La croisière s’amuse… sur le Titanic

Triste spectacle que celui offert par la représentation nationale cette semaine. Lorsque j’écrivais dans mon dernier papier que « on prend les mêmes… », je ne croyais pas si bien dire. Il a suffi de quelques jours pour que que les élites politico-médiatiques oublient la baffe que les électeurs leur avaient administrée. Les tirades du genre « il faudra tenir compte du message des Français », si prisées dans les soirées électorales – surtout par ceux qui se sont pris une rouste – ont été remisées dans le magasin d’accessoires, avec celles qui expliquent « qu’on ne pourra plus faire comme avant ». Tout ça, c’est de la poudre aux yeux pour l’électeur crédule, une espèce qui, comme beaucoup d’autres, est en danger d’extinction. Une fois les urnes rangées, nos politiques peuvent revenir aux choses sérieuses, c’est-à-dire, la lutte des places et les magouilles de couloir.

Le 7 juillet, les électeurs ont rejeté on ne peut plus clairement le macronisme, cette idéologie qui au nom du « en même temps » permet aux ambitieux « de gauche » de se partager les postes avec les ambitieux « de droite » pour occuper les postes, à condition de conduire la politique voulue par le « cercle de la raison ». Ce rejet s’est manifesté d’une manière on ne peut plus claire : au premier tour, les tenants de cette politique ont recueilli moins d’un vote sur cinq, et sans cet étrange « front », qu’on dit à tort « républicain », qui a conduit la gauche la plus radicale à mêler ses voix à la droite la plus réactionnaire, la macronie aurait été balayée. Pour le dire clairement, le macronisme est ultra minoritaire dans le pays, et ne doit son poids à l’Assemblée nationale qu’à la mansuétude de la gauche à son égard, mansuétude qu’on discutera dans un moment.

Est-ce que la macronie a tiré les conclusions de ce rejet ? Que nenni. Alors que ses politiques sont rejetés par les électeurs, Yaël Braun-Pivet, qui doit tout au président dont elle a porté les intérêts jusqu’à l’absurde – il faut se souvenir comment elle avait muselée la commission d’enquête sur l’affaire Benalla – s’estime quand même légitime pour prétendre au « perchoir ». Et elle trouve une majorité – relative, certes, mais majorité quand même – pour couvrir joyeusement cette imposture. Au-delà de toute autre considération, quelle est l’image que donne l’Assemblée en reconduisant ainsi une personnalité de l’Ancien Régime, faisant fi du rejet exprimé par les électeurs ? Quel est l’exemple que donne madame Braun-Pivet, en faisant comme si rien ne s’était passé le 7 juillet ? Quel message transmet la majorité qui l’a élue au pays, en lui tournant le dos ?

Et s’il n’y avait que cela… mais les incidents de ce type s’accumulent, et avec eux les manifestations de mépris pour les électeurs. Ainsi, certains leaders du Nouveau Front Populaire exigent à cor et à cri que le gouvernement de la République leur soit confié pour « appliquer le programme, tout le programme, rien que le programme » au nom d’une majorité relative qui est le résultat d’un accord électoral – il faut appeler un chat un chat – de désistement réciproque avec le centre et la droite, sans que cet accord implique la moindre discussion programmatique. Le « programme » du NFP n’a reçu donc au mieux que le soutien d’un quart de l’électorat, arrivant en deuxième position derrière celui du Rassemblement national. Pas de quoi pavoiser, ou de prétendre que le pays a « donné une majorité à la gauche ». Et surtout, pas de quoi prétendre que le refus de nommer un premier ministre attaché à appliquer ce programme soit un « déni de démocratie ». Si l’on accepte que le premier ministre doit conduire le programme ayant obtenu le plus grand nombre de voix, c’est au RN que le poste devrait être confié.

Et puis, il y a les incidents qui ont émaillé la mise en place du bureau de l’Assemblée. Cela va du refus de certains députés de serrer la main du secrétaire d’âge chargé de la surveillance du vote, au motif que le titulaire de cette fonction appartenait au groupe Rassemblement national. Refus qui donna lieu à des potacheries comme celles du député LFI François Piquemal, qui simula le jeu « pierre-papier-ciseaux » pour refuser son salut, et qui pousse l’infantilisme jusqu’à faire une vidéo sur le réseau X pour mettre en valeur son « geste ». Imaginez la chose, refuser de serrer la main d’un député RN ! Cela fait de vous presque l’égal de Guy Moquet, avec en plus l’avantage d’être vivant pour pouvoir le raconter. Est-ce que le député Piquemal s’est interrogé sur ce que peut ressentir l’électeur-contribuable qui paye son salaire pour lui permettre d’accomplir ce genre de gaminerie ?

Pour prendre un autre exemple de cette dérive, on rappelera l’incident de vote qui a abouti à trouver dans l’urne une dizaine de bulletins de plus que le nombre de votants. L’importance du décalage permet raisonnablement d’exclure l’erreur, et ceux qui ont suivi le vote ont pu constater combien il est facile d’introduire deux enveloppes au lieu d’une dans l’urne – qui est un simple vaisseau ouvert, sans mécanisme  permettant de constater l’unicité de l’enveloppe, comme cela se fait dans les bureaux de vote – sans que le geste soit détecté. Une procédure qui n’avait jamais donné lieu à incident, précisément parce que les députés communiaient dans une certaine idée de « ce qui ne se fait pas ». Il y a donc une dizaine de députés qui se sont conjurés pour aboutir à ce résultat. Quel était leur but ? Pas de fausser le scrutin, puisque le décalage ne pouvait qu’être détecté et en entraîner la nullité. Non, le but probable était de « bordéliser » le processus, d’accentuer encore l’atmosphère de désordre. Et qui a systématiquement joué la « bordélisation » depuis deux ans ? Poser la question, c’est y répondre…

Et puis, il y a l’affaire de la répartition des postes du bureau de l’Assemblée. Le deuxième alinéa de l’article 10 du règlement intérieur de l’Assemblée est clair : « L’élection des vice-présidents, des questeurs et des secrétaires a lieu en s’efforçant de reproduire au sein du Bureau la configuration politique de l’Assemblée et de respecter la parité entre les femmes et les hommes ». Force est de constater que cet article a été deux fois violé. D’une part, le bureau élu comporte 14 femmes et seulement 8 hommes (on tremble en imaginant ce que Sandrine Rousseau aurait dit si le rapport avait été l’inverse). Mais surtout, on remarque l’absence d’un groupe politique dans ce bureau, et plus curieux encore, il s’agit du groupe – au sens strict du réglement – le plus important de l’Assemblée, représentant le parti ayant recueilli une voix sur trois le 7 juillet et arrivé en tête du scrutin. Il est clair qu’aucun « effort » n’a été fait pour s’assurer une représentation équilibrée des groupes au bureau de l’Assemblée, et la chose a d’ailleurs été revendiquée explicitement par plusieurs groupes parlementaires. Le comble du ridicule étant atteint lorsque ceux qui ont participé au forfait ou n’ont rien fait pour l’empêcher versent aujourd’hui des larmes de crocodile sur le mode « il n’est pas normal que les députés RN aient été exclus ».

Toutes ces affaires sont significatives de la perte d’une vertu cardinale en politique, celle d’une certaine décence. C’est là l’idée que certaines choses ne se font pas. Non parce qu’un règlement l’interdit, mais tout simplement parce que les faire viole une forme de sociabilité, détruit une capacité à échanger et à travailler ensemble. La décence, c’est l’idée qui nous fait sacrifier un petit avantage individuel pour rendre la société meilleure, plus vivable. C’est serrer la main à un collègue dont on n’aime pas les idées mais avec qui on va devoir travailler, de lui reconnaître la légitimité que les électeurs lui ont accordé. Mais plus fondamentalement, ce qui est en jeu dans ces affaires c’est aussi une forme de déni de réalité. L’idée qu’on peut défaire sur le tapis vert ce que les électeurs ont fait dans les urnes. Et c’est là une illusion très dangereuse, parce que la légitimité des systèmes de gouvernement repose, en dernière instance, sur le consentement des gouvernés.

Pour illustrer ce propos, il faut je pense rappeler la formule de Léon Blum en 1946. Interrogé par un collaborateur sur les raisons de son refus de présenter sa candidature à la présidence de la République, il répondit « quand on est juif, il y a des postes qu’on ne demande pas ». Blum était très conscient du fait que le président de la République était conçu comme un symbole d’unité, et qu’à ce titre le poste devait aller à quelqu’un en qui l’ensemble des Français puisse se reconnaître. Et pour lui, la France de 1946 ne pouvait pas massivement se reconnaître dans celui qui, dans l’esprit public, représentait une minorité. Blum, dans sa réponse, ne se pose même pas la question de savoir si cela est bien ou mal, si les Français ont raison ou tort de penser ainsi. Il constate simplement une réalité, et s’y plie, sacrifiant son intérêt personnel – il ne fait pas de doute dans la configuration de l’époque que les chambres l’auraient élu – à l’unité du pays. Blum n’est pas saint de ma dévotion, mais je dois reconnaître que ce geste fait de lui un exemple de décence que les hommes politiques d’aujourd’hui feraient bien d’imiter.

Le spectacle qui a été offert au peuple est indécent. Nos députés ont montré en à peine une semaine leur mépris non seulement pour le verdict des électeurs, mais aussi pour leur propre institution. Comment convaincre le citoyen que nos députés composent un corps délibérant par le débat et la confrontation d’idées, représentant la volonté générale (1), alors que ses membres se refusent la plus élémentaire politesse entre eux, alors que le principal groupe parlementaire représentant un tiers de l’électorat est exclu de la gestion de l’Assemblée et n’a aucun moyen de faire valoir ses positions dans le bureau, alors que des députés respectent si peu leur propre investiture qu’ils sont prêts à « bordéliser » un vote comme des potaches ?

Les formes et les symboles ne sont pas neutres. Ils traduisent une conception du travail législatif. Le député qui va siéger sur les bancs de l’Assemblée habillé comme s’il allait au café nous dit que pour lui les deux activités sont sur le même plan. Le député qui fait un « chifoumi » à la tribune de l’Assemblée pendant un vote solennel comme il le ferait dans une assemblée étudiante à Paris VIII nous dit que pour lui les deux lieux se valent.

On ne le répétera jamais assez : si les membres d’une institution ne défendent pas sa dignité, s’ils se moquent publiquement de la solennité des lieux, ce ne sont pas les autres qui le feront à leur place. Les gestes infantiles à la tribune ou dans l’hémicycle non seulement atteignent ceux qui les accomplissent, mais compromettent l’institution toute entière. Rituels et cérémonies, ors et velours ne sont pas là par un caprice « bourgeois », mais sont au contraire la manifestation symbolique de l’importance qu’on accorde à une institution. Ce n’est pas par hasard si les révolutionnaires ont à chaque fois cherché à construire des rituels et à instaurer des cérémonies solennelles pour remplacer celles du régime déchu. Il n’y a qu’à voir le soin méticuleux que la Révolution de 1789 a accordé aux célébrations – la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 est passée à l’histoire – et l’attention avec laquelle on a dessiné les uniformes des officiers publics. La révolution russe, dans des conditions tout aussi difficiles, a construit des palais pour héberger les Soviets et faisait de leurs réunions des véritables cérémonies religieuses, sans compter avec les défilés solennels du 1er mai ou du 7 novembre. Lorsque nos « libéraux-libertaires » genre Piquemal ridiculisent les rituels de l’Assemblée, ils pensent se placer dans une lignée révolutionnaire pour « défendre la République ». Ils ont tort : on ne défend pas la République en banalisant ses institutions.

Mais derrière la forme, il y a aussi le fond. Et de ce point de vue, l’élection a apporté une notable clarification. De plus en plus, il est évident que la politique française tourne non pas autour du clivage « gauche vs. droite » mais de l’opposition « Rassemblement national vs. reste du monde ». Le « ni-ni » qui mettait au même niveau la gauche radicale et la droite radicale, et dont ont usé et abusé les macronistes et la droite mais aussi les socialistes – souvenez-vous des discours de Glucksmann lors des européennes – n’était finalement que façade. Lorsqu’on arrive aux définitions, LR vote LFI et LFI vote LR. On a pu le vérifier avec les désistements du 7 juillet, qui ont été bien meilleurs qu’espéré dans les deux sens, on a pu encore le vérifier lors de l’élection du bureau de l’Assemblée qui a vu l’union sacrée allant de LFI à LR pour barrer la route aux affreux.

Il faut se demander comment cette logique de « cordon sanitaire », qui rappelle furieusement celle qui fut pratiquée à l’encontre du PCF – du temps où les communistes représentaient l’électorat populaire, ce qui n’est certainement pas une coïncidence – sera perçue par les couches populaires, qui votent aujourd’hui majoritairement pour le RN. Je ne doute pas que ce sera vu, à juste titre, comme une manifestation du mépris de classe, comme une volonté des « élites » d’ignorer le « peuple », confirmant ainsi le discours du RN. Ce ne serait pas trop grave s’il y avait une véritable volonté dans les partis qui intègrent le « front républicain » de prendre en considération les revendications, les peurs, les souffrances de la France populaire, seul moyen à mon sens de contrer la progression du Rassemblement national. Après tout, les actes parlent plus fort que les discours. Mais cela n’arrivera pas. S’il a suffi d’une semaine pour que les députés élus oublient le message des électeurs, il y a peu de chances pour qu’ils se le rappellent maintenant, alors qu’ils sont occupés dans leurs batailles d’appareil, et pensent déjà aux élections à venir. A gauche, toute l’énergie passe à essayer de trouver un candidat crédible pour Matignon. Une mission impossible, tout simplement parce que les « insoumis » ne veulent pas aller au gouvernement. Leur objectif, c’est de pousser les socialistes à la faute, c’est-à-dire à une alliance avec les macronistes, pour pouvoir crier à la trahison en se présentant comme les seuls « purs » dans la perspective de 2027. C’est pourquoi leur logique est de faire des propositions dont ils savent qu’elles seront inacceptables pour les socialistes, et de blackbouler à l’inverse toute proposition venant d’eux. Ils sont en cela aidés par la bêtise des socialistes qui, lors de la constitution du NFP, ont souscrit sans trop réfléchir à un programme électoral gauchiste, n’imaginant pas qu’ils seraient un jour en conditions de le mettre en œuvre. Aujourd’hui ils ont le choix entre renoncer au programme – et apparaître comme les traîtres à la « vraie » gauche – ou renoncer aux douceurs du pouvoir. Choix cornélien… Quant aux communistes et les écologistes, la priorité, ce sont les municipales de 2026. Alors, on regarde passer les obus en faisant attention de ne se fâcher avec personne, parce qu’on aura besoin de tout le monde pour garder les mairies…

Mais ce spectacle ne peut durer qu’un temps, et il fallait bien en sortir au risque de se ridiculiser. Le candidat choisi sera finalement une non-candidate, une femme de cabinet venue du marigot parisien façon Hidalgo (2), au profil de technicienne. Pourquoi, après avoir refusé une candidate proposée par les socialistes au prétexte qu’elle était prête à abandonner une partie du programme du NFP, LFI accepte une candidate proposée par le PS qui a déclaré qu’il fallait négocier ce même programme pour constituer une majorité ? Parce qu’il s’agit d’une candidate inconnue, qui n’a pas de surface politique, et aucune chance d’être effectivement nommée. LFI remporte donc une bataille : le mouvement de Mélenchon aura réussi à empêcher les socialistes de chercher une issue négociée.

On le voit, tout ce beau monde a des choses bien plus importantes à faire que d’écouter le peuple ou de penser à lui. On peut donc parier que, quel que soit le gouvernement qui sera finalement formé, il poursuivra avec constance les politiques conduites depuis les trente dernières années, sans aucun regard – ni même aucune sympathie – pour la France qui se trouve en dehors des métropoles. Qu’à la prochaine élection, ce sera encore le RN qui capitalisera cette négligence. Et que nos élites politico-médiatiques nous appelleront, une fois encore, dans un bel élan unanime à « barrer la route au RN ». Et ainsi de suite jusqu’au jour où…

La vérité, c’est que les élites politiques sont issues des classes intermédiaires, et ne sont sensibles qu’aux intérêts de ces couches. La vérité est que le seul parti qui écoute – et j’insiste sur ce mot – les doléances du « petit peuple », c’est le RN. Que ce soit pour de mauvaises raisons ou avec de mauvaises intentions, c’est un autre débat. Le fait, c’est que c’est le seul qui écoute, et qui reflète dans ses propositions ce qu’il entend. Ceux qui pleurnichent sur les résultats du RN et expliquent que ce dernier « ment aux couches populaires » n’ont qu’à se retrousser les manches et aller le chercher sur son propre terrain. Non pas en cherchant à convaincre le bas peuple que le RN lui ment, mais en écoutant ce qu’il a à dire et en le traduisant dans les politiques mises en œuvre. En sont-ils capables ? Et surtout, en ont-ils vraiment envie ?

Descartes

(1) Car il faut rappeler ici que c’est l’Assemblée dans son ensemble qui représente le peuple français, et non chaque député. C’est pourquoi Mélenchon se trompe lorsqu’il proclame « la République c’est moi » au motif qu’il a été élu par quelques milliers d’électeurs dans sa circonscription de Marseille.

(2) Il s’agit de Lucie Castets, personnalité totalement inconnue sauf de ceux qui lisent dans « Le Monde » les tribunes du collectif « Nos services publics », étrange collectif de fonctionnaires censés réfléchir sur les questions liées au fonctionnement des services publics dont les documents ne mentionnent pas une seule fois le mot « Europe » autrement que comme espace géographique. Le peu qu’on sait d’elle donne un parcours assez classique d’haut fonctionnaire socialiste : ancienne de l’ENA – ce n’est pas une tare – et de Sciences-Po Paris – là c’est plus discutable – Lucie Castets est un pur produit de la direction du Trésor (où elle a commis une brochure appelant à un « approfondissement de la zone Euro », tout un programme) avant de rentrer au cabinet d’Anne Hidalgo comme conseillère économie et finance verte, puis devenir directrice des finances et des achats de la Mairie de Paris… tout en participant à « l’Observatoire de l’extrême droite » dirigé par le député LFI Thomas Portes.  

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33 réponses à La croisière s’amuse… sur le Titanic

  1. FB dit :

    Bonjour Descartes,
    Merci pour cet article. J’avoue que je déprime de plus en plus: comme signalé dans un commentaire, est-ce que les couches populaires pourront un jour avoir (électoralement) plus de 50% des voix ? Est-ce que cette élection n’a-t-elle pas montré que, quoi qu’il arrive, “on” s’arrangera toujours pour leur barrer la route ? Et que finalement ce n’est pas très difficile à faire avaler ?
    [Et que nos élites politico-médiatiques nos appelleront, une fois encore, dans un bel élan unanime à « barrer la route au RN ». Et ainsi de suite jusqu’au jour où…]
    Belle formulation, car elle ouvre à beaucoup de possibilités. Je vous livre ma version (ell vaut ce qu’elle vaut): je pense que ce jour n’arrivera jamais politiquement, dans le sens où le RN ne parviendra pas au pouvoir, il ne se manifestera pas dans les urnes mais de façon plus latente. Je vois bien dans les mois ou années à venir des grèves sauvages à la SNCF pendant les fêtes de Noël par exemple hors de tout contrôle syndical (et les cheminots obtiendront ce qu’ils demanderont car ces mouvements ne seront plus encadrés par des professionnels mais par des radicaux). Je vois bien de temps en temps des raffineries bloquées et les salariés encore une fois obtenir ce qu’ils veulent. Je vois bien aussi des mouvements type Gilets Jaunes s’organiser de temps en temps et obtenir quelques milliards. De toute façon, on pourra tout obtenir avec un peu de violence du moment que ça ne dérange pas les métropoles.
    La leçon croyez-moi ne va pas être perdue pour tout le monde. On poussera même le bouchon en disant que tout cela est la faute de l’extrême-droite.
    J’avais vu sur ce site un calcul cynique sur les émeutes de banlieues: mieux vaut finalement un embrasement tous les 20 ans plutôt qu’un prise en compte réelle des aspirations des couches populaires (ça coûte beaucoup moins cher aux classes intermédiaires). Pour moi, les comportements indignes que nous avons vus ces derniers jours sont en quelque sorte la traduction politique de cette réalité. 

    • Descartes dit :

      @ FB

      [Merci pour cet article. J’avoue que je déprime de plus en plus: comme signalé dans un commentaire, est-ce que les couches populaires pourront un jour avoir (électoralement) plus de 50% des voix ? Est-ce que cette élection n’a-t-elle pas montré que, quoi qu’il arrive, “on” s’arrangera toujours pour leur barrer la route ? Et que finalement ce n’est pas très difficile à faire avaler ?]

      En temps normal, les couches populaires n’ont jamais 50% des voix, ni même une majorité parlementaire. Pourquoi ? Parce que les classes dominantes sont en général suffisamment intelligentes pour lâcher du lest avant. Et lorsqu’elles n’ont pas voulu lâcher, elles ont provoqué des crises institutionnelles et civiles graves, avec des guerres civiles et des révolutions. Si la bourgeoisie s’est résignée au programme du CNR en 1945, c’est parce qu’elle était parfaitement consciente du fait que refuser ce programme, c’était prendre le risque de perdre beaucoup plus.

      Les classes dominantes sont-elles toujours aussi intelligentes ? On peut se le demander… notamment parce que les classes intermédiaires sont matériellement dans le bloc dominante tout en se plaçant mentalement du côté des dominés, ce qui les empêche à mon avis d’évaluer correctement les rapports de forces. On l’a bien vu avec les mouvement des « gilets jaunes », quand les classes intermédiaires « libérales-libertaires » se sont imaginés avoir trouvé une masse de manœuvre, alors que les revendications de cette masse les mettaient plutôt du côté du RN.

      [« Et que nos élites politico-médiatiques nos appelleront, une fois encore, dans un bel élan unanime à « barrer la route au RN ». Et ainsi de suite jusqu’au jour où… » Belle formulation, car elle ouvre à beaucoup de possibilités.]

      Oui, c’est fait pour. Je ne suis pas convaincu que le RN arrivera un jour au pouvoir, mais je n’exclut pas la possibilité. Une autre possibilité, c’est que le refus du bloc dominant d’accepter les rapports de force aboutissent au blocage des institutions, un blocage dont on ne pourrait sortir que par la rupture de l’ordre institutionnel ou la violence.

      [Je vous livre ma version (ell vaut ce qu’elle vaut): je pense que ce jour n’arrivera jamais politiquement, dans le sens où le RN ne parviendra pas au pouvoir, il ne se manifestera pas dans les urnes mais de façon plus latente.]

      C’est ce qu’a fait le PCF pendant un quart de siècle. Entre 1947 et 1981, il n’a jamais exercé directement le pouvoir, mais cela ne l’a pas empêché d’avoir une énorme influence, intellectuelle et politique. Parce qu’il ne fallait pas lui donner du grain à moudre, les gouvernements de droite ont, nolens volens, pris en compte les demandes, les craintes et les souhaits des couches populaires. Le « communisme municipal » permettait d’améliorer considérablement les conditions de vie du prolétariat… et on le laissait faire parce qu’il assurait un encadrement des couches populaires qui mettait la violence sous contrôle. Le RN peut-il reprendre cette fonction « tribunicienne » ? Cela suppose comme je l’ai dit de la part du bloc dominant une certaine intelligence…

      [Je vois bien dans les mois ou années à venir des grèves sauvages à la SNCF pendant les fêtes de Noël par exemple hors de tout contrôle syndical (et les cheminots obtiendront ce qu’ils demanderont car ces mouvements ne seront plus encadrés par des professionnels mais par des radicaux). Je vois bien de temps en temps des raffineries bloquées et les salariés encore une fois obtenir ce qu’ils veulent. Je vois bien aussi des mouvements type Gilets Jaunes s’organiser de temps en temps et obtenir quelques milliards. De toute façon, on pourra tout obtenir avec un peu de violence du moment que ça ne dérange pas les métropoles.]

      Quand il n’y a plus d’institution n’est pas là pour encadrer les intérêts particuliers et défendre l’intérêt général, chaque groupe à l’impression de ne plus pouvoir compter que sur lui-même, et cherche à créer un rapport de force en fonction de ses possibilités pour défendre ses propres intérêts. C’est à cela qu’on est en train d’aboutir. Et on aurait tort d’imaginer que l’ordre et la paix publique sont des données immuables. Sans institutions, la paix civile ne tient qu’à un fil, on l’a vu avec les émeutes de l’été dernier.

      [J’avais vu sur ce site un calcul cynique sur les émeutes de banlieues: mieux vaut finalement un embrasement tous les 20 ans plutôt qu’un prise en compte réelle des aspirations des couches populaires (ça coûte beaucoup moins cher aux classes intermédiaires). Pour moi, les comportements indignes que nous avons vus ces derniers jours sont en quelque sorte la traduction politique de cette réalité.]

      Oui. Mais si l’embrasement commence à arriver tous les dix ans, puis tous les cinq ans, il y a un moment où le coût devient prohibitif.

    • Descartes dit :

      @ FB

      [Merci pour cet article. J’avoue que je déprime de plus en plus: comme signalé dans un commentaire, est-ce que les couches populaires pourront un jour avoir (électoralement) plus de 50% des voix ? Est-ce que cette élection n’a-t-elle pas montré que, quoi qu’il arrive, “on” s’arrangera toujours pour leur barrer la route ? Et que finalement ce n’est pas très difficile à faire avaler ?]

      En temps normal, les couches populaires n’ont jamais 50% des voix, ni même une majorité parlementaire. Pourquoi ? Parce que les classes dominantes sont en général suffisamment intelligentes pour lâcher du lest avant. Et lorsqu’elles n’ont pas voulu lâcher, elles ont provoqué des crises institutionnelles et civiles graves, avec des guerres civiles et des révolutions. Si la bourgeoisie s’est résignée au programme du CNR en 1945, c’est parce qu’elle était parfaitement consciente du fait que refuser ce programme, c’était prendre le risque de perdre beaucoup plus.

      Les classes dominantes sont-elles toujours aussi intelligentes ? On peut se le demander… notamment parce que les classes intermédiaires sont matériellement dans le bloc dominante tout en se plaçant mentalement du côté des dominés, ce qui les empêche à mon avis d’évaluer correctement les rapports de forces. On l’a bien vu avec les mouvement des « gilets jaunes », quand les classes intermédiaires « libérales-libertaires » se sont imaginés avoir trouvé une masse de manœuvre, alors que les revendications de cette masse les mettaient plutôt du côté du RN.

      [« Et que nos élites politico-médiatiques nos appelleront, une fois encore, dans un bel élan unanime à « barrer la route au RN ». Et ainsi de suite jusqu’au jour où… » Belle formulation, car elle ouvre à beaucoup de possibilités.]

      Oui, c’est fait pour. Je ne suis pas convaincu que le RN arrivera un jour au pouvoir, mais je n’exclut pas la possibilité. Une autre possibilité, c’est que le refus du bloc dominant d’accepter les rapports de force aboutissent au blocage des institutions, un blocage dont on ne pourrait sortir que par la rupture de l’ordre institutionnel ou la violence.

      [Je vous livre ma version (ell vaut ce qu’elle vaut): je pense que ce jour n’arrivera jamais politiquement, dans le sens où le RN ne parviendra pas au pouvoir, il ne se manifestera pas dans les urnes mais de façon plus latente.]

      C’est ce qu’a fait le PCF pendant un quart de siècle. Entre 1947 et 1981, il n’a jamais exercé directement le pouvoir, mais cela ne l’a pas empêché d’avoir une énorme influence, intellectuelle et politique. Parce qu’il ne fallait pas lui donner du grain à moudre, les gouvernements de droite ont, nolens volens, pris en compte les demandes, les craintes et les souhaits des couches populaires. Le « communisme municipal » permettait d’améliorer considérablement les conditions de vie du prolétariat… et on le laissait faire parce qu’il assurait un encadrement des couches populaires qui mettait la violence sous contrôle. Le RN peut-il reprendre cette fonction « tribunicienne » ? Cela suppose comme je l’ai dit de la part du bloc dominant une certaine intelligence…

      [Je vois bien dans les mois ou années à venir des grèves sauvages à la SNCF pendant les fêtes de Noël par exemple hors de tout contrôle syndical (et les cheminots obtiendront ce qu’ils demanderont car ces mouvements ne seront plus encadrés par des professionnels mais par des radicaux). Je vois bien de temps en temps des raffineries bloquées et les salariés encore une fois obtenir ce qu’ils veulent. Je vois bien aussi des mouvements type Gilets Jaunes s’organiser de temps en temps et obtenir quelques milliards. De toute façon, on pourra tout obtenir avec un peu de violence du moment que ça ne dérange pas les métropoles.]

      Quand il n’y a plus d’institution n’est pas là pour encadrer les intérêts particuliers et défendre l’intérêt général, chaque groupe à l’impression de ne plus pouvoir compter que sur lui-même, et cherche à créer un rapport de force en fonction de ses possibilités pour défendre ses propres intérêts. C’est à cela qu’on est en train d’aboutir. Et on aurait tort d’imaginer que l’ordre et la paix publique sont des données immuables. Sans institutions, la paix civile ne tient qu’à un fil, on l’a vu avec les émeutes de l’été dernier.

      [J’avais vu sur ce site un calcul cynique sur les émeutes de banlieues: mieux vaut finalement un embrasement tous les 20 ans plutôt qu’un prise en compte réelle des aspirations des couches populaires (ça coûte beaucoup moins cher aux classes intermédiaires). Pour moi, les comportements indignes que nous avons vus ces derniers jours sont en quelque sorte la traduction politique de cette réalité.]

      Oui. Mais si l’embrasement commence à arriver tous les dix ans, puis tous les cinq ans, il y a un moment où le coût devient prohibitif.

  2. Bob dit :

    @ Descartes
     
    Avant que les commentaires sur ce nouvel article n’arrivent, je me permets un hors sujet car je suis très curieux de connaitre votre avis sur les Jeux olympiques.
    Gabegie, gigantesques dépenses inutiles d’argent public alors que les écoles, les hôpitaux, la justice, etc. sont en lambeaux ou bien occasion pour la France de rayonner et d’être fière (pour peu que tout se passe bien) ?

    • Descartes dit :

      @ Bob

      [Avant que les commentaires sur ce nouvel article n’arrivent, je me permets un hors sujet car je suis très curieux de connaitre votre avis sur les Jeux olympiques.]

      Je vais faire un papier dessus, un peu de patience !

      [Gabegie, gigantesques dépenses inutiles d’argent public alors que les écoles, les hôpitaux, la justice, etc. sont en lambeaux ou bien occasion pour la France de rayonner et d’être fière (pour peu que tout se passe bien) ?]

      Je développerai cette question dans un papier, mais pour vous donner un avant-goût : je suis convaincu que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais aussi de symboles. Toutes les civilisations humaines ont dépensé des moyens importants – et même disproportionnés – dans des constructions et des cérémonies en apparence peu rentables, mais qui sur le long terme rapportent en termes globaux – en cohésion sociale, en mobilisation de la nation, en stabilité – bien plus qu’ils ne coûtent. Si toutes les civilisations l’ont fait, si les civilisation les plus riches et les plus puissantes sont celles qui l’ont plus fait, c’est qu’il doit bien y avoir une raison.

      Il y a toujours eu des pisse-vinaigre pour critiquer ce genre de dépense. On a critiqué Louis XIV d’avoir fait bâtir Versailles, on a critiqué De Gaulle d’avoir lancé Concorde. Avec le temps, le palais que le roi soleil a bâti est une fierté nationale, et Concorde reste « le bel oiseau blanc » dans l’imaginaire des Français. Serions-nous en meilleur état si l’on avait consacré le coût de Versailles à nourrir les paysans, le coût du programme Concorde à construire des hôpitaux ? Je n’en suis pas convaincu.

      J’ai été frappé par la formule utilisée par le directeur général de Solidéo, la structure responsable de la maîtrise d’ouvrage des sites olympiques, et qui a réussi la performance – jamais atteinte sur les jeux depuis 1980 – de livrer tous les ouvrages en temps et en heure, et dans le budget prévu. Présentant ce résultat, le directeur a dit « cela nous rappelle que la France est une nation de bâtisseurs ». Voilà la fierté que les jeux devraient alimenter.

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        Certes, mais le château de Versailles est toujours magnifique 300 ans après sa construction et le programme Concorde a bénéficié à la recherche. Que restera-t-il des JO une fois la fête finie ? Gardons ce débat pour votre prochain article.

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Certes, mais le château de Versailles est toujours magnifique 300 ans après sa construction et le programme Concorde a bénéficié à la recherche. Que restera-t-il des JO une fois la fête finie ?]

          Que reste-t-il de la Fête de la Fédération de 1790 ? Pas mal de choses, en fait…

          [Gardons ce débat pour votre prochain article.]

          J’y manquerai pas! Mais le suivant, parce que le prochain ne parlera pas de ce sujet…

  3. marc.malesherbes dit :

     
    Vraiment bien vu et bien dit :
     
    Rituels et cérémonies, ors et velours ne sont pas là par un caprice « bourgeois », mais sont au contraire la manifestation symbolique de l’importance qu’on accorde à une institution.
    Ce n’est pas par hasard si les révolutionnaires ont à chaque fois cherché à construire des rituels et à instaurer des cérémonies solennelles pour remplacer celles du régime déchu.
     
    à un plus petit niveau l’abandon par l’école de la remise des prix solennelle en fin d’année, n’est-ce pas l’abandon de l’idéal de la méritocratie ? n’est-ce pas le mépris de la connaissance qui distingue à l’école les uns des autres, au profit du “vivre ensemble”, tous égaux dans l’ignorance qui permet l’égalité de tous ?
    De même les professeurs qui abandonnent la contrainte de l’habillement austère, de la distance avec l’élève ? Pour les élèves, de l’entrée « en rang en classe ? de se lever à l’arrivée du professeur ? etc …
    Je conçois bien que les « formes «  peuvent évoluer dans le temps, comme la société évolue, à condition que l’on remplace les anciennes formes par de nouvelles.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [à un plus petit niveau l’abandon par l’école de la remise des prix solennelle en fin d’année, n’est-ce pas l’abandon de l’idéal de la méritocratie ? n’est-ce pas le mépris de la connaissance qui distingue à l’école les uns des autres, au profit du “vivre ensemble”, tous égaux dans l’ignorance qui permet l’égalité de tous ?]

      Tout à fait. Les « remises de prix » étaient elles-mêmes une cérémonie inventée par la République pour faire pièce à la tradition religieuse. Le curé remettait des images à ceux qui faisaient preuve de piété, c’est-à-dire, de soumission à l’Eglise. La République marquait le fait qu’elle réservait les distinctions à ceux qui cherchaient par leur travail à accéder au savoir. Les symboles étaient là pour marquer le changement de la notion de « mérite ». Aujourd’hui, les couches dominantes ont encore changé leur vision du mérite, aujourd’hui associé à l’argent. Mais elles n’ont pas encore osé aller au bout de la démarche, et créé une cérémonie dans laquelle on remettrait un prix à ceux qui gagnent le plus d’argent. Rassurez-vous, on y arrivera…

      [De même les professeurs qui abandonnent la contrainte de l’habillement austère, de la distance avec l’élève ? Pour les élèves, de l’entrée « en rang en classe ? de se lever à l’arrivée du professeur ? etc …
      Je conçois bien que les « formes « peuvent évoluer dans le temps, comme la société évolue, à condition que l’on remplace les anciennes formes par de nouvelles.]

      Oui, mais quand les formes changent, cela recouvre toujours un changement du fond. Le professeur qui mettait la cravate pour enseigner imposait le respect parce qu’il commençait par se respecter lui-même. Quand le professeur cesse de se distinguer des élèves par son costume, par son langage, par l’abolition des gestes de respect, cela correspond à un changement du statut du professeur : ce n’est plus celui qui transmet un savoir qu’il a et que les autres n’ont pas, et qui vaut la peine d’être transmis, et il devient une sorte d’animateur placé au même niveau que ses élèves. Il ne s’agit donc pas de moderniser les gestes en conservant leur contenu : la modernisation fait elle-même changer le sens.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [à un plus petit niveau l’abandon par l’école de la remise des prix solennelle en fin d’année, n’est-ce pas l’abandon de l’idéal de la méritocratie ? n’est-ce pas le mépris de la connaissance qui distingue à l’école les uns des autres, au profit du “vivre ensemble”, tous égaux dans l’ignorance qui permet l’égalité de tous ?]

      Tout à fait. Les « remises de prix » étaient elles-mêmes une cérémonie inventée par la République pour faire pièce à la tradition religieuse. Le curé remettait des images à ceux qui faisaient preuve de piété, c’est-à-dire, de soumission à l’Eglise. La République marquait le fait qu’elle réservait les distinctions à ceux qui cherchaient par leur travail à accéder au savoir. Les symboles étaient là pour marquer le changement de la notion de « mérite ». Aujourd’hui, les couches dominantes ont encore changé leur vision du mérite, aujourd’hui associé à l’argent. Mais elles n’ont pas encore osé aller au bout de la démarche, et créé une cérémonie dans laquelle on remettrait un prix à ceux qui gagnent le plus d’argent. Rassurez-vous, on y arrivera…

      [De même les professeurs qui abandonnent la contrainte de l’habillement austère, de la distance avec l’élève ? Pour les élèves, de l’entrée « en rang en classe ? de se lever à l’arrivée du professeur ? etc …
      Je conçois bien que les « formes « peuvent évoluer dans le temps, comme la société évolue, à condition que l’on remplace les anciennes formes par de nouvelles.]

      Oui, mais quand les formes changent, cela recouvre toujours un changement du fond. Le professeur qui mettait la cravate pour enseigner imposait le respect parce qu’il commençait par se respecter lui-même. Quand le professeur cesse de se distinguer des élèves par son costume, par son langage, par l’abolition des gestes de respect, cela correspond à un changement du statut du professeur : ce n’est plus celui qui transmet un savoir qu’il a et que les autres n’ont pas, et qui vaut la peine d’être transmis, et il devient une sorte d’animateur placé au même niveau que ses élèves. Il ne s’agit donc pas de moderniser les gestes en conservant leur contenu : la modernisation fait elle-même changer le sens.

  4. Manchego dit :

    @ Descartes
    ***Lorsque nos « libéraux-libertaires » genre Piquemal ridiculisent les rituels de l’Assemblée, ils pensent se placer dans une lignée révolutionnaire pour « défendre la République ». Ils ont tort : on ne défend pas la République en banalisant ses institutions.***
    Au sein de LFI il y a des gens très nocifs, et s’ils venaient à prendre les manettes je ne suis pas sur qu’ils défendraient la République, je crains même le contraire.
    Je ne veux offenser personne, mais ils me font beaucoup penser à la CNT-FAI des années 30 en Espagne, je trouve qu’il y a beaucoup de similitudes entre ces deux mouvements gauchistes (même si Mélenchon et LFI sont des “nains” vis à vis de Bakounine et de la CNT-FAI de l’époque).
    PS : La CNT-FAI a fait beaucoup de mal à la République Espagnole, jusqu’au final de la guerre civile en Mars 39, quand Cipriano Mera massacre des centaines de communistes qui défendent Madrid, pour in fine livrer la capitale à Franco. Je ne développe pas, ce n’est pas le lieu… et puis celui qui en a le mieux parlé c’était Diego Abad de Santillan : “Nous les anarchistes nous n’étions pas républicains, nous ne l’avons jamais été. Pour nous une victoire de Franco ou de Negrin c’était du pareil au même.
     

    • Descartes dit :

      @ Manchego

      [Au sein de LFI il y a des gens très nocifs, et s’ils venaient à prendre les manettes je ne suis pas sur qu’ils défendraient la République, je crains même le contraire.]

      LFI n’est pas un mouvement républicain. Ses références ne sont pas républicaines, quelque soient les grands discours de Mélenchon sur « la patrie républicaine » et ses cris de « la République, c’est moi ». Rien que cette expression, qui suppose que la République puisse s’incarner dans un homme, montre combien son univers mental est loin de l’idée républicaine. L’idée républicaine est celle d’une société où la souveraineté réside dans la nation, qui délègue les pouvoirs aux institutions – et non aux hommes – régies par le principe de légalité. Le fonctionnement de LFI ne respecte aucun de ces principes…

      [Je ne veux offenser personne, mais ils me font beaucoup penser à la CNT-FAI des années 30 en Espagne, je trouve qu’il y a beaucoup de similitudes entre ces deux mouvements gauchistes (même si Mélenchon et LFI sont des “nains” vis à vis de Bakounine et de la CNT-FAI de l’époque).]

      Je ne pense pas. Contrairement aux CNT-FAI, LFI fonctionne comme une secte avec un gourou investi de tous pouvoirs, et qui agit primairement en fonction de ses intérêts. On peut difficilement reprocher cela aux CNT-FAI, dont la logique est plutôt anti-autoritaires. Les idées de Bakounine sont certes influentes, mais leur auteur est mort depuis presque vingt ans quand la CNT est fondée. Non, LFI fait plutôt penser au gauchisme trotskyste ou maoïste de la fin des années 1960.

      [et puis celui qui en a le mieux parlé c’était Diego Abad de Santillan : “Nous les anarchistes nous n’étions pas républicains, nous ne l’avons jamais été. Pour nous une victoire de Franco ou de Negrin c’était du pareil au même.”]

      Un peu comme les soixante-huitards, pour qui le PCF était un ennemi au même titre que De Gaulle…

  5. François dit :

    Bonsoir Descartes
    Pourquoi voudriez-vous qu’ils se gênent puisqu’il y a (encore) des castors pour faire barrage quand on les siffle ?
    C’est sûr qu’on est loin du temps où un de Gaulle, puis un Giscard refusaient avec des pudeurs de gazelle de vider le placard plein à craquer concernant un certain politicien, car ça aurait « rabaissé le débat politique », mais bon, que voulez vous, les mœurs s’abaissent et c’est ainsi.
     
    Ils nous bien fait comprendre, que c’est eux contre nous. Le RN a joué le jeu, et si demain il venait à accéder au pouvoir, ils ne pourront pas se plaindre qu’il leur rende la pareille. Et en espérant qu’entre eux et nous, il n’y en ait pas un de trop dans ce pays…

    • Descartes dit :

      @ François

      [Pourquoi voudriez-vous qu’ils se gênent puisqu’il y a (encore) des castors pour faire barrage quand on les siffle ?]

      Les faits vous donnent raison. Et c’est très logique quand on adopte un point de vue de classe.

      [C’est sûr qu’on est loin du temps où un de Gaulle, puis un Giscard refusaient avec des pudeurs de gazelle de vider le placard plein à craquer concernant un certain politicien, car ça aurait « rabaissé le débat politique », mais bon, que voulez vous, les mœurs s’abaissent et c’est ainsi.]

      N’est-ce pas ? On se croirait dans un autre monde… Il faut aussi rappeler que ce politicien n’avait pas hésité à utiliser contre Giscard l’affaire des diamants, ce à quoi le PCF de Georges Marchais s’était refusé.

      [Ils nous bien fait comprendre, que c’est eux contre nous. Le RN a joué le jeu, et si demain il venait à accéder au pouvoir, ils ne pourront pas se plaindre qu’il leur rende la pareille. Et en espérant qu’entre eux et nous, il n’y en ait pas un de trop dans ce pays…]

      Il faut le souhaiter.

      • CVT dit :

        @François,

        [C’est sûr qu’on est loin du temps où un de Gaulle, puis un Giscard refusaient avec des pudeurs de gazelle de vider le placard plein à craquer concernant un certain politicien, car ça aurait « rabaissé le débat politique]

        Ce que vous dites est vrai pour Mongénéral, mais pas forcément pour Gichcard…
        Pour le premier, lors de l’entre-deux tours des élections présidentielles de décembre 1965, malgré l’insistance de ses “godillots”, De Gaulle avait obstinément refusé de sortir les vieux dossiers sur le comportement de F.Mitterrand durant l’Occupation, sans même parler de ceux sur le pseudo-attentat dit “de  l’Observatoire.”, pourtant encore frais dans les mémoires des Français à l’époque.
        En revanche, je crois savoir que 8 ans plus tard, en avril 1974, face au même adversaire que Mongénéral, Giscard n’aura pas eu ces pudeurs: durant le célèbre débat de second tour qui l’opposa à Mitterrand, il fit une allusion sournoise à la vie privée de son adversaire, en évoquant l’existence d’une connaissance commune habitant à Chamalières. Giscard parlait bien évidemment d’Anne Pingeot, qui venait de mettre au monde la fille adultérine de Tonton, ce qui semble avoir achevé de déstabiliser son opposant, qui était pourtant fort madré et rompu aux joutes politiques… 
        Autre temps, autres moeurs, et c’était une autre époque, mais bien que sortant de Mai 68, ce type de révélations privées pouvaient froisser la partie la plus conservatrice des électeurs, dans un scrutin qui s’est avéré être le plus serré de la Vè République…
         
        Donc non, la politique de Papa n’a pas toujours été aussi vertueuse qu’on veut bien le dire. Pire, dans mon souvenir, elle pouvait aussi aboutir des morts d’homme: Robert Boulin dans les années 70, ou encore la flopée de morts suspectes qui ont émaillées le second septennat de Mitterrand…

        • Descartes dit :

          @ CVT

          [Ce que vous dites est vrai pour Mongénéral, mais pas forcément pour Gichcard… (…)
          En revanche, je crois savoir que 8 ans plus tard, en avril 1974, face au même adversaire que Mongénéral, Giscard n’aura pas eu ces pudeurs: durant le célèbre débat de second tour qui l’opposa à Mitterrand, il fit une allusion sournoise à la vie privée de son adversaire, en évoquant l’existence d’une connaissance commune habitant à Chamalières. Giscard parlait bien évidemment d’Anne Pingeot, qui venait de mettre au monde la fille adultérine de Tonton, ce qui semble avoir achevé de déstabiliser son opposant, qui était pourtant fort madré et rompu aux joutes politiques…]

          Quelque chose cloche dans vos dates : Mazarine est née le 18 décembre 1974, et le débat auquel vous faites référence a eu lieu le 10 mai 1974. Anne Pingeot ne pouvait donc pas avoir « mis au monde la fille adultérine de Tonton » à cette date, et il est même douteux que sa grossesse lui fut connue. Mais sur le fond, l’allusion en question a pu « déstabiliser » Mitterrand, mais n’était compréhensible de lui et de quelques initiés. Plus qu’une tentative d’étaler la vie privée de son adversaire, on peut l’interpréter plutôt comme une tactique de dissuasion, au cas ou Mitterrand aurait eu la velléité d’étaler la vie privée de Giscard, qui n’était pas non plus un exemple de vertu conjugale…

          [Autre temps, autres mœurs, et c’était une autre époque, mais bien que sortant de Mai 68, ce type de révélations privées pouvaient froisser la partie la plus conservatrice des électeurs, dans un scrutin qui s’est avéré être le plus serré de la Vè République…]

          Au fond, je ne crois pas que cela ait fait une grande différence. En France, personne ne s’est jamais fait d’illusions sur la fidélité conjugale des grands hommes – ou des grandes femmes. Tout le monde savait que Mitterrand, mais aussi Giscard, avaient des maîtresses. Et même la frange la plus conservatrice de l’électorat s’en accomodait… à condition que cela ne se sache pas. Ce qui était impardonnable, ce n’était pas d’avoir une maîtresse, c’était que cela se sache. La vertu cardinale n’était pas la fidélité, mais la discrétion. Parce que, dès lors que cela se savait, la place de la femme « légitime » était remise en cause. Mais tant que les rôles étaient bien définis, que la légitime était honorée en public et la maîtresse cachée des regards, personne ne trouvait à redire.

          [Donc non, la politique de Papa n’a pas toujours été aussi vertueuse qu’on veut bien le dire. Pire, dans mon souvenir, elle pouvait aussi aboutir des morts d’homme : Robert Boulin dans les années 70, ou encore la flopée de morts suspectes qui ont émaillées le second septennat de Mitterrand…]

          La politique n’a jamais été « vertueuse », et les coups bas ont toujours existé, y compris – comme vous le soulignez – avec mort d’homme. Mais autrefois la politique était « décente », ce qui n’est pas la même chose. Il y avait des choses qui « se faisaient », et d’autres qui « ne se faisaient pas ». Un peu comme dans la mafia : on peut tuer les hommes lorsque cela est jugé avantageux, mais jamais les femmes ou les enfants.

          Maintenant, pour revenir sur la question des « morts d’homme », si l’on avait recours à des mesures aussi extrêmes, c’est aussi parce que la politique était importante, que des choix politiques – et des hommes qui les portaient – dépendait l’avenir de la nation. Un attentat contre De Gaulle, cela pouvait changer la politique de la France vis-à-vis de l’Algérie ou de l’OTAN. Mais imaginez l’assassinat de Hollande ou de Macron. Qu’est ce que cela changerait ? Un autre clone prendrait leur place, et roule ma poule, on continuerait comme avant. Si aujourd’hui seuls les fous cherchent à assassiner les hommes politiques, c’est qu’ils sont les seuls à croire encore que la politique est une affaire « importante », et qu’un changement politique peut changer nos vies. Le débat politique aujourd’hui, ce n’est plus de savoir si on doit ou non participer au commandement intégré de l’OTAN ou à la guerre en Ukraine, mais si donner une baffe à sa femme vous interdit à vie d’occuper un poste public.

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [ils sont les seuls à croire encore que la politique est une affaire « importante » et qu’un changement politique peut changer nos vies]
            ça reste pourtant vrai (et heureusement) ! Le hic, c’est que le système UE a tout cadenassé.
             
            [Le débat politique aujourd’hui, ce n’est plus de savoir si on doit ou non participer au commandement intégré de l’OTAN ou à la guerre en Ukraine, mais si donner une baffe à sa femme vous interdit à vie d’occuper un poste public.]
            Très juste, et tellement démoralisant qu’on en soit là aujourd’hui.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [ça reste pourtant vrai (et heureusement) ! Le hic, c’est que le système UE a tout cadenassé.]

              Il n’y a pas que le système UE. Pour être depuis des années dans le cœur du réacteur, j’ai eu l’opportunité de voir comment le politique organise sa propre impuissance. Regardez les débats à l’Assemblée, et vous verrez comment les députés font assaut d’amendements pour inclure dans les textes des “consultations” du public ou de toutes sortes d’organismes, des “concertations”, des “autorisations”, des exigences de “comptes rendus”, de “déclarations” et de “rapports” de toute sorte, à quoi s’ajoutent tous ces “principes” qu’on constitutionnalise (principe de précaution, de non-régression) et qui sont fait pour entraver le décideur public. Et je ne vous parle même pas d’une jurisprudence qui s’attache de plus en plus à la défense des principes qui plaisent au juge, et de moins en moins à l’esprit des textes qu’il est censé appliquer. Si vous ajoutez à tout cela la pluie de textes européens chaque fois plus contraignants, vous arriverez à la conclusion qu’il ne reste pas grande chose à décider à nous gouvernants, à part le choix de la couleur des papiers peints. Le système est tellement corseté que la meilleure solution est de ne rien faire, parce que le peu qui vous est permis de faire ne peut qu’empirer les choses.

              Le plus extraordinaire, dans cette affaire, c’est que tout le monde agit comme si ces contraintes étaient là par la volonté des dieux, alors qu’elles sont des constructions humaines, et que ce que le souverain a fait, le souverain peut défaire. Dans les ministères, on trouve des juristes prompts à vous expliquer que tel ou tel projet est impossible parce que contraire à la Constitution, à un traité, à une loi. Ce qu’ils ne vous disent pas, c’est qu’une Constitution, ça s’interprète et, éventuellement, ça se change. Un traité, ça se dénonce. Une loi, ça se modifie. Il faut rappeler aux fonctionnaires comme aux politiques que l’art du gouvernement est, pour reprendre le mot de Richelieu, “de rendre possible ce qui est nécessaire”. Le peuple souverain est le juge suprême, et aucune entrave n’est supportable lorsqu’elle va contre son jugement.

              Les fonctionnaires ne sont pas là pour expliquer aux politiques que ce qu’ils veulent faire est impossible, tout comme les politiques ne sont pas là pour le dire aux citoyens. Les uns et les autres sont là pour trouver les moyens de faire. Mais cela suppose d’accepter le risque. Parce que – et je vous parle d’expérience – vous n’imaginez pas à quel point l’invocation de l’impuissance est une solution de facilité, une voie du moindre effort. Puisque rien n’est possible, vous n’êtes plus responsable de rien. Je me souviens d’un ministre communiste qui disait à ses fonctionnaires “vous n’êtes pas là pour me dire que c’est impossible, vous êtes là pour m’expliquer comment le faire”. Une formule qu’il faudrait graver au fronton de l’INSP… et surtout dans celui du Conseil d’Etat.

            • Dell Conagher dit :

              Bonjour Descartes,
               
              [ Une formule qu’il faudrait graver au fronton de l’INSP… et surtout dans celui du Conseil d’Etat. ]
               
              Votre remarque m’inspire une question : pour vous qui devez bien mieux le connaître que moi, à quoi sert le Conseil d’Etat aujourd’hui ? Du peu que j’en comprends à travers les journaux, mais c’est sans doute une opinion à nuancer, j’ai l’impression qu’il est surtout devenu un instrument de blocage de ce qui ne va pas dans le sens du zeitgeist libéral-libertaire. Si oui, comment le réformer ?

            • Descartes dit :

              @ Dell Conagher

              [Votre remarque m’inspire une question : pour vous qui devez bien mieux le connaître que moi, à quoi sert le Conseil d’Etat aujourd’hui ?]

              A quoi sert le Conseil d’Etat ? Il a deux fonctions distinctes. La première, c’est celle de juge administratif suprême, c’est-à-dire, chargé de résoudre les conflits entre l’Etat et le citoyen. Il faut revenir à l’histoire des institutions pour comprendre pourquoi en France il existe une séparation nette entre le juge « judiciaire », celui qui dit le droit en matière civile (c’est-à-dire celui qui règle l’état des personnes privés et leurs rapports) et pénale (c’est-à-dire celui qui règle le sort de la personne privée qui viole les règles imposées par la société) du juge « administratif », qui règle les conflits entre le citoyen et l’administration.

              La raison tient à l’action des Parlements, qui étaient les instances judiciaires régionales sous l’Ancien régime. Ces organismes, dominés par la noblesse et les notables de province, étaient soucieuses de préserver les privilèges locaux, et ont saboté régulièrement toutes les tentatives de réforme, et notamment la réforme fiscale de Turgot et la réforme administrative de Maupéou. Les révolutionnaires de 1789 en étaient parfaitement conscients, et c’est pourquoi ils prirent très vite des mesures pour empêcher les juges de paralyser l’administration. La loi du 16 et 24 août 1790 prévoit que « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. ». Cette interdiction n’a, semble-t-il, pas suffi à calmer les ardeurs du corps judiciaire, au point que le 16 fructidor an III (2 septembre 1795) un décret rappelle que « Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, avec peine de droit ».

              Mais si on interdit au juge de connaître les actes de l’administration, comment régler les conflits liés aux actes de l’administration ? Pour cela, on adopte sous le consulat puis l’Empire une solution déjà utilisée sous l’Ancien régime, celui des « conseils » ayant des fonctions judiciaires. Au niveau local, ce seront les « conseils de préfecture », présidés en théorie par les préfets, ancêtres de nos « tribunaux administratifs ». Au niveau central, l’instance suprême sera un conseil présidé par l’Empereur, ce sera le « Conseil d’Etat ». Au départ, ces « conseils » posaient une sérieuse question d’indépendance – c’était un peu l’administration se jugeant elle-même. En pratique, le statut des membres de ces « conseils » et leur mode de recrutement ont contribué à leur donner une véritable indépendance.

              Le Conseil d’Etat a une deuxième fonction, qui est celle d’être le conseiller du gouvernement. Sa composition qui mélange des juristes et des hauts fonctionnaires ayant une longue expérience de l’administration, lui donne une force de frappe intellectuelle considérable. Le Conseil peut être saisi par le gouvernement « pour avis » sur une question délicate (par ex, la question de la légalité du port du voile dans les établissements scolaires) ou bien pour examiner les projets de textes législatifs et réglementaires du gouvernement et signaler les difficultés juridiques ou administratives qu’ils pourraient soulever. Il faut noter que le Conseil n’a qu’un rôle de conseiller. A l’issue de la consultation, le Conseil propose un texte modifié, mais le gouvernement est toujours libre de passer outre les recommandations du Conseil, même pour ceux pour qui la consultation est obligatoire – les fameux « décrets en Conseil d’Etat » ou les projets de loi.

              [Du peu que j’en comprends à travers les journaux, mais c’est sans doute une opinion à nuancer, j’ai l’impression qu’il est surtout devenu un instrument de blocage de ce qui ne va pas dans le sens du zeitgeist libéral-libertaire. Si oui, comment le réformer ?]

              Il ne faut pas être trop dur avec le Conseil, il ne fait en général qu’occuper le terrain laissé vide par les politiques. De plus en plus d’ailleurs le politique cherche à lui endosser les décisions qu’il n’ose pas prendre – ainsi par exemple l’avis demandé par Lionel Jospin, lorsqu’il était premier ministre, sur le port du voile dans les établissements scolaires après l’affaire de Creil. Jospin espérait que le Conseil conclurait à l’illégalité, ce qui lui aurait permis de l’interdire sans avoir à ouvrir un débat législatif. Le Conseil, fort correctement, a refusé de se substituer au politique et renvoyé le cadeau au gouvernement, en concluant que rien dans le droit n’interdisait le port du voile, et qu’il appartenait au législateur de l’interdire s’il le jugeait opportun.

              Si l’on veut réformer le Conseil, la première chose à faire est de fixer clairement ses missions. La justice administrative n’est pas là pour défendre le citoyen opprimé contre l’Etat oppresseur, mais de trouver le meilleur compromis entre l’intérêt général et l’intérêt particulier. Son souci premier, c’est de permettre aux institutions de fonctionner correctement. Pour le dire autrement, il faut empêcher la « judiciarisation » croissante du juge administratif. Cela passe en particulier par la sélection de ses membres et l’organisation des carrières, et notamment par la réforme du « tour extérieur » pour empêcher le gouvernement de « recaser » ses copains. L’appartenance au Conseil devrait être assortie d’une incompatibilité absolue et de long terme avec tout engagement privé de quelque nature que ce soit. Et bien entendu, il faut abolir la question prioritaire de constitutionnalité, qui devient une source d’instabilité majeure pour le travail administratif. Mais tout cela ne répond pas à la question essentielle: le juge est fort lorsque le pouvoir est faible…

  6. Cyril45 dit :

    Bonjour,
    (1) Car il faut rappeler ici que ce l’Assemblée dans son ensemble qui représente le peuple français, et non chaque député. C’est pourquoi Mélenchon se trompe lorsqu’il proclame « la République c’est moi » au motif qu’il a été élu par quelques milliers d’électeurs dans sa circonscription de Marseille.
    Cher monsieur Descartes,
    Cette note m’amène à un parallèle. Contrairement à la légende Louis XIV n’a jamais pu dire : ” L’État c’est moi “. Il s’en savait le représentant, mais ne le prenait pas pour son bien. D’où la formule, le Roi est mort, Vive le Roy.
    Cordialement.
    Cyril

    • Descartes dit :

      @ Cyril45

      [Cette note m’amène à un parallèle. Contrairement à la légende Louis XIV n’a jamais pu dire : ” L’État c’est moi “. Il s’en savait le représentant, mais ne le prenait pas pour son bien.]

      Tout à fait. La formule « l’Etat, c’est moi », dans le sens qu’on lui donne aujourd’hui, ne correspond plus à la conception de l’Etat que pouvait avoir le roi-soleil. Il est possible qu’il ait prononcé cette formule, mais alors dans un sens très différent.

      Au moyen-âge, les rois ont encore une idée « patrimoniale » de la couronne. A l’époque, il n’y a pas « d’Etat » à proprement dire. Le roi administre son domaine comme il le ferait d’une propriété privée. Il a la faculté de vendre et d’acheter des territoires ou des dignités, et les fonctionnaires sont des simples serviteurs, un peu comme un gérant aujourd’hui. La première trace qu’on a de la formation d’un proto-état, c’est le principe de l’inaliénabilité du domaine royal, considérée comme « loi du royaume » par certains juristes au XIVème siècle, puis passée dans le droit positif par l’édit de Moulins de 1566, principe qui interdit au roi « d’aliéner » (vendre ou donner) les biens qui lui appartiennent en tant que titulaire de la couronne et qu’il est donc tenu de transmettre à ses successeurs. Avec Louis XIII et Richelieu, on commence à établir un Etat au sens séparé de la personne de son dirigeant, et Louis XIV achève cette construction. Il le dit lui-même alors qu’il se sait mourant : « je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours ».

      [D’où la formule, le Roi est mort, Vive le Roy.]

      Là, vous faites un contresens. Cette formule répond à une question de droit importante, celle de savoir ce qui faisait que le roi est roi. Pour l’Eglise, c’était le sacre qui faisait la légitimité du roi, et l’héritier légitime ne pouvait gouverner valablement qu’à partir du moment où il était sacré. Que l’église ait soutenu cette position, c’est logique : c’était justement l’Eglise qui pratiquait le sacre… et qui pouvait éventuellement le refuser. Cette théorie lui donnait une sorte de droit de véto sur la désignation du roi. A l’inverse, les juristes laïques considéraient que ce qui faisait la légitimité du roi c’était la continuité de la lignée. Le dauphin devenait donc roi dès lors que le roi rendait son dernier soupir. C’est la théorie des « deux corps du roi », le corps physique, mortel, et le corps mystique, qui continue dans l’héritier légitime.

      La solution qui faisait du sacre la source du pouvoir légitime du roi avait le défaut de produire de l’instabilité. Entre la mort du roi et le sacre de son successeur, il se passait un délai qui pouvait être important, et donnait le temps à des contestations de se créer et des conspirations de s’organiser. C’est pourquoi la théorie du transfert instantané s’est imposée. En 1270, Philippe III est le premier roi à dater ses actes juridiques à partir de la mort de son père, et non de la date de son sacre comme cela se faisait auparavant, ce qui revenait à dater le début de son règne du jour de la mort de son prédécesseur. L’expression à laquelle vous faites référence est utilisée pour la première fois par le peuple de Paris lors de la mort de Charles VI en 1422, sous la forme « mort est le roy Charles, vive le roy Henri ». Le traité de Troyes par lequel Charles avait désigné comme héritier Henri IV d’Angleterre ayant été annulé, c’est Charles VII qui règne à partir de 1422… mais ne sera couronné qu’en 1429 !

      La formule, « le roi est mort, vive le roi » est apparaît sous cette forme pour la première fois en 1498, lors de la mort de Charles VIII.

  7. sebdelsol dit :

    [Il y a donc une dizaine de députés qui se sont conjurés pour aboutir à ce résultat. Quel était leur but ? Pas de fausser le scrutin, puisque le décalage ne pouvait qu’être détecté et en entraîner la nullité. Non, le but probable était de « bordéliser » le processus, d’accentuer encore l’atmosphère de désordre. Et qui a systématiquement joué la « bordélisation » depuis deux ans ? Poser la question, c’est y répondre…]
    C’est une théorie. En voici une autre :
    Les bulletins imprimés par le RN contenaient le nom de Thierry Breton, commissaire européen, au lieu de celui de Xavier Breton, député LR et candidat à un poste de vice-président. C’est à ce vote justement qu’on retrouvera ces 10 enveloppes en trop. Le vote est bien évidement annulé, si bien qu’il n’y aura pas de trace officielle du dépouillement. Si un parti avait voulu dissimuler son amateurisme, comment aurait-il pu s’y prendre ? Poser la question, c’est y répondre…

    • Descartes dit :

      @ sebdesol

      [C’est une théorie. En voici une autre : Les bulletins imprimés par le RN contenaient le nom de Thierry Breton, commissaire européen, au lieu de celui de Xavier Breton, député LR et candidat à un poste de vice-président. C’est à ce vote justement qu’on retrouvera ces 10 enveloppes en trop. Le vote est bien évidement annulé, si bien qu’il n’y aura pas de trace officielle du dépouillement. Si un parti avait voulu dissimuler son amateurisme, comment aurait-il pu s’y prendre ? Poser la question, c’est y répondre…]

      C’est une théorie, mais elle présente deux points faibles. Le premier est que l’erreur sur le nom du candidat ayant été détectée avant le début du scrutin, il n’était pas difficile pour le président du groupe RN de transmettre un SMS avertissant les députés de son groupe de l’erreur et leur demandant d’utiliser un bulletin manuscrit, ce qui est parfaitement légal pour la désignation des membres du bureau de l’Assemblée. Le dépouillement n’aurait donc probablement pas donné un résultat problématique. Il me semble que cette solution était en tout cas bien plus simple – et beaucoup moins risquée – que de mettre des enveloppes supplémentaires dans l’urne.

      Le deuxième point faible, c’est qu’il n’est nullement évident que l’erreur sur le prénom du candidat ait entraîné la nullité du bulletin. Voici ce qu’écrit le rapporteur public au Conseil d’Etat en 2021 : « Votre jurisprudence est, en la matière, très pragmatique, différentes irrégularités ayant pu être considérées comme sans incidence ou, plus précisément, comme ne devant pas conduire au constat de la nullité d’un bulletin. Vous avez le souci, tout aussi logique que nécessaire d’un point de vue démocratique, que la volonté claire exprimée par les électeurs ne soit pas « écrasée » par des irrégularités, dès lors que celles-ci n’engendrent pas de doute quant à l’expression du vote.

      Les exemples sont nombreux. Pour n’en citer que quelques-uns, sont ainsi sans incidence LA FAUTE DANS LE PRENOM DU CANDIDAT (22 mai 2015, Elections municipales de Guégon (…)) ou encore l’utilisation du nom d’épouse au lieu du nom de naissance (4 mars 2009, Elections municipales de Saint-Jean-de-Védas (…)), A LA CONDITION, DANS LES DEUX CAS, QUE L’IRR2GULARITE NE SOIT PAS INTENTIONNELLE ET NE PUISSE INDUIRE LES ELECTEURS EN ERREUR. » (c’est moi qui souligne). Or, dans le cas d’espèce, l’erreur sur le prénom pouvait difficilement induire les députés en erreur (il n’y a pas d’autre député avec le même nom, et l’erreur avait été rendue publique avant le vote) et elle n’était certainement pas intentionnelle.

      Le rasoir d’Occam donne donc, je pense, très largement l’avantage à la théorie que j’ai exposée…

      • sebdelsol dit :

        [il n’était pas difficile pour le président du groupe RN de transmettre un SMS avertissant les députés de son groupe]
        On sait que cela ne s’est pas passé ainsi. En effet le temps que le RN réimprime les bulletins, sans faute, une quinzaine de ses députés avaient déjà voté avec le papier comportant une erreur.
        Vous êtes attaché à la forme, alors vous conviendrez qu’il s’agit d’un cas exemplaire d’une grande légèreté de comportement.
        [c’est qu’il n’est nullement évident que l’erreur sur le prénom du candidat ait entraîné la nullité du bulletin]
        Vous pensez que les députés RN connaissaient un point obscur de jurisprudence, par ailleurs jamais appliquée aux votes à bulletins secrets à l’assemblée. Soit.
        Hors les députés ne sont pas des électeurs ordinaires, et il s’agissait d’un vote important et très observé (les journaux et TV en ont fait des lives).
        Quand un parti se réclame garant des formes et de l’ordre à l’assemblé. Ca fait tache, non ?
        Vous remarquerez que le scandale du bourrage de l’urne a été un contre-feu parfait. Et cette grossière erreur de forme n’a pas pu être officialisée.
        [Le rasoir d’Occam donne donc, je pense, très largement l’avantage à la théorie que j’ai exposée…]
        C’est vrai si l’on croit vos arguments, à minima je vous ai montré leurs faiblesses.
        Par ailleurs je vous ai présenté un mobile crédible. Quel serait celui de LFI ? Qu’avaient-ils concrètement à y gagner ?
        Je lis votre blog, car même si je n’adhère pas du tout à vos thèses, car il y a pensée. Mais dans ce cas, vous faites de la caricature, est-ce bien nécessaire ?

        • Descartes dit :

          @ sebdelsol

          [On sait que cela ne s’est pas passé ainsi. En effet le temps que le RN réimprime les bulletins, sans faute, une quinzaine de ses députés avaient déjà voté avec le papier comportant une erreur.]

          Autrement dit, le dépouillement aurait montré une dizaine de nuls. Pas de quoi prendre le risque de se faire accuser de bourrer les urnes pour faire annuler le scrutin.

          [Vous êtes attaché à la forme, alors vous conviendrez qu’il s’agit d’un cas exemplaire d’une grande légèreté de comportement.]

          J’ai un peu trop d’expérience pour dire ça. Vous savez, j’ai été responsable administratif ou directeur de campagne de plusieurs candidats et listes dans ma vie politique, et je sais que ce genre d’erreur arrive même dans les partis les mieux organisés et aux responsables les plus expérimentés. Je me souviens d’une fois où je me suis présenté en préfecture pour déposer une liste, et remarqué à la dernière minute que le responsable de collecter les signatures avait oublié une d’elles sur quarante candidats. Je l’appelle, mais le candidat est introuvable et l’échéance approchait. Alors, je me suis enfermé dans les toilettes… et j’ai falsifié sa signature. C’aurait pu mal se terminer, imaginez qu’à la dernière minute le candidat renie sa signature, et prétende qu’on l’a mis sur la liste contre sa volonté ? Un observateur extérieur comme vous aurait parlé « d’amateurisme ». Mais c’était quoi, l’alternative ? Ne pas déposer la liste et être absent du scrutin ?

          [« c’est qu’il n’est nullement évident que l’erreur sur le prénom du candidat ait entraîné la nullité du bulletin » Vous pensez que les députés RN connaissaient un point obscur de jurisprudence, par ailleurs jamais appliquée aux votes à bulletins secrets à l’assemblée. Soit.]

          Ce n’est pas un « point obscur ». Quiconque a tenu un bureau de vote ou travaillé un peu la question la connait. Une irrégularité qui ne compromet pas la sincérité de l’expression de la volonté de l’électeur et sa liberté de choisir son candidat n’est pas un motif d’annulation.

          [Or les députés ne sont pas des électeurs ordinaires, et il s’agissait d’un vote important et très observé (les journaux et TV en ont fait des lives).]

          Exactement. C’est pourquoi cette histoire d’enveloppes multiples nécessitait une bonne dose d’inconscience, compte tenu du risque encouru. Il suffisait que la caméra soit dans le bon angle, qu’on puisse voir les deux enveloppes, pour que l’auteur de la chose soit carbonisé. Or, les dirigeants du RN savent parfaitement qu’ils sont observés, et que rien ne leur sera pardonné. Ce qui a mon sens exclut qu’ils aient monté une telle conspiration.

          [Quand un parti se réclame garant des formes et de l’ordre à l’assemblé. Ca fait tache, non ?]

          Je ne vous dirai pas que se tromper sur un bulletin de vote soit une bonne publicité. Mais je n’exagérerais pas non plus la « tâche » en question. Comme je vous l’ai dit, ce sont des choses qui arrivent dans les maisons les mieux tenues. Si vous regardez le journal officiel, vous verrez de temps en temps passer des « rectificatifs », et même des textes qui sont « retirés » parce qu’ils contiennent des erreurs. J’ai en tête un cas d’homonymie qui a fait qu’un illustre inconnu a reçu la légion d’honneur à la place du véritable récipiendaire, qui a fait beaucoup rire dans le Landerneau.

          [Vous remarquerez que le scandale du bourrage de l’urne a été un contre-feu parfait. Et cette grossière erreur de forme n’a pas pu être officialisée.]

          Franchement, vous pensez vraiment qu’une dizaine de bulletins mal rédigés, s’ils avaient été comptés nuls, auraient changé la face de l’histoire ? Allons, soyons sérieux. A la rigueur, si un poste s’était joué à une dizaine de voix près, cela aurait mérité un commentaire. Mais perdre avec 123 voix, ou perdre avec 113 voix et dix nuls…

          [Par ailleurs je vous ai présenté un mobile crédible. Quel serait celui de LFI ? Qu’avaient-ils concrètement à y gagner ?]

          J’aurais du mal à dire ce qu’ils pourraient gagner avec la stratégie de bordélisation. Personnellement, je doute que cela leur rapporte quelque chose. Mais mon opinion importe peu : le fait est qu’ils sont persuadés, EUX, que c’est là la bonne stratégie. Et la preuve en est qu’ils l’ont adoptée de manière systématique, et cela depuis 2017. Discours outranciers, provocations vestimentaires, actions contraires au règlement, obstruction au débat, amendements fantaisistes, tous les instruments de « bordélisation » ont été largement utilisés. Pourquoi, à votre avis, s’ils étaient conscients de ne rien avoir à gagner ?

          [Je lis votre blog, car même si je n’adhère pas du tout à vos thèses, car il y a pensée. Mais dans ce cas, vous faites de la caricature, est-ce bien nécessaire ?]

          Je ne crois pas faire de la caricature. Une coïncidence n’est pas une preuve, et c’est pourquoi je ne regarde pas l’accusation comme prouvée. Mais il faut admettre que si l’on regarde les lignes et les stratégies et comportements adoptés par les différents groupes dans la précédente législature (stratégie d’institutionnalisation pour le RN, de « bordélisation » pour LFI, comportement « raisonnable » des autres groupes) la chose ressemble bien plus à LFI qu’aux autres.

  8. P2R dit :

    Bon, au moins il semble que Darmanin a saisi le message des Français.. euh.. enfin..
    Quand j’ai vu cet article, j’ai dû vérifier que je n’étais pas sur le Gorafi.
    https://www.lefigaro.fr/politique/j-ai-compris-le-message-face-a-la-secession-entre-les-francais-et-leurs-elites-darmanin-renonce-a-la-cravate-20240726
     
     

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [Bon, au moins il semble que Darmanin a saisi le message des Français.. euh.. enfin… Quand j’ai vu cet article (« «J’ai compris le message» : face à la «sécession» entre les Français et leurs «élites», Darmanin renonce à la cravate »), j’ai dû vérifier que je n’étais pas sur le Gorafi.]

      Je vais devoir défendre Darmanin. Qu’un homme politique déclare avoir pris conscience de la « sécession entre les Français et les élites », et qu’il invente un symbole pour bien marquer cette prise de conscience, je trouve cela très bien. A condition, bien entendu, d’être cohérent jusqu’au bout. Si le fait de tomber la cravate est le symbole d’une volonté de de se rapprocher du peuple, alors le fait de la remettre serait le symbole de sa volonté d’aller dans le sens contraire. Autrement dit, une fois que Darmanin a décidé de tomber la cravate pour symboliser sa prise de conscience, il se condamne à ne plus jamais la porter, sous peine de transmettre le message inverse. Il faudra donc surveiller avec attention l’habillement de Darmanin. S’il ne porte plus jamais une cravate ne public, je lui tire mon chapeau. On verra bien…

      Accessoirement, je trouve qu’il a mal choisi son symbole. Je me souviens d’un débat similaire qui avait eu lieu au PCF entre les « soixante-huitards » qui poussaient à la « modernisation du Parti » et ceux qu’on appelait les « traditionnalistes ». En particulier, alors que chez les gauchistes on s’habillait n’importe comment, les dirigeants communistes continuaient à porter costume et cravate. Georges Marchais pouvait tomber la cravate lorsqu’il se promenait dans les allées de la Fête de l’Humanité – et encore ! – mais il ne lui serait pas venu à l’idée de monter à la tribune d’un meeting – ou de l’Assemblée nationale – avec la chemise ouverte. On pouvait tomber la cravate lorsqu’on était entre militants, parce qu’on était en famille. Mais lorsqu’on s’adressait aux citoyens, s’habiller était considéré un geste de respect, et non une marque de distance. De ce point de vue, Darmanin se trompe s’il croit que le geste de tomber la cravate sera interprété positivement. Les citoyens veulent des politiciens qui les respectent, et non des politiciens qui prétendent s’inviter chez vous.

      • P2R dit :

        @ Descartes
         
        [ Je vais devoir défendre Darmanin. Qu’un homme politique déclare avoir pris conscience de la « sécession entre les Français et les élites », et qu’il invente un symbole pour bien marquer cette prise de conscience, je trouve cela très bien. A condition, bien entendu, d’être cohérent jusqu’au bout. ]
         
        Vous êtes décidément un homme exceptionnel pour laisser bénéfice au doute concernant M. Darmanin.
         
        Néanmoins je souligne que le symbole adopté n’est pas neutre: la démarche de Darmanin ne peut pas s’abstraire du fait que c’est du coté de LFI qu’on rejette l’accessoire, et du RN qu’on en a fait un symbole de respectabilité..
         
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [Vous êtes décidément un homme exceptionnel pour laisser bénéfice au doute concernant M. Darmanin.]

          J’ai l’air méchant comme ça, mais au fond de moi, je suis un gentil…

          [Néanmoins je souligne que le symbole adopté n’est pas neutre: la démarche de Darmanin ne peut pas s’abstraire du fait que c’est du coté de LFI qu’on rejette l’accessoire, et du RN qu’on en a fait un symbole de respectabilité…]

          Je trouve personnellement la question très intéressante. Lorsqu’un homme politique s’habille, pour qui s’habille-t-il ? Et quel est le message que les accessoires qu’il choisit de porter est censé transmettre ?

          Pour commencer, il y a la question du protocole. Un copain diplomate m’avait expliqué le sens, l’utilité du protocole. Le protocole sert en fait à distinguer ce qui est signifiant et ce qui ne l’est pas. Ainsi, par exemple, dans les diners officiels il y a un ordre protocolaire pour asseoir les gens. Si les gens sont assis dans cet ordre, vous savez qu’on ne veut passer aucun message, que chacun est à sa place. Par contre, si quelqu’un est assis hors de l’ordre protocolaire, le message est clair : s’il est « avancé », c’est qu’on lui rend un honneur particulier, s’il est « rétrogradé », alors c’est au contraire qu’on veut marquer sa disgrâce. Et de la même manière, porter le costume et la cravate sombre à l’Assemblée, c’est assumer une position neutre. S’écarter de ce standard, c’est prendre la parole, c’est exprimer quelque chose.

          Lorsque Patrice Carvalho, ouvrier et député communiste de l’Oise se rend le 12 juin 1997 à la séance inaugurale de la législature en bleu de travail, c’est une transgression qui est signifiante, et parce qu’elle l’était elle a été admise et n’a donné lieu à aucune sanction. Mais à la séance suivante, il est venu en costume et cravate. Parce que, pour que l’écart soit signifiant, il faut qu’il y ait une norme par rapport à laquelle s’écarter. Si tout le monde vient à l’hémicycle comme il le souhaite, celui-ci en t-shirt, celui-là en robe à fleurs, un troisième en costume, un quatrième en bleu de chauffe, un cinquième à poil, un sixième en pyjama, l’habit ne transmet plus aucun message, parce qu’il n’y a plus de norme à contester. « La où tout est permis, rien n’est subversif » comme disait Lacan.

          Lorsque le vouvoiement est la règle, le tutoiement est signifiant. Mais là où tout le monde se tutoie, c’est le vouvoiement qui est signifiant. Et lorsqu’il n’y a plus de règle, rien n’est signifiant. Le geste de Darmanin n’est signifiant que parce que la norme veut qu’un ministre porte la cravate. Autrement dit, il sert à marquer une différence. Mais pour qu’il y ait différence, il faut qu’il y ait norme. Lorsque Darmanin tombe la cravate, lorsque Carvalho vient en séance en bleu de travail, aucun des deux ne conteste en fait la norme. Carvalho a revêtu le costume à la séance suivante, et il y a fort à parier que Darmanin remettra sa cravate lorsqu’il aura à présider un acte public.

          Le cas des députés LFI est très différent, parce que chez eux c’est la norme même qui est contestée. Contrairement au geste de Carvalho ou celui de Darmanin, qui ont une signification précise, le geste des députés LFI venant sans cravate n’a aucune signification, il ne transmet rien. Autrement dit, LFI ne prétend pas transmettre un message à travers le costume, mais enlever au costume sa signification. Il faut je pense comprendre que la logique de « bordélisation » de LFI fait partie d’une guerre contre le langage institutionnel, contre la capacité des institutions à signifier. Ils s’inscrivent ainsi clairement dans le projet « libéral-libertaire » de destruction des institutions. Car toute institution fonctionne grâce à un langage qui lui est propre, un ensemble de mots, d’actes et de rituels signifiants. Rendre ces mots, ces actes, ces rituels in-signifiants, c’est rendre in-signifiante l’institution elle-même.

          La “stratégie de la cravate” des élus RN s’inscrit dans le mouvement inverse. Reprendre les codes de l’institution est au contraire une manière de “signifier” l’inscription du RN dans les institutions républicaines. Ici, ce qui est signifiant n’est pas l’écart par rapport à la norme, mais au contraire le refus de tout écart.

          • Carloman dit :

            @ P2R & Descartes,
             
            Pardonnez cette immixtion messieurs, mais je voudrais verser un élément au dossier.
             
            Je me souviens d’un documentaire que j’avais vu, il y a bien des années, sur la famille royale britannique, et son attitude pendant la Seconde Guerre Mondiale. Et je me rappelle que la reine – la mère d’Elizabeth II si je ne me trompe -, régulièrement, se rendait dans les quartiers bombardés de Londres, à la rencontre des populations sinistrées (ce qu’on attend d’une reine, somme toute). Et elle y allait en tailleur impeccable.
             
            Ce qui est drôle, c’est qu’à l’époque, un conseiller ou un journaliste, je ne sais plus, lui avait fait la remarque: était-ce décent d’aller visiter des populations démunies vêtue de manière aussi élégante? Et je me rappelle que la reine avait eu, en susbtance, cette réponse admirable: “si ces gens venaient chez moi, je sais qu’ils feraient l’effort de s’habiller le mieux possible. Alors quand je vais chez eux, je m’habille très convenablement, c’est une question de respect.”
             
            Je pense que tout est dit…

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Ce qui est drôle, c’est qu’à l’époque, un conseiller ou un journaliste, je ne sais plus, lui avait fait la remarque: était-ce décent d’aller visiter des populations démunies vêtue de manière aussi élégante? Et je me rappelle que la reine avait eu, en substance, cette réponse admirable: “si ces gens venaient chez moi, je sais qu’ils feraient l’effort de s’habiller le mieux possible. Alors quand je vais chez eux, je m’habille très convenablement, c’est une question de respect.” Je pense que tout est dit…]

              Ce que j’aime chez les Anglais, c’est le soin qu’ils apportent à tout ce qui est symbolique. Je connaissais cette réplique, et je trouve en effet qu’elle résume parfaitement la situation. Le soin qu’on met à son apparence lorsqu’on va voir quelqu’un est un signe de respect envers lui. Lorsqu’on exerce une charge publique, le soin qu’on apporte à son apparence est une marque de respect pour ceux qui vous l’ont confiée. A l’inverse, l’élu qui se présente en tenue négligée montre par de ce fait le peu de considération qu’il a pour son statut.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Ce qui est drôle, c’est qu’à l’époque, un conseiller ou un journaliste, je ne sais plus, lui avait fait la remarque: était-ce décent d’aller visiter des populations démunies vêtue de manière aussi élégante? Et je me rappelle que la reine avait eu, en substance, cette réponse admirable: “si ces gens venaient chez moi, je sais qu’ils feraient l’effort de s’habiller le mieux possible. Alors quand je vais chez eux, je m’habille très convenablement, c’est une question de respect.” Je pense que tout est dit…]

              Ce que j’aime chez les Anglais, c’est le soin qu’ils apportent à tout ce qui est symbolique. Je connaissais cette réplique, et je trouve en effet qu’elle résume parfaitement la situation. Le soin qu’on met à son apparence lorsqu’on va voir quelqu’un est un signe de respect envers lui. Lorsqu’on exerce une charge publique, le soin qu’on apporte à son apparence est une marque de respect pour ceux qui vous l’ont confiée. A l’inverse, l’élu qui se présente en tenue négligée montre par de ce fait le peu de considération qu’il a pour son statut.

              Si la famille royale britannique a réussi à survivre jusqu’à aujourd’hui, c’est parce que les monarques successifs ont eu une conscience très aigüe de cette forme de respect, et des conséquences que cela pourrait avoir pour elle de manquer le respect à ces sujets. De Gaulle avait d’ailleurs une grande admiration pour le roi et la reine, et par certains côtés eut un comportement très “anglais” lorsqu’il fut à la tête de l’Etat.

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