaient à qui appartenait chaque véhicule, mais que la voisine en question le savait aussi (car autrement, comment savait-elle que les véhicules appartenant à des non-blancs avaient été épargnés ?). Quant aux commerces Halal, je connais le cas de plusieurs centres commerciaux incendiés. Sont partis en fumée les commerces Halal et les non Halal…

            [Les articles de presse recensent des pillages de bâtiments publics et de magasins de grandes chaines. Pas vraiment de petits commerces. Il est possible, bien sûr, qu’ils aient été ignorés par un biais journalistique, mais faute de données précises, j’ai le sentiment que les pilleurs étaient motivés par le plaisir de détruire au hasard (d’où les voitures brulées, les appartements visés au mortier), l’avidité de biens de consommations (d’où les pillages des magasins d’électroniques, de magasins de chaussures, mais aussi de bijouteries et de supérettes) et le rejet des institutions (les mairies, les bibliothèques, les bus).]

            Je ne crois pas à la théorie du « rejet des institutions ». Je vois mal quiconque voir dans un gymnase une « institution ». Je pense plutôt que le moteur de toute cette violence est le plaisir ludique de détruire, qui est d’ailleurs compatible avec le jeune âge des émeutiers – car on sait bien que ce plaisir dans la destruction tend à disparaître rapidement avec l’âge. Et bien entendu, l’appât du pillage.

            • Gugus69 dit :

              en me basant sur un témoignage d’une habitante de la cité de la Duchère dans l’est lyonnais
               
              Ça ne doit pas être un témoignage de première bourre : “La Duche”, c’est les quartiers nord-Ouest de Lyon.
               
              (car autrement, comment savait-elle que les véhicules appartenant à des non-blancs avaient été épargnés ?)
               
              Ah les p’tits codes tribaux ! Regardez bien, ami et camarade, les babioles qui pendent aux rétroviseurs…

  8. Vincent dit :

    Tout à fait d’accord avec votre analyse sur l’absence d’empathie que dénotent les évènements actuels. Je me permettrais de compléter avec 2 exemples, dans cette affaire, que vous n’avez pas explicitement mentionnés, et qui démontrent cette absence d’empathie, non pas chez les jeunes émeutiers, mais chez les commentateurs : d’une part envers le policier qui a tiré, et d’autre part envers la mère du jeune.
    Je pense que personne ne croit sincèrement que ce policier avait réellement l’intention de tuer de sang froid ce jeune homme, mais qu’il avait simplement l’intention de faire son boulot, en stoppant le véhicule à tout prix. Et que, obligé de décider quoi faire en l’espace d’une fraction de secondes, il a fait le mauvais choix, tiré au mauvais endroit. Et pour lui, c’est le début de l’enfer. Pour un père de famille, se retrouver derrière les barreaux, avec la perspective d’une condamnation aux assises… Aucune personne douée d’empathie ne peut lui souhaiter ça.
    Ce qui n’enlève rien à l’empathie que l’on peut également avoir envers la famille du jeune qui a été tué. Et j’en veux particulièrement à ceux qui ont critiqué l’attitude de la mère : chacun peut exprimer, ou ne pas exprimer ses émotions de sa manière. Le fait qu’elle ait voulu suivre les potes de son fils pour leur faire plaisir n’est en aucun cas interprétable comme une absence de peine pour la perte de son fils. Qui peut en effet croire qu’une mère perd son fils sans un deuil particulièrement douloureux ?
     
     
    Un autre petit commentaire pour un slogan qui revient : “pas de justice pas de paix”
     
    Ce slogan vient de l’affaire Adama Traoré.
    Naturellement, il est totalement déplacé ici, car, en l’occurrence, la Justice s’est saisie du dossier, et qu’on ne peut pas l’accuser de ne pas vouloir faire son travail. Il n’y a donc aucune excuse possible pour les émeutes.
    Mais même sur le fond : ce slogan démontre une réelle incompréhension de ce qu’est la Justice : La Justice civile a pour but d’indemniser les victimes : il y a un plaignant, qui a subi un dommage, et un responsable, contre qui on demande réparation en justice. La justice civile oppose donc 2 parties : la victime, et le responsable du tort causé à la victime.
    En matière de Justice pénale, la victime n’a pas de rôle réel. On a créé les “parties civiles”, pour leur permettre de s’exprimer. Mais il s’agit d’un point de vue externe. Les deux parties sont le Procureur, qui représente l’État, et donc la société, et, de l’autre côté, l’inculpé, qui est accusé d’avoir attenté à la société, et la société, par la bouche du procureur, demande une sanction qui a pour vocation, d’une part, d’être dissuasive, d’autre part, de légitimer l’interdiction de la Loi du talion (vous renoncez à vous venger, car c’est le bras séculier de l’État qui le fait), et enfin, dans le cas des peines de prison, d’être protectrice, en mettant hors d’état de nuire les personnes jugées dangereuses pour la paix civile. A ces 3 raisons s’ajoute une raison éducative, qui consiste à expliquer à l’inculpé comment il convient de se comporter en société.
    Il résulte de ces éléments que la condamnation doit dépendre de l’intention de l’accusé. Si l’accusé a commis une faute involontaire, la sanction n’a aucun caractère dissuasif, ni protectrice, ni éducative. C’est ce que résume l’adage issu du code pénal :
    “Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre”
    La seule chose qui pourrait légitimer une sanction “exemplaire” du policier, s’il est avéré qu’il n’avait pas d’intention homicide, est donc la mission de légitimation de la justice, qui remplace la Loi du Talion. Mais celle ci n’est pas conforme avec l’esprit de nos lois.
    Et il est relativement paradoxal que ceux là même qui appellent à une sanction exemplaire sont bien souvent les mêmes qui, s’agissant des crimes et délits commis par ces “jeunes”, oublient là aussi les missions dissuasives et protectrices des sanctions pénales, et ne retiennent que la mission éducative.
    Certains semblent considérer que, pour ces jeunes, les sanctions doivent être prises de manière à favoriser au mieux leur insertion, pour ne pas pénaliser leur avenir. En résumé, pour eux, la sanction pénale, quand elle vise des “puissants”, doit être exclusivement une loi du Talion, et, quand elle vise les “faibles”, doit être exclusivement éducative.
    Mais ils sont à côté de la plaque dans les deux cas : les deux missions principales sont la dissuasion, et la protection. Et, accessoirement, entre un “faible” et un “puissant”, la différence est ténue. Je suis certain que si un reportage était organisé dans le foyer de certains policiers, on y verrait des difficultés du quotidien, avec les enfants qu’on ne sait pas comment amener à l’école depuis que la voiture est en panne et qu’on n’a pas les moyens de la réparer, etc. Ils pourraient, en réalité, très bien être présenté sous le jour de “faibles”, auxquels on vient ajouter la double peine d’une suspension de revenus et d’une absence du père, simplement à cause d’une erreur involontaire commise à son travail dans un moment de stress…

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Je pense que personne ne croit sincèrement que ce policier avait réellement l’intention de tuer de sang-froid ce jeune homme, mais qu’il avait simplement l’intention de faire son boulot, en stoppant le véhicule à tout prix. Et que, obligé de décider quoi faire en l’espace d’une fraction de secondes, il a fait le mauvais choix, tiré au mauvais endroit. Et pour lui, c’est le début de l’enfer.]

      Je ne partage pas votre optimisme. Quand on entend LFI demander l’abrogation de la loi de 2017 en l’assimilant à un « permis de tuer », c’est bien un procès d’intention qui est fait au policier. Parce qu’il ne suffit pas de donner un « permis » pour que les choses se fassent : il faut qu’il y ait l’intention de le faire. Si l’on part de la thèse d’une mort non-intentionnelle, alors l’abrogation de la loi en question n’y changera rien.

      [Pour un père de famille, se retrouver derrière les barreaux, avec la perspective d’une condamnation aux assises… Aucune personne douée d’empathie ne peut lui souhaiter ça.]

      Et surtout, avec la charge de conscience d’avoir tué un être humain. Parce que si l’on est capable de se mettre à la place du policier, on ne peut pas ne pas ressentir sa propre empathie envers la victime du tir.

      [Ce qui n’enlève rien à l’empathie que l’on peut également avoir envers la famille du jeune qui a été tué. Et j’en veux particulièrement à ceux qui ont critiqué l’attitude de la mère : chacun peut exprimer, ou ne pas exprimer ses émotions de sa manière. Le fait qu’elle ait voulu suivre les potes de son fils pour leur faire plaisir n’est en aucun cas interprétable comme une absence de peine pour la perte de son fils. Qui peut en effet croire qu’une mère perd son fils sans un deuil particulièrement douloureux ?]

      La question n’est pas là. Personne ne remet en cause le deuil terrible que peut-être pour une mère de perdre son fils de cette façon. Mais la manière dont ce deuil s’exprime nous dit des choses, à la fois sur la personne et sur la société. Une société dans laquelle une mère étale sa douleur sur Tiktok ne fonctionne pas de la même manière qu’une société où le deuil est une question intime. Par ailleurs, je trouve très révélateur le discours de la mère dans le sens où elle rejette toute la faute sur la police, sans jamais se poser la question de sa propre responsabilité. Est-il normal pour elle que son fils se retrouve à 17 ans conduisant sans permis une voiture de luxe à l’origine douteuse ? Quid de sa propre responsabilité dans cette situation ?

      [Un autre petit commentaire pour un slogan qui revient : “pas de justice pas de paix”. Ce slogan vient de l’affaire Adama Traoré. Naturellement, il est totalement déplacé ici, car, en l’occurrence, la Justice s’est saisie du dossier, et qu’on ne peut pas l’accuser de ne pas vouloir faire son travail. Il n’y a donc aucune excuse possible pour les émeutes.]

      Elle n’est pas plus « déplacée » ici que dans l’affaire Traoré. Dans les deux cas, les victimes ont cherché d’abord à se soustraire à la justice. S’ils avaient obtempéré aux demandes fort raisonnables des forces de l’ordre, tous deux seraient vivants aujourd’hui.

      [Mais même sur le fond : ce slogan démontre une réelle incompréhension de ce qu’est la Justice :]

      Je pense que lorsque cette formule est utilisée, on n’entend pas « justice » au sens de l’appareil judiciaire ou l’application des lois, mais dans un sens beaucoup plus global. Cela inclut la réparation de toutes les injustices perçues : fin du « racisme », la réparation de l’esclavage, la fin du patriarcat, etc. etc.

      [En matière de Justice pénale, la victime n’a pas de rôle réel. On a créé les “parties civiles”, pour leur permettre de s’exprimer. Mais il s’agit d’un point de vue externe. Les deux parties sont le Procureur, qui représente l’État, et donc la société, et, de l’autre côté, l’inculpé, qui est accusé d’avoir attenté à la société, et la société, par la bouche du procureur, demande une sanction qui a pour vocation, d’une part, d’être dissuasive, d’autre part, de légitimer l’interdiction de la Loi du talion (vous renoncez à vous venger, car c’est le bras séculier de l’État qui le fait), et enfin, dans le cas des peines de prison, d’être protectrice, en mettant hors d’état de nuire les personnes jugées dangereuses pour la paix civile. A ces 3 raisons s’ajoute une raison éducative, qui consiste à expliquer à l’inculpé comment il convient de se comporter en société.]

      Vous avez tout à fait raison. Mais l’idéologie « victimiste » a largement remis en cause cette vision idéale. De plus en plus, on fait des procès pour satisfaire les victimes. On est allé même jusqu’à demander qu’on puisse faire des procès alors que les faits sont prescrits, pour permettre aux victimes de s’exprimer et de « se reconstruire ».

      [Et il est relativement paradoxal que ceux-là même qui appellent à une sanction exemplaire sont bien souvent les mêmes qui, s’agissant des crimes et délits commis par ces “jeunes”, oublient là aussi les missions dissuasives et protectrices des sanctions pénales, et ne retiennent que la mission éducative.
      Certains semblent considérer que, pour ces jeunes, les sanctions doivent être prises de manière à favoriser au mieux leur insertion, pour ne pas pénaliser leur avenir. En résumé, pour eux, la sanction pénale, quand elle vise des “puissants”, doit être exclusivement une loi du Talion, et, quand elle vise les “faibles”, doit être exclusivement éducative.]

      C’est justement que nous vivons dans une société sans empathie, de plus en plus régie par une logique de communauté. Il y a « les nôtres » et puis « les autres ». Aux premiers on doit solidarité et soutien quand bien même ils auraient tué père et mère, aux autres on ne doit même pas la pitié humaine. Et la question n’est pas tant de savoir s’ils sont “faibles” ou “forts”, mais de savoir s’ils sont de notre communauté ou pas.

  9. SCIPIO dit :

    Dans votre post vous employez le terme “empathie”.
    Voulez-vous, comme dans le livre de l’historien anglais Hobsbawm “l’age des extrêmes”, dire que notre seuil de tolérance à la violence est en train de diminuer? Par conséquent certains types de violences sont en train de passer dans le domaine de l’habitude.
    Hobsbawm dans son livre sus-mentionné, prend l’exemple de la tragédie du Titanic en 1912 (1500 morts environ) et de l’émotion très vive que cette catastrophe a suscité à l’époque.
    Cette catastrophe maritime a été précisément vue comme une catastrophe et ressentie comme une catastrophe par l’ensemble de la population (occidentale).
    Cette émotion a plus ou moins perduré en dépit de la survenue de catastrophes maritimes plus graves. 
    Mais Hobsbawm relève que, durant la grande guerre 1500 morts pouvait correspondre aux pertes en quelques minutes lors de certaines batailles, mais qu’à aucun moment les pertes terribles de cette guerre (sans parler des conflits féroces aux pertes terribles qui se produisirent jusqu’en 1945) n’ont été vues comme une catastrophe.
     
     

    • Descartes dit :

      @ SCIPIO

      [Dans votre post vous employez le terme “empathie”. Voulez-vous, comme dans le livre de l’historien anglais Hobsbawm “l’age des extrêmes”, dire que notre seuil de tolérance à la violence est en train de diminuer? Par conséquent certains types de violences sont en train de passer dans le domaine de l’habitude.]

      Non. Ce sont deux choses différentes.

      La question de la tolérance à la violence n’est pas évidente. Notre société a une très faible tolérance à la violence. Jusqu’aux années 1960, l’usage de la force létale par les forces de l’ordre était largement admis. On a tiré à balles réelles sur les grévistes en 1947 et en 1953, on n’a pas hésité à faire des morts en 1962. Aujourd’hui, ce serait inconcevable. Il n’est donc pas évident que la tolérance à la violence dans les sociétés occidentales augmente.

      Mais la question de l’empathie est très différente. L’empathie, c’est la capacité de se reconnaître dans l’autre, de se mettre à sa place, de ressentir par projection ce qu’il ressent. C’est l’empathie qui nous empêche de faire souffrir l’autre – parce que faire souffrir l’autre nous fait souffrir nous-mêmes.

      • SCIPIO dit :

        “Jusqu’aux années 1960, l’usage de la force létale par les forces de l’ordre était largement admis. On a tiré à balles réelles sur les grévistes en 1947 et en 1953, on n’a pas hésité à faire des morts en 1962. Aujourd’hui, ce serait inconcevable.”
        Soit, mais durant la période que vous évoquez la France était en guerre, au Vietnam et surtout en Algérie avec des conséquences graves y compris en métropole.
        “Mais la question de l’empathie est très différente. L’empathie, c’est la capacité de se reconnaître dans l’autre, de se mettre à sa place, de ressentir par projection ce qu’il ressent. C’est l’empathie qui nous empêche de faire souffrir l’autre – parce que faire souffrir l’autre nous fait souffrir nous-mêmes.”
        Donc l’empathie et le degré de violence potentiel sont étroitement liés. Plus d’empathie vis à vis de son prochain donc plus de conscience de la violence qu’il subit et surtout plus de ressenti de cette violence comme nous faisant souffrir nous même.
        Les bourreaux nazis des camps d’extermination par exemple n’avait aucun empathie vis à vis des juifs qu’ils envoyaient à la mort générant par là une violence extrême et n’éprouvaient aucun remord de leurs actes.
         

        • Descartes dit :

          @ SCIPIO

          [“Jusqu’aux années 1960, l’usage de la force létale par les forces de l’ordre était largement admis. On a tiré à balles réelles sur les grévistes en 1947 et en 1953, on n’a pas hésité à faire des morts en 1962. Aujourd’hui, ce serait inconcevable.” Soit, mais durant la période que vous évoquez la France était en guerre, au Vietnam et surtout en Algérie avec des conséquences graves y compris en métropole.]

          Quel rapport entre la guerre en Indochine et le fait qu’on ait fait tirer sur les mineurs dans le Nord et le Pas de Calais en 1947 et 1953 ?

          [“Mais la question de l’empathie est très différente. L’empathie, c’est la capacité de se reconnaître dans l’autre, de se mettre à sa place, de ressentir par projection ce qu’il ressent. C’est l’empathie qui nous empêche de faire souffrir l’autre – parce que faire souffrir l’autre nous fait souffrir nous-mêmes.” Donc l’empathie et le degré de violence potentiel sont étroitement liés. Plus d’empathie vis à vis de son prochain donc plus de conscience de la violence qu’il subit et surtout plus de ressenti de cette violence comme nous faisant souffrir nous même.]

          Le lien entre l’empathie et le niveau de violence potentiel est beaucoup plus complexe que cela. Lorsqu’on est empathique, infliger la souffrance nous fait souffrir. Mais l’homme ne cherche pas nécessairement à éviter la souffrance. Si nous estimons une violence nécessaire, nous pouvons l’infliger – en acceptant nous-mêmes de souffrir. Pensez au parent qui punit son enfant. L’aime-t-il moins pour autant ?

  10. Magpoul dit :

    Bonjour et merci pour ce papier.

     Pas de message de Killian Mbappé ou d’Omar Sy, pas de minute de silence à l’Assemblée nationale, pas de condamnation présidentielle. Non, la « colère devant le meurtre d’un semblable », le sentiment qu’on vous a « pris votre petit frère » dont parlent les doctes sociologues sur France Inter ne semble pas s’être manifesté.

    Je n’ai pas souvenir d’avoir entendu parlé de ces évènements, alors que la mort de Nahel a été immédiatement couverte par de nombreux médias. J’ai plusieurs explications, la première étant le réflexe pavlovien des médias quand il s’agit de surmédiatiser tout drame impliquant la Police et les quartiers sensibles, sorte de manière de s’approprier les faits divers qui se produisent aux USA, où, je crois, ils sont bien plus nombreux. La vidéo a aussi put joué un rôle non négligeable dans la médiatisation de l’affaire. C’est sur Youtube, accessible par tous, cela choque, cela fait des vues pour les journaux et leurs chaines respectives. Tout ceci a créé un contexte qui permet aussi d’expliquer la différence de réception entre ces différents meurtres. C’est ce contexte qui a rendu cette affaire inhabituelle, donc plus intéressante à commenter. Bien, sur, votre explication est aussi valable. 
    Pour être sincère, il est probable que Mbappé et Sy, par exemple, n’aient même pas entendu parlé de ces évènement. Ou alors ils en ont entendu parler, mais n’ont pas souhaité faire part de leurs “solidarité” car les affaires n’étant pas couvertes abondamment, ils auraient moins à gagner à signaler, pour tout meurtre “routinier” en banlieue marseillaise ou parisienne, leur soutien. Autrement, ils le feraient de façon constante ! En d’autres thermes, ils se sont manifesté cette fois car il fallait “frapper un grand coup”, passer pour un porte-étendard. Ce qui m’a le plus scandalisé, c’est la précipitation avec laquelle ces commentaires ont été prononcés, sans attendre la moindre enquête et le moindre éclaircissement sur l’affaire. Mais bon, au fond, c’est entré dans les mœurs de ces classes sociales. 

    Il se trompe parce qu’il s’imagine que les émeutes que nous vivons sont des « manifestations » qui « expriment » quelque chose. Désolé, Jean-Luc, mais ces émeutes n’ont en fait aucun contenu. Et on le voit bien : au fur et à mesure que les jours passent, on oublie Nahel et sa mort, il ne reste plus que le plaisir de détruire, de piller, et de se mettre en scène.

    Mise à part la “marche blanche” en l’honneur de Nahel, je n’ai pas entendu depuis le début de cette crise, le moindre message politique. Les émeutiers sont d’autant plus inquiétants qu’ils ne semblent pas avoir de revendications. C’est une sorte de révolte muette, une force informe et insondable. Je ne sais pas si notre pays a déjà connu un tel phénomène dans notre histoire. Pendant la Commune, par exemple, il me semble qu’il était clair que Paris était au bord de l’insurrection avant tout car elle ne souhaitait pas capituler devant les prussiens, et que le gouvernement le savait. Ici, tout n’est que destruction aveugle.

    Mais ce n’est pas du tout la même chose quand il faut les apprécier dans la rue, devant un adolescent qui, au volant d’une BMW a déjà brulé un feu rouge et failli écraser plusieurs piétons, et qui démarre brusquement alors que vous essayez de le contrôler. Est-il absurde de penser que ce policier a tout simplement commis une erreur ? Une erreur aux conséquences dramatiques, certes, mais erreur tout de même…

    La situation, si j’en crois le procureur, me semblait tragique. Nahel conduisait sur la voie de bus avant de se faire repérer par les policiers. Ordonné de s’arrêter, il a en effet grillé des feux rouges et faillit renverser deux personnes. 17 ans au volant, avec deux passagers, et la preuve directe de sa conduite désastreuse. Personnellement, j’appelle ça un danger publique. Ainsi, je vois le contrôle comme cela: soit le policier de tire pas, et on prend le risque que Nahel continue sa conduite folle et tue des innocents, soit il tire et neutralise le jeune homme. L’erreur serait donc plus sur l’endroit où le tir a été effectué, mais pas dans le fait de tirer tel quel. 
     

    • Descartes dit :

      @ Magpoul

      [Je n’ai pas souvenir d’avoir entendu parler de ces évènements, alors que la mort de Nahel a été immédiatement couverte par de nombreux médias.]

      J’ai vérifié : la mort des jeunes dont j’ai parlé a bien été commentée dans les médias. Il faudrait m’expliquer pourquoi ces informations n’ont pas été repris par les réseaux sociaux…

      [Pour être sincère, il est probable que Mbappé et Sy, par exemple, n’aient même pas entendu parler de ces évènements. Ou alors ils en ont entendu parler, mais n’ont pas souhaité faire part de leurs “solidarité” car les affaires n’étant pas couvertes abondamment, ils auraient moins à gagner à signaler, pour tout meurtre “routinier” en banlieue marseillaise ou parisienne, leur soutien.]

      C’est bien mon point. Tout ces réactions sont d’une hypocrisie totale. Nahel devient le prétexte idéal : pour les uns, pour se faire de la pub et donner une image « sociale », pour les autres pour se fournir en vêtements de sport gratuitement, pour beaucoup pour jouer à la guerre sans courir trop de risques. Au fond, tout ce beau monde se fout éperdument qu’un jeune soit mort.

      [Mise à part la “marche blanche” en l’honneur de Nahel, je n’ai pas entendu depuis le début de cette crise, le moindre message politique. Les émeutiers sont d’autant plus inquiétants qu’ils ne semblent pas avoir de revendications. C’est une sorte de révolte muette, une force informe et insondable. Je ne sais pas si notre pays a déjà connu un tel phénomène dans notre histoire. Pendant la Commune, par exemple, il me semble qu’il était clair que Paris était au bord de l’insurrection avant tout car elle ne souhaitait pas capituler devant les prussiens, et que le gouvernement le savait. Ici, tout n’est que destruction aveugle.]

      C’est une très bonne question. Je pense que vous avez raison : il n’y a pas de précédent dans notre histoire d’une émeute de ce type. Peut-être parce que la France est depuis la Révolution au moins une nation « politique », on a toujours eu chez nous un fort encadrement politique et syndical de la sphère publique, avec des partis puissants et relativement disciplinés. Ce n’est plus le cas : déjà les émeutes de 2005 avaient vu l’apparition de mouvements « informes ». Le mouvement des « Gilets Jaunes » marque une rupture : pour la première fois on a pu voir un mouvement massif et durable qui n’a pas été encadré par une organisation politique. Mais chez les « Gilets Jaunes », on restait dans un rapport rationnel à l’autorité, même si l’affaire de l’Arc de Triomphe était un avant-goût des choses à venir. Aujourd’hui, nous sommes au bout du processus : nous avons un mouvement spontané dont le moteur est le plaisir et l’avantage qu’on tire à détruire et à piller. Et avec un système politique qui, loin de défendre une ligne, essaye de ménager à la fois les émeutiers et les honnêtes gens…

      Peut-être la réponse à votre question est que jamais nous avons vécu en France une déconnexion aussi totale entre les élites économiques et politiques et les couches populaires. On imagine mal De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy ou Hollande répondre à des jeunes chômeurs « qu’il suffit de traverser la rue pour trouver du travail ». Même s’ils l’avaient pensé, il y avait une forme d’empathie qui leur aurait empêché de le dire. Aujourd’hui, non seulement notre président a osé, mais il a récidivé, et ne semble éprouver aucun remords. Et cela n’arrive pas par hasard : hier, on avait des patrons « paternalistes » qui souffraient de devoir licencier. Aujourd’hui, ce sont les financiers qui commandent, et n’ont aucun scrupule. Cette violence institutionnalisée sape depuis quarante ans toute forme d’empathie…

      • Paul dit :

        “Cette violence institutionnalisée sape depuis quarante ans toute forme d’empathie…”
        Je suis en accord profond avec ton article, je tiens à le dire avant tout.
        Quant à cette phrase, j’ai plutôt le sentiment que c’est la désinstitutionnalisation qui crée la violence. Disant cela, je ne pense pas être en désaccord avec toi. Je pense comme toi que le néolibéralisme engendre volontairement cette désinstitutionnalisation. 
        Je me réfère à ma profession: la psychiatrie. A la fin de la deuxième guerre mondiale est né dans les hôpitaux psychiatriques en France, qui étaient encore des asiles avec tous les rapports de force qui gouvernaient que nous pouvons imaginer, le mouvement de psychothérapie institutionnelle. A l’initiative de psychiatres communistes, dont Tosquellas, réfugié catalan de la guerre d’Espagne. Ce mouvement a amené une humanisation des relations au sein de ce qui devenait l’institution psychiatrique. Je pense pouvoir dire que ça a été une véritable révolution dans l’offre de soins, avec la création à l’appui d’écoles spécifiques de formation d’infirmiers psychiatriques.
        Ma digression est peut-être un peu longue, mais c’est aussi pour constater que de cette époque ne reste plus grand chose. Disparition de l’internat en psychiatrie pour les médecins, des spécialisations pour les infirmiers, éducateurs, enseignants. Impossibilité donc de recruter du personnel formé. Et les neuroleptiques ne pouvant pas tout faire, recrudescence de la violence au sein des structures spécialisées. 
        Si tu ne l’as fait, je te recommande la lecture de Pierre Legendre sur la désinstitutionnalisation, qui va dans le sens de Castoriadis.

      • Magpoul dit :

        @Descartes

        J’ai vérifié : la mort des jeunes dont j’ai parlé a bien été commentée dans les médias. Il faudrait m’expliquer pourquoi ces informations n’ont pas été repris par les réseaux sociaux…

        Je crois que la vidéo y est pour quelque chose. Le fait que cela soit à Paris également, ce qui rend le fait plus “choquant” que si il venait de Marseille ou la mauvaise réputation de la ville rend tout meurtre plus “habituel”. Les classes intermédiaires sont bien plus concentrées à Paris également, et ont surement tendance à ne s’intéresser qu’à ce qui se passe autour d’elles. Je ne sais pas si ces hypothèses tiennent la route. 

        Le mouvement des « Gilets Jaunes » marque une rupture : pour la première fois on a pu voir un mouvement massif et durable qui n’a pas été encadré par une organisation politique.

        Une organisation politique officielle, certes. Néanmoins, le fait que les gilets jaunes aient adopté un symbole commun pour faire front ensemble rend le mouvement au moins perceptible par d’autres moyens que la destruction. Les voyous pyromanes n’ont pas de ces signes distinctifs. J’ai l’impression de ressentir une inquiétude similaire qu’après des attentats terroristes. Chaque fois, les médias nous dressent des portraits de gens “normaux” à première vue. Cela génère une crainte du voisin, de l’autre. Pour nos émeutes, je pense que l’effet est au fond le même. Le gilet jaune investit la place publique de son signe identifiable. l’émeutier se cache et ne fait que détruire impulsivement. Pour ce qui est de l’Arc de Triomphe, j’ose penser que ce n’était que l’œuvre de quelques uns des manifestants, là où la destruction est la norme chez les voyous. 

         Nous avons un mouvement spontané dont le moteur est le plaisir et l’avantage qu’on tire à détruire et à piller.

        C’est d’ailleurs cette spontanéité qui rend le mouvement encore plus effroyable. C’est comme une terrible bête assoupie et capricieuse, qu’on ne punit pas quand elle a des sauts d’humeurs. 

        On imagine mal De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy ou Hollande répondre à des jeunes chômeurs « qu’il suffit de traverser la rue pour trouver du travail ». Même s’ils l’avaient pensé, il y avait une forme d’empathie qui leur aurait empêché de le dire. Aujourd’hui, non seulement notre président a osé, mais il a récidivé, et ne semble éprouver aucun remords. Et cela n’arrive pas par hasard : hier, on avait des patrons « paternalistes » qui souffraient de devoir licencier. Aujourd’hui, ce sont les financiers qui commandent, et n’ont aucun scrupule. Cette violence institutionnalisée sape depuis quarante ans toute forme d’empathie…

        Je vais reprendre mon exemple de la Commune. Il n’y a eu pas la moindre empathie pour les communards, quelles que soient leurs fautes, de la part du gouvernement Thiers et des milieux conservateurs de l’époque. Je n’oserai aussi pas dire que le travail des enfants au 19e siècle soit vraiment une manifestation d’empathie. Le phénomène que vous décrivez est, je pense, bien plus éphémère et date du XXe siècle où les élites comme les classes populaires ont fait face ensemble au pire. Une partie non négligeable de la classe politique et du patronat a apprit à “respecter” les classes populaires, eu moins en façade. Aujourd’hui, qu’est-ce qui unit Macron à un gilet jaune? Ou même un voyou de banlieue? Il se sent chef de son clan, pas chef de tous les Français. 
        J’ajoute que moi aussi j’ai bien du mal à montrer de l’empathie pour ces voyous. Je ne ressens que de la colère envers eux. Je ne connais pourtant absolument pas leur conditions de vie, bonnes ou mauvaises. Comment pourrais-je rétablir ce lien? La distance est tellement abyssale que je n’y crois pas. Je suis néanmoins attristé pour les habitants des banlieues, surement dans la majorité honnêtes, qui doivent subir ces sauvages. 

        • Descartes dit :

          @ Magpoul

          [Je crois que la vidéo y est pour quelque chose. Le fait que cela soit à Paris également, ce qui rend le fait plus “choquant” que si il venait de Marseille ou la mauvaise réputation de la ville rend tout meurtre plus “habituel”. Les classes intermédiaires sont bien plus concentrées à Paris également, et ont surement tendance à ne s’intéresser qu’à ce qui se passe autour d’elles. Je ne sais pas si ces hypothèses tiennent la route.]

          Je ne sais pas. Je trouve tout de même étrange la manière dont certains actes provoquent – si l’on croit ces éminents sociologues – une réaction de « solidarité de pairs », et d’autres non…

          [Je vais reprendre mon exemple de la Commune. Il n’y a eu pas la moindre empathie pour les communards, quelles que soient leurs fautes, de la part du gouvernement Thiers et des milieux conservateurs de l’époque.]

          Ce n’est pas évident. Tous les communards n’ont pas été exécutés sommairement. Beaucoup ont été jugés dans les formes, condamnés non pas à mort mais à des peines proportionnées. Pourquoi cette retenue, à votre avis ?

          [Je n’oserai aussi pas dire que le travail des enfants au 19e siècle soit vraiment une manifestation d’empathie.]

          Vous vous trompez, je pense. Les patrons qui faisaient travailler les enfants étaient souvent des patrons « paternalistes », qui cherchaient par ailleurs à améliorer la vie de « leurs » ouvriers. Le poids d’un discours religieux qui appelait à une certaine empathie avec les pauvres était encore très grand même dans les classes bourgeoises.

          [Le phénomène que vous décrivez est, je pense, bien plus éphémère et date du XXe siècle où les élites comme les classes populaires ont fait face ensemble au pire. Une partie non négligeable de la classe politique et du patronat a appris à “respecter” les classes populaires, eu moins en façade.]

          Je ne suis pas persuadé que la bourgeoisie ait fait face « au pire » pendant la guerre. Mais passons. Ce qui change surtout dans le dernier quart du XXème siècle, c’est que le « bloc dominant » s’internationalise, et n’a donc plus besoin du prolétariat de son pays et ne partage donc plus grande chose avec lui.

          [J’ajoute que moi aussi j’ai bien du mal à montrer de l’empathie pour ces voyous. Je ne ressens que de la colère envers eux. Je ne connais pourtant absolument pas leurs conditions de vie, bonnes ou mauvaises. Comment pourrais-je rétablir ce lien ? La distance est tellement abyssale que je n’y crois pas. Je suis néanmoins attristé pour les habitants des banlieues, surement dans la majorité honnête, qui doivent subir ces sauvages.]

          Personnellement, j’ai aussi de la peine pour ces voyous. Parce qu’ils sont des êtres humains comme moi, je suis désolé qu’ils gâchent à la fois leur propre vie et celle des autres.

          • Magpoul dit :

            @Descartes

            Ce n’est pas évident. Tous les communards n’ont pas été exécutés sommairement. Beaucoup ont été jugés dans les formes, condamnés non pas à mort mais à des peines proportionnées. Pourquoi cette retenue, à votre avis ?

            Je me permet de citer un passage du livre que j’ai lu récemment (Les communards, Michel Winock et Jean-Pierre Azéma):
            “Des milliers de communards furent faits prisonniers. On les fusilla d’abord sur place, en tas. Sur leur poitrine, on accrochait parfois des écriteaux où l’on pouvait lire: Assassin, Voleur; parfois, on enfonçait dans leurs bouches un goulot de bouteille et l’on épinglait sur leur poitrine l’inscription: Ivrogne.”
            Navré, mais en plus des exécutions, des enterrements vivants de certains communards, et des jugements hâtifs (si j’en crois mon livre, les “juges” demandaient aux prisonniers de montrer leurs mains. Si celles-ci étaient sales, cela indiquait une participation aux barricades et suffisait à la condamnation)…
            Certes, il y a eu aussi, en contrepartie de cette violence que je jugerai difficilement d’empathique, des combats menés par Clémenceau par exemple pour demander l’amnistie quelques temps après la semaine sanglante. Cela, oui, est une vraie preuve d’empathie et de pardon. Vous avez aussi sans doute raison, ma citation ne peut pas couvrir tous les communards, mais elle montre bien que l’absence d’empathie était aussi de mise. Était-elle généralisée? Je ne sais pas assez à ce sujet pour répondre. 
            Je pense, et je vois venir via les communiqués de certains syndicats de Police, que cette rhétorique est là aussi chez nous. La question est de savoir à quel niveau est elle généralisée dans la population. 

            Vous vous trompez, je pense. Les patrons qui faisaient travailler les enfants étaient souvent des patrons « paternalistes », qui cherchaient par ailleurs à améliorer la vie de « leurs » ouvriers. Le poids d’un discours religieux qui appelait à une certaine empathie avec les pauvres était encore très grand même dans les classes bourgeoises.

            Je ne connais que très peu cette époque et ce sujet en particulier, donc je concède que j’ai parlé un peu vite. Je vais donc creuser.

            Personnellement, j’ai aussi de la peine pour ces voyous. Parce qu’ils sont des êtres humains comme moi, je suis désolé qu’ils gâchent à la fois leur propre vie et celle des autres.

            Je vais tacher de suivre votre exemple. J’aime l’histoire et j’ai remarqué une chose importante dans celle de notre pays: de la Guerre de Cent ans à la Libération, le pardon a toujours joué un rôle crucial pour reconstruire la société. Je souhaite que nous soyons un jour dans une situation où nous pourrons nous pardonner. Cela implique néanmoins que les deux camps comprennent leurs erreurs, et s’excusent. On en est encore loin…
             

            • Descartes dit :

              @ Magpoul

              [Je me permet de citer un passage du livre que j’ai lu récemment (Les communards, Michel Winock et Jean-Pierre Azéma): “Des milliers de communards furent faits prisonniers. On les fusilla d’abord sur place, en tas. Sur leur poitrine, on accrochait parfois des écriteaux où l’on pouvait lire: Assassin, Voleur; parfois, on enfonçait dans leurs bouches un goulot de bouteille et l’on épinglait sur leur poitrine l’inscription: Ivrogne.”]

              Je ne connais pas le livre en question, mais l’hypothèse de « milliers de communards fusillés » me semble un peu surréaliste. Robert Tombs, l’un des historiens qui a fait un travail rigoureux à la fin du XXème siècle, arrive à un chiffre de fusillés inférieur à 2000, et à un total de 10.000 morts pour l’ensemble de la Commune.

              [Certes, il y a eu aussi, en contrepartie de cette violence que je jugerai difficilement d’empathique, des combats menés par Clémenceau par exemple pour demander l’amnistie quelques temps après la semaine sanglante. Cela, oui, est une vraie preuve d’empathie et de pardon. Vous avez aussi sans doute raison, ma citation ne peut pas couvrir tous les communards, mais elle montre bien que l’absence d’empathie était aussi de mise. Était-elle généralisée? Je ne sais pas assez à ce sujet pour répondre.]

              Il y a des moments, notamment pendant les guerres, et surtout les guerres civiles, où l’empathie disparaît, où la peur de l’adversaire aboutit à sa déshumanisation. Mais ces moments sont exceptionnels et ne durent jamais longtemps. C’est assez visible par exemple à la Libération : l’épuration est très violente pendant les premiers mois qui suivent la fin de l’occupation, mais très vite on revient à une forme d’empathie qui empêche bien des excès…

              [Je vais tâcher de suivre votre exemple. J’aime l’histoire et j’ai remarqué une chose importante dans celle de notre pays : de la Guerre de Cent ans à la Libération, le pardon a toujours joué un rôle crucial pour reconstruire la société. Je souhaite que nous soyons un jour dans une situation où nous pourrons nous pardonner. Cela implique néanmoins que les deux camps comprennent leurs erreurs, et s’excusent. On en est encore loin…]

              Plus que le pardon, c’est l’oubli – volontaire et organisé – qui a joué un rôle essentiel chez nous. On n’a jamais « pardonné » les collabos, on les a oubliés, on a fait comme s’ils n’étaient plus avec nous. Votre remarque fait penser à une forme de symétrie, avec « deux camps » qui seraient équivalent et qui devraient admettre leurs « erreurs ». Mais entre le voyou et le policier, il n’y a pas de symétrie. Du côté du policier, il y a des « erreurs ». Du côté du voyou, des crimes.

  11. Vincent dit :

    [Quand on entend LFI demander l’abrogation de la loi de 2017 en l’assimilant à un « permis de tuer », c’est bien un procès d’intention qui est fait au policier. Parce qu’il ne suffit pas de donner un « permis » pour que les choses se fassent : il faut qu’il y ait l’intention de le faire. Si l’on part de la thèse d’une mort non-intentionnelle, alors l’abrogation de la loi en question n’y changera rien.]

     
    La loi donne l’autorisation d’ouvrir le feu pour stopper le véhicule. Ce qui n’empêche pas que, dans la mesure du possible, le policier doit éviter les conséquences létales.
    Si la loi était supprimée, il n’aurait purement et simplement pas le droit d’ouvrir le feu.
     

    [Elle n’est pas plus « déplacée » ici que dans l’affaire Traoré. Dans les deux cas, les victimes ont cherché d’abord à se soustraire à la justice. S’ils avaient obtempéré aux demandes fort raisonnables des forces de l’ordre, tous deux seraient vivants aujourd’hui.]

     
    L’expression “pas de justice, pas de paix” est en effet déplacée dans les deux cas.
    Mais au moins, dans l’affaire Traoré, cette expression est sortie après plusieurs années  d’investigations n’ayant abouti à aucune inculpation, si je ne m’abuse.
    Et, si on considère que “Justice = Loi du Talion”, alors, la Justice n’a pas été rendue.
     
    Dans le cas présent, comment peut on dire, même avec cette interprétation, qu’il n’y a pas de justice quand les faits ont moins de 24h !

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [La loi donne l’autorisation d’ouvrir le feu pour stopper le véhicule. Ce qui n’empêche pas que, dans la mesure du possible, le policier doit éviter les conséquences létales. Si la loi était supprimée, il n’aurait purement et simplement pas le droit d’ouvrir le feu.]

      Certes. Mais le fait de « ne pas avoir le droit » aurait-il empêché le policier qui a tué Nahel de tirer ? Si l’on suit le discours de LFI, le tir est illégal MEME DANS LE CADRE DE LA LOI ACTUELLE. Alors, le fait de l’abroger n’aurait rien changé.

      • NG dit :

        Le problème est manifestement le caractère flou de la loi en question.Mediapart a produit un bon article là-dessus qui rappelle que tout le monde avait mis en garde le gouvernement à l’époque :
        https://www.mediapart.fr/journal/france/010723/mort-de-nahel-chronique-d-un-drame-annonce
        Un autre article sur le sujet qui montre bien qu’il y a un problème spécifiquement français :
        https://www.letemps.ch/monde/le-probleme-des-tirs-mortels-lors-de-refus-d-obtemperer-est-systemique-en-france

        • Descartes dit :

          @ NG

          [Le problème est manifestement le caractère flou de la loi en question. Mediapart a produit un bon article là-dessus qui rappelle que tout le monde avait mis en garde le gouvernement à l’époque :]

          N’étant pas abonné à Médiapart – Dieu m’en préserve de commettre un crime aussi horrible – je ne peux me prononcer sur l’article en question. Mais je note que dans l’affaire Nahel, ce qui est reproché au policier est d’avoir tiré en dehors des conditions qu’autorise la loi Cazeneuve. Le fait que cette loi ait été votée n’a donc aucune incidence sur l’affaire. J’aimerais bien que quelqu’un m’explique sérieusement en quoi la loi en question a changé la situation dans l’affaire qui nous occupe.

          Le deuxième article, lui aussi, est réservé aux abonnés et je n’ai pas accès. J’aimerais quand même savoir comment sont gérés en Suisse les refus d’obtempérer…

  12. Sami dit :

    Soit.
    Je pense que tous les diagnostics ont été faits.
    Et on en a tiré déjà une conclusion : les émeutes se reproduiront, nous sommes devant une “pathologie” grave et chronique. 
    En médecine, on ne s’arrête pas à la description des symptômes. On essaye de comprendre les causes véritables de la pathologie traitée. Puis, une fois les causes déterminées, on essaye de trouver un traitement.
    Les causes.
    On est devant une immigration qui a commencé grosso modo dans les années 50-60, organisée (il y avait des bureaux de recrutement dans les plus profonds villages du Maghreb), contrôlée… Il s’agissait de reconstruire la France d’après guerre, dans le cadre historique de ce qu’on appellera les 30 glorieuses.
    Les immigrés, quasiment tous des hommes, étaient pour la plupart casés dans des bidonvilles, dont le plus célèbre, celui de … Nanterre. D’autres, dans des sortes de dortoirs sinistres, les “foyers”.
    En ces temps “bénis”, le PC flirtait avec les 20% aux élections. La CGT était puissante. La France super industrialisée. Le prolétariat organisé et dynamique (exemple, les accords de Grenelle en 68…). etc. D’évidence, cela ne plaisait pas au patronat, et cela dans une atmosphère qui pointait son petit nez, c’est à dire le passage d’un capitalisme sympa national, à ce à quoi on assiste aujourd’hui. Giscard arrive sur ces entrefaites, et commence à mettre au pas cette dynamique du prolétariat Français. Idée, belle idée “humaniste” : le regroupement familial. De ce fait, on fixait les immigrés sur le sol Français, alors que la tendance était au retour. Les ouvriers Maghrébins étaient tous mariés au “bled”. Giscard, donc, sous des apparences d’humanisme, mettait fin aux bidonvilles, ramenait les familles laissées “là bas”, et créait de fait une armée d’ouvriers “reproduisibles”, corvéables, malléables, pas du tout portés sur les grèves, très peu contrôlés par le binôme PC-CGT, etc. Donc, sous les oripeaux humanistes, on brisait la dynamique prolétaire. Bien joué, Giscard ! 
    On a alors construit les cités. Au début, des cités mixtes. Les “de souche” (pardon pour ce barbarisme, mais on se comprend) et les “de là-bas” se côtoyaient sans problème. La démographie restait équilibrée, etc. Pas pour longtemps.
    Sautons les étapes.
    Arrive Mitterand. On sait qu’il a continué et contribué à affaiblir le PC, avec son idée brillante du Programme commun. Mais il fallait aussi briser la Droite, d’où sa brillante idée de rendre le FN visible, le faisant passer des 5 % de Tixier à, plus tard avec Marine, plus de 40 % (peut-être même la majorité absolue, si on procédait à des élections aujourd’hui même). Une des idées fulminantes, a été de créer la sinistre associe SOS Racisme, qui réalisera l’exploit de faire monter en flèche l’antagonisme entres les “de souche” et les “barbares des cités”, sur le mode “Allez y, c’est open bar, vive le communautarisme ethnique ! Vive l’indigénat, vive l’anti-nationalisme”, etc etc. et de ce fait, donner du combustible au FN montant (bien sûr, lutter contre le racisme est une belle chose en soi, mais qui devient une perversion, lorsqu’on instrumentalise ce combat pour des buts inavoués : faire monter le FN).
    Et on voit peu à peu ces cités devenant des zones suspectes, puis dangereuses, etc. Les ‘”de souche” vont les déserter, remplacés in petto par d’autres “barbares”, encore plus hétérogènes que les descendants des ouvriers des sixties. Pour que la sauce prenne bien, rien de tel qu’une bonne désindustrialisation : Jospin, Sarko et Hollande s’y attelleront avec le succès que l’on sait. 
    Ah oui, j’oubliais, l’importation massive d’imams salafistes qu’on reçoit avec une extraordinaire complaisance (Mitterand sera un fervent soutien aux hordes intégristes qui ravageront l’Algérie dans les années 90, mais bon, on sait l’amour que portait cet homme au colonialisme, etc etc). 
    Peu à peu, la sauce prend : Cités sinistres, concentrations ethniques, salafisme, drogue, délinquances, populations de plus en plus inassimilables, bref, une belle ghettoïsation menée systématiquement. Et je ne fais absolument pas d’analyse rétrospective facile : début 90, je le jure, moi simple pékin moyen, je voyais parfaitement vers où on se dirigeait. 
    Bref de chez bref, on en est là :
    On a créé, sciemment ou pas (moi je dis : sciemment), des zones de non droit, des ghettos ethniques peuplés d’un lumpen prolétariat (voir la définition de Marx) éminemment instrumentalisable (SOS racisme, les salafistes, les dealers, et tout simplement, l’effet “jungle sociale”…).
    Pour terminer, actuellement, en ce moment même, les fameuses migrations clandestines, causées par toutes sortes de facteurs, aussi bien la misère, le climat, et last but no least, par des guerres dégueulasses opérées avec un cynisme dont l’histoire un jour témoignera, la destruction systématiques de pays entiers, la Lybie, l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan… Et cerise sur le gâteau, le traitement sympathoche de l’Afrique par les multinationales et leurs lieutenants locaux, les satrapes africains…
    Et voilà. On a en résultat final, des zones devenues absolument sauvages. On peut y mettre toutes les écoles qu’on voudra. Vu le niveau de l’éducation nationale en ce moment… (et tout le reste..)… Je défie quiconque de prétendre naître dans cet environnement sinistre, est être certain de s’en tirer. Oh oui, il y aura toujours quelques réussites, qui tiendront plus de l’exception qui confirme la règle que d’autre chose. Essayez de vous extraire de ce milieu, en tentant d’habiter ailleurs (en location, cas devenir proprio n’est pas donné à tout le monde), tout en s’appelant Ben Couscous… L’Homme est déterminé par son environnement anthropologique. Et l’anthropologie de ces ghettos et tout simplement un désastre total. La cellule familiale a été réduite en bouillie. Les rapports humains sont réduits aux lois de la jungle, la culture est basée sur la force brutale, on y rêve de bagnoles puissantes, de bords de piscines avec plein de p…, de guns, de battles… etc. Que peuvent faire, quand bien même ils le voudraient, un père ou une mère, face à un gosse abreuvé dans les cages d’escalier ou dans les cours de récré, de cultures délétères, ambiances d’aigreur, de haines contre TOUT ? RIEN.
    Il ne faut pas, dès lors, s’étonner de ce qui se passe actuellement.
    Que faire ?
    Ramener l’armée ? Donc tirer et tuer. Sinon à quoi ça sert ! Faire des carnages. On a vu la déclaration du principal groupe syndical policier, traiter les émeutiers de nuisibles, euphémisme plus mince qu’un cache sexe pour dire les “rats”. On y parle de “prendre ses responsabilités” lors de la prochaine émeutes. On le sait, prendre ses responsabilités signifie sortir de l’Etat de droit, et tirer dans le tas. Et donc, immanquablement, passer au stade de la guerre civile. Oh oui, on matera les émeutiers. Mais à quel terrible prix…….. Qui est prêt à l’assumer, plus tard, lorsque l’odeur de la poudre et du sang retombera…
    Franchement, je ne vois qu’une unique solution, très mince, et HORRIBLEMENT DIFFICILE à réaliser : C’est de détruire tous ces ghettos, qui sont la cause première de “l’in-assimilation”, les chaudrons du désastre… (et concomitamment, stopper radicalement les flux migratoires, par tous les moyens possibles). Puis répartir les habitants dans l’ensemble du pays, de telle sorte que, peu à peu, OUI, l’assimilation s’opérera.Sinon, bon, ben… on assistera impuissants au déroulement tragique de la catastrophe déjà en marche.

    • Descartes dit :

      @ Sami

      [Et on en a tiré déjà une conclusion : les émeutes se reproduiront, nous sommes devant une “pathologie” grave et chronique.]

      Tout à fait. On peut même suivre l’évolution de la maladie, des émeutes de 2005 aux « Gilets Jaunes », et de là aux évènements que nous vivons aujourd’hui. Et si mon analyse est bonne, il n’y a aucune raison de penser que le malade va guérir spontanément : les crises se reproduiront périodiquement, de plus en plus violentes et de plus en plus « apolitiques ».

      [Les causes.
      On est devant une immigration qui a commencé grosso modo dans les années 50-60, (…)]

      Je ne sais pas pourquoi on persiste à voir dans cette crise un lien avec l’immigration. Mais ce lien ne parait nullement évident. L’explosion de violence à laquelle on assiste n’est pas uniquement le fait des immigrés. L’extension de la violence à des petites villes de province tendrait au contraire à montrer qu’il s’agit d’un phénomène bien plus général. Il faudrait peut-être regarder quelle est la démographie des personnes interpellées.

      [On a créé, sciemment ou pas (moi je dis : sciemment), des zones de non droit, des ghettos ethniques peuplés d’un lumpen prolétariat (voir la définition de Marx) éminemment instrumentalisable (SOS racisme, les salafistes, les dealers, et tout simplement, l’effet “jungle sociale”…).]

      Je partage en partie votre analyse, mais avec un grand nombre de nuances. La première est la question de l’immigration : je ne suis pas persuadé que l’explosion à laquelle nous assistons soit vraiment liée à celle-ci. L’anomie n’est pas le monopole des enfants d’immigrés, elle se manifeste aussi chez les enfants des « gaulois ». Ensuite, je ne partage pas une vision machiavélique de l’histoire. On n’a pas créé sciemment des ghettos, ceux-ci sont la conséquence logique des transformations économiques, et notamment d’une société à faible croissance où la promotion sociale n’est possible que si elle s’accompagne d’un déclassement des enfants des classes intermédiaires.

      [Et voilà. On a en résultat final, des zones devenues absolument sauvages. On peut y mettre toutes les écoles qu’on voudra. Vu le niveau de l’éducation nationale en ce moment… (et tout le reste..)… Je défie quiconque de prétendre naître dans cet environnement sinistre, est être certain de s’en tirer. Oh oui, il y aura toujours quelques réussites, qui tiendront plus de l’exception qui confirme la règle que d’autre chose. Essayez de vous extraire de ce milieu, en tentant d’habiter ailleurs (en location, cas devenir proprio n’est pas donné à tout le monde), tout en s’appelant Ben Couscous… L’Homme est déterminé par son environnement anthropologique.]

      NON, NON ET MILLE FOIS NON. Il y a des centaines, des milliers de « Ben Couscous » qui sont maintenant cadres supérieurs, hauts fonctionnaires, professeurs, chefs d’entreprise, ou même d’honnêtes travailleurs vivant nettement mieux que leurs parents. Il ne faut pas confondre un fait STATISTIQUE et une détermination INDIVIDUELLE. Statistiquement, le fils de « Ben Couscous » a moins de chances d’y arriver, il lui faudra travailler plus dur. Mais s’il le fait, il PEUT y arriver. Notre « environnement anthropoligique » peut nous donner plus ou moins de chances de réussir, mais il ne nous « détermine » pas.

      Cette idéologie de la « détermination » est un facteur important du désespoir de la jeunesse. Parce que si nous sommes « déterminés » par des forces qui sont hors de notre contrôle (comme « l’environnement anthropologique »), alors pas la peine de se battre, d’étudier, de s’accrocher, de faire des efforts, puisqu’on est condamné à échouer.

      [Et l’anthropologie de ces ghettos et tout simplement un désastre total. La cellule familiale a été réduite en bouillie. Les rapports humains sont réduits aux lois de la jungle, la culture est basée sur la force brutale, on y rêve de bagnoles puissantes, de bords de piscines avec plein de p…, de guns, de battles… etc. Que peuvent faire, quand bien même ils le voudraient, un père ou une mère, face à un gosse abreuvé dans les cages d’escalier ou dans les cours de récré, de cultures délétères, ambiances d’aigreur, de haines contre TOUT ? RIEN]

      Si. Ils pourraient par exemple commencer par soutenir l’instituteur, le professeur, le policier, plutôt que d’aller à l’école casser la gueule de l’enseignant parce que leur petit a eu une mauvaise note. Il faut arrêter de voir des victimes impuissantes partout. Oui, nous souffrons des conséquences d’une transformation systémique, et les possibilités d’action individuelle sont limitées. Elles sont limitées mais elles existent. Proclamer notre impuissance, c’est l’alibi pour ne rien faire.

      [Que faire ?
      Ramener l’armée ? Donc tirer et tuer. Sinon à quoi ça sert ! Faire des carnages. On a vu la déclaration du principal groupe syndical policier, traiter les émeutiers de nuisibles, euphémisme plus mince qu’un cache sexe pour dire les “rats”. On y parle de “prendre ses responsabilités” lors de la prochaine émeute. On le sait, prendre ses responsabilités signifie sortir de l’Etat de droit, et tirer dans le tas.]

      Pas nécessairement. On peut parfaitement tirer dans le tas dans le cadre de la loi, et l’Etat de droit est sauf. La question à poser est celle de la volonté collective : sommes-nous prêts à payer le prix pour rétablir une forme de rationalité collective ? Et ce prix, ce n’est pas seulement quelques morts et beaucoup de blessés, c’est surtout un changement fondamental des rapports sociaux, et notamment de ceux qui permettent aux classes intermédiaires de se perpétuer.

      On prendra donc une solution qui est bien plus économique pour le « bloc dominant » : on laisse les ghettos s’enfoncer, et de temps en temps on lâchera quelques millions pour reconstruire ce que les explosions de violence auront détruit. Pour le bloc dominant, c’est beaucoup moins cher que les alternatives.

      [Franchement, je ne vois qu’une unique solution, très mince, et HORRIBLEMENT DIFFICILE à réaliser : C’est de détruire tous ces ghettos, qui sont la cause première de “l’in-assimilation”, les chaudrons du désastre… (et concomitamment, stopper radicalement les flux migratoires, par tous les moyens possibles). Puis répartir les habitants dans l’ensemble du pays, de telle sorte que, peu à peu, OUI, l’assimilation s’opérera.]

      L’assimilation, ce n’est pas seulement une question de « dilution ». C’est aussi une forme de contrat entre la société qui assimile et l’étranger qui accepte de renoncer à une partie de lui-même. Il faut que ce que la société offre en échange vaille la chandelle. Pendant des années, l’offre était celle de la pleine citoyenneté, dans un pays où la promotion par le mérite était possible. Que pourrait-on offrir aujourd’hui ?

      J’ajoute que votre analyse fait comme si le seul problème venait de l’immigration. Pour moi, ce n’est pas le cas. Nous affrontons un problème bien plus sérieux, qui est celui de la perte de l’empathie. Nous n’avons plus aucune tendresse pour l’autre, nous sommes incapables de ressentir leurs malheurs comme si c’étaient les nôtres. Tout ce paternalisme lénifiant envers les « minorités », cette volonté proclamée d’être gentil avec tout le monde, c’est le cache sexe de cette perte. Nous vivons dans une société dure, peut-être la plus dure depuis le début de la révolution industrielle. Une société dans laquelle on peut appauvrir des hommes et des régions entières sans ressentir la moindre culpabilité. Le capitalisme à sa naissance avait hérité de limites morales, ces limites existent de moins en moins. C’est là le vrai problème…

      • cdg dit :

        “La première est la question de l’immigration : je ne suis pas persuadé que l’explosion à laquelle nous assistons soit vraiment liée à celle-ci.”
        Tiens vous etes comme Darmanin ? C est pas parce que la majorite des emeutiers sont de nationalite francaise que ca n a rien a voir avec l immigration. Je suis pret a parier que 98 % des emeutiers sont  d origine africaine (parents ou grand parents).
        Quant au fait que les emeutes ont eut lieu partout en france, ca n a rien d etonnant. Vous avez une dissimination de cette immigration dans toute la France. Par ex, ma ville natale (albertville) a subit des emeutes et ca fait longtemps que la population a subit des apports “exterieurs”
         
        Est ce que ca veut dire qu il faut condamner l immigration ? Bien sur que non. Outre le fait qu une immigration 0 est impossible materiellement (vous aller miner toutes les pages ?) elle n est souhaitable ni moralement ni economiquement. Par contre il faut une immigration choisie et une pression forte sur l assimilation et des sanctions en cas de derives (par ex le pere du fameux Nahel est un repris de justice, il aurait du etre expulsé automatiquement )
         
        “Nous n’avons plus aucune tendresse pour l’autre, nous sommes incapables de ressentir leurs malheurs comme si c’étaient les nôtres”
        Je suis sur qu un membre du NKVD avait de l empatie pour ses victimes. Que ca soit les paysans qu on pillait pour nourrir les villes voire exporter ou les vieux bolcheviques qu il torturait pour leur faire avouer un complot
        Ca n empechait evidement pas les sbires de Beria/Ejov de faire ce qu ils avaient a faire
         

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [« La première est la question de l’immigration : je ne suis pas persuadé que l’explosion à laquelle nous assistons soit vraiment liée à celle-ci. » Tiens vous etes comme Darmanin ?]

          C’est plutôt Darmanin que copie sur moi : c’est moi qui l’ai dit le premier ! 😉

          [Ce n’est pas parce que la majorité des émeutiers sont de nationalité française que ça n’a rien à voir avec l’immigration. Je suis prêt à parier que 98 % des émeutiers sont d’origine africaine (parents ou grand parents).]

          Le fait que vous soyez « prêt à parier » n’est pas un argument sérieux. Le fait est que vous n’en savez rien. Or, le fait que les émeutes aient « quelque chose à voir » avec l’immigration n’est pas quelque chose qui se présume. Et donc, tant qu’on n’a pas d’arguments, la question doit être regardée avec prudence.

          [Quant au fait que les émeutes ont eu lieu partout en France, ça n’a rien d’étonnant. Vous avez une dissémination de cette immigration dans toute la France. Par ex, ma ville natale (Albertville) a subi des émeutes et ça fait longtemps que la population a subi des apports “extérieurs”]

          Cela est peut-être vrai dans les villes prospères, comme c’est le cas d’Albertville, puisque le dynamisme économique attire une main d’œuvre mobile et bon marché. Mais c’est déjà moins évident lorsqu’on pense à des villes de province comme Montargis…

          [Est-ce que ça veut dire qu’il faut condamner l’immigration ? Bien sûr que non. Outre le fait qu’une immigration 0 est impossible matériellement (vous allez miner toutes les pages ?) elle n’est souhaitable ni moralement ni économiquement. Par contre il faut une immigration choisie (…)]

          Votre argument n’est pas sérieux : si l’on ne peut pas « miner toutes les plages », alors on peut difficilement « choisir » l’immigration. Car que fera-t-on de ceux qui ne seront pas « choisis » mais qui viendront quand même ? Le serpent de mer de « l’immigration choisie » relève de la technique de faire semblant de faire quelque chose alors qu’on ne fait rien.

          [“Nous n’avons plus aucune tendresse pour l’autre, nous sommes incapables de ressentir leurs malheurs comme si c’étaient les nôtres” Je suis sur qu’un membre du NKVD avait de l’empathie pour ses victimes. Que ça soit les paysans qu’on pillait pour nourrir les villes voire exporter ou les vieux bolcheviques qu’il torturait pour leur faire avouer un complot]

          Je ne sais pas. Je ne connais aucun membre du NKVD, et à ma connaissance aucun n’a écrit sur la question. Votre supposition ne s’appuie sur aucun élément factuel. Peut être que les membres du NKVD n’arrivaient pas à dormir le soir après avoir arrêté et tué quelqu’un, tout en considérant qu’il s’agissait là d’une triste nécessité. Ni vous ni moi n’en savons rien. Nous savons par exemple que Robespierre n’était guère fier de ce qu’il faisait, tout en estimant que la nécessité l’y obligeait. Si les hommes politiques étaient toujours persuadés de faire le bien, la politique ne serait pas tragique…

  13. Driss dit :

    L’empathie c’est de ne pas cautionner le meurtre d’un ado, et donner 1 million à un meurtrier.
     

    • Descartes dit :

      @ Driss

      [L’empathie c’est de ne pas cautionner le meurtre d’un ado, et donner 1 million à un meurtrier.]

      L’empathie, c’est la capacité de se mettre à la place de l’autre, de ressentir ses joies et ses peines comme si c’étaient les nôtres. Par exemple, c’est la capacité de ressentir la peine que peut ressentir la mère de Nahel, mais aussi la peur qu’a pu ressentir le policier auteur du tir lorsque la voiture a démarré, et comprendre comment cette peur a pu faire partir le coup. L’empathie, c’est aussi de comprendre qu’il y a ici un homicide, mais pas un meurtre. Et si vous ne connaissez pas la différence, relisez votre code pénal.

      L’empathie, c’est la capacité de voir l’humanité dans chaque être humain, de s’interdire cette polarisation entre « eux » et « nous ». Oui, je sais, ce n’est pas à la mode…

      • Driss dit :

        Le policier est mis en examen pour homicide volontaire, il est donc accusé de meurtre.
        Il n’a pas tiré par peur mais parce qu’il se croyait protégeait par la jurisprudence sur le refus d’obtempérer qui a déjà couté la vie à 13 personnes, seulement la caméra filmait cette fois ci…
        Je vous rappelle pour conclure que le nous contre eux est pratiqué quotidiennement par les médias de droites, VA, figaro, c news ect
         

        • Descartes dit :

          @ Driss

          [Le policier est mis en examen pour homicide volontaire, il est donc accusé de meurtre.]

          Non. L’homicide involontaire est défini à l’article 221-6 du code pénal, alors que le meurtre est défini à l’article 221-1 du même code. Ce sont donc deux infractions différentes, et vous ne pouvez donc pas déduire de la mise en examen pour « homicide involontaire » qu’il soit « accusé de meurtre ».

          Ensuite, un « mis en examen » n’est « accusé » de rien. Ce n’est qu’après instruction que le juge décidera s’il y a lieu « d’accuser » – c’est-à-dire, de déférer le mis en examen devant une juridiction, ou bien de prononcer un « non-lieu ».

          Les mots ont un sens, et il faut une certaine rigueur…

          [Il n’a pas tiré par peur mais parce qu’il se croyait protégeait par la jurisprudence sur le refus d’obtempérer]

          Je ne sais pas. Je n’ai pas la possibilité de lire dans ses pensées, je n’ai pas accès au dossier de l’instruction et à sa déposition. Je ne sais donc pas ce qu’il pouvait « croire ». Mais peut-être avez-vous des informations précises ? Dans ce cas, je suis intéressé de les connaître…

          [qui a déjà couté la vie à 13 personnes, seulement la caméra filmait cette fois ci…]

          J’ai vu comme vous je pense le film. Il est très difficile d’en tirer une quelconque conclusion.

          [Je vous rappelle pour conclure que le nous contre eux est pratiqué quotidiennement par les médias de droites, VA, figaro, c news ect]

          Possible. Je ne l’approuve pas. Mais je ne vois pas très bien en quoi cela justifierait que de l’autre côté on fasse de même.

          • Frankie dit :

            Intéressant le malentendu entre vous et Driss.
            J’ai vérifié: le policier est bien mis en examen pour homicide volontaire, ce qui justifie totalement d’utiliser le qualificatif de “meurtre”. Cela suppose au moins que le parquet a des éléments suffisants.
            Pour mémoire, lors de l’affaire Zyed et Bouna, qui étaient plus jeunes et n’avaient apparemment rien fait de mal, il était question de non-assistance à personne en danger.
            Entre les deux, il y a eu l’affaire Zecler, qui lui non plus n’avait rien fait de mal, et dont j’avais vu les images – très choquantes. On en avait parlé beaucoup à l’époque, mais il n’y avait pas eu d’émeutes.
            Tout ça pour dire que je partage les interrogations de Driss sur le titre de votre article – utiliser le terme d’empathie me paraît pour le moins maladroit dans ce contexte – et je suis un peu atterré par la tonalité des commentaires qui relèvent du parti pris idéologique plutôt que de la réflexion. Il y a ceux qui défendent le policier auteur du tir mortel par principe et ceux qui défendent le jeune qui conduisait sans permis et a refusé d’obtempérer par principe aussi (évidemment, ils sont plus rares sur ce blog, on est de plus en plus loin de Marx et de ses héritiers). Je ne vois pas très bien ou cela peut nous mener sinon à une société à l’américaine avec un seuil de tolérance à la violence beaucoup plus élevé. Après si on voulait faire vraiment quelque chose – réformer la police et ramener l’ordre dans certains quartiers – cela prendrait sans doute des années et je ne suis pas sûr que cela corresponde au tempo actuel des politiques.
            J’habite près de Montargis, le Venise du Gâtinais comme on dit, et j’ai été très surpris de voir les images du centre ville dévasté. Dans mon village, on a l’impression de vivre à l’écart de tous ces événements et d’être au spectacle, mais il y a beaucoup de gens dans mon entourage qui parlent de s’armer et qui craignent que la prochaine étape pour les émeutiers soit de déferler dans les villages – pour y faire quoi, on se le demande – piller les vergers peut-être?
            Pour conclure, je ne pense pas que les “jeunes” dont on parle tant soit plus ou moins empathiques qu’autrefois. C’est plus un problème d’apathie et de désaffiliation me semble-t-il, faute de structures puissantes pour les encadrer.  Les émeutes auxquelles on a assisté relèvent plus du phénomène de groupe et de l’effet de meute. Je comprends la tentation de tirer dans le tas pour ramener l’ordre, mais c’est comme priver d’allocations familiales les familles des mis en cause: ça ne sert à rien et ça risque au contraire de mettre de l’huile sur le feu. J’ai côtoyé pas mal de ces jeunes et vous seriez surpris de voir ce qu’ils deviennent passé 25 ans: des travailleurs pas ou peu qualifiés ou des chômeurs plus ou moins résignés à leur sort. L’étincelle de la révolte s’éteint assez rapidement avec l’âge, sauf chez certains individus.
            Un des problèmes majeurs à mon sens vient de l’effondrement lent des structures de l’Éducation Nationale que personne ne semble en mesure d’enrayer, le tout dans un pays dont la seule chance de s’en sortir est de miser sur l’Éducation et la formation. Les gouvernements de gauche et de droite se succèdent, mais la direction ne change pas et c’est très difficile à comprendre (c’est loin d’être seulement un problème de moyen).
            Voilà: j’essaye d’apporter ma petite pierre à l’édifice, mais il me semble que c’est un peu vain et que la prochaine étape sera l’accession de l’extrême-droite ou de ceux qui leur ressemblent au pouvoir, ça tombe bien, il me semble que vous aviez appelé à voter pour MLP au second tour de 2022. C’est une perspective qui a arrêté de me faire peur (voir le cas Meloni en Italie), mais dont je n’attends rien de bon pour le pays, juste un symptôme supplémentaire de déclin, voire de décrépitude. Dans une perspective marxiste ou marxienne, ne ne vois pas non plus très bien ce que l’on peut en attendre.
            Pour finir, je trouve très intéressants et assez pathétiques les efforts désespérés de la “gauche” pour rallier ces jeunes casseurs à leur cause, en les récupérant soit par le discours, soit par l’action. Dans les deux cas, c’est un échec total. J’ai croisé un jeune de 17 ans récemment: il ne savait même pas faire la différence entre la droite et la gauche et il était persuadé que les politiques étaient tous des “complotistes” (je pense qu’il voulait dire comploteurs). Cela donne une idée du niveau et cela relativise aussi les efforts des sociologues de plateau pour donner un sens politique à ces émeutes- celui en fait d’une défiance radicale à l’égard de l’état et de ses institutions.
             

            • Descartes dit :

              @ Frankie

              [Intéressant le malentendu entre vous et Driss. J’ai vérifié : le policier est bien mis en examen pour homicide volontaire, ce qui justifie totalement d’utiliser le qualificatif de “meurtre”. Cela suppose au moins que le parquet a des éléments suffisants.]

              Formellement, vous avez raison. Cependant, si je crois l’opinion des juristes, la mise en examen répond plus aux pressions politiques qu’à la qualification des faits tels que nous les connaissons. Mais la qualification étant bien « homicide volontaire », j’admets mon erreur.

              Il n’en reste as moins que Driss se trompe lorsqu’il affirme que le policier est « accusé ». La mise en examen n’équivaut pas à une « accusation », et beaucoup de mises en examen aboutissent, après instruction, à un non-lieu ou à une requalification de l’infraction.

              [Pour mémoire, lors de l’affaire Zyed et Bouna, qui étaient plus jeunes et n’avaient apparemment rien fait de mal, il était question de non-assistance à personne en danger.]

              S’ils n’avaient « rien fait de mal », pourquoi se sont-ils enfouis ? Il n’est pas inutile de rappeler la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance ». Le tribunal correctionnel avait d’ailleurs relaxé les policiers, décision confirmée par la cour d’Appel de Rennes.

              [Tout ça pour dire que je partage les interrogations de Driss sur le titre de votre article – utiliser le terme d’empathie me paraît pour le moins maladroit dans ce contexte – (…)]

              Je ne vois pas pourquoi. Mon commentaire faisait référence aux rapports humains qui peuvent conduire un jeune à incendier la boutique du boulanger de son quartier. Quand bien même Nahel aurait été assassiné de sang-froid, on voit mal le cheminement qui conduit à faire tomber sur ce pauvre boulanger les conséquences d’un acte dans lequel il ne joue aucun rôle. Que se passe-t-il dans la tête de l’incendiaire ? Comment peut-il mettre le feu sans s’imaginer un instant ce que son acte peut provoquer chez ce boulanger qu’il côtoie tous les jours ? Voilà ou se pose la question de l’empathie.

              [et je suis un peu atterré par la tonalité des commentaires qui relèvent du parti pris idéologique plutôt que de la réflexion. Il y a ceux qui défendent le policier auteur du tir mortel par principe et ceux qui défendent le jeune qui conduisait sans permis et a refusé d’obtempérer par principe aussi (évidemment, ils sont plus rares sur ce blog, on est de plus en plus loin de Marx et de ses héritiers).]

              Je ne vois pas le rapport avec « Marx et ses héritiers ». A ma connaissance, Marx n’a jamais défendu les gens qui conduisaient une voiture de luxe sans permis, ont failli tuer quelques piétons, et refusent d’obtempérer à un contrôle de police. Marx a écrit d’ailleurs des pages fort négatives sur le lumpen-prolétariat… C’est très mal lire Marx que d’en faire un chantre de la rébellion adolescente.

              Sur le fond maintenant : cette polarisation entre « ceux qui défendent le policier » et « ceux qui défendent le jeune » illustre parfaitement mon point. Parce que j’ai de l’empathie, je souffre de la mort du jeune ET je souffre de la situation du policier. Là où l’on voit combien notre société a perdu en empathie, c’est précisément dans cette polarisation qui empêche de voir que la tragédie est des deux côtés.

              [Je ne vois pas très bien ou cela peut nous mener sinon à une société à l’américaine avec un seuil de tolérance à la violence beaucoup plus élevé.]

              C’était précisément mon point : la tolérance à la violence est étroitement liée à l’empathie, car c’est la souffrance que nous éprouvons lorsque nous infligeons de la violence aux autres qui limite notre capacité de l’infliger. Or, cette empathie a été progressivement détruite par l’approfondissement même du capitalisme. Car il faut renoncer à toute forme d’empathie pour pouvoir licencier sans complexes, pour pouvoir délocaliser sans souffrance. On le sait d’ailleurs depuis longtemps : pour pouvoir exterminer l’adversaire, il faut d’abord le déshumaniser, c’est-à-dire, lui enlever ce qui provoque l’empathie.

              [Après si on voulait faire vraiment quelque chose – réformer la police et ramener l’ordre dans certains quartiers – cela prendrait sans doute des années et je ne suis pas sûr que cela corresponde au tempo actuel des politiques.]

              Admettons. Mais quelle serait votre proposition pour le faire ?

              [J’habite près de Montargis, le Venise du Gâtinais comme on dit, et j’ai été très surpris de voir les images du centre-ville dévasté. Dans mon village, on a l’impression de vivre à l’écart de tous ces événements et d’être au spectacle, mais il y a beaucoup de gens dans mon entourage qui parlent de s’armer et qui craignent que la prochaine étape pour les émeutiers soit de déferler dans les villages – pour y faire quoi, on se le demande – piller les vergers peut-être ?]

              Vous voyez bien : vous pensiez que le centre-ville de Montargis serait épargné, et il a bien été dévasté. Aujourd’hui, vous pensez que cela est impossible dans les villages… demain vous donnera peut-être tort.

              Oui, c’est effrayant d’entendre les gens parler de s’armer. C’est effrayant aussi de voir le travail d’une vie parti en fumée sous l’action des pillards. Alors, on fait quoi ?

              [Pour conclure, je ne pense pas que les “jeunes” dont on parle tant soit plus ou moins empathiques qu’autrefois.]

              Il est toujours difficile de comparer ce qu’on ne sait pas mesurer. Cependant, il y a des signes qui montrent que les jeunes sont aujourd’hui moins capables de se mettre à la place de l’autre. On voit ainsi se multiplier les cas de harcèlement scolaire d’une violence de plus en plus grande, par exemple.

              [C’est plus un problème d’apathie et de désaffiliation me semble-t-il, faute de structures puissantes pour les encadrer.]

              Pourriez-vous développer ?

              [Je comprends la tentation de tirer dans le tas pour ramener l’ordre, mais c’est comme priver d’allocations familiales les familles des mis en cause : ça ne sert à rien et ça risque au contraire de mettre de l’huile sur le feu.]

              Je ne sais pas s’il faut « tirer dans le tas » au sens strict du terme. Mais il faut que l’Etat – et donc les corps de l’Etat qui assurent les fonctions répressives – soient craints. Il y a peut-être des moyens de rétablir cette peur sans passer par le tir à balles réelles. Mais il nous faut d’abord nous mettre d’accord sur ce principe simple : le professeur, le policier, le gendarme, doivent inspirer la crainte.

              [J’ai côtoyé pas mal de ces jeunes et vous seriez surpris de voir ce qu’ils deviennent passé 25 ans : des travailleurs pas ou peu qualifiés ou des chômeurs plus ou moins résignés à leur sort. L’étincelle de la révolte s’éteint assez rapidement avec l’âge, sauf chez certains individus.]

              Vous ne pouvez pas savoir ce que CES jeunes deviendront lorsqu’ils auront 25 ans. Tout au plus vous pouvez savoir ce que sont devenus les jeunes qui avaient 15 ans il y a dix ans. Mais les générations changent, et je ne suis pas sûr que l’expérience de la génération précédente soit applicable à celle-ci. Mais au-delà de cette précaution méthodologique, je ne vois dans cette affaire aucune « étincelle de révolte » : piller un magasin de sport ou mettre le feu à une boulangerie pour s’amuser n’est pas un geste de révolte. J’insiste : ce que nous voyons aujourd’hui n’a rien d’une « révolte ». C’est un carnaval, une période ludique pendant laquelle on peut mettre le monde sens dessus dessous, pour qu’ensuite tout rentre dans l’ordre.

              C’est peut-être cela qui m’attriste le plus dans cette affaire. Qu’il n’y a plus de révolte, plus de contestation d’un ordre capitaliste auquel cette jeunesse émeutière s’accommode fort bien. La dénonciation de tel ou tel grief réel et supposé n’alimente pas une construction politique, mais sert de prétexte pour justifier à peu près n’importe quoi. Hier, les « révoltés » – anarchistes, socialistes, communistes – créaient des écoles. Aujourd’hui, les soi-disant « révoltés » y foutent le feu.

              [Un des problèmes majeurs à mon sens vient de l’effondrement lent des structures de l’Éducation Nationale que personne ne semble en mesure d’enrayer, le tout dans un pays dont la seule chance de s’en sortir est de miser sur l’Éducation et la formation. Les gouvernements de gauche et de droite se succèdent, mais la direction ne change pas et c’est très difficile à comprendre (c’est loin d’être seulement un problème de moyen).]

              C’est très facile à comprendre, au contraire. L’éducation et la formation ont été dans notre pays un puissant ascenseur social. Or, les classes intermédiaires, devenues dominantes, ne veulent surtout pas d’un ascenseur social qui pourrait permettre aux enfants des classes populaires de concurrencer leurs propres rejetons. Voilà pourquoi elles ont liquidé l’un des meilleurs systèmes éducatifs au monde. Et voilà pourquoi « personne ne semble en mesure d’enrayer » le déclin : parce que personne n’essaye. Que ce soit à gauche ou à droite, on sert toujours les intérêts des classes intermédiaires.

              [Voilà: j’essaye d’apporter ma petite pierre à l’édifice, mais il me semble que c’est un peu vain et que la prochaine étape sera l’accession de l’extrême-droite ou de ceux qui leur ressemblent au pouvoir, ça tombe bien, il me semble que vous aviez appelé à voter pour MLP au second tour de 2022.]

              Oui. Parce que j’étais convaincu que l’élection de MLP serait moins dangereuse que le maintien au pouvoir de Macron. Et un an après l’élection, je n’ai pas changé d’avis. L’élection de MLP aurait provoqué un électrochoc. Elle aurait obligé l’ensemble des courants politiques à faire un examen de conscience et à travailler un minimum pour élaborer un projet. Avec Macron, on continue à se faire bouillir vivants comme la grenouille de l’histoire qu’affectionnait Mitterrand.

              [Pour finir, je trouve très intéressants et assez pathétiques les efforts désespérés de la “gauche” pour rallier ces jeunes casseurs à leur cause, en les récupérant soit par le discours, soit par l’action. Dans les deux cas, c’est un échec total.]

              Parce que la gauche est devenue fondamentalement gauchiste, et que les gauchistes ont une capacité illimitée à s’autoconvaincre que la jeunesse est révolutionnaire par essence, et que chaque révolte adolescente annonce le grand soir. Souvenez-vous de « nuit debout »…

              [J’ai croisé un jeune de 17 ans récemment: il ne savait même pas faire la différence entre la droite et la gauche (…)]

              Il est vrai qu’après quarante ans ou gauche et droite se sont succédées au pouvoir pour faire les mêmes politiques, il a des circonstances atténuantes…

              [et il était persuadé que les politiques étaient tous des “complotistes” (je pense qu’il voulait dire comploteurs). Cela donne une idée du niveau et cela relativise aussi les efforts des sociologues de plateau pour donner un sens politique à ces émeutes- celui en fait d’une défiance radicale à l’égard de l’état et de ses institutions.]

              Tout à fait.

  14. Yves dit :

    Bonjour,
    Je souscris au contenu de votre billet et je ne m’exclus pas de la masse des personnes visées.
    Car bien que conservateur catholique de droite, j’ai renoncé à défendre les principes de base pour avoir “un peu la paix” et j’ai aussi oublié un temps que cette paix n’allait pas de soi. 
    En tant que Français, nous payons le prix de nos lâchetés et de nos renoncements.
    Pascal l’avait pourtant bien dit : 
    “L’homme n’est ange, ni bête”. Qui veut faire l’ange finit par faire la bête”.
    L’angélisme des progressistes les conduit à accepter la barbarie, voire à la soutenir (cf. les déclarations de LFI).
    Les progressistes sont des idéologues qui sont indifférents à la vie réelle, et oublient volontairement la nature humaine. Une partie d’entre eux sont des individualistes narcissiques qui sont plus préoccupés par leur image et leur “bien-pensance” que par le maintien d’un certain bien commun, et par la préservation des femmes, des enfants, des anciens, des plus faibles, et des autres de la violence humaine.
    L’idéologie “gauchiste” (désolé pour ce terme) a conduit la société française à l’abandon et à la barbarie et nous sommes dans une impasse.
    Retrouver un contrat social semble une tâche très compliquée voire insurmontable.
    Comment conserver et recruter des policiers qui soient au niveau qui assument leur fonction avec dignité et honneur quand ils ne sont ni craints par les “racailles” mêmes très jeunes, ni soutenus par les politiques, et qu’au moindre écart, leur nom et adresse sont mis en ligne sur les réseaux sociaux ou dans des hall d’immeuble (on mettrait une cible sur leur tête que cela serait pareil) ?
    Comment recruter des professeurs pour être payé assez peu, être insulté, voire violenté, et sans aucun soutien des parents ni de l’éducation nationale ?
    Et je pourrai prolonger la liste avec comment trouver des maires de communes, et ainsi de suite ….
     
    Et enfin je n’ai naturellement pas abordé l’aspect ethnique et religieux, et il y aurait tant à dire.
    Les personnes d’origine caucasienne vont devenir minoritaires en France. Je n’ai pas d’enfant, mais pour ces enfants là, il faudra être fort et courageux.
    Je suis plus que pessimiste sur l’avenir de la société française, car même avec la volonté de reconstruire quelque chose, nous repartirions de très bas.

    • Descartes dit :

      @ Yves

      [L’angélisme des progressistes les conduit à accepter la barbarie, voire à la soutenir (cf. les déclarations de LFI). Les progressistes sont des idéologues qui sont indifférents à la vie réelle,]

      Je ne sais pas ce que vous appelez « progressistes », mais l’inclusion de LFI dans cet ensemble me fait penser que vous utilisez le terme à tort. Il y a longtemps que LFI a abandonné toute référence à l’idée de « progrès », et c’est aussi le cas des écologistes. Je regrette : le terme « progressiste » est trop beau pour le laisser galvauder de cette façon.

      [L’idéologie “gauchiste” (désolé pour ce terme) a conduit la société française à l’abandon et à la barbarie et nous sommes dans une impasse.]

      Oui, mais on ne peut pas s’arrêter à se constat. Il faut comprendre POURQUOI cette idéologie s’est imposée. Parce que lorsqu’on écoute le discours de certains néolibéraux, on retrouve pas mal d’éléments de l’idéologie que vous appelez « gauchiste ». Une idéologie ne devient dominante par hasard : elle le devient lorsqu’elle est fonctionnelle à une classe dominante.

      [Comment conserver et recruter des policiers qui soient au niveau qui assument leur fonction avec dignité et honneur quand ils ne sont ni craints par les “racailles” mêmes très jeunes, ni soutenus par les politiques, et qu’au moindre écart, leur nom et adresse sont mis en ligne sur les réseaux sociaux ou dans des hall d’immeuble (on mettrait une cible sur leur tête que cela serait pareil) ?]

      Le problème n’est pas le soutien des « politiques », mais le soutien des citoyens.

      [Comment recruter des professeurs pour être payé assez peu, être insulté, voire violenté, et sans aucun soutien des parents ni de l’éducation nationale ?]

      Même remarque.

      [Et enfin je n’ai naturellement pas abordé l’aspect ethnique et religieux, et il y aurait tant à dire.
      Les personnes d’origine caucasienne vont devenir minoritaires en France.]

      Et alors ? En quoi est-ce un problème ? Pensez-vous que le fait d’être « d’origine caucasienne » vous rend détenteur d’une essence différente ?

  15. sami dit :

    Merci pour votre réponse, qui approfondit mieux que moi-même (je le dis en toute humilité), la vision sur ces événements, et donne des éléments de réflexion.Tant qu’on peut encore réfléchir, alors le futur n’est pas condamné. Et vous nous donnez à réfléchir. 

  16. LE PANSE Armel dit :

    Bonjour Descartes,
    Merci une fois de plus pour l’analyse fine des évènements et cette distance salutaire que vous prenez avec ceux-là, merci également aux contributeurs avisés dont j’ai lu attentivement (pour une fois) les longs commentaires sur un sujet aussi grave. Je partage bien des points de vue, je disais hier lors d’un diner familial que je suis partagé entre réaction politique (celle d’un citoyen anonyme mais néanmoins citoyen), compréhension (peut-être sociologique et psychologique mais plus souvent philosophique) et ce que j’appelais compassion et que vous appelez plus justement empathie… Réaction parfois viscérale (après tout je suis d’abord un être humain), compréhension et compassion mesurées (faut quand-même pas pousser !), mais je fais l’effort de m’ouvrir comme on dit à la richesse des échanges et des débats parfois ardus, ce qui n’est pas simple, car nous sommes aussi des corps et nous n’aimons pas les coups !
    Je ne veux pas ajouter mon grain de sel à ces doctes avis que je partage globalement, d’autant que je risque d’être plus impertinent que pertinent, mais la réflexion qui me vient à l’esprit est la suivante : est-ce que finalement ce n’est pas la question du sens commun qui est posée, elle-même adossée à la question de la communauté. Sommes-nous encore et le serons-nous à l’avenir capables de vivre ensemble. En regard des multiples et dramatiques soubresauts de l’Histoire, avons-nous seulement été capables de cela un jour?
    Je n’entends pas évidemment relativiser et prendre du recul ou de la hauteur, mais cette question me taraude depuis longtemps et, à quelques semaines de la retraite, je voudrais bien quelques éléments de réponse ou des piste de réflexion puisque j’ai désormais le temps !
    J’appartiens à une génération qui servait plus qu’elle ne se servait (et j’ai grandi dans une cité qui avait pour nom “haut les mains”), je comprends que les temps changent mais la brutalité et la cruauté avec lesquelles ces nouveaux temps arrivent ne me disent rien qui vaille. Hystérie du contrôle, militarisation de l’ordre, peur pathologique de l’inertie, abandon des services publics, concentration hyperbolique de l’Etat, etc, etc, tout a été dit, mieux que je ne le ferais, dans ce blog !
    Voilà pourquoi je vais maintenant cultiver mon jardin, portable éteint mais esprit en veille !

    • Descartes dit :

      @ LE PANSE Armel

      [Je ne veux pas ajouter mon grain de sel à ces doctes avis que je partage globalement, d’autant que je risque d’être plus impertinent que pertinent, mais la réflexion qui me vient à l’esprit est la suivante : est-ce que finalement ce n’est pas la question du sens commun qui est posée, elle-même adossée à la question de la communauté. Sommes-nous encore et le serons-nous à l’avenir capables de vivre ensemble. En regard des multiples et dramatiques soubresauts de l’Histoire, avons-nous seulement été capables de cela un jour ?]

      Vous posez une question fondamentale, qui mérite d’être précisée. Je n’aime pas l’expression « vivre ensemble » parce qu’elle est imprécise. S’agit-il de vivre AVEC l’autre, ou de vivre A COTE de l’autre ? S’agit-il – hypothèse minimaliste – de partager un espace sans se gêner (voire de vivre dans des espaces séparés), ou bien s’agit-il – hypothèse maximaliste – de faire preuve de solidarité avec l’autre et de participer à une construction commune ?

      De plus en plus, l’idéologie individualiste nous amène à l’hypothèse minimaliste, celle d’une société qui se fragmente progressivement jusqu’à arriver à l’individu-île qui se fait de lui-même, et qui par conséquence n’a aucun lien ni de filiation, ni de reconnaissance. Car il ne faut pas se tromper : le communautarisme est chez nous la réaction à cette dérive, c’est l’expression de la peur que nous avons tous de nous retrouver tous seuls dans une société qui devient chaque jour moins empathique.

      [Voilà pourquoi je vais maintenant cultiver mon jardin, portable éteint mais esprit en veille !]

      Ne vous éloignez pas trop, tout de même… on pourrait avoir besoin de vous !

      • LE PANSE Armel dit :

        Merci Descartes pour votre réponse !
        Je pensais être retoqué sur l’emploi du terme de “compassion” qui sonne par trop judéo-chrétien alors que “empathie” fait peut-être plus “laïque”, plus philosophique, plus actuel ? Moderne ? Que sais-je encore …
        Mais non, vous revenez sur mon emploi du terme “vivre-ensemble” comme suit :
        (Vous posez une question fondamentale, qui mérite d’être précisée. Je n’aime pas l’expression « vivre ensemble » parce qu’elle est imprécise. S’agit-il de vivre AVEC l’autre, ou de vivre A COTE de l’autre ? S’agit-il – hypothèse minimaliste – de partager un espace sans se gêner (voire de vivre dans des espaces séparés), ou bien s’agit-il – hypothèse maximaliste – de faire preuve de solidarité avec l’autre et de participer à une construction commune ?)
        Oui, dans mon esprit, j’entendais une construction commune, un vivre ensemble réel, voire simplement réaliste, ou dans un sens seulement pragmatique, qui ferait une place au dialogue entendu d’abord comme confrontation d’idées, et ensuite, comme une nécessité imposée par la Loi. Qui ne voit que les débats, les vraies confrontations n’ont plus lieu ? Qu’ils sont même presque “criminalisés”, le mot est un peu fort, je vous l’accorde, mais je n’en trouve pas d’autres pour qualifier cette gouvernance managériale de type RH à l’oeuvre depuis plus de vingt ans. Eux qui savent …
        Ai-je de bonnes raisons de craindre qu’il y aura toujours des “nous” et des “eux”, qu’une ligne de partage divise et oppose les individus et que cette ligne si elle peut être partiellement résorbée par l’éducation, n’en demeure pas moins vivace dans la civilisation. Il y a malaise dirait Freud.
        Voilà pourquoi ma préférence, comme la vôtre, va nettement à l’ordre qui peut et doit aussi sans doute générer du désordre alors que ce dernier débouche sur toujours plus de désordre, phénomène que l’accalmie observée ne permet pas d’enrayer.
        La Loi, donc aussi bien la force, sauf que je regrette beaucoup que la police soit militarisée (regardez leurs équipements et leurs engins !), au point que les gendarmes, donc les militaires, passent presque pour des anges… qui du reste ne font que planer au-dessus des émeutes et manifestations en tout genre !
        Sur ce, je retourne dans mon jardin pour chercher sous les choux des raisons d’être plus optimiste !
         

        • Descartes dit :

          @ LE PANSE Armel

          [Je pensais être retoqué sur l’emploi du terme de “compassion” qui sonne par trop judéo-chrétien alors que “empathie” fait peut-être plus “laïque”, plus philosophique, plus actuel ? Moderne ? Que sais-je encore …]

          C’est surtout que « compassion » et « empathie » ne recouvrent pas du tout la même chose. L’empathie est la capacité de se mettre à la place de l’autre, de ressentir sa joie et sa peine comme si c’étaient les nôtres. La compassion ne nécessite pas une telle démarche : je peux avoir de la compassion pour un oiseau blessé, mais je ne me mets pas à sa place. Il n’y a pas d’ambiguïté entre les deux, alors il n’y a pas de raison de revenir sur le terme…

          [« Vous posez une question fondamentale, qui mérite d’être précisée. Je n’aime pas l’expression « vivre ensemble » parce qu’elle est imprécise. S’agit-il de vivre AVEC l’autre, ou de vivre A COTE de l’autre ? S’agit-il – hypothèse minimaliste – de partager un espace sans se gêner (voire de vivre dans des espaces séparés), ou bien s’agit-il – hypothèse maximaliste – de faire preuve de solidarité avec l’autre et de participer à une construction commune ? » Oui, dans mon esprit, j’entendais une construction commune, un vivre ensemble réel, voire simplement réaliste, ou dans un sens seulement pragmatique, qui ferait une place au dialogue entendu d’abord comme confrontation d’idées, et ensuite, comme une nécessité imposée par la Loi.]

          Je ne comprends pas comment vous pouvez imposer une « construction commune », un « dialogue entendu comme une confrontation d’idées » par la loi.

          [Qui ne voit que les débats, les vraies confrontations n’ont plus lieu ? Qu’ils sont même presque “criminalisés”, le mot est un peu fort, je vous l’accorde, mais je n’en trouve pas d’autres pour qualifier cette gouvernance managériale de type RH à l’œuvre depuis plus de vingt ans. Eux qui savent …]

          Je ne vois pas de quoi vous parlez. Si notre société se divise en « communautés » de toutes sortes, espaces de solidarité exclusive entre des gens qui se ressemblent, qui réduisent la dynamique sociale à un combat permanent entre elles pour un morceau du gâteau, ce n’est pas à cause d’une quelconque « gouvernance managériale de type RH ». Pourriez-vous être plus précis ?

          [Ai-je de bonnes raisons de craindre qu’il y aura toujours des “nous” et des “eux”, qu’une ligne de partage divise et oppose les individus et que cette ligne si elle peut être partiellement résorbée par l’éducation, n’en demeure pas moins vivace dans la civilisation. Il y a malaise dirait Freud.]

          Là encore, j’ai du mal à comprendre la question. Bien sur qu’il y aura toujours un « nous » et un « eux », parce qu’il y a une ligne de démarcation entre les gens envers qui vous avez des devoirs et sur qui vous avez des droits, et des gens auxquels ne vous lie aucune obligation. Et avant de vous demander si une telle division peut être abolie, il faut se demander s’il est souhaitable qu’elle le soit. Parce que le jour où vous ne ferez plus de différence entre les gens qui vous doivent quelque chose et ceux qui ne vous doivent rien, vous aurez des problèmes…

          La question pour moi est surtout quelle est la collectivité que cette démarcation limite. Je préfère une collectivité d’élection, comme peut-être la nation, plutôt qu’une communauté définie par des éléments sur lesquels on n’a pas de choix (le sexe, l’ethnie, l’origine…).

          [Voilà pourquoi ma préférence, comme la vôtre, va nettement à l’ordre qui peut et doit aussi sans doute générer du désordre alors que ce dernier débouche sur toujours plus de désordre, phénomène que l’accalmie observée ne permet pas d’enrayer.]

          Désolé, mais je n’ai pas compris cette remarque…

          La Loi, donc aussi bien la force, sauf que je regrette beaucoup que la police soit militarisée (regardez leurs équipements et leurs engins !),]

          J’ai regardé leurs équipements et leurs engins, et je ne vois pas où vous voyez une « militarisation ». Ce qui caractérise le militaire, c’est l’utilisation immédiate de la force létale. C’est pourquoi les militaires ne sont équipés ni de flashballs, ni de canons à eau. Parce que les militaires tirent directement à balles réelles, et cela même lorsque leur vie n’est pas menacée.

          • LE PANSE Armel dit :

            Bonjour Descartes,
            Permettez-moi de revenir vers vous après un temps de vacances où j’ai rompu provisoirement avec le contrat social !
            Empathie, compassion : le premier terme est peut-être plus juste mais le deuxième me semble plus fort.
            Empathie à l’égard de la jeune victime et de sa famille, cela va de soi, empathie à l’égard du policier dont la vie est brisée et qui est “lâché” par sa hiérarchie et par la meute médiatique.
            Mais, on est d’accord, fi de ces “disputes grammairiennes” comme dirait Montaigne…
            Je préfère pour ma part aussi le terme de collectivité à celui de communauté, là je vous rejoins complètement.On veut créer ou recréer du lien (sacré ?) dans une nation essoufflée …
            Maintenant, je veux bien préciser rapidement mes réflexions sur le “vivre-ensemble” et l’ordre :
            Surtout pas d’angélisme concernant la société : comment faire se tenir ensemble une si grande diversité de cultures, de croyances et de modes de vie dans une république si ce n’est par le dialogue (les débats) et par la loi (la force, ne serait-ce que celle de la majorité), je ne crois pas qu’il y ait contradiction entre l’un et l’autre, ils sont intrinsèquement nécessaires, même s’ils paraissent opposés.
            Mais l’ordre aujourd’hui, c’est la surveillance généralisée, le contrôle systématique et la peur viscérale du moindre débordement, de la moindre protestation. C’est cela qui personnellement m’inquiète, comme m’inquiète cette escalade vers l’ultra violence qui ne peut plus être endiguée. Il y a depuis les “gilets jaunes”, une convergence secrète des luttes contre un Etat de plus en plus fort (le glaive sans le goupillon) dans une société de services publics de plus en plus faible.
            C’est pour cette raison que je parlais de “militarisation” de la police qui doit faire face aujourd’hui à de nouvelles violences, toujours plus fortes, réellement et symboliquement.
            Autre chose m’inquiète : ce phénomène de “décivilisation” dont on parle beaucoup ces derniers temps, à tort ou à raison, qui semble indiquer un point de non-retour ! On attend avec anxiété la prochaine “bavure” ou le prochain incident, prétexte à ces jeux dangereux d’individus de plus en plus jeunes, nourris dès leur naissance d’un accès internet illimité.
            Je m’arrête là, j’ai à faire dans mon jardin dévasté par les orages, il me faut le remettre en ordre !
            Bien à vous
             
             

            • Descartes dit :

              @ LE PANSE Armel

              [Empathie, compassion : le premier terme est peut-être plus juste mais le deuxième me semble plus fort.]

              Parler de « plus fort » impliquerait qu’entre les deux termes il y a une différence de degré. Je ne pense pas que ce soit le cas. Empathie et compassion font appel à des concepts différents.

              [Maintenant, je veux bien préciser rapidement mes réflexions sur le “vivre-ensemble” et l’ordre :
              Surtout pas d’angélisme concernant la société : comment faire se tenir ensemble une si grande diversité de cultures, de croyances et de modes de vie dans une république si ce n’est par le dialogue (les débats) et par la loi (la force, ne serait-ce que celle de la majorité), je ne crois pas qu’il y ait contradiction entre l’un et l’autre, ils sont intrinsèquement nécessaires, même s’ils paraissent opposés.]

              Le problème, n’est pas de « faire tenir ensemble » une variété de cultures, de croyances et de modes de vie. Le problème est de faire vivre ensemble les INDIVIDUS qui ont ces cultures, qui professent ces croyances, qui ont ce mode de vie. Et pour faire dialoguer entre eux ces individus, il faut qu’ils parlent un langage commun. Et ce langage ne se réduit pas à la langue parlée ou écrite, c’est aussi un cadre conceptuel, des références, une sociabilité qui permet de rentrer en contact et de comprendre ce que l’autre veut dire. Même la loi, pour être appliquée, doit être comprise. Et pour la comprendre, il ne suffit pas de lire le français, il faut aussi intégrer le cotexte de la loi. Vous ne comprenez pas la loi de 1905 de séparation des églises et de l’Etat si vous ne savez pas quel était son objectif, pourquoi elle a été faite.

              [Mais l’ordre aujourd’hui, c’est la surveillance généralisée, le contrôle systématique et la peur viscérale du moindre débordement, de la moindre protestation.]

              Vous savez bien qu’il existe aujourd’hui de nombreux territoires « de non-droit », où la police ne rentre que dans les grandes occasions, et où des « communautés » font régner leur loi, placée au-dessus des lois de la République. Comment conciliez-vous ce phénomène avec voter théorie d’une « surveillance généralisée, contrôle systématique, peur viscérale du moindre débordement, de la moindre protestation » ? Ne pensez-vous pas que si on avait une telle « peur viscérale » et des instruments de contrôle aussi sophistiqués, on ferait quelque chose pour mettre fin à cette situation ?

              [C’est cela qui personnellement m’inquiète, comme m’inquiète cette escalade vers l’ultra violence qui ne peut plus être endiguée. Il y a depuis les “gilets jaunes”, une convergence secrète des luttes contre un Etat de plus en plus fort (le glaive sans le goupillon) dans une société de services publics de plus en plus faible.]

              Où voyez-vous cet « Etat de plus en plus fort » ? Que pensez-vous d’un « Etat fort » obligé d’annuler en de nombreux points les célébrations de la Fête Nationale de peur que quelques milliers d’individus profitent pour piller les magasins ? Non, l’Etat est désespérément faible, et cet affaiblissement ne date pas d’hier : il a été systématiquement organisé et voulu par le bloc dominant, depuis la fin des années 1970. L’ultra-violence des groupuscules n’est pas la CAUSE de cet affaiblissement, mais sa CONSEQUENCE. C’est un symptôme.

              [C’est pour cette raison que je parlais de “militarisation” de la police qui doit faire face aujourd’hui à de nouvelles violences, toujours plus fortes, réellement et symboliquement.]

              Vous ne m’avez toujours pas expliqué en quoi consiste cette « militarisation » que vous percevez…

              [Autre chose m’inquiète : ce phénomène de “décivilisation” dont on parle beaucoup ces derniers temps, à tort ou à raison, qui semble indiquer un point de non-retour ! On attend avec anxiété la prochaine “bavure” ou le prochain incident, prétexte à ces jeux dangereux d’individus de plus en plus jeunes, nourris dès leur naissance d’un accès internet illimité.]

              Je ne serais pas aussi pessimiste. Des épisodes de « décivilisation », on en a eu dans le passé, et aucun n’a été « irréversible ». Pour moi, cette « décivilisation » traduit un approfondissement du capitalisme, qui tend de plus en plus à réaliser la prédiction marxienne de 1848. Mais le capitalisme n’est pas pour moi la fin de l’histoire, l’horizon indépassable de l’humanité.

            • LE PANSE Armel dit :

              Bonjour Descartes,
              En toute franchise et correction (je suis “civilisé” !), j’ai du mal à partager tout à fait vos croyances sur le vivre-ensemble et l’ordre nécessaire à l’accomplissement de cet ensemble.
              D’abord l’Etat est plus fort qu’il n’y parait, ce sont les services publics et tout le maillage social qu’ils produisent qui sont faibles. L’Etat semble tergiverser, s’agenouiller parfois, mais j’ai quand-même l’impression qu’il reste très fort, puissant, avec sa police militarisée (pardon de revenir à la charge !) et son côté monarchique.
              Avec les zones de non-droit des banlieues, l’Etat se donne l’occasion préventive de contrôler tous les individus, pas seulement ceux qui sont hors-la-loi. Je ne sais pas si le phénomène est nouveau mais force est de constater qu’on est dans l’ère de la surveillance généralisée (qui bien entendu dépasse le cadre strict des fonctions étatiques, puisque maintenant, c’est tout un chacun qui surveille l’autre, BFM l’a bien compris en exploitant ce nouveau filon)
              La force nue contre les hordes incontrôlables ne suffit pas à créer du lien (je ne vous accuse pas de dire le contraire) et elle a tendance, par sa démonstration, à insécuriser le reste, majoritaire, de la société.
              Je crois par ailleurs qu’on a un problème avec la violence, avec ce fait anthropologique majeur. Le fait est que celle-ci n’est plus endiguée depuis très longtemps par la société qui s’est elle-même désintégrée, qu’elle devient cette violence anarchique et totalement imprévisible du fait qu’il n’y a aucun espace où elle peut s’exprimer (par exemple le ring, la caserne) et qu’il n’y a plus d’autorité pour la contenir, lui fixer des limites.
              Arriver à une “décence commune” ne justifie pas il me semble que l’Etat déploie une armada du reste contenue par ces voltes faces continuelles entre intervenir et ne pas intervenir.
              La force de l’Etat aurait été de soutenir et d’accompagner ce policier dans l’épreuve terrible de sa conscience d’un acte irréparable. Donc, sur ce point au moins, je suis d’accord, l’Etat est faible.
              Merci pour ce débat, je m’arrête là, d’autant que vous venez de publier un nouveau sujet, polémique, s’il en est !
              Bonne continuation !

            • Descartes dit :

              @ LE PANSE Armel

              [En toute franchise et correction (je suis “civilisé” !), j’ai du mal à partager tout à fait vos croyances sur le vivre-ensemble et l’ordre nécessaire à l’accomplissement de cet ensemble.]

              Je veux bien que vous ne partagiez pas mes opinions. Mais parler de « croyances », cela me paraît un peu fort…

              [D’abord l’Etat est plus fort qu’il n’y parait, ce sont les services publics et tout le maillage social qu’ils produisent qui sont faibles. L’Etat semble tergiverser, s’agenouiller parfois, mais j’ai quand-même l’impression qu’il reste très fort, puissant, avec sa police militarisée (pardon de revenir à la charge !) et son côté monarchique.]

              A quoi mesurez-vous la « force » de l’Etat ? Quand les policiers doivent s’enfermer assiégés dans leurs commissariats par quelques dizaines d’individus violents, c’est une preuve de « force » ? Quand vous dites que l’Etat est « plus fort qu’il n’y paraît », à quoi pensez-vous précisément ? En quoi se manifeste la « force » de l’Etat ? Quant à la « police militarisée », j’attends toujours que vous explicitez en quoi consiste exactement cette « militarisation ».

              Enfin, je vois mal ce que vous appelez « son côté monarchique ». On voit bien, avec la perte de la majorité absolue à l’Assemblée Nationale, combien le caractère « monarchique » de notre constitution est un fantasme.

              [Avec les zones de non-droit des banlieues, l’Etat se donne l’occasion préventive de contrôler tous les individus, pas seulement ceux qui sont hors-la-loi.]

              Autrement dit, l’Etat ne contrôle plus rien pour se donner une occasion préventive de contrôler ? C’est absurde : on voit se multiplier des zones ou l’Etat ne contrôle plus rien. Prenez les points de deal : ils sont répertoriés, connus de la police, et pourtant le trafic continue. Est-ce là le « contrôle de tous les individus » dont vous parlez ?

              [Je ne sais pas si le phénomène est nouveau mais force est de constater qu’on est dans l’ère de la surveillance généralisée (qui bien entendu dépasse le cadre strict des fonctions étatiques, puisque maintenant, c’est tout un chacun qui surveille l’autre, BFM l’a bien compris en exploitant ce nouveau filon)]

              Je me demande jusqu’à quel point cette « surveillance généralisée » dont on nous parle n’est qu’un fantasme. Prenez l’attaque contre la maison du maire de l’Haÿ les Roses. Quinze jours plus tard, on n’a pas identifié un seul des agresseurs. Comment est-ce possible, alors que nous vivons selon vous sous une « surveillance généralisée » ? La réalité est que l’on trouve dans la toile des tonnes « d’information » sur chacun d’entre nous. Mais cette « information » est collectée au petit bonheur la chance, à partir des commandes que nous faisons à Amazon ou des recherches que nous faisons sur Google. La moitié de cette information est inexacte, l’autre moitié difficile à interpréter…

              [Je crois par ailleurs qu’on a un problème avec la violence, avec ce fait anthropologique majeur. Le fait est que celle-ci n’est plus endiguée depuis très longtemps par la société qui s’est elle-même désintégrée, qu’elle devient cette violence anarchique et totalement imprévisible du fait qu’il n’y a aucun espace où elle peut s’exprimer (par exemple le ring, la caserne) et qu’il n’y a plus d’autorité pour la contenir, lui fixer des limites.]

              Historiquement, on a canalisé la violence en la sublimant, et la symbolisant. Les rituels, et notamment les rituels de passage, les compétitions sportives, les défis d’émulation sont des moyens de réguler une violence qui autrement s’exprimerait d’une manière destructrice. Mais je persiste à penser que à la racine de ces régulations il y a le mécanisme de l’empathie. Sans une capacité à voir en l’autre un autre soi-même, difficile de construire une symbolique.

              [Arriver à une “décence commune” ne justifie pas il me semble que l’Etat déploie une armada du reste contenue par ces voltes faces continuelles entre intervenir et ne pas intervenir.]

              Mais où voyez-vous une « armada » ? Que je sache, les policiers ne sont autorisés à utiliser que des armes défensives. Dans ces conditions, parler « d’armada » ou de « militarisation » me paraît pour le moins très discutable.

  17. Carloman dit :


     
    J’ai lu deux fois pour être sûr… On aura tout entendu.

    • Descartes dit :

      @ Carloman

      [J’ai lu deux fois pour être sûr… On aura tout entendu.]

      Ca vous étonne ?

      • Carloman dit :

        @ Descartes,
         
        Ben oui, ça m’a étonné. Entendre l’archétype du gauchiste expliquer que ce que fait Ménard, universellement vilipendé comme étant un des pires fachos, c’est LA solution, ça vaut son pesant de cacahuète, non?
         
        Vous n’êtes pas étonné, vous?

        • Descartes dit :

          @ Carloman

          [Ben oui, ça m’a étonné. Entendre l’archétype du gauchiste expliquer que ce que fait Ménard, universellement vilipendé comme étant un des pires fachos, c’est LA solution, ça vaut son pesant de cacahuète, non?]

          Le “gauchiste” en question a cessé de l’être depuis belle lurette. Cela fait des années que Cohn-Bendit se met toujours du côté du manche. Européiste sous Mitterrand, atlantiste sous Sarkozy, libéral-libertaire sous Macron… la seule chose que cette intervention montre, est que Cohn-Bendit se prépare à ce que l’extrême droite, ou du moins certaines de ses composantes, arrivent au pouvoir…

          • Bob dit :

            @ Descartes
            Très juste, plus opportuniste que Cohn-Bendit, c’est difficile à trouver.
            Personnellement je suis allergique à ce donneur de leçons qui a toujours (au sens de continuellement) ses entrées sur les plateau TV – surtout quand on songe à son passé. Dès qu’il pointe son nez, je change de chaine.

  18. Frankie dit :

    Bonjour,
    Je me permets de reprendre certains éléments de votre réponse et je précise que c’est toujours un plaisir d’échanger des arguments avec vous, même si sur le fond je ne suis pas (toujours) d’accord.
    [Je ne vois pas le rapport avec « Marx et ses héritiers ». A ma connaissance, Marx n’a jamais défendu les gens qui conduisaient une voiture de luxe sans permis, ont failli tuer quelques piétons, et refusent d’obtempérer à un contrôle de police. Marx a écrit d’ailleurs des pages fort négatives sur le lumpen-prolétariat… C’est très mal lire Marx que d’en faire un chantre de la rébellion adolescente.]
    Moi, je le vois très bien au contraire. Marx a une certaine sympathie, peut-être instinctive ou irréfléchie pour l’émeute et les émeutiers. Dans la mesure où beaucoup de révolutions commencent par des émeutes, à commencer par la Révolution Française. Songez à la prise de la Bastille ou avant aux émeutes Réveillon. Là aussi, des biens et des personnes avaient été détruits, parfois sans rapport direct avec les injustices dénoncées. Et je ne parle pas de la Révolution de 48 ou de la Commune. Donc, le fait que certaines personnes dont le cœur penche à gauche voient ou veulent voir dans ces émeutes consécutives à la mort du jeune Nahel le germe d’une étincelle révolutionnaire n’est pas totalement absurde. Le même Marx (et il était bien placé pour le savoir) souligne aussi que l’État et ses institutions, dont la police, sont avant tout au service de la défense des intérêts e la classe dominante, et il ne me semble pas qu’on puisse percevoir dans ses écrits la moindre sympathie pour les forces de “l’ordre”. Il me semble que votre référence à Hobbes et au retour à l’état de nature vous placerait plutôt du côté de la défense de l’ordre établi, ce qui rend du coup difficile la lutte contre le capitalisme ou contre sa variante néo-libérale.
    Il me semble contrairement à vous que les individus et les sociétés actuelles n’ont jamais été aussi “empathiques” avec un seuil de tolérance à la violence qui baisse continuellement, parfois jusqu’au ridicule, d’où l’effet de sidération quand des émeutes éclatent et viennent troubler l’ordre établi. De mon point de vue, les personnes qui se livrent à ce genre d’émeutes sont prises dans un effet de meute qui conduit à la suspension des réflexes ou des sentiments d’empathie, mais c’est un phénomène transitoire qui est me semble-t-il assez commun et bien décrit et je pense qu’on aurait tort d’y voir le symptôme d’une “décivilisation” ou d’un manque d’empathie.
    [Il est toujours difficile de comparer ce qu’on ne sait pas mesurer. Cependant, il y a des signes qui montrent que les jeunes sont aujourd’hui moins capables de se mettre à la place de l’autre. On voit ainsi se multiplier les cas de harcèlement scolaire d’une violence de plus en plus grande, par exemple.]
    Les cas de harcèlement scolaire ont toujours existé, malheureusement, entre les élèves, des élèves vers un prof (relisons LE SANG NOIR) ou inversement. Étant plus jeune (en 3è), je me rappelle très bien d’une jeune fille qui était sexuellement la proie d’un groupe de jeunes hommes et qui avait la réputation qui va avec. Ce qu’ils lui faisaient et qu’elle m’a décrit relevait de l’agression sexuelle ou du viol dirait-on aujourd’hui, mais je ne savais pas quoi faire pour lui venir en aide et les adultes non plus. Je précise que tout ça se passait dans un lycée plutôt bourgeois. J’ai également été le témoin des périodes de carnaval ou de charivari ou de bizutage: dans un cas les jeunes se répandaient dans la ville et volaient ouvertement dans les magasins (de la farine et des œufs); dans l’autre les pratiques étaient assez humiliantes, voire violentes; et il y avait régulièrement des blessés. Donc, non, je ne dirais pas que la violence augmente et je pense que c’est même plutôt le contraire. C’est notre niveau de tolérance à la violence qui diminue (interdiction de la fessée et des gestes violents). Et encore une fois dans le cadre d’une émeute ou d’un mouvement de masse, on ne peut plus se mettre à la place de l’autre, c’est même tout l’intérêt…
    [Admettons. Mais quelle serait votre proposition pour le faire ?]
    C’est là que je suis bien embêté pour vous répondre. Pour faire très court, mon impression est que notre pays subit une forme de régression économique très profonde, à la fois du fait d’un réajustement qui date des 2 guerres mondiales du XXe siècle et du fait de choix politiques malencontreux (l’intégration européenne, le recul de l’industrie et la financiarisation de l’économie). Mais du fait de notre taux d’endettement et des politiques qui sont menées – le chien crevé au fil de l’eau -, je ne vois pas très bien comment faire pour inverser la tendance. Je ne vois pas où trouver l’argent pour le faire et je ne vois pas non plus où trouver les forces politiques pour vouloir le faire. Les Gilets jaunes étaient déjà intéressants: ils étaient plus ou moins dépolitisés, ils rejetaient même la politique, mais ils avaient au moins des revendications à défendre, et vous noterez qu’ils étaient capables de se déplacer pour les faire valoir. Là, les émeutiers ne se déplacent pas vraiment et n’ont pas de revendications à faire valoir: ils détruisent ce qu’ils ont sous la main et ils ravagent les centre-ville proches de leurs banlieues – ça a été le cas à Montargis par exemple. On va mettre des milliers de policiers sur le terrain en priant pour qu’il n’y ait pas de bavures d’un coté comme de l’autre, on va envoyer quelques dizaines ou centaines de jeunes en prison et “l’ordre” va finir par revenir, inévitablement. Sur le fond et si on veut éviter que ce genre d’incident se reproduise tous les 10 ou 15 ans, il faudrait revoir de fond en comble le système éducatif et réformer la police (sur le modèle allemand ou anglais par exemple). Votre argument de “la peur du gendarme” ne me convainc qu’à moitié. Il faut aussi que la population dans son ensemble et quelle que soit son origine sociale ou ethnique puisse avoir confiance dans sa police et ce n’est malheureusement pas le cas. Il me semble que le durcissement des pratiques policières – des pratiques et des discours – date des années Sarkozy et que les choses se sont aggravées avec Hollande et Valls: non seulement dans le rapport avec les banlieues, mais aussi dans le rapport avec les manifestants (voir le sinistre personnage de Didier Lallemand). Ce serait déjà une bonne chose d’inverser la tendance. Le policier, le professeur, le gendarme devraient inspirer le respect et non pas la crainte à mon avis. Mais cela devient de plus en plus difficile, d’où le fait qu’on est de plus en plus tenté d’y voir un ennemi.
    Pour développer sur le thème de la désaffiliation de la jeunesse et le manque de structures d’encadrement, je dirais la chose suivante: l’Éducation Nationale n’est plus capable d’assurer ses missions essentielles et les jeunes le sentent (je ne parle pas des émeutiers mais de la jeunesse en général). Le discours sur les valeurs de la République masque un vide abyssal et un conformisme affligeant. Du fait de la massification de l’enseignement, il n’y a plus vraiment d’exigence en termes de transmission du savoir et pas vraiment d’émulation non plus. En fait, on a l’impression que tout le monde fait semblant: les élèves font semblant d’apprendre et les profs font semblant d’enseigner. Mais parallèlement, le fait de détenir un diplôme n’a jamais été aussi déterminant dans la réussite sociale et professionnelle. C’est un fait que j’ai du mal à m’expliquer, mais il est réel et très français. Donc, on se retrouve dans un système à deux ou plusieurs vitesses où seuls ceux qui ont les bons réseaux (ceux que vous nommez les classes intermédiaires?) sont capables de s’en sortir. Dans les milieux populaires, les familles sont (parfois, pas toujours) déstructurées, l’État et les services publics se retirent et on ne trouve pas de contre-société ouvrière ou communiste ou religieuse (sauf l’islam justement dans certains cas). Une partie de la jeunesse de ce pays est donc plus ou moins livrée à elle-même: beaucoup sont en échec scolaire, certains (une minorité) tournent mal, mais tous ont l’impression que les dés sont pipés dès le départ et qu’ils resteront au bord du chemin. J’ai l’impression que c’est cet ensemble d’éléments qui explique le caractère à la fois éruptif et profondément vain de ces émeutes. C’est ça qui empêche également d’y voir un sens ou un espoir politique.
    Pour finir, j’aimerais bien que vous développiez un point au sujet de l’élection de MLP: quel genre d’électrochoc en attendez ou en attendiez-vous? En quoi cela permettrait-il d’inverser les tendances que nous voyons à l’œuvre – déclin économique et éducatif, perte de stature internationale, désindustrialisation?
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Frankie

      [Moi, je le vois très bien au contraire. Marx a une certaine sympathie, peut-être instinctive ou irréfléchie pour l’émeute et les émeutiers.]

      Pourriez-vous citer un texte précis ? De ce que je sais, Marx a toujours été très critique envers ceux qui appelaient à l’émeute avec l’espoir que cela aboutirait à la révolution. C’est lui qui écrit « la colère peut produire des révoltes, jamais des révolutions ».

      [Dans la mesure où beaucoup de révolutions commencent par des émeutes, à commencer par la Révolution Française. Songez à la prise de la Bastille ou avant aux émeutes Réveillon.]

      La révolution française ne « commence » pas avec la prise de la Bastille. Il y a là une lecture à posteriori. Des révoltes où la populace a envahi la prison et libéré les prisonniers, il y en a pas mal dans l’histoire, qui n’ont pas été suivies de la moindre révolution. Celle- là a acquis une valeur symbolique du fait des évènements postérieurs, mais rien n’indique que ceux-ci soient liés avec celui-là.

      [Là aussi, des biens et des personnes avaient été détruits, parfois sans rapport direct avec les injustices dénoncées.]

      Je ne vois pas lesquels. Dans les émeutes Réveillon, ce furent les hôtels et manufactures des sieurs Réveillon et Henriot qui sont saccagées, les deux industriels ayant décidé de baisser les salaires de leurs employés. A la prise de la Bastille, c’est la Bastille qui est saccagée, pas les boutiques du faubourg… en fait, si l’on tient compte qu’une partie importante de la construction était en bois, on se dit que les émeutiers faisaient très attention avant de mettre le feu à quelque chose.

      [Et je ne parle pas de la Révolution de 48 ou de la Commune.]

      Je ne sais pas que la Révolution de 48 ait causé beaucoup de destructions. Quant à la commune, c’est un épisode de guerre civile, et non une émeute.

      [Donc, le fait que certaines personnes dont le cœur penche à gauche voient ou veulent voir dans ces émeutes consécutives à la mort du jeune Nahel le germe d’une étincelle révolutionnaire n’est pas totalement absurde.]

      Absurde non. Mais la plupart des gens dont le cœur « penche à gauche » – et dont le portefeuille penche de l’autre côté – ne sont nullement marxistes. Marx – comme Lénine plus tard – étaient plutôt critiques justement de cette tendance de la gauche idéaliste et romantique à voir un révolutionnaire derrière chaque émeutier.

      [Le même Marx (et il était bien placé pour le savoir) souligne aussi que l’État et ses institutions, dont la police, sont avant tout au service de la défense des intérêts e la classe dominante, et il ne me semble pas qu’on puisse percevoir dans ses écrits la moindre sympathie pour les forces de “l’ordre”.]

      Certes. Mais l’Etat-gendarme dont parle Marx n’a pas grande chose à voir avec l’Etat-providence que nous connaissons. C’est pourquoi je ne pense pas qu’on puisse utiliser l’analyse que fait Marx de l’Etat de son temps pour comprendre l’Etat d’aujourd’hui sans précautions. Pour ne donner qu’un exemple : si l’Etat et ses institutions « sont avant tout au service des intérêts de la classe dominante », pourquoi défendre les nationalisations et s’opposer aux privatisations ?

      [Il me semble que votre référence à Hobbes et au retour à l’état de nature vous placerait plutôt du côté de la défense de l’ordre établi, ce qui rend du coup difficile la lutte contre le capitalisme ou contre sa variante néo-libérale.]

      Pas du tout. Je fais mienne la formule de Georges Cogniot : « le parti communiste est un parti d’ordre. D’un ordre différent, mais c’est un parti d’ordre ». De par mon éducation, de par mes choix politiques et sociaux, j’ai toujours été un homme d’ordre. Je ne crois pas aux vertus intrinsèques du désordre, pas plus que je ne crois que le désordre fabrique spontanément une société meilleure. En ce sens, je suis hobbésien : le pire ordre vaut mieux que le chaos. Mais cela n’implique nullement que je défende « l’ordre établi ».

      [Il me semble contrairement à vous que les individus et les sociétés actuelles n’ont jamais été aussi “empathiques” avec un seuil de tolérance à la violence qui baisse continuellement, parfois jusqu’au ridicule, d’où l’effet de sidération quand des émeutes éclatent et viennent troubler l’ordre établi.]

      Que le niveau de tolérance à la violence baisse continument, c’est discutable. C’était probablement vrai jusqu’aux années 1970. Mais depuis, des formes de violence sociale qu’on croyait disparues reviennent. Car lorsqu’on parle de violence, on ne peut se contenter de la violence physique. Licencier quelqu’un par simple email, pour la simple raison que les salaires sont moins élevés en Bulgarie, c’est une violence. Ce qu’on observe aujourd’hui dans les cités, ou l’on impose par la terreur les « points de deal », aurait été inconcevable en 1970, tout comme les attaques physiques contre les enseignants.

      Mais à supposer même que la société soit de moins en moins tolérante à la violence, cela n’indique pas qu’elle soit plus empathique. L’empathie n’est pas le seul phénomène qui permet de contrôler et de limiter la violence.

      [De mon point de vue, les personnes qui se livrent à ce genre d’émeutes sont prises dans un effet de meute qui conduit à la suspension des réflexes ou des sentiments d’empathie, mais c’est un phénomène transitoire qui est me semble-t-il assez commun et bien décrit et je pense qu’on aurait tort d’y voir le symptôme d’une “décivilisation” ou d’un manque d’empathie.]

      Mais que se passe-t-il lorsque l’effet de meute se dissipe ? Si celui-ci n’amène qu’une suspension temporaire de l’empathie comme vous le pensez, ces gens, en reprenant leurs sens, devraient être taraudés par le remords d’avoir détruit le bien de leurs concitoyens. Pourtant, je ne vois nulle part du repentir ni même des regrets. Les policiers qui ont eu à interroger les personnes interpellées pendant les violences soulignent au contraire que les délinquants en question n’ont aucune conscience de la portée de leurs actes et ne les regrettent absolument pas.

      [Les cas de harcèlement scolaire ont toujours existé, malheureusement, entre les élèves, des élèves vers un prof (relisons LE SANG NOIR) ou inversement.]

      Certes. Mais rarement avec l’intensité qu’on observe aujourd’hui.

      [J’ai également été le témoin des périodes de carnaval ou de charivari ou de bizutage: dans un cas les jeunes se répandaient dans la ville et volaient ouvertement dans les magasins (de la farine et des œufs); dans l’autre les pratiques étaient assez humiliantes, voire violentes; et il y avait régulièrement des blessés.]

      Là, je pense que vous confondez deux choses. Le bizutage est une cérémonie d’initiation, où chaque génération inflige à la génération suivante les « sévices » qu’elle a subi elle-même des mains de la génération précédente. Autrement dit, la question de l’empathie ne se pose même pas, puisque ceux qui infligent les sévices ont été REELLEMENT à la place de ceux qui les subissent. Après, on peut longuement discuter sur le fait de savoir si l’on doit permettre ou non ces sévices, si ces pratiques « humiliantes, voire violentes » sont ou non positives dans le développement des individus. Personnellement, je ne peux que constater que tout processus d’initiation, toute cérémonie de passage implique une mort symbolique puis une résurrection. Et une mort sans violence n’en est pas vraiment une.

      [Donc, non, je ne dirais pas que la violence augmente et je pense que c’est même plutôt le contraire.]

      Pensez-vous par exemple que les agressions physiques contre les enseignants soient moins nombreuses que dans les années 1960-70 ?

      [C’est notre niveau de tolérance à la violence qui diminue (interdiction de la fessée et des gestes violents).]

      Lacan disait que lorsqu’on cherche à sauver quelque chose, cela veut dire que la chose a déjà disparu. Dans cette affaire, c’est pareil : parce que le niveau de violence augmente, on affiche des gestes symboliques de refus de la violence.

      [Les Gilets jaunes étaient déjà intéressants: ils étaient plus ou moins dépolitisés, ils rejetaient même la politique, mais ils avaient au moins des revendications à défendre, et vous noterez qu’ils étaient capables de se déplacer pour les faire valoir.]

      Quelles étaient ces « revendications », à votre avis ?

      [Sur le fond et si on veut éviter que ce genre d’incident se reproduise tous les 10 ou 15 ans, il faudrait revoir de fond en comble le système éducatif et réformer la police (sur le modèle allemand ou anglais par exemple).]

      Pour le système éducatif, je suis d’accord. Mais cela suppose de réformer bien plus que le système éducatif. L’école ne peut récupérer son statut que si c’est la porte à la promotion sociale, autrement dit, si derrière l’école il y a une sélection méritocratique des élites. Et là, vous commencez à toucher des intérêts très puissants…

      Pour ce qui concerne la police, je ne vois pas très bien en quoi consiste la « réforme » que vous proposez. Le « modèle britannique » ou le « modèle allemand » fonctionnent dans des sociétés très différentes de la nôtre.

      [Votre argument de “la peur du gendarme” ne me convainc qu’à moitié. Il faut aussi que la population dans son ensemble et quelle que soit son origine sociale ou ethnique puisse avoir confiance dans sa police et ce n’est malheureusement pas le cas.]

      Là encore, je ne vois pas de quoi vous parlez. Cela veut dire quoi « la population doit avoir confiance dans sa police » ? Confiance que la police applique la loi ? Confiance que la police fermera les yeux sur leurs trafics ?

      [ Il me semble que le durcissement des pratiques policières – des pratiques et des discours – date des années Sarkozy et que les choses se sont aggravées avec Hollande et Valls: non seulement dans le rapport avec les banlieues, mais aussi dans le rapport avec les manifestants (voir le sinistre personnage de Didier Lallemand).]

      Laissons de côté la question des manifestations, pour nous concentrer sur la question des banlieues. Comment se traduit ce « durcissement » ?

      Il faut revenir aux fondamentaux : est-ce que nous voulons collectivement une police qui fasse appliquer les lois ? Et appliquer les lois, cela veut dire réprimer les trafics, cela veut dire expulser les clandestins, cela veut dire mettre en prison les délinquants. Je repose la question : est-ce que les habitants des cités veulent cela ? Si la réponse est « non », alors toute police sera mauvaise pour eux.

      [Le policier, le professeur, le gendarme devraient inspirer le respect et non pas la crainte à mon avis.]

      Non. Le policier, le gendarme, le professeur doivent être OBEIS. Et le « respect » ne suffit pas pour cela.

      [Mais cela devient de plus en plus difficile, d’où le fait qu’on est de plus en plus tenté d’y voir un ennemi.]

      Mais le policier EST un ennemi. Dans une société qui met en exergue la liberté totale de l’individu, qui affiche fièrement dans les publicités des slogans comme « seule la victoire compte » ou « just do it », bref, dans une société ou le principe de plaisir est porté au pinacle et le principe de réalité mis aux oubliettes, le policier, le gendarme, le professeur, c’est-à-dire, ces gens dont la fonction est précisément de mettre des limites à notre toute-puissance, est forcément un « ennemi ». C’est pourquoi je ne crois pas un instant que l’on peut résoudre le problème par la réforme de la police – ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que la police ne puisse être améliorée.

      [Pour développer sur le thème de la désaffiliation de la jeunesse et le manque de structures d’encadrement, je dirais la chose suivante : l’Éducation Nationale n’est plus capable d’assurer ses missions essentielles et les jeunes le sentent (je ne parle pas des émeutiers mais de la jeunesse en général).]

      Tout à fait d’accord. Mais faisons une petite digression : si les jeunes le sentent, pourquoi n’exigent pas le retour à un véritable encadrement ? Pourquoi au lieu de manifester contre la sélection à l’université ou contre la police, ils ne manifestent pas pour exiger une école – et au-delà de l’école, pour des institutions – qui les encadrent véritablement ? Il y a là une contradiction intéressante : jeunes et parents clament que les institutions n’encadrent pas suffisamment, mais quand les institutions essayent d’encadrer, c’est la révolte dans les rangs…

      [Le discours sur les valeurs de la République masque un vide abyssal et un conformisme affligeant.]

      Oui, tout à fait. Parce qu’on a transformé ce qui devrait être un discours politique au sens noble du terme en une moraline.

      [Du fait de la massification de l’enseignement, il n’y a plus vraiment d’exigence en termes de transmission du savoir et pas vraiment d’émulation non plus.]

      Je ne pense pas qu’il faille rejeter le problème sur la « massification ». Le problème est surtout l’affaiblissement de la logique méritocratique. Pour le dire simplement : les classes intermédiaires ne veulent pas de la méritocratie, parce que la méritocratie implique de rebattre les cartes à chaque génération, et met donc en danger sa propre reproduction.

      [En fait, on a l’impression que tout le monde fait semblant : les élèves font semblant d’apprendre et les profs font semblant d’enseigner. Mais parallèlement, le fait de détenir un diplôme n’a jamais été aussi déterminant dans la réussite sociale et professionnelle. C’est un fait que j’ai du mal à m’expliquer, mais il est réel et très français.]

      Je pense que l’explication est très simple. Oui, le diplôme était déterminant dans la France méritocratique du siècle dernier, parce que le diplôme était rare et reflétait un véritable niveau de connaissances et de compétences. Depuis, le niveau a beaucoup baissé et pour certains diplômes il faut vraiment le faire exprès pour les rater. Alors, le diplôme n’est plus – et sera de moins en moins – déterminant, mais les parents – qui on l’expérience de leur propre époque – ne l’ont pas encore compris. On peut aujourd’hui se demander si tous ces gens ne poursuivent pas un mirage : lorsque tout le monde aura un master, le master ne garantira plus rien.

      [Donc, on se retrouve dans un système à deux ou plusieurs vitesses où seuls ceux qui ont les bons réseaux (ceux que vous nommez les classes intermédiaires?) sont capables de s’en sortir. Dans les milieux populaires, les familles sont (parfois, pas toujours) déstructurées, l’État et les services publics se retirent et on ne trouve pas de contre-société ouvrière ou communiste ou religieuse (sauf l’islam justement dans certains cas). Une partie de la jeunesse de ce pays est donc plus ou moins livrée à elle-même : beaucoup sont en échec scolaire, certains (une minorité) tournent mal, mais tous ont l’impression que les dés sont pipés dès le départ et qu’ils resteront au bord du chemin.]

      C’est exactement mon diagnostic. Les institutions qui encadraient la jeunesse et lui proposaient un avenir fondé sur les valeurs positives – le travail, l’effort, le savoir – ont été systématiquement détruites par ces mêmes classes intermédiaires qui aujourd’hui versent des larmes de crocodile sur elles. Et qui continuent à faire de la diversion : il suffit de lire « Le Monde », ou « Libération », d’écouter « France inter », qui sont leur porte-voix, pour s’en convaincre. Le problème, nous dit-on, c’est le « racisme », ce sont les « discriminations ». Le fait que l’horizon de la jeunesse des couches populaires – quelque soit sa couleur de peau et ses origines – est pudiquement laissé de côté.

      [Pour finir, j’aimerais bien que vous développiez un point au sujet de l’élection de MLP: quel genre d’électrochoc en attendez ou en attendiez-vous? En quoi cela permettrait-il d’inverser les tendances que nous voyons à l’œuvre – déclin économique et éducatif, perte de stature internationale, désindustrialisation ?]

      Mon intuition est la suivante : depuis les années 1980-90, les couches populaires ont été progressivement marginalisées de l’espace politique. Cela résulte d’un rapport de forces économique, bien sûr, mais aussi d’un rapport de forces électoral. Les élites pouvaient négliger sans trop de risque cet électorat, puisque celui-ci avait le choix entre l’abstention le vote pour des candidats de témoignage. De ce fait, les élections se gagnaient au centre, et le débat était qui, du PS ou LR allait conquérir la frange centriste qui lui permettrait d’arriver au pouvoir. Au point qu’en 2017 les forces centrales ont finalement décidé qu’au lieu d’alterner au pouvoir tous les cinq ans il valait mieux se répartir les postes.

      La montée en puissance du RN perturbe ce schéma. A partir du moment où il capte le vote populaire et que ses candidats ont une véritable chance d’être élus, les autres partis ne peuvent plus se permettre d’ignorer cet électorat. Quand le RN fait élire quatre-vingt députés, on ne peut plus se permettre de faire comme si ceux qui les ont élus n’existaient pas. En ce sens, l’élection de MLP aurait été un électrochoc : les élites auraient pris une conscience aigue du risque qu’il y a à ignorer les intérêts des couches populaires.

      Le fait est qu’aujourd’hui le seul vote qui fait peur aux élites néolibérales n’est pas le vote communiste, n’est pas le vote LFI…

  19. Frankie dit :

    Bonjour,
    Je reviens sur votre questionnement de départ, qui m’a donné pas mal à réfléchir.
    [Pourquoi cette différence ? Pourquoi la mort donnée accidentellement par un policier – car personne n’imagine que le policier ait eu l’intention préméditée d’assassiner l’adolescent – provoque un tel émoi, alors que la mort donnée volontairement, de façon préméditée et avec la plus grande barbarie par des trafiquants de drogue semble accueillie comme chose normale, comme un « drame excusable », pour reprendre la formule présidentielle ? Pourquoi, si le moteur des violences urbaines qu’on a pu voir ces derniers jours sont la « colère » et le sentiment de « solidarité », celles-ci sont aussi sélectives ?]
    Dans un premier temps, j’ai eu le sentiment que votre question et votre étonnement devant cette différence de traitement relevait de la fausse naïveté. Vous faites semblant de vous étonner parce que 1/ vous désapprouvez ces émeutes et 2/ vous considérez qu’il serait plus légitime de se révolter contre les trafiquants et les criminels qui sévissent dans ces quartiers (en l’occurrence les quartiers nord de Marseille) plutôt que contre un policier qui a tué plus ou moins accidentellement un jeune délinquant (qui conduisait sans permis et a refusé d’obtempérer). D’ailleurs, la suite de votre analyse et votre hypothèse du manque d’empathie dû à un approfondissement de la logique capitaliste (si j’ai bien suivi) ne permet pas non plus de répondre de manière totalement satisfaisante à la question posée au départ.
    Dans un deuxième temps, j’ai dû constater que pour ce qui me concerne, je comprenais très bien pourquoi les jeunes en question s’étaient révoltés contre la mort d’un des “leurs” quand il était tué par la police et pas quand il était tué par un criminel. Mais j’avais du mal à me l’expliquer… Dans les deux cas, il s’agit d’une mort injuste: même si Nahel était en infraction, il me méritait pas de mourir de cette façon; même si le jeune victime d’un règlement de compte participait au trafic, il ne méritait pas de mourir comme ça. Qu’est-ce qui fait que dans un cas, on s’identifie à la victime et on identifie les symboles de l’État avec le policier responsable du tir, au point de brûler, piller, détruire, etc. pour manifester sa colère? Qu’est-ce qui fait que l’une de ces morts paraît plus “anormale” que l’autre?
    Il me semble que cela vient du fait que l’auteur est justement un policier et pas un criminel. Il a ou devrait avoir pour fonction de protéger la population. De plus, et comme dans beaucoup d’affaires de ce genre, les deux policiers mis en cause ont commencé par mentir pour se couvrir, avant d’être démentis par les enregistrements vidéo et audio. Autrement dit, que des trafiquants ou des criminels règlent leurs comptes et fassent éventuellement des dégâts parmi la population, c’est dans l’ordre des choses, ce sont des choses qui arrivent accidentellement et c’est ça qui fait qu’il est si difficile de s’identifier à la victime en pensant que la même chose pourrait nous arriver. Dans le cas de Nahel, c’est très facile au contraire: de nombreux jeunes conduisent ou ont conduit sans permis et il semble même que certains considèrent que c’est “normal” ou excusable”. Pour eux, c’est un péché véniel ou une faute mineure qui ne mérite pas la mort (et il me semble que c’est un point de vue compréhensible). Par ailleurs, un grand nombre de ces jeunes sont ou se disent victimes de contrôles d’identité au faciès et ils ont des rapports exécrables avec la police. Certains sont contrôlés plusieurs fois par jour. Même s’ils ne sont pas délinquants ou n’ont pas de casier, ils peuvent s”identifier avec cette histoire du contrôle qui tourne mal. On avait assisté à la même chose avec Zied et Bouhna (ils s’enfuyaient parce qu’ils avaient peur de la police, dans leur cas, la crainte du gendarme était bien là) et Adama Traoré (dans son cas, l’histoire est passablement plus compliquée). Il me semble que l’explication est là et que si on veut faire évoluer les choses dans le bon sens, il est indispensable de réformer les forces de police et de leur donner une meilleure formation. Sur le fond et sur la forme, il n’y a pas de raison pour que les habitants de ces quartiers soient traités différemment des habitants de la campagne ou des centre-ville. Or, c’est le cas; on peut sans doute l’expliquer (insécurité, pauvreté, présence de trafics) mais certainement pas le justifier et faire comme si tous les habitants de ces quartiers étaient des criminels en puissance ou des trafiquants de drogue.
    Autrement dit: même si la mort de ce jeune homme a donné lieu à des destructions et à des pillages, à des émeutes qui avaient parfois des airs de carnaval, à des agressions inexcusables, il me semble qu’elle n’a pas été non plus qu’un simple prétexte et que le sentiment de révolte engendré par cette bavure était tout à fait sincère au départ.
    Évidemment, je suis bien conscient que le travail des policiers est extrêmement difficile et ingrat, d’autant plus qu’ils souffrent d’un manque de considération général. Mais ce que je crains, si on excuse ce genre de comportement ou si on se met à élargir les conditions à l’usage d’une arme mortelle, c’est une montée de la violence des deux côtés, avec des morts des deux côtés, inévitablement.
    J’ai l’impression que la dérive “sécuritaire” à laquelle on assiste depuis plusieurs années, avec des lois qui s’empilent et un discours des syndicats de police de plus en plus agressif, vient paradoxalement de la faiblesse du pouvoir politique: mal élu, impuissant, réduit à faire de la communication, la tentation des grande de se servir des “forces de l’ordre” pour museler toute forme de contestation ou pour faire régner un semblant d’ordre dans les quartiers sensibles.
     
     

    • Descartes dit :

      @ Frankie

      [Dans un premier temps, j’ai eu le sentiment que votre question et votre étonnement devant cette différence de traitement relevait de la fausse naïveté. Vous faites semblant de vous étonner parce que 1/ vous désapprouvez ces émeutes et 2/ vous considérez qu’il serait plus légitime de se révolter contre les trafiquants et les criminels qui sévissent dans ces quartiers (en l’occurrence les quartiers nord de Marseille) plutôt que contre un policier qui a tué plus ou moins accidentellement un jeune délinquant (qui conduisait sans permis et a refusé d’obtempérer).]

      Non. Je ne fais pas « semblant de m’étonner ». Je signale simplement une contradiction dans le discours des éminents professeurs de sociologie qui se répandent sur les ondes de « France Inter » et dans les pages du « Monde » nous expliquant que si le jeunes se révoltent, c’est parce que « ce qui est arrivé à Nahel aurait pu leur arriver », qu’ils voient en Nahel un « semblable ». Si ce raisonnement était juste, on devrait assister aussi à des émeutes chaque fois qu’un jeune de cité est tué par une balle perdue lors d’un règlement de comptes, ou dans une rixe entre bandes. Or, ce n’est pas le cas. L’explication en question mérite donc d’être remise en question.

      [D’ailleurs, la suite de votre analyse et votre hypothèse du manque d’empathie dû à un approfondissement de la logique capitaliste (si j’ai bien suivi) ne permet pas non plus de répondre de manière totalement satisfaisante à la question posée au départ.]

      Mon hypothèse sur le manque d’empathie ne prétend pas répondre à la question de la cause des violences, mais de leur étendue. Ce qui étonne dans ces émeutes, c’est la destruction de biens qui non seulement sont sans rapport avec l’incident censé les avoir déclenchées, mais surtout des biens qui sont utiles aux habitants des quartiers, qui améliorent leur vie quotidienne. Comment des gens peuvent-ils brûler le gymnase où ils font eux-mêmes du sport, la bibliothèque qui leur ouvre ses portes, l’école où leurs frères et sœurs iront étudier ? Si les émeutiers ne font pas ce lien entre leurs actes et le dommage qu’ils causent à autrui, c’est à mon avis parce qu’autrui, justement, n’existe pas pour eux. Qu’ils sont enfermés dans une vision ou seul le « moi » compte.

      [Dans un deuxième temps, j’ai dû constater que pour ce qui me concerne, je comprenais très bien pourquoi les jeunes en question s’étaient révoltés contre la mort d’un des “leurs” quand il était tué par la police et pas quand il était tué par un criminel. Mais j’avais du mal à me l’expliquer…]

      Je ne saisis pas : si vous le « comprenez », vous ne devriez pas avoir de difficulté à « vous l’expliquer »… les deux expressions sont pratiquement synonymes.

      [Dans les deux cas, il s’agit d’une mort injuste: même si Nahel était en infraction, il me méritait pas de mourir de cette façon; même si le jeune victime d’un règlement de compte participait au trafic, il ne méritait pas de mourir comme ça. Qu’est-ce qui fait que dans un cas, on s’identifie à la victime et on identifie les symboles de l’État avec le policier responsable du tir, au point de brûler, piller, détruire, etc. pour manifester sa colère? Qu’est-ce qui fait que l’une de ces morts paraît plus “anormale” que l’autre?]

      Et accessoirement, pourquoi brule-t-on des biens qui n’ont aucun rapport avec la police ni même avec l’Etat ? Bruler un commissariat pour marquer son rejet de l’Etat, on peut le comprendre ; bruler une bibliothèque, c’est déjà moins évident. Mais brûler la voiture du voisin ? Bruler la boulangerie du quartier ? Ces exemples tendent à faire penser que la motivation des émeutiers n’est pas d’attaquer l’Etat, que ce n’est là qu’un prétexte et qu’il faut aller chercher ailleurs. Et en dehors du plaisir ludique de détruire, j’ai du mal à trouver une motivation qui permette à la fois d’expliquer le feu dans le commissariat, dans le gymnase, dans la voiture du voisin et dans la boulangerie du quartier.

      [Il me semble que cela vient du fait que l’auteur est justement un policier et pas un criminel.]

      Cela conduit à un raisonnement paradoxal, du moins si l’on prend pour argent comptant les dires des doctes sociologues dont je parlais plus haut. En effet, ils nous disent que les jeunes des quartiers haïssent la police, et qu’ils tiennent les policiers pour des criminels (idée à laquelle un certain nombre de dirigeants politiques se sont fait écho avec la formule « la police tue »). Si l’on suit ce raisonnement, alors les « djeunes » en question ne devraient pas juger plus sévèrement le policier qu’ils ne jugent le trafiquant. Après tout, en quoi est-ce surprenant qu’un assassin tue ?

      Votre raisonnement impliquerait que les jeunes émeutiers auraient une haute opinion de la police, que le policier qui tire a d’une certaine manière trahi leurs expectatives, qu’il n’a pas tenu un engagement auquel ces jeunes croient. Est-ce le cas, à votre avis ?

      [De plus, et comme dans beaucoup d’affaires de ce genre, les deux policiers mis en cause ont commencé par mentir pour se couvrir, avant d’être démentis par les enregistrements vidéo et audio.]

      Nous ne le savons pas. Pour le moment, nous n’avons pas accès aux rapports des deux policiers, ni aux déclarations qu’ils auraient fait à leur hiérarchie. Tout le reste est rumeur.

      [Autrement dit, que des trafiquants ou des criminels règlent leurs comptes et fassent éventuellement des dégâts parmi la population, c’est dans l’ordre des choses, ce sont des choses qui arrivent accidentellement et c’est ça qui fait qu’il est si difficile de s’identifier à la victime en pensant que la même chose pourrait nous arriver.]

      Pardon, mais si l’on est convaincu que « la police tue », que les policiers sont racistes et aiment tirer les « djeunes » comme des lapins, alors la mort de Nahel est tout aussi « normale » que celle d’un « chouf » pris dans un règlement de comptes. Encore une fois, vous plantez dans la tête des émeutiers un raisonnement qui est le vôtre, sans vous apercevoir que vous partez d’une prémisse (« la police est là pour protéger la population, la police n’utilise pas ses armes n’importe comment ») qui n’est absolument pas partagée par eux.

      [Dans le cas de Nahel, c’est très facile au contraire: de nombreux jeunes conduisent ou ont conduit sans permis et il semble même que certains considèrent que c’est “normal” ou excusable”. Pour eux, c’est un péché véniel ou une faute mineure qui ne mérite pas la mort (et il me semble que c’est un point de vue compréhensible).]

      Mais là encore, faites le raisonnement symétrique : pensez-vous que pour ces jeunes faire le « chouf » soit un péché mortel ?

      [Par ailleurs, un grand nombre de ces jeunes sont ou se disent victimes de contrôles d’identité au faciès et ils ont des rapports exécrables avec la police. Certains sont contrôlés plusieurs fois par jour.]

      Je ne sais pas. J’ai vécu en cité, et ni moi ni mes amis n’étaient « contrôlés plusieurs fois par jour ». Mais à supposer même que ce soit vrai, devoir montrer plusieurs fois par jour sa carte d’identité n’est pas, que je sache, une horrible vexation. Mon badge est contrôlé chaque fois que je rentre sur mon lieu de travail, et je ne me considère pas brimé pour autant. Encore une fois, les contrôles d’identité sont un prétexte, et non la cause des « rapports exécrables ». La véritable raison, c’est que la police est aujourd’hui la seule institution qui dispute le contrôle du territoire aux adolescents, qui perturbe leurs trafics, qui met une limite à leur toute-puissance.

      [Même s’ils ne sont pas délinquants ou n’ont pas de casier, ils peuvent s’identifiera avec cette histoire du contrôle qui tourne mal.]

      Admettons. Mais entre « s’identifier » et sortir incendier la médiathèque, il y a quand même une distance. Je m’identifie à beaucoup de victimes dans le monde, et je ne sors pas vandaliser ma rue pour autant.

      [On avait assisté à la même chose avec Zied et Bouhna (ils s’enfuyaient parce qu’ils avaient peur de la police, dans leur cas, la crainte du gendarme était bien là)]

      Certainement pas. S’ils en avaient eu vraiment peur, ils auraient obéi aux injonctions de la police. Là encore, s’ils avaient vraiment eu peur du gendarme, ils seraient peut-être en vie.

      [Il me semble que l’explication est là et que si on veut faire évoluer les choses dans le bon sens, il est indispensable de réformer les forces de police et de leur donner une meilleure formation. Sur le fond et sur la forme, il n’y a pas de raison pour que les habitants de ces quartiers soient traités différemment des habitants de la campagne ou des centre-ville.]

      Je suis tout à fait d’accord. On ne tolère pas dans le centre-ville ou à la campagne les trafics, les points de deal, les « nourrices ». Pensez-vous qu’il faille appliquer la même rigueur, la même tolérance zéro ? Pensez-vous que les habitants de ces quartiers, dont beaucoup vivent des trafics, seraient ravis de voir votre police « réformée » débarquer ?

      Il faut être naïf pour croire que si la police était réformée les habitants des cités se mettraient tout à coup à aimer les policiers. La police, au risque de me répéter, est là pour mettre des limites. On peut en accepter la nécessité, mais on ne l’aime jamais.

      [Or, c’est le cas; on peut sans doute l’expliquer (insécurité, pauvreté, présence de trafics) mais certainement pas le justifier et faire comme si tous les habitants de ces quartiers étaient des criminels en puissance ou des trafiquants de drogue.]

      Non, tous non… mais ceux qui ne le sont pas ne semblent pas avoir très envie qu’on mette les autres en prison…

      [Autrement dit: même si la mort de ce jeune homme a donné lieu à des destructions et à des pillages, à des émeutes qui avaient parfois des airs de carnaval, à des agressions inexcusables, il me semble qu’elle n’a pas été non plus qu’un simple prétexte et que le sentiment de révolte engendré par cette bavure était tout à fait sincère au départ.]

      Eh bien, nous ne sommes pas d’accord. Comme je vous l’ai dit, il est curieux que ce « sentiment de révolte » n’apparaisse qu’à l’heure de casser, et jamais à l’heure de construire. Qu’il se manifeste lorsqu’il s’agit d’empêcher la police de rentrer dans la cité, mais pas lorsqu’il s’agit d’empêcher les trafiquants d’exercer leurs activités. Que cette révolte se manifeste dans la destruction de biens n’ayant absolument aucun rapport avec son origine supposée. Tant qu’on ne m’aura proposé une explication rationnelle à ces comportements, je continuerai à penser que la mort de Nahel n’a été qu’un prétexte, mis à profit par des groupes qui ont leurs propres objectifs.

      [Évidemment, je suis bien conscient que le travail des policiers est extrêmement difficile et ingrat, d’autant plus qu’ils souffrent d’un manque de considération général. Mais ce que je crains, si on excuse ce genre de comportement ou si on se met à élargir les conditions à l’usage d’une arme mortelle, c’est une montée de la violence des deux côtés, avec des morts des deux côtés, inévitablement.]

      La peur de la violence engendre une violence encore pire. Si les policiers ne peuvent pas raisonnablement se défendre lorsqu’ils se sentent menacés, s’ils ne sont pas protégés par la société et ne peuvent compter sur sa bienveillance lorsqu’ils commettent une erreur de bonne foi, alors ils n’iront plus dans certains territoires – c’est d’ailleurs le but recherché par les « bandes » et autres trafiquants – et fermeront les yeux devant certaines situations pour ne pas avoir d’ennuis. Et à la fin, ce sera la violence des délinquants qui s’imposera. C’est d’ailleurs ce qu’on observe : il y a des zones de non-droit, ou la police ne va plus parce qu’elle sait qu’en cas d’incident elle sera invariablement sur le banc des accusés. Les trafiquants, reconnaissants…

      [J’ai l’impression que la dérive “sécuritaire” à laquelle on assiste depuis plusieurs années,]

      Quelle « dérive sécuritaire » ? On a un discours sécuritaire, oui, dont le but est de cacher le fait que sur le terrain on ne fait rien. On fait des lois qui en théorie sont de plus en plus répressives, mais qui en pratique restent lettre morte. Si dérive il y a, c’est surtout une dérive in-sécuritaire.

  20. LE PANSE Armel dit :

    je rappelle juste que le gendarme est un militaire et qu’il opère en zone rurale, la “peur du gendarme” fonctionnait bien naguère sans les zones rurales ou l’on observe encore aujourd’hui plus d’urbanité qu’en ville à proprement parler.
    On ne traite qu’improprement de “flic” ou de “sale flic” le gendarme ! Mais son uniforme ne fait plus peur non plus …

  21. Sylla dit :

    Bonsoir Descartes,
     
    ou Malebranche…Je n’arrive tjrs pas à faire des §, donc… qq accords et bcp de désaccords, mais empathie->peur du gendarme?
     
    l’empathie n’est pas très politique (même si lever les yeux me semble important)… Nous mettons les jeunes sur l’autel, pressurons les adultes, et parquons les vieux…Quoi d’autre? L’exemple d’en haut est stupéfiant, et nous acceptons l’abominable. D’une certaine manière : y a t il société? Voire y a t il jamais eu société? Ou juste des tentatives de sociétés?
     
    P.S. : J’aimerais échanger plus (cf mes précédents posts) mais l’incapacité à former un § me limite par trop. Bonne continuation en tout cas!

    • Descartes dit :

      @ Sylla

      [l’empathie n’est pas très politique (même si lever les yeux me semble important)…]

      Comment un concept aussi important dans la constitution des sociétés humaines peut ne pas être « politique » ? Je pense au contraire que l’empathie est essentielle pour comprendre l’évolution des systèmes politiques, y compris dans leurs dérives. Pourquoi pensez-vous que les grands génocides aient toujours été précédés d’un discours pédagogique niant à l’autre le caractère d’être humain, de le déshumaniser ? Parce que l’être humain a internalisé un mécanisme puissant qui l’empêche de faire du mal impunément à un autre être humain. Ce mécanisme explique en partie pourquoi les sociétés humaines ne dégénèrent pas dans la violence, même dans des situations extrêmes.

      [Nous mettons les jeunes sur l’autel, pressurons les adultes, et parquons les vieux…Quoi d’autre?]

      Vous faites cela, vous ? Pas moi. L’utilisation ici du « nous » introduit un élément de culpabilisation que je refuse. Je n’ai aucune raison de me frapper la poitrine pour des péchés que je n’ai pas commis.

      [L’exemple d’en haut est stupéfiant, et nous acceptons l’abominable. D’une certaine manière : y a t il société ? Voire y a t il jamais eu société ? Ou juste des tentatives de sociétés ?]

      Pour vous répondre, il faudrait savoir ce que vous entendez par « société ». Si par « société » vous entendez une communauté humaine organisée par des institutions, il est évident qu’il y a des sociétés. Mais vous avez peut-être une autre définition ?

      [P.S. : J’aimerais échanger plus (cf mes précédents posts) mais l’incapacité à former un § me limite par trop. Bonne continuation en tout cas!]

      Je n’ai pas compris votre difficulté. Pourriez-vous préciser ?

      • Sylla dit :

        Les § n’apparaissent pas, ou je ne sais pas les taper ici (sauf précédemment pour je ne sais quelle raison).
         
        Certes…avoir des conséquences politiques ou permettre une description d’une société ne fait pourtant pas un concept politique, opératoire donc. Je me souviens  d’un ami trotskiste qui répondait à la question de l’altruisme par l’intérêt égoïste bien compris. Mais peut être que le moto hégélien “le concept est efficient, l’efficience est concept” est trop exigeant. En aparté, il me semble que “sympathie” est plus approprié à l’usage que vous faites d’empathie. La sympathie nécessite un commun, soit une abstraction, comme la communauté, religieuse, nationale etc, qui identifie et relie des êtres, soit une expérience partagée qui crée de fait cet alter ego ; l’empathie me permet de me représenter le pathos d’autrui sans pour autant le ressentir. Et l’empathie n’est pas un frein, voire peut être un carburant (avec pour extrême le sadisme). Dans cette approche notre société déborde d’empathie comme jamais. Dans un but utilitaire essentiellement.  Et effectivement, un redécoupage de ces sympathies entraîne un redécoupage des communautés, lui éminemment politique.
         
        “ce que vous entendez par « société »”. J’interrogeais un présupposé en quelque sorte. Vous avez écrit “c’est l’empathie qui est le fondement de la paix civile”, et, ici, “un concept aussi important dans la constitution des sociétés humaines”.
         
        Autant bâtir sur des sentiments comme l’amour ou la peur, ou plus généralement sur un sens commun, religion, nation, humanité, ou expérience partagée me semble réaliste, autant miser sur une action volontaire -où l’un est en capacité de se représenter le pathos de l’autre- me semble hasardeux, sans compter que cette capacité peut être situationnelle et surtout découle selon moi de toute manière d’un commun préexistant : elle nécessite l’alter ego mais ne le crée pas. En ce(s) sens -de la définition hégélienne du concept à la création de l’alter ego, considérations toutes théoriques- y a t il jamais eu société fondée sur l’empathie? Question uniquement pour le plaisir de la disputatio, mais il me semble qu’au contraire l’empathie est une première (et fatale) distanciation, au mieux un pis aller
         
        “Vous faites cela, vous ?” Je ne m’extraie pas de la société. Comme la réunion avec de vieux amis que vous nous avez narrée, nul n’a voulu le résultat, ce dernier est pourtant advenu. Pourquoi d’ailleurs imaginer une culpabilité individuelle? Si le registre religieux est convoqué, l’ignorance n’est pas un péché.
         
        P.S. : “Non, le but est le spectacle, et surtout, se donner en spectacle.” m’a fait penser à une déclaration de Véran, à propos de ces groupes qui, je cite, “se sont livrés à des scènes de pillages violents(sic)”.
        Déformation professionnelle : on se livre à des actes, et on assiste à une scène. Les seuls cas où la scène est un acte sont la scène de ménage, et la scène jouée/filmée, une pièce de théâtre se décomposant en scènes et en actes.
         
         

        • Descartes dit :

          @ Sylla

          [Les § n’apparaissent pas, ou je ne sais pas les taper ici (sauf précédemment pour je ne sais quelle raison).]

          Utilisez alors les « [] » comme je le fais, ça passe dans toutes circonstances…

          [Je me souviens d’un ami trotskiste qui répondait à la question de l’altruisme par l’intérêt égoïste bien compris.]

          Les matérialistes schématiques ont tendance à refuser toute explication qui fait intervenir les réflexes idéalistes. Mais un matérialiste sérieux considérera que ces comportements ont eux-mêmes une base matérielle. Votre ami trotskyste ferait mieux de relire Hobbes… il comprendrait que certains comportements « altruistes » sont en fait liés à un intérêt bien compris.

          [En aparté, il me semble que “sympathie” est plus approprié à l’usage que vous faites d’empathie. La sympathie nécessite un commun, soit une abstraction, comme la communauté, religieuse, nationale etc, qui identifie et relie des êtres, soit une expérience partagée qui crée de fait cet alter ego ; l’empathie me permet de me représenter le pathos d’autrui sans pour autant le ressentir.]

          Le mot sympathie me paraît beaucoup trop fort. Mais les deux concepts se recouvrent en partie.

          [Autant bâtir sur des sentiments comme l’amour ou la peur, ou plus généralement sur un sens commun, religion, nation, humanité, ou expérience partagée me semble réaliste, autant miser sur une action volontaire -où l’un est en capacité de se représenter le pathos de l’autre- me semble hasardeux,]

          L’empathie n’est pas un sentiment, c’est un MECANISME. Par ailleurs, il ne s’agit pas de choisir entre l’empathie est les « communs » comme si l’un excluait l’autre. L’existence d’un « commun » (d’un langage qui permet de communiquer, d’un cadre de référence qui permet de se comprendre) est une condition pour que le mécanisme de l’empathie se déclenche, parce que pour partager les peurs, les joies, les peines de quelqu’un encore faut-il qu’on puisse communiquer.

          [En ce(s) sens -de la définition hégélienne du concept à la création de l’alter ego, considérations toutes théoriques- y a t il jamais eu société fondée sur l’empathie? Question uniquement pour le plaisir de la disputatio, mais il me semble qu’au contraire l’empathie est une première (et fatale) distanciation, au mieux un pis aller]

          Je pense que TOUTE société repose sur l’empathie. Une collectivité dont chaque membre serait incapable de se mettre à la place des autres, de comprendre leurs joies et leurs peines et de les ressentir en partie comme propres aurait beaucoup de mal à constituer une « société ». Ensuite, on peut se demander COMMENT certains groupes humains déclenchent et encouragent ce mécanisme qu’est l’empathie (et qui est potentiellement présent chez presque tous les animaux supérieurs).

          [“Vous faites cela, vous ?” Je ne m’extraie pas de la société.]

          Certes, mais l’excès inverse, qui consiste à se confondre avec la société, est tout aussi néfaste. Je n’utilise pas le « nous » quand il s’agit de comportements que non seulement je n’approuve pas, mais que j’ai passé toute ma vie à combattre.

          [Comme la réunion avec de vieux amis que vous nous avez narrée, nul n’a voulu le résultat, ce dernier est pourtant advenu. Pourquoi d’ailleurs imaginer une culpabilité individuelle ? Si le registre religieux est convoqué, l’ignorance n’est pas un péché.]

          L’ignorance non, mais l’aveuglement, surtout quand il est volontaire, oui.

  22. P2R dit :

    @ Descartes 
     
    Vous vous interrogez sur la raison qui fait qu’un mineur tué lors d’un règlement de compte ne provoque pas de mouvements de révolte tels qu’on les connais quand c’est la police qui en est à l’origine. 
    j’enfonce surement une porte ouverte mais il me semble qu’une des raisons, sinon LA raison est que dans les quartiers, ce n’est plus la police républicaine qui est détentrice de la violence légitime, mais les réseaux mafieux. La mort du chouf est regrettable mais est un corolaire inévitable d’un système « institutionnalisé » en ce qu’il perfuse de liquidité ces quartiers, et profite par conséquence d’un effet d’omerta tel que même la perte d’un jeune de la communauté n’est pas une raison suffisante pour déstabiliser l’architecture sociale et financière reposant sur les trafics. 
     

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [j’enfonce surement une porte ouverte mais il me semble qu’une des raisons, sinon LA raison est que dans les quartiers, ce n’est plus la police républicaine qui est détentrice de la violence légitime, mais les réseaux mafieux.]

      Les grands esprits se rencontrent… j’ai failli mettre un paragraphe sur cette question dans la réponse à un autre commentateur. Oui, dans notre France fragmentée, certaines communautés semblent ne plus reconnaître à l’Etat le monopole de la violence légitime. Et ce n’est pas seulement le cas pour les « djeunes » des quartiers : c’est plus ou moins le discours tenu par les élus et dirigeants de LFI. Lorsque Mélenchon dit, à propos des émeutes, que « les manifestations prennent la forme qu’elles veulent », il admet implicitement que la violence est une forme de manifestation légitime.

      Vous avez probablement raison : on peut se demander si l’affaiblissement des institutions ne conduit pas à la remise en cause du fondement de la constitution des sociétés, à savoir, le fait que chaque individu renonce à sa capacité à exercer la violence en échange du même renoncement de la part des autres, seul l’Etat conservant l’usage de la violence pour faire rentrer dans l’ordre les récalcitrants. Il faut relire à ce propos Weber, mais aussi Hobbes…

      La question est de savoir si cette remise en cause s’accompagne de l’apparition d’une société alternative, d’un proto-état communautaire qui est investi de cette légitimité à la place de l’Etat national, ou bien si la remise en cause aboutit au retour à l’état de nature, où seule vaut la loi du plus fort. Tout semble indiquer que cette deuxième explication est la bonne. Je ne pense pas que les réseaux mafieux aient une « légitimité ». Leur emprise résulte d’un rapport de forces, pas d’une institutionnalisation.

      [La mort du chouf est regrettable mais est un corolaire inévitable d’un système « institutionnalisé » en ce qu’il perfuse de liquidité ces quartiers, et profite par conséquence d’un effet d’omerta tel que même la perte d’un jeune de la communauté n’est pas une raison suffisante pour déstabiliser l’architecture sociale et financière reposant sur les trafics.]

      Tout à fait. Mais cela montre bien que les discours qui lient les émeutes à une “identification” avec Nahel, au fait que “cela peut nous arriver à nous” sont un peu courts…

  23. Magpoul dit :

    @Descartes
    Afin de poursuivre notre conversation…

    Je ne connais pas le livre en question, mais l’hypothèse de « milliers de communards fusillés » me semble un peu surréaliste. Robert Tombs, l’un des historiens qui a fait un travail rigoureux à la fin du XXème siècle, arrive à un chiffre de fusillés inférieur à 2000, et à un total de 10.000 morts pour l’ensemble de la Commune.

    Le livre date de 1964 et ne cite pas Tombs (je pense que c’est logique car son œuvre date plus des années 90 comme vous le mentionnez) . Cela dit, j’ai creusé un peu. Les auteurs établissent à 15000-25000 communards morts pendant la semaine sanglante, puis 10000 condamnation, dont 93 pour la peine de mort (ce qui rejoint votre point). En fait, les “milliers de communards fusillés” sont ceux morts lors de l’insurrection versaillaise. Il est vrai que ma citation a put être trompeuse. Au fond, mon point était surtout d’évoquer le traitement des cadavres, qui est particulièrement violent. Je suis d’accord avec vous sur la suite de votre argumentation. 

    Plus que le pardon, c’est l’oubli – volontaire et organisé – qui a joué un rôle essentiel chez nous. On n’a jamais « pardonné » les collabos, on les a oubliés, on a fait comme s’ils n’étaient plus avec nous. Votre remarque fait penser à une forme de symétrie, avec « deux camps » qui seraient équivalent et qui devraient admettre leurs « erreurs ». Mais entre le voyou et le policier, il n’y a pas de symétrie. Du côté du policier, il y a des « erreurs ». Du côté du voyou, des crimes.

    Je ne pensais pas aux deux camps comme “voyous” contre “policiers”. Plus comme “voyous” contre “le reste”, ce qui est un peu exagéré je vous l’accorde. Je n’avais pas pour intention de monter une symétrie. Les voyous font des crimes et sont largement plus à blâmer. Néanmoins, il faut reconnaitre que “le reste” a également commis des erreurs, autrement comment expliquer la génèse des crimes en premier lieu? Je ne veux rien excuser, mais tout crime est pour moi un symptôme. Il faut le traiter, panser la plaie, mais également le prévenir. Impossible néanmoins, de prévenir sans diagnostic, donc admettre que des erreurs politiques ont été commises et doivent également être corrigées. Une réponse à court terme et une à long terme en somme. Une fois cela entreprit, il faudra bien “pardonner” ou plutôt “oublier” comme vous le dites, les crimes commis, sinon comment assimiler les voyous? Le pardon ou l’oubli n’excluent pas un passage par la case prison ou des travaux d’intérêts généraux.

    • Descartes dit :

      @ Magpoul

      [Les voyous font des crimes et sont largement plus à blâmer. Néanmoins, il faut reconnaitre que “le reste” a également commis des erreurs, autrement comment expliquer la genèse des crimes en premier lieu ?]

      Autrement dit, l’homme étant naturellement bon, le crime ne peut s’expliquer par les « erreurs » de la société. J’ai bien compris ?

      Comme vous le voyez, votre remarque contient une prémisse cachée : que l’homme est naturellement bon, et que dans une société qui ne ferait pas « d’erreurs », le crime n’existerait pas. Et la conclusion logique est que la responsabilité du crime doit retomber sur la société, et non sur le délinquant. Personnellement, je n’adhère pas à cette vision, et cela pour deux raisons : la première, est que le matérialiste que je suis ne croit pas à une morale universelle ; la seconde, parce qu’on ne peut pas fonder une société sur un principe qui rend le citoyen irresponsable.

      [Je ne veux rien excuser, mais tout crime est pour moi un symptôme.]

      Pas pour moi. Pour moi, le crime est d’abord un comportement de passager clandestin : aussi longtemps que vos concitoyens maintiennent le service en payant leur billet, vous avez tout intérêt à ne pas le payer. Sauf, bien entendu, s’il y a des contrôleurs.

      [Il faut le traiter, panser la plaie, mais également le prévenir. Impossible néanmoins, de prévenir sans diagnostic, donc admettre que des erreurs politiques ont été commises et doivent également être corrigées.]

      Il ne faut pas confondre le raisonnement macro-social et le raisonnement micro-social. Que certaines politiques puissent augmenter ou diminuer la probabilité qu’un individu tombe dans la délinquance, c’est une chose. Mais au plan individuel, on est obligé de constater que, quelque soient les « erreurs politiques », certains individus placés dans les mêmes conditions tombent dans la délinquance, et d’autres pas. Il y a donc une marge de choix individuel, et donc de responsabilité. Les « erreurs politiques » ne justifient donc rien.

      [Une fois cela entreprit, il faudra bien “pardonner” ou plutôt “oublier” comme vous le dites, les crimes commis, sinon comment assimiler les voyous? Le pardon ou l’oubli n’excluent pas un passage par la case prison ou des travaux d’intérêts généraux.]

      Le « pardon » et « l’oubli » ne doivent pas être confondus. Le « pardon » implique une forme de repentir de la part du délinquant. L’oubli nécessite un engagement social bien plus important, puisqu’il s’agit de ne pas punir quelqu’un qui ne se repent pas…

      • Magpoul dit :

        @Descartes

        Autrement dit, l’homme étant naturellement bon, le crime ne peut s’expliquer par les « erreurs » de la société. J’ai bien compris ?
        Comme vous le voyez, votre remarque contient une prémisse cachée : que l’homme est naturellement bon, et que dans une société qui ne ferait pas « d’erreurs », le crime n’existerait pas. Et la conclusion logique est que la responsabilité du crime doit retomber sur la société, et non sur le délinquant. Personnellement, je n’adhère pas à cette vision, et cela pour deux raisons : la première, est que le matérialiste que je suis ne croit pas à une morale universelle ; la seconde, parce qu’on ne peut pas fonder une société sur un principe qui rend le citoyen irresponsable.

        Je me permet de détailler ma pensée. Il est évident que de nombreuses personnes en France vivent dans des conditions plus difficiles que les voyous sans pour autant passer à l’acte. Je pense juste que le crime arrive quand le contexte (la possibilité de faire un choix sans qu’il soit trop couteux) se marrie au choix individuel irresponsable. De ce fait, le crime doit être punit et les citoyens responsabilisés. Maintenant je comprend les limites de mon raisonnement: comment évaluer pour un crime donné, la proportion due à la société et celle à l’individu? Je répondrai qu’on ne le fera pas, que chaque crime sera jugé similairement afin d’éviter la déresponsabilisation. Par contre, je refuse de penser que l’on doit regarder ces crimes sans se demander les conditions qui ont put favoriser leur éclosion (comment se fait-il que cette personne puisse faire ce choix et le juge convenable?). En somme, nous avons deux inconnues, de mon avis, et l’on peut agir sur elles ainsi: la société peut réduire la criminalité en étant plus juste, et réduire les chances de passage à l’acte en punissant sévèrement. Je ne prétend pas que l’Homme soit universellement bon ou mauvais, juste qu’il est quelque part entre les deux, et que c’est ce miasme qu’il faut dompter. 

        Il ne faut pas confondre le raisonnement macro-social et le raisonnement micro-social. Que certaines politiques puissent augmenter ou diminuer la probabilité qu’un individu tombe dans la délinquance, c’est une chose. Mais au plan individuel, on est obligé de constater que, quelque soient les « erreurs politiques », certains individus placés dans les mêmes conditions tombent dans la délinquance, et d’autres pas. Il y a donc une marge de choix individuel, et donc de responsabilité. Les « erreurs politiques » ne justifient donc rien.

        Je pense qu’au fond nous sommes d’accord. 

  24. Irène Silvest dit :

    Une société sans empathie parce que déchristianisée.

    • Descartes dit :

      @ Irène Silvest

      [Une société sans empathie parce que déchristianisée.]

      Quel rapport ? Pensez-vous que les chrétiens aient le monopole du cœur ? La plus belle illustration de l’empathie se trouve pourtant dans un texte juif, l’Haggadah de Pâques, qui se termine par la formule “souviens toi que, toi aussi, tu fus esclave”.

      • xc dit :

        Les Chrétiens peuvent ne pas connaître l’existence de la Haggadah, mais ils ne devraient pas négliger la lecture de la Bible: https://saintebible.com/exodus/23-9.htm

        • Descartes dit :

          @ xc

          [Les Chrétiens peuvent ne pas connaître l’existence de la Haggadah, mais ils ne devraient pas négliger la lecture de la Bible:(…)]

          Le verset du livre de l’Exode que vous citez fait partie de la bible hebraïque (la Torah) et non de la bible chrétienne… c’est d’ailleurs cette référence qui est reprise dans l’Haggadah. L’interprétation du mot “étranger” est d’ailleurs disputée selon les traductions, parce qu’à l’époque les étrangers étaient généralement des esclaves.

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