Qu’est ma France devenue ?

Comme mes lecteurs le savent, j’aime bien me réunir avec des amis pour des longues soirées de bavardage, qui devient plus sérieux au fur et à mesure que la nuit avance et que l’Armagnac – l’un de mes péchés mignons – fait son effet. Et puis nous sommes tous des mâles blancs de plus de cinquante ans, et arrivons à l’âge où, ne pouvant plus donner des mauvais exemples, nous sommes réduits à donner de bons conseils – et de regretter qu’ils ne soient pas suivis. Les enfants sont grands, nos carrières sont faites – celui qui voulait être artiste, médecin, président de la République ou maire le sont déjà ou ne le seront jamais, et aucun de nous n’est dans le besoin. On peut donc se permettre d’avoir un regard paisible sur le passé et raisonnablement optimiste sur l’avenir – ou du moins sur l’avenir qui nous reste.

Comme il y avait dans la réunion deux de mes plus vieux amis, qui sont parmi les premières personnes que j’ai rencontrées en arrivant en France – et qui, soit dit en passant, ont joué un rôle essentiel dans mon assimilation à ce pays – et que je n’avais pas vues depuis longtemps, la conversation a tourné assez naturellement vers la comparaison entre l’hier et l’aujourd’hui, entre la France qui était celle que j’ai trouvée en arrivant, et celle d’aujourd’hui.

Comme vous pouvez l’imaginer, il y avait dans la conversation un large parfum de « c’était mieux avant », et c’est normal. D’une part, parce que nous étions mieux avant – plus jeunes, plus toniques, plus pleins de projets – mais aussi parce que, comme dit le dessin des « indégivrables », c’était mieux avant, quand nous pensions que ce serait mieux après. Maintenant, nous sommes après, et le moins qu’on peut dire c’est que cet après n’a pas répondu à nos espoirs. Non pas que nous eussions les mêmes : certains d’entre nous ont milité pour une Europe fédérale, d’autres pour une France souveraine et socialiste ; certains ont cru à la révolution mondiale, d’autres à la fin de l’Histoire… mais aucun n’a l’impression d’avoir touché le prix de ses efforts. Quels qu’aient été nos rêves de jeunesse, aucun de nous n’a voulu consciemment ce que nous avons aujourd’hui. Et s’il l’a voulu, n’est pas prêt à l’admettre.

Quelques images me viennent à l’esprit. En arrivant dans ce pays à la fin des années 1970 était une France confiante dans son avenir et fière de son passé. Les billets de banque portaient l’effigie de Voltaire, de Corneille, de Delacroix, de Berlioz, de Pascal. Au lycée, on nous enseignait une géographie amoureuse de nos régions et une histoire qui faisait encore une large place aux grands serviteurs de la patrie. A la télévision, on avait des émissions éducatives et culturelles de qualité : des débats sérieux, des films classiques, des émissions de variété où des artistes venaient pour partager leur art et non pour faire la promo de leur dernier disque ou de leur dernier livre (1). L’enseignant pouvait faire son métier sans risquer de se faire décapiter, le policier n’avait pas peur dans son commissariat, l’idée d’un maire se faisant agresser par l’un de ses administrés était saugrenue. Un film comme « Rabbi Jacob », un classique comme « Les suppliantes » pouvaient être réalisés et présentés au public sans que personne ne se sente « offensé » et cherche à empêcher la projection par la force. Les Français étaient fiers de la qualité des services publics – hôpital, école, chemins de fer, électricité – et du dynamisme de la recherche et de l’industrie, de la capacité de leurs élites à conduire des grands projets – le plan électronucléaire, le TGV, le plan téléphone, le plan calcul. Mais plus que tout, j’avais été séduit par la sociabilité française, à la fois raffinée et ouverte, aimant les belles et les bonnes choses. Je me souviens encore de la première chanson que j’appris alors, « il faut que je m’en aille » de Graeme Allwright, avec son refrain : « buvons encore une dernière fois/à l’amitié, l’amour, la joie ». A côté, Jean Ferrat chantait « que c’est beau, c’est beau, la vie ». Le pays avait confiance dans ses propres capacités, puisque comme le disait un slogan de l’époque « en France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées » et que, la phrase est ancienne mais était fréquemment citée, « impossible n’est pas français ».

Et l’autre soir, après quarante ans d’amitié, nous en étions à nous demander où et comment notre génération – et celle qui nous a précédé, car la faute n’est pas seulement la nôtre – a fait fausse route. Comment cette société cultivée, raffinée, confiante, optimiste, sociable, est devenue ce marigot de rancunes, de reproches, de méfiances, de course à l’échalote victimiste, de médias où l’on étale son ignorance comme si c’était un titre de gloire, où chaque individu, chaque communauté ne pense que « et moi, et moi, et moi ». Comment nos concitoyens sont arrivés à se détester eux-mêmes, à rabaisser leur propre pays, à se convaincre de leur propre impuissance, à ne jurer que par les fausses solutions qui sont l’imitation servile de ce qui se fait ailleurs ? Comment sommes-nous arrivés à abandonner notre belle langue pour parler un français diminué, quand ce n’est pas un « globish » absurde ? Comment en est-on arrivé à ce qu’enseignants et élus doivent être protégés par la police, qu’artistes et écrivains doivent prendre l’avis des avocats et des « consultants en diversité » avant de s’exprimer sur scène ou de prendre la plume ? Pourquoi devons-nous nous résigner à accepter que notre système hospitalier tombe en morceaux, que des coupures tournantes d’électricité soient envisagées, qu’un nombre toujours croissant de nos concitoyens n’aient plus accès à un service public de qualité ? Comment se fait-il enfin que des zones de non-droit se soient installées au vu et au su de tout le monde, qu’on accepte que des marchands de mort continuent à pratiquer leur commerce dans des « points de deal » parfaitement connus de la police et des autorités ? Comment avons-nous perdu la maîtrise des processus industriels, y compris dans des domaines qui étaient pour nous naguère des domaines d’excellence ? Pourquoi nos institutions d’enseignement et de recherche se sont progressivement appauvries jusqu’à n’être respectivement que des parkings à chômeurs ou d’avoir le démantèlement comme seul projet ? Comment sommes-nous arrivés à une situation d’impuissance de nos institutions politiques, devenues un théâtre d’ombres où l’on discute de la couleur de la moquette pendant que les décisions importantes se prennent à Bruxelles ou à Washington ?

On me répondra, refrain connu, que « la France n’a plus les moyens ». Cet argument ne résiste au moindre examen. En cinquante ans, le PIB de la France a presque doublé. Autrement dit, nous produisons sur notre territoire deux fois plus de richesse que dans les années 1970. Et en 1970, nous pouvions non seulement nous payer un réseau ferré parmi les plus denses du monde, un bureau de poste dans chaque village, des médecins et des infirmiers en quantité suffisante dans nos hôpitaux, mais nous offrir le luxe des grands investissements en infrastructure dont nous bénéficions aujourd’hui, et tout ça avec un niveau de dette raisonnable. Pourquoi, avec un PIB double, nous n’arrivons à maintenir – et encore – nos services publics que grâce à une dette qui se creuse à des niveaux inquiétants ? On me dira que l’évolution technologique et scientifique fait qu’un certain nombre de services publics – je pense à la santé, notamment – coûtent de plus en plus cher. C’est vrai, mais à l’opposé, par le même mécanisme certains services coûtent de moins en moins. Le traitement informatique des feuilles de soins ou des feuilles d’impôt, par exemple, permet des économies considérables. Les véhicules de police ou de gendarmerie d’aujourd’hui nécessitent moins d’entretien et consomment moins de carburant que ceux d’autrefois.

Non, la question n’est pas de ne plus avoir les moyens. Les moyens sont là, seulement, ils ne sont plus utilisés de la même manière. D’abord, et c’est une transformation profonde, on constate que les profits distribués par les entreprises ont augmenté beaucoup plus vite que le PIB. Un peu plus de dix points de PIB ont été transférés de la rémunération du travail à la rémunération du capital en un demi-siècle. Et comme les revenus du capital ont été de moins en moins taxés – notamment grâce aux méthodes d’optimisation fiscale généreusement offerts par la réglementation européenne – et partent souvent vers des paradis fiscaux ou des investissements délocalisés, ils ne participent guère au financement de la charge commune. Mais il y a aussi un problème d’utilisation de ce qui reste : dans les années 1960, on coupait sans pitié dans les missions accessoires pour protéger les missions principales. Aujourd’hui, c’est l’inverse. On supprime des postes et on coupe dans les budgets, mais il y a toujours de l’argent pour recruter des « délégués à l’égalité homme-femme » ou des « référents anti-discrimination ». Ces cinquante dernières années, on a vu tous les services de l’État mis à la diète… avec une exception : les services de communication, qui ont gonflé leurs effectifs et leurs moyens année après année.

Et finalement, last but not least, il y eut la fièvre des privatisations. Car lorsqu’on examine la question de la pression fiscale, on oublie souvent ce paramètre. Dans les années 1970, un peu moins de la moitié du PIB était produit par le secteur public. Et les profits ainsi réalisés – car, contrairement à un préjugé bien établi, la plupart des entreprises publiques étaient rentables – étaient donc versés au trésor public. La privatisation a eu pour effet de priver l’État de cette ressource, et l’a donc obligé de choisir entre augmenter la pression fiscale ou s’endetter… Mais ce n’est là qu’un aspect de la question. Les apôtres de la privatisation soutiennent habituellement que l’entreprise privée utilise plus rationnellement les ressources que l’entreprise publique. Je ne pense pas que cela soit vrai, mais admettons un moment que ce soit le cas. La question suivante est de savoir au service de quel objectif chaque entreprise met cette efficacité. Quand bien même l’entreprise privée serait plus efficiente dans l’utilisation des ressources, elle ne prêtera pas un service de même qualité pour un coût équivalent, tout simplement parce que son objectif n’est pas la satisfaction du client, mais celle de l’actionnaire. Et on le voit bien dans un secteur pourtant très concurrentiel : celui de la fourniture du service internet.

Tout cela est bien connu, et s’est fait sous nos yeux : nous avons vu passer année après année les lois de privatisation, nous avons vu gouvernement après gouvernement les coupes sombres dans les budgets publics, nous avons suivi directive après directive nos gouvernants consentir à l’action néfaste de l’Union européenne. Et de manière concomitante, parce que la structure finit par agir dialectiquement sur la superstructure, nous avons vu le tissu social se déliter, le communautarisme fleurir, la sociabilité se transformer, notre environnement devenir laid et menaçant.

Comment les gens ont-ils accepté une telle déchéance ? La réponse est tristement simple : tout cela est arrivé petit à petit, sans qu’on le remarque. La cruelle fable mitterrandienne de la grenouille qui se laisse ébouillanter à condition que la température de l’eau augmente lentement trouve ici une illustration éclatante. Par paresse, par négligence, par intérêt, par aveuglement – volontaire – aussi, nous – et quand je dis « nous », je pense à ces classes intermédiaires et aux élites qui avaient tous les moyens de s’y opposer – avons laissé faire. Et puis nous nous sommes habitués : il y a trente ans, on parlait avec horreur des « nouveaux pauvres », aujourd’hui à peine si on remarque la multiplication des mendiants et des SDF.

Ceux qui suivent régulièrement ce blog savent que la force la plus puissante qu’on connaisse est l’envie de croire. Une force capable de faire passer Mitterrand pour un homme de gauche ne saurait être sous-estimée. Mais il y a une deuxième force qui la suit de près au palmarès : c’est celle de l’habitude. Celle qui fait que nous acceptons des choses comme naturelles simplement parce que nous sommes habitués, parce que nous n’avons pas connu d’alternative. Il faut avoir conscience du problème : nous, qui avons dépassé la cinquantaine, nous savons qu’un autre monde est possible, tout simplement, parce que nous l’avons connu. Mais pour les jeunes qui aujourd’hui entrent dans la vie, ce monde-là relève du mythe ou de l’utopie. C’est là qu’il faut chercher l’extinction progressive de l’opposition à l’euro ou à l’Union européenne. Ce ne sont pas les arguments économiques ou politiques qui emportent la conviction. Il n’y a là aucune adhésion, et lorsqu’on interroge les gens on voit que la confiance dans ces institutions n’est guère brillante. Mais le fait est qu’il reste en France de moins en moins de gens qui se souviennent ce que c’est d’avoir sa propre monnaie, sa propre politique économique, sociale, éducative. Les préjugés les plus durs à combattre sont ceux qui « vont de soi ».

Nous n’avons pas tous dit « oui » au désastre, mais nous n’avons pas non plus dit « non » lorsqu’il était encore temps. C’est vrai dans les grandes affaires, mais aussi dans les plus petites. Chacun de nous peut je pense citer des anecdotes qui concernent son club sportif, sa mairie, son association, son quartier, son école. Comment avons-nous pu être aussi aveugles, aussi lâches ? Car les grandes trahisons sont faites de petites démissions quotidiennes, souvent déguisées – surtout à gauche, honte sur nous ! – sous le manteau rassurant de la bonté et de la tolérance. On peut rire de ces proviseurs tatillons qui, avant 1968, se postaient à l’entrée du lycée pour refouler les garçons qui avaient les cheveux un peu trop longs, les filles qui portaient du maquillage. Mais au moins devrait-on leur reconnaître le mérite d’avoir donné de leur temps et de leur effort pour défendre une conception exigeante de l’éducation, plutôt que de rester tranquillement dans leur bureau et laisser faire ou, pire, de s’imaginer que cela faisait d’eux des « progressistes ». Aujourd’hui, la paresse – je n’ose dire la lâcheté, mais je devrais – du « pas de vagues » est devenue, à tous les niveaux, la règle. Des proviseurs qui ferment les yeux sur les « incivilités » et conseillent à leurs enseignants d’éviter de circuler seuls dans les couloirs pour avoir la paix, aux politiques qui, une fois au pouvoir, acceptent de faire ce qu’ils ont toute leur vie combattu – pensez au PCF acceptant sous la « gauche plurielle » la fermeture de Superphénix, la privatisation d’Air France ou l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité – en passant par les maires qui livrent certains quartiers aux « grands frères » en échange d’une certaine tranquillité, et pourquoi pas, d’un soutien électoral.

Cette paresse, cette lâcheté sont le résultat d’une dialectique. Elle est la contrepartie d’une solitude de plus en plus grande, d’une société d’individus-îles. Il y a cinquante ans, un proviseur qui reprenait un élève pouvait compter sur la solidarité inconditionnelle de ses pairs, du corps enseignant, et même de l’ensemble des parents. Un maire qui combattait les trafics avait le soutien, y compris physique, de ses administrés. L’adulte qui demandait à un jeune de céder sa place à une personne âgée ou de baisser le son de son ghettoblaster avait l’appui de l’ensemble du bus. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. On le voit bien dans l’affaire de ce collège qu’on voulait nommer Samuel Paty : la « communauté éducative » a dit non, au motif qu’un tel acte impliquait pour eux un risque. Un risque minime, mais que seule une minorité semble-t-il parmi les enseignants ou les parents d’élèves est prête à prendre. On rend hommage à Jean Moulin, mais personne n’a envie semble-t-il de suivre son exemple, même lorsqu’il s’agit de prendre un risque minime. C’est que chacun de nous est seul devant le monde. Vous ne pouvez compter sur personne, parce que personne n’est prêt à se battre pour vous. Plus les « corps » et l’esprit qui s’y attachait s’efface, et plus il devient difficile de cultiver cette grande qualité qu’est le courage sans faire preuve de témérité.

Cette solitude ouvre la porte à une dégradation générale de notre espace quotidien. Elle nous force à voyager dans des trains couverts de graffitis et de tags, à écouter dans le bus le dernier rap que notre voisin passe sur son portable, à accepter l’occupation de notre hall d’immeuble par des trafiquants de toute sorte, à jouer à la roulette russe de Parcoursup l’avenir de nos enfants, à se voir dicter ce qu’on a le droit de boire, de manger, de voir ou de dire par des dragons de vertu, qu’ils soient communautaires, religieux, écologistes, féministes ou autres. Nous sommes en pratique renvoyés chaque fois plus vers notre intérieur, notre famille, notre petite communauté d’amis, seul lieu dans lequel on peut encore s’exprimer sans crainte, échanger sans méfiance, plaisanter sans censure.

Descartes

(1) Je pense notamment au « grand échiquier » de l’époque, où l’on pouvait entendre un Brassens ou un Menuhin, qui n’avaient plus rien à vendre. Je pense aussi aux « dossiers de l’écran », qui proposaient un film pour introduire ensuite un débat sérieux entre des gens sérieux. Je pense aussi au « cinéma de minuit » qui proposait systématiquement des classiques et des films d’auteur.

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150 réponses à Qu’est ma France devenue ?

  1. luc dit :

    C’est pas facile à écrire,mais bravo,vous avez du talent,celui de me faire partager ou revivre beaucoup d’émotions de ma jeunesse jusqu’à mes 64 ans actuels.
    Merci pour aussi bien décrire cette France des années 19660,70 et mi-80. C’est avec les larmes de bonheur aux yeux que j’ai lu votre texte.Pourtant aucun étranger n’est répertorié dans mon arbre généalogique qui remonte jusqu’au 11ième siècle.L’Argentine semble décidemment un modèle qui nous concerne aussi ,ici en France.
    Vous avez les mêmes sentiments que moi sur ce bonheur que j’ai ressenti dans ces années 19660,70 et mi-80 en France et pour ses habitants de notre accabit.
    Plusieurs réactions spontanées me viennent ,mobilisées par des années de ruminations sur ces questions.D’abord les français ont versés dans un Ubris,détestable dont vous ne voyez pas le danger ,résumé par cette phrase auto destructrice:’impossible n’est pas français’..
    Les anglo-saxons et les allemands ,l’ont retournée contre nous en détruisant ‘ma France’ce qui nous paraissait ‘impossible’..
    Il a suffit que De Gaulle (notre Perron?) meure,que le mirage de tous les fantasmes pour les lunatiques disparaissent au sujet du bloc soviétique et du PCF.Alors il nous reste la devise cartésienne que je préfère la votre,source d’Ubris auto-destructeur:
    La mienne en appelle au réalisme ,la voici,ma bouée de suavetage:’à l’impossible nul n’est tenu’..
    N’est ce pas aussi la votre ,au final quand les vapeurs du nectar vigoureux,de l’Armagnac se sont dissipées? 

    • Descartes dit :

      @ luc

      [Vous avez les mêmes sentiments que moi sur ce bonheur que j’ai ressenti dans ces années 1960,70 et mi-80 en France et pour ses habitants de notre acabit.]

      Que voulez-vous, nous étions jeunes, nous étions beaux, nous sentions bon le sable chaud… alors ce « bonheur » tenait-il à ce que nous étions, ou à ce qu’était notre pays ? C’est tellement difficile à dire…

      [D’abord les français ont versés dans un Hubris, détestable dont vous ne voyez pas le danger, résumé par cette phrase auto destructrice: ’impossible n’est pas français’…]

      Je ne vois rien de « destructeur » dans cette formule. Au contraire : elle dénonce la paresse intellectuelle de nos élites, qui trouvent souvent plus facile de décréter que telle ou telle réalisation est « impossible » plutôt que de chercher les moyens de la réaliser. Elle rejoint la formule bien connue de Richelieu : « la politique consiste à rendre possible ce qui est nécessaire ». Bien sûr, tout ce qui est possible n’est pas nécessairement désirable, mais c’est là une autre question.

      [Les anglo-saxons et les allemands, l’ont retournée contre nous en détruisant ‘ma France’ ce qui nous paraissait ‘impossible’…]

      Rendons à César ce qui est à César. Ce ne sont pas « les anglo-saxons et les allemands » qui ont détruit « ma France ». Ce sont des Français. Mitterrand n’a pas signé le traité de Maastricht avec un révolver sur la tempe, que je sache, pas plus que les politiques qui ont fait campagne pour sa ratification (dont un certain Jean-Luc Mélenchon, qui préfère ne pas s’en souvenir…).

      [Il a suffit que De Gaulle (notre Peron?) (…)]

      La comparaison me paraît très osée…

      [(…) meure, que le mirage de tous les fantasmes pour les lunatiques disparaissent au sujet du bloc soviétique et du PCF. Alors il nous reste la devise cartésienne que je préfère la votre, source d’Ubris auto-destructeur]

      Mais… c’était beau pendant que cela a duré, non ? Quand bien même ce projet était fragile, quand bien même il était condamné à disparaître, faut-il pour autant le rejeter ? Je ne le crois pas. Il y a des batailles qui sont perdues, et qui pourtant servent de référence pendant des siècles voire des millénaires : pensez aux Thermopiles…

      [La mienne en appelle au réalisme, la voici, ma bouée de sauvetage : ’à l’impossible nul n’est tenu’…]

      Le problème, c’est que votre formule ne pousse pas à l’action, mais permet au contraire de se consoler après une défaillance… voire de l’excuser. Et comme en politique tout peut être qualifié « d’impossible » a posteriori – car comment savoir si un autre choix aurait permis d’aboutir au résultat désiré ? – cela permet de tout justifier. Fallait-il continuer le combat en 1940 ? Eviter le « tournant de la rigueur » en 1983 ? On nous dit que c’était « impossible »… comment tenir rigueur alors à ceux qui ont signé l’armistice ou embrassé les politiques néolibérales ?

      [N’est-ce pas aussi la vôtre, au final quand les vapeurs du nectar vigoureux, de l’Armagnac se sont dissipées ?]

      Au contraire. Quand je rate quelque chose, ma première réaction n’est pas de me justifier en disant « c’était impossible », mais au contraire de me demander qu’est-ce que j’ai fait comme erreur. Autrement dit, j’applique toujours une sorte de « présomption de possibilité » : tout est possible jusqu’à preuve contraire.

      Au fonds, notre opposition est très fondamentale. Adopter la formule « à l’impossible nul n’est tenu » conduit logiquement à voir la cause de l’échec comme extérieure à vous-même. « Impossible n’est pas français » conduit au contraire à rechercher la cause de l’échec dans nos propres choix. Pour moi, la deuxième attitude est bien plus productive – même si elle est moins rassurante – que la première…

  2. Saladin Thierry dit :

    Bonjour,
    Pas vraiment grand chose à redire à votre article.
    Si ce n’est que vous écrivez (…) Comment sommes-nous arrivés à abandonner notre belle langue pour parler un français diminué, quand ce n’est pas un « globish » absurde ? CQFD!
    (…) Et finalement, last but not least, il y eut la fièvre des privatisations.
    Écrire plutôt  “enfin et surtout” n’eût-il pas été quelque peu cohérent avec ce qui précédait ?
    Cordialement.
    Thierry Saladin

    • Descartes dit :

      @ Saladin Thierry

      [Écrire plutôt “enfin et surtout” n’eût-il pas été quelque peu cohérent avec ce qui précédait ?]

      Pas nécessairement. D’abord, “last but not least” est une formule purement anglaise, qui n’a rien de “globish”. Ensuite, c’est une formule passée dans la langue française, probablement parce qu’elle est plus euphonique que “enfin et surtout”…

  3. Cording1 dit :

    Déjà Giscard président nous avait dit que nous n’étions qu’1% du monde et qu’il fallait se résigner ) notre petitesse. Mitterrand environ 20 ans plus tard nous a dit que la France était notre monde mais l’Europe notre avenir.
    Lorsque les Français ont dit Non comme le 29 mai 2005 ce Non a été ridiculisé, méprisé, ignoré puis bafoué. Comment voulez-vous qu’il ne règne pas une désillusion complète de nos concitoyens ?
    A mon sens il s’agit d’une trahison des élites, une constante de notre histoire. La dernière fois ce fût entre 1940 et 1945 où il s’agissait déjà de construire l’Europe sous direction allemande, évidemment et comme maintenant. Comme le disait Emmanuel Todd l’Allemagne domine l’Europe mais cette fois sans tirer un coup de fusil. Ce dernier dit à présent qu’il est un vaincu de l’histoire sans doute pour éviter les reproches habituels.

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [Déjà Giscard président nous avait dit que nous n’étions qu’1% du monde et qu’il fallait se résigner) notre petitesse. Mitterrand environ 20 ans plus tard nous a dit que la France était notre monde mais l’Europe notre avenir.]

      Tout à fait. Il y a toujours eu chez nous un courant capitulard, celui de la « petite France ». Il est amusant de penser que la même culture qui produit les Pétain et les Mitterrand est celle qui a produit les Clemenceau et les De Gaulle…

      [Lorsque les Français ont dit Non comme le 29 mai 2005 ce Non a été ridiculisé, méprisé, ignoré puis bafoué. Comment voulez-vous qu’il ne règne pas une désillusion complète de nos concitoyens ?]

      Nous sommes tout à fait d’accord sur ce point. Même si je pense qu’il y a une différence fondamentale entre le TCE et le traité de Lisbonne, les citoyens ont perçu la ratification de ce dernier comme un déni de leur vote. Et cette perception n’est pas étrangère au désintérêt pour la politique et au vote pour les extrêmes.

      [A mon sens il s’agit d’une trahison des élites, une constante de notre histoire.]

      Il faudrait se demander peut-être d’où vient ce phénomène cyclique. Pourquoi nos élites, contrairement aux élites britanniques ou allemandes, se cherchent toujours un maître ailleurs ?

      • Cording1 dit :

        Nos élites, c’est plus fort qu’elles, elles ont toujours besoin d’un modèle étranger à adopter sous prétexte que nous ne serions pas “modernes” voire ringards en se gardant bien de définir ce qu’elles entendent par cela si ce n’est la détestation de leur propre pays. Le journal “Libération” a bien joué un sinistre rôle dans ce “jeu”. Et la “seconde” gauche dite moderne avec sa fameuse émission “Vive la crise”.
        Dans les années 70 on nous vantait le modèle suédois, puis les années 80 jusqu’à maintenant le modèle allemand en refusant à chaque fois de voir la spécificité desdits modèles. En sus il y a la fascination pour l’Amérique ce grand pays si moderne.
        Il y a déjà longtemps lors de la Guerre de Cent-ans il y eût le parti anglais et le parti bourguignon contre le “roi de Bourges”. La dernière des plus évidentes trahisons de nos élites ce fût entre 1940-1945 où pour certains il s’agissait déjà de construire l’Europe sous direction allemande. Une Allemagne sous tutelle américaine depuis 1945.
        Maintenant cette trahison est plus subtile donc il est plus difficile de s’en défaire parce qu’elle a un apparent consensus démocratique.

        • Descartes dit :

          @ Cording1

          [Nos élites, c’est plus fort qu’elles, elles ont toujours besoin d’un modèle étranger à adopter sous prétexte que nous ne serions pas “modernes” voire ringards en se gardant bien de définir ce qu’elles entendent par cela si ce n’est la détestation de leur propre pays.]

          Oui, mais la question intéressante ici est « pourquoi ». Pourquoi, alors que les élites britanniques sont farouchement british, que les élites allemandes ne perdent opportunité de dire combien l’Allemagne est supérieure à tous les autres, les élites françaises se complaisent périodiquement dans la « haine de soi » et tiennent toute affirmation nationale dans leur pays pour une expression de « chauvinisme » ?

          J’avoue que je n’ai pas d’explication convaincante à ce phénomène. Peut-être faut-il la chercher dans l’opposition qui existe chez nous entre la « grande France » jacobine et la « petite France » girondine, et de la volonté de cette dernière de nier toute spécificité « française » qui irait à l’encontre d’une affirmation des spécificités régionales…

  4. Glarrious dit :

    [  certains d’entre nous ont milité pour une Europe fédérale,]
     
    Votre ami, il l’a eu son Europe fédérale, les nations  sont maintenant affaiblies, une Commission européenne qui domine les gouvernement nationaux pourquoi pour reprendre votre expression “il n’a pas l’impression d’avoir touché le prix de ses efforts” ? Ses efforts ont payé !
     
    [d’autres pour une France souveraine et socialiste]
     
    Je suppose celui-là est un déçu de Mitterrand, le tournant de la rigueur de 1983 l’a ébranlé dans ses convictions ?
    [certains ont cru à la révolution mondiale]
     
    Dans le sens gauchiste ou néolibéral du terme ? 
     
    [d’autres à la fin de l’Histoire… ]
     
    Alors lui il a eu son moment de gloire dans les années 90 jusqu’à la crise de 2008 ou bien je me trompe ?
     
    [mais aucun n’a l’impression d’avoir touché le prix de ses efforts. Quelque aient été nos rêves de jeunesse, aucun de nous n’a voulu consciemment ce que nous avons aujourd’hui. Et s’il l’a voulu, n’est pas prêt à l’admettre.]
     
    Je pense que certains de vos amis refusent de prendre leurs responsabilités dans les actes, comme vous le dites à la fin.

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [« certains d’entre nous ont milité pour une Europe fédérale, » Votre ami, il l’a eu son Europe fédérale,]

      Non. Il a peut être eu UNE Europe fédérale, mais il n’a pas eu SON Europe fédérale. Les gens ne sont pas naturellement méchants : ceux qui ont milité pour une Europe fédérale ne voulaient pas forcément le malheur de leurs concitoyens. L’Europe fédérale qu’ils voulaient, c’était une sorte de paradis sur terre. Rien à voir avec ce que nous avons aujourd’hui. Comme quoi on vérifie encore une fois l’adage qui veut que le chemin de l’enfer soit pavé de bonnes intentions.

      Cela ne les exonère bien entendu pas de leur part de responsabilité. Pour reprendre le sketch de Le Luron, « ils n’avaient qu’à réfléchir avant ». Mais ce que je voulais souligner, c’est que personne n’est satisfait avec les choses telles qu’elles sont, même pas ceux qui ont contribué à leur avènement…

      [« d’autres pour une France souveraine et socialiste » Je suppose celui-là est un déçu de Mitterrand, le tournant de la rigueur de 1983 l’a ébranlé dans ses convictions ?]

      Non, pas du tout. Un militant PCF qui pensait qu’on allait construire « le socialisme aux couleurs de la France ». Le mot « socialiste » n’a ici aucun rapport avec le parti du même nom.

      [« mais aucun n’a l’impression d’avoir touché le prix de ses efforts. Quelque aient été nos rêves de jeunesse, aucun de nous n’a voulu consciemment ce que nous avons aujourd’hui. Et s’il l’a voulu, n’est pas prêt à l’admettre. » Je pense que certains de vos amis refusent de prendre leurs responsabilités dans les actes, comme vous le dites à la fin.]

      Pas forcément. Au contraire : si la conversation a tourné sur le questionnement de nos erreurs passées, chacun se demandant où nous avions fait fausse route, c’est qu’ils admettent l’erreur, et donc la responsabilité. Ce qu’ils n’admettent pas, c’est d’avoir voulu le mal, et sur ce point j’ai tendance à leur faire confiance…

      • Cording1 dit :

        L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. L’Europe fédérale actuelle c’est l’Europe voulue par ses fondateurs Robert Schuman devenu français à 32 ans lorsqu’en 1918 la Lorraine est redevenue française, Jean Monet, le négociant en vins et spiritueux, le plus francophile ses Américains disait de Gaulle de lui. Il s’agissait déjà de dépolitiser l’économie en la remettant dans les mains de commissions dites indépendantes. De concert avec la conception allemande de l’économie : l’ordo-libéralisme.
         

        • Descartes dit :

          @ Cording1

          [L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. L’Europe fédérale actuelle c’est l’Europe voulue par ses fondateurs Robert Schuman devenu français à 32 ans lorsqu’en 1918 la Lorraine est redevenue française, Jean Monet, le négociant en vins et spiritueux, le plus francophile ses Américains disait de Gaulle de lui. Il s’agissait déjà de dépolitiser l’économie en la remettant dans les mains de commissions dites indépendantes. De concert avec la conception allemande de l’économie : l’ordo-libéralisme.]

          Je ne suis pas persuadé. Monnet comme Schuman étaient dans la logique technocratique de groupes comme X-Crise avant la guerre: il s’agissait d’enlever le pouvoir de décision aux politiques, toujours suspects de prendre leurs décisions en fonction de considérations électorales, pour les confier à des experts techniques. On aboutirait ainsi à des décisions optimales du point de vue technique. En pratique, ce n’est pas du tout ce qui est arrivé: les techniciens ont été rapidement marginalisés, et le pouvoir a été pris par une bureaucratie administrative incompétente obéissant à un dogme idéologique plutôt qu’à des considérations techniques. L’exemple de la politique énergétique européenne est un bon exemple. Je pense que Monnet serait extrêmement critique du fonctionnement actuel de l’administration européenne.

          • Jean Monet était surtout un trafiquant d’alcool, et l’un des secrétaires du plus anti-français des présidents US.
            Quand au “boche” comme disait ma grand-mère ardennaise, il bouffât à tous les râteliers, tout comme son alter-ego De Gasperi (qui se vantait de n’être jamais allé plus bas que Rome) et avec qui il ne parlait qu’Allemand.
            On pourrait aussi rechercher ce qui fit que le premier président de la commission fut un ancien conseiller de Hitler …

            • Descartes dit :

              @ Gerard Couvert

              [On pourrait aussi rechercher ce qui fit que le premier président de la commission fut un ancien conseiller de Hitler …]

              Faut pas trop charger la barque: Walter Hallstein, premier président de la Commission, n’a sauf erreur de ma part jamais conseillé Hitler. Ni même milité sérieusement au NSDAP. C’était un professeur de droit, doyen de sa faculté, qui s’accommoda – comme la plupart de l’establishment allemand – du régime nazi tant qu’il gagnait les batailles, et qui commença à se poser des questions quand il a commencé à les perdre. Hallstein fut prisonnier de guerre aux Etats-Unis et participa à divers programmes américains de “rééducation” des prisonniers nazis (les mauvaises langues diront que la rééducation consistait à les préparer pour les avoir du “bon côté” pendant la guerre froide, mais ce ne sont bien entendu que des racontars…) et c’est là probablement qu’il s’est fait le genre de relations qui l’ont conduit à la présidence de la Commission…

              Lorsqu’on se penche sur la question, on est étonné de trouver parmi les fondateurs de la construction européenne autant de personnages liées aux Américains…

  5. Gugus69 dit :

    Pareil, mais avec du whisky (français) à la place de l’Armagnac…
    Quand j’étais un p’tit gone, à la télé, les héros étaient Paul-Émile Victor, Haroun Tazieff et Jacques-Yves Cousteau. Le petit théâtre de Claude Santelli nous présentait Jules Verne, Victor Hugo, la comtesse de Ségur (née Rostopchine…) ou Charles Dickens.
    Aujourd’hui, les héros télévisuels sont des agents immobiliers… Et vous chercherez en vain une adaptation télévisuelle d’un grand auteur à destination de la jeunesse.
    Je rêvais d’être Neil Armstrong.
    Ma petite fille rêve d’être influenceuse.
    Voilà…

    • Descartes dit :

      @ Gugus69

      [Pareil, mais avec du whisky (français) à la place de l’Armagnac…]

      Whisky français ? Aaarghhhh…

      [Aujourd’hui, les héros télévisuels sont des agents immobiliers… Et vous chercherez en vain une adaptation télévisuelle d’un grand auteur à destination de la jeunesse.]

      Tout à fait. En fait, vous cherchez en vain une bonne adaptation télévisuelle d’un grand auteur tout court…

      [Je rêvais d’être Neil Armstrong. Ma petite fille rêve d’être influenceuse.]

      Un très beau résumé de l’évolution du monde.

      • P2R dit :

        @ Gugus69
         
        [Pareil, mais avec du whisky (français) à la place de l’Armagnac…]
         
        Attention à ne pas confondre patriotisme et chauvinisme ! 😉
         
        @ Descartes
         
        [En fait, vous cherchez en vain une bonne adaptation télévisuelle d’un grand auteur tout court…]
         
        Eh bien, je dois vous avouer que j’ai été agréablement surpris par l’adaptation télévisuelle de “Les Particules Elémentaires” de Houellebecq. Pas non plus de quoi crier au chef d’oeuvre, mais assurément un téléfilm réussi. Alors que c’était loin d’être gagné.

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [Eh bien, je dois vous avouer que j’ai été agréablement surpris par l’adaptation télévisuelle de “Les Particules Elémentaires” de Houellebecq.]

          Il est vrai que c’était une adaptation agréable à regarder. Mais vous m’excuserez de ne pas considérer Houellebecq comme un “grand auteur”.

        • Gugus69 dit :

          Attention à ne pas confondre patriotisme et chauvinisme ! 😉
           
          Oh ! Mais qu’est-ce que vous avez tous contre le whisky français ?
          Il y a belle lurette qu’on fait d’excellents whiskys, fort bien notés dans les concours internationaux : Armorik, Eddu, Roselieures, Fondaudege…

          • Descartes dit :

            @ Gugus69

            [Il y a belle lurette qu’on fait d’excellents whiskys, fort bien notés dans les concours internationaux : Armorik, Eddu, Roselieures, Fondaudege…]

            Avez-vous entendu parler de “appellation d’origine” ? Parler de Whisky armoricain est aussi absurde que de parler de Champagne australien.

            • Gugus69 dit :

              Avez-vous entendu parler de “appellation d’origine” ? Parler de Whisky armoricain est aussi absurde que de parler de Champagne australien.
               
              Tout faux ! La Champagne est un terroir.
              Le whisky (scotch, whiskey, bourbon…) est un produit de distillation de céréales. On fait du whisky dans le monde entier, en Écosse, en Irlande, aux États-Unis, au Canada, en Belgique, au Japon (superbe… !), en Corée du Sud, même en Chine : partout.
              “Whisky” n’est pas davantage une appellation d’origine que “vin” ou “bière”. Il en va autrement de Cognac, Armagnac, Calvados…
              Quant au Whisky Armorik, je vous encourage vivement à en tâter lors d’une de vos soirées amicales. Revenez ensuite, s’il vous plaît, me donner votre appréciation.

              ARMORIK CLASSIC

            • Descartes dit :

              @ Gugus69

              [Tout faux ! La Champagne est un terroir. Le whisky (scotch, whiskey, bourbon…) est un produit de distillation de céréales.]

              Des alcools de grain, il y en a beaucoup. La vodka, par exemple, est aussi est un produit de distillation de céréales (même si on peut en faire avec de la pomme de terre). Le champagne est un “terroir”, mais c’est aussi une méthode. Et la même chose vaut pour le whisky.

              [On fait du whisky dans le monde entier, en Écosse, en Irlande, aux États-Unis, au Canada, en Belgique, au Japon (superbe… !), en Corée du Sud, même en Chine : partout.]

              On fait aussi du Champagne un peu partout: en Californie, en Australie, en Argentine…

              [“Whisky” n’est pas davantage une appellation d’origine que “vin” ou “bière”. Il en va autrement de Cognac, Armagnac, Calvados…]

              Vous savez, les “appellations d’origine” n’existent que chez nous. Ailleurs, on vous parlera de “champagne français” pour le distinguer du “champagne californien” ou du “champagne argentin”.

              [Quant au Whisky Armorik, je vous encourage vivement à en tâter lors d’une de vos soirées amicales. Revenez ensuite, s’il vous plaît, me donner votre appréciation.]

              Envoyez-moi une bouteille, et je me ferais un devoir de vous donner mon avis… même s’il ne vaut pas grande chose, je ne prétends pas être un connaisseur!

  6. Geo dit :

    @Descartes
    [« mais aucun n’a l’impression d’avoir touché le prix de ses efforts. Quelque aient été nos rêves de jeunesse, aucun de nous n’a voulu consciemment ce que nous avons aujourd’hui.]
    Sans doute, mais en quoi est-ce spécifique de notre temps ?
    Je ne suis pas surpris que l’histoire m’échappe, elle échappe à tous. (Non parce que je ne la fais pas mais parce que tous la font aussi disait à peu près Sartre.)
    La suite de votre papier renvoie à l’idée de l’atomisation de la société. C’est plus spécifique, mais concerne tout de même une période très large. Et cette atomisation a été aussi l’affirmation de l’individu. Nous y tenons tous, je crois. La difficulté est là. Le mal qu’ont encore les syndicats à recruter, alors même que la diffamation contre eux ne porte plus et que leurs mots d’ordre sont souvent suivis, est proportionnel à notre répulsion devant le collectif. Notre vice est peut-être de nous sentir, “à plus de quatre”, non “une bande de cons” mais une bande de fanatiques, qui nous fait peur. Au faisceau des fusils on ne verra décidément pas le mien, quitte à laisser le monde tomber en ruine au prétexte d’anti-fanatisme. Il est curieux et presque comique que dans le même temps le courage des Ukrainiens fasse un tel succès chez nous.

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [« mais aucun n’a l’impression d’avoir touché le prix de ses efforts. Quelque aient été nos rêves de jeunesse, aucun de nous n’a voulu consciemment ce que nous avons aujourd’hui. » Sans doute, mais en quoi est-ce spécifique de notre temps ?]

      Je ne sais pas. Je n’ai pas eu l’opportunité de vivre à un autre temps que le mien. Mais je ne prétends pas être particulièrement original.

      [La suite de votre papier renvoie à l’idée de l’atomisation de la société. C’est plus spécifique, mais concerne tout de même une période très large.]

      « Très large » à quelle échelle ? L’atomisation de la société ne devient un fait dominant de la vie politique et sociale que vers la fin des années 1980.

      [Et cette atomisation a été aussi l’affirmation de l’individu. Nous y tenons tous, je crois. La difficulté est là.]

      Je ne partage nullement votre analyse. L’affirmation de l’individu est acquise au moins depuis les Lumières, si ce n’est avant, et cela n’a pas empêché les grands mouvements collectifs. Plus que l’affirmation de l’individu, c’est l’affirmation de la toute-puissance individuelle qui tend à atomiser la société. Et sur ce point, je ne pense pas que « nous y tenions tous »…

      [Le mal qu’ont encore les syndicats à recruter, alors même que la diffamation contre eux ne porte plus et que leurs mots d’ordre sont souvent suivis, est proportionnel à notre répulsion devant le collectif.]

      Où voyez-vous leurs mots d’ordre suivis ? En dehors de quelques entreprises publiques, les appels à la grève de ces derniers mois ont donné des résultats ridicules. Et dans les manifestations, on voit de plus en plus chacun manifester avec son petit écriteau, où il a mis ce qui lui passe par la tête. Notre « répulsion pour le collectif » tient au fait que s’inscrire dans un mouvement collectif revient à abdiquer une partie de sa toute-puissance. C’est accepter de défiler derrière une consigne choisie collectivement, plutôt que sous un écriteau qu’on choisit souverainement soi-même.

      [Il est curieux et presque comique que dans le même temps le courage des Ukrainiens fasse un tel succès chez nous.]

      C’est au contraire très symptomatique : vous remarquerez que nos médias présentent toujours les combattants ukrainiens comme une addition d’histoires individuelles. Telle chaine nous parle de ce père et de ce fils qui ont « décidé » de combattre dans la même unité, tel autre qui est revenu de l’étranger et a décidé de bricoler des drones… on n’évoque jamais le fait que l’armée ukrainienne a une hiérarchie, que les soldats obéissent aux ordres. Lors de la deuxième guerre mondiale, on savait les noms des commandants alliés – et ennemis : Koniev, Joukov, Patton, Montgomery, Eisenhower, Von Paulus, Goering, Von Rundstedt, Rommel. Connaissez-vous le nom d’un seul général ukrainien ? Non, côté ukrainien on ne voit jamais de gradés. Un peu comme si les soldats ukrainiens se commandaient eux-mêmes, que c’était une addition d’individus tout-puissants…

  7. pzorba75 dit :

    Tous les Von nazis ont été recyclés en bon ordre et dans l’intérêt des alliés contre l’URSS. Tout cela organisé par le Vatican et les américains qui ne sont pas débarqués en Europe en juin 1944 pour un autre combat que celui mené, et provisoirement perdu, par les troupes allemandes de Paulus jusqu’à Stalingrad. 
    La victoire est survenue en 1991 et mérite confirmation en 2023 avec la contre-offensive ukrainienne pour reprendre la Crimée auminimum.
    Bon courage les Von.

  8. DR dit :

    Bonjour,
    Quelques vagues pistes à ajouter :
    – l’idée de la fin de l’histoire (=Maastricht ?) => le droit remplace les armes.
    – la place prise par le Droit : les entreprises sont assassinées sous des normes croissantes, et surgissent de toute part des juristes. Je ne leur en veux pas, je l’ai été : mais la soumission à la norme est un travers bien français qui ne pousse pas à l’action. C’est, pour un politique, l’apparence de l’action.
    – la place prise par la Communication : vous en parlez vous même. Elle supplante souvent la réalité.
    – la fin des grands chantiers et des ingénieurs : j’ai travaillé sur Civaux, derniere centrale EDF reliée au réseau. La figure de l’ingénieur a cédé le pas à la figure du financier et de l’avocat.
    – l’explosion des rémunérations de fonctions supports, les avocats et les banquiers. Au delà de toute décence, alors qu’ils n’ont aucune responsabilité de production. Résultat ; nos matheux travaillent sur les algorithmes des traders de la BNP … 
    – les anywhere vs les somewhere. Nous travaillons dans des entreprises internationales, et notre bonus est lié à la vente d’un sac en cuir à Singapour. Autour de moi, tous ont passé 4 à 6 ans à l’étranger, et sont donc persuadés que le monde est un village…Même si passé 50 ans, beaucoup ont perdu leurs postes.
    – les mariages entre diplômés : il n’y a plus personne pour occuper des postes de production en province, voire en campagne. Une des raisons = la double carrière de personnes issues des mêmes écoles, possible uniquement à Paris. La réindustrialisation me semble être un leurre.
    – la figure de la victime succède à celle du héros.
    – la discrimination positive : la méritocratie napoléonienne nous avait pourtant fait sortir des ornières de l’Ancien Régime et des nominations aberrantes des grands. Or la discrimination positive érode l’égalité de tous devant les concours : certains sont plus égaux.
    – le gauchisme : auditeur de France Culture depuis des années, je suis confronté à la confiscation des émissions par de pseudo rebelles. Qui donc se charge de la transmission ? je suis tout particulièrement sensible à l’absence de portraits de personnalités qui ont marqué l’histoire, hors bien sur les icones gauchistes type Louise Michel. Mais qui pour parler des Maréchaux de Napoléon, des explorateurs français (https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9-Robert_Cavelier_de_La_Salle )  via des biopics ? Napoleon est rattrapé par son role dans le rétablissement de l’esclavage, du coup le reste est inaudible. J’avais bien aimé Sureau, parfois un peu verbeux : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/un-voyage-la-seine-et-nos-amours Les portraits sont épatants (Lyautey, justement…) 
    – Jack Lang : le “tout se vaut” nous a mené à un grand n’importe quoi.
    – l’école : pas facile de transmettre à des jeunes dont la capacité de concentration est tombée aux alentours de 30 secondes.
    – la perte de confiance des individus envers une société trop différente. C’est l’idée que soulève Dominique Reynié dans la dernière édition de Repliques. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/repliques/la-france-en-colere-1288928 J’avais déjà lu des propos équivalents, par un sociologue qui avait mesuré le déclin de la confiance en le corrélant à la fréquentation des clubs de bowling.
    – la perte de confiance envers les politiques. Dans mon domaine, l’électricité, l’empilement de décisions calamiteuses, dont chacun perçoit immédiatement le caractère néfaste sans aucun besoin d’explication compliquée, ne peut qu’éroder la confiance dans les politiques.
    – la difficulté à nommer le réel, et la judiciarisation de tout propos.
    – l’état de la justice : question de budget peut etre, mais relâcher immédiatement à peu prés tous les délinquants ne peut qu’amoindrir la confiance en l’autorité. Je serai assez favorable à introduire l’idée d’une élection des magistrats. Ou alors le recours à l’Intelligence Artificielle.
    – l’état de l’université et de la recherche publique : ex ; le CNRS et ses sociologues.
    – le vieillissement. Un ami qui travaille pour un célébre bistrotier auvergnat me disait que les projections démographiques montraient qu’à l’horizon 2030 (?), 80% des français vivraient à moins de 5 km de la mer. Le centre se dépeuple, les hordes de cheveux gris prennent d’assaut le littoral.
    – l’impuissance voulue (immigration). Peut etre que renouer avec une politique de puissance doit passer par une politique de confrontation avec les Etats du Sud. Mais qui pour jouer ce role, sachant qu’il sera désavoué tot ou tard ? qui pour prendre le role du méchant, sachant que lui meme et ses enfants seront trainés dans la boue ? Souvenons nous d’Eric Besson.
    – ce qui se passe aux Etats Unis (San Francisco) n’est guere positif…
    Je voudrais terminer sur une note positive :
    – les français collectivement travaillent très bien. Chez Accenture, les équipes françaises travaillaient mieux et plus vite que les américains. C’est aussi ce que me disent mes collégues étrangers. 
    – il nous reste à batir le fameux projet collectif chez à de Gaulle pour “compenser les ferments de dispersion”.
    Amitiés.

    • Descartes dit :

      @ DR

      [– l’idée de la fin de l’histoire (=Maastricht ?) => le droit remplace les armes.]

      Cette idée a été largement battue en brèche depuis quelques années, au point que même les eurolâtres finissent par le comprendre. L’Allemagne est en train de réarmer, et c’est là un signe que la parenthèse ouverte dans les années 1950 s’est refermée. Parce qu’on sait bien qu’une fois qu’on a les armes, la tentation de les utiliser est irrépressible.

      [– la place prise par le Droit : les entreprises sont assassinées sous des normes croissantes, (…)]

      A regarder les profits des grandes entreprises, je me dis que pour des « assassinées », elles se portent assez bien. Le foisonnement normatif leur profite plutôt : l’uniformisation au niveau mondial leur permet de fabriquer et de vendre partout dans le monde, et comme elles peuvent se payer les meilleurs juristes – et éventuellement les meilleurs juges… – elles arrivent en général à passer à travers.

      [et surgissent de toute part des juristes. Je ne leur en veux pas, je l’ai été : mais la soumission à la norme est un travers bien français qui ne pousse pas à l’action. C’est, pour un politique, l’apparence de l’action.]

      Je pense que vous faites fausse route. La multiplication métiers juridiques ne traduit pas la soumission a la norme, mais plutôt la volonté d’utiliser ses défauts pour passer à travers. On ne prend pas un fiscaliste pour payer tout ce qu’on doit, mais pour payer le moins possible, et le meilleur avocat n’est pas celui qui vous dit de ne pas commettre le délit, mais celui qui vous permet de le commettre impunément… La substitution des ingénieurs par les juristes traduit plutôt la dématérialisation de l’économie : dès lors qu’on travaille avec des bouts de papier plutôt que des machines, la manière comme ces bouts de papier est rédigée devient très importante…

      J’ajoute que je suis très surpris par votre idée que « la soumission à la norme est un travers bien français ». C’est drôle, parce qu’en général on nous reproche l’inverse : la liberté permanente prise avec la norme. En Allemagne, les gens ne traversent pas la rue avec le feu piéton au rouge quand même il n’y aurait aucune voiture à l’horizon. Pas en France. En Allemagne ou en Grande Bretagne, on vous dit obéir à la règle parce que c’est la règle. En France, on enseigne plutôt qu’il faut obéir à la règle parce qu’elle est rationnelle, ce qui laisse une marge de jugement bien plus large à l’individu.

      [– la fin des grands chantiers et des ingénieurs : j’ai travaillé sur Civaux, derniere centrale EDF reliée au réseau. La figure de l’ingénieur a cédé le pas à la figure du financier et de l’avocat.]

      Tout à fait. Et ce n’est pas parce que les « grands chantiers » n’existent plus. Pensez au réseau de fibre optique, qui n’a rien à envier au « plan téléphone » des années 1970 par sa taille. Seulement, la dématérialisation de l’économie fait qu’on ne fait pas de profit en construisant des usines, mais en négociant des titres. Et cette dématérialisation entraîne la substitution de ceux qui travaillent avec la matière par ceux qui travaillent avec le papier.

      [– les anywhere vs les somewhere. Nous travaillons dans des entreprises internationales, et notre bonus est lié à la vente d’un sac en cuir à Singapour. Autour de moi, tous ont passé 4 à 6 ans à l’étranger, et sont donc persuadés que le monde est un village…Même si passé 50 ans, beaucoup ont perdu leurs postes.]

      Tout à fait. L’approfondissement du capitalisme fait que le capital n’a pas de frontières. Et cela suppose que beaucoup de fonctions supérieures dans les entreprises n’ont plus d’attache nationale. Et cela n’est pas sans effet sur la classe qui assume ces fonctions.

      [– les mariages entre diplômés : il n’y a plus personne pour occuper des postes de production en province, voire en campagne. Une des raisons = la double carrière de personnes issues des mêmes écoles, possible uniquement à Paris. La réindustrialisation me semble être un leurre.]

      Là, je ne vous suis pas. Si on réindustrialisait le pays, il y aurait des postes en production partout, et donc la possibilité tant pour le mari que pour la femme de trouver du travail. Il y a des entreprises qui d’ailleurs organisent ce type de mobilité. Bien sûr, si l’un des époux accède à de hautes fonctions, il sera aspiré à Paris. Mais le cas reste rare. Beaucoup de hauts cadres sont aujourd’hui célibataires géographiques d’ailleurs, ce que la qualité des transports permet.

      [– la figure de la victime succède à celle du héros.]

      Tout à fait, et c’est là une problématique qui m’intéresse au plus haut point. Pourquoi cette substitution ? J’ai une hypothèse : la toute-puissance individuelle érigée en principe fondateur fait que l’individu ne peut admettre qu’un autre soit meilleur que lui. Or, il n’est pas donné à tout le monde d’être un héros. Mais tout le monde peut chausser les bottes de la victime, en se référant à une discrimination, à un conflit perdu, à un examen raté… ou au besoin en l’inventant. Pour le dire autrement, le héros est un idéal inatteignable : le prendre pour référence, c’est admettre qu’il y a des gens qui sont meilleurs que moi et que je n’égalerai jamais – même si je peux les imiter. La victime est un idéal parfaitement atteignable…

      [– la discrimination positive : la méritocratie napoléonienne nous avait pourtant fait sortir des ornières de l’Ancien Régime et des nominations aberrantes des grands. Or la discrimination positive érode l’égalité de tous devant les concours : certains sont plus égaux.]

      Mais c’est précisément le but poursuivi. Il faut comprendre que dans un système méritocratique, les cartes sont rebattues à chaque génération. Pas totalement, bien sûr : le fils du polytechnicien part avec un avantage sur le fils d’ouvrier à l’heure d’entrer à polytechnique. Mais si cet avantage existe – comment pourrait-il en être autrement dans une société inégalitaire – il n’est pas absolu. Le polytechnicien n’est pas à l’abri d’avoir un fils cancre, et le fils d’ouvrier, s’il travaille bien, a ses chances – surtout si, comme c’était le cas il n’y a pas si longtemps, l’école le pousse. La sélection sur dossier – et ne nous trompons pas, la « discrimination positive » n’est qu’un cache sexe pour remettre en cause le concours et passer à une sélection de ce type – permet au contraire aux classes intermédiaires de s’assurer leur reproduction. Le cancre du polytechnicien aura bien plus de chances avec ce type de procédure, le fils d’ouvrier beaucoup moins. Et ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les chiffres : depuis que l’on a créé les voies parallèles d’admission aux grandes écoles, le pourcentage de fils d’ouvriers a considérablement baissé. Et je ne parle même pas de la multiplication des écoles privées…

      [– le gauchisme : auditeur de France Culture depuis des années, je suis confronté à la confiscation des émissions par de pseudo rebelles. Qui donc se charge de la transmission ? je suis tout particulièrement sensible à l’absence de portraits de personnalités qui ont marqué l’histoire, hors bien sur les icones gauchistes type Louise Michel.]

      D’autant plus que, si vous regardez bien, il y a des personnalités riches qui ont marqué notre histoire et que la gauche pourrait revendiquer. Je pense aux grands révolutionnaires (Robespierre, Danton…), aux créateurs des grands instituts de recherche (Irène et Fréderic Joliot-Curie, Jean Perrin…), aux créateurs de la sécurité sociale (Croizat, Laroque, Parodi), à la nationalisation de l’électricité et du gaz (Marcel Paul). Que la gauche préfère plutôt se faire des icônes comme Louise Michel ou Gisèle Halimi, c’est-à-dire des gens qui n’ont fait que s’opposer mais qui n’ont rien construit est assez révélateur de ce que la gauche est devenue : un mouvement qui se conçoit en opposition aux institutions plutôt qu’en créateur de celles-ci.

      [– la perte de confiance envers les politiques. Dans mon domaine, l’électricité, l’empilement de décisions calamiteuses, dont chacun perçoit immédiatement le caractère néfaste sans aucun besoin d’explication compliquée, ne peut qu’éroder la confiance dans les politiques.]

      Mais qui vote ces politiques ? Parce qu’à un moment donné, il faut se poser la question. Ces politiques ne tombent pas de la planète Zorg pour prendre le contrôle de l’humanité grâce à leurs pouvoirs télépathiques. Ces politiques, sont votés périodiquement. Il faut donc croire que les décisions de ces politiques ne sont pas « calamiteuses » pour tout le monde, puisqu’il se trouve une proportion non négligeable des gens pour les voter.

      [– l’état de la justice : question de budget peut etre, mais relâcher immédiatement à peu prés tous les délinquants ne peut qu’amoindrir la confiance en l’autorité. Je serai assez favorable à introduire l’idée d’une élection des magistrats. Ou alors le recours à l’Intelligence Artificielle.]

      Je ne vois pas très bien ce que l’élection des magistrats changerait, outre le fait qu’elle soumettrait les décisions de justice au lobbying électoral et à la démagogie, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Quant à l’intelligence artificielle… accepteriez-vous d’être jugé par une machine ?

      [– le vieillissement. Un ami qui travaille pour un célébre bistrotier auvergnat me disait que les projections démographiques montraient qu’à l’horizon 2030 (?), 80% des français vivraient à moins de 5 km de la mer. Le centre se dépeuple, les hordes de cheveux gris prennent d’assaut le littoral.]

      C’est une absurdité. Les limitations du foncier étant ce qu’elles sont, les prix monteront jusqu’à ce que l’équilibre s’établisse…

      [– les français collectivement travaillent très bien. Chez Accenture, les équipes françaises travaillaient mieux et plus vite que les américains. C’est aussi ce que me disent mes collègues étrangers.]

      C’est aussi ce qu’on voit dans les projets multinationaux.

      [– il nous reste à batir le fameux projet collectif chez à de Gaulle pour “compenser les ferments de dispersion”.]

      Le problème, c’est que la vision gaullienne n’incorpore pas la problématique de la lutte des classes. Mongénéral avait d’ailleurs une certaine tendance à rejeter l’idée même. Et il pouvait se le permettre parce qu’en 1946 comme en 1958 il pouvait s’appuyer sur un relatif consensus entre un patronat national et la classe ouvrière, dans la mesure où la forte croissance des « trente glorieuses » conduisait à un rapport de forces équilibré, et que les classes intermédiaires étaient négligeables. Dans ces conditions, le projet qui passait par la reconstruction et le partage équilibré des fruits de la croissance était acceptable par tous. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui : les couches populaires ont été chassées du champ politique, et les classes intermédiaires sont prédominantes. Dans ces conditions, on voit mal quel serait le « projet collectif » acceptable par tous…

      • marc.malesherbes dit :

         
        « Parce qu’on sait bien qu’une fois qu’on a les armes, la tentation de les utiliser est irrépressible. »
         
        C’est le credo de la plupart des pacifistes.
        Néanmoins j’aimerai que vous explicitiez votre position.
         
        Certes, si on est « pétainiste », au sens ou on accepte la soumission à un voisin qui vous envahit plutôt que de se battre, il devient effectivement inutile d’être armé. Cela a été la position de la France après 1940 et dans bien d’autres circonstances.
         
        A l’inverse d’autres peuples ont fait le choix, plus ou moins réussi, d’avoir des armes pour résister à une agression extérieure. Le meilleur exemple que je connaisse est celui du Japon. La Chine, qui était insuffisamment armée et efficace en la matière, avait du constamment reculer devant la poussée russe de la fin du XIXe. Par contre le Japon, en 1904-1905 après s’être armé, a mis fin à l’expansion de l’empire russe dans la région en le repoussant par les armes.
         
        Cela a été également le cas de la plupart des peuples colonisés qui se sont battus pour obtenir leur indépendance et ont recherché des armes autant qu’ils le pouvaient.
         
        Il y a également d’innombrables exemples de peuples qui faute de s’être armés suffisamment, ou faute d’avoir su se battre efficacement, n’ont pu résister à l’invasion de leurs voisins. Le cas de l’Ukraine est emblématique à cet égard ; Donbass et Crimée annexée de fait par la Russie en 2014, puis en 2021, incapable de résister suffisamment efficacement aux russes, les Ukrainiens ont du encore leur céder un terrain considérable (la fin de cette opération spéciale russe n’est pas encore en vue, mais on ne voie pas que l’Ukraine puisse récupérer les terrains perdus depuis 2014)
         

        • Descartes dit :

          @ marc.malesherbes

          [« Parce qu’on sait bien qu’une fois qu’on a les armes, la tentation de les utiliser est irrépressible. » C’est le credo de la plupart des pacifistes. Néanmoins j’aimerai que vous explicitiez votre position.]

          C’était une réflexion sur la difficulté des nations à s’autolimiter. Lorsqu’on a un problème, et que l’on dispose d’un outil puissant pour le résoudre, il est rare qu’on s’interdise soi-même de l’utiliser.

          [A l’inverse d’autres peuples ont fait le choix, plus ou moins réussi, d’avoir des armes pour résister à une agression extérieure.]

          Il est clair que si l’on se dote d’armes exclusivement défensives – comme c’est le cas par exemple des armes de dissuasion – on ne les utilisera que si on est attaqué. Pas la peine d’aller chercher aussi loin, vous avez l’exemple de la Suisse. Seulement, les limitations de cette approche sont évidentes : les armes défensives ne permettent pas de peser dans le concert des nations.

          [Cela a été également le cas de la plupart des peuples colonisés qui se sont battus pour obtenir leur indépendance et ont recherché des armes autant qu’ils le pouvaient.]

          Et une fois l’indépendance acquise, ont souvent été casser la gueule à leurs voisins.

          [Il y a également d’innombrables exemples de peuples qui faute de s’être armés suffisamment, ou faute d’avoir su se battre efficacement, n’ont pu résister à l’invasion de leurs voisins. Le cas de l’Ukraine est emblématique à cet égard ;]

          Votre choix d’exemples ne l’est pas moins… l’Ukraine est plutôt un exemple de l’inverse : un cas où le réarmement d’un pays préoccupe ses voisins au point qu’ils déclenchent la guerre plutôt que d’attendre que le rapport de force s’inverse.

  9. Geo dit :

    @Descartes
    [L’atomisation de la société ne devient un fait dominant de la vie politique et sociale que vers la fin des années 1980.]
    Mais Marx peut parler bien avant des “eaux glacées du calcul égoïste” dans lesquelles la bourgeoisie a plongé la société. C’est une notion proche si le mot d’atomisation ne fait pas partie de son vocabulaire. Le projet d’atomisation remonte loin. (La révolution française  brise les organisations professionnelles ouvrières si ma mémoire est bonne.)

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [« L’atomisation de la société ne devient un fait dominant de la vie politique et sociale que vers la fin des années 1980. » Mais Marx peut parler bien avant des “eaux glacées du calcul égoïste” dans lesquelles la bourgeoisie a plongé la société.]

      Oui. Mais Marx anticipe sur son temps. Si la bourgeoisie se construit sur ce « calcul égoïste », la société reste régie par des règles, des habitudes, des représentations héritées du mode de production antérieur et qui continuent à peser très lourd jusqu’à bien avancé le XXème siècle, et dans certains groupes jusqu’au XXIème. La figure du juge honnête, du professeur dévoué, du fonctionnaire intègre, toutes hérités d’une « logique de l’honneur » qui n’a plus cours sous le capitalisme, sont certes écornées, mais représentent encore une certaine réalité.

      [C’est une notion proche si le mot d’atomisation ne fait pas partie de son vocabulaire. Le projet d’atomisation remonte loin. (La révolution française brise les organisations professionnelles ouvrières si ma mémoire est bonne.)]

      L’atomisation est contenue en germe dans le projet libéral, même si ses auteurs s’en défendent en imaginant que les individus « libres » chercheront à s’associer pour le bien commun. C’est la contradiction majeure de l’idéalisme de Rousseau.

  10. marc.malesherbes dit :

     
    Très beau papier qui reflète certainement les sentiments d’une élite qui a vu l’évolution regrettable de la France.
     
    Mais, sans contester ces réalités, pensez aux sentiments de ceux de la classe « moyenne » qui ont bénéficié de l’amélioration considérables de leurs horizons, de leurs possibilités, de leur libertés.
     
    J’habite une petite commune déshéritée de la lointaine banlieue parisienne. Tout autour de moi des petites maisons avec jardin où tous se sont construits de belles piscines dont ils profitent largement à la belle saison. Ce ne sont pas des « riches », simplement des artisans travailleurs. Un rêve seulement réalisable par une infime minorité dans ma jeunesse.
     
    Un autre exemple : une simple ouvrière de mes connaissances va faire cet été un séjour de plongée sous-marine dans la mer rouge. A nouveau impensable dans ma jeunesse.
     
    En ce qui me concerne, c’est pareil. Je bénéficie, malgré mes moyens très limités, via internet et un micro ordinateur, d’un espace de connaissance, de ressources et de travail sans commune mesure avec ce que je connaissais dans ma jeunesse. Je suis le plus heureux des hommes.
     
    Et je pourrai vous multiplier les exemples analogues. On peut argumenter que cela ne va pas durer, qu’il y a beaucoup de malheureux, mais cela existe aussi. Et en pourcentage de la population ce n’est pas négligeable.
     
    Quand à l’avenir … nous ne sommes pas les premiers à voir un monde s’écrouler. Pensez à un romain cultivé imprégné de stoïcisme de la fin de l’empire, en 380 ou 410 par exemple, qui voit à l’intérieur se propager une idéologie absurde, le christianisme, et son empire envahi par les barbares.
     
    Pour nous ce sera similaire : nous verrons à l’intérieur l’idéologie woke, le communautarisme s’imposer, et à l’extérieur les barbares russes nous menacer, peut-être nous vassaliser, en attendant le tour des Chinois, puis des noirs africains, pendant que le réchauffement climatique rendra la vie de plus en plus difficile, nous condamnant de plus en plus à vivre dans des bulles climatisées comme déjà au Japon (et je ne connais pas les autres pays du monde d’aujourd’hui).
     

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Mais, sans contester ces réalités, pensez aux sentiments de ceux de la classe « moyenne » qui ont bénéficié de l’amélioration considérables de leurs horizons, de leurs possibilités, de leur libertés. J’habite une petite commune déshéritée de la lointaine banlieue parisienne. Tout autour de moi des petites maisons avec jardin où tous se sont construits de belles piscines dont ils profitent largement à la belle saison. Ce ne sont pas des « riches », simplement des artisans travailleurs. Un rêve seulement réalisable par une infime minorité dans ma jeunesse. Un autre exemple : une simple ouvrière de mes connaissances va faire cet été un séjour de plongée sous-marine dans la mer rouge. A nouveau impensable dans ma jeunesse.]

      Je ne suis pas, vous l’aurez compris, de ceux qui tiennent un discours misérabiliste. L’amélioration de la condition MATERIELLE de nos concitoyens est, me semble-t-il indiscutable. Comment pourrait-il en être autrement, d’ailleurs, alors que, comme je l’ai signalé, la richesse produite en France a considérablement augmenté en un demi-siècle ? Mais si vous relisez mon article, vous verrez que je parle d’une dégradation qui ne touche pas l’aspect matériel. Oui, nous avons de plus en plus de piscines, de plus en plus de voyages. Mais nous voyageons dans des trains dégradés par les tags et qui souvent arrivent en retard, nous devons faire attention de ne pas sortir dans certains quartiers la nuit, nos jeunes se voient proposer de la cocaïne à la sortie du lycée, nos enfants jouent leur avenir à la roulette de Parcoursup, sont obligés d’accepter des emplois précaires ou sont directement au chômage.

      Oui, ces petites classes moyennes ont certainement bénéficié d’une « amélioration de leurs possibilités ». Mais de leurs « libertés » ? Je ne sais pas si on est plus « libre » lorsqu’on et obligé d’installer des alarmes pour éviter les cambriolages, ou lorsque votre hall d’immeuble ou le square de votre quartier est occupé par les vendeurs de drogue. Et quant aux « horizons »… là je suis en désaccord absolu avec vous. Les horizons se sont singulièrement rétrécis, d’une part à cause de la précarité, qui empêche de se projeter dans l’avenir, de l’autre par la multiplication de médias qui nous servent exactement ce que nous voulons entendre.

      [En ce qui me concerne, c’est pareil. Je bénéficie, malgré mes moyens très limités, via internet et un microordinateur, d’un espace de connaissance, de ressources et de travail sans commune mesure avec ce que je connaissais dans ma jeunesse. Je suis le plus heureux des hommes.]

      Certes. Mais vous avez bénéficié, vous, d’une formation à l’ancienne : une famille constituée, une école de qualité, une vie professionnelle stable. Je doute que les générations qui arrivent, éduqués dans une famille éclatée et dans une école en ruine, soumis à la précarité professionnelle, auront à votre âge les outils pour profiter comme vous le faites de cet « espace de connaissance ».

      [Quand à l’avenir … nous ne sommes pas les premiers à voir un monde s’écrouler. Pensez à un romain cultivé imprégné de stoïcisme de la fin de l’empire, en 380 ou 410 par exemple, qui voit à l’intérieur se propager une idéologie absurde, le christianisme, et son empire envahi par les barbares.]

      Ça a donné quand même quelques siècles de désordre, de misère, de recul de la vie intellectuelle. Si c’est cela qui nous attend, vous comprendrez que je ne regarde pas l’avenir avec un grand optimisme…

      [Pour nous ce sera similaire : nous verrons à l’intérieur l’idéologie woke, le communautarisme s’imposer, et à l’extérieur les barbares russes nous menacer, peut-être nous vassaliser, en attendant le tour des Chinois, puis des noirs africains, pendant que le réchauffement climatique rendra la vie de plus en plus difficile, nous condamnant de plus en plus à vivre dans des bulles climatisées comme déjà au Japon (et je ne connais pas les autres pays du monde d’aujourd’hui).]

      Peut-être avez-vous raison, mais je ne compte pas m’y résigner. Je trouve quand même très drôle votre référence aux « barbares russes et chinois », alors que le principal risque pour notre culture et notre civilisation vient plutôt des « barbares états-uniens ». Regardez les affiches dans le métro, et vous verrez partout du « globish ». Les caractères cyrilliques ou mandarins sont curieusement absents…

  11. Didier Bous dit :

    La France de 1970 n’est-elle pas la résultante de 1940? Une catastrophe qui réveille une génération et une seule et nous serions revenu à la normalité. Dans les années trente, nous étions médiocres et divisés et les européistes commençaient à peser.
    Sur l’explication par la lâcheté, je dirai que la gauche impose sa volonté, la droite classique s’est complètement couchée, le RN est mou et peu actif. A partir du moment où la gauche protège les délinquants, les islamistes, les féminazies, les vegan, femen et autres. Que voulez-vous faire? Vous risquez le tabassage, le licenciement ou la mort sociale. Pensez aux jeunes de gauche qui étaient dans le camp de ceux qui critiquaient Mila.
    Pas d’accord avec l’hypothèse de la solitude. Vous voyez bien le conformisme à gauche, chez les Verts et les centristes, vous devez constater leur énergie, vous voyez bien la violence de groupe de la jeunesse de gauche et des Verts. Pour moi, nous sommes face à leur dynamisme face à la passivité des autres. La droite s’est couchée, le parti communiste a littéralement disparu. Aujourd’hui, le RN me semble de plus en plus mou mais la droite se réveille et l’on constate que le camp Zemmour bouge et, si petit qu’il soit, réussit parfois à faire annuler des mesures de gauche.

    • Descartes dit :

      @ Didier Bous

      [La France de 1970 n’est-elle pas la résultante de 1940? Une catastrophe qui réveille une génération et une seule et nous serions revenu à la normalité. Dans les années trente, nous étions médiocres et divisés et les européistes commençaient à peser.]

      Il est trivial de dire que toute situation historique trouve ses racines dans le passé. Mais plus que la « résultante », je verrais dans les années 1970 la fin du cycle ouvert en 1945. Par certains côtés, oui, c’est le retour à une certaine « normalité » dont nous avait sorti la catastrophe de 1940. Mais les processus à l’œuvre en 1930 et en 1970 sont très différents.

      Dans les années 1930, on avait le traumatisme de la Grande Guerre, qui avait donné une grande puissance aux mouvements pacifistes et donc au rejet de toute politique de puissance. A cela s’ajoutaient les effets de la crise de 1929, qui ont exacerbé les conflits sociaux, et la présence du premier état socialiste, l’URSS, qui terrorisait les bourgeoisies nationales jusqu’à leur faire préférer les solutions autoritaires. La situation des années 1970 n’a rien à voir : les stabilisateurs keynésiens ont rendu des crises comme celle de 1929 impossibles, les conflits sociaux sont régulés, l’URSS a depuis longtemps abandonné l’idée de révolution mondiale pour se concentrer sur ses problèmes internes.

      Mais surtout, il y a une grande nouveauté : l’arrivée au pouvoir des classes intermédiaires qui se sont constitué pendant les « trente glorieuses ». A la fin des années 1960, la croissance de rattrapage liée à la reconstruction commence à ralentir. Au début des années 1970, les déséquilibres monétaires puis le choc pétrolier reposent la question de la distribution de la valeur ajoutée. Les classes intermédiaires comprennent vite que leur position est précaire, qu’elles ne peuvent se maintenir qu’en « figeant » la société, et notamment, en arrêtant l’ascenseur social – et l’assimilation des étrangers – qui sont deux processus qui fabriquent des concurrents à leurs propres enfants.

      [Sur l’explication par la lâcheté, je dirai que la gauche impose sa volonté, la droite classique s’est complètement couchée,]

      Vous trouvez ? Je dirai le contraire : la droite impose sa volonté, puisque la gauche a adopté les politiques de la droite…

      [le RN est mou et peu actif.]

      Le RN est paralysé par ses contradictions. Il n’arrive pas à choisir vraiment entre la ligne « social-souverainiste » et la ligne « nostalgique ». Parler peu, c’est prendre le minimum de risques de mécontenter les uns ou les autres…

      [A partir du moment où la gauche protège les délinquants, les islamistes, les féminazies, les vegan, femen et autres. Que voulez-vous faire ? Vous risquez le tabassage, le licenciement ou la mort sociale.]

      Que vient faire « la gauche » là-dedans ? A ma connaissance, la droite ne fait pas grande chose contre les déliquants, les islamistes, les féminazies, les végan ou les femen. Ce n’est pas une question de « droite » ou de « gauche », mais une question de classe – et cela apparaît clairement avec le macronisme, ou l’on voit se côtoyer des gens venus de « la gauche » et des gens venus de « la droite ». C’est Blanquer, un homme de droite, qui a liquidé le baccalauréat.

      [Pas d’accord avec l’hypothèse de la solitude. Vous voyez bien le conformisme à gauche, chez les Verts et les centristes, vous devez constater leur énergie, vous voyez bien la violence de groupe de la jeunesse de gauche et des Verts. Pour moi, nous sommes face à leur dynamisme face à la passivité des autres.]

      Mon hypothèse concernant la population en général, et non pas un petit groupe d’activistes qui, même s’ils font beaucoup de bruit, ont un poids quasi nul. Parce qu’on peut se faire peur avec la « violence » de tel ou tel groupe gauchiste, mais en pratique cette violence reste symbolique et assez limitée. Plus inquiétante est la violence contre des élus, mais celle-là est généralement individuelle.

      [et l’on constate que le camp Zemmour bouge et, si petit qu’il soit, réussit parfois à faire annuler des mesures de gauche.]

      Comme par exemple ? Dites donc, vous êtes obsédé par la “gauche”…

      • delendaesteu dit :

        @descartes
        Sans être obsédé par la gauche, certaines couillonnades sont quand même typiquement de gauche :
        Exemple ,l’idée de faire courir  des enfants français et allemands entre les tombes de la nécropole de Douaumont pour commémorer le centenaire de la bataille de verdun
        Exemple, la subvention accordée par la mairie de Lyon à une association qui traite # d’ecosexualité # pratique  qui consiste à  mimer des actes sexuels dans la nature
        Exemple, la cérémonie d’hommage organisée  par la Marie d’Annecy  suite au drame se terminant par parlez moi d’amour 
         

        • Descartes dit :

          @ delendaesteu

          [Sans être obsédé par la gauche, certaines couillonnades sont quand même typiquement de gauche : Exemple, l’idée de faire courir des enfants français et allemands entre les tombes de la nécropole de Douaumont pour commémorer le centenaire de la bataille de Verdun]

          Comme disait un dirigeant communiste, « la bêtise n’a pas de parti ». Je n’ai aucune tendresse particulière pour « la gauche » en général, mais je trouve qu’elle ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité. On vit un moment de vide idéologique, à gauche comme à droite. Et du coup, les gens font n’importe quoi sans se poser des questions.

          [Exemple, la subvention accordée par la mairie de Lyon à une association qui traite # d’ecosexualité # pratique qui consiste à mimer des actes sexuels dans la nature]

          Je ne connaissais pas cette pratique, alors je suis allé m’informer. Encore un délire qui nous vient d’outre-Atlantique. Mais franchement, peut-on parler de « gauche » à ce propos ?

          [Exemple, la cérémonie d’hommage organisée par la Marie d’Annecy suite au drame se terminant par parlez-moi d’amour]

          Au début, j’ai cru que vous faisiez référence à la chanson de Brassens, celle qui dit « parlez-moi d’amour et je vous fous mon poing sur la gueule ». Mais il s’agit de celle chantée par Juliette Greco. Le plus drôle est que celui qui a choisi la chanson ne connaît pas les paroles. Car la chanson est bien plus ambiguë que le titre ne le fait penser :

          Parlez-moi d’amour
          Redites-moi des choses tendres
          Votre beau discours
          Mon cœur n’est pas las de l’entendre
          Pourvu que toujours
          Vous répétiez ces mots suprêmes
          Je vous aime
          Vous savez bien
          Que dans le fond je n’en crois rien
          Mais cependant je veux encore
          Écouter ces mots que j’adore

          • delendaesteu dit :

            @descartes
            # franchement, peut-on parler de « gauche » à ce propos ?#
            Certes,  Mais aucun des ces trois exemples ne provient ni de LR ni du RN.
            Le 1er du gouvernement Valls , les 2 suivants d’une Mairie Ecolo.
            Concernant  les  écologistes ,il est vrai qu’il n’a rien à  attendre d’un parti donc 49% des adhérents ont choisi inénarrable Sandrine Rousseau comme candidate à  la primaire lors de la présidentielle. Une professeur d’université qui déclare préférer les sorcières aux ingénieurs !!! Pauvre de nous.
             

            • Descartes dit :

              @ delendaesteu

              [Certes, Mais aucun des ces trois exemples ne provient ni de LR ni du RN. Le 1er du gouvernement Valls , les 2 suivants d’une Mairie Ecolo.]

              Franchement, je n’ai jamais compris pourquoi on classe les écolos dans la “gauche”. C’est un mouvement passéiste, réactionnaire, anti-progrès et anti-science. Quel rapport avec ce qu’on appelle historiquement “la gauche” ? Mais au delà, je pense que vous trouverez des décisions tout aussi absurdes chez LR en cherchant bien. Quant au RN, je vous rappelle qu’ils ont eu quelques élus hauts en couleur qui ont sorti pas mal de bêtises, avant que MLP mette de l’ordre.

              [Concernant les écologistes ,il est vrai qu’il n’a rien à attendre d’un parti donc 49% des adhérents ont choisi inénarrable Sandrine Rousseau comme candidate à la primaire lors de la présidentielle. Une professeur d’université qui déclare préférer les sorcières aux ingénieurs !!! Pauvre de nous.]

              Mais justement, à un certain moment il faut s’interroger sur les étiquettes. Peut-on parler de “gauche” à propos d’un parti qui affiche sans fausse honte son obscurantisme ? Et la même chose vaut pour Mélenchon et Co., dont on ne rappelle à mon sens pas assez souvent la position pendant la crise sanitaire, notamment sur le professeur Raoult et ses remèdes miracle. Si le terme “gauche” a un sens, c’est celui de la rationalité opposée au dogme, de la science contre l’obscurantisme, du progrès contre la réaction.

            • delendaesteu dit :

              @descartes
              # le terme “gauche” a un sens, c’est celui de la rationalité opposée au dogme, de la science contre l’obscurantisme, du progrès contre la réaction.#.
              J’ai peur que cette gauche là n’ait guère le vent en poupe, si on en juge par ses derniers résultats électoraux.
              Je sais bien que certains partirent 500 pour se retrouver 3000, mais ce n’est pas avec les 2,28% de F Roussel à la dernière présidentielle qu’on va bien loin. Surtout que ses électeurs et encore plus ses militants me semblent plus près du tombeau que du berceau.
               

            • Descartes dit :

              @ delendaesteu

              [J’ai peur que cette gauche là n’ait guère le vent en poupe, si on en juge par ses derniers résultats électoraux. Je sais bien que certains partirent 500 pour se retrouver 3000, mais ce n’est pas avec les 2,28% de F Roussel à la dernière présidentielle qu’on va bien loin.]

              D’autant plus que, malheureusement, à l’heure de lutter pour la rationalité, la science et le progrès, Roussel est probablement minoritaire dans son propre parti. Sans l’effet de “vote utile” qui joue traditionnellement contre le PCF, Roussel aurait fait probablement un bien meilleur score. Les scores électoraux ne reflètent pas forcément l’adhésion à des idées, sans quoi le PS aurait depuis longtemps disparu. Mais il est clair que les valeurs de rationalité, de science, de progrès ne sont plus guère portées par ce qu’on appelle habituellement “la gauche”, qui les a abandonnées au fur et à mesure que les classes intermédiaires y ont pris le pouvoir.

  12. marc.malesherbes dit :

     
    On supprime des postes et on coupe dans les budgets, mais il y a toujours de l’argent pour recruter des « délégués à l’égalité homme-femme » ou des « référents anti-discrimination ».
     
     
    Certes, sans compter les innombrables thèses consacrées à ces sujets, les propagandistes médiatiques, les correcteurs de textes actuels et passés … et surtout les quotas qui s’imposent partout.
     
    Mais il faut voir le coté bénéfiques pour tous les « discriminés ». Leur situation s’est considérablement améliorée et s’améliore encore. Pensez que dans ma jeunesse de grandes écoles étaient tout simplement inaccessibles aux femmes.Le racisme a considérablement reculé. Je me rappelle d’une époque où parler de “bougnoules” était commun.
    Certes il y a des excès et toute « révolution » charrie inévitablement des excès, mais c’est inévitable. A nous de limiter ces excès tout en louant les progrès accomplis et en les poursuivant.
     

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Mais il faut voir le coté bénéfiques pour tous les « discriminés ». Leur situation s’est considérablement améliorée et s’améliore encore. Pensez que dans ma jeunesse de grandes écoles étaient tout simplement inaccessibles aux femmes.]

      Certes, mais ce n’est certainement pas grâce à l’action des « délégués à la diversité » et autres engeances du même style. L’insertion des femmes à tous les niveaux du système économique, c’est l’évolution même du capitalisme qui l’exige : il faut lever toutes les barrières à la libre concurrence entre les individus.

      [Le racisme a considérablement reculé. Je me rappelle d’une époque où parler de “bougnoules” était commun.]

      Je n’ai pas l’impression. On n’entend plus le terme « bougnoule », mais à l’inverse on entend de plus en plus le terme « boloss ». Car le racisme n’a pas qu’un seul visage…

  13. Luc dit :

    EH,oui . C’est hors du rationnalisme que de dire’impossible n’est pas français ‘.
    Difficile pour vous,Napoléonophile excessif de l’admettre. Rien de sérieux ne peut éléboré,dit ou concrétisé avec cet ‘impossible n’est pas français’.C’est comme ça par la flatterie bête et manipulatrice qu’on nous a fait accepté des virages inacceptables pour la France issue du CNR: ce qui me vient ;-accords de Bretton woods;-financiarisation de la dette française;-UE;-Maastricht;-modifications de 2008;-Retour au commendement intégré de l’Otan;-soumission et conolisation de la France par les USA via leur leadership dans l’Otan ,UE e,esîonnages et manigances et hégémonie culturelle.
    Tout ça sont ‘impossibles’ à admettre pour la FRance issue du CNR de 1945 mais puisque’impossible n’est pas français’ alors acceptons tout ces impossibles pauisque ‘impossible n’est pas français’.
    La prochaine étape c’est le retour a l’uniformité de pensée et d’agir individuelle,puisque ‘l’impossible n’est pas français’,l’impossible d’avoir un assistant personnel chatGpt arrive déjà.
    Allors pour ma liberté de pensée et après tant de réformes qui nous ont démoli,préférons et militons pour’à ces impossibles si destructeurs nul n’est tenu’ mais c’est peut être impossible pour vous d’en comprendre quelque élèment puisque Napoléon a dit ‘Impossible n’est pas français; ?
    Peut être parceque Napoléon a préféré l’impossible d’une monarchie impériale post république française là où de Gaulle a choisi le CNR pour monter concrètement à la conquète de la liberté,égalité fraternité..?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [EH,oui . C’est hors du rationnalisme que de dire’impossible n’est pas français ‘.]

      Absolument pas : c’est s’inscrire dans la rationalité gaullienne du « je préfère les mensonges qui élèvent les Français aux vérités qui les abaissent ». Pour moi, c’est un présupposé qui fait partie de l’optimisme méthodologique.

      [Difficile pour vous, Napoléonophile excessif de l’admettre.]

      Quand j’aurai besoin d’un psychanalyste, je m’adresserai à un professionnel.

      [Rien de sérieux ne peut élaboré, dit ou concrétisé avec cet ‘impossible n’est pas français’.]

      Pourtant, presque tout ce qui a été élaboré, dit ou concrétisé de sérieux chez nous depuis de longs siècles l’a été par des gens qui étaient convaincus que tout pouvait être rendu possible. Si vous n’êtes pas intimement convaincu, vous ne vous lancez jamais dans une grande entreprise. Et le fait que ce soit vrai ou pas ne change rien : je préfère une croyance qui lance les gens sur de grands projets qu’une vérité qui les fait rester chez eux.

      [C’est comme ça par la flatterie bête et manipulatrice qu’on nous a fait accepté des virages inacceptables pour la France issue du CNR: ce qui me vient ;-accords de Bretton woods;-financiarisation de la dette française;-UE;-Maastricht;-modifications de 2008;-Retour au commendement intégré de l’Otan;-soumission et colonisation de la France par les USA via leur leadership dans l’Otan,UE ,espîonnages et manigances et hégémonie culturelle.]

      Si vous regardez bien, votre liste apporte de l’eau à mon moulin. Parce que TOUTES ces capitulations, sans exception, ont été le fait de gens qui opinaient que la France était trop petite, trop pauvre, trop divisée, que les Français étaient trop incapables pour s’opposer à l’air du temps. En d’autres termes, par des gens qui remettaient en cause l’adage napoléonien pour se complaire au contraire dans l’impuissance. Si les Anglais n’avaient pas été persuadés que « impossible n’est pas anglais », ils ne se seraient jamais lancés dans le Brexit. Nous ferions bien de les imiter…

      [Tout ça sont ‘impossibles’ à admettre pour la France issue du CNR de 1945 mais puisque’impossible n’est pas français’ alors acceptons tout ces impossibles puisque ‘impossible n’est pas français’.]

      Là, vous faites une erreur de lecture très originale de l’adage napoléonien. Je crains que vous n’ayez pas compris le sens de la formule de l’empereur. Napoléon utilise cette formule pour répondre à des généraux qui refusent de faire ce qu’il demande au prétexte que c’est “impossible”. Il ne s’agit donc pas “d’accepter” quoi que ce soit, mais de faire.

  14. marc.malesherbes dit :

     
    Tout cela est bien connu, et s’est fait sous nos yeux : nous avons vu passer année après année les lois de privatisation, nous avons vu gouvernement après gouvernement les coupes sombres dans les budgets publics, nous avons suivi directive après directive nos gouvernants consentir à l’action néfaste de l’Union européenne. Et de manière concomitante, parce que la structure finit par agir dialectiquement sur la superstructure, nous avons vu le tissu social se déliter, le communautarisme fleurir, la sociabilité se transformer, notre environnement devenir laid et menaçant.
     
    Je ne peux que souscrire à ce constat, mais il me semble qu’il faut voir la logique historique dans laquelle nous avons été.
     
    Nous avons été vaincu, envahi en 1940 et nous nous sommes retrouvé en 1945 complémentent dans l’orbite américaine. Les américains ont voulu et organisé la reconstruction européenne, le plan Marshall. Malgré eux nous avons poursuivi (et perdu) nos guerre coloniales, Indochine et Algérie. Cela nous a handicapé, mais l’un dans l’autre, grâce à l’aide américaine nous avons pu nous développer considérablement. Ce rattrapage effectué nous avons continué à subir toujours plus l’influence américaine … qui nous a conduit là où nous sommes.
    Quelle a été dans ce mouvement la responsabilité du peuple, des élites ?
    Dans cette période le peuple n’a pratiquement joué aucun rôle, si ce n’est d’être majoritairement suiviste par rapport aux élites.
    Les élites très majoritairement ont suivi leur tuteur américain. On peut noter avec de Gaulle des prises de distance ponctuelles, électoralistes, mais rien d’important (sauf les discours).
    Peut-on reprocher à nos élites ce suivisme passif ? Certes, mais c’est tellement commun et naturel que les élites suivent le maître, dans tous les pays, à toutes les époques, qu’il est difficile de leur reprocher. On l’a vu depuis l’invasion romaine de la Gaulle.
    Pouvait-on souhaiter que nos élites fassent preuve d’un suivisme « intelligent », sauvegardant autant que faire se peut nos intérêts ?
    Il faudrait que je regarde si cela est déjà arrivé dans un pays, à une période historique donnée, mais spontanément, je n’ai pas d’exemple en tête (je vais voir sur Wikipedia, ChatGPT). Il y a par contre beaucoup de contre exemples (les bourgeoisies compradore).
     
    ( les seuls contre exemples que je connaisse:  les élites Vietnamiennes qui ont résisté à leur envahisseur chinois; les Espagnols à l’invasion napolénienne; les Japonais qui ont résisté aux diktats occidentaux; les Chinois à l’invasion Japonaise, les élites des ex pays de l’Est qui ont résisté à leur envahisseur russe; …dans tous ces cas la tutelle était tellement pesante qu’on ne peut la comparer à la tutelle porteuse d’un certain progrès des Romains ou des USA)

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Quelle a été dans ce mouvement la responsabilité du peuple, des élites ? Dans cette période le peuple n’a pratiquement joué aucun rôle, si ce n’est d’être majoritairement suiviste par rapport aux élites.]

      Oui et non. Le « peuple » n’est pas un tout homogène, il est composé de groupes et de classes aux intérêts divergents et quelquefois antagoniques. Certains groupes se sont opposés fermement à la mainmise américaine, d’autres y ont trouvé leur intérêt. Je ne pense pas qu’on puisse simplifier le problème comme vous le faites.

      [Les élites très majoritairement ont suivi leur tuteur américain.]

      Là encore, cela dépend des élites, qui elles non plus ne constituent pas un tout homogène.

      [On peut noter avec de Gaulle des prises de distance ponctuelles, électoralistes, mais rien d’important (sauf les discours).]

      Je pense que vous faites erreur. Pour ne donner qu’un exemple, le développement d’une force de frappe nucléaire autonome était pour les Américains un casus belli. On ne le dit pas trop fort, mais pendant des années la France a été soumise à embargo sur des composants et des matériels pouvant servir à la recherche et à l’industrie nucléaire. D’ailleurs, si la France a développé ses propres ordinateurs c’est en partie en réponse à cet embargo. Vous avez là un exemple qui n’a rien « d’électoraliste ». Et il y en a beaucoup d’autres. Au-delà des actes spectaculaires comme la sortie du commandement intégré de l’OTAN et l’expulsion des bases otaniennes de notre territoire – j’ai du mal à appeler cela une « prise de distance ponctuelle, électoraliste, mais rien d’important » il y a eu sous De Gaulle une véritable politique d’indépendance énergétique, industrielle et stratégique. Une politique d’ailleurs ardemment soutenue par les élites techniques de l’Etat. Il faut rendre à César ce qui est à César.

      [Peut-on reprocher à nos élites ce suivisme passif ? Certes, mais c’est tellement commun et naturel que les élites suivent le maître, dans tous les pays, à toutes les époques, qu’il est difficile de leur reprocher. On l’a vu depuis l’invasion romaine de la Gaulle.]

      Je trouve curieuse votre vision du monde. Vous dites d’abord que le « peuple » suit les « élites », puis que les « élites » suivent elles-mêmes « le maître ». Autrement dit, dans votre conception il n’y a qu’un qui décide, « le maître », et puis tout le monde suit…

      Ma vision est très différente : la société est constituée de groupes et classes aux intérêts différents. Certains de ces groupes sont dominants, et leur idéologie s’impose. C’est cette idéologie que les « élites » véhiculent mayoritairement, même si d’autres groupes peuvent fabriquer des « contre-élites » qui portent d’autres idées. Quant au « maître », il n’arrive pas par hasard, mais parce qu’il porte une idéologie qui est fonctionnelle dans le cadre d’un rapport de forces entre les différentes parties de la société. Parler de « suivisme » n’a donc pas de sens. Les élites gaulliennes n’ont pas suivi De Gaulle pas plus qu’elles ne l’ont précédé. Elles ont fabriqué dialectiquement une idéologie qui en son temps était fonctionnelle pour une alliance entre la bourgeoisie nationale et les couches populaires, et qui cesse d’avoir cours lorsque la bourgeoisie nationale perd de sa puissance et que les classes intermédiaires montent.

      [Pouvait-on souhaiter que nos élites fassent preuve d’un suivisme « intelligent », sauvegardant autant que faire se peut nos intérêts ?]

      Pourquoi voulez-vous qu’elles sauvegardent NOS intérêts ? Elles sont trop occupées à sauvegarder LEURS intérêts…

  15. Bruno dit :

    Bonjour Descartes, merci pour cet article. Je n’ai pas un âge aussi avancé (et respectable) que le vôtre, mais je cultive moi aussi une certaine nostalgie, un peu absurde, car elle est celle d’une époque que contrairement à vous je n’ai pas eu le privilège de connaître. Il s’agit des années 50/60, que mon père parfois me dépeint et qui semble être celle d’une société plus unifiée, plus optimiste et tournée avec confiance vers un avenir meilleur pour le plus grand nombre. Nous en sommes loin à l’ère des ressentiments individuels et du tout à l’égo… Cela étant dit, j’aimerais beaucoup avoir votre opinion sur la nouvelle religion, oui appelons ça carrément ainsi : l’écologie ou plutôt une sorte de millénarisme ambiant, véhiculé par les classes dominantes et leurs relais. J’ai la trentaine et ça va fait 15 ans qu’on me bassine avec « l’écologie ». Je ne nie pas qu’il y ait de réels problèmes, mais je ne comprends pas le catastrophisme de certains. D’où sort ce nouveau culte (qui a éclipsé les marottes anciennes type antiracisme…et d’autres sujets essentiels) et quels intérêts sert-il? Je doute qu’il fut façonné par hasard. C’est peut-être un nouveau moyen de se donner bonne conscience et de suivre le mouvement, pour certains Tartuffes. Mais quand j’entends des amis complètement intoxiquées qui m’expliquent que tout est foutu… Ces gens n’ont pas foi en l’espèce humaine. Ils ont tort. Ils confondent l’humanité et leur mode de vie. Leur mode de vie est peut-être condamné à terme (et encore…), est-ce un mal? L’humanité a encore le temps devant elle. Elle relèvera bien des défis. Je vous rejoins dans l’adhésion à la citation de Napoleon précitée. 

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Il s’agit des années 50/60, que mon père parfois me dépeint et qui semble être celle d’une société plus unifiée, plus optimiste et tournée avec confiance vers un avenir meilleur pour le plus grand nombre. Nous en sommes loin à l’ère des ressentiments individuels et du tout à l’égo…]

      C’est un point important, cette question du ressentiment. C’est peut-être là le tournant le plus notable des années 1980 : la fin de la joie, de la tendresse, de la confiance. Cela est très visible dans les arts. Dans le cinéma d’abord : des chefs d’œuvre comme « la grande illusion » ou « la beauté du diable » aux films plus divertissants comme « jour de fête » ou « Rabbi Jacob ». Dans la chanson aussi. Pensez à « à quoi ça sert l’amour » de Piaf, à « la fleur aux dents » de Joe Dassin, ou encore à Brassens avec « l’Ancêtre », dont je ne résiste pas la tentation de copier les paroles :

      Notre voisin l’ancêtre était un fier galant
      Qui n’emmerdait personne avec sa barbe blanche
      Et quand le bruit courut qu’ses jours étaient comptés
      On s’en fut à l’hospice afin de l’assister

      On avait apporté les guitares avec nous
      Car, devant la musique, il tombait à genoux
      Excepté toutefois les marches militaires
      Qu’il écoutait en se tapant le cul par terre
      Qu’il écoutait en se tapant le cul par terre

      Émules de Django, disciples de Crolla
      Toute la fine fleur des cordes était là
      Pour offrir à l’ancêtre, en signe d’affection
      En guis’ de viatique, une ultime audition
      En guis’ de viatique, une ultime audition

      Hélas! les carabins ne les ont pas reçus
      Les guitares sont restées à la porte cochère
      Et le dernier concert de l’ancêtre déçu
      Ce fut un pot-pourri de cantiques, peuchère!

      Quand nous serons ancêtres
      Du côté de Bicêtre
      Pas de musique d’orgue, oh non!
      Pas de chants liturgiques
      Pour qui aval’ sa chique
      Mais des guitares, crénom de nom!
      Mais des guitares, crénom de nom!

      On avait apporté quelques litres aussi
      Car le bonhomme avait la fièvre de Bercy
      Et les soirs de nouba, paroles de tavernier
      A rouler sous la table il était le dernier
      A rouler sous la table il était le dernier

      Saumur, Entre-deux-mers, Beaujolais, Marsala
      Toute la fine fleur de la vigne était là
      Pour offrir à l’ancêtre, en signe d’affection
      En guis’ de viatique, une ultime libation
      En guis’ de viatique, une ultime libation

      Hélas! les carabins ne les ont pas reçus
      Les litres sont restés à la porte cochère
      Et l’coup de l’étrier de l’ancêtre déçu
      Ce fut un grand verre d’eau bénite, peuchère!

      Quand nous serons ancêtres
      Du côté de Bicêtre
      Ne nous faites pas boire, oh non!
      De ces eaux minérales
      Bénites ou lustrales
      Mais du bon vin, crénom de nom!
      Mais du bon vin, crénom de nom!

      On avait emmené les belles du quartier
      Car l’ancêtre courait la gueuse volontiers
      De sa main toujours leste et digne cependant
      Il troussait les jupons par n’importe quel temps
      Il troussait les jupons par n’importe quel temps

      Depuis Manon Lescaut jusques à Dalila
      Toute la fine fleur du beau sexe était là
      Pour offrir à l’ancêtre, en signe d’affection
      En guis’ de viatique, une ultime érection
      En guis’ de viatique, une ultime érection

      Hélas! les carabins ne les ont pas reçus
      Les belles sont restées à la porte cochère
      Et le dernier froufrou de l’ancêtre déçu
      Ce fut celui d’une robe de sœur, peuchère!

      Quand nous serons ancêtres
      Du côté de Bicêtre
      Pas d’enfants de Marie, oh non!
      Remplacez-nous les nonnes
      Par des belles mignonnes
      Et qui fument, crénom de nom!
      Et qui fument, crénom de nom!

      Qui oserait chanter quelque chose comme ça aujourd’hui ? Qui oserait refaire « Rabbi Jacob » ? Personne. Quiconque oserait serait sûr de voir les dragons de vertu hurler à sa porte ou faire des procès. Celui qui proclamerait les valeurs de la joie, l’insouciance, l’amitié, l’amour, qui aurait une vision tendre des défauts des uns et des autres – comme le fait Oury avec le personnage du patron antisémite joué par De Funes – se verrait reprocher l’insensibilité envers les « victimes » de toutes sortes. Parce qu’aujourd’hui, l’art pour être acceptable doit être du côté des victimes. Et du coup, on se paye des films, des musiques, des mises en scène misérabilistes – on se souvient de la mise en scène féministe de « Carmen » ou « l’Idomenée » de Mozart avec migrants sur scène à Aix en Provence. Pourtant, « les temps modernes » de Chaplin est infiniment plus puissant, plus critique que n’importe quel film de Ken Loach…

      C’est un peu pour cela que, comme vous, je cultive une saine nostalgie d’une époque où l’on pouvait rire ensemble des défauts des uns et des autres, où l’on cultivait l’optimisme et l’espoir…

      [Cela étant dit, j’aimerais beaucoup avoir votre opinion sur la nouvelle religion, oui appelons ça carrément ainsi : l’écologie ou plutôt une sorte de millénarisme ambiant, véhiculé par les classes dominantes et leurs relais. J’ai la trentaine et ça va fait 15 ans qu’on me bassine avec « l’écologie ». Je ne nie pas qu’il y ait de réels problèmes, mais je ne comprends pas le catastrophisme de certains.]

      Comme toujours, la bonne question est « pourquoi ». Et se demander pourquoi ce catastrophisme, c’est se demander « à qui profite le crime ». Comme l’idéologie dominante est devenue écologiste sans faire grande chose pour s’attaquer aux véritables problèmes écologiques, je me dis que l’intérêt doit être ailleurs. En fait, l’écologisme sert de rideau de fumée utile pour cacher les véritables problèmes. Pendant qu’on organise à grande pompe des conférences qui fixent des objectifs ambitieux pour des horizons lointains et que personne ne tiendra, les véritables problèmes disparaissent de la conscience médiatique, et donc de la conscience tout court.

      L’écologisme a une deuxième utilité : comme toutes les idéologies de la sobriété, elle est fort utile pour justifier le serrage des ceintures, qui par une étrange coïncidence affecte généralement les plus modestes. L’Eglise catholique a fait de cela une spécialité pendant près de deux mille ans.

      [Mais quand j’entends des amis complètement intoxiquées qui m’expliquent que tout est foutu…]

      Oui, mais comment vos amis traduisent en actes cette conviction que « tout est foutu » ? Là est la question. Parce que si « tout est foutu », alors ce n’est pas la peine de faire quoi que ce soit… une position très commode, vous me l’accorderez.

      [Ces gens n’ont pas foi en l’espèce humaine. Ils ont tort. Ils confondent l’humanité et leur mode de vie. Leur mode de vie est peut-être condamné à terme (et encore…), est-ce un mal ?]

      Ni un bien, ni un mal, c’est un fait. Les modes de vie ont changé en permanence depuis que l’humanité existe, sous l’effet des évènements naturels et du progrès technique et social. A l’époque romaine, Narbonne était un port. Elle est aujourd’hui à l’intérieur des terres. Demain, avec la montée du niveau des mers, elle redeviendra une ville de bord de mer.

      [L’humanité a encore le temps devant elle. Elle relèvera bien des défis. Je vous rejoins dans l’adhésion à la citation de Napoleon précitée.]

      Oui, il faut le croire. Parce que si on ne le croit pas, alors on ne cherchera pas et on passera à côté des solutions, si tant est qu’elles existent. On est là dans la logique du pari pascalien…

      • Bruno dit :

        @Descartes
        [Qui oserait chanter quelque chose comme ça aujourd’hui ?]
        Probablement personne. Mais outre le fait “d’oser”, encore faudrait-il avoir des chanteurs “capables” de rédiger un tel texte. Les chanteurs Français de 2023 peinent à aligner plus de 15/20 mots différents dans leurs chansons…
        [Parce qu’aujourd’hui, l’art pour être acceptable doit être du côté des victimes.]
        Et encore, de certaines victimes, pas de toutes… Dans un autre commentaire vous indiquiez qu’il est impossible de s’identifier aux gens dépeints dans le cinéma Français contemporain, sauf quand on raconte les histoires de “bobos” de grandes villes, dans des films réalisés par ces mêmes personnes. On dira que c’est de l’onanisme pour rester poli.
        J’ai la trentaine et je n’ai pas le souvenir d’avoir vu un film Français de ma génération présentant les Français “d’en bas” comme autre chose que des ploucs (version “Camping”) ou des beaufs avec des défauts, racistes, pingres, intolérants, collabos… J’aimerais m’identifier à eux, on appartient au même peuple, mais “on” les présente comme des abrutis et je dois avouer que ça me laisse songeur. A quoi sert à nos élites de dénigrer autant le peuple? On bat sa coulpe en critiquant l’autre? Celui qui n’a pas les moyens de se défendre et qui ne risque pas de tourner un film?
        Récemment est sorti un film au sujet des guerres de Vendée, en 1793. Il était produit par le Puy du Fou, ce qui marque évidemment la chose, du point de vue politique. A l’opposé des ribambelles de films subventionnés qui véhiculent l’idée qu’en France tout ce qui se fait de bien aujourd’hui est le fruit de l’apport des immigrés, celui-ci se focalisait sur l’histoire ancienne de notre pays. Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, les bleus n’étaient pas présentés comme des salauds et les blancs comme les gentils. Il y avait de l’héroïsme et du panache. Bref on avait un peu envie de ressembler à ces gens qui n’étaient pas des ploucs caricaturaux. En sus, le réalisateur n’avait pas ressenti le besoin de calquer le film sur notre époque (pas de vulgarité, pas de référence lgbtxyz+-, pas de malien pour jouer Carnot…). C’était rafraichissant.
        [En fait, l’écologisme sert de rideau de fumée utile pour cacher les véritables problèmes.]
        Quels sont-ils selon vous, en tout cas, en matière environnementale? La raréfaction de certaines ressources m’inquiète davantage que le réchauffement climatique.
        [L’écologisme a une deuxième utilité : comme toutes les idéologies de la sobriété, elle est fort utile pour justifier le serrage des ceintures, qui par une étrange coïncidence affecte généralement les plus modestes.]
        100% en phase. Surtout j’ai envie de sourire (ou de pleurer) quand je vois qu’on subventionne à fond avec nos deniers des Tesla produites en Chine, et ça sans même poser de conditions de revenus…
        [Oui, mais comment vos amis traduisent en actes cette conviction que « tout est foutu » ?]
        Concrètement en rien, si ce n’est quelques lamentations ponctuelles ou des gestes anecdotiques comme se gargariser de faire du compost. Il y a un peu d’auto-flagellation et une forme d’hypocrisie qui pue l’esprit faussement puritain des anglo-saxons. Funeste influence.
        Aussi, je me permets de rebondir sur un échange lié à cet article et sur la prétendue “gérontocratie”. Travaillant depuis une dizaine d’années tant dans le privé que dans le public, je ne peux que constater qu’on valorise aujourd’hui excessivement la jeunesse ET les femmes ET ce qu’on nomme les “minorités”. Malheureusement pour moi, n’ayant toujours pas entamé ma “transition” je ne rentre pas dans ces catégories. Plus sérieusement, on a tendance à placardiser ou à virer les “vieux” (dès 45 ans dans le privé car trop coûteux et pas assez conformistes) au profit des jeunes.
        Ça devient problématique là où je travaille car on a en grande partie perdu la culture de l’entreprise et on se retrouve partout avec des jeunes qui n’ont pas de bouteille.
        Les jeunes (je ne suis pas vieux mais je commence à voir apparaître des profils qui ont 10/12 ans d’écart avec moi; croyez moi il y a un abîme) veulent tout tout de suite, sont pour la plupart très sûrs d’eux et ont le sentiment, une fois embauchés, d’être arrivés. Au bout de 6 mois ils demandent des augmentations et au bout de 3 ans, il faudrait les passer Directeur.
        Ne travaillant pas dans une boîte qui paie bien, je n’ai certes pas le haut du panier, mais je recrute tout de même des gens avec un bac+5 universitaire. Je vous rejoins sur le fait que ça ne vaut clairement pas un ingénieur, même d’une école moyenne post-bac, en termes de rigueur et de méthode. Parfois j’ai envie de me taper la tête contre le mur quand je vois quelqu’un de mon équipe, avec un master en sciences sociales ou politiques publiques, infoutu de me faire un produit en croix ou bien de s’intéresser à autre chose que SA niche. Si la spécialisation est nécessaire dans une société complexe, l’hyperspécialisation est une tare dans le monde pro, selon moi.
        Ne croyez pas que je sois odieux avec mes juniors, étant moi même plutôt jeune, je ne leur reproche qu’en partie leurs tares… Ce n’est pas de leur faute si on a flingué l’EN et raboté toutes les exigences. Ils héritent de ça.
        Ce que je déplore c’est le double discours de l’entreprise qui prétend valoriser les jeunes, vouloir faire de la RSE, imposer le tutoiement généralisé, bref faire croire qu’on est tous un peu une bande de potes, alors que nous ne sommes là que pour faire des sous. Face à ça les jeunes ne savent pas comment se positionner et n’ont pas toujours le savoir-être approprié au bureau.
        Prenons un exemple concret, les tenues. C’est l’été et la mode, en dehors des milieux musulmans, est à la légèreté. En un sens ça me plaît, j’aime bien regarder les femmes, surtout quand elles sont belles et jeunes. Toutefois quand dans mon équipe j’en ai qui viennent sans soutien-gorge, avec des tenues très sexuées et courtes et qu’on a des rdv clients à honorer, je suis bien embêté. Pareil quand j’en ai qui débarquent en tee-shirt et short (jamais vu ça quand je débutais…).Il y a un côté Macdo, venez comme vous êtes, enfin, en premier lieu. Après, quand on rentre dans le dur, le tri se fait et beaucoup se retrouvent sur le bas côté ne comprenant pas ce qui leur arrive…
        Enfin, l’expérience est aujourd’hui démonétisée dans le monde pro, ce qui me semble suicidaire, surtout pour les capitalistes qui attendent toujours davantage de profits. J’ai le privilège d’avoir un manager qui a plus de 60 ans, je peux vous dire que je n’hésite jamais à le solliciter pour avoir son avis. Son recul, ses loupés et ses réussites m’inspirent beaucoup! Irremplaçable. 
         
         

        • Descartes dit :

          @ Bruno

          [J’ai la trentaine et je n’ai pas le souvenir d’avoir vu un film Français de ma génération présentant les Français “d’en bas” comme autre chose que des ploucs (version “Camping”) ou des beaufs avec des défauts, racistes, pingres, intolérants, collabos… J’aimerais m’identifier à eux, on appartient au même peuple, mais “on” les présente comme des abrutis et je dois avouer que ça me laisse songeur. A quoi sert à nos élites de dénigrer autant le peuple ? On bat sa coulpe en critiquant l’autre ? Celui qui n’a pas les moyens de se défendre et qui ne risque pas de tourner un film ?]

          Le bloc dominant a besoin d’un imaginaire qui justifie ses privilèges. De la même manière que leurs œuvres de charité permettaient aux dames patronnesses de jouir de leurs privilèges sans se sentir coupables, les classes intermédiaires choisissent font de la défense de certaines « victimes » un moyen de justifier leurs privilèges. Or, l’ouvrier fait une mauvaise « victime », parce qu’il est organisé, qu’il a une tradition de luttes, et qu’il a une parole propre qu’on ne peut pas facilement confisquer. En 1968, les gauchistes ont cru – très naïvement – pouvoir annexer la classe ouvrière en passant sur le corps du PCF et de la CGT. Ils ont rapidement déchanté : les ouvriers sont restés fidèles à leurs organisations, et ce sont elles qui ont négocié avec le pouvoir gaullien la fin des hostilités. Pour reprendre la formule célèbre, ils ont préféré garder l’outil de travail plutôt que de suivre les voix gauchistes qui les incitaient plutôt à cultiver la canne à sucre.

          Cette expérience leur a fait comprendre que la classe ouvrière n’était pas une masse de manœuvre qu’on pouvait piloter à sa guise, et du coup la figure de l’ouvrier a été remplacée dans l’imaginaire des classes intermédiaires par d’autres « victimes » : le marginal, le taulard, l’immigré, le « sans papiers », des victimes qui, étant inorganisées et sans tradition de luttes, avaient l’immense avantage qu’on pouvait parler en leur nom sans risquer d’être contredit. C’est pourquoi devant la figure du beauf raciste, pingre, intolérant et collabo – en fait la figure de l’ouvrier – vous aurez le gentil marginal, le « sans papiers » au grand cœur, etc.

          [« En fait, l’écologisme sert de rideau de fumée utile pour cacher les véritables problèmes. » Quels sont-ils selon vous, en tout cas, en matière environnementale ? La raréfaction de certaines ressources m’inquiète davantage que le réchauffement climatique.]

          Il faudrait commencer par définir ce qu’on appelle « matière environnementale ». La multiplication des emballages pour des raisons publicitaires, le fait que notre économie repose sur le renouvellement permanent de biens peu durables, est-ce un problème « du domaine de l’environnement », ou un problème économique et social ?

          [« Oui, mais comment vos amis traduisent en actes cette conviction que « tout est foutu » ? » Concrètement en rien, si ce n’est quelques lamentations ponctuelles ou des gestes anecdotiques comme se gargariser de faire du compost. Il y a un peu d’auto-flagellation et une forme d’hypocrisie qui pue l’esprit faussement puritain des anglo-saxons. Funeste influence.]

          Mais si vos amis étaient totalement convaincus que « tout est foutu », ils devraient être désespérés (ou au contraire, se dépêcher de jouir de tout avant que la catastrophe arrive). Ils ne font ni l’un, ni l’autre. Ce qui prouve qu’ils ne croient pas vraiment ce qu’ils disent. On est encore une fois dans une logique de fiction.

          [Les jeunes (je ne suis pas vieux mais je commence à voir apparaître des profils qui ont 10/12 ans d’écart avec moi; croyez moi il y a un abîme) veulent tout tout de suite, sont pour la plupart très sûrs d’eux et ont le sentiment, une fois embauchés, d’être arrivés. Au bout de 6 mois ils demandent des augmentations et au bout de 3 ans, il faudrait les passer Directeur.]

          Exactement ce que je perçois partout où je vais. Je trouve d’ailleurs que leur vision montre une singulière dévalorisation des postes de direction : tout se passe comme si les compétences pour devenir directeur étaient pouvaient s’acquérir en trois ans (ou pire, qu’elles étaient là dès le jour de l’embauche, et n’attendaient qu’une chose, que le poste se libère). L’idée qu’on devrait arriver aux emplois supérieurs après cinquante ans non parce que l’organisation serait une « gérontocratie », mais parce que pour exercer ces emplois il faut vingt ou trente années d’expérience leur est parfaitement étrangère. En fait, le « jeunisme » n’est que la conséquence de la dévalorisation de l’apprentissage, de l’expérience, de la maturité, et de l’effort qu’il faut pour les acquérir.

          [Ne travaillant pas dans une boîte qui paie bien, je n’ai certes pas le haut du panier, mais je recrute tout de même des gens avec un bac+5 universitaire. Je vous rejoins sur le fait que ça ne vaut clairement pas un ingénieur, même d’une école moyenne post-bac, en termes de rigueur et de méthode.]

          Tout à fait. J’ajoute que la formation d’ingénieur a – ou du moins avait à mon époque – un avantage fondamental sur celle dispensée à l’université. L’ingénieur est d’abord quelqu’un à qui on demande d’atteindre un résultat avec les moyens du bord. Autrement dit, de se débrouiller. Je trouve que les ingénieurs ont une capacité à se débrouiller bien supérieure aux autres étudiants. Ils trouvent souvent des solutions là ou d’autres trouvent des problèmes.

          [Si la spécialisation est nécessaire dans une société complexe, l’hyperspécialisation est une tare dans le monde pro, selon moi.]

          100% d’accord avec vous. Vous rejoignez ici je pense ce que j’avais écrit sur la curiosité. Quand je fais des entretiens d’embauche, je mets l’accent sur la curiosité et l’intelligence du candidat. Sa formation ou son expérience sont pour moi des éléments de second rang. Parce qu’un candidat curieux et intelligent arrive toujours à se débrouiller.

          [Ne croyez pas que je sois odieux avec mes juniors, étant moi même plutôt jeune, je ne leur reproche qu’en partie leurs tares… Ce n’est pas de leur faute si on a flingué l’EN et raboté toutes les exigences. Ils héritent de ça.]

          Moi, je ne suis pas odieux mais je suis ferme. J’essaye de leur faire comprendre que le monde n’est pas fait pour leur convenance, et que pour se faire une place il faut beaucoup apprendre et démontrer une capacité réelle. Pour le dire autrement, il faut les laisser échouer. Je me souviens de mon premier chef, qui m’a appris tout ce que je sais sur le management ou presque. Je me souviens que je lui avais amené une proposition, et qu’il m’avait dit : « Cette proposition ne marchera pas, mais comme elle n’est pas chère, tu vas essayer de la mettre en œuvre. Parce que si je te dis de ne pas le faire, tu croiras toute ta vie que tu avais une idée brillante, et que t’avais un chef con qui t’a empêché de t’exprimer ». Et j’ai mis mon idée en pratique, et ça n’a pas marché, et j’ai compris pourquoi. Et je serai toute ma vie reconnaissant à ce chef de m’avoir laissé échouer.

          [Ce que je déplore c’est le double discours de l’entreprise qui prétend valoriser les jeunes, vouloir faire de la RSE, imposer le tutoiement généralisé, bref faire croire qu’on est tous un peu une bande de potes, alors que nous ne sommes là que pour faire des sous. Face à ça les jeunes ne savent pas comment se positionner et n’ont pas toujours le savoir-être approprié au bureau.]

          Et qui, surtout, n’ont pas l’encadrement du « corps » hiérarchisé que constituaient naguère les collègues. Parce que la hiérarchie – du savoir, de l’expérience – cela a un sens.

          [Pareil quand j’en ai qui débarquent en tee-shirt et short (jamais vu ça quand je débutais…). Il y a un côté Macdo, venez comme vous êtes, enfin, en premier lieu. Après, quand on rentre dans le dur, le tri se fait et beaucoup se retrouvent sur le bas-côté ne comprenant pas ce qui leur arrive…]

          Oui, parce que les règles du jeu ne sont pas claires, et qu’il n’y a personne pour les transmettre. Les jeunes ne réalisent plus qu’on s’habille d’abord pour les autres, que le choix d’être soigné ou négligé, de porter un costume de qualité ou un T-shirt chinois est une forme de transmettre un message, de se situer dans une hiérarchie. Ils se font l’illusion que les autres « doivent les accepter comme ils sont ». Mais cette acceptation n’a rien d’automatique. Si j’indique par ma tenue que je me fous de ce que l’autre pense, la réciproque risque d’être vraie…

          [Enfin, l’expérience est aujourd’hui démonétisée dans le monde pro, ce qui me semble suicidaire, surtout pour les capitalistes qui attendent toujours davantage de profits. J’ai le privilège d’avoir un manager qui a plus de 60 ans, je peux vous dire que je n’hésite jamais à le solliciter pour avoir son avis. Son recul, ses loupés et ses réussites m’inspirent beaucoup! Irremplaçable.]

          Oui, mais pour le capitaliste, ce n’est pas forcément une bonne affaire. Si on multiplie les managers « jeunes », c’est pour une raison simple : un jeune, qui aspire à une longue et brillante carrière, ne peut se permettre de faire un écart, de dire « non ». Sa hiérarchie le « tient ». Un manager de 60 ans passées est généralement sur son dernier poste, il sait qu’il ne montera pas plus haut, et il a donc une liberté de jugement et de parole incomparables…

  16. Gautier Weinmann dit :

    “Chacun sa gueule”.
    Cela tombe bien. Dans le domaine des sciences sociales, les approches dites individualistes méthodologiques ont écrasé les approches holistes. L’individu roi et libre “optimise” son intérêt et son choix, aussi bien en sciences économiques qu’en sociologie. C’est la valeur primordiale de la liberté individuelle. Le contraire étant de la “tyrannie” bolchevique ou de la servitude.
    C’est à se demander comment une institution comme le service militaire ait pu exister… Autre petit exemple. Place à l’armée de métier ou la défense du pays est un marché du travail comme un autre.

    • Descartes dit :

      @ Gautier Weinmann

      [Cela tombe bien. Dans le domaine des sciences sociales, les approches dites individualistes méthodologiques ont écrasé les approches holistes. L’individu roi et libre “optimise” son intérêt et son choix, aussi bien en sciences économiques qu’en sociologie.]

      Les approches individualistes n’ont « écrasé » rien du tout. Elles ont été adoptées parce qu’elles donnent des modèles relativement simples. Mais on sait très bien que ce sont des modèles qui ne collent que très partiellement à la réalité. Le paradoxe de la grève, pour ne donner qu’un exemple, est un cas où le modèle individualiste prédit un comportement exactement opposé à celui qu’on observe dans la réalité.

      Pour ceux qui ne connaissent pas le paradoxe en question, voici en quoi il consiste. Imaginez une usine ou 10.000 travailleurs sont appelés à la grève. Chaque travailleur a donc le choix de faire ou non la grève. S’il fait la grève, il a une chance non négligeable d’être sanctionné individuellement, et il contribue de façon négligeable (un sur dix mille) au succès du mouvement. S’il ne fait pas la grève, il ne risque rien et diminue d’une façon négligeable les chances de succès du mouvement. Et dans les deux cas, si le mouvement réussit il touchera les résultats de l’action. Dans ces conditions, il est clair qu’une décision prise en optimisant sa situation personnelle conduirait chaque individu à ne pas faire grève… et donc rendrait les grèves impossibles. Or, ce n’est pas ce qu’on observe dans la pratique. Il faut donc conclure que le modèle individualiste, ou chaque agent cherche à optimiser sa propre situation, ne modélise pas correctement la réalité…

      [C’est la valeur primordiale de la liberté individuelle. Le contraire étant de la “tyrannie” bolchevique ou de la servitude.]

      C’est un peu schématique. Le choix des modèles individualistes tient à leur simplicité plutôt qu’à un biais idéologique. Et n’importe quel économiste connait les limites de ce type de modèle, puisqu’il est facile de trouver des comportements qui échappent à ce type de modélisation.

  17. Geo dit :

    @Descartes
    [la fin de la joie, de la tendresse, de la confiance. Cela est très visible dans les arts. Dans le cinéma d’abord : des chefs d’œuvre comme « la grande illusion » ou « la beauté du diable » aux films plus divertissants comme « jour de fête » ou « Rabbi Jacob ».]
    Je ne vous suggère que de vous procurer “Demain et tous les autres jours” de Noemie Lvosky pour vous désintoxiquer de l’idée que le cinéma présent serait incapable de tendresse, de confiance ou de joie, partant d’un sujet pourtant dur. (D’autres exemples seraient à citer, mais je ne veux pas monopoliser le programme de vos futurs divertissements video.)

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [Je ne vous suggère que de vous procurer “Demain et tous les autres jours” de Noemie Lvosky pour vous désintoxiquer de l’idée que le cinéma présent serait incapable de tendresse, de confiance ou de joie, partant d’un sujet pourtant dur.]

      J’ai regardé la synopsis, et je ne peux pas dire que cela m’attire beaucoup. D’abord, il ne faut pas confondre tendresse et sentimentalité. Un film peut être attendrissant sans nécessairement être tendre. La tendresse va bien au delà, c’est une attitude devant le monde. Elle se manifeste même envers les personnages négatifs: l’aristocrate allemand dans “la grande illusion”, Mefistoféles dans “la beauté du diable”, l’antisémite joué par De Funes dans “Rabbi Jacob”. Même le traitement du dictateur chez Chaplin est un traitement “tendre”. Le film dont vous parlez ne parle pas du monde, me semble-t-il, ne parle pas du monde, mais d’une situation individuelle. Qui peut être attendrissante, certes, mais cela s’arrête là. Je note d’ailleurs que contrairement aux français, les cinéastes britanniques ont conservé une certaine capacité à faire des films “tendres”: je prends par exemple “les virtuoses” ou “billy elliott”. Là encore, les situations ne sont pas purement individuelles, mais s’inscrivent dans un contexte collectif.

      J’essaierai de trouver le film et de le regarder, pour voir s’il correspond à ce que je vous ai dit.

      • P2R dit :

        @ Descartes
         
        C’est vrai que les anglais sont doués en la matière. Je repense au film This is England sur le milieu skinhead par exemple. Ceci dit il existe bien quelques exemples français, je pense en particulier à la série Ptit Quinquin, qui me semble un modèle du genre en terme de regard plein de tendresse posé sur de dures réalités sociales.
        J’ajoute un de mes réalisateurs fétiche, Quentin Dupieux, en particulier dans « Incroyable mais vrai », où une galerie de personnages tous plus tragiquement humains les uns que les autres (Chabat l’indifférent blazé, Léa Drucker l’obsédée du jeunisme, Magimel le débile macho et Anais Demoustier la potiche écervelée) sont tous traités avec une infinie tendresse, qui n’entrave en rien la caricature. 
        Et je pense enfin à l’immensément regretté Bacri, incarnation même de cette tendresse sans concessions sous des dehors revêches. Son personnage de petit patron inculte dans « Le Goût des Autres » est pour moi un modèle du genre. Bacri qu’on entend dire, dans un documentaire hommage diffusé au moment de sa mort, une phrase qui m’a beaucoup touché et qui m’a conforté dans l’image très positive que j’ai dû bonhomme. Il disait (côte de mémoire), au sujet de son image publique «  je n’ai rien à foutre de la bienveillance des gens à mon égard, tout ce que je désire c’est que l’on me rende justice, qu’on me dise que je suis bon si je suis bon, ou que je suis mauvais si je suis mauvais »
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [C’est vrai que les anglais sont doués en la matière. Je repense au film This is England sur le milieu skinhead par exemple.]

          Oui, parce que les anglais s’aiment eux-mêmes. Profondément. Parce que la tendresse, comme beaucoup de qualités, commence par soi-même. Ayant vécu dans les deux pays, je dois dire que ce qui m’étonnait à l’époque et m’étonne toujours c’est l’incapacité des Français à s’aimer eux-mêmes. Et cela se voit d’une manière éclatante dans l’humour : l’Anglais se moque de lui-même, le Français se moque de l’autre. C’est typique par exemple du « Canard Enchaîné » : lisez-le, et vous noterez qu’il y a une claire ligne entre les « purs » – parmi lesquels les journalistes du « Canard » s’incluent, bien entendu – qu’on ne saurait critiquer, et les « autres », qui sont la cible de tous les quolibets. Et lorsqu’on découvre qu’au « Canard » comme ailleurs il y a des coteries et des emplois fictifs, au lieu de réagir avec humour le « Canard » monte sur ses grands chevaux…

          « This is England » est un excellent exemple, même si l’on peut difficilement dire que ce soit un film humoristique. C’est un film qu’on pourrait qualifier de « tragique », au sens que chaque personnage est animé par une logique propre qui le conduit vers la catastrophe finale. Mais chaque personnage conserve son humanité, nous est à sa façon sympathique au sens stricte du terme.

          [Ceci dit il existe bien quelques exemples français, je pense en particulier à la série Ptit Quinquin, qui me semble un modèle du genre en terme de regard plein de tendresse posé sur de dures réalités sociales.]

          Je dois avouer que j’ai détesté. D’abord, parce que faire jouer des gens du cru au lieu d’acteurs professionnels c’est pour moi une insulte faite au spectateur. Acteur, c’est un métier, c’est quelque chose qui s’apprend, et rien n’est moins naturel que le naturel du théâtre ou du cinéma. Ensuite, parce que faire rire avec des personnages idiots, c’est facile. Ce qui fait la force du cinéma anglais, c’est précisément la qualité de ses acteurs et le fait que les personnages sont intelligents. On rit avec eux, pas d’eux. Comme souvent en France, la série a le défaut que je signale plus haut, celui de séparer la société entre « nous » et « eux », et de nous faire rire « d’eux », jamais de « nous ».

          [J’ajoute un de mes réalisateurs fétiche, Quentin Dupieux, en particulier dans « Incroyable mais vrai », où une galerie de personnages tous plus tragiquement humains les uns que les autres (Chabat l’indifférent blazé, Léa Drucker l’obsédée du jeunisme, Magimel le débile macho et Anais Demoustier la potiche écervelée) sont tous traités avec une infinie tendresse, qui n’entrave en rien la caricature.]

          Malheureusement, si. Les personnages sont tellement caricaturaux, qu’ils sont « l’autre ». On a du mal à s’identifier avec eux. Dans un film comme « les virtuoses », aucun personnage n’est véritablement ridicule, et c’est pourquoi je peux m’identifier avec eux. Les personnages de Dupieux sont trop ridicules pour que je puisse m’identifier, pour que je puisse souffrir à leur place.

          Prenons un exemple classique : « la cage aux folles ». Pensez au personnage du père de la mariée, ce conservateur catholique dont la fille va se marier avec le fils adoptif du couple homosexuel. Lorsqu’il découvre le pot aux roses, ce personnage doit logiquement souffrir. Mais pouvez-vous partager sa souffrance ? Non, parce qu’il est trop caricatural pour que vous puissiez vous identifier à lui. Sa souffrance ne sonne pas juste. Et puis, le récit est construit de telle façon que sa souffrance apparaît comme une juste punition. Le problème du comique « à la française » à partir des années 1980, c’est que les personnages sont trop caricaturaux pour que vous puissiez vous identifier avec eux, et qu’il y a un parti pris moralisant trop évident. Et ce n’était pas comme cela avant : prenez par exemple l’extraordinaire « Vipère au poing » avec Alice Sapritch dans le rôle de Folcoche. On se sent à la fin presque coupable de l’avoir détestée, une fois qu’on comprend sa logique interne…

          [Et je pense enfin à l’immensément regretté Bacri, incarnation même de cette tendresse sans concessions sous des dehors revêches. Son personnage de petit patron inculte dans « Le Goût des Autres » est pour moi un modèle du genre.]

          C’est un excellent acteur, mais là encore c’est un film du genre « je t’aime, moi non plus ». On ne sort pas du drame personnel et de personnages qui se regardent le nombril.

          • P2R dit :

            Ah, je ne suis pas sûr que l’on puisse dire que la caricature empêche la tendresse. Pour moi, un personnage caricaturé exprime un trait de personnalité dans lequel on peut tout à fait se reconnaitre (nous avons tous tendance à nous auto-caricaturer inconsciemment), sans pour autant s’identifier au personnage dans sa globalité. Par ailleurs, quand vous évoquez Rabbi Jacob, il me semble que nous sommes précisément dans cette situation de personnages caricaturaux dans l’oeil d’une caméra bienveillante.

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Ah, je ne suis pas sûr que l’on puisse dire que la caricature empêche la tendresse.]

              La caricature, au sens strict, peut être « tendre ». Cabu, par exemple, avait croqué Chirac ou Sarkozy sous des traits plutôt aimables. Mais ce n’est pas la même chose de caricaturer et de rendre un personnage « caricatural ». Il est très difficile, lorsqu’un personnage est caricatural, de s’attacher à lui.

              [Par ailleurs, quand vous évoquez Rabbi Jacob, il me semble que nous sommes précisément dans cette situation de personnages caricaturaux dans l’oeil d’une caméra bienveillante.]

              Justement, le talent de De Funes est d’incarner des personnages excessifs, mais jamais caricaturaux (je parle de ses meilleurs films avec Oury, et non des navets qu’il a fait avec Zidi, par exemple). Le patron antisémite de « Rabbi Jacob », le chef d’orchestre dans « La grande vadrouille » ne sont en rien caricaturaux.

            • P2R dit :

              @ Descartes
               
              Suite à notre discussion et au commentaire de Bruno (“J’ai la trentaine et je n’ai pas le souvenir d’avoir vu un film Français de ma génération présentant les Français “d’en bas” comme autre chose que des ploucs”) je pensais récemment à certains films du duo Kervern/Delépine, comme Mammuth (avec Depardieu, Yolande Moreau et isabelle Adjani) ou Near Death Experience (avec Michel Houellebecq).
               
              Après dans un autre style, j’avais trouvé le film La Tête Haute (avec Catherine Deneuve) très touchant.

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [je pensais récemment à certains films du duo Kervern/Delépine, comme Mammuth]

              Je n’ai pas vu ce film – je ne supporte pas le jeu de Depardieu. Mais des critiques que j’ai lu, il s’ajuste parfaitement au commentaire de Bruno, avec une galerie de personnages “populaires” provinciaux caricaturalement “ploucs”. Extrait d’une critique: “Il pourrait aussi s’intituler “suicide, mode d’emploi !”. Tous les personnages sont des pauvres types un peu simplets ou des pauvres femmes sans éducation ni cervelle, soit des simples d’esprit, tordus, agressifs, violents, retors et j’en passe. Déprime assurée.”

              Deneuve est une excellente actrice, capable de rendre “touchant” n’importe quel film ou presque. Mais franchement, je n’aime pas trop les films de ce genre. Il est trop facile de faire pleurer dans les chaumières avec des personnages qui souffrent, souffrent, souffrent…

  18. cdg dit :

    L auteur a quand meme une vue un peu biaisée des années 70.
    Certes le niveau de la TV est superieur a celui actuel, mais les jeunes generations ne regardent plus gerre la TV.  Cependant s il y avait des artistes qui venaient s y produire gratuitement, c etait quand meme pas la majorité si j en crois mes souvenirs. La plupart venaient vendre leurs disques.
    Et vous oubliez aussi la censure de l epoque (par ex https://www.slate.fr/story/154793/jean-dormesson-contre-jean-ferrat-les-deux-france-des-annees-1970)
    Pour le reste je suis globalement d accord, la victimisation ridicule, l etat qui taille dans les missions essentielles mais preserve la communication ou les missions “diversités” ou “feministe” en attendant les LBGTQI+ …
     
    Il y quand meme un chose qui me surprend. L auteur parle des entreprises nationalisés et ecrit “Quand bien même l’entreprise privée serait plus efficiente dans l’utilisation des ressources, elle ne prêtera pas un service de même qualité pour un coût équivalent, tout simplement parce que son objectif n’est pas la satisfaction du client, mais celle de l’actionnaire. Et on le voit bien dans un secteur pourtant très concurrentiel : celui de la fourniture du service internet.”
    Je sais pas si l auteur se rappelle du debut d internet en france ou il fallait passer par France Telecom (on devait utiliser un modem avec sa ligne fixe et appeller un numero de telephone). C etait cher et FT evidement n avait aucun interet a tuer la poule aux oeufs d or (les communications etaient facturés au temps passé et pour les sociétés il y avait les liaisons specialisés qui coutaient une fortune)
    Si internet en france ne coute pas tres cher c est grace a free et X Niel, pas grace a l etat ou FT
    En ce qui concerne les ressources, l auteur pointe l accroissement des revenus du capital. C est exact mais c est loin d etre le seul phenomene. Les prelevement obligatoires ont aussi explosé par rapport aux années 70 pour financer retraites et soins medicaux d une generation nombreuse (les boomers). Quand on arrive a avoir 50 % des prelevement obligatoire qui sont absorbés par retraite+secu et que les retraités ont un niveau de vie superieur aux actifs on se dit qu on a un gros probleme
    PS: a mon avis nous ne sommes qu au debut de l effondrement. Le point le plus grave n est pas tant qu on ait pas investit dans le secteur X ou Y mais que l education nationale soit completement sinistrée (et donc incapable de produire ceux qui pourraient redresser le pays dans 15 ans). Et le peu qu on produit encore a une forte tendance a voter avec ses pieds et a s installer a l etranger (ce qui peut se comprendre car la france est devenue une gerontocratie (oui je sais Macron est un president jeune mais il mene une politique destinée a satisfaire ses electeurs : les vieux))
     

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [L’auteur a quand meme une vue un peu biaisée des années 70.]

      Je n’ai jamais prétendu être neutre. Je dis ce que je pense, et je prends le risque de la contradiction. Vous le savez bien, d’ailleurs…

      [Certes le niveau de la TV est supérieur a celui actuel, mais les jeunes générations ne regardent plus guère la TV.]

      Je me demande alors qui regarde Hanouna ou Cauet. J’ai beaucoup de mal à croire que le public de Hanouna soit majoritairement composé de retraités. Et quand je vois ce qui sort des télé-crochet genre « la nouvelle star », je doute fort qu’elles soient du gout des anciennes générations. Je vous accorde que la télévision n’est plus le média dominant qu’elle était dans les années 1970 – encore que la radio lui disputait encore la première place. Mais de là à dire qu’aujourd’hui « les jeunes générations ne regardent guère la TV », il y a un pas que je ne franchirais pas sans précautions.

      [Cependant s’il y avait des artistes qui venaient s’y produire gratuitement, c’était quand même pas la majorité si j’en crois mes souvenirs. La plupart venaient vendre leurs disques.]

      Beaucoup venaient avec l’espoir que leur passage ferait vendre leurs disques. Mais le présentateur ne parlait pas de leur nouveau disque, et on ne voyait pas la pochette à la fin de l’émission. Je vais plus loin : si je crois ce que me disent des amis qui travaillent dans les médias, aujourd’hui beaucoup d’artistes refusent – ou plutôt leur producteur refuse – de passer à l’antenne si leur dernier disque/livre/pièce/etc. n’est explicitement présentée.

      Il n’en reste pas moins que certains, souvent les plus grands, passaient gratia artis. Je me souviens d’avoir vu Brassens, Barbara, Menuhin, Soljenitsyne, Boulgakov… à un moment de leur carrière où ils n’avaient plus rien à vendre et pas besoin de la télé pour le faire.

      [Et vous oubliez aussi la censure de l’époque (…)]

      Je n’ai nullement oublié. Comme je n’oublie pas la censure d’aujourd’hui. Seulement, la censure d’aujourd’hui est exercée en grande partie par des entreprises privées, qui ne doivent de comptes à personne, alors qu’à l’époque elle était exercée par l’Etat, qui avait des comptes à rendre aux électeurs.

      L’article que vous citez est très émouvant, mais il amène l’eau plutôt à mon moulin qu’au votre. Il parle d’une époque où des hommes de talent étaient portés par une véritable passion, et non par le soin de vendre des disques ou ne pas offenser tel ou tel groupe. Aujourd’hui, cela n’arriverait pas. Non que nous soyons devenus plus sages, mais parce qu’il n’y a ni la passion, ni le talent. Et c’est bien dommage.

      Après, sur le couplet anticommuniste d’Askolovich, j’avoue que je trouve croquignolet d’entendre l’éditorialiste de “Libération”, ce journal créé et dirigé par l’ancien “garde rouge” maoïste qu’était Serge July, vilipender les Khmers Rouges que sont journal avait naguère tant défendus… surtout lorsque les méchants vietnamiens alliés des soviétiques vinrent les chasser du pouvoir! Que voulez-vous, il faut bien que jeunesse se passe, et que les maos deviennent eurolâtres…

      [Il y quand meme un chose qui me surprend. L auteur parle des entreprises nationalisés et ecrit “Quand bien même l’entreprise privée serait plus efficiente dans l’utilisation des ressources, elle ne prêtera pas un service de même qualité pour un coût équivalent, tout simplement parce que son objectif n’est pas la satisfaction du client, mais celle de l’actionnaire. Et on le voit bien dans un secteur pourtant très concurrentiel : celui de la fourniture du service internet.”]

      Vous n’avez pas bien lu. L’exemple des fournisseurs de service internet est censé illustrer le fait que « les opérateurs privés n’ont pas pour objectif la satisfaction du client, mais celle de l’actionnaire ». Et non l’efficacité du public vis-à-vis du privé.

      [Je ne sais pas si l’auteur se rappelle du début d’internet en France ou il fallait passer par France Telecom (on devait utiliser un modem avec sa ligne fixe et appeler un numéro de téléphone). C’était cher et FT évidement n’avait aucun intérêt à tuer la poule aux œufs d’or]

      Je me souviens parfaitement de cette époque, et cela appelle deux remarques. La première, c’est que France Télécom n’a jamais eu le monopole des services internet, même à l’époque héroïque. On passait certes par le réseau FT, mais pour le service internet vous pouviez choisir votre opérateur – dans mon cas, Club-Internet, qui n’était pas vraiment plus compétitif. Par ailleurs, je ne vois pas comment FT aurait pu « tuer la poule aux œufs d’or », puisqu’à l’époque il n’y avait pas d’autre technologie disponible.

      [Si internet en France ne coute pas très cher c’est grâce à free et X Niel, pas grâce à l’etat ou FT]

      Pourriez-vous être plus précis ? Si ma mémoire ne me trompe pas, X Niel a pu s’établir avec des offres compétitives, ce fut en se reposant sur le réseau cuivre de France Télécom, c’est-à-dire sur les infrastructures payées par le contribuable. Même chose pour la fibre, qui n’aurait jamais décollé sans les subventions publiques du plan cable…

      [En ce qui concerne les ressources, l’auteur pointe l’accroissement des revenus du capital. C’est exact mais c’est loin d’être le seul phénomène. Les prélèvement obligatoires ont aussi explosé par rapport aux années 70 pour financer retraites et soins médicaux d’une génération nombreuse (les boomers). Quand on arrive a avoir 50 % des prélèvement obligatoires qui sont absorbés par retraite+secu et que les retraités ont un niveau de vie supérieur aux actifs on se dit qu’on a un gros problème]

      Je ne sais pas d’où vous tirez que « les prélèvements obligatoires » aient « explosé ». Si l’on regarde sur les trente dernières années, on voit le taux osciller entre 41 et 45% du PIB (source : https://fipeco.fr/fiche/L%C3%A9volution-des-pr%C3%A9l%C3%A8vements-obligatoires). Et encore, une bonne partie de ces prélèvements revient au capital sous la forme de crédits d’impôt, de subventions ou des services gratuits.

      Pour moi, le plus inquiétant n’est pas le poids des dépenses sociales. Si demain on privatisait la gestion des retraites ou des soins, les dépenses publiques deviendraient bien plus faibles, mais la dépense privée exploserait – il n’y a qu’à voir ce qui se passe aux Etats-Unis – pour un niveau de service moindre. L’augmentation des dépenses de santé ou de retraite répond à la volonté des gens, qui préfèrent se priver dans d’autres domaines pour se soigner ou pour avoir une belle retraite – et on l’a bien vu dans le récent débat sur les retraites.

      Non, pour moi le plus inquiétant est la baisse massive des dépenses d’investissement – au sens large du terme – dans le total. Que ce soit sur les infrastructures, sur l’éducation, sur la recherche, on ne fait pas grande chose. En d’autres termes, on sacrifie le futur au présent. Et contrairement à vous, je ne pense pas que ce soit le fait des anciennes générations, mais des générations jeunes élevés dans le « tout, tout de suite » dans un capitalisme approfondi dont l’horizon s’est singulièrement rapproché.

      [PS: a mon avis nous ne sommes qu’au début de l’effondrement. Le point le plus grave n’est pas tant qu’on ait pas investit dans le secteur X ou Y mais que l’éducation nationale soit complètement sinistrée (et donc incapable de produire ceux qui pourraient redresser le pays dans 15 ans).]

      Tout à fait d’accord.

      [Et le peu qu on produit encore a une forte tendance a voter avec ses pieds et à s’installer à l’étranger (ce qui peut se comprendre car la France est devenue une gérontocratie (oui je sais Macron est un président jeune mais il mène une politique destinée a satisfaire ses électeurs : les vieux))]

      La bonne blague… désolé de vous contredire, mais je vois mal en quoi la réforme du baccalauréat, par exemple, répondrait aux désirs des « vieux ». Non, la France, loin de devenir une « gérontocratie » est au contraire devenue une « puberocratie ». Allez dans une entreprise, dans une administration. On trouve aujourd’hui des chefs de service, des chefs d’entreprise, des préfets, des ministres, et même des présidents de la République de moins de quarante ans. Mais c’est là une génération élevée dans la logique du « tout, tout de suite », dont l’horizon temporel est singulièrement limité. Nous ne sommes pas gouvernés par des vieux, mais par des adolescents.

      • marc.malesherbes dit :

         
        « l’éducation nationale soit complètement sinistrée (et donc incapable de produire ceux qui pourraient redresser le pays dans 15 ans) »

        sur l’éducation nationale, j’ai beaucoup de mal à me faire une idée.
        On entend souvent dire qu’elle se dégrade globalement.

        Mais est-ce vrai ?
        J’ai un petit fils de 5 ans qui va en « maternelle ». C’est extraordinaire ce qu’on lui fait faire et la variété des enseignements. Sans commune mesure avec ce que j’ai connu. Un grand progrès.

        Il faut tenir compte de la massification de l’enseignement, y compris dans l’université. C’est presque devenu « un droit » d’aller à l’université. Vu le nombre d’élève, le nombre d’élèves qui arrivent à un bon niveau est sans doute très supérieur à celui des années 1970. Il existe des filières de qualité qui permettent d’échapper à « l’égalité par le bas ». Sans compter la nouvelle pédagogie sans doute beaucoup plus efficace, ouvrant l’esprit, que l’ancienne. Évidemment je ne parle pas d’exceptions regrettables comme Sciences Po Paris, Grenoble et d’autres.
        D’autre part il existe des manières d’apprendre via internet ouvertes à presque tout le monde.
        Enfin il y a largement suffisamment de jeunes gens bien formés et intelligents « qui pourraient redresser le pays » . C’est la volonté politique d’un pays de donner les moyens à ceux qui veulent faire quelque chose. Un livre récent à montré qu’après guerre nous avons recruté massivement des savants tout ce qu’il y a de nazis pour former les bases de beaucoup de nos grandes réussites industrielles. Nous avons fermé les yeux sur leur comportements hitlériens … et nous leur avons donné les moyens.
         

        • Descartes dit :

          @ marc.malesherbes

          [J’ai un petit fils de 5 ans qui va en « maternelle ». C’est extraordinaire ce qu’on lui fait faire et la variété des enseignements. Sans commune mesure avec ce que j’ai connu. Un grand progrès.]

          Si la qualité d’un système d’enseignement se mesure à la « variété des enseignements », alors le progrès est évident et à tous les niveaux. De notre temps, l’école primaire apprenait à lire et écrire correctement et rien d’autre. Aujourd’hui, elle sort des quasi-illettrés, mais qui y ont entendu vaguement parler de l’égalité des sexes, du permis de conduire, du racisme, du réchauffement climatique et du tri des déchets. Est-ce un progrès ? Personnellement, j’en doute.

          Et j’en doute parce que je pense que la finalité de l’éducation – et surtout de l’éducation primaire – est de développer les mécanismes de la pensée, les systématiques et les méthodes. Bref, de donner les instruments pour penser. La « variété » dont vous parlez, c’est d’abord une distraction, une manière d’amuser les élèves – et de transmettre une idéologie. C’est le zapping de la pensée…

          [Il faut tenir compte de la massification de l’enseignement, y compris dans l’université. C’est presque devenu « un droit » d’aller à l’université.]

          Mais dans ce contexte, qu’appelez-vous « tenir compte » ? Tel que vous formulez cette phrase, on a l’impression que pour vous c’est un synonyme de « se résigner »…

          [Vu le nombre d’élève, le nombre d’élèves qui arrivent à un bon niveau est sans doute très supérieur à celui des années 1970.]

          J’ai vu passer quelques études qui tend à montrer que les élèves qui arrivent à un « bon niveau » est à peu près similaire à celui des années 1970. C’est le niveau de ceux qui arrivent à un niveau moyen qui semble s’être effondré. C’est ce qui me conforte dans l’analyse de cette débâcle : les classes intermédiaires se réservent le « haut niveau », et enlèvent l’échelle en dessous d’elles.

          [Il existe des filières de qualité qui permettent d’échapper à « l’égalité par le bas ».]

          De moins en moins. Malheureusement, même dans les filières dites « d’élite », se fait sentir l’affaiblissement de la sélection au mérite. Un ami philosophe qui enseigne à l’ENS me disait qu’hier on donnait pour acquis que les normaliens en philosophie connaissaient à minima le latin et le grec, et en général l’allemand. Aujourd’hui, leur faire lire Hegel, Platon ou Sénèque dans leur langue originale est une utopie.

          [Sans compter la nouvelle pédagogie sans doute beaucoup plus efficace, ouvrant l’esprit, que l’ancienne.]

          Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Pourriez-vous donner quelques exemples ?

          [Évidemment je ne parle pas d’exceptions regrettables comme Sciences Po Paris, Grenoble et d’autres.]

          Malheureusement, ce que vous appelez « des exceptions » tendent à devenir la règle.

          [D’autre part il existe des manières d’apprendre via internet ouvertes à presque tout le monde.]

          Encore une fois, ces « manières d’apprendre via internet » sont très loin d’être « ouvertes à tout le monde ». Elles sont, certes, physiquement accessibles à tous dans notre pays puisque tout le monde ou presque peut disposer d’un ordinateur. Mais pour vraiment « apprendre » d’elles, il faut avoir les OUTILS. Il faut savoir lire et écrire correctement, posséder un vocabulaire riche, avoir acquis des mécanismes de pensée et des méthodes de travail. On n’apprend pas par osmose : l’apprentissage, que ce soit par les livres, par internet ou par les cours universitaires, reste une discipline.

          Tiens, une simple question : combien de gens connaissez-vous qui, lorsqu’ils regardent une vidéo ou lisent un article sur wikipédia, prennent des notes ? Pensez-vous qu’on puisse « apprendre » sans cette discipline ?

          [Enfin il y a largement suffisamment de jeunes gens bien formés et intelligents « qui pourraient redresser le pays ».]

          Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que quand on ouvre un poste dans mon domaine, les très bons candidats ne se précipitent guère, et les bons candidats se font rares. Et cela à un moment où le secteur énergétique en général et nucléaire en particulier est en plein redémarrage, et que les perspectives professionnelles dans le secteur s’annoncent plutôt bonnes.

          [C’est la volonté politique d’un pays de donner les moyens à ceux qui veulent faire quelque chose. Un livre récent a montré qu’après guerre nous avons recruté massivement des savants tout ce qu’il y a de nazis pour former les bases de beaucoup de nos grandes réussites industrielles. Nous avons fermé les yeux sur leur comportements hitlériens … et nous leur avons donné les moyens.]

          Je ne sais pas qui est ce « nous » qui aurait recruté massivement des savants « tout ce qu’il a de nazis », et j’avoue que parmi les personnalités qui après la guerre ont porté les grandes réussites scientifiques et technologiques en France j’ai du mal à voir « massivement » des anciens nazis. Mais admettons un instant que ce soit le cas. Quel est le rapport avec la choucroute ? Comme je vous l’ai dit plus haut, même dans les domaines où les moyens existent, on ne voit pas les bons candidats se précipiter. Regardez d’ailleurs quelles sont les formations privilégiées par les étudiants : les sciences « dures » sont boudées, alors qu’on se précipite sur la psychologie. Pensez-vous vraiment que ce soit une question de moyens ? La demande de mathématiciens-informaticiens pour les questions de chiffrement et de sécurité informatique est massive… et on ne trouve pas de candidats lorsque des postes sont ouverts alors que les moyens consacrés à ces questions sont colossaux. Difficile de dire sur ces sujets « qu’on ne donne pas les moyens à ceux qui veulent faire quelque chose ».

          Personnellement, je pense que le problème est ailleurs. Je pense surtout que pour réussir en physique ou en mathématiques il faut d’autres instruments, une autre discipline que pour réussir en psychologie ou sociologie. Et à la sortie du secondaire, rares sont les étudiants qui dominent ces instruments, qui ont cette discipline. Ces instruments, ces disciplines, qui sont faciles à acquérir lorsqu’on a dix ans, sont trop coûteuses à développer lorsqu’on en a vingt. Les étudiants choisissent alors le meilleur rapport qualité/prix : psychologue, ça ne paye pas autant qu’ingénieur, mais ça ne demande pas le même effort non plus.

          • Erwan dit :

            @Descartes
             
            [Ce que je sais, c’est que quand on ouvre un poste dans mon domaine, les très bons candidats ne se précipitent guère, et les bons candidats se font rares. Et cela à un moment où le secteur énergétique en général et nucléaire en particulier est en plein redémarrage.]
             
            Je suis étonné. Pourquoi dis-tu que le secteur du nucléaire est en plein redémarrage ?

            • Descartes dit :

              @ Erwan

              [Je suis étonné. Pourquoi dis-tu que le secteur du nucléaire est en plein redémarrage ?]

              Parce que je constate un appel d’air massif en termes d’emplois. France Relance met par exemple 500 M€ pour le développement des SMR et autres “réacteurs innovants”, et devant cette manne on voit se constituer des “start up” – en général liées aux grands énergéticiens – qui embauchent à tour de bras. EDF aussi est en train d’embaucher massivement pour les projets EPR2 qui sont dans les tuyaux… du point de vue de l’emploi, un jeune qui s’investirait dans le nucléaire n’aura pas à se soucier de son avenir.

      • cdg dit :

         
         
        [L’exemple des fournisseurs de service internet est censé illustrer le fait que « les opérateurs privés n’ont pas pour objectif la satisfaction du client, mais celle de l’actionnaire ]
        Certes. Mais si vous avez pas de client, vous faites des pertes et l actionnaire n est pas content (et le PDG risque sa place)
        Donc une entreprise privée est quand meme contrainte de tenir compte de ses clients
        A l inverse, j ai pas souvenir que la SNCF ait la satisfaction du client a coeur. C est d ailleurs logique car il n y a pas de client (mais des usagers). Et que ceux ci ci n a que le droit de se subir. Car meme si la SNCF n avait plus personne a transporter, ils seraient toujours payés
         
        [Par ailleurs, je ne vois pas comment FT aurait pu « tuer la poule aux œufs d’or », puisqu’à l’époque il n’y avait pas d’autre technologie disponible.]
        Bien sur qu il y avait d autres technologies. Pour les professionnels, il y avait transpac (https://fr.wikipedia.org/wiki/Transpac) ou les liaisons specialisés (en gros vous payiez une fortune pour avoir une liaison dediée entre vos differents etablissements). Pour le grand public l alternative a Internet etait le minitel (les 3615 etaient une manne pour FT)
         
        [Si ma mémoire ne me trompe pas, X Niel a pu s’établir avec des offres compétitives, ce fut en se reposant sur le réseau cuivre de France Télécom, c’est-à-dire sur les infrastructures payées par le contribuable.]
        Certes Free utilisait la ligne telephonique de FT mais s i l n etait pas la, vous auriez comme dans d autres pays un abonnement internet+ l abonnement FT (le telephone fixe)+ les communications a la minute. La nouveaute de free a l epoque c etait la box qui centralisait tout ca et qui permettait de passer des appels (la telephonie etait déjà sous IP sur le reseau de FT mais pas au niveau du client car ils n avaient aucun interet a le faire). Mais surtout la volonte de Niel de dynamiter les prix (comme sur le tel portable)
         
        [Je ne sais pas d’où vous tirez que « les prélèvements obligatoires » aient « explosé ».]
        Je me mettait dans une perspective plus longue.
        https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381412
         
        [Si demain on privatisait la gestion des retraites ou des soins, les dépenses publiques deviendraient bien plus faibles, mais la dépense privée exploserait – il n’y a qu’à voir ce qui se passe aux Etats-Unis – pour un niveau de service moindre]
        Deja c est pas sur qu on ait un service moindre avec un systeme privé (vous avez ici un apriori ideologique). Si on reprend votre ex d internet, si internet en france aurait ete un monopole d etat, l acces couterai probablement plus cher (FT aurait aucun interet a baisser les couts et aucune incitation a reduire son personnel comme il l a fait (et de maniere bien discutable certes)), on aurait probablement des tas de fonctionnaires de FT qui seraient chargé de veiller que l internet francais suive les directives de nos ministres. Donc des filtres pour lutter contre/promouvoir les lubies du moment (porno, telechargement de musique, egalite homme/femme ou je ne sais quoi)
         
        [La bonne blague… désolé de vous contredire, mais je vois mal en quoi la réforme du baccalauréat, par exemple, répondrait aux désirs des « vieux ». Non, la France, loin de devenir une « gérontocratie » est au contraire devenue une « puberocratie ».]
        la reforme du bac, c est un detail. C est comme si vous resumiez la politique de De Gaulle a la supression de departement de seine et oise en 68
        je vous conseille de lire https://www.telos-eu.com/fr/la-france-en-proie-au-neoliberalisme.html. Vous verrez que c est les retraités qui ont ete les gros beneficiaires des politiques menées (et les etudiants les perdants). Ce qui est d ailleurs assez logique. 13 millions de retraités, qui s abstiennent peu et qui en plus ont tendance a voter pour les partis susceptibles de gouverner (PS-LR-LREM) c est un electorat majeur. A l inverse, les jeunes a part sur les affiches, ca ne vaut rien electoralement (et encore plus au niveau des deputés ou senateurs car les zones depeuples (et a moyenne d age elevee) envoie plus de deputés que leur population leur donnerai)
         
        La «puberocratie» c est juste un habillage pour faire passer la pilule ou pour justifier l immobilisme. C est ainsi qu on va se focaliser sur un point de detail (par ex les WC transgenre dans les ecoles) pour eviter de parler de ce qui fache (ici l effondrement du niveau scolaire)
         

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [« L’exemple des fournisseurs de service internet est censé illustrer le fait que « les opérateurs privés n’ont pas pour objectif la satisfaction du client, mais celle de l’actionnaire » Certes. Mais si vous n’avez pas de client, vous faites des pertes et l’actionnaire n’est pas content (et le PDG risque sa place). Donc une entreprise privée est quand même contrainte de tenir compte de ses clients.]

          Seulement de ses clients les plus « rentables ». Et encore : « tenir compte » n’est pas la même chose que de « satisfaire leurs besoins ». Pour ne donner qu’un exemple, l’entreprise privée est encouragée à exploiter à fonds l’asymétrie d’information qui existe entre elle et son potentiel client. Par exemple, votre fournisseur de service internet affiche fièrement ses prix et offres « spéciales », mais au moment de le choisir vous n’avez aucune information objective sur le taux de pannes, par exemple. Vous choisirez donc en fonction du prix, et découvrirez plus tard, lorsque vous êtes déjà engagé, le taux de pannes. Et du coup, l’opérateur est encouragé à baisser ses prix quitte à dégrader la qualité du service. Exactement ce qui se passe aujourd’hui.

          [A l’inverse, je n’ai pas souvenir que la SNCF ait la satisfaction du client a cœur.]

          Aujourd’hui qu’elle opère sous la pression de la « concurrence libre et non faussée », la question se pose. Mais hier, lorsqu’il s’agissait d’une entreprise publique, elle était très soucieuse des besoins des usagers. La preuve : elle maintenait un réseau dense où des lignes non rentables étaient maintenues parce qu’elles étaient utiles aux populations, et dont le déficit était couvert par les lignes rentables. Chose qu’une entreprise privée n’aurait jamais fait.

          Cela étant dit, vous avez en partie raison : l’entreprise publique est autant sensible à la satisfaction des besoins individuels de ses usagers qu’aux besoins collectifs définis par le politique. Une école privée non soumise aux décisions de l’Etat n’aurait d’autre souci que d’avoir des parents contents. Est-ce qu’elle formerait des individus meilleurs, des citoyens plus conscients ? J’en doute.

          [C’est d’ailleurs logique car il n’y a pas de client (mais des usagers). Et que ceux-ci n’ont que le droit de se subir.]

          Pas tout à fait. Ils ont aussi le droit de voter.

          [« Par ailleurs, je ne vois pas comment FT aurait pu « tuer la poule aux œufs d’or », puisqu’à l’époque il n’y avait pas d’autre technologie disponible. » Bien sûr qu’il y avait d’autres technologies. Pour les professionnels, il y avait transpac]

          Mon commentaire répondaint à votre observation rappelant le temps où « il fallait passer par France Telecom (on devait utiliser un modem avec sa ligne fixe et appeler un numéro de téléphone) ». Je ne vois pas quelle autre technologie existait à l’époque, que FT aurait « tué », pour remplacer ce type de connexion. Par ailleurs, transpac a vu le jour en grande partie grâce au travail du CNET, et la société Transpac, qui l’a mis en œuvre, était une société publique, d’abord société d’économie mixte constituée par la DGT, puis filiale de France Télécom. Son développement a permis à FT de gagner beaucoup d’argent avec le minitel, alors on voit mal FT « tuant » transpac…

          [Pour le grand public l’alternative à Internet était le minitel (les 3615 etaient une manne pour FT)]

          Là encore, vous réécrivez l’histoire. Si vous revenez à cette époque, vous devez vous souvenir que l’immense majorité des Français n’avait pas à l’époque d’ordinateur. Dans les années 1970, l’ordinateur personnel était réservé à une élite : il était cher – mon premier ordinateur m’avait coûté à l’époque l’équivalent de deux mois de salaire – et difficile à configurer si l’on n’était pas un initié. A l’opposé, Minitel vous était fourni par la DGT puis par France Télécom pour un loyer minime et venait prêt à l’emploi. L’internet, à supposer même que la connexion vous fut offerte, n’était donc pas vraiment une « alternative ».

          [« Si ma mémoire ne me trompe pas, X Niel a pu s’établir avec des offres compétitives, ce fut en se reposant sur le réseau cuivre de France Télécom, c’est-à-dire sur les infrastructures payées par le contribuable. » Certes Free utilisait la ligne téléphonique de FT (…)]

          C’est quand même un « certes » très important. Si X Niel avait du construire ex nihilo un réseau cuivre pour connecter ses abonnés, les prix offerts n’auraient pas été les mêmes. Niel dans cette affaire est le type même de « l’entrepreneur parasite », celui qui retire une rente de l’investissement effectué par d’autres. Exactement comme les fournisseurs d’électricité qui se contentent d’acheter l’électricité chez EDF à prix artificiellement bas, puis la revendent au prix du marché.

          [(…) mais s’il n’était pas là, vous auriez comme dans d’autres pays un abonnement internet+ l’abonnement FT (le téléphone fixe)+ les communications a la minute.]

          Je ne sais pas. Difficile de spéculer sur ce qui aurait été s’il n’avait été ce qui a été. Le fait est que les entreprises publiques françaises ont souvent poussé vers les meilleures technologies. Le nucléaire pour EDF ou le TGV pour la SNCF sont de bons exemples. Certaines ont même été trop en avance sur leur temps, proposant des technologies alors qu’elles n’étaient pas encore adaptées à l’économie (cas du Micral). Je n’ai pas de raison de penser que France Télécom aurait été à la traine.

          [La nouveauté de free à l’époque c’était la box qui centralisait tout ca et qui permettait de passer des appels (la téléphonie était déjà sous IP sur le réseau de FT mais pas au niveau du client car ils n’avaient aucun intérêt à le faire).]

          La nouveauté de Free était surtout la télévision par IP. C’est-à-dire la publicité amenée à chaque foyer. C’est là que Free a fait son beurre.

          [Mais surtout la volonte de Niel de dynamiter les prix (comme sur le tel portable)]

          Un bienfaiteur de l’humanité, ce Niel. Dynamiter le prix pour le plus grand bénéfice du consommateur et non du sien, on ne peut qu’admirer la générosité de cet homme… qu’attend-t-on pour le panthéoniser ? Soyons sérieux : comme Ford en son temps, Niel a compris que pour gagner beaucoup d’argent il fallait que les réseaux – comme le portable – deviennent une affaire grand public, la baisse des prix étant compensée par la quantité. Et surtout, il a compris qu’on pouvait baisser le coût de la connexion en récupérant au centuple sur la vente de contenus – et de la publicité. Il faut développer les routes pour vendre des voitures…

          [« Je ne sais pas d’où vous tirez que « les prélèvements obligatoires » aient « explosé ». » Je me mettait dans une perspective plus longue (…).]

          Si je m’en tiens à cette perspective, je ne peux que constater que « l’explosion » a lieu entre 1975 et 1985. Depuis, elle oscille dans une bande relativement étroite, entre 41 et 45%. Il est d’ailleurs amusant de constater que la moitié de la période correspond à des gouvernements de droite (Giscard sur la période 1974-81, Mitterrand sans cohabitation sur la période 1981-85). Il serait peut-être intéressant de revenir sur cette époque pour essayer de comprendre le pourquoi de cette « explosion », et surtout pourquoi on n’est jamais revenu en arrière…

          [« Si demain on privatisait la gestion des retraites ou des soins, les dépenses publiques deviendraient bien plus faibles, mais la dépense privée exploserait – il n’y a qu’à voir ce qui se passe aux Etats-Unis – pour un niveau de service moindre » Déjà c’est pas sûr qu’on ait un service moindre avec un système privé (vous avez ici un apriori idéologique).]

          Non, j’ai un a posteriori statistique. On peut constater que la création des systèmes publics de santé après 1945 ont apporté une amélioration massive de l’état de santé des populations. Et que dans les pays ou le système reste largement privé – cas des Etats-Unis – l’état sanitaire des populations est bien plus mauvais, avec des dépenses de santé plus élevées.

          [Si on reprend votre ex d’internet, si internet en France aurait été un monopole d’état, l’accès couterai probablement plus cher (FT aurait aucun intérêt à baisser les couts et aucune incitation à réduire son personnel comme il l’a fait (et de manière bien discutable certes),]

          Encore une fois, c’est de la pure spéculation. Mais cette spéculation n’est supporté par aucun exemple précis. Moi, au contraire, je vous en propose un : l’électricité a été un monopole d’Etat pendant plus d’un demi-siècle (et le reste dans certains domaines, comme le transport ou la distribution d’électricité). Et cela n’a pas empêché EDF d’offrir un service de première qualité avec les prix les plus bas d’Europe, avec un effectif qui n’a rien de pléthorique par rapport à ses concurrents étrangers. Comment expliquez-vous ça ? Pourtant, suivant votre raisonnement, EDF n’avait « aucun intérêt à baisser les coûts », aucune « incitation à réduire son personnel »…

          Vous oubliez que les entreprises publiques ne sont pas en roue libre. Elles sont pilotées par le politique, eux-mêmes sous la pression des électeurs et des groupes d’intérêt. Avoir de l’électricité pas chère, c’était important pour l’industrie et pour les particuliers, et ces groupes l’ont bien fait savoir au pouvoir politique. Et c’est pourquoi la pression vers l’efficacité est aussi forte sur EDF que sur n’importe quelle entreprise. Et de la même manière, avoir un réseau téléphonique efficace était perçu par les milieux économiques comme une nécessité pour la bonne marche des affaires, et il en est résulté le « plan téléphone » qui fut un grand succès des années 1970. Si internet avait été un monopole d’Etat, la pression sur le politique venant des entreprises et du public pour avoir un service universel et bon marché aurait certainement été très forte aussi, et aurait abouti à une sorte « d’EDF de l’internet ».

          [« La bonne blague… désolé de vous contredire, mais je vois mal en quoi la réforme du baccalauréat, par exemple, répondrait aux désirs des « vieux ». Non, la France, loin de devenir une « gérontocratie » est au contraire devenue une « puberocratie ». » la réforme du bac, c’est un détail.]

          Non. La réforme du bac – qui est un élément d’une réforme de l’ensemble de notre système éducatif – est un élément capital, parce qu’il conditionne l’avenir du pays. Et c’est un très bon exemple pour montrer que les « vieux » ont sur ces questions une position qui est plus soucieuse du long terme que les « jeunes », obnubilés par la réussite de LEURS enfants.

          [C’est comme si vous résumiez la politique de De Gaulle a la suppression de département de Seine et Oise en 68]

          Si pour vous la suppression du département de la Seine et Oise conditionne l’avenir du pays de la même manière que la réforme du système éducatif, je n’ai rien à ajouter…

          [je vous conseille de lire https://www.telos-eu.com/fr/la-france-en-proie-au-neoliberalisme.html.%5D

          Je l’ai lu, il m’a fait beaucoup rire. Proposer un graphique qui couvre la période 1970-2019 pour justifier un raisonnement qui concerne la période 1980-2020, avouez que ce n’est pas mal. Avec ce genre de logique, on peut tout démontrer. Parce qu’en effet, la décennie 1970-80 fut très « redistributive », et les effets de ces politiques se font sentir jusqu’au milieu des années 1980. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1980 que les effets des politiques néolibérales se font sentir fortement. On aimerait voir la courbe sur cette période…

          Pour la répartition du revenu entre capital et travail, c’est encore plus croquignolet : l’auteur se contente d’utiliser la statistique concernant « les sociétés non financières ». Mais quid des sociétés financières ? Avec la financiarisation croissante de l’économie, une partie importante des revenus du capital transite par elles…

          Vous noterez par ailleurs que l’article confirme un élément que je répète ici souvent : si la dépense publique augmente, la part de cette dépense qui est un simple transfert vers les entreprises augmente elle aussi, et atteint 8,4% du PIB depuis 2010. Presque autant que le cout des retraites…

          [Vous verrez que c’est les retraités qui ont été les gros bénéficiaires des politiques menées (et les étudiants les perdants).]

          Pas tout à fait. Le graphique auquel vous faites référence trace l’évolution du revenu MEDIAN, de chaque catégorie. Cela ne fournit guère d’information sur l’évolution moyenne du revenu. En effet, le revenu médian est celui qui sépare en deux une population. Un changement de la distribution du revenu peut faire monter le revenu médian sans que le revenu des individus concernés augmente. Prenons une population dont le revenu médian s’échelonne linéairement entre 1000 et 2000 euros. La médiane du revenu se situe donc à 1500 €. Maintenant, imaginons que j’augmente le revenu des 10% plus faibles de 10% – ou que je baisse le revenu des 10% plus riches d’autant. La médiane sera toujours à 1500 €. Maintenant, imaginons que j’augmente de 10% le revenu des 10% qui sont au milieu de la distribution, et que je réduise de 10% le revenu des extrêmes : la médiane AUGMENTERA, alors que le revenu total diminue…

          [Ce qui est d’ailleurs assez logique. 13 millions de retraités, qui s’abstiennent peu et qui en plus ont tendance à voter pour les partis susceptibles de gouverner (PS-LR-LREM) c’est un électorat majeur. A l’inverse, les jeunes à part sur les affiches, ça ne vaut rien électoralement (et encore plus au niveau des députés ou sénateurs car les zones dépeuplées (et a moyenne d’âge élevée) envoie plus de députés que leur population leur donnerait)]

          Je vois que vous êtes de ceux qui, lorsque la théorie et l’observation se contredisent, fait confiance à la théorie. Quelque soit la qualité de votre raisonnement, les faits ne semblent pas l’appuyer. Si l’électorat âgé avait le poids que vous lui attribuez, on devrait s’attendre à des politiques particulièrement conservatrices sur le plan sociétal, respectueuses des institutions héritées du passé. Or, c’est exactement le contraire qu’on observe. Quel est l’électorat qui sera le plus choqué de voir une ministre s’étaler sur les pages de « Playboy » ? Quel est l’électorat qui verra du plus mauvais œil la remise en cause du baccalauréat « traditionnel » ? Je pense que votre erreur est de penser les électorats comme ne s’intéressant qu’à leurs problèmes. Mais ce n’est pas le cas : les « vieux » ont des enfants et des petits enfants. Ils se soucient pour eux, et votent aussi en fonction de leurs anticipations. Les « vieux » détiennent une part disproportionnée du revenu, mais ce revenu est moins utilisé pour se payer des croisières en Méditerranée que pour installer les enfants et petits enfants.

          [La « puberocratie » c’est juste un habillage pour faire passer la pilule ou pour justifier l’immobilisme.]

          Mais où voyez-vous de « l’immobilisme » ? Vous me rappelez Don Quichotte attaquant les moulins à vent. L’immobilisme en question n’existe pas. Au contraire : chaque jour nos institutions, nos modes de vie, nos pratiques, nos règles et nos lois sont bouleversées. Arrêtez-vous cinq minutes pour réfléchir, et demandez-vous quelles sont les institutions que vous avez connu dans votre adolescence et qui existent encore sous la même forme. Le baccalauréat ? Celui d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui que nous avons passé. Les grands corps de l’Etat ? Ils n’existent plus. L’ENA ? Fini. EDF ? Démantelée. Le mariage ? « Ouvert à tous ». Où voyez-vous « l’immobilisme » ?

          • cdg dit :

             
            [Seulement de ses clients les plus « rentables ». Et encore : « tenir compte » n’est pas la même chose que de « satisfaire leurs besoins ».]
            C est sur qu une netreprise va prendre plus soin de ses clients les plus rentables que des autres. Mais ca veut pas dire qu elle va maltraiter les autres (tout simplement parce qu un jour celui ci pourra aussi devenir un client plus rentable ou tout simplement passer a la concurrence). Fideliser un client c est important
            Il y a plusieurs modeles de societes. Vous avez le modele «luxe» ou vous vendez peu mais a haute marge (ex Dior) ou le modele Lidl ou vous vendez beaucoup a faible marge. Je doute que lidl trouve malin de se concentrer sur les clients qui lui font le plus de marge car ca signifirait une chute drastique des volumes et donc des remises qu il peut exiger des fournisseurs et donc ua final de ses benefices
            [Par exemple, votre fournisseur de service internet affiche fièrement ses prix et offres « spéciales », mais au moment de le choisir vous n’avez aucune information objective sur le taux de pannes, par exemple.]
            en cherchant un peu vous avez ce type d info. 1 s de recherche sur google et hop :https://www.zoneadsl.com/reseau/pannes/operateur/free-mobile
            [Et du coup, l’opérateur est encouragé à baisser ses prix quitte à dégrader la qualité du service. Exactement ce qui se passe aujourd’hui.]
            je suis pas dans les etats majors des telcos mais je pense que la strategie est exactement l inverse : faire payer plus l abonné en lui vendant autre chose (par ex un abonnement de tel portable ou la fibre au lieu de l ADSL].
             
            [Aujourd’hui qu’elle opère sous la pression de la « concurrence libre et non faussée », la question se pose. Mais hier, lorsqu’il s’agissait d’une entreprise publique, elle était très soucieuse des besoins des usagers.]
            Ah non ! J ai du utiliser la SNCF il y a 20 ou 30 ans et je peux bien vous dire que la satisfaction de l usager est la derniere preocupation du personnel. Quand vous arrivez a Avignon avec 2 h de retard et qu on vous annonce qu il n y a pas de train pour continuer c est pas se preocuper de l usager. Et quand j ai demander comment j allais faire, on m a repondu de me debrouiller tout seul.
            [a preuve : elle maintenait un réseau dense où des lignes non rentables étaient maintenues parce qu’elles étaient utiles aux populations, et dont le déficit était couvert par les lignes rentables. Chose qu’une entreprise privée n’aurait jamais fait.]
            Outre le fait que le privé peut faire quelque chose de similiaire (pensez aux imprimantes vendues a perte ou aux promotions afin d acquerir des clients), je dois me demander si c est vraiment une bonne chose a long terme. Si on maintient un systeme non rentable, c est qu il y a forcement quelqu un d autre qui paie a la place, mais c est caché. Je prefere un systeme de subvention. Au moins c est clair. Et on pourrait par ex discuter s il vaut mieux depenser 1 M€ pour faire rouler un train par heure ou 1 M€ pour avoir 1 bus toutes les 30 min ou pas de train ni bus mais une connection internet hyper rapide
            [Une école privée non soumise aux décisions de l’Etat n’aurait d’autre souci que d’avoir des parents contents. Est-ce qu’elle formerait des individus meilleurs, des citoyens plus conscients ? J’en doute.]
            Quant on voit le naufrage de l education nationale, je suis pas sur que le privé fasse pire
            Vous aurez certainement des ecoles ou les parents paient et voudraient des bonnes notes meme si l eleve est nul, mais vous aurez aussi des parents qui paient pour que leurs enfants apprennent quelque chose. Vous avez une partie de la population (pas forcement la plus riche, je pense par ex aux immigrés asiatiques) qui considere que les etudes sont la clé de la reussite et donc qui demandent que l ecole fassent travailler leurs enfants, pas qu ils aient 18/20 en ne faisant rien
            [[C’est d’ailleurs logique car il n’y a pas de client (mais des usagers). Et que ceux-ci n’ont que le droit de se subir.]
            Pas tout à fait. Ils ont aussi le droit de voter. ]
            Dois je voter pour un candidat qui promet d investir dans les trains mais qui me herisse le poil pour tous le reste ou un candidat qui pense comme moi sur 99 % des choses mais qui ne prevoit pas de depenser de l argent sur un sujet somme toute mineur
            Et la evidement je ne considere meme pas le fait qu un fois elu, le candidat la joue a la Chirac «les promesses n engage que ceux qui les croient» comme disait Pasqua
            [Son développement a permis à FT de gagner beaucoup d’argent avec le minitel, alors on voit mal FT « tuant » transpac…]
            C est internet qui a tué transpac
            [[Pour le grand public l’alternative à Internet était le minitel (les 3615 etaient une manne pour FT)]
            Là encore, vous réécrivez l’histoire. Si vous revenez à cette époque, vous devez vous souvenir que l’immense majorité des Français n’avait pas à l’époque d’ordinateur. Dans les années 1970, l’ordinateur personnel était réservé à une élite : il était cher – mon premier ordinateur m’avait coûté à l’époque l’équivalent de deux mois de salaire – et difficile à configurer si l’on n’était pas un initié. A l’opposé, Minitel vous était fourni par la DGT puis par France Télécom pour un loyer minime et venait prêt à l’emploi. L’internet, à supposer même que la connexion vous fut offerte, n’était donc pas vraiment une « alternative ».]
            Je parle pas des annees 70. A l epoque internet etait de toute facon dans les limbes
            Mais a partir de 1990, les ordinateurs etaient déjà bien moins cher, un modem ne coutait pas grand-chose (j ai plus les chiffres en tete mais mon premier PC+modem ca a du me couter environ 1000 FF (j etais a l armee et donc pas riche))
            [Si X Niel avait du construire ex nihilo un réseau cuivre pour connecter ses abonnés, les prix offerts n’auraient pas été les mêmes. Niel dans cette affaire est le type même de « l’entrepreneur parasite », celui qui retire une rente de l’investissement effectué par d’autres.]
            Dans ce cas, tous les entreprises sont des parasites. Vous utilisez forcement quelque chose fait par d autres : une route, une conduite d eau, du personnel formé …
            [ Exactement comme les fournisseurs d’électricité qui se contentent d’acheter l’électricité chez EDF à prix artificiellement bas, puis la revendent au prix du marché.]
            Non puis que Niel vendait autre chose. Le reseau avait ete fait pour transporter de la voix et il vendait un acces internet. Apres il y a la question de savoir si on doit autoriser d autres usages/entreprises. Si vous repondez non, les routes etant publiques personne devraient les utiliser a part l etat. Seul l etat devrait avoir de droit d embaucher des gens formés par l EN …
            [Le fait est que les entreprises publiques françaises ont souvent poussé vers les meilleures technologies.]
            En tout cas dans les telecom c etait pas le cas
            [ Le nucléaire pour EDF ou le TGV pour la SNCF sont de bons exemples.]
            ou le concorde
            Un bon exemple de technologie de pointe mais qui est un echec car le besoin n est pas de transporter tres vite une petite minorite tres riche mais en masse des gens bien moins riche (ce qu a fait boeing ou airbus plus tard)
            En tant qu ingenieur j aimerai mieux developper le nec plus ultra de la techno mais il faut etre conscient que c est pas forcement ce qu il faut faire
            [La nouveauté de Free était surtout la télévision par IP. C’est-à-dire la publicité amenée à chaque foyer. C’est là que Free a fait son beurre.]
            Franchement ca m etonnerai
            Pour citer un ex perso, le boitier TV n a jamais ete utilisé (au debut la TV c etait avec une antenne sur le toit puis la TNT). La TV via IP marchait moins bien sans compter qu il fallait passer un cable dans le salon (non en wifi ca marche pas!!)
            En plus free, ne pouvait pas vendre de pub TV et ne faisait que retransmettre les chaines des autres (et si j ai bonne memoire ils devaient meme payer pour ca c est pour ca qu a un moment ils ont coupe TF1)
             
            [Un bienfaiteur de l’humanité, ce Niel. Dynamiter le prix pour le plus grand bénéfice du consommateur et non du sien, on ne peut qu’admirer la générosité de cet homme… ]
            l un n empeche pas l autre. Renault ou Citroen ont fait fortune et ont permit aux gens de se deplacer rapidement
            [Et surtout, il a compris qu’on pouvait baisser le coût de la connexion en récupérant au centuple sur la vente de contenus – et de la publicité. ]
            Je sais pas ou vous voyez que free gagne de l argent avec la publicite. Google gagne de l argent avec la pub et le contenu (youtube) mais free non
             
            [ Il est d’ailleurs amusant de constater que la moitié de la période correspond à des gouvernements de droite (Giscard sur la période 1974-81, Mitterrand sans cohabitation sur la période 1981-85). Il serait peut-être intéressant de revenir sur cette époque pour essayer de comprendre le pourquoi de cette « explosion », et surtout pourquoi on n’est jamais revenu en arrière…]
            En effet. Meme nos gouvernements de droite n ont pas ete capable de ca
             
            [Non, j’ai un a posteriori statistique. On peut constater que la création des systèmes publics de santé après 1945 ont apporté une amélioration massive de l’état de santé des populations. Et que dans les pays ou le système reste largement privé – cas des Etats-Unis – l’état sanitaire des populations est bien plus mauvais, avec des dépenses de santé plus élevées. ]
            La suisse a un systeme privé et les suisses sont pas en plus mauvaise sante que les francais
            Quant a l etat de santé depuis 45, il est aussi lié a d autres facteurs comme la decouverte des antibiotiques
            [Si internet avait été un monopole d’Etat, la pression sur le politique venant des entreprises et du public pour avoir un service universel et bon marché aurait certainement été très forte aussi, et aurait abouti à une sorte « d’EDF de l’internet ».]
            Pure supposition. Deja les politiques de l epoque detestaient internet (ou au mieux comme chirac n y connaissaient rien). Il faut dire qu un reseau ou M Dupont peut dire ce qu il veut, et qu on ne puisse pas canaliser ou censurer c est quand meme un cauchemar pour notre classe politique. Rappelez vous le referendum sur la constitution europeenne. La defaite du oui a ete cellé par le fait que les medias classiques (TV, radio, journaux) n avaient plus un monopole
            Apres oui, un certain nombre d entreprises auraient ralé a cause d une connection mediocre mais vous aurez aussi des entreprises qui auraient ete ravie d etre protegees de la concurrence d internet. Pensez aux journaux, aux producteurs de films, aux hypermarchés ou aux vendeurs/loueurs de DVD. Donc au final l etat aurait peut etre rien fait car ceux qui bloquent auraient ete plusfort que ceux qui veulent faire avancer les choses
            [Et c’est un très bon exemple pour montrer que les « vieux » ont sur ces questions une position qui est plus soucieuse du long terme que les « jeunes », obnubilés par la réussite de LEURS enfants.]
            bof, bof. Les «vieux» veulent payer moins d impots et donc un contrôle continu coutant moins cher ils sont content. Les «jeunes» veulent la reussite de leurs enfants, pas un diplôme que ne vaut rien et une ecole qui n apprend rien. Car a un moment les eleves vont devoir se frotter a la concurrence internationale pour trouver du travail et s ils sont nuls ou ne savent rien, ils seront dans les perdants. Eh oui, si une entreprise francais a que du personnel incapable elle aura le choix entre faire faillite ou ouvrir des bureaux dans un autre pays (les USA peuvent attirer les cerveaux des autres pays mais c est une option qu on a pas, on arrive déjà pas a garder les notres)
             
             
            [Vous noterez par ailleurs que l’article confirme un élément que je répète ici souvent : si la dépense publique augmente, la part de cette dépense qui est un simple transfert vers les entreprises augmente elle aussi, et atteint 8,4% du PIB depuis 2010. ]
            c est en effet un probleme. On taxe les entreprises d une main et puis on se rend compte que c est une erreur et on les subventionne de l autre. L exemple type c est le CICE de Hollande
             
            [Le graphique auquel vous faites référence trace l’évolution du revenu MEDIAN, de chaque catégorie. Cela ne fournit guère d’information sur l’évolution moyenne du revenu. ]
            c ets mieux que la moyenne. Si vous avez 10 personnes, une gagne 80, deux 5 et les 7 autres 1.42, vous avez une moyenne de 10. Une mediane a pour avantage de lisser les extremes
             
            [Si l’électorat âgé avait le poids que vous lui attribuez, on devrait s’attendre à des politiques particulièrement conservatrices sur le plan sociétal, respectueuses des institutions héritées du passé. Or, c’est exactement le contraire qu’on observe. Quel est l’électorat qui sera le plus choqué de voir une ministre s’étaler sur les pages de « Playboy » ? Quel est l’électorat qui verra du plus mauvais œil la remise en cause du baccalauréat « traditionnel » ? ]
            Deja une partie de l electorat «vieux» sont des 68arts. Donc je pense pas qu ils soient si choque par une ministre dans playboy, Ensuite, dans les criteres du vote il faut voir ce qui va determiner le vote.
            Segala l avait tres bien explique pour le vote Mitterrand en 81. A cet epoque il avait un probleme : Mitterand etait vu comme un has been, un homme de la IV republique prêt a toutes les compromissions. D ou l idee de lui faire prendre position contre la peine de mort. L idee etait de dire «voyez, j ai des convictions. Je dit que je l abolirai alors que la majorite des francais sont pour son maintient» Evidement Segala n etait pas un imbecile et il savait que peu de gens allaient changer leur vote pour cette question
            Ici c est la meme chose. Combien de gens vont voter contre Macron car une ministre a posé dans playboy alors qu avec lui ils ont l assurance de ne pas payer plus d impots, de n avoir aucun effort a fournir (par ex payer plus pour leurs soins medicaux ou voir leurs pensions de retraites rabotees)
            En ce qui concerne le bac, je vous renvoie a ma reponse ci dessus. Je pense qu une grande partie de nos seniors preferent qu on depense l argent dans des soins medicaux que dans l education. A partir de la, on a forcement un systeme disfonctionnel
             
            [Les « vieux » détiennent une part disproportionnée du revenu, mais ce revenu est moins utilisé pour se payer des croisières en Méditerranée que pour installer les enfants et petits enfants.]
            outre le fait que ca consolide les hierarchies sociales (je vis bien car pépé m a donné l argent pour acheter mon logement), je pense que vous vivez dans une bulle. Une bonne partie des retraités n a aucun scrupule a enfoncer la jeune generation (lisez les commentaires du figaro c est edifiant).
            De toute facon, meme si c est fait de bonne foi, c est ravageur. A quoi ca sert de travailler si ca ne peut ameliorer ma vie que marginalement. Sans compter les mauvaises decisions. Combien de gens ont achete un logement car la famille poussait et maintenant se retrouvent avec un logement perdu loin de tout, des couts de chauffages et de transport qui explosent et un credit jusqu a 65 ans ?
            [Où voyez-vous « l’immobilisme » ?]
            L immobilisme c est ne rien faire. Ca veut pas dire que les choses ne vont pas changer. Si j ai une voie d eau et que je ne fait rien le bateau va finir par couler, il ne restera pas a flot
            Et c est exactement ce qu il se passe. Dans notre cas, le capitaine va agiter les bras, faire un beau discours mais personne n ira aux pompes.
            L immobilisme pour l EN c est de ne rien faire et de voir que le niveau du bac baisse et donc qu au final on en fait une formalité
            L immobilisme c est de voir que la societe francaise se fracture, que des groupes ne s integrent pas meme apres la 3eme generation et ne rien faire a part de belle paroles alors qu on sait qu on recoit des nouveaux immigrants problematiques tous les jours
            L immobilisme c est de voir que l economie productive francaise decline mais d etre incapable de revenir sur la taxation massive (qu elle ait commence sous Giscard ne change rien)
             
             
             

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« Seulement de ses clients les plus « rentables ». Et encore : « tenir compte » n’est pas la même chose que de « satisfaire leurs besoins ». » C’est sûr qu’une entreprise va prendre plus soin de ses clients les plus rentables que des autres. Mais ça veut pas dire qu’elle va maltraiter les autres (tout simplement parce qu’un jour celui-ci pourra aussi devenir un client plus rentable ou tout simplement passer à la concurrence). Fidéliser un client c’est important.

              Seulement s’il vous rapporte de l’argent. S’il vous en fait perdre, le mieux est au contraire de s’en débarrasser. Et le fait de les voir passer à la concurrence n’est certainement pas un frein lorsqu’un client vous fait perdre de l’argent, au contraire ! Quant à l’idée du client qui « deviendra plus rentable » un jour, très rares sont les entreprises qui ont un horizon temporel aussi long dans leurs politiques commerciales.

              Et je ne vous parle pas d’une question théorique : il n’y a qu’à voir comment les banques font tout pour faire partir les « petits » comptes, ceux qui ont en permanence une balance proche de zéro. Ou bien comment les cliniques privées ferment les services les moins rentables – l’oncologie, entre autres – pour concentrer leurs moyens sur ce qui rapporte – la chirurgie esthétique. Et ils sont ravis de voir les cancéreux « passer à la concurrence », c’est-à-dire, à l’hôpital public. Ca s’appelle « privatisation des profits et socialisation des pertes ».

              [Il y a plusieurs modèles de sociétés. Vous avez le modèle « luxe » ou vous vendez peu mais a haute marge (ex Dior) ou le modèle Lidl ou vous vendez beaucoup à faible marge. Je doute que Lidl trouve malin de se concentrer sur les clients qui lui font le plus de marge car ça signifierait une chute drastique des volumes et donc des remises qu’il peut exiger des fournisseurs et donc au final de ses bénéfices]

              Il y a un modèle ou l’on vend peu à haute marge, et des modèles ou l’on vend beaucoup à petite marge. Mais dans aucun modèle on ne vend à perte. Autrement dit, quelque soit le modèle choisi, il y a des clients dont l’entreprise ne voudra pas, parce que les servir coute plus cher que cela ne rapporte. Et les besoins de ces clients ne seront donc pas satisfaits par le secteur privé. Ces laissés pour compte peuvent être plus ou moins nombreux, mais ils sont là, et c’est la principale faiblesse du modèle privé. Comme vous le savez, je ne suis pas partisan de tout nationaliser. Mais dans les secteurs ou la recherche à tout prix du gain prive des populations de services essentiels, la question se pose.

              [« Par exemple, votre fournisseur de service internet affiche fièrement ses prix et offres « spéciales », mais au moment de le choisir vous n’avez aucune information objective sur le taux de pannes, par exemple. » en cherchant un peu vous avez ce type d info. 1 s de recherche sur google et hop (…)]

              Et hop, vous avez une courbe. Comment a-t-elle été confectionnée ? Mystère. D’où vient l’information ? Mystère. Qui finance le site qui publie cette information ? Mystère. Croire ou ne pas croire ces « informations », c’est une question de foi. D’autant plus que vous faites une deuxième recherche sur google et « hop », on trouve des chiffres différents…

              [« Et du coup, l’opérateur est encouragé à baisser ses prix quitte à dégrader la qualité du service. Exactement ce qui se passe aujourd’hui. » Je suis pas dans les etats majors des telcos mais je pense que la stratégie est exactement l’inverse : faire payer plus l’abonné en lui vendant autre chose (par ex un abonnement de tel portable ou la fibre au lieu de l’ADSL]

              L’un ne contredit pas l’autre… on peut offrir « autre chose » pour faire payer plus, et dégrader la qualité du service pour récupérer de la marge…

              [« Aujourd’hui qu’elle opère sous la pression de la « concurrence libre et non faussée », la question se pose. Mais hier, lorsqu’il s’agissait d’une entreprise publique, elle était très soucieuse des besoins des usagers. » Ah non ! J’ai dû utiliser la SNCF il y a 20 ou 30 ans et je peux bien vous dire que la satisfaction de l’usager est la dernière préoccupation du personnel.]

              Vous noterez que vous parlez de « l’usager » au singulier, alors que je parle « des usagers » au pluriel. De même, je parle du souci de l’entreprise, alors que vous parlez des préoccupations « du personnel ». Ce sont des choses très différentes. Je ne sais pas si Free s’intéresse beaucoup à ma satisfaction – ils passent leur temps à me dire que oui – mais je peux vous assurer que le technicien que j’ai au bout de fil à chaque panne n’en a rien à cirer et ne fait même pas semblant. Au-delà de la gentillesse de tel ou tel contrôleur SNCF, je ne peux que constater qu’il y a 20 ou 30 ans le train tenait compte des besoins de transports de maints petits villages qui aujourd’hui ne sont pas desservis. J’en déduis que la direction de la SNCF avait un souci pour ces besoins qu’elle n’a plus.

              En fait, vous mettez l’accent sur la satisfaction de client individuel, alors que prends en compte aussi les besoins collectifs. Avoir un contrôler gentil et prévenant est certainement un avantage… mais si la ligne est supprimée, cela vous fait une belle jambe.

              [Quand vous arrivez à Avignon avec 2 h de retard et qu’on vous annonce qu’il n’y a pas de train pour continuer ce n’est pas se préoccuper de l’usager. Et quand j’ai demandé comment j’allais faire, on m’a répondu de me débrouiller tout seul.]

              Quand est-ce que cet incident vous est arrivé ? Il y a trente ans, quand la SNCF était un service public, ou aujourd’hui, qu’elle est dans le domaine concurrentiel ? Personnellement, je suis un client très régulier de la SNCF, et je dois dire que j’y ai toujours trouvé une attention bien meilleure que dans les transports privés. Parce que je vous assure que si vous prenez un « car Macron » et que vous ratez votre correspondance, personne ne viendra vous aider !

              [« a preuve : elle maintenait un réseau dense où des lignes non rentables étaient maintenues parce qu’elles étaient utiles aux populations, et dont le déficit était couvert par les lignes rentables. Chose qu’une entreprise privée n’aurait jamais fait. » Outre le fait que le privé peut faire quelque chose de similaire (pensez aux imprimantes vendues a perte ou aux promotions afin d acquerir des clients),]

              Je ne vois pas la similarité. Les imprimantes sont vendues à perte sachant qu’on récupère le bénéfice avec la vente des encres, de al même manière qu’on vous vend des machines Nesspresso très bon marché parce qu’on récupère l’argent en vendant des capsules. La rentabilité positive de l’opération est prévue dès le départ. La péréquation dans les chemins de fer ou dans l’électricité implique de fournir le service à des clients qui ne sont pas rentables et ne le seront jamais. Je ne connais pas de cas où une entreprise privée se soit engagé dans une opération non rentable et qui n’avait aucune chance de l’être, simplement pour satisfaire les besoins d’une population. Peut-être auriez-vous des exemples ?

              [je dois me demander si c’est vraiment une bonne chose à long terme. Si on maintient un système non rentable, c’est qu’il y a forcément quelqu’un d’autre qui paie a la place, mais c’est caché. Je préfère un système de subvention. Au moins c’est clair. Et on pourrait par ex discuter s il vaut mieux dépenser 1 M€ pour faire rouler un train par heure ou 1 M€ pour avoir 1 bus toutes les 30 min ou pas de train ni bus mais une connexion internet hyper rapide]

              Certainement. Mais « il vaut mieux » du point de vue de qui ? Si vous confiez le service au privé, on fera ce qui « vaut mieux » du point de vue des profits que l’opérateur en tire. Si vous confiez le service au public, ce sera ce qui « vaut mieux » du point de vue des différents étages qui font la décision publique (citoyens, associations, élus, lobbies). L’histoire a montré que dans beaucoup de domaines – je n’ai pas dit tous – la décision publique satisfait mieux les besoins sociaux que la décision privée.

              Bien sûr, il y a une solution intermédiaire : celle de confier le service à un opérateur privé, avec un cahier de charges qui l’oblige à desservir les clients « non rentables » et une subvention pour couvrir cette charge. Le problème de ces solutions, ce sont les coûts de transaction : pour que cela marche, il faut que la puissance publique vérifie que le cahier des charges est respecté, et cela a un coût très important – on l’a vu avec le scandale des EHPAD.

              [« Une école privée non soumise aux décisions de l’Etat n’aurait d’autre souci que d’avoir des parents contents. Est-ce qu’elle formerait des individus meilleurs, des citoyens plus conscients ? J’en doute. » Quand on voit le naufrage de l’éducation nationale, je suis pas sûr que le privé fasse pire]

              Et bien, vous avez tort… d’abord, parce que le « naufrage de l’éducation nationale » tient en bonne partie à la privatisation rampante de l’éducation nationale. Vous allez me dire que les enseignants sont toujours fonctionnaires, que les écoles sont toujours des bâtiments publics, et c’est vrai. Mais l’école a été privatisée en esprit : elle n’est plus là pour satisfaire des besoins définis par la société, mais pour contenter des « clients ». Le dernier étage de la fusée – faire payer le client directement pour le service – n’est pas encore allumé, mais cela va venir.

              En fait, le consensus sur le fait que le privé « ferait pire » est si large que même les libéraux les plus extrêmes, lorsqu’ils ont été au pouvoir, ont reculé devant l’idée de privatiser totalement l’école. Même Margareth Thatcher, qui pourtant n’avait peur de rien, a évité soigneusement de s’engager dans cette voie. D’ailleurs, si les libéraux faisaient confiance au « client », ils aboliraient l’instruction obligatoire. Pourquoi ne pas laisser aux parents la liberté d’instruire ou non leurs enfants ? Pourtant, la révolution néolibérale non seulement n’a pas fini avec l’obligation, mais l’a souvent renforcée. Etonnant, non ?

              [Vous aurez certainement des écoles ou les parents paient et voudraient des bonnes notes meme si l’élève est nul, mais vous aurez aussi des parents qui paient pour que leurs enfants apprennent quelque chose.]

              L’expérience montre que le poids des premiers par rapport aux seconds est écrasant. Quand un élève a des mauvaises notes, les parents rappliquent. Combien de parents demandent à parler à l’enseignant lorsque leur enfant a de bonnes notes mais n’apprend rien ?

              [Vous avez une partie de la population (pas forcement la plus riche, je pense par ex aux immigrés asiatiques) qui considère que les études sont la clé de la réussite et donc qui demandent que l’école fassent travailler leurs enfants, pas qu’ils aient 18/20 en ne faisant rien]

              Tant qu’ils n’ont pas compris que c’est le diplôme, et non les études, qui sont la « clé de la réussite »…

              [Dois-je voter pour un candidat qui promet d’investir dans les trains mais qui me hérisse le poil pour tout le reste ou un candidat qui pense comme moi sur 99 % des choses mais qui ne prévoit pas de dépenser de l’argent sur un sujet somme toute mineur]

              D’abord, vous ne votez pas que pour un candidat présidentiel. Vous votez aussi pour votre maire, pour votre conseiller départemental, et pour eux le maintien d’une ligne ferroviaire n’a rien d’un sujet « mineur ». Ensuite, quand je disais « voter », c’était une métaphore pour l’ensemble des leviers de la participation politique. L’usager qui ne veut pas qu’on lui supprime sa gare peut voter, mais il peut aussi manifester, solliciter ses élus… Tous ces moyens sont inopérants devant un opérateur privé. Si le transporteur privé décide que ma commune n’est pas rentable, il arrête le service et le « client » n’a aucun moyen d’action.

              [« Son développement a permis à FT de gagner beaucoup d’argent avec le minitel, alors on voit mal FT « tuant » transpac… » C’est internet qui a tué transpac]

              Décidez-vous. Vous aviez affirmé que FT avait éliminé certaines technologies pour ne pas « tuer la poule aux œufs d’or » que représentaient des technologies plus anciennes. Je vous ai demandé un exemple, vous m’avez donné Transpac. Et maintenant vous m’expliquez que Transpac n’a pas été tué par FT, mais par l’internet ?

              [Je ne parle pas des années 70. A l’époque internet était de toute façon dans les limbes
              Mais a partir de 1990, les ordinateurs étaient déjà bien moins cher, un modem ne coutait pas grand-chose (j’ai plus les chiffres en tete mais mon premier PC+modem ca a du me couter environ 1000 FF (j’étais a l’armée et donc pas riche))]

              Oui, et à partir des années 1990, FT se lance aussi dans l’internet. La décision de privilégier l’internet par rapport à Minitel est prise dès 1997. On voit mal à quel moment FT aurait cherché à « tuer » l’internet, ou s’est opposée à son développement…

              [« Si X Niel avait du construire ex nihilo un réseau cuivre pour connecter ses abonnés, les prix offerts n’auraient pas été les mêmes. Niel dans cette affaire est le type même de « l’entrepreneur parasite », celui qui retire une rente de l’investissement effectué par d’autres. » Dans ce cas, toutes les entreprises sont des parasites. Vous utilisez forcement quelque chose fait par d’autres : une route, une conduite d’eau, du personnel formé …]

              Je ne peux qu’applaudir votre prise de conscience. Oui, rares sont les entreprises qui se « font toutes seules ». La plupart d’entre elles bâtissent leur succès sur l’utilisation de ressources et de moyens payés par la collectivité. Et c’est pourquoi les impôts sur les bénéfices des sociétés sont légitimes : ils permettent à la collectivité de récupérer leur contribution au succès de l’entreprise…

              [« Exactement comme les fournisseurs d’électricité qui se contentent d’acheter l’électricité chez EDF à prix artificiellement bas, puis la revendent au prix du marché. » Non puis que Niel vendait autre chose.]

              Niel vendait autre chose, mais il vendait aussi cette chose-là. Et sans cette chose-là, il n’aurait pas eu l’opportunité de vendre « autre chose ».

              [Le réseau avait été fait pour transporter de la voix et il vendait un accès internet. Apres il y a la question de savoir si on doit autoriser d’autres usages/entreprises. Si vous répondez non, les routes étant publiques personne devraient les utiliser à part l’état. Seul l’état devrait avoir de droit d’embaucher des gens formés par l’EN …]

              Ou bien il devrait facturer aux acteurs privés le prix réel de la formation des gens qu’ils embauchent, ou bien des routes qu’ils utilisent. Cela s’appelle « impôts » ou « redevances ». Les mauvaises langues disent que Niel n’a jamais payé à FT le prix réel du service qu’il revendait… un peu comme les fournisseurs d’électricité ne paient pas à EDF le vrai prix de l’électricité…

              [« Le fait est que les entreprises publiques françaises ont souvent poussé vers les meilleures technologies. » En tout cas dans les telecom c etait pas le cas]

              Pourquoi dites vous cela ? Le Minitel était ce qui se faisait de mieux quand il a été lancé. Même chose pour le « plan téléphone »…

              [ou le concorde. Un bon exemple de technologie de pointe mais qui est un échec (…)]

              Je trouve fascinant votre tendance à confondre « échec » et « échec commercial ». Comme si le seul succès possible passait par le profit… Mais quoi qu’il en soit, la question était ici de savoir si les entreprises publiques avaient été rétives aux technologies les plus avancées. L’exemple de Concorde tend à montrer que non. Je note d’ailleurs que vous formulez à l’encontre du secteur public deux reproches contradictoires : le premier, son conservatisme technologique, qui le pousse à rejeter les nouvelles technologies pour sauvegarder « la poule aux œufs d’or ». Le deuxième, une tendance au contraire à adopter des technologies avancées sans nécessairement s’assurer qu’elles correspondent aux besoins. Faudrait vous décider : si Concorde avait été un succès commercial, il aurait balayer la « poule aux œufs d’or » des technologies aéronautiques traditionnelles…

              En fait, le secteur public en France a toujours eu tendance à adopter les nouvelles idées, bien en avance par rapport au privé. Et cela a permis souvent au secteur public de « payer les pots cassés » de technologies qui ont été plus tard adoptés sous de formes différentes par le privé. La télématique est un bon exemple : le Minitel a non seulement été un succès commercial, mais en faisant entrer l’informatique dans tous les foyers a pavé le chemin pour le développement de l’internet.

              [En tant qu’ingénieur j’aimerai mieux développer le nec plus ultra de la techno mais il faut être conscient que c’est pas forcement ce qu’il faut faire]

              Je ne suis pas d’accord. Quand on commence un développement, on ne sait pas où cela va finir, et il faut développer beaucoup d’idées sans avenir pour avoir une chance de développer l’idée qui marchera. Ce que le secteur public permettait jusqu’aux années 1980, c’était cela : dans les laboratoires du CNET, du CEA, de l’Aérospatiale ou de la SNECMA, d’EDF ou d’ALSTHOM, d’ELF et de l’ERAP, on a développé pas mal de choses qui n’ont jamais marché économiquement, mais aussi des choses qui ont été des succès – ou qui ont alimenté des succès, parce que ce qu’on a inventé pour Concorde a été ensuite réutilisé par Airbus. Parce qu’en France, il faut bien le dire, le privé investit très peu en recherche et développement.

              [Pour citer un ex perso, le boitier TV n a jamais ete utilisé (au debut la TV c etait avec une antenne sur le toit puis la TNT). La TV via IP marchait moins bien sans compter qu il fallait passer un cable dans le salon (non en wifi ca marche pas!!)]

              Je ne pensais pas aux chaines de la TNT, mais à la floraison des chaînes « du cable ». Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Niel dans un entretien.

              [« Un bienfaiteur de l’humanité, ce Niel. Dynamiter le prix pour le plus grand bénéfice du consommateur et non du sien, on ne peut qu’admirer la générosité de cet homme… » l’un n’empêche pas l’autre.]

              Beh si. Si Niel fait du bénéfice, cela signifie qu’il pourrait offrir le même service moins cher. On ne peut donc pas dire qu’il le fasse « pour le plus grand bénéfice du consommateur ».

              [« Et surtout, il a compris qu’on pouvait baisser le coût de la connexion en récupérant au centuple sur la vente de contenus – et de la publicité. » Je sais pas où vous voyez que free gagne de l’argent avec la publicité.]

              Le « triple play » a permis la floraison des chaines « du cable », chaînes qui se financent par la publicité et qui payent une redevance aux « bouquets » qui acceptent de les transmettre. C’est donc la publicité qui alimente ce financement.

              [« Il est d’ailleurs amusant de constater que la moitié de la période correspond à des gouvernements de droite (Giscard sur la période 1974-81, Mitterrand sans cohabitation sur la période 1981-85). Il serait peut-être intéressant de revenir sur cette époque pour essayer de comprendre le pourquoi de cette « explosion », et surtout pourquoi on n’est jamais revenu en arrière… » En effet. Meme nos gouvernements de droite n ont pas ete capable de ca]

              Certes… mais pourquoi ? Pourquoi la droite elle-même, même pendant sa phase néolibérale, n’a jamais réussi à revenir en arrière ? Personnellement, cela m’amène à penser que l’équilibre fiscal – ou l’on paye beaucoup d’impôts mais on reçoit aussi beaucoup de subventions – est très profitable au bloc dominant, qui du coup n’a pas trop envie de le contester dans les faits.

              [« Non, j’ai un a posteriori statistique. On peut constater que la création des systèmes publics de santé après 1945 ont apporté une amélioration massive de l’état de santé des populations. Et que dans les pays ou le système reste largement privé – cas des Etats-Unis – l’état sanitaire des populations est bien plus mauvais, avec des dépenses de santé plus élevées. » La suisse a un système privé et les suisses sont pas en plus mauvaise sante que les français]

              D’où sortez-vous que la Suisse a « un système privé de santé » ? Que je sache, il y a en Suisse une assurance maladie obligatoire. Que la gestion du système soit confiée à des organismes privés (c’est le cas en France aussi) n’implique pas que le système le soit : les cotisations et les prestations ne sont pas laissés au libre marché. Elles sont fixés pour la partie obligatoire par l’Etat.

              [Quant à l’état de santé depuis 45, il est aussi lié à d’autres facteurs comme la découverte des antibiotiques]

              Les antibiotiques ont été découverts dans les années 1920. Pourquoi leur effet dramatique sur l’état de santé des populations ne se fait sentir que vingt-cinq ans plus tard ? Peut-être parce qu’il ne suffit pas qu’un médicament soit découvert, encore faut-il le rendre accessible au plus grand nombre. Précisément ce que les systèmes publics bâtis après 1945 ont réussi.

              [« Si internet avait été un monopole d’Etat, la pression sur le politique venant des entreprises et du public pour avoir un service universel et bon marché aurait certainement été très forte aussi, et aurait abouti à une sorte « d’EDF de l’internet ». » Pure supposition.]

              Certainement. Autant que votre supposition du contraire. En histoire, on ne peut faire d’expériences…

              [Déjà les politiques de l’époque détestaient internet (ou au mieux comme Chirac n’y connaissaient rien).]

              Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que les politiques de l’époque étaient très sensibles aux demandes des intérêts économiques. Si les entreprises avaient voulu un internet étendu et bon marché, les politiques auraient fait en sorte de leur donner, de la même manière que le succès d’EDF tient en grande partie à la demande patronale d’avoir une électricité abondante et bon marché.

              [Il faut dire qu’un réseau ou M Dupont peut dire ce qu’il veut, et qu’on ne puisse pas canaliser ou censurer c’est quand même un cauchemar pour notre classe politique. Rappelez-vous le referendum sur la constitution européenne. La défaite du oui a été scellé par le fait que les médias classiques (TV, radio, journaux) n’avaient plus un monopole]

              Franchement, je n’ai jamais vu que les politiques aient vu internet comme un « cauchemar ». Un réseau où tous les M Dupont peuvent dire ce qu’ils veulent tout le temps s’annule de lui-même, parce que les imbéciles étant plus nombreux que les gens intelligents, très vite le bruit aléatoire brouille tous les messages. Bien sur, les politiques ont eu à apprendre à manipuler le nouveau média comme ils avaient appris à manipuler la radio et la télévision, mais en dehors de cela, rien de nouveau sous le soleil. Et j’aimerais bien savoir sur quoi vous vous fondez pour associer la défaite du « oui » en 2005 a la montée des réseaux sociaux…

              [Apres oui, un certain nombre d’entreprises auraient râlé à cause d’une connexion médiocre mais vous aurez aussi des entreprises qui auraient été ravies d’être protégées de la concurrence d’internet. Pensez aux journaux, aux producteurs de films, aux hypermarchés ou aux vendeurs/loueurs de DVD. Donc au final l etat aurait peut etre rien fait car ceux qui bloquent auraient ete plusfort que ceux qui veulent faire avancer les choses]

              La question n’est pas tant la position des entreprises que la position des capitalistes. Telle ou telle entreprise aurait certainement souffert du développement de l’internet, et aurait fait du lobbying dans ce sens. Mais le capitaliste, lui, aurait pesé l’intérêt de déplacer son capital de l’entreprise que l’internet risque de tuer à l’activité qui va se développer. Et aurait vite vu que c’est en développant l’internet qu’il gagnerait le plus d’argent. Et l’état répond aux capitalistes, et non aux entreprises.

              [Les « jeunes » veulent la réussite de leurs enfants, pas un diplôme que ne vaut rien et une école qui n’apprend rien. Car a un moment les élevés vont devoir se frotter a la concurrence internationale pour trouver du travail et s’ils sont nuls ou ne savent rien, ils seront dans les perdants.]

              Pas du tout ! Il suffit de faire en sorte que les autres soient plus nuls encore. Vous oubliez le paradoxe du lion : point n’est besoin de courir plus vite que le lion, il suffit de courir plus vite que les autres proies… c’est pourquoi une école qui n’apprend rien est une bonne chose pour les classes intermédiaires. Ca assure aux classes intermédiaires, qui peuvent transmettre à la maison ou se payer une école privée, un avantage au départ.

              [Eh oui, si une entreprise française n’a que du personnel incapable elle aura le choix entre faire faillite ou ouvrir des bureaux dans un autre pays (les USA peuvent attirer les cerveaux des autres pays mais c’est une option qu on a pas, on arrive déjà pas a garder les notres).]

              Là encore, vous oubliez un détail. Si le personnel est incapable mais beaucoup moins cher, on peut parfaitement être compétitif…

              [c est en effet un probleme. On taxe les entreprises d une main et puis on se rend compte que c est une erreur et on les subventionne de l autre. L exemple type c est le CICE de Hollande]

              Pas tout à fait. On taxe de plus en plus les particuliers, de moins en moins les entreprises. Et à l’inverse, on subventionne de plus en plus les entreprises et de moins en moins les particuliers. D’où le transfert…

              [c ets mieux que la moyenne. Si vous avez 10 personnes, une gagne 80, deux 5 et les 7 autres 1.42, vous avez une moyenne de 10. Une mediane a pour avantage de lisser les extremes]

              Oui, mais la médiane, comme je vous l’ai montré, a des comportements paradoxaux.

              [Deja une partie de l electorat «vieux» sont des 68arts. Donc je pense pas qu ils soient si choque par une ministre dans playboy,]

              Quand même. Les plus jeunes des soixante-huitards ont maintenant 75 ans et plus. Dans l’ensemble des « vieux », leur poids devient de moins en moins significatif…

              [Seguela l avait tres bien explique pour le vote Mitterrand en 81. A cet epoque il avait un probleme : Mitterand etait vu comme un has been, un homme de la IV republique prêt a toutes les compromissions. D ou l idee de lui faire prendre position contre la peine de mort. L idee etait de dire «voyez, j ai des convictions. Je dit que je l abolirai alors que la majorite des francais sont pour son maintient» Evidement Seguela n etait pas un imbecile et il savait que peu de gens allaient changer leur vote pour cette question
              Ici c est la meme chose. Combien de gens vont voter contre Macron car une ministre a posé dans playboy alors qu avec lui ils ont l assurance de ne pas payer plus d impots, de n avoir aucun effort a fournir (par ex payer plus pour leurs soins medicaux ou voir leurs pensions de retraites rabotees)]

              Dans la mesure où tous les candidats feront grosso modo la même politique économique, le fait qu’une ministre s’exhibe peut changer le vote. Depuis le temps de Séguéla, beaucoup de choses ont changé. A l’époque, on croyait que Mitterrand représentait un programme très différent de celui de Giscard. Une bonne partie de l’électorat votait donc en fonction de ses intérêts, et il s’agissait pour Séguéla d’infléchir le vote d’une petite partie de l’électorat faisant la différence. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.

              [En ce qui concerne le bac, je vous renvoie a ma reponse ci dessus. Je pense qu une grande partie de nos seniors preferent qu on depense l argent dans des soins medicaux que dans l education. A partir de la, on a forcement un systeme disfonctionnel]

              Pourtant, l’hôpital n’est pas mieux traité que l’école. Et je ne vous parle même pas des EHPAD…

              [Une bonne partie des retraités n a aucun scrupule a enfoncer la jeune generation (lisez les commentaires du figaro c est edifiant).]

              Vous m’accorderez que les commentateurs du « Figaro » représentent une classes sociale bien particulière…

              [De toute facon, meme si c est fait de bonne foi, c est ravageur. A quoi ca sert de travailler si ca ne peut ameliorer ma vie que marginalement.]

              Le fait que les anciens aident les jeunes n’implique pas que le travail ne puisse améliorer « que marginalement » votre vie. Faudrait pas trop exagérer quand même…

              [Sans compter les mauvaises decisions. Combien de gens ont achete un logement car la famille poussait et maintenant se retrouvent avec un logement perdu loin de tout, des couts de chauffages et de transport qui explosent et un credit jusqu a 65 ans ?]

              Je ne sais pas. Combien ?

              [« Où voyez-vous « l’immobilisme » ? » L immobilisme c est ne rien faire. (…) Et c est exactement ce qu il se passe. Dans notre cas, le capitaine va agiter les bras, faire un beau discours mais personne n ira aux pompes. L immobilisme pour l EN c est de ne rien faire et de voir que le niveau du bac baisse et donc qu au final on en fait une formalité]

              Mais justement, on fait en permanence. On a droit à une réforme tous les deux ans. On a réformé les programmes, on a reformé les examens, on a réformé la formation des maîtres. On peut critiquer ces réformes, on peut dire qu’elles sont absurdes, irrationnelles. Mais on ne peut pas nier qu’on réforme tout le temps. Le problème n’est donc pas l’immobilisme.

              [L immobilisme c est de voir que la societe francaise se fracture, que des groupes ne s integrent pas meme apres la 3eme generation et ne rien faire a part de belle paroles alors qu on sait qu on recoit des nouveaux immigrants problematiques tous les jours]

              Mais là aussi, on modifie les règles du jeu en permanence, on crée toutes sortes de programmes et subventions sous le parapluie de la « politique de la ville », on a créé la CMU…

              [L immobilisme c est de voir que l economie productive francaise decline mais d etre incapable de revenir sur la taxation massive (qu elle ait commence sous Giscard ne change rien)]

              Pourtant la taxation nette des entreprises est régulièrement diminuée : dispense des cotisations sociales sur les bas salaires, détaxation des carburants et de l’énergie, réduction de l’impôt sur les sociétés, « flat tax » sur les bénéfices, CICE… drôle d’immobilisme. Et toutes ces réductions n’ont semble-t-il aucun effet sur la désindustrialisation. Peut-être n’est ce pas le bon remède ?

  19. Glarrious dit :

    [ On me répondra, refrain connu, que « la France n’a plus les moyens ». Cet argument ne résiste au moindre examen. En cinquante ans, le PIB de la France a presque doublé. Autrement dit, nous produisons sur notre territoire deux fois plus de richesse que dans les années 1970. Et en 1970, nous pouvions non seulement nous payer un réseau ferré parmi les plus denses du monde, un bureau de poste dans chaque village, des médecins et des infirmiers en quantité suffisante dans nos hôpitaux, mais nous offrir le luxe des grands investissements en infrastructure dont nous bénéficions aujourd’hui, et tout ça avec un niveau de dette raisonnable. ]
     

     
    Concernant le PIB j’ai appris à travers cette vidéo  (oui je sais que vous n’aimez pas regarder les vidéos) que jusqu’à une certaine époque on parlai de “LA PIB” ( PRODUCTIVITE INTERIEUR BRUTE) et non de “le PIB”, est ce pour cette raison que la mesure sur la production richesse est biaisée ?

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [Concernant le PIB j’ai appris à travers cette vidéo (oui je sais que vous n’aimez pas regarder les vidéos) que jusqu’à une certaine époque on parlai de “LA PIB” (PRODUCTIVITE INTERIEUR BRUTE) et non de “le PIB”, est ce pour cette raison que la mesure sur la production richesse est biaisée ?]

      Je n’ai jamais entendu pareille chose, et je ne vois vraiment pas comment on pourrait appeler ce qui est une mesure en volume “productivité”.

  20. sc dit :

    [Cette paresse, cette lâcheté sont le résultat d’une dialectique. Elle est la contrepartie d’une solitude de plus en plus grande, d’une société d’individus-îles. ]
    Je m’interroge, moi, sur le rôle du mode de sélection de nos “élites”, sur leur capacité à dire NON, sur leur “suivisme”, même face à des décisions qui leur sont imposées et que certains contestent peut-être en leur fort intérieur.
    Ils ont appris au fil des années de lycée, grandes écoles, …, au hasard des concours, à juste restituer une parole, à suivre plutôt qu’à argumenter leurs propres choix. On a sélectionné des singes savants.
    Ils savent aussi qu’un refus, une contestation, une révolte – tels les “insolences” adolescentes de leurs camarades -, les exposeraient à un risque de déclassement. Ils souhaitent juste chacun préserver leur carrière, leur poste, rester les bons élèves qu’ils ont toujours été.
    Ils ont perdu – s’ils en avaient jamais eu – leur liberté de ton et d’idées. Juste de bons petits soldats devenus.
    Ce que vous appelez “lâcheté”, n’est-elle pas le fruit de l'”universitarisation” (au sens large, car l’université a mauvaise presse parmi nos élites) de toute une génération ?
     

    • Descartes dit :

      @ sc

      [Je m’interroge, moi, sur le rôle du mode de sélection de nos “élites”, sur leur capacité à dire NON, sur leur “suivisme”, même face à des décisions qui leur sont imposées et que certains contestent peut-être en leur fort intérieur. Ils ont appris au fil des années de lycée, grandes écoles, …, au hasard des concours, à juste restituer une parole, à suivre plutôt qu’à argumenter leurs propres choix. On a sélectionné des singes savants.]

      Mais… qu’est ce qui arrive à ceux qui n’ont pas passé ces concours, qui n’ont pas été aux grandes écoles. Est-ce que vous trouvez qu’ils disent « non » plus souvent que nos élites ? Soyons sérieux : dire « non » dans toute société hiérarchisée a un coût important. Le haut fonctionnaire qui dit « non » à son ministre risque le placard. Mais le technicien qui installe la fibre chez vous et qui dirait « non » aux méthodes que lui prescrit son patron au motif qu’ils dégradent les connexions des voisins – je vous cite un cas réel – risque le renvoi. Alors, ni l’un ni l’autre ne dira « non » sauf si le jeu en vaut la chandelle. Et encore, le haut fonctionnaire dira « non » plus facilement, protégé qu’il est par son statut et son « corps ».

      Je connais beaucoup de gens qui sont passés par les meilleures écoles. J’y suis moi-même passé par trois d’entre-elles, qui ne sont pas les moins cotées. Et je n’ai pas remarqué chez les élèves de ces institutions plus de conformisme que chez les autres, à égalité de niveau social. Ils ne sont pas plus « suivistes ». Tout au plus, lorsqu’ils disent « non », ils y mettent les formes.

      [Ils savent aussi qu’un refus, une contestation, une révolte – tels les “insolences” adolescentes de leurs camarades -, les exposeraient à un risque de déclassement. Ils souhaitent juste chacun préserver leur carrière, leur poste, rester les bons élèves qu’ils ont toujours été.]

      Pardon, mais je n’identifie pas « l’insolence » à « un refus, une contestation, une révolte ». Et je pense que vous vous faites beaucoup d’illusions si vous pensez que les mauvais élèves ne cherchent pas, eux aussi, à préserver leur carrière ou leur poste. Parce que, voyez-vous, tout le monde a besoin de vivre… Mais je souligne un point de votre argumentation : vous semblez dans votre discours dévaloriser les « bons élèves » devant les « insolents », puisque vous regrettez qu’on sélectionne plutôt les premiers. Dans ce cas, j’aimeras connaître votre proposition : comment faudrait-il sélectionner les élites ? En prenant les derniers de la classe, les seuls, selon vous, à se « rebeller » ?

      [Ils ont perdu – s’ils en avaient jamais eu – leur liberté de ton et d’idées. Juste de bons petits soldats devenus.]

      Si j’étais méchant, je vous répondrais avec la formule d’Einstein : « vous savez, c’est si rare, une idée… ». Je ne pense pas, contrairement à vous, que la « liberté de ton » soit une qualité. Dire les choses en y mettant les formes, cela rend la société plus agréable, plus polie, plus civilisée. Et je ne pense pas que les « bons élèves » aient moins de liberté de pensée que les cancres. Au contraire : pour penser, il faut en avoir les instruments.

      [Ce que vous appelez “lâcheté”, n’est-elle pas le fruit de l’”universitarisation” (au sens large, car l’université a mauvaise presse parmi nos élites) de toute une génération ?]

      Non. Et je l’ai dit dans mon papier. Cette « lâcheté » est au fond de l’intelligence. On peut demander des gens du courage, mais on ne peut leur demander de la témérité. Hier, à tous les niveaux de la société, on organisait des systèmes de protection mutuelle. L’intellectuel qui sortait à la palestre pouvait compter sur la protection de son « école », le haut fonctionnaire sur celle de son « corps », le patron sur celle de son union professionnelle, l’ouvrier avec celle de ses collègues réunis en syndicat, l’élu sur celle de son parti, le citoyen celle de son pays. Et cette protection aide beaucoup à l’heure d’être « courageux ». Aujourd’hui, chacun est seul. Les « corps » de l’Etat ont été dissous de manière à casser toute forme de solidarité. Aujourd’hui, dès que vous faites une bêtise, le premier souci de votre corps, de vos collègues, de votre « école », c’est d’éloigner celui par qui le scandale arrive. Pensez à Alain Quatennens : nulle part a-t-il été plus étrillé que dans son propre parti. Et quand Jean-Luc Mélenchon est sorti le défendre – car Mélenchon est un vieux de la vielle, élevé dans le principe « qu’il aie raison ou tort, c’est mon pays » – il a été emporté par les récriminations.

  21. marc.malesherbes dit :

     
    j’aimerai revenir sur votre beau billet « Qu’est ma France devenue ? » en essayant d’être le moins polémique possible.

    D’abord je vous donne globalement raison si on se place du point de vue de l’élite technocratique qui depuis l’après guerre, jusqu’à un peu après de Gaulle, a contribué à la reconstruction de notre pays envahi et détruit.
    C’est également vrai si on se place du point de vue de vue des mœurs et de la culture dite « classique » et vous le démontrez amplement. Ainsi que des institutions représentative de cette époque en voie de décomposition plus ou moins avancée.
    Et sans doute également vrai pour tous ceux héritiers d’une morale chrétienne plus ou moins sécularisée, dont le PCF de la grande époque fut un acteur important. Rappelons nous ses positions d’alors sur les femmes, le droit à l’avortement …
    Je ne revient pas sur toutes vos observations fort justes, et que je les comprend parfaitement « d’un certain point de vue »

    Bien que ce ne soit pas le thème central de votre billet, j’imagine que l’avenir de la France sera sombre, la dégradation de notre puissance, de nos valeurs étant en déclin continu depuis notre apogée du début du XVIIIe, avec le « gouvernement» du cardinal Fleury, puis le début du déclin avec la guerre de 7 ans. Nous avons eu de courtes rémissions sur cette pente fatale, avec notamment le Gaullisme comme vous le soulignez dans un de vos commentaires.
    L’avenir n’est pas écrit d’avance, et il est possible que nous retrouvions une place honorable, à notre mesure, dans le concert des nations, des empires, mais ce serait une agréable surprise peu probable.

    Tout ceci dit, je fais partie de ceux qui ont énormément apprécié les évolutions qu’ils ont connu depuis l’après guerre, et même si nous avons perdu sur certains plans, nous avons énormément gagné sur d’autres. Et je trouve que vous ne mesurez pas tout ce que nous avons gagné. C’est peu de chose direz vous … rien que du matériel, des agréments de vie, de santé, de libertés, de connaissances, d’accès aux œuvres de toutes natures, et des évolutions d’ouverture des mœurs. Certes, mais pour moi et pour beaucoup, ce n’est pas négligeable. On pourrait dire aussi que ces agréments se sont payés par des reculs par ailleurs (1). Oui, mais cela existe majoritairement quand même.

    Aussi je ne dirai pas « Qu’est ma France devenue ? », mais « Quel beau parcours de ma France, mais pour aller où ? »

    (1) d’une manière générale vous êtes hypersensible à des dégradations marginales « une dégradation générale de notre espace quotidien. Elle nous force à voyager dans des trains couverts de graffitis et de tags, à écouter dans le bus le dernier rap que notre voisin passe sur son portable, à accepter l’occupation de notre hall d’immeuble par des trafiquants de toute sorte, à jouer à la roulette russe de Parcoursup l’avenir de nos enfants, à se voir dicter ce qu’on a le droit de boire, de manger, de voir ou de dire par des dragons de vertu, qu’ils soient communautaires, religieux, écologistes, féministes ou autres. » Tout cela ne concerne qu’une infime minorité, et on pourrait mettre en regard ce qui existait de misérable et de dangereux dans les années 1970 … que vous avez oublié. Dans ce registre je pourrais regretter une France de 20 millions d’habitant, les agréments du châtelain maître sur ses terres, sur ses domestiques … avec ses salons de dames raffinées …sans ces banlieues affreuses et surpeuplées … Oui, c’est regrettable d’avoir abandonné tout cela, mais l’un dans l’autre, je préfère le monde d’aujourd’hui.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Bien que ce ne soit pas le thème central de votre billet, j’imagine que l’avenir de la France sera sombre, la dégradation de notre puissance, de nos valeurs étant en déclin continu depuis notre apogée du début du XVIIIe, avec le « gouvernement » du cardinal Fleury, puis le début du déclin avec la guerre de 7 ans. Nous avons eu de courtes rémissions sur cette pente fatale, avec notamment le Gaullisme comme vous le soulignez dans un de vos commentaires.]

      Je n’ai pas la boule de cristal, et d’une façon générale je n’aime pas faire des prédictions. J’adhère à un optimisme méthodologique qui veut qu’un avenir meilleur soit toujours possible. Je n’adhère donc pas aux discours d’un déclin inéluctable, même avec des « courtes rémissions ». C’est un reste de ma formation communiste : « le présent est lutte, l’avenir est à nous ». Même si, comme vous le dites, le mieux est « peu probable », il faut se battre pour lui.

      [Tout ceci dit, je fais partie de ceux qui ont énormément apprécié les évolutions qu’ils ont connu depuis l’après-guerre, et même si nous avons perdu sur certains plans, nous avons énormément gagné sur d’autres. Et je trouve que vous ne mesurez pas tout ce que nous avons gagné. C’est peu de chose direz vous … rien que du matériel, des agréments de vie, de santé, de libertés, de connaissances, d’accès aux œuvres de toutes natures, et des évolutions d’ouverture des mœurs.]

      Mais… je mesure tout à fait ce que nous avons gagné, et c’est beaucoup. Je vous mets au défi de trouver un seul de mes écrits qui ferait dans le misérabilisme. Au contraire, j’ai passe une bonne partie de ma vie militante à me battre contre ceux qui prétendaient parler d’un appauvrissement absolu de la classe ouvrière. Bien sûr que nous avons gagné : sur le plan matériel, c’est une évidence. Nous mangeons mieux, nous sommes en meilleure santé, nous voyageons plus que n’importe quelle autre génération dans l’histoire humaine.

      C’est vous, je pense, qui sous-estimez ce que nous avons perdu – ou pour être précis, ce que nous n’avons pas transmis, parce que ce sont surtout les générations suivantes qui vont le perdre. Nous avons perdu par exemple notre liberté, non parce que celui qui dit ce qui menacerait le système serait persécuté, mais parce que de plus en plus de gens n’ont même plus les mots pour menacer le système. Relisez « 1984 »… Nous avons perdu, pour beaucoup d’entre nous, notre capacité à nous projeter dans une identité, qu’elle soit nationale, sexuelle, culturelle. Nous avons perdu nos institutions. Nous avons perdu notre sociabilité. Faut-il que je continue ?

      [Aussi je ne dirai pas « Qu’est ma France devenue ? », mais « Quel beau parcours de ma France, mais pour aller où ? »]

      Si vous êtes content, tant mieux pour vous.

      [(1) d’une manière générale vous êtes hypersensible à des dégradations marginales « une dégradation générale de notre espace quotidien. Elle nous force à voyager dans des trains couverts de graffitis et de tags, à écouter dans le bus le dernier rap que notre voisin passe sur son portable, à accepter l’occupation de notre hall d’immeuble par des trafiquants de toute sorte, à jouer à la roulette russe de Parcoursup l’avenir de nos enfants, à se voir dicter ce qu’on a le droit de boire, de manger, de voir ou de dire par des dragons de vertu, qu’ils soient communautaires, religieux, écologistes, féministes ou autres. » Tout cela ne concerne qu’une infime minorité,]

      Ah bon ? Le fait de voyager dans des transports en commun couverts de graffitis ne concernerait qu’une minorité ? Les incivilités dans les transports en commun ne concerneraient qu’une minorité ? Le système d’aiguillage de l’enseignement supérieur ne concernerait qu’une minorité ? Les discours qu’on entend quotidiennement sur ce qu’il faut ou ne faut pas faire, dire, manger ou boire ne concerneraient qu’une minorité ? Vous vivez dans quelle planète ?

      [et on pourrait mettre en regard ce qui existait de misérable et de dangereux dans les années 1970 … que vous avez oublié.]

      Quelques exemples, s’il vous plait.

  22. Sami dit :

    Très beau texte, très réaliste au-delà de son apparent “nostalgisme”.
    Juste une petite remarque à propos d’une réponse à l’un de vos lecteurs. 
     
    Vous dites : 
     
    « Pourquoi nos élites, contrairement aux élites britanniques ou allemandes, se cherchent toujours un maître ailleurs ? »
     
    Je pensais justement que les élites Anglaises (pour des raisons historiques et culturelles connues) sont soumises aux USA jusqu’à en devenir la courroie de transmission en Europe (de Gaule l’avait parfaitement compris). On a vu systématiquement (Irak, Ukraine, Chine, Union européenne, etc.) l’Angleterre (et donc ses élites) s’aligner sans états d’âme sur les USA, si ce n’est carrément se comporter comme une 5eme colonne dans l’UE… 
     
    Quant à l’Allemagne, même si la 2eme GM est terminée, ce pays continue à être militairement occupé par les USA, et on a vu les élites Allemandes (politiciens comme industriels) se courber devant les desiderata US concernant l’emblématique affaire Ukrainienne, allant jusqu’à se taire honteusement devant ce qui me semble être un casus belli US, la destruction des gazoducs NS, en mettant en danger mortel toute l’économie Allemande (bien sûr, on peut aussi prétendre que les USA n’y sont pour rien, mais bon…). Et plus loin, faire comprendre donc à l’élite Allemande qu’un rapprochement avec la Russie (ce qui serait dans l’intérêt évident de l’Allemagne et par conséquent de toute l’Europe) est tout simplement inimaginable vu de Washington. 
    Et quand l’Allemagne se réarme, ce n’est pas pour acheter le Rafale du voisin Européen, mais le F35 du maître lointain US.
     
    Certes, depuis le départ de de Gaule, mis à part l’intermède Chirac durant la destruction de l’Irak, l’élite politique Française est globalement assujettie aux USA. Mais pas plus et pas moins que les autres élites Européennes (même l’hyper nationaliste Italienne Melloni, une fois au pouvoir, s’est lamentablement aplatie, devant les menaces de l’Américaine Ursula Van Leyen…).
     
    D’ailleurs, la question reste entière et vertigineuse : qu’est-ce qui a pris à l’Europe de s’aliéner à ce point, face à l’hégémonisme US ? J’avoue que j’en reste pantois, lorsque je sais dans le même temps que l’Europe, tout de même, ce n’est pas la Somalie ou la Tunisie : je pensais qu’elle possédait toute la puissance nécessaire et tous azimuts, pour au moins, faire honneur à sa grande histoire, à ses atouts immenses, etc. Qui expliquera un jour ce suicide historique indigne… (l’argument de la menace Russe est tout simplement absurde et non recevable, à mon avis ; et quand bien même, l’Europe possède tous les moyens et plus encore, pour faire face toute seule comme une grande fille qu’elle est, à cette menace fantasmatique, militairement ou économiquement).
     
    Serait-il possible, en deux mots, (je sais que le sujet est très complexe) que vous nous expliquiez la différence fondamentale entre le TCE et le Traité de Lisbonne ? (merci)

    • Descartes dit :

      @ Sami

      [« Pourquoi nos élites, contrairement aux élites britanniques ou allemandes, se cherchent toujours un maître ailleurs ? » Je pensais justement que les élites Anglaises (pour des raisons historiques et culturelles connues) sont soumises aux USA jusqu’à en devenir la courroie de transmission en Europe (de Gaule l’avait parfaitement compris).]

      Je pense qu’on parle de choses différentes. Vous parlez de l’inféodation des élites à la politique décidée à Washington, et sur ce point nous sommes d’accord. Mais je parlais plutôt de la tendance de nos élites à aller se chercher des modèles d’organisation ailleurs, de vouloir organiser l’école « comme en Finlande », l’industrie « comme en Allemagne » et ainsi de suite. A Oxford ou Cambridge, on conserve jalousement les traditions de l’université britannique sans en changer une virgule. Nos grandes écoles à nous se rêvent en campus à la mode californienne.

      [D’ailleurs, la question reste entière et vertigineuse : qu’est-ce qui a pris à l’Europe de s’aliéner à ce point, face à l’hégémonisme US ? J’avoue que j’en reste pantois, lorsque je sais dans le même temps que l’Europe, tout de même, ce n’est pas la Somalie ou la Tunisie : je pensais qu’elle possédait toute la puissance nécessaire et tous azimuts, pour au moins, faire honneur à sa grande histoire, à ses atouts immenses, etc. Qui expliquera un jour ce suicide historique indigne…]

      L’explication est très simple : dans la construction européenne, il y a toujours eu deux courants. Un courant « français », qui voyait dans l’Union européenne une France XXL, c’est-à-dire jacobine et universaliste, avec des prétentions de grande puissance et une volonté d’intervenir dans les affaires du monde. Et puis il y avait un courant « allemand », plus continental, qui était plutôt de se concentrer sur l’espace intérieur, de s’enrichir dans son coin en échange d’un tribut à la puissance dominante en échange de son « parapluie » sécuritaire.

      C’est le modèle allemand qui s’est imposé, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, parce que la vision universaliste et unitaire est très minoritaire en Europe, ou l’essentiel des pays sont des pays continentaux, qui se soucient fort peu de ce qui se passe loin de leurs frontières immédiates. Seules la France et l’Angleterre ont été à l’âge moderne des puissances maritimes, qui voient le monde sous une perspective globale. Ensuite, parce que cette vision est bien plus complémentaire avec la révolution néolibérale qui domine le monde depuis les années 1980 sous l’impulsion de Américains.

      [Serait-il possible, en deux mots, (je sais que le sujet est très complexe) que vous nous expliquiez la différence fondamentale entre le TCE et le Traité de Lisbonne ? (merci)]

      En dehors de quelques modifications du texte, il y a une différence fondamentale qui tient au statut du texte. Le TCE avait la prétention d’être un texte à valeur constitutionnelle. Il faut comprendre que si les cours constitutionnelles – et au premier chef le Conseil constitutionnel en France – reconnaissent aux traités européens une valeur supérieure aux lois, elles refusent d’accepter la doctrine de la CJUE qui considère le droit européen comme étant au dessus des constitutions nationales. L’élaboration tu TCE par une « convention » qui se voulait constituante, puis sa ratification par référendum auraient permis de mettre la pression sur le Conseil pour qu’il accepte de reconnaître un « constituant européen » et donc de subordonner la constitution française à cette « constitution européenne ».

      Le traité de Lisbonne, quand même il contient pour l’essentiel les mêmes dispositions que le TCE, n’est qu’un traité ordinaire, ratifié par la voie parlementaire. Il n’y a aucun risque que le Conseil constitutionnel lui accorde un statut différent que celui du traité de Maastricht ou de Bruxelles.

  23. Patriote Albert dit :

    [Maintenant, nous sommes après, et le moins qu’on peut dire c’est que cet après n’a pas répondu à nos espoirs. Non pas que nous eussions les mêmes : certains d’entre nous ont milité pour une Europe fédérale, d’autres pour une France souveraine et socialiste ; certains ont cru à la révolution mondiale, d’autres à la fin de l’Histoire… mais aucun n’a l’impression d’avoir touché le prix de ses efforts.]
    Il faut dire que depuis les années 90 le temps politique semble s’être arrêté. Nous vivons une époque de long déclin, où les grands projets ne semblent plus avoir leur place. A ce titre, ne regrettez-vous pas également une époque où l’on pouvait encore rêver de politique ?
     
    De manière générale, nous voyons bien dans quelle époque nous sommes entrés : une époque où chacun peut percevoir la progressive dégradation de la qualité de vie, mais où personne n’est encore prêt à payer le prix de la lutte, pourtant nécessaire pour y mettre un coup d’arrêt. On ne peut que penser au proverbe arabe qui dit (approximativement) : Les temps difficiles produisent des hommes forts, les hommes forts des temps faciles, les temps faciles des hommes faibles, les hommes faibles des temps difficile. Nous sommes au bout de la boucle ouverte dans les années 1930 – 1945.
     
    Ce qui me frappe, c’est l’ignorance croissante dans les nouvelles générations de ce qu’est la France, son histoire et sa culture. Quand j’étais petit, ma famille m’a fait écouter Brel et Brassens, je me souviens aussi de La carte au trésor à la télé qui évoquait les traditions manuelles des différentes régions, on étudiait Voltaire et Racine en Français, et non Olympes de Gouges et Laurent Gaudé… Et dans les conversations, il y avait beaucoup de références littéraires, d’expressions faisant appel à un fonds commun de culture et de connaissances. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr que les jeunes sachent expliquer ce qu’a fait Jeanne d’Arc, quels sont les grands artistes français de la fin du XIXe siècle, et leur maîtrise de la langue est si pauvre que celle-ci peine à constituer un lien culturel entre les individus. Vous l’avez déjà signalé à de nombreuses reprises, mais le premier échec est, me semble-t-il un échec de la transmission. En effet, comment les nouvelles générations pourraient se battre pour un pays qu’ils ne connaissent pas vraiment, et pour une histoire dont ils ne se sentent pas les héritiers ?
     
    Je vois deux alternatives pour l’évolution de la France dans les années à venir. La première, c’est la poursuite du repli individualiste sur sa famille, son quartier, son clan. La France deviendrait alors un mot sans réel contenu, un simple territoire où vivent des personnes aux moeurs totalement opposées, et qui s’ignorent mutuellement. La deuxième option ne pourrait à mon sens intervenir qu’en présence d’un choc exogène, suffisamment puissant pour faire prendre conscience à la population, surtout dans les classes supérieures, la nécessité d’un retour de la solidarité nationale. Je reste attaché à la deuxième option, sinon je ne vois pas pourquoi je continuerais à faire de la politique, mais j’avoue qu’il y a une sorte de croyance en un deux ex machina dans cette affaire.
     
    Une fois n’est pas coutume, je termine par une bonne nouvelle : l’annonce de la panthéonisation de Missak / Michel Manouchian. Quel beau symbole, de l’assimilation, de l’universalisme, de la contribution des communistes à notre histoire ! Espérons que cet événement soit l’occasion de contribuer à cette oeuvre indispensable de transmission, et de valorisation de ce que nous avons, nous Français, en commun.

    • Descartes dit :

      @ Patriote Albert

      [Il faut dire que depuis les années 90 le temps politique semble s’être arrêté. Nous vivons une époque de long déclin, où les grands projets ne semblent plus avoir leur place. A ce titre, ne regrettez-vous pas également une époque où l’on pouvait encore rêver de politique ?]

      Bien sur que lui. D’où ma référence aux « indégivrables » : « C’était mieux avant ! / Quand avant ? / Avant, quand je pensais que ce serait mieux après ! ».

      [De manière générale, nous voyons bien dans quelle époque nous sommes entrés : une époque où chacun peut percevoir la progressive dégradation de la qualité de vie, mais où personne n’est encore prêt à payer le prix de la lutte, pourtant nécessaire pour y mettre un coup d’arrêt.]

      Tout à fait. Paradoxalement, on vit mieux lorsqu’on est pauvre et qu’on voit sa situation s’améliorer que quand on est riche et qu’on voit sa situation se dégrader. L’homme ne vit pas seulement de pain, il vit aussi d’espérance. La force de l’église catholique, c’était d’avoir placé cette espérance dans un lieu invérifiable – le paradis et la vie après la mort. La faiblesse du communisme fut de la placer sur terre, là où elle ne pouvait qu’être déçue. Le capitalisme a vécu sur la promesse toujours renouvelée de plus de biens matériels. Le néolibéralisme et les limites écologique ont mis un point d’arrêt à cette promesse. Mais le recul n’est pas encore suffisamment marqué pour provoquer une crise.

      [On ne peut que penser au proverbe arabe qui dit (approximativement) : Les temps difficiles produisent des hommes forts, les hommes forts des temps faciles, les temps faciles des hommes faibles, les hommes faibles des temps difficile. Nous sommes au bout de la boucle ouverte dans les années 1930 – 1945.]

      Ce mécanisme explique bien pourquoi la politique de beaucoup d’états modernes est cyclique. Chez nous, ces cycles sont particulièrement violents parce que nous attendons beaucoup de l’Etat. Et du coup, l’effet des « hommes forts » ou des « hommes faibles » se trouve démultiplié par rapport aux sociétés plus communautaires.

      [Ce qui me frappe, c’est l’ignorance croissante dans les nouvelles générations de ce qu’est la France, son histoire et sa culture. Quand j’étais petit, ma famille m’a fait écouter Brel et Brassens, je me souviens aussi de La carte au trésor à la télé qui évoquait les traditions manuelles des différentes régions, on étudiait Voltaire et Racine en Français, et non Olympes de Gouges et Laurent Gaudé… Et dans les conversations, il y avait beaucoup de références littéraires, d’expressions faisant appel à un fonds commun de culture et de connaissances.]

      Tout à fait. D’ailleurs, je me suis mis à réécouter Brassens… et j’ai été tout de suite interpellé par le nombre de références littéraires « classiques » – y compris grecques et latines – que contiennent ses chansons, en plus d’un vocabulaire châtié et de tournures de phrase très littéraires. Et pourtant, il était considéré un chanteur « populaire ». Oui, même si beaucoup moins de gens arrivaient au bac – et encore moins l’avaient – les gens entraient dans la vie active avec un bagage littéraire historique et partagé relativement consistant.

      [Aujourd’hui, je ne suis pas sûr que les jeunes sachent expliquer ce qu’a fait Jeanne d’Arc, quels sont les grands artistes français de la fin du XIXe siècle, et leur maîtrise de la langue est si pauvre que celle-ci peine à constituer un lien culturel entre les individus. Vous l’avez déjà signalé à de nombreuses reprises, mais le premier échec est, me semble-t-il un échec de la transmission. En effet, comment les nouvelles générations pourraient se battre pour un pays qu’ils ne connaissent pas vraiment, et pour une histoire dont ils ne se sentent pas les héritiers ?]

      Effectivement, la solidarité inconditionnelle et impersonnelle, qui pour moi est l’essence de la nation, se construit d’abord à partir d’un cadre de référence partagé. Peu importe que ce cadre soit réel ou imaginaire – tout « roman national » implique une part d’invention. L’important, c’est qu’il soit partagé, et donc transmis d’une génération à une autre. Je ne parlerais pas « d’échec de la transmission », dans le sens que le mot « échec » implique une volonté contraire. Non, depuis la fin des années 1960 nous assistons à un rejet volontaire de la transmission. Vous vous souvenez de la chanson de Pink Floyd « another brick in the wall » ?

      We don’t need no education
      We don’t need no thought control
      No dark sarcasm in the classroom
      Teacher, leave them kids alone

      (Nous n’avons pas besoin d’école/nous n’avons pas besoin de contrôle de la pensée/pas de sarcasme dans la salle de classe/enseignant, laisse les enfants tranquilles)

      [Je vois deux alternatives pour l’évolution de la France dans les années à venir. La première, c’est la poursuite du repli individualiste sur sa famille, son quartier, son clan. La France deviendrait alors un mot sans réel contenu, un simple territoire où vivent des personnes aux moeurs totalement opposées, et qui s’ignorent mutuellement. La deuxième option ne pourrait à mon sens intervenir qu’en présence d’un choc exogène, suffisamment puissant pour faire prendre conscience à la population, surtout dans les classes supérieures, la nécessité d’un retour de la solidarité nationale. Je reste attaché à la deuxième option, sinon je ne vois pas pourquoi je continuerais à faire de la politique, mais j’avoue qu’il y a une sorte de croyance en un deux ex machina dans cette affaire.]

      Je crois que les deux perspectives sont complémentaires : on continuera à poursuivre ce repli sur l’individuel jusqu’à ce qu’un choc externe vienne nous sortir de notre torpeur – comme ce fut le cas souvent dans notre histoire. Et si cela vaut la peine de faire de la politique, c’est pour s’assurer que le jour où le choc viendra, nous aurons en main les instruments intellectuels, théoriques et politiques pour prendre les meilleures mesures possibles. Je vous accorde qu’il y a là une approche du type « désert des tartares » qui peut en décourager plus d’un…

      [Une fois n’est pas coutume, je termine par une bonne nouvelle : l’annonce de la panthéonisation de Missak / Michel Manouchian. Quel beau symbole, de l’assimilation, de l’universalisme, de la contribution des communistes à notre histoire !]

      Oui, mais ça commence mal. Je vais faire un papier sur le sujet, alors je ne vais pas déflorer le sujet, mais à cette occasion on commence déjà à falsifier l’histoire pour accommoder le personnage au goût du jour.

      Pour commencer, il faut le « dénationaliser ». Comme beaucoup d’étrangers venus en France à l’époque, Manouchian a bénéficié de la pression assimilationniste. Il avait renoncé à utiliser son nom de baptême (« Missak ») pour adopter une forme francisée (« Michel »). Et pas seulement dans les actes publics : il signait ainsi sa correspondance privée. La meilleure preuve est sa dernière lettre adressée à sa femme, elle est signée « Michel » et écrite dans un français à la syntaxe parfaite même si l’orthographe est hésitante alors que tous deux connaissaient l’arménien (facsimilé consultable ici : http://www.mont-valerien.fr/ressources-historiques/le-mont-valerien-pendant-la-seconde-guerre-mondiale/lettres-de-fusilles/detail-lettres-fusiles/lettres-de-fusilles/manouchian-missak/?no_cache=1). Mais peu importe son choix personnel : il faut pour satisfaire les goûts du jour que Manouchian soit renvoyé à sont caractère d’étranger, alors ce sera « Missak », et peu importe qu’il ait lui-même décidé de franciser son prénom.

      Manouchian était-il communiste ? Oui. Pire encore, il était stalinien : il militait dans un mouvement de soutien à l’Arménie soviétique, mouvement de stricte obédience stalinienne. Mais ce petit détail sera discrètement passé sous silence. Lors de l’annonce France 2 passe un long reportage sur la vie de Manouchian, sans que le mot « communiste » ne soit mentionné une fois. Un stalinien au Panthéon ? Vous n’y pensez pas…

      Autrement dit, le Manouchian qui entrera au Panthéon a de grandes chances de ne correspondre nullement à celui qui a vécu et qui est mort pour la France. Ce sera un Manouchian aseptisé puis passé au moule « diversitaire », le prototype du « bon-immigré-fier-de-ses-origines » façon 2023, idéal pour draguer le vote de la « communauté » arménienne.

      [Espérons que cet événement soit l’occasion de contribuer à cette œuvre indispensable de transmission, et de valorisation de ce que nous avons, nous Français, en commun.]

      Pour les raisons mentionnées ci-dessus, j’en doute.

      • cdg dit :

        We don’t need no educationWe don’t need no thought control
        (Nous n’avons pas besoin d’école/nous n’avons pas besoin de contrôle de la pensée)
        gros contresens ici
        c est une double negation (don t + no)
        ca se traduirait par
        “Nous n avons pas besoin d absence d ecole”
        ou en francais plus clair
        “nous avons besoin d ecole”

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [gros contresens ici. C’est une double negation (don t + no)]

          C’est vous qui faites le “gros contresens”. Cette forme de double négation est courante en anglais populaire, et n’aboutit pas à un sens positif. D’ailleurs, le sens des phrases suivantes vous le dit: si la première phrase voulait dire “nous n’avons pas besoin d’absence d’école”, comment comprendre l’injonction aux enseignants de “laisser les enfants tranquilles” ?

          • cdg dit :

            pour les enfants tranquille, ca peut etre une reaction a l education stricte de l epoque (je suppose, j ai pas connu la GB de 1960). par ex que les enfants devaient apprendre quand ils en avaient envie, comme  https://fr.wikipedia.org/wiki/Summerhill_School
             

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [pour les enfants tranquille, ça peut être une réaction a l’éducation stricte de l’époque (je suppose, j ai pas connu la GB de 1960).]

              Vous voulez dire une réaction à l’éducation tout court… parce que je ne connais pas d’éducation véritable qui ne soit pas “stricte”. Non, la chanson de Pink Floyd n’est qu’un exemple parmi d’autres d’une idéologie anti-école qui allait bien plus loin que la critique du caractère “stricte” de celle-ci. Relisez ou lisez “une société sans école” de Ivan Ilich, très à la mode à l’époque. Quant à Summerhill, il est drôle de constater qu’on considère encore cette institution comme un succès en France, alors qu’en Grande Bretagne elle est connue pour ce qu’elle est, un échec retentissant. Je me souviens d’avoir regardé un documentaire britannique qui contenait plus d’une dizaine d’entrevues à des anciens “libres enfants de Summerhill”, et je vous assure que c’était révélateur.

              [par ex que les enfants devaient apprendre quand ils en avaient envie, comme (…)]

              Sauf que quand les enfants “devaient apprendre quand ils en avaient envie”, ils n’apprenaient rien ou très peu. Parce que, contrairement à ce que croyaient les pédagogues de l’époque, le désir d’apprendre n’est pas spontané, et le plaisir d’apprendre n’apparaît qu’une fois que l’enfant a internalisé une certaine discipline.

  24. Luc dit :

    Le problème avec le voeu pieu’impossible n’est pas français ‘c’est qu’il n’est pas réaliste et entretient l’ignorance des possibles en privilégiant un essentialisme français inexistant.
    Au final,les désillusions aboutissent au rejet défaitiste du politique.Le CNR a préféré se baser
    sur autre chose pour bâtir les jours heureux.Quand la situation est grave, il vaut mieux le dire. C’est la poitique des communistes russes et ils ont raison. Les marchands d’illusions sont des gens dangereux lorsque les temps sont troublés. Nous devrions nous en inspirer plutôt que de chercher à tout prix à “donner de l’espoir” par je ne sais quelle coalition magique dont nous savons pertinemment qu’elle est, dès le départ, vouée à l’échec. Les travailleurs n’attendent pas des discours faciles, ils savent que les années à venir seront difficiles, que nous avons vécu déjà trop longtemps sur l’acquis des générations passées. Ils attendent que nous parlions….L’essentiel de ce discours s’applique parfaitement à la situation de la France. Macron réunit les “assises des finances publiques” et il est certain qu’on va en sortir avec de nouvelles propositions de privatisations, de nouvelles saignées du pays. Le contexte est différent bien sûr, nous n’avons pas l’expérience de la révolution d’Octobre. Cependant, dans notre pays aussi, la bourgeoisie, qui n’a jamais été totalement écartée du pouvoir politique, les oligarques et quelques hauts fonctionnaires vont défendre la vente des biens de l’état. Dans notre pays aussi, les industries clés sont en large partie détenues par des capitaux étrangers, notamment état-uniens .

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [Le problème avec le vœu pieu « impossible n’est pas français » (…)]

      « Impossible n’est pas français » n’est pas un « vœu ». C’est l’affirmation d’un volontarisme. C’est une manière de dire que nous, français, sommes capables de tout réussir à condition d’en avoir la volonté. Bien sûr, ce n’est pas vrai : il y a des circonstances extérieures qui font que certaines choses sont « impossibles », quand bien même on ferait tout ce qui est dans notre pouvoir pour les réussir. Et cependant, je classerai cette affirmation parmi les « fictions nécessaires ».

      Prenons une analogie : que penseriez-vous de l’instituteur ou du professeur qui dirait à un élève « quelque soit l’effort que vous y mettrez, vous n’y arriverez pas » ? Même si c’est vrai, un tel discours ne peut que le décourager, et l’empêchera d’atteindre un objectif même moins ambitieux. Et puis, comment le professeur pourrait-il être sûr à 100% que l’objectif est inatteignable ? Non, l’enseignant doit maintenir la fiction qu’avec de l’effort et du travail, tout le monde peut entrer à Polytechnique.

      [c’est qu’il n’est pas réaliste et entretient l’ignorance des possibles en privilégiant un essentialisme français inexistant.]

      Je ne vois pas en quoi. La formule napoléonienne ne dit nulle part qu’être français soit une « essence ». On peut parfaitement soutenir que ce qui fait que « impossible n’est pas français » soit notre organisation sociale, ouverte à tous.

      [Le CNR a préféré se baser sur autre chose pour bâtir les jours heureux. Quand la situation est grave, il vaut mieux le dire.]

      Quel rapport ? Que la situation soit grave n’empêche pas de croire et de soutenir qu’on peut toujours s’en sortir. C’est d’ailleurs la position adoptée par le CNR : vous ne trouverez nulle part dans ses débats ou dans son programme l’idée qu’il y a des choses « impossibles » dès lors qu’il y a la volonté pour les accomplir. Le CNR, rêvant de sécurité sociale et de retour à la « grandeur » et la souveraineté au milieu des heures sombres est plutôt une excellente illustration de la formule napoléonienne.

      [Les marchands d’illusions sont des gens dangereux lorsque les temps sont troublés.]

      Il ne faut pas confondre une illusion et une fiction. La différence est que dans le premier cas on y croit, dans le second on fait semblant d’y croire. Si nous ne vivions pas dans la fiction que nous ne mourrons jamais, nous sortirions tuer tous les gens qui nous déplaisent le jour où on nous annonce que nous n’avons que quelques semaines à vivre.

      [Nous devrions nous en inspirer plutôt que de chercher à tout prix à “donner de l’espoir” par je ne sais quelle coalition magique dont nous savons pertinemment qu’elle est, dès le départ, vouée à l’échec.]

      Je ne sais pas comment vous pensez mobiliser les gens en leur expliquant que c’est foutu, et qu’on n’y arrivera jamais.

      [Les travailleurs n’attendent pas des discours faciles, ils savent que les années à venir seront difficiles,]

      Et alors ? C’est précisément lorsqu’on sait que les années à venir seront difficiles qu’on a besoin d’un discours qui annonce des lendemains qui chantent. Les partis communistes n’ont jamais été aussi puissants que lorsqu’ils ont réussi à tenir un discours crédible sur cet avenir ou l’on aurait « du pain et des roses ». Bien sûr, personne au fond de lui n’y croyait vraiment, mais les fictions aident les gens à vivre. Pourquoi croyez-vous qu’ils jouent au loto ?

      Encore une fois, il y a dans toute société des fictions nécessaires. Des affirmations auxquelles personne au fond de lui ne croit, mais que nous proclamons et tenons pour vraies par consensus. Sans ces fictions, on retombe dans le désespoir et dans le chacun pour soi.

      [(…) Ils attendent que nous parlions…]

      Qu’est ce que vous en savez ? Vous leur avez demandé leur avis ? Et si, comme vous dites, les travailleurs « n’attendent pas des discours faciles », comment expliquez-vous que ceux qui leur tiennent de tels discours ont le vent en poupe, alors que ceux qui promettent du sang, de la sueur et des larmes restent marginaux ?

      [L’essentiel de ce discours s’applique parfaitement à la situation de la France. Macron réunit les “assises des finances publiques” et il est certain qu’on va en sortir avec de nouvelles propositions de privatisations, de nouvelles saignées du pays.]

      Et comment comptez-vous contrer ce discours qui prétend qu’il n’y a pas d’autre solution possible ? Comment contrer ce discours de l’impuissance autrement que dans le volontarisme du « impossible n’est pas français » ? C’est ça la réalité : si vous ne maintenez pas la fiction de la puissance de la volonté, vous tombez dans le pessimisme de la raison, et vous ne faites plus rien.

  25. P2R dit :

    C’est hors sujet (enfin, pas tant que ça) mais je ne résiste pas à la tentation de partager un lien vers cette interview de Richard Ferrand sur le Figaro, non pas pour l’interview (qui s’intéresse à ce que dit ce personnage ?) mais pour la photo qui illustre l’article. Indice, le détail qui tue est à l’arrière plan.
     
    Je n’ai jamais vu une représentation symbolique du monde politique actuel aussi réussie, à ce stade, c’est du grand art. Bravo au photographe !
     
    https://www.lefigaro.fr/politique/richard-ferrand-au-figaro-un-moment-d-unite-nationale-doit-etre-recherche-20230618

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [Je n’ai jamais vu une représentation symbolique du monde politique actuel aussi réussie, à ce stade, c’est du grand art. Bravo au photographe !]

      Quoi de plus normal: quand on est un homme de culture et un grand lecteur, on veut être représenté avec sa belle bibliothèque…

      Je salue votre perspicacité. Si l’on cherchait une image pour symboliser le personnel politique venu au pouvoir avec Macron, difficile de trouver mieux.

      • cdg dit :

        J avoue que je vois pas le probleme. Si mes souvenirs sont bon, une photo officielle de Mitterrand comme president etait avec une bibilotheque en arriere plan.
        Apres que Ferrand soit inculte je ne saurais le dire, la seule chose qui est sur, c est qu il a le sens des affaires et une morale elastique
        Je vois mal Ferrand poser au bord de sa piscine avec 2 ous 3 binbos en arriere plan s il veut revenir au pouvoir. N est pas Berlusconi qui veut

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [J avoue que je vois pas le probleme. Si mes souvenirs sont bon, une photo officielle de Mitterrand comme president etait avec une bibilotheque en arriere plan.]

          Regardez bien la bibliothèque derrière Ferrand. Rien ne vous choque ? Petite indication: à votre avis, pourquoi Ferrand a deux fois les mêmes livres ?

    • Pierre dit :

      Incroyable ! Ils ont doublé la taille de la bibliothèque via Photoshop !! (bibliothèque du fond = bibliothèque de gauche)
      On peut même imaginer qu’il a posé devant un fond vert pour faciliter la tâche du photographe

      • Descartes dit :

        @ Pierre

        [Incroyable ! Ils ont doublé la taille de la bibliothèque via Photoshop !! (bibliothèque du fond = bibliothèque de gauche)]

        Point besoin de Photoshop. Il s’agit en fait d’un papier peint “façon bibliothèque”. Cela se voit clairement au raccord de l’angle, mais aussi au fait que la taille des livres ne change pas avec la proximité-éloignement sur le mur à la gauche de l’image.

  26. Geo dit :

    @Descartes
    [La caricature, au sens strict, peut être « tendre ». Cabu, par exemple, avait croqué Chirac ou Sarkozy sous des traits plutôt aimables.]
    Il a fait mieux: Il caricaturait aussi des trisomiques, par exemple sans que celà comporte bien sûr la moindre hostilité ou le moindre mépris. Toujours pour leur défense. Cas frappant de caricature bienveillante.

    • Renard dit :

      [Il a fait mieux: Il caricaturait aussi des trisomiques, par exemple sans que celà comporte bien sûr la moindre hostilité ou le moindre mépris. Toujours pour leur défense. Cas frappant de caricature bienveillante.]
      Il a aussi caricaturé les beaufs, et là aussi, le cas était frappant. Mais je ne pense pas que notre hôte disait de Cabu qu’il était toujours tendre, mais qu’il pouvait l’être en restant drôle.

  27. Carloman dit :

    Bonjour,
     
    Merci pour ce texte. D’abord parce que ce que vous racontez est émouvant, je dirai même mélancolique. Je suis pour ma part très sensible à cette idée que les choses que nous trouvons belles et aimables sont en train de disparaître. Et pourtant, je suis né dans les années 80, au moment du « basculement ». Ensuite, je pense que quelqu’un qui aime l’Armagnac ne peut pas être une personne complètement mauvaise… Le mot même d’Armagnac est magnifique, claque comme un étendard, et évoque tout à la fois un terroir en même temps que le bruit et la fureur des heures troublées de la Guerre de Cent ans.
     
    Mais en un sens, et je vous prie de pardonner mon mauvais esprit, je pressentais – un peu – que vous en arriveriez là. Vous avez pris le temps et le soin, tout au long des années, et depuis la création de ce blog, d’expliquer les mécanismes qui nous ont conduits au désastre : l’approfondissement du capitalisme, le consumérisme effréné, la « révolution » libérale-libertaire de 68 ouvrant la voie aux politiques néolibérales (dérégulation, levée des entraves à la mobilité du capital), la prise du pouvoir par les classes intermédiaires, etc. Vous nous avez expliqué qu’une révolution ne s’improvise pas, que les conditions ne sont pas remplies, et que de toute façon, compte tenu du monopole des classes intermédiaires sur la production d’idées, aucune alternative ne s’offre aux gens qui sentent confusément que notre société n’est pas sur la bonne voie. Bien. Mais une fois que tout cela a été dit, répété, argumenté – avec brio d’ailleurs – il devient assez évident qu’on n’a plus que ses yeux pour pleurer.
     
    Votre parti-pris de dire « se préparer et attendre » est en réalité difficilement soutenable. Se préparer à quoi ? Attendre quoi ? Un hypothétique sursaut salvateur ? Je n’ai pas l’impression qu’on en voit les prémisses, même s’il faut rester prudent en la matière, je vous l’accorde. A titre personnel, j’irais même jusqu’à m’interroger : la France d’aujourd’hui, la France de 2023, mérite-t-elle qu’on essaie de la sauver ? J’ai vu la France, et je m’excuse car le terme est fort, peut-être choquant, s’abâtardir. Elle s’est abâtardie culturellement, ethniquement, religieusement (et pour être juste, je ne pense pas uniquement à l’islam, mais aussi à l’américanisation galopante, à la mode des « spiritualités orientales » teintées de bouddhisme comme si le lamaïsme tibétain était plus progressiste que le catholicisme, aux mouvements évangéliques qui progressent aussi en France, etc). Elle s’est abâtardie jusqu’à en devenir – pour moi – presque méconnaissable. La France est aujourd’hui à l’évidence un pays multiracial et multiconfessionnel. Nous vivons entourés de monuments qui n’ont plus aucun lien avec la population au milieu de laquelle ils se dressent. Qu’est-ce que la basilique Saint-Denis, nécropole des rois catholiques qui ont gouverné ce pays pendant huit siècles, peut bien évoquer aux enfoulardées en abaya et autres « chances pour la France » préoccupés par la date du ramadan et/ou le cours de la barrette de cannabis ?
     
    Ces monuments deviennent étrangers à la population qui déambule autour, parce que cette population elle-même est étrangère à leur histoire. Et je vous le concède, ce n’est pas seulement une conséquence de l’immigration, il y a aussi chez beaucoup de natifs une forme de déculturation. Dans ces conditions que peuvent évoquer ces monuments du passé ? Que peuvent-ils être sinon les reliquats d’une histoire méconnue, et guère aimée ? Personnellement, je suis pris de vertige quand je vois ce que la France a pu être jusqu’au deuxième tiers du XX° siècle et ce qu’elle est devenue dans le premier quart du XXI°, en quelques décennies. On croirait deux pays différents. Tout a changé : la population, les mœurs, la religion dominante dans l’espace public, la culture, la sociabilité. C’est très impressionnant. Je connais mal les autres pays, mais je me demande vraiment s’il en est de même en Allemagne, en Italie ou en Espagne par exemple.
     
    Les choses n’arrivent pas par hasard, et de ce point de vue, il me semble qu’il faut tout de même questionner l’héritage républicain. Parce que, pardon de le dire, il y a toujours eu des tendances néfastes dans le républicanisme français. D’abord le désir, inhérent à tout mouvement révolutionnaire, de faire table rase. Ce désir a existé chez certains en 1792-1793 : on a brisé les tombeaux des rois et dispersé leurs restes, on a martelé les statues des églises, on a changé le calendrier, les jeux de cartes, les formules de politesse… Du moins, on a essayé. Contrairement aux contre-révolutionnaires, je n’en déduis pas que tout l’héritage de la Révolution est à jeter, loin de là. Mais il a tout de même fallu le pouvoir autoritaire d’un Bonaparte pour inscrire les acquis – bien réels – de la Révolution dans la tradition. Toutefois toute une gauche anti-bonapartiste reste fascinée par la tentation de la table rase. On le voit avec un Eric Piolle réclamant une refonte du calendrier en éliminant les jours fériés hérités du christianisme.
     
    Il y a une autre tendance historique, d’ailleurs contradictoire avec la première, chez les républicains : l’opportunisme. Après 1870, nombre de républicains ont été qualifiés d’opportunistes car ils ont voulu – et su – adapter leur discours et leurs pratiques à la société. Pour que la République s’implante durablement, ils n’ont pas hésité à lui donner une coloration conservatrice et rurale. Ils ont aussi modéré les ambitions des républicains plus radicaux lors de la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905, par exemple. A première vue, on pourrait se réjouir. Mais si l’opportunisme a poussé une partie des républicains à s’accommoder de l’héritage du catholicisme dont l’influence était encore grande, qui nous dit que certains républicains, prenant acte du changement ethnico-religieux à l’œuvre, ne chercheront pas un compromis avec un islam devenu incontournable ? Et du compromis à la compromission, il n’y a parfois qu’un pas… Eric Piolle, encore lui, unit ces deux « traditions » du républicanisme : il propose comme je l’ai dit une refonte du calendrier, expurgé de ses scories catholiques, mais dans le même temps sa mairie de Grenoble autorise les burkinis dans les piscines municipales. Il faut achever le catholicisme moribond mais ne pas insulter l’avenir en ménageant un islam encore vigoureux…
     
    Je vais vous provoquer (courtoisement bien sûr), cher ami : Est-ce que la logique républicaine pouvait nous amener à une autre situation que celle que nous connaissons ? Car enfin, d’où nous vient le républicanisme français ? Des Lumières. Or, il faut revenir à ce qu’est intrinsèquement le mouvement des Lumières : c’est une idéologie portée par la bourgeoisie, qui veut détruire le carcan de l’Ancien Régime, à un moment où l’organisation sociale s’est sclérosée, ce qui freine le développement du capitalisme naissant. Les Lumières, la Révolution, la République sont filles de la mutation capitaliste qui commence en Europe de l’Ouest à l’époque moderne. Là où les Anglo-saxons et les Nordiques ont fait « sauté » le carcan qui entravait le capitalisme en optant pour le protestantisme et une monarchie progressivement limitée, la bourgeoisie française, face à la puissance de l’Église liée à l’État monarchique, a dû faire la Révolution pour triompher. En Espagne, la Révolution n’a pas eu lieu – même s’il y a eu des tentatives – et le pays a raté le coche du capitalisme moderne au XIX° siècle. En Italie, la bourgeoisie s’est alliée à la Maison de Savoie pour faire l’unité du pays contre l’Église – une Révolution à la sauce locale en quelque sorte – et le capitalisme a pu s’y développer à la fin du XIX° siècle (du moins dans le nord de la péninsule), bien mieux qu’en Espagne. Finalement, l’ennemi historique du capitalisme pourrait bien être l’Église catholique.
     
    Il découle de cela que, dès l’origine, les Lumières « épousent » les intérêts capitalistes, de Voltaire vantant les mérites du commerce aux lois « libérales » de la Révolution comme celle de le Chapelier (1791). Et la République suit le mouvement. Bien sûr, à la fin du XIX° siècle, le capitalisme est national et la tendance est au protectionnisme donc les républicains sont protectionnistes. Mais aujourd’hui que le capitalisme mondialisé est néolibéral et libre-échangiste, pourquoi les républicains ne le seraient-ils pas ? C’est pourquoi, à mon sens, opposer République et capitalisme, ou République et néolibéralisme, n’a aucun sens. Depuis l’origine, la République est, en France, le régime qui a créé les conditions de l’essor du capitalisme. C’est pourquoi je m’étonne de voir des républicains s’effrayer des effets du néolibéralisme. La République suit logiquement l’évolution du capitalisme, et ce depuis l’origine. Aussi les républicains « étatistes » me font penser à des hommes qui, ayant entamé la traversée de la rivière, s’arrêteraient au milieu du guet en se demandant s’ils n’ont pas emprunté la mauvaise voie. Le drame du jacobinisme, c’est qu’il a été utile à un moment au capitalisme et il ne l’est plus.
     
    Marier la République avec le socialisme, le drapeau tricolore avec le drapeau rouge, n’est-ce pas oublier ce qui, dès les origines, a présidé à l’établissement de ladite République en France ? Il n’est pas inutile de rappeler que la propriété est citée parmi les quatre droits fondamentaux dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, et en deuxième position, juste après la liberté. Alors, comment être républicain et marxiste ?

    • Descartes dit :

      @ Carloman

      [Merci pour ce texte. D’abord parce que ce que vous racontez est émouvant, je dirai même mélancolique. Je suis pour ma part très sensible à cette idée que les choses que nous trouvons belles et aimables sont en train de disparaître. Et pourtant, je suis né dans les années 80, au moment du « basculement ».]

      Quand vous aurez mon âge, vous comprendrez qu’il n’y a qu’une manière de sauver ces choses : c’est de les transmettre. Elles ne survivront que si ceux qui viendront après nous les aiment comme nous les avons aimées…

      [Mais une fois que tout cela a été dit, répété, argumenté – avec brio d’ailleurs – il devient assez évident qu’on n’a plus que ses yeux pour pleurer.]

      Je suis désolé si mes écrits vous conduisent à cette conclusion. Parce que ce n’est pas du tout la mienne. Que voulez-vous, je suis un lutteur dans l’âme. Et si je ne peux changer le monde, je peux au moins changer quelques personnes… transmettre, transmettre, transmettre, voici mes trois priorités. Et vous êtes encore mieux placé que moi, puisque vous êtes enseignant…

      [Votre parti-pris de dire « se préparer et attendre » est en réalité difficilement soutenable. Se préparer à quoi ? Attendre quoi ? Un hypothétique sursaut salvateur ? Je n’ai pas l’impression qu’on en voit les prémisses, même s’il faut rester prudent en la matière, je vous l’accorde.]

      Oui, il faut rester très prudent. Nul n’est prophète en son pays, et rares sont ceux qui ont vu venir les grandes révolutions.

      [A titre personnel, j’irais même jusqu’à m’interroger : la France d’aujourd’hui, la France de 2023, mérite-t-elle qu’on essaie de la sauver ?]

      Ce n’est pas « la France de 2023 » que je chercherais à sauver, mais la « France éternelle », c’est-à-dire, une certaine idée de la France. C’est peut-être là que notre différence est radicale. Vous êtes – ne le prenez pas mal – un passéiste. La France que vous aimez est d’abord un état de la société. Et en ce sens vous ne pouvez qu’être malheureux, parce que cette société ne peut qu’évoluer et donc changer. La France que j’aime est d’abord une idée, un esprit.

      [Nous vivons entourés de monuments qui n’ont plus aucun lien avec la population au milieu de laquelle ils se dressent.]

      Et bien, il faut reconstruire ce lien. Avons-nous le choix ?

      [Ces monuments deviennent étrangers à la population qui déambule autour, parce que cette population elle-même est étrangère à leur histoire. Et je vous le concède, ce n’est pas seulement une conséquence de l’immigration, il y a aussi chez beaucoup de natifs une forme de déculturation. Dans ces conditions que peuvent évoquer ces monuments du passé ? Que peuvent-ils être sinon les reliquats d’une histoire méconnue, et guère aimée ?]

      C’est pourquoi le combat aujourd’hui est de transmettre le sens de ces monuments, de faire aimer cette histoire. Résister hier c’était faire sauter des trains ou tuer des allemands. Aujourd’hui, c’est transmettre, écrire, enseigner, expliquer.

      [Personnellement, je suis pris de vertige quand je vois ce que la France a pu être jusqu’au deuxième tiers du XX° siècle et ce qu’elle est devenue dans le premier quart du XXI°, en quelques décennies. On croirait deux pays différents. Tout a changé : la population, les mœurs, la religion dominante dans l’espace public, la culture, la sociabilité. C’est très impressionnant. Je connais mal les autres pays, mais je me demande vraiment s’il en est de même en Allemagne, en Italie ou en Espagne par exemple.]

      Je partage. Et étant plus âgé que vous, je trouve le changement encore plus vertigineux. C’est un peu ce que j’écris dans mon article. Mais ce changement, je vous rassure, on le voit dans d’autres pays. Allez en Grande Bretagne, le pays européen que je connais le mieux, et vous trouverez un peu les mêmes constantes – même si cela se voit un peu moins, les britanniques n’ayant pas le syndrome de la haine de soi. C’est beaucoup plus visible chez nous parce que nous étions en avance et que nous avons donc beaucoup plus reculé. C’est en particulier vrai sur la question de la laïcité.

      [Les choses n’arrivent pas par hasard, et de ce point de vue, il me semble qu’il faut tout de même questionner l’héritage républicain. Parce que, pardon de le dire, il y a toujours eu des tendances néfastes dans le républicanisme français. D’abord le désir, inhérent à tout mouvement révolutionnaire, de faire table rase. Ce désir a existé chez certains en 1792-1793 : on a brisé les tombeaux des rois et dispersé leurs restes, on a martelé les statues des églises, on a changé le calendrier, les jeux de cartes, les formules de politesse… Du moins, on a essayé.]

      C’est le propre des révolutions. Ces excès nous paraissent aujourd’hui regrettables, mais sans cette passion la Révolution aurait probablement été balayée par l’armée des princes. Cela étant dit, les révolutions ont toujours une phase de rejet du passé suivie d’une phase de rétablissement du lien avec le passé. En URSS ce fut Staline, en France Bonaparte. Je ne pense pas qu’on puisse charger la République des péchés que vous lui attribuez. Très vite, les républicains reviennent de leur passion révolutionnaire. La IIIème République a tout fait pour restaurer et mettre en valeur les monuments du passé subsistants, pour les faire connaître à travers de l’école. Elle a constitué tout un réseau de musées et d’institutions patrimoniales.

      [Toutefois toute une gauche anti-bonapartiste reste fascinée par la tentation de la table rase. On le voit avec un Eric Piolle réclamant une refonte du calendrier en éliminant les jours fériés hérités du christianisme.]

      Vous noterez que cette gauche-là est farouchement anti-républicaine !

      [Il y a une autre tendance historique, d’ailleurs contradictoire avec la première, chez les républicains : l’opportunisme. Après 1870, nombre de républicains ont été qualifiés d’opportunistes car ils ont voulu – et su – adapter leur discours et leurs pratiques à la société.]

      Plus qu’opportunistes, je les qualifierait de « réalistes ».

      [Pour que la République s’implante durablement, ils n’ont pas hésité à lui donner une coloration conservatrice et rurale. Ils ont aussi modéré les ambitions des républicains plus radicaux lors de la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905, par exemple. A première vue, on pourrait se réjouir. Mais si l’opportunisme a poussé une partie des républicains à s’accommoder de l’héritage du catholicisme dont l’influence était encore grande, qui nous dit que certains républicains, prenant acte du changement ethnico-religieux à l’œuvre, ne chercheront pas un compromis avec un islam devenu incontournable ?]

      Vous noterez quand même que « l’opportunisme » dont vous parlez n’est pas allé en 1905 jusqu’à renoncer à la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Lors du débat, les républicains ont eu l’intelligence de renoncer sur des points secondaires pour aboutir à une loi qui, tout en préservant l’essentiel, soit acceptable par la société. Peut-être que si demain l’Islam a la même influence – elle en est très, très loin – il y aura des concessions sur certains points secondaires pour assurer que la laïcité soit acceptée. Mais de là à imaginer que des républicains puissent admettre de revenir sur la laïcité elle-même… cela me semble une contradiction dans les termes. On ne peut accepter cela et se dire « républicain ».

      [Et du compromis à la compromission, il n’y a parfois qu’un pas… Eric Piolle, encore lui, unit ces deux « traditions » du républicanisme :]

      Je ne vois pas pourquoi vous dites que Piolle est « républicain ». La République, ce n’est pas que la négation de la monarchie. La République, comme son nom l’indique, implique la séparation de la sphère publique et de la sphère privée. Chose que les écologistes refusent radicalement…

      [Je vais vous provoquer (courtoisement bien sûr), cher ami : Est-ce que la logique républicaine pouvait nous amener à une autre situation que celle que nous connaissons ? Car enfin, d’où nous vient le républicanisme français ? Des Lumières. Or, il faut revenir à ce qu’est intrinsèquement le mouvement des Lumières : c’est une idéologie portée par la bourgeoisie, qui veut détruire le carcan de l’Ancien Régime, à un moment où l’organisation sociale s’est sclérosée, ce qui freine le développement du capitalisme naissant.]

      Vous répondez vous-même à votre question. C’est le capitalisme, et non la « logique républicaine », qui nous amène à cette situation. Avec ou sans lumières, avec ou sans République, le capitalisme aurait brisé tous les obstacles à la « concurrence libre et non faussée » entre les individus, et donc détruit les vénérables institutions que vous et moi nous aimons. J’aurais tendance plutôt à dire que les Lumières et la République ont permis au contraire de les prolonger, de les défendre contre le courant capitaliste bien mieux que d’autres systèmes. Mais en dernière instance, les rapports matériels s’imposent aux rapports idéologiques.

      [Finalement, l’ennemi historique du capitalisme pourrait bien être l’Église catholique.]

      En France, possiblement, à moins que ce soit l’Etat. En Arabie Saoudite, l’ennemi du capitalisme c’est l’Islam… toute institution qui cherche à établir des règles qui ne sont pas celles de la concurrence libre et non faussée est pour le capitalisme l’ennemi.

      [Il découle de cela que, dès l’origine, les Lumières « épousent » les intérêts capitalistes, de Voltaire vantant les mérites du commerce aux lois « libérales » de la Révolution comme celle de le Chapelier (1791). Et la République suit le mouvement. Bien sûr, à la fin du XIX° siècle, le capitalisme est national et la tendance est au protectionnisme donc les républicains sont protectionnistes. Mais aujourd’hui que le capitalisme mondialisé est néolibéral et libre-échangiste, pourquoi les républicains ne le seraient-ils pas ?]

      Parce que, contrairement à ce que vous pensez, les républicains ne sont pas des girouettes. Ils ne changent pas d’avis au prétexte que le vent change. Pendant un siècle et demi, la vision idéologique des républicains et les besoins du capitalisme ont coïncidé. Et du coup, la bourgeoisie est devenue républicaine. Aujourd’hui, l’approfondissement du capitalisme et sa mondialisation fait que cette idéologie ne pointe plus dans la bonne direction. Et du coup, le bloc dominant s’en détourne pour aller chercher une idéologie ailleurs.

      [C’est pourquoi, à mon sens, opposer République et capitalisme, ou République et néolibéralisme, n’a aucun sens. Depuis l’origine, la République est, en France, le régime qui a créé les conditions de l’essor du capitalisme. C’est pourquoi je m’étonne de voir des républicains s’effrayer des effets du néolibéralisme. La République suit logiquement l’évolution du capitalisme, et ce depuis l’origine.]

      Vous avez compris que je ne partage pas cette analyse. Le capitalisme du capital national et industriel trouvait dans la vision républicaine une organisation sociale favorable ou du moins acceptable. Et tant que cela a duré, République et capitalisme ont marché main dans la main. Mais le capitalisme a changé, et le capitalisme financier et internationalisé voit au contraire dans l’idéologie républicaine un obstacle. Et le divorce est inévitable. C’est pourquoi vous voyez de plus en plus de républicains s’effrayer des effets du néolibéralisme. Parce que le néolibéralisme marque la rupture entre le capitalisme et la République.

      C’est un peu comme avec le gaullisme. En 1958, le gaullisme correspondait aux intérêts de la bourgeoisie française. En 1969, c’était déjà moins sur… en 1974, c’est un bourgeois centriste qui emporte la présidence.

      [Marier la République avec le socialisme, le drapeau tricolore avec le drapeau rouge, n’est-ce pas oublier ce qui, dès les origines, a présidé à l’établissement de ladite République en France ?]

      Non. C’est comprendre que le processus qui a commencé sous le capitalisme, ne pourrait aujourd’hui être accompli que sous le socialisme. Le capitalisme a fait avancer le projet des Lumières, mais ne l’a pas mené jusqu’au bout.

      [Il n’est pas inutile de rappeler que la propriété est citée parmi les quatre droits fondamentaux dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, et en deuxième position, juste après la liberté. Alors, comment être républicain et marxiste ?]

      D’où tirez-vous que les marxistes soient contre la propriété privée ? Je vous rappelle que Marx avait critiqué vertement Proudhon, celui qui écrivait « la propriété, c’est le vol »… Non, les marxistes sont contre la propriété privée DES MOYENS DE PRODUCTION. Et cela ne contredit nullement la Déclaration, qui affirme que ce droit n’est pas absolu, et que tout citoyen peut en être privé pour motif d’intérêt public, et sous réserve d’une juste et préalable indemnisation.

      • Carloman dit :

        @ Descartes,
         
        [Quand vous aurez mon âge, vous comprendrez qu’il n’y a qu’une manière de sauver ces choses : c’est de les transmettre.]
        On ne peut pas transmettre quelque chose qui est mort. La France – tout du moins l’idée que je me fais de ce pays – est morte. Il n’y a donc plus rien à transmettre.
         
        [Je suis désolé si mes écrits vous conduisent à cette conclusion. Parce que ce n’est pas du tout la mienne. Que voulez-vous, je suis un lutteur dans l’âme.]
        Loin de moi l’idée de vous vexer, mais j’ai cru percevoir ces dernières années un changement de ton dans vos textes : davantage de pessimisme, de nostalgie, parfois même une pointe d’amertume ou de dépit. Me serais-je trompé ?
         
        [transmettre, transmettre, transmettre, voici mes trois priorités.]
        Mais transmettre quoi ? Et dans quel but ? Transmettre une culture totalement déconnectée de la réalité pour prolonger son agonie de quelques décennies ? Nous avons déjà eu ce débat, mais je le redis ici : la volonté de transmettre ne saurait être un choix purement individuel. La transmission doit être décidée et organisée collectivement, par des institutions. Sans quoi vous ne ferez qu’alimenter une forme de communautarisme : vous et vos amis transmettrez ceci, d’autres transmettront cela. Qui a la légitimité ? Qui est dans son bon droit ? Tout le monde et personne…
         
        Le fait est qu’il y a un relatif consensus de la société pour refuser la transmission. Dont acte. On ne peut pas sauver les gens contre leur gré.
         
        [Et vous êtes encore mieux placé que moi, puisque vous êtes enseignant… ]
        Je ne saisis pas le rapport. Si l’Éducation Nationale se préoccupait de transmettre quoi que ce soit, je pense que cela se saurait. Désolé de vous décevoir mais l’EN est depuis un certain temps déjà ce qu’il convient d’appeler une officine de propagande, une médersa de la bien-pensance : la raison et la science ont été remplacées par le catéchisme écolo-diversitaire, la lutte contre les stéréotypes de genre, la communion antiraciste, les prières anti-homophobie, anti-transphobie, la liturgie « éco-responsable » et j’en passe. Et je tiens à préciser que tout cela est officiel, inscrit dans les recommandations, soutenu par les rectorats et les directions d’établissement. Je suis intrigué : inciteriez-vous un enseignant à aller à l’encontre des instructions de son institution ?
         
        [Ce n’est pas « la France de 2023 » que je chercherais à sauver, mais la « France éternelle », c’est-à-dire, une certaine idée de la France. C’est peut-être là que notre différence est radicale.]
        Pour moi, la « France éternelle », c’est l’alchimie complexe entre une terre et un peuple. La terre est encore là, bien que de plus en plus défigurée, elle aussi méconnaissable en certains endroits. Le peuple, lui, a disparu. Imaginez que j’entendais récemment Dominique Reynié, le contraire d’un facho, s’inquiéter du fait qu’il allait être difficile de maintenir une solidarité entre des gens qui ne partagent plus la même sociabilité, les mêmes références. C’est assez savoureux dans la bouche de quelqu’un qui estimait encore il y a peu qu’il fallait parler de la « recomposition ethnoculturelle » à l’œuvre dans nos sociétés…
         
        Sauf votre respect, vous voulez construire une nouvelle France, sans doute plus désirable que celle qui voit le jour sous nos yeux, mais qui n’a pas grand-chose à voir avec la « France éternelle ».
         
        [Vous êtes – ne le prenez pas mal – un passéiste.]
        Peut-être. Et alors ?
         
        [La France que vous aimez est d’abord un état de la société.]
        Non, la France que j’aime c’est d’abord un territoire habité et mis en valeur par un peuple enraciné. Pour moi, sans ethnos, il ne peut y avoir de démos. Une nation se construit certes par volontarisme politique, mais il faut un minimum de substrat ethnico-religieux.
         
        [parce que cette société ne peut qu’évoluer et donc change]
        Oui, enfin il y a évoluer et évoluer. On peut évoluer en restant soi-même. Or ce n’est pas ce qui est en train de se passer : la société française – en admettant que le qualificatif convienne encore – est en train de devenir autre. On le voit dans les noms et les prénoms des gens, dans la langue, dans les mots, les formules de politesse, les habitudes alimentaires. Ce n’est pas une évolution à ce stade, c’est une révolution, je n’ose dire… un remplacement.
         
        [Et bien, il faut reconstruire ce lien.]
        Désolé, ce n’est pas comme ça que ça marche. Un lien, une fois brisé, ne peut pas se retisser comme ça. Malgré les proclamations du régime et les brochures touristiques, l’Égypte arabo-musulmane n’a aucun lien, je dis bien aucun, avec l’Égypte pharaonique. Ce sont deux cultures étrangères l’une à l’autre. La redécouverte de l’Égypte ancienne n’est même pas le fait des Égyptiens eux-mêmes, c’est dire !
         
        [Aujourd’hui, c’est transmettre, écrire, enseigner, expliquer.]
        Mais transmettre quoi ? Quelqu’un qui fait lire Maurras et Brasillach à ses enfants « transmet » une certaine idée de l’identité française. Est-ce la vôtre ? J’en doute. Quant à écrire… Combien parmi les jeunes savent encore lire – autre chose que les messages minimalistes des réseaux sociaux s’entend ? On peut transmettre des éléments familiaux et communautaires, mais rien de « national » puisque la nation s’est éteinte.
         
        [Et étant plus âgé que vous, je trouve le changement encore plus vertigineux.]
        Juste une remarque : je suis certes plus jeune que vous, mais n’oubliez pas que j’ai grandi avec deux grands-mères qui m’ont beaucoup parlé de l’époque et de la société de leur jeunesse, de la guerre, de l’après-guerre. J’ai donc ce lien avec la France d’avant, même s’il est indirect.
         
        [Mais ce changement, je vous rassure, on le voit dans d’autres pays.]
        Je ne suis pas sûr d’être « rassuré »…
         
        [Vous noterez que cette gauche-là est farouchement anti-républicaine ! ]
        Ce n’est pas forcément ce qu’elle dit. D’ailleurs, qui est habilité à distribuer des brevets de républicanisme ? Est-ce être « antirépublicain » que de vouloir « adapter » la République à la société d’aujourd’hui ? Vous semblez le penser, mais c’est votre avis.
         
        [Je ne vois pas pourquoi vous dites que Piolle est « républicain ».]
        Aurait-il affirmé le contraire ?
         
        [Parce que, contrairement à ce que vous pensez, les républicains ne sont pas des girouettes. Ils ne changent pas d’avis au prétexte que le vent change.]
        La question n’est pas là. La question est de savoir si le ver n’était pas dans le fruit dès l’origine, si la République n’a pas été conçue dès l’origine comme un instrument destiné à favoriser l’essor du capitalisme. Si c’est le cas, le républicanisme n’a aucun avenir : comme vous le soulignez, il est lui aussi devenu une entrave, par conséquent il sera balayé comme l’a été l’Ancien Régime et sa société d’ordres.
         
        [Pendant un siècle et demi, la vision idéologique des républicains et les besoins du capitalisme ont coïncidé. ]
        Pensez-vous que ce soit purement le fruit du hasard ?
         
        [Et le divorce est inévitable.]
        Oui, mais la question est de savoir si le républicanisme peut survivre à ce divorce, dans la mesure où il est lui-même un produit du capitalisme naissant.
         
        [C’est comprendre que le processus qui a commencé sous le capitalisme, ne pourrait aujourd’hui être accompli que sous le socialisme. Le capitalisme a fait avancer le projet des Lumières, mais ne l’a pas mené jusqu’au bout.]
        Je suis en désaccord avec ces affirmations. Le « projet des Lumières » nous a en partie amenés là où nous sommes, dans la mesure où il a été conçu par une classe sociale qui avait intérêt au développement du capitalisme. Dans ce cadre, la République a été un état transitoire, nécessaire mais seulement transitoire. Rien de plus qu’une étape.
         
        [D’où tirez-vous que les marxistes soient contre la propriété privée ?]
        Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai écrit.
         
        [Et cela ne contredit nullement la Déclaration, qui affirme que ce droit n’est pas absolu, et que tout citoyen peut en être privé pour motif d’intérêt public, et sous réserve d’une juste et préalable indemnisation.]
        Certes, mais cette privation doit rester tout à fait exceptionnelle, dans la mesure où la propriété est quand même classée comme « droit naturel et imprescriptible de l’homme ». Ce qui laisse entendre que la confiscation SYSTEMATIQUE des grands moyens de production n’était certainement pas dans l’esprit des rédacteurs de la Déclaration. L’article 17, qui établit en effet la possibilité de la privation du droit de propriété, prend tout de même soin de rappeler que la propriété est « un droit inviolable et sacré », une façon de limiter les situations où la privation serait jugée légitime.

        • Descartes dit :

          @ Carloman

          [On ne peut pas transmettre quelque chose qui est mort. La France – tout du moins l’idée que je me fais de ce pays – est morte. Il n’y a donc plus rien à transmettre.]

          Décidément, vous voulez vous faire du mal… Les idées ne meurent pas, elles vivent tant qu’il y a des gens pour les défendre. Vous savez, le peuple juif à erré de par le monde pendant 2000 ans sans monuments, sans état, sans territoire. Et l’idée qu’il se faisait de lui-même n’est pourtant jamais morte. L’idée que vous avez de la France – car et que beaucoup de gens partagent peu ou prou – vit en vous, et c’est votre mission de la transmettre de manière à ce qu’elle vive dans les générations futures. C’est une graine qu’on préserve et qui fleurira un jour… peut-être dans 2000 ans, qui sait.

          [Loin de moi l’idée de vous vexer, mais j’ai cru percevoir ces dernières années un changement de ton dans vos textes : davantage de pessimisme, de nostalgie, parfois même une pointe d’amertume ou de dépit. Me serais-je trompé ?]

          Non, vous avez bien perçu le changement. Mon ton a changé parce que je change moi-même. Que voulez-vous, même si j’essaie de ne pas trop y penser, je vieillis. Et malgré mon optimisme méthodologique, je commence à me résigner à l’idée que je ne verrai pas le fruit de mes œuvres. Je me suis beaucoup battu dans ma vie pour des choses auxquelles j’y croyais et j’y crois toujours, mais pour reprendre la métaphore de Romain Gary, j’aurai vécu la nuit pour que d’autres voient l’aube. Cela me rend, sinon pessimiste, plus amer.

          [Mais transmettre quoi ? Et dans quel but ? Transmettre une culture totalement déconnectée de la réalité pour prolonger son agonie de quelques décennies ?]

          Je reviens toujours à l’histoire du peuple juif, qui a transmis pendant deux mille ans une culture qu’on pourrait aussi dire « déconnectée de la réalité ». Mais cette déconnection n’est qu’apparente : si vous pensez que la France telle que vous la concevez a encore quelque chose à dire au monde, alors on ne peut pas dire qu’elle soit « déconnectée de la réalité ». Notre expérience est différente parce que vous venez d’une tradition majoritaire, et vous avez du mal à vivre avec le fait qu’elle devienne temporairement – du moins on l’espère – minoritaire, et vous vous demandez quel peut être l’intérêt – ou même s’il est possible – de la préserver. Moi, je viens d’une tradition qui a toujours été minoritaire, et qui malgré tout a réussi à se préserver pendant des âges…

          [Nous avons déjà eu ce débat, mais je le redis ici : la volonté de transmettre ne saurait être un choix purement individuel. La transmission doit être décidée et organisée collectivement, par des institutions. Sans quoi vous ne ferez qu’alimenter une forme de communautarisme : vous et vos amis transmettrez ceci, d’autres transmettront cela. Qui a la légitimité ? Qui est dans son bon droit ? Tout le monde et personne…]

          Dans une société qui devient « communautariste », je crains que l’on ne puisse pas éviter une forme de « communautarisation » dès lors qu’on veut défendre quelque chose. Après, c’est sans doute mieux si l’on peut passer par des institutions existantes – ou en constituer de nouvelles.

          [Le fait est qu’il y a un relatif consensus de la société pour refuser la transmission. Dont acte. On ne peut pas sauver les gens contre leur gré.]

          Je ne crois pas qu’il y ait un tel consensus. Il y a une idéologie dominante qui rejette la transmission, dont acte. Mais qu’elle soit dominante n’implique pas qu’elle soit consensuelle. Je pense au contraire qu’il y a une majorité de gens qui sont très inconfortables avec cette idée, oui qui la rejettent carrément. Les classes dominantes, tout en maintenant une idéologie qui diabolise la transmission, s’arrangent pour l’organiser à l’intention de leurs propres rejetons…

          [« Et vous êtes encore mieux placé que moi, puisque vous êtes enseignant… » Je ne saisis pas le rapport. Si l’Éducation Nationale se préoccupait de transmettre quoi que ce soit, je pense que cela se saurait.]

          Je voulais dire que vous aviez la chance d’être placé quotidiennement devant une classe, dans une position qui permet la transmission. Et même si l’EN en tant qu’institution ne met pas la transmission parmi ses priorités, il y a des équipes pédagogiques qui font, de leur propre chef, un travail remarquable dans ce sens.

          [Je suis intrigué : inciteriez-vous un enseignant à aller à l’encontre des instructions de son institution ?]

          Non, je les inciterai plutôt à les compléter…

          [« Ce n’est pas « la France de 2023 » que je chercherais à sauver, mais la « France éternelle », c’est-à-dire, une certaine idée de la France. C’est peut-être là que notre différence est radicale. » Pour moi, la « France éternelle », c’est l’alchimie complexe entre une terre et un peuple. La terre est encore là, bien que de plus en plus défigurée, elle aussi méconnaissable en certains endroits. Le peuple, lui, a disparu.]

          C’est peut-être là la plus grande différence entre nous. La conception que nous avons de ce qu’est la « France éternelle ». C’est logique, vu notre histoire.

          [Imaginez que j’entendais récemment Dominique Reynié, le contraire d’un facho, s’inquiéter du fait qu’il allait être difficile de maintenir une solidarité entre des gens qui ne partagent plus la même sociabilité, les mêmes références. C’est assez savoureux dans la bouche de quelqu’un qui estimait encore il y a peu qu’il fallait parler de la « recomposition ethnoculturelle » à l’œuvre dans nos sociétés…]

          C’était un peu ce que je vous disais plus haut : il n’y a pas de « consensus » pour admettre cette transformation, et au fur et à mesure qu’on prend conscience du problème, des voix qui hier étaient silencieuses ou qui trouvaient des raisons de ne pas s’inquiéter changent de position.

          [Sauf votre respect, vous voulez construire une nouvelle France, sans doute plus désirable que celle qui voit le jour sous nos yeux, mais qui n’a pas grand-chose à voir avec la « France éternelle ».]

          On n’a pas – et on n’a jamais eu – le choix. Le monde change, et nous changeons avec lui. La France de demain, dans les meilleurs des cas, ne peut être la France de 1700, ni même celle de 1900. Le mieux qu’on puisse faire, c’est de faire que la France de demain ait une CONTINUITE avec celle du passé.

          [Non, la France que j’aime c’est d’abord un territoire habité et mis en valeur par un peuple enraciné. Pour moi, sans ethnos, il ne peut y avoir de démos. Une nation se construit certes par volontarisme politique, mais il faut un minimum de substrat ethnico-religieux.]

          C’est sur ce « minimum » que nous ne sommes pas d’accord.

          [Désolé, ce n’est pas comme ça que ça marche. Un lien, une fois brisé, ne peut pas se retisser comme ça.]

          Je ne dis pas que ce soit facile.

          [Malgré les proclamations du régime et les brochures touristiques, l’Égypte arabo-musulmane n’a aucun lien, je dis bien aucun, avec l’Égypte pharaonique. Ce sont deux cultures étrangères l’une à l’autre. La redécouverte de l’Égypte ancienne n’est même pas le fait des Égyptiens eux-mêmes, c’est dire !]

          Oui, enfin, il y a quand même un tiers de la population égyptienne qui parle la langue des pharaons. Mais le parallèle me semble très discutable : l’Egypte pharaonique est une société dont l’organisation, les croyances, les principes sont obsolètes. Aucune société moderne ne peut consacrer la moitié du PIB à construire des tombeaux et tenir son chef d’Etat pour la réincarnation du soleil. L’évolution des sociétés est inévitable. La question à se poser est de savoir si les principes, les valeurs, la sociabilité que nous attachons à la « France éternelle » ont quelque chose à offrir au monde d’aujourd’hui. Si c’est le cas, alors le lien peut être reconstruit. Sinon, il faut admettre que c’est une civilisation morte.

          [« Aujourd’hui, c’est transmettre, écrire, enseigner, expliquer. » Mais transmettre quoi ? Quelqu’un qui fait lire Maurras et Brasillach à ses enfants « transmet » une certaine idée de l’identité française. Est-ce la vôtre ? J’en doute.]

          Vous avez tort. Je ne peux que vous répondre avec la formule de Napoléon : « De Clovis au Comité de salut public, j’assume tout ». Je ne partage peut-être pas la vision de Maurras ou de Brasillach, mais ils font partie de mon héritage. Une culture ne s’achète pas au détail. Et finalement, j’aurai probablement plus de références communes, plus de choses à échanger avec celui qui aura été éduqué dans la lecture de Maurras et de Brasillach qu’avec celui qui n’aura lu que des écrivains superficiels. Nos échanges sont là pour le prouver : je doute que nos lectures de jeunesse aient été les mêmes…

          [Quant à écrire… Combien parmi les jeunes savent encore lire – autre chose que les messages minimalistes des réseaux sociaux s’entend ? On peut transmettre des éléments familiaux et communautaires, mais rien de « national » puisque la nation s’est éteinte.]

          Je ne partage pas votre pessimisme. Je note parmi les jeunes avec qui je peux dialoguer dans mon travail au contraire une demande de nation, le désir d’un « récit », un intérêt pour ce passé dont on leur parle si peu…

          [« Vous noterez que cette gauche-là est farouchement anti-républicaine ! » Ce n’est pas forcément ce qu’elle dit.]

          Les actes parlent beaucoup plus fort que les paroles.

          [D’ailleurs, qui est habilité à distribuer des brevets de républicanisme ?]

          Dans cette matière, chacun de nous est juge suprême. Vous estimez que Piolle est, dans ses actes, républicain ? Moi pas. Après, on peut en discuter…

          [Est-ce être « antirépublicain » que de vouloir « adapter » la République à la société d’aujourd’hui ? Vous semblez le penser, mais c’est votre avis.]

          La question n’est pas là. La République repose sur un certain nombre de principes fondamentaux. Vouloir adapter le système politique ou social pour coller aux besoins d’aujourd’hui ne fait pas de vous un antirépublicain… à condition que cette « adaptation » respecte ces principes. Il n’y a d’ailleurs pas de honte à être anti-républicain. Mais on ne peut pas invoquer la République pour jouir du prestige de cette notion, tout en reniant ses principes fondamentaux.

          [« Je ne vois pas pourquoi vous dites que Piolle est « républicain ». » Aurait-il affirmé le contraire ?]

          Je ne me souviens pas qu’il se soit dit « républicain » non plus. Mais en politique, je me fie plus à ce que les gens font qu’à ce que les gens disent.

          [La question est de savoir si le ver n’était pas dans le fruit dès l’origine, si la République n’a pas été conçue dès l’origine comme un instrument destiné à favoriser l’essor du capitalisme.]

          C’est une vision trop complotiste pour moi. Je ne pense pas que dans la tête de Voltaire il y ait eu l’intention de favoriser l’essor du capitalisme. Non : les penseurs des Lumières ont écrit ce qui leur passait par la tête, tout comme le faisaient leurs adversaires. Seulement, la bourgeoisie montante a trouvé que cette idéologie allait dans le sens de ses intérêts, et elle l’a adoptée. Aujourd’hui, elle trouve des avantages à un retour à l’obscurantisme, et les laisse tomber !

          [Si c’est le cas, le républicanisme n’a aucun avenir : comme vous le soulignez, il est lui aussi devenu une entrave, par conséquent il sera balayé comme l’a été l’Ancien Régime et sa société d’ordres.]

          Oui… sauf que le capitalisme n’est pas l’horizon indépassable de l’humanité, et que l’histoire n’est pas finie. Demain, une autre classe prendra la place de la bourgeoisie, et elle aura peut-être intérêt à reprendre l’idéal républicain.

          [« Pendant un siècle et demi, la vision idéologique des républicains et les besoins du capitalisme ont coïncidé. » Pensez-vous que ce soit purement le fruit du hasard ?]

          Je dirais plutôt le fruit d’une histoire longue. Ailleurs, la bourgeoisie a adopté d’autres idéologies. En France, la tradition centralisatrice et gallicane a ouvert la voie aux jacobins.

          [Le « projet des Lumières » nous a en partie amenés là où nous sommes, dans la mesure où il a été conçu par une classe sociale qui avait intérêt au développement du capitalisme. Dans ce cadre, la République a été un état transitoire, nécessaire mais seulement transitoire. Rien de plus qu’une étape.]

          Le « projet des Lumières » nous a amenés aux années 1960, parce qu’il a accompagné un capitalisme qui restait fortement enraciné et méritocratique et qui tendait à un partage relativement équitable de la valeur. Ce qui s’est passé depuis le début des années 1970 peut difficilement être rattaché au « projet des Lumières ». Plutôt à sa négation.

          [« D’où tirez-vous que les marxistes soient contre la propriété privée ? » Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai écrit.]

          Mais ca se rapproche beaucoup. Vous avez questionné l’idée qu’un marxiste puisse souscrire à un texte qui fait de la propriété un droit « naturel et imprescriptible ». Cette question n’a de sens que si l’on suppose que les marxistes rejettent en bloc la propriété privée.

          [« Et cela ne contredit nullement la Déclaration, qui affirme que ce droit n’est pas absolu, et que tout citoyen peut en être privé pour motif d’intérêt public, et sous réserve d’une juste et préalable indemnisation. » Certes, mais cette privation doit rester tout à fait exceptionnelle, dans la mesure où la propriété est quand même classée comme « droit naturel et imprescriptible de l’homme ».]

          Le texte pose trois conditions : l’existence d’un intérêt public, une indemnisation juste, une indemnisation préalable. Et toute atteinte à la propriété qui réunit ces trois conditions est donc légitime, qu’elle soit « exceptionnelle » ou pas.

          [Ce qui laisse entendre que la confiscation SYSTEMATIQUE des grands moyens de production n’était certainement pas dans l’esprit des rédacteurs de la Déclaration.]

          Je ne suis pas persuadé. Les assemblées révolutionnaires – et plus tard ce jacobin qui est devenu empereur des Français – ont voté de nombreuses lois instituant le monopole public sur certaines activités – et donc la propriété publique des outils et installations nécessaires à leur exercice. Si la CONFISCATION est clairement interdite par la Déclaration – puisqu’elle ne suppose pas d’indemnisation – la nationalisation était parfaitement permise, même lorsqu’elle avait un caractère systématique. Et le texte a toujours été interprété ainsi, y compris par les partis « bourgeois ». Personne n’a contesté la constitutionnalité de la nationalisation « systématique » – contre indemnisation – de l’ensemble des compagnies de gaz ou d’électricité en 1946.

          • Carloman dit :

            @ Descartes,
             
             
            [Décidément, vous voulez vous faire du mal…]
            Vous vous trompez. Simplement, je regarde autour de moi, et je suis bien obligé de constater que, jusqu’à un certain point, c’est moi l’étranger, c’est moi « l’anomalie ». Ne croyez pas que j’éprouve un plaisir malsain à voir mourir une civilisation que je tiens pour l’une des plus belles et des plus riches du monde.
             
            Cela étant dit, je m’adapte : s’il n’y a plus la nation, il reste la race et la religion. Sur ces bases, on refondera une identité, certes beaucoup moins ouverte et avenante que l’identité nationale, mais c’est aux gauchistes et aux écolo-bobos qu’il faudra en faire le reproche…
             
            [Les idées ne meurent pas, elles vivent tant qu’il y a des gens pour les défendre.]
            Vous croyez ? Au début du XX° siècle, l’Action Française défendait l’idée monarchique. On ne peut pas dire que ça ait permis à la monarchie de revenir…
             
            [Notre expérience est différente parce que vous venez d’une tradition majoritaire, et vous avez du mal à vivre avec le fait qu’elle devienne temporairement – du moins on l’espère – minoritaire, et vous vous demandez quel peut être l’intérêt – ou même s’il est possible – de la préserver.]
            Vous avez fort bien résumé les choses, et je vous en remercie. Mais je ne sais pas si vous pouvez mesurer à quel point il est douloureux de se réveiller un jour et de se sentir étranger, là même où vos ancêtres ont vécu depuis des siècles, à quel point il est désespérant de s’apercevoir que des choses qu’on tenait pour évidentes ne le sont plus.
             
            Cependant, je comprends que votre point de vue soit différent.
             
            Quant à savoir si la tradition dont je me réclame ne sera que « temporairement » minoritaire, je n’ai guère d’espoir de ce côté là. Contrairement à vous, je pense que la bataille n’est pas seulement politique et culturelle, elle est aussi démographique. Et les chiffres que je vois défiler d’année en année me confortent dans l’idée que le groupe ethnique qui occupait historiquement la terre de France est en train de décliner et de se diluer. Alors vous allez peut-être me rétorquer que « la population française diversifie son patrimoine génétique comme elle l’a toujours fait depuis le néolithique » mais je n’adhère pas à cette vision « positive » (et mensongère) des choses.
             
            [Les classes dominantes, tout en maintenant une idéologie qui diabolise la transmission, s’arrangent pour l’organiser à l’intention de leurs propres rejetons…]
            Oui, mais de plus en plus mal. Vous l’avez dit vous-même : la médiocrité ambiante commence à contaminer même les grandes écoles. Les classes dominantes sont prises au piège : à force de marteler le même discours, elles finiront par en subir les conséquences.
             
            [C’est sur ce « minimum » que nous ne sommes pas d’accord.]
            Vous m’avez parlé du peuple juif et de son étonnante capacité de survie. Vous ne pensez pas que l’identité juive s’appuie sur un substrat ethnico-religieux ?
             
            Je dois dire que j’ai toujours été fasciné par cette propension à refuser à la France ce qu’on admet assez aisément pour les autres : quasiment toutes les nations européennes se construisent à partir d’un substrat ethnico-religieux… Toutes, sauf la France. En France, on ne sait pas pourquoi, l’identité ethnico-religieuse ne doit pas exister. Les Français n’ont jamais été blancs, de type européen, de confession catholique (à une écrasante majorité). Non, tout cela n’existe pas. On a juste des gens de toutes les origines, de toutes les religions qui se sont retrouvés ici pour adhérer à une « idée ». En France, il n’y a pas de terre, de sang, d’ethnie ; il n’y a que des idées et des principes. C’est ça, l’idée qui est au fondement de la République, et que je récuse car elle nous mène à l’annihilation.
             
            [Oui, enfin, il y a quand même un tiers de la population égyptienne qui parle la langue des pharaons.]
            Je ne sais pas d’où vient cette information. A ma connaissance, l’arabe, seule langue officielle de l’Égypte, est la langue maternelle de tous les Égyptiens. Les chrétiens coptes (8 à 10 % de la population d’après les études) emploient le copte, qui en effet issu de la langue parlée à l’époque pharaonique, mais pour la liturgie seulement. Ce n’est certainement pas la langue utilisée au quotidien.
             
            [l’Égypte pharaonique est une société dont l’organisation, les croyances, les principes sont obsolètes.]
            Il devient chaque jour un peu plus évident qu’il en est de même pour l’organisation, les croyances, les principes de la société française « traditionnelle ». La preuve en est, même les natifs les abandonnent en masse, pour émigrer, pour se convertir (au bouddhisme, à l’islam ou à l’écologisme) voire pour s’assimiler à l’Autre. On ne peut qu’en déduire que le modèle de société « à la française » n’est pas adaptée à notre époque, il ne répond pas au besoin de la population. Sans quoi la population serait attachée à son modèle de société et le défendrait.
             
            Si parmi les nombreuses femmes voilées que je croise, certaines – pas la majorité, mais une minorité pas tout à fait négligeable – sont des Européennes converties, c’est bien qu’elles ont trouvé dans l’islam quelque chose qu’elles ne trouvaient pas dans l’identité française classique. Si dans les couples mixtes, les enfants portent presque systématiquement des prénoms arabes, c’est bien que l’identité islamique est vue comme plus valorisante que l’identité française. Il ne faut pas se raconter d’histoire.
             
            Moi je reste attaché à l’identité française « traditionnelle » parce que je suis « passéiste » comme vous l’avez relevé. Les gens qui ne le sont pas jettent cette identité aux orties.
             
            [Sinon, il faut admettre que c’est une civilisation morte.]
            C’est probablement le cas. Il faut à présent rebâtir autre chose, sur de nouvelles bases. Reconstruire un substrat ethnico-religieux plus homogène, pour pouvoir demain – peut-être – refaire nation.
             
            [Et finalement, j’aurai probablement plus de références communes, plus de choses à échanger avec celui qui aura été éduqué dans la lecture de Maurras et de Brasillach qu’avec celui qui n’aura lu que des écrivains superficiels.]
            Un lecteur de Maurras et de Brasillach risque de vous parler du substrat ethnico-religieux…
             
            [Nos échanges sont là pour le prouver : je doute que nos lectures de jeunesse aient été les mêmes…]
            C’est certain, car je lis très peu. Je veux dire que je passe l’essentiel de ma vie à grapiller des connaissances dans des encyclopédies et des articles, mais je ne lis quasiment pas de romans, encore moins d’ouvrages de philo.
             
            [C’est une vision trop complotiste pour moi. Je ne pense pas que dans la tête de Voltaire il y ait eu l’intention de favoriser l’essor du capitalisme.]
            Je me suis mal exprimé : je ne dis pas que la République a été conçue par un comité secret oeuvrant pour le capitalisme. Je dis que la République a été portée par une classe sociale qui avait intérêt au développement du capitalisme. J’en veux pour preuve que le républicanisme s’est progressivement débarrassé de ses éléments les plus radicaux : montagnards jacobins en partie éliminés en 1794, en butte à l’hostilité du Directoire entre 1795 et 1799, élimination des babouvistes, marginalisation des blanquistes au XIX° siècle, écrasement des communards en 1871, etc. En admettant même qu’elle ne le fût pas dès l’origine, vous ne pouvez nier que la République est devenue bourgeoise.
             
            En ce qui concerne Voltaire, que je n’aime pas je l’avoue, je serais moins catégorique que vous. Un certain matérialisme mesquin n’est pas absent chez lui, et il a longtemps cherché à faire partie de la haute société.
             
            [Seulement, la bourgeoisie montante a trouvé que cette idéologie allait dans le sens de ses intérêts, et elle l’a adoptée.]
            Je ne vous suis pas : la bourgeoisie a fait plus qu’adopter cette idéologie, elle l’a en partie produite. Encore une fois sans machiavélisme et sans cynisme, mais parce que cette idéologie était fonctionnelle à ses intérêts.
             
            [Vous avez questionné l’idée qu’un marxiste puisse souscrire à un texte qui fait de la propriété un droit « naturel et imprescriptible ». Cette question n’a de sens que si l’on suppose que les marxistes rejettent en bloc la propriété privée.]
            Non, simplement je postule que si les marxistes admettent le principe de propriété, ils n’en font pas nécessairement un droit fondamental, « naturel et imprescriptible ». La propriété peut aussi être un droit limité ou conditionné.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Vous vous trompez. Simplement, je regarde autour de moi, et je suis bien obligé de constater que, jusqu’à un certain point, c’est moi l’étranger, c’est moi « l’anomalie ».]

              Je pense que vous idéalisez un peu le passé. Depuis au moins deux cents ans au moins, tout le monde en France ou presque a été, jusqu’à un certain point, étranger. Pensez aux provinciaux arrivés à Paris, aux bourgeois qui, au service militaire, se voyaient plongés dans une communauté de gens en majorité ouvriers ou paysans. Le temps où chacun passait toute sa vie entouré de gens identiques à soi, si tant est qu’il ait existé, est fini depuis longtemps. Et ce n’est pas une mauvaise chose.

              [Ne croyez pas que j’éprouve un plaisir malsain à voir mourir une civilisation que je tiens pour l’une des plus belles et des plus riches du monde.]

              Je ne peux m’empêcher de penser que si vous ressassez ces pensées noires, si vous vous répétez que tout est foutu, si vous rejetez toute solution, toute lueur d’espoir même minime, c’est que vous retirez de cela quelque plaisir… ok, les 45 minutes sont passés, la séance est finie, ça fait 300 €. On se voit jeudi prochain ?

              [Cela étant dit, je m’adapte : s’il n’y a plus la nation, il reste la race et la religion. Sur ces bases, on refondera une identité, certes beaucoup moins ouverte et avenante que l’identité nationale, mais c’est aux gauchistes et aux écolo-bobos qu’il faudra en faire le reproche…]

              Je pense que vous donnez pour morte la nation un peu trop vite, mais c’est un point de désaccord que nous ne résoudrons pas. Cela étant dit, je pense que si la nation est morte, la religion l’est encore plus pour la même raison : l’approfondissement du capitalisme nécessite la destruction de toute référence collective qui constituerait un obstacle à la libre concurrence. Ne vous fiez pas au succès temporaire des extrémismes religieux ou communautaires : cela ne témoigne pas de la bonne santé de ces structures, mais de la menace mortelle qu’elles perçoivent. Comme le catholicisme à la fin du XIXème et au début du XXème, l’Islam essaye de faire reculer la sécularisation. Il n’y arrivera pas.

              Quant à la race, désolé de vous décevoir, mais c’est un concept fort peu opérant, surtout dans un pays comme le nôtre, qui fut depuis des siècles ouvert au monde. Je ne pense pas que vous arriviez à trouver une population ethniquement homogène sauf dans des régions réculées, dont le poids démographique et économique est minime.

              [« Les idées ne meurent pas, elles vivent tant qu’il y a des gens pour les défendre. » Vous croyez ? Au début du XX° siècle, l’Action Française défendait l’idée monarchique. On ne peut pas dire que ça ait permis à la monarchie de revenir…]

              Non, mais l’idée vit toujours, et la question de l’intérêt d’un symbole d’unité nationale dont le mode de désignation le mettrait à l’abri de toute querelle politique revient régulièrement. Par ailleurs, les Français gardent une certaine fascination pour ce type de régime – on l’a bien vu lors de la mort d’Elizabeth II. On ne peut pas dire que le monarchisme soit mort en France, même s’il est très minoritaire. Il est d’ailleurs minoritaire par la faute des monarchistes eux-mêmes, qui n’ont pas réussi à séparer dans l’idée monarchique ce qu’elle pourrait avoir de moderne des éléments qui de toute évidence sont obsolètes. La monarchie absolue fondée sur une aristocratie féodale ne reviendra pas, et c’est très bien ainsi !

              [Vous avez fort bien résumé les choses, et je vous en remercie. Mais je ne sais pas si vous pouvez mesurer à quel point il est douloureux de se réveiller un jour et de se sentir étranger, là même où vos ancêtres ont vécu depuis des siècles, à quel point il est désespérant de s’apercevoir que des choses qu’on tenait pour évidentes ne le sont plus.]

              Probablement pas, du moins « charnellement », parce que je n’ai jamais été dans cette situation. Le monde où « mes ancêtres ont vécu pendant des siècles » a été effacé beaucoup plus radicalement que celui des vôtres, par les effets combinés des pogroms de la période tsariste, par l’émigration, puis de la deuxième guerre mondiale. Et les émigrations successives ont fait que mes ancêtres les plus proches n’ont depuis trois générations pas vécu là où ils étaient nés. Nos expériences familiales ne sont donc pas du tout les mêmes.

              Mais je peux sentir cette douleur d’une manière différente. Etranger dans ce pays, je me suis assimilé à une société qui me paraissait profondément aimable jusque dans ses défauts. Ce qui est douloureux pur moi, c’est moins de « se sentir étranger » mais de penser que ce pays qui m’a tant attiré se délite, et que d’autres ne pourront bénéficier de la même chance que moi.

              [« Les classes dominantes, tout en maintenant une idéologie qui diabolise la transmission, s’arrangent pour l’organiser à l’intention de leurs propres rejetons… » Oui, mais de plus en plus mal. Vous l’avez dit vous-même : la médiocrité ambiante commence à contaminer même les grandes écoles. Les classes dominantes sont prises au piège : à force de marteler le même discours, elles finiront par en subir les conséquences.]

              Tout à fait. Plus cette transmission se fait dans une petite « communauté », et plus son coût est élevé. A terme, seule une partie toute petite de la société pourra se la payer.

              [« C’est sur ce « minimum » que nous ne sommes pas d’accord. » Vous m’avez parlé du peuple juif et de son étonnante capacité de survie. Vous ne pensez pas que l’identité juive s’appuie sur un substrat ethnico-religieux ?]

              Non, je ne le pense pas. Les juifs ne représentent pas une « ethnie » au sens génétique du terme. C’est particulièrement vrai pour les juifs ashkénazes, qui se sont très largement assimilés chaque fois qu’ils l’ont pu, se mariant souvent en dehors de leur communauté. Mon grand-père était blond aux yeux clairs, on l’aurait pris pour un russe plutôt que pour un juif. Par ailleurs, ils faisaient partie d’une communauté qui n’avait plus aucune pratique religieuse : mes parents ne se sont pas mariés religieusement, et n’ont pas circoncis leurs enfants mâles.

              [Je dois dire que j’ai toujours été fasciné par cette propension à refuser à la France ce qu’on admet assez aisément pour les autres : quasiment toutes les nations européennes se construisent à partir d’un substrat ethnico-religieux… Toutes, sauf la France. En France, on ne sait pas pourquoi, l’identité ethnico-religieuse ne doit pas exister.]

              Cela ne me paraît pas évident. Quel est le « substrat ethnico-religieux du Royaume-Uni, par exemple ?

              [Les Français n’ont jamais été blancs, de type européen, de confession catholique (à une écrasante majorité). Non, tout cela n’existe pas. On a juste des gens de toutes les origines, de toutes les religions qui se sont retrouvés ici pour adhérer à une « idée ». En France, il n’y a pas de terre, de sang, d’ethnie ; il n’y a que des idées et des principes. C’est ça, l’idée qui est au fondement de la République, et que je récuse car elle nous mène à l’annihilation.]

              Je suis désolé, mais vous retrouvez un peu ce même type de raisonnement au Royaume-Uni. Essayez en Grande Bretagne de dire que la nation britannique est d’abord blanche, et vous verrez ce qui vous arrive…

              L’approche ethno-religieuse à laquelle vous faites référence n’existe que dans des nations qui se sont construites en dehors d’un Etat. C’est le cas de l’Allemagne ou de l’Italie, ou l’ethnie ou la religion sont les facteurs essentiels de l’unité. Mais la France ou la Grande-Bretagne sont dès le départ des ensembles trop hétérogènes pour cela.

              [« l’Égypte pharaonique est une société dont l’organisation, les croyances, les principes sont obsolètes. » Il devient chaque jour un peu plus évident qu’il en est de même pour l’organisation, les croyances, les principes de la société française « traditionnelle ». La preuve en est, même les natifs les abandonnent en masse, pour émigrer, pour se convertir (au bouddhisme, à l’islam ou à l’écologisme) voire pour s’assimiler à l’Autre. On ne peut qu’en déduire que le modèle de société « à la française » n’est pas adaptée à notre époque, il ne répond pas au besoin de la population. Sans quoi la population serait attachée à son modèle de société et le défendrait.]

              Oui. Mais comme je vous l’ai dit, je ne pense pas que le capitalisme mondialisé soit la fin de l’histoire. Et je pense que les valeurs, les principes, les croyances, la sociabilité à la française ont encore un bel avenir devant eux… Je ne serais d’ailleurs pas aussi pessimiste que vous quant à leur abandon « en masse » par les natifs. Dans les couches populaires, ils sont encore largement dominantes.

              [Si parmi les nombreuses femmes voilées que je croise, certaines – pas la majorité, mais une minorité pas tout à fait négligeable – sont des Européennes converties, c’est bien qu’elles ont trouvé dans l’islam quelque chose qu’elles ne trouvaient pas dans l’identité française classique.]

              Je pense que vous négligez le rôle que peut jouer une idéologie dominante. Lorsque l’idéologie dominante dévalorise l’identité française « classique », il n’est pas étonnant que cette dévalorisation amène les gens à se trouver une identité de substitution, indépendamment du fait de trouver ou pas ce qu’elles cherchent.

              [« Et finalement, j’aurai probablement plus de références communes, plus de choses à échanger avec celui qui aura été éduqué dans la lecture de Maurras et de Brasillach qu’avec celui qui n’aura lu que des écrivains superficiels. » Un lecteur de Maurras et de Brasillach risque de vous parler du substrat ethnico-religieux…]

              Possible, et je ne serai pas d’accord avec lui. Mais je ne négligerai pas ses arguments pour autant.

              [« Seulement, la bourgeoisie montante a trouvé que cette idéologie allait dans le sens de ses intérêts, et elle l’a adoptée. » Je ne vous suis pas : la bourgeoisie a fait plus qu’adopter cette idéologie, elle l’a en partie produite.]

              Oui, mais seulement en partie, dans une dialectique complexe. Faire de l’idéologie des Lumières une idéologie purement bourgeoise me paraît très excessif. On le voit d’ailleurs aujourd’hui, dans le combat que mène le bloc dominant pour faire oublier les Lumières…

              [« Vous avez questionné l’idée qu’un marxiste puisse souscrire à un texte qui fait de la propriété un droit « naturel et imprescriptible ». Cette question n’a de sens que si l’on suppose que les marxistes rejettent en bloc la propriété privée. » Non, simplement je postule que si les marxistes admettent le principe de propriété, ils n’en font pas nécessairement un droit fondamental, « naturel et imprescriptible ». La propriété peut aussi être un droit limité ou conditionné.]

              Pour un marxiste, il n’y a pas en effet de « droits naturels et imprescriptibles », puisque les droits ne sont assurés que dans la mesure où ils correspondent à un rapport de forces entre classes sociales. Cela n’implique nullement qu’un marxiste soit par définition contre le droit de propriété. Le droit de propriété a une fonction économique. Dans une société où la propriété n’est pas garantie, il ne peut y avoir d’accumulation et d’investissement. Pour un marxiste, l’apparition de la propriété privée est donc un grand progrès des sociétés humaines…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
               
              [Depuis au moins deux cents ans au moins, tout le monde en France ou presque a été, jusqu’à un certain point, étranger. Pensez aux provinciaux arrivés à Paris, aux bourgeois qui, au service militaire, se voyaient plongés dans une communauté de gens en majorité ouvriers ou paysans.]
              Cela n’a rien à voir. Toute société complexe, tout état un tant soit peu étendu dispose d’une certaine diversité géographique et sociologique. C’est vrai de la France comme de l’Empire d’Akkad il y a quatre mille ans…
               
              Mais, en France, à partir de la fin du Moyen Âge, sous l’impulsion du pouvoir monarchique, il y a un véritable mouvement qui tend à l’unification politique et à l’homogénéisation culturelle des populations. Et cela est aussi permis par la fin des mouvements migratoires du haut Moyen Âge qui ont largement contribué à « régionaliser » l’ancienne Gaule romaine. La continuité de peuplement constitue un puissant facteur de stabilité. La construction de la nation en France commence justement, et ce n’est pas un hasard, après la phase de troubles et d’invasions qui avait affaibli l’État central et mis fin à la relative unité culturelle de l’époque romaine. Grâce à une longue période de stabilité ethnico-culturelle, la France a pu se constituer en nation, et absorber d’importants apports migratoires de la fin du XIX° jusqu’au milieu du XX° siècle. Mais ensuite – et contrairement à vous, je pense que ce n’est pas uniquement le produit des mutations économiques et sociales liées à l’approfondissement du capitalisme – le modèle s’est essoufflé parce que le nombre et la diversité des immigrés, ainsi que le fossé culturel plus important entre ces derniers et les natifs, rendaient l’assimilation plus difficile et plus coûteuse. Le discours de « haine de soi » de nos élites a fait le reste.
               
              [Je ne peux m’empêcher de penser que si vous ressassez ces pensées noires, si vous vous répétez que tout est foutu, si vous rejetez toute solution, toute lueur d’espoir même minime, c’est que vous retirez de cela quelque plaisir… ok, les 45 minutes sont passés, la séance est finie, ça fait 300 €.  ]
              Ah ! Félicitations ! Vous m’avez percé à jour, cher ami. Oui, je le confesse, chaque mercredi à 15h précise, je frissonne de plaisir sous les coups de cravache d’un grand noir qui, en me fouettant, me murmure à l’oreille avec son accent caractéristique : « Alors, hein, t’aimes ça que je te grand-remplace, sale blanc ? ». Décidément, vous êtes très fort. A quel nom le chèque ?
               
              Mais outre le plaisir, cette mélancolie feinte, ce désespoir simulé cachent certainement une fonction qui correspond à mes intérêts de classe, non ? Allez, épatez-moi, Maestro.
               
              [Ne vous fiez pas au succès temporaire des extrémismes religieux ou communautaires : cela ne témoigne pas de la bonne santé de ces structures, mais de la menace mortelle qu’elles perçoivent. Comme le catholicisme à la fin du XIXème et au début du XXème, l’Islam essaye de faire reculer la sécularisation. Il n’y arrivera pas.]
              « En somme, docteur, je meurs guéri »…
               
              Je me permets quand même de vous signaler que, pour le moment en tout cas, toutes les tentatives de modernisation et de démocratisation dans le monde arabo-musulman se sont soldés par des fiascos lamentables… Même les états « laïcs » (Turquie, Tunisie, Syrie) ont à un moment ou un autre cédé à une forme de réislamisation. Vous sous-estimez l’islam, notamment parce qu’il propose une société alternative à celle de l’individualisme consumériste. Et parce qu’il a une vocation universelle. Mais sans se focaliser sur l’islam, on ne peut que constater que la Chine et l’Inde, si elles prennent ce qui leur est utile dans le modèle occidental, n’entendent pas laisser le capitalisme approfondi leur dicter leur modèle de société.
               
              [Quant à la race, désolé de vous décevoir, mais c’est un concept fort peu opérant, surtout dans un pays comme le nôtre, qui fut depuis des siècles ouvert au monde.]
              Je vous prie de m’excuser. Vérification faite, des Subsahariens sont signalés par des textes dans le territoire qui constitue aujourd’hui la Seine-Saint-Denis, depuis au moins le XII° siècle, où déjà, hélas, ils étaient victimes de discrimination. A Bordeaux, à Toulouse, à Lyon, des communautés maghrébines prospères sont connus dès le milieu du XIV° siècle. Quant aux Chinois d’Alsace (une Terre d’Empire à l’époque, précisons-le), leur présence est parfaitement documentée depuis le XVI° siècle et l’édit de Charles Quint leur accordant certaines exemptions fiscales. Où avais-je la tête ?
               
              Soyons sérieux : l’ouverture dont vous parlez s’est limitée jusqu’au milieu du XIX° siècle à envoyer des marins et des soldats dans le reste de l’Europe et du monde, et à accueillir quelques artistes et des mercenaires quand le besoin s’en faisait sentir. Mais il y a une différence entre la diversité inhérente à un pays d’une certaine taille et la société multiraciale « mondialisée » qui s’édifie sous nos yeux.
               
              [Par ailleurs, ils faisaient partie d’une communauté qui n’avait plus aucune pratique religieuse : mes parents ne se sont pas mariés religieusement, et n’ont pas circoncis leurs enfants mâles.]
              Et pourtant ils sont restés fidèles à une forme de pratique endogamique… Comment croyez-vous qu’une communauté survit et maintient sa spécificité ? En transmettant… et en évitant le mélange.
               
              [Quel est le « substrat ethnico-religieux du Royaume-Uni, par exemple ?]
              D’abord, le Royaume-Uni réunit plusieurs « nations ». Ensuite, chacune de ces nations se réclame en effet d’un substrat ethnico-religieux : celtique en Écosse (laquelle possède sa propre Eglise, presbytérienne et d’obédience calviniste si ma mémoire ne me trompe pas) ainsi qu’au Pays de Galles, germanique en Angleterre proprement dite, avec l’Église d’Angleterre, Église nationale depuis le XVI° siècle.
               
              [Essayez en Grande Bretagne de dire que la nation britannique est d’abord blanche, et vous verrez ce qui vous arrive…]
              Je ne connais pas de « nation britannique ». Il y a une citoyenneté britannique, mais le Royaume-Uni possède une société très ethnicisée où le communautarisme ethnico-religieux est pour ainsi dire la règle. Je ne doute pas un instant que les Anglais « de souche » se considèrent comme blancs.
               
              [Mais la France ou la Grande-Bretagne sont dès le départ des ensembles trop hétérogènes pour cela.]
              La France n’est pas « plus hétérogène » que l’Italie, qui a d’ailleurs un peu la même histoire démographique avec d’importants apports extérieurs à la fin de l’Antiquité et durant le Haut Moyen Âge. Sauf que là, un État central n’a pas pu se recréer avant la fin du XIX° siècle.
               
              [Dans les couches populaires, ils sont encore largement dominantes.]
              Par chez vous, peut-être. Par chez moi, les « couches populaires » font majoritairement le ramadan…
               
              [Faire de l’idéologie des Lumières une idéologie purement bourgeoise me paraît très excessif. On le voit d’ailleurs aujourd’hui, dans le combat que mène le bloc dominant pour faire oublier les Lumières…]
              Ce n’est en aucun cas une preuve : la bourgeoisie peut fort bien avoir produit et diffusé les Lumières parce que les Lumières correspondaient à ses aspirations du moment en encourageant la destruction du carcan social et politique de l’Ancien Régime et en faisant la promotion de la science et de la raison. A présent que les Lumières ont rempli leur rôle et que certains aspects gênent le capitalisme contemporain, la bourgeoisie produit une nouvelle idéologie. On pourrait même noter que ce n’est peut-être pas tout à fait la même bourgeoisie et qu’il y a eu une recomposition au sein de cette classe depuis l’époque industrielle, une bourgeoisie de financiers et de spéculateurs ayant remplacé une bourgeoisie d’innovateurs et de capitaines d’industrie.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Mais, en France, à partir de la fin du Moyen Âge, sous l’impulsion du pouvoir monarchique, il y a un véritable mouvement qui tend à l’unification politique et à l’homogénéisation culturelle des populations.]

              Des élites, probablement. Des populations… c’est déjà plus douteux. D’une campagne à l’autre, on ne parlait pas la même langue, on n’utilisait pas les mêmes mesures, on ne racontait pas les mêmes histoires et on n’avait pas les mêmes rapports avec son seigneur. Et même si le catholicisme était ultra-majoritaire, on ne le pratiquait pas de la même manière en Bretagne et en Provence. Il faut attendre l’assimilation intérieure commencée sous la Révolution et l’Empire et achevée sous la IIIème République pour qu’il y ait une véritable homogénéité. Vous noterez d’ailleurs que l’on continue à appeler les régions « nations » pendant très longtemps…

              [Je me permets quand même de vous signaler que, pour le moment en tout cas, toutes les tentatives de modernisation et de démocratisation dans le monde arabo-musulman se sont soldés par des fiascos lamentables…]

              Qu’est-ce que la « démocratie » vient faire là-dedans ? Je vous parle de capitalisme, pas de « démocratie ». Et de ce point de vue, on voit reculer jour après jour les interdits islamiques. Dans beaucoup d’états musulmans, on continue à voiler les femmes, mais cela ne les empêche pas de rentrer de plus en plus sur le marché du travail. On condamne à la mosquée le prêt à intérêt, mais cela n’empêche pas – en y mettant les formes – une financiarisation croissante de ces économies. Les rapports de marché remplacent progressivement les logiques féodales, et la société de consommation met à mal les anciennes hiérarchies. Et là, aucun « fiasco » : aucun pays musulman n’a abandonné le libre marché une fois qu’il l’a adopté…

              [Même les états « laïcs » (Turquie, Tunisie, Syrie) ont à un moment ou un autre cédé à une forme de réislamisation.]

              C’est bien ce que je dis : la « réislamisation » des rapports sociétaux est la réaction naturelle à la « désislamisation » des rapports économiques. Un peu comme la « rechristianisation » de la fin du XIXème et du début du XXème était la réaction à un mouvement de sécularisation des rapports sociaux.

              [Vous sous-estimez l’islam, notamment parce qu’il propose une société alternative à celle de l’individualisme consumériste. Et parce qu’il a une vocation universelle. Mais sans se focaliser sur l’islam, on ne peut que constater que la Chine et l’Inde, si elles prennent ce qui leur est utile dans le modèle occidental, n’entendent pas laisser le capitalisme approfondi leur dicter leur modèle de société.]

              Y arriveront-elles ? Personnellement, j’en doute.

              [« Quant à la race, désolé de vous décevoir, mais c’est un concept fort peu opérant, surtout dans un pays comme le nôtre, qui fut depuis des siècles ouvert au monde. » Je vous prie de m’excuser. Vérification faite, des Subsahariens sont signalés par des textes dans le territoire qui constitue aujourd’hui la Seine-Saint-Denis, depuis au moins le XII° siècle, où déjà, hélas, ils étaient victimes de discrimination. A Bordeaux, à Toulouse, à Lyon, des communautés maghrébines prospères sont connus dès le milieu du XIV° siècle. Quant aux Chinois d’Alsace (une Terre d’Empire à l’époque, précisons-le), leur présence est parfaitement documentée depuis le XVI° siècle et l’édit de Charles Quint leur accordant certaines exemptions fiscales. Où avais-je la tête ?]

              J’aurais envie de vous répondre comme on le faisait au moyen-âge, mais ce serait grossier. Vous avez tort d’ironiser. Je ne sais pas s’il y avait des « communautés maghrébines à Bordeaux, Toulouse ou Lyon », mais il y avait bien de telles communautés à Narbonne ou à Marseille. Seulement à l’époque on disait « maures » et non « maghrébins ». C’était d’ailleurs vrai pour l’ensemble du pourtour méditerranéen, ou malgré les conflits politiques le commerce avec le monde musulman était florissant. En Alsace, il n’y avait pas de chinois mais beaucoup de juifs, là encore une ethnie séparée selon vos critères.

              [Soyons sérieux : l’ouverture dont vous parlez s’est limitée jusqu’au milieu du XIX° siècle à envoyer des marins et des soldats dans le reste de l’Europe et du monde, et à accueillir quelques artistes et des mercenaires quand le besoin s’en faisait sentir. Mais il y a une différence entre la diversité inhérente à un pays d’une certaine taille et la société multiraciale « mondialisée » qui s’édifie sous nos yeux.]

              L’ouverture en question allait à mon sens un peu plus loin que vous ne le dites. On faisait venir des mercenaires pour nos armées, qui finissaient par s’installer sur nos terres. On accueillait des commerçants et des artisans venus d’ailleurs et même de très loin – juifs levantins, par exemple, installés par les papes d’Avignon autour de Carpentras dès le bas moyen-âge. Bien sûr, ce n’est pas sur la même échelle que les flux dans une société « mondialisée ». Mais suffisants pour remettre en question l’idée d’une « homogénéité raciale » de la France.

              [« Par ailleurs, ils faisaient partie d’une communauté qui n’avait plus aucune pratique religieuse : mes parents ne se sont pas mariés religieusement, et n’ont pas circoncis leurs enfants mâles. » Et pourtant ils sont restés fidèles à une forme de pratique endogamique… Comment croyez-vous qu’une communauté survit et maintient sa spécificité ? En transmettant… et en évitant le mélange.]

              Peut-être, mais certainement pas sur une base « ethno-religieuse ».

              [« Quel est le « substrat ethnico-religieux du Royaume-Uni », par exemple ? » D’abord, le Royaume-Uni réunit plusieurs « nations ».]

              Vous ne répondez pas à la question. Le Royaume-Uni est lui-même une « nation ». Quel serait son « substrat ethnico-religieux » ?

              [« Mais la France ou la Grande-Bretagne sont dès le départ des ensembles trop hétérogènes pour cela. » La France n’est pas « plus hétérogène » que l’Italie,]

              Bien sur que si. Pour ne donner qu’un exemple : au XIXème siècle, de très nombreux locuteurs utilisent couramment France des dialectes qui ne sont pas romans (le breton, le basque…). Je ne connais pas de cas équivalent en Italie. L’Italie est politiquement divisée, mais beaucoup plus uniforme du point de vue du droit, par exemple, du fait du poids de l’église.

              [qui a d’ailleurs un peu la même histoire démographique avec d’importants apports extérieurs à la fin de l’Antiquité et durant le Haut Moyen Âge.]

              Sauf que les « apports » en question sont chez nous beaucoup plus variés, la France étant à la fois ouverte vers le monde méditerranéen et le monde nordique.

              [« Dans les couches populaires, ils sont encore largement dominantes. » Par chez vous, peut-être. Par chez moi, les « couches populaires » font majoritairement le ramadan…]

              Je parlais dans l’ensemble du pays. Les situations locales sont, je vous l’accorde, plus complexes du fait de la concentration des « communautés ».

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
               
              [Des élites, probablement. Des populations… c’est déjà plus douteux.]
              Oui, enfin vous savez, les élites ne vivent pas complètement coupées du monde. Il y a une dialectique entre dominants et dominés, je ne vous apprends rien. La culture commune s’élabore au sein des élites et se diffuse ensuite dans le reste du corps social. Cela a bien été étudié pour les phénomènes de romanisation par exemple. Mais je vous accorde volontiers que le mouvement s’accélère avec la Révolution et s’achève avec la III° République. Faut-il pour autant nier que le processus avait commencé avant et avait atteint un stade avancé dans un large Bassin parisien et un peu au-delà ?
               
              [D’une campagne à l’autre, on ne parlait pas la même langue, on n’utilisait pas les mêmes mesures, on ne racontait pas les mêmes histoires et on n’avait pas les mêmes rapports avec son seigneur.]
              Je suis en désaccord total avec cette vision. Certes, il y avait une pluralité de dialectes et des différences régionales qu’il serait malhonnête de nier. Mais, hormis en quelques régions très spécifiques (Basse Bretagne, Flandre flamingante), il y avait aussi un vieux fond commun qu’on a tendance à effacer un peu vite. Pendant cinq cents ans, l’intégralité de ce qui va devenir le territoire français a été romain, est progressivement passé à la langue latine, s’est approprié le droit romain et a été christianisé durant les deux derniers siècles de l’empire. Jeter cette matrice commune aux orties, c’est ne rien comprendre à la France, d’autant que cette matrice, la royauté franque a cherché à la récupérer dès Clovis.
               
              Même au Moyen Âge, bien qu’il y ait des nuances régionales, le système féodal n’est pas si différent d’une région à une autre, d’autant que les réseaux d’abbayes comme celui de Cluny tendent à diffuser certains modèles de contrôle et d’exploitation de la terre. On le voit aussi dans l’architecture : dès le XIII° siècle, l’art gothique, issu du Bassin parisien, pénètre dans le Midi de la France. Il ne faut pas nier les spécificités régionales. Il ne faut pas non plus les exagérer : dès le XIII° siècle se constitue une haute aristocratie dont l’horizon embrasse le royaume, et les baillis et les sénéchaux entament un patient travail d’unification administrative et juridique. Un mouvement d’ailleurs accompagné plus qu’on ne l’a dit par les grands princes : au XV° siècle, les ducs de Bretagne, de Bourgogne et de Bourbon utilisent le français comme langue de chancellerie, et l’organisation de leurs principautés n’est pas si différente de celle du domaine royal.
               
              On touche je pense au fond du problème. Votre vision se fonde sur un postulat que je résumerai ainsi : « Certains s’effraient et font tout un fromage de la diversité que connaît aujourd’hui la France, en s’imaginant qu’elle est insurmontable. Mais la France a déjà été confrontée dans le passé à une large diversité ethnique, culturelle, religieuse, qu’elle a dépassée grâce à l’assimilation. Et finalement, la France d’aujourd’hui n’est pas beaucoup plus diverse que pouvait l’être la France du XIII° siècle. Donc avec l’assimilation, le fond du problème sera réglé. »
              Personnellement, je trouve ce postulat peut-être commode, mais très contestable. J’ai parlé de la « matrice commune » à l’écrasante majorité des populations autochtones. Il y a d’autres différences, par exemple la gestion de la diversité. Dans le cadre d’une diversité régionale, le problème de la cohabitation se pose beaucoup moins : la plupart des Bretons vivaient avec des Bretons, des Auvergnats avec des Auvergnats, etc. Finalement c’est surtout à Paris au XIX° siècle que ces différentes « communautés » se sont retrouvés confrontées les unes aux autres, avec déjà quelques siècles d’histoire commune (et l’usine comme point de ralliement). Aujourd’hui, la diversité doit se gérer dans chaque ville un tant soit peu importante, les différences sautent aux yeux, les communautés s’enchevêtrent spatialement, alimentant tensions et replis identitaires. Enfin, une identité régionale est avant tout une identité topique, c’est-à-dire attachée à un lieu, à un environnement géographique. On est Auvergnat en Auvergne, mais une fois qu’on a quitté l’Auvergne, l’identité auvergnate n’a plus grand sens. On est « d’origine auvergnate » à la limite. Les régionalistes ancrent leur combat dans des lieux symboliques qu’on ne peut pas (ou très rarement) déplacer. L’islam – voire d’autres identités d’ordre ethnique ou religieux – a cette particularité de fournir une identité à des déracinés. Vous pouvez quitter le Maghreb ou la Turquie, venir vivre en France et continuer à être musulman et, jusqu’à un certain point, à vivre en musulman. Vous ne pouvez pas faire d’une ville du Berry une ville bretonne (ou ce sera très long et compliqué), puisqu’elle n’est pas en Bretagne. Mais n’importe quelle ville peut devenir musulmane : il suffit de bâtir une grande mosquée, de développer des commerces communautaires, de voiler les femmes, et le territoire s’islamise.
               
              [Dans beaucoup d’états musulmans, on continue à voiler les femmes, mais cela ne les empêche pas de rentrer de plus en plus sur le marché du travail.]
              Je ne sais pas. Je vous trouve bien affirmatif. Il me semble avoir lu un article il y a quelques temps sur la société égyptienne, soulignant un abaissement de l’âge du mariage couplé à une réduction du taux d’activité des femmes. Mais je n’ai pas la référence, donc je vous accorde le point.
               
              [J’aurais envie de vous répondre comme on le faisait au moyen-âge, mais ce serait grossier.]
              Et vous êtes un homme d’une impeccable courtoisie, une qualité dont je vous remercie une fois de plus. Si je vous ai contrarié, je vous prie de m’en excuser. Confidence pour confidence, je n’ai pas beaucoup apprécié votre blague sur la consultation chez le psy, que j’ai trouvée un brin méprisante. Maintenant, j’accepte d’être bousculé et d’être provoqué, d’être moqué même, mais il vous faut accepter qu’on vous rende la pareille… Après, si vous souhaitez mettre fin à nos échanges, dites-le moi sans ambage : un mot de vous et je prends congé.
               
              [Vous avez tort d’ironiser.]
              Vous avez tort de prendre mon ironie à la légère, car derrière, j’essaie de vous montrer que vous comparez ce qui n’est tout simplement pas comparable, comme on va le voir :
               
              [mais il y avait bien de telles communautés à Narbonne ou à Marseille.]
              Certes, mais les villes marchandes et portuaires sont des espaces spécifiques, des lieux d’échanges, avec presque toujours une dimension cosmopolite. Mais à Blois, à Tours, à Orléans, à Limoges, à Vierzon, à Bourges, ça m’étonnerait qu’au Moyen Âge les habitants aient croisé une musulmane voilée tous les 100 mètres. Il y avait des juifs à Blois, c’est vrai… que le comte Thibaud V envoie au bûcher en 1171, sous l’accusation de « crime rituel » (une des premières occurrences de ce type de persécution promis à un grand avenir), ce qui n’est pas une preuve d’ « ouverture », encore moins de bienveillance à l’égard de l’altérité, vous me l’accorderez.
              Ce que j’essaie de vous dire, c’est que la diversité, qui existait bel et bien au Moyen Âge, était une exception circonscrite à des espaces particuliers. Aujourd’hui, outre les métropoles qui sont déjà multiethniques, des communautés immigrées conséquentes se rencontrent dans la plupart des villes moyennes et de plus en plus dans des petites villes (Romorantin, Selles-sur-Cher, Mer pour parler de mon département).
               
              Je me dois aussi de vous mettre en garde : une certaine historiographie gagnée au « roman diversitaire » tend à surinterpréter les découvertes archéologiques et les témoignages. Comme le montre le pataquès autour de la découverte de quelques tombes sarrasines, à Narbonne je crois, datées des VII°-VIII° siècles si je me souviens bien. Oui, il y avait quelques Maghrébins et Levantins dans les ports méditerranéens du Midi, oui il y avait des juifs portugais à Bordeaux au XVIII° siècle, mais de là à en faire des composantes essentielles de la population, même à l’échelle locale, cela est discutable.
               
              [En Alsace, il n’y avait pas de chinois mais beaucoup de juifs, là encore une ethnie séparée selon vos critères.]
              Pardon, pas seulement selon « mes critères », mais selon les critères des sociétés européennes jusqu’à la Révolution française voire bien après. Ne me mettez pas sur le dos la ségrégation dont les juifs étaient l’objet aux époques médiévale et moderne !
               
              [L’ouverture en question allait à mon sens un peu plus loin que vous ne le dites.]
              Faudrait s’entendre sur ce que vous appelez « ouverture ». Cantonner des étrangers, juifs ou maures, dans des quartiers spécifiques, avec une activité économique particulière, je n’appelle pas ça de l’ « ouverture », excusez-moi. Quel pourcentage de paysans du royaume de France (l’écrasante majorité de la population) croisait régulièrement un Maure au XIII° siècle ? La réponse permettrait de mesurer le degré d’ « ouverture » de la société médiévale.
               
              Il y avait en Russie et en Autriche-Hongrie, vers 1900, des millions de juifs, mal vus des autres populations, parqués dans des quartiers spécifiques, victimes de pogroms (moins en Autriche-Hongrie paraît-il, où les Habsbourgs, d’épouvantables catholiques pourtant, semblent avoir fait le nécessaire pour assurer une relative sécurité aux communautés juives). Diriez-vous que ces sociétés étaient « ouvertes » ? Une société multiethnique ou multiconfessionnelle est-elle nécessairement « ouverte » d’ailleurs ? Je ne le pense pas.
               
              [Mais suffisants pour remettre en question l’idée d’une « homogénéité raciale » de la France.]
              Je ne le crois pas. Un historien a recensé récemment, si ma mémoire ne me trompe pas, 8 à 9 000 noirs (esclaves ou affranchis) qu’on peut repérer en France (métropolitaine) tout au long du XVIII° siècle. Pour une population de 22 à 25 millions d’habitants. Cet historien – et d’autres – souligne l’importance de cette « présence noire ». Il ne faut pas se moquer du monde.
               
              [Bien sûr, ce n’est pas sur la même échelle que les flux dans une société « mondialisée ». ]
              Pardon mais ça change sacrément la donne, quand même. Je ne vois d’ailleurs pas beaucoup de pays dans le monde qui ont réussi à constituer une société relativement homogène et unitaire avec une immigration massive venue des quatre coins du globe.
               
              [Peut-être, mais certainement pas sur une base « ethno-religieuse ».]
              Si vous me dites qu’être juif, ce n’est pas une religion, je veux bien. Si vous me dites qu’être juif, ce n’est pas une ethnie, je veux bien (même si je ne suis pas sûr que tous les juifs soient de cet avis). Mais alors, c’est quoi être juif pour vous ?
               
              [Le Royaume-Uni est lui-même une « nation ». Quel serait son « substrat ethnico-religieux » ?]
              A dominante celtique et germanique, avec des apports scandinaves (ces derniers étant d’ailleurs proches cousins des Saxons venus de Germanie) pour l’ethnie, et de religion majoritairement protestante (avec certes différents courants du protestantisme, allant de l’anglicanisme au calvinisme presbytérien). Quelque chose me dit que cette réponse ne vous satisfera pas…
               
              Cela étant dit, je persiste et signe : le Royaume-Uni n’est pas une nation, mais un regroupement de nations. De l’aveu même des autorités britanniques.
               
              [de très nombreux locuteurs utilisent couramment en France des dialectes qui ne sont pas romans (le breton, le basque…).]
              Très nombreux ? Certainement pas. 80 à 90 % des Français étaient de langue romane à la veille de la Révolution. Les Basques sont une poignée, les Flamands flamingants également (car il existe une Flandre francophone), la moitié des Bretons est de langue romane, avant même le rattachement officiel (toute la Haute Bretagne parle gallo, un dialecte d’oïl, dès la Moyen Âge). Restent effectivement les Alsaciens.
               
              [Je ne connais pas de cas équivalent en Italie.]
              Et les 370 000 germanophones du Trentin-Haut Adige ?
               
              [Sauf que les « apports » en question sont chez nous beaucoup plus variés, la France étant à la fois ouverte vers le monde méditerranéen et le monde nordique.]
              Je suis désolé mais vous vous trompez. Dès l’Antiquité on peut observer certaines similitudes : la Gaule est celtisée, comme le nord de l’Italie, de la Plaine du Pô aux Marches (les Romains parlaient de Gaule cisalpine) ; le sud de l’Italie est hellénisé au point d’être appelé « Grande Grèce » tandis que les Phocéens fondent Massalia au sud de la Gaule et hellénisent une importante portion du littoral provençal.
              A la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Âge, les Ostrogoths, les Hérules et les Lombards, peuples germaniques, qui s’installent en Italie valent bien les Francs, les Wisigoths et les Burgondes qui font de même en Gaule. Des Normands s’installent plus tard en Italie du Sud, descendants des Vikings eux-mêmes installés en Normandie française. L’influence byzantine se fait sentir jusqu’en plein Moyen Âge dans les Pouilles et en Calabre. Et l’émirat musulman de Sicile (existant de 831 à 1044 tout de même) vaut certainement largement autant que la poignée de marchands maures signalés à Narbonne…
              A la fin du Moyen Âge, ce sont des communautés albanaises qui essaiment dans toute l’Italie méridionale.
               
              Je dirais même que l’Italie, s’avançant au centre de la Méditerranée, est bien plus « ouverte » que le territoire français. Et malgré cela, les Italiens se considèrent comme un peuple ethniquement européen et de tradition catholique. Une ethnogenèse complexe n’exclut pas l’existence d’un substrat ethnico-religieux comme vous semblez le penser.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Des élites, probablement. Des populations… c’est déjà plus douteux. » Oui, enfin vous savez, les élites ne vivent pas complètement coupées du monde. Il y a une dialectique entre dominants et dominés, je ne vous apprends rien. La culture commune s’élabore au sein des élites et se diffuse ensuite dans le reste du corps social. Cela a bien été étudié pour les phénomènes de romanisation par exemple.]

              Oui, mais selon les époques cette diffusion est plus ou moins rapide. La société du moyen-âge, avec sa constitution par ordres, favorisait particulièrement peu les contacts entre les différents groupes et une homogénéisation. Même à l’intérieur des élites, les séparations étaient nombreuses. Ainsi, il y avait une langue pour les élites intellectuelles que les élites politiques ne comprenaient souvent pas.

              [Mais je vous accorde volontiers que le mouvement s’accélère avec la Révolution et s’achève avec la III° République. Faut-il pour autant nier que le processus avait commencé avant et avait atteint un stade avancé dans un large Bassin parisien et un peu au-delà ?]

              J’avoue que je n’ai pas beaucoup lu sur le sujet. Je crois me souvenir qu’en droit, les « coutumes » des différents pays de l’Ile de France n’étaient pas les mêmes, par exemple.

              [Mais, hormis en quelques régions très spécifiques (Basse Bretagne, Flandre flamingante), il y avait aussi un vieux fond commun qu’on a tendance à effacer un peu vite. Pendant cinq cents ans, l’intégralité de ce qui va devenir le territoire français a été romain, est progressivement passé à la langue latine, s’est approprié le droit romain et a été christianisé durant les deux derniers siècles de l’empire.]

              L’intégralité du territoire a été romain, mais pas tout à fait de la même manière. La romanité provençale était beaucoup plus « romaine » que la romanité des marches de l’empire, où les colons romains étaient moins nombreux et les élites étaient constitués d’un nombre plus élevé de « barbares ».

              [Jeter cette matrice commune aux orties, c’est ne rien comprendre à la France, d’autant que cette matrice, la royauté franque a cherché à la récupérer dès Clovis.]

              Mais cette « matrice commune » est aussi « commune » avec l’Italie, l’Espagne ou l’Angleterre.

              [Même au Moyen Âge, bien qu’il y ait des nuances régionales, le système féodal n’est pas si différent d’une région à une autre, d’autant que les réseaux d’abbayes comme celui de Cluny tendent à diffuser certains modèles de contrôle et d’exploitation de la terre. On le voit aussi dans l’architecture : dès le XIII° siècle, l’art gothique, issu du Bassin parisien, pénètre dans le Midi de la France. Il ne faut pas nier les spécificités régionales. Il ne faut pas non plus les exagérer : dès le XIII° siècle se constitue une haute aristocratie dont l’horizon embrasse le royaume, et les baillis et les sénéchaux entament un patient travail d’unification administrative et juridique.]

              Sauf que, là encore, cette « unification » n’est pas française, mais européenne. L’art gothique, on le trouve aussi en Allemagne et en Espagne. Tracer la constitution de la France à cette « unité » me paraît donc trompeur. Si vous voulez me montrer que la France commence à se constituer dès le moyen-âge, alors il faut trouver ce qui est SPECIFIQUE à cette construction par rapport aux pays voisins.

              [On touche je pense au fond du problème. Votre vision se fonde sur un postulat que je résumerai ainsi : « Certains s’effraient et font tout un fromage de la diversité que connaît aujourd’hui la France, en s’imaginant qu’elle est insurmontable. Mais la France a déjà été confrontée dans le passé à une large diversité ethnique, culturelle, religieuse, qu’elle a dépassée grâce à l’assimilation. Et finalement, la France d’aujourd’hui n’est pas beaucoup plus diverse que pouvait l’être la France du XIII° siècle. Donc avec l’assimilation, le fond du problème sera réglé. »]

              C’est, à quelques nuances près, ma position. Vous m’avez très bien compris.

              [Il y a d’autres différences, par exemple la gestion de la diversité. Dans le cadre d’une diversité régionale, le problème de la cohabitation se pose beaucoup moins : la plupart des Bretons vivaient avec des Bretons, des Auvergnats avec des Auvergnats, etc. Finalement c’est surtout à Paris au XIX° siècle que ces différentes « communautés » se sont retrouvés confrontées les unes aux autres, avec déjà quelques siècles d’histoire commune (et l’usine comme point de ralliement).]

              Et c’est bien pour cela que l’assimilation devient une politique prioritaire à la fin du XIXème siècle : l’urbanisation, le développement des transports, la guerre de masse oblige les gens d’origines différents à coexister dans les villes, dans les universités, dans les armées. S’il était acceptable jusque-là que chaque patelin parle sa langue, cela ne pouvait plus fonctionner.

              [Aujourd’hui, la diversité doit se gérer dans chaque ville un tant soit peu importante, les différences sautent aux yeux, les communautés s’enchevêtrent spatialement, alimentant tensions et replis identitaires.]

              Sauf lorsque la pression assimilatrice est importante.

              [Enfin, une identité régionale est avant tout une identité topique, c’est-à-dire attachée à un lieu, à un environnement géographique. On est Auvergnat en Auvergne, mais une fois qu’on a quitté l’Auvergne, l’identité auvergnate n’a plus grand sens. On est « d’origine auvergnate » à la limite.]

              Je ne le pense pas. Les communautés bretonnes à Paris continuent jusqu’au jour d’aujourd’hui à exalter la « bretonnitude » de gens qui n’ont été en Bretagne que pour leurs vacances. Mais je ne dis pas que les identités régionales et les identités religieuses fonctionnent de la même manière. Ce que je dis, c’est que le remède qui fonctionne pour les unes fonctionne pour les autres.

              [« Dans beaucoup d’états musulmans, on continue à voiler les femmes, mais cela ne les empêche pas de rentrer de plus en plus sur le marché du travail. » Je ne sais pas. Je vous trouve bien affirmatif. Il me semble avoir lu un article il y a quelques temps sur la société égyptienne, soulignant un abaissement de l’âge du mariage couplé à une réduction du taux d’activité des femmes. Mais je n’ai pas la référence, donc je vous accorde le point.]

              Je ne pense pas tant à l’Egypte – que je ne connais pas – qu’aux états de la péninsule arabique et du golfe persique – que je connais beaucoup mieux. Aux émirats arabes unis, par exemple on trouve de plus en plus de femmes dans l’administration et dans les entreprises, et pas dans des postes subalternes…

              [Et vous êtes un homme d’une impeccable courtoisie, une qualité dont je vous remercie une fois de plus. Si je vous ai contrarié, je vous prie de m’en excuser. Confidence pour confidence, je n’ai pas beaucoup apprécié votre blague sur la consultation chez le psy, que j’ai trouvé un brin méprisante.]

              Elle était surtout de l’auto-dérision, une manière de m’excuser de faire de la psychologie à deux balles avec vous… mais si vous l’avez ressenti comme méprisante, je vous présente mes plus plates excuses, ce n’était pas du tout mon intention.

              [Maintenant, j’accepte d’être bousculé et d’être provoqué, d’être moqué même, mais il vous faut accepter qu’on vous rende la pareille… Après, si vous souhaitez mettre fin à nos échanges, dites-le moi sans ambage : un mot de vous et je prends congé.]

              Mais je l’accepte, je l’accepte. Ma réaction a peut-être été vive, mais elle ne visait certainement pas à arrêter la discussion. Et je vous dis sans ambages : je ne souhaite certainement pas mettre fin à nos échanges qui, même si nous nous répétons un peu, me font toujours réflechir.

              [Je me dois aussi de vous mettre en garde : une certaine historiographie gagnée au « roman diversitaire » tend à surinterpréter les découvertes archéologiques et les témoignages. Comme le montre le pataquès autour de la découverte de quelques tombes sarrasines, à Narbonne je crois, datées des VII°-VIII° siècles si je me souviens bien. Oui, il y avait quelques Maghrébins et Levantins dans les ports méditerranéens du Midi, oui il y avait des juifs portugais à Bordeaux au XVIII° siècle, mais de là à en faire des composantes essentielles de la population, même à l’échelle locale, cela est discutable.]

              Je partage votre méfiance envers les biais idéologiques. La présence des étrangers n’avait pas le même sens au moyen-âge que de nos jours, notamment parce que la société médiévale était une société « communautariste ». Lorsque juifs ou sarrazins étaient autorisés à s’installer, c’était dans des zones bien précises et ils étaient soumis à une loi particulière. Par contre, ils pouvaient être très nombreux : ainsi les « juifs du Pape » de Carpentras représentaient une part importante de la population de la ville.

              [« L’ouverture en question allait à mon sens un peu plus loin que vous ne le dites. » Faudrait s’entendre sur ce que vous appelez « ouverture ». Cantonner des étrangers, juifs ou maures, dans des quartiers spécifiques, avec une activité économique particulière, je n’appelle pas ça de l’ « ouverture », excusez-moi.]

              C’est toujours plus « ouvert » que de ne pas les admettre. Je n’ai pas dit que c’étaient des sociétés ouvertes, j’ai dit qu’elles étaient plus ouvertes que vous ne le dites…

              [Quel pourcentage de paysans du royaume de France (l’écrasante majorité de la population) croisait régulièrement un Maure au XIII° siècle ? La réponse permettrait de mesurer le degré d’ « ouverture » de la société médiévale.]

              Un maure, je ne sais pas. Mais un juif…

              [Il y avait en Russie et en Autriche-Hongrie, vers 1900, des millions de juifs, mal vus des autres populations, parqués dans des quartiers spécifiques, victimes de pogroms (moins en Autriche-Hongrie paraît-il, où les Habsbourgs, d’épouvantables catholiques pourtant, semblent avoir fait le nécessaire pour assurer une relative sécurité aux communautés juives). Diriez-vous que ces sociétés étaient « ouvertes » ? Une société multiethnique ou multiconfessionnelle est-elle nécessairement « ouverte » d’ailleurs ? Je ne le pense pas.]

              J’ai l’impression qu’on ne met pas dans le mot « ouvert » la même signification. Dans ce contexte, l’ouverture est pour moi la capacité d’une société à intégrer dans son fonctionnement des groupes étrangers.

              [Mais suffisants pour remettre en question l’idée d’une « homogénéité raciale » de la France.]
              Je ne le crois pas. Un historien a recensé récemment, si ma mémoire ne me trompe pas, 8 à 9 000 noirs (esclaves ou affranchis) qu’on peut repérer en France (métropolitaine) tout au long du XVIII° siècle. Pour une population de 22 à 25 millions d’habitants. Cet historien – et d’autres – souligne l’importance de cette « présence noire ». Il ne faut pas se moquer du monde.]

              Mais les bretons (celtes) étaient bien plus nombreux…

              [« Bien sûr, ce n’est pas sur la même échelle que les flux dans une société « mondialisée ». » Pardon mais ça change sacrément la donne, quand même. Je ne vois d’ailleurs pas beaucoup de pays dans le monde qui ont réussi à constituer une société relativement homogène et unitaire avec une immigration massive venue des quatre coins du globe.]

              J’aurais tendance à vous dire « la France des années 1950 »…

              [« Peut-être, mais certainement pas sur une base « ethno-religieuse ». » Si vous me dites qu’être juif, ce n’est pas une religion, je veux bien. Si vous me dites qu’être juif, ce n’est pas une ethnie, je veux bien (même si je ne suis pas sûr que tous les juifs soient de cet avis). Mais alors, c’est quoi être juif pour vous ?]

              C’est une idée, une culture, une mémoire, une manière d’entrer en rapport avec le monde, une certaine vision du sacré. En France, la grande majorité de ceux qu’on considère comme « juifs » sont agnostiques et n’ont aucune pratique religieuse régulière. Parmi eux, la diversité des traits ethniques et énorme : non seulement entre séfarades et ashkénazes, mais à l’intérieur de ces deux groupes.

              [« Le Royaume-Uni est lui-même une « nation ». Quel serait son « substrat ethnico-religieux » ? » A dominante celtique et germanique, avec des apports scandinaves (ces derniers étant d’ailleurs proches cousins des Saxons venus de Germanie) pour l’ethnie, et de religion majoritairement protestante (avec certes différents courants du protestantisme, allant de l’anglicanisme au calvinisme presbytérien). Quelque chose me dit que cette réponse ne vous satisfera pas…]

              Elle me va très bien (à une erreur près : les catholiques représentent tout de même presque un tiers de la population du Royaume-Uni), parce qu’elle montre que le « substrat » en question n’est guère homogène.

              [« de très nombreux locuteurs utilisent couramment en France des dialectes qui ne sont pas romans (le breton, le basque…) » Très nombreux ? Certainement pas. 80 à 90 % des Français étaient de langue romane à la veille de la Révolution.]

              Autrement dit, les utilisateurs de dialectes non-romans étaient aussi nombreux que les arabophones en France aujourd’hui…

              [« Je ne connais pas de cas équivalent en Italie. » Et les 370 000 germanophones du Trentin-Haut Adige ?]

              Ils ne représentent pas de 10 à 20% de la population italienne, que je sache.

              [Je dirais même que l’Italie, s’avançant au centre de la Méditerranée, est bien plus « ouverte » que le territoire français. Et malgré cela, les Italiens se considèrent comme un peuple ethniquement européen et de tradition catholique. Une ethnogenèse complexe n’exclut pas l’existence d’un substrat ethnico-religieux comme vous semblez le penser.]

              Je l’impression que je n’ai pas compris ce que vous mettez sous le terme « substrat ethnico-religieux ». Si une « ethnogenèse complexe » peut permettre de le produire, pourquoi les maghrébins musulmans ne pourraient participer à « l’éthnogénèse » du « substrat ethnico-religieux » français ?

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
               
              [La société du moyen-âge, avec sa constitution par ordres, favorisait particulièrement peu les contacts entre les différents groupes et une homogénéisation. Même à l’intérieur des élites, les séparations étaient nombreuses. Ainsi, il y avait une langue pour les élites intellectuelles que les élites politiques ne comprenaient souvent pas.]
              C’est très vrai au début du Moyen Âge, mais cela s’atténue à partir du Moyen Âge central. Le retour en force du droit romain (notamment par le biais de l’enseignement prodigué à l’université de Bologne) et l’étatisation croissante obligent les élites laïques à mieux maîtriser le latin et le corpus juridique.
               
              [La romanité provençale était beaucoup plus « romaine » que la romanité des marches de l’empire, où les colons romains étaient moins nombreux et les élites étaient constitués d’un nombre plus élevé de « barbares ».]
              Je suis d’accord. Mais si on regarde une carte, on constate que les « marches » de la Gaule romaine correspondent pour l’essentiel à des régions qui justement ont été germanisées et ne font pas partie de la France : sud des Pays-Bas, Belgique flamande, toute la partie de l’Allemagne à l’ouest du Rhin. Restent l’Alsace et dans une moindre mesure la Lorraine (qui est quand même majoritairement de langue romane), la « marche occidentale » que constitue la Bretagne.
               
              [Mais cette « matrice commune » est aussi « commune » avec l’Italie, l’Espagne ou l’Angleterre.]
              Pour l’Italie, oui. C’est déjà plus discutable pour l’Espagne, à cause de la longue présence musulmane et du rôle de la Reconquista dans la construction du peuple espagnol (notamment son rapport particulier au catholicisme). Par contre, je ne suis pas d’accord pour l’Angleterre : les invasions anglo-saxonnes ont effacé une bonne partie de l’héritage romain, sur un territoire plus superficiellement romanisé que le continent.
              Cela montre d’ailleurs que les migrations ont un réel impact sur le profil ethnique et culturel d’une région, et ne doivent pas être considérées comme un phénomène négligeable : au IV° siècle, Trêves, résidence impériale, était une cité romaine prospère, sa région était très romanisée. La dépopulation et les ravages consécutifs à plusieurs sacs de la cité par les Francs rhénans ont complètement changé le profil démographique de la contrée : des Francs ont « remplacé » les Gallo-romains et les Germains romanisés auparavant majoritaires.
               
              [Sauf que, là encore, cette « unification » n’est pas française, mais européenne.]
              Nous sommes donc bien d’accord que la France participe d’une forme de civilisation européenne ? Ce n’est pas le cas des Maghrébins et des Subsahariens…
               
              [Si vous voulez me montrer que la France commence à se constituer dès le moyen-âge, alors il faut trouver ce qui est SPECIFIQUE à cette construction par rapport aux pays voisins]
              Le début d’un processus d’unification administrative et politique, qu’on ne trouve ni dans le Saint Empire (où le pouvoir central s’affaiblit au fur et à mesure du Moyen Âge), ni en Italie (où le fractionnement régional est la règle), ni même en Espagne (où les différents royaumes gardent leurs particularismes même à l’apogée de la monarchie espagnole sous Philippe II). Il n’y a guère que l’Angleterre (mais pas la Grande Bretagne dans son ensemble) qui connaisse un phénomène comparable, mais l’influence du droit romain y est moindre.
               
              [C’est, à quelques nuances près, ma position. Vous m’avez très bien compris.]
              Cette vision est généreuse, mais me paraît pécher par excès d’idéalisme. Elle fait fi de la complexité des sociétés humaines et de leur stratification historique.
               
              [Sauf lorsque la pression assimilatrice est importante.]
              Sauf qu’aujourd’hui, cette pression se heurte au manque de volonté de l’État et de la société. Il y a d’ailleurs une dialectique entre les deux : l’État ne fait rien parce que la société est réticente, la société se résigne parce que l’État ne fait rien. Comment sortir de cette spirale infernale ?
               
              [Mais je ne dis pas que les identités régionales et les identités religieuses fonctionnent de la même manière. Ce que je dis, c’est que le remède qui fonctionne pour les unes fonctionne pour les autres.]
              Eh bien j’en suis moins convaincu que vous. Je ne pense pas qu’on puisse traiter deux problèmes différents avec les mêmes instruments, d’autant que le contexte social, économique et géopolitique est très différent.
               
              [Et je vous dis sans ambages : je ne souhaite certainement pas mettre fin à nos échanges qui, même si nous nous répétons un peu, me font toujours réflechir.]
              Je vous remercie pour votre patience et votre bienveillance. Je conçois que nos échanges puissent parfois vous agacer. Mais si nous nous répétons parfois, je crois néanmoins que nous affinons également nos arguments.
              Le fond du problème est que des choses qui me semblent évidentes ne le sont manifestement pas pour vous, et je cherche à comprendre pourquoi (et peut-être en est-il de même de votre côté). Et puis, je vous le dis en toute mauvaise foi : c’est votre faute, cher ami, puisque vous refusez obstinément d’avoir tort! 😉
               
              Mais je me permets de vous poser une question : dans la mesure où vous êtes issu d’une communauté (je ne sais pas si le terme convient) qui, finalement, a intériorisé en quelque sorte les mécanismes (voire les avantages) de l’assimilation, et qui a su s’y adapter, ne pensez-vous pas que vous sous-estimez l’aspect violent de l’assimilation ?
              Je me mets à la place d’un immigré : si je devais quitter mon pays, aller m’installer ailleurs, et qu’on me demandait d’abandonner ma langue maternelle, qu’on me mettait la pression pour changer de prénom, voire de nom, pour modifier ma pratique religieuse (voire carrément changer de religion), je pense que je le vivrais très mal, surtout si je suis originaire d’un pays où ma culture est dominante.
              Vous allez me dire que, lorsqu’on émigre, on fait un choix et qu’il faut en assumer les conséquences. Mais quand cette émigration se fait sous la pression de la misère ou de l’insécurité, il n’est pas certain que les candidats au départ prennent le temps de mesurer ce qu’implique réellement l’installation durable (voire définitive) dans un pays de culture différente.
               
              [Un maure, je ne sais pas. Mais un juif…]
              Je m’interroge : en dehors des villes, les juifs sillonnaient-ils nombreux les campagnes pour offrir leurs services ? En toute franchise, je n’en sais rien. J’ai lu qu’en Champagne par exemple, il est dit que Rachi de Troyes au XI° siècle était rabbin et vigneron, ce qui tend à prouver qu’il possédait (ou louait) des terres dans la zone rurale proche de la ville. Faut-il en déduire que les juifs se rencontraient fréquemment dans les campagnes ? Je ne saurais le dire.
               
              [Dans ce contexte, l’ouverture est pour moi la capacité d’une société à intégrer dans son fonctionnement des groupes étrangers.]
              D’accord. Mais « intégrer dans son fonctionnement des groupes étrangers » et assimiler lesdits groupes, ce n’est pas exactement la même chose. Non pas que le Moyen Âge ait ignoré l’assimilation, mais pour les juifs justement, c’était souvent le baptême ou le cercueil… On en revient à la violence, parfois symbolique mais qui peut aller jusqu’à la violence physique, de l’assimilation. Je ne suis pas certain que notre société soit prête à assumer la violence, même symbolique. Je ne dis pas que la violence n’existe pas dans notre société, loin de là, mais elle tend soit à être niée (la violence économique), soit sur-condamnée (violence à l’encontre des « minorités »).
               
              [Mais les bretons (celtes) étaient bien plus nombreux…]
              Certes, mais lorsque les Bretons arrivent en Armorique au V° siècle, ils trouvent des Celtes romanisés, les Gallo-romains, qui sont leurs cousins. Les Bretons, moins romanisés, ne parlent pas le latin, c’est vrai, mais, sujets de Rome, ils ont cherché refuge sur le continent où d’ailleurs beaucoup d’entre eux servent comme soldats « romains ».
               
              [J’aurais tendance à vous dire « la France des années 1950 »…]
              Il faudrait regarder les chiffres, mais je pense que dans les années 50, la majorité des immigrés étaient encore des Européens. Et puis les ressortissants des colonies n’étaient pas tout à fait des étrangers. Ils le sont devenus avec les indépendances…
               
              J’en reviens d’ailleurs à la distinction que j’ai déjà proposée : jusqu’à la décolonisation, la France offre un modèle mixte, mi-national, mi-impérial, ce qui permet d’intégrer la diversité ethnique et religieuse puisque la France se pense comme un empire de dimension mondiale. Mais avec la fin des colonies, la dimension « impériale » de la France s’étiole, et le modèle n’est plus tout à fait le même. On ne peut pas raisonner comme si le pays était encore à la tête du 2ème plus vaste empire colonial du monde.
               
              [C’est une idée, une culture, une mémoire, une manière d’entrer en rapport avec le monde, une certaine vision du sacré.]
              Mais l’identité française et l’identité juive sont-elles comparables ?
               
              [Autrement dit, les utilisateurs de dialectes non-romans étaient aussi nombreux que les arabophones en France aujourd’hui…]
              Mais si vous y ajoutez les turcophones, les albanophones, les locuteurs des langues subsahariennes,…
               
              [Je l’impression que je n’ai pas compris ce que vous mettez sous le terme « substrat ethnico-religieux ». Si une « ethnogenèse complexe » peut permettre de le produire, pourquoi les maghrébins musulmans ne pourraient participer à « l’éthnogénèse » du « substrat ethnico-religieux » français ?]
              Prenons un peuple qu’on nommera D. Imaginons que ce peuple soit le résultat du brassage, de la fusion entre trois groupes ethnico-culturels distincts à l’origine, appelés A, B et C. Il n’y a pas, le plus souvent, d’équivalence entre ces trois groupes. Par exemple, le groupe A est le plus nombreux ou le plus dynamique en terme de production culturelle, et il est à l’origine de la langue commune et, éventuellement de la religion dominante. Les groupes B et C se fondent pour une bonne part dans le groupe A, en adoptant sa langue par exemple, tout en donnant quelques-uns de leurs traits au peuple D résultant de la fusion. En d’autres termes, le groupe A a absorbé pour une bonne part les groupes B et C, mais cette absorption a suffisamment modifié les caractères de A pour qu’on puisse parler d’un nouveau peuple, D, et non pas d’un peuple A’. Dans ce cadre, j’appelle « substrat ethnico-religieux » le groupe A, celui qui est à l’origine des traits dominants du peuple D.
               
              Voyons maintenant dans la pratique. Les Français ne sont pas des Gallo-romains, mais leur langue est romane, leur religion dominante est (enfin était) le christianisme « romain » catholique. Ces traits culturels sont déjà en place à la veille des migrations de l’Antiquité tardive. Arrivent les Francs, qui vont donner leur nom au pays et au nouveau peuple. Ces Francs sont païens et parlent une langue germanique. Ils adoptent le christianisme (le fameux baptême de Clovis) et, du moins dans ce qui va devenir la France, ils abandonnent leur idiome pour adopter les dialectes du bas-latin usités par les autochtones. Par contre, les Francs, s’ils n’ont transmis que quelques mots du francique au français, ont apporté un important stock d’anthroponymes qui vont largement se diffuser comme prénoms puis comme noms de famille : Louis, Charles, Hugues, Robert, Henri, Thibaud, Raoul, Albert, Gautier, etc. Les Burgondes et plus tard les Normands font de même, laissant leur empreinte dans la toponymie (Bourgogne, Normandie où les noms de certains lieux sont paraît-il d’origine scandinave). Dans ce cadre, les populations gauloises romanisées et christianisées constituent le « substrat ethnico-religieux » auquel les autres se sont progressivement agrégés.
               
              On peut suivre d’ailleurs à l’époque mérovingienne la fusion progressive des groupes dans certaines régions. Au début du VI° siècle, les Francs et les Gallo-romains sont clairement distingués dans les textes, avec des noms germaniques pour les premiers et des noms latins pour les seconds. A la fin du VII° siècle, tous les habitants de la partie nord du royaume franc (la Neustrie et l’Austrasie pour aller vite) se disent « Francs », même ceux qui sont manifestement d’ascendance gallo-romaine et qui dominent en Neustrie (en gros le centre et l’ouest du Bassin parisien). Si la langue romane domine, par contre l’onomastique, y compris chez les simples paysans, est envahie de noms à consonance germanique, par imitation de l’aristocratie d’origine franque qui domine le royaume, sans que cela soit nécessairement signe d’une ascendance germanique.
              On le voit aussi dans les noms des évêques : au VI° siècle, la plupart porte des noms latins (voire grecs) car ils sont issus de l’aristocratie gallo-romaine qui cultive largement sa romanité. Au VII° siècle, les noms germaniques sont de plus en plus fréquents, alors que beaucoup d’évêques sont toujours d’origine gallo-romaine…
               
              L’exemple français n’est pas unique : les Bulgares sont un peuple turcophone qui a donné son nom à des populations de langue slave dans les Balkans ; le terme « Russe » désigne à l’origine les Varègues suédois qui gagnent la Mer Noire en installant un chapelet d’établissements dans les territoires peuplés de Slaves orientaux et de Finnois. Ils finissent par créer un état, la principauté de Kiev, auquel ils donnent leur nom (« Rous’ »), mais dont la langue et la culture restent à dominante slave : les textes byzantins laissent entrevoir que les descendants des Varègues ont adopté le paganisme slave, avant de se convertir à l’orthodoxie sous le règne de Vladimir à la fin du X° siècle.
               
              En Italie, on a également un substrat ethnico-religieux de langue romane et de religion catholique qui absorbe progressivement les apports extérieurs : Lombards germaniques et ariens, Grecs de rite byzantin, Normands, Sarrasins de Sicile, Albanais, etc. Là aussi, la violence n’est pas absente : si les rois normands sont plutôt tolérants avec leurs sujets musulmans de Sicile, Frédéric II « italianise » violemment la grande île en écrasant les révoltes musulmanes et en implantant des Italiens du continent. On peut supposer que les musulmans sont tués, chassés… ou deviennent chrétiens (des exemples sont connus).
               
              Pour répondre à votre question, les Maghrébins musulmans ne peuvent pas faire partie du substrat ethnico-religieux de la France, puisque, pour s’y agréger, il leur faudrait renoncer à l’islam et à l’arabité, autrement dit cesser d’être des Maghrébins musulmans… Je n’ai pas l’impression qu’on en prenne le chemin. Et dans un État laïc et démocratique, on peut faire pression pour confiner la pratique religieuse dans la sphère privée, mais vous ne pouvez pas obliger les gens à changer de religion ou à changer de nom.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Sauf que, là encore, cette « unification » n’est pas française, mais européenne. » Nous sommes donc bien d’accord que la France participe d’une forme de civilisation européenne ? Ce n’est pas le cas des Maghrébins et des Subsahariens…]

              Avant de répondre à votre question, il faudrait définir ce que vous appelez « une forme de civilisation européenne ». Le Maghreb, tout comme l’Egypte ou la Palestine, ne l’oubliez pas, ont été romains…

              [Le début d’un processus d’unification administrative et politique, qu’on ne trouve ni dans le Saint Empire (où le pouvoir central s’affaiblit au fur et à mesure du Moyen Âge), ni en Italie (où le fractionnement régional est la règle), ni même en Espagne (où les différents royaumes gardent leurs particularismes même à l’apogée de la monarchie espagnole sous Philippe II).]

              Je ne sais pas si l’Espagne de Philippe II est plus « particulariste » que la France de François Ier. Dans le domaine religieux, ce n’est certainement pas le cas : les dissidences religieuses sont tolérées en France alors qu’elles sont impitoyablement persécutées en Espagne. En matière linguistique, on parle des dialectes non-romains (basque, galicien). La différence est qu’en Espagne l’unité se fait autour de l’église catholique, alors qu’en France elle se fait autour de l’Etat. D’un Etat qui, même s’il n’est pas vraiment laïque, subordonne l’autorité religieuse à l’autorité politique. Si on veut chercher une spécificité dans l’histoire de France, elle se trouve là : dans le rôle central joué par la construction étatique.

              [« Sauf lorsque la pression assimilatrice est importante. » Sauf qu’aujourd’hui, cette pression se heurte au manque de volonté de l’État et de la société. Il y a d’ailleurs une dialectique entre les deux : l’État ne fait rien parce que la société est réticente, la société se résigne parce que l’État ne fait rien. Comment sortir de cette spirale infernale ?]

              Tant que l’assimilation va contre l’intérêt des classes dominantes, il est très difficile d’en sortir en effet. Le rejet de l’assimilation est d’abord le symptôme d’une société bloquée. Le problème est que l’assimilation fabrique des individus capables de concurrencer les élites nationales. Cela est tolérable dans une société dynamique, mais devient une menace pour les élites en place quand la société est peu dynamique.

              [Mais je me permets de vous poser une question : dans la mesure où vous êtes issu d’une communauté (je ne sais pas si le terme convient) qui, finalement, a intériorisé en quelque sorte les mécanismes (voire les avantages) de l’assimilation, et qui a su s’y adapter, ne pensez-vous pas que vous sous-estimez l’aspect violent de l’assimilation ?]

              Je ne le sous-estime pas, au contraire. Je pense qu’il n’y a pas d’assimilation « en douceur ». Si la société d’accueil n’exerce pas une pression considérable, l’étranger aura tendance à rester dans sa « zone de confort », de prolonger les pratiques, de maintenir les rapports qui lui sont familiers. Comment persuader sans violence quelqu’un de faire cet effort, s’il n’a aucun moyen d’évaluer les avantages qu’il tirera de son investissement ? Cette « violence » est transparente pour moi parce que j’appartiens à une « communauté » qui a fait cet effort à chaque génération ou presque. Et qui peut donc faire le calcul du rapport entre l’effort à fournir et les avantages qu’on en tire – et choisir de le faire dans le pays ou ce rapport est le plus favorable. Mes parents n’ont pas choisi la France par hasard.

              [Je me mets à la place d’un immigré : si je devais quitter mon pays, aller m’installer ailleurs, et qu’on me demandait d’abandonner ma langue maternelle, qu’on me mettait la pression pour changer de prénom, voire de nom, pour modifier ma pratique religieuse (voire carrément changer de religion), je pense que je le vivrais très mal, surtout si je suis originaire d’un pays où ma culture est dominante.]

              Cela dépend. Si ces sacrifices vous permettent d’accéder à une sociabilité magnifique, à la prospérité économique, si elle vous rend héritier d’une culture merveilleuse et d’un pays qu’on reconnaît parmi les plus beaux du monde… Et puis, personne ne vous a obligé à venir, et rien n’oblige les gens qui sont déjà là à vous accueillir.

              [Vous allez me dire que, lorsqu’on émigre, on fait un choix et qu’il faut en assumer les conséquences.]

              Tout à fait. Et je reconnais aux autochtones de faire les règles. Quand je dis que je veux un pays ouvert, cela n’implique pas d’accueillir sans conditions, mais de formuler clairement les conditions de l’accueil. Et l’adoption des coutumes locales est pour moi une condition indispensable.

              [Mais quand cette émigration se fait sous la pression de la misère ou de l’insécurité, il n’est pas certain que les candidats au départ prennent le temps de mesurer ce qu’implique réellement l’installation durable (voire définitive) dans un pays de culture différente.]

              Oui, mais ces gens doivent aussi réaliser que la misère et l’insécurité ne sont pas tombées du ciel. Qu’elles sont liées à des structures du pays d’origine, et que recopier ces structures chez nous ne peuvent amener qu’au même résultat. Laisser derrière soi « la misère et l’insécurité » implique aussi de laisser derrière les comportements, les traditions, les règles qui y conduisent.

              [« Un maure, je ne sais pas. Mais un juif… » Je m’interroge : en dehors des villes, les juifs sillonnaient-ils nombreux les campagnes pour offrir leurs services ? En toute franchise, je n’en sais rien. J’ai lu qu’en Champagne par exemple, il est dit que Rachi de Troyes au XI° siècle était rabbin et vigneron, ce qui tend à prouver qu’il possédait (ou louait) des terres dans la zone rurale proche de la ville. Faut-il en déduire que les juifs se rencontraient fréquemment dans les campagnes ? Je ne saurais le dire.]

              Cela dépend où. Dans beaucoup de territoires européens, les juifs ne pouvaient vivre que dans certaines zones bien identifiées (en général dans les villes) et ne pouvaient s’adonner qu’à certaines activités – l’artisanat, le prêt d’argent. En Pologne, par exemple, les juifs étaient très couramment paysans. En France, je doute que ce fut un phénomène fréquent, sauf peut-être dans certaines régions.

              [« Dans ce contexte, l’ouverture est pour moi la capacité d’une société à intégrer dans son fonctionnement des groupes étrangers. » D’accord. Mais « intégrer dans son fonctionnement des groupes étrangers » et assimiler lesdits groupes, ce n’est pas exactement la même chose.]

              Non, bien entendu. Il y a des sociétés « communautaristes » ou le fonctionnement est fondé sur le rattachement des individus à une communauté particulière, rattachement qui les isole des autres. Mais dans une société unitaire comme la nôtre, l’intégration des groupes étrangers au fonctionnement de la société implique un certain degré d’assimilation.

              [Non pas que le Moyen Âge ait ignoré l’assimilation, mais pour les juifs justement, c’était souvent le baptême ou le cercueil…]

              La simple violence n’est généralement pas suffisante pour obtenir l’assimilation. Tout au plus une simulation. Les juifs espagnols obligés de se convertir sous peine de mort ne se sont jamais vraiment assimilés, et la plupart ont fini par émigrer. Par contre, en Allemagne où la conversion donnait accès à la citoyenneté, l’assimilation a été bien plus forte.

              [On en revient à la violence, parfois symbolique mais qui peut aller jusqu’à la violence physique, de l’assimilation. Je ne suis pas certain que notre société soit prête à assumer la violence, même symbolique.]

              Quand cela sert les intérêts de la classe dominante, notre société n’hésite pas à « assumer » toutes sortes de violences bien pires. Pensez à la violence du licenciement boursier… Le problème n’est pas tant que notre société ne soit prête à assumer la violence, c’est que l’assimilation ne va pas dans le sens des intérêts du bloc dominant, et notamment des classes intermédiaires. L’assimilé qui rentre à Polytechnique prend la place à un fils des classes moyennes autochtones…

              On est d’ailleurs déjà passés par là. Pourquoi le « statut des juifs » de Vichy interdisait aux juifs les professions de médecin ou d’avocat ? Médecins et avocats n’exercent ne sont pas des métiers donnant accès à la puissance publique… c’est tout bêtement parce que médecins et avocats « de souche » étaient particulièrement excités contre ces immigrés juifs assimilés qui réussissaient leurs études et venaient les concurrencer…

              [« C’est une idée, une culture, une mémoire, une manière d’entrer en rapport avec le monde, une certaine vision du sacré. » Mais l’identité française et l’identité juive sont-elles comparables ?]

              Pas vraiment. L’identité française est une identité nationale, fondée d’abord sur une logique de solidarité inconditionnelle et impersonnelle. Pour le dire avec les mots de Renan, c’est « le souvenir des grandes choses faites ensemble et le désir d’en accomplir de nouvelles ». L’identité juive (au moins pour moi) est une identité culturelle, mais qui n’implique ni mémoire du passé, ni projet d’avenir. Quand je regarde Versailles ou les Invalides avec le drapeau tricolore flottant dessus, je me dis « c’est nous qui avons fait ça ». Quand je regarde la synagogue de Carpentras ou le mur des Lamentations, je ne me sens nullement l’héritier de leurs constructeurs. Et je ne vois pas très bien quel serait le « projet » qui relierait aux autres juifs de par le monde…

              [« Autrement dit, les utilisateurs de dialectes non-romans étaient aussi nombreux que les arabophones en France aujourd’hui… » Mais si vous y ajoutez les turcophones, les albanophones, les locuteurs des langues subsahariennes,…]

              Je ne pense pas que j’arrive à 20% même en les comptant… d’ailleurs, n’oubliez pas que beaucoup de descendants d’immigrés ne parlent pas la langue de leurs grands-parents…

              [Pour répondre à votre question, les Maghrébins musulmans ne peuvent pas faire partie du substrat ethnico-religieux de la France, puisque, pour s’y agréger, il leur faudrait renoncer à l’islam et à l’arabité, autrement dit cesser d’être des Maghrébins musulmans… Je n’ai pas l’impression qu’on en prenne le chemin.]

              Le processus n’est pas aussi rapide que vous le voulez, mais les maghrébins en France dans leur grande majorité perdent leur « arabité » et même l’Islam. Le problème, c’est qu’ils ne le perdent pas pour s’assimiler au groupe dominant, mais pour s’assimiler au modèle consumériste américain. Mohammed n’appellera pas son fils Charles, il l’appellera Kevin. Vous connaissez ma position : la radicalisation islamiste, la multiplication de gestes de défiance comme le port de l’abaya ou du quamis donnent l’illusion d’un regain de l’arabité et de l’Islam. En fait, ils illustrent plutôt l’angoisse d’une communauté qui sent s’évaporer ses valeurs, ses coutumes, ses traditions au soleil de la société de consommation.

              D’ailleurs, il faut se demander pourquoi tant de musulmans qui vivent dans un pays aussi riche que le notre fantasment de s’installer dans le désert irakien ou syrien. Mon interprétation, c’est qu’ils se rendent parfaitement compte que la seule façon de sauver leur culture, leurs traditions, leurs pratiques, c’est de s’enfouir loin des tentations des sociétés occidentales.

              [Et dans un État laïc et démocratique, on peut faire pression pour confiner la pratique religieuse dans la sphère privée, mais vous ne pouvez pas obliger les gens à changer de religion ou à changer de nom.]

              Bien sur que si. Vous n’imaginez pas tout ce qu’on peut faire dans « un Etat laïque et démocratique » quand cela va dans le sens des classes dominantes. Guantanamo est là pour nous le rappeler…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
               
              Merci de votre réponse.
               
              [Le processus n’est pas aussi rapide que vous le voulez, mais les maghrébins en France dans leur grande majorité perdent leur « arabité » et même l’Islam. Le problème, c’est qu’ils ne le perdent pas pour s’assimiler au groupe dominant, mais pour s’assimiler au modèle consumériste américain. Mohammed n’appellera pas son fils Charles, il l’appellera Kevin. Vous connaissez ma position : la radicalisation islamiste, la multiplication de gestes de défiance comme le port de l’abaya ou du quamis donnent l’illusion d’un regain de l’arabité et de l’Islam. En fait, ils illustrent plutôt l’angoisse d’une communauté qui sent s’évaporer ses valeurs, ses coutumes, ses traditions au soleil de la société de consommation.]
              Dans cette affaire, je pense que vous voyez le verre à moitié plein alors que je le vois à moitié vide.
               
              Quelques remarques cependant :
              A titre personnel, je n’ai pas d’exemple de Mohammed appelant son fils Kevin. Par contre, dans les couples « mixtes », je note que le conjoint non-musulman (souvent converti il est vrai mais pas toujours) accepte généralement que les enfants reçoivent des prénoms arabes. Ce qui indique quand même que l’islam possède encore une force assimilatrice.
               
              Votre théorie est que la crispation d’une partie de la communauté musulmane serait en réalité le chant du cygne de l’islam comme ordre social. Je me demande si vous ne vendez pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué. D’abord, ça fait maintenant près de deux siècles que les sociétés islamiques sont bousculées, et pas seulement par le modèle consumériste, mais par la modernité occidentale (technique, scientifique) dans sa globalité. Et le fait est que l’islam offre une forte résistance. Ensuite, je me demande si le « modèle consumériste américain » n’est pas en train d’entamer une crise. Après les privations et les terribles saignées des deux guerres mondiales, il y a eu en effet une forme d’euphorie consumériste avec la relative prospérité acquise à partir des années 60.
               
              Mais l’on voit bien qu’avec l’approfondissement du capitalisme, une partie de la société ne trouve plus (ou plus difficilement) sa place d’un point de vue économique et social. On voit bien que commence à se constituer une catégorie de « laissés-pour compte », dans la France périphérique dont parle Christophe Guilluy. Le modèle consumériste américain satisfait encore certainement une part majoritaire de la population, mais la minorité qui en profite de moins en moins grossit.
               
              Et même parmi ceux qui finalement sont bien insérés, on voit poindre une forme de crise existentielle. On voit des gens ayant fait des bonnes études, occupant des places plutôt enviables, tout plaquer pour ouvrir une laiterie artisanale dans les Causses. Bien sûr, ce n’est pas tout le monde, mais ce phénomène existe. J’ai en mémoire ce que vous avez écrit dans votre article sur « la grande démission ». L’être humain aime le confort et l’abondance… mais il est aussi en quête de sens. Dans ma ville, on observe un mouvement chez certains adolescents (« non-racisés » pour le coup) : une quête de spiritualité. Des collègues de mon épouse, agnostiques bon teint, découvrent que leur fille se met à lire la Bible et demande à être baptisée… A côté des abayas, de plus en plus d’élèves portent des croix en pendentif – et là je parle d’un établissement public – ce qui d’ailleurs pose des questions (à partir de quelle taille est-ce un signe « ostensible » ? Tout le monde n’est pas d’accord). On voit bien que l’être humain ne se contente pas forcément de consommer, il a souvent envie – peut-être même besoin – de s’inscrire dans un héritage, dans un récit, et dans quelque chose de collectif. Moi le premier d’ailleurs : cette communion autour de valeurs fortes qui soudent le groupe me manque. Or le modèle consumériste et individualiste produit aussi de la solitude, de l’isolement et une forme de déracinement généralisé. On en arrive à ce paradoxe que des gens ont un niveau de vie correct voire très bon, sont bien nourris, bien soignés, bien pourvus en biens matériels… Et pourtant quelque chose cloche.
               
              Et de ce point de vue, l’islam radical répond à une forme de besoin. L’islam radical est peut-être la réponse de sociétés traditionnelles bousculées par le capitalisme libéral, mais on peut se demander s’il ne s’immisce pas aussi dans les interstices d’un modèle de société qui, finalement, laisse un goût d’insatisfaction à un nombre croissant de gens. Et comme cet islam s’implante dans une société française sécularisée, désabusée, désenchantée, en proie au doute, dans un pays qui par ailleurs connaît une forme de déclassement géopolitique en même temps qu’une crise profonde du projet national, je vous trouve très très optimiste quand vous affirmez que pour l’islam, c’est plié, qu’il a déjà perdu la partie. Une manière un peu commode, je trouve, de dire à ceux que l’islamisation inquiète que c’est finalement une question secondaire que le temps règlera.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [A titre personnel, je n’ai pas d’exemple de Mohammed appelant son fils Kevin.]

              Prenons un exemple : Wilfrid Mbappé et Fayza Lamari ont choisi d’appeler leur enfant Kyllian. Un autre : Djamel Debbouze donne à ses enfants les prénoms de Léon et de Lila…

              [Votre théorie est que la crispation d’une partie de la communauté musulmane serait en réalité le chant du cygne de l’islam comme ordre social. Je me demande si vous ne vendez pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué.]

              Certainement : mon point est que l’ours est en train de mourir…

              [D’abord, ça fait maintenant près de deux siècles que les sociétés islamiques sont bousculées, et pas seulement par le modèle consumériste, mais par la modernité occidentale (technique, scientifique) dans sa globalité. Et le fait est que l’islam offre une forte résistance.]

              Ce n’est pas comparable. L’occident n’avait aucun intérêt particulier à investir pour briser la résistance des sociétés islamiques à la modernité. Par contre, le capitaliste a un intérêt évident à briser la résistance à la société de consommation…

              [Ensuite, je me demande si le « modèle consumériste américain » n’est pas en train d’entamer une crise. Après les privations et les terribles saignées des deux guerres mondiales, il y a eu en effet une forme d’euphorie consumériste avec la relative prospérité acquise à partir des années 60. Mais l’on voit bien qu’avec l’approfondissement du capitalisme, une partie de la société ne trouve plus (ou plus difficilement) sa place d’un point de vue économique et social. On voit bien que commence à se constituer une catégorie de « laissés-pour compte », dans la France périphérique dont parle Christophe Guilluy. Le modèle consumériste américain satisfait encore certainement une part majoritaire de la population, mais la minorité qui en profite de moins en moins grossit.]

              A supposer même que la minorité qui n’en profite pas grossisse, cela n’implique pas que cette minorité cesse d’aspirer à la consommation, d’aspirer à prendre sa place dans ce modèle. Ceux qui renoncent au modèle consumériste restent toujours aussi marginaux.

              [On voit des gens ayant fait des bonnes études, occupant des places plutôt enviables, tout plaquer pour ouvrir une laiterie artisanale dans les Causses. Bien sûr, ce n’est pas tout le monde, mais ce phénomène existe.]

              Oui, mais il est rare. Et encore plus rare sont ceux qui, pour ouvrir leur laiterie artisanale, renoncent au portable, à la voiture, etc. Ceux qui font cette démarche ont souvent un capital suffisant pour s’offrir la laiterie artisanale ET un niveau de consommation enviable. Je ne sais pas s’il se trouve aujourd’hui beaucoup de monde pour faire des vœux de pauvreté…

              [J’ai en mémoire ce que vous avez écrit dans votre article sur « la grande démission ». L’être humain aime le confort et l’abondance… mais il est aussi en quête de sens. Dans ma ville, on observe un mouvement chez certains adolescents (« non-racisés » pour le coup) : une quête de spiritualité. Des collègues de mon épouse, agnostiques bon teint, découvrent que leur fille se met à lire la Bible et demande à être baptisée… A côté des abayas, de plus en plus d’élèves portent des croix en pendentif – et là je parle d’un établissement public – ce qui d’ailleurs pose des questions (à partir de quelle taille est-ce un signe « ostensible » ? Tout le monde n’est pas d’accord). On voit bien que l’être humain ne se contente pas forcément de consommer, il a souvent envie – peut-être même besoin – de s’inscrire dans un héritage, dans un récit, et dans quelque chose de collectif.]

              C’est bien mon point : l’approfondissement du capitalisme entraine en réaction ce genre de réflexe de défense. Dans un monde sans âme, on se cherche une âme en renouant avec les traditions, les pratiques, l’histoire. Les musulmans renouent avec le voile et le ramadan que la génération précédente avait laissé tomber, et les chrétiens se remettent à porter la croix et relire la bible. Mais ceux qui font cette démarche rament contre le courant, et à mon avis finiront par être emportés.

              [Moi le premier d’ailleurs : cette communion autour de valeurs fortes qui soudent le groupe me manque. Or le modèle consumériste et individualiste produit aussi de la solitude, de l’isolement et une forme de déracinement généralisé. On en arrive à ce paradoxe que des gens ont un niveau de vie correct voire très bon, sont bien nourris, bien soignés, bien pourvus en biens matériels… Et pourtant quelque chose cloche.]

              Oui. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : tant que l’approfondissement du capitalisme continue, le processus d’isolement et de déracinement continuera, quelque soient les efforts individuels pour le contrer.

              [Et comme cet islam s’implante dans une société française sécularisée, désabusée, désenchantée, en proie au doute, dans un pays qui par ailleurs connaît une forme de déclassement géopolitique en même temps qu’une crise profonde du projet national, je vous trouve très très optimiste quand vous affirmez que pour l’islam, c’est plié, qu’il a déjà perdu la partie.]

              Vous trouvez ma position « optimiste » ? Je suis franchement surpris.

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Mais ceux qui font cette démarche rament contre le courant, et à mon avis finiront par être emportés.]
              Et qui vous dit que votre propre démarche n’est pas de même vouée à l’échec? Vous aussi ramez contre le courant…
               
              [Mais il ne faut pas se faire d’illusions : tant que l’approfondissement du capitalisme continue, le processus d’isolement et de déracinement continuera, quelque soient les efforts individuels pour le contrer.]
              C’est étrange. Je vous disais la dernière fois que votre façon d’expliquer le monde au prisme d’un matérialisme impeccable mais aussi implacable ne pouvait que conduire à une forme de désespoir, et vous me disiez, je cite: “ce n’est pas mon but”. Et maintenant, je me demande lequel de nous deux devrait se tirer une balle dans la tête en premier…
               
              Si “le processus d’isolement et de déracinement continuera quels que soient les efforts individuels pour le contrer”, pourquoi diable vous fatiguez-vous à “transmettre, transmettre, transmettre” selon vos propres termes? Je ne comprends pas: quel peut être rationnellement l’intérêt d’une telle démarche? 
               
              [Vous trouvez ma position « optimiste » ?]
              Sur l’islam radical, oui. Pour le reste, vous m’avez depuis un certain temps déjà convaincu que tout est foutu, et que l’alcool et les jeux vidéos rendent la vie plus agréable – à défaut de la rendre plus longue – que la réflexion politique… 

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Mais ceux qui font cette démarche rament contre le courant, et à mon avis finiront par être emportés. » Et qui vous dit que votre propre démarche n’est pas de même vouée à l’échec? Vous aussi ramez contre le courant…]

              Et, comme vous le soulignez fort correctement, je n’ai aucune garantie que ma démarche ne soit vouée à l’échec. Seulement, la seule façon de le savoir, c’est de continuer le combat. C’est la le raisonnement que j’appelle celui de « l’optimisme méthodologique ». On se grandit en engageant des combats justes, quand même bien ils seraient perdus.

              [« Mais il ne faut pas se faire d’illusions : tant que l’approfondissement du capitalisme continue, le processus d’isolement et de déracinement continuera, quelque soient les efforts individuels pour le contrer. » C’est étrange. Je vous disais la dernière fois que votre façon d’expliquer le monde au prisme d’un matérialisme impeccable mais aussi implacable ne pouvait que conduire à une forme de désespoir, et vous me disiez, je cite: “ce n’est pas mon but”. Et maintenant, je me demande lequel de nous deux devrait se tirer une balle dans la tête en premier…]

              Ma remarque ne serait pessimiste que si je croyais que le capitalisme est l’horizon indépassable de l’Humanité. Mais, heureusement pour moi, je ne le crois pas. Je suis au contraire convaincu que l’approfondissement du capitalisme le conduira à sa perte. Et ce jour-là, il faudra tout reconstruire… et c’est pourquoi je mets l’accent sur la transmission. Un peu comme les exilés de « Farenheit 451 » qui aprennent les livres par cœur pour pouvoir les préserver pour le jour où ils pourront être à nouveau couchés sur papier. Transmettre, c’est sauver un réservoir à partir duquel la transmission sociale pourra être un jour reconstituée.

              [Sur l’islam radical, oui. Pour le reste, vous m’avez depuis un certain temps déjà convaincu que tout est foutu, et que l’alcool et les jeux vidéos rendent la vie plus agréable – à défaut de la rendre plus longue – que la réflexion politique…]

              Je ne dois pas être très convaincant, alors, parce que j’ai toujours soutenu exactement le contraire !

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
               
              [Seulement, la seule façon de le savoir, c’est de continuer le combat.]
              Et pourtant, vous condamnez sans appel le combat des autres… Je me permets de vous citer à nouveau : « Mais ceux qui font cette démarche rament contre le courant, et à mon avis finiront par être emportés. »
              Qu’est-ce qui fait que vous vous sentez différent de ces pauvres hères et que vous auriez une chance, même minime, de gagner ?
               
              [Mais, heureusement pour moi, je ne le crois pas. Je suis au contraire convaincu que l’approfondissement du capitalisme le conduira à sa perte.]
              Admettons. Mais cette perte, c’est pour quand à votre avis ? Parce que s’il faut attendre 500 ans… Votre raisonnement est bien joli, mais peut-être que certaines personnes souhaiteraient une amélioration de leur cadre de vie, de leur environnement collectif, et ce de leur vivant. C’est humain après tout. Quand vous écrivez : « tant que l’approfondissement du capitalisme continue, le processus d’isolement et de déracinement continuera, quelque soient les efforts individuels pour le contrer. », je vous suis gré de m’énoncer une vérité que je n’aurais pas forcément envie d’entendre, mais d’un autre côté, ça ne me motive pas trop à me lever le matin pour aller servir une nation qui, de toute façon, continuera à se déliter quoi que je fasse. Comprenez-vous ?
              Et effectivement, je fais ce que j’ai à faire, mais le coeur n’y est guère, et dès que je le peux, je me dépêche de rentrer chez moi, de m’enfermer à double tour, et de m’évader, et je ne dois pas être le seul. La bouteille, l’histoire (lointaine, j’ai une aversion pour l’histoire récente), la littérature, les jeux vidéos, le cinéma, il y a pléthore de moyens pour cela, et j’ai l’argent pour me les procurer. Quand le capitalisme entrera en crise, appelez-moi…
               
              [Et ce jour-là, il faudra tout reconstruire… et c’est pourquoi je mets l’accent sur la transmission.]
              Le problème, c’est que la reconstruction est hypothétique. J’ai bien compris que vous faisiez un pari. Mais d’un point de vue strictement rationnel, je n’en saisis pas l’intérêt. Il ne s’agit pas de satisfaction personnelle puisque vous ne serez plus là pour voir si le pari a été gagné. Vous êtes athée et ne croyez pas à une existence après la mort. Qu’espérez-vous ?
               
              Ensuite vous transmettez… Mais vous ignorez ce que les générations futures feront de ce que vous leur transmettez. Peut-être bâtiront-elles un monde qui vous serait insupportable. Prenons Hobbes auquel vous êtes très attaché. Eh bien la lecture de Hobbes peut fort bien encourager la mise en place d’un régime autoritaire, plus soucieux de sécurité que de liberté…
               
              [Je ne dois pas être très convaincant, alors, parce que j’ai toujours soutenu exactement le contraire !]
              Vous êtes extrêmement convaincant pour poser le diagnostic (grâce à votre culture, votre méthode et votre rigueur), mais beaucoup moins à l’heure de réconforter le malade… Votre « optimisme méthodologique » semble se heurter de plus en plus à un climat social et politique qui se dégrade. Et comme votre paradigme repose sur le fait que le changement est impossible sans une crise du système capitaliste, et que par ailleurs vous semblez penser que ce système est encore loin d’être aux abois, on en arrive quand même à une forme d’impuissance. Une impuissance déguisée derrière la nécessité de transmettre, mais une forme d’impuissance tout de même.
              J’irai même plus loin : à quoi bon comprendre le fonctionnement du réel si cela ne permet pas d’agir dessus ? Savoir lorsqu’on ne peut pas, n’est-ce pas le pire des châtiments ? Je trouve très étonnant que vous portiez au pinacle la connaissance quand vous nous donnez régulièrement la preuve que cela ne sert à rien ou presque… à part mesurer ce que nous perdons d’année en année.
              C’est cette contradiction qui me laisse perplexe.
               
              Autre contradiction : vous reprochez à certains de tout ramener à la question de l’immigration et de l’islam, avec votre expression fétiche : « pour celui qui a un marteau, tous les problèmes ont la forme d’un clou » (je cite de mémoire). Mais que répondez-vous à quelqu’un qui vous ferait remarquer que vous-même ramenez tout systématiquement à la question de l’approfondissement du capitalisme et de l’hégémonie des classes intermédiaires ?
               
              Le fait qu’il y ait un lien entre la problématique matérielle et la problématique identitaire (au sens large) doit-il délégitimer la seconde ? Vous semblez disqualifier d’avance les combats identitaires des Zemmour et des Bock-Côté comme vous semblez écarter tout facteur ethnico-religieux dans l’éclatement des récentes émeutes. Ne pensez-vous pas qu’il pourrait y avoir plusieurs problèmes qui s’enchevêtrent ? Est-ce que l’ouverture des frontières et la concurrence économique généralisée entre les travailleurs d’origine diverses exclut nécessairement que l’immigration, en provenance du monde musulman ou des anciennes colonies par exemple, puisse poser un problème en elle-même ?
              Dernière question : êtes-vous certain qu’il n’est pas un peu naïf de croire qu’une fois débarrassé du capitalisme néolibéral, les questions identitaires et culturelles se résoudront d’elle-même ? On peut très bien imaginer une société post-capitaliste et hostile à l’assimilation, par exemple.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Seulement, la seule façon de le savoir, c’est de continuer le combat. » Et pourtant, vous condamnez sans appel le combat des autres…]

              Mais d’où tirez-vous cela ? Non , je ne « condamne » rien du tout. Je pense que certains combats sont perdus d’avance. Mais je ne « condamne » pas pour autant ceux qui les mènent, au contraire, je peux même avoir une certaine admiration pour eux. N’ais-je pas écrit quelque part qu’il y a des combats qu’on s’honore à perdre ?

              [« Mais, heureusement pour moi, je ne le crois pas. Je suis au contraire convaincu que l’approfondissement du capitalisme le conduira à sa perte. » Admettons. Mais cette perte, c’est pour quand à votre avis ? Parce que s’il faut attendre 500 ans…]

              Je ne sais pas. Il ne m’a pas donné d’être prophète. Cela peut être dans un an ou dans un siècle. Qui aurait pu prédire la chute de l’Ancien régime un ou deux ans à l’avance ?

              [Votre raisonnement est bien joli, mais peut-être que certaines personnes souhaiteraient une amélioration de leur cadre de vie, de leur environnement collectif, et ce de leur vivant. C’est humain après tout. Quand vous écrivez : « tant que l’approfondissement du capitalisme continue, le processus d’isolement et de déracinement continuera, quelque soient les efforts individuels pour le contrer. », je vous suis gré de m’énoncer une vérité que je n’aurais pas forcément envie d’entendre, mais d’un autre côté, ça ne me motive pas trop à me lever le matin pour aller servir une nation qui, de toute façon, continuera à se déliter quoi que je fasse. Comprenez-vous ?]

              Je le comprends. Mais auriez-vous préféré que je vous mente ? Je crois qu’il faut être lucide : le combat que nous menons avec nos faibles moyens a peu de chance de succès rapide. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas le mener. Je me souviens de la formule de François George sur ses parents communistes : « ils se battaient pour quelque chose de grand, et ce combat les grandissait » (je cite de mémoire). Mon grand-père communiste n’a pas vu le socialisme de son vivant, mais son combat l’a enrichi, l’a grandi. Cela suffit à me motiver…

              [Et effectivement, je fais ce que j’ai à faire, mais le cœur n’y est guère, et dès que je le peux, je me dépêche de rentrer chez moi, de m’enfermer à double tour, et de m’évader, et je ne dois pas être le seul. La bouteille, l’histoire (lointaine, j’ai une aversion pour l’histoire récente), la littérature, les jeux vidéos, le cinéma, il y a pléthore de moyens pour cela, et j’ai l’argent pour me les procurer. Quand le capitalisme entrera en crise, appelez-moi…]

              Il y a une alternative. C’est de se réunir avec des amis qui partagent vos inquiétudes, de participer à des actions pour essayer d’en convaincre d’autres…

              [« Et ce jour-là, il faudra tout reconstruire… et c’est pourquoi je mets l’accent sur la transmission. » Le problème, c’est que la reconstruction est hypothétique. J’ai bien compris que vous faisiez un pari. Mais d’un point de vue strictement rationnel, je n’en saisis pas l’intérêt. Il ne s’agit pas de satisfaction personnelle puisque vous ne serez plus là pour voir si le pari a été gagné. Vous êtes athée et ne croyez pas à une existence après la mort. Qu’espérez-vous ?]

              Je suis athée, mais quelque part au fond de moi je crois à une forme de transcendance dans l’histoire. Je sais, c’est idiot, mais j’aimerais qu’après mon départ de cette terre les gens se souviennent de moi en bien. Et chaque fois que je contribue à former un jeune, à faire réfléchir un adulte, je me dis que je plante une graine, et qu’il se souviendra le jour ou cette graine germera. Et cela me procure une immense satisfaction.

              [Ensuite vous transmettez… Mais vous ignorez ce que les générations futures feront de ce que vous leur transmettez. Peut-être bâtiront-elles un monde qui vous serait insupportable.]

              Peut-être. On ne peut être sûr de rien. C’est un peu comme mon jardin : je le plante, je le soigne, avec l’espoir que ceux qui en hériteront l’aimeront autant que moi je l’aime. J’ai essayé de transmettre à mes enfants cet amour. Je fais le pari que j’ai réussi. Et si ce n’est pas le cas… je préfère ne pas le savoir.

              [Votre « optimisme méthodologique » semble se heurter de plus en plus à un climat social et politique qui se dégrade. Et comme votre paradigme repose sur le fait que le changement est impossible sans une crise du système capitaliste, et que par ailleurs vous semblez penser que ce système est encore loin d’être aux abois, on en arrive quand même à une forme d’impuissance. Une impuissance déguisée derrière la nécessité de transmettre, mais une forme d’impuissance tout de même.]

              Je récuse le terme. Je n’en tire pas comme conclusion « une forme d’impuissance », mais une certaine lucidité sur les limites de ma puissance. La vérité est que je ne sais pas à quel moment les conditions d’un changement seront réunies. Personne n’a été capable de prédire la date des révolutions du passé, et nos instruments scientifiques n’ont pas beaucoup avancé sur ce point. Ma doctrine pragmatique est donc de tout faire pour être prêt le jour ou cela se produira, et de profiter de la vie entretemps.

              [J’irai même plus loin : à quoi bon comprendre le fonctionnement du réel si cela ne permet pas d’agir dessus ? Savoir lorsqu’on ne peut pas, n’est-ce pas le pire des châtiments ?]

              Il ne s’agit pas de « savoir qu’on ne peut pas », mais de « savoir jusqu’ou on peut ».

              [Autre contradiction : vous reprochez à certains de tout ramener à la question de l’immigration et de l’islam, avec votre expression fétiche : « pour celui qui a un marteau, tous les problèmes ont la forme d’un clou » (je cite de mémoire). Mais que répondez-vous à quelqu’un qui vous ferait remarquer que vous-même ramenez tout systématiquement à la question de l’approfondissement du capitalisme et de l’hégémonie des classes intermédiaires ?]

              Je leur répondrai que, contrairement à ceux qui ramènent tout à l’immigration, j’essaye de décrire rationnellement un mécanisme qui lie tel ou tel problème à l’approfondissement du capitalisme et à l’hégémonie des classes moyennes. Au fond, je ne fais qu’adapter au présent l’un des principes de la théorie marxiste : « la lutte des classes est le moteur de l’histoire ». J’aimerais voir un texte théorique qui expliquerait comment on explique la désindustrialisation de la France ou la montée en puissance de l’Union européenne à partir de l’immigration…

              [Le fait qu’il y ait un lien entre la problématique matérielle et la problématique identitaire (au sens large) doit-il délégitimer la seconde ?]
              Je ne crois pas avoir « délégitimé » la question identitaire. Au contraire, si vous relisez nos échanges vous verrez que pour moi la question de l’identité – et surtout celle de l’identité nationale – reste fondamentale.

              [Vous semblez disqualifier d’avance les combats identitaires des Zemmour et des Bock-Côté comme vous semblez écarter tout facteur ethnico-religieux dans l’éclatement des récentes émeutes.]

              Je ne « disqualifie » rien « d’avance ». Je pense que Zemmour et Bock-Côté abordent la question de l’identité du mauvais côté : d’une part parce qu’ils essentialisent l’identité, d’autre part parce qu’ils refusent d’établir un lien entre l’identité et la structure matérielle de la société.

              [Ne pensez-vous pas qu’il pourrait y avoir plusieurs problèmes qui s’enchevêtrent ?]

              Tout à fait. Et c’est pourquoi je ne peux accepter la position de Zemmour ou de Bock-Côté, qui font abstraction de cet « enchevêtrement », pour ne voir qu’une seule cause à tous nos maux, sans pour autant être capables d’expliquer pourquoi.

              [Est-ce que l’ouverture des frontières et la concurrence économique généralisée entre les travailleurs d’origine diverses exclut nécessairement que l’immigration, en provenance du monde musulman ou des anciennes colonies par exemple, puisse poser un problème en elle-même ?]

              Mais est-ce que j’ai écrit une seule fois le contraire ? Non, j’ai toujours été d’accord avec vous sur le fait que l’immigration pose un problème « en elle-même ». Là où nous différons, c’est dans la possibilité de résoudre ce problème par l’assimilation.

              [Dernière question : êtes-vous certain qu’il n’est pas un peu naïf de croire qu’une fois débarrassé du capitalisme néolibéral, les questions identitaires et culturelles se résoudront d’elle-même ? On peut très bien imaginer une société post-capitaliste et hostile à l’assimilation, par exemple.]

              Je suis d’accord avec vous. Une fois débarrassés du capitalisme néolibéral, les problèmes ne se résoudront pas d’eux-mêmes. Mais les freins qui, dans une société capitaliste néolibérale, empêchent de mettre en œuvre certaines solutions auront disparu. Une société post-capitaliste pourrait être hostile à l’assimilation, mais cette hostilité ne s’appuiera plus – en principe – sur l’intérêt d’une classe, et sera donc beaucoup plus facile à combattre.

            • Carloman dit :

              @ Descartes,

              [Mais d’où tirez-vous cela ? Non , je ne « condamne » rien du tout.]
              Je ne parlais pas d’une condamnation morale. Je parlais de condamner au sens où vous estimez que ces combats sont vains. Par conséquent la démarche est condamnée à l’échec.

              [Je pense que certains combats sont perdus d’avance.]
              Et le vôtre ?

              [Mais auriez-vous préféré que je vous mente ?]
              Je n’ai pas dit ça. Mais une fois qu’on a passé le réel au crible d’un matérialisme implacable, il faut en accepter les conséquences.

              [Je crois qu’il faut être lucide : le combat que nous menons avec nos faibles moyens a peu de chance de succès rapide.]
              « Les combats » que nous menons. Car votre combat et le mien ont fort peu en commun.

              [C’est de se réunir avec des amis qui partagent vos inquiétudes, de participer à des actions pour essayer d’en convaincre d’autres…]
              Beaucoup de gens le font déjà avec des résultats souvent décevants. Mais vous-même qui avez bien plus d’amis que moi, et des plus hauts placés, quels résultats avez-vous obtenus ?

              [Je sais, c’est idiot, mais j’aimerais qu’après mon départ de cette terre les gens se souviennent de moi en bien.]
              Eh bien je ne trouve pas cela idiot. Mais je vous avertis : il est difficile de plaire à tout le monde…

              [Je ne « disqualifie » rien « d’avance ». Je pense que Zemmour et Bock-Côté abordent la question de l’identité du mauvais côté : d’une part parce qu’ils essentialisent l’identité, d’autre part parce qu’ils refusent d’établir un lien entre l’identité et la structure matérielle de la société.]
              Alors disons que vous disqualifiez a posteriori.

              [Mais est-ce que j’ai écrit une seule fois le contraire ?]
              En un sens oui. Pour vous, ce n’est pas l’immigration le problème. Le problème, c’est l’absence d’assimilation. Si l’assimilation fonctionnait, je n’ai pas l’impression que vous seriez hostile à l’immigration.

              Et le fait est que les changements de population qu’entraîne inévitablement une immigration extra-européenne ne sont pas un problème pour vous. Vous l’avez dit tout récemment encore à un commentateur qui s’inquiète que « les personnes d’origine caucasienne » (formulation étrange entre nous, qui désigne les blancs de souche européenne je suppose) deviennent minoritaires. Vous lui répondez, un peu abruptement, je cite : « Et alors ? En quoi est-ce un problème ? Pensez-vous que le fait d’être « d’origine caucasienne » vous rend détenteur d’une essence différente ? ». Eh bien moi, je vais vous dire en quoi c’est un problème : quand vous êtes le seul Européen blanc au milieu des Arabes et des noirs (assimilés ou non), je vous assure que ça fait quelque chose. Eh oui, je me sens différent dans ce type de situation, parce que c’est une réalité. Il y a des gens qui ont l’habitude d’être minoritaires et qui, peut-être, le vivent bien. Mais quand vous appartenez au groupe qui, il y a peu encore, était majoritaire et qui tend à devenir minoritaire, je vous assure que ça n’a rien de très agréable. Je ne me sens pas supérieur aux autres, mais j’estime qu’il n’est pas criminel de vouloir assurer une relative continuité de peuplement sur un territoire. Après, chacun son idée sur la question. A gauche, beaucoup semblent penser que les Français de souche ont failli et qu’il est temps de donner les clés du pays aux descendants d’immigrés maghrébins et subsahariens, lesquels vont régénérer la France, notamment – mais pas exclusivement – grâce à leur relatif dynamisme démographique.

              Vous-même semblez beaucoup plus enclin à « reconstruire » le pays avec des immigrés assimilés, de toute provenance et de toutes origines, qu’avec des natifs inquiets et tentés par le repli identitaire. Je ne vous le reproche pas, mais je le constate.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Mais d’où tirez-vous cela ? Non , je ne « condamne » rien du tout. » Je ne parlais pas d’une condamnation morale. Je parlais de condamner au sens où vous estimez que ces combats sont vains. Par conséquent la démarche est condamnée à l’échec.]

              Ce n’est pas parce que ne considère que leur combat est vain qu’ils sont condamnés à l’échec. Je vous dis mon opinion : je pense qu’ils se trompent d’analyse, et que leur combat est voué à l’échec. Mais je ne fais rien pour les empêcher de l’engager. Et s’ils arrivent à leur but, je serai ravi de le reconnaître.

              [« Je pense que certains combats sont perdus d’avance. » Et le vôtre ?]

              Je ne le pense pas, sans quoi je ne l’engagerai pas. Mais je me trompe peut-être. Vous noterez quand même que je suis très réaliste sur les buts que je me fixe…

              [« Je crois qu’il faut être lucide : le combat que nous menons avec nos faibles moyens a peu de chance de succès rapide. » « Les combats » que nous menons. Car votre combat et le mien ont fort peu en commun.]

              Je ne le crois pas. Mais c’est une autre discussion, acceptons donc « les combats » pour le moment…

              [« C’est de se réunir avec des amis qui partagent vos inquiétudes, de participer à des actions pour essayer d’en convaincre d’autres… » Beaucoup de gens le font déjà avec des résultats souvent décevants. Mais vous-même qui avez bien plus d’amis que moi, et des plus hauts placés, quels résultats avez-vous obtenus ?]

              Je pense avoir ouvert quelques yeux, avoir sapé quelques certitudes, d’avoir même infléchi quelques décisions. Je ne suis pas capable d’évaluer les effets. Mais je veux croire que c’est mieux que rien.

              [« Je sais, c’est idiot, mais j’aimerais qu’après mon départ de cette terre les gens se souviennent de moi en bien. » Eh bien je ne trouve pas cela idiot. Mais je vous avertis : il est difficile de plaire à tout le monde…]

              Je dirais même que c’est impossible. Mais si les gens que je respecte se souviennent de moi en bien, je m’estimerai heureux.

              [« Je ne « disqualifie » rien « d’avance ». Je pense que Zemmour et Bock-Côté abordent la question de l’identité du mauvais côté : d’une part parce qu’ils essentialisent l’identité, d’autre part parce qu’ils refusent d’établir un lien entre l’identité et la structure matérielle de la société. » Alors disons que vous disqualifiez a posteriori.]

              Oui, après instruction du dossier et mûre analyse. N’est ce pas la bonne façon de procéder ?

              [« Mais est-ce que j’ai écrit une seule fois le contraire ? » En un sens oui. Pour vous, ce n’est pas l’immigration le problème. Le problème, c’est l’absence d’assimilation.]

              Pas du tout. Pour moi, l’immigration EST un problème, et la solution au problème est l’assimilation. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

              [Si l’assimilation fonctionnait, je n’ai pas l’impression que vous seriez hostile à l’immigration.]

              Tout à fait. Seulement, il est clair que l’assimilation ne peut fonctionner qu’avec une immigration contrôlée. J’irai même plus loin : si l’assimilation marchait, autrement dit, si la société exerçait une véritable pression pour rendre l’assimilation quasi obligatoire, l’immigration se réduirait radicalement. Là encore, je pense à mon expérience personnelle : quand mes parents ont choisi la France pour émigrer, nombreux ont été leurs amis qui les ont mis en garde sur la « difficulté de s’installer en France » et ont choisi pour eux-mêmes d’autres destins. En fait, la « difficulté » était en grande partie liée à la pression assimilatoire (obligation de bien parler la langue, d’adopter les coutumes du pays, etc.). Et dix ans plus tard, la plupart des gens qui sont venus en même temps que mes parents sont partis, soit pour retourner au pays, soit pour aller dans des pays ou les exigences étaient moins fortes.

              [Et le fait est que les changements de population qu’entraîne inévitablement une immigration extra-européenne ne sont pas un problème pour vous. Vous l’avez dit tout récemment encore à un commentateur qui s’inquiète que « les personnes d’origine caucasienne » (formulation étrange entre nous, qui désigne les blancs de souche européenne je suppose) deviennent minoritaires. Vous lui répondez, un peu abruptement, je cite : « Et alors ? En quoi est-ce un problème ? Pensez-vous que le fait d’être « d’origine caucasienne » vous rend détenteur d’une essence différente ? ». Eh bien moi, je vais vous dire en quoi c’est un problème : quand vous êtes le seul Européen blanc au milieu des Arabes et des noirs (assimilés ou non), je vous assure que ça fait quelque chose.]

              Moi, franchement, cela ne me fait rien. Si ces arabes et ces noirs boivent de l’alcool, mangent du saucisson, parlent parfaitement la langue de Molière, et versent une larme lorsqu’on entend « la marseillaise », bref, s’ils partagent avec moi la même sociabilité, les mêmes références, la couleur de leur peau ou leurs traits me sont parfaitement indifférents.

              Sans vouloir vous offenser, je pense finalement qu’au fond de vous vous avez une vision essentialiste de la question ethnique. Pour vous, un noir, un arabe, même parfaitement assimilés resteront quand même « différents » dans leur comportement, dans leur vision du monde. C’est pour cela qu’au fond de vous vous ne croyez pas vraiment que l’assimilation soit possible, non pas que l’impossibilité soit circonstantielle (comme c’est mon cas), mais parce que, quelque soit la qualité de l’assimilation, il y a une différence essentielle, irréductible, qui ne disparaîtra jamais.

              [Vous-même semblez beaucoup plus enclin à « reconstruire » le pays avec des immigrés assimilés, de toute provenance et de toutes origines, qu’avec des natifs inquiets et tentés par le repli identitaire. Je ne vous le reproche pas, mais je le constate.]

              Pas du tout. Je ne fais pas de différence « d’essence » avec les êtres humains. Je voudrais reconstruire avec tous ceux qui le veulent, quelque soit leur origine. Mais parce que je veux RE-construire, je me situe dans une logique d’héritage. Cet héritage est « naturel » pour les natifs, il est « adopté » pour les autres. Ce qui veut dire que les conditions pour participer à la RE-construction ne sont pas les mêmes pour les uns et pour les autres. A l’étranger, j’exige de faire sien un héritage par une opération de la volonté, alors qu’au natif je n’exige que la volonté de préserver.

              C’est pourquoi je ne partage pas l’idée d’une “égalité” entre ceux qui viennent d’ailleurs et ceux qui ont leur souche ici. Mon grand-père, qui savait ce que migrer voulait dire, disait toujours que lorsqu’on n’est pas du pays, il faut payer le “droit d’admission”. Et il le disait sans la moindre amertume, comme si c’était une évidence. Personnellement, je suis tout à fait d’accord avec lui: je n’ai dans ce pays les droits d’un citoyen que parce que j’ai payé mon “droit d’admission”. C’est cet acte volontaire qui fait de moi un français, et non la carte d’identité, comme le pense Mélenchon.

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
               
              [Vous noterez quand même que je suis très réaliste sur les buts que je me fixe…]
              Vos buts me paraissent très ambitieux, si du moins je les ai bien cernés.

              [Mais si les gens que je respecte se souviennent de moi en bien, je m’estimerai heureux.]
              Je vous souhaite longue vie. Mais, bien que je ne vous connaisse pas personnellement, je garderai toujours une forme d’admiration pour votre pensée, même si je suis loin de l’épouser en totalité. Vous ne m’avez pas convaincu sur un certain nombre de points, mais vous m’avez beaucoup appris – y compris sur moi-même. Et, malgré l’amertume et le pessimisme que j’affiche souvent, je vous en suis au fond reconnaissant.

              [Seulement, il est clair que l’assimilation ne peut fonctionner qu’avec une immigration contrôlée. J’irai même plus loin : si l’assimilation marchait, autrement dit, si la société exerçait une véritable pression pour rendre l’assimilation quasi obligatoire, l’immigration se réduirait radicalement.]
              Si vous me dites que la pression assimilatrice aurait pour effet de réduire drastiquement l’immigration, alors je dois peut-être reconsidérer ma position sur la question. Mais que fait-on des immigrés déjà naturalisés et non-assimilés ? Et surtout que faire de leurs descendants mal assimilés qui n’ont que des liens ténus avec le « pays d’origine » ? A ceux-là, ne vous semble-t-il pas difficile de leur donner le choix entre l’assimilation et la valise ? Et puis, après des décennies de « laisser-faire », ne craignez-vous pas que le retour à la pression assimilatrice soit vécu comme une forme d’injustice ?

              [Sans vouloir vous offenser, je pense finalement qu’au fond de vous vous avez une vision essentialiste de la question ethnique. Pour vous, un noir, un arabe, même parfaitement assimilés resteront quand même « différents » dans leur comportement, dans leur vision du monde.]
              Vous ne m’offensez pas. L’honnêteté m’oblige à reconnaître que vous avez en grande partie raison. Oui, j’ai une conception « fixiste » ou « traditionaliste » du monde : les peuples, les nations, les civilisations ont pour moi des traits spécifiques, hérités d’un long passé, et qui ne devraient changer que très lentement, et si possible à la marge. Il est clair que je ne suis pas un révolutionnaire dans l’âme mais plutôt un conservateur.
              Votre conception de la nation est celle des Lumières. En ce qui me concerne, si je ne renie pas une partie de l’apport des Lumières, je dois dire que ma conception de la nation emprunte beaucoup au romantisme du XIX° siècle. L’universalisme est un concept qui me laisse dubitatif.

              Cela étant dit, je veux préciser un point : lorsque je parle de « race » ou d’ « ethnie », je ne veux pas dire que les Français doivent avoir un « pedigree » au sens où on l’entend pour les chats ou pour les chiens, avec des caractères physiques précis. Non, je me borne à constater, y compris d’ailleurs à travers les productions artistiques, que, depuis des temps immémoriaux, l’immense majorité des Français présente des traits européens. Ces traits physiques ne sont d’ailleurs pas spécifiques à la France, ils sont partagés pour l’essentiel par les autres populations autochtones d’Europe de l’Ouest, et s’ils sont variés, ils permettent tout de même de distinguer un Français de souche européenne d’un Maghrébin ou d’un Subsaharien. Je me permets d’insister : l’ethnie ne suffit pas pour moi à faire la nation, il y a d’autres facteurs très importants, à commencer par la langue, la religion et bien sûr la politique. Je ne conteste pas que la nation française soit le produit d’une histoire avant tout politique. Mais, et effectivement sur ce point nous sommes en désaccord, je crains qu’un changement trop important au niveau du type ethnique dominant entraîne une transformation profonde de l’image que la France a d’elle-même et de l’image qu’elle renvoie au monde. Pour le dire autrement, lorsque toutes les personnes que je croise dans la rue ne ressembleront plus du tout aux personnages représentés dans les Très Riches Heures du duc de Berry ou sur les vitraux des églises, on sera bien obligé de constater une forme d’inadéquation entre la population française passée et la population française présente. Et contrairement à vous, je pense que cela aura des conséquences identitaires, d’une manière ou d’une autre.

              [C’est pour cela qu’au fond de vous vous ne croyez pas vraiment que l’assimilation soit possible, non pas que l’impossibilité soit circonstantielle (comme c’est mon cas), mais parce que, quelque soit la qualité de l’assimilation, il y a une différence essentielle, irréductible, qui ne disparaîtra jamais.]
              Au fond de moi, je crois surtout que l’assimilation n’est souhaitable que pour une petite minorité d’immigrés, triés sur le volet, tout particulièrement pour ceux originaires de pays extra-européens. De plus, vous le savez, pour des raisons historiques, je suis hostile par principe à l’assimilation des immigrés originaires des anciennes colonies françaises.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Vous noterez quand même que je suis très réaliste sur les buts que je me fixe… » Vos buts me paraissent très ambitieux, si du moins je les ai bien cernés.]

              Transmettre chaque fois qu’on a l’opportunité, préserver chaque fois que l’on peut vous paraît un objectif ambitieux ?

              [« Seulement, il est clair que l’assimilation ne peut fonctionner qu’avec une immigration contrôlée. J’irai même plus loin : si l’assimilation marchait, autrement dit, si la société exerçait une véritable pression pour rendre l’assimilation quasi obligatoire, l’immigration se réduirait radicalement. » Si vous me dites que la pression assimilatrice aurait pour effet de réduire drastiquement l’immigration, alors je dois peut-être reconsidérer ma position sur la question.]

              Vous avez compris que dans mon esprit dans une logique assimilationniste l’assimilation n’est pas un choix, mais c’est une quasi-obligation imposée par la pression sociale. L’étranger qui vient chez nous doit savoir qu’il aura le choix entre s’assimiler ou partir. Et cela, comme le montre l’exemple que je vous ai proposé, est un puissant facteur de découragement. Si des pays comme la Grande Bretagne attirent les candidats à l’immigration, c’est parce qu’on sait qu’on peut y vivre dans sa « communauté » sans faire l’effort d’assimilation.

              [Mais que fait-on des immigrés déjà naturalisés et non-assimilés ? Et surtout que faire de leurs descendants mal assimilés qui n’ont que des liens ténus avec le « pays d’origine » ? A ceux-là, ne vous semble-t-il pas difficile de leur donner le choix entre l’assimilation et la valise ?]

              Non. Ce sera certainement pour eux plus difficile de choisir la valise, mais ce n’est pas mon problème. Pour eux, je voudrais une politique « d’assimilation intérieure » équivalente à celle que la IIIème République a mis en œuvre à la fin du XIXème siècle. Les « mal assimilés » de nos quartiers sont les nouveaux bretons, les nouveaux occitans, les nouveaux savoyards.

              [Et puis, après des décennies de « laisser-faire », ne craignez-vous pas que le retour à la pression assimilatrice soit vécu comme une forme d’injustice ?]

              Au contraire. Je pense que ce « laisser-faire » est mal vécu par les descendants d’immigrés. Un contrat clair, où l’assimilation ouvre le droit à la pleine citoyenneté et à la promotion sociale serait, je pense, universellement accepté. Bien sur, il y aura des mécontents : on ne peut pas plaire à tout le monde…

              [De plus, vous le savez, pour des raisons historiques, je suis hostile par principe à l’assimilation des immigrés originaires des anciennes colonies françaises.]

              Oui, je le sais. Mais c’est là une autre question, qui tient moins à une vision « ethnique » qu’à l’idée que vous vous faites de la responsabilité collective. Je ne suis pas totalement insensible à cet argument…

    • Claustaire dit :

      Bonjour,
       
      Tout en remerciant une fois de plus notre hôte pour son site, ses réflexions, témoignages, souvenirs, inquiétudes et espoirs, ainsi que la générosité avec laquelle il accueille ses visiteurs et la courtoisie avec laquelle il s’efforce de leur répondre, je voudrais juste, Carloman, vous proposer quelques premières réflexions venues au fil de la lecture de votre intervention (avant même d’avoir lu la réponse de notre hôte, ce que je ferai plus tard) :
       
      L’iconoclasme n’est pas une exclusive républicaine moderne française : depuis l’antiquité (cf. même égyptienne) au fil des siècles de monarchie ou de théocratie (cf. certaines querelles byzantines ou ‘protestantes’), nombreux furent les épisodes iconoclastes.(que ce soit lors de certains changements politiques ou religieux, dynastiques ou idéologiques).
       
      De même, l’idée de (re)démarrer à zéro n’est pas propre à notre Révolution, ce fut le cas de bien des pouvoirs politiques ou religieux antérieurs (Cf. démarrage an I de la religion chrétienne ou musulmane). On notera que notre Révolution, dans sa logique de rationalisation, aura quand même plus ou moins répandu quasi universellement le système métrique (avec ses déduction d’autres mesures de volumes ou de poids) qu’elle conçut à cette époque de remise à zéro des dates, poids et mesures… en fonction d’une Terre commune et des Droits universels des Humains participant d’une humanité commune.

      A partir du moment où vous acceptez comme compatriotes des gens adeptes d’une autre religion que la ou les religions séculaires devenues autochtones, n’est-il pas normal que ces nouveaux concitoyens soient admis avec leur religion et leurs pratiques publiques (du moins aussi longtemps que les pratiques de cette religion ne seraient pas contraires aux principes de cette république ou au respect d’un ordre public commun) ? Surtout dans une république laïque, garante de toutes les libertés d’opinions, de croyances ou d’incrédulités ?

      • Descartes dit :

        @ Claustaire

        [A partir du moment où vous acceptez comme compatriotes des gens adeptes d’une autre religion que la ou les religions séculaires devenues autochtones, n’est-il pas normal que ces nouveaux concitoyens soient admis avec leur religion et leurs pratiques publiques (du moins aussi longtemps que les pratiques de cette religion ne seraient pas contraires aux principes de cette république ou au respect d’un ordre public commun) ?]

        Non. Le fondement de la laïcité, c’est de faire des croyances religieuses une affaire privée. On n’a donc pas à « admettre » qui que ce soit « avec sa religion ». La République laïque n’a pas à accepter les religions, elles lui sont indifférentes. Après, si les gens veulent rendre hommage à Yahvé, Allah ou Bacchus, tant que cet hommage ne trouble pas l’ordre public, ce n’est pas son problème.

        Le catholicisme occupe une place particulière parce que ce n’est pas seulement une religion, c’est aussi un fait culturel. On n’a pas besoin de croie en dieu ou d’adhérer aux dogmes de l’église catholique pour ressentir l’influence que cette croyance a eu sur notre culture, sur nos institutions, sur notre symbolique.

        • Claustaire dit :

          Vieille mauvaise foi voire sainte ignorance de qui prétend (ou croit savoir) que la laïcité doive réduire l’expression de convictions religieuses ou d’idéologies irréligieuses dans l’espace privé.
           
          D’ailleurs, vous même rappelez que tant que cela ne trouble pas l’ordre public, le droit de manifester ses convictions (religieuses ou politiques diverses, si irrationnelles soient-elles) aussi bien que ses incrédulités est constitutionnel en notre beau (même si pathétique) pays. 
           
          Cela dit, vous n’avez pas tort de rappeler que la France est un pays d’histoire et de culture chrétienne et qu’il ne faille pas s’étonner d’y trouver plus d’églises que de temples de la Raison ou de mosquées, qu’on y entende encore sonner des cloches mais (pour le moment) pas encore beaucoup d’appels du muezzin (qui, je l’espère, seraient de toute façon interdits au nom du trouble à l’ordre public, encore que j’imagine les indignés procès en ‘islamophobie’ que nous vaudrait un tel débat ou interdit).
           
          PS : N’oublions pas que dans trois départements métropolitains (Moselle, Bas-Rhin, Haut-Rhin), trois cultes historiques voient encore, contrairement aux lois de la dite “France de l’intérieur”, payer par l’Etat laïque les cadres religieux que devraient se payer les croyants qui y font appel. S’il est un combat pour la laïcité qu’il faudrait mener, c’est bien dans ces 3 départements.

          • Descartes dit :

            @ Claustaire

            [Vieille mauvaise foi voire sainte ignorance de qui prétend (ou croit savoir) que la laïcité doive réduire l’expression de convictions religieuses ou d’idéologies irréligieuses dans l’espace privé.]

            Si c’est à moi que ce discours s’adresse, non seulement vous êtes grossier, mais en plus à côté de la plaque. Relisez mon commentaire : il n’y a pas un mot sur « l’EXPRESSION des convictions religieuses ». J’ai écrit que la laïcité consiste à faire des « croyances religieuses une affaire privée ». Autrement dit, que l’Etat n’a pas à réglementer ce que vous avez ou pas le droit de croire, pas plus qu’il n’a à « reconnaître » telle ou telle croyance. Quant à l’expression publique, il y a des règles qui régissent l’expression publique de ses convictions, de quelque nature que ce soit. L’Etat n’a pas à faire de distinction entre les différents types de « convictions ». Et vous noterez d’ailleurs que nos textes constitutionnels s’en tiennent à cette discipline.

            [D’ailleurs, vous même rappelez que tant que cela ne trouble pas l’ordre public, le droit de manifester ses convictions (religieuses ou politiques diverses, si irrationnelles soient-elles) aussi bien que ses incrédulités est constitutionnel en notre beau (même si pathétique) pays.]

            Autrement dit, vous m’accusez d’abord d’ignorance et de mauvaise foi pour avoir dit quelque chose, et ensuite vous affirmez que j’ai rappelé le contraire… faudrait peut-être vous décider.

            [Cela dit, vous n’avez pas tort de rappeler que la France est un pays d’histoire et de culture chrétienne]

            Pardon, mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je ne sais ce que c’est qu’une « histoire et culture chrétiennes ». Je ne connais qu’une histoire et une culture françaises, dans la constitution de laquelle le catholicisme a eu une énorme influence. Mais je me garderais bien de parler de « culture chrétienne », formule empruntée à la logique de « guerre des civilisations », qui a mon sens exclut de facto tous les autres apports.

            [et qu’il ne faille pas s’étonner d’y trouver plus d’églises que de temples de la Raison ou de mosquées,]

            Pardon, il y a aujourd’hui peut-être plus de temples de la Raison que d’églises. Simplement, on les appelle « écoles »…

            [PS : N’oublions pas que dans trois départements métropolitains (Moselle, Bas-Rhin, Haut-Rhin), trois cultes historiques voient encore, contrairement aux lois de la dite “France de l’intérieur”, payer par l’Etat laïque les cadres religieux que devraient se payer les croyants qui y font appel. S’il est un combat pour la laïcité qu’il faudrait mener, c’est bien dans ces 3 départements.]

            Je pense que c’est aujourd’hui un combat d’arrière-garde. La séparation pleine et entière entre les églises et l’Etat était indispensable lorsqu’il s’agissait de briser le pouvoir politique et économique de l’église catholique. Cet objectif est largement atteint, même dans les trois départements de l’Alsace-Moselle. Que je sache, ce n’est pas l’église qui décide ce qu’on peut enseigner ou qui il faut élire à Strasbourg ou à Colmar. Aujourd’hui, le paiement des curés, rabbins et imams par l’Etat relève plus du culturel, un peu comme les croix sur les chapelles des hôpitaux, qu’autre chose.

            Je pense qu’aujourd’hui le combat pour la laïcité est moins le combat contre les églises traditionnelles – qui représentent une menace résiduelle et ne se mêlent pratiquement plus des affaires civiles – que contre des dogmatismes divers qui prétendent abolir la frontière entre la sphère privée et la sphère publique. Qu’ils aient pour base une croyance surnaturelle, comme l’islam radical, où une pure approche spirituelle, comme certains écologismes…

            • Claustaire dit :

              Puisque vous avez écrit que ” la laïcité consiste à faire des « croyances religieuses une affaire privée »”, j’ai le devoir, sans vouloir nullement vous agresser (quel serait alors l’intérêt de nos échanges ?), de vous signaler que vous vous trompez, êtes mal informé ou jouez sur les mots pour ne pas avoir à le reconnaître. Même un maître peut se faire signaler ses erreurs, approximations ou ambiguïtés et en tirer profit (pour avoir été enseignant, je suis bien placé pour le savoir).
               
              A partir du moment où les croyances religieuses (ou irréligieuses) ont le droit à leur expression publique, elles ne ne sont évidemment pas réduites à leur “sphère privée”, tout en devant s’inscrire dans le respect de “l’ordre public” et de l’ensemble de nos lois.
               
              Je vous avais d’ailleurs, fort respectueusement, fait remarquer que nous sommes bien d’accord sur le fond : la laïcité est bien le cadre des libertés religieuses et convictionnelles et non leur ennemie, contrairement à ce que certains prétendent.
               
              Et ce n’est pas la laïcité qui demanderait aux gens de garder leurs convictions religieuses dans la sphère privée, mais plutôt une élémentaire espèce de décence commune soucieuse de plutôt valoriser ce qui est commun aux gens que ce qui les distingue.

            • Descartes dit :

              @ Claustaire

              [Puisque vous avez écrit que ” la laïcité consiste à faire des « croyances religieuses une affaire privée »”, j’ai le devoir, sans vouloir nullement vous agresser (quel serait alors l’intérêt de nos échanges ?), (…)]

              Je laisse nos lecteurs décider si écrire à propos de votre interlocuteur « vieille mauvaise foi voire sainte ignorance de qui prétend (ou croit savoir) » constitue ou non une agression personnelle. Pour ce qui me concerne, je ne vois à cette expression aucune valeur argumentaire… et parler de « mauvaise foi » est un procès d’intention.

              [(…) de vous signaler que vous vous trompez, êtes mal informé ou jouez sur les mots pour ne pas avoir à le reconnaître.]

              Pardon : « de vous signaler QU’A MON AVIS vous vous trompez… etc. ». A moins que vous possédiez la vérité, vous n’avez pas la possibilité de savoir qui « se trompe », qui est « mal informé », ou qui « joue sur les mots ». Je sais, la possibilité est infinitésimale, mais… il est possible que ce soit VOUS qui vous trompiez, non ? Ou plus simplement, comme c’est le cas ici, que vous n’ayez pas bien compris ce que l’autre a écrit.

              [Même un maître peut se faire signaler ses erreurs, approximations ou ambiguïtés et en tirer profit (pour avoir été enseignant, je suis bien placé pour le savoir).]

              Et bien, vous ne vous offenserez pas alors si je vous signale les vôtres :

              [A partir du moment où les croyances religieuses (ou irréligieuses) ont le droit à leur expression publique, elles ne ne sont évidemment pas réduites à leur “sphère privée”, tout en devant s’inscrire dans le respect de “l’ordre public” et de l’ensemble de nos lois.]

              Vous confondez une fois encore « sphère privée » est « espace privé ». La sphère privée est constituée par l’ensemble des questions dans lesquelles vous êtes libre d’établir vos propres règles sans interférence de la collectivité et de son bras armé, l’Etat. Ainsi, par exemple, on considère que le choix de la personne avec qui vous partagez votre vie fait partie de la sphère privée. Votre décision n’est susceptible d’aucun recours, d’aucune règle extérieure. Vous pouvez définir vos propres critères, y compris ceux qui, pour d’autre choix, on considérerait discriminatoires. Et le fait que vous fassiez ce choix dans le secret de votre alcôve (espace privé) ou dans une ou dans la rue (espace public) ne fait rien à l’affaire.

              Le choix religieux a fait partie longtemps de la sphère publique. Les princes n’hésitaient pas à faire des règles en cette matière, interdisant certains types de conversions, rendant d’autres obligatoires, imposant des règles quant à l’exercice du culte. En France – mais aussi dans beaucoup de pays européens – un long mouvement historique à progressivement fait du choix religieux un choix libre dans lequel l’Etat ne s’immisce pas, rejetant ainsi la question de la croyance religieuse dans la sphère privée – quand bien même ce choix s’exprimerait dans l’espace public. Cette idée n’est pas encore acceptée dans le monde musulman : ainsi, par exemple, l’apostasie est toujours punie.

              [Je vous avais d’ailleurs, fort respectueusement, fait remarquer que nous sommes bien d’accord sur le fond : la laïcité est bien le cadre des libertés religieuses et convictionnelles et non leur ennemie, contrairement à ce que certains prétendent.]

              Je ne sais pas comment on peut « être d’accord » sur ce qu’est la laïcité alors qu’on ne met pas dans ce terme la même signification. Pour moi, la laïcité consiste à ranger la croyance religieuse dans la sphère privée. Autrement dit, de rendre l’Etat indifférent aux religions, considérés comme une opinion comme une autre. J’ai cru comprendre que vous rejetiez – en des termes fort peu respectueux – cette définition, mais je n’ai pas entendu la votre…

              [Et ce n’est pas la laïcité qui demanderait aux gens de garder leurs convictions religieuses dans la sphère privée,]

              On ne leur « demande » rien. Dès lors que l’Etat s’interdit à faire des règles concernant la religion ou à prendre cette variable en compte, celle-ci est automatiquement rangée dans la sphère privée. Encore une fois, il faut faire la distinction entre « sphère privée » et « espace privé ». Le fait de tuer quelqu’un est un crime, que l’acte s’accomplisse dans votre salle à manger ou dans le métro. Pour la simple raison que la question de la vie humaine est, dans notre société, dans la sphère publique. A l’inverse, si vous demandez la main de votre dulcinée et celle-ci vous dit « oui », c’est une question privée quand bien même elle vous dirait « oui » au pied de la Tour Eiffel.

      • Carloman dit :

        @ Claustaire,
         
        [L’iconoclasme n’est pas une exclusive républicaine moderne française : depuis l’antiquité (cf. même égyptienne) au fil des siècles de monarchie ou de théocratie (cf. certaines querelles byzantines ou ‘protestantes’), nombreux furent les épisodes iconoclastes.(que ce soit lors de certains changements politiques ou religieux, dynastiques ou idéologiques).De même, l’idée de (re)démarrer à zéro n’est pas propre à notre Révolution, ce fut le cas de bien des pouvoirs politiques ou religieux antérieurs (Cf. démarrage an I de la religion chrétienne ou musulmane).]
        Tout à fait d’accord : toute « réforme » religieuse porte en germe des éléments « révolutionnaires », on l’a vu avec le protestantisme qui engendra la guerre des paysans en Allemagne. Luther, si ma mémoire ne me trompe pas, prit fait et cause pour les princes, la classe dominante établie. Mais certains avaient vu dans la Réforme protestante un moyen de secouer le joug féodal.
        Le wahhabisme saoudien, depuis le XVIII° siècle, est un adepte de la « table rase » au sens propre : il a détruit une bonne partie du patrimoine islamique des villes saintes de Médine et de la Mecque, au nom d’un retour à une pureté mythique et fantasmée des premiers temps de l’islam.
         
        [On notera que notre Révolution, dans sa logique de rationalisation, aura quand même plus ou moins répandu quasi universellement le système métrique (avec ses déduction d’autres mesures de volumes ou de poids) qu’elle conçut à cette époque de remise à zéro des dates, poids et mesures… en fonction d’une Terre commune et des Droits universels des Humains participant d’une humanité commune]
        Je le redis : je ne crois pas qu’il faille rejeter l’héritage révolutionnaire. La Révolution a fait de grandes choses, et des choses utiles. Je ne crache pas dans la soupe. Mais derrière des idéaux généreux et des réalisations parfois admirables, il ne faut pas se voiler la face : la Révolution a aussi été l’instrument d’une classe sociale, la bourgeoisie, qui avait intérêt à détruire le carcan de l’Ancien Régime pour favoriser l’essor du capitalisme naissant.
         
        [A partir du moment où vous acceptez comme compatriotes des gens adeptes d’une autre religion que la ou les religions séculaires devenues autochtones, n’est-il pas normal que ces nouveaux concitoyens soient admis avec leur religion et leurs pratiques publiques (du moins aussi longtemps que les pratiques de cette religion ne seraient pas contraires aux principes de cette république ou au respect d’un ordre public commun) ?]
        Il y a religion et religion. Personnellement, je suis fort peu démonstratif quant à mon appartenance religieuse, et je ne me promène jamais avec des signes ostensibles par exemple. Comme je dis souvent, ma pudeur s’appelle discrétion. Et j’avoue que j’ai tendance à exiger des autres la même attitude. Ce que je reproche à beaucoup de musulmans – puisque c’est d’eux qu’on parle – c’est de porter leur religion en bandoulière, de faire de l’islam un étendard, et un étendard clairement dirigé contre la culture française autochtone. Car il ne faut pas se raconter d’histoire : les voiles, les abayas, les gandourahs, l’observation de plus en plus stricte des interdits alimentaires, tout cela est destiné à provoquer, à marquer l’hostilité envers la culture française, qui est une culture de tradition chrétienne largement sécularisée.
         
        Les « principes de la République » ou le « respect d’un ordre public commun » ne suffisent pas à fonder une identité commune. Pourquoi devrais-je « accepter » comme compatriotes des gens qui refusent ostensiblement de vivre comme moi, de s’habiller comme moi, de manger et de boire comme moi ? Des gens qui, en voilant leurs femmes, traitent indirectement la mienne de catin puisqu’elle n’est pas voilée (car si le voile est, comme l’expliquent les « bons musulmans » y compris les soi-disant « modérés », l’apanage des femmes pudiques, il faut bien admettre que la femme non-voilée est impudique). On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre : être différent a un coût, et quand on choisit d’afficher sa différence, on doit accepter d’en payer le prix, c’est-à-dire d’être regardé comme étranger…
         
        Je m’applique d’ailleurs à moi-même ce principe : j’habite dans une zone où l’islam est majoritaire. Comme je n’adopte aucun des codes islamiques en vigueur, j’accepte d’être regardé comme un kâfir.

        • Descartes dit :

          @ Carloman

          [Il y a religion et religion. Personnellement, je suis fort peu démonstratif quant à mon appartenance religieuse, et je ne me promène jamais avec des signes ostensibles par exemple. Comme je dis souvent, ma pudeur s’appelle discrétion. Et j’avoue que j’ai tendance à exiger des autres la même attitude. Ce que je reproche à beaucoup de musulmans – puisque c’est d’eux qu’on parle – c’est de porter leur religion en bandoulière, de faire de l’islam un étendard, et un étendard clairement dirigé contre la culture française autochtone.]

          Je pense qu’il faut signaler une erreur d’analyse très commune à gauche, qui est de faire de la question du voile, des interdits alimentaires, des abayas une question « religieuse », qu’on devrait traiter avec les instruments de la laïcité. Au risque de me répéter, j’ai toujours soutenu ici l’idée que ces expressions n’ont rien à voir avec l’expression d’un sentiment religieux, et qu’elles ne sont qu’un instrument pour maintenir l’unité d’une communauté et la séparer de l’ensemble de la nation. L’Islam est ici un prétexte. On le voit d’ailleurs dans d’autres communautés : Aucun texte ne voit Yahvé prescrire le caftan noir et le chapeau que portent les ultra-orthodoxes. Même chose pour la kipa : la tradition prescrit qu’un juif ne se découvre pas devant son dieu, étant membre du peuple élu. Mais la nature de cette couverture n’est pas précisée.

          La kipa et le caftan, comme l’abaya ou la gandoura, permettent aux membres de la communauté de se reconnaître entre eux et d’exclure par là même ceux qui n’en sont pas membres, de marquer une frontière entre le « dedans » et le « dehors ». La divinité ne joue là-dedans aucun rôle. Et c’est pourquoi invoquer la laïcité à ce propos est à mon sens inefficace. La question a se poser ici n’est pas de savoir si l’on accepte l’expression religieuse dans l’espace public, mais si on accepte que des « communautés » vivent séparées de l’ensemble de la collectivité nationale et imposent à leurs membres des règles impératives que la loi commune ne prévoit pas.

          [Les « principes de la République » ou le « respect d’un ordre public commun » ne suffisent pas à fonder une identité commune. Pourquoi devrais-je « accepter » comme compatriotes des gens qui refusent ostensiblement de vivre comme moi, de s’habiller comme moi, de manger et de boire comme moi ?]

          Tout à fait d’accord : les principes de la République et le respect d’un ordre public commun permet aux gens de vivre ensemble dans une paix relative et en préservant les droits de chacun. Mais pour faire nation, il faut beaucoup plus : il faut que chacun voie dans son concitoyen un autre soi-même, méritant du coup une solidarité inconditionnelle et impersonnelle. Et cela implique le partage d’un récit commun, d’une sociabilité commune, d’une ambition commune. Et il est difficile de construire ce partage avec des « communautés » qui veulent marquer en permanence leur séparation d’avec le reste de la collectivité.

  28. Rogers dit :

    Très cher René bonjour,
    J ai trouvé sur le site de l école de guerre économique, l ege, un document plutôt intéressant sur le nucleaire au centre d une lutte entre la France et l’Allemagne. Cette dernière aurait intérêt à ce que la France renonce au nucléaire car cette énergie nous confère un avantage industriel sur k Allemagne depuis la fin du gaz russe.
    Si vius avez le temps d y jeter un oeil, 
    Bien à vous

    • Descartes dit :

      @ Rogers

      [J ai trouvé sur le site de l école de guerre économique, l’ege, un document plutôt intéressant sur le nucléaire au centre d une lutte entre la France et l’Allemagne. Cette dernière aurait intérêt à ce que la France renonce au nucléaire car cette énergie nous confère un avantage industriel sur l’Allemagne depuis la fin du gaz russe.]

      La chose est connue. C’était déjà vrai avant que le gaz russe prenne une importance capitale pour l’industrie allemande, et c’est encore plus vrai aujourd’hui. Cependant, le capital allemand a toujours été ambigu sur cette question. Une partie verrait d’un bon œil que la France redevienne “le château d’eau électrique de l’Europe”, fournissant de l’électricité nucléaire bon marché à l’industrie allemande et que l’Allemagne ne peut produire pour des questions de politique interne; une autre partie redoute l’avantage compétitif et le pouvoir d’influence qu’une telle position nous donnerait.

  29. LUC dit :

    ‘Impossible n’est pas français’ est pour vous,un déclencheur et soutien pour un combat progressite. Mais tous les combats ne sont pas progressistes en ces jours où la cupidité règne .’Impossible n’est pas Wagner’ a dit Prigojine à ses troupes,ce 24/06/2023..Cette antienne est une forme de démagogie qui contredit la rationalité de votre blog.Descartes. Or toute démagogie est une tromperie.Cette tromperie quand elle est perçue entraine des déceptions.Ces déceptions provoquent des rancoeurs , des radotages des ruminations…Tout ceci aboutit à la démission et à la sortie du projet pour lequel il fut promis un succès assuré car ‘Impossible n’est pas..’.
    Ce WeekEnd, Pigojine a dit ‘Impossible n’est pas Wagner’. Le résultat est qu’il a été appaudi par les Ukro-nazis pour sa paratique aventureuse voire impossible..Et réellement impossible..Il y a eu 3 ou 4 mort dans un petit avion d’obesrvation russe et un hélicoptère russe:dramatique autant qu’inutile .
    La dépagogie consiste à prendre des citoyens pour des imbéciles.Quelques temps après ces citoyens vpus le fpnt payer et se retournent contre vous,n’est ce pas ?

    • Descartes dit :

      @ LUC

      [« Impossible n’est pas français » est pour vous, un déclencheur et soutien pour un combat progressiste. Mais tous les combats ne sont pas progressistes en ces jours où la cupidité règne. ’Impossible n’est pas Wagner’ a dit Prigojine à ses troupes, ce 24/06/2023.]

      Si vous ne voyez pas la différence entre une nation et un groupe de mercenaires, je ne peux rien pour vous, désolé. La formule de Napoléon concerne les capacités d’une nation – qui plus est, d’une nation en construction. La formule de Prigogine – si tant est que Prigogine l’ait employée, ce dont je doute fortement – ne concernerait qu’un groupe de mercenaires. Par ailleurs, Prigogine – encore une fois, en supposant qu’il ait employé la formule en question – n’avait pas l’air très convaincu : il est parti en exil plutôt que de livrer bataille, tout le contraire de Napoléon…

      [Cette antienne est une forme de démagogie qui contredit la rationalité de votre blog.]

      La répétion ne constitue pas un argument. J’ai vous ai déjà expliqué pourquoi, au contraire, cette « antienne » est tout à fait rationnelle. Répéter le contraire ne nous avancera pas. Avez-vous des arguments ?

      [Descartes. Or toute démagogie est une tromperie. Cette tromperie quand elle est perçue entraine des déceptions. Ces déceptions provoquent des rancoeurs, des radotages des ruminations…]

      Oui, c’est vrai. Décréter dès le départ que c’est impossible, qu’on n’y arrivera pas, et ne pas essayer, c’est la garantie de ne jamais être déçu. Essayer, c’est prendre le risque d’être déçu, lutter c’est prendre le risque d’être battu. Est-ce pour autant le meilleur choix ? Personnellement, je ne le pense pas. Je prends le risque de la déception, des rancœurs et des ruminations plutôt que celui de l’impuissance.

      [Tout ceci aboutit à la démission et à la sortie du projet pour lequel il fut promis un succès assuré car ‘Impossible n’est pas..’.]

      Pardon, mais la formule ne promet nullement un « succès assuré ». Elle dit que le succès est possible, pas qu’il est certain ni même probable. J’ai l’impression que vous critiquez la formule en question sans l’avoir véritablement comprise…

      [Ce WeekEnd, Pigojine a dit ‘Impossible n’est pas Wagner’.]

      Quand ça ? Pouvez-vous indiquer quand Prigogine aurait utilisé pareille formule ? Prigogine a essayé un coup, s’imaginant qu’il suffirait de marcher sur Moscou pour que les mécontents du régime de Poutine se rallient à lui. Un peu comme le « quarteron de généraux » chez nous. Quand il a constaté que le régime ne cédait pas et que les ralliements ne venaient pas, il a négocié le retour aux casernes pour sauver sa peau. Pour ceux qui connaissent un peu l’histoire, c’est d’un classicisme…

      Maintenant, comment Prigogine a pu se tromper autant ? Comment a-t-il pu croire qu’il bénéficierait de ralliements nombreux et puissants, alors qu’en Russie personne ne l’a rejoint, et que sur le plan international seuls quelques oligarques vendus aux services occidentaux comme Khodorkovsky ont pris fait et cause pour lui, alors que les chancelleries occidentales demeuraient muettes ? Peut-être a-t-il fini par gober les discours occidentaux sur la faiblesse du régime de Poutine ?

      [Le résultat est qu’il a été applaudi par les Ukro-nazis pour sa pratique aventureuse voire impossible… Et réellement impossible…]

      D’abord, je ne me souviens d’aucun « applaudissement » qui aurait invoqué une pratique « impossible ». C’aurait été de la part des Ukro-nazis assez contradictoire d’applaudir l’impossible. Et ensuite, je ne vois pas en quoi c’était « impossible ». Beaucoup de coups d’Etat réussis ont commencé comme cela.

      [La démagogie consiste à prendre des citoyens pour des imbéciles. Quelques temps après ces citoyens vous le font payer et se retournent contre vous, n’est-ce pas ?]

      Vous noterez que les citoyens ne se sont jamais « retournés » contre Napoléon. Lorsqu’il est finalement exilé après Waterloo – par les alliés, et non par le peuple français – il est regretté et son régime encensé. Au point que le seul prestige de son ancêtre permet à Louis Napoléon de se faire élire président, puis de se faire empereur. Il faut croire que « impossible n’est pas français » n’a pas amené le peuple à « faire payer » à l’Empereur…

      Désolé de vous décevoir, mais comme disait je ne sais plus qui, personne ne s’est appauvri en sous-estimant l’intelligence du public. Le peuple pardonne très facilement les démagogues, et s’il leur demande des comptes, c’est souvent beaucoup plus tard, quand ils sont morts et enterrés. Pensez à Mitterrand…

  30. Claustaire dit :

    Cher hôte, moi qui pensais que vu le contexte de nos échanges (religion, laïcité, etc.), je pouvais, après vous avoir, une fois de plus, félicité pour votre blog, votre patience et votre courtoisie, me permettre de vous taquiner en jouant sur des expressions contenant les mots “foi” ou “sainte”. Désolé de vous avoir inspiré le sentiment d’avoir pu vous agresser, ou pire, insulter.
     
    Sur le fond, je ne pensais pas non plus que cet échange devrait vous entraîner, sinon nous perdre, dans de longues explications sur la différence entre “sphère privée” et “espace privé”. 
     
    Avec mes respects et mes meilleurs voeux pour la poursuite de vos échanges avec vos lecteurs.

  31. Bruno dit :

    Bonjour Descartes,
    Je souhaitais faire une petite parenthèse pour évoquer une actualité brûlante, pas de la première importance, mais à mon sens révélatrice de l’air du temps, dans ce qu’il a de plus étouffant.
    Je suppose que vous avez entendu parler de Geoffroy Lejeune, ancien patron de Valeurs Actuelles. Lagardère, bientôt dévoré par Bolloré, tente de le nommer à la tête de son hebdomadaire, le JDD.
    Face à cette nomination, on assiste à un tir de barrage d’une rare violence. En interne déjà, comme on pouvait s’y attendre, les journalistes se rebiffent, et, en externe, alors là…
    Je ne résiste pas au plaisir de vous faire suivre la brève tribune signée par … 651 personnalités, diverses et variées (de Yannick Noah à Michel Wievorka en passant par Jean-Michel Ribes), bref tous les copains… Ils s’élèvent contre la nomination d’une personnalité “d’extrême droite” à la tête d’un hebdomadaire, qui doit tirer péniblement à 200.000 exemplaires par semaine.
    https://www.breizh-info.com/2023/06/27/221886/la-liste-integrale-des-651-opposants-a-la-liberte-de-la-presse-signataires-dune-tribune-contre-larrivee-de-geoffroy-lejeune-a-la-tete-du-jdd/
    On peut penser ce qu’on veut de Geoffroy Lejeune, à mon sens un bateleur opportuniste, mais je dois dire que le procédé me le rendrait presque sympathique. Depuis des années on répète à l’envi que la droite “extrême” a infiltré les médias et qu’elle tend à dominer le champ des idées.
    Or je constate que la tentative de Bolloré (comme pour Europe 1 et Cnews) d’installer une personnalité “de droite” à la tête d’un journal se heurte à une importante entreprise d’intimidation. On peut évoquer une tentative de censure, dans laquelle, même la Ministre de la Culture s’autorise à prendre parti !
    Que vous évoque cette situation? Que dit-elle de notre société, mais aussi de l’état du combat culturel dans ce pays? Certaines thématiques poussées par la droite progressent, c’est incontestable. Ce n’est pas à vous que j’apprendrais que le réel est têtu…
     

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      D’abord, désolé de ne pas avoir traité votre message, pour des raisons que je ne comprends pas certaines contributions sont marquées comme « indésirables » et mises dans une boite particulière, que je ne vérifie pas tous les jours… c’est ce qui est arrivé à votre message !

      [Je suppose que vous avez entendu parler de Geoffroy Lejeune, ancien patron de Valeurs Actuelles. Lagardère, bientôt dévoré par Bolloré, tente de le nommer à la tête de son hebdomadaire, le JDD.
      Face à cette nomination, on assiste à un tir de barrage d’une rare violence. En interne déjà, comme on pouvait s’y attendre, les journalistes se rebiffent, et, en externe, alors là…]

      Comme disait mon grand-père, celui qui paye les musiciens choisit la partition. Les journalistes aiment à s’imaginer qu’ils sont « indépendants », que des investisseurs vont les financer – à perte – pour écrire ce qu’ils ont envie d’écrire. Ça n’arrive nulle part. Vous me direz que dans certains journaux – je pense à « Le Monde » le propriétaire du journal laisse les journalistes choisir leur directeur. Mais c’est parce qu’il sait à l’avance que les journalistes en question feront le « bon » choix. Xavier Niel, Mathieu Pigasse ou Daniel Kretinsky n’ont jamais eu à se plaindre de « ses » journalistes…

      [Je ne résiste pas au plaisir de vous faire suivre la brève tribune signée par … 651 personnalités, diverses et variées (de Yannick Noah à Michel Wievorka en passant par Jean-Michel Ribes), bref tous les copains… Ils s’élèvent contre la nomination d’une personnalité “d’extrême droite” à la tête d’un hebdomadaire, qui doit tirer péniblement à 200.000 exemplaires par semaine.]

      La lecture de la liste des signataires est en effet intéressante : on voit tous ceux qui ont fait de « l’extême droite » leur diable de confort. On y voit pêle-mêle, des députés LFI, des écologistes, le président de l’Institut Jacques Delors, des députés Renaissance, et tout un paquet d’intellectuels. Mais ce qui est intéressant là-dedans, c’est que cette pétition révèle une conception particulière du débat politique : il ne s’agit pas de gagner le débat par la qualité de l’argumentation, mais de s’assurer que l’adversaire n’ait pas les moyens de s’exprimer. Autrement dit, c’est une vision qui réduit le débat à une question de propagande.

      [On peut penser ce qu’on veut de Geoffroy Lejeune, à mon sens un bateleur opportuniste, mais je dois dire que le procédé me le rendrait presque sympathique. Depuis des années on répète à l’envi que la droite “extrême” a infiltré les médias et qu’elle tend à dominer le champ des idées.]

      Ce qui m’étonne toujours, c’est qu’on pense qu’il suffit d’avoir les médias de son côté pour « dominer le champ des idées ». C’est d’ailleurs auto-contradictoire : cela fait plus de quarante ans que l’élite représentée par les signataires de cette pétition dominent sans partage la quasi-totalité des médias. De France Inter à Libération, de France Télévisions à « Le Monde », on a entendu pendant quarante ans la même vulgate diversitaire, eurolâtre et néolibérale. Comment se fait-il alors que l’extrême droite, qui était jusqu’à il n’y a pas si longtemps pratiquement absente des médias, ait réussi à gagner la « bataille des idées » ?

      [Que vous évoque cette situation? Que dit-elle de notre société, mais aussi de l’état du combat culturel dans ce pays?]

      Qu’est ce que cela m’évoque ? Rien de bien nouveau. Après 1945 et jusqu’à la fin des années 1980, c’était les communistes qu’il fallait réduire au silence. Alors on étranglait leurs journaux, on refusait les journalistes communistes à la télévision, on montait des véritables manipulations (souvenez-vous de l’affaire Fabien). A l’époque, les couches populaires étaient représentées par le PCF, et il fallait donc lui refuser tout moyen d’expression. Aujourd’hui, le parti « populaire », c’est le RN. Et les classes dominantes ressortent donc les mêmes méthodes…

  32. Glarrious dit :

    [ Comme il y avait dans la réunion deux de mes plus vieux amis, qui sont parmi les premières personnes que j’ai rencontrées en arrivant en France – et qui, soit dit en passant, ont joué un rôle essentiel dans mon assimilation à ce pays – et que je n’avais pas vues depuis longtemps ]
     
    Cette pression d’assimilation de la France, comment elle exerçait sur vous personnellement et la société française en générale à l’époque ?

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [Cette pression d’assimilation de la France, comment elle exerçait sur vous personnellement et la société française en générale à l’époque ?]

      Elle avait deux versants : un versant positif, dans lequel l’assimilation était récompensée de différentes manières, un versant négatif, dans lequel le refus de faire les choses « à la française » vous coupait de toute une série d’avantages, de bénéfices, de plaisirs. Prenons un exemple : lorsque vous alliez à la préfecture renouveler votre carte de séjour, il y avait une « prime » évidente à ceux qui parlaient le français correctement (les fonctionnaires ne faisaient AUCUN effort pour comprendre une langue étrangère). Au Lycée, autant mes petits camarades étaient sympa et aidant avec celui qui d’intégrait dans leur sociabilité, autant ils réagissaient négativement devant celui qui n’acceptait leurs règles ou cherchait à imposer les siennes. Quand mes parent ont décidé qu’il valait mieux pour moi faire des études universitaires pouvant être validés dans mon pays d’origine plutôt que la filière des grandes écoles, qui n’ont pas d’équivalence, la déléguée des parents d’élèves est venue à la maison leur expliquer les gravures. Et je me souviens toujours de sa première phrase adressée à ma mère : « vous savez, madame, vous n’avez pas compris comment les choses se passent en France ». Il n’y avit aucune ambiguïté sur le fait que l’étranger avait intérêt à « comprendre comment les choses se passent en France »…

      En passant en revue mes souvenirs de cette époque – et en pensant à ceux de mes ex-compatriotes qui sont venus à la même époque – je n’ai jamais eu le moindre doute sur le fait que le choix était entre l’assimilation et le départ. Et d’ailleurs, la plupart de ceux que j’ai connu sont partis, soit retourné au pays, soit allé dans d’autres pays où la vie était possible sans faire cet effort.

  33. P2R dit :

    En parlant de délitement des institutions, on en vit en direct les conséquences. Quand l’institution du maintient de l’ordre en est à un tel point qu’un flic soit obligé de braquer son arme sur un gamin pour espérer (en vain, hélas) être pris au sérieux, c’est dire l’ampleur du problème. Et comment s’étonner, quand on en arrive à ce stade, qu’un accident survienne. 
    Mais pourquoi aborder ce problème quand il suffit de s’indigner du racisme de la police ou de l’ensauvagement de la société ? 
    Les agents d’une police forte n’ont pas besoin d’être armés pour stopper un ado qui conduit sans permis. Mais voilà, ce n’est pas en faisant jouer les flics au foot avec les jeunes, en prônant la police de proximité, en ayant une réponse judiciaire et politique aux abonnés absents ou en étant à tu et à toi avec ses administrés (ou en étant carrément familier voir grossier, ce qu’on entend systématiquement dans les enregistrements des échanges entre policiers et gardés à vue) qu’on arrive à se faire respecter. 
    Le problème est finalement très similaire à celui de l’école ou des services d’urgences hospitaliers. La seule différence est que les enseignants et les médecins n’ont pas de flingue. Et penser que la solution serait d’intensifier l’usage de la force sans rien changer derrière, c’est se foncer vers la guerre civile. 
    Mais ça n’arrivera pas, les dealers sauront calmer les choses dans quelques jours, business is business. Il n’y a plus de solutions au problème des banlieues, il ne faut pas se voiler la face. C’est cynique, mais seul le renforcement du système mafieux peut permettre de garder tout ce petit monde au calme. Parallèlement, il faudrait laisser ouvertes des alternatives de sortie à ceux qui le veulent, et d’autre part rendre les conditions de vies de plus en plus insupportables dans les banlieues pour qu’à terme ces solutions « alternatives » deviennent suffisamment attrayantes pour pouvoir rivaliser avec la tentation de l’argent facile. c’est atroce mais quelles autres options existent ?
     

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [En parlant de délitement des institutions, on en vit en direct les conséquences. Quand l’institution du maintien de l’ordre en est à un tel point qu’un flic soit obligé de braquer son arme sur un gamin pour espérer (en vain, hélas) être pris au sérieux, c’est dire l’ampleur du problème. Et comment s’étonner, quand on en arrive à ce stade, qu’un accident survienne.]

      Exactement. Je suis en train d’écrire un papier sur la question, alors je vais pas développer, mais cette affaire illustre parfaitement le problème : aujourd’hui, les institutions ont besoin de sortir un flingue pour être prises au sérieux…

      [Mais pourquoi aborder ce problème quand il suffit de s’indigner du racisme de la police ou de l’ensauvagement de la société ?]

      D’accord sur le « racisme », mais l’ensauvagement de la société est un véritable problème, qui n’est pas sans relation avec ce que vous écrivez plus haut.

      [Les agents d’une police forte n’ont pas besoin d’être armés pour stopper un ado qui conduit sans permis. Mais voilà, ce n’est pas en faisant jouer les flics au foot avec les jeunes, en prônant la police de proximité, en ayant une réponse judiciaire et politique aux abonnés absents ou en étant à tu et à toi avec ses administrés (ou en étant carrément familier voir grossier, ce qu’on entend systématiquement dans les enregistrements des échanges entre policiers et gardés à vue) qu’on arrive à se faire respecter.]

      Vous oubliez je pense un élément essentiel. Les institutions ne sont « fortes » que lorsqu’elles bénéficient du soutien de la société. Lorsque qu’on juge normal que le citoyen prenne le parti du délinquant contre la police, l’école, la justice, il ne peut y avoir de police, d’école ou de justice fortes.

      [Le problème est finalement très similaire à celui de l’école ou des services d’urgences hospitaliers. La seule différence est que les enseignants et les médecins n’ont pas de flingue. Et penser que la solution serait d’intensifier l’usage de la force sans rien changer derrière, c’est se foncer vers la guerre civile.]

      Oui et non. L’Etat doit être capable de montrer la force pour ne pas avoir à l’utiliser. Intensifier l’usage de la force n’est peut-être pas la solution, mais dans le contexte actuel c’est bien une partie de la solution. Si l’on peut incendier, piller, caillasser impunément, alors on ne s’en sortira pas.

      [Mais ça n’arrivera pas, les dealers sauront calmer les choses dans quelques jours, business is business. Il n’y a plus de solutions au problème des banlieues, il ne faut pas se voiler la face. C’est cynique, mais seul le renforcement du système mafieux peut permettre de garder tout ce petit monde au calme.]

      Je ne suis pas d’accord. Il y a des moyens, seulement, le bloc dominant n’est pas prêt à payer pour les mettre en œuvre.

      • P2R dit :

        [Vous oubliez je pense un élément essentiel. Les institutions ne sont « fortes » que lorsqu’elles bénéficient du soutien de la société. Lorsque qu’on juge normal que le citoyen prenne le parti du délinquant contre la police, l’école, la justice, il ne peut y avoir de police, d’école ou de justice fortes.]
         
        Je crois que si les classes dominantes sont encore loin d’être d’accord avec celà, il y a néanmoins un mouvement de fond dans la société, et particulièrement chez les baby-boomers qui ont été les premiers à croire naïvement dans les vertues du néolibéralisme et qui voient aujourd’hui leurs enfants -et parfois eux-mêmes- en payer les pots cassés. Je constate ceci au sein de ma propre famille en tout cas. On commence à comprendre qu’on ne nousa pas tout dit sur les effets de la révolution libérale et de ses conséquences à long terme.
        D’ailleurs, les sondages d’opinions montrent également un soutient majoritaire de la population à la police, y compris après les récents événements.
         
        [Intensifier l’usage de la force n’est peut-être pas la solution, mais dans le contexte actuel c’est bien une partie de la solution]
         
        Je crois que c’est exactement le sens de ma phrase “Et penser que la solution serait d’intensifier l’usage de la force sans rien changer derrière, c’est foncer vers la guerre civile” 😉
         
         
        [Je ne suis pas d’accord. Il y a des moyens, seulement, le bloc dominant n’est pas prêt à payer pour les mettre en œuvre.]
         
        Quels moyens selon vous ?
         
         
         
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [D’ailleurs, les sondages d’opinions montrent également un soutient majoritaire de la population à la police, y compris après les récents événements.]

          Malheureusement, quand il s’agit de passer des opinions aux actes, il n’y a plus personne. S’il y a un « soutien majoritaire de la population à la police », comment se fait-il que lorsqu’un policier est tué, quand un commissariat est brulé, on ne voit pas une manifestation de rejet massif dans la rue ? Pourquoi, lorsque les policiers cherchent à arrêter un voyou dans la rue ou à contrôler son identité, ils voient la population manifester son hostilité ?

          [« Je ne suis pas d’accord. Il y a des moyens, seulement, le bloc dominant n’est pas prêt à payer pour les mettre en œuvre. » Quels moyens selon vous ?]

          L’assimilation des étrangers. Une éducation de qualité et accessible à tous. Une logique strictement méritocratique dans la promotion sociale. Une lourde taxation de l’héritage.

          • P2R dit :

            @ Descartes
             
            [Malheureusement, quand il s’agit de passer des opinions aux actes, il n’y a plus personne. S’il y a un « soutien majoritaire de la population à la police », comment se fait-il que lorsqu’un policier est tué, quand un commissariat est brulé, on ne voit pas une manifestation de rejet massif dans la rue ? Pourquoi, lorsque les policiers cherchent à arrêter un voyou dans la rue ou à contrôler son identité, ils voient la population manifester son hostilité ?]
             
            Je pense qu’ici la notion d’archipelisation de la société entre en jeu. Vu depuis la majorité du territoire, le rapport police/administré qui a cours dans les quartiers semble tellement exotique qu’on a pas l’impression d’avoir affaire à la même entité. Jamais je n’ai entendu un flic me tutoyer, et jamais il ne me viendrait à l’idée de tenter une fuite face à un barrage, même avec un coup dans le nez. Malheureusement, je crois que la majorité de la population voit de moins en moins de raisons d’être touché par la mort d’un policier ou d’un jeune de Trappes, en tout cas pas beaucoup plus que d’un jeune de Naples ou d’un policier d’Oslo. Mais le jour où c’est le policier de la commune qui passe l’arme à gauche sous les roues d’un délinquant, le soutient (local) sera là.
             
            Après, il restera toujours dans une part de la société un ressentiment anti-flic qui ne date pas d’hier, et qui peut s’expliquer de multiples façons. Vous qui réécoutez Brassens, je vous invite à relire les paroles de Hécatombe, qui sous une musique guillerette, sont d’une rare violence, alors même que l’institution était bien plus solide qu’aujourd’hui
             
            [L’assimilation des étrangers. Une éducation de qualité et accessible à tous. Une logique strictement méritocratique dans la promotion sociale. Une lourde taxation de l’héritage.]
             
            Mais il va vous falloir non seulement mettre en place ces moyens, mais aussi et surtout le rendre concurrentiel face à l’économie souterraine des cités, qui est, soyons-en conscients, le pare-feu le plus efficace contre le type d’émeutes que nous avons subi ces derniers jours. Attaquez-vous au trafic de drogue, et ce ne sont pas des gamins de 14 ans avec des feu d’artifices que vous allez affronter, mais des adultes organisés avec des kalachnikov. Personnellement je ne trouve pas d’alternative entre le pourrissement et la guerre ouverte. Les moyens que vous évoquez peuvent rendre cette guerre moralement acceptable, mais ils ne l’éviteront pas.

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Je pense qu’ici la notion d’archipelisation de la société entre en jeu. Vu depuis la majorité du territoire, le rapport police/administré qui a cours dans les quartiers semble tellement exotique qu’on n’a pas l’impression d’avoir affaire à la même entité. Jamais je n’ai entendu un flic me tutoyer, et jamais il ne me viendrait à l’idée de tenter une fuite face à un barrage, même avec un coup dans le nez.]

              Je dois dire que j’ai la même impression en entendant les « djeunes ». J’ai vécu dans mon adolescence et ma jeunesse dans une cité. J’étais à l’époque étranger, et je me rendais ponctuellement à la préfecture des Hauts de Seine, à Nanterre, renouveler ma carte de séjour une fois par an. Jamais je n’ai été tutoyé, jamais ne n’ai été maltraité. J’ai eu droit à plusieurs contrôles d’identité – mais pas plus que dans mon pays d’origine – toujours avec la plus grande correction.

              [Mais le jour où c’est le policier de la commune qui passe l’arme à gauche sous les roues d’un délinquant, le soutient (local) sera là.]

              Je pense que vous êtes d’un grand optimisme…

              [Après, il restera toujours dans une part de la société un ressentiment anti-flic qui ne date pas d’hier, et qui peut s’expliquer de multiples façons. Vous qui réécoutez Brassens, je vous invite à relire les paroles de Hécatombe, qui sous une musique guillerette, sont d’une rare violence, alors même que l’institution était bien plus solide qu’aujourd’hui]

              Mais c’est précisément parce que les institutions étaient solides – ou du moins le paraissaient – que des anarchistes comme Brassens pouvaient se permettre ce genre de violence (verbale) pour épater le bourgeois. Je n’ose pas imaginer ce que Brassens penserait des évènements d’aujourd’hui…

              [« L’assimilation des étrangers. Une éducation de qualité et accessible à tous. Une logique strictement méritocratique dans la promotion sociale. Une lourde taxation de l’héritage. » Mais il va vous falloir non seulement mettre en place ces moyens, mais aussi et surtout le rendre concurrentiel face à l’économie souterraine des cités,]

              « Concurrentielle » de quel point de vue ? Vous noterez que les « gaulois » dans leur grande majorité semblent considérer que les bienfaits d’une vie de citoyen moyennement honnête vaut mieux que les trafics, ce qui prouve que lorsqu’on a accès à la pleine citoyenneté, l’honnêteté reste très « compétitive ». Pourquoi le comportement des « assimilés » serait-il différent ?

              [Attaquez-vous au trafic de drogue, et ce ne sont pas des gamins de 14 ans avec des feu d’artifices que vous allez affronter, mais des adultes organisés avec des kalachnikov.]

              Oui, mais en même temps j’aurai derrière moi une opinion publique qui sera prête à en découdre…

              [Personnellement je ne trouve pas d’alternative entre le pourrissement et la guerre ouverte. Les moyens que vous évoquez peuvent rendre cette guerre moralement acceptable, mais ils ne l’éviteront pas.]

              La guerre s’il le faut… mais donnons nous les moyens de la gagner !

  34. marc.malesherbes dit :

     
    (hors sujet) à propos des « incidents » qui ont suivi la mort de Nahel

    Nous avions eu un phénomène du même genre lors de ce qu’on a qualifié « d’émeutes » en 2005.
    La situation actuelle est-elle moins préoccupante ?
    Si oui, on pourrait dire que la société française évolue dans la bonne direction. Et féliciter les actions de nos politiques et autres acteurs depuis 2005.
    De plus on peut dire que le phénomène est marginal … on peut facilement à l’échelle de la nation avoir ce type d’incidents une fois tout les 20 ans environ. A nouveau on pourrait féliciter les actions de nos politiques et autres acteurs depuis 2005.
    On pourrait aussi dire que nous sommes le seul pays européens à s’adonner à ce genre « d’incidents ». On peut y voir sans doute l’excellence de nos libertés en France ; nous sommes les seuls à avoir ce type d’expression collective en Europe.
    Bref, j’aimerai avoir votre vision de ces « incidents » … une manifestation de ce que « Qu’est ma France devenue ? »
    en « bien » ?
    Merci

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [(hors sujet) à propos des « incidents » qui ont suivi la mort de Nahel]

      Je suis en train d’écrire un papier sur ce sujet, vous pourrez donc vous en donner bientôt à cœur joie…

      [Nous avions eu un phénomène du même genre lors de ce qu’on a qualifié « d’émeutes » en 2005.
      La situation actuelle est-elle moins préoccupante ?]

      Non, elle l’est beaucoup plus. En 2005, les attaques aux bâtiments publics ont été beaucoup moins nombreux et moins systématiques, les pillages moins nombreux… et Mélenchon avait condamné les violences – « elles font le jeu de l’extrême droite » – alors qu’aujourd’hui il les approuve. Les tensions de la France de 2005 ne sont rien comparés à les tensions de la France d’aujourd’hui.

      [De plus on peut dire que le phénomène est marginal … on peut facilement à l’échelle de la nation avoir ce type d’incidents une fois tout les 20 ans environ. A nouveau on pourrait féliciter les actions de nos politiques et autres acteurs depuis 2005.]

      On peut certainement « se le permettre ». Après tout ce ne sont que quelques centaines de millions d’euros qui manqueront à nos hôpitaux, à nos écoles, à nos routes. Rien de bien catastrophique, n’est-ce pas ? Seulement voilà, ces émeutes sont un symptôme de choses bien plus profondes, bien plus sérieuses, bien plus graves. Vous voulez des exemples ? Du côté de la jeunesse, on voit un manque total d’empathie, une incapacité à distinguer entre jeu et réalité. Du côté de la gauche, la croyance naïve dans la politique du pire.

      [On pourrait aussi dire que nous sommes le seul pays européens à s’adonner à ce genre « d’incidents ». On peut y voir sans doute l’excellence de nos libertés en France ; nous sommes les seuls à avoir ce type d’expression collective en Europe.]

      Ce serait inexact. Ce type d’émeute arrive assez souvent en Grande Bretagne.

      [Bref, j’aimerai avoir votre vision de ces « incidents » … une manifestation de ce que « Qu’est ma France devenue ? »]

      Vous ne perdez rien pour attendre…

  35. Glarrious dit :

    [Les « jeunes » veulent la réussite de leurs enfants, pas un diplôme que ne vaut rien et une école qui n’apprend rien. Car a un moment les élevés vont devoir se frotter a la concurrence internationale pour trouver du travail et s’ils sont nuls ou ne savent rien, ils seront dans les perdants.
    Pas du tout ! Il suffit de faire en sorte que les autres soient plus nuls encore. Vous oubliez le paradoxe du lion : point n’est besoin de courir plus vite que le lion, il suffit de courir plus vite que les autres proies… c’est pourquoi une école qui n’apprend rien est une bonne chose pour les classes intermédiaires. Ca assure aux classes intermédiaires, qui peuvent transmettre à la maison ou se payer une école privée, un avantage au départ.]
     
    Le paradoxe du lion peut s’appliquer au niveau national mais au niveau international comme le rappelle @cdg, c’est autre chose, face à des chinois, des coréens ou des japonais la nullité de nos classes intermédiaires se fait sentir. D’où un certain déclassement de la France à l’internationale ?
     
     

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [Le paradoxe du lion peut s’appliquer au niveau national mais au niveau international comme le rappelle @cdg, c’est autre chose, face à des chinois, des coréens ou des japonais la nullité de nos classes intermédiaires se fait sentir. D’où un certain déclassement de la France à l’internationale ?]

      Pour le moment, nos classes intermédiaires sont relativement protégées de la concurrence internationale. On ne voit pas des chinois vernir plaider dans nos tribunaux, des coréens enseigner dans nos lycées, les japonais tenir une chronique à France Inter…

  36. P2R dit :

    @ Descartes
     
    Toujours au sujet de l’affaissement des institutions, j’ai eu une discussion récemment avec une de mes amies professeur de collège (et qui enseigne le français), qui me racontait comment, avec les beaux jours, ressurgisait encore et encore le problème de la “tenue vestimentaire adaptée”.
     
    L’événement a eu lieu alors qu’une élève de 4eme s’est présentée à son cours vêtue, si j’ose m’exprimer ainsi, d’une simple brassière, sans soutien-gorge, laissant plus qu’apercevoir non-seulement le nombril mais le dessous de la poitrine. Je laisse la chose à votre imagination… Et mon amie d’expédier la collégiène à la Vie Scolaire. Après un esclandre de circonstance, la jeune fille a fini par passer un Tshirt du Conseil Général (la honte!), mais l’incident était loin d’être clos puisque les parents sont venus se plaindre de l’horrible traitement infligé à la pauvre innocente, et ayant cause perdue face au principal, s’en sont retournés vers.. la presse quotidienne régionale, qui a été ravie de faire un article à charge, non pas aux chiens écrasés mais en une de leur édition du jour. Trois jours après l’établissement était tagué de slogans “féministes” par des activistes locaux.
     
    De ces événements, plusieurs choses émanent. La première est que cet établissement était déjà plutôt laxiste sur les tenues vestimentaires. Toutes les gamines sont ventre à l’air sans que personne n’aie rien à y redire, où le l’ose en tout cas. Et on se rend compte que la limite finit tôt ou tard par être franchie, où qu’on la positionne. L’autre chose, c’est que la jeune fille a pu passer les portes du collège puis dans trois cours différents avant que sa tenue ne soit considérée comme un problème par un enseignant. Parmis ceux-ci, certains sont ouvertement pro-“venez-comme-vous-êtes”, d’autres se sont écrasés par confort, et certains, dont mon amie, en arrivent désormais à se demander si le combat en vaut la chandelle.. Elle-même se demandant ce que le pataquès consécutif avait pu apporter de bon, la collégienne se retrouvant finalement épaulée par médias et militants, et aucune sanction disciplinaire n’ayant été prononcée par la direction.
     
    Au-delà même de la situation concrète, mon amie me disait que les enseignants qui s’opposaient aux tenues “inapropriées” étaient dans un inconfort certain au moment d’argumenter face à des personnes militantes, pour qui le problème est dans l’oeil des hommes et pas dans les seins et les strings des demoiselles. Pour ces enseignants, autant le discours face aux signes religieux est assez clair (et encore pas pour tous je suppose), autant ils sont laissés totale improvisation par leur hierarchie. On parle de “tenue républicaine”  (Blanquer 2020), de “tenue correcte”, “adaptée”, ou “décente”, mais aucun argumentaire n’est fourni pour expliquer d’abord ce qui caractérise une tenue républicaine ou décente (qui implique de s’appuyer sur des notions morales qui sont aujourd’hui en perdition), ni à fortiori POURQUOI une tenue “indécente”, à supposer qu’on puisse la caractériser de manière objective, serait une entrave à l’enseignement.
     
    Mon réflexe a été d’exprimer ma vision selon laquelle l’institution se faisant un devoir de s’adresser indifféremment aux élèves, indépendament de leur sexe, condition sociale ou origine, les tenues exacerbant le caractère singulier de l’individu n’avaient pas leur place. Mais on pourrait objecter qu’aujourd’hui, toutes les minettes étant en crop-top, venir court-vêtu ne fait pas de vous une personne remarquable. Et surtout, surtout, depuis des décennies, mon précepte de départ est erronné: si l’on veut construire l’école autour de l’élève, partir de ce qu’il a dans la tête, et laisser libre court à son expression (loi jospin 89), comment s’étonner et se plaindre que les élèves viennent habillés comme bon leur semble ?
     
    Bref, je n’ai pas rendu un grand service à mon amie, échouant à trouver un discours solidement structuré à opposer aux élèves (et parents) aux tenues légères sans faire appel à des valeurs manifestement périmées. Cyniquement, j’ai pensé (mais me suis abstenu de dire) que l’anomalie était plutôt dans son comportement, après tout, quand le vin est tiré, il faut le boire.
     
    Voilà pour la petite anecdote du jour; Je serais curieux d’avoir votre point de vue sur ce sujet et de savoir, dans le cadre d’un échange similaire, ce que vous auriez répondu à mon interlocutrice.
     
    En attendant, merci encore pour ce blog et bonne fin de week end
     

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [De ces événements, plusieurs choses émanent. La première est que cet établissement était déjà plutôt laxiste sur les tenues vestimentaires. Toutes les gamines sont ventre à l’air sans que personne n’ait rien à y redire, où le l’ose en tout cas. Et on se rend compte que la limite finit tôt ou tard par être franchie, où qu’on la positionne.]

      Tout à fait. Il est illusoire d’imaginer que les gens se mettront des limites eux-mêmes, particulièrement quand les gens en question sont des adolescents. Le propre de l’adolescent, c’est de tester les limites, et le rôle de l’adulte est de frapper lorsque les limites qu’il fixe sont dépassés. L’exemple que vous donnez montre surtout que le monde adulte est incapable de tenir une position commune. Il est difficile pour l’école d’exiger ce que les parents n’exigent pas. Si les parents estiment normal que les enfants aillent en cours nombril à l’air, l’école peut difficilement demander plus.

      [Au-delà même de la situation concrète, mon amie me disait que les enseignants qui s’opposaient aux tenues “inapropriées” étaient dans un inconfort certain au moment d’argumenter face à des personnes militantes, pour qui le problème est dans l’oeil des hommes et pas dans les seins et les strings des demoiselles.]

      La situation est inconfortable parce que la pudeur, la discrétion, ce qu’on montre et ce qu’on ne montre pas dans telle ou telle circonstance est le résultat de conventions sociales. On ne peut justifier le caractère « inapproprié » d’une tenue qu’en se référant à un consensus. Or, ce consensus a volé en éclats, puisque dans notre société de la toute puissance individuelle, chacun choisit souverainement ce qu’il a envie de porter.

      Plus profondément, le vêtement est un langage. Le problème est que dans notre société il n’y a pas que le langage parlé et écrit qui s’appauvrit. L’ensemble des « langages » subit la même érosion. Aujourd’hui, les jeunes portent la même chose pour aller en boîte, pour aller à l’école, pour aller à la plage, pour aller au travail. Et du coup, le vêtement ne nous dit plus rien.

      [On parle de “tenue républicaine” (Blanquer 2020), de “tenue correcte”, “adaptée”, ou “décente”, mais aucun argumentaire n’est fourni pour expliquer d’abord ce qui caractérise une tenue républicaine ou décente (qui implique de s’appuyer sur des notions morales qui sont aujourd’hui en perdition), ni à fortiori POURQUOI une tenue “indécente”, à supposer qu’on puisse la caractériser de manière objective, serait une entrave à l’enseignement.]

      Encore une fois, la « décence » est une question de convention. Les règles de « décence » ne sont pas les mêmes à la plage, à l’église, à l’école, dans le métro. Et comme toute convention imposée par une institution, le non-respect revient à rejeter l’ordre symbolique de l’institution en question. Il n’y a pas donc à invoquer une question « morale » : toute institution dicte une norme de décence, et les individus marquent leur appartenance par la soumission à cette norme. Le militaire met son uniforme, qu’il l’aime ou non. Le haut fonctionnaire met la cravate, que cela lui plaise ou pas. Pour l’un comme pour l’autre, ne pas le faire implique une volonté symbolique de se séparer de l’institution, et l’institution, à juste tire, le sanctionne.

      [Voilà pour la petite anecdote du jour; Je serais curieux d’avoir votre point de vue sur ce sujet et de savoir, dans le cadre d’un échange similaire, ce que vous auriez répondu à mon interlocutrice.]

      Je lui aurais conseillé de demander à sa direction de clarifier la question, de préciser la politique de l’établissement quant aux tenues admissibles et inadmissibles. Parce que le fond est bien là : si l’institution décide que TOUTES les filles viendront en brassière, et sanctionne celles qui n’en porteraient pas, alors la brassière deviendra « décente ». Mais il faut une règle, et il faut qu’elle soit appliquée par TOUS.

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