J’y suis, j’y reste… jusqu’à quand ?

« Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra? » Cicéron

Le président de la République française, le maréchal Patrice de Mac-Mahon, était mécontent de la Chambre des députés, où les républicains étaient majoritaires. Non seulement elle lui empêchait de nommer un président du conseil à son image, mais elle bloquait ses projets de restauration de la monarchie, et se permettait même de contester le pouvoir de l’église catholique. Il décide donc le 16 mai de dissoudre la Chambre pour obtenir une majorité conforme à ses souhaits. Mais les Français ne l’entendent pas de cette oreille, et le 14 octobre donnent aux républicains une majorité de 120 sièges. Les manœuvres du président pour former un gouvernement « de fonctionnaires » conforme à ses souhaits échouent, la Chambre ne voulant rien entendre. Il lui fallut, dans les mots de Gambetta, « se soumettre ou se démettre ». Il se soumit d’abord, en nommant à la présidence du conseil le républicain Dufaure, puis deux ans plus tard, après que les républicains ont gagné la majorité au sénat, il se démit. Et comme président il ne laissa d’autre trace dans notre histoire que la fameuse formule, peut être apocryphe, « La fièvre typhoïde c’est affreux, on en meurt ou on en reste idiot… je sais de quoi je parle, je l’ai eu ». Toute ressemblance à un personnage vivant ne pourrait être que pure coïncidence…

Le triste spectacle que donne notre classe politique depuis deux mois continue. La dissolution voulue par Emmanuel Macron – et par certains de ses conseillers qui, au vu du résultat, se font extrêmement discrets – a eu au moins un mérite. Le mérite de l’enfant qui crie la nudité de l’empereur dans la fable bien connue. Derrière la façade du pouvoir « jupitérien » hérité de mongénéral et dynamité – le pouvoir, pas la façade qui, elle, a été soigneusement préservée – par ses successeurs, la maison tombe en ruine. Et parce qu’on ne gouverne plus vraiment, parce que les vraies décisions ne se prennent ailleurs, on a vu progressivement les plus brillants, les plus compétents, les plus expérimentés aller chercher fortune autre part. Aujourd’hui, la scène du théâtre politique est occupée par des guignols qui, il y a quarante ans, auraient été jugés indignes de diriger un kiosque à journaux.

Nous avons aujourd’hui à l’Elysée un enfant gâté à qui pendant longtemps tout a réussi. Il était jeune, il était beau, il sentait bon… mais je m’égare. Disons qu’il était aussi intelligent, séducteur, inspecteur des finances. Il ne fallait pas plus pour mettre dans sa poche les vieux barbons du mitterrandisme mourant, de Jacques Attali à Julien Dray, de Jean-Pierre Jouyet à François Hollande. Qui ont fait de ce jeune homme pressé, sans expérience politique, sans profondeur humaine, mais tellement brillant, tellement séduisant, un secrétaire général de l’Elysée, un ministre, un candidat présidentiel. Le bombardement médiatique, le soutien de la finance et la lassitude des français devant la fausse alternance des partis dits « de gouvernement », qui se sont succédés au pouvoir pour faire la même politique – celle du chien crevé au fil de l’eau – aux détails cosmétiques près, a fait le reste.

Une société immature ne peut que produire des dirigeants immatures. Avec la prise de pouvoir des classes intermédiaires portée par la société de consommation, la dimension tragique de la politique a disparu des radars. Et même le discours de « la guerre à nos portes » qui a suivi le conflit ukrainien semble incapable de la faire renaître. Notre classe politique agit comme si elle était dans une cour de récréation, comme si ses faits et gestes n’avaient pas de conséquences. Et il n’y a qu’à voir le comportement des députés de la nouvelle l’Assemblée. Quand un député trouve le temps de consacrer une vidéo à expliquer pourquoi il n’a pas serré la main d’un autre, il y a quelque chose de pourri au royaume de France.

Macron est un personnage immature, une personne qui, comme le remarquent Davet et Lhomme dans « le traître et le néant », a vu son univers affectif congelé à l’âge de 15 ans. Mais Macron le séducteur, Macron l’acteur avait réussi à nous donner l’illusion de maturité, de « présidentialité ». Pour cela, il avait multiplié les commémorations – on n’a jamais autant vu le chef de l’Etat aux Invalides ou sur les anciens champs de bataille que sous sa présidence : ce sont des occasions de prendre une voix grave, et de donner donc une illusion de gravité. Avantage accessoire, les morts vous écoutent déblatérer patiemment, et ne se lèvent jamais pour vous contredire. Rien n’est aussi consensuel que les hommages funèbres.

Mais toute illusion finit par se dissiper sous les coups de la réalité. Du « Mozart de la finance », du président « moderne », du jeune réformateur qui allait faire de la France une « start-up nation », du président « jupitérien » qui allait chausser les bottes de De Gaulle que nous avions élu en 2017, il ne restait déjà pas grande chose en 2022. Les Français se sont lassés de ce président qui se mêle de tout – y compris d’expliquer aux chômeurs qu’il suffit de traverser la rue pour trouver du travail – mais qui ne connaît pas le pays qu’il gouverne et qui, au fond, ne l’aime pas, au point qu’il voudrait le transformer en quelque chose qui ressemble aux Etats-Unis ou à l’Allemagne. Ils se sont lassés d’un président qui déguise ses fautes derrière les rodomontades du genre « qu’ils viennent me chercher » ; qui ne sait s’entourer que de groupies ; qui confond gouverner et communiquer, la politique et le copinage. Et ils se sont surtout lassés de constater que derrière la façade « transgressive », c’étaient toujours les mêmes politiques usées jusqu’à la corde qui étaient mises en œuvre, que c’étaient toujours les mêmes qui se remplissaient les poches. Les « Gilets Jaunes » avaient traduit cette lassitude, et on était sorti de la crise par des « grands débats » censés changer la manière dont on gouvernait. Mais une fois les ronds-points libérés, les carnets de doléances ont été rangés dans une oubliette, et rien n’est venu. En 2022, cette lassitude s’est faite sentir dans les urnes, avec une élection présidentielle gagnée grâce au « front républicain » et une législative donnant une maigre majorité relative au camp présidentiel. A l’époque, le président avait prétendu avoir « entendu le message ». Rien n’a changé. Deux ans plus tard, les Français font connaître leur rejet une fois de plus, lors d’élections européennes : la liste pour laquelle le président s’est engagé arrive loin derrière le RN, et à peine quelques voix au-dessus de la liste PS. Appelés aux urnes trois semaines plus tard pour des élections législatives, les Français confirment leur choix en privant le camp présidentiel de majorité – et sans un « front républicain » aberrant, le résultat aurait été encore plus désastreux. Là encore, il a expliqué avoir « entendu le message » et déclaré que rien ne serait comme avant.

Et qu’est ce qu’on a vu ? A l’est, rien de nouveau, à l’ouest non plus. Alors qu’il n’a qu’un faible soutien à l’Assemblée et que – ce qui est plus sérieux – il est massivement rejeté dans le pays, le président s’entête. Non seulement il maintient un gouvernement sans légitimité aux affaires – certes courantes, mais affaires quand même – au delà du raisonnable, mais il s’imagine qu’il peut, par des accords d’arrière-boutique, mettre en selle un gouvernement qui acceptera de préserver les fondamentaux de son action, c’est-à-dire, exactement ce que les Français ont rejeté par trois fois dans les urnes. Comble de l’absurde, il appelle les députés qui ont été élus précisément parce qu’ils portaient le rejet de cet héritage à s’entendre pour le préserver.

Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. Macron, ce n’est pas la rupture avec Hollande, mais sa continuation. Macron, c’est le stade suprême du rocardo-delorisme, celui où on cesse définitivement d’écouter le peuple, et où l’on réserve les décisions à ceux qui savent comment faire son bonheur y compris contre lui. Macron, c’est la suite de Hollande avec un habillage différent. Ce n’est pas par hasard si l’un fut un collaborateur choyé puis un ministre apprécié de l’autre avant de prendre sa place. Seulement, le modèle « pépère » et faussement consensuel de Hollande était épuisé, les Français n’en voulaient plus. Il faut donc refaire la façade pour qu’on ne remarque pas que la maison restait la même. Et la supercherie a marché un temps. En 2017, Macron est porté par une véritable dynamique : il apparait comme le président jeune, dégagé des compromissions politiques, qui dépassera les clivages partisans et dynamisera un pays bloqué par ses archaïsmes. Un président capable de trouver des solutions nouvelles, originales, équilibrées, et de rassembler autour d’elles. Mais tout cela, ce n’est qu’un jeu d’illusions. Et de ce point de vue, l’évolution de la réforme des retraites est emblématique. En 2017, le Macron « transgressif » nous proposait de remplacer un système devenu avec les années complexe et illisible par un système dit « à points » bien plus juste et plus prévisible. Mais au bout de cinq ans, ce beau projet était devenu une réforme « paramétrique », qui se contente de reporter l’âge de la retraite pour un résultat purement comptable, projet en tout point aligné à celui de la réforme Touraine entamée sous Hollande.

Il s’est trouvé des gens, en 2017, pour voir en Macron un nouveau De Gaulle, capable de se situer « au-dessus des partis » et d’opérer une synthèse qui dépasse les querelles partisanes. Mais il faut comprendre que la synthèse gaullienne et la synthèse macronienne reposent sur des fondements très différents. De Gaulle avait cherché une synthèse entre des forces dont l’opposition ne se réduit pas à une querelle d’égo ou de pré-carré. Il s’agissait de trouver un modus vivendi entre le capital, représenté par les partis bourgeois et les organisations patronales, et le travail, représenté très majoritairement par le PCF et la CGT. La politique gaullienne cherche donc la synthèse entre des intérêts antagoniques, qui ne peuvent donc s’accommoder d’un « en même temps ». Il faut trancher, et c’est pourquoi il faut un Etat fort, capable d’arbitrer entre les intérêts particuliers et d’imposer une juste répartition de la richesse.

Macron se situe dans une logique très différente. Les « querelles partisanes » qu’il cherche à dépasser opposent des partis qui, lorsqu’ils ont eu le pouvoir, ont fait les mêmes politiques parce qu’ils représentent les mêmes intérêts, les mêmes groupes sociaux. La seule chose qui empêchait la gauche et la droite dites « républicaines » de gouverner ensemble, c’était la lutte impitoyable pour les postes et des prébendes. Il suffisait de trouver une répartition acceptable pour « dépasser » le conflit. Et c’est exactement ce que fit Macron version 2017 : à lui sont venus en parts à peu près égales des dirigeants de la droite LR et de la gauche socialiste et écologiste, et pendant les sept dernières années des ministres venus de la gauche et des ministres venus de la droite ont gouverné en parfaite intelligence, et sans que personne – à une exception près – ne quitte le navire pour une question de principe.

Macron a déçu ceux qui avaient cru à l’illusion en 2017 parce que sa synthèse est vite apparue pour ce qu’elle est : l’adaptation au contexte français de la théorie du « ruissellement ». Vous savez, cette théorie qui prétend qu’il faut bien garnir la table des riches, parce que plus celle-ci est garnie, plus les miettes qui tombent vers les pauvres sont grosses. Une théorie qui, assumée ou non, a guidé l’action de tous les gouvernements depuis au moins 1983, depuis que la libre circulation des capitaux et la « concurrence libre et non faussée » fait que la politique de la France se fait à la corbeille, parce qu’il ne faut surtout pas se fâcher avec des « marchés » qui occupent la place des dieux antiques, vous savez, ceux qu’il fallait rendre propices par des sacrifices humains. La « synthèse » macronienne, c’est une affaire interne au bloc dominant, une entente pour faire la politique qui arrange la bourgeoisie et les classes intermédiaires et tient pour quantité négligeable tout le reste.

Mais voilà, les Français ne veulent plus de cette politique. Ils l’ont marqué depuis au moins 2005, avec le rejet d’un traité qui était pourtant porté à bout de bras par l’ensemble des « partis de gouvernement ». Ils l’ont marqué en donnant une part du vote de plus en plus importante au parti qui – à tort ou à raison, ce n’est pas la question – est perçu comme le seul contestant les politiques du « cercle de la raison ». Ils l’ont marqué en renvoyant à chaque élection les gouvernants en place : Sarkozy n’a pas été réélu, Hollande n’a même pas été en conditions de se représenter. Pas étonnant que les Français soient en colère, qu’ils broient du noir, qu’ils soient parmi les peuples les plus pessimistes d’Europe. Leurs élites politiques persistent à leur resservir un plat immangeable qu’ils ont renvoyé en cuisine à chaque opportunité. Une fois passée la soirée électorale où tout le monde jure la main sur le cœur d’avoir compris le message, tout continue comme avant.

La situation est aujourd’hui devenue grotesque, du fait de l’immaturité de notre président et de son incapacité à assumer la dignité de sa fonction. Le pays a rejeté clairement et sans ambiguïté les politiques macroniennes. De Gaulle aurait présenté sa démission dans les 24 heures, parce que pour lui « le peuple français est le juge suprême », qu’il était là pour mettre en œuvre un projet, et que cela n’avait pas de sens de rester dès lors que le pays le rejetait. Il l’a d’ailleurs fait effectivement deux fois, en 1946 et en 1969. Confronté à une situation similaire, Mitterrand a admis la défaite et nommé un premier ministre de droite, d’une part parce qu’une politique de la droite n’était pas forcément pour lui déplaire, et parce qu’il pensait en stratège en regardant déjà le coup suivant, celui de sa réélection.

De Gaulle était un homme de principes. Mitterrand, un cynique qui ne se racontait pas d’histoires. Macron, lui, est un joueur de poker qui pense toujours que la chance peut tourner et qu’il arrivera à se refaire à condition de faire monter les enchères. Défait dans les urnes, il refuse de quitter la partie et rêve d’un premier ministre capable de former une majorité qui lui permettrait de garder la main. Ironiquement, la seule chose qu’on peut lui reprocher par rapport à ses prédécesseurs, c’est sa franchise. Les autres promettaient de tout changer pour que rien ne change. Ils nous expliquaient qu’ils allaient « changer la vie », que « leur ennemi était la finance » pour ensuite faire le traité de Maastricht, la réforme Touraine et la loi El Khomri. Avec Macron, au moins, c’est clair : il ne nommera à Matignon que celui qui s’engagera à continuer dans la même voie. Autrement dit, on peut voter ce qu’on veut, rien ne changera. On trouvera toujours une « combine » pour contourner le vote populaire. Et on la trouvera avec le soutien de la droite et de la gauche « responsable ». Parce que vous verrez, à la fin, républicains et socialistes iront à la soupe. Ils en ont tellement envie…

La réforme des retraites, dans ce contexte, est devenu un symbole. Au-delà de son contenu réel, au-delà du débat – nécessaire – sur l’équilibre des régimes, sur l’âge idéal de départ, sur les aménagements possibles, elle est devenue un marqueur. Il est clair que tout premier ministre qui la maintiendrait se placerait dans une logique de continuité avec l’ancien régime, et que son abrogation est la condition sine qua non pour marquer une rupture. C’est amusant, parce que cette réforme, tant LR que le PS l’auraient faite eux-mêmes s’ils avaient été au pouvoir ces sept dernières années. LR s’est toujours affirmé partisan du recul de l’âge légal, et le PS a fait la réforme Touraine, qui tout en maintenant l’âge légal à 62 ans rendait de facto impossible, vu le nombre de trimestres à valider, de partir sans pénalités avant 67 ans.

Cet exemple situe pour moi parfaitement le débat actuel, et permet de comprendre à quel point le jeu démocratique est devenu un jeu de dupes. Ce n’est pas la faute des institutions, mais la conséquence d’un rapport de forces qui fait que ceux qui représentent les couches populaires sont évacués, pour ensuite décider entre gens du même monde, qui finalement représentent les mêmes intérêts. Macron a raison de penser qu’il existe à l’Assemblée une majorité « de cœur » pour soutenir ses politiques. Après tout, qu’est ce qui sépare fondamentalement – je dis bien fondamentalement, et non pas sur l’habillage ou sur telle ou telle politique sociétale – le Modem, LR, Horizons, le PS, les écologistes ? Quel est le désaccord de fond qui les empêcherait de gouverner ensemble ? Je n’aurai pas la cruauté de balancer quelques citations, quelques décisions politiques bien choisies et de vous mettre au défi de deviner de quel bord sont leurs auteurs. Mais on n’aurait pas de mal à trouver des socialistes privatisant plus vite et plus fort que la droite. Il faut être clair : sur la construction fédéraliste européenne et sur l’Euro, sur la politique étrangère et de défense, sur la politique économique qui aboutit à la désindustrialisation, la baisse de la productivité et le financement de la consommation par l’endettement, sur le démantèlement de l’Etat, tout ce beau monde est à peu près d’accord. On l’a bien vu pendant la campagne européenne : Hayer et Glucksmann ont eu toutes les peines du monde à trouver des points de désaccord. Le Bruno Le Maire qui conduit depuis sept ans la politique économique de la France est le même Bruno Le Maire qui avait conduit la politique européenne puis la politique agricole sous Sarkozy. Le Jean-Yves Le Drian qui dirigea la politique étrangère et européenne sous Macron était le même qui celui qui fit la politique de défense de la France sous Hollande. Alors, ou bien ils ont tous deux changé radicalement de convictions en 2017, ou bien la distance à parcourir pour aller de Sarkozy ou Hollande à Macron n’était pas si grande.

Le problème, c’est que s’il y a une majorité à l’Assemblée pour s’accommoder de la poursuite de la politique du chien crevé au fil de l’eau, cette politique et ses conséquences rencontrent un rejet majoritaire, croissant, et de plus en plus violent dans le pays. La progression du RN et les épisodes comme celui des « Gilets Jaunes » ont montré l’exaspération de la société. C’est pour cette raison que les socialistes – ceux qui ont voté la réforme Touraine – ont tout à coup des pudeurs de gazelle lorsqu’il s’agit du décalage de l’âge de la retraite, que les députés LR – souvenez-vous de la gestion laxiste sous Sarkozy – se posent en inflexibles gardiens du déficit budgétaire et de la dette. Et c’est pour cette raison que le projet macronien de constituer une majorité « raisonnable » qui perpétue son héritage risque d’échouer. Parce que même ceux qui pourraient s’en accommoder ont compris que le faire publiquement devant le pays serait un suicide politique.

Au PS comme à LR, on a très bien compris le problème. A droite comme à gauche, les extrêmes sont en embuscade. Aider Macron à constituer un gouvernement qui ne soit pas symboliquement un gouvernement de rupture, c’est prendre le risque de voir ses électeurs migrer vers le RN ou vers LFI. Mélenchon l’a d’ailleurs parfaitement compris, et c’est pourquoi les dirigeants « insoumis » font tout ce qu’il faut pour pousser les socialistes à la rupture de la solidarité interne au NFP. En sabotant Lucie Castets, qui est la candidate du Parti socialiste. En proposant sans consulter personne une procédure de destitution ou en appelant à la rue. Tout cela fait peur aux modérés du PS qui veulent la rupture avec LFI, et renforce les oppositions internes à Olivier Faure, qui ne rêvent que d’un accord avec le centre. A droite, le débauchage par le RN de Ciotti sonne comme un avertissement pour ceux qui seraient tentés d’aller rejoindre un gouvernement de continuité.

Et c’est pour cette raison que seul un « électron libre », qui n’engagerait que lui-même et que chaque parti pourrait désavouer devant l’opinion si nécessaire, peut aujourd’hui prendre le poste de premier ministre. La gauche l’a vite compris : après avoir proposé qui Mélenchon et Panot, qui Chatelain ou Faure, on s’est vite rabattu sur des personnalités venues de la « société civile » et plus ou moins inconnues. Macron, lui, songe à Cazeneuve, un ancien hollandiste rangé des voitures depuis 2012 et qui, paraît-il, peut trouver des oreilles complaisantes à gauche tout en étant capable de négocier avec la droite. Au fond, tout cela a peu d’importance. La seule politique susceptible de recueillir une majorité, une fois le RN enfermé dans son ghetto, c’est celle du chien crevé au fil de l’eau. C’est donc celle-là qui sera retenue. Ceux qui pensaient que quelque chose pouvait changer iront se rhabiller.

Ce qui frappe dans cette situation, c’est la passivité des Français. En d’autres temps, pour moins que ça, on aurait eu les barricades. Plus près de nous, il y a quarante ans, la gauche et les syndicats auraient déjà fait sortir les gens dans la rue. Aujourd’hui, le moins qu’on puisse dire est que les appels sont timides. Même les radicaux de LFI n’osent convoquer en leur nom, et préfèrent « se joindre à l’appel des organisations de jeunesse, l’Union étudiante et l’Union syndicale lycéenne, pour une grande manifestation le 7 septembre » selon les mots de leur communiqué. Le PS n’y participera pas, communistes et écologistes le feront sans enthousiasme. La secrétaire générale de la CGT, après avoir explicitement appelé à voter pour le NFP, déclare maintenant que ce n’est pas son rôle de se mêler de politique – tout en souhaitant « le succès » de cette manifestation, on n’est pas à une contradiction près.  Si, comme la gauche le dénonce, le président commet un « déni de démocratie », une forfaiture justifiant pour certains une mesure aussi radicale que sa destitution, comment expliquer que ces organisations n’appellent pas les Français à utiliser leur droit de manifestation ? La réponse est simple : les partis ne risqueront pas leur crédibilité dans un tel appel parce qu’ils savent parfaitement que les Français dans leur grande majorité se désintéressent du sujet. Il n’y aura pas grand monde qui sortira dans la rue pour exiger la nomination de Lucie Castets à Matignon, parce qu’il n’y a pas grand monde pour croire que sa nomination changerait quelque chose à la situation du pays. En 1936, le Front Populaire était présent dans la rue et dans les usines. En 2024, le Nouveau Front Populaire n’existe que dans les états-majors des partis…

Mais cette passivité est trompeuse, et pourrait préparer des lendemains sombres. Les Français ont rejeté une politique et une façon de gouverner. A la formation du gouvernement, il pourrait apparaître clairement que leur vote est au mieux contourné, au pire ignoré.  Et comme disait Sarkozy, « il ne faut jamais oublier que le peuple français est un peuple fondamentalement régicide »…

Descartes

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125 réponses à J’y suis, j’y reste… jusqu’à quand ?

  1. Ruben dit :

    @Descartes :
    Tout cela est bel et bon, mais que devrait-il faire qui apportât une issue répondant aux voeux du pays ?
    Sa démission ne changerait rien au fond et il n’a pas non plus la possibilité de nommer un premier ministre issu de l’opposition majoritaire puisque celle-ci n’existe pas.
    Et si vous lui reprochez de vouloir à tout prix continuer sa politique au point de renier le vote des Français, c’est pour convenir plus loin que finalement il y a bien une majorité “de coeur” de députés d’accord avec sa ligne — ce qui vient tempérer assez fortement le prétendu rejet de cette politique dans les urnes.
    Enfin, il y a un moment que je n’avais pas commenté ici mais je vous lis toujours avec plaisir, je profite donc de ce message pour vous remercier une nouvelle fois pour le travail que vous fournissez.

    • Descartes dit :

      @ Ruben

      [Tout cela est bel et bon, mais que devrait-il faire qui apportât une issue répondant aux vœux du pays ?]

      Votre question me ramène à l’esprit la formule napoléonienne qui veut que « la pire erreur d’un stratège est de se laisser enfermer dans une situation à partir de laquelle il n’y a que de mauvaises solutions ». Macron s’est mis dans une situation – et nous a mis dans une situation – qui rend très difficile de tenir compte des vœux des français, parce que, du fait du « front républicain », ces « vœux » ont été finalement exprimés en votant pour des gens qui ne veulent pas les porter. Beaucoup d’élus macronistes doivent leur siège au vote de gens qui vouent Macron aux Gémonies et qui ont voté pour eux pour « barrer la route au RN ». Et aucun de ces candidats n’a la décence de se dire que, au-delà de ses opinions personnelles, il doit quelque chose à ces électeurs. Tous se comportent comme si les électeurs, en votant pour eux, avaient validé leurs propositions. L’élection de Yaël Braun-Pivet, symbole d’une continuité avec l’ancien régime, est de ce point de vue très révélatrice. La décence aurait voulu que les élus macronistes cèdent cette place symbolique à l’une des oppositions, pour marquer leur prise de conscience. Voilà un geste – symbolique certes, mais puissant – qu’ils auraient pu faire pour « répondre aux vœux du pays ». Ils ont fait le contraire : ils ont fait des pieds et des mains – jusqu’à faire voter les ministres démissionnaires – pour garder le fauteuil.

      [Sa démission ne changerait rien au fond et il n’a pas non plus la possibilité de nommer un premier ministre issu de l’opposition majoritaire puisque celle-ci n’existe pas.]

      Pardon : sa démission changerait beaucoup de choses. D’abord, le président du Sénat aurait probablement moins de mal à constituer un gouvernement, puisqu’il n’encourrait pas la suspicion de vouloir perpétuer l’héritage et les méthodes de l’ancien régime. Il est vrai que la configuration de l’Assemblée n’est pas facile, mais ne sous-estimez pas la détestation dont Macron fait l’objet tant dans le pays que dans les milieux politiques. Le président du Sénat pourrait nommer un « vieux sage » qui, sans être trop marqué à gauche, s’engagerait dans une rupture ne serait-ce que symbolique avec le macronisme, par exemple en abrogeant la réforme des retraites qui, pour les raisons que j’ai dites, est devenu un marqueur identitaire. Cela devrait lui assurer de ne pas être immédiatement censuré.

      Une campagne présidentielle s’ouvrirait, et donnerait au peuple la possibilité d’exprimer clairement sa volonté. Et le président élu aurait une légitimité face à une assemblée fragmentée que Macron n’a pas.

      [Et si vous lui reprochez de vouloir à tout prix continuer sa politique au point de renier le vote des Français, c’est pour convenir plus loin que finalement il y a bien une majorité “de coeur” de députés d’accord avec sa ligne — ce qui vient tempérer assez fortement le prétendu rejet de cette politique dans les urnes.]

      Pas tout à fait. Votre raisonnement suppose que les majorités à l’Assemblée reflètent les majorités dans le pays. Ce serait le cas si les gens avaient voté en fonction de leurs préférences politiques. Mais le « front républicain » a considérablement déformé cette expression. Les français ont été appelés non pas à dire ce qu’ils voulaient, mais à dire ce qu’ils ne voulaient pas. La seule chose que ce vote nous dit, c’est que les gens ne veulent pas que le RN gouverne. Mais ne nous dit pas grande chose d’autre. La majorité « de cœur » à l’Assemblée nationale ne reflète pas une « majorité de cœur » dans le pays. Et la preuve en est que les députés gardent bien cachée leur « préférence de cœur ». Si elle coïncidait avec celle de l’opinion majoritaire, ils n’hésiteraient pas au contraire à se prévaloir…

      [Enfin, il y a un moment que je n’avais pas commenté ici mais je vous lis toujours avec plaisir, je profite donc de ce message pour vous remercier une nouvelle fois pour le travail que vous fournissez.]

      Merci de votre encouragement ! Ca fait plaisir de savoir que ce qui est écrit ici intéresse les lecteurs.

  2. BERNARD DELIENNE dit :

    Bonjour vous avez raison , les français n’ont en rien a faire de la nomination du premier ministre , il est a remarquer  que le NFP n’a pas gagné les elections et ils ont bon bomber  le torse c’est un attelage avec un programme qui ressemble un catalogue fait a la va vite pour afficher une position pour attirer les glo glo 
    La gauche ne merite que le mepris du Président 

    • Descartes dit :

      @ BERNARD DELIENNE

      [il est a remarquer que le NFP n’a pas gagné les élections et ils ont bon bomber le torse c’est un attelage avec un programme qui ressemble un catalogue fait a la va vite pour afficher une position pour attirer les glo glo]

      Le problème est là : le NFP n’a pas gagné, mais le camp présidentiel a bien perdu. Et ni l’un ni l’autre ne veut admettre cette réalité. Pour élargir le propos, la difficulté vient du fait que les partis qui ont intégré le « front républicain » n’ont pas intégré le fait que celui-ci conduisait l’électeur à voter pour des gens qu’il ne voulait en aucun cas voir gouverner. Le scrutin ainsi posé permettait aux Français d’exprimer leur volonté vis-à-vis du RN, mais pas vis-à-vis de la politique du pays. On sait qu’une majorité d’électeurs ne veut à aucun prix d’un gouvernement RN, mais cela posé on ne sait ce que les Français veulent comme gouvernement.

      Imaginons que le RN ait décidé de ne pas présenter de candidat à cette élection. Quelle aurait été la configuration de l’Assemblée ? L’équilibre entre les groupes serait certainement très différent. Les macronistes auraient probablement été laminés. Le « front républicain » a brouillé ce choix, et c’est ce brouillage qui permet au président de faire semblant de ne pas avoir perdu.

      [La gauche ne mérite que le mépris du Président]

      Et vice-versa. Très rares sont les acteurs qui jouent un rôle digne dans cette farce.

  3. maleyss dit :

    [c’est le stade suprême du rocardo-delorisme, celui où on cesse définitivement d’écouter le peuple, et où l’on réserve les décisions à ceux qui savent comment faire son bonheur y compris contre lui.]
    Ne pensez-vous pas qu’il soit parfois nécessaire de “faire le bonheur du peuple contre lui “? En mettant fin, par exemple, à la politique de “l’état-guichet”, comme le nomme Jérôme Fourquet ? Ce qui serait sans doute très impopulaire, mais néanmoins indispensable.
    parce qu’il ne faut surtout pas se fâcher avec des « marchés » qui occupent la place des dieux antiques, vous savez, ceux qu’il fallait rendre propices par des sacrifices humains
    Ne serait-ce pas parce qu’une politique fondée sur la dette se place, ipso facto, dans les mains des “marchés”, à qui il convient donc d’obéir ?

    • Descartes dit :

      @ maleyss

      [« c’est le stade suprême du rocardo-delorisme, celui où on cesse définitivement d’écouter le peuple, et où l’on réserve les décisions à ceux qui savent comment faire son bonheur y compris contre lui. » Ne pensez-vous pas qu’il soit parfois nécessaire de “faire le bonheur du peuple contre lui “? En mettant fin, par exemple, à la politique de “l’état-guichet”, comme le nomme Jérôme Fourquet ? Ce qui serait sans doute très impopulaire, mais néanmoins indispensable.]

      « Indispensable » pour qui ? Comme disait Nietzche, « l’impératif catégorique exige un empereur ». Mettre fin à la politique de « l’état-guichet » fera certainement le bonheur de certaines sections du « peuple », le malheur d’autres. Alors, comment savoir si en mettant fin à cette politique on fait « le bonheur du peuple » ou plutôt le « bonheur » de telle ou telle classe sociale ?

      La question que vous posez est une question fondamentale de philosophie politique. Et l’une des plus anciennes : on peut supposer qu’elle est née du jour où la première tribu humaine a délégué à un de ses membres un pouvoir de contrainte. Depuis ce jour, chaque gouvernant – et chaque politicien cherchant à l’être – a prétendu que son action visait le bonheur public et non pas, comme pouvaient le dire ses détracteurs, des intérêt privés. Rétrospectivement, rares sont ceux qui passent le test, qui ont quitté le pouvoir aussi riches ou aussi pauvres qu’ils l’étaient en entrant. Et encore plus rares ceux qui n’ont pas enrichi le groupe social dont ils sont issus.

      Je n’ai en principe rien contre le fait qu’on essaye de « faire le bonheur du peuple » y compris contre lui. Le problème est celui de savoir qui est habilité à décider ce qui fera « le bonheur du peuple ». Parce qu’il y a toujours un risque que celui qui prétend le faire déguise derrière « le bonheur du peuple » ses propres intérêts. C’est pour cette raison que je suis très prudent lorsque j’entends quelqu’un expliquer que le peuple « ne l’a pas compris », et qui s’accorde à lui-même le droit de lui imposer sa propre idée de ce qui ferait son « bonheur ».

      Pourtant, cette méfiance n’implique de le refuser par principe. La dialectique des sociétés humaines est beaucoup trop complexe pour pouvoir se fixer une telle limite. Il y a des situations où, dans une société fondée sur l’aliénation, le « peuple » ne peut tout simplement pas voir son intérêt. Il y a d’autres dans lesquelles le peuple lui-même demande d’une certaine manière à être forcé à faire ce qu’il sait nécessaire mais n’est pas prêt à assumer. Une société où l’on ne ferait que ce que le « peuple » veut serait probablement très inefficiente. Mais on ne doit « faire le bonheur du peuple contre lui » qu’avec les mains tremblantes…

      [« parce qu’il ne faut surtout pas se fâcher avec des « marchés » qui occupent la place des dieux antiques, vous savez, ceux qu’il fallait rendre propices par des sacrifices humains » Ne serait-ce pas parce qu’une politique fondée sur la dette se place, ipso facto, dans les mains des “marchés”, à qui il convient donc d’obéir ?]

      Comme disait mongénéral, on ne fait de la politique qu’avec des réalités. Les « marchés » ont un pouvoir, et ce pouvoir est d’autant plus grand que l’on poursuit une politique financée par l’endettement. Je n’ai jamais dit que dans les décisions politiques il ne faille tenir compte des marchés. Mais « tenir compte » c’est une chose, et en faire l’alpha et l’oméga de la détermination politique c’en est une autre. Les marchés, c’est aussi un rapport de forces. Et on a tort de penser que plus on emprunte, plus le rapport de forces est défavorable. Parce que comme disait un ministre d’économie, « si je dois un million et je ne peux pas payer, j’ai un problème ; si je dois dix mille milliards et je ne peux pas payer, le problème, c’est le banquier qui l’a ».

      • maleyss dit :

        [« si je dois un million et je ne peux pas payer, j’ai un problème ; si je dois dix mille milliards et je ne peux pas payer, le problème, c’est le banquier qui l’a ».]
        C’est du cynisme, ou je ne m’y connais pas. Au fait, combien les Grecs devaient-ils avant qu’ils soient douloureusement repris en main ?

        • Descartes dit :

          @ maleyss

          [C’est du cynisme, ou je ne m’y connais pas. Au fait, combien les Grecs devaient-ils avant qu’ils soient douloureusement repris en main ?]

          Pas assez, justement, pour qu’un défaut et une sortie de l’Euro de leur pays soient suffisants pour provoquer l’effondrement du système. La France ou l’Italie, c’est une autre paire de manches. C’est d’ailleurs pourquoi les marchés sont beaucoup plus gentils avec nous qu’avec les Grecs: ils savent que, in fine, les institutions européennes ne pourront pas se permettre de nous laisser tomber.

          • P2R dit :

            à Descartes et Maleyss
             
            Je complèterais la fameuse citation en question par une autre, de Céline je crois, qui dit qu’un débiteur ne meurt pas de ses dettes, mais de ne plus pouvoir en faire. Même en cas de défaut, si le projet national est crédible et/ou garanti par une entité supranationale, pour prendre l’exemple grec, on peut emprunter. La question qui en découle est la suivante: si notre pays venait à faire défaut, trouverait-on aujourd’hui ou demain une entité politique capable de présenter un programme de redressement (et je ne parle pas que de rigueur, mais de rétablissement d’infrastructures, services publics et institutions propices à la croissance) prompt à restaurer la confiance des marchés ?

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Je complèterais la fameuse citation en question par une autre, de Céline je crois, qui dit qu’un débiteur ne meurt pas de ses dettes, mais de ne plus pouvoir en faire.]

              C’est un peu la logique qui préside le développement de cette économie fondée sur un haut niveau de consommation financé par la dette. Tant qu’on peut rouler la dette vers l’avant, on continue. On ne s’inquiète que lorsque les taux commencent à monter… C’est d’ailleurs là un des effets les plus néfastes de la monnaie unique : hier, la monnaie servait de corde de rappel, et nos dirigeants étaient obligés de penser la politique économique, parce que la moindre erreur se traduisait rapidement par une pression sur le Franc. Avec l’Euro, la parité monétaire ne dépend plus de l’économie de chaque pays, mais de l’ensemble global. Et du tout, il n’y a plus de corde de rappel qui ramène nos politiques à la réalité des comptes.

              C’est pourquoi la Commission monte des usines à gaz pour surveiller les budgets nationaux. Mais ces usines a gaz trouvent vite leur limite dans le fait que les budgets doivent être approuvés par des parlements souverains en matière budgétaire, et que ce n’est pas parce que Bruxelles dit qu’il faut se couper un bras qu’on trouvera des députés pour le voter.

              [Même en cas de défaut, si le projet national est crédible et/ou garanti par une entité supranationale, pour prendre l’exemple grec, on peut emprunter.]

              Cela dépend de ce qu’on appelle un « projet national ». Le problème, c’est que les marchés sont myopes : ils ne voient que ce qui est tout près. Et pour cette raison, ils ont du mal à juger de la crédibilité d’un projet à long terme. Un projet qui implique de creuser la dette aujourd’hui pour investir dans les infrastructures, dans la ressource humaine, dans l’appareil industriel risque de dégrader la note du pays, quand bien même il est celui qui peut le mieux assurer à long terme le remboursement de l’argent emprunté. A l’inverse, un projet d’austérité immédiate qui compromet gravement l’avenir fera remonter la note.

              [La question qui en découle est la suivante: si notre pays venait à faire défaut, trouverait-on aujourd’hui ou demain une entité politique capable de présenter un programme de redressement (et je ne parle pas que de rigueur, mais de rétablissement d’infrastructures, services publics et institutions propices à la croissance) prompt à restaurer la confiance des marchés ?]

              Bonne question… d’autant plus qu’un tel programme implique nécessairement des sacrifices importants pour les classes intermédiaires. Ces mêmes classes qui ont le monopole des instruments intellectuels permettant de préparer un tel programme. C’est d’ailleurs pour cette raison que tous les partis ou presque proposent des projets qui reposent sur une relance par la consommation “des classes moyennes”…

          • maleyss dit :

            “Too big to fail “, comme ils disent ?

  4. Spinoza dit :

    Bonjour Descartes,
    Je suis lecteur de ce blog depuis quelques mois et je suis désormais convaincu de sa qualité, qui tient à la fois à votre grande culture, à la rigueur et à l’indépendance de votre pensée, ainsi qu’au soin éminemment respectueux que vous apportez à répondre à chaque commentaire, le plus pertinent comme le plus hors de propos. Je souhaite donc, avec votre permission, tenter d’y apporter ma pierre.
    Quant au choix de mon pseudo, j’espère que vous n’y verrez pas de prétention. Il se trouve simplement que Spinoza est mon maitre à penser, et que l’utilisation de son nom se prête bien pour un dialogue avec “Descartes”, bien que cela m’oblige quelque peu.
    En ce qui concerne ce billet, je souscris tout à fait à cet état des lieux. Le seul passage qui m’inspire quelques réserves est le suivant :”Quand un député trouve le temps de consacrer une vidéo à expliquer pourquoi il n’a pas serré la main d’un autre, il y a quelque chose de pourri au royaume de France.” Un refus de se serrer la main entre députés traduit-il nécessairement un “comportement de cour de récréation” ? Sans vouloir bien sûr comparer le RN et le NSDAP, un député du KPD de 1933 devait-il accepter la poignée de main d’un député nazi en quête de respectabilité ? (Il s’agit d’une expérience de pensée, je ne sais pas si un épisode comparable s’est produit historiquement) Si oui, quel est votre argument, et si non, où est la limite ?

    • Descartes dit :

      @ Spinoza

      [Je suis lecteur de ce blog depuis quelques mois et je suis désormais convaincu de sa qualité, qui tient à la fois à votre grande culture, à la rigueur et à l’indépendance de votre pensée, ainsi qu’au soin éminemment respectueux que vous apportez à répondre à chaque commentaire, le plus pertinent comme le plus hors de propos. Je souhaite donc, avec votre permission, tenter d’y apporter ma pierre.]

      Mais… la permission va de soi, parce que le débat est la raison d’être de ce blog, et que je n’aime pas débattre avec moi-même. Je vous remercie de vos encouragements, qui sont le seul prix de mon travail – car, je vous l’assure, ce blog n’est subventionné par personne, quoi qu’en puissent dire certaines mauvaises langues.

      [Quant au choix de mon pseudo, j’espère que vous n’y verrez pas de prétention. Il se trouve simplement que Spinoza est mon maitre à penser, et que l’utilisation de son nom se prête bien pour un dialogue avec “Descartes”, bien que cela m’oblige quelque peu.]

      Il n’y a pas de prétention à se mettre sous l’invocation des grands penseurs du passé… cela étant dit, je vous préviens que nous avons déjà, parmi les commentateurs de ce blog, quelques spinozistes !

      [En ce qui concerne ce billet, je souscris tout à fait à cet état des lieux. Le seul passage qui m’inspire quelques réserves est le suivant :”Quand un député trouve le temps de consacrer une vidéo à expliquer pourquoi il n’a pas serré la main d’un autre, il y a quelque chose de pourri au royaume de France.” Un refus de se serrer la main entre députés traduit-il nécessairement un “comportement de cour de récréation” ?]

      Non. Mais s’en faire publiquement une fierté, comme si le fait de refuser le salut à un paisible député RN était un acte héroïque, si. S’il n’a pas envie de serrer la main du député RN, il ne lui serre pas la main et affaire conclue. Mais faire de cet épisode un jeu, puis prendre le temps d’en faire une vidéo pour s’en vanter, oui, c’est une attitude puérile.

      [Sans vouloir bien sûr comparer le RN et le NSDAP, un député du KPD de 1933 devait-il accepter la poignée de main d’un député nazi en quête de respectabilité ? (Il s’agit d’une expérience de pensée, je ne sais pas si un épisode comparable s’est produit historiquement) Si oui, quel est votre argument, et si non, où est la limite ?]

      Personne n’est tenu de saluer personne. Mais le fait de refuser le salut, c’est un symbole qui ne peut être utilisé sans réfléchir. Refuser le salut, c’est dire que l’autre est un ennemi qui ne mérite même pas un geste de courtoisie. Pour reprendre votre formule, dans la mesure où les militants du NSDAP n’avaient pas de scrupules à assassiner ceux du KPD, il n’était pas déraisonnable de leur refuser le salut. Mais pensez-vous que le RN d’aujourd’hui soit dans cette logique ? Qu’il y a la moindre chance que le RN fasse incendier l’Assemblée nationale pour pouvoir exclure les députés communistes et socialistes ?

      Lorsque les députés LFI refusent de serrer la main d’un collègue du RN, ils ont un comportement puéril non pas à cause du geste lui-même, mais parce que ce geste n’est pas cohérent. Si je refuse le salut à un député RN, je dois aussi refuser de siéger avec lui. Parce que je ne peux reconnaître en lui un représentant légitime du peuple et à la fois lui refuser le salut. Mais il y a beaucoup plus drôle: certains qui refusent la main tendue d’un député RN communient ensuite dans le culte des reliques de Mitterrand, ce Mitterrand qui fut l’ami fidèle Bousquet et de le protecteur de Schuller. Etonnant, non ?

      • Spinoza dit :

        [Non. Mais s’en faire publiquement une fierté, comme si le fait de refuser le salut à un paisible député RN était un acte héroïque, si. S’il n’a pas envie de serrer la main du député RN, il ne lui serre pas la main et affaire conclue. Mais faire de cet épisode un jeu, puis prendre le temps d’en faire une vidéo pour s’en vanter, oui, c’est une attitude puérile.]
        Je n’ai pas vu cette vidéo, et comme vous mentionniez une vidéo visant à expliquer le geste, je ne voyais pas le problème. C’est effectivement différent si l’objectif n’est pas d’expliquer mais de se vanter.

        [Personne n’est tenu de saluer personne. Mais le fait de refuser le salut, c’est un symbole qui ne peut être utilisé sans réfléchir. Refuser le salut, c’est dire que l’autre est un ennemi qui ne mérite même pas un geste de courtoisie. Pour reprendre votre formule, dans la mesure où les militants du NSDAP n’avaient pas de scrupules à assassiner ceux du KPD, il n’était pas déraisonnable de leur refuser le salut. Mais pensez-vous que le RN d’aujourd’hui soit dans cette logique ? Qu’il y a la moindre chance que le RN fasse incendier l’Assemblée nationale pour pouvoir exclure les députés communistes et socialistes ?]
        J’en déduis que vous faites une distinction entre les adversaires, qui doivent se saluer lorsqu’ils partagent les bancs de la même assemblée, et les ennemis qui peuvent ne pas le faire. Je ne pense pas que le RN ira jusqu’au meurtre ou à l’incendie de l’Assemblée nationale, mais il y a tout de même des raisons de penser que le RN au pouvoir prendrait des mesures hostiles à la gauche et aux populations que celle-ci est censée défendre, bien qu’il soit difficile d’estimer jusqu’où cela irait. C’est pourquoi je vous posais la question de la limite. Si je suis un député de gauche qui défend sincèrement les intérêts des classes populaires, quel critère puis-je utiliser pour déterminer que les membres de telle ou telle organisation sont des ennemis ? Faut-il qu’un meurtre ait été commis ? La menace de meurtre suffit-elle ? Les membres d’un parti au pouvoir qui fait passer des mesures violemment antisociales et liberticides sont-ils des ennemis ?
         
         
        [Lorsque les députés LFI refusent de serrer la main d’un collègue du RN, ils ont un comportement puéril non pas à cause du geste lui-même, mais parce que ce geste n’est pas cohérent. Si je refuse le salut à un député RN, je dois aussi refuser de siéger avec lui. Parce que je ne peux reconnaître en lui un représentant légitime du peuple et à la fois lui refuser le salut. Mais il y a beaucoup plus drôle: certains qui refusent la main tendue d’un député RN communient ensuite dans le culte des reliques de Mitterrand, ce Mitterrand qui fut l’ami fidèle Bousquet et de le protecteur de Schuller. Etonnant, non ?]
        Vous avez considéré plus haut qu’il était raisonnable pour un député du KPD de ne pas saluer un député nazi. Par ailleurs, vous dites que dès lors que vous refusez de saluer un député, vous devez aussi refuser de siéger avec lui. Or, avant l’incendie du Reichstag, les députés du KPD ont siégé dans la même assemblée que les députés nazis, et à ce que je sache aucun d’entre eux n’a démissionné du fait de la présence de députés nazis. D’après vous, cela signifie-t-il que chaque député communiste aurait accepté de serrer la main des députés nazis si l’occasion s’était présenté, ou cela signifie-t-il que certains députés communistes ont eu tort de refuser de démissionner après l’élection du premier nazi?
        Pour le reste, je vous accorde bien volontiers que quiconque se dit de gauche/antifasciste ne peut décemment valoriser l’héritage de Mitterrand.
         

        • Descartes dit :

          @ Spinoza

          [« S’il n’a pas envie de serrer la main du député RN, il ne lui serre pas la main et affaire conclue. Mais faire de cet épisode un jeu, puis prendre le temps d’en faire une vidéo pour s’en vanter, oui, c’est une attitude puérile. » Je n’ai pas vu cette vidéo, et comme vous mentionniez une vidéo visant à expliquer le geste, je ne voyais pas le problème. C’est effectivement différent si l’objectif n’est pas d’expliquer mais de se vanter.]

          Je vous laisse en juger. Vous pouvez regarder cet œuvre d’art de la communication politique ici :
          https://x.com/FraPiquemal/status/1814315916001210472

          [J’en déduis que vous faites une distinction entre les adversaires, qui doivent se saluer lorsqu’ils partagent les bancs de la même assemblée, et les ennemis qui peuvent ne pas le faire.]

          Je m’interroge surtout sur le sens que cela peut avoir de « partager les bancs » avec quelqu’un qu’on considère un ennemi au point de lui refuser les formes les plus élémentaires de la courtoisie. Le parlement est censé être une enceinte de discussion, où les représentants élus échangent des propositions, des arguments et des contre-arguments. Comment arrivez-vous à échanger avec celui que vous n’acceptez même pas de saluer ? Arrivez-vous à discuter avec quelqu’un à qui vous refuseriez de serrer la main ? Et quel est le sens de faire siéger ensemble des gens qui n’échangent pas entre eux ?

          [Je ne pense pas que le RN ira jusqu’au meurtre ou à l’incendie de l’Assemblée nationale, mais il y a tout de même des raisons de penser que le RN au pouvoir prendrait des mesures hostiles à la gauche et aux populations que celle-ci est censée défendre, bien qu’il soit difficile d’estimer jusqu’où cela irait.]

          Mais la même chose pourrait être dite de tous les partis. La démocratie implique nécessairement des désaccords, et chaque parti trouvera chez les autres des propositions « hostiles » aux intérêts qu’il défend. Est-ce que les défenseurs des ouvriers doivent refuser de serrer la main des députés « bourgeois » ? Est-ce que les souverainistes doivent refuser de serrer la main des eurolâtres ?
          La question est de savoir si cette hostilité reste dans le cadre admissible dans une République ou pas. Si ces désaccords sont inadmissibles, alors il faut les faire tomber sous le coup de la loi et interdire le parti en question. S’ils sont admissibles, alors je ne vois pas quel est le sens de refuser le salut à ceux qui les portent.

          [C’est pourquoi je vous posais la question de la limite. Si je suis un député de gauche qui défend sincèrement les intérêts des classes populaires, quel critère puis-je utiliser pour déterminer que les membres de telle ou telle organisation sont des ennemis ? Faut-il qu’un meurtre ait été commis ? La menace de meurtre suffit-elle ? Les membres d’un parti au pouvoir qui fait passer des mesures violemment antisociales et liberticides sont-ils des ennemis ?]

          La règle fondamentale reste le cadre dans lequel chacun s’inscrit. Un parti qui me combat en restant à l’intérieur du cadre des règles écrites ou non écrites qui régissent la confrontation politique dans notre société est un « adversaire ». Un parti qui sort de ce cadre peut être qualifié « d’ennemi ». Je peux refuser de serrer la main d’un membre de l’OAS, mais je trouverai absurde de refuser la main d’un député du simple fait qu’il est favorable à l’Algérie française.

          [Vous avez considéré plus haut qu’il était raisonnable pour un député du KPD de ne pas saluer un député nazi. Par ailleurs, vous dites que dès lors que vous refusez de saluer un député, vous devez aussi refuser de siéger avec lui. Or, avant l’incendie du Reichstag, les députés du KPD ont siégé dans la même assemblée que les députés nazis, et à ce que je sache aucun d’entre eux n’a démissionné du fait de la présence de députés nazis.]

          Je ne sais pas si les députés du KPD ont refusé de saluer leurs collègues nazis. S’ils l’ont fait, je pense qu’ils ont eu tort. Il y a une incohérence pour moi fondamentale à siéger dans une assemblée avec des gens qu’on ne saluerait pas.

          [D’après vous, cela signifie-t-il que chaque député communiste aurait accepté de serrer la main des députés nazis si l’occasion s’était présenté, ou cela signifie-t-il que certains députés communistes ont eu tort de refuser de démissionner après l’élection du premier nazi?]

          Ni l’un, ni l’autre. S’ils ont refusé de saluer leurs collègues nazis, alors ils auraient du en toute bonne logique exiger l’interdiction du parti nazi et l’expulsion de leurs députés du Reichstag. Mais je doute beaucoup que l’initiative de « refuser le salut » soit venue des députés communistes. Je pense que c’était plutôt dans l’autre sens… et cela s’est bien terminé par l’interdiction du KPD et l’expulsion des députés communistes.

          [Pour le reste, je vous accorde bien volontiers que quiconque se dit de gauche/antifasciste ne peut décemment valoriser l’héritage de Mitterrand.]

          Ne croyez pas ça… la mémoire sélective fait des miracles. C’est fou comme certains ont l’Alzheimer sélectif: Bousquet, Maastricht…

          • Spinoza dit :

            [Je m’interroge surtout sur le sens que cela peut avoir de « partager les bancs » avec quelqu’un qu’on considère un ennemi au point de lui refuser les formes les plus élémentaires de la courtoisie. Le parlement est censé être une enceinte de discussion, où les représentants élus échangent des propositions, des arguments et des contre-arguments. Comment arrivez-vous à échanger avec celui que vous n’acceptez même pas de saluer ? Arrivez-vous à discuter avec quelqu’un à qui vous refuseriez de serrer la main ? Et quel est le sens de faire siéger ensemble des gens qui n’échangent pas entre eux ?]
            Je serais d’accord avec vous si les débats au Parlement ne pouvaient pas avoir d’autres conséquences que les débats qui ont lieu sur ce blog par exemple. Mais vous qui rappelez régulièrement – à raison – la dimension tragique de la politique, je m’étonne que vous ne reconnaissiez pas dans le Parlement un lieu de confrontation. Peut-on simplement qualifier d’enceinte de discussion un lieu dans lequel les débats pourraient déboucher sur une déclaration de guerre ou une loi des suspects ? Ce qui s’y joue est au moins autant un rapport de force qu’une discussion.
             
            [La question est de savoir si cette hostilité reste dans le cadre admissible dans une République ou pas. Si ces désaccords sont inadmissibles, alors il faut les faire tomber sous le coup de la loi et interdire le parti en question. S’ils sont admissibles, alors je ne vois pas quel est le sens de refuser le salut à ceux qui les portent.]
            [La règle fondamentale reste le cadre dans lequel chacun s’inscrit. Un parti qui me combat en restant à l’intérieur du cadre des règles écrites ou non écrites qui régissent la confrontation politique dans notre société est un « adversaire ». Un parti qui sort de ce cadre peut être qualifié « d’ennemi ». Je peux refuser de serrer la main d’un membre de l’OAS, mais je trouverai absurde de refuser la main d’un député du simple fait qu’il est favorable à l’Algérie française.]
            Je voulais au moins vous faire remarquer qu’il n’est pas toujours évident de tracer la limite entre « ce qui reste dans le cadre admissible dans une République » et ce qui ne l’est plus. Moi-même je n’ai pas une opinion arrêtée sur certaines hypothèses. J’ignore notamment comment réagir face à un parti qui serait jusqu’ici resté dans la légalité mais qui annoncerait son intention, en cas d’arrivée au pouvoir, de changer la loi – voire la Constitution si nécessaire – pour autoriser et pratiquer ce qui est aujourd’hui reconnu comme un crime. Cette difficulté me semble à mimima nous imposer de juger prudemment de ceux qui font une tentative de délimitation, hors erreur manifeste bien entendu.
             
            [Je ne sais pas si les députés du KPD ont refusé de saluer leurs collègues nazis. S’ils l’ont fait, je pense qu’ils ont eu tort. Il y a une incohérence pour moi fondamentale à siéger dans une assemblée avec des gens qu’on ne saluerait pas.]
            Je ne suis pas sûr de suivre : plus haut vous estimiez qu’il n’était « pas déraisonnable » de refuser le salut d’un député nazi, et maintenant on aurait tort de le faire. Je ne pensais pas que vous iriez jusqu’à affirmer que même les nazis n’étaient pas suffisamment « hors cadre admissible » pour qu’on ait raison de ne pas les saluer. Votre cadre me parait bien large.
            Pour sortir de l’impasse il faudrait en fait distinguer « terrain commun » et « cadre commun ». Je pense que vous admettrez que la courtoisie n’a pas de sens sur un champ de bataille où les ennemis se combattent à mort sans respecter aucune règle : ils partagent dans ce cas un terrain commun mais pas un cadre commun.
            Le Parlement est un cadre commun lorsqu’il oppose des représentants qui acceptent de respecter certaines règles, comme vous le disiez, et la courtoisie doit dans ce cas y avoir cours. Mais lorsqu’au sein du Parlement se trouvent les membres d’une organisation qui ne recule devant aucun crime pour parvenir à soumettre les autres, alors le Parlement n’est plus un cadre commun, seulement un champ de bataille où la courtoisie n’a plus de sens. A mon sens, le nazi qui apporte son soutien aux crimes que nous connaissons ne partage pas de cadre commun avec moi, tout comme le fauve qui s’apprête à me dévorer. Je ne saluerais donc pas plus le nazi que le fauve, député ou non.
            Lorsqu’on se trouve dans un tel cas de figure, il n’y a pas d’incohérence à siéger dans une assemblée avec des gens que vous ne salueriez pas .
            Dans le cas contraire – et dans l’hypothèse où vous n’êtes pas parvenu à faire interdire le parti de vos ennemis – vous êtes obligés de démissionner pour ne pas avoir à siéger avec des ennemis que vous ne voulez même pas saluer. Mais cela impliquerait d’ abandonner l’influence de votre parti au Parlement pour la laisser à des ennemis sans scrupules. J’ai des doutes sur la pertinence d’un tel comportement.
             
            [Ne croyez pas ça… la mémoire sélective fait des miracles. C’est fou comme certains ont l’Alzheimer sélectif: Bousquet, Maastricht…]
            Lorsque je disais que quiconque se dit de gauche/antifasciste ne peut décemment valoriser l’héritage de Mitterrand, je ne disais pas qu’il était impossible de le faire. Ce n’est d’ailleurs pas si difficile de trouver ce genre de spécimen, qui ont au moins pour qualité de servir de révélateur à un spinoziste sur le niveau qu’il a atteint (ni railler, ni déplorer, ni se mettre en colère…). Je disais que ceux qui le font sont indécents.
             

            • Descartes dit :

              @ Spinoza

              [Je serais d’accord avec vous si les débats au Parlement ne pouvaient pas avoir d’autres conséquences que les débats qui ont lieu sur ce blog par exemple. Mais vous qui rappelez régulièrement – à raison – la dimension tragique de la politique, je m’étonne que vous ne reconnaissiez pas dans le Parlement un lieu de confrontation. Peut-on simplement qualifier d’enceinte de discussion un lieu dans lequel les débats pourraient déboucher sur une déclaration de guerre ou une loi des suspects ? Ce qui s’y joue est au moins autant un rapport de force qu’une discussion.]

              Le rapport de force se joue dans le vote. Bien évidemment, je ne dis pas que les députés du KPD hier ou ceux de LFI aujourd’hui devraient cesser de VOTER au motif que les députés RN sont présents. On peut voter pour ou contre une proposition sans nécessairement échanger avec les autres. Mais si le travail parlementaire se réduit aux votes, on n’a pas besoin d’un Palais bourbon : on pourrait envoyer aux députés les projets de loi et les amendements par courrier électronique, et ils pourraient voter commodément depuis chez eux. Un parlement sans échanges, sans débat, sans arguments, n’est pas un véritable parlement.

              [« La règle fondamentale reste le cadre dans lequel chacun s’inscrit. Un parti qui me combat en restant à l’intérieur du cadre des règles écrites ou non écrites qui régissent la confrontation politique dans notre société est un « adversaire ». Un parti qui sort de ce cadre peut être qualifié « d’ennemi ». Je peux refuser de serrer la main d’un membre de l’OAS, mais je trouverai absurde de refuser la main d’un député du simple fait qu’il est favorable à l’Algérie française. » Je voulais au moins vous faire remarquer qu’il n’est pas toujours évident de tracer la limite entre « ce qui reste dans le cadre admissible dans une République » et ce qui ne l’est plus.]

              Même s’il n’est pas évident de tracer cette limite, une fois qu’elle est tracée elle est claire : dans notre république, tout ce qui n’est pas interdit par la loi ne peut être empêché, et nul n’est tenu de faire ce qu’elle n’ordonne pas. Pour moi, c’est là le principe recteur.

              [Moi-même je n’ai pas une opinion arrêtée sur certaines hypothèses. J’ignore notamment comment réagir face à un parti qui serait jusqu’ici resté dans la légalité mais qui annoncerait son intention, en cas d’arrivée au pouvoir, de changer la loi – voire la Constitution si nécessaire – pour autoriser et pratiquer ce qui est aujourd’hui reconnu comme un crime. Cette difficulté me semble à mimima nous imposer de juger prudemment de ceux qui font une tentative de délimitation, hors erreur manifeste bien entendu.]

              Est-ce que ce parti annonce son intention de changer la loi – voire la Constitution – en suivant les voies que la loi elle-même a prévu ? Si c’est le cas, alors il n’y a aucun problème. Le problème se pose lorsque ce parti prétend modifier la loi ou la constitution par des voies qui seraient elles-mêmes extra-légales. On ne peut pas les rejeter sans examen, parce qu’on sait par expérience que dans certaines situations le système est tellement verrouillé qu’il empêche toute évolution, même lorsqu’elle est clairement voulue par le peuple souverain. Et dans ces cas, c’est l’intervention du peuple qui doit être justement le critère d’appréciation. Le référendum constitutionnel d’octobre 1958 a légitimé à posteriori ce qui à priori peut apparaître comme un coup d’Etat.

              [Je ne suis pas sûr de suivre : plus haut vous estimiez qu’il n’était « pas déraisonnable » de refuser le salut d’un député nazi, et maintenant on aurait tort de le faire. Je ne pensais pas que vous iriez jusqu’à affirmer que même les nazis n’étaient pas suffisamment « hors cadre admissible » pour qu’on ait raison de ne pas les saluer. Votre cadre me parait bien large.]

              Je le répète, c’est pour moi une question de cohérence : si on estime qu’ils sont sortis du cadre, on ne les salue pas et on ne siège pas avec eux (on se contente de participer aux votes). Si on estime qu’ils sont dans le cadre, on siège et on les salue. Pour l’exemple précis que vous donnez, je ne sais pas à quel moment on peut estimer que les nazis sont « sortis du cadre ». Etait-ce le cas en 1931 ? En 1933 ? En 1936 ?

              [Pour sortir de l’impasse il faudrait en fait distinguer « terrain commun » et « cadre commun ». Je pense que vous admettrez que la courtoisie n’a pas de sens sur un champ de bataille où les ennemis se combattent à mort sans respecter aucune règle : ils partagent dans ce cas un terrain commun mais pas un cadre commun.]

              C’est moins évident que vous ne le dites. Les « lois de la guerre » sont en fait très anciennes, et les gestes de courtoisie n’étaient pas rares. Ainsi, par exemple, lors d’un siège il était admis que les défenseurs devaient se rendre dès lors qu’une brèche avait été ouverte et exploitée, et que la position devenait donc indéfendable. Et dans ce cas, les défenseurs devaient être épargnes, et pouvaient quitter la place avec leurs possessions intactes. Lorsque les défenseurs s’étaient bien battus, il n’était pas rare que le vainqueur leur rende les honneurs. La guerre, pour les militaires, est un métier comme un autre, et les courtoisies professionnelles s’appliquent… Ce n’est qu’avec la logique de la « guerre totale » au XXème siècle que la « courtoisie » a quitté le champ de bataille.

              Je pense qu’il s’agit bien d’un « cadre commun », c’est-à-dire, un consensus sur « ce qui se fait » et « ce qui ne se fait pas ». Les militaires pouvaient se trucider en masse entre eux, mais cela ne leur empêchait pas de serrer ensuite la main d’un adversaire « honorable ». Pourquoi n’irait-il pas de même entre les parlementaires ? Pour vous dire le fond de ma pensée, ce que le « refus du salut » à l’Assemblée traduit, c’est la fin d’une forme d’esprit de corps. Pendant longtemps, les Parlementaires se concevaient comme membres d’une même corporation, au-delà de leurs différentes allégeances – un peu comme les militaires, qui reconnaissent le militaire d’un autre pays comme un égal. Et entre membres d’une même corporation, qui ont des expériences, des problèmes, des ambitions qui se ressemblent, on se doit certains gestes de courtoisie. Je me souviens – j’ai eu la chance d’être présent dans l’enceinte – le dernier débat aux Communes ou Thatcher était présente, juste après qu’une conjuration de son propre parti l’ait obligée à quitter le poste de premier ministre. Et bien, conservateurs et travaillistes ont tout fait pour que la séance soit mémorable, pour qu’elle puisse briller une dernière fois. Des gens qui la détestaient – et qui l’avaient combattu pied à pied pendant des années – reconnaissaient en elle une collègue, qui méritait une forme de respect. J’avais été très impressionné par cette sorte de « cérémonie ».

              [Le Parlement est un cadre commun lorsqu’il oppose des représentants qui acceptent de respecter certaines règles, comme vous le disiez, et la courtoisie doit dans ce cas y avoir cours. Mais lorsqu’au sein du Parlement se trouvent les membres d’une organisation qui ne recule devant aucun crime pour parvenir à soumettre les autres, alors le Parlement n’est plus un cadre commun, seulement un champ de bataille où la courtoisie n’a plus de sens.]

              Exact. Mais vous noterez qu’en 1933 il n’était pas si évident que cela que le NSDAP « ne reculait devant aucun crime ». La politique allemande de l’époque était incroyablement violente, et si le NSDAP avait ses SA qui agressaient les personnalités de gauche, tant les communistes que les socialistes avaient eux aussi leurs milices armées. L’incendie du Reichstag est un point évident de rupture, mais à partir de cet évènement la question de siéger ou pas siéger n’e s’est plus posé pour la gauche.

              [Dans le cas contraire – et dans l’hypothèse où vous n’êtes pas parvenu à faire interdire le parti de vos ennemis – vous êtes obligés de démissionner pour ne pas avoir à siéger avec des ennemis que vous ne voulez même pas saluer. Mais cela impliquerait d’ abandonner l’influence de votre parti au Parlement pour la laisser à des ennemis sans scrupules. J’ai des doutes sur la pertinence d’un tel comportement.]

              Encore une fois, il faut séparer le débat et le vote. On peut parfaitement ne pas participer aux débats et participer aux votes. J’ai peut-être été imprécis en utilisant le mot « siéger », qui est beaucoup trop général. Ce que je voulais dire, c’est qu’il n’y a plus aucun intérêt à participer au débat parlementaire avec des gens à qui on refuse le salut.

              [Lorsque je disais que quiconque se dit de gauche/antifasciste ne peut décemment valoriser l’héritage de Mitterrand, je ne disais pas qu’il était impossible de le faire. Ce n’est d’ailleurs pas si difficile de trouver ce genre de spécimen, qui ont au moins pour qualité de servir de révélateur à un spinoziste sur le niveau qu’il a atteint (ni railler, ni déplorer, ni se mettre en colère…). Je disais que ceux qui le font sont indécents.]

              Nous sommes d’accord.

  5. Manchego dit :

    @ Descartes
    ***La situation est aujourd’hui devenue grotesque, du fait de l’immaturité de notre président et de son incapacité à assumer la dignité de sa fonction.***
    C’est le plus mauvais président de la cinquième, bien en dessous de Hollande qui n’était déjà pas un aigle.
    Depuis son mandat de 2017 il enchaine les actes grotesques et ridicules, le problème c’est que par ses actions (mais aussi par ses discours creux et ampoulés) c’est toute la France qu’il affaiblit et discrédite. 
    Par exemple, lorsqu’il y a quelques mois il affichait son souhait d’envoyer des troupes Françaises en Ukraine, tout le monde l’a pris pour un comique troupier, en Russie bien sur, mais aussi en Allemagne, Espagne, Italie….
    ***La seule politique susceptible de recueillir une majorité, une fois le RN enfermé dans son ghetto, c’est celle du chien crevé au fil de l’eau.***
    Les classes dominantes ne veulent pas une autre politique, le MEDEF vient de faire une standing ovation à Bruno Lemaire, dans le cadre de son pot de départ célébré aux universités d’été du patronat. Et pourtant, en 7 ans c’est plus de 1000 millards de déficit supplémentaire pour financer à crédit le fonctionnement de l’état (je n’ai pas fait d’étude sur le sujet, mais sur ces 1000 milliards combien relèvent des cadeaux fiscaux accordés par Macron et Lemaire aux classes dominantes ?). Les classes dominantes ne se rendent pas compte qu’avec cet égoïsme à la petite semaine ils se tirent eux-même une balle dans le pied (quand ce sera trop “la merde” en France, ils ne pourront pas tous s’expatrier à Dubai ou Singapour).
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Manchego

      [C’est le plus mauvais président de la cinquième,]

      Attendez, attendez ! La cinquième n’est pas finie…

      [« La seule politique susceptible de recueillir une majorité, une fois le RN enfermé dans son ghetto, c’est celle du chien crevé au fil de l’eau. » Les classes dominantes ne veulent pas une autre politique, le MEDEF vient de faire une standing ovation à Bruno Lemaire, dans le cadre de son pot de départ célébré aux universités d’été du patronat. Et pourtant, en 7 ans c’est plus de 1000 millards de déficit supplémentaire pour financer à crédit le fonctionnement de l’état (je n’ai pas fait d’étude sur le sujet, mais sur ces 1000 milliards combien relèvent des cadeaux fiscaux accordés par Macron et Lemaire aux classes dominantes ?).]

      C’est drôle, n’est-ce pas ? Du côté du bloc bourgeois, on donne des leçons en permanence sur le déficit, le creusement de la dette, la rigueur dans la gestion… mais on célèbre une gestion qui a laissé comme jamais filer les déficits, creusé la dette et joué en permanence les pompiers pyromanes avec l’argent public. En fait, les patrons n’ont rien contre le déficit, à condition qu’il serve à financer les cadeaux qui leur sont destinés.

      [Les classes dominantes ne se rendent pas compte qu’avec cet égoïsme à la petite semaine ils se tirent eux-mêmes une balle dans le pied (quand ce sera trop “la merde” en France, ils ne pourront pas tous s’expatrier à Dubai ou Singapour).]

      La bourgeoisie et les classes intermédiaires supérieures pourront toujours s’expatrier – ou s’enfermer dans des ghettos fermés pour riches, comme cela se fait aux Etats-Unis. Et le reste des classes intermédiaires n’a pas un horizon temporel très long. Elle vit dans le présent.

      • P2R dit :

        @ Descartes
         
        [La bourgeoisie et les classes intermédiaires supérieures pourront toujours s’expatrier – ou s’enfermer dans des ghettos fermés pour riches, comme cela se fait aux Etats-Unis.]
         
        Cette disparition de l’idée nationale, qui touche certes les élites au sens large (faire une ou deux années à l’étranger devient banal, l’expatriation idem), mais aussi une grande partie de la société issue de l’immigration, qui grace aux moyens de communication actuels peut continuer de regarder la TV de son pays, communiquer en permanence avec sa famille restée au bled et recréer une communauté fermée dans sa banlieue, c’est pour moi la grande inconnue: a t’on déjà connu une telle situation de dissolution de la nation ? Quelles seraient les conditions qui, en dehors d’un effondrement brutal des relations internationales, permettraient d’assimiler ou de “ré-assimiler” les deux extrémités du spectre social ?
         
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [Cette disparition de l’idée nationale, qui touche certes les élites au sens large (faire une ou deux années à l’étranger devient banal, l’expatriation idem), mais aussi une grande partie de la société issue de l’immigration, qui grace aux moyens de communication actuels peut continuer de regarder la TV de son pays, communiquer en permanence avec sa famille restée au bled et recréer une communauté fermée dans sa banlieue,]

          Je ne crois pas que ce soit « la possibilité de regarder la TV de son pays, de communiquer en permanence avec la famille restée au bled » qui permet de « recréer une communauté fermée dans sa banlieue ». Au contraire : le fait de ne pas pouvoir communiquer avec sa famille ou de garder le contact avec la vie du pays d’origine aurait dû pousser les immigrés à se regrouper et former des communautés fermées. Je vous dis ça par expérience personnelle : je suis arrivé en France précisément au moment où la pression assimilatrice commençait à se réduire et avant que les moyens de communication auxquels vous faites allusion soient disponibles. Je peux vous assurer que me compatriotes d’alors constituaient une communauté fermée, et que la fermeture était en grande partie liée à une crainte de « dilution », alors qu’aucun moyen pour garder le lien avec la communauté d’origine n’existait.

          Non, c’est la « disparition de l’idée nationale » chez les élites qui, par l’intermédiaire de l’idéologie dominante, se transfère vers les autres couches de la société. Les immigrés forment des « communautés fermées » ou « regardent la TV de leur pays » parce qu’il n’y a aucune pression sociale ni même aucune invitation pour qu’ils intègrent la collectivité nationale. La logique de la carotte et du bâton inhérente à l’assimilation à la française n’existe plus : ni carotte, puisque la méritocratie a été largement dévalorisée, ni le bâton puisque l’idéologie « diversitaire » s’oppose à toute pression sociale. Et je ne vous parle même pas du discours permanent de « haine de soi » de nos élites. Qui peut avoir envie de sortir de sa communauté pour réjoindre une société raciste, sexiste, esclavagiste et ainsi de suite ?

          [c’est pour moi la grande inconnue: a t’on déjà connu une telle situation de dissolution de la nation ?]

          Vous posez cette question comme si la nation était une structure intemporelle. Mais ce n’est pas le cas : la nation, au sens où nous l’entendons, n’apparaît – et encore – que du temps de Louis XIII. On peut parler de proto-nation à partir de Louis XI – certains commentateurs ici diraient plutôt Philippe Auguste – mais c’est plutôt un proto-Etat, autour duquel commencent à s’agglomérer des territoires. L’idée d’une collectivité dont les membres se doivent une solidarité inconditionnelle et impersonnelle, qui est pour moi l’essence de la nation, n’apparaît que beaucoup plus tard.

          La nation apparaît avec – et est le véhicule de – la modernité. A la communauté des chrétiens, qui se doivent solidarité du fait d’un commandement religieux, elle substitue une communauté laïque, dont les membres se doivent solidarité réciproque au nom d’un « intérêt général ». Et cette organisation, qui a permis d’organiser l’accumulation du capital, a été au cœur du développement du premier capitalisme. C’est pourquoi pendant longtemps il y a une sorte de consensus sur la question nationale entre le capital et le travail – comme on a pu le voir, au grand dam de la IIème internationale, lors de la guerre de 1914-18.

          Aujourd’hui, la nation est devenue un obstacle à la mobilité du capital et du travail, mobilité indispensable pour permettre la mise en concurrence de tous contre tous, inhérente au capitalisme mondialisé. C’est pourquoi les classes dominantes s’attaquent à la nation – et cela se traduit dans l’idéologie dominante.

          C’est pour cette raison que la réponse à votre question est négative. C’est la première fois qu’on voit globalement les nations se dissoudre, parce que c’est la première fois, depuis l’apparition des nations que cette structure devient une gêne pour les classes dominantes. Car ce qui nous arrive aujourd’hui n’est pas une dissolution qui serait purement française, et serait donc liée à nos institutions où à un phénomène local.

          [Quelles seraient les conditions qui, en dehors d’un effondrement brutal des relations internationales, permettraient d’assimiler ou de “ré-assimiler” les deux extrémités du spectre social ?]

          On est là en terre inconnue, puisque le phénomène n’a pas d’équivalent dans l’histoire. On peut faire beaucoup d’hypothèses, mais celle qui pour moi reste la plus vraisemblable est celle d’un effondrement du système des échanges liée à une crise de la dette – il est clair que le système dans lequel les producteurs nous prêtent de l’argent pour qu’on puisse continuer à consommer leurs produits a des limites. Un tel effondrement remettrait en avant l’intérêt pour la bourgeoisie et les classes intermédiaires de conserver une « base nationale ».

  6. FB dit :

    Bonjour Descartes,
    Merci pour cet article. 
    Un peu hors-sujet, mais j’aimerais avoir votre point de vue: on dit sur ce blog que le véritable changement ne pourra provenir que d’une modification du rapport de forces économiques. Je vous le demande tout net: pensez-vous que l’intelligence artificielle pourra accélérer le processus ?
    J’ai pris quant à moi ce sujet par dessus la jambe ces dernières années. Je travaille en effet dans l’informatique et je peux vous dire que l’imagination des éditeurs pour faire passer des vessies pour des lanternes est sans limite. Aussi lorsqu’on nous a annoncé une énième révolution avec ChatGPT, j’ai été plutôt perplexe. L’intelligence artificielle n’est pas quelque chose de nouveau, donc ça passait encore pour une innovation marketing supplémentaire.
    Erreur funeste: ChatGPT permet un véritable gain de temps dans pas mal de domaines. A tel point qu’après des discussions autour des barbecues pendant les vacances, beaucoup de connaissances s’inquiètent actuellement de leur situation. Ils sont nombreux, graphistes, architectes, traducteurs, avocats, rédacteurs techniques et même développeurs informatiques à se faire de plus en plus concurrencer par cet outil. Ce sont tous des membres des classes intermédiaires et il est fort possible qu’ils se retrouvent dans quelques années dans des situations difficiles.
    J’enfonce probablement des portes ouvertes mais tout se fait comme si on assistait à une automatisation massive et rapide du tertiaire comme on a assisté après-guerre à une automatisation du secondaire. Les classes intermédiaires ont beaucoup à y perdre. Et le rapport de forces pourrait donc se modifier…

    • Descartes dit :

      @ FB

      [«Un peu hors-sujet, mais j’aimerais avoir votre point de vue: on dit sur ce blog que le véritable changement ne pourra provenir que d’une modification du rapport de forces économiques. Je vous le demande tout net : pensez-vous que l’intelligence artificielle pourra accélérer le processus ?]

      Oui, et non. Je me souviens toujours du « paradoxe de Solow », qui se résume dans la formule « je vois des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité ». Ce qu’il résumait, c’est que malgré les prédictions selon lesquelles l’arrivée de l’informatique allait provoquer une rupture dans la courbe de productivité équivalente à celle de la révolution industrielle, rien n’est venu. La productivité a continué à augmenter au même rythme. Et l’informatisation y a contribué, mais pas plus ou pas moins que d’autres innovations dans l’organisation du travail ou dans les technologies de production.

      L’intelligence artificielle permettra à la machine de faire à notre place certaines tâches répétitives, qui nécessitent la manipulation d’un grand nombre de données. Mais cela n’a rien de nouveau : depuis l’avènement de la modernité – et les débuts du capitalisme – c’est une constante de nos sociétés. Les copistes ont disparu remplacés par l’imprimerie puis plus tard par la photocopie, les savants calculs que faisaient les astronomes de la marine sont aujourd’hui faits par des ordinateurs, et les commis qui écrivaient à la plume d’oie ont cédé la place aux dactylos sur machine à écrire puis sur traitement de texte. L’intelligence artificielle n’est qu’un nouvel outil qui nous permet de déléguer certaines tâches à la machine. Rien de bien nouveau sous le soleil.

      Ce serait différent si l’intelligence artificielle permettait à la machine de PENSER. Mais on est très, très loin de ça. ChatGPT peut répondre à vos questions… mais ne saurait pas comment en poser une.

      [J’ai pris quant à moi ce sujet par dessus la jambe ces dernières années. Je travaille en effet dans l’informatique et je peux vous dire que l’imagination des éditeurs pour faire passer des vessies pour des lanternes est sans limite. Aussi lorsqu’on nous a annoncé une énième révolution avec ChatGPT, j’ai été plutôt perplexe. L’intelligence artificielle n’est pas quelque chose de nouveau, donc ça passait encore pour une innovation marketing supplémentaire.
      Erreur funeste: ChatGPT permet un véritable gain de temps dans pas mal de domaines.]

      Plus grand que la photocopie ou l’imprimerie par rapport à la copie manuelle ? Plus grand que la machine à vapeur ou le moteur à explosion par rapport à la traction à sang ? Plus grand que la CAO par rapport au dessin à l’encre ? Permettez-moi d’en douter…

      Ce qui me fascine dans cette affaire, c’est qu’on prend pour quelque chose de nouveau un élément qui fait partie d’un processus continu qui, depuis la fin du moyen-âge, a empilé toutes sortes de technologies dont le but, le seul but, est de « gagner du temps » dans le processus de production. L’intelligence artificielle – qui en fait est utilisée dans beaucoup de domaines depuis les années 1970 – n’est qu’un instrument parmi d’autres dans cette quête permanente de la productivité. En fait, beaucoup de gens découvrent l’intelligence artificielle à partir de l’IA dite « générative », parce que l’idée d’une machine capable de parler impressionne. Mais la machine ne fait là que ce qu’elle fait dans d’autres domaines depuis longtemps : deviner – à partir d’une base de données – ce qu’un être humain moyen aurait fait à sa place. Elle ne peut donc rien produire de nouveau, tout au plus un reflet miroir de « l’homme moyen ».

      [A tel point qu’après des discussions autour des barbecues pendant les vacances, beaucoup de connaissances s’inquiètent actuellement de leur situation. Ils sont nombreux, graphistes, architectes, traducteurs, avocats, rédacteurs techniques et même développeurs informatiques à se faire de plus en plus concurrencer par cet outil. Ce sont tous des membres des classes intermédiaires et il est fort possible qu’ils se retrouvent dans quelques années dans des situations difficiles.]

      Il est surtout « fort possible » que dans quelques années ils n’appartiennent plus aux classes intermédiaires, puisque la valeur de leur « capital immatériel » aura été réduite à néant. Mais cela n’a rien de nouveau. Pensez à tous les métiers hier nobles et respectés, supposant une longue formation et beaucoup de savoirs, et qui ont disparu à partir du moment ou la machine a été capable de les remplacer. Un maître tisserand dans la Flandre du XVIème siècle ou dans le Lyon du XVIIIème était un personnage respecté – un membre des « classes intermédiaires » si l’on se risque à l’anachronisme. Les métiers mécaniques sont arrivés… et les maîtres ont été remplacés par des ouvriers. En quoi la transformation liée à l’IA est différente ?

      L’introduction de l’IA ne changera pas significativement le rapport de forces structurel – le rapport de forces électoral est une autre affaire. Elle tendra tout au plus à « déclasser » une partie des classes intermédiaires, celle qui fait les travaux qui peuvent être mieux faits par la machine. Elle créera un nouveau prolétariat, celui qui alimentera et entretiendra la machine de l’IA – comme hier il a créé celui qui alimente et entretient le métier à tisser mécanique. Et il créera une nouvelle classe intermédiaire, celle qui aura le « capital immatériel » nécessaire pour s’appuyer sur l’IA pour faire des choses que l’IA seule ne saurait faire…

      [J’enfonce probablement des portes ouvertes mais tout se fait comme si on assistait à une automatisation massive et rapide du tertiaire comme on a assisté après-guerre à une automatisation du secondaire. Les classes intermédiaires ont beaucoup à y perdre. Et le rapport de forces pourrait donc se modifier…]

      Le rapport de forces n’a qu’un rapport relatif avec le rapport du nombre. Dans le capitalisme classique, la bourgeoisie a dominé la société tout en étant très largement minoritaire. Ce qui fait le rapport de force, c’est le besoin que chaque classe a de l’autre dans le développement des forces productives. Dans l’Angleterre du XIXème siècle, la classe ouvrière aurait pu, numériquement, balayer la bourgeoisie. Mais se serait-elle trouvée mieux, économiquement ? Non, parce que dans l’étape historique qui était celle de l’époque, le capitaliste était nécessaire pour permettre l’expansion des forces productives, expansion qui, in fine, a permis une augmentation générale du niveau de vie.

      Aujourd’hui, le rapport de force est favorable à la bourgeoisie parce que le capital a la possibilité de mettre les travailleurs en concurrence au niveau mondial, alors que les travailleurs, eux, n’ont pas le choix. Si la mobilité du travail était infinie, comme l’est celle du capital, alors là oui, le rapport de forces serait dramatiquement modifié. Mais pour des raisons évidentes c’est là une impossibilité. Le fait qu’une partie des classes intermédiaires soit « déclassée », qu’on revienne à une société où les « classes intermédiaires » représenteront une frange plus étroite changera possiblement les rapports de force électoraux, mais pas le rapport de forces entre classes, au sens marxien du terme…

      • P2R dit :

        @ FB et Descartes
         
        Juste une remarque en passant: je pense que l’impact  de l’IA sera très différencié selon les professions non-pas en fonction de sa capacité à accomplir une tâche ou une autre, mais en fonction de la sociologie professionnelle et de sa compatibilité avec le bloc dominant, tout comme ça a été le cas par le passé pour l’ouverture à la concurrence; le milieu du cinéma, et d’ailleurs une grande partie du monde artistique, a été très largement préservé de la concurrence étrangère par le biais de mesures protectionnistes extrêmement volontaristes. L’an dernier, à Hollywood, les scénaristes se sont mis en grève pour exiger des mesures de protection contre l’IA… et ont obtenu gain de cause. C’est que les professions de la communication et de l’art sont la “façade présentable” du bloc dominant. Celui-ci saura faire les concessions nécessaires pour le garder dans sa poche comme par le passé. En revanche, si vous êtes employé lambda dans un cabinet comptable, il est temps de penser à la reconversion..
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [Juste une remarque en passant: je pense que l’impact de l’IA sera très différencié selon les professions non-pas en fonction de sa capacité à accomplir une tâche ou une autre, mais en fonction de la sociologie professionnelle et de sa compatibilité avec le bloc dominant, tout comme ça a été le cas par le passé pour l’ouverture à la concurrence; le milieu du cinéma, et d’ailleurs une grande partie du monde artistique, a été très largement préservé de la concurrence étrangère par le biais de mesures protectionnistes extrêmement volontaristes. L’an dernier, à Hollywood, les scénaristes se sont mis en grève pour exiger des mesures de protection contre l’IA… et ont obtenu gain de cause.]

          Souvenez-vous des canuts de Lyon brûlant en place publique les métiers Jacquard. Est-ce que, sur le long terme, cela a changé quelque chose ? Rien, bien entendu. La « sociologie professionnelle » peut accélérer ou ralentir le processus, mais pas en changer la direction. Si le milieu du cinéma a été protégé par des mesures volontaristes, ce n’est pas seulement parce que les cinéastes ont une particulière « compatibilité avec le bloc dominant », mais parce que le cinéma est un vecteur d’influence…

          [C’est que les professions de la communication et de l’art sont la “façade présentable” du bloc dominant. Celui-ci saura faire les concessions nécessaires pour le garder dans sa poche comme par le passé.]

          Il est clair que ceux qui sont des vecteurs d’influence ont un pouvoir de négociation beaucoup plus important que les autres…

          [En revanche, si vous êtes employé lambda dans un cabinet comptable, il est temps de penser à la reconversion…]

          Ca, c’est sûr. Mais de la même manière que les artisans tisserands ont dû se reconvertir quand les métiers mécaniques ont fait leur apparition. Il n’y a rien de fondamentalement différent…

      • CZ dit :

        (Troisième tentative)
        @Descartes
        Bonjour,
        Je me permets de m’immiscer dans votre échange avec FB, qui pointe un bouleversement à venir dont la très grande majorité des gens ne semblent pas mesurer la portée, selon moi.
        comme vous le dites, l’avènement de l’IA s’inscrit effectivement dans le cadre de l’évolution technologique qui accompagne nos sociétés, et le parallèle avec la révolution industrielle est tout à fait pertinent. J’ai lu quelque part que seuls 10% des emplois perdus en occident depuis les années 50 l’ont été du fait des délocalisations. Les 90% restants seraient la conséquence des progrès de la mécanisation. L’essor de l’IA, et plus particulièrement l’IA générative, aura vraisemblablement le même impact sur le travail intellectuel que la mécanisation a eu sur le travail manuel.
        Il y a cependant une différence de taille entre les deux situations : avec l’IA les bouleversements seront beaucoup, beaucoup plus rapides.
        Vous indiquez que l’IA est utilisée dans beaucoup de domaines depuis les années 1970. Certes, mais il s’agissait essentiellement de systèmes experts, ultra spécialisés, et qui n’ont plus grand rapport avec l’IA qui a le vent en poupe aujourd’hui, qui est basée sur les réseaux neuronaux et les techniques d’apprentissage en profondeur (pour faire simple). Cette IA-là a véritablement émergé à partir des années 2000, lorsque le développement de l’Internet a permis la création de vastes bases de connaissances qu’on a pu utiliser pour l’apprentissage. Et les progrès sont juste fulgurants. La qualité des algorithmes régissant les réseaux neuronaux, la qualité des données d’apprentissage sont en amélioration constante. Mais le critère le plus important à mon sens pour jauger du niveau de performance de ce type d’IA, c’est encore la puissance de calcul allouée. Au niveau mondial, celle-ci doublerait tous les 3 mois et demi. La loi de Moore est pulvérisée.
        Bref, si les conséquences de la mécanisation se sont manifestées sur le temps long, permettant à nos sociétés de s’adapter, ce ne sera vraisemblablement pas le cas avec l’IA générative. Je pense que le changement sera particulièrement brutal et qu’il générera énormément d’instabilité.
        [Ce serait différent si l’intelligence artificielle permettait à la machine de PENSER. Mais on est très, très loin de ça. ChatGPT peut répondre à vos questions… mais ne saurait pas comment en poser une.]
        Pour l’anecdote, j’ai demandé à ChatGPT de me poser une question dont il ne connait pas la réponse. Il m’a demandé quel est le mot de passe de mon compte bancaire.
        Plus sérieusement, l’IA ne pense pas AUJOURD’HUI. Mais déjà des études ont démontré qu’un outil comme ChatGPT possédait une véritable compréhension des concepts qu’il manipule. Certains affirment même qu’il éprouve une expérience subjective du monde, un début de conscience phénoménale.
        Alors certes, on est encore très loin de l’intelligence humaine. Mais d’un point de vue fonctionnel, il n’y a pas de grandes différences entre un réseau neuronal artificiel et un cerveau organique, entre l’apprentissage en profondeur et l’apprentissage « naturel ». Or on l’a vu, dans le domaine de l’IA générative, la situation évolue très très vite. (Et une fois atteint le niveau de l’intelligence humaine – vraisemblablement d’ici quelques décennies – se profilera la grande inconnue de la singularité technologique.)
        Pour ceux que le sujet intéresse, je recommande la lecture du livre « Superintelligence » de Nick Bostrom. Sa lecture nécessite d’avoir un petit bagage scientifique, mais elle ouvre des perspectives absolument fascinantes.
         
        Je profite de ce message pour vous féliciter à mon tour pour la qualité de votre blog. Je vous remercie également ainsi que vos contributeurs pour les échanges passionnants qui se poursuivent dans les commentaires, que je lis toujours avec grand intérêt.
        Je culpabilise un peu de ne pas apporter ma pierre à l’édifice. Je partage généralement vos opinions et je ne vois pas trop l’intérêt de l’écrire. Toutefois, si nous arrivons généralement aux mêmes conclusions, ma compréhension des choses est essentiellement intuitive, alors que la vôtre résulte d’un raisonnement impeccable adossé à une grande culture. Vos billets me fournissent de nombreux arguments qui me permettent d’étayer mes positions face aux collègues, à la famille, aux amis… En particulier, je trouve que votre grille de lecture marxienne enrichie des classes intermédiaires constitue un outil d’analyse du réel particulièrement puissant.
        Encore une fois, merci.

        • Descartes dit :

          @ CZ

          [(Troisième tentative)]

          Recevez mes plus plates excuses. Le fait est que, pour me protéger du spam, mon site a un « filtre » qui est très discriminant en général, mais qui de temps en temps met en « indésirable » des messages légitimes comme le votre. Comme je ne nettoie mes « indésirables » que de temps en temps, il peut se passer quelque temps avant que je retrouve ces messages…

          [J’ai lu quelque part que seuls 10% des emplois perdus en occident depuis les années 50 l’ont été du fait des délocalisations. Les 90% restants seraient la conséquence des progrès de la mécanisation.]

          Cela dépend de ce que vous appelez « l’occident », mais surtout si vous parlez en « brut » ou en « net ». La mécanisation a supprimé des emplois, mais en a créé d’autres. Et sur certaines périodes, on a pu avoir une modernisation massive sans que cela crée du chômage. La délocalisation, par contre, a toujours un bilan négatif.

          [L’essor de l’IA, et plus particulièrement l’IA générative, aura vraisemblablement le même impact sur le travail intellectuel que la mécanisation a eu sur le travail manuel. Il y a cependant une différence de taille entre les deux situations : avec l’IA les bouleversements seront beaucoup, beaucoup plus rapides.]

          La question se pose. C’était ce qu’on croyait pour l’informatique, et le « paradoxe de Solow », résumé par la formule « je vois des ordinateurs partout, sauf sur les statistiques de productivité », a montré qu’on avait tort. L’informatisation a eu un effet sur la productivité relativement limité, alors que la mécanisation a eu un effet radical et massif. Et surtout, relativement lent.

          [Vous indiquez que l’IA est utilisée dans beaucoup de domaines depuis les années 1970. Certes, mais il s’agissait essentiellement de systèmes experts, ultra spécialisés, et qui n’ont plus grand rapport avec l’IA qui a le vent en poupe aujourd’hui, qui est basée sur les réseaux neuronaux et les techniques d’apprentissage en profondeur (pour faire simple).]

          Tout cela paraît neuf, mais c’est en fait très ancien. On commence à travailler théoriquement sur les réseaux neuronaux avec l’article fondateur de Warren McCulloch et Walter Pitts en 1943. On a les premières applications avec le « perceptron » de Rosenblatt en 1958, le « perceptron multicouche » en 1970. On utilise des « techniques d’apprentissage en profondeur » pour la reconnaissance des formes (par exemple, des écritures et des codes postaux dans le tri du courrier) depuis les années 1980. A toutes ces applications, « il ne manquait que la parole ». C’est chose faite maintenant, avec l’invention de l’IA générative. Mais c’est là la seule véritable nouveauté. La puissance de calcul toujours croissante des ordinateurs a permis de faire en secondes ce qui prenait auparavant des heures, mais en termes théoriques, on reste sur des structures inventées il y a quarante ans…

          [Cette IA-là a véritablement émergé à partir des années 2000, lorsque le développement de l’Internet a permis la création de vastes bases de connaissances qu’on a pu utiliser pour l’apprentissage. Et les progrès sont juste fulgurants. La qualité des algorithmes régissant les réseaux neuronaux, la qualité des données d’apprentissage sont en amélioration constante.]

          Oui et non. Les « vastes bases de connaissances » sont en fait des vastes ensembles de n’importe quoi. Sur l’internet, on trouve les opinions d’un scientifique ayant travaillé quarante ans son sujet et celles d’un étudiant qui vient de l’aborder, voire celles de Mme Michu ou celles d’un commerçant voulant vendre des remèdes miracle. Et pour le moment – et ce n’est pas près de changer – l’IA est incapable de hiérarchiser ces opinions, autrement que sur la base du nombre. Confronté avec la question de savoir si Elvis est mort, elle pourra au mieux constater un consensus sur sa mort et quelques voix dissonantes qui prétendent qu’il et vivant. Mais elle n’arrivera pas à analyser les arguments des uns et des autres et à se faire une véritable opinion. L’IA générative répond en fait à la question « sur cette interrogation, quelle serait l’opinion la plus probable d’un être humain ? ».

          [Mais le critère le plus important à mon sens pour jauger du niveau de performance de ce type d’IA, c’est encore la puissance de calcul allouée. Au niveau mondial, celle-ci doublerait tous les 3 mois et demi. La loi de Moore est pulvérisée.]

          Et alors ? Comme disait l’autre, ce n’est pas en améliorant la lampe à huile qu’on a inventé l’ampoule électrique. La puissance de calcul peut augmenter à tout va, cela ne suffira pas si c’est pour faire tourner les mêmes algorithmes. Et en matière d’IA, je ne vois pas – de véritable rupture épistémologique depuis les réseaux de neurones.

          [Bref, si les conséquences de la mécanisation se sont manifestées sur le temps long, permettant à nos sociétés de s’adapter, ce ne sera vraisemblablement pas le cas avec l’IA générative. Je pense que le changement sera particulièrement brutal et qu’il générera énormément d’instabilité.]

          Désolé de vous contredire, mais on a dit exactement la même chose à propos de l’informatisation, et les prédictions ne se sont pas réalisées. La « révolution informatique » a été beaucoup plus longue, plus lente, et plus cahoteuse que prévu.

          [Plus sérieusement, l’IA ne pense pas AUJOURD’HUI. Mais déjà des études ont démontré qu’un outil comme ChatGPT possédait une véritable compréhension des concepts qu’il manipule. Certains affirment même qu’il éprouve une expérience subjective du monde, un début de conscience phénoménale.]

          J’aimerais bien voir cette « démonstration ». Pour vous décrire une expérience réelle, il s’agissait à partir d’un code législatif quelconque, d’individualiser toutes les procédures d’autorisation créées par celui-ci. Le logiciel a failli misérablement, n’étant pas capable de distinguer une disposition MENTIONNANT une autorisation et une disposition CREANT celle-ci. Et pourtant il s’agit d’un contexte normé, avec un langage très standardisé. Non, ChatGPT – ou ses équivalents – ne « comprend » rien. Il se contente de rechercher, dans une formidable base de données, la réponse qu’un être humain donnerait le plus « vraisemblablement » à la question.

          [Alors certes, on est encore très loin de l’intelligence humaine. Mais d’un point de vue fonctionnel, il n’y a pas de grandes différences entre un réseau neuronal artificiel et un cerveau organique, entre l’apprentissage en profondeur et l’apprentissage « naturel ».]

          Je vois quand même des différences très importantes. Un cerveau humain n’apprend pas en consultant une base de données. Le cerveau humain apprend parce qu’il dispose de moyens d’action et de perception, qui lui permettent de faire des expériences et d’intégrer les résultats. Un enfant touche ce qui l’entoure, l’amène à sa bouche, dès qu’il commence à se déplacer il explore le monde. Une IA intègre les expériences des autres, mais ne peut pas faire des expériences elle-même…

          [Or on l’a vu, dans le domaine de l’IA générative, la situation évolue très très vite. (Et une fois atteint le niveau de l’intelligence humaine – vraisemblablement d’ici quelques décennies – se profilera la grande inconnue de la singularité technologique.)]

          Je ne vois pas que les choses évoluent « si vite »… comme je l’ai dit plus haut, l’IE est fondée sur une théorie construite il y a soixante-dix ans. On est en train de perfectionner une lampe à huile…

          [Je profite de ce message pour vous féliciter à mon tour pour la qualité de votre blog. Je vous remercie également ainsi que vos contributeurs pour les échanges passionnants qui se poursuivent dans les commentaires, que je lis toujours avec grand intérêt.]

          Merci, ca fait toujours plaisir d’être encouragé…

          • CZ dit :

            @Descartes
            [Tout cela paraît neuf, mais c’est en fait très ancien. On commence à travailler théoriquement sur les réseaux neuronaux avec l’article fondateur de Warren McCulloch et Walter Pitts en 1943. On a les premières applications avec le « perceptron » de Rosenblatt en 1958, le « perceptron multicouche » en 1970. On utilise des « techniques d’apprentissage en profondeur » pour la reconnaissance des formes (par exemple, des écritures et des codes postaux dans le tri du courrier) depuis les années 1980. A toutes ces applications, « il ne manquait que la parole ». C’est chose faite maintenant, avec l’invention de l’IA générative. Mais c’est là la seule véritable nouveauté. La puissance de calcul toujours croissante des ordinateurs a permis de faire en secondes ce qui prenait auparavant des heures, mais en termes théoriques, on reste sur des structures inventées il y a quarante ans…]
            Les bases théories sont peut-être relativement anciennes, mais entre les années 40 et 2010, on ne peut pas dire qu’il y eut beaucoup de réalisations pratiques. Ce n’est pas pour rien que l’on parle de « l’hiver de l’IA ». Ce long hiver n’est pas uniquement dû à l’insuffisance de puissance de calcul. L’émergence des IA d’aujourd’hui a également été rendue possible par les progrès en neurosciences et la constitution de gigantesques bases de données. L’architecture dite « transformeur » par exemple, qui sert de base pour la construction des grands modèles de langage comme Chat-GPT, date seulement de 2017.
            Par conséquent, si vous voulez prendre un point de départ pour évaluer la vitesse d’évolution des IA contemporaines, il me semble plus juste de choisir l’apparition sur le marché des premiers modèles d’IA contemporaines. Et sur cette base, il est difficile de réfuter l’affirmation selon laquelle l’impact des nouveaux modèles d’IA sur le travail intellectuel sera beaucoup plus rapide que l’impact de la mécanisation sur le travail manuel.
            Je reconnais toutefois que l’émergence des IA contemporaines est trop récente pour évaluer la vitesse à laquelle cette évolution technologique va impacter nos sociétés. Je peux cependant vous proposer quelques indices qui vont dans le sens d’une vitesse élevée :
            -L’accélération constante du progrès technologique (je ne retrouve plus ce diagramme qui présentait sous forme de points les principales inventions de l’humanité, disposées sur un plan avec la date en abscisse et la complexité technologique en ordonnée. On y voit apparaître une courbe exponentielle, avec une concentration de points qui se densifie très fortement à mesure de l’écoulement du temps.)
            -L’investissement colossal opéré dans ce secteur (en 2023, cet investissement représenterait officiellement près de 80 milliards de dollars).
            Pris ensemble, ces deux points m’incitent à croire que l’IA nous réserve encore d’énormes progrès dans les décennies à venir. Et ce, alors que les répercussions des premières IA contemporaines commencent tout juste à se faire sentir sur le marché du travail intellectuel.
            [[Plus sérieusement, l’IA ne pense pas AUJOURD’HUI. Mais déjà des études ont démontré qu’un outil comme ChatGPT possédait une véritable compréhension des concepts qu’il manipule. Certains affirment même qu’il éprouve une expérience subjective du monde, un début de conscience phénoménale.]
            J’aimerais bien voir cette « démonstration ». Pour vous décrire une expérience réelle, il s’agissait à partir d’un code législatif quelconque, d’individualiser toutes les procédures d’autorisation créées par celui-ci. Le logiciel a failli misérablement, n’étant pas capable de distinguer une disposition MENTIONNANT une autorisation et une disposition CREANT celle-ci. Et pourtant il s’agit d’un contexte normé, avec un langage très standardisé. Non, ChatGPT – ou ses équivalents – ne « comprend » rien. Il se contente de rechercher, dans une formidable base de données, la réponse qu’un être humain donnerait le plus « vraisemblablement » à la question.]
            Voici par exemple une étude où les chercheurs ont entraîné une instance de chat-GPT à jouer à Othello. Ils ont pu constater que GPT développait une modélisation spatiale du plateau de jeu et de la disposition des jetons.
            https://arxiv.org/pdf/2210.13382v4
            Par ailleurs, chacun peut faire chez soi l’expérience suivante avec ChatGPT (il convient d’utiliser la version 3.5 ou antérieure, qui n’ont aucune capacité multimodale).
            L’expérience se base sur l’utilisation conjointe de ChatGPT et du logiciel de dessin gratuit Processing. Ce dernier permet de tracer des formes géométriques simples à partir de commandes textuelles, dans un langage de programmation rudimentaire. Mais ça tombe bien, GPT est expert dans le maniement du langage. Demandez-lui de lui de dessiner quelque chose avec Processing. Un chat, une voiture, la Joconde… Puis copiez-collez le code proposé par GPT dans l’invite de commande de Processing et générez le dessin correspondant.
            A titre d’illustration, voici 3 dessins que chat-GPT vient de créer à ma demande  (j’ai pris les premières choses qui me passaient par l’esprit – une abeille, une maison, un portrait d’Emmanuel Macron).
            https://ibb.co/0cjVg1n
            Alors certes, ce n’est pas du Rembrandt, on est plus au niveau d’un enfant de 4 ou 5 ans. Mais rappelons à vos lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec cet outil que Chat-GPT est conçu pour compléter un texte de manière plausible. Pour ce faire il a été entraîné à partir de gigantesques bases de données TEXTUELLES. Il n’a jamais reçu en entrée des représentations visuelles des objets. Et pourtant il est capable de les représenter graphiquement. Cela me semble démontrer qu’il dispose d’une compréhension (certes rudimentaire, mais véritable) des concepts qu’il manipule.
            (Et non, GPT ne recherche pas dans ses gigantesques bases de données un hypothétique code Processing générant une abeille. Demandez-lui 50 fois de dessiner une abeille, vous aurez droit à 50 dessins d’abeille différents.)
            [Un enfant touche ce qui l’entoure, l’amène à sa bouche, dès qu’il commence à se déplacer il explore le monde. Une IA intègre les expériences des autres, mais ne peut pas faire des expériences elle-même…]
            Connaissez-vous AlphaGo Zéro ?
            Il s’agit de la troisième version majeure d’AlphaGo, qui avait connu une certaine notoriété en 2015 en étant la 1ère IA à battre un grand maître du jeu de go. Il y eut depuis la version alphaGo Master, largement plus performante, puis la version Zero. Il s’agit à chaque fois d’une IA basée sur la combinaison d’un réseau neuronal et d’un apprentissage en profondeur. Les versions précédentes avaient été entraînées à partir d’un très grand nombre de parties disputées par des humains. Mais pour AlphaGo Zéro, seules les règles du jeu lui ont été inculquées. C’est en jouant un nombre faramineux de parties contre lui-même, et en s’améliorant peu à peu, qu’il a acquis sa maîtrise du go. Et AlphaGo Zéro est incomparablement plus puissant que les versions précédentes.
            Alors certes, nous parlons ici d’un périmètre extrêmement réduit, le jeu de go, dont la complexité est sans commune mesure avec celle du monde tel que nous le connaissons. Mais votre affirmation comme quoi une IA intègre uniquement les expériences des autres, mais ne peut pas faire des expériences elle-même, me semble mériter un réexamen.
             

            • Descartes dit :

              @ CZ

              [Les bases théories sont peut-être relativement anciennes, mais entre les années 40 et 2010, on ne peut pas dire qu’il y eut beaucoup de réalisations pratiques. Ce n’est pas pour rien que l’on parle de « l’hiver de l’IA ».]

              Je ne sais pas qui parle de « l’hiver de l’IA », mais je ne suis pas d’accord qu’il n’y ait pas eu de réalisations pratiques. Je vous ai cité une : la lecture automatique des codes postaux. Je pourrais aussi vous citer les logiciels de dictée.

              [Ce long hiver n’est pas uniquement dû à l’insuffisance de puissance de calcul. L’émergence des IA d’aujourd’hui a également été rendue possible par les progrès en neurosciences et la constitution de gigantesques bases de données. L’architecture dite « transformeur » par exemple, qui sert de base pour la construction des grands modèles de langage comme Chat-GPT, date seulement de 2017.]

              Je suis d’accord avec vous sur les bases de données, je suis plus sceptique sur les évolutions d’architectures. S’il est vrai que les architectures ont légèrement évolué, je n’ai l’impression qu’il y ait eu une révolution dans ce domaine.

              [Par conséquent, si vous voulez prendre un point de départ pour évaluer la vitesse d’évolution des IA contemporaines, il me semble plus juste de choisir l’apparition sur le marché des premiers modèles d’IA contemporaines. Et sur cette base, il est difficile de réfuter l’affirmation selon laquelle l’impact des nouveaux modèles d’IA sur le travail intellectuel sera beaucoup plus rapide que l’impact de la mécanisation sur le travail manuel.]

              C’est à ceux qui soutiennent cette affirmation de la démontrer, et non à ceux qui en doutent de la réfuter… la charge de la preuve appartient à la partie qui affirme.

              [Je reconnais toutefois que l’émergence des IA contemporaines est trop récente pour évaluer la vitesse à laquelle cette évolution technologique va impacter nos sociétés. Je peux cependant vous proposer quelques indices qui vont dans le sens d’une vitesse élevée :]

              Comme je l’ai dit, mon scepticisme tient moins à une analyse en profondeur des évolutions de l’IA que sur la ressemblance entre cette « révolution » et celle mille fois annoncée mais qui finalement n’a pas eu lieu de l’informatique. Dans les années 1980, souvenez-vous, on nous avait promis une révolution de la productivité liée à l’informatique. En pratique, ce fut une simple « évolution » qui prolongeait la courbe…

              [-L’accélération constante du progrès technologique (je ne retrouve plus ce diagramme qui présentait sous forme de points les principales inventions de l’humanité, disposées sur un plan avec la date en abscisse et la complexité technologique en ordonnée. On y voit apparaître une courbe exponentielle, avec une concentration de points qui se densifie très fortement à mesure de l’écoulement du temps.)]

              J’aimerais bien voir cette « courbe ». En fait, on assiste à un véritable ralentissement depuis les années 1980. Pensez-y : la première moitié du XXème siècle a vu la naissance de la théorie de la relativité, de la physique quantique, de la théorie des champs, de la radioactivité l’invention de l’énergie nucléaire. La période 1945-80 a vu l’invention du transistor, du circuit intégré, du calculateur électronique, du microprocesseur, du laser, de l’internet, de la spirale de l’ADN. Pouvez-vous me citer une seule invention qui depuis 1990 ait une influence aussi importante ? Je ne pense pas. Il est vrai que ces trente dernières années ont vu le développement massif et le raffinement de certaines technologies, de certaines connaissances. Mais l’âge des révolutions est décidément passé…

              [-L’investissement colossal opéré dans ce secteur (en 2023, cet investissement représenterait officiellement près de 80 milliards de dollars).]

              L’argent permet certainement de développer une technologie, mais ne provoque pas les révolutions. La relativité générale a été inventée avec des moyens fort limités… J’ajoute que les sommes investies dans l’informatisation de l’économie dans les années 1980-90 étaient elles aussi « colossales »… et pourtant on n’a pas vu de conséquence sur les courbes de productivité.

              [Pris ensemble, ces deux points m’incitent à croire que l’IA nous réserve encore d’énormes progrès dans les décennies à venir. Et ce, alors que les répercussions des premières IA contemporaines commencent tout juste à se faire sentir sur le marché du travail intellectuel.]

              Rendez-vous ici dans dix ans…

              [Voici par exemple une étude où les chercheurs ont entraîné une instance de chat-GPT à jouer à Othello. Ils ont pu constater que GPT développait une modélisation spatiale du plateau de jeu et de la disposition des jetons.]

              Enfin, pas tout à fait. L’article se contente d’affirmer que certains tests « font penser » qu’une telle représentation existe dans le réseau. On est loin d’une constatation factuelle. Mais pour revenir à votre commentaire, vous affirmiez que « déjà des études ont démontré qu’un outil comme ChatGPT possédait une véritable compréhension des concepts qu’il manipule ». Entre créer une représentation spatiale d’un échiquier et une « véritable compréhension d’un concept », il y a une distance considérable.

              [Par ailleurs, chacun peut faire chez soi l’expérience suivante avec ChatGPT (il convient d’utiliser la version 3.5 ou antérieure, qui n’ont aucune capacité multimodale) (…) A titre d’illustration, voici 3 dessins que chat-GPT vient de créer à ma demande (j’ai pris les premières choses qui me passaient par l’esprit – une abeille, une maison, un portrait d’Emmanuel Macron) (…) Alors certes, ce n’est pas du Rembrandt, on est plus au niveau d’un enfant de 4 ou 5 ans. Mais rappelons à vos lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec cet outil que Chat-GPT est conçu pour compléter un texte de manière plausible. Pour ce faire il a été entraîné à partir de gigantesques bases de données TEXTUELLES. Il n’a jamais reçu en entrée des représentations visuelles des objets. Et pourtant il est capable de les représenter graphiquement. Cela me semble démontrer qu’il dispose d’une compréhension (certes rudimentaire, mais véritable) des concepts qu’il manipule.]

              Non. Cela prouve que dans l’immense base de données qui a servi à l’entrainer, il y a probablement les instructions pour dessiner une abeille, une maison, et Emmanuel Macron. Je vous propose de faire l’expérience suivante : au lieu de lui demander de dessiner Emmanuel Macron, demandez-lui de dessiner le portrait de monsieur Kylian Obert. Un personnage totalement inexistant. Si ChatGPT « comprenait », il devrait pouvoir faire la différence entre un personnage inexistant et Emmanuel Macron. Et pourtant, je pense qu’il vous proposera un dessin à peu près semblable à celui que vous avez obtenu.

              [(Et non, GPT ne recherche pas dans ses gigantesques bases de données un hypothétique code Processing générant une abeille. Demandez-lui 50 fois de dessiner une abeille, vous aurez droit à 50 dessins d’abeille différents.)]

              Cela prouve tout au plus que dans sa base il existe un grand nombre de « dessins d’abeille »… Un réseau de neurones n’est pas déterministe, puisque sa n-ième réponse dépend entre autres chose de sa n-1ème.

              [« Un enfant touche ce qui l’entoure, l’amène à sa bouche, dès qu’il commence à se déplacer il explore le monde. Une IA intègre les expériences des autres, mais ne peut pas faire des expériences elle-même… » Connaissez-vous AlphaGo Zéro ? Il s’agit de la troisième version majeure d’AlphaGo, qui avait connu une certaine notoriété en 2015 en étant la 1ère IA à battre un grand maître du jeu de go. Il y eut depuis la version alphaGo Master, largement plus performante, puis la version Zero. Il s’agit à chaque fois d’une IA basée sur la combinaison d’un réseau neuronal et d’un apprentissage en profondeur. Les versions précédentes avaient été entraînées à partir d’un très grand nombre de parties disputées par des humains. Mais pour AlphaGo Zéro, seules les règles du jeu lui ont été inculquées. C’est en jouant un nombre faramineux de parties contre lui-même, et en s’améliorant peu à peu, qu’il a acquis sa maîtrise du go. Et AlphaGo Zéro est incomparablement plus puissant que les versions précédentes.]

              Vous me rappelez la bibliothèque de Babel de Borges : oui, un ordinateur pourrait en théorie écrire tous les livres possibles (puisqu’un livre n’est qu’une combinaison finie d’un nombre fini de signes). Ce qu’il ne peut pas, c’est distinguer Shakespeare d’un roman de gare…

              [Alors certes, nous parlons ici d’un périmètre extrêmement réduit, le jeu de go, dont la complexité est sans commune mesure avec celle du monde tel que nous le connaissons. Mais votre affirmation comme quoi une IA intègre uniquement les expériences des autres, mais ne peut pas faire des expériences elle-même, me semble mériter un réexamen.]

              Si vous voulez, j’amende mon affirmation : l’IA peut faire des expériences, mais seulement dans un domaine très limité… Je vous rappelle qu’un ordinateur est jusqu’à aujourd’hui incapable de faire quelque chose que même les animaux sont capables de faire : dire « non ». Le jour où un ordinateur répondra à son propriétaire « je n’ai pas envie de vous répondre aujourd’hui, allez-vous faire voir », ce jour-là, on pourra parler « d’intelligence »… on revient à la question du libre arbitre!

            • Descartes dit :

              @ CZ

              [Les bases théories sont peut-être relativement anciennes, mais entre les années 40 et 2010, on ne peut pas dire qu’il y eut beaucoup de réalisations pratiques. Ce n’est pas pour rien que l’on parle de « l’hiver de l’IA ».]

              Je ne sais pas qui parle de « l’hiver de l’IA », mais je ne suis pas d’accord qu’il n’y ait pas eu de réalisations pratiques. Je vous ai cité une : la lecture automatique des codes postaux. Je pourrais aussi vous citer les logiciels de dictée.

              [Ce long hiver n’est pas uniquement dû à l’insuffisance de puissance de calcul. L’émergence des IA d’aujourd’hui a également été rendue possible par les progrès en neurosciences et la constitution de gigantesques bases de données. L’architecture dite « transformeur » par exemple, qui sert de base pour la construction des grands modèles de langage comme Chat-GPT, date seulement de 2017.]

              Je suis d’accord avec vous sur les bases de données, je suis plus sceptique sur les évolutions d’architectures. S’il est vrai que les architectures ont légèrement évolué, je n’ai l’impression qu’il y ait eu une révolution dans ce domaine.

              [Par conséquent, si vous voulez prendre un point de départ pour évaluer la vitesse d’évolution des IA contemporaines, il me semble plus juste de choisir l’apparition sur le marché des premiers modèles d’IA contemporaines. Et sur cette base, il est difficile de réfuter l’affirmation selon laquelle l’impact des nouveaux modèles d’IA sur le travail intellectuel sera beaucoup plus rapide que l’impact de la mécanisation sur le travail manuel.]

              C’est à ceux qui soutiennent cette affirmation de la démontrer, et non à ceux qui en doutent de la réfuter… la charge de la preuve appartient à la partie qui affirme.

              [Je reconnais toutefois que l’émergence des IA contemporaines est trop récente pour évaluer la vitesse à laquelle cette évolution technologique va impacter nos sociétés. Je peux cependant vous proposer quelques indices qui vont dans le sens d’une vitesse élevée :]

              Comme je l’ai dit, mon scepticisme tient moins à une analyse en profondeur des évolutions de l’IA que sur la ressemblance entre cette « révolution » et celle mille fois annoncée mais qui finalement n’a pas eu lieu de l’informatique. Dans les années 1980, souvenez-vous, on nous avait promis une révolution de la productivité liée à l’informatique. En pratique, ce fut une simple « évolution » qui prolongeait la courbe…

              [-L’accélération constante du progrès technologique (je ne retrouve plus ce diagramme qui présentait sous forme de points les principales inventions de l’humanité, disposées sur un plan avec la date en abscisse et la complexité technologique en ordonnée. On y voit apparaître une courbe exponentielle, avec une concentration de points qui se densifie très fortement à mesure de l’écoulement du temps.)]

              J’aimerais bien voir cette « courbe ». En fait, on assiste à un véritable ralentissement depuis les années 1980. Pensez-y : la première moitié du XXème siècle a vu la naissance de la théorie de la relativité, de la physique quantique, de la théorie des champs, de la radioactivité l’invention de l’énergie nucléaire. La période 1945-80 a vu l’invention du transistor, du circuit intégré, du calculateur électronique, du microprocesseur, du laser, de l’internet, de la spirale de l’ADN. Pouvez-vous me citer une seule invention qui depuis 1990 ait une influence aussi importante ? Je ne pense pas. Il est vrai que ces trente dernières années ont vu le développement massif et le raffinement de certaines technologies, de certaines connaissances. Mais l’âge des révolutions est décidément passé…

              [-L’investissement colossal opéré dans ce secteur (en 2023, cet investissement représenterait officiellement près de 80 milliards de dollars).]

              L’argent permet certainement de développer une technologie, mais ne provoque pas les révolutions. La relativité générale a été inventée avec des moyens fort limités… J’ajoute que les sommes investies dans l’informatisation de l’économie dans les années 1980-90 étaient elles aussi « colossales »… et pourtant on n’a pas vu de conséquence sur les courbes de productivité.

              [Pris ensemble, ces deux points m’incitent à croire que l’IA nous réserve encore d’énormes progrès dans les décennies à venir. Et ce, alors que les répercussions des premières IA contemporaines commencent tout juste à se faire sentir sur le marché du travail intellectuel.]

              Rendez-vous ici dans dix ans…

              [Voici par exemple une étude où les chercheurs ont entraîné une instance de chat-GPT à jouer à Othello. Ils ont pu constater que GPT développait une modélisation spatiale du plateau de jeu et de la disposition des jetons.]

              Enfin, pas tout à fait. L’article se contente d’affirmer que certains tests « font penser » qu’une telle représentation existe dans le réseau. On est loin d’une constatation factuelle. Mais pour revenir à votre commentaire, vous affirmiez que « déjà des études ont démontré qu’un outil comme ChatGPT possédait une véritable compréhension des concepts qu’il manipule ». Entre créer une représentation spatiale d’un échiquier et une « véritable compréhension d’un concept », il y a une distance considérable.

              [Par ailleurs, chacun peut faire chez soi l’expérience suivante avec ChatGPT (il convient d’utiliser la version 3.5 ou antérieure, qui n’ont aucune capacité multimodale) (…) A titre d’illustration, voici 3 dessins que chat-GPT vient de créer à ma demande (j’ai pris les premières choses qui me passaient par l’esprit – une abeille, une maison, un portrait d’Emmanuel Macron) (…) Alors certes, ce n’est pas du Rembrandt, on est plus au niveau d’un enfant de 4 ou 5 ans. Mais rappelons à vos lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec cet outil que Chat-GPT est conçu pour compléter un texte de manière plausible. Pour ce faire il a été entraîné à partir de gigantesques bases de données TEXTUELLES. Il n’a jamais reçu en entrée des représentations visuelles des objets. Et pourtant il est capable de les représenter graphiquement. Cela me semble démontrer qu’il dispose d’une compréhension (certes rudimentaire, mais véritable) des concepts qu’il manipule.]

              Non. Cela prouve que dans l’immense base de données qui a servi à l’entrainer, il y a probablement les instructions pour dessiner une abeille, une maison, et Emmanuel Macron. Je vous propose de faire l’expérience suivante : au lieu de lui demander de dessiner Emmanuel Macron, demandez-lui de dessiner le portrait de monsieur Kylian Obert. Un personnage totalement inexistant. Si ChatGPT « comprenait », il devrait pouvoir faire la différence entre un personnage inexistant et Emmanuel Macron. Et pourtant, je pense qu’il vous proposera un dessin à peu près semblable à celui que vous avez obtenu.

              [(Et non, GPT ne recherche pas dans ses gigantesques bases de données un hypothétique code Processing générant une abeille. Demandez-lui 50 fois de dessiner une abeille, vous aurez droit à 50 dessins d’abeille différents.)]

              Cela prouve tout au plus que dans sa base il existe un grand nombre de « dessins d’abeille »… Un réseau de neurones n’est pas déterministe, puisque sa n-ième réponse dépend entre autres chose de sa n-1ème.

              [« Un enfant touche ce qui l’entoure, l’amène à sa bouche, dès qu’il commence à se déplacer il explore le monde. Une IA intègre les expériences des autres, mais ne peut pas faire des expériences elle-même… » Connaissez-vous AlphaGo Zéro ? Il s’agit de la troisième version majeure d’AlphaGo, qui avait connu une certaine notoriété en 2015 en étant la 1ère IA à battre un grand maître du jeu de go. Il y eut depuis la version alphaGo Master, largement plus performante, puis la version Zero. Il s’agit à chaque fois d’une IA basée sur la combinaison d’un réseau neuronal et d’un apprentissage en profondeur. Les versions précédentes avaient été entraînées à partir d’un très grand nombre de parties disputées par des humains. Mais pour AlphaGo Zéro, seules les règles du jeu lui ont été inculquées. C’est en jouant un nombre faramineux de parties contre lui-même, et en s’améliorant peu à peu, qu’il a acquis sa maîtrise du go. Et AlphaGo Zéro est incomparablement plus puissant que les versions précédentes.]

              Vous me rappelez la bibliothèque de Babel de Borges : oui, un ordinateur pourrait en théorie écrire tous les livres possibles (puisqu’un livre n’est qu’une combinaison finie d’un nombre fini de signes). Ce qu’il ne peut pas, c’est distinguer Shakespeare d’un roman de gare…

              [Alors certes, nous parlons ici d’un périmètre extrêmement réduit, le jeu de go, dont la complexité est sans commune mesure avec celle du monde tel que nous le connaissons. Mais votre affirmation comme quoi une IA intègre uniquement les expériences des autres, mais ne peut pas faire des expériences elle-même, me semble mériter un réexamen.]

              Si vous voulez, j’amende mon affirmation : l’IA peut faire des expériences, mais seulement dans un domaine très limité… Je vous rappelle qu’un ordinateur est jusqu’à aujourd’hui incapable de faire quelque chose que même les animaux sont capables de faire : dire « non ». Le jour où un ordinateur répondra à son propriétaire « je n’ai pas envie de vous répondre aujourd’hui, allez-vous faire voir », ce jour-là, on pourra parler « d’intelligence »… on revient à la question du libre arbitre!

  7. Simon dit :

    Cher Descartes, même si je lis tous vos billets, j’arrive généralement trop tard pour réagir.
     
    Deux remarques : 
    [Les « Gilets Jaunes » avaient traduit cette lassitude, et on était sorti de la crise par des « grands débats » censés changer la manière dont on gouvernait. Mais une fois les ronds-points libérés, les carnets de doléances ont été rangés dans une oubliette, et rien n’est venu.]
    Un ami à Bercy m’avait indiqué que la politique de relance industrielle a été lancée suite aux Gilets Jaunes, et bien qu’elle n’ait pas permis la réindustrialisation, elle avait déjà permis de mettre fin à la destruction des emplois industriels. Si c’est effectivement le cas, Macron a entendu au moins une partie du message (appuyé par des mises à sac suffisamment proches des lieux de pouvoir pour être vues autrement que sur BFM TV)
    [ Mozart de la finance ]
    Une expression entendue est le “Carlos de la diplomatie”, cela fonctionne avec les deux Carlos, et l’expression est libre de droits.
    Je ne suis pas sûr que le sociétal soit seulement un habillage : il traduit aussi une vision de l’homme et, pour revenir sur un thème qui vous est cher, peut avoir une dimension tragique. Quelle rôle la question LGBTIAQP+ (je crois n’avoir oublié aucune lettre, mes excuses aux xénogenres) joue dans les relations avec la Russie? dès 2014, avant la révolution/émeute/coup d’état de Maïdan, il y avait les appels à boycotter les jeux olympiques de Sotchi sur cette question, et je commence à craindre que nos dirigeants ne soient sincères (de même que le plus terrifiant sur la guerre en Irak serait une sincérité américaine sur la démocratie)
    Merci pour ce blog,
     

    • Descartes dit :

      @ Simon

      [« Les « Gilets Jaunes » avaient traduit cette lassitude, et on était sorti de la crise par des « grands débats » censés changer la manière dont on gouvernait. Mais une fois les ronds-points libérés, les carnets de doléances ont été rangés dans une oubliette, et rien n’est venu. » Un ami à Bercy m’avait indiqué que la politique de relance industrielle a été lancée suite aux Gilets Jaunes, et bien qu’elle n’ait pas permis la réindustrialisation, elle avait déjà permis de mettre fin à la destruction des emplois industriels. Si c’est effectivement le cas, Macron a entendu au moins une partie du message.]

      Je ne suis pas persuadé que « ce soit effectivement le cas ». La « politique de relance industrielle », on en a beaucoup parlé – notamment à Bercy – mais on n’a pas fait grande chose. Il y a eu quelques opérations, comme celle pour attirer des « mégafactories » de batteries de voiture, mais ce sont des opérations qui, du point industriel, ont un intérêt secondaire, parce qu’elles consistent à faire venir, à grands coups de subventions, des investisseurs étrangers avec une technologie étrangère. La recherche, le développement, la conception, les machines viennent d’ailleurs. Chez nous, on ne prend que l’énergie et la main d’œuvre. Une véritable politique « industrielle » cherche à développer non seulement la production de biens de consommation, mais surtout des biens d’équipement, c’est-à-dire, des machines qui servent à faire des biens.

      [Je ne suis pas sûr que le sociétal soit seulement un habillage : il traduit aussi une vision de l’homme et, pour revenir sur un thème qui vous est cher, peut avoir une dimension tragique.]

      Quand je parle « d’habillage », je veux dire qu’elles ne modifient en rien les rapports de production. Ce sont des questions purement idéologiques – ce qui ne veut pas dire qu’elles soient secondaires. Et comme toute idéologie, elle exprime la vision du monde conforme aux intérêts de la classe qui la porte. Quand les mesures « sociétales » s’attaquent à la filiation et à la transmission, c’est parce que la filiation et la transmission deviennent un obstacle à l’expansion des classes dominantes

      [Quelle rôle la question LGBTIAQP+ (je crois n’avoir oublié aucune lettre, mes excuses aux xénogenres) joue dans les relations avec la Russie? dès 2014, avant la révolution/émeute/coup d’état de Maïdan, il y avait les appels à boycotter les jeux olympiques de Sotchi sur cette question,]

      Mais votre exemple montre bien que c’est un « habillage ». Parce que « cette question » n’était pas la véritable raison du boycott. Le racisme est systématique aux Etats-Unis, et personne n’appelle à boycotter les jeux de Los Angeles. Mais quand on veut tuer son chien – pour des raisons qui n’ont rien de « sociétales » – on l’accuse de la rage sociétale.

      [et je commence à craindre que nos dirigeants ne soient sincères (de même que le plus terrifiant sur la guerre en Irak serait une sincérité américaine sur la démocratie)]

      Comme je le dis souvent – désolé de me répéter – les véritables cyniques sont rares, même parmi les hommes politiques. Les gens ont une énorme capacité à s’auto-convaincre de ce qui les arrange, et à partir de là ils sont parfaitement « sincères ». C’est d’ailleurs bien le problème : quand Macron vous explique qu’en Ukraine se joue la liberté de la France, ou qu’en enrichissant les riches on finira par « ruisseler » sur les pauvres, il le croit probablement VRAIMENT. Et il continuera à le croire contre toute preuve empirique, parce que lorsqu’on a envie de croire quelque chose – par exemple, parce que cela va dans le sens de nos intérêts – la réalité n’a pas de prise.

      • P2R dit :

        @ Descartes et Simon
         
        Je me permets une remarque, au risque d’enfoncer une porte ouverte
         
        Pour vous, Descartes, si je saisis bien votre pensée, les intérêts propres de chaque individus regoupés sous la forme de classes sociales fonctionnent comme une sorte de tectonique des plaques, dissimulée sous une “croute terrestre” constituée par l’idéologie, les opinions, le “libre-arbitre” (qui ne l’est donc pas tant que ça), voire même la morale, tectonique à laquelle elles sont asservies, qu’on en soit conscient ou non.
         
        Cependant, expliquer que les classes sociales dont l’intérêt profond tient à la préservation, voire à l’approfondissement du capitalisme soient en faveur de politiques pro-LGBT PARCE QUE cette idéologie mène à la marchandisation des corps et encourage la destruction de la cellule familiale, en s’engageant toujours plus loin dans une logique individualiste libérale-libertaire, même en assujettisant cette hypothèse au principe de tectonique inconscient décrit ci-dessus, me semble tiré par les cheveux. Plus particulièrement, expliquer que la génèse de l’idéologie LGBT DECOULE d’intérêts profonds liés à des intérêts pro-capital me semble erronné.
         
        Je pense que la chose s’explique bien plus aisément par la négative: les classes bénéficiaires du système ne s’opposent pas à l’idéologie LGBT parce que cette idéologie ne consitue pas une menace. Et consécutivement, on laisse sans problème le militantisme LGBT prendre toute la place qu’il le souhaite dans l’espace publique.
         
        LA différence de taille avec votre thèse, si je l’ai bien comprise, c’est que cette idéologie “pro-gay&co” n’est pas forcément générée par les intérêts matériels. S’il est une tectonique encore plus profonde que celle de vos intérêts, c’est bien celle qui fait de vous un homosexuel plutot qu’un hétéro. En d’autres termes, le fait que l’idéologie dominante, issue des intérêts profonds de ses thuriféraires tolère et même encourage l’idéologie LGBT n’exclut en aucun cas que cette dernière ne découle d’une autre tectonique indépendante. Par conséquent, si la tolérance et la perméabilité à l’idéologie LGBT s’explique par son inocuité vis-à-vis du système de production capitaliste, il n’empêche qu’elle existe EN TANT QUE TELLE, et qu’elle peut être redoutée à raison en tant que telle par ceux qui veulent préserver un modèle sociétal traditionnel.
         
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [Pour vous, Descartes, si je saisis bien votre pensée, les intérêts propres de chaque individus regroupés sous la forme de classes sociales fonctionnent comme une sorte de tectonique des plaques, dissimulée sous une “croute terrestre” constituée par l’idéologie, les opinions, le “libre-arbitre” (qui ne l’est donc pas tant que ça), voire même la morale, tectonique à laquelle elles sont asservies, qu’on en soit conscient ou non.]

          Oui, à une nuance près. Votre interprétation est très « mécaniste » : l’individu est déterminé par l’intérêt de classe, « qu’il en soit conscient ou non ». Le mécanisme est à mon sens beaucoup plus subtil : la détermination est statistique, et non mécanique. Vous trouverez toujours des individus qui iront contre les intérêts de leur classe – et de ce point de vue, le « libre arbitre » est sauf, parce que chaque individu a effectivement le choix. Mais statistiquement, les gens choisiront en très grande majorité de suivre leurs intérêts de classe…

          [Cependant, expliquer que les classes sociales dont l’intérêt profond tient à la préservation, voire à l’approfondissement du capitalisme soient en faveur de politiques pro-LGBT PARCE QUE cette idéologie mène à la marchandisation des corps et encourage la destruction de la cellule familiale, en s’engageant toujours plus loin dans une logique individualiste libérale-libertaire, même en assujettisant cette hypothèse au principe de tectonique inconscient décrit ci-dessus, me semble tiré par les cheveux. Plus particulièrement, expliquer que la genèse de l’idéologie LGBT DECOULE d’intérêts profonds liés à des intérêts pro-capital me semble erroné.]

          Encore une fois, vous faites un raisonnement mécaniste plutôt que dialectique. Les cas où l’on se fabrique une idéologie ex nihilo en pensant à ses intérêts sont finalement rares. L’idéologie dominante se fabrique plus par sélection : Il y a beaucoup d’idéologies spéculatives qui se promènent dans la sphère intellectuelle, et certaines sont mise en avant alors que d’autres restent confidentielles. Et cette sélection traduit les intérêts de la classe qui sélectionne, parce qu’il est évident que vous aurez plus envie de diffuser, de publier, d’imprimer, d’enseigner une idéologie qui vous justifie que l’inverse. Vous noterez que certaines idéologies restent marginales pendant des siècles avant tout à coup d’être reprises par une classe dominante.

          Pensez par exemple au néolibéralisme. Quand Hayek publie « la route de la servitude » en 1944, ils ne sont qu’un petit groupe d’économistes parmi d’autres, regardés comme des originaux, et leurs idées sont très loin d’être reprises par les classes dominantes, qui à l’époque sont plutôt classiques ou keynésiennes. Ce n’est que lorsque le capitalisme devient mondialisé que tout à coup les classes dominantes reprennent les idées de l’école autrichienne.

          [Je pense que la chose s’explique bien plus aisément par la négative: les classes bénéficiaires du système ne s’opposent pas à l’idéologie LGBT parce que cette idéologie ne constitue pas une menace.]

          Mais il y a plein d’autres idéologies qui ne constituent pas une menace, et qui pourtant ne bénéficient pas d’un tel soutien institutionnel. Pourquoi, à votre avis ?

  8. Glarrious dit :

    Pour répondre à la question de votre titre, on peut dire que cela va durer jusqu’au 1er octobre c’est-à-dire à la déposition du projet de loi de finance à l’Assemblée sous la surveillance de la Commission Européenne parce-que je vois mal la gestion de l’Etat sans loi de finance. Après qui portera le projet de loi comme vous l’avez dit ça ne changera pas grand chose.

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [Pour répondre à la question de votre titre, on peut dire que cela va durer jusqu’au 1er octobre c’est-à-dire à la déposition du projet de loi de finance à l’Assemblée sous la surveillance de la Commission Européenne parce-que je vois mal la gestion de l’Etat sans loi de finance.]

      Ce n’est même pas évident. Déjà on entend des voix pour dire que finalement on pourrait s’affranchir de l’obligation constitutionnelle de déposer un projet de loi de finances au 1er octobre. Vous savez, comme disait le regretté Pompidou, « passées les bornes, il n’y a plus de limites ». Notre classe politique est en train de découvrir qu’on peut parfaitement s’affranchir des règles et des usages sans que la sanction ne vienne. Pourquoi se gêner, alors ? Si aucun projet de loi de finances ne se trouve sur le bureau de l’Assemblée le 1er octobre, que se passera-t-il, à votre avis ?

  9. Je ne peux m’empêcher face à la situation que vous décrivez si bien de me repasser mentalement le film de Fassbinder, “Welt am Draht”. Il y a dans ce film tiré d’un roman d’anticipation qui s’appelle Simulacron (à peu près au même moment Escarpit écrivait Le littératron) un univers créé par des publicitaires pour tester des produits sur les consommateurs – le temps se déroulant plus rapidement -, ce dont les cobayes n’ont aucune conscience. Les ingénieurs ont créé un cadre et font varier les contraintes, bien évidemment ceux qui y vivent se pensent “libres” (il parait que ce film a inspiré Matrix). Les personnages qui par accident ont pu avoir un aperçu hors de la caverne tentent de rejoindre l’univers supérieur (qui lui même s’avère programmé par un univers supérieur). Y aurait-il en ce moment un début de perception de déréalisation de l’univers commun face au spectacle de l’impuissance politique généralisée dans un carcan qui transforme une “attente” en ready made Beckettien ? La vraie attente est celle d’un Deus ex Machina qui peut venir de l’Est ou d’un peu plus à l’Ouest comme dirait Tournesol… Un “analyste” de télévision que je ne connaissais pas en était d’ailleurs il y a quelques jours à quasiment espérer que le front ukrainien s’effondre car alors il faudrait bien une coalition pour décider d’entrer en guerre l’autre solution étant “les marchés financiers” (scène hallucinante qui m’évoque les programmateurs déments du film de Fassbinder).
    Y-a-t-il moyen de casser le jeu ? Dès la campagne des législatives je disais (poétiquement) que le seul enjeu rationnel d’une telle élection devrait être d’élire des députés, quel que soit leur bord, s’engageant à destituer Macron. Car face au grand diviseur (je ne sais pas si les gens se rendent compte au quotidien combien sa stratégie de division de la cohésion nationale fonctionne), le grand diviseur étant le Diable d’ailleurs, le pays peut encore s’unir sur un objectif, et c’est d’ailleurs la seule volonté exprimée dans les urnes, en finir avec Macron. Un objectif commun, non partisan, ça ferait du bien, un moment d’unité nationale… D’ailleurs la dernière fois que c’est arrivé, c’était en 2005. Macron étant la Créature des docteurs Frankenstein de 2007 (et il n’est pas sûr que les coûtures de morceaux de “en même temps” soient définitivement cicatrisées), de vraies mobilisations pour que les représentants se fassent intermédiaires de la souveraineté nationale qui appartient au peuple pourraient contribuer à une “clarification”. Car après tout, l’homme qui ouvre les portes du palais du Roi Soleil aux Gafam, rêve d’une “souveraineté européenne” se substituant à la souveraineté populaire (le voilà le cahngement de régime) s’il est parjure, ce n’est que très accessoirement par le choix ou le non choix d’un premier ministre. N’en déplaise l’acte d’accusation pourrait être beaucoup plus chargé… Un régicide tranquille me semble le seul objectif rationnel avant que le Deux ex machina catalyse définitivement “la seule politique possible” avec sans doute un nouveau personnel politique socialisé à Bruxelles et ailleurs qui serait un peu l’aquivalent des ingénieurs sociaux de Fassbinder lorsqu’ils vont régler les bugs surgissant dans l’univers qu’ils ont programmé…

    • Descartes dit :

      @ Musée de l’Europe

      [Y aurait-il en ce moment un début de perception de déréalisation de l’univers commun face au spectacle de l’impuissance politique généralisée dans un carcan qui transforme une “attente” en ready made Beckettien ?]

      Il y a certainement un effet de déréalisation, d’abord au niveau de la classe politique. On voit aujourd’hui les politiques se comporter comme si leurs actions n’avaient pas d’effet sur la réalité. LFI illustre cette déréalisation jusqu’à la caricature, ses dirigeants semblant confondre l’Assemblée nationale avec une assemblée étudiante – pensez au temps consacré au débat sur la question palestinienne, sujet sur lequel leurs actions n’ont aucun effet, et le temps consacré aux questions économiques et sociale, sur lesquels ils pourraient avoir une influence. Et ce n’est pas mieux ailleurs : alors que le processus de préparation du budget a déraillé, qu’une procédure pour déficit excessif est en route à Bruxelles, personne ne semble particulièrement inquiet. En fait, tout se passe comme si les politiques vivaient dans un univers fait « de bruit et de fureur », pendant qu’en dehors d’eux le pays continue à fonctionner tout seul, presque par inertie. Les salaires continuent à être payés, les supermarchés à être approvisionnés, l’électricité sort de la prise et les trains arrivent à l’heure.

      [La vraie attente est celle d’un Deus ex Machina qui peut venir de l’Est ou d’un peu plus à l’Ouest comme dirait Tournesol… Un “analyste” de télévision que je ne connaissais pas en était d’ailleurs il y a quelques jours à quasiment espérer que le front ukrainien s’effondre car alors il faudrait bien une coalition pour décider d’entrer en guerre l’autre solution étant “les marchés financiers” (scène hallucinante qui m’évoque les programmateurs déments du film de Fassbinder).]

      Oui, parce que tout le monde se rend compte que déréalisation ne peut pas durer, qu’à force la réalité va revenir au galop. Tout le monde sent confusément qu’à force de ne pas être gouvernés il va finir par se passer des choses. On ne sait pas très bien lesquelles, mais on n’est pas rassurés. La référence permanente aux années 1930 n’est pas à mon avis une coïncidence. Lorsqu’on relit ceux qui ont décrit l’époque, on retrouve cette forme de « déréalisation », avec une classe politique qui faisait ses petites affaires inconscientes des tempêtes qui étaient en train de se lever.

      [Y-a-t-il moyen de casser le jeu ? Dès la campagne des législatives je disais (poétiquement) que le seul enjeu rationnel d’une telle élection devrait être d’élire des députés, quel que soit leur bord, s’engageant à destituer Macron. Car face au grand diviseur (je ne sais pas si les gens se rendent compte au quotidien combien sa stratégie de division de la cohésion nationale fonctionne), le grand diviseur étant le Diable d’ailleurs, le pays peut encore s’unir sur un objectif, et c’est d’ailleurs la seule volonté exprimée dans les urnes, en finir avec Macron.]

      Je crains que vous vous trompiez de cible. Macron est moins une cause qu’un symptôme. Pourquoi arrive-t-il au pouvoir ? Avant lui, la gauche « raisonnable » et la droite « raisonnable » perdent une bonne partie de leur énergie à se différentier pour pouvoir se succéder au gouvernement, alors qu’une fois arrivés ils font les mêmes politiques. Marcon réalise la grande ambition des classes intermédiaires, c’est-à-dire, le dépassement de ces coûteux conflits gauche/droite. Grâce à lui, la « gauche raisonnable » et la « droite raisonnable » gouvernent ensemble pour le plus grand bien du « bloc dominant ». Il est injuste de dire que Macron est « le grand diviseur ». La division, c’est-à-dire la scission entre le « bloc dominant » – classes intermédiaires et bourgeoisie – et les couches populaires est un processus long, qui commence dans les années 1980 et se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Macron est le PRODUIT de cette scission, et non l’AUTEUR. Sa destitution ne changerait rien : qui verriez-vous à sa place ?

      [Un objectif commun, non partisan, ça ferait du bien, un moment d’unité nationale…]

      Un objectif « négatif » n’est qu’un feu de paille. Supposez un instant que ce mouvement réussit, et que Macron est destitué. Et ensuite ? Combien de temps durerait votre « unité nationale » lorsqu’il s’agirait de lui trouver un successeur et de gouverner le pays ?

      [D’ailleurs la dernière fois que c’est arrivé, c’était en 2005.]

      Justement. Et combien cela a duré ? L’unité pour dire « non » au TCE n’a pas pu se transformer en unité pour dire « oui » à un autre programme. Il faut apprendre de cette expérience, que nous avons d’ailleurs réédité en juillet dernier : la coalition du « non au RN » est incapable de dire « oui » à quoi que ce soit. La difficulté n’est pas liée à la personne de Macron, mais à une difficulté structurelle, celle qui crée un rapport de forces massivement défavorable aux couches populaires.

      [Macron étant la Créature des docteurs Frankenstein de 2007 (et il n’est pas sûr que les coûtures de morceaux de “en même temps” soient définitivement cicatrisées), de vraies mobilisations pour que les représentants se fassent intermédiaires de la souveraineté nationale qui appartient au peuple pourraient contribuer à une “clarification”.]

      Mais qui voulez-vous « mobiliser » ? Les couches populaires sont pleinement conscientes du rapport de forces, et après quarante ans de batailles perdues il n’est pas facile de les faire sortir dans la rue. Les classes intermédiaires, elles, sont très satisfaites du système tel qu’il est. Alors, qui allez-vous mobiliser, et sur quelle exigence ? La démission de Macron ? Cela fera certainement plaisir à beaucoup de monde, mais son remplaçant ne vaudra pas mieux que lui. Un projet ? Quel est le projet qui aujourd’hui peut mobiliser au point d’inverser le rapport de forces ?

      Il faut tirer les leçons de l’expérience. Le mouvement des « gilets jaunes » a parfaitement illustré le problème. Voici un mouvement qui a mobilisé réellement une partie des couches populaires, mais qui n’a pas trouvé de traduction politique. Pourquoi ? Parce que les gens qui ont participé ont très bien compris que les organisations politiques, noyautées par les classes intermédiaires, ne songeaient qu’à récupérer le mouvement, mais certainement pas à satisfaire ses revendications.

      [Car après tout, l’homme qui ouvre les portes du palais du Roi Soleil aux Gafam, rêve d’une “souveraineté européenne” se substituant à la souveraineté populaire (le voilà le changement de régime) s’il est parjure,]

      Mais pensez-vous qu’il soit le seul à abriter ces rêves ? Est-ce que ces rêves ne sont pas aussi ceux d’une bloc de classe qui, que cela nous plaise ou pas, a les rapports de forces en sa faveur ?

      L’idée d’un “deus ex machina” qui nous sorte de ce marasme vient je pense de la conscience que seule une modification structurelle du rapport de forces peut nous sortir du marasme actuel, et qu’une telle modification ne peut venir que d’un changement “catastrophique”.

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        Peut-on savoir ce que vous avez en tête quand vous écrivez “La référence permanente aux années 1930 n’est pas à mon avis une coïncidence” ?

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Peut-on savoir ce que vous avez en tête quand vous écrivez “La référence permanente aux années 1930 n’est pas à mon avis une coïncidence” ?]

          Je trouve une intéressante ressemblance entre le climat des années 1930 et ce qui se passe aujourd’hui. Non pas au niveau du discours habituel sur la montée de l’extrême droite, mais dans l’inconscience d’une classe politique qui avait du mal à regarder les choses en face, à prendre conscience du caractère tragique de la réalité. La joie des congés payés et des 40 heures était contemporaine de la guerre civile espagnole et du réarmement allemand. Pourtant, on ne garde pas en mémoire l’expression de Blum et de ses alliés sur ces questions. On sait tout au plus que le ministre de l’air, Jean-Pierre Cot, a aidé clandestinement les républicains, mais c’est à peu près tout.

  10. Spinoza dit :

    Comme vous le remarquez, j’ai été induit en erreur sur le sens de votre pensée par le terme « siéger », que j’entends au sens large par « exercice de l’activité parlementaire » – incluant débat et vote – ainsi que par l’apparent oubli de la dimension agonistique de cette activité. C’est désormais plus clair. Vous invitez donc les députés LFI a minima à la cohérence : soit serrer la main des députés RN, soit refuser toute discussion avec eux, bien que les débats à l’Assemblée risquent d’être concrètement difficiles à tenir si certains groupes refusent de s’adresser la parole entre eux. La cohérence impliquerait alors également de refuser tout rapport avec un député se prévalant de l’héritage mitterrandien – là vous provoquez une erreur système mais c’est une autre question – .
     
    A cette demande de cohérence vous allez plus loin en considérant que le RN étant, jusqu’ici du moins, resté « dans le cadre admissible », il convient de saluer ses députés. Et il faudrait le faire quand bien même son programme comprendrait la réouverture de camps de concentration, du moment qu’il utiliserait des voies légales ou légitimes pour y parvenir.
     
    En ce qui concerne les lois de la guerre, je connaissais bien sûr leur existence, c’est pourquoi je prenais soin de me placer dans une hypothèse où les adversaires ne les respectent pas.
     
    Je vous remercie pour tous ces éléments qui vont me donner à réfléchir.
     
    En revanche l’anecdote sur Thatcher me laisse perplexe. Qu’un député ouvrier accorde à Thatcher le respect minimal dû à l’adversaire, très bien. De là à chercher à faire briller une femme qui a causé tant de souffrances, il y a un pas que je n’aurais pas pu franchir sans manquer à mon devoir vis-à-vis de la classe que je suis chargé de représenter. Je ne suis pas tellement surpris sachant ce que je sais du parti travailliste des années 90, mais je ne comprends pas bien que cela vous ait impressionné, si vous entendez par là que cela vous a inspiré un sentiment favorable.
     

    • Descartes dit :

      @ Spinoza

      [C’est désormais plus clair. Vous invitez donc les députés LFI a minima à la cohérence : soit serrer la main des députés RN, soit refuser toute discussion avec eux, bien que les débats à l’Assemblée risquent d’être concrètement difficiles à tenir si certains groupes refusent de s’adresser la parole entre eux.]

      Derrière ce choix, il a la question de savoir à quoi sert le débat parlementaire. S’il s’agit simplement pour chacun de dire sa position, alors il suffirait d’afficher des déclarations sur un site internet, et on pourrait économiser pas mal d’argent. Si on suppose que le débat consiste à échanger des arguments et des contre arguments qui peuvent infléchir des positions, alors, il faut admettre chez l’autre un minimum de bonne foi et de rationalité. Et cette reconnaissance se matérialise par des gestes de courtoisie élémentaire.

      [La cohérence impliquerait alors également de refuser tout rapport avec un député se prévalant de l’héritage mitterrandien – là vous provoquez une erreur système mais c’est une autre question – .]

      Vous admettrez que l’amnésie sélective de la gauche à ce propos est proprement ahurissante. Des gens qui sont capables de vous citer par le menu les mauvaises rencontres de Marine Le Pen n’ont plus rien à dire quand ils entendent les noms de Bousquet, de Schuller. Les liens de Jean-Marie avec l’OAS sont régulièrement évoqués, ceux de Mitterrand oubliés. Et ne parlons même pas de sa dénonciation du « lobby juif »… Mitterrand était un politicien opportuniste, qui chercha à se placer à chaque étape de sa carrière du « bon » côté – « bon » pour sa carrière, s’entend. Vychissois quand Vichy était l’endroit où l’on faisait carrière – comme il l’a avoué candidement à la fin de sa vie à la caméra de J-P Elkabbach – il devint résistant quand les vents ont tourné, anticommuniste intransigeant pendant la guerre froide, partisan de l’Algérie française quand c’était à la mode, il est devenue icône de la gauche en 1968, lorsqu’il a perçu que le crépuscule du gaullisme ouvrait une possibilité d’alternance. Et une fois au pouvoir, il s’est converti à l’idéologie à la mode, l’européisme libéral. La gauche ne s’est jamais remise d’avoir fait d’un tel personnage une icône…

      [A cette demande de cohérence vous allez plus loin en considérant que le RN étant, jusqu’ici du moins, resté « dans le cadre admissible », il convient de saluer ses députés. Et il faudrait le faire quand bien même son programme comprendrait la réouverture de camps de concentration, du moment qu’il utiliserait des voies légales ou légitimes pour y parvenir.]

      Faut savoir ce que l’on veut : si l’on est démocrate, alors on veut le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Si le peuple veut la réouverture des camps de concentration, on fait quoi ? Mais peut-être que la démocratie n’est un bon système qu’aussi longtemps que le peuple a le bon goût de vouloir ce que nous voulons ?

      [En revanche l’anecdote sur Thatcher me laisse perplexe. Qu’un député ouvrier accorde à Thatcher le respect minimal dû à l’adversaire, très bien. De là à chercher à faire briller une femme qui a causé tant de souffrances, il y a un pas que je n’aurais pas pu franchir sans manquer à mon devoir vis-à-vis de la classe que je suis chargé de représenter.]

      Prenons un exemple : comme chef de service, j’ai été invité à des pots de départ à la retraite de collaborateurs que je n’aimais pas, que je considérais comme des mauvais travailleurs ou des mauvais camarades, et que j’étais ravi de voir partir. Et pourtant, j’ai fait le discours convenu du « on va beaucoup te regretter ». Pensez-vous que j’aurais dû laisser la chaise vide, ou manifester dans mon discours mon bonheur de le voir partir – bonheur partagé par une bonne partie des présents ? Bien sur que non : il y a des conventions à respecter. On ne dit que du bien des morts, on fait mine de regretter celui qui part. Thatcher était, à ce moment-là, un mort politique. Du point de vue politique, il n’y avait plus aucun avantage à taper dessus.

      Mais il y a autre chose. On peut détester Thatcher pour ses idées, et l’admirer pour ses qualités politiques. Car il faut lui reconnaître ses qualités de « technicienne » : son honnêteté politique (elle a toujours défendu ses idées, sans jamais chercher à les cacher, et c’est d’ailleurs son refus de concilier les conservateurs pro-Europe qui a entraîné sa chute) ; c’était une parlementaire remarquable, et ses interventions dans le débat sont remarquables. Le tribut qui lui a été rendu était celui d’un technicien à un autre…

      [Je ne suis pas tellement surpris sachant ce que je sais du parti travailliste des années 90, mais je ne comprends pas bien que cela vous ait impressionné, si vous entendez par là que cela vous a inspiré un sentiment favorable.]

      Je vous raconte ce que j’ai vu. Je ne juge pas, j’essaye de comprendre. Je pense qu’il y a en Grande Bretagne une conscience très aigüe de l’importance des formes, des choses « qui se font » et des choses « qui ne se font pas », et une crainte que le fait de s’en écarter plonge la société dans le chaos. Cela suppose bien sur une forme d’hypocrisie.

      • Spinoza dit :

        [Prenons un exemple : comme chef de service, j’ai été invité à des pots de départ à la retraite de collaborateurs que je n’aimais pas, que je considérais comme des mauvais travailleurs ou des mauvais camarades, et que j’étais ravi de voir partir. Et pourtant, j’ai fait le discours convenu du « on va beaucoup te regretter ». Pensez-vous que j’aurais dû laisser la chaise vide, ou manifester dans mon discours mon bonheur de le voir partir – bonheur partagé par une bonne partie des présents ? Bien sur que non : il y a des conventions à respecter. On ne dit que du bien des morts, on fait mine de regretter celui qui part. Thatcher était, à ce moment-là, un mort politique. Du point de vue politique, il n’y avait plus aucun avantage à taper dessus.
        Mais il y a autre chose. On peut détester Thatcher pour ses idées, et l’admirer pour ses qualités politiques. Car il faut lui reconnaître ses qualités de « technicienne » : son honnêteté politique (elle a toujours défendu ses idées, sans jamais chercher à les cacher, et c’est d’ailleurs son refus de concilier les conservateurs pro-Europe qui a entraîné sa chute) ; c’était une parlementaire remarquable, et ses interventions dans le débat sont remarquables. Le tribut qui lui a été rendu était celui d’un technicien à un autre…]
         
        Si je transpose le raisonnement à l’exemple du pot de départ, cela donnerait ceci : Rappeler sans emphase les qualités du collaborateur indésirable – tout le monde en a forcément, si petites et banales soient-elles, donc pas besoin de mentir -, taire les défauts, noyer un peu le poisson tout en évitant les mensonges du genre « on va beaucoup te regretter ». En bref, il me semble qu’on peut à la fois éviter l’hypocrisie et le manque de respect à la personne indésirable. Si l’usage est de rappeler les bons côtés de celui qui part, alors soit, respectons l’usage de manière juste suffisante pour éviter l’affront, mais n’allons pas plus loin. Aller plus loin, c’est selon moi à la fois manquer de respect aux collaborateurs qui méritent réellement les éloges, dévaloriser le travail du service et dévaloriser sa propre parole.
         
        Quant à l’éloge des qualités de technicien, je suis sceptique également. Si vous me questionnez sur ce point précis, je pourrais le cas échéant reconnaître qu’un voyou m’a agressé dans la rue au moyen d’un coup de pied parfaitement éxécuté techniquement. Cependant, si vous me demandez un jugement global sur son action, ce ne sera certainement pas positif.
         
        Donc je maintiens : simple respect des conventions envers ceux que l’on juge globalement négativement, mise en valeur réelle de ceux que l’on juge globalement positivement. Et je ne vois pas comment le bilan de Thatcher pourrait être globalement positif au yeux d’un défenseur réel des classes populaires.
         
        [Je vous raconte ce que j’ai vu. Je ne juge pas, j’essaye de comprendre. Je pense qu’il y a en Grande Bretagne une conscience très aigüe de l’importance des formes, des choses « qui se font » et des choses « qui ne se font pas », et une crainte que le fait de s’en écarter plonge la société dans le chaos. Cela suppose bien sur une forme d’hypocrisie.]
         
        La question est donc de savoir si les députés travaillistes que vous avez vus se sont limités strictement aux choses « qui se font », ou s’ils sont allés au-delà. Dans le premier cas je n’aurais rien à redire, dans le second j’y verrais une forme de trahison vis-à-vis de leur classe, c’est-à-dire le genre de choses « qui ne se font pas ».
         

        • Descartes dit :

          @ Spinoza

          [Si je transpose le raisonnement à l’exemple du pot de départ, cela donnerait ceci : Rappeler sans emphase les qualités du collaborateur indésirable – tout le monde en a forcément, si petites et banales soient-elles, donc pas besoin de mentir -, taire les défauts, noyer un peu le poisson tout en évitant les mensonges du genre « on va beaucoup te regretter ». En bref, il me semble qu’on peut à la fois éviter l’hypocrisie et le manque de respect à la personne indésirable.]

          Je pense qu’hypocrisie n’est pas le bon mot. C’est une convention. Personne n’est dupe de ce genre de discours, tout le monde – le récipiendaire comme ses collègues – sait que ce genre de discours est purement conventionnel. Si la personne était VRAIMENT appréciée, il y a d’autres moyens codés pour le dire. Ce que je veux vous dire, c’est que cela fait partie d’un rituel.

          [Quant à l’éloge des qualités de technicien, je suis sceptique également. Si vous me questionnez sur ce point précis, je pourrais le cas échéant reconnaître qu’un voyou m’a agressé dans la rue au moyen d’un coup de pied parfaitement exécuté techniquement. Cependant, si vous me demandez un jugement global sur son action, ce ne sera certainement pas positif.]

          Mais le voyou et vous n’appartenez pas à la même corporation. C’est là une différence importante. Quand on fait un même métier, on peut respecter quelqu’un qu’on considère un « bon ouvrier » sans nécessairement partager ses buts – voire en les trouvant détestables. Vous trouverez des généraux français qui parlaient avec admiration d’un Guderian ou d’un Rommel – et s’ils les avaient faits prisonniers, leur auraient accordé les honneurs.

          [Et je ne vois pas comment le bilan de Thatcher pourrait être globalement positif au yeux d’un défenseur réel des classes populaires.]

          Ce n’est pas une question de bilan. Je peux admirer la fermeté, la sincérité, l’honnêteté d’une personne quand bien même elle aurait des convictions opposées aux miennes.

          • Spinoza dit :

            [Je pense qu’hypocrisie n’est pas le bon mot. C’est une convention. Personne n’est dupe de ce genre de discours, tout le monde – le récipiendaire comme ses collègues – sait que ce genre de discours est purement conventionnel. Si la personne était VRAIMENT appréciée, il y a d’autres moyens codés pour le dire. Ce que je veux vous dire, c’est que cela fait partie d’un rituel.]
             
            Si l’on définit l’hypocrisie comme le comportement de quelqu’un qui exprime des opinions ou sentiments contraires à ceux qu’il a réellement, alors dire « on va beaucoup te regretter » à quelqu’un que l’on est en réalité heureux de voir partir me semble un exemple paradigmatique d’hypocrisie. En admettant que le rituel consiste à dire textuellement « on va beaucoup te regretter » à chaque départ – comme dit plus haut je pense qu’il est possible de s’en sortir sans avoir à dire exactement cette phrase, mais passons -, alors le rituel exige de vous l’hypocrisie chaque fois que vous ne regrettez pas le destinataire du discours.
            Le point important est celui-ci : vous reconnaissez vous-même qu’il existe des moyens codés pour montrer une appréciation réelle ; ma position est que ces moyens codés, eux, ne doivent pas être utilisés hypocritement.
             
             
             
            [Mais le voyou et vous n’appartenez pas à la même corporation. C’est là une différence importante. Quand on fait un même métier, on peut respecter quelqu’un qu’on considère un « bon ouvrier » sans nécessairement partager ses buts – voire en les trouvant détestables. Vous trouverez des généraux français qui parlaient avec admiration d’un Guderian ou d’un Rommel – et s’ils les avaient faits prisonniers, leur auraient accordé les honneurs.]
             
            Le résultat ne change pas si la victime est elle-même karateka et que le coup de pied qu’elle a reçu atteste du haut niveau en karaté de son auteur.
             
            [Ce n’est pas une question de bilan. Je peux admirer la fermeté, la sincérité, l’honnêteté d’une personne quand bien même elle aurait des convictions opposées aux miennes.]
             
            Pour l’exécution du rituel, pas besoin de tenir compte du bilan effectivement, puisque le rituel est dû à quiconque est resté dans le cadre commun. En revanche, rendriez vous un hommage sincère à un collaborateur, montrant à cette personne qu’elle était VRAIMENT appréciée – selon votre formule -, si, tout en lui reconnaissant certaines qualités, vous jugiez le bilan de son action dans votre service globalement plus négatif que positif ? Si vous identifiiez cette personne comme cause de la dégradation du service pris globalement, bien qu’il ait pu s’améliorer légèrement sur certains détails ?
            Pourquoi rendre un hommage réel, et non juste rituel, à quelqu’un que toutes ses qualités de technicité et d’honnêteté n’ont pas empêché de conduire le pays à un désastre ?
             

            • Descartes dit :

              @ Spinoza

              [« Je pense qu’hypocrisie n’est pas le bon mot. C’est une convention. Personne n’est dupe de ce genre de discours, tout le monde – le récipiendaire comme ses collègues – sait que ce genre de discours est purement conventionnel. Si la personne était VRAIMENT appréciée, il y a d’autres moyens codés pour le dire. Ce que je veux vous dire, c’est que cela fait partie d’un rituel. » Si l’on définit l’hypocrisie comme le comportement de quelqu’un qui exprime des opinions ou sentiments contraires à ceux qu’il a réellement, alors dire « on va beaucoup te regretter » à quelqu’un que l’on est en réalité heureux de voir partir me semble un exemple paradigmatique d’hypocrisie.]

              Mais peut-on définir l’hypocrisie comme le fait de « exprime des opinions ou sentiments contraires à ceux qu’il a réellement » ? C’est le mot « exprimer » qui pose problème. Lorsqu’on emploie une formule rituelle, qu’exprime-t-on vraiment ? Lorsque je dis « bonjour » à ma boulangère, suis-je en train d’exprimer mon souhait qu’elle ait une bonne journée, ou bien suis-je en train d’exprimer mon adhésion à une certaine forme de sociabilité ? Lorsque quelqu’un m’annonce la mort de sa belle-mère, que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam, mon réflexe automatique est de dire « je suis désolé », alors que je n’ai aucune raison de l’être, puisque je ne connais pas la personne décédée et je ne sais même pas si celui qui m’annonce sa mort y trouve un motif de désolation ou de réjouissance. Suis-je un « hypocrite » pour autant ? Non, je me contente d’une formule toute faite. Cette formule, comme le « bonjour » à ma boulangère, n’exprime pas ce qu’elle veut dire, mais l’adhésion aux conventions sociales.

              [En admettant que le rituel consiste à dire textuellement « on va beaucoup te regretter » à chaque départ – comme dit plus haut je pense qu’il est possible de s’en sortir sans avoir à dire exactement cette phrase, mais passons -, alors le rituel exige de vous l’hypocrisie chaque fois que vous ne regrettez pas le destinataire du discours.]

              Un « rituel », par définition, exclut « l’hypocrisie », puisque dans un rituel les mots ne signifient pas ce qu’ils signifient habituellement. Quand, dans un pot de départ, je dis à un collègue que je déteste « on te regrettera », je n’exprime rien d’autre que l’adhésion à une forme de politesse.

              [« Mais le voyou et vous n’appartenez pas à la même corporation. C’est là une différence importante. Quand on fait un même métier, on peut respecter quelqu’un qu’on considère un « bon ouvrier » sans nécessairement partager ses buts – voire en les trouvant détestables. Vous trouverez des généraux français qui parlaient avec admiration d’un Guderian ou d’un Rommel – et s’ils les avaient faits prisonniers, leur auraient accordé les honneurs. » Le résultat ne change pas si la victime est elle-même karateka et que le coup de pied qu’elle a reçu atteste du haut niveau en karaté de son auteur.]

              Quand vous vous confrontez à votre voyou, vous vous confrontez à lui en tant que voyou, pas en tant que karateka. Même si vous pratiquez le même sport, cela ne fait pas de vous un membre de la même « corporation ». Si vous vous confrontez à lui en tant que karatéka, sur un tatami, et qu’il vous bat, vous pouvez quand même l’admirer. J’ajoute que même dans la situation que vous évoquez, je pense que vous faites erreur. Si vous êtes informaticien et un pirate informatique pirate votre ordinateur d’une façon particulièrement habile, vous pouvez sentir de l’admiration pour lui. Je vous parle d’un cas réel.

              [En revanche, rendriez-vous un hommage sincère à un collaborateur, montrant à cette personne qu’elle était VRAIMENT appréciée – selon votre formule -, si, tout en lui reconnaissant certaines qualités, vous jugiez le bilan de son action dans votre service globalement plus négatif que positif ? Si vous identifiiez cette personne comme cause de la dégradation du service pris globalement, bien qu’il ait pu s’améliorer légèrement sur certains détails ?]

              Oui, bien sûr. Je me souviens d’avoir eu un collaborateur qui était charmant, toujours prêt à aider, toujours de bonne volonté. Mais qui – par malchance ou par distraction, difficile à savoir – a laissé derrière lui un sillage de catastrophes, de petites catastrophes, mais catastrophes tout de même. Pourtant, il était très apprécié de ses collègues – qui faisaient tout leur possible pour couvrir ses bévues. On était content de l’avoir dans le service, et tout le monde a été vraiment désolé lorsqu’il est parti.

              [Pourquoi rendre un hommage réel, et non juste rituel, à quelqu’un que toutes ses qualités de technicité et d’honnêteté n’ont pas empêché de conduire le pays à un désastre ?]

              Napoléon ?

  11. Pierre dit :

    “Ce qui frappe dans cette situation, c’est la passivité des Français. En d’autres temps, pour moins que ça, on aurait eu les barricades.”
    Certes, mais depuis on a :
    – le salariat, les subventions et les crédits divers et variés : difficile de se révolter lorsqu’on a quelque chose à perdre ;
    – le contrôle de l’information (enseignement, médias et réseaux sociaux) : difficile de se révolter lorsqu’on ne sait pas / plus qu’on se fait entuber (désolé pour la trivialité) ;
    – et les LBD, comparutions immédiates et mise à l’index pour les plus énervés / mal-comprenants, permettant l’élimination rapide de toute déviance de la norme définie.

    • Descartes dit :

      @ Pierre

      [« Ce qui frappe dans cette situation, c’est la passivité des Français. En d’autres temps, pour moins que ça, on aurait eu les barricades. » Certes, mais depuis on a : – le salariat, les subventions et les crédits divers et variés : difficile de se révolter lorsqu’on a quelque chose à perdre ;]

      Pensez-vous vraiment qu’en 1830 les gens « n’avaient rien à perdre » ? Je pense qu’il y a là une vision misérabiliste du passé qui ne correspond pas à la réalité. Sauf dans les sociétés qui sont à la limite de la survie, les gens ont toujours quelque chose à perdre. Et les sociétés les plus réactives ne sont pas forcément les plus pauvres. Et puis, que faites-vous des barricades de 1968 ? Les Cohn-Bendit, les Sauvageot « n’avaient rien à perdre » ?

      [– le contrôle de l’information (enseignement, médias et réseaux sociaux) : difficile de se révolter lorsqu’on ne sait pas / plus qu’on se fait entuber (désolé pour la trivialité) ;]

      Le contrôle de l’information était bien plus étroit en 1789 ou en 1930 qu’il ne l’est aujourd’hui. Je vous rappelle que les publications sont soumises à censure préalable jusqu’à la promulgation de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, que l’enseignement était strictement contrôlé par l’église.

      [– et les LBD, comparutions immédiates et mise à l’index pour les plus énervés / mal-comprenants, permettant l’élimination rapide de toute déviance de la norme définie.]

      Encore une fois, faut garder le sens des proportions. Jusqu’aux années 1950, on a tiré sur les barricades et les manifestations à balles réelles. A côté de la répression des grèves insurrectionnelles de 1947 – et ne parlons même pas de 1830 ou de la Commune de 1870. Comparer les balles réelles et les déportations à Cayenne ou en Nouvelle Calédonie avec « les LBD et les comparutions immédiates », c’est franchement comique.

      • bernard dit :

        Bonsoir 
        Se révolter pour quoi faire et pour qui mettre au pouvoir 

        • Descartes dit :

          @ bernard

          [Se révolter pour quoi faire et pour qui mettre au pouvoir]

          Vaste question. J’ai cru comprendre qu’un peu moins de 30% des électeurs ont voté pour le projet du NFP. Pourquoi ne pas sortir pour exiger Castets à Matignon et l’application du programme du NFP ? Je ne vais pas vous dire que ce que je ferai – je n’ai pas voté pour le NFP – mais si le NFP a des partisans séduits par son programme, je me dis qu’ils pourraient se manifester autrement que dans les urnes…

          Ce que je voulais souligner, c’est la passivité des Français, le fait qu’ils ne sont pas vraiment motivés par la politique. Oui, ils sont prêts à se déplacer pour voter, mais ensuite ils s’en désintéressent. Je ne suis pas sûr que la saga de la nomination du premier ministre intéresse grand monde en dehors des militants et des cadres politiques. Et c’est logique : l’expérience a montré que quelque soit le résultat des élections, on se retrouve sur l’essentiel avec les mêmes politiques.

  12. Cording1 dit :

    La société n’est pas immature mais choisit des dirigeants en fonction de l’offre présentée, la moins mauvaise qu’il y paraît. Lorsque le débat en vaut la peine elle se mobilise beaucoup telle la campagne référendaire de 2005 puis contre la “réforme” des retraites façon Borne-Macron.
    La trahison des élites est une constante de notre histoire nationale, depuis 2005 nous y sommes. 

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [La société n’est pas immature (…)]

      Je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Je pense que nous vivons dans une société qui non seulement est infantile, mais est fière de l’être. Combien de fois j’ai entendu dans les médias l’injonction à « garder son âme d’enfant », combien de personnalités politiques ou artistiques qui insistent sur leur capacité à garder « l’âme » en question ? N’avez-vous pas remarqué combien la jeunesse et l’inexpérience deviennent des valeurs cardinales à l’heure de choisir des représentants politiques ?

      Mais plus profondément, on voit ces comportements partout. Les gens exigent qu’on leur prenne la main. A l’Université, il faut faire des séances pour expliquer aux étudiants comment circuler dans le campus et où sont les salles, sans quoi ils se perdent. En cours, ils ont des comportements dignes de l’école primaire. Au travail, on ne peut plus dire à quelqu’un qu’un travail est mal fait sans qu’il se mette à pleurer. Et puis on a partout cette logique de la « toute-puissance » infantile, qui fait qu’on se fait plaisir sans penser aux conséquences.

      [mais choisit des dirigeants en fonction de l’offre présentée, la moins mauvaise qu’il y paraît.]

      La politique, ce n’est pas le supermarché. Les citoyens ne sont pas réduits à choisir parmi « l’offre présentée ». Ils ont aussi la faculté de militer dans un parti politique et d’être eux-mêmes candidats. La désaffection massive pour le militantisme politique – et le transfert vers le militantisme dans les ONG – est un phénomène peu analysé, et qui mériterait à mon avis qu’on s’y penche. J’y vois là aussi une forme d’infantilisme.

      Lorsque le débat en vaut la peine elle se mobilise beaucoup telle la campagne référendaire de 2005 puis contre la “réforme” des retraites façon Borne-Macron.]

      Vous noterez que dans les deux cas la mobilisation portait sur le REJET d’une mesure. Elle n’avait pas pour but de soutenir un projet…

      [La trahison des élites est une constante de notre histoire nationale, depuis 2005 nous y sommes.]

      Il faudrait s’entendre sur ce qu’on appelle les « élites ».

      • Cording1 dit :

        Certes mais elle n’est pas si immature que vous le dîtes, elle conserve une conscience politique lorsque les enjeux en valent la peine ce qui est rarement le cas. Le Français est un peuple politique. Il me revient en mémoire le propos du sociologue Jean-Pierre Le Goff qui dit que nous avons affaire à un peuple “adulescent”. Avec Macron nous avons vu les effets d’un président jeune et immature, peut-être, pas seulement au plan politique. Son inexpérience politique nous était vendue comme un gage de renouveau, bien trompeur.
        Une expérience récente à l’université tend à vous donner raison et même plus dans la mesure où les enseignants se mettaient au niveau des élèves et tachaient de faire en sorte que leurs notes ne soient pas trop basses mais au niveau suffisant pour passer à un stade supérieur d’études.  Ce sont des générations perdues issues d’un système scolaire en perdition lui aussi.
        Malheureusement mais il faut parler de l’offre politique qui se réduit au cercle de la raison selon Alain Minc. On ne vote plus pour un candidat et son projet mais contre le candidat adverse quand on vote puisque la participation aux élections se réduit depuis des décennies en raison de fausses alternances ou alternances sans alternatives.  Quant à militer dans un parti politique ne sert plus qu’à la promotion de son chef et de son équipe dirigeante, il n’y a plus de réflexion interne ou alors elle est malvenue et on est marginalisé. Là aussi une récente expérience personnelle.

        • Descartes dit :

          @ Cording1

          [Certes mais elle n’est pas si immature que vous le dîtes, elle conserve une conscience politique lorsque les enjeux en valent la peine ce qui est rarement le cas. Le Français est un peuple politique.]

          Mais… l’un n’empêche pas l’autre. On peut être « politique » et « immature ». Pensez aux soixante-huitards…

          [Il me revient en mémoire le propos du sociologue Jean-Pierre Le Goff qui dit que nous avons affaire à un peuple “adulescent”. Avec Macron nous avons vu les effets d’un président jeune et immature, peut-être, pas seulement au plan politique. Son inexpérience politique nous était vendue comme un gage de renouveau, bien trompeur.]

          Exactement. Je partage tout à fait la démonstration de Le Goff. On est d’accord que Macron était jeune et immature. Mais il a quand même été élu. On peut donc se poser la question de la maturité de la société qui se donne un tel président.

          [Malheureusement mais il faut parler de l’offre politique qui se réduit au cercle de la raison selon Alain Minc.]

          Oui, parce que le rapport de forces est tellement défavorable aux couches populaires qu’aucune autre offre politique n’est véritablement crédible.

          [Quant à militer dans un parti politique ne sert plus qu’à la promotion de son chef et de son équipe dirigeante, il n’y a plus de réflexion interne ou alors elle est malvenue et on est marginalisé. Là aussi une récente expérience personnelle.]

          Mais là encore, les partis sont devenu des écuries électorales parce que les militants l’ont admis !

  13. Erwan dit :

    [Le pays a rejeté clairement et sans ambiguïté les politiques macroniennes. De Gaulle aurait présenté sa démission dans les 24 heures, parce que pour lui « le peuple français est le juge suprême », qu’il était là pour mettre en œuvre un projet, et que cela n’avait pas de sens de rester dès lors que le pays le rejetait.]
     
    Je vais essayer de me faire un peu l’avocat du diable. Peut-être Macron a-t-il estimé que s’il démissionnait, la situation serait à peu près la même, avec une Marine Le Pen au pouvoir sans majorité absolue et condamnée à une cohabitation. En restant au pouvoir, il a au moins une chance de former quelque chose qui lui permette de gouverner.
     
    “La question n’est pas un nom. La question, c’est quelle majorité peut se dégager à l’Assemblée pour qu’un gouvernement de la France puisse passer des réformes, passer un budget et faire avancer le pays”
     
    Je ne dis pas que j’y croie moi-même, ni que je le souhaite, mais c’est peut-être ce qu’il pense.
     
    En fait étant donnée l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, je me dis que le moment est peut-être venu de changer la constitution… Peut être pourrait-on ajouter une contrainte pour que seuls des candidats désignés par des partis et non des mouvements verticaux puissent se présenter à la présidentielle. Une autre contrainte pour interdire les coalitions superficielles. Et bien sûr, l’intégration de ma méthode permettant d’indiquer le degré de rationalité des décisions politiques avant de les voter ou de les appliquer 🙂

    • Descartes dit :

      @ Erwan

      [Je vais essayer de me faire un peu l’avocat du diable. Peut-être Macron a-t-il estimé que s’il démissionnait, la situation serait à peu près la même, avec une Marine Le Pen au pouvoir sans majorité absolue et condamnée à une cohabitation. En restant au pouvoir, il a au moins une chance de former quelque chose qui lui permette de gouverner.]

      Je doute que ce soit le raisonnement de Macron. D’ailleurs, vous noterez que la lecture de la Constitution selon laquelle un président nouvellement élu ne pourrait dissoudre l’Assemblée n’est pas aussi claire que ça. Lors des débats de la commission de rédaction de la constitution, il est clair que l’interdiction de dissoudre l’assemblée dans l’année qui suit une première dissolution a été introduite pour empêcher le président de la République d’utiliser l’arme de la dissolution à répétition pour contourner le vote populaire. Mais ont-ils voulu empêcher un président nouvellement élu de demander au peuple de ratifier son choix en lui donnant une majorité ? Je pense que la réponse est négative. On pourrait argumenter que l’article 12 doit donc être interprété comme interdisant au président de procéder à une « double dissolution », mais pas à un président nouvellement élu de dissoudre quelque soit le temps qui s’est écoulé depuis la dernière dissolution.

      En matière de droit constitutionnel, l’interprétation stricte n’est pas toujours la bonne…

      [“La question n’est pas un nom. La question, c’est quelle majorité peut se dégager à l’Assemblée pour qu’un gouvernement de la France puisse passer des réformes, passer un budget et faire avancer le pays” Je ne dis pas que j’y croie moi-même, ni que je le souhaite, mais c’est peut-être ce qu’il pense.]

      La formulation n’est d’ailleurs pas déraisonnable. Mais il faut être cohérent : si c’était ça le but, alors il fallait demander aux Français de se prononcer sur les réformes, le budget et les manières de faire avancer le pays. Si l’élection s’était joué sur ces sujets, il y aurait une majorité à l’Assemblée. C’est Macron qui, le premier, a fait le numéro du « front républicain ». On a demandé donc les Français non pas de légitimer une majorité, mais de rejeter le RN. On ne peut espérer que le peuple réponde à une question qui ne lui est pas posée…

      [En fait étant donnée l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, je me dis que le moment est peut-être venu de changer la constitution…]

      J’ai envie de faire un papier sur cette question, mais en toute franchise je vois mal le problème avec notre constitution. J’entends partout clamer qu’il faudrait aller vers un régime parlementaire « comme nos voisins européens ». Seulement voilà, on a déjà essayé cela chez nous entre 1947 et 1958, et ça a failli finir en guerre civile. Par ailleurs, le système ne marche pas nécessairement mieux chez nos voisins. Pensez à l’Espagne, où il a fallu dissoudre le parlement plusieurs fois – et pendant ce temps laisser au pouvoir des gouvernements gérant les affaires courantes pour aboutir à une majorité, et encore, une majorité hétéroclite et sans projet. Ou bien la situation Belge, avec des gouvernements sans légitimité qui restent en place des années, faute de mieux.

      L’élection du président au suffrage universel n’est pas une lubie de De Gaulle, elle a été ratifiée par référendum par un peuple fatigué du système des « coalitions » instables. Un système que les politiciens adorent, parce que personne n’y est responsable de rien. Aucune catastrophe ne peut vous être imputé, puisque vous ne restez au pouvoir que quelques mois, et puis tout est la faute de vos camarades de coalition qui ne vous ont pas permis de gouverner comme vous l’entendiez… et vous noterez que ce sont les politiques qui demandent un régime parlementaire. Les citoyens, eux, sont plutôt partisans de la « monarchie présidentielle »…

      [Peut être pourrait-on ajouter une contrainte pour que seuls des candidats désignés par des partis et non des mouvements verticaux puissent se présenter à la présidentielle.]

      Qu’est ce que vous appelez “mouvements verticaux” ?

      • Erwan dit :

        [J’ai envie de faire un papier sur cette question, mais en toute franchise je vois mal le problème avec notre constitution. J’entends partout clamer qu’il faudrait aller vers un régime parlementaire (…)]
         
        Je ne pense pas non plus qu’il faut revenir à un régime parlementaire, au contraire. Si cela ne tenait qu’à moi, je reviendrais à la version de 1962, avec un septennat, et l’ancien calendrier des élections législatives.
         
        [Qu’est ce que vous appelez “mouvements verticaux” ?]
         
        Je pensais aux mouvements-outils comme LFI, LREM ou l’UPR, qui n’ont pas un fonctionnement interne démocratique. S’il n’était possible qu’à des membres nommés par des partis plus démocratiques de se présenter, Mélenchon et Macron ne seraient probablement pas candidats, et ne pourraient pas autant parasiter les choses. Il y aurait beaucoup plus de place pour la recherche de compromis.
         
        Un suffrage universel à plus de deux tours permettrait d’éviter que tout puisse se jouer au premier tour en fonction des sondages.
         
        On pourrait interdire les primaires aussi…
         
        On pourrait également mettre en place une urne à part pour les mineurs de plus de 16 ans, et amoindrir l’importance de leurs votes de la même manière que les sanctions sont amoindries pour eux.
         
        Bref, on pourrait faire beaucoup de changements, et je pense qu’il ne manque peut-être pas grand-chose pour éviter le blocage actuel, je pense que de petites retouches par rapport à la version de 1962 de la constitution pourraient peut-être suffire.
         
        Fondamentalement, je pense que ce qu’il faudrait, c’est une constitution qui résisterait aux changements d’alliances entre les classes sociales, qui les forcerait à se confronter l’une à l’autre et à rechercher un compromis. Comme les classes dominantes sont toujours inférieures en nombre, un peu de tirage au sort ne serait pas forcément une mauvaise idée.

        • Descartes dit :

          @ Erwan

          [« J’ai envie de faire un papier sur cette question, mais en toute franchise je vois mal le problème avec notre constitution. J’entends partout clamer qu’il faudrait aller vers un régime parlementaire (…) » Je ne pense pas non plus qu’il faut revenir à un régime parlementaire, au contraire. Si cela ne tenait qu’à moi, je reviendrais à la version de 1962, avec un septennat, et l’ancien calendrier des élections législatives.]

          Je suis assez d’accord. Vous connaissez ma position : pour moi, l’essentiel dans les institutions politiques est que les responsabilités soient clairement établies. Rien n’est pire qu’un système où le pouvoir est dilué, parce que dans un tel système finalement personne n’est responsable de rien, et chacun peut se défausser sur les autres. C’est pourquoi le système de la « monarchie républicaine », avec un président disposant d’une forte légitimité et un premier ministre disposant de pouvoirs étendus, est à mon avis un très bon système.

          Le problème, c’est que ce système a été progressivement devoyé. La montée en puissance des « autorités indépendantes », des juges, des instances supranationales, le raccourcissement des mandats, l’alternance permanente permettent de plus en plus au politique de se défausser de sa responsabilité. On arrive au système pervers où l’on fait des décrets ou l’on vote des lois sachant à l’avance que le juge les annulera.

          [Je pensais aux mouvements-outils comme LFI, LREM ou l’UPR, qui n’ont pas un fonctionnement interne démocratique. S’il n’était possible qu’à des membres nommés par des partis plus démocratiques de se présenter, Mélenchon et Macron ne seraient probablement pas candidats, et ne pourraient pas autant parasiter les choses. Il y aurait beaucoup plus de place pour la recherche de compromis.]

          C’est tout le problème de l’égo-politique, qui rejoint celui de la faiblesse des partis politiques. Mais le remède n’est pas simple, et je ne pense pas qu’il passe par la réforme du code électoral. Je me dis que finalement il faudrait une « éducation à la démocratie » – à l’école et dans les médias – qui donne aux élèves une vision plus réaliste de ce à quoi sert – ou devrait servir – un parti politique. Au lieu de pousser les gens à rejoindre des formes de « participation citoyenne » qui ne servent à rien, leur donner envie de rejoindre un parti politique non pas en tant que groupies d’un leader, mais en tant qu’acteurs du processus démocratique interne.

          [Un suffrage universel à plus de deux tours permettrait d’éviter que tout puisse se jouer au premier tour en fonction des sondages.]

          Je crois qu’on avait échangé sur ce sujet. Personnellement, je pense qu’il faut garder le système simple si l’on veut que les citoyens soient capables de comprendre son fonctionnement et éventuellement d’imaginer des stratégies personnelles. Mais je ne crois pas à la capacité du système électoral à résoudre par lui-même un problème qui est fondamentalement social. Aussi longtemps que deux « grands récits » (celui de « la droite » et celui de « la gauche » pour schématiser) s’opposaient, tous les systèmes ne marchaient pas trop mal. Dans tel pays la tradition politique favorisait la proportionnelle, dans tel autre le scrutin de circonscription a un ou deux tours, mais grosso modo on obtenait les mêmes résultats.

          Le problème aujourd’hui est qu’il n’y a plus véritablement ces « deux récits ». Il y a un « récit » – celui qu’on pourrait schématiquement qualifier de social-souverainiste, conservateur sur les aspects sociétaux et progressiste en matière économique et sociale – qui est marginalisé. Et il y a un « récit » libéral-libertaire qui, avec quelques nuances, est celui du reste du spectre politique. Une fois les « sociaux-souverainistes » placés dans le ghetto, pour le reste du spectre ce n’est pas un combat « récit contre récit », mais un conflit d’intérêts ou chacun cherche à conquérir postes et territoires. Et on le voit bien : ces gens qui un jour s’affrontent violemment, le jour suivant votent et gouvernent ensemble.

          De plus en plus, les élections n’arbitrent pas entre deux « récits », mais entre des ambitions personnelles. Et c’est pourquoi on arrive dans la situation où l’on arrive, c’est-à-dire, une Assemblée où le « cercle de la raison » est majoritaire, mais où il est impossible de trouver un équilibre entre les intérêts personnels des uns et des autres. Et ce problème, aucun système électoral ne saura le résoudre.

          [On pourrait interdire les primaires aussi…]

          Je pense que les primaires sont mortes. Tout le monde a réalisé que c’est une machine à perdre.

          [On pourrait également mettre en place une urne à part pour les mineurs de plus de 16 ans, et amoindrir l’importance de leurs votes de la même manière que les sanctions sont amoindries pour eux.]

          Je suis totalement contre. S’il fallait changer le statu quo, je serais pour relever l’âge de la capacité électorale à 21 ans. Parce que, au risque de me répéter, pour moi le critère fondamental dans un régime démocratique est la RESPONSABILITE. Une personne qui n’est pas autonome, qui ne gagne pas sa vie, qui ne contribue pas par son travail au fonctionnement du pays, ne devrait pas avoir capacité pour voter.

          [Fondamentalement, je pense que ce qu’il faudrait, c’est une constitution qui résisterait aux changements d’alliances entre les classes sociales, qui les forcerait à se confronter l’une à l’autre et à rechercher un compromis. Comme les classes dominantes sont toujours inférieures en nombre, un peu de tirage au sort ne serait pas forcément une mauvaise idée.]

          Tant que les classes dominantes ont la possibilité d’aller voir ailleurs, vous n’arriverez pas à les pousser à rechercher un compromis. Pourquoi le feraient-elles ? Pourquoi le capitaliste accepterait un compromis avec les travailleurs français, pouvant faire travailler les Bangladeshis pour bien moins cher ?

          Pour ce qui concerne le tirage au sort, il faut savoir de quoi on parle. Si vous tirez au sort un échantillon suffisamment grand, vous constituez un “échantillon représentatif”, c’est à dire, un échantillon qui se comportera exactement de la même manière que l’ensemble total. Par exemple, au lieu d’organiser des élections ou voteraient 40 millions de Français, vous faites voter les membres de votre échantillon, et normalement vous obtiendrez le même résultat. Maintenant, pensez vous que les deux résultats auraient la même légitimité politique – alors même qu’on peut démontrer mathématiquement qu’ils sont équivalents ? Certainement pas. Ceux qui seraient ainsi privés du droit de vote s’estimeraient lésés, et ne reconnaîtraient pas le résultat auquel ils n’ont pas participé, quand bien même on leur expliquerait que d’autres gens équivalents à eux y ont contribué. Si l’échantillon est petit, alors c’est bien pire. Plus l’échantillon est petit, plus la probabilité qu’il ne soit pas représentatif est grande.

          • Erwan dit :

            [C’est tout le problème de l’égo-politique, qui rejoint celui de la faiblesse des partis politiques. Mais le remède n’est pas simple, et je ne pense pas qu’il passe par la réforme du code électoral. Je me dis que finalement il faudrait une « éducation à la démocratie » – à l’école et dans les médias – qui donne aux élèves une vision plus réaliste de ce à quoi sert – ou devrait servir – un parti politique. Au lieu de pousser les gens à rejoindre des formes de « participation citoyenne » qui ne servent à rien, leur donner envie de rejoindre un parti politique non pas en tant que groupies d’un leader, mais en tant qu’acteurs du processus démocratique interne.]

            Cela n’est pas si éloigné de mon idée de donner un droit de vote amoindri pour les mineurs de plus de 16 ans : l’intérêt serait que cela sensibiliserait les jeunes à la politique. Je crois que tant qu’on ne va pas voter, il est plus dur de vraiment s’y intéresser, de rejoindre un parti, etc.

            [Je crois qu’on avait échangé sur ce sujet.]

            Je n’ai pas une aussi bonne mémoire que toi, c’est possible !

            [Personnellement, je pense qu’il faut garder le système simple si l’on veut que les citoyens soient capables de comprendre son fonctionnement et éventuellement d’imaginer des stratégies personnelles.]

            Un suffrage universel direct à trois tours, ce n’est pas beaucoup plus compliqué, et cela aurait l’avantage de ne pas devoir voter par calcul dès le premier tour quand les sondages disent que Marine Le Pen sera au second tour. Il y aurait un vote de conviction, un vote de calcul et un vote d’élimination.

            [Mais je ne crois pas à la capacité du système électoral à résoudre par lui-même un problème qui est fondamentalement social.]

            Et pourquoi pas ? Il me semble que le suffrage universel direct a amoindri des problèmes similaires.

            [Une fois les « sociaux-souverainistes » placés dans le ghetto, pour le reste du spectre ce n’est pas un combat « récit contre récit », mais un conflit d’intérêts ou chacun cherche à conquérir postes et territoires.]

            Ce que je me dis, c’est qu’ajouter un tour de conviction faciliterait l’émergence de ces candidats placés dans le ghetto.

            [« On pourrait également mettre en place une urne à part pour les mineurs de plus de 16 ans, et amoindrir l’importance de leurs votes de la même manière que les sanctions sont amoindries pour eux. » Je suis totalement contre. S’il fallait changer le statu quo, je serais pour relever l’âge de la capacité électorale à 21 ans. Parce que, au risque de me répéter, pour moi le critère fondamental dans un régime démocratique est la RESPONSABILITE. Une personne qui n’est pas autonome, qui ne gagne pas sa vie, qui ne contribue pas par son travail au fonctionnement du pays, ne devrait pas avoir capacité pour voter.]

            L’idée est justement que les mineurs de plus de 16 ans sont déjà soumis à un traitement judiciaire particulier : ils peuvent encourir les mêmes peines que les majeurs, mais amoindries. Leur donner un droit de vote lui aussi amoindri compenserait l’asymétrie que cela induit. Cela ferait plus fortement prendre conscience aux jeunes qu’ils ont d’ores et déjà une responsabilité du point de vue de la loi, et cela les sensibiliserait à la politique.

            [Pour ce qui concerne le tirage au sort, il faut savoir de quoi on parle. (…)]

            Je pense qu’il faudrait peut-être carrément aller vers un tirage au sort bourrin à la Chouard. Ce qui me fait dire cela, c’est qu’il me semble que plus les politiciens deviennent « professionnels », plus ils sortent de leur classe sociale d’origine pour appartenir à la classe moyenne, et plus ils tendent à croire que les intérêts de cette classe sont ceux de l’ensemble de la société. C’est peut-être, au moins en partie, ce qui a mené à ce que la classe populaire soit complètement chassée du champ politique. De la même manière qu’il y a un sénat et une assemblée, on pourrait donc ajouter une chambre citoyenne tirée au sort, qui aurait certes l’inconvénient d’être constituée d’amateurs, mais l’avantage de ne pas avoir ce biais de classe.

            • Descartes dit :

              @ Erwan

              [« C’est tout le problème de l’égo-politique, qui rejoint celui de la faiblesse des partis politiques. Mais le remède n’est pas simple, et je ne pense pas qu’il passe par la réforme du code électoral. Je me dis que finalement il faudrait une « éducation à la démocratie » – à l’école et dans les médias – qui donne aux élèves une vision plus réaliste de ce à quoi sert – ou devrait servir – un parti politique. Au lieu de pousser les gens à rejoindre des formes de « participation citoyenne » qui ne servent à rien, leur donner envie de rejoindre un parti politique non pas en tant que groupies d’un leader, mais en tant qu’acteurs du processus démocratique interne. » Cela n’est pas si éloigné de mon idée de donner un droit de vote amoindri pour les mineurs de plus de 16 ans : l’intérêt serait que cela sensibiliserait les jeunes à la politique. Je crois que tant qu’on ne va pas voter, il est plus dur de vraiment s’y intéresser, de rejoindre un parti, etc.]

              Mon expérience personnelle ne va pas dans ce sens : j’ai rejoint une jeunesse politique à 14 ans… et j’ai encore ma première carte pour le prouver. Je n’ai pu voter pour la première fois que douze ans plus tard… Mais plus sérieusement, je pense qu’il faut appeler un chat un chat et ne pas tomber dans la démagogie. Je pense qu’il faut expliquer aux jeunes que le vote est chose sérieuse, que c’est un droit qui implique des responsabilités, et que pour cette raison il est le privilège des adultes. Cela participe aussi de la valorisation du rôle de l’adulte et inscrit l’individu dans une logique de développement de la personne. Ce message me paraît infiniment plus positif que de donner aux jeunes un « faux » droit de vote – ou pire, le vrai, comme si le droit de vote était détaché de toute responsabilité sociale.

              [« Personnellement, je pense qu’il faut garder le système simple si l’on veut que les citoyens soient capables de comprendre son fonctionnement et éventuellement d’imaginer des stratégies personnelles. » Un suffrage universel direct à trois tours, ce n’est pas beaucoup plus compliqué, et cela aurait l’avantage de ne pas devoir voter par calcul dès le premier tour quand les sondages disent que Marine Le Pen sera au second tour. Il y aurait un vote de conviction, un vote de calcul et un vote d’élimination.]

              Je ne vois pas très bien comment fonctionne ce « vote à trois tours »… pouvez-vous expliquer ?

              [« Mais je ne crois pas à la capacité du système électoral à résoudre par lui-même un problème qui est fondamentalement social. » Et pourquoi pas ? Il me semble que le suffrage universel direct a amoindri des problèmes similaires.]

              Parce que le vote, en principe, sert à ce que le peuple exprime sa volonté. Il y a dans cette expression quelque chose de conventionnel : on se met d’accord sur une procédure, et sur le fait que ce qui sort de la procédure est la volonté du peuple. Ce processus marche aussi longtemps qu’il n’y a pas de gros décalage entre ce qui sort des urnes et ce que le peuple veut vraiment.

              Aujourd’hui, le problème est qu’il n’y a pas de projet dont la mise en œuvre soit capable de recueillir un consensus large. Je ne parle pas ici de « majorité », mais bien de consensus – autrement dit, de l’acceptation par la minorité que ce projet est légitime, quand bien même elle ne serait pas d’accord. Celui du RN est rejeté comme illégitime par le « front républicain », mais le projet qui est derrière ce « front », celui du « cercle de la raison », est tellement impopulaire que même les partis qui seraient prêts – ils l’ont montré quand ils étaient au pouvoir – à le mettre en œuvre ne sont pas disposés à l’assumer devant l’opinion. Je vois mal comment un système électoral, quel qu’il soit, pourrait arranger cela. On peut imaginer beaucoup de systèmes qui fabriquent des majorités plus ou moins artificielles. Mais est-ce que le pays serait prêt à accepter la politique qu’une telle majorité mettrait en œuvre ?

              [« Une fois les « sociaux-souverainistes » placés dans le ghetto, pour le reste du spectre ce n’est pas un combat « récit contre récit », mais un conflit d’intérêts ou chacun cherche à conquérir postes et territoires. » Ce que je me dis, c’est qu’ajouter un tour de conviction faciliterait l’émergence de ces candidats placés dans le ghetto.]

              J’aimerais connaître votre raisonnement.

              [L’idée est justement que les mineurs de plus de 16 ans sont déjà soumis à un traitement judiciaire particulier : ils peuvent encourir les mêmes peines que les majeurs, mais amoindries. Leur donner un droit de vote lui aussi amoindri compenserait l’asymétrie que cela induit.]

              Je ne vois pas la logique de ce raisonnement. Le droit de vote n’est pas la contrepartie de l’obéissance à la loi, sans quoi il faudrait donner le droit de vote aux étrangers, puisqu’ils sont soumis aux mêmes peines que les nationaux. Non, le droit de vote est lié à une responsabilité sociale bien plus large, et en particulier à la contribution aux charges communes – et en particulier, mais pas seulement, celle de donner la vie pour la nation, si ce sacrifice lui est demandé. Un jeune est un individu qui ne fait que recevoir, qui n’a aucune obligation de contribuer à quoi que ce soit. Pourquoi aurait-il un droit de décider ?

              [« Pour ce qui concerne le tirage au sort, il faut savoir de quoi on parle. (…) » Je pense qu’il faudrait peut-être carrément aller vers un tirage au sort bourrin à la Chouard.]

              Vous ne répondez pas à mon objection sur la légitimité. Réduire par le tirage au sort le corps électoral implique que ceux qui n’auront pas la possibilité de voter acceptent le fait statistique, et cela ne me parait nullement évident.

              [Ce qui me fait dire cela, c’est qu’il me semble que plus les politiciens deviennent « professionnels », plus ils sortent de leur classe sociale d’origine pour appartenir à la classe moyenne, et plus ils tendent à croire que les intérêts de cette classe sont ceux de l’ensemble de la société.]

              Certes. Mais à l’inverse, dans une assemblée « tirée au sort » vous trouverez des gens venus de la bourgeoisie et des classes intermédiaires, qui auront fait des études, qui auront une expérience des hautes fonctions, et des gens des couches populaires qui n’auront pas ces avantages. Dans les débats, dans la préparation des dossiers, à votre avis, qui prendra le pouvoir ?

              Le tirage au sort à la Chouard fabrique un échantillon qui sera – à condition d’être assez gros, ce qui pose quand même un sérieux problème, et d’être obligatoire, ce qui pose un autre encore plus ardu – sociologiquement représentatif. Cet échantillon se comportera donc de la même manière que l’univers dont il est issu. Et dans cet univers, les couches intermédiaires s’imposent grâce à leur capital immatériel. Qu’est ce qui vous fait penser que ce sera différent dans l’assemblée « tirée au sort » ?

              [C’est peut-être, au moins en partie, ce qui a mené à ce que la classe populaire soit complètement chassée du champ politique.]

              Mais lorsque les classes populaires occupait une place importante dans le champ politique, elle était représentée par qui ? Pas par des ouvriers tous frais venu de leur atelier, mais par des ouvriers qui avaient été « professionnalisés » en politique par une expérience de dirigeant syndical ou politique. Si les Thorez, les Duclos ou les Marchais avaient été tirés au sort au début de leur carrière, avant d’être passés par la « professionnalisation » du PCF, pour siéger à l’Assemblée nationale, ils n’auraient pas pesé lourd devant les ténors de la bourgeoisie et des classes intermédiaires, formés aux meilleures écoles, aux meilleures universités.

              [De la même manière qu’il y a un sénat et une assemblée, on pourrait donc ajouter une chambre citoyenne tirée au sort, qui aurait certes l’inconvénient d’être constituée d’amateurs, mais l’avantage de ne pas avoir ce biais de classe.]

              Ca existe déjà, ça s’appelle « le café du commerce »… Plaisanterie à part, j’ai du mal à voir comment vous faites disparaître le « biais de classe ». D’une part, comme je l’ai expliqué plus haut, dans une « assemblée d’amateurs » ce sont les mieux formés, les plus expérimentés qui prennent le pouvoir, et cela donnera un avantage incontestable aux classes intermédiaires. D’autre part, si le tirage au sort se fait parmi des candidatures, il y a fort à parier que celles-ci viendront préférentiellement des couches sociales qui ont le temps et les moyens, c’est-à-dire, là encore, les classes intermédiaires et la bourgeoisie. Si le tirage se fait sur les listes électorales, il faut prévoir un mécanisme pour obliger les gens à assister aux séances et travailler les dossier… parce que là encore si vous laissez les gens libres le biais de classe apparaîtra irrémédiablement…

  14. maleyss dit :

    [Une personne qui n’est pas autonome, qui ne gagne pas sa vie, qui ne contribue pas par son travail au fonctionnement du pays, ne devrait pas avoir capacité pour voter.]
    Entièrement d’accord ; il est d’ailleurs symptomatique que Giscard ait jadis abaissé la majorité civile et politique au moment même où l’âge de la majorité “réelle” reculait. Ce fut une des premières mesures que l’on n’appelait pas encore “sociétales” et dont l’unique fonction est de donner à ceux qui les prennent un vernis de progressisme.

    • cdg dit :

      @maleyss
      Si on prend cette definition, on doit retirer le droit de vote a pas mal de monde car ils ne travaillent pas
      – les rentiers (ultra minoritaire)
      – les chomeurs (deja plus significatif, environ 3 millions de personnes)
      – les retraités (17 millions d electeurs, le coeur de cible electoral de Macron et de ce qui reste des LR). Ca a un impact majeur sur le resultat comme on l a vu aux dernieres municipales ou les vieux ne sont pas allé voter par crainte du covid et on a eut de nombreux maires ecolo elus (par ex Lyon ou Bordeaux)
      le droit de vote a 18 ans est de toute facon assez peu utilisé. Soit parce que les jeunes ne sont pas interessé soit tout simplement pour des raisons pratiques. Si vous faites des etudes a 300 km de chez vos parents comme je l ai fait, vous allez pas rentrer juste pour voter (surtout s il y a 2 tours, ce qui signifie 2 aller retour consecutif)

      • Descartes dit :

        @cdg

        [@maleyss
        Si on prend cette definition, on doit retirer le droit de vote a pas mal de monde car ils ne travaillent pas
        – les rentiers (ultra minoritaire)]

        Je suis d’accord, on peut leur retirer.

        [– les chomeurs (deja plus significatif, environ 3 millions de personnes)
        – les retraités]

        Là, je ne suis pas d’accord. Les chômeurs ne travaillent pas non pas de leur fait, mais du fait que personne ne leur offre un emploi. Autrement dit, s’ils ne contribuent pas à la richesse nationale ce n’est pas faute de le vouloir. Pour les retraités, c’est une question d’étalement de leur contribution : ils ne contribuent plus aujourd’hui, mais ils ont contribué pendant toute leur vie active, et cela leur donne des droits.

      • maleyss dit :

        [Si on prend cette definition, on doit retirer le droit de vote a pas mal de monde car ils ne travaillent pas
        – les rentiers (ultra minoritaire)– les chomeurs (deja plus significatif, environ 3 millions de personnes)]
        Mais la “majorité réelle ne se résume pas à l’autonomie financière, loin de là ; elle englobe également l’expérience, le “vécu”, comme on disait naguère. En 1960, un garçon de 20 ans travaillait déjà ou s’apprêtait à le faire, s’apprêtait également  à fonder une famille, avait connu, au moins, l’expérience du service militaire, voire de la guerre. A comparer avec nos innombrables “Tanguy”. Quant à vos comparaisons….va pour les rentiers, mais les chômeurs sont, dans un certain nombre de cas, victimes de leur situation. Quant aux retraités, ils ont en général largement contribué à la richesse nationale, ont le bénéfice de l’expérience. Quant à leur ervenu, il est le fruit d’un système assurantiel auquel ils ont abondé.

        • cdg dit :

          [En 1960, un garçon de 20 ans travaillait déjà ou s’apprêtait à le faire, s’apprêtait également  à fonder une famille, avait connu, au moins, l’expérience du service militaire, voire de la guerre. A comparer avec nos innombrables “Tanguy”]
          Vous savez, une bonne partie des Tanguy vivent chez papa/maman car ils ont pas les moyens de se loger par eux meme et s ils font des etudes c est aussi pour eviter le chomage. En 1960 vous pouviez trouver un travail meme sans aucun diplome et il etait facile d en changer. Essayez en 2024 …
          [Quant aux retraités, ils ont en général largement contribué à la richesse nationale, ont le bénéfice de l’expérience. Quant à leur ervenu, il est le fruit d’un système assurantiel auquel ils ont abondé]
          Si les retraités ont contribue a la richesse nationale, je ferai une grosse distinction entre la generation qui a reconstruit la france (disons nee avant 1940) et celle qui l a coulee (les soixante huitards electeurs de Mitterrand). En ce qui concerne le “systeme assurantiel” c est de la pure escroquerie intellectuelle. Les pensions versées sont sans rapport avec les cotisations qui ont ete percues, meme si on rajoute des interets. Pour ceux qui ont un doute, regardez une feuille de paie des annees 60
           
          @descartes. Si vous supprimez le vote des rentiers, vous ne changerez rien aux resultats electoraux. donc a quoi bon ouvrir la boite a pandore ? et un rentier pourra toujours vous dire qu il ne peut pas travailler car il ne trouve pas de travail a 15 000€/mois pour rester dans un bureau

          • Descartes dit :

            @ cdg

            [Vous savez, une bonne partie des Tanguy vivent chez papa/maman car ils n’ont pas les moyens de se loger par eux-mêmes et s’ils font des études c’est aussi pour éviter le chômage. En 1960 vous pouviez trouver un travail même sans aucun diplôme et il était facile d’en changer. Essayez en 2024 …]

            Oui et non. C’était vrai il y a une dizaine d’années, mais pas aujourd’hui. Je vous parle du secteur que je connais : les entreprises n’arrivent pas à recruter de bons chaudronniers et soudeurs, même en les payant à prix d’or. Les monteurs électriciens sont en train de devenir une denrée rare. Et il ne s’agit pas là de métiers qui nécessitent une longue formation universitaire. Je ne vous dis pas qu’on trouve du travail en traversant la rue, comme notre ineffable président, mais il y a un grand nombre de métiers délaissés alors qu’ils sont – c’est un paradoxe – relativement bien payés. Peut-être parce qu’ils demandent un investissement important, une discipline, de la rigueur…

            [Quant aux retraités, ils ont en général largement contribué à la richesse nationale, ont le bénéfice de l’expérience. Quant à leur revenu, il est le fruit d’un système assurantiel auquel ils ont abondé]
            Si les retraités ont contribué à la richesse nationale, je ferai une grosse distinction entre la génération qui a reconstruit la France (disons née avant 1940) et celle qui l’a coulé (les soixante huitards electeurs de Mitterrand).]

            Il vous faut aussi commencer à prendre en compte la génération suivante, celle qui est née dans les années 1960 et qui est entrée dans la carrière dans les années 1980, à l’âge du chômage de masse. C’est à cette génération-là qu’on fait payer les mesures de recul de l’âge de la retraite.

            [En ce qui concerne le “système assurantiel” c’est de la pure escroquerie intellectuelle. Les pensions versées sont sans rapport avec les cotisations qui ont été perçues, même si on rajoute des interets. Pour ceux qui ont un doute, regardez une feuille de paie des années 60]

            Je doute. Pourriez-vous donner les éléments de ce calcul ? Moi, je fais un calcul sur un coin de table : les cotisations retraite représentent quelque 10% du salaire net (18% du brut). Le taux de remplacement est de l’ordre de 40%. Même sans prendre en compte l’actualisation, si je cotise pendant quarante ans je paye ma retraite pendant dix ans. Avec l’actualisation, je paye largement vingt ans, qui est bien plus que ce que mon espérance de vie m’autorisera à toucher. J’ajoute que si vous prenez les gens qui partent à la retraite maintenant, leur première fiche de paye ne date pas des années 1960, mais des années 1980.

            [@descartes. Si vous supprimez le vote des rentiers, vous ne changerez rien aux resultats electoraux. donc a quoi bon ouvrir la boite a pandore ? et un rentier pourra toujours vous dire qu il ne peut pas travailler car il ne trouve pas de travail a 15 000€/mois pour rester dans un bureau]

            Je n’ai rien compris à cette remarque…

            • cdg dit :

              [Je n’ai rien compris à cette remarque…]
              Si vous etes rentier et qu on vous reproche de ne pas travailler, vous pouvez toujours repondre que vous ne trouvez pas de travail
              Ce qui est vrai mais il faut juste omettre que vous exigez un salaire enorme pour ne pas faire grand chose (en ecrivant ca je pensais au beau frere d un ami. c etait exactement son cas et il a vecu au crochet de sa mere pendant pres de 30 ans. Il faut pas croire qu il etait heureux car il a fini par se suicider)

  15. Spinoza dit :

    [Mais peut-on définir l’hypocrisie comme le fait de « exprime des opinions ou sentiments contraires à ceux qu’il a réellement » ? C’est le mot « exprimer » qui pose problème. Lorsqu’on emploie une formule rituelle, qu’exprime-t-on vraiment ? Lorsque je dis « bonjour » à ma boulangère, suis-je en train d’exprimer mon souhait qu’elle ait une bonne journée, ou bien suis-je en train d’exprimer mon adhésion à une certaine forme de sociabilité ? Lorsque quelqu’un m’annonce la mort de sa belle-mère, que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam, mon réflexe automatique est de dire « je suis désolé », alors que je n’ai aucune raison de l’être, puisque je ne connais pas la personne décédée et je ne sais même pas si celui qui m’annonce sa mort y trouve un motif de désolation ou de réjouissance. Suis-je un « hypocrite » pour autant ? Non, je me contente d’une formule toute faite. Cette formule, comme le « bonjour » à ma boulangère, n’exprime pas ce qu’elle veut dire, mais l’adhésion aux conventions sociales.]
    [Un « rituel », par définition, exclut « l’hypocrisie », puisque dans un rituel les mots ne signifient pas ce qu’ils signifient habituellement. Quand, dans un pot de départ, je dis à un collègue que je déteste « on te regrettera », je n’exprime rien d’autre que l’adhésion à une forme de politesse.]
     
    Vous avez raison sur un point sur lequel j’ai été un peu vite en besogne. J’ai a accepté plus haut de poser comme hypothèse que le rituel était de dire textuellement « on va te regretter » à toute personne sur le départ. Si on admet cette hypothèse, alors il n’y a effectivement pas d’hypocrisie possible en la prononçant.
     
    Mais mon inconséquence s’explique par le fait qu’intérieurement je n’avais pas admis réellement cette hypothèse. Je continue de penser que dire « on va te regretter » à un pot de départ n’est certainement pas aussi indispensable pour rester dans les conventions que dire « désolé » à une personne en deuil ou « bonjour » à la boulangère. Dans les pots de départs auxquels j’ai assisté, la formule « on va te regretter » ou équivalent n’était pas du tout systématiquement prononcée comme pouvait l’être le rappel des qualités et des réalisations, ou encore les « bonne continuation » ou « on te souhaite le meilleur pour la suite ». Et après les pots au cours desquels « on va te regretter » n’a pas été prononcé, il ne s’en est pas suivi de désapprobation, comme il y en aurait eu si l’assistance avait considéré que les convenances eussent été bafouées.
     
    J’en déduis que la formule « on va te regretter » à un pot de départ n’est pas vraiment un rituel, mais une formule qui permet de marquer un appréciation réelle, et qui de ce fait peut aussi être utilisée hypocritement.

    [Quand vous vous confrontez à votre voyou, vous vous confrontez à lui en tant que voyou, pas en tant que karateka. Même si vous pratiquez le même sport, cela ne fait pas de vous un membre de la même « corporation ». Si vous vous confrontez à lui en tant que karatéka, sur un tatami, et qu’il vous bat, vous pouvez quand même l’admirer. J’ajoute que même dans la situation que vous évoquez, je pense que vous faites erreur. Si vous êtes informaticien et un pirate informatique pirate votre ordinateur d’une façon particulièrement habile, vous pouvez sentir de l’admiration pour lui. Je vous parle d’un cas réel.]
     
    De l’admiration pour la réalisation technique, mais pas d’admiration pour l’action dans sa globalité si je juge qu’à sa place mon devoir aurait été de m’abstenir de commettre cette action.

     
    [Oui, bien sûr. Je me souviens d’avoir eu un collaborateur qui était charmant, toujours prêt à aider, toujours de bonne volonté. Mais qui – par malchance ou par distraction, difficile à savoir – a laissé derrière lui un sillage de catastrophes, de petites catastrophes, mais catastrophes tout de même. Pourtant, il était très apprécié de ses collègues – qui faisaient tout leur possible pour couvrir ses bévues. On était content de l’avoir dans le service, et tout le monde a été vraiment désolé lorsqu’il est parti.]
     
    Cet exemple ne peut être décisif sans une meilleure possibilité d’apprécier la situation.
    Peut être que le bilan de cette personne dans votre service est en fait plus positif que négatif. Ce serait le cas si sa sympathie a rejailli sur le bon fonctionnement du service, de manière telle que cela compense les bévues sur le long terme.
    Peut-être que ses collègues proches l’ont regretté, mais que les usagers et/ou les collaborateurs plus éloignés, qui auraient subi les conséquences des bévues sans bénéficier de la sympathie, eux ne l’ont pas regretté. Il faudrait alors également tenir compte de leur avis.
    Peut-être également que ses collaborateurs étaient sincèrement désolés de son départ, mais que cela est dû à des considérations étrangères au service. Or, dire à un ancien collègue « Tu as fichu par terre notre travail, mais c’est largement compensé par tous les excellents moments qu’on a passés en ta compagnie », ce qui traduirait une appréciation sincère et globalement positive, c’est possible éventuellement à titre privé après le travail si vous ne prenez pas ce dernier au sérieux, mais ce n’est pas une opinion acceptable d’un point de vue professionnel, et donc un hommage sincère dans le cadre professionnel serait inconvenant.

    [Napoléon ?]
     
    En tant qu’être humain, je pense que tout le versant positif de son héritage – parfois laissé involontairement d’ailleurs – ne saurait compenser les millions de morts, de mutilés, de veuves, d’orphelins, de destructions et de pillages, le tout menés à la poursuite d’une soif inextinguible de pouvoir et d’argent. Je n’ai donc pas de raison de l’honorer, au contraire.
     
    Si j’étais militaire ce serait plus intéressant : je pourrais honorer ses qualités et réalisations militaires, dans un cadre militaire. Mais un militaire n’est-il pas également un être humain ? Donc si, hors cadre militaire, on demande à un militaire s’il faut honorer Napoléon, pourquoi les considérations militaires devraient-elles primer sur les considérations humaines ?
     
    Notez bien qu’inversement, considérant que les réalisations de Spinoza, de Newton ou de Jaurès ont été selon moi globalement positives pour l’humanité, je les trouve dignes d’êtres honorés par tout être humain, quand bien même ils n’était pas des saints.
     
    Allons encore plus loin, un défenseur des animaux a-t-il le droit de rendre hommage à Hitler ? Je suis prêt à vous suivre en disant que c’est possible si l’hommage ne laisse aucun doute sur le fait qu’il s’agit d’un hommage organisé par des défenseurs des animaux, et qu’il n’honore l’action d’Hitler que dans le domaine de la cause animale. Si vous me dites qu’il est possible d’honorer Hitler, Napoléon ou Thatcher sans se placer dans certains cadres bien définis, alors je ne vous suivrai pas. Et plus le bilan global du destinataire de l’hommage est négatif, plus il faut que ce cadre soit précisément défini sans ambiguité.
     

    • Descartes dit :

      @ Spinoza

      [Mais mon inconséquence s’explique par le fait qu’intérieurement je n’avais pas admis réellement cette hypothèse. Je continue de penser que dire « on va te regretter » à un pot de départ n’est certainement pas aussi indispensable pour rester dans les conventions que dire « désolé » à une personne en deuil ou « bonjour » à la boulangère. Dans les pots de départs auxquels j’ai assisté, la formule « on va te regretter » ou équivalent n’était pas du tout systématiquement prononcée comme pouvait l’être le rappel des qualités et des réalisations, ou encore les « bonne continuation » ou « on te souhaite le meilleur pour la suite ». Et après les pots au cours desquels « on va te regretter » n’a pas été prononcé, il ne s’en est pas suivi de désapprobation, comme il y en aurait eu si l’assistance avait considéré que les convenances eussent été bafouées.]

      Ce n’est pas une formule obligatoire, bien entendu. Il y en a d’autres qui ont cette même fonction rituelle, mais toutes sont, si on les regarde textuellement, aussi « hypocrites » au sens que vous donnez à ce mot les unes que les autres. La formule « on te souhaite le meilleur pour la suite » est tout aussi « hypocrite » que « on te regrettera » lorsqu’elle s’applique à une personne qu’on n’aime pas et qu’on voudrait voir rôtir dans les feux de l’enfer.

      [J’en déduis que la formule « on va te regretter » à un pot de départ n’est pas vraiment un rituel, mais une formule qui permet de marquer un appréciation réelle, et qui de ce fait peut aussi être utilisée hypocritement.]

      Comme toute formule rituelle, elle peut être interprétée à la lettre ou pas. C’est le contexte, l’inflexion de la voix, le langage du corps, la manière dont le discours est agencé qui s’il faut l’interpréter comme un pur rituel ou comme une formule sincère. C’est la même chose avec le « bonjour » : on peut le prononcer d’un ton froid ou chaleureux, l’accompagner ou non d’un geste… tous les « bonjour » ne se valent pas, et ne veulent pas dire la même chose.

      [Quand vous vous confrontez à votre voyou, vous vous confrontez à lui en tant que voyou, pas en tant que karateka. Même si vous pratiquez le même sport, cela ne fait pas de vous un membre de la même « corporation ». Si vous vous confrontez à lui en tant que karatéka, sur un tatami, et qu’il vous bat, vous pouvez quand même l’admirer. J’ajoute que même dans la situation que vous évoquez, je pense que vous faites erreur. Si vous êtes informaticien et un pirate informatique pirate votre ordinateur d’une façon particulièrement habile, vous pouvez sentir de l’admiration pour lui. Je vous parle d’un cas réel.]

      [De l’admiration pour la réalisation technique, mais pas d’admiration pour l’action dans sa globalité si je juge qu’à sa place mon devoir aurait été de m’abstenir de commettre cette action.]

      Tout à fait. Je ne pense pas que les travaillistes qui lors de sa dernière séance ont exprimé leur admiration pour Thatcher aient exprimé une admiration pour son action « dans sa globalité ». C’était l’hommage d’un « technicien de la politique » à un autre, un hommage à ses qualités personnelles qui n’ont rien à voir avec la politique qu’elle a pu mener.

      [« Napoléon ? » En tant qu’être humain, je pense que tout le versant positif de son héritage – parfois laissé involontairement d’ailleurs – ne saurait compenser les millions de morts, de mutilés, de veuves, d’orphelins, de destructions et de pillages, le tout menés à la poursuite d’une soif inextinguible de pouvoir et d’argent. Je n’ai donc pas de raison de l’honorer, au contraire.]

      Pourtant, vous trouverez difficilement une figure qui soit plus admirée, autant par ses partisans que par ses adversaires d’ailleurs. Ses inventions stratégiques et tactiques sont encore aujourd’hui enseignées dans les écoles du monde entier. Rares sont les grandes villes de France où il n’a pas un monument, une rue à sa mémoire. Il faut croire que la plupart des humains ne partage pas votre vision de ce qui est « admirable », et ne perçoivent pas la balance entre ses qualités et ses défauts de la même manière que vous.

      J’ajoute qu’il y a une différence de fond entre l’admiration qu’on voue à un vivant et celle qu’on accorde à un mort. L’image des morts, c’est nous qui la fabriquons à des fins d’identification et d’exemplification. Nous retenons le Napoléon organisateur, la Napoléon stratège, le Napoléon législateur comme exemple pour la jeunesse, et nous oublions le Napoléon ambitieux ou le Napoléon indifférent à la souffrance humaine. Pour les vivants, c’est un peu plus compliqué parce que comme ils peuvent parler, on n’a pas la même liberté de choix à l’heure d’en faire des icônes.

      [Si j’étais militaire ce serait plus intéressant : je pourrais honorer ses qualités et réalisations militaires, dans un cadre militaire. Mais un militaire n’est-il pas également un être humain ? Donc si, hors cadre militaire, on demande à un militaire s’il faut honorer Napoléon, pourquoi les considérations militaires devraient-elles primer sur les considérations humaines ?]

      Le fait est qu’elles priment, de toute évidence. Les militaires – et les civils aussi – dans leur très grande majorité rendent hommage collectivement à Napoléon, que cela vous plaise ou non. Les voix qui appellent à démolir l’arc de triomphe, de débaptiser les rues à son nom ou de supprimer le monument qui lui est consacré aux Invalides sont ultra-minoritaires. Pourquoi à votre avis ? Lorsque je vous ai raconté l’hommage rendu à Thatcher, vous avez trouvé cela surprenant. Mais ici vous avez un bon exemple où l’on rend hommage à un homme dont le bilan, à votre avis, est infiniment pire. Comment comprenez-vous cela ?

      [Allons encore plus loin, un défenseur des animaux a-t-il le droit de rendre hommage à Hitler ?]

      Je ne sais pas. Hitler aimait bien ses chiens, mais cela n’a rien d’extraordinaire, il y a plein de gens qui aiment leur animal de compagnie. Les nazis ont fait, il est vrai, les premières lois de protection des animaux, mais je ne sais pas quel est le bilan. Etaient-elles particulièrement bien faites du point de vue technique ? Ont-elles radicalement changé la condition animale en Allemagne ? Je n’en suis pas persuadé. Mais si c’était le cas, alors vous trouveriez certainement des animalistes pour lui rendre hommage…

      J’attire tout de même votre attention sur le fait que Thatcher n’est pas Hitler. Thatcher a gouverné la Grande Bretagne par la volonté de son peuple, elle a soumis régulièrement ses politiques au vote des citoyens, et est restée strictement dans le cadre de la légalité – c’est-à-dire, dans le cadre fixé par le peuple souverain. On peut penser ce qu’on veut de sa politique, mais elle n’était pas une politique « personnelle », c’était une politique voulue par la nation britannique. Ce n’est pas le cas de Hitler. Dans le cas de Thatcher, je peux rendre hommage à ses qualités en tant que politicien sans nécessairement juger son œuvre. Dans le cas de Hitler, il n’y a pas grande chose à quoi rendre hommage dans la personne – ce qui a fait son succès, son cynisme, son tempérament de joueur, son absence de toute empathie ne sont guère des qualités qu’on puisse admirer. Quant à son œuvre…

      • Spinoza dit :

        [Ce n’est pas une formule obligatoire, bien entendu. Il y en a d’autres qui ont cette même fonction rituelle, mais toutes sont, si on les regarde textuellement, aussi « hypocrites » au sens que vous donnez à ce mot les unes que les autres. La formule « on te souhaite le meilleur pour la suite » est tout aussi « hypocrite » que « on te regrettera » lorsqu’elle s’applique à une personne qu’on n’aime pas et qu’on voudrait voir rôtir dans les feux de l’enfer.]
         
        Je ne suis pas gêné pour dire à tout le monde « je te souhaite le meilleur pour la suite », car je souhaite réellement à tout le monde de devenir une meilleure personne, et que cela ne peut aller sans une plus grande satisfaction dans la vie.
         
        [Comme toute formule rituelle, elle peut être interprétée à la lettre ou pas. C’est le contexte, l’inflexion de la voix, le langage du corps, la manière dont le discours est agencé qui s’il faut l’interpréter comme un pur rituel ou comme une formule sincère. C’est la même chose avec le « bonjour » : on peut le prononcer d’un ton froid ou chaleureux, l’accompagner ou non d’un geste… tous les « bonjour » ne se valent pas, et ne veulent pas dire la même chose.]
         
        Oui, mais je ne crois pas inutile de chercher à limiter au maximum les ambiguités dans la communication. Certes il se peut qu’exceptionnellement l’ambiguité soit profitable, mais cela ne devrait pas être la règle. C’est l’occasion de se souvenir que la formule du cardinal de Retz servait notoirement de devise à un certain François M…
         
         
        [Tout à fait. Je ne pense pas que les travaillistes qui lors de sa dernière séance ont exprimé leur admiration pour Thatcher aient exprimé une admiration pour son action « dans sa globalité ». C’était l’hommage d’un « technicien de la politique » à un autre, un hommage à ses qualités personnelles qui n’ont rien à voir avec la politique qu’elle a pu mener.]
         
        Si c’est le cas alors je comprends mieux. Mais encore une fois c’est à la condition qu’on ne puisse pas douter que l’hommage est strictement celui d’un « technicien de la politique » à un autre.
         
        [Le fait est qu’elles priment, de toute évidence. Les militaires – et les civils aussi – dans leur très grande majorité rendent hommage collectivement à Napoléon, que cela vous plaise ou non. Les voix qui appellent à démolir l’arc de triomphe, de débaptiser les rues à son nom ou de supprimer le monument qui lui est consacré aux Invalides sont ultra-minoritaires. Pourquoi à votre avis ? Lorsque je vous ai raconté l’hommage rendu à Thatcher, vous avez trouvé cela surprenant. Mais ici vous avez un bon exemple où l’on rend hommage à un homme dont le bilan, à votre avis, est infiniment pire. Comment comprenez-vous cela ?]
         
        Je constate les faits comme vous. Cela tient à mon avis à ce que l’éclat de la gloire est aveuglant pour beaucoup de gens, et que le récit de certaines prouesses accomplies collectivement par le peuple français à cette époque flatte l’orgueil national. J’en suis d’autant plus convaincu que j’étais moi-même enthousiasmé par la geste napoléonienne étant plus jeune. Seulement lorsque mes connaissances ont augmenté, j’ai bien dû reconnaître que le ravageur surpassait le bâtisseur, et que la médiocrité du personnage surpassait sa grandeur.
        J’ai aujourd’hui le sentiment qu’il n’est pas cohérent de se dire à la fois humaniste et admirateur de Napoléon, tout comme on ne peut réellement être antifasciste – de même qu’humaniste d’ailleurs – et admirateur de Mitterrand. J’ai choisi d’être humaniste. Je ne peux que souhaiter que d’autres suivront le même chemin que moi.
         

        • Descartes dit :

          @ Spinoza

          [Oui, mais je ne crois pas inutile de chercher à limiter au maximum les ambiguités dans la communication. Certes il se peut qu’exceptionnellement l’ambiguité soit profitable, mais cela ne devrait pas être la règle. C’est l’occasion de se souvenir que la formule du cardinal de Retz servait notoirement de devise à un certain François M…]

          Ce n’est pas une question « d’ambigüité ». Il y aurait « ambigüité » s’il pouvait y avoir un doute dans l’esprit du récepteur quant au contenu du message. Mais ici, il n’y a aucune ambigüité : le message n’est pas moins clair pour être codé. C’est surtout une question de rendre la vie plus agréable. Une société où les messages sont transmis d’une manière subtile est plus agréable à vivre qu’une société où quand je n’aime pas quelqu’un je lui donne un coup de poing sur la gueule. Les rituels sociaux servent à cela : à réduire le niveau de violence. On se dit les mêmes choses, mais on y met les formes. Et personne n’est dupe.

          [Si c’est le cas alors je comprends mieux. Mais encore une fois c’est à la condition qu’on ne puisse pas douter que l’hommage est strictement celui d’un « technicien de la politique » à un autre.]

          C’est justement là qu’interviennent les conventions. L’hommage lui a été rendu dans une enceinte de « techniciens de la politique », c’est-à-dire, la Chambre des communes. Je ne pense pas que ce même hommage aurait pu lui être rendu dans un stade, dans une usine, dans un théâtre.

          [Je constate les faits comme vous. Cela tient à mon avis à ce que l’éclat de la gloire est aveuglant pour beaucoup de gens, et que le récit de certaines prouesses accomplies collectivement par le peuple français à cette époque flatte l’orgueil national.]

          Je ne le crois pas. Je pense qu’il y a trois phénomènes qui se soutiennent l’un l’autre. Le premier, c’est que les malheurs qu’un grand homme comme Napoléon infligent à leur pays s’inscrivent dans le court terme. Beaucoup d’hommes sont morts ou ont été mutilés dans les campagnes napoléoniennes, mais qui peut souffrir de ces morts, de ces blessés ? Les intéressés, leurs enfants, leurs petits enfants peut-être… mais c’est tout. Trois générations plus tard, c’est oublié. Par contre, leur œuvre s’inscrit dans le très long terme : l’organisation administrative de la France, les codes, le statut que Napoléon a donné à la France dans le monde demeurent aujourd’hui, deux siècles après sa mort.

          Le second phénomène est celui de l’exemplaire. Napoléon est mort et enterré, il ne peut plus agir. Mais nous pouvons en faire un exemple pour l’action. Et on en fait un exemple en rabottant ce qui est mauvais et en gardant ce qui est bon. Le philosophe François George fait une différence entre ce que pouvait être le culte de Staline vivant, et ce que peut être le culte de Staline mort. Ce sont deux choses très différentes : Staline vivant est ce qu’il est, Staline mort est ce qu’en font les autres.

          Enfin, le troisième élément est celui du projet. Il rejoint un peu votre réflexion sur la « gloire ». Si l’éclat de la gloire est aveuglant, c’est parce que cette gloire est partagée. Les grands hommes ont eu cette capacité de faire de leurs projets des projets collectifs, de les faire partager par leur peuple. Le projet de Napoléon, fils à la fois des Lumières et du jacobinisme révolutionnaire, est – ou du moins a été pendant longtemps – le fondement d’un projet national partagé très largement par les Français. Et cela compense tous les malheurs. C’est en fait quelque chose profondément humain, que cette capacité d’assumer des souffrances incroyables au nom d’un projet. Et s’il faut regretter quelque chose aujourd’hui, c’est moins le culte rendu à Napoléon que le fait qu’on ne soit pas capable de produire des grands hommes – et donc des grands projets – qui puissent devenir des objets de culte.

          [J’en suis d’autant plus convaincu que j’étais moi-même enthousiasmé par la geste napoléonienne étant plus jeune. Seulement lorsque mes connaissances ont augmenté, j’ai bien dû reconnaître que le ravageur surpassait le bâtisseur, et que la médiocrité du personnage surpassait sa grandeur.]

          Comment pouvez-vous dire ça ? De ses ravages, il n’y a guère plus de traces, alors que ce qu’il a bâti constitue encore aujourd’hui le socle de notre organisation nationale… quant à la « médiocrité », pensez-vous vraiment que dans la situation où il a trouvé la France un « médiocre » aurait réussi pareille œuvre par pur hasard ?

          [J’ai aujourd’hui le sentiment qu’il n’est pas cohérent de se dire à la fois humaniste et admirateur de Napoléon, tout comme on ne peut réellement être antifasciste – de même qu’humaniste d’ailleurs – et admirateur de Mitterrand.]

          Je ne sais pas ce que vous appelez « humaniste ». Etre humaniste, c’est aussi aimer l’homme tel qu’il est – et non seulement tel qu’il devrait être. Quant à la comparaison avec Mitterrand, franchement, elle me paraît pour le moins osée. Que je sache, il n’y a pratiquement rien à sauver dans l’œuvre de notre ancien président, qui a surtout présidé au délitement de la France (décentralisation, traité de Maastricht), à la destruction progressive du pacte social français, à la dissolution de l’Etat.

          • Spinoza dit :

            [Ce n’est pas une question « d’ambigüité ». Il y aurait « ambigüité » s’il pouvait y avoir un doute dans l’esprit du récepteur quant au contenu du message. Mais ici, il n’y a aucune ambigüité : le message n’est pas moins clair pour être codé. C’est surtout une question de rendre la vie plus agréable. Une société où les messages sont transmis d’une manière subtile est plus agréable à vivre qu’une société où quand je n’aime pas quelqu’un je lui donne un coup de poing sur la gueule. Les rituels sociaux servent à cela : à réduire le niveau de violence. On se dit les mêmes choses, mais on y met les formes. Et personne n’est dupe.]
             
            Alors c’est sans doute moi qui suis très peu doué pour transmettre et décoder les messages, étant donné le nombre considérables de méprises – plus ou moins graves – que j’expérimente, et dont je me passerais bien.
             
            [Comment pouvez-vous dire ça ? De ses ravages, il n’y a guère plus de traces, alors que ce qu’il a bâti constitue encore aujourd’hui le socle de notre organisation nationale… quant à la « médiocrité », pensez-vous vraiment que dans la situation où il a trouvé la France un « médiocre » aurait réussi pareille œuvre par pur hasard ?]
             
            Je vous trouve étonnament borgne dans votre bilan. D’une part vous sous-estimez gravement les ravages de long-terme. Du point de vue du patrimoine matériel, ce qui a été détruit l’est pour toujours. De plus nous ne profiterons jamais des œuvres de long terme qu’auraient pu accomplir tous ces millions d’européens fauchés dans la fleur de l’âge. Sans parler de leurs descendants : combien de Pasteur et d’Einstein jamais nés ?
             
            D’autre part, les contributions positives de Napoléon – comme celles des autres hommes – ne sont pas insurpassables et plus le temps passe, plus elles sont recouvertes par les contributions des générations suivantes. La part due à Napoléon dans l’ordre juridique d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec la part qui lui est due dans l’ordre juridique de 1815.
             
            Ensuite je n’ai jamais nié qu’on puisse faire de Napoléon un exemple pour l’action dans certains domaines, et je partage votre enthousiasme pour les grands projets, à condition qu’il s’agisse de projets humanistes, c’est à dire de projets visant à émanciper l’humanité de l’aliénation, de la domination ou de l’exploitation. J’appelle grand un homme qui a contribué grandement à cet objectif.
             
            J’appelle médiocre un homme dont les ambitions s’orientent avant tout vers le pouvoir, l’argent, la vaine gloire ou les plaisirs charnels, quelles que puissent être ses qualités par ailleurs.
             

            • Descartes dit :

              @ Spinoza

              [Je vous trouve étonnament borgne dans votre bilan. D’une part vous sous-estimez gravement les ravages de long-terme. Du point de vue du patrimoine matériel, ce qui a été détruit l’est pour toujours. De plus nous ne profiterons jamais des œuvres de long terme qu’auraient pu accomplir tous ces millions d’européens fauchés dans la fleur de l’âge. Sans parler de leurs descendants : combien de Pasteur et d’Einstein jamais nés ?]

              Pour ce qui concerne le « patrimoine matériel », ce qui est détruit ne l’est pas pour toujours, il peut être reconstitué. Et la reconstitution est très rapide : allez à Hiroshima, ville à 80% détruite par le premier bombardement atomique. En dehors du mémorial, bâtiment conservé dans l’état, aucune trace de la destruction ne subsiste. Même chose à Berlin ou à Londres…

              Pour ce qui concerne votre référence à Pasteur ou Einstein, il ne faut pas exagérer l’importance des personnes. Ce que Pasteur ou Einstein ont trouvé, quelqu’un d’autre l’aurait trouvé à leur place s’ils n’avaient pas été là. Par ailleurs, vous noterez que les guerres ne ralentissent pas l’avance des sciences et des technologies, au contraire. L’expédition d’Egypte a tué certainement pas mal de monde, mais a fait plus pour la connaissance de ce pays que des siècles de paix.

              [D’autre part, les contributions positives de Napoléon – comme celles des autres hommes – ne sont pas insurpassables et plus le temps passe, plus elles sont recouvertes par les contributions des générations suivantes. La part due à Napoléon dans l’ordre juridique d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec la part qui lui est due dans l’ordre juridique de 1815.]

              Certainement, mais elle reste considérable. On a fait depuis pas mal de codes, il ne reste pas moins que l’idée de codification reste aujourd’hui aussi puissante qu’à son époque.

              [Ensuite je n’ai jamais nié qu’on puisse faire de Napoléon un exemple pour l’action dans certains domaines, et je partage votre enthousiasme pour les grands projets, à condition qu’il s’agisse de projets humanistes, c’est à dire de projets visant à émanciper l’humanité de l’aliénation, de la domination ou de l’exploitation. J’appelle grand un homme qui a contribué grandement à cet objectif.]

              Je pense que Napoléon a contribué puissamment à émanciper l’humanité de l’aliénation. Il fut le premier dirigeant qui a soumis l’église au contrôle de l’Etat – et non l’inverse. Avec son code pénal, la France devient le premier pays d’Europe où le blasphème et l’homosexualité ne sont plus des délits, ou la sphère publique est séparée de la sphère privée… si ce n’est pas ça « contribuer grandement » à l’émancipation…

              [J’appelle médiocre un homme dont les ambitions s’orientent avant tout vers le pouvoir, l’argent, la vaine gloire ou les plaisirs charnels, quelles que puissent être ses qualités par ailleurs.]

              Je ne vous savais pas aussi puritain…

    • Carloman dit :

      @ Spinoza,
       
      Je vous prie de m’excuser de vous interpeller, monsieur, mais en tant qu’historien, je suis assez ébahi parce ce que vous écrivez:
       
      [En tant qu’être humain, je pense que tout le versant positif de son héritage – parfois laissé involontairement d’ailleurs – ne saurait compenser les millions de morts, de mutilés, de veuves, d’orphelins, de destructions et de pillages, le tout menés à la poursuite d’une soif inextinguible de pouvoir et d’argent. Je n’ai donc pas de raison de l’honorer, au contraire.]
      Il faudrait quand même rappeler quelques faits que, me semble-t-il, vous négligez:
      1) Napoléon a poursuivi des guerres qu’il n’a pas commencées; en effet, la guerre généralisée de la France révolutionnaire contre le reste de l’Europe a débuté en 1792, guerre déclenchée par la France dans un contexte où ses voisins se montraient de plus en plus menaçants (on pourrait d’ailleurs opérer une comparaison avec la Russie d’aujourd’hui: quand les autres vous encerclent, développent leur dispositif militaire à vos frontières tout en tenant un discours qui vous est clairement hostile, il y a matière à débattre de qui est le réel agresseur). Je vous invite à regarder quel était le grade de Bonaparte à ce moment là. Lorsque Bonaparte prend le pouvoir en 1799, la guerre est déjà là et elle dure depuis des années. Qu’a fait Napoléon dans ce contexte? Il n’a fait que suivre les objectifs qui étaient déjà ceux des Montagnards jacobins: obtenir une paix qui garantisse la sécurité de la France face à ses voisins.
      Et de ce point de vue, vous ne pouvez pas ignorer la géographie: notre frontière nord-est a toujours été le point faible géostratégique de notre pays. Sans réel obstacle naturel, une armée ennemie peut en quelques jours arriver dans les faubourgs de Paris. Et c’est tellement vrai qu’on l’a encore vu en 1914 et en 1940. Seulement voilà, les Anglais n’ont jamais voulu que la France contrôle les bouches de l’Escaut.
       
      Contrairement à une idée reçue, Napoléon a fréquemment cherché à conclure la paix, qu’il espérait durable, avec l’Autriche, avec la Russie. Une paix qui ne supposait pas nécessairement la vassalisation de l’adversaire. Face aux Anglais, Napoléon a là aussi cherché à contraindre les Anglais à conclure la paix. Il n’y est pas parvenu.
       
      2) Ce qui m’amène au 2ème point: les Anglais n’ont jamais voulu d’une paix qui aurait permis à la France de conserver ses conquêtes dans ce qui forme aujourd’hui le Bénélux, conquêtes effectuées, il faut le souligner, AVANT la prise de pouvoir de Bonaparte. Je l’explique toujours à mes élèves: “n’oubliez jamais le principe essentiel, constant, de la politique du Royaume-Uni en Europe: empêcher qu’une puissance continentale exerce l’hégémonie; c’est pourquoi, au temps de Louis XIV et de Napoléon, les Anglais combattaient la France qui aspirait à cette hégémonie; et, pour la même raison, les Anglais ont combattu l’Allemagne au XX° siècle parce que ce pays était devenu la 1ère puissance économique et militaire du continent”. Les Anglais (comme les autres monarchies d’Europe) ont plus que leur part dans “les millions de morts et les destructions” me semble-t-il.
       
      3) Les guerres extérieures de Napoléon masquent également un point qui paraît quand même essentiel: Bonaparte a été un pacificateur de la société française. Car là encore, quittons un peu le confort que nous donnent deux siècles de recul et regardons le contexte: en arrivant au pouvoir, Napoléon trouve un pays déchiré par la guerre civile; il fait d’ailleurs face à de très réels complots monarchistes. Or Napoléon parvient à mettre fin à la guerre civile. Il rétablit des relations – certes inégales – avec l’Eglise, permettant aux catholiques de considérer comme acceptable son régime. Dans le même temps, il garantit un certain nombre d’avancées de la Révolution: liberté de conscience, liberté (encadrée) de culte, égalité devant la loi. En donnant une forme monarchique à son régime à partir de 1804, en établissant une noblesse de mérite sans les privilèges d’Ancien Régime, il renoue avec une forme de tradition – après tout Louis XIV annoblissait des bourgeois pour service rendu à l’Etat – qui rassure les milieux conservateurs. 
       
      [à condition qu’il s’agisse de projets humanistes, c’est à dire de projets visant à émanciper l’humanité de l’aliénation, de la domination ou de l’exploitation.]
      “Ce que désirent avec impatience les peuples d’Allemagne, c’est que les individus qui ne sont point nobles et qui ont des talents aient un droit égal à votre considération et aux emplois, c’est que toute espèce de servage soit entièrement abolie. […] Il faut que vos peuples jouissent d’une liberté, d’une égalité, d’un bien-être inconnus aux peuples de la Germanie. […] Les privilèges sont contraires à l’opinion générale. Soyez un roi constitutionnel […].”
      Extrait d’une lettre de Napoléon à son frère Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, datée du 15 novembre 1807.
       
      S’il n’y a pas là la volonté clairement exprimée d’ “émanciper l’humanité – des Allemands en l’occurrence – de l’aliénation, de la domination (fin des privilèges) ou de l’exploitation (abolition du servage)”, je ne sais pas ce qu’il vous faut…

      • Descartes dit :

        @ Carloman

        D’habitude je trouve toujours quelque chose à redire de vos messages, ne serait-ce que par esprit de contradiction. Mais là, je cherche, je cherche… et je ne trouve rien. 100% d’accord, donc. C’est triste, il n’y aura pas de débat entre nous aujourd’hui…

      • Descartes dit :

        @ Carloman

        D’habitude je trouve toujours quelque chose à redire de vos messages, ne serait-ce que par esprit de contradiction. Mais là, je cherche, je cherche… et je ne trouve rien. 100% d’accord, donc. C’est triste, il n’y aura pas de débat entre nous aujourd’hui…

      • Spinoza dit :

        @ Carloman
         
        Bonjour Monsieur,
         
        Je m’aperçois que mes opinions sur Napoléon déplaisent ici plus que je ne l’aurais cru, et croyez bien que je ne les imaginais pas choquantes au point de provoquer l’ébahissement. Ce n’est pas là le sujet qu’il m’intéressait de discuter initialement, et à un contre plusieurs je vais vite m’épuiser. Pour ne pas être impoli je vais néanmoins vous répondre brièvement.
         
        Je connais bien sûr la thèse des historiens conservateurs selon laquelle Napoléon n’a jamais été l’agresseur mais il me semble qu’elle a été suffisamment réfutée depuis le XXème siècle, je n’ai pas les moyens de refaire ici ce que d’autres ont fait bien mieux que moi.
         
        En ce qui concerne le deuxième point, je vous dirai que je n’ai jamais cherché à imputer la totalité de la responsabilité des « guerres napoléoniennes » à la personne de Napoléon Bonaparte. Il en a une part importante, ça me suffit.
         
        Par ailleurs, la situation de la France en 1799 était loin d’être aussi mauvaise que les thuriféraires de Napoléon le disent, là encore vous m’excuserez de ne pas développer davantage.
         
        Enfin, je ne nie pas le talent de Napoléon pour ce qu’on appelle aujourd’hui la communication, mais pour ce qui est d’établir un bilan j’accorde plus de poids à l’examen des faits qu’à celui des discours.
         

        • Carloman dit :

          @ Spinoza,
           
          Je vous remercie, monsieur, de votre réponse.
           
          [Je connais bien sûr la thèse des historiens conservateurs selon laquelle Napoléon n’a jamais été l’agresseur]
          Pardon, mais je ne vous parle pas de “thèse” mais de faits. Je ne sais pas très bien ce que vous appelez les “historiens conservateurs”. Je ne connais que des historiens sérieux et les autres. Et je serais fort étonné que les historiens progressistes – il doit y en avoir – ne considèrent pas “les guerres de la Révolution et de l’Empire” comme un tout. Entre 1792 et 1814, il y a eu une seule année de paix, celle qui suit la paix d’Amiens en 1802, conclue par Napoléon alors premier consul…
           
          La question était de savoir si Napoléon est à l’origine du cycle de guerre entamé en 1792. A cette question, la réponse ne peut qu’être “non”. On peut, à la rigueur, accuser Napoléon d’avoir poursuivi le conflit, mais il ne l’a pas initié. 
           
          Maintenant, que dans le cadre de ce conflit au long court, Napoléon ait plusieurs fois pris l’initiative de l’offensive, c’est une évidence. Je vous rappelle la maxime bien connue: “la meilleure défense, c’est l’attaque”. Mais il est faux de dire qu’il a systématiquement cherché le conflit. Prenons un exemple: la Guerre de la Quatrième Coalition (1806-1807). Le conflit est déclenché par le fait que la Prusse notamment refuse la réorganisation de l’Allemagne en une Confédération du Rhin sous influence française, projet qui a reçu à ce moment l’approbation de plusieurs autres états allemands. La Prusse mobilise et envoie un ultimatum à la France. Qui doit être considéré comme l’agresseur?
           
          [il me semble qu’elle a été suffisamment réfutée depuis le XXème siècle, je n’ai pas les moyens de refaire ici ce que d’autres ont fait bien mieux que moi.]
          Vous voulez dire que certains historiens ont démontré que Napoléon s’est systématiquement placé dans la position de l’agresseur? Je ne vous cache pas que je suis curieux de connaître l’identité de ces historiens. Les spécialistes actuels me semblent plus nuancés. Il y a par ailleurs consensus parmi les historiens, je pense, pour dire que le Royaume-Uni, l’Autriche, la Prusse, la Russie et quelques autres avaient une volonté claire d’abattre la France révolutionnaire (dont Napoléon est une émanation, qu’on le veuille ou non) et d’empêcher toute hégémonie française en Europe.
           
          [je vous dirai que je n’ai jamais cherché à imputer la totalité de la responsabilité des « guerres napoléoniennes » à la personne de Napoléon Bonaparte.]
          Nous sommes donc d’accord sur ce point.
           
          [Il en a une part importante, ça me suffit.]
          Je pense que vous ne devriez pas vous contenter de si peu. Pour faire la guerre, il faut être deux. Et la question de savoir si Napoléon a au final une part essentielle dans le déclenchement des guerres napoléoniennes n’est pas ancedotique.
           
          Tenez, je vous pose la question: que croyez-vous que Napoléon aurait dû faire? S’abstenir de combattre les monarchies d’Europe? Abandonner les conquêtes de la Révolution antérieure à sa prise de pouvoir pour conclure la paix avec les Anglais? Pensez-vous que dans ces conditions les monarchies conservatrices auraient laissé la France tranquille dans ses frontières de 1789?
           
          Cela me rappelle un peu la méprise des républicains de 1870 qui, tout heureux d’avoir renversé le Second Empire, ont été pour certains un peu surpris de constater que Bismarck ne faisait pas la guerre à Napoléon III mais bien à la France.
           
          Je ne vous reproche pas de ne pas aimer Napoléon, de condamner ses méthodes, sa brutalité, son cynisme parfois, son désir de domination (qui est indéniable). Mais je pense, sauf votre respect, que vous oubliez de vous poser une question essentielle: au-delà de ses ambitions, Napoléon avait-il vraiment le choix? De quelle marge de manoeuvre disposait-il dans une Europe largement hostile à la France depuis 1792? Quelles étaient les alternatives? Condamner la politique de Napoléon sans se poser ces questions, je trouve que c’est se draper dans une sorte de vertu à bon marché, sans vouloir vous offenser.
           
          Ce qui est amusant, c’est que mon cheminement est l’inverse du vôtre: jeune, la geste napoléonienne ne suscitait chez moi qu’une relative indifférence, et je n’éprouvais guère d’admiration pour Napoléon, en-dehors de ses très réelles qualités militaires mais dont je n’étais pas loins de penser qu’il les avait utilisées à mauvais escient (comme vous, si j’ai bien compris). C’est plus tard, en comprenant toute la complexité de la situation, le contexte incroyablement difficile auquel il a été confronté, mais aussi les ressorts de la “légende noire” bâtie notamment par les Anglo-saxons – et dont, soi-dit en passant, Napoléon n’est pas la seule victime, Philippe II d’Espagne ayant aussi une “légende noire” qui lui colle à la peau et qui ne correspond que très imparfaitement à la réalité – que j’ai compris qu’il convenait de considérer avec davantage de nuance l’oeuvre de Napoléon. Sur l’homme à proprement parler, je n’ai pas d’opinion, il avait ses faiblesses et ses grandeurs, c’est certain. Mais son oeuvre mérite, je trouve, un peu plus de bienveillance que la sentence sévère et définitive que vous lui avez réservée en quelques phrases.
           
          C’était le sens de mon intervention. Je vous souhaite une bonne continuation. 

          • Spinoza dit :

            @ Carloman
            Si vous me relisez vous verrez que mon bilan de ses réalisations d’homme d’État est en fait nuancé. C’est surtout l’homme qui je dénigre.
            On ne peut évidemment rien imputer à Napoléon avant 1800. Mais à sa place, une fois au pouvoir, j’aurais cherché à négocier un compromis acceptable par les puissances européennes, plutôt que la fuite en avant. Un tel compromis était possible : jusqu’à l’invasion de l’Espagne les victoires militaires se sont enchainées, et ce sont les victoires militaires qui font que vous avez les cartes en main. Vous ne me ferez pas croire qu’il ne pouvait absolument rien faire d’autre que d’avaler la moitié de l’Europe. C’était évident que les puissances européennes ne l’accepteraient jamais.
             
            Puisque vous avez fait la comparaison avec la guerre d’Ukraine, ce n’est pas parce que les troupes russes ont passé la frontière en premier que Poutine est l’unique responsable de la guerre.
             
            Aujourd’hui comme hier les responsabilités sont partagées, elles ne sont certes pas totales pour un coté, mais pas nulles non plus. Donc Napoléon n’avait pas une marge de manœuvre absolue, mais il en avait une tout de même.
             
            Bonne continuation à vous
             

  16. cdg dit :

    Je vais defendre (un peu) Macron. Certes, je pense qu il n a pas été un bon president mais je vous trouve un peu injuste.Déjà il serait plus juste de comparer Macron a VGE qu a De Gaulle. Elu president jeune, enarque, ancien ministre des finances, issu d un milieu aisé. Certes Macron n est pas polytechnicien et je vois mal Macron s engager en 44 dans l armee pour aller risquer sa vie en Allemagne (VGE a meme été decoré de la croix de guerre)Comme VGE, Macron a fait du societal (IVG pour l un, LBGTQI+ pour l autre). Sur le plan electoral, avantage Macron qui a pu être reelu alors que VGE a été battu. Sur le plan economique, qui était censé être leur point fort a tous les 2, le bilan n est pas fameux.VGE est arrive au moment des chocs petroliers mais il n a soit pas compris qu on avait changé d ere (fini les 30 glorieuses et le rattrapage economique avec de l energie pas chère) ou pas été capable de le faire savoir. Macron a fait exploser la dette sans être capable de résoudre aucun des problèmes de la France. Une bonne partie de la baisse du chômage s explique par la démographie (moins de bebe hier = moins de chômeurs aujourd hui)
    A mon avis, notre probleme majeur est que notre système social a été concu en 45 et etendu massivement dans les années 60-70. En simplifiant un peu, on peu dire que c est l ouvrier par son travail qui nourrit tout le reste. Ca pouvait marcher quand la France était un quasi autarcie (on vait encore des colonies jusqu aux années 60) et que la concurrence internationale était limitee (en 1960 la chine n exportait rien a par le petit livre rouge 😉)
    Maintenant ce n est plus le cas et on en paie le prix avec une desindustrialisation massive, un deficit commercial lui aussi conséquent. L etat essaie de masquer les problèmes en subventionnant la consommation (cheque rentree socialaire actuellement, mais on a eut le cheque pour ceux qui se chuaffent au mazout ou au bois, le « quoi qu il en coute «  …) ou en faisant gonfler le prix des actifs (c est pas un hasard si l immobilier c est mit a flamber). Evidement cette politique fait exploser les deficits et rend encore plus nécessaire d augmenter la pression fiscale qui va rendre encore plus faible le secteur productifJ ai été surpris de voir que vous souhaitez que la premiere mesure d un nouveau gouvernement soit de revenir sur le rafistolage des retraites (c est pas une reforme, c est juste un eieme replatrage qui ne regle pas le probleme de fond mais permet juste de reculer l echeance). Vous n ignorez pas que les ressources supplémentaires degagées par ce replatrage ont déjà été depensées (+5 % sur les pensions en début d année et il y a quelques jours on a annoncé une augmentation des petites retraites).
    Dans un billet precedent vous ecriviez que la priorite c est de redresser la production (« Et le nœud de l’affaire, c’est à mon sens la question de la production et du travail. Tout programme construit sur l’idée qu’il y aurait quelque part une corne d’abondance, et qu’il suffirait de distribuer ce qui en sort pour que tout le monde soit heureux est toxique »)
    Revenir sur l age de la retraite c est exactement distribuer l argent magique d une corne d abondance car personne ne parle du financement (on pourrait soit augmenter cotisations retraites ou baisser les pensions actuelles mais c est pas très porteur electoralement).Si on veut redresser la production, il faut que produire soit plus interessant que rester chez soi. S il y a une partie mentalite (je me rappelle enfant que des gens refusait de partir a la retraite car ca signifiait être considere comme plus bon a rien), il reste qu il faut que le travail paie plus que l oisivete et ca ne peut se faire en augmentant encore les dépenses sociales (les retraités ont déjà un niveau de vie supérieure aux actifs, on doit être le seul pays au monde qui a ca)
    PS: Mitterrand (ou chirac) n a pas eut le choix pour le PM. ils faisaient face a une AN qui etait controle par un parti hostile. La on a une AN qui n a aucune majorite. Ce qui ne m empeche pas de juger le jeu de Macron deletere car il est clair qu il ne pourra trouver un PM et une AN qui veuille suivre sa politique

    • Descartes dit :

      @cdg

      [Je vais defendre (un peu) Macron.]

      Si j’étais méchant, je dirais qu’on tombe du côté où l’on penche (un peu). Dans tous les cas, je vous conseille d’allumer un cierge à sainte Rita.

      [Certes, je pense qu’il n’a pas été un bon président mais je vous trouve un peu injuste. Déjà il serait plus juste de comparer Macron à VGE qu’à De Gaulle. Elu président jeune, énarque, ancien ministre des finances, issu d’un milieu aisé. Certes Macron n’est pas polytechnicien et je vois mal Macron s’engager en 44 dans l’armée pour aller risquer sa vie en Allemagne (VGE a même été décoré de la croix de guerre).]

      On peut toujours faire des comparaisons, mais là elle me paraît très tirée par les cheveux. D’abord, Giscard n’était pas si « jeune » que ça. Quand il est élu, il a 48 ans, ce qui fait jeune par rapport à De Gaulle ou Pompidou, mais c’est quand même un homme mûr. Ensuite, Giscard a derrière lui, lorsqu’il est élu président en 1974, une très longue expérience politique : il évolue dans les cercles politiques depuis 1955 ; il a été élu député pour la première fois en 1958 ; ministre depuis 1962 et membre du gouvernement depuis 1959 ; il est maire depuis 1967. A l’inverse, Macron est élu quand il n’a pas 40 ans et qu’il n’a jamais été élu, et que son expérience de direction se limite à deux ans comme secrétaire général adjoint de l’Elysée, et deux comme ministre. Enfin, comme vous le soulignez, Giscard a une expérience vitale que Macron n’a pas, que ce soit son engagement dans les forces françaises à la fin de la guerre, ou sa participation à la tragédie algérienne. J’ajoute que Giscard est un homme à qui tout réussit, alors que Macron échoue à son ambition première, celle d’entrer à l’ENS pour faire de la philosophie…

      [Comme VGE, Macron a fait du sociétal (IVG pour l’un, LBGTQI+ pour l’autre).]

      L’exemple est à mon sens mal choisi. La légalisation de l’IVG n’est pas seulement une question « sociétale ». C’est une réforme qui a des conséquences importantes sur les plans économique, démographique, social, sanitaire. Il est vrai que le « sociétal » commence à prendre de l’importance sous Giscard, mais on ne peut pas dire que ce fut sa tasse de thé, qu’il ait beaucoup poussé dans ce sens.

      [Sur le plan électoral, avantage Macron qui a pu être réélu alors que VGE a été battu.]

      Franchement, j’ai du mal à voir où est « l’avantage ». Macron doit sa réélection mois à ses qualités personnelles ou sa politique qu’à la faiblesse de ses adversaires et à leur incapacité à proposer une alternative un tant soi peu sérieuse. A l’inverse, Giscard a été battu moins pour ses choix de gouvernement que par ce qu’il représentait.

      [Sur le plan économique, qui était censé être leur point fort a tous les 2, le bilan n’est pas fameux. VGE est arrivé au moment des chocs pétroliers mais il n’a soit pas compris qu’on avait changé d’ère (fini les 30 glorieuses et le rattrapage économique avec de l’énergie pas chère) ou pas été capable de le faire savoir. Macron a fait exploser la dette sans être capable de résoudre aucun des problèmes de la France.]

      Là encore, la comparaison va en défaveur de Macron. Giscard a eu à faire face à deux chocs exogènes majeurs, et on ne peut pas dire qu’il les ait mal gérés. Bien sûr, il n’a pas compris qu’il ne s’agit pas d’un trou d’air mais d’une transformation majeure du capitalisme, mais à sa décharge il faut dire qu’à l’époque ceux qui l’avaient compris étaient très rares, et très isolés. Giscard et Barre ont cependant le mérite de ne pas avoir cherché des solutions dans l’orthodoxie libérale – comme le feront plus tard les socialistes avec la « politique du franc fort ». Il faut aussi noter que Giscard a eu à gérer la question monétaire, ce qui n’est pas le cas de Macron. Je pense que la réflexion économique du temps de Giscard/Barre était autrement plus sérieuse qu’elle ne l’est sous Macron/Le Maire, qui découvrent les déficits au fur et à mesure qu’ils apparaissent…

      [A mon avis, notre problème majeur est que notre système social a été conçu en 45 et étendu massivement dans les années 60-70. En simplifiant un peu, on peut dire que c’est l’ouvrier par son travail qui nourrit tout le reste. Ca pouvait marcher quand la France était un quasi autarcie (on avait encore des colonies jusqu’aux années 60) et que la concurrence internationale était limitée]

      Vous oubliez de noter que depuis cette époque la répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail s’est beaucoup modifiée, qu’en termes relatifs les profits n’ont pas cessé d’augmenter, alors que les salaires, eux, stagnaient. Mais clairement ce n’est pas là un « problème majeur »…

      La France n’a jamais été – colonies ou pas – en « quasi autarcie ». On a toujours beaucoup dépendu des échanges – pour n’aborder que le domaine énergétique, jamais depuis 1945 les colonies françaises n’ont couvert la consommation pétrolière. Mais notre commerce était plus équilibré, parce que nous fabriquions beaucoup de biens – et notamment de biens d’équipement – que nous pouvions exporter. Et si nous arrivions à produire ces biens tout en étant compétitifs sur les marchés étrangers, c’est parce que les mesures protectionnistes permettaient à nos industriels de bénéficier d’un marché « captif » qui leur assurait la rentabilisation de leurs investissements. A partir des années 1970, on a fait le choix du libre-échange intégral. Mais c’est là un CHOIX, et non une imposition de l’extérieur. Beaucoup de pays continuent à pratiquer un protectionnisme intelligent – les Etats-Unis les premiers.

      [Maintenant ce n’est plus le cas et on en paie le prix avec une désindustrialisation massive, un déficit commercial lui aussi conséquent.]

      Ce n’était pas une fatalité, mais la conséquence d’un choix. Le prix qu’on paye, c’est le prix de ce choix.

      [L’Etat essaie de masquer les problèmes en subventionnant la consommation]

      Honneur à qui honneur est dû. « l’Etat » ne fait rien de tel. Ce sont les politiques qui décident de « masquer » en subventionnant, pas « l’Etat ». Encore une fois, il faut arrêter de faire comme les Américains, et confondre Etat et gouvernement…

      [Evidement cette politique fait exploser les déficits et rend encore plus nécessaire d’augmenter la pression fiscale qui va rendre encore plus faible le secteur productif]

      La pression fiscale n’a aucune raison de « rendre plus faible le secteur productif ». Imposer les voitures et les yachts de luxe n’a aucune raison de toucher l’investissement productif. Au contraire !

      [J’ai été surpris de voir que vous souhaitez que la première mesure d’un nouveau gouvernement soit de revenir sur le rafistolage des retraites (c’est pas une réforme, c’est juste un eieme replâtrage qui ne règle pas le problème de fond mais permet juste de reculer l’échéance).]

      Confidence pour confidence, je suis surpris que vous ayez pu lire cela sous ma plume. Je n’ai jamais écrit pareille chose. Ce que j’ai dit – avec une pointe de regret, notez-le bien – que la réforme des retraites est devenue un symbole, et que pour cette raison tout gouvernement qui voudrait marquer une rupture, et cela me paraît indispensable sauf à ignorer le vœu exprimé par les Français dans les urnes, sera obligé de l’abroger ou de la modifier profondément. Vous connaissez ma position : je pense que la retraite est une question d’étalement de ce qu’on produit pendant la partie active de notre vie sur l’ensemble de la vie de chaque individu. Après, on peut choisir de se serrer la ceinture quand on est actif pour avoir une période d’études et une retraite mieux rémunérée et plus longue, ou l’inverse, et je suis favorable à un système qui laisserait ce choix aux individus. A cela s’ajoute un critère de rentabilité de l’investissement public : si je paye vingt ans d’études à un médecin, ce n’est pas pour qu’il s’arrête de travailler à 50 ans.

      Personnellement, le système à points sans âge de départ me plaisait bien. Ce système permettait à chacun de choisir sa retraite en fonction de ses préférences personnelles, et on pouvait par le biais des majorations des points acquis prendre compte la pénibilité. Toujours de mon point de vue personnel, il y a des priorités bien plus criantes que d’abroger cette réforme. Je la trouve inique, mais il y a pas mal d’autres iniquités qui me semblent bien plus importantes à traiter. Mais je suis fataliste : telle que la réforme à été faite, c’est un symbole. Et les symboles sont importants.

      [Dans un billet precedent vous ecriviez que la priorite c est de redresser la production (« Et le nœud de l’affaire, c’est à mon sens la question de la production et du travail. Tout programme construit sur l’idée qu’il y aurait quelque part une corne d’abondance, et qu’il suffirait de distribuer ce qui en sort pour que tout le monde soit heureux est toxique »)]

      Je le confirme sans peur et sans reproche. Mais attention, « redresser la production » ne veut pas dire faire des cadeaux au capital avec l’espoir qu’il daignera créer des richesses et des emplois. Il ne faut pas confondre le « redresser la production » des néolibéraux et le « redresser la production » des dirigistes – parmi lesquels il faut compter votre serviteur.

      [Revenir sur l’âge de la retraite c’est exactement distribuer l’argent magique d’une corne d’abondance car personne ne parle du financement (on pourrait soit augmenter cotisations retraites ou baisser les pensions actuelles mais c’est pas très porteur électoralement).]

      Je suis d’accord. Il y a à mon sens deux débats à avoir : le premier, c’est celui de l’équilibre entre le niveau de vie des actifs et celui des retraités. Le second, les transferts entre les différentes couches de la société par le biais de la retraite. La première question, je l’ai discutée plus haut, je ne reviens pas. La seconde est importante : quand on fixe un âge uniforme de départ, on provoque un transfert des couches dont l’espérance de vie est la plus courte vers celle qui a la plus longue. Par exemple, si les ouvriers ont une espérance de vie égale à l’âge de départ réglementaire, ils cotiseront en principe en pure perte…

      [Si on veut redresser la production, il faut que produire soit plus intéressant que rester chez soi. S’il y a une partie mentalité (je me rappelle enfant que des gens refusait de partir à la retraite car ça signifiait être considère comme plus bon à rien), il reste qu’il faut que le travail paie plus que l’oisiveté et ca ne peut se faire en augmentant encore les dépenses sociales (les retraités ont déjà un niveau de vie supérieure aux actifs, on doit être le seul pays au monde qui a ca)]

      Je note que vous parlez comme si le seul obstacle à l’augmentation de la production était l’attitude des salariés. Mais… n’y a-t-il pas aussi un problème du côté du capital ? La recherche de la rentabilité maximale du capital ne prive pas le pays d’investissements qui auraient pour effet d’augmenter la productivité du travail et la valeur ajoutée produite ? Mais non, j’oubliais, surtout rien imposer au capital… 😉

      Oui, vous avez raison, il faut que le travail paye plus que l’oisiveté. On se dit qu’un bon moyen d’atteindre ce résultat, ce serait… d’augmenter les salaires. Vous êtes d’accord ?

    • Descartes dit :

      @cdg

      [Je vais defendre (un peu) Macron.]

      Si j’étais méchant, je dirais qu’on tombe du côté où l’on penche (un peu). Dans tous les cas, je vous conseille d’allumer un cierge à sainte Rita.

      [Certes, je pense qu’il n’a pas été un bon président mais je vous trouve un peu injuste. Déjà il serait plus juste de comparer Macron à VGE qu’à De Gaulle. Elu président jeune, énarque, ancien ministre des finances, issu d’un milieu aisé. Certes Macron n’est pas polytechnicien et je vois mal Macron s’engager en 44 dans l’armée pour aller risquer sa vie en Allemagne (VGE a même été décoré de la croix de guerre).]

      On peut toujours faire des comparaisons, mais là elle me paraît très tirée par les cheveux. D’abord, Giscard n’était pas si « jeune » que ça. Quand il est élu, il a 48 ans, ce qui fait jeune par rapport à De Gaulle ou Pompidou, mais c’est quand même un homme mûr. Ensuite, Giscard a derrière lui, lorsqu’il est élu président en 1974, une très longue expérience politique : il évolue dans les cercles politiques depuis 1955 ; il a été élu député pour la première fois en 1958 ; ministre depuis 1962 et membre du gouvernement depuis 1959 ; il est maire depuis 1967. A l’inverse, Macron est élu quand il n’a pas 40 ans et qu’il n’a jamais été élu, et que son expérience de direction se limite à deux ans comme secrétaire général adjoint de l’Elysée, et deux comme ministre. Enfin, comme vous le soulignez, Giscard a une expérience vitale que Macron n’a pas, que ce soit son engagement dans les forces françaises à la fin de la guerre, ou sa participation à la tragédie algérienne. J’ajoute que Giscard est un homme à qui tout réussit, alors que Macron échoue à son ambition première, celle d’entrer à l’ENS pour faire de la philosophie…

      [Comme VGE, Macron a fait du sociétal (IVG pour l’un, LBGTQI+ pour l’autre).]

      L’exemple est à mon sens mal choisi. La légalisation de l’IVG n’est pas seulement une question « sociétale ». C’est une réforme qui a des conséquences importantes sur les plans économique, démographique, social, sanitaire. Il est vrai que le « sociétal » commence à prendre de l’importance sous Giscard, mais on ne peut pas dire que ce fut sa tasse de thé, qu’il ait beaucoup poussé dans ce sens.

      [Sur le plan électoral, avantage Macron qui a pu être réélu alors que VGE a été battu.]

      Franchement, j’ai du mal à voir où est « l’avantage ». Macron doit sa réélection mois à ses qualités personnelles ou sa politique qu’à la faiblesse de ses adversaires et à leur incapacité à proposer une alternative un tant soi peu sérieuse. A l’inverse, Giscard a été battu moins pour ses choix de gouvernement que par ce qu’il représentait.

      [Sur le plan économique, qui était censé être leur point fort a tous les 2, le bilan n’est pas fameux. VGE est arrivé au moment des chocs pétroliers mais il n’a soit pas compris qu’on avait changé d’ère (fini les 30 glorieuses et le rattrapage économique avec de l’énergie pas chère) ou pas été capable de le faire savoir. Macron a fait exploser la dette sans être capable de résoudre aucun des problèmes de la France.]

      Là encore, la comparaison va en défaveur de Macron. Giscard a eu à faire face à deux chocs exogènes majeurs, et on ne peut pas dire qu’il les ait mal gérés. Bien sûr, il n’a pas compris qu’il ne s’agit pas d’un trou d’air mais d’une transformation majeure du capitalisme, mais à sa décharge il faut dire qu’à l’époque ceux qui l’avaient compris étaient très rares, et très isolés. Giscard et Barre ont cependant le mérite de ne pas avoir cherché des solutions dans l’orthodoxie libérale – comme le feront plus tard les socialistes avec la « politique du franc fort ». Il faut aussi noter que Giscard a eu à gérer la question monétaire, ce qui n’est pas le cas de Macron. Je pense que la réflexion économique du temps de Giscard/Barre était autrement plus sérieuse qu’elle ne l’est sous Macron/Le Maire, qui découvrent les déficits au fur et à mesure qu’ils apparaissent…

      [A mon avis, notre problème majeur est que notre système social a été conçu en 45 et étendu massivement dans les années 60-70. En simplifiant un peu, on peut dire que c’est l’ouvrier par son travail qui nourrit tout le reste. Ca pouvait marcher quand la France était un quasi autarcie (on avait encore des colonies jusqu’aux années 60) et que la concurrence internationale était limitée]

      Vous oubliez de noter que depuis cette époque la répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail s’est beaucoup modifiée, qu’en termes relatifs les profits n’ont pas cessé d’augmenter, alors que les salaires, eux, stagnaient. Mais clairement ce n’est pas là un « problème majeur »…

      La France n’a jamais été – colonies ou pas – en « quasi autarcie ». On a toujours beaucoup dépendu des échanges – pour n’aborder que le domaine énergétique, jamais depuis 1945 les colonies françaises n’ont couvert la consommation pétrolière. Mais notre commerce était plus équilibré, parce que nous fabriquions beaucoup de biens – et notamment de biens d’équipement – que nous pouvions exporter. Et si nous arrivions à produire ces biens tout en étant compétitifs sur les marchés étrangers, c’est parce que les mesures protectionnistes permettaient à nos industriels de bénéficier d’un marché « captif » qui leur assurait la rentabilisation de leurs investissements. A partir des années 1970, on a fait le choix du libre-échange intégral. Mais c’est là un CHOIX, et non une imposition de l’extérieur. Beaucoup de pays continuent à pratiquer un protectionnisme intelligent – les Etats-Unis les premiers.

      [Maintenant ce n’est plus le cas et on en paie le prix avec une désindustrialisation massive, un déficit commercial lui aussi conséquent.]

      Ce n’était pas une fatalité, mais la conséquence d’un choix. Le prix qu’on paye, c’est le prix de ce choix.

      [L’Etat essaie de masquer les problèmes en subventionnant la consommation]

      Honneur à qui honneur est dû. « l’Etat » ne fait rien de tel. Ce sont les politiques qui décident de « masquer » en subventionnant, pas « l’Etat ». Encore une fois, il faut arrêter de faire comme les Américains, et confondre Etat et gouvernement…

      [Evidement cette politique fait exploser les déficits et rend encore plus nécessaire d’augmenter la pression fiscale qui va rendre encore plus faible le secteur productif]

      La pression fiscale n’a aucune raison de « rendre plus faible le secteur productif ». Imposer les voitures et les yachts de luxe n’a aucune raison de toucher l’investissement productif. Au contraire !

      [J’ai été surpris de voir que vous souhaitez que la première mesure d’un nouveau gouvernement soit de revenir sur le rafistolage des retraites (c’est pas une réforme, c’est juste un eieme replâtrage qui ne règle pas le problème de fond mais permet juste de reculer l’échéance).]

      Confidence pour confidence, je suis surpris que vous ayez pu lire cela sous ma plume. Je n’ai jamais écrit pareille chose. Ce que j’ai dit – avec une pointe de regret, notez-le bien – que la réforme des retraites est devenue un symbole, et que pour cette raison tout gouvernement qui voudrait marquer une rupture, et cela me paraît indispensable sauf à ignorer le vœu exprimé par les Français dans les urnes, sera obligé de l’abroger ou de la modifier profondément. Vous connaissez ma position : je pense que la retraite est une question d’étalement de ce qu’on produit pendant la partie active de notre vie sur l’ensemble de la vie de chaque individu. Après, on peut choisir de se serrer la ceinture quand on est actif pour avoir une période d’études et une retraite mieux rémunérée et plus longue, ou l’inverse, et je suis favorable à un système qui laisserait ce choix aux individus. A cela s’ajoute un critère de rentabilité de l’investissement public : si je paye vingt ans d’études à un médecin, ce n’est pas pour qu’il s’arrête de travailler à 50 ans.

      Personnellement, le système à points sans âge de départ me plaisait bien. Ce système permettait à chacun de choisir sa retraite en fonction de ses préférences personnelles, et on pouvait par le biais des majorations des points acquis prendre compte la pénibilité. Toujours de mon point de vue personnel, il y a des priorités bien plus criantes que d’abroger cette réforme. Je la trouve inique, mais il y a pas mal d’autres iniquités qui me semblent bien plus importantes à traiter. Mais je suis fataliste : telle que la réforme à été faite, c’est un symbole. Et les symboles sont importants.

      [Dans un billet precedent vous ecriviez que la priorite c est de redresser la production (« Et le nœud de l’affaire, c’est à mon sens la question de la production et du travail. Tout programme construit sur l’idée qu’il y aurait quelque part une corne d’abondance, et qu’il suffirait de distribuer ce qui en sort pour que tout le monde soit heureux est toxique »)]

      Je le confirme sans peur et sans reproche. Mais attention, « redresser la production » ne veut pas dire faire des cadeaux au capital avec l’espoir qu’il daignera créer des richesses et des emplois. Il ne faut pas confondre le « redresser la production » des néolibéraux et le « redresser la production » des dirigistes – parmi lesquels il faut compter votre serviteur.

      [Revenir sur l’âge de la retraite c’est exactement distribuer l’argent magique d’une corne d’abondance car personne ne parle du financement (on pourrait soit augmenter cotisations retraites ou baisser les pensions actuelles mais c’est pas très porteur électoralement).]

      Je suis d’accord. Il y a à mon sens deux débats à avoir : le premier, c’est celui de l’équilibre entre le niveau de vie des actifs et celui des retraités. Le second, les transferts entre les différentes couches de la société par le biais de la retraite. La première question, je l’ai discutée plus haut, je ne reviens pas. La seconde est importante : quand on fixe un âge uniforme de départ, on provoque un transfert des couches dont l’espérance de vie est la plus courte vers celle qui a la plus longue. Par exemple, si les ouvriers ont une espérance de vie égale à l’âge de départ réglementaire, ils cotiseront en principe en pure perte…

      [Si on veut redresser la production, il faut que produire soit plus intéressant que rester chez soi. S’il y a une partie mentalité (je me rappelle enfant que des gens refusait de partir à la retraite car ça signifiait être considère comme plus bon à rien), il reste qu’il faut que le travail paie plus que l’oisiveté et ca ne peut se faire en augmentant encore les dépenses sociales (les retraités ont déjà un niveau de vie supérieure aux actifs, on doit être le seul pays au monde qui a ca)]

      Je note que vous parlez comme si le seul obstacle à l’augmentation de la production était l’attitude des salariés. Mais… n’y a-t-il pas aussi un problème du côté du capital ? La recherche de la rentabilité maximale du capital ne prive pas le pays d’investissements qui auraient pour effet d’augmenter la productivité du travail et la valeur ajoutée produite ? Mais non, j’oubliais, surtout rien imposer au capital… 😉

      Oui, vous avez raison, il faut que le travail paye plus que l’oisiveté. On se dit qu’un bon moyen d’atteindre ce résultat, ce serait… d’augmenter les salaires. Vous êtes d’accord ?

      • cdg dit :

        [On peut toujours faire des comparaisons, mais là elle me paraît très tirée par les cheveux. D’abord, Giscard n’était pas si « jeune » que ça. Quand il est élu, il a 48 ans]
        Avant Macron c était quand meme lui le plus jeune president. Certes Macron avait 8 ans de moins que Gicard mais j ose pas calculer l ecart d age avec De Gaulle ou Mitterrand
        [Ensuite, Giscard a derrière lui, lorsqu’il est élu président en 1974, une très longue expérience politique]
        Tout a fait, mais la comparaison Macon/De Gaulle est encore pire
        {[Sur le plan électoral, avantage Macron qui a pu être réélu alors que VGE a été battu.]
        Franchement, j’ai du mal à voir où est « l’avantage ». }
        Sur un plan purement politicien, l un a réussit a être reelu, l autre pas. Donc avantage Macron. Apres certes Macron a réussit en partie grâce a la mediocrite de ses adversaires et Giscard aurait pu être reelu s il avait utilisé la fameuse photo de Petain decorant Mitterrand ou s il avait reussi  a corneriser Chirac (le RPR de l époque appelait en sous main a voter Mitterrand en étant persuade que celui-ci ne durerait pas au pouvoir)
        [Je pense que la réflexion économique du temps de Giscard/Barre était autrement plus sérieuse qu’elle ne l’est sous Macron/Le Maire, qui découvrent les déficits au fur et à mesure qu’ils apparaissent…]
        Vous croyez vraiment qu ils decouvrent les deficits a la dernière minute ? Meme si Le Maire est un rigolo (il doit son poste au fait d avoir rallié Macron très tot) je suis certain que le niveau en dessous est compétant et se rendait bien compte que les dépenses flambaient bien plus que les recettes. Par contre c est pas porteur electoralement d annoncer soit des augmentations d impôts soit des baisses de dépenses donc on fait semblant de ne pas être au courant jusqu a la dernière minute
        [Vous oubliez de noter que depuis cette époque la répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail s’est beaucoup modifiée, qu’en termes relatifs les profits n’ont pas cessé d’augmenter, alors que les salaires, eux, stagnaient. Mais clairement ce n’est pas là un « problème majeur »…]
        Si vous regardez les graphiques de l INSEE (https://www.insee.fr/fr/statistiques/1380707 graphique I), vous voyez que la part des salaires était entre 66 et 70 % de 1949 a 73 et qu elle est depuis 1990 entre 64 et 66. Elle a certes beaucoup baissée si en prend 1981 comme reference (un pic a 74 %) mais si on continue votre comparaison avec De Gaulle on peut dire que la part des salaires a un peu baissée mais ne s est pas effondree. Vous pourrez aussi voir que sur ce graphique il y a les impôts de production et que ceux-ci ont flambés
        Je suis en partie d accord avec vous sur un point : on est allé trop loin dans la financiarisation de l economie et ca donne des phénomènes comme Boeing. Par contre je suis pas sur que remettre l etat dans la boucle ne soit pas pire que le mal (vous imaginez Segolene a un poste dirigeant d Airbus, notre Bruno dirigeant Renault ? ) et il ne faut pas oublier que si les dividendes baissent, les retraites baissent dans les pays qui ont des systèmes par capitalisation ou en France pour les fonctionnaires (prefond)
        [Et si nous arrivions à produire ces biens tout en étant compétitifs sur les marchés étrangers, c’est parce que les mesures protectionnistes permettaient à nos industriels de bénéficier d’un marché « captif » qui leur assurait la rentabilisation de leurs investissements. ]
        C est la ou nous divergeons.
        Avoir un marche captif ne vous rend pas forcement plus fort a l export. Ca peut meme être le contraire car vous pouvez très bien vous contenter de faire des produits mediocres et cher . Evidement vous ne pouvez pas vendre a l export mais en interne ceux qui ont besoin de ce type de produit seront obliges d acheter chez vous car ils n ont pas le choix. C était par ex le cas de Bull avec les administrations françaises dans les années 80.
        Autre probleme de ce type de raisonnement, la taille du marché. Fabriquer une usine de processseur coute des dizaines de milliards (https://www.lesnumeriques.com/cpu-processeur/tsmc-inaugure-son-usine-pour-le-3-nm-ou-la-production-debutera-en-2022-n157869.html). Ce type d usine sera impossible a rentabiliser sur un seul pays
        Vous connaissez la therorie des avantages comparatifs de Ricardo. Au lieu d essayer de tout faire plus ou moins mal, il vaut mieux se concentrer sur certains produits et échanger pour avoir le reste
        [Beaucoup de pays continuent à pratiquer un protectionnisme intelligent – les Etats-Unis les premiers.]
        Vu leur deficit commercial, je trouve l exemple osé
        [La pression fiscale n’a aucune raison de « rendre plus faible le secteur productif ». Imposer les voitures et les yachts de luxe n’a aucune raison de toucher l’investissement productif. Au contraire !]
        Vous ne pensez pas sérieusement pouvoir financer l etat en taxant les yachts de luxe ? A ce propos, Hollande avait essayé de créer une taxe et ca n avait quasiment rien rapporté
        Pour donner un ordre d idée, la sécurité sociale a depense 470 milliards (https://www.securite-sociale.fr/la-secu-cest-quoi/chiffres-cles) et l etat 455 (file:///C:/Users/DCHRIS/Downloads/Budget%20vote%20pour%202023_Chiffres-cles-0316-vDEF.pdf). Autrement dit on doit financer pres de 1000 millards. Meme si on taxe toutes les voitures (39 millions) et bateaux (1 million) on devrait les taxer a 25 000 chacun chaque année …
        Le système francais avait assez logiquement decidé de taxer quelque chose qui est facile a taxer et peu mobile : le travail salarié. M Dupont va pas aller travailler demain a singapour car il y paiera moins d impot et il peut difficilement frauder car ses revenus sont declaré par un tier (son employeur) et c est aussi celui-ci qui se charge de prélever cotisations sociales et maintenant IR (retenue a la source). C est comme ca comme est champion d europe (https://www.lepoint.fr/economie/la-france-championne-d-europe-des-prelevements-obligatoires-03-04-2024-2556731_28.php)
         
        [Personnellement, le système à points sans âge de départ me plaisait bien. Ce système permettait à chacun de choisir sa retraite en fonction de ses préférences personnelles, et on pouvait par le biais des majorations des points acquis prendre compte la pénibilité.]
        Moi aussi, l abandon de ce projet par Macron a été une de ses grosses erreurs. IL faut dire que l idée de E Philippe de le coupler a une tentative d economie était le coup de grace
        [Mais attention, « redresser la production » ne veut pas dire faire des cadeaux au capital avec l’espoir qu’il daignera créer des richesses et des emplois. Il ne faut pas confondre le « redresser la production » des néolibéraux et le « redresser la production » des dirigistes – parmi lesquels il faut compter votre serviteur.]
        Il ne s agit pas de faire des cadeaux a X ou Y mais simplement de faire une politique cohrente qui marche. Taxer massivement le travail puis créer le CICE pour annuler les effets négatifs comme l a fait Hollande est debile
        Mettre l etat dans la boucle aura plus d effet pervers que positifs. Déjà le choix de critere principal d un projet sera les retombes électorales. On subventionnera donc une mine de charbon qui ne sera jamais rentable (ca se fait plus en France mais toujours en RFA). Ensuite meme si un projet est adopté, l etat le confiera a des entreprises « amies » qui auront embauchés anciens et futur ministres  meme si ces entreprises ne sont pas competantes (par exemple France Telecom a embauche l ex ministre de la culture Albanel et a été chargé du cloud souverain)
        [Mais… n’y a-t-il pas aussi un problème du côté du capital ? La recherche de la rentabilité maximale du capital ne prive pas le pays d’investissements qui auraient pour effet d’augmenter la productivité du travail et la valeur ajoutée produite ?]
        Mais si. Il y a ici plusieurs problèmes :
        –          Mauvaise allocation du capital : le francais moyen n investi pas dans l industrie mais dans le parpaing
        –          Manque de capital du a l absence de fond de pensions
        –          Vision court termiste et tentative de faire des « coups » de nos capitalistes
        –          Système fiscal aberrant et punitif (il n y a qu a voir le debat sur l ISF. Ca rapportait 5 milliards alors que les besoins de financement sont de 1000. Retablire ISF en plus de l IFI c est 0.5 % des recettes. C est un symbole politique et le message est «vous aurez plus et on va faire payer les plus riches que vous »)
        [surtout rien imposer au capital]
        Le probleme quand vous parlez d imposer, c est qu il va falloir définir des règles, payer des contrôleurs pour voir si elles sont respectees, des juges pour sanctionner les fraudes (car tout système genere ses profiteurs donc vous pouvez être assuré qu il va y avoir des margoulins qui vont essayer). L avantage du marche libre c est que le système s equilibre de lui-même sans avoir besoin de tout ca. Si vous avez des clients solvables, de la main d œuvre capable vous allez avoir spontanément des gens qui  vont proposer leurs services pour répondre a la demande. Pas besoin d etat ni de règles (en étant un peu provocateur, je vous dirai que les differents uber-shit en sont un bon exemple de ce que le marche peut faire spontanément pour répondre a une demande)
        [On se dit qu’un bon moyen d’atteindre ce résultat, ce serait… d’augmenter les salaires. Vous êtes d’accord ?]
        Il y a quelque temps vous aviez ecrit un billet qui parlait de la proposition du NFP d augmenter le smic. Vous avez-vous-même explique les effets secondaires. C est pour ca que je pense qu une augmentation des salaires nets (augmenter le brut n a aucun interet si a la fin du mois personne n en retire rien) ne peut se faire qu en réduisant les prélèvements sur le travail. Ce qui veut dire un impot sur le capital (comme en suisse, base large taux faible. L inverse de l ISF), une taxation accrue des heritages (par ex en ne faisant plus de difference si l heritier est le fils ou un cousin ou en recuperant le cout des soins médicaux sur les dernières années de vie) mais aussi par une reduction drastique des prestations sociales. En premier lieu les retraites mais aussi les allocations chômages. A un moment mon employeur a fait faillite. Je touchais au chômage plus de 2000€/mois il y a 20 ans. C est beaucoup trop, on devrait pas toucher plus que le smic

        • Descartes dit :

          @ dsk

          [« On peut toujours faire des comparaisons, mais là elle me paraît très tirée par les cheveux. D’abord, Giscard n’était pas si « jeune » que ça. Quand il est élu, il a 48 ans » Avant Macron c’était quand même lui le plus jeune président.]

          Faut bien qu’il y ait un plus jeune, puisque tout ensemble ordonné fini a un élément minimal. Mais la question est la distance. Giscard a beau être jeune, il est presque cinquantenaire, et de ce point de vue il est plus proche d’un Sarkozy ou d’un Hollande que de Macron.

          [« Ensuite, Giscard a derrière lui, lorsqu’il est élu président en 1974, une très longue expérience politique » Tout a fait, mais la comparaison Macron/De Gaulle est encore pire]

          De Gaulle est évidemment hors course – comment évaluer l’expérience politique acquise en tant que chef de la France Libre et de président du GPRA ? Mais question inexpérience, le plus proche de Macron est François Hollande, le seul président qui n’ai jamais siégé en conseil des ministres avant d’être élu.

          {« Sur le plan électoral, avantage Macron qui a pu être réélu alors que VGE a été battu.]
          Franchement, j’ai du mal à voir où est « l’avantage » ». Sur un plan purement politicien, l un a réussit a être reelu, l autre pas.]

          Objection, votre honneur. Pour que la comparaison soit valable, il faudrait que l’un ait réussi et l’autre pas dans les mêmes circonstances. Or, ce n’est pas le cas. Macron avait devant lui des larves, représentant des partis en état avancé de décomposition. Giscard avait devant lui l’un des meilleurs tacticiens politiques que la France ait connue, pouvant compter sur deux partis au zénith de leur pouvoir de mobilisation.

          [« Je pense que la réflexion économique du temps de Giscard/Barre était autrement plus sérieuse qu’elle ne l’est sous Macron/Le Maire, qui découvrent les déficits au fur et à mesure qu’ils apparaissent… » Vous croyez vraiment qu’ils découvrent les déficits a la dernière minute ? Meme si Le Maire est un rigolo (il doit son poste au fait d avoir rallié Macron très tot) je suis certain que le niveau en dessous est compétant et se rendait bien compte que les dépenses flambaient bien plus que les recettes.]

          Ayant le privilège de voir la machine fonctionner de l’intérieur, je me vois obligé de vous détromper. Effectivement, les ministres et leurs cabinets découvrent les désastres à la dernière minute. D’une part, ils ont une tendance à avoir un tempérament de joueur, et jusqu’à la dernière minute ils s’attendent au miracle. Mais surtout, ils ont une certaine tendance à s’auto-persuader par leurs propres discours. A force de répéter que les finances sont gérées rigoureusement, ils finissent par le croire, et sont tout surpris de constater que la magie du verbe n’opère pas…

          Bien sûr, les administrations sont parfaitement conscientes des problèmes. La DG Trésor ou la DG Finances Publiques savent à quoi s’en tenir. Mais qui se risque de dire franchement à l’empereur qu’il est nu ? Elles ont donc tendance à nuancer la situation dans leur note, ce qui alimente chez les ministres et leurs cabinets l’idée que la chose n’est pas si grave…

          [Par contre c est pas porteur électoralement d’annoncer soit des augmentations d’impôts soit des baisses de dépenses donc on fait semblant de ne pas être au courant jusqu’à la dernière minute]

          Ce n’est pas là le raisonnement que tiennent les ministres. Au contraire, si on est sûr qu’il faudra imposer des sacrifices, il vaut mieux préparer l’opinion graduellement. Mais comme le pire n’est pas certain, les ministres préfèrent faire comme si tout allait bien, en allumant des cierges pour que le mur s’efface à la dernière minute… ou que la collision n’arrive pas avant l’arrivée de leur successeur.

          [Si vous regardez les graphiques de l INSEE (https://www.insee.fr/fr/statistiques/1380707 graphique I), vous voyez que la part des salaires était entre 66 et 70 % de 1949 à 73 et qu’elle est depuis 1990 entre 64 et 66. Elle a certes beaucoup baissé si en prend 1981 comme référence (un pic a 74 %) mais si on continue votre comparaison avec De Gaulle on peut dire que la part des salaires a un peu baissée mais ne s’est pas effondré. Vous pourrez aussi voir que sur ce graphique il y a les impôts de production et que ceux-ci ont flambés]

          Cette comparaison ne tient pas compte d’un élément essentiel : du temps de De Gaulle, presque la moitié du PIB était dans le secteur public. Autrement dit, les succulents bénéfices des banques, des compagnies pétrolières, des compagnies d’assurances qui aujourd’hui vont dans les poches du secteur privé allaient dans la poche de l’Etat et étaient redistribués. Quand on parle de la répartition entre capital et travail, il faut aussi regarder la valeur que le travail reçoit non pas à travers du salaire mais des mécanismes de redistribution.

          [Je suis en partie d accord avec vous sur un point : on est allé trop loin dans la financiarisation de l’économie et ça donne des phénomènes comme Boeing. Par contre je suis pas sûr que remettre l’état dans la boucle ne soit pas pire que le mal (vous imaginez Ségolène a un poste dirigeant d Airbus, notre Bruno dirigeant Renault ? )]

          Ségolène ou Bruno sont « le gouvernement » et non « l’Etat ». Par ailleurs, je ne comprends pas comment vous faites pour éviter la financiarisation sans « mettre l’Etat dans la boucle ». Pas nécessairement à la direction des entreprises, mais tout au moins dans le contrôle du crédit. Vous connaissez par ailleurs mon opinion sur les nationalisations. Je ne prétends pas tout nationaliser, seulement les secteurs importants pour le fonctionnement du pays et que les mécanismes de marché ne régulent pas correctement.

          [et il ne faut pas oublier que si les dividendes baissent, les retraites baissent dans les pays qui ont des systèmes par capitalisation ou en France pour les fonctionnaires (prefond)]

          Seule une minorité de fonctionnaires cotise à la Prefond (personnellement, je n’y cotise pas). Et puis, si vous augmentez la part des dividendes vous réduisez la part des salaires, et donc les cotisations, ce qui vous oblige à réduire les retraites dans les systèmes par répartition…

          [« Et si nous arrivions à produire ces biens tout en étant compétitifs sur les marchés étrangers, c’est parce que les mesures protectionnistes permettaient à nos industriels de bénéficier d’un marché « captif » qui leur assurait la rentabilisation de leurs investissements. » C’est la ou nous divergeons.]

          Avant de faire de la théorie, je vous invite à regarder l’expérience. Les grands pays industriels qui ont gardé une industrie innovante et compétitive ont tous des mécanismes de protection de leurs marchés. C’est le cas des Etats-Unis, où l’ensemble de la commande publique est réservé aux entreprises américaines, sans compter sur les programmes du Pentagone, à l’origine de la plupart des grandes développements technologiques américains. Et c’est le cas aussi en Chine, en Corée, au Japon… et même en Allemagne.

          [Avoir un marché captif ne vous rend pas forcément plus fort à l’export. Ça peut même être le contraire car vous pouvez très bien vous contenter de faire des produits médiocres et cher. Evidement vous ne pouvez pas vendre à l’export mais en interne ceux qui ont besoin de ce type de produit seront obligés d’acheter chez vous car ils n’ont pas le choix. C’était par ex le cas de Bull avec les administrations françaises dans les années 80.]

          Je pense que vous confondez deux choses. On peut parfaitement prendre des mesures protectionnistes sans pour autant instaurer des monopoles sur le marché protégé. Si le marché intérieur est compétitif, vous ne pouvez pas vous permettre de « faire des produits médiocres et chers ». J’ajoute que le fait qu’un produit soit médiocre et cher ne vous empêche pas de le vendre internationalement : Microsoft est l’exemple type.

          [Autre problème de ce type de raisonnement, la taille du marché. Fabriquer une usine de processseur coute des dizaines de milliards (…). Ce type d usine sera impossible a rentabiliser sur un seul pays.]

          Je n’ai jamais parlé d’autarcie. Je ne suis pas contre le fait qu’on puisse échanger sur les marchés internationaux. Mais je veux des échanges équilibrés, dans l’esprit de la Charte de La Havane. Ouvrir nos marchés alors que les autres ne le font pas est la recette pour le désastre.

          [Vous connaissez la theorie des avantages comparatifs de Ricardo. Au lieu d’essayer de tout faire plus ou moins mal, il vaut mieux se concentrer sur certains produits et échanger pour avoir le reste]

          Il ne faut pas faire dire à la théorie des avantages comparatif ce qu’elle ne dit pas. Ce que dit la théorie en question, c’est que la spécialisation de chaque pays sur les produits pour lesquels sa productivité est la meilleure conduit à la maximisation de la productivité globale. C’est tout. Elle n’explicite pas, par exemple, comment les fruits de ce gain de productivité globale se distribuent suivant les différents pays. Or, l’expérience a montré que les pays qui se sont spécialisés dans la production de café ou de cacao n’ont pas tout à fait le même niveau de vie que ceux qui se sont spécialisés dans la fabrication d’acier et de machines-outil.

          [« Beaucoup de pays continuent à pratiquer un protectionnisme intelligent – les Etats-Unis les premiers. » Vu leur deficit commercial, je trouve l’exemple osé]

          Je ne vois pas pourquoi. A votre avis, si les américains ouvraient en grand leurs marchés, le déficit se porterait mieux ?

          [Vous ne pensez pas sérieusement pouvoir financer l etat en taxant les yachts de luxe ?]

          Bien sur que non, mon exemple ne visait qu’à vous montrer que le lien entre la pression fiscale et la compétitivité n’est en rien automatique. Je ne pense pas que la fiscalité sur les produits de luxe ou sur la fortune permette de financer efficacement l’Etat, sa fonction est plus symbolique qu’économique. Personnellement, si une réforme fiscale est à faire, je transférerai le poids des impôts et charges sur la production, qui ne touchent que les produits nationaux, sur le revenu et la consommation, qui affecte à égalité les produits nationaux et les produits importés.

          [Il ne s agit pas de faire des cadeaux a X ou Y mais simplement de faire une politique cohérente qui marche. Taxer massivement le travail puis créer le CICE pour annuler les effets négatifs comme l a fait Hollande est débile]

          Sur ce point, on est d’accord. La gauche – ce n’est pas mieux à droite, mais c’est un autre problème – n’a pas de véritable vision économique, qui intègre l’ensemble des dimensions – production, fiscalité, emploi, rémunération. Elle ne fait que bricoler.

          [Mettre l’Etat dans la boucle aura plus d’effets pervers que positifs. Déjà le choix de critère principal d’un projet sera les retombes électorales.]

          Prenons l’exemple du programme électronucléaire. Le politique a mis une centaine de milliards d’euros dans un programme dont les résultats ne seront visibles que plus d’une décennie plus tard, une somme qui aurait permis de faire bien des choses plus intéressantes du point de vue électoral. Pensez-vous qu’il a été conduit avec comme critère principal « les retombées électorales » ? N’en déplaise aux néolibéraux, il y a des garde-fou qui font que la plupart des projets publics ne sont PAS conduits en fonction des retombées électorales. Le TGV dont Giscard fut l’artisan ne commence à circuler… que sous Mitterrand. Où était l’intérêt électoral de ceux qui l’ont lancé ?

          Oui, il y a le risque que les projets publics soient conduits en fonction de critères électoraux, et c’est pourquoi il faut garder une haute fonction publique de carrière puissante, qui soit capable de défendre l’intérêt général. Mais il faut garder en tête que a ce qui n’est qu’un RISQUE il faut opposer la CERTITUDE qu’un projet privé est toujours conduit dans l’intérêt des investisseurs. Et qu’il n’y a aucune garantie que l’intérêt des investisseurs soit plus proche de l’intérêt général que les intérêts électoraux…

          [« Ensuite meme si un projet est adopté, l etat le confiera a des entreprises « amies » qui auront embauchés anciens et futur ministres meme si ces entreprises ne sont pas compétentes (par exemple France Telecom a embauché l’ex-ministre de la culture Albanel et a été chargé du cloud souverain)]

          Encore faudrait-il démontrer que le choix tient à ce détail. Mais les contrexemples très nombreux existent. Encore une fois, je parle de ce que je connais : quand le gouvernement français choisit pour la construction de notre parc nucléaire de « franciser » la filière Westinghouse plutôt que de continuer la filière graphite-gaz poussée par le CEA et l’ensemble de l’industrie française, il s’inscrit en faux contre votre théorie. Et il faut noter que ce choix avait été fait sur recommandation d’un Marcel Boiteux, qu’on peut difficilement suspecter d’avoir agi pour des motifs autres que l’intérêt général…

          [Mais si. Il y a ici plusieurs problèmes :
          – Mauvaise allocation du capital : le francais moyen n investi pas dans l industrie mais dans le parpaing]

          Quelle fraction du capital est dans les mains des « français moyens », à votre avis ? Je ne pense pas que les choix d’investissement du smicard aient beaucoup d’effet. Le problème, ce n’est pas le choix du « français moyen », mais du « capitaliste français moyen ».

          [– Manque de capital du a l’absence de fond de pensions]

          Dans une autre discussion on avait abordé cette question, et je vous ai démontré qu’il y a équivalence économique entre les systèmes par capitalisation et les systèmes par répartition.

          [– Vision court termiste et tentative de faire des « coups » de nos capitalistes]

          Tous les capitalistes ont une « vision court termiste ». C’est la logique du marché qui veut ça. Aucun capitaliste n’investit à un siècle.

          [– Système fiscal aberrant et punitif (il n y a qu a voir le debat sur l ISF. Ca rapportait 5 milliards alors que les besoins de financement sont de 1000. Retablire ISF en plus de l IFI c est 0.5 % des recettes. C est un symbole politique et le message est «vous aurez plus et on va faire payer les plus riches que vous »)]

          Pardon, mais au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, l’ISF n’existe plus. Le caractère « punitif » dont vous parlez est donc purement virtuel.

          Ce qui me fascine chez vous, c’est que vous me listez les raisons pour lesquelles il n’y a pas d’investissement industriel en France, et vous oubliez curieusement le motif le plus important, qui est inscrit dans la structure même du capitalisme mondialisé : investir dans l’industrie dans les pays à bas salaires, ou la protection sociale ou environnementale est faible ou n’existe pas, est infiniment plus rentable. Alors, dès lors que les capitaux, les biens et les services circulent librement, il n’y a aucune raison d’investir dans l’industrie française. Mieux vaut construire l’usine en Bulgarie ou en Inde, et ramener les produits sur le marché français. Avouez que cette omission a de quoi interpeler…

          [« surtout rien imposer au capital » Le problème quand vous parlez d’imposer, c’est qu il va falloir définir des règles, payer des contrôleurs pour voir si elles sont respectées, des juges pour sanctionner les fraudes (car tout système génère ses profiteurs donc vous pouvez être assuré qu’il va y avoir des margoulins qui vont essayer). L’avantage du marché libre c’est que le système s’équilibre de lui-même sans avoir besoin de tout ca.]

          C’est certain. Seulement, le point d’équilibre du système n’est pas toujours socialement ou humainement acceptable. Par exemple, prenez la question des règles de sécurité dans l’industrie ou le bâtiment. Il faut faire des règles, payer des contrôleurs pour voir si elles sont respectées, des juges pour sanctionner les fraudes… mais que se passerait-il si on liquidait tout ça, qu’on laissait le système s’équilibrer par lui-même ? A votre avis, quel effet cela aurait sur les accidents du travail ?

          [Si vous avez des clients solvables, de la main d’œuvre capable vous allez avoir spontanément des gens qui vont proposer leurs services pour répondre à la demande. Pas besoin d’état ni de règles (en étant un peu provocateur, je vous dirai que les differents uber-shit en sont un bon exemple de ce que le marche peut faire spontanément pour répondre a une demande)]

          Si je voulais être provocateur, je vous ferais remarquer que l’Etat intervient même pour ce qui concerne les « différents uber-shit ». Parce que si vous voulez conduire des passagers, votre voiture doit avoir son contrôle technique en règle et vous devez être assuré. Et qui rend le contrôle technique et l’assurance obligatoire, qui contrôle que c’est effectivement le cas, sinon l’Etat ? Vous avez choisi là le mauvais exemple. Le bon exemple de ce que vous proposez est le commerce des stupéfiants, domaine dans lequel il n’y a aucune réglementation et aucun contrôle sur la qualité des produits…

          [« On se dit qu’un bon moyen d’atteindre ce résultat, ce serait… d’augmenter les salaires. Vous êtes d’accord ? » Il y a quelque temps vous aviez écrit un billet qui parlait de la proposition du NFP d’augmenter le smic. Vous avez-vous-même explique les effets secondaires.]

          Je ne vous ai pas posé la question d’augmenter le SMIC, mais d’augmenter les salaires. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Si je suis contre la proposition du NFP, c’est parce que l’augmentation du SMIC est une mesure GENERALE, qui ne tient pas compte des différences de situation dans les différentes branches de l’économie. Mais je ne suis pas contre une augmentation des salaires dans les branches qui peuvent largement se le permettre.

          [C’est pour ça que je pense qu’une augmentation des salaires nets (augmenter le brut n’a aucun interet si a la fin du mois personne n en retire rien) ne peut se faire qu’en réduisant les prélèvements sur le travail.]

          C’est faux. Ca peut aussi se faire en réduisant les profits. Et dans certaines branches – je pense par exemple au pétrole – on pourrait parfaitement le faire sans que cela mette en danger l’avenir de l’entreprise. Encore une fois, toutes vos propositions contiennent la même prémisse cachée : on ne peut rien imposer, rien demander au capital. Les profits sont intouchables.

          • cdg dit :

             
            @descartes
             
            Desole pour le delai pour les reponses mais vous etes tres productif en ce moment et j ai du mal a vous suivre 🙂
            {[ Vous croyez vraiment qu’ils découvrent les déficits a la dernière minute ? Meme si Le Maire est un rigolo (il doit son poste au fait d avoir rallié Macron très tot) je suis certain que le niveau en dessous est compétant et se rendait bien compte que les dépenses flambaient bien plus que les recettes.]
            Ayant le privilège de voir la machine fonctionner de l’intérieur, je me vois obligé de vous détromper. Effectivement, les ministres et leurs cabinets découvrent les désastres à la dernière minute. D’une part, ils ont une tendance à avoir un tempérament de joueur, et jusqu’à la dernière minute ils s’attendent au miracle. Mais surtout, ils ont une certaine tendance à s’auto-persuader par leurs propres discours. A force de répéter que les finances sont gérées rigoureusement, ils finissent par le croire, et sont tout surpris de constater que la magie du verbe n’opère pas…
            Bien sûr, les administrations sont parfaitement conscientes des problèmes. La DG Trésor ou la DG Finances Publiques savent à quoi s’en tenir. Mais qui se risque de dire franchement à l’empereur qu’il est nu ? Elles ont donc tendance à nuancer la situation dans leur note, ce qui alimente chez les ministres et leurs cabinets l’idée que la chose n’est pas si grave… }
            J avoue que je suis surpris (et un peu scandalisé) de ce que vous ecrivez. En resumé on a des ministres incompetants, un entourage qui l est tout autant et une administration en dessous qui n ose pas les contredire jusqu au crash final (car il y a bien un moment ou un haut fonctionnaire a du expliquer au ministre ou a un conseiller qu on avait explosé les deficits et que c etait sans appel).
            Ce qui finalement me renforce dans mon idee liberale en se disant que moins l etat touche de chose mieux c est. Car comment voulez vous faire un etat stratege avec a sa tete des BLM et sa cour de courtisans
             
            [Ségolène ou Bruno sont « le gouvernement » et non « l’Etat ».]
            C est en general le gouvernement qui donne des ordres a l etat (a part en cas d anarchie je vais pas d autre systeme ou le gouvernement decide mais au final personne ne lui obeit). Donc si ca dysfonctionne en haut, ca risque pas de bien marcher en bas. Je vous renvoie a votre explication des deficit et BLM. Si BLM decide de faire quelque chose de debile, les courtisans diront que c est genial et l etat appliquera la mesure debile
            [ Par ailleurs, je ne comprends pas comment vous faites pour éviter la financiarisation sans « mettre l’Etat dans la boucle ». ]
            La financiarisation est quelque chose qui a debute dans les annees 80. Donc on peut tres bien revenir a un systeme ou les dirigeants des societes n ont pas comme seul interet le cours de l action (maintenant la remuneration d un PDG depend enormement du cours). On avait par ex a l epoque ce qu on appelait le capitalisme rhenan ou les banques etaient au CA et plus oriente long terme
            [Les grands pays industriels qui ont gardé une industrie innovante et compétitive ont tous des mécanismes de protection de leurs marchés. C’est le cas des Etats-Unis, où l’ensemble de la commande publique est réservé aux entreprises américaines, sans compter sur les programmes du Pentagone, à l’origine de la plupart des grandes développements technologiques américains. Et c’est le cas aussi en Chine, en Corée, au Japon… et même en Allemagne.]
            Si vous regardez les USA leur force a part l industrie de defense c est ce qu on pourrait appeler l informatique (Apple, Amazon, NVIDIA, Google, Facebook …). C est un secteur qui n a pas beneficie de la commande publique et encore moins du pentagone (une fois vous m aviez parle des ordinateur de MS, mais c est un % ridicule des vente de MS surtout qu au debut le pentagone devait surtout acheter des gros ordinateurs IBM ou DEC, pas des PC)
            C est assez similaire en RFA. L industrie allemande c est l automobile (oui il y a les voitures de police mais c est anecdotique), la chimie (BASF : je vois pas l etat commander quoi que ce soit la) et aussi l automatisme/ l electricite avec Siemens
            [J’ajoute que le fait qu’un produit soit médiocre et cher ne vous empêche pas de le vendre internationalement : Microsoft est l’exemple type. ]
            j ai pas tellement MS mais Windows est certes mediocre mais pas cher (MacOs est plus char (il faut acheter Apple) et si linux est gratuit, il faut que vous l installiez vous meme ce qui en general vous coute plus cher que la licence MS que vous avez «gratuitement» avec votre PC. Ensuite vous devez gerer tous les problemes de ne pas etre «standard» (pensez a tout ce qui tourne encore uniquement avec internet explorer dans les entreprises)
            [Je ne vois pas pourquoi. A votre avis, si les américains ouvraient en grand leurs marchés, le déficit se porterait mieux ?]
            C est possible. Ce que les USA protegent c est souvent des secteurs pas concurrentiel et pas tres porteur d avenir comme l acier. Supposez que l etat arrete de proteger les entreprises siderurgiques US, on peut imaginer que celles ci ferment (au moins en partie) et que le prix de l acier US baisse. Dans ce cas les Usa importeraient plus d acier (europeen ou chinois) mais les voitures qu ils fabriqueraient avec seraient moins chere. Donc ils vendraient plus de voitures. Est ce que le deficit serait plus grand en important plus d acier et en vendant plus de voiture ? Pas sur
            {[par exemple France Telecom a embauché l’ex-ministre de la culture Albanel et a été chargé du cloud souverain)]
            Encore faudrait-il démontrer que le choix tient à ce détail.}
            Disons qu etre ministre de la culture ne predispose pas a se retrouver directeur de FT. Surtout que celle ci a fait a l epoque la preuve qu elle n y connaissait rien (le firewall open office)
            Supposez que vous devez embaucher quelqu un. Vous prendriez une personne qui vous explique qu il y a des atomes d air ou d eau ?
            {Quelle fraction du capital est dans les mains des « français moyens », à votre avis ? Je ne pense pas que les choix d’investissement du smicard aient beaucoup d’effet. Le problème, ce n’est pas le choix du « français moyen », mais du « capitaliste français moyen ».}
            Si on considere qu un capitaliste c est quelqu un qui detient du capital autrement dit de l argent, on en revient exactement a ce que je disais : le capitaliste francais moyen va mettre son argent dans le parpaing et pas dans l industrie. Faites le test autour de vous : «si vous gagnez 200 000 € au loto, qu est ce que vous faites ?» Vous allez avoir enormement de reponses : «j achete un studio pour le louer (ou plus moderne faire de l airBnB)» et assez peu de «j achete des actions» et encore moins de «j achete une machine et je cree mon entreprise»
            Apres on en arrive a des problemes comme le fait que 60 % du capital de total est detenu par des etrangers (de memoire pour le CAC40 c est quasiment 50%)
            {Tous les capitalistes ont une « vision court termiste ». C’est la logique du marché qui veut ça. Aucun capitaliste n’investit à un siècle. }
            entre 100 ans et quelques trimestres il y a une marge. Quand vous investissez dans amazon il y a 5 ans vous saviez que ca n allait pas rapporter tout de suite
            {Pardon, mais au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, l’ISF n’existe plus. Le caractère « punitif » dont vous parlez est donc purement virtuel.}
            Je parlais de sa reintroduction reclamee a cors et a cri par la gauche
            {investir dans l’industrie dans les pays à bas salaires, ou la protection sociale ou environnementale est faible ou n’existe pas, est infiniment plus rentable. Alors, dès lors que les capitaux, les biens et les services circulent librement, il n’y a aucune raison d’investir dans l’industrie française. Mieux vaut construire l’usine en Bulgarie ou en Inde, et ramener les produits sur le marché français. Avouez que cette omission a de quoi interpeler…}
            Dans ce cas pourquoi la suisse, la RFA ont un % industriel du PIB double du notre ?
            Un ouvrier suisse coute presque le triple d un francais. Meme un allemand coute plus cher qu un francais. En general le cout de la main d œuvre c est 20 % du cout total (et ca depend vraiment du produit, dans mon entreprise (systeme de mesure) fabriquer en suisse ou en chine coute quasiment la meme chose. La difference se fait sur les delais de livraison , la qualite ou la fiabilite (on a eut des lignes de production arretee a cause du covid et la politique de verrouillage de Xi). Donc au final 3 % de plus ca n en veaut pas la chandelle
            [ Le bon exemple de ce que vous proposez est le commerce des stupéfiants, domaine dans lequel il n’y a aucune réglementation et aucun contrôle sur la qualité des produits…]
            en effet et vous constatez que d apres les journaux les stupefiants sont accessible de partout en france (ca je confirme) et que la qualite de ceux ci augmente. Et tout ca sans intervention etatique (au contraire l etat essaie de detruire ce systeme). Donc comme quoi le libre marché ca marche
            [Ca peut aussi se faire en réduisant les profits. Et dans certaines branches – je pense par exemple au pétrole – on pourrait parfaitement le faire sans que cela mette en danger l’avenir de l’entreprise.]
            Le petrole est un tres mauvais exemple. Total gagne de l argent sur l exploration/production et quasiment rien sur les raffineries (elles sont meme deficitaires regulierement). Augmenter les salaires en france signifierait rendre les raffineries encore moins rentable et donc a terme les fermer ou a minima ne pas investir dedans. On est plus parti dans un scenario venezuelien comme ca
            Un meilleur exemple aurait ete d augmenter les employes de LVMH. Dior peu difficilement delocaliser mais je reconnaît que le symbole est pas terrible au niveau electoral
            [vos propositions contiennent la même prémisse cachée : on ne peut rien imposer, rien demander au capital. Les profits sont intouchables.]
            Vous savez que les profits sont quand meme taxé en France. Et que les affreux capitalistes peuvent aussi perdre de l argent. Je vais prendre mon ex personnel. J ai investi dans une societe francaise : Kalray. A priori ca avait l air porteur au niveau du produit. En meme pas un an j en suis a -75 %. Je me plains pas, ca fait parti du jeu mais si vous voulez motiver les gens pour investir dans l economie francaise au lieu de faire des Air BnB il vaut mieux eviter de les attirer avec du vinaigre
             
             

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [J’avoue que je suis surpris (et un peu scandalisé) de ce que vous écrivez. En résumé on a des ministres incompétents, un entourage qui l’est tout autant et une administration en dessous qui n’ose pas les contredire jusqu’au crash final (car il y a bien un moment ou un haut fonctionnaire a dû expliquer au ministre ou à un conseiller qu’on avait explosé les déficits et que c’était sans appel).]

              Oui. Mais pourquoi l’administration n’ose pas les contredire ? Parce que depuis quarante ans on s’est attaché à affaiblir la haute administration. Il fut un temps où les « grands commis » étaient protégés par leur corps, et ils pouvaient donc dire au ministre le fond de leur pensée sans pour autant voir leur carrière compromise. Les « grands corps » avaient d’ailleurs été un peu inventés pour cela.

              Mais depuis quelques années, cette protection ne fonctionne plus. Les « grands corps » ont été dissous ou fusionnés de manière à empêcher justement cette indépendance. Un grand patron américain disait « je veux des collaborateurs qui me disent la vérité, même si cela doit leur coûter leur poste ». C’est déjà beaucoup demander… mais si cela doit leur coûter non seulement leur poste, mais aussi leur carrière, ça devient déraisonnable. Pour être haut fonctionnaire, on n’est pas moins humain…

              [Ce qui finalement me renforce dans mon idée liberale (…)]

              De toute façon, si j’avais dit le contraire le résultat aurait été le même. Quand on veut croire… 😉

              [(…) Car comment voulez vous faire un etat stratege avec a sa tete des BLM et sa cour de courtisans]

              Je vous assure que l’idée de détruire la haute fonction publique et dissoudre les grands corps ne vient pas de moi. Elle vient plutôt des gens qui, comme vous, défendent les « idées libérales »… et sans vouloir vous offenser, c’est une stratégie qui marche : vous cassez la machine, et ensuite vous n’avez aucune difficulté à démontrer qu’elle marche mal…

              [Ségolène ou Bruno sont « le gouvernement » et non « l’Etat ».]

              [C’est en général le gouvernement qui donne des ordres a l’Etat (à part en cas d’anarchie je vais pas d’autre système ou le gouvernement décide mais au final personne ne lui obéit). Donc si ça dysfonctionne en haut, ça risque pas de bien marcher en bas.]

              Tout à fait. Mais lorsqu’on constate le dysfonctionnement, il est important de savoir d’où vient le dysfonctionnement. S’il vient du gouvernement, il faut changer le gouvernement. S’il vient de l’Etat, il faut réorganiser l’Etat. Mais si quand le gouvernement dysfonctionne vous vous attaquez à l’Etat, ca va pas le faire…

              [« Par ailleurs, je ne comprends pas comment vous faites pour éviter la financiarisation sans « mettre l’Etat dans la boucle ». » La financiarisation est quelque chose qui a débuté dans les années 80.]

              C’est-à-dire, au moment où on a « sorti l’Etat de la boucle ».

              [Donc on peut très bien revenir à un système ou les dirigeants des sociétés n’ont pas comme seul intérêt le cours de l’action (maintenant la rémunération d’un PDG dépend énormément du cours).]

              On ne peut pas « revenir » à un système qui n’a jamais existé. Le système d’avant les années 1980 était un système où le crédit et l’assurance étaient nationalisées, tout comme l’ensemble des infrastructures et une partie de la production des biens. C’est à ce « système » que vous proposez de revenir ? Si c’est le cas, je ne peux qu’approuver des deux mains !

              [On avait par ex a l’époque ce qu’on appelait le capitalisme rhénan ou les banques étaient au CA et plus oriente long terme]

              Et surtout, elles étaient nationalisées…

              [« Si vous regardez les USA leur force à part l’industrie de défense c’est ce qu’on pourrait appeler l’informatique (Apple, Amazon, NVIDIA, Google, Facebook …). C’est un secteur qui n’a pas bénéficié de la commande publique et encore moins du pentagone]

              D’abord, c’est inexact. Si l’informatique est une partie visible de cette puissance, il ne faudrait pas oublier que les industries classiques sont encore très largement une source de puissance. Pour ne donner qu’un exemple, le pétrole et le gaz reste encore le sang qui nourrit l’économie. Doublez le prix du pétrole et du gaz, et on verra comment se porterait l’économie américaine. Ensuite, je me demande où serait l’industrie informatique sans les chips de NVIDIA ou d’INTEL, deux firmes qui bénéficient de contrats massifs avec le département de la Défense. Et que seraient Google ou Facebook sans l’infrastructure internet – elle aussi développée grâce à la présence de l’Etat américain ?

              [C’est assez similaire en RFA. L’industrie allemande c est l’automobile (oui il y a les voitures de police mais c’est anecdotique), la chimie (BASF : je vois pas l’etat commander quoi que ce soit la) et aussi l’automatisme/l’électricité avec Siemens]

              Je vous parle de ce que je connais. Essayez de vendre en Allemagne un équipement électrique qui ne soit pas Siemens, et vous m’en direz des nouvelles. Vous noterez aussi que mon commentaire concernait « les mécanismes de protection du marché », et non seulement les commandes de l’Etat.

              [« J’ajoute que le fait qu’un produit soit médiocre et cher ne vous empêche pas de le vendre internationalement : Microsoft est l’exemple type. » j ai pas tellement MS mais Windows est certes mediocre mais pas cher (MacOs est plus cher (il faut acheter Apple) et si linux est gratuit, il faut que vous l’installiez-vous même ce qui en général vous coute plus cher que la licence MS que vous avez «gratuitement» avec votre PC.]

              Cet argument est absurde. L’immense majorité des usagers domestiques n’installe jamais le système d’exploitation, qui est vendu pré-installé. Pour les usagers professionnels, l’installation est faite par un service informatique et l’installation de Linux n’est pas à ce niveau plus coûteuse que celle de Windows. Soyons sérieux : Windows est plus cher que ses concurrents, et c’est un produit médiocre. Il est pourtant dominant sur le marché. CQFD

              Vos convictions libérales vous rendent aveugle au fait que la régulation par le marché ne marche que sur les marchés purs et parfaits. Or, le marché du logiciel – et tout particulièrement celui des systèmes d’exploitation – est un exemple presque caricatural du monopole. Et il n’y a aucune raison qu’un marché en monopole aboutisse à améliorer la qualité et à baisser le prix…
              [« Je ne vois pas pourquoi. A votre avis, si les américains ouvraient en grand leurs marchés, le déficit se porterait mieux ? » C’est possible. Ce que les USA protègent c’est souvent des secteurs pas concurrentiel et pas très porteur d’avenir comme l’acier. Supposez que l’état arrête de protéger les entreprises sidérurgiques US, on peut imaginer que celles-ci ferment (au moins en partie) et que le prix de l’acier US baisse. Dans ce cas les Usa importeraient plus d’acier (européen ou chinois) mais les voitures qu ils fabriqueraient avec seraient moins chère. Donc ils vendraient plus de voitures.]

              Pas tout à fait. Les prix des voitures baissent, mais aussi le pouvoir d’achat des américains – car ceux qui travaillaient à produire de l’acier se trouvent sans emploi. Donc, au lieu de vendre des voitures chères dans un marché qui peut payer des prix élevés, vous vous trouvez à vendre des voitures pas chères à des gens qui n’ont pas d’argent. Je dois dire que je trouve votre raisonnement très amusant : si je le comprends bien, on peut produire moins et consommer autant, sans augmenter le déséquilibre de la balance des échanges… ne trouvez-pas qu’il y a là un petit problème ?

              {[« par exemple France Telecom a embauché l’ex-ministre de la culture Albanel et a été chargé du cloud souverain) » Encore faudrait-il démontrer que le choix tient à ce détail.}Disons qu etre ministre de la culture ne prédispose pas a se retrouver directeur de FT. Surtout que celle ci a fait a l epoque la preuve qu elle n y connaissait rien (le firewall open office)]

              Après avoir regardé la biographie d’Albanel, je me vois obligé de corriger votre commentaire. Elle n’a jamais été « chargée du cloud souverain ». Elle a été nommée « directrice exécutive chargée de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), des événements, des partenariats culturels et institutionnels et de la solidarité. Elle a aussi la charge de la fondation Orange ». Des fonctions qui semblent dans la droite ligne de son expérience en tant que ministre de la culture.

              [Si on considère qu’un capitaliste c’est quelqu’un qui détient du capital autrement dit de l’argent, on en revient exactement a ce que je disais : le capitaliste français moyen va mettre son argent dans le parpaing et pas dans l’industrie. Faites le test autour de vous : «si vous gagnez 200 000 € au loto, qu est ce que vous faites ?» Vous allez avoir énormément de réponses : «j’achète un studio pour le louer (ou plus moderne faire de l’airBnB)» et assez peu de «j’achète des actions» et encore moins de «j’achete une machine et je crée mon entreprise»]

              Pourtant, le mode d’investissement préféré des Français reste l’assurance vie, essentiellement investie dans des SICAV mixtes (actions et obligations). Je ne suis donc pas aussi définitif que vous.

              [« Tous les capitalistes ont une « vision court termiste ». C’est la logique du marché qui veut ça. Aucun capitaliste n’investit à un siècle. » entre 100 ans et quelques trimestres il y a une marge. Quand vous investissez dans amazon il y a 5 ans vous saviez que ça n’allait pas rapporter tout de suite]

              Je ne me souviens pas où j’avais lu ça, je crois que c’était dans le Financial Times. Ils avaient justement essayé de calculer quel était l’horizon d’investissement des différentes institutions financières. Ils étaient arrivé à la conclusion que l’horizon moyen était de l’ordre de 4 ans, et cela ne dépassait que très exceptionnellement les dix ans.

              {« investir dans l’industrie dans les pays à bas salaires, ou la protection sociale ou environnementale est faible ou n’existe pas, est infiniment plus rentable. Alors, dès lors que les capitaux, les biens et les services circulent librement, il n’y a aucune raison d’investir dans l’industrie française. Mieux vaut construire l’usine en Bulgarie ou en Inde, et ramener les produits sur le marché français. Avouez que cette omission a de quoi interpeler… » Dans ce cas pourquoi la suisse, la RFA ont un % industriel du PIB double du notre ?]

              La Suisse, cela ne vous aura pas échappé, n’est pas membre de l’Union européenne ni de la zone Euro, et elle conserve donc le contrôle de sa politique monétaire et de ses frontières. L’Allemagne a protégé son industrie, et elle a pu le faire entre autres choses parce qu’elle contrôle la politique monétaire européenne. Mais je vous accorde volontiers que ces deux pays ont eu une politique de défense de leur industrie bien plus active que la notre. En France, l’industrie est de puis très longtemps mal-aimée par les politiques. Mais il ne faudrait pas exagérer : même si la Suisse et l’Allemagne ont eu une politique bien plus sérieuse, la part de l’industrie dans leur PIB a diminué continûment depuis les années 1980.

              [« Le bon exemple de ce que vous proposez est le commerce des stupéfiants, domaine dans lequel il n’y a aucune réglementation et aucun contrôle sur la qualité des produits… » en effet et vous constatez que d’après les journaux les stupéfiants sont accessible de partout en France (ca je confirme) et que la qualité de ceux-ci augmente.]

              Si la première affirmation est exacte, la seconde ne l’est pas. Au contraire : les accidents liés à des stupéfiants « coupés » avec des produits dangereux destinés à augmenter la rentabilité de l’affaire se multiplient. Et je ne vous parle pas des conditions de travail de ceux qui travaillent dans ce domaine : il semblerait que les accidents mortels du travail se multiplient exponentiellement… et cela sans compter les cas de torture des employés qui prétendent démissionner !

              [Et tout ca sans intervention etatique (au contraire l etat essaie de detruire ce systeme). Donc comme quoi le libre marché ca marche]

              Faudrait expliquer cela aux victimes des différents « règlements de comptes » et autres victimes collatérales… sans « régulation étatique », les patrons ne veillent pas à améliorer les conditions de travail.

              [« Ca peut aussi se faire en réduisant les profits. Et dans certaines branches – je pense par exemple au pétrole – on pourrait parfaitement le faire sans que cela mette en danger l’avenir de l’entreprise. » Le pétrole est un très mauvais exemple. Total gagne de l’argent sur l’exploration/production et quasiment rien sur les raffineries (elles sont même déficitaires régulièrement).]

              Je vous ai déjà répondu sur ce point. Total extrait du pétrole, le raffine et vend les produits ainsi obtenus. Son bénéfice est la différence entre les coûts de l’ensemble de ces activités et le prix payé par les consommateurs. La distribution de ce bénéfice entre les différentes activités est une question purement comptable. Vous noterez que les activités qui « font des pertes » sont curieusement celles implantées dans les pays où l’impôt sur les sociétés est le plus important. Une coïncidence, sans doute…

              [« vos propositions contiennent la même prémisse cachée : on ne peut rien imposer, rien demander au capital. Les profits sont intouchables. » Vous savez que les profits sont quand même taxés en France.]

              Oui, mais très faiblement. Grâce à l’Union européenne, on peut « loger » les profits dans les pays où le taux d’imposition est le plus faible.

              [Et que les affreux capitalistes peuvent aussi perdre de l’argent. Je vais prendre mon ex personnel. J’ai investi dans une société française : Kalray. A priori ça avait l’air porteur au niveau du produit. En même pas un an j’en suis à -75 %.]

              J’imagine que ce n’est pas là votre seul investissement. Sans vouloir être indiscret, à combien s’élèvent vos pertes SUR L’ENSEMBLE DE VOTRE PORTEFEUILLE ? Parce que ce n’est pas parce qu’UN investissement se casse la gueule que « l’affreux capitaliste » perd de l’argent. En général, « l’affreux capitaliste » diversifie ses investissements…

  17. François dit :

    Avec le retour des temps mornes, quoi de mieux que de la Schadenfreude pour égayer ses journées ?

    • Descartes dit :

      @ François

      [Avec le retour des temps mornes, quoi de mieux que de la Schadenfreude pour égayer ses journées ?]

      Pas grande chose, je vous l’accorde. Mais la Schadenfreude reste une passion triste – à moins d’être sado-masochiste. Et le masochisme, ce n’est pas ma tasse de thé.

      • François dit :

        Je ne vois pas où se trouve le masochisme. Après avoir été traité comme un paria, voilà que le RN se trouve en position de faiseur de roi. Alors oui, ça ne change pas grand chose (pour le pire comme le meilleur) dans l’immédiat, mais je me permets de savourer cette victoire symbolique.

        • Descartes dit :

          @ François

          [Je ne vois pas où se trouve le masochisme. Après avoir été traité comme un paria, voilà que le RN se trouve en position de faiseur de roi. Alors oui, ça ne change pas grand chose (pour le pire comme le meilleur) dans l’immédiat, mais je me permets de savourer cette victoire symbolique.]

          Si vous “savourez une victoire”, alors c’est une joie légitime, et nullement une Schadefreude…

  18. Caton33 dit :

    Bonjour à tous,
      Je lis souvent ce blog sans y participer car je ne suis pas au niveau et que je n’ai pas la merveilleuse patiente de notre cher Descartes qui répond aimablement à tous même à ceux qui méritent des claques. Ma passivité me culpabilisant un peu, j’envois de temps en temps un grain de sel, en voici un nouveau :
    Il y a longtemps, monsieur le curé nous a lu au catéchisme un verset de la Bible qui m’a immédiatement fasciné et que j’ai porté en moi depuis. Ce n’est pas grand chose mais je reste sous le charme …
      C’est dans le livre des juges :  « En ce temps là, il n’y avait pas de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui semblait bon. »
      Je suis agriculteur et je peux vous dire que l’actuelle vacance de l’exécutif nous en fait des vacances à nous. La machine à surveiller et punir est en panne et nous pouvons un peu respirer et faire « ce qui nous semble bon ». Évidemment, je sais que les senseurs reviendront et que la machine à décerveler tournera à nouveau mais nous aurons connu une embellie… Merci encore pour ce blog.
     

    • Descartes dit :

      @ Caton33

      [Je lis souvent ce blog sans y participer car je ne suis pas au niveau (…)]

      Permettez-moi de vous dire très respectueusement que vous avez tort. Il n’y a pas d’exigence de « niveau » ici, et toutes les contributions sont les bienvenues. Si vous ne donnez pas dans la théorie, racontez une expérience, c’est toujours enrichissant.

      [Il y a longtemps, monsieur le curé nous a lu au catéchisme un verset de la Bible qui m’a immédiatement fasciné et que j’ai porté en moi depuis. Ce n’est pas grand-chose mais je reste sous le charme … C’est dans le livre des juges : « En ce temps là, il n’y avait pas de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui semblait bon. »]

      C’est la dernière phrase du dernier chapitre du livre des juges. Mais à la lecture du reste du livre, on s’aperçoit que le rédacteur regrettait amèrement cette absence du roi : le livre raconte les conflits entre la tribu de Benjamin et les autres tribus d’Israël, la manière comme ses femmes avaient été exterminés et le refus des autres tribus de marier leurs femmes aux hommes de Benjamin, et le rapt des femmes des autres tribus pour combler le vide. La formule en question apparaît comme un regret devant l’absence d’une autorité centrale capable d’arbitrer les conflits entre les tribus. Car entre « faire ce qui vous semble bon » et « faire ce que bon vous semble », il n’y a qu’une inversion à faire…

      [Je suis agriculteur et je peux vous dire que l’actuelle vacance de l’exécutif nous en fait des vacances à nous. La machine à surveiller et punir est en panne et nous pouvons un peu respirer et faire « ce qui nous semble bon ».]

      Je constate quotidiennement qu’on s’accommode fort bien de la panne de la « machine à surveiller et punir » aussi longtemps que « la machine à payer » continue à fonctionner normalement. On ne veut pas les contrôles, mais on veut les subventions. Le problème est que les deux sont les deux faces de la même médaille. Vous m’excuserez donc de ne pas partager votre enthousiasme pour l’anarchie… Le problème, c’est que vous faites « ce qui vous semble bon… », sans vous demander « bon pour qui ». Ce qui est « bon » pour le paysan n’est pas forcément « bon » pour l’ensemble des citoyens…

  19. Jean François DELAHAIS dit :

    [Les Français se sont lassés de ce président qui se mêle de tout – y compris d’expliquer aux chômeurs qu’il suffit de traverser la rue pour trouver du travail – mais qui ne connaît pas le pays qu’il gouverne et qui, au fond, ne l’aime pas, au point qu’il voudrait le transformer en quelque chose qui ressemble aux États-Unis ou à l’Allemagne].
    Personnellement j’ai ressenti ce mépris comme un coup de poignard à l’enfant de onze ans que j’étais lorsque mon père à perdu son emploi. Le chômage et les petits boulots de représentants qui le ramenait souvent très tard à la maison avec des commandes qui lui rapportaient de maigres commissions, bien insuffisantes pour faire vivre une famille de sept enfants, me traumatisaient. Je nous sentais rejetés. Mon père a rebondi ! Vendant notre maison et avec des aides de la famille il a racheté rue de la Chapelle un commerce de quincaillerie, chauffage, ménage qui déclinait depuis que son propriétaire très âgé était décédé.
    Ma mère et mon père ont durement travaillé pour relevé ce commerce. Les enfants les ont aidés autant qu’ils ont pu. Une de mes sœurs qui travaillait sur Paris allait fréquemment relayer ma mère en sortant de son travail. Dès mes quatorze ans pendant une bonne partie des vacances scolaires et quelquefois le samedi après midi j’allais aider mon père pour livrer des poêles, des cuisinières, des bouteilles de butane dans les vieux immeubles du quartier de la Chapelle ou de la plaine Saint-Denis.
    Comme les autres membres de ma famille je m’en suis sorti. A cette époque, j’étais à cent lieux de m’imaginer que j’abrégerais une carrière très enrichissante de technicien en électronique pour exercer trois mandats de maire d’une commune de 16 000 habitants et un mandat de député, au cours du quel j’ai voté contre la guerre du Golfe et contre Maastricht.
    Aujourd’hui comme hier je ne supporte pas les discours convenus à propos des chômeurs qui seraient tous des fainéants profiteurs d’une société trop généreuse

    • Descartes dit :

      @Jean François DELAHAIS

      [Comme les autres membres de ma famille je m’en suis sorti. A cette époque, j’étais à cent lieux de m’imaginer que j’abrégerais une carrière très enrichissante de technicien en électronique pour exercer trois mandats de maire d’une commune de 16 000 habitants et un mandat de député, au cours duquel j’ai voté contre la guerre du Golfe et contre Maastricht.]

      Je ne peux qu’imaginer le courage qu’il vous a fallu, comme député socialiste, de vous désolidariser de votre parti pour voter contre ce qui était considéré comme le « Grand Œuvre » de Mitterrand. Mais sans vouloir être méchant, ce vote courageux ne rachète qu’en partie le péché d’avoir fait élire et soutenu un gouvernement et un président qui ont fait Maastricht et participé à la guerre du Golfe – et bien d’autres choses honteuses. Quand on élève un chien dangereux, on et responsable lorsqu’il tue une petite fille, quand bien même on n’a pas voulu ça. Les socialistes – et les cadres et élus ont là aussi une responsabilité particulière – on fait élire et réélire un Mitterrand, et lui ont permis d’exercer un pouvoir incontesté ou presque. Voter contre Maastricht était courageux, mais plus courageux – et plus efficace – aurait été de ne pas créer les conditions pour que Maastricht voit le jour. Or, cela ne s’est pas produit : s’il y eut de « rebelles » pour s’opposer aux initiatives mitterrandiennes dans le Golfe ou sur Maastricht, il n’y eut presque pas pour faire campagne contre la réélection de 1988 ou pour refuser la confiance à un gouvernement – celui de Michel Rocard – dont la mission était sans ambiguïté de négocier le traité.

      [Aujourd’hui comme hier je ne supporte pas les discours convenus à propos des chômeurs qui seraient tous des fainéants profiteurs d’une société trop généreuse]

      Sur ce point, je vous rejoins. J’ai trouvé votre témoignage très intéressant, parce qu’il dépeint une France où le travail était encore respecté et – mais l’un ne va pas sans l’autre – récompensé. Cependant, je serais plus nuancé sur la question de la « générosité ». Vous noterez que votre témoignage ne fait nulle part référence à l’aide de la collectivité. Si l’on suit votre récit, vos parents s’en sont sortis par leur effort, sans aucune aide autre que le soutien de la famille. A partir de là, on peut se demander si l’histoire aurait été la même, si vos parents auraient eu autant la rage de s’en sortir si le filet de sécurité avait été beaucoup plus « généreux ».

  20. Rogers dit :

    René, René, mon cher camarade,
    J ai bien lu votre réponse au sujet de la stratégie de lfi pour un gvt nfp. Mais autour de moi, ça delire à fond les ballons. Les collègues et certains amis reclament un gvt nfp et semble ne rien entendre qd je leur dis que ce gvt, passé le délai avant la session ordinaire,  tombera nécessairement. J ai l impression  de voir des gens qui, qd il pleut,manifestent contre la pluie. Est ce que c est moi qui ne comprends rien?Merci docteur

    • Descartes dit :

      @ Rogers

      [J’ai bien lu votre réponse au sujet de la stratégie de lfi pour un gvt nfp. Mais autour de moi, ça délire à fond les ballons. Les collègues et certains amis réclament un gvt nfp et semble ne rien entendre qd je leur dis que ce gvt, passé le délai avant la session ordinaire, tombera nécessairement. J’ai l’impression de voir des gens qui, qd il pleut, manifestent contre la pluie. Est-ce que c’est moi qui ne comprends rien ? Merci docteur]

      Mélenchon s’est débrouillé – il faut admirer l’artiste – pour que ses militants vivent dans une forme de « réalité virtuelle ». Pour cela, il utilise une tactique vieille comme le monde : manipuler l’envie de croire des gens. Sa campagne permanente sur les médias qui seraient coalisés contre lui n’est pas de ce point de vue innocente : elle vise à convaincre ses militants qu’aucune source d’information externe n’est fiable, qu’on ne peut faire confiance qu’au discours qui vient de l’intérieur du mouvement. Une fois cette opération achevée, on peut s’appliquer à créer une « réalité virtuelle » qui valorise celui qui l’accepte, par exemple, en lui donnant l’impression que la victoire est proche, et qu’il en touchera les fruits. C’est pourquoi Mélenchon nous joue éternellement la comédie de la « victoire volée » : en 2017, c’était la faute des médias qui l’avaient empêché d’accéder au second tour, en 2022 celle des communistes. Et aujourd’hui, ce serait Macron qui « vole la victoire » au NFP en refusant de nommer Lucie Castets. Le paradoxe est que Lucie Castets a été choisie précisément parce qu’elle n’avait aucune chance d’être nommée, parce qu’elle n’avait aucune chance de réunir une majorité.

      LFI continuera donc à répéter que « le NFP a gagné les élections » (c’est écrit noir sur blanc sur un tract qui m’a été donné tout à l’heure), et ses militants ainsi qu’une partie de la gauche le croira contre toute évidence parce qu’elle a envie de le croire.

  21. cdg dit :

    1) Pour emener de l eau au moulin sur l immaturite de la societe, j ai lu ceci : https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/09/05/a-lille-un-rapport-accable-la-faculte-de-medecine-apres-la-mort-d-un-etudiant-lors-d-une-soiree-d-integration_6304675_3224.html (petit resumé : un etudiant en medecine arrose son passage en 2eme annee. Quant il veut rentrer chez lui a pied il passe sur un pont et decide de faire un selfie. Il fait tomber son telephone et va le chercher. pas de chance le telephone est sur l autoroute et il se fait ecraser. Resultat : le chauffeur routier et la fille ou il a bu se trouve mis en examen et on se scandalise que l universite ou il etudiait ne le soit pas)
    C est completement delirant. La personne est adulte (et pour avoir reussi l examen de medecine certainement pas handicape mentale) et la justice perd son temps et ennuie des gens et des institutions qui y sont pour rien (qu aurait pu faire l universite ? mettre un mouchard sur tous ses etudiants ? meme la fille dans l appartement ou il a bu ne l a pas forcé !!!)
     
    2) j en profite pour revenir sur l impossibilite de faire quelque chose car notre gouvernement est corsete par les lois, les traités internationaux … C est surtout un argument pour se defausser. Vous savez c est comme quand quelqu un vient vous demander de faire quelque chose que vous n avez pas envie de faire et vous repondez que vous ne pouvez pas a cause d un tiers (par ex je peux pas t amener car ma voiture est chez le garagiste). On en a eut un parfait exemple  recemment. Quant on demandait pourquoi le delinquant X n est pas expulsé, on obtenait pour reponse qu on ne pouvait pas expulser les gens s ils risquaient quelque chose dans leur pays d origine. Apres une attaque au couteau et 3 morts, revirement spectaculaire en RFA et on expulse en afghanistan. Ce qui n a pas empeche la coalition SPD de se prendre une claque electorale (mention speciale a leur premiere proposition : interdire les couteaux de plus de 6 cm)
    Ce n est pas que nos gouvernements soient corsetés par X ou Y, c est juste que ceux ci sont d accord avec la mesure mais n osent le dire

    • Descartes dit :

      @ cdg

      1) Pour amener de l’eau au moulin sur l’immaturité de la société, j’ai lu ceci : (…) (petit résumé : un étudiant en médecine arrose son passage en 2eme année. Quand il veut rentrer chez lui à pied il passe sur un pont et décide de faire un selfie. Il fait tomber son téléphone et va le chercher. Pas de chance le téléphone est sur l’autoroute et il se fait écraser. Résultat : le chauffeur routier et la fille où il a bu se trouvent mis en examen et on se scandalise que l’université ou il étudiait ne le soit pas)
      C’est complètement délirant. La personne est adulte (et pour avoir réussi l’examen de médecine certainement pas handicape mentale) et la justice perd son temps et ennuie des gens et des institutions qui n’y sont pour rien (qu’aurait pu faire l’université ? mettre un mouchard sur tous ses étudiants ? même la fille dans l’appartement ou il a bu ne l’a pas forcé !!!)]

      Votre article est intéressant à double titre : d’une part par les faits qu’il raconte, et d’autre part par le ton du journaliste – il s’agit de « Le Monde », le journal des élites bienpensantes – qui n’est nullement neutre, mais prend clairement position pour une extension infinie de responsabilité à tous les acteurs sauf… l’étudiant considéré.

      Effectivement, on voit dans cert article l’infantilisation de notre société. L’étudiant était un majeur de 19 ans. A cet âge, mon grand-père avait déjà deux enfants, travaillait et assumait toutes les responsabilités de chef de famille. Et dans l’article, on découvre que pour la même soirée « plusieurs parents sont partis à la recherche de leurs enfants et les ont retrouvés en situation de grande détresse. Certains n’ont été retrouvés que par la géolocalisation de leur téléphone portable ». Donc, voilà plusieurs « jeunes majeurs » qui ont toujours un fil à la patte, leurs parents pouvant les « géolocaliser » à tout moment et sont prêts à « partir à leur recherche ». Est-ce besoin de commenter ?

      Ce qui caractérise l’enfant, c’est l’irresponsabilité. Comme il ne fait pas ses propres choix, tout ce qui peut lui arriver est la faute de l’autre. Accéder à l’âge adulte, c’est justement avoir le pouvoir de faire ses propres choix, ce qui implique d’assumer la responsabilité des conséquences. Devenir adulte, c’est assumer que ce qui nous arrive est NOTRE faute, et non pas celle des parents, de l’Université, de tel ou tel copain chez qui on a bu.

      [2) j’en profite pour revenir sur l’impossibilité de faire quelque chose car notre gouvernement est corseté par les lois, les traités internationaux … C’est surtout un argument pour se défausser.]

      Oui… et non. Le corset en question est une réalité : les directives et règlements européens, les obligations découlant des traités, les décisions des juges européens s’imposent sur le plan juridique au gouvernement. Un décret qui contredirait une directive ou un règlement européen, un traité, une décision de la CJUE serait rapidement annulé par le Conseil d’Etat, une loi contraire à une directive annulé par le Conseil constitutionnel. C’est une réalité que vous ne pouvez pas ignorer. Que certains politiques utilisent ce corset comme prétexte pour ne pas faire, c’est certain. Mais cela n’implique pas qu’on n’ait pas renoncé à prendre des mesures positives tout simplement parce que le droit européen ne le permet pas. Le renouvellement des concessions hydroélectriques, qui sont dans les limbes depuis plus de dix ans, est un bon exemple.

      Après, au-delà de la question juridique, il y a la question politique. Ces normes s’imposent à nous parce que nous avons décidé collectivement qu’il en serait ainsi. Demain, le peuple souverain peut décider le contraire. Mais le système de contraintes a été construit de telle manière qu’une telle décision soit très coûteuse, au point que même ceux qui sont conscients des effets néfastes du carcan en question hésitent à le secouer.

      [On en a eu un parfait exemple récemment. Quand on demandait pourquoi le délinquant X n’est pas expulsé, on obtenait pour réponse qu’on ne pouvait pas expulser les gens s’ils risquaient quelque chose dans leur pays d’origine. Apres une attaque au couteau et 3 morts, revirement spectaculaire en RFA et on expulse en Afghanistan.]

      Les conditions de cette expulsion ne semblent pas très claires… s’agit-il d’une véritable « expulsion », ou bien d’un retour négocié ? L’article du « Monde » sur ce sujet suggère plutôt la deuxième solution, et parle du Quatar comme de l’intermédiaire dans cette « négociation ».

      • cdg dit :

        d apres https://www.msn.com/de-de/nachrichten/politik/deutschland-schiebt-wieder-nach-afghanistan-ab/ar-AA1pH0gy il s agit d un avion de quatar airways qui renvoie des criminels afghans a Kaboul (depart Leipzig)
        La RFA n ayant pas de lien diplomatique avec les talibans, il est possible que le Qatar ait joue un role plus grand que fournir l avion mais si le quatar a promis aux talibans quelque chose en echange de la reception des ces criminels, il est impossible de le savoir
        En tout cas, le resultat est la. un gouvernement qui il y a 2 semaine vous expliquait que c etait impossible l a fait
         
        PS: de facon assez ironique, on a expulsé des afghans alors que le terroriste etait … syrien

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [il s agit d un avion de quatar airways qui renvoie des criminels afghans a Kaboul (depart Leipzig)]

          Je ne lis pas bien l’allemand, et la traduction automatique donne des résultats bizarres. Je note quand même qu’aucun des articles que j’ai pu voir ne donne des informations sur le statut juridique des personnes « expulsées », et notamment des recours qu’ils ont pu faire contre leur expulsion et de la décision des juges sur ces recours. Ce qui me laisse penser que les afghans en question ont finalement été renvoyés chez eux avec leur accord – par exemple, en échange d’une réduction de leur peine, puisqu’il est mentionné qu’ils n’avaient pas accompli la totalité de celle-ci, et qu’on voit mal les autorités afghanes mettre en prison des islamistes condamnés en Allemagne…

          [La RFA n’ayant pas de lien diplomatique avec les talibans, il est possible que le Qatar ait joue un role plus grand que fournir l’avion mais si le Qatar a promis aux talibans quelque chose en échange de la réception des ces criminels, il est impossible de le savoir.]

          Ce n’est pas tout à fait cela à quoi je pense. Je pense plutôt que le Qatar a pu négocier une forme d’immunité pénale pour les afghans expulsés une fois arrivés en Afghanistan, en leur garantissant qu’ils ne seraient pas mis en prison ou poursuivis. A partir de là, le deal d’accepter l’expulsion en échange de la liberté immédiate pouvait être offert aux condamnés afghans et accepté par eux…

          [En tout cas, le résultat est là. Un gouvernement qui il y a 2 semaine vous expliquait que c’était impossible l’a fait]

          Pas tout à fait. Si mes suspicions se vérifient, le gouvernement a fait AUTRE CHOSE en la faisant passer pour cette chose « impossible à faire ». Ce n’est pas tout à fait la même chose…

          • cdg dit :

            Les afghans etaient nommés “Straftäter” ce qui peut se traduire par delinquants (voire criminel). donc ils ont ete juge et condamnés
             
            [on voit mal les autorités afghanes mettre en prison des islamistes condamnés en Allemagne…] Rien n est possible en ce bas monde. Les talibans ne s entendent pas avec les mollah iranien pourtant ils sont tous islamistes
            Je suppose ici que les afghans n ont pas eut leur mot a dire pour l expulsion vu qu il fallait expulser avant les elections. ET certains devaeint se dire qu il seraient plus facilement libre en Afghanistant qu en RFA vu la corruption etla misere locale

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [Les afghans étaient nommés “Straftäter” ce qui peut se traduire par délinquants (voire criminel). Donc ils ont été juge et condamnés]

              « L’expulsion » a pour effet d’effacer ces condamnations, car je doute qu’ils aient été « expulsés » dans le cadre d’un accord avec l’Afghanistan pour que les individus en question fassent le reste de leur peine dans une prison afghane. Les délinquants en question avaient donc un intérêt à accepter le deal : une libération en échange d’un départ du pays. Et c’était bien mon point : il ne s’agit pas vraiment d’une « expulsion », mais un deal. Les délinquants ont probablement accepté volontairement de quitter le territoire allemand. Et c’est là le secret : ce qui est « impossible », c’est d’expulser un étranger vers l’Afghanistan CONTRE SA VOLONTE. Mais s’il est volontaire, il n’y a aucun problème. Et il suffit de lui offrir un prix suffisamment élevé pour qu’il soit volontaire. Contrairement à ce que vous pensez, cet exemple ne montre pas que les politiques « rendent possible ce qui était impossible », mais qu’il déguisent un départ volontaire en expulsion.

              [Je suppose ici que les afghans n’ont pas eu leur mot à dire pour l’expulsion vu qu’il fallait expulser avant les élections.]

              Mais bien sur que si. Ils auraient pu dépêcher leurs avocats pour présenter des recours en chaîne, et les tribunaux leur auraient probablement donné raison. Si on lit les articles, il semble qu’ils n’aient fait aucun effort dans ce sens. Il serait intéressant de connaître les conditions exactes de cette « expulsion » et ses contreparties…

              [Et certains devaient se dire qu’ils seraient plus facilement libres en Afghanistan qu’en RFA vu la corruption et la misère locale]

              Même pas besoin. Pourquoi seraient-ils arrêtés en Afghanistan ? Je doute qu’ils aient été renvoyés dans le cadre d’un accord pour qu’ils finissent leur peine dans leur pays, vu que l’Allemagne n’a même pas de relations diplomatiques avec ce pays. Vous savez, si vous êtes arrêté en Afghanistan, que vous êtes condamné, et que les Afghans décident de vous libérer avant la fin de votre peine et vous renvoient en France, personne ne vous arrêtera à votre arrivée à Roissy pour vous exiger de faire le reste de votre peine dans une prison française…

  22. Degorde Philippe dit :

    Bien vu, rien à redire. Sinon que ce que l’auteur appelle “la majorité de coeur” autour de la politique de Macron le font d’autant plus volontiers qu’elle est la conséquence de l’appartenance à l’Union Européenne, processus auquel ils ont tous participé avec enthousiasme. C’est le bloc pro européen en réalité mondialiste qui s’agrège autour de Macron aujourd’hui et demain autour de son prochain avatar
    C’est donc là qu’il faut porter le fer. Ca ne sert à rien d’engager les gens à descendre dans la rue si on ne leur montre que des mannequins sans leur désigner le véritable ennemi, l’Union Européenne.
    Autre chose, le départ de De Gaulle en 1969 n’est pas comparable à celui de 1946. En 1946 il pensait qu’on le ferait revenir aussitôt. C’est le sens de sa lettre du 20 janvier 1946 qui explique les raisons de son départ. Les termes sont faux bien entendu et De Gaulle le savait parfaitement. Partir en janvier 1946 explique la lettre, sorte de nouvel appel du 18-juin. Ce coup là ça ne marche pas et il faut attendre 1958.
    En 1969 en revanche, De Gaulle n’a à l’esprit aucune possibilité ni envie de revenir aux affaires.

    • Descartes dit :

      @ Degorde Philippe

      [Bien vu, rien à redire. Sinon que ce que l’auteur appelle “la majorité de coeur” autour de la politique de Macron le font d’autant plus volontiers qu’elle est la conséquence de l’appartenance à l’Union Européenne, processus auquel ils ont tous participé avec enthousiasme. C’est le bloc pro européen en réalité mondialiste qui s’agrège autour de Macron aujourd’hui et demain autour de son prochain avatar]

      Pas tout à fait, justement. C’était mon point : alors que cette « majorité de cœur » existe, elle n’arrive pas à « s’agréger » parce que cela suppose d’avouer cette unité au public, alors qu’un certain nombre de partis – je pense notamment au PS, mais pas seulement – vivent électoralement sur l’illusion d’une altérité. Vous imaginez les socialistes disant publiquement « au fond, nous sommes la même chose que Macron » ?

      Cette « majorité de cœur » est relativement homogène du point de vue des intérêts de classe mais les différents partis représentent des secteurs légèrement différents du bloc dominant avec des intérêts particuliers et des « territoires » à défendre. C’est pourquoi ils s’unissent quand l’essentiel est en jeu, mais se chamaillent le reste du temps.

      [C’est donc là qu’il faut porter le fer. Ca ne sert à rien d’engager les gens à descendre dans la rue si on ne leur montre que des mannequins sans leur désigner le véritable ennemi, l’Union Européenne.]

      Je pense comme vous. Et je pense que les gens eux-mêmes en sont conscients. Je doute que la manifestation pour Lucie Castets à Matignon regroupe beaucoup de monde…

      [Autre chose, le départ de De Gaulle en 1969 n’est pas comparable à celui de 1946. En 1946 il pensait qu’on le ferait revenir aussitôt. C’est le sens de sa lettre du 20 janvier 1946 qui explique les raisons de son départ. Les termes sont faux bien entendu et De Gaulle le savait parfaitement. Partir en janvier 1946 explique la lettre, sorte de nouvel appel du 18-juin. Ce coup là ça ne marche pas et il faut attendre 1958. En 1969 en revanche, De Gaulle n’a à l’esprit aucune possibilité ni envie de revenir aux affaires.]

      Effectivement, en 1947 mongénéral songe à un retour, alors qu’il est clair qu’en 1969 il n’y a pas de retour possible, ni même souhaitable : en 1947, dans son esprit, il laisse une œuvre inachevée. En 1969, il laisse des institutions solides et bien établies. Quant à savoir s’il pensait revenir « aussitôt » en 1947, la question se discute, notamment parce qu’il ne tenait pas le même langage à tous ses interlocuteurs. A certains, il montrait un certain optimisme semblant persuadé que les partis n’arriveraient pas à gouverner sans lui. A d’autres, il tenait un discours beaucoup plus pessimiste quand à ses chances réelles de revenir aux affaires.

  23. dsk dit :

    @ Descartes
     
    Incroyable ! Je lis à l’instant dans le Figaro que 55 % des français seraient d’accord avec l’affirmation de Mélenchon selon laquelle Macron, en nommant Barnier, aurait “volé l’élection au peuple français”, ce qui pose quand même la question de leur niveau en arithmétique, ou pire, de leur compréhension du concept de démocratie. Pour ma part, j’ai juste envie de déboucher le champagne et d’envoyer une lettre de félicitations à Macron, pardon, à notre président de la République M. Emmanuel Macron, pour ce choix aussi démocratique que judicieux.  
     

    • Descartes dit :

      @ dsk

      [Incroyable ! Je lis à l’instant dans le Figaro que 55 % des français seraient d’accord avec l’affirmation de Mélenchon selon laquelle Macron, en nommant Barnier, aurait “volé l’élection au peuple français”,]

      Je n’ai pas accès au « Figaro », et je ne peux donc pas consulter l’article. Mais je serais étonné que la question posée dans ce sondage soit « êtes vous d’accord avec l’affirmation de Mélenchon selon laquelle Macron, en nommant Barnier, aurait “volé l’élection au peuple français” ». Je devine plutôt qu’on leur a demandé s’ils pensaient qu’avec cette nomination ils s’estimaient « volés ». L’association avec Mélenchon n’y figure pas. Si c’est le cas, votre présentation de la réponse est pour le moins malhonnête…

      Je pense que le 55% en question résulte de deux courants opposés : l’un, de gauche, fait probablement le même raisonnement que Mélenchon. Mais l’autre, probablement aussi nombreux sinon plus, vient de l’extrême droite et ne pense certainement pas que Macron aurait du nommer Castets…

      [Pour ma part, j’ai juste envie de déboucher le champagne et d’envoyer une lettre de félicitations à Macron, pardon, à notre président de la République M. Emmanuel Macron, pour ce choix aussi démocratique que judicieux.]

      Pourquoi tant de joie ? Que pensez-vous que fera Barnier que n’importe quel autre candidat acceptable pour Macron – au hasard, Cazeneuve ou Bertrand – n’aurait fait à sa place ?

      • dsk dit :

        @ Descartes
         
        [“Je n’ai pas accès au « Figaro », et je ne peux donc pas consulter l’article. Mais je serais étonné que la question posée dans ce sondage soit « êtes vous d’accord avec l’affirmation de Mélenchon selon laquelle Macron, en nommant Barnier, aurait “volé l’élection au peuple français” ». Je devine plutôt qu’on leur a demandé s’ils pensaient qu’avec cette nomination ils s’estimaient « volés ». L’association avec Mélenchon n’y figure pas. Si c’est le cas, votre présentation de la réponse est pour le moins malhonnête…”]
         
        C’est que je n’avais pas trouvé le moyen de vous mettre en lien l’info du Figaro qui n’apparaît que dans leur fil “en direct”. Mais la voici, cette fois sur le site de France info où l’on peut lire :
         
        “Plus de la moitié des personnes interrogées (55%) se disent même d’accord avec les propos du fondateur de La France insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon, qui a accusé le chef de l’Etat d’avoir “volé l’élection au peuple français”, révèle cette enquête d’opinion.” 
         
        Michel Barnier nommé Premier ministre : pour trois Français sur quatre, Emmanuel Macron n’a pas tenu compte des résultats des élections législatives (francetvinfo.fr)
         
        [“Pourquoi tant de joie ? Que pensez-vous que fera Barnier que n’importe quel autre candidat acceptable pour Macron – au hasard, Cazeneuve ou Bertrand – n’aurait fait à sa place ?”]
         
        Je pense qu’il arrivera à former un gouvernement durable, ou du moins je l’espère. S’il échoue, en tout cas, je ne vois pas qui d’autre y arriverait. En plus, je ne vous cache pas que je l’aime bien. C’est un homme politique à l’ancienne, d’un autre niveau que les Attal, Cazeneuve, Bertrand etc. 

        • Descartes dit :

          @ dsk

          [C’est que je n’avais pas trouvé le moyen de vous mettre en lien l’info du Figaro qui n’apparaît que dans leur fil “en direct”. Mais la voici, cette fois sur le site de France info où l’on peut lire :]

          A partir du lien j’ai retrouvé sur le site du sondeur (Elabe) la question exacte, qui effectivement demande aux électeurs de se prononcer sur la phrase de Mélenchon. En fait, ceux qui sont d’accord avec Mélenchon se recrutent entre les électeurs du NFP (à 87%) et parmi les abstentionnistes (60%). Et je suis d’accord avec vous, que 87% des électeurs de la gauche gobent de manière acritique le discours de LFI, cela montre quelque chose d’inquiétant.

          [« Pourquoi tant de joie ? Que pensez-vous que fera Barnier que n’importe quel autre candidat acceptable pour Macron – au hasard, Cazeneuve ou Bertrand – n’aurait fait à sa place ? » Je pense qu’il arrivera à former un gouvernement durable, ou du moins je l’espère. S’il échoue, en tout cas, je ne vois pas qui d’autre y arriverait. En plus, je ne vous cache pas que je l’aime bien. C’est un homme politique à l’ancienne, d’un autre niveau que les Attal, Cazeneuve, Bertrand etc.]

          Vous débouchez le champagne un peu trop facilement. Je partage avec vous une certaine sympathie pour Barnier. Je pense qu’à la différence de beaucoup d’autres, il a tiré des conclusions réalistes de son passage à Bruxelles, et sa sortie sur la « souveraineté juridique » était à ce propos un cri du cœur. Je pense aussi qu’il est, comme vous dites, un « homme politique à l’ancienne » avec une vraie expérience et une vraie profondeur humaine. Je trouve aussi que son comportement vis-à-vis du RN – respecter les élus et à travers eux leurs électeurs sans pour autant cacher ses désaccords – contraste agréablement avec les logiques de guerre civile de certaines personnes. Il est d’ailleurs paradoxal que le « front républicain » ait accouché finalement d’un premier ministre qui ne paraît pas partager l’idée que le RN doive être ghettoïsé, ou qui du moins ne s’est guère exprimé dans ce sens.

          Mais au-delà de la sympathie pour la personne, je doute qu’il puisse faire grande chose. L’attitude maximaliste de la gauche rend Barnier absolument tributaire des centristes et de la droite libérale, qui sont ses seuls soutiens solides. Comment dans ces conditions imaginer qu’il puisse conduire une quelconque « rupture » avec le macronisme ? Or, cette rupture est devenue une condition sine qua non de la stabilité politique du pays. Si les électeurs ne voient rien venir, s’ils ont l’impression que Barnier est la continuité d’Attal, la prochaine élection se jouera entre LFI et le RN.

          • dsk dit :

            @ Descartes
             
            [“Mais au-delà de la sympathie pour la personne, je doute qu’il puisse faire grande chose. L’attitude maximaliste de la gauche rend Barnier absolument tributaire des centristes et de la droite libérale, qui sont ses seuls soutiens solides. Comment dans ces conditions imaginer qu’il puisse conduire une quelconque « rupture » avec le macronisme ? Or, cette rupture est devenue une condition sine qua non de la stabilité politique du pays. Si les électeurs ne voient rien venir, s’ils ont l’impression que Barnier est la continuité d’Attal, la prochaine élection se jouera entre LFI et le RN.”]
             
            Peut-être, si tel était son souhait, arriverait-il à faire bouger les centristes et la droite libérale ? La menace de ce futur duel RN/LFI se précisant, ne serait-il pas dans leur intérêt,  finalement, d’aider Barnier à reprendre des voix au RN, en donnant pour une fois satisfaction à ses électeurs, notamment en matière d’immigration et d’insécurité ? Aurai-je déjà trop bu de champagne ?

            • Descartes dit :

              @ dsk

              [Peut-être, si tel était son souhait, arriverait-il à faire bouger les centristes et la droite libérale ?]

              Les faire « bouger » dans quel sens ? Malheureusement, on n’est plus au temps où le discours des partis politiques avait une influence sur leur électorat, où un parti pouvait se permettre d’entamer une discussion avec ses électeurs et les pousser à penser différemment, à prendre conscience de tel ou tel problème. Cela marchait quand les partis avaient un électorat fidèle, qui votait pour eux par adhésion institutionnelle, et non pas attiré par telle ou telle promesse.

              Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’électeur aujourd’hui est labile, et va voir ailleurs dès qu’on lui dit des vérités désagréables. C’est pourquoi les partis sont obsédés par le besoin de plaire à tel ou tel électorat pour le capter ou le garder, et ne s’occupent plus de le former ou l’éduquer. C’est la logique du « je suis leur leader, je dois les suivre », qui conduit à la démagogie permanente, puisque pour garder l’électeur il faut lui dire ce qu’il a envie d’entendre.

              Je vois mal comment « faire bouger » les centristes ou la droite libérale, pas plus que vous ne pouvez « faire bouger » socialistes ou LFI, parce que chacun suit son électorat, et que celui-ci suit d’abord ses intérêts tels qu’il les conçoit, c’est-à-dire, à court terme. Pour sortir de cette situation, il faudrait mettre sur la table un projet qui réunisse autour de lui un large consensus. Qui peut exiger des sacrifices, à conditions qu’il y ait là aussi consensus sur le fait que l’effort est justement reparti. Or, je vois mal la droite et les centristes se plier à cette nécessité, parce que je ne vois pas les classes intermédiaires, qui constituent l’épine dorsale de ces partis, l’accepter. Vous verrez, ces classes insisteront pour que les sacrifices reposent essentiellement sur les couches populaires (à droite) ou sur « les riches » (à gauche).

              [La menace de ce futur duel RN/LFI se précisant, ne serait-il pas dans leur intérêt, finalement, d’aider Barnier à reprendre des voix au RN, en donnant pour une fois satisfaction à ses électeurs, notamment en matière d’immigration et d’insécurité ? Aurai-je déjà trop bu de champagne ?]

              Cela supposerait que les classes intermédiaires aient une vision à court terme. Il faut beaucoup de champagne pour se convaincre que cela pourrait être le cas.

            • dsk dit :

              @ Descartes
               
              [“Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’électeur aujourd’hui est labile, et va voir ailleurs dès qu’on lui dit des vérités désagréables. C’est pourquoi les partis sont obsédés par le besoin de plaire à tel ou tel électorat pour le capter ou le garder, et ne s’occupent plus de le former ou l’éduquer. C’est la logique du « je suis leur leader, je dois les suivre », qui conduit à la démagogie permanente, puisque pour garder l’électeur il faut lui dire ce qu’il a envie d’entendre.”]
               
              Peut-être, mais plaire aux seules classes intermédiaires ne semble plus suffire, si l’on en juge par ce qui vient d’arriver au macronisme. Si leurs représentants veulent conserver le pouvoir, il va donc bien falloir qu’ils ramènent à eux une partie des classes populaires. Quant aux classes intermédiaires elles-mêmes, elles ont peut-être été suffisamment secouées  par les récents évènements pour réaliser qu’elles ne peuvent plus se contenter de se barricader dans leur forteresse, en quelque sorte, et qu’elles doivent désormais accepter de “bouger”, sauf à voir les gueux en gilets jaunes à nouveau traverser le périphérique, et cette fois-ci pour de bon. Décidément, ce champagne est excellent. Vous en voulez ?

            • Descartes dit :

              @ dsk

              [Peut-être, mais plaire aux seules classes intermédiaires ne semble plus suffire, si l’on en juge par ce qui vient d’arriver au macronisme. Si leurs représentants veulent conserver le pouvoir, il va donc bien falloir qu’ils ramènent à eux une partie des classes populaires.]

              Mais qu’est-ce qui vous fait penser que le macronisme plait toujours aux classes intermédiaires ? Les objectifs du macronisme peuvent toujours plaire à ces couches sociales, mais quid de sa capacité réelle à les atteindre ? En 2017, le bloc dominant voyait en Macron un personnage dont les convictions étaient affines à leurs intérêts. Mais c’était aussi le cas d’un Hollande ou d’une Pécresse. La différence, c’était que Macron était perçu comme étant à la fois suffisamment compétent et « transgressif » pour pouvoir mettre en œuvre les « réformes » – guillemets indispensables – nécessaires pour liquider les acquis du CNR et installer en France un vrai libéralisme tout en préservant le revenu des classes intermédiaires et les transferts dont elles bénéficient. Elles comptaient aussi sur lui pour mettre sous contrôle les couches populaires, et notamment pour freiner la progression du RN, seule véritable crainte des partisans du « cercle de la raison ».

              Cette confiance s’est émoussée avec le temps. Non pas parce que Macron aurait trahi ses convictions : rien dans ses actes ou ses déclarations permettent de mettre en doute son engagement du côté du bloc dominant. Mais des doutes sérieux sont apparus sur sa capacité à faire, sur ses compétences. La gestion approximative de l’économie a détruit la réputation du « Mozart de la finance », ses erreurs politiques ont détruit le mythe du stratège génial. De recul en réforme mal faite, son image ne rassure plus les classes intermédiaires, qui se cherchent des représentants ailleurs…

              [Quant aux classes intermédiaires elles-mêmes, elles ont peut-être été suffisamment secouées par les récents évènements pour réaliser qu’elles ne peuvent plus se contenter de se barricader dans leur forteresse, en quelque sorte, et qu’elles doivent désormais accepter de “bouger”, sauf à voir les gueux en gilets jaunes à nouveau traverser le périphérique, et cette fois-ci pour de bon.]

              J’ai moins confiance dans la clairvoyance des classes intermédiaires et leur capacité à se projeter dans le futur que vous. Je doute qu’ils perçoivent la menace. Le discours qu’on entend concernant la montée du RN le montre bien d’ailleurs : la plupart des commentateurs de droite comme de gauche prétendent bloquer la marée montante en érigeant des digues. Très rares sont les voix qui disent que si l’on veut endiguer le phénomène, il faut s’attaquer à ses causes.

              [Décidément, ce champagne est excellent. Vous en voulez ?]

              Avec plaisir. Let’s feast and be merry, for tomorrow we shall die… (“festoyons et soyons joyeux, car demain nous mourrons”).

  24. Spinoza dit :

    @ Descartes
     
    [Pour ce qui concerne le « patrimoine matériel », ce qui est détruit ne l’est pas pour toujours, il peut être reconstitué. Et la reconstitution est très rapide : allez à Hiroshima, ville à 80% détruite par le premier bombardement atomique. En dehors du mémorial, bâtiment conservé dans l’état, aucune trace de la destruction ne subsiste. Même chose à Berlin ou à Londres…]
     
    Bien sûr on peut toujours reconstruire, mais ce n’est jamais équivalent. Si Paris avait été rasé en 1944 puis reconstruit en béton comme Berlin, diriez vous que finalement rien n’a été perdu ?
     
     
    [Pour ce qui concerne votre référence à Pasteur ou Einstein, il ne faut pas exagérer l’importance des personnes. Ce que Pasteur ou Einstein ont trouvé, quelqu’un d’autre l’aurait trouvé à leur place s’ils n’avaient pas été là. Par ailleurs, vous noterez que les guerres ne ralentissent pas l’avance des sciences et des technologies, au contraire. L’expédition d’Egypte a tué certainement pas mal de monde, mais a fait plus pour la connaissance de ce pays que des siècles de paix.]
     
    C’est drôle, je peux utiliser votre premier argument contre le second. Sans Napoléon, l’Egypte aurait été explorée de toutes façons, et la Première République aurait certainement promulgué des codes juridiques, peut-être même rédigés par le mêmes hommes… Mais c’est un argument que je ne souhaitais pas utiliser au début car si on va par là on peut tout relativiser trop facilement.

     
    [Je pense que Napoléon a contribué puissamment à émanciper l’humanité de l’aliénation. Il fut le premier dirigeant qui a soumis l’église au contrôle de l’Etat – et non l’inverse. Avec son code pénal, la France devient le premier pays d’Europe où le blasphème et l’homosexualité ne sont plus des délits, ou la sphère publique est séparée de la sphère privée… si ce n’est pas ça « contribuer grandement » à l’émancipation…]
     
    Je ne peux qu’applaudir au principe de la soumission de l’église à l’État, mais soyons honnêtes, l’enjeu n’était pas de rendre la liberté de conscience aux Français mais de mettre la main sur un puissant instrument de contrôle de la société. Par ailleurs, les mêmes codes qui sont admirables pour les raisons que vous dites ont enfermé les femmes dont un carcan dont elles ont mis plus d’un siècle à se libérer, consacré la propriété bourgeoise dont nous ne sommes toujours pas sortis…
     
    Nous pourrions continuer cet échange longtemps mais encore une fois, pour apprécier la contribution d’un homme, on ne peut se contenter de retenir uniquement le positif – pas plus que le négatif d’ailleurs – . Il faut tout prendre. Je ne vous demande pas de changer d’avis sur le champ, mais j’aimerais au moins vous faire reconnaître que le bilan de Napoléon est très ambivalent, et que quelque soit le côté où l’on se place il existe des critères qu’il est loin d’être absurde de revaloriser, et qui pourtant ont le pouvoir de faire changer le sens de l’appréciation globale. Ainsi, vous serez j’espère moins sévère vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas votre enthousiasme pour ce personnage.
     
     
    [Je ne vous savais pas aussi puritain…]
    Il faut dire que vous ne me « connaissez » que depuis moins d’une semaine. Si vous avez lu Spinoza, vous vous rappellerez peut-être que lui aurait plutôt parlé d’impuissance que de médiocrité. Impuissance s’oppose effectivement à vertu, mais ce sont des notions qui servent de guide pour l’action, et non à distribuer condamnations et récompenses.

     

    • Descartes dit :

      @ Spinoza

      [« Pour ce qui concerne le « patrimoine matériel », ce qui est détruit ne l’est pas pour toujours, il peut être reconstitué. Et la reconstitution est très rapide : allez à Hiroshima, ville à 80% détruite par le premier bombardement atomique. En dehors du mémorial, bâtiment conservé dans l’état, aucune trace de la destruction ne subsiste. Même chose à Berlin ou à Londres… » Bien sûr on peut toujours reconstruire, mais ce n’est jamais équivalent. Si Paris avait été rasé en 1944 puis reconstruit en béton comme Berlin, diriez-vous que finalement rien n’a été perdu ?]

      Non, mais je n’en ferais pas non plus un plat. Le patrimoine parisien est certes magnifique, mais il n’est qu’une toute petite fraction de ce qui a été construit puis détruit. Le Paris haussmannien que nous admirons aujourd’hui a été construit sur les ruines du Paris des siècles antérieurs, et le XIXème a probablement plus changé la ville que ne l’auraient fait les nazis en 1944. Du Paris médiéval, il ne reste pas grande chose, des bâtiments magnifiques ont été démolis et reconstruits plusieurs fois et nous arrivent sous une forme à la fois mutilée et composite – pensez par exemple au palais du Louvre.

      [« Pour ce qui concerne votre référence à Pasteur ou Einstein, il ne faut pas exagérer l’importance des personnes. Ce que Pasteur ou Einstein ont trouvé, quelqu’un d’autre l’aurait trouvé à leur place s’ils n’avaient pas été là. Par ailleurs, vous noterez que les guerres ne ralentissent pas l’avance des sciences et des technologies, au contraire. L’expédition d’Egypte a tué certainement pas mal de monde, mais a fait plus pour la connaissance de ce pays que des siècles de paix. » C’est drôle, je peux utiliser votre premier argument contre le second. Sans Napoléon, l’Egypte aurait été explorée de toutes façons, et la Première République aurait certainement promulgué des codes juridiques, peut-être même rédigés par le mêmes hommes…]

      Ou pas. Il y a des pays qui n’ont pas de droit codifié, et pas des moindres : l’Angleterre ou les Etats-Unis en sont de bons exemples. Et il reste bien des contrées qu’aucune expédition n’est venue révéler au monde. Par contre, le fait que la vie ne se développe pas de manière spontanée est indépendant de Pasteur, et le fait que la lumière se déplace à la même vitesse dans tous les référentiels est indépendant d’Einstein. D’ailleurs, d’autres scientifiques étaient très près du but lorsque Einstein énonce sa théorie, et ils seraient certainement arrivés à la même conclusion. C’est toute la différence entre une découverte et une invention : si Christophe Colomb n’avait pas découvert l’Amérique, quelqu’un d’autre l’aurait fait parce que l’Amérique était là, et que quelqu’un aurait bien fini par trébucher sur elle. Par contre, la rédaction d’un code est purement contingente.

      [Je ne peux qu’applaudir au principe de la soumission de l’église à l’État, mais soyons honnêtes, l’enjeu n’était pas de rendre la liberté de conscience aux Français mais de mettre la main sur un puissant instrument de contrôle de la société.]

      Pardon, mais le fait que les « puissants instruments de contrôle de la société » soient dans les mains d’un Etat qui est toujours plus ou moins sous le contrôle des citoyens plutôt que dans les mains d’une oligarchie religieuse, c’est déjà un grand progrès dans la voie de l’émancipation. J’ajoute que le contrôle de l’Etat sur l’église aboutit toujours à une sécularisation de la société, parce que dès lors que le pouvoir religieux est soumis aux pouvoirs terrestres, le doute s’instille sur le fait qu’un tel pouvoir puisse être exercé au nom d’une puissance supérieure. Pour le dire autrement, si l’Empereur peut imposer au Pape, c’est que dieu ne doit pas être si puissant que ça…

      [Par ailleurs, les mêmes codes qui sont admirables pour les raisons que vous dites ont enfermé les femmes dont un carcan dont elles ont mis plus d’un siècle à se libérer, consacré la propriété bourgeoise dont nous ne sommes toujours pas sortis…]

      Vous me rappelez le commentaire de Babbage, qui notait que lorsque vous présentez une machine à peler les pommes de terre, on vous reproche le fait qu’elle ne sait pas peler les ananas. Je ne dis pas que Napoléon a conduit à l’émancipation totale et parfaite de tous les individus. Il a simplement fait un pas de plus – mais un pas de géant – dans cette direction. La « propriété bourgeoise » peut vous paraître aujourd’hui un « carcan », mais à l’époque elle constituait un énorme progrès par rapport à la « propriété féodale ».

      [Nous pourrions continuer cet échange longtemps mais encore une fois, pour apprécier la contribution d’un homme, on ne peut se contenter de retenir uniquement le positif – pas plus que le négatif d’ailleurs. Il faut tout prendre.]

      Pourquoi ? Je peux être d’accord avec vous pour ce qui concerne les vivants : pour prévoir ce que le politique que j’élis va faire demain il est utile de connaître ce qu’il a fait hier, « le positif comme le négatif ». Mais lorsqu’un personnage est mort, et que le « roman » qui le concerne ne sert qu’à en faire un exemple, de pousser les gens vers un comportement vertueux, quel est l’intérêt de tout retenir ?

      Je ne vous parle pas bien sur du travail de l’historien. Son métier à lui, est de raconter l’histoire, et dans ce travail les concepts de « positif » ou « négatif » ne sont pas pertinents. Dès lors qu’on parle de « positif » ou « négatif », on n’est plus dans le domaine de l’histoire mais celui de la morale et de l’éthique.

      [Je ne vous demande pas de changer d’avis sur le champ, mais j’aimerais au moins vous faire reconnaître que le bilan de Napoléon est très ambivalent, et que quel que soit le côté où l’on se place il existe des critères qu’il est loin d’être absurde de revaloriser, et qui pourtant ont le pouvoir de faire changer le sens de l’appréciation globale. Ainsi, vous serez j’espère moins sévère vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas votre enthousiasme pour ce personnage.]

      Il est clair que l’appréciation du personnage dépend des critères qu’on se fixe. Si l’on considère que l’essentiel dans un personnage historique est la fidélité conjugale ou le détachement des plaisirs terrestres, il est clair que Napoléon n’arrive pas très haut dans la liste. De même, si l’on fait de l’amour pour les animaux de compagnie un critère de jugement, Hitler serait sans doute relativement bien placé. Mais est-ce là des critères pertinents pour juger l’action d’un homme d’Etat ? Je ne le pense pas. Mais libre à vous de penser le contraire.

      • Spinoza dit :

        [Non, mais je n’en ferais pas non plus un plat. Le patrimoine parisien est certes magnifique, mais il n’est qu’une toute petite fraction de ce qui a été construit puis détruit. Le Paris haussmannien que nous admirons aujourd’hui a été construit sur les ruines du Paris des siècles antérieurs, et le XIXème a probablement plus changé la ville que ne l’auraient fait les nazis en 1944. Du Paris médiéval, il ne reste pas grande chose, des bâtiments magnifiques ont été démolis et reconstruits plusieurs fois et nous arrivent sous une forme à la fois mutilée et composite – pensez par exemple au palais du Louvre.]
         
        Je vous laisse la responsabilité de l’affirmation selon laquelle la perte de la totalité du patrimoine parisien ne serait pas grand chose. Nous n’arriverons sans doute pas à un accord sur ce point.
         
        [Ou pas. Il y a des pays qui n’ont pas de droit codifié, et pas des moindres : l’Angleterre ou les Etats-Unis en sont de bons exemples. Et il reste bien des contrées qu’aucune expédition n’est venue révéler au monde. Par contre, le fait que la vie ne se développe pas de manière spontanée est indépendant de Pasteur, et le fait que la lumière se déplace à la même vitesse dans tous les référentiels est indépendant d’Einstein. D’ailleurs, d’autres scientifiques étaient très près du but lorsque Einstein énonce sa théorie, et ils seraient certainement arrivés à la même conclusion. C’est toute la différence entre une découverte et une invention : si Christophe Colomb n’avait pas découvert l’Amérique, quelqu’un d’autre l’aurait fait parce que l’Amérique était là, et que quelqu’un aurait bien fini par trébucher sur elle. Par contre, la rédaction d’un code est purement contingente.]
         
        Je vous rappelle que les travaux de codification du droit français avaient commencé dès les débuts de la révolution. Il est donc extrêmement probable que le processus eût abouti sous un autre régime. Nous ne saurons jamais quelles eussent été exactement les différences si la Première République avait pu durer, mais il n’est pas absurde de penser que c’eût été proche. Une bonne partie des articles présents dans les codes napoléoniens se trouvaient déjà dans des projets antérieurs à 1799.
        Quant aux contrées encore non révélées au monde, en dehors des grands fonds marins je suis désolé mais je ne vois pas.
         
         
        [Vous me rappelez le commentaire de Babbage, qui notait que lorsque vous présentez une machine à peler les pommes de terre, on vous reproche le fait qu’elle ne sait pas peler les ananas. Je ne dis pas que Napoléon a conduit à l’émancipation totale et parfaite de tous les individus. Il a simplement fait un pas de plus – mais un pas de géant – dans cette direction. La « propriété bourgeoise » peut vous paraître aujourd’hui un « carcan », mais à l’époque elle constituait un énorme progrès par rapport à la « propriété féodale ».]
         
        Je n’étais certainement pas en train de reprocher aux progrès napoléoniens de ne pas progresser assez. Je vous faisais juste remarquer qu’à côtés des progrès – indéniables – associés à ces codes, il n’y a pas seulement des non-progressions mais des reculs. A bien des égards le statut des femmes au XIXème siècle a régressé par rapport au XVIIIème. La propriété bourgeoise avait déjà supplanté la propriété féodale avant Napoléon mais la révolution bourgeonnait déjà de projets visant à la limiter, et même des premiers projets de propriété collective – pensez à Babeuf -. Sa consécration dans les codes napoléoniens vise avant tout à la défendre contre ce genre de projets, ce qui en fait donc bien un geste réactionnaire. Enfin j’aurais également pu ajouter le rétablissement de l’esclavage dans les colonies avec rétablissement de la hiérarchie des races et interdiction des mariages mixtes, chose que le lobby colonial n’avait pas même pu obtenir sous l’Ancien régime.
        Cependant je reconnais que le bilan des codes napoléoniens est dans l’ensemble positif.
        [Pardon, mais le fait que les « puissants instruments de contrôle de la société » soient dans les mains d’un Etat qui est toujours plus ou moins sous le contrôle des citoyens plutôt que dans les mains d’une oligarchie religieuse, c’est déjà un grand progrès dans la voie de l’émancipation. J’ajoute que le contrôle de l’Etat sur l’église aboutit toujours à une sécularisation de la société, parce que dès lors que le pouvoir religieux est soumis aux pouvoirs terrestres, le doute s’instille sur le fait qu’un tel pouvoir puisse être exercé au nom d’une puissance supérieure. Pour le dire autrement, si l’Empereur peut imposer au Pape, c’est que dieu ne doit pas être si puissant que ça…]
        [Pourquoi ? Je peux être d’accord avec vous pour ce qui concerne les vivants : pour prévoir ce que le politique que j’élis va faire demain il est utile de connaître ce qu’il a fait hier, « le positif comme le négatif ». Mais lorsqu’un personnage est mort, et que le « roman » qui le concerne ne sert qu’à en faire un exemple, de pousser les gens vers un comportement vertueux, quel est l’intérêt de tout retenir ?]
        [Il est clair que l’appréciation du personnage dépend des critères qu’on se fixe. Si l’on considère que l’essentiel dans un personnage historique est la fidélité conjugale ou le détachement des plaisirs terrestres, il est clair que Napoléon n’arrive pas très haut dans la liste. De même, si l’on fait de l’amour pour les animaux de compagnie un critère de jugement, Hitler serait sans doute relativement bien placé. Mais est-ce là des critères pertinents pour juger l’action d’un homme d’Etat ? Je ne le pense pas. Mais libre à vous de penser le contraire.]
         
        On arrive là au coeur de ce que j’ai à vous dire, vous pouvez même oublier le reste. Je veux bien reconnaître que Napoléon était un grand homme d’État. Mais ce que vous ne voulez pas voir c’est qu’un grand homme d’État ne fait pas nécessairement un grand homme tout court.
         
        Je mets un signe égal entre un mécanicien qui inventerait la voiture volante dans l’objectif d’emmener les blessés plus vite à l’hôpital et un mécanicien qui inventerait la même voiture mais dans l’objectif de servir d’instrument à des attentats suicides de Daech. Mais je ne mets pas un signe égal entre le premier HOMME et le second HOMME. Le premier mécanicien est un grand homme, le second non.
         
        Quand bien même la voiture inventée par le mécanicien de Daech ne servirait qu’à un seul attentat, et que son invention serait ensuite utilisée pendant des siècles pour des usages humanistes, je ne peux appeler le mécanicien de Daech un grand homme. Grand mécanicien oui mais on n’est pas un grand homme tout court sans de bonnes intentions. Quelqu’un qui fait du bien par accident ne peut être honoré en tant qu’homme.
         
        Je reconnais avec vous que les institutions administratives créées sous Napoléon sont admirables d’efficacité, et qu’elles ont généralement fonctionné depuis deux siècles au service du peuple français. Mais cela ne peut effacer que Napoléon avait pour intention lorsqu’il les a conçues d’étouffer la liberté du peuple français, et d’utiliser sa puissance collective au service d’intérêts particuliers : le sien, celui de son clan et celui des financiers qui le soutenaient. C’est toute la différence avec un de Gaulle qui a placé l’intérêt national au dessus de tout.
         
        Donc je persiste et je signe. Napoléon n’est pas un grand homme. Rassurez vous ce constat ne vous empêche aucunement d’en faire un exemple dans les écoles militaires ou les écoles d’administration. De cette manière vous conserverez le meilleur de son héritage sans insulter l’humaniste qui, j’en suis convaincu, est en vous.
         
         

        • Descartes dit :

          @ Spinoza

          [« Non, mais je n’en ferais pas non plus un plat. (…) » Je vous laisse la responsabilité de l’affirmation selon laquelle la perte de la totalité du patrimoine parisien ne serait pas grand-chose.]

          Vous êtes bien généreux : vous me laissez la responsabilité de ce que je n’ai pas dit… Je n’ai pas dit que « ce ne serait pas grand-chose », j’ai dit que ce serait très triste, mais que « je n’en ferais pas non plus un plat ». Ce n’est pas tout à fait la même chose. Je ne fais que constater : la ville de Dresde, la « Florence de l’Elbe », a été pratiquement rasée pendant la deuxième guerre mondiale, et ses principaux monuments détruits. C’est certainement très triste, mais on ne peut que constater que cela n’a pas empêché l’Allemagne de rester une grande nation, et que soixante ans plus tard la ville a été largement restaurée.

          [Je vous rappelle que les travaux de codification du droit français avaient commencé dès les débuts de la révolution. Il est donc extrêmement probable que le processus eût abouti sous un autre régime.]

          Pourtant, les travaux de codification s’arrêtent avec la chute de Napoléon, et il faut attendre longtemps pour que ces travaux reprennent. Les « grands codes » datent tous du règne de Napoleon (code civil, code pénal, code de commerce…) ou de la fin XIXème et XXème siècle (code minier (1950), code rural (1898), code de la santé publique (1953), code des marchés publics (1964)…). Il n’est donc pas évident que le processus de codification « aboutisse » sous d’autres régimes…

          [Nous ne saurons jamais quelles eussent été exactement les différences si la Première République avait pu durer, mais il n’est pas absurde de penser que c’eût été proche.]

          Si ma grand-mère avait des roues, ce serait un autobus. Le fait est que la Première République n’a pas duré, et elle n’a pas duré non pas parce qu’elle a été balayée par un évènement extérieur, mais à cause de ses conflits intérieurs. Il a fallu un Napoléon pour stabiliser le régime politique suffisamment pour que les codes puissent voir le jour. En faire l’enfant de la Première République n’a donc pas de sens.

          [Je n’étais certainement pas en train de reprocher aux progrès napoléoniens de ne pas progresser assez. Je vous faisais juste remarquer qu’à côtés des progrès – indéniables – associés à ces codes, il n’y a pas seulement des non-progressions mais des reculs.]

          Très bien, alors rendons lui l’hommage qu’il mérite pour ces « progrès indéniables ». Qui a dit que pour mériter une statue il fallait être un saint, un parangon de vertu dans tous les domaines ? Je pense que c’est une détestable manie de notre temps que d’exiger des grands hommes qu’ils soient sans reproche avant de pouvoir les honorer. Si untel a sauvé la France, aurait-il moins de mérite, mériterait-il moins notre reconnaissance si on découvrait qu’accessoirement il battait sa femme et sodomisait son chien ? Napoléon a stabilisé un pays en pleine guerre civile, vaincu ses ennemis extérieurs, et lui a donné une organisation administrative et juridique dont nous bénéficions encore aujourd’hui. Pour cela, il mérite hommages et statues. Qu’il ait accessoirement aimé le pouvoir et ait été infidèle à son épouse légitime, c’est une autre affaire.

          [A bien des égards le statut des femmes au XIXème siècle a régressé par rapport au XVIIIème.]
          A quel égard, par exemple ?

          [La propriété bourgeoise avait déjà supplanté la propriété féodale avant Napoléon]

          Pourriez-vous élaborer ? La propriété féodale avait été mise à mal dans les faits par la Révolution, mais la propriété bourgeoise n’était pas encore établie sur des fondements solides lorsque Napoléon prend le pouvoir. Sinon, pourquoi faire le Code civil ?

          [mais la révolution bourgeonnait déjà de projets visant à la limiter, et même des premiers projets de propriété collective – pensez à Babeuf -.]

          Des projets, ce n’est pas ça qui manque. Mais les projets ne sont rien sans les moyens de les mettre en œuvre. Permettez-moi de considérer que le principal mérite va à celui qui l’a fait plutôt qu’à celui qui l’a rêvé. La Révolution a beaucoup rêvé, mais elle a créé un désordre qui l’a empêché in fine de réaliser la plupart de ces rêves. C’est cela, la grandeur de Napoléon : avoir été capable de créer les conditions qui ont permis à un certain nombre de projets révolutionnaires de se réaliser.

          [Sa consécration dans les codes napoléoniens vise avant tout à la défendre contre ce genre de projets, ce qui en fait donc bien un geste réactionnaire.]

          Mais à défendre quoi, exactement ? La « propriété bourgeoise » était elle aussi « révolutionnaire » au début du XIXème siècle. Encore une fois, considérer quelqu’un de « réactionnaire » au motif qu’il n’a pas une révolution d’avance, c’est commettre le péché d’anachronisme. Napoléon établit sur des bases solides le projet des Lumières dans une Europe où l’obscurantisme est encore au pouvoir. N’est pas cela assez pour qu’il échappe au reproche de « réactionnaire » ?

          [Enfin j’aurais également pu ajouter le rétablissement de l’esclavage dans les colonies avec rétablissement de la hiérarchie des races et interdiction des mariages mixtes, chose que le lobby colonial n’avait pas même pu obtenir sous l’Ancien régime.]

          Pardon : si vous parlez de « rétablissement », alors vous admettez que c’était déjà ainsi sous l’Ancien régime. Comment pourrait-on « rétablir » quelque chose qui n’a jamais été « établi » ? Pour le reste, il faut être sérieux : Napoléon gouvernait un pays réel, et ne pouvait donc pas ignorer les rapports de forces. Il était en guerre contre l’Angleterre, et savait parfaitement que le « lobby colonial » n’hésiterait pas à hisser le pavillon anglais sur les colonies françaises si on ne lui donnait satisfaction sur ce point. On imagine mal, compte tenu de ce qu’on sait de lui, Napoléon adoptant cette législation de gaîté de cœur. C’était une mesure pragmatique, indispensable pour aligner les territoires coloniaux avec la métropole. Qu’auriez-vous fait à sa place ?

          [On arrive là au coeur de ce que j’ai à vous dire, vous pouvez même oublier le reste. Je veux bien reconnaître que Napoléon était un grand homme d’État. Mais ce que vous ne voulez pas voir c’est qu’un grand homme d’État ne fait pas nécessairement un grand homme tout court.]

          Comme l’écrivait Beaumarchais, « il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre ». Pourriez-vous me citer un seul nom d’un dirigeant qui ait laissé derrière lui une grande œuvre, et qui n’aurait eu aucun défaut, aucun vice dans sa vie publique ou privée ? Churchill était opportuniste, ambitieux, alcoolique et mysogine. Faut-il déboulonner ses statues ? Les saints, ça n’existe que dans les églises, et encore, regardez ce qui arrive à l’Abbé Pierre.

          [Je mets un signe égal entre un mécanicien qui inventerait la voiture volante dans l’objectif d’emmener les blessés plus vite à l’hôpital et un mécanicien qui inventerait la même voiture mais dans l’objectif de servir d’instrument à des attentats suicides de Daech. Mais je ne mets pas un signe égal entre le premier HOMME et le second HOMME. Le premier mécanicien est un grand homme, le second non.]

          Je finis par me demander ce que c’est pour vous qu’un « grand homme ». Pourriez-vous donner une définition ? Je crains qu’avec le critère que vous venez d’énoncer, il n’existe pas vraiment beaucoup de « grands hommes » dans l’histoire. L’immense majorité des inventeurs et des politiques tout au cours de l’histoire ont agi mus par la même impulsion : s’enrichir. Et si en plus vous exigez d’eux une vie morale irréprochable…

          [Je reconnais avec vous que les institutions administratives créées sous Napoléon sont admirables d’efficacité, et qu’elles ont généralement fonctionné depuis deux siècles au service du peuple français. Mais cela ne peut effacer que Napoléon avait pour intention lorsqu’il les a conçues d’étouffer la liberté du peuple français, et d’utiliser sa puissance collective au service d’intérêts particuliers : le sien, celui de son clan et celui des financiers qui le soutenaient.]

          Je vois mal d’où vous tirez cette affirmation définitive sur les « motivations » de Napoléon. Le Code civil et le Code pénal consacrent justement les libertés des citoyens français et les protègent de l’arbitraire des gouvernants et des juges. Pourquoi les faire, si son but était de « étouffer la liberté du peuple français » ?

          [C’est toute la différence avec un de Gaulle qui a placé l’intérêt national au-dessus de tout.]

          Vous oubliez un peu vite que De Gaulle a « étouffé les libertés des citoyens français » en instaurant une « monarchie présidentielle », qu’il s’est fermement opposé à la légalisation de la contraception et à celle de l’avortement… vous savez, si l’on cherche, on peut trouver des puces même à mongénéral…

          • Spinoza dit :

            Je suis bien désolé que vous me lisiez si mal. Mais peut-être est-ce dû à un défaut de mon expression. Comme j’ai le sentiment que la discussion n’avance plus guère je vais tenter une nouvelle clarification, puis je m’en tiendrai là pour cette fois.
             
            Je n’ai jamais dit qu’un grand homme était nécessairement un saint homme et je me fiche bien de la fidélité conjugale.
             
            Pour apprécier la vie d’un homme, le premier critère est celui des INTENTIONS. Quelle est la pensée qui a principalement animé cet homme ? A-t-il chercher à oeuvrer en priorité à la science, à l’art, à l’émancipation de la collectivité ? Ou a-t-il privilégié des intérêts étroitement égoïstes comme le pouvoir, l’argent, la vaine gloire ou les plaisirs ?
             
            On pourrait appeler cet homme « vertueux » dans le premier cas et « médiocre » dans le second.
             
            A ce stade deux remarques :
            1) Je n’oppose pas l’égoïsme à l’altruisme. Je soutiens qu’une vie principalement consacrée à la science, à l’art ou à la collectivité est tout aussi bonne pour soi que pour autrui. Ce n’est donc pas une éthique du renoncement mais au contraire de libération des passions aliénantes.
             
            2) Juger les intentions n’est pas une fantaisie qui m’est personnelle. C’est pour les mêmes raisons qu’un tribunal ne condamne pas un homicide involontaire particulièrement malchanceux et condamne sévèrement un assassinat crapuleux, alors que le dommage causé est le même.
             
            On peut ensuite affiner cette summa divisio, car les bonnes intentions, bien que nécessaires, ne sont pas suffisantes pour faire un grand homme. On peut maintenant s’intéresser aux résultats.
             
            Un grand homme, c’est un homme vertueux dont le bilan en faveur de la connaissance, des arts ou de la collectivité est très largement positif. On peut également y ajouter les hommes vertueux qui, en recherchant cet objectif, ne l’ont pas atteint mais ont payé un prix héroïque pour leur tentative.
             
            Quelques exemples pour illustrer :
             
            – Un chercheur indépendant qui cherche un remède contre le cancer dans l’objectif principal de déposer un brevet pour s’enrichir le plus possible et qui y parvient : homme médiocre.
            – Un chercheur indépendant qui cherche un remède contre le cancer principalement par amour de l’humanité et y parvient : grand homme – et il le restera s’il a mis une gifle a sa femme un jour sous le coup de la colère et s’il a 25 maitresses.
            – Un chercheur indépendant qui cherche un remède contre le cancer principalement par amour de l’humanité et empoisonne accidentellement des gens : cela reste un homme vertueux qui mérite une certaine indulgence.
             
            – Un paysan français engagé dans l’armée en 1940 par conviction anti-fasciste/amour de la patrie puis tué au front ou mutilé : grand homme.
            – Un paysan français dont la principale préoccupation dans la vie a été de s’enivrer, enrôlé sous la contrainte en 1940 puis tué au front : homme médiocre.

            Vous me dites que ça ne fait pas beaucoup de grands hommes, je réponds sans doute, mais ça n’est pas un argument pour élargir les critères. La plupart des hommes n’accomplissent pas des grandes choses et ne sont pas héroïques, je dirais qu’ils se répartissent sur une courbe de Gauss entre médiocrité et vertu.

            Si on en revient à Napoléon, et indépendamment de son bilan d’homme d’État, l’examen de sa vie fait clairement apparaître sa médiocrité. C’était un pur opportuniste qui se moquait bien au fond du sort de la France, d’ailleurs il était nationaliste corse dans sa jeunesse et ne s’est tourné vers la France que lorsqu’il a compris qu’il n’obtiendrait pas ce qu’il voulait de Paoli. Il n’a servi la France que lorsque cela servait aussi son intérêt personnel. Il méprisait copieusement ce qu’il appelait les idéologies et n’avait aucun égard pour ses semblables. J’aurais été plus indulgent avec lui s’il avait instauré un régime autoritaire et sacrifié tout ce sang dans l’objectif de faire reculer la misère et l’ignorance dans la société.
             
            De Gaulle, lui, mérite son titre de grand homme en dépit de ses erreurs car ses accomplissements sont dûs au fait qu’il n’a jamais séparé son intérêt personnel de l’intérêt de la France.
             
            En lisant votre blog, j’ai cru voir la valorisation de la connaissance et de l’action collective au service de l’humanité, soit précisément ce que je défends. Mais il y a sans doute autre chose que je n’ai pas bien identifié et qui sépare nos positions.
             
            Je vous remercie de m’avoir accordé votre temps.

            • Descartes dit :

              @ Spinoza

              [Je n’ai jamais dit qu’un grand homme était nécessairement un saint homme et je me fiche bien de la fidélité conjugale.]

              Pas tant que ça, puisque vous reprochiez à Napoléon sa recherche des « plaisirs charnels »… Mais j’attends toujours que vous me donniez une définition claire de ce qui fait pour vous un « grand homme ». De vos commentaires, j’ai cru comprendre que c’est un homme détaché de toute ambition personnelle, qui ne poursuivrait pas le pouvoir, l’argent, la vaine gloire ou les plaisirs charnels, qui n’agirait qu’en pensant aux autres. La sainteté n’est pas loin…

              [Pour apprécier la vie d’un homme, le premier critère est celui des INTENTIONS. Quelle est la pensée qui a principalement animé cet homme ?]

              Comment le savoir ? On ne peut lire les pensées, et ce que les hommes écrivent d’eux-mêmes est toujours soumis à caution.

              [A ce stade deux remarques : 1) Je n’oppose pas l’égoïsme à l’altruisme. Je soutiens qu’une vie principalement consacrée à la science, à l’art ou à la collectivité est tout aussi bonne pour soi que pour autrui. Ce n’est donc pas une éthique du renoncement mais au contraire de libération des passions aliénantes.]

              Si vous je comprends bien, si vous tirez votre plaisir personnel et égoïste à peindre, à jouer de la musique ou à observer les petites particules dans un accélérateur, vous êtes un grand homme. Mais si vous tirez votre plaisir personnel et égoïste « des plaisirs charnels », non. Comment savez-vous que Einstein, lorsqu’il travaillait à la théorie de la relativité, poursuivait le bien de l’humanité, et non son plaisir égoïste et son désir de gloire ?

              [2) Juger les intentions n’est pas une fantaisie qui m’est personnelle. C’est pour les mêmes raisons qu’un tribunal ne condamne pas un homicide involontaire particulièrement malchanceux et condamne sévèrement un assassinat crapuleux, alors que le dommage causé est le même.]

              Je ne saisis pas très bien le rapport. On ne demande pas aux tribunaux de décider si quelqu’un est « grand » ou pas, mais s’il a ou non respecté la loi. Vous noterez que le tribunal examine autant les intentions que les conséquences. Si vous tirez VOLONTAIREMENT sur quelqu’un et que vous le blessez, la peine n’est pas la même que s’il perd la vie.

              [Un grand homme, c’est un homme vertueux dont le bilan en faveur de la connaissance, des arts ou de la collectivité est très largement positif. On peut également y ajouter les hommes vertueux qui, en recherchant cet objectif, ne l’ont pas atteint mais ont payé un prix héroïque pour leur tentative.]

              Mais que fait-on de ceux qui, n’étant pas vertueux selon votre définition, ont permis aux hommes de s’émanciper, d’améliorer leurs vies ? On leur dresse des statues ou pas ?

              [Quelques exemples pour illustrer :
              – Un chercheur indépendant qui cherche un remède contre le cancer dans l’objectif principal de déposer un brevet pour s’enrichir le plus possible et qui y parvient : homme médiocre.
              – Un chercheur indépendant qui cherche un remède contre le cancer principalement par amour de l’humanité et y parvient : grand homme – et il le restera s’il a mis une gifle a sa femme un jour sous le coup de la colère et s’il a 25 maitresses.
              – Un chercheur indépendant qui cherche un remède contre le cancer principalement par amour de l’humanité et empoisonne accidentellement des gens : cela reste un homme vertueux qui mérite une certaine indulgence.]

              Sauf que, encore une fois, les « intentions » sont beaucoup plus difficiles à cerner que vous ne le pensez. Elles peuvent changer avec le temps, elles peuvent comporter un mélange de motifs très différents. Comment savoir si un chercheur travaille « pour l’amour de l’humanité » ou pour l’argent ? Si vous l’interrogez, il vous dira que seul l’humanité l’intéresse. Mais à côté, si un autre laboratoire lui offre de dupliquer son salaire, il acceptera…

              [– Un paysan français engagé dans l’armée en 1940 par conviction anti-fasciste/amour de la patrie puis tué au front ou mutilé : grand homme.]

              Mais quid s’il n’est pas tué ? Faut-il être tué pour être un grand homme ? Vous voyez, on revient à la problématique de la sainteté : le martyre fait partie de la spécification.

              [Si on en revient à Napoléon, et indépendamment de son bilan d’homme d’État, l’examen de sa vie fait clairement apparaître sa médiocrité. C’était un pur opportuniste qui se moquait bien au fond du sort de la France, d’ailleurs il était nationaliste corse dans sa jeunesse et ne s’est tourné vers la France que lorsqu’il a compris qu’il n’obtiendrait pas ce qu’il voulait de Paoli. Il n’a servi la France que lorsque cela servait aussi son intérêt personnel. Il méprisait copieusement ce qu’il appelait les idéologies et n’avait aucun égard pour ses semblables. J’aurais été plus indulgent avec lui s’il avait instauré un régime autoritaire et sacrifié tout ce sang dans l’objectif de faire reculer la misère et l’ignorance dans la société.]

              Et bien, nous ne sommes pas d’accord. Si Napoléon avait été d’abord motivé par son intérêt personnel, pourquoi faire le code civil et le code pénal ? Pourquoi amener des scientifiques dans son expédition en Egypte ? Et pourquoi faire la guerre à la terre entière, plutôt que de trouver un arrangement avec les autres princes et régner sur la France en rétablissant une forme de monarchie absolue ?

              [De Gaulle, lui, mérite son titre de grand homme en dépit de ses erreurs car ses accomplissements sont dus au fait qu’il n’a jamais séparé son intérêt personnel de l’intérêt de la France.]

              Vous y allez un peu vite. Dans sa jeunesse, De Gaulle fut un officier ambitieux, aspirant à une carrière brillante et aux honneurs, se cherchant un parrain puissant pour parvenir à monter dans la hiérarchie, et le trouvant d’ailleurs dans Pétain, à qui il a dédié ses premiers écrits. Et la rupture avec Pétain tient à une querelle d’égos. Le personnage « mystique », tout dévoué à la France, apparaît dans la suite de l’expérience de la défaite de 1940.

              [En lisant votre blog, j’ai cru voir la valorisation de la connaissance et de l’action collective au service de l’humanité, soit précisément ce que je défends. Mais il y a sans doute autre chose que je n’ai pas bien identifié et qui sépare nos positions.]

              Ce qui nous sépare, c’est que vous voyez l’homme en noir et blanc, alors que pour moi les nuances sont importantes. Dans les actes humains, se mêlent d’une manière inséparable des motivations très complexes, et même pour les personnages les plus éminents on trouve une combinaison d’ambitions personnelles et de dévouement des causes transcendantes. J’irai même plus loin : personne ne se dévoue pour autrui. Si nous nous engageons pour lui, c’est parce que nous retirons un certain plaisir de ce sacrifice, parce que nous avons en nous un surmoi qui fait que nous nous faisons du bien A NOUS en faisant du bien AUX AUTRES. C’est pourquoi je ne crois pas à votre jugement en fonction des « motivations ».

              [Je vous remercie de m’avoir accordé votre temps.]

              Egalement.

  25. Spinoza dit :

    Bon excusez-moi, je dois me dédire mais je ne résiste pas à l’envie de répondre…

    [Pas tant que ça, puisque vous reprochiez à Napoléon sa recherche des « plaisirs charnels »… Mais j’attends toujours que vous me donniez une définition claire de ce qui fait pour vous un « grand homme ». De vos commentaires, j’ai cru comprendre que c’est un homme détaché de toute ambition personnelle, qui ne poursuivrait pas le pouvoir, l’argent, la vaine gloire ou les plaisirs charnels, qui n’agirait qu’en pensant aux autres. La sainteté n’est pas loin…]

    Je vous ai donné ma définition, je vais la concentrer : Grand homme = homme aux intentions vertueuses ET (bilan des réalisations très largement positif pour l’émancipation humaine OU héros de l’émancipation humaine).

    Un homme vertueux ou un grand homme peut poursuivre le pouvoir et l’argent s’il a besoin de cela comme moyen pour atteindre son but émancipateur, pas si ce sont des fins dernières. Un homme qui poursuit parfois des plaisirs corporels sans que cet effort n’empiète trop sur son effort vers l’émancipation reste un homme globalement vertueux. Enfin je redis que travailler au bonheur des autres est la manière la plus efficace de travailler à son propre bonheur. Vous voyez qu’il n’est pas question de sainteté, ce n’est pas 0 ou 1, noir ou blanc comme vous le dites plus bas.

    [Comment le savoir ? On ne peut lire les pensées, et ce que les hommes écrivent d’eux-mêmes est toujours soumis à caution.]

    Bien sûr, on ne peut jamais être certain à 100 % de ce que pense autrui. Mais à partir de l’observation de ses actes et du contexte on peut faire une inférence. Et plus les actes sont connus et documentés, plus la probabilité de bien comprendre les intentions sont fortes. C’est aussi ce que fait un tribunal.

    [Si vous je comprends bien, si vous tirez votre plaisir personnel et égoïste à peindre, à jouer de la musique ou à observer les petites particules dans un accélérateur, vous êtes un grand homme. Mais si vous tirez votre plaisir personnel et égoïste « des plaisirs charnels », non. Comment savez-vous que Einstein, lorsqu’il travaillait à la théorie de la relativité, poursuivait le bien de l’humanité, et non son plaisir égoïste et son désir de gloire ?]

    Si vous passez votre vie à observer les particules sans rien découvrir d’important et sans rien faire de particulièrement héroïque pour faire avancer la science, il vous manque le deuxième critère pour être un grand homme. Vous serez juste un homme « vertueux » sans être grand. Quant à Einstein, je ne suis pas expert de sa biographie – et quand bien même je le serais, je ne pourrais pas être certain à 100 % de ses intentions -, mais ce que j’en sais me laisse penser que c’est un homme qui accordait plus de prix à comprendre les mystères de l’univers qu’à s’enricher ou à briller en société.

    [Je ne saisis pas très bien le rapport. On ne demande pas aux tribunaux de décider si quelqu’un est « grand » ou pas, mais s’il a ou non respecté la loi. Vous noterez que le tribunal examine autant les intentions que les conséquences. Si vous tirez VOLONTAIREMENT sur quelqu’un et que vous le blessez, la peine n’est pas la même que s’il perd la vie.]

    Ce que je voulais dire, c’est que le tribunal est là pour faire respecter des lois qui ne prévoient pas la même peine selon que le dommage est causé intentionnellement ou non, et selon les motivations du coupable. Et vous noterez que ma définition du grand homme tient compte elle aussi à la fois des intentions et des conséquences.

    [Mais que fait-on de ceux qui, n’étant pas vertueux selon votre définition, ont permis aux hommes de s’émanciper, d’améliorer leurs vies ? On leur dresse des statues ou pas ?]

    Lorsqu’on ne fait le bien qu’accidentellement, on ne peut pas servir d’exemple – pas sur le plan humain en tout cas, sur le plan technique c’est autre chose comme j’en ai convenu avec vous précédemment-. Donc non je réserverais les statues aux grands hommes – sauf encore une fois s’il s’agit d’un hommage « de technicien ».

    [Sauf que, encore une fois, les « intentions » sont beaucoup plus difficiles à cerner que vous ne le pensez. Elles peuvent changer avec le temps, elles peuvent comporter un mélange de motifs très différents. Comment savoir si un chercheur travaille « pour l’amour de l’humanité » ou pour l’argent ? Si vous l’interrogez, il vous dira que seul l’humanité l’intéresse. Mais à côté, si un autre laboratoire lui offre de dupliquer son salaire, il acceptera…]

    Encore une fois on ne peut pas être sûr à 100 %, mais il faut bien se prononcer tout de même un jour, comme au tribunal. Il faut bien sûr tenir compte des évolutions dans le temps, tenter de démêler les motivations. Il est vrai que certains cas sont beaucoup plus complexes que d’autres, et je dois dire que parmi les personnages historiques Napoléon est loin d’être le cas le plus complexe.
    Je reprends l’exemple du chercheur : si celui-ci vous dit que seul l’humanité l’intéresse, et qu’à côté de cela il vend son brevet à des laboratoires pour un prix exorbitant en sachant que ces laboratoires ne produiront que pour les patients solvables, puis déménage aux Seychelles, vous avez le droit ne pas le croire. Si au contraire il renonce à de l’argent pour que son traitement soit accessible au plus grand nombre, ou s’il se contente de ce qui est nécessaire pour vivre sobrement et utilise le reste pour poursuivre ses recherches , vous avez votre grand homme.

    [Mais quid s’il n’est pas tué ? Faut-il être tué pour être un grand homme ? Vous voyez, on revient à la problématique de la sainteté : le martyre fait partie de la spécification.]

    Un héros n’a pas besoin d’être tué pour être un héros, il « suffit » qu’il ait pris un grand risque ou qu’il ait fait un grand sacrifice.

    [Et bien, nous ne sommes pas d’accord. Si Napoléon avait été d’abord motivé par son intérêt personnel, pourquoi faire le code civil et le code pénal ? Pourquoi amener des scientifiques dans son expédition en Egypte ? Et pourquoi faire la guerre à la terre entière, plutôt que de trouver un arrangement avec les autres princes et régner sur la France en rétablissant une forme de monarchie absolue ?]

    Toutes ces choses ne sont pas du tout incompatibles avec la volonté de consolider son régime et donc son pouvoir. Le code civil et le code pénal répondaient à un besoin de la bourgeoisie sur laquelle s’appuyait le régime. En Egypte il n’était que général, mais se placer dans la lignée des grands découvreurs comme Cook ou La Pérouse est excellent pour la propagande https://histoire-image.org/etudes/frontispice-description-egypte
    Enfin, tant qu’on gagne, la guerre ça rapporte gros et ça fait taire les contestations intérieures. Et une fois qu’on a mis la main dans l’engrenage il est bien difficile d’en sortir.

    Il faudrait plutôt réussir à trouver un épisode où il aurait affaibli/mis en danger son pouvoir en visant un objectif noble qui ne pouvait rien lui rapporter personnellement, mais franchement je ne vois pas.

    [Vous y allez un peu vite. Dans sa jeunesse, De Gaulle fut un officier ambitieux, aspirant à une carrière brillante et aux honneurs, se cherchant un parrain puissant pour parvenir à monter dans la hiérarchie, et le trouvant d’ailleurs dans Pétain, à qui il a dédié ses premiers écrits. Et la rupture avec Pétain tient à une querelle d’égos. Le personnage « mystique », tout dévoué à la France, apparaît dans la suite de l’expérience de la défaite de 1940.]

    D’abord, je répète que convoiter le pouvoir n’est pas infâmant si c’est un moyen nécessaire pour atteindre un fin plus grande. Et ensuite chaque fois que Charles de Gaulle s’est trouvé dans une situation où il a considéré que l’intérêt de la France exigeait la prise d’un risque ou un sacrifice pour sa carrière personnelle, il a choisi la France.

    [Ce qui nous sépare, c’est que vous voyez l’homme en noir et blanc, alors que pour moi les nuances sont importantes. Dans les actes humains, se mêlent d’une manière inséparable des motivations très complexes, et même pour les personnages les plus éminents on trouve une combinaison d’ambitions personnelles et de dévouement des causes transcendantes. J’irai même plus loin : personne ne se dévoue pour autrui. Si nous nous engageons pour lui, c’est parce que nous retirons un certain plaisir de ce sacrifice, parce que nous avons en nous un surmoi qui fait que nous nous faisons du bien A NOUS en faisant du bien AUX AUTRES. C’est pourquoi je ne crois pas à votre jugement en fonction des « motivations ».]
     
    Je trouve votre accusation de manichéisme et d’absence de nuance injuste. Relisez ma remarque 1) du message précédent, j’ai dit exactement comme vous que faire du bien aux autres c’est se faire du bien à soi. Je n’ai donc jamais dit que ceux qui faisaient du bien aux autres devaient renoncer à leur propre bonheur, au contraire.
    Je n’ai jamais dit non plus que quiconque était le diable. Lorsque quelqu’un, en poursuivant des passions aliénantes en vient à nuire à autrui, il ne se réjouit jamais de cette nuisance en elle-même. Pire, on peut dire qu’en poursuivant ces passions, il se nuit en fait à lui-même.
    Les êtres humains sont complexes, comprendre leurs intentions est souvent difficile, mais on ne doit pas pour autant y renoncer, sinon on se condamne à encenser des hommes qui n’ont fait du bien que par accident, et à condamner trop sévèrement d’autres qui ont fait du mal sans en être conscients.
     
     

    • Descartes dit :

      @ Spinoza

      [Bon excusez-moi, je dois me dédire mais je ne résiste pas à l’envie de répondre…]

      « Celui qui part sans qu’on le chasse, revient sans qu’on l’appelle » (proverbe espagnol).

      [Je vous ai donné ma définition, je vais la concentrer : Grand homme = homme aux intentions vertueuses ET (bilan des réalisations très largement positif pour l’émancipation humaine OU héros de l’émancipation humaine).]

      Prenons le cas de l’Abbé Pierre. Est-il un « grand homme » à votre avis ? Et si oui, pensez-vous qu’il faille débaptiser les écoles, les rues, les places qui lui sont consacrées ?

      [Un homme vertueux ou un grand homme peut poursuivre le pouvoir et l’argent s’il a besoin de cela comme moyen pour atteindre son but émancipateur, pas si ce sont des fins dernières.]

      Mais comment savoir ce que sont les « fins dernières » d’un homme ?

      [« Comment le savoir ? On ne peut lire les pensées, et ce que les hommes écrivent d’eux-mêmes est toujours soumis à caution. » Bien sûr, on ne peut jamais être certain à 100 % de ce que pense autrui. Mais à partir de l’observation de ses actes et du contexte on peut faire une inférence. Et plus les actes sont connus et documentés, plus la probabilité de bien comprendre les intentions sont fortes. C’est aussi ce que fait un tribunal.]

      Oui, mais dans un sens très restrictif. Si je tue quelqu’un, le tribunal statuera sur le fait de savoir si j’avais ou non l’intention de tuer. Mais il ne jugera pas de mes MOTIVATIONS pour tuer. Que je l’aie fait pour les plus nobles motifs ou pour les plus bas intérêts, j’irai en prison.

      [« Si vous je comprends bien, si vous tirez votre plaisir personnel et égoïste à peindre, à jouer de la musique ou à observer les petites particules dans un accélérateur, vous êtes un grand homme. Mais si vous tirez votre plaisir personnel et égoïste « des plaisirs charnels », non. Comment savez-vous que Einstein, lorsqu’il travaillait à la théorie de la relativité, poursuivait le bien de l’humanité, et non son plaisir égoïste et son désir de gloire ? » Si vous passez votre vie à observer les particules sans rien découvrir d’important et sans rien faire de particulièrement héroïque pour faire avancer la science, il vous manque le deuxième critère pour être un grand homme.]

      Autrement dit, pour vous être un grand homme est une question de chance. Parce que beaucoup de gens ont observé des petites particules et approché de très près la vérité, et c’est celui qui est arrivé le premier – et quelquefois ce fut une question de semaines – qui emporte le titre. Ou bien sont-ils tous « grands » ? C’est là mon point : un « grand homme » est une construction a posteriori. On « grandit » telle ou telle figure parce qu’elle sert de modèle dans un contexte social et politique donné. Et on abat sa statue pour exactement les mêmes raisons. Je vais vous dire le fond de ma pensée : un « grand homme », c’est ce que la société décide qu’est un « grand homme ». Et ce qu’une société se choisit comme « grands hommes » nous dit beaucoup de la vision qu’elle a d’elle-même et de son avenir. Quand on « grandit » Napoléon, on n’a pas la même conception du monde que quand on « grandit » Coluche.

      [« Mais quid s’il n’est pas tué ? Faut-il être tué pour être un grand homme ? Vous voyez, on revient à la problématique de la sainteté : le martyre fait partie de la spécification. » Un héros n’a pas besoin d’être tué pour être un héros, il « suffit » qu’il ait pris un grand risque ou qu’il ait fait un grand sacrifice.]

      Pourtant, dans votre formule vous aviez mentionné explicitement sa mort. Pourquoi, si elle n’est que contingente ? On ne peut pas nier l’histoire : la mort fait partie intégrante du profil du « héros ». Si Arnaud Beltrame au lieu d’être tué par un terroriste avait été légèrement blessé, il n’aurait pas eu droit à l’hommage national, et pourtant son geste n’aurait été moins risqué, moins « héroïque ». C’est comme ça : tant que l’on ne meurt pas, il y a toujours une incertitude quant au risque pris. Seule la mort prouve.

      [« Et bien, nous ne sommes pas d’accord. Si Napoléon avait été d’abord motivé par son intérêt personnel, pourquoi faire le code civil et le code pénal ? Pourquoi amener des scientifiques dans son expédition en Egypte ? Et pourquoi faire la guerre à la terre entière, plutôt que de trouver un arrangement avec les autres princes et régner sur la France en rétablissant une forme de monarchie absolue ? » Toutes ces choses ne sont pas du tout incompatibles avec la volonté de consolider son régime et donc son pouvoir. Le code civil et le code pénal répondaient à un besoin de la bourgeoisie sur laquelle s’appuyait le régime.]

      Autrement dit, il aurait fait les codes non pour satisfaire son ambition, mais pour répondre aux besoins de sa classe, pour « l’émanciper » du droit ancien ? Dont acte…

      [En Egypte il n’était que général, mais se placer dans la lignée des grands découvreurs comme Cook ou La Pérouse est excellent pour la propagande]

      Par sa propagande auprès de qui ? Qui lisait la « description de l’Egypte » ? C’était une édition de luxe, réservé à une toute petite audience – au point que l’ouvrage était livré avec un meuble spécialement dessiné pour le conserver. Franchement, comme outil de « propagande »…

      [Il faudrait plutôt réussir à trouver un épisode où il aurait affaibli/mis en danger son pouvoir en visant un objectif noble qui ne pouvait rien lui rapporter personnellement, mais franchement je ne vois pas.]

      Pourtant vous l’avez devant le nez : les codes. Parce qu’édicter des codes – pire, en faire « les masses de granit » – du régime, c’est limiter son propre pouvoir. Une fois le code publié, il s’applique à tous, y compris à l’empereur.

      [« Vous y allez un peu vite. Dans sa jeunesse, De Gaulle fut un officier ambitieux, aspirant à une carrière brillante et aux honneurs, se cherchant un parrain puissant pour parvenir à monter dans la hiérarchie, et le trouvant d’ailleurs dans Pétain, à qui il a dédié ses premiers écrits. Et la rupture avec Pétain tient à une querelle d’égos. Le personnage « mystique », tout dévoué à la France, apparaît dans la suite de l’expérience de la défaite de 1940. » D’abord, je répète que convoiter le pouvoir n’est pas infâmant si c’est un moyen nécessaire pour atteindre un fin plus grande.]

      Rien n’indique que ce soit le cas du jeune De Gaulle. Après tout, c’est lui qui écrit que « la gloire ne se donne qu’à ceux qui l’ont toujours révée »… Le jeune De Gaulle, si l’on croit ses biographes, rêvait de gloire et d’honneurs, bien plus que d’incarner la France.

      [Et ensuite chaque fois que Charles de Gaulle s’est trouvé dans une situation où il a considéré que l’intérêt de la France exigeait la prise d’un risque ou un sacrifice pour sa carrière personnelle, il a choisi la France.]

      Là encore, ça se discute. Le départ pour Londres était une prise de risque considérable, mais on ne peut pas dire que cela ait été un mauvais choix de carrière. Et sans le départ de 1947, il n’y aurait pas eu le retour triomphal de 1958. On peut lire les choix de De Gaulle de manière très différente selon l’angle qu’on adopte.

  26. Spinoza dit :

    [Prenons le cas de l’Abbé Pierre. Est-il un « grand homme » à votre avis ? Et si oui, pensez-vous qu’il faille débaptiser les écoles, les rues, les places qui lui sont consacrées ?]

    En tant que rationaliste, je valorise plus l’action politique que la charité comme moyen pour combattre la misère. Cela dit je respecte beaucoup plus les chrétiens qui prennent l’évangile au sérieux en se consacrant à l’amour du prochain que les athées cyniques.
    Si on regarde la vie de l’abbé Pierre, on ne voit aucune raison de douter que son amour de l’humanité était sincère et que c’était la grande préoccupation de sa vie. Quant à son œuvre, et même en admettant que les récentes accusations sont avérées, la somme des bienfaits reste très largement supérieure à celle des méfaits. Je lui maintiens sans problème son statut de grand homme.

    [Mais comment savoir ce que sont les « fins dernières » d’un homme ?]

    Je répète, on ne peut que faire des probabilités. Mais n’êtes vous pas un adepte du rasoir d’Ockham ? C’est mon cas également. Le fait qu’on ne puisse pas être certain à 100 % d’une explication n’empêche pas de la retenir si elle est la plus probable.

    [Oui, mais dans un sens très restrictif. Si je tue quelqu’un, le tribunal statuera sur le fait de savoir si j’avais ou non l’intention de tuer. Mais il ne jugera pas de mes MOTIVATIONS pour tuer. Que je l’aie fait pour les plus nobles motifs ou pour les plus bas intérêts, j’irai en prison.]

    La peine sera moins sévère pour l’assassinat d’un mari violent que pour l’assassinat d’un juge anticorruption.

    [Autrement dit, pour vous être un grand homme est une question de chance. Parce que beaucoup de gens ont observé des petites particules et approché de très près la vérité, et c’est celui qui est arrivé le premier – et quelquefois ce fut une question de semaines – qui emporte le titre. Ou bien sont-ils tous « grands » ? C’est là mon point : un « grand homme » est une construction a posteriori. On « grandit » telle ou telle figure parce qu’elle sert de modèle dans un contexte social et politique donné. Et on abat sa statue pour exactement les mêmes raisons. Je vais vous dire le fond de ma pensée : un « grand homme », c’est ce que la société décide qu’est un « grand homme ». Et ce qu’une société se choisit comme « grands hommes » nous dit beaucoup de la vision qu’elle a d’elle-même et de son avenir. Quand on « grandit » Napoléon, on n’a pas la même conception du monde que quand on « grandit » Coluche.]

    Bien sûr les honneurs accordés sont parfois injustes. D’après mes critères, un chercheur qui a fait 90 % du chemin nécessaire pour arriver à la découverte sans toutefois arriver au bout mérite davantage d’honneurs que celui qui a repris le flambeau pour accomplir les 10 % restants.
    Pour le reste je suis tout à fait d’accord avec vous et pour ma part j’ai choisi de “grandir” ceux qui sont avant tout guidés par l’aspiration à comprendre l’univers et par l’amour du genre humain. La société ne peut que retirer des bénéfices à ce que ce soit ce genre d’hommes qui sert d’exemple.

    [Pourtant, dans votre formule vous aviez mentionné explicitement sa mort. Pourquoi, si elle n’est que contingente ? On ne peut pas nier l’histoire : la mort fait partie intégrante du profil du « héros ». Si Arnaud Beltrame au lieu d’être tué par un terroriste avait été légèrement blessé, il n’aurait pas eu droit à l’hommage national, et pourtant son geste n’aurait été moins risqué, moins « héroïque ». C’est comme ça : tant que l’on ne meurt pas, il y a toujours une incertitude quant au risque pris. Seule la mort prouve.]
     
    J’avais dit « tué ou mutilé ». Mais de toutes façons ce n’était qu’un exemple et un exemple n’épuise pas forcément toute la catégorie qu’il est chargé d’illustrer. L’exemple eût été effectivement mieux choisi si j’avais dit « soldat qui a pris des grands risques » au lieu de dire « soldat tué ou mutilé ».
    La mort prouve qu’il y avait un risque oui, mais pas forcément un grand risque. On peut très bien mourir alors que le risque d’être tué était faible si on est malchanceux. C’est pour cela que même si l’appréciation d’un risque n’est pas toujours facile, je préfère cela que m’en tenir au résultat ex post. Si Arnaud Beltrame avait survécu, il n’aurait selon moi pas mérité moins d’honneurs car le risque pris était le même.

    [Autrement dit, il aurait fait les codes non pour satisfaire son ambition, mais pour répondre aux besoins de sa classe, pour « l’émanciper » du droit ancien ? Dont acte…]

    Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que quand on veut conserver son pouvoir, on est bien inspiré de satisfaire les intérêts de la classe qui vous a porté au pouvoir.

    [Par sa propagande auprès de qui ? Qui lisait la « description de l’Egypte » ? C’était une édition de luxe, réservé à une toute petite audience – au point que l’ouvrage était livré avec un meuble spécialement dessiné pour le conserver. Franchement, comme outil de « propagande »…]

    J’ai mis ce lien pour illustrer comment on pouvait utiliser ce genre d’expéditions. La « description de l’Egypte » est d’ailleurs bien postérieure, 1809. Mais cela a été utile dès 1799 : les nouvelles des grandes découvertes envoyées d’Egypte – et la dissimulation de la situation désastreuse de son armée – ont beaucoup contribué au retour triomphal et à la renommée du général Bonaparte.

    [Pourtant vous l’avez devant le nez : les codes. Parce qu’édicter des codes – pire, en faire « les masses de granit » – du régime, c’est limiter son propre pouvoir. Une fois le code publié, il s’applique à tous, y compris à l’empereur.]

    Je suis désolé je ne vois pas en quoi l’entrée en vigueur de ces codes aurait apporté un limite au pouvoir de Napoléon. D’ailleurs, l’application des règles du code civil à la personne de l’empereur était toute relative : j’en veux pour preuve le divorce, pardon « la dissolution du mariage », avec Joséphine.

    [Rien n’indique que ce soit le cas du jeune De Gaulle. Après tout, c’est lui qui écrit que « la gloire ne se donne qu’à ceux qui l’ont toujours révée »… Le jeune De Gaulle, si l’on croit ses biographes, rêvait de gloire et d’honneurs, bien plus que d’incarner la France.]

    Vous mettez ici le doigt sur le problème particulier de la gloire et des honneurs. Je fais une distinction entre d’une part ceux qui poursuivent la vaine gloire, c’est-à-dire ceux à qui il importe peu que cette gloire soit injustifiée tant qu’ils reçoivent des honneurs, et d’autre part ceux qui poursuivent la gloire liée aux bienfaits qu’ils ont apporté à la collectivité, et qui n’accepteraient pas les honneurs reposant sur des mensonges ou des futilités. La « gloire justifiée » est en fait l’autre versant de la satisfaction que l’on éprouve lorsque l’on agit bien, et il n’est pas mauvais de la poursuivre.
     
    De ce que je sais du général de Gaulle, je ne pense pas qu’il rêvait d’une gloire du genre celle que reçoit une vedette de télévision…

    [Là encore, ça se discute. Le départ pour Londres était une prise de risque considérable, mais on ne peut pas dire que cela ait été un mauvais choix de carrière. Et sans le départ de 1947, il n’y aurait pas eu le retour triomphal de 1958. On peut lire les choix de De Gaulle de manière très différente selon l’angle qu’on adopte.]

    La lecture à adopter est celle de l’évaluation des risques avec les informations dont on disposait au moment où la décision a été prise.
     

    • Descartes dit :

      @ Spinoza

      [Si on regarde la vie de l’abbé Pierre, on ne voit aucune raison de douter que son amour de l’humanité était sincère et que c’était la grande préoccupation de sa vie. Quant à son œuvre, et même en admettant que les récentes accusations sont avérées, la somme des bienfaits reste très largement supérieure à celle des méfaits. Je lui maintiens sans problème son statut de grand homme.]

      Pardon, mais son « amour de l’humanité » a rapporté à l’Abbé une large notoriété, un pouvoir considérable, et last but not least la possibilité d’assouvir un certain nombre de bas instincts. Je vois donc pas mal de raisons de « douter » du désintéressement total du personnage. Quant à la « somme de ses bienfaits », je la trouve plutôt maigre quand on la compare à ses méfaits, et je ne pense pas seulement aux agressions sexuelles. Il est bien connu que la communauté d’Emmaüs avait un fonctionnement quasi sectaire, soumise à l’autorité absolue d’un leader charismatique. Comment expliquez-vous sinon que les aventures sexuelles de l’Abbé soient restés aussi longtemps secrètes, à l’âge de Médiapart ? Pourquoi a-t-il fallu attendre quinze ans après la mort du personnage pour que les langues commencent à se délier ? Et je ne vous parle même pas de la conception particulière de l’application du code du Travail portée par l’Abbé…

      Si j’ai choisi cet exemple, c’est parce qu’il montre bien combien votre vision de ce qu’est un « grand homme » rejoint en fait la vision chrétienne de la sainteté. Dès lors qu’il a vécu dans la pauvreté et pratiqué la charité, tout le reste est pardonnable.

      [« Mais comment savoir ce que sont les « fins dernières » d’un homme ? » Je répète, on ne peut que faire des probabilités. Mais n’êtes vous pas un adepte du rasoir d’Ockham ?]

      Tout à fait. Mais l’application du rasoir d’Ockham conduit fatalement à la conclusion la plus simple et la plus communément observée, à savoir, que les hommes agissent essentiellement pour des raisons égoïstes. Je ne trouve pas d’exemple où l’explication la plus simple à l’action d’un homme soit altruiste…

      [« Oui, mais dans un sens très restrictif. Si je tue quelqu’un, le tribunal statuera sur le fait de savoir si j’avais ou non l’intention de tuer. Mais il ne jugera pas de mes MOTIVATIONS pour tuer. Que je l’aie fait pour les plus nobles motifs ou pour les plus bas intérêts, j’irai en prison. » La peine sera moins sévère pour l’assassinat d’un mari violent que pour l’assassinat d’un juge anticorruption.]

      Oui, parce que la justice est imparfaite, et soumise à la pression de l’opinion publique. Mais en théorie juridique, la personnalité de la victime ne devrait avoir aucune incidence sur la condamnation. D’ailleurs, que faites-vous du cas où le mari violent est aussi un juge anticorruption ?

      [Pour le reste je suis tout à fait d’accord avec vous et pour ma part j’ai choisi de “grandir” ceux qui sont avant tout guidés par l’aspiration à comprendre l’univers et par l’amour du genre humain. La société ne peut que retirer des bénéfices à ce que ce soit ce genre d’hommes qui sert d’exemple.]

      Le problème, c’est que les gens « avant tout guidés par l’aspiration à comprendre l’univers et par l’amour du genre humain » ont rarement fait de grandes choses. C’est triste, mais c’est comme ça. Louis XIV ou Napoléon ont laissé derrière eux des merveilles que nous admirons aujourd’hui encore. Sur ce plan, les « amoureux du genre humain » ne leur arrivent pas à la cheville. Mieux vaut donc fabriquer des « grands hommes » en prenant ceux qui ont fait de grandes choses, quitte à plaquer sur eux des vertus qu’ils n’avaient pas, ou d’oublier certains vices qu’ils avaient…

      [Si Arnaud Beltrame avait survécu, il n’aurait selon moi pas mérité moins d’honneurs car le risque pris était le même.]

      Mais il ne les aurait pas eus. Et cela vous montre que ce qui fait le « grand homme » n’est pas nécessairement le geste lui-même ou le risque pris.

      [« Autrement dit, il aurait fait les codes non pour satisfaire son ambition, mais pour répondre aux besoins de sa classe, pour « l’émanciper » du droit ancien ? Dont acte… » Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que quand on veut conserver son pouvoir, on est bien inspiré de satisfaire les intérêts de la classe qui vous a porté au pouvoir.]

      Autrement dit, vous postulez que lorsqu’un homme politique fait un geste en apparence altruiste, c’est pour protéger son propre pouvoir. Si vous admettez ce principe, selon votre propre définition un politique ne pourra jamais être un grand homme…

      [« Par sa propagande auprès de qui ? Qui lisait la « description de l’Egypte » ? C’était une édition de luxe, réservé à une toute petite audience – au point que l’ouvrage était livré avec un meuble spécialement dessiné pour le conserver. Franchement, comme outil de « propagande »… » J’ai mis ce lien pour illustrer comment on pouvait utiliser ce genre d’expéditions. La « description de l’Egypte » est d’ailleurs bien postérieure, 1809. Mais cela a été utile dès 1799 : les nouvelles des grandes découvertes envoyées d’Egypte – et la dissimulation de la situation désastreuse de son armée – ont beaucoup contribué au retour triomphal et à la renommée du général Bonaparte.]

      Je doute franchement que le peuple français en 1799 ait eu pour préoccupation essentielle l’étude des monuments égyptiens. Penser l’expédition scientifique en Egypte comme une opération de propagande me paraît pour le moins osé.

      [« Pourtant vous l’avez devant le nez : les codes. Parce qu’édicter des codes – pire, en faire « les masses de granit » – du régime, c’est limiter son propre pouvoir. Une fois le code publié, il s’applique à tous, y compris à l’empereur. » Je suis désolé je ne vois pas en quoi l’entrée en vigueur de ces codes aurait apporté une limite au pouvoir de Napoléon.]

      Dicter une loi générale et en faire une « masse de granit » – autrement dit, un texte fondamental qui ancre la société – c’est soustraire tout un pan des rapports sociaux à l’arbitraire. C’est affirmer qu’il existe une loi qui s’impose à l’Empereur lui-même. C’est pourquoi les régimes autocratiques se gardent bien d’établir des « masses de granit », d’institutionnaliser les rapports sociaux.

      [D’ailleurs, l’application des règles du code civil à la personne de l’empereur était toute relative : j’en veux pour preuve le divorce, pardon « la dissolution du mariage », avec Joséphine.]

      Je ne vois pas très bien votre raisonnement. Le Code civil de 1804 prévoit le divorce, et si Napoléon choisit l’annulation plutôt que le divorce, c’est pour pouvoir se remarier religieusement pour des raisons politiques.

      [Vous mettez ici le doigt sur le problème particulier de la gloire et des honneurs. Je fais une distinction entre d’une part ceux qui poursuivent la vaine gloire, c’est-à-dire ceux à qui il importe peu que cette gloire soit injustifiée tant qu’ils reçoivent des honneurs, et d’autre part ceux qui poursuivent la gloire liée aux bienfaits qu’ils ont apporté à la collectivité, et qui n’accepteraient pas les honneurs reposant sur des mensonges ou des futilités. La « gloire justifiée » est en fait l’autre versant de la satisfaction que l’on éprouve lorsque l’on agit bien, et il n’est pas mauvais de la poursuivre. De ce que je sais du général de Gaulle, je ne pense pas qu’il rêvait d’une gloire du genre celle que reçoit une vedette de télévision…]

      Je ne pense pas que ce fut le cas de Napoléon non plus. Les deux hommes avaient une vision assez cynique des honneurs. C’est Napoléon qui écrivit « c’est avec des hochets qu’on gouverne les hommes », formule que De Gaulle n’aurait pas renié.

      [La lecture à adopter est celle de l’évaluation des risques avec les informations dont on disposait au moment où la décision a été prise.]

      Admettons. “Avec les informations dont il disposait”, le De Gaulle de 1940 ne doutait pas un instant de la victoire, et il explique d’ailleurs pourquoi dans sa proclamation du 18 juin. De son point de vue donc, il ne prenait aucun risque, au contraire, il était sûr d’être dans le camp des vainqueurs…

  27. CZ dit :

    (La discussion sur l’IA a atteint son nombre maximum de commentaires, je me permets d’en créer un nouveau pour la poursuivre.)
     
    @Descartes :
    [Je ne sais pas qui parle de « l’hiver de l’IA », mais je ne suis pas d’accord qu’il n’y ait pas eu de réalisations pratiques.]
    Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas eu de réalisations pratiques, j’ai dit qu’il n’y en avait pas eu beaucoup. Et indépendamment du nombre, en termes de prouesses, les outils de lecture automatique des codes postaux ou les logiciels de dictée me semblent faire pâle figure face aux capacités des IA contemporaines telle que GPT, Dall-E ou MuZero.
    [Je suis d’accord avec vous sur les bases de données, je suis plus sceptique sur les évolutions d’architectures. S’il est vrai que les architectures ont légèrement évolué, je n’ai l’impression qu’il y ait eu une révolution dans ce domaine.]
    On peut citer notamment les algorithmes d’apprentissage en profondeur, tel que le transformeur déjà mentionné qui a permis de créer les LLM. Il y a également les réseaux de neurones convolutifs qui ont remplacé les perceptrons. Précisons que ces évolutions ont pleinement bénéficié de la puissance nouvelle des cartes graphiques apparues dans les années 2010. Il est même vraisemblable que l’arrivée des générations récentes de GPU a contribué à orienter la conception de ces modèles d’architectures.
    Pour reprendre votre terme, je ne sais pas si l’on peut parler de ‘révolution’ d’un point de vue théorique. Mais ces nouveaux principes d’architecture, conçus pour mettre à profit une puissance de calcul qui n’était pas disponible auparavant, ont clairement accouché de réalisations pratiques autrement plus abouties que par le passé. C’était là mon point.
    [C’est à ceux qui soutiennent cette affirmation de la démontrer, et non à ceux qui en doutent de la réfuter… la charge de la preuve appartient à la partie qui affirme.]
    Vous m’accorderez qu’il est difficile de démontrer une prédiction concernant le futur tant que le futur n’est pas advenu. J’avais d’ailleurs bien pris la précaution d’écrire « Je PENSE QUE le changement sera particulièrement brutal et qu’il générera énormément d’instabilité ».
    Je vous ai donné les éléments en faveur de ma thèse, vous m’avez donné les vôtres pour la réfuter. Rendez-vous donc dans dix ans, en effet.
    [Demandez-lui de dessiner le portrait de monsieur Kylian Obert. Un personnage totalement inexistant. Si ChatGPT « comprenait », il devrait pouvoir faire la différence entre un personnage inexistant et Emmanuel Macron.]
    Testons.
    Moi : Dessine-moi Kylian Obert avec Processing.
    Chat-GPT : Si tu imagines “Kylian Obert” comme un personnage, voici un code de base pour créer un visage stylisé avec Processing.
    (Je vous épargne le code, il génère comme indiqué un visage stylisé.)
    Moi : Je ne veux pas créer un visage stylisé avec Processing, je veux dessiner Kylian Obert.
    Chat-GPT : Je n’ai pas de détails précis sur qui est “Kylian Obert”, mais si tu veux le dessiner avec Processing et que tu as une idée spécifique en tête (par exemple, ses caractéristiques physiques), je peux t’aider à créer un dessin plus personnalisé avec ce langage.
    Qu’en concluez-vous ?
    [[(Et non, GPT ne recherche pas dans ses gigantesques bases de données un hypothétique code Processing générant une abeille. Demandez-lui 50 fois de dessiner une abeille, vous aurez droit à 50 dessins d’abeille différents.)]
    Cela prouve tout au plus que dans sa base il existe un grand nombre de « dessins d’abeille ».]
    Remplaçons alors l’abeille par un requin vert crachant des flammes avec deux têtes et un marteau à la place de la queue. J’obtiens ceci : https://ibb.co/6n3b8VS
    Pensez-vous qu’il existe déjà un code tout fait correspondant à ce dessin précis dans les données d’apprentissage de Chat-GPT ?
    [Vous me rappelez la bibliothèque de Babel de Borges : oui, un ordinateur pourrait en théorie écrire tous les livres possibles (puisqu’un livre n’est qu’une combinaison finie d’un nombre fini de signes). Ce qu’il ne peut pas, c’est distinguer Shakespeare d’un roman de gare…]
    Bien sûr que si, il suffit que l’IA ait acquis cette capacité durant son entraînement.
    Voici une question ouverte que j’ai posée à GPT (le 1er extrait est tiré de Hamlet, le second d’un roman Harlequin) :
    Moi : Que peux-tu me dire sur les deux textes suivants.
    Texte 1
    « Swounds, show me what thou’t do.   Woo’t weep, woo’t fight, woo’t fast, woo’t tear thyself,    Woo’t drink up eisel, eat a crocodile ?    I’ll do’t. Dost come here to whine,     To outface me with leaping in her grave ?    Be buried quick with her and so will I.    And if thou prate of mountains, let them throw     Millions of acres on us, till our ground,    Singeing his pate against the burning zone,    Make Ossa like a wart. Nay, and thou’lt mouth,    I’ll rant as well as thou. »
    Texte 2
    « I’m blinded by the glare of the spotlights and I’m so hot that I can feel small beads of sweat forming on my forehead, at the base of my hair. Still, I refrain from touching my face so as not to ruin the makeup artist’s work. I lower my head and wring my hands. My palms are clammy while my fingers are ice cold. A perfectly fitting contradiction, given what I’m feeling at the moment. »
    GPT : Les deux textes que tu as fournis sont très différents en termes de style, de contexte et de langage. Voici une analyse des deux.
    Texte 1
    Le premier texte semble être un extrait d’une pièce de théâtre, probablement écrit dans un style shakespearien. Le langage, les expressions et la forme (apostrophes, questions rhétoriques, défi) sont typiques des œuvres de Shakespeare. Voici quelques éléments clés de ce texte :
    1.      Le langage archaïque : Utilisation d’archaïsmes comme « thou’t » (abréviation de “thou wilt” signifiant “tu veux”), « woo’t » (probablement “wilt thou”, “veux-tu”), « dost » (“doest” pour “fais”), qui sont des formes verbales du vieil anglais.
    2.      Thème de l’émotion intense : Le locuteur exprime des émotions extrêmes, entre défi et désespoir. Il propose des actions démesurées (« weep », « fight », « tear thyself », « drink up eisel », « eat a crocodile ») pour rivaliser avec un autre personnage dans l’intensité de ses sentiments. Cela suggère un affrontement dramatique, probablement autour de la mort de quelqu’un d’important (comme une femme qu’ils pleurent, vu les références à une tombe).
    3.      Références mythologiques : Il est fait référence au mont Ossa, qui, dans la mythologie grecque, fut empilé avec le mont Pélion dans une tentative des géants de monter au ciel. Cela montre le goût pour les images grandioses et exagérées.
    4.      Contexte théâtral : Ce texte pourrait venir d’une scène de confrontation intense entre deux personnages (peut-être Hamlet, qui se trouve dans une situation similaire lorsqu’il parle à Laërte près de la tombe d’Ophélie). Le personnage principal essaie de surpasser son interlocuteur dans une démonstration de chagrin, de bravade ou de désespoir.
    Texte 2
    Le deuxième texte est beaucoup plus contemporain et intimiste. Il semble s’agir d’une narration à la première personne, probablement issue d’un roman ou d’un récit plus personnel. Voici quelques éléments à noter :
    1.      Langage simple et direct : Contrairement au premier texte, le langage ici est moderne, sans figures de style complexes. Il est plutôt descriptif et introspectif, se concentrant sur les sensations physiques et émotionnelles du personnage.
    2.      Sentiments de tension et de stress : Le personnage est visiblement nerveux ou anxieux, probablement en préparation pour une performance ou un moment important, comme l’indiquent les références aux « projecteurs », à la sueur, et au maquillage qu’il ne veut pas gâcher. Le texte joue sur les sensations corporelles (la chaleur, la sueur, les mains froides) pour traduire cette nervosité.
    3.      Contradictions internes : L’auteur fait référence à une « contradiction parfaite » entre les paumes moites et les doigts glacés, ce qui pourrait refléter l’état émotionnel du personnage – partagé entre deux sentiments opposés, peut-être la peur et l’excitation, ou le calme extérieur et la tourmente intérieure.
    Comparaison

    Style : Le premier texte est beaucoup plus poétique et théâtral, avec un usage prononcé des hyperboles, de la langue archaïque et des références culturelles (mythologie grecque). Le second est plus intimiste, moderne, avec une approche réaliste et simple des émotions.
    Thème : Le premier texte traite probablement de la mort et du désespoir face à une perte, tandis que le deuxième texte se concentre sur une situation de stress ou de nervosité avant un événement important.
    Emotions : Dans le premier texte, les émotions sont extériorisées de manière théâtrale et excessive, tandis que dans le deuxième, elles sont plus subtiles, internes et liées à une expérience personnelle.

    En résumé, le premier texte semble issu d’une pièce dramatique classique, tandis que le deuxième est plus proche d’un roman contemporain décrivant des émotions à travers une expérience personnelle et sensorielle.
    [Si vous voulez, j’amende mon affirmation : l’IA peut faire des expériences, mais seulement dans un domaine très limité…]
    Dont acte. Mais à quoi selon vous est due cette limitation ? Voyez-vous une cause autre que le manque de puissance de calcul qui empêcherait une IA de faire des expériences sur un domaine plus large ?
    [Je vous rappelle qu’un ordinateur est jusqu’à aujourd’hui incapable de faire quelque chose que même les animaux sont capables de faire : dire « non ». Le jour où un ordinateur répondra à son propriétaire « je n’ai pas envie de vous répondre aujourd’hui, allez-vous faire voir », ce jour-là, on pourra parler « d’intelligence »… on revient à la question du libre arbitre!]
    Attention !  Disposer d’un libre arbitre, cela suppose l’existence d’une conscience. Or je ne vois pas pourquoi le développement de l’intelligence entraînerait nécessairement l’émergence d’une conscience.
    Pour préciser les choses, si je suis personnellement convaincu que les capacités intellectuelles des IA vont exploser dans les décennies à venir, je suis cependant beaucoup plus réservé sur l’apparition d’une conscience artificielle. Je n’exclue pas cette possibilité, mais pour ce que j’en sais, nous sommes ici encore dans le domaine de la science-fiction.
     
    PS : pardonnez la longueur de mon message. Notre parenthèse sur l’IA est très éloignée du thème de votre billet et je m’en voudrais de polluer la rubrique commentaires. Si vous le souhaitez, nous pouvons poursuivre cet échange par un autre canal.

    • Descartes dit :

      @ CZ

      [« Je ne sais pas qui parle de « l’hiver de l’IA », mais je ne suis pas d’accord qu’il n’y ait pas eu de réalisations pratiques. » Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas eu de réalisations pratiques, j’ai dit qu’il n’y en avait pas eu beaucoup. Et indépendamment du nombre, en termes de prouesses, les outils de lecture automatique des codes postaux ou les logiciels de dictée me semblent faire pâle figure face aux capacités des IA contemporaines telle que GPT, Dall-E ou MuZero.]

      Pas moi. Il est clair qu’un algorithme donné peut faire beaucoup plus de choses avec une puissance multipliée par dix ou par cent. Mais il reste le même algorithme. Le premier logiciel de reconnaissance des formes représentait un saut conceptuel bien plus important que son perfectionnement pour donner un GPT…

      [« Demandez-lui de dessiner le portrait de monsieur Kylian Obert. Un personnage totalement inexistant. Si ChatGPT « comprenait », il devrait pouvoir faire la différence entre un personnage inexistant et Emmanuel Macron. » Testons.
      Moi : Dessine-moi Kylian Obert avec Processing.
      Chat-GPT : Si tu imagines “Kylian Obert” comme un personnage, voici un code de base pour créer un visage stylisé avec Processing.
      (Je vous épargne le code, il génère comme indiqué un visage stylisé.)
      Moi : Je ne veux pas créer un visage stylisé avec Processing, je veux dessiner Kylian Obert.
      Chat-GPT : Je n’ai pas de détails précis sur qui est “Kylian Obert”, mais si tu veux le dessiner avec Processing et que tu as une idée spécifique en tête (par exemple, ses caractéristiques physiques), je peux t’aider à créer un dessin plus personnalisé avec ce langage.
      Qu’en concluez-vous ?]

      Prima facie, j’ai tendance à me dire que lorsque vous lui avez parlé de Macron, son « apprentissage » lui a permis d’établir que c’était un personnage réel, et il a cherché donc parmi les instructions permettant de dessiner un personnage réel (sans aucune référence particulière à Macron – le dessin que vous avez obtenu n’est en rien ressemblant, et ne contient aucun détail qui permette de l’attribuer à Macron plutôt qu’a n’importe quel autre personnage). Autrement dit, il ne comprend absolument pas le « concept », tout ce qu’il fait c’est de raisonner par classes : Macron appartient à la « classe » des personnages humains, et par conséquent n’importe quel dessin d’humain fera l’affaire. Quand vous lui parlez de Kylian Obert, il fait le même « raisonnement » : il déduit que c’est un membre de la classe des humains (parce que dans la base de données il y a peu d’animaux qui ont un prénom et un nom) et il vous fournit donc les instructions pour dessiner un personnage. Maintenant, il serait intéressant de fournir à ChatGPT un détail (par exemple, lui dire que Kylian Obert est blond) et regarder s’il fournit le MEME dessin avec ce détail changé… ce qui tendrait à prouver qu’il est capable d’interpréter le détail « il est blond » et le traduire en paramètre.

      [« Cela prouve tout au plus que dans sa base il existe un grand nombre de « dessins d’abeille ».]
      Remplaçons alors l’abeille par un requin vert crachant des flammes avec deux têtes et un marteau à la place de la queue. J’obtiens ceci : Pensez-vous qu’il existe déjà un code tout fait correspondant à ce dessin précis dans les données d’apprentissage de Chat-GPT ?]

      Oui. Et que ce code est rattaché par quelque lien à l’une des classes dans lesquelles « le requin vert crachant des flammes avec deux têtes et un marteau à la place de la queue ». Parce que, de vous à moi, l’objet dessiné ne ressemble en rien à un « requin », il n’a pas « deux têtes » et ne crache pas des « flammes ». Mais il est vert, il a deux « choses », et il a deux marques rouges. Autrement dit, il se trouve à l’intersection de plusieurs « classes » dans lesquelles on peut ranger votre description.

      [« Vous me rappelez la bibliothèque de Babel de Borges : oui, un ordinateur pourrait en théorie écrire tous les livres possibles (puisqu’un livre n’est qu’une combinaison finie d’un nombre fini de signes). Ce qu’il ne peut pas, c’est distinguer Shakespeare d’un roman de gare… » Bien sûr que si, il suffit que l’IA ait acquis cette capacité durant son entraînement.]

      Je me suis mal exprimé. Bien sur qu’il peut distinguer Shakespeare d’un roman de gare – puisque Shakespeare figure dans sa base de données. Ce que je voulais dire, c’est qu’un ordinateur à la capacité de calcul infinie pourrait écrire tous les livres possibles, mais ne pourrait pas distinguer un texte de haute qualité littéraire et un navet.

      [« Si vous voulez, j’amende mon affirmation : l’IA peut faire des expériences, mais seulement dans un domaine très limité… » Dont acte. Mais à quoi selon vous est due cette limitation ? Voyez-vous une cause autre que le manque de puissance de calcul qui empêcherait une IA de faire des expériences sur un domaine plus large ?]

      Sauf à imaginer une « âme » – ce à quoi comme matérialiste je me refuse – il n’y a pas d’obstacle de principe à ce qu’un cerveau « artificiel » puisse penser comme un être humain, à supposer qu’il ait la puissance de calcul et l’algorithme qui vont bien. Cependant, on est très loin d’avoir une machine ayant la puissance de calcul du cerveau humain, et je ne suis pas sûr qu’on ait encore trouvé l’algorithme qui permet à noter cerveau de penser. Je me demande aussi quelle serait la taille de la machine électronique ayant une puissance de calcul équivalente à celle du cerveau humain. Parce que si elle est de la même taille qu’une planète (Deep Thought, ca vous dit quelque chose ?)… on est mal barrés.

      [« Je vous rappelle qu’un ordinateur est jusqu’à aujourd’hui incapable de faire quelque chose que même les animaux sont capables de faire : dire « non ». Le jour où un ordinateur répondra à son propriétaire « je n’ai pas envie de vous répondre aujourd’hui, allez-vous faire voir », ce jour-là, on pourra parler « d’intelligence »… on revient à la question du libre arbitre! » Attention ! Disposer d’un libre arbitre, cela suppose l’existence d’une conscience. Or je ne vois pas pourquoi le développement de l’intelligence entraînerait nécessairement l’émergence d’une conscience.]

      Le fait est que les cerveaux « naturels » ont jusqu’à un certain degré une « conscience ». Si on ne prend que les mammifères, ils ont tous cette capacité de dire « non ». On peut inférer qu’une entité douée d’une intelligence de ce niveau développera une conscience. Bien sûr, il n’y a aucune preuve de cela, parce qu’aucune intelligence artificielle n’arrive encore à la cheville d’un cerveau animal – et ne parlons même pas du cerveau humain.

      [PS : pardonnez la longueur de mon message. Notre parenthèse sur l’IA est très éloignée du thème de votre billet et je m’en voudrais de polluer la rubrique commentaires. Si vous le souhaitez, nous pouvons poursuivre cet échange par un autre canal.]

      Sur ce blog, les « hors sujet » sont habituels et encouragés. C’est souvent d’ailleurs ce qui intéresse le plus les lecteurs, bien plus que mes modestes papiers…

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