Rapport Draghi: les lendemains qui pleurent…

Cette semaine, j’ai consacré une partie de mon temps à améliorer mes chances, je ne dis pas d’entrer au paradis, mais au moins d’aménager mon passage au purgatoire. Pour cela, point de jeûne, pas de cilice, pas de flagellation. Ma pénitence fut la lecture du rapport de Mario Draghi, « The future of european competitiveness – A competitiveness strategy for Europe », qui a mon sens vaut toutes les flagellations du monde. Pensez-y : 397 pages de techno-babble en globish communautaire (aucune version dans une langue civilisée n’est disponible). Si avec ça on ne me donne pas le bon dieu sans confession…

En fait, l’expérience s’est révélée beaucoup plus plaisante que prévue. La lecture du rapport a de quoi provoquer chez tous les vrais républicains une certaine forme de Schadenfreude. Parce que derrière le jargon technocratique et la répétition obsessionnelle des formules rituelles, le bilan que Mario Draghi dresse de l’action européenne est accablant. Devant la description de ce désastre, j’éprouve la satisfaction de l’oracle dont les prédictions se réalisent. Une satisfaction triste, et même tragique. Pensez à Cassandre. Mais une satisfaction tout de même.

Draghi, il faut le dire, se contente de dresser le bilan. Mais en aucun moment il ne pose la question « comment on en est arrivé là ». Question qui l’obligerait à faire le lien entre les résultats – désastreux – et les politiques mises en œuvre par les institutions bruxelloises. Faire cela le conduirait inévitablement à pointer les responsabilités et les promesses non tenues, et garantirait à son rapport un transit rapide vers la poubelle. Sans compter sur le fait que, parmi ceux qui ont conduit ces politiques, l’auteur même du rapport occupe une place signalée. Mais la question est inévitable : on peut difficilement souligner que l’industrie européenne est trop morcelée, ou fait face à des prix de l’électricité pénalisants en oubliant que ce sont les institutions européennes qui depuis vingt ans ont imposé une politique anti-concentration qui empêche la constitution de « champions industriels » européens, et une ouverture du marché de l’électricité qui devait en théorie faire baisser les prix et qui a eu en pratique l’effet inverse, avec la volatilité en prime.

En résumé du rapport, l’Union européenne n’a rien anticipé, rien vu venir. Elle s’est laissée bercer par les faux espoirs de la « fin de l’histoire » et de la mondialisation heureuse sans fin. Elle n’a pas prévu la montée en puissance de la Chine, la fragilité induite par la dépendance au gaz russe. Elle a fait une politique de concurrence dont l’obsession était d’éliminer tout acteur pouvant devenir dominant, laissant du coup le champ libre aux monopoles technologiques américains. Obsédée par la protection du consommateur, elle a oublié que la productivité et le développement scientifique et technique sont les clés de la prospérité.

Certains aveux sont d’ailleurs amusants. Ainsi, on peut lire (page 13 de la première partie) que « Evidence that industrial policies can be effective under certain circumstances is growing » (« les preuves que la politique industrielle peut être efficace sous certaines conditions s’accumulent »). Cette affirmation, qui semble presque un truisme pour un observateur peu informé est, dans le langage codé des couloirs bruxellois, tout à fait révolutionnaire. Depuis presque un demi-siècle, toute la communication de l’Union européenne soutient exactement le contraire : il ne faut surtout pas faire de la politique industrielle. Ce n’est pas à l’Etat de choisir ce qu’on produit ou comment on le produit. C’est au secteur privé de faire ces choix en fonction des signaux donnés par les marchés. Toute intervention étatique qui fausserait ces signaux en perturbant la concurrence nous éloignerait de l’optimum. La fonction du secteur public est donc de s’assurer que les marchés permettent une « concurrence libre et non faussée », en s’abstenant de toute intervention. La « main invisible » fera le reste, canalisant le capital et le travail vers les secteurs les plus rentables, puisque cette rentabilité traduit le besoin des consommateurs. Il faut donc laisser le secteur privé choisir librement quoi et comment produire, et toute intervention de l’Etat ne peut que créer des distorsions, des rentes indues, et in fine de l’inefficacité. La simple admission que la politique industrielle – même avec la précaution du « sous certaines circonstances » – peut être efficace, c’est déjà une révolution copernicienne : c’est l’admission que le marché n’est pas, lorsque « certaines conditions » sont remplies, un régulateur efficace, que le choix collectif des biens à produire et des conditions de leur production est, dans certains cas, bien plus efficace.

Bien sûr, ces concessions faites à la réalité ne font qu’entamer le discours habituel. L’admission que la politique industrielle peut être efficace se trouve tout de suite noyée sous un déluge d’affirmations conformes au dogme accepté. Ainsi, quelques lignes plus tard on peut lire que « The evidence is overwhelming that competition stimulates productivity, investment and innovation » (« les preuves sont écrasantes que la compétition stimule la productivité, l’investissement et l’innovation »). Ici, on n’a pas la prudence de préciser « sous certaines conditions ». Non, c’est partout et toujours. Pourtant, outre le fait que cette affirmation contredit celle sur la politique industrielle, cette généralisation ne résiste pas à l’expérience. Avec un peu de mémoire, on trouve sans problème des exemples où la compétitivité, l’investissement et l’innovation sont le fait de monopoles de fait – pensez à Microsoft, à Apple, à Google – alors que la concurrence « libre et non faussée » a conduit au contraire à la fragmentation avec pour conséquence une stagnation de la productivité, de l’investissement, de l’innovation.

Le problème est que depuis les débuts de la révolution néolibérale, on a laissé l’économie dans les mains d’économistes qui connaissent finalement très mal l’industrie, qui appréhendent l’économie industrielle sous l’angle purement financier. Or, l’économie industrielle a des horizons de temps qui ne sont pas tout à fait ceux du système financier, et sa gestion de l’incertitude est elle aussi spécifique. La question du progrès technologique est un bon exemple : la mise au point de technologies nouvelles implique des investissements importants. Pour qu’ils aient lieu, il faut que l’entreprise dégage des marges suffisantes pour pouvoir les financer, et que les actionnaires soient disposés à consacrer ces marges à l’investissement sur le très long terme et avec un risque important. Ce qui pose deux problèmes : d’une part, il n’y a pas beaucoup d’actionnaires prêts à ce genre d’investissement, puisque la plupart d’entre eux – et notamment les fonds de pension – ont des obligations de rentabilité sur des termes relativement courts. Mais la principale question est celle des marges. La théorie économique montre que dans un marché « pur et parfait », les marges après rémunération du capital tendent vers zéro. La concurrence « parfaite » empêche en effet les rentes, et force les entreprises à baisser leurs prix pour garder leurs clients jusqu’à atteindre les coûts de production. Ce sont donc les imperfections du marché qui permettent l’apparition de « rentes » pour financer la recherche et le développement.

Pour illustrer ceci, prenons un exemple classique, celui des brevets. Quiconque a un minimum de culture économique sait que le brevet est une barrière à la compétition « libre et non faussée ». Un brevet assure à une entreprise un monopole légal sur une technologie, et empêche donc la concurrence d’y avoir recours. En bonne logique libérale, on devrait donc abolir les brevets, pour permettre la concurrence de déployer ses ailes… et pourtant, aucun pays n’a sauté le pas, pas même les plus thatchériens. Pourquoi ? Parce qu’on sait bien que sans brevets, il y a moins d’innovation, moins d’investissement. Et la raison est simple : le monopole temporaire créé par le brevet permet de dégager des marges supplémentaires qui permettent de couvrir les coûts de l’innovation et les investissements, alors que la « concurrence libre et non faussée » aboutirait à comprimer les marges et donc à limiter les capitaux disponibles.

Mais Draghi ne veut pas, ou ne peut pas, remettre en cause le dogme fondateur de la construction européenne depuis le traité de Maastricht. Et c’est pour cette raison que son rapport est d’abord intéressant pour ce qui n’y figure pas. Draghi constate ainsi le retard pris sur les autres grandes économies depuis vingt ans – tous les graphiques figurant dans le rapport commencent au plus tôt en 2002. Mais que s’est-il passé il y a vingt ans en économie ? Allez, un peu de mémoire… quel est l’évènement marquant, qui promettait de mettre l’Union européenne sur le chemin de la prospérité et qui, si l’on croit le rapport, n’a pas tenu cette promesse ? Vous ne trouvez pas ? Tout le monde semble l’avoir oublié, mais le 1er janvier 2002 l’Euro remplaçait les monnaies nationales des grandes économies européennes – à l’exception de la Grande Bretagne. Et l’ancien président de la BCE qu’est Mario Draghi ne peut ignorer ce détail. Pourtant, le rapport ne fait aucune mention des effets économiques de cette révolution monétaire. Un peu comme s’il s’agissait d’une maladie honteuse qu’on préfère oublier. « L’Euro qui protège », de toute évidence, est passé de mode. Le rapport n’en fait même pas mention.

Et parce qu’on ne veut pas remettre le dogme en cause, Mario Draghi expose un diagnostic lucide de la situation – catastrophique – de l’économie européenne et de son évolution, pour ensuite proposer des solutions qui ne remettent en cause qu’à la marge, souvent sous le ton du vœu pieux, les mécanismes qui ont conduit à cette situation. Prenons, pour ne donner qu’un exemple, le cas de l’énergie. La politique européenne de l’énergie, combinant la casse des monopoles nationaux, l’ouverture des marchés à la concurrence et la subvention massive aux renouvelables a abouti, tous les experts le disent, au désastre dans tous les domaines : risques de pénurie, vieillissement des infrastructures, hausse des prix avec la volatilité en prime, coût des subventions publiques. Dans le domaine du gaz, la recherche du meilleur prix a conduit à une dépendance stratégique au gaz russe qui a mis l’industrie européenne en général et allemande en particulier à la merci des aléas géopolitiques. Dans le domaine de l’électricité, elle a construit une économie parasitaire, que ce soit dans le développement des renouvelables à coups de subventions publiques ou dans la fourniture qui ne fait qu’acheter de l’électricité produite par l’opérateur historique à vil prix puis la revendre avec un bénéfice. Et cela dans un contexte d’instabilité permanente des prix qui décourage l’investissement, sauf dans le cas où la rentabilité est garantie par la subvention. Le rapport reconnaît cet état de fait : « entre les derniers mois de 2019 et les premiers de 2022, la volatilité dans les marchés du gaz a augmenté significativement, d’abord du fait de l’épidémie de COVID-19 et plus tard de la crise de l’énergie (…). Cette instabilité s’est transmise aux marchés de l’électricité, affectés aussi par une faible production hydraulique et nucléaire en 2022. Cette forte volatilité, qui semblerait être devenue structurelle, est une réelle menace à la compétitivité de l’UE. Une forte volatilité crée une incertitude, augmente le coût de couverture du risque, et peut avoir un effet défavorable sur les investissements dans le secteur énergétique. Ce qui à son tour renforce l’incertitude, y compris du point de vue de la sécurité de fourniture, fait grimper le coût de la transition énergétique (du fait du coût de couverture du risque). Accessoirement, une forte volatilité des marchés de l’énergie peut conduire à des revenus fiscaux irréguliers, affectant l’investissement public. » (partie B, page 6)

Pourquoi cette instabilité ? On trouve l’explication dans le paragraphe suivant : « Pendant la crise de 2022, la compétition intra-UE pour le gaz naturel entre des acteurs disposés à payer des prix élevés a contribué à une remontée des prix excessive (et inutile). Cet accroissement des prix dans le contexte de flux limités par la congestion des infrastructures n’a pas entrainé l’arrivée de quantités supplémentaires. Au plus chaud de la crise, la congestion des infrastructures et la compétition intra-UE pour acheter et stocker du gaz avant l’hiver a fait augmenter les prix bien plus qu’en Asie ». Pourtant, le rapport nous avait convaincu plus haut que, partout et toujours, la compétition favorisait l’innovation, la productivité et l’investissement. Mais ici, il semblerait que ce soit le contraire.

Et d’abord, pourquoi cela a mieux marché en Asie ? Lisons le rapport : « Importateurs nets de gaz, le Japon et la Corée ont des problématiques similaires à celles de l’UE, et pourtant il y a des différences notables. En Corée, l’entreprise publique KOGAS détient un monopole de fait, important 90% du gaz dans le pays, ce qui lui permet de négocier en position de force et de minimiser les coûts générés tout au long de la chaîne de valeur. Au Japon, l’entité publique JOGMEC investit dans la production de combustibles fossiles et de minéraux au niveau mondial. JOGMEC fournit du capital et assure les compagnies japonaises sur des projets et des terminaux LNG, assurant en principe un accès sécurisé à l’énergie à des prix proches du prix de production. »

Autrement dit, le marché « libre et non faussé » construit par l’UE depuis vingt ans, avec la dissolution des monopoles et la libéralisation des marchés de l’énergie n’a pas régulé les prix correctement. La « compétition intra-UE » a fait monter « inutilement » les prix, alors que les bons vieux monopoles coréen et japonais, dans un contexte similaire, ont maintenu des prix bas, proches des coûts de production, tout en assurant la sécurité d’approvisionnement, et une moindre dépendance à une seule source d’approvisionnement.

On s’attendrait, après cet exposé, à la conclusion que « l’Europe de l’énergie » construite par la Commission depuis le sommet de Barcelone de 2000 est un échec complet, que le système des monopoles nationaux ne marchait pas si mal, et que finalement la logique serait d’y revenir, voire d’aller vers un monopole européen plutôt qu’un « marché libre et non faussé ». Mais comme le dogme du marché ne saurait être mis en cause, on nous propose une solution bancale, celle de « l’acheteur unique européen » qui n’est finalement qu’un mécanisme d’agrégation de la demande, et le vœu pieux que les fournisseurs concluent des accords d’approvisionnement « de long terme », alors que le modèle économique de marché est fondé justement sur la possibilité de profiter des opportunités offertes par le marché spot.

Et on retrouve la même chose dans la partie consacrée à l’électricité. Le rapport admet – enfin ! – que le coût des renouvelables doit être évalué non pas à partir du coût de l’installation de production, mais doit tenir compte des coûts qu’elle impose au niveau de la gestion du système – qui peut être important pour les renouvelables intermittents et/ou aléatoires, qui imposent au réseau des contraintes considérables. Il reconnait aussi – enfin ! – que les contrats de long terme – radicalement rejetés par les prêtres de la régulation européenne qui y voient une barrière à la « concurrence libre et non faussée » – sont finalement nécessaires pour permettre le financement des infrastructures de production. Mais là encore, comme le dogme de la concurrence ne saurait être mis en cause, même dans un domaine limité où de toute évidence il ne correspond pas à la réalité, les propositions sont… de continuer dans la même direction, celle de la concurrence « libre et non faussée ». On ne change pas une stratégie qui perd.

Ce rapport a quand même un mérite : celui de bien souligner que la question vitale, la cause majeure pour laquelle l’Union européenne est à la traîne, est celle de la productivité. A ce propos, il faut rappeler que toute la doctrine de la construction européenne dans le domaine économique repose sur « l’intérêt des consommateurs ». Le marché unique, la « concurrence libre et non faussée » étaient justifiés comme des instruments permettant au consommateur de satisfaire ses besoins au meilleur prix. Les autres objectifs – indépendance stratégique, cohésion sociale – n’étaient que des objectifs de deuxième rang, et c’est un euphémisme. C’est ce choix qui nous a conduits là où nous sommes : c’est la « concurrence libre et non faussée » qui a conduit les industriels à rechercher le gaz au prix le plus bas, et a rendu l’Europe dépendante du gaz russe. C’est la « concurrence libre et non faussée » qui a provoqué la délocalisation des investissements productifs vers les pays et les régions où les salaires sont plus faibles, la protection sociale plus sommaire, la réglementation environnementale plus souple. Pas étonnant dans ces conditions que la productivité en Europe stagne, alors qu’elle progresse ailleurs. Aux Etats-Unis ou en Chine, ce sont les marchés imparfaits qui permettent l’apparition de géants comme Google, Apple ou Huawei, et ces géants en position de quasi-monopole sont régulés non pas par des marchés, mais par l’Etat américain qui les menace de démantèlement chaque fois qu’ils dépassent la ligne rouge. C’est aussi l’imperfection du marché qui permet à l’Etat américain de soutenir massivement la recherche et le développement privés à travers les contrats des agences comme la NASA ou le DOE.

Parce que la construction européenne a privilégié le rôle du consommateur et négligé celui du producteur, nous avons une classe politico-administrative qui ne pense, à droite comme à gauche, qu’en termes de redistribution. C’est normal à gauche, puisque le mouvement ouvrier a pour objectif constitutif une meilleure distribution de la valeur produite, dont une partie est accaparée par le capital. C’est moins compréhensible à droite, puisque c’est là qu’était traditionnellement représentée la bourgeoisie industrielle. Mais il est clair qu’aujourd’hui ce n’est pas elle qui mène le débat. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les débats récents : on discute s’il faut augmenter ou réduire la dépense publique ou les impôts, mais avez-vous entendu un débat sur les moyens d’augmenter l’assiette taxable, autrement dit, la richesse créée, de produire plus et mieux ? Non, ce sujet n’intéresse pas grand monde. Depuis trente ans, c’est un sujet qui a été évacué du champ politique, justement parce que la « politique industrielle » est devenue un indicible dans la vague libérale. C’est au marché, et non au politique, de fixer le quoi et le comment de la production, point à la ligne. C’est pourquoi expliquer aujourd’hui que la redistribution devient de plus en plus inextricable si le gâteau à redistribuer diminue, que sans une augmentation de la productivité toute redistribution supplémentaire ne peut que creuser la dette et affaiblir le contrat social, c’est déjà un grand progrès.

Mais parler productivité, c’est parler investissement productif et de sa régulation. Investissement dans la production elle-même, bien sûr. Mais aussi dans les infrastructures, qui jouent un rôle essentiel dans la productivité. Et finalement, et ce n’est pas le moins important, dans la formation d’une main d’œuvre de qualité, que ce soit au niveau des « savoir-faire » ou des « savoir-être ». Parce qu’il ne faut pas se voiler la face : un individu qui a les plus hautes compétences techniques mais qui est incapable de respecter un horaire, d’établir une relation hiérarchique normale, de se soumettre à une discipline de travail est un boulet pour la productivité.

Ces investissements ne peuvent pas être régulés par le marché, parce que les choix à faire ont un horizon qui dépasse l’horizon acceptable par l’investisseur privé, et font intervenir des paramètres qui sont éminemment politiques. Lorsqu’il s’agit d’acheter plus cher pour permettre une diversification et réduire la vulnérabilité à long terme, on ne peut pas compter sur des investisseurs qui pensent à récupérer leur investissement sur deux ans. Et aucun investisseur ne payera un SMIC français quand il peut avoir la même chose en payant un SMIC indien, quand bien même on lui expliquerait que la souveraineté européenne est en jeu.

C’est là la grande limite de ce rapport : s’il établit le bilan – je le répète, accablant – de la construction européenne sur le plan économique, s’il constate que l’UE a raté tous les trains, que sa croissance est proche de zéro alors que la Chine ou les Etats-Unis font des bonds, que son retard en termes d’innovation, de recherche, de formation et d’investissement devient difficilement rattrapable, il n’ose remettre en cause les mécanismes qui ont conduit à ce désastre. Pire : il attend de ces mécanismes la solution aux problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés. Le contraste est criant entre la sévérité des constats et la mansuétude envers le système qui nous a conduits dans cette impasse. A lire ce rapport, on se dit que nous sommes au fond du trou, mais que ce trou n’a été creusé par personne. Le système, pas plus ceux qui l’ont mis en place et l’ont fait fonctionner, n’ont rien à se reprocher. « Fatalitas, fatalitas », clament nos chers européens. Et on comprend le dilemme de Mario Draghi : pour maintenir la fiction que ce système, que ces gens-là font partie de la solution, il faut occulter le fait qu’ils sont, qu’il est lui-même, la cause du problème.

Descartes

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59 réponses à Rapport Draghi: les lendemains qui pleurent…

  1. MJJB dit :

    Draghi, il faut le dire, se contente de dresser le bilan. Mais en aucun moment il ne pose la question « comment on en est arrivé là ». Question qui l’obligerait à faire le lien entre les résultats – désastreux – et les politiques mises en œuvre par les institutions bruxelloises. Faire cela le conduirait inévitablement à pointer les responsabilités et les promesses non tenues

     
    “Promesses non tenues” : parce qu’il n’avait jamais été question de les tenir… Pensez-vous vraiment que Draghi et consorts soient à ce point idiots et/ou fanatiques qu’ils ne savaient pas assez exactement où tout cela allait mener ? Personnellement, je ne le crois pas un seul instant.
     
    Le rapport Draghi est là pour faire croire que l’UE a échoué, alors qu’elle a, en fait, réussi ; non pas, il est vrai, dans ses buts affichés, mais bien dans ses buts réels. D’ailleurs, je ne suis pas au courant que la politique menée depuis 20 ans ait mené à un “désastre” pour les classes dominantes du continent européen, qui ne se sont jamais aussi bien portées, merci pour elles.
     
    La clé de toute l’affaire, c’est qu’en Europe, il n’y a plus (et depuis longtemps) de bourgeoisies “nationales”. Il n’y a plus que des bourgeoisies “compradores”. L’UE est là pour servir leurs intérêts, et le fait fort bien. Mais cela suppose de mener les gens en bateau. Le rapport Draghi est là pour ça : on se lamente que les promesses que l’on n’avait aucune intention de tenir (et pour cause) n’aient pas été tenues. On fait vaguement semblant d’admettre que l’on aurait pu faire autrement. Et l’on promet de continuer de plus belle ce qui vous a si bien réussi jusque là, à vous et à votre caste dont vous défendez les intérêts. Que voulez-vous donc qu’un gang de bourgeoisies compradores aient à s’encombrer de “politiques industrielles” ou de “champions nationaux” ?…
     

    • Descartes dit :

      @ MJJB

      [“Promesses non tenues” : parce qu’il n’avait jamais été question de les tenir… Pensez-vous vraiment que Draghi et consorts soient à ce point idiots et/ou fanatiques qu’ils ne savaient pas assez exactement où tout cela allait mener ? Personnellement, je ne le crois pas un seul instant.]

      Je ne sais pas. J’ai connu pas mal de politiques ou de hauts fonctionnaires européistes, et je peux vous assurer qu’ils croient vraiment ce qu’ils disent, quelquefois avec la foi du charbonnier. Vous savez, les véritables cyniques qui voient lucidement ce qu’ils sont en train de faire sont finalement assez rares. Une telle position suppose d’assumer pleinement la responsabilité de ce qu’on fait, y compris lorsqu’on fait du mal. La plupart des gens arrivent à s’autoconvaincre qu’ils agissent pour le plus grand bien de l’humanité, ce qui leur permet de garder leur bonne conscience intacte. Et souvent ils sont surpris de constater que les pommes tombent de haut en bas quand la réalité finit par se rappeler à eux.

      [Le rapport Draghi est là pour faire croire que l’UE a échoué, alors qu’elle a, en fait, réussi ; non pas, il est vrai, dans ses buts affichés, mais bien dans ses buts réels. D’ailleurs, je ne suis pas au courant que la politique menée depuis 20 ans ait mené à un “désastre” pour les classes dominantes du continent européen, qui ne se sont jamais aussi bien portées, merci pour elles.]

      Bien entendu. Le « désastre » se mesure par rapport aux objectifs affichés. Le rapport Draghi, d’une certaine manière, déchire (très partiellement, mais c’est un début) le voile d’idéalisme derrière lequel tout le discours communautaire se cache. C’est un peu celui qui dit timidement « le roi et nu ». Cela ne suffit peut-être pas à rhabiller le roi, mais c’est un commencement.

      [La clé de toute l’affaire, c’est qu’en Europe, il n’y a plus (et depuis longtemps) de bourgeoisies “nationales”. Il n’y a plus que des bourgeoisies “compradores”. L’UE est là pour servir leurs intérêts, et le fait fort bien. Mais cela suppose de mener les gens en bateau.]

      Je pense que c’est plus compliqué que ça. Dans les pays comme l’Allemagne, où la bourgeoisie a une véritable tradition industrielle, les choses sont un peu différentes de pays comme la France où la tradition paysanne est forte, et la bourgeoisie urbaine a une tradition rentière. C’est cela qui explique que l’Allemagne ait défendu bec et ongles son industrie, de la même manière que la France a défendu son agriculture familiale.

      [Le rapport Draghi est là pour ça : on se lamente que les promesses que l’on n’avait aucune intention de tenir (et pour cause) n’aient pas été tenues. On fait vaguement semblant d’admettre que l’on aurait pu faire autrement.]

      Je ne pense pas que les politiques soient aussi cyniques que cela.

  2. Frank dit :

    Merci beaucoup pour cette synthèse qui va me permettre de sauver plusieurs heures de lecture abrutissante. 
    L’incapacité totale de ces gens à se remettre en question et à prendre acte du réel est en quelque sorte leur caractéristique première. Ils assument toujours tout, avec un sourire carnassier et un regard d’acier qui ne laissent aucune place au moindre doute. Il n’y a aucun espoir que la solution puisse venir de l’intérieur. Il faut une Révolution.
    Je mets souvent ceci en parallèle avec l’idée que nous avons totalement abandonné l’esprit des Lumières. La méthode scientifique est totalement effacée de la chose publique. L’humilité et l’intelligence, qui permettent d’avancer en remettant constamment en cause ce que l’on croyait savoir, ont été remplacées par le narcissisme extrême et une pauvreté intellectuelle atroce. Par l’arrogance. Par l’ignorance.
    Macron est et restera l’exemple paradigmatique de cette clique, version française. Trump en est la version américaine: très différent sur la forme, mais identique sur l’essentiel, qui est le vide de la pensée.
    Voyez-vous une issue qui ne soit ni l’effacement et le déclassement définitif, ni la violence ?

    • Descartes dit :

      @ Frank

      [Merci beaucoup pour cette synthèse qui va me permettre de sauver plusieurs heures de lecture abrutissante.]

      Content de vous les avoir évitées. Cela étant dit, la lecture n’est pas inintéressante. On voit bien dans ce rapport un certain désenchantement, d’autant plus significatif qu’il vient d’un eurolâtre convaincu. Même chez les gens de cette persuasion, l’Europe ne fait plus rêver…

      [L’incapacité totale de ces gens à se remettre en question et à prendre acte du réel est en quelque sorte leur caractéristique première. Ils assument toujours tout, avec un sourire carnassier et un regard d’acier qui ne laissent aucune place au moindre doute.]

      Je vous trouve bien injuste. Le rapport Draghi contient une remise en cause. Timide, certes, et très partielle, mais c’est la première fois que je vois dans un document officiel de l’establishment européen exprimer des doutes – même si elles le sont d’une manière feutrée – vis-à-vis du dogme. C’est à mon avis significatif.

      [Il n’y a aucun espoir que la solution puisse venir de l’intérieur. Il faut une Révolution.]

      Une révolution, je ne sais pas. Mais une crise, certainement. Je suis convaincu que le rapport Draghi ira caler quelque armoire à Bruxelles, précisément parce que l’establishment bruxellois refuse catégoriquement d’entendre toute remise en cause, même la plus modérée, la plus feutrée, la plus bienveillante. Un peu comme la cour a refusé d’écouter les cris du peuple affamé par une mauvaise récolte en 1789. On connaît la suite.

      [Je mets souvent ceci en parallèle avec l’idée que nous avons totalement abandonné l’esprit des Lumières. La méthode scientifique est totalement effacée de la chose publique. L’humilité et l’intelligence, qui permettent d’avancer en remettant constamment en cause ce que l’on croyait savoir, ont été remplacées par le narcissisme extrême et une pauvreté intellectuelle atroce. Par l’arrogance. Par l’ignorance.]

      Je suis d’accord. J’avais écrit un papier il y a quelque temps sur le déclin de la curiosité. Ce déclin touche puissamment la classe politique. Jusqu’ici, on avait des politiques qui étaient souvent des hommes d’une grande curiosité. C’était souvent des grands lecteurs, des hommes qui prenaient plaisir à échanger avec des gens très différents d’eux. Un homme comme Attal, imbu de lui-même, à la culture limité et ayant vécu toute sa vie dans deux arrondissements parisiens parmi les plus riches de France, n’aurait jamais fait de carrière au siècle dernier. Et je ne parle même pas du député de gauche qui ne sait pas qui est Pétain…

      [Macron est et restera l’exemple paradigmatique de cette clique, version française. Trump en est la version américaine: très différent sur la forme, mais identique sur l’essentiel, qui est le vide de la pensée.]

      Je ne les mettrait pas dans le même panier. Macron est un homme sans curiosité, qui n’écoute que lui-même. On l’a vu à chaque fois qu’il a organisé un « débat » : pour lui, le débat consiste à parler devant un public condamné à l’écouter. Il sait ce qui est bon, et le « débat » ne sert qu’a convaincre les autres qu’il a raison. Je ne l’ai jamais vu, en réaction à une proposition qui ne vient pas de lui, dire « je n’y avait pas pensé, mais c’est une bonne idée ». Trump, c’est une toute autre chose : c’est un bateleur d’estrades, un populiste prêt à épouser les idées de son électorat aussi absurdes soient elles. C’est un peu l’anti-Macron : il ne pense pas avoir raison – ni tort, d’ailleurs. Ses idées, ce sont celles de son électorat.

      [Voyez-vous une issue qui ne soit ni l’effacement et le déclassement définitif, ni la violence ?]

      Il y a toujours des alternatives. Par exemple, une crise profonde qui mette les classes intermédiaires en grande difficulté et modifie radicalement le rapport de forces.

      • Frank dit :

        [Je vous trouve bien injuste. Le rapport Draghi contient une remise en cause.]
        Je n’ai pas encore digéré totalement les conséquences, la signification, de ce rapport. J’avoue encore raisonner sans prendre en compte la possibilité d’une remise en cause sincère de ces gens-là (pas uniquement Draghi, mais ceux qui forment le système dans son ensemble). En fait, je n’y crois toujours pas. 
        [Je ne les mettrait pas dans le même panier. Macron est un homme sans curiosité, qui n’écoute que lui-même. On l’a vu à chaque fois qu’il a organisé un « débat » : pour lui, le débat consiste à parler devant un public condamné à l’écouter. Il sait ce qui est bon, et le « débat » ne sert qu’a convaincre les autres qu’il a raison. Je ne l’ai jamais vu, en réaction à une proposition qui ne vient pas de lui, dire « je n’y avait pas pensé, mais c’est une bonne idée ». Trump, c’est une toute autre chose : c’est un bateleur d’estrades, un populiste prêt à épouser les idées de son électorat aussi absurdes soient elles. C’est un peu l’anti-Macron : il ne pense pas avoir raison – ni tort, d’ailleurs. Ses idées, ce sont celles de son électorat.]
        Je suis totalement d’accord avec ce que vous dites, mais à mon avis ça ne remet pas en cause mon parallèle entre les deux. Au niveau de la personnalité, le trait d’union entre eux est un narcissisme pathologique, mais il s’incarne en effet très différemment dans Macron et dans Trump. Mais l’essentiel me semble être le fait que des gens, Macron comme Trump, puissent sans aucune retenue dire tout et n’importe quoi, et/ou tout et son contraire, que ceci puisse d’ailleurs être noté ou vérifié aisément, et que ça n’ait absolument aucune conséquence sur leurs scores dans les urnes ou leur crédibilité, au contraire (en tout cas sur le court et le moyen terme, l’Histoire jugera). Ce fait est un marqueur de notre époque, des buzz absurdes des réseaux sociaux au discours Macronien ou Trumpiste, c’est le même fil. Macron vient de nous en donner un nouvel exemple édifiant en invoquant les temps bénis d’Al-Andalus… C’est en cela que Macron comme Trump sont identiques, deux facettes d’un même phénomène de disparition de la rationalité et de la valeur de la vérité en Occident.
        Je m’exprime rapidement, mais j’espère que vous saisissez un peu mieux ce que j’ai voulu dire.
        [Il y a toujours des alternatives. Par exemple, une crise profonde qui mette les classes intermédiaires en grande difficulté et modifie radicalement le rapport de forces.]
        Oui, mais pour moi cette issue s’accompagnerait d’une grande violence, sociale et sans aucun doute physique; c’est l’une des trois issues possibles que je mentionnais.

        • Descartes dit :

          @ Franck

          [« Je vous trouve bien injuste. Le rapport Draghi contient une remise en cause. » Je n’ai pas encore digéré totalement les conséquences, la signification, de ce rapport.]

          Je pense qu’on peut voir déjà une conséquence : le rapport a été accueilli par la Commission avec des sourires de crocodile – la spécialité de Von der Leyen, soit dit en passant – pour être rapidement remisé aux oubliettes. Les chefs d’Etat réunis en conseil lui ont jeté des fleurs pour mieux l’enterrer. Il est clair que ce rapport gêne, et à mon avis il gêne parce que, même si c’est en termes châtiés et en respectant les convenances du milieu, il contient un certain nombre de remises en cause des politiques poursuivies ces trente dernières années. Vous savez, il n’y a pas si longtemps, à Bruxelles, les eurocrates se signaient à la simple mention de la formule « politique industrielle ». Draghi a craché sur les hosties consacrées. C’est un crachat élégant, fait dans les formes, mais c’est un crachat quand même.

          [J’avoue encore raisonner sans prendre en compte la possibilité d’une remise en cause sincère de ces gens-là (pas uniquement Draghi, mais ceux qui forment le système dans son ensemble). En fait, je n’y crois toujours pas.]

          Je ne sais pas. La « construction européenne » est une idéologie qui s’est mise en pied sur un demi-siècle parce qu’elle était fonctionnelle aux intérêts d’une classe, ou plus précisément, à celle du bloc dominant. Mais est-ce toujours le cas ? On peut voir des signes de craquement. Le retard de plus en plus grand pris par l’UE en matière de recherche, d’innovation, de capacité industrielle commence à toucher les intérêts de la bourgeoisie et des classes intermédiaires. Il faut comprendre que le système de « libre circulation des capitaux et des marchandises » repose en grande partie sur l’endettement. C’est grâce à lui qu’on peut s’enrichir en produisant là où les salaires sont bas et les retraites inexistantes, et en vendant là où les salaires et les retraites sont hauts. Mais si le carrousel de la dette s’arrête, alors le pouvoir d’achat en Europe baissera – parce que sans endettement on ne pourra pas continuer à payer sans produire – et le système entre en crise, et avec lui une « construction européenne » centrée sur le consommateur.

          Et si le système entre en crise, alors l’idéologie qui l’accompagne fera de même. Je ne sais pas si cela se traduira par une « remise en cause sincère » des eurocrates, ou par leur remplacement par une élite différente, mais je penche plutôt pour la deuxième hypothèse.

          [Mais l’essentiel me semble être le fait que des gens, Macron comme Trump, puissent sans aucune retenue dire tout et n’importe quoi, et/ou tout et son contraire, que ceci puisse d’ailleurs être noté ou vérifié aisément, et que ça n’ait absolument aucune conséquence sur leurs scores dans les urnes ou leur crédibilité, au contraire (en tout cas sur le court et le moyen terme, l’Histoire jugera).]

          Mais cela ne tient pas à Trump ou à Macron, cela tient à la société où nous vivons, une société qui consacre le triomphe de ce que j’ai appelé l’égo-politique. Parce que, vous l’avez certainement noté, il n’y a pas que Trump ou Macron qui disent « tout et n’importe quoi, tout et son contraire ». C’est là le lot commun de tous les succès politiques de ces dernières années. Comment Mélenchon, obscur sénateur socialiste, a réussi à devenir l’un des pivots autour desquels tourne la politique française ? En faisant exactement la même chose que Trump ou Macron, même si c’est sur un créneau différent.

          L’ère du discours posé, intelligent, de la cohérence entre ce qu’on pense, ce qu’on dit, de la sacralité des faits vis-à-vis de l’idéologie est terminée. On admire – à postériori – les discours d’un Séguin ou d’un Chevènement, mais personne ne voterait pour eux, et ceux qui les tiennent aujourd’hui sont regardés avec condescendance par ceux qui aspirent au pouvoir. C’est cela qui à mon avis il faut comprendre : Trump, Macron ou Mélenchon sont enfants de leur époque, celle de l’image et des réalités virtuelles, où chaque individu revendique le droit de se fabriquer une réalité à soi. L’idéologie postmoderne niait l’existence d’une réalité objective. Et bien, on y est…

          [Ce fait est un marqueur de notre époque, des buzz absurdes des réseaux sociaux au discours Macronien ou Trumpiste, c’est le même fil. Macron vient de nous en donner un nouvel exemple édifiant en invoquant les temps bénis d’Al-Andalus… C’est en cela que Macron comme Trump sont identiques, deux facettes d’un même phénomène de disparition de la rationalité et de la valeur de la vérité en Occident.]

          Tout à fait. Et cette contestation de la rationalité et de la valeur de la vérité a été construite par les élites intellectuelles sous nos yeux, sans que personne ne réagisse. Toute une idéologie s’est mise en place à partir des années 1960 autour de l’idée que tout est discours, et que la science n’est qu’un discours comme un autre, qui n’est privilégié que parce que les « dominants » l’ont ainsi décidé. On a vu ainsi fleurir des « histoires alternatives », des « médecines alternatives », et même des « épistémologies alternatives » censées être aussi légitimes que celles qui passent par le filtre de la méthode cartésienne. Alain Sokal donnait l’exemple d’un universitaire affirmant que la cosmologie des « peuples originaires » était aussi « vraie » que celle de Copernic, et cela en dépit du fait que la cosmologie de Copernic permet de faire des prédictions qui s’ajustent à la réalité avec une précision fantastique, et la cosmologie « originaire » non.

          On parle à propos de notre époque de « la fin des idéologies ». C’est une grave erreur : notre époque est peut-être celle de la fin des grands systèmes idéologiques collectifs, mais elle est peut-être la plus « idéologique » de toute l’histoire récente. Aujourd’hui comme jamais on revendique la primauté de l’idéologie sur la réalité. On proclame que le monde est comme nous le pensons, et non comme l’expérience nous le montre. Pensez à l’idéologie féministe du « je te crois », qui revient à faire du discours de la victime une réalité qui prend le pas sur les faits constatés.

          Cette idéologie est celle de la toute-puissance individuelle. Avant nous, l’homme reconnaissait qu’il était entouré par une réalité avec laquelle il fallait compter. La civilisation de l’image a rompu ce lien, et fabriqué un individu tout-puissant, dont la toute-puissance va jusqu’à pouvoir créer des réalités parallèles. Il suffit que je décide que ce que Trump, Macron ou Mélenchon disent est vrai pour que cela le soit. Et dans cette logique, la politique change de forme : on gagne des voix en dépeignant une « réalité » dans laquelle les gens ont envie de croire. Ramener les gens à la réalité « réelle » ne vous apportera guère de voix.

          • Frank dit :

            Nous sommes d’accord. L’époque crée un certain type d’homme, ça a toujours été comme ça, et Macron et Trump (et Mélenchon en effet, et beaucoup d’autres) sont des produits chimiquement purs de leur époque. C’est exactement ce que je voulais dire.
            [On peut voir des signes de craquement. Le retard de plus en plus grand pris par l’UE en matière de recherche, d’innovation, de capacité industrielle commence à toucher les intérêts de la bourgeoisie et des classes intermédiaires.]
            Oh oui. À un point que très peu de gens peuvent réellement percevoir. Il faut pouvoir beaucoup voyager, et pas pour faire du tourisme, pour vraiment s’en rendre compte. J’ai la chance de passer plusieurs mois par an en Asie et/ou aux USA. L’écart est devenu abyssal, à un point tel qu’à chaque retour au bercail je suis d’une humeur massacrante pendant quelques jours, ayant l’impression de me retrouver dans le tiers-monde (et en fait pire que dans le tiers-monde sur beaucoup d’aspects). Il me semble extrêmement difficile d’espérer un redressement, en tout cas sans un remplacement général des gens au pouvoir et une travail acharné de “reprogrammation idéologique.” Je n’en perçois pour le moment aucune trace tangible (le rapport Draghi fait peut-être partie des prémices, nous verrons).
            [Je ne sais pas si cela se traduira par une « remise en cause sincère » des eurocrates, ou par leur remplacement par une élite différente, mais je penche plutôt pour la deuxième hypothèse.]
            Cette remarque est empreinte d’un bel optimiste, et je sais que c’est ce qui vous caractérise, en quelque sorte, un optimiste raisonné et constructif. Je pencherais aussi pour la deuxième hypothèse, mais où se trouve donc cette élite différente ? Et, si on admet qu’elle existe encore en masse suffisante, par quels mécanismes peut-elle revenir au pouvoir, elle qui s’en est détournée pour de bon depuis si longtemps, elle qui est totalement accaparée ailleurs, et qui se réduit dans tous les cas comme une peau de chagrin (car il faut être réaliste : chez les moins de 40 ans, vous ne trouverez de toute façon presque personne). 
             

            • Descartes dit :

              @ Franck

              [Oh oui. À un point que très peu de gens peuvent réellement percevoir. Il faut pouvoir beaucoup voyager, et pas pour faire du tourisme, pour vraiment s’en rendre compte. J’ai la chance de passer plusieurs mois par an en Asie et/ou aux USA. L’écart est devenu abyssal, à un point tel qu’à chaque retour au bercail je suis d’une humeur massacrante pendant quelques jours, ayant l’impression de me retrouver dans le tiers-monde (et en fait pire que dans le tiers-monde sur beaucoup d’aspects).]

              C’est curieux, mais j’ai comme vous l’opportunité de voyager, et le retour me fait l’effet inverse. Un peu comme la formule de Talleyrand « quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console ». Je trouve à mon retour que même si on n’est pas au top, on a encore de beaux restes. Ce qui me désole, c’est justement qu’il s’agit de restes, qu’on vit sur des acquis qu’on est au mieux capables d’entretenir, au pire de regarder se dégrader sans rien faire.

              [Il me semble extrêmement difficile d’espérer un redressement, en tout cas sans un remplacement général des gens au pouvoir et une travail acharné de “reprogrammation idéologique.” Je n’en perçois pour le moment aucune trace tangible (le rapport Draghi fait peut-être partie des prémices, nous verrons).]

              Je pense surtout qu’il faudra une crise très grave, très sérieuse, pour nous sortir de la logique du « encore une minute, monsieur le bourreau ». Car seule une crise peut faire réaliser aux gens qu’il faut se secouer, sortir de notre splendide torpeur, et prendre des mesures qui seront nécessairement douloureuses.

              [Cette remarque est empreinte d’un bel optimiste, et je sais que c’est ce qui vous caractérise, en quelque sorte, un optimiste raisonné et constructif. Je pencherais aussi pour la deuxième hypothèse, mais où se trouve donc cette élite différente ?]

              De ce point de vue, je ne m’en fais pas trop. A chaque fois qu’une tempête à emportées les élites – pensez à celles de l’Ancien régime, ou bien celles des années 1930 – des élites de substitution, et souvent de grande qualité, sont apparues. C’est quelque chose qu’il ne faut pas oublier : l’avantage de nos « vieux pays » est justement d’avoir des réserves de capital humain de qualité. Je peux vous assurer que, vu de ma fenêtre, les gens compétents et patriotes qui rongent leur frein ne manquent pas. Et personnellement, pour moi le travail du haut fonctionnaire c’est aussi de repérer ces gens, de les former, de les encourager de manière à créer cette réserve qui demain pourrait prendre les commandes. J’ai essayé de faire ça tout au long de ma carrière, et je n’ai jamais été déçu par la réponse des gens.

              [Et, si on admet qu’elle existe encore en masse suffisante, par quels mécanismes peut-elle revenir au pouvoir, elle qui s’en est détournée pour de bon depuis si longtemps, elle qui est totalement accaparée ailleurs, et qui se réduit dans tous les cas comme une peau de chagrin (car il faut être réaliste : chez les moins de 40 ans, vous ne trouverez de toute façon presque personne).]

              Je vous trouve trop sévère. Cela fait maintenant très longtemps que je dirige des équipes, et j’ai toujours le plaisir de découvrir des jeunes qui ont toutes les qualités requises pour peu qu’on leur donne un cadre et une direction. J’ai eu à gérer pas mal de crises – en particulier celle du COVID et j’ai été agréablement surpris par la réponse des équipes.

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [Car seule une crise (…) prendre des mesures qui seront nécessairement douloureuses.]
             
            Lesquelles, par exemple ?

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Car seule une crise (…) prendre des mesures qui seront nécessairement douloureuses. » Lesquelles, par exemple ?]

              Il faudra investir plus, et comme les ressources pour investir doivent bien sortir de quelque part, il faudra soit travailler plus, soit consommer moins. Bien sûr, la question de savoir comment cet effort doit se distribuer. Le bloc dominant cherchera – comme d’habitude – à faire reposer les restrictions sur les couches populaires. Ce n’est pas nouveau, Alphonse Allais écrivait déjà, parodiant les slogans socialistes, « il faut aller chercher l’argent là où il est, chez les pauvres ». Mais aujourd’hui faire ce choix risque de provoquer des crises sociales à répétition. On l’a vu avec les « Gilets Jaunes ».

              Il faudra aussi rétablir une forme d’encadrement institutionnel, et cela suppose de restreindre la toute-puissance des individus. Des institutions comme la famille, la filiation, l’identité sexuelle, la nation, sont en déshérence, et ne jouent plus leur rôle de régulation, d’où la multiplication des actes de violence et de désordres de toute sorte.

              On aura certainement besoin de rétablir une forme de « contrat social », ce qui suppose de remettre en route l’ascenseur social et la méritocratie, et cela suppose de violer les classes intermédiaires, puisque ce sont elles que la méritocratie menace…

              Et ce ne sont là que quelques exemples…

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Des institutions comme la famille, la filiation, l’identité sexuelle, la nation, sont en déshérence, et ne jouent plus leur rôle de régulation, d’où la multiplication des actes de violence et de désordres de toute sorte.]
               
              Tout à fait d’accord avec ce qu’on peut voir comme la cause des “désordres” – doux euphémisme – actuels.
              Mais… c’est aller à l’encontre de 20 ans, plus sans doute, d’idéologies qui nous ont menés là où nous sommes aujourd’hui. Je ne vois nulle part  – à part sous votre plume ici – le début du commencement de la moindre remise en question. ça serait plutôt le contraire, toutes les réformes sociétales qui nous sont “vendues” comme des avancées “progressistes (mariage pour tous, wokisme, etc.) vont dans la direction opposée à ce “retour au fondamentaux” et ont le vent en poupe, en atteste le rouleau compresseur médiatique sur ces thèmes. Bon courage !

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Mais… c’est aller à l’encontre de 20 ans, plus sans doute, d’idéologies qui nous ont menés là où nous sommes aujourd’hui.]

              Oui. Et il ne faut pas se faire d’illusions. Il n’y a pas de baguette magique, et ceux qui vous disent qu’ils pourraient résoudre en six mois les problèmes qu’on a créé en trente ans racontent n’importe quoi. Même s’il y avait dans le corps politique une volonté de redressement, et qu’on trouvait une équipe pour l’incarner et le conduire, il faudra une décennie au moins pour remettre le pays sur les rails. Il faut abandonner les rêves de « grand soir », et se dire que ce sont des années de labeur qui nous attendent… dans le meilleur des cas.

              [Je ne vois nulle part – à part sous votre plume ici – le début du commencement de la moindre remise en question.]

              Je vous rassure, je ne suis pas tout à fait seul. Il y a des gens bien plus « capés » que moi – je pense à Henri Guaino, par exemple – qui remettent en question la vulgate. Il y a aussi beaucoup d’anonymes qui gardent un silence prudent – car l’ouvrir peut sérieusement endommager votre carrière – mais qui n’en pensent pas moins, et qui dans leur petit espace d’action font ce qu’ils peuvent. Il manque, et je vous accorde que c’est un gros problème, une figure et une organisation qui puissent servir de point de convergence à ces bonnes volontés et leur donner une traduction institutionnelle.

  3. Rogers dit :

    Bonjour René, 
    Merci pour cet article. Je me demande dans quelle mesure la baisse des exigences au sein de l École est corrélée à l abandon d une politique industrielle. Pourquoi se soucier d une ecole exigeante quand on n a plus besoin  d autant de main d oeuvre avec de solides capacités?

    • Descartes dit :

      @ Rogers

      [Merci pour cet article. Je me demande dans quelle mesure la baisse des exigences au sein de l’École est corrélée à l’abandon d’une politique industrielle. Pourquoi se soucier d’une école exigeante quand on n’a plus besoin d’autant de main d’œuvre avec de solides capacités ?]

      Il est clair que le développement industriel de la France après 1945 « tirait » fortement dans le sens de l’exigence le système de formation. On avait besoin d’ingénieurs, de techniciens, d’ouvriers qualifiés pour construire les autoroutes, les centrales nucléaires, les barrages, les avions, les fusées ou les TGV. Ce n’est pas par hasard si dans cette période on introduit les mathématiques modernes dans l’enseignement, que les matières scientifiques deviennent le pilier de la sélection, et que la section scientifique du bac devient la « voie royale », se substituant dans ce rôle aux humanités classiques.

      Mais je ne pense pas que ce soit là la raison principale de la baisse de l’exigence. Les « trente glorieuses » permettaient une véritable promotion sociale, mais celle-ci n’étant pas possible pour tous, la sélection des heureux élus se faisait par le mérite. Cela créait une logique d’exigence. Aujourd’hui, la société est figée. Dans une croissance faible, le fils de l’ouvrier ne peut devenir polytechnicien que si le fils du polytechnicien devient ouvrier. Or, les polytechniciens ne sont pas prêts à supporter un tel déclassement. La conséquence est que la sélection ne se fait plus sur le critère du mérite, mais sur d’autres critères, (réseaux, situation géographique, possibilité de payer le soutien scolaire…). Dans ces conditions, la logique d’exigence ne sert plus à grande chose…

      • Rogers dit :

        Merci pour votre réponse René, 
        Mais vous pensez alors que c est une telle considération qui a présidé aux multiples réformes qui ont mis l Ecole à terre? En d autres termes, votre explication suppose une volonté délibérée chez les réformateurs de vider l ecole de sa substance. Vous ai-je bien compris?

        • Descartes dit :

          @ Rogers

          [Mais vous pensez alors que c est une telle considération qui a présidé aux multiples réformes qui ont mis l Ecole à terre? En d autres termes, votre explication suppose une volonté délibérée chez les réformateurs de vider l ecole de sa substance. Vous ai-je bien compris?]

          Non. En bon marxien, je rejette toute idée de machiavélisme au niveau collectif. Il n’y a pas quelque part un directoire du bloc dominant qui a décidé formellement de mettre l’école à terre. Le processus est bien plus complexe. Pour reprendre la formule de Marx, les classes dominantes génèrent une idéologie qui fait passer leurs intérêts particuliers pour l’intérêt général. Ceux qui ont réformé l’école après 1968 avaient les plus nobles intentions : il s’agissait de massifier l’éducation pour donner à tous une éducation de qualité, et cela dans tous les domaines. De former des citoyens conscients et moraux et d’ouvrir à tous l’accès aux plus hautes fonctions. C’est au nom de ces grands idéaux qu’on a supprimé la sélection au mérite et l’exigence qui va avec, et comme il faut bien une sélection, parce que tout le monde ne peut être président de la République, elle se fait sur d’autres critères que le mérite… ce qui permet au bloc dominant de s’assurer que ses enfants – qui n’ont pas plus de mérite que les autres – conserveront leur statut social sans craindre la compétition.

          Maintenant, ceux qui ont fait ces réformes n’étaient pas machiavéliques, ne serait-ce que parce que le machiavélisme vous oblige à assumer la portée de vos actes. Nont, ils étaient convaincus – ils se sont convaincus – qu’ils œuvraient pour le plus grand bien de la société toute entière. Et ils sont les premiers surpris quand le système ne donne pas les résultats espérés. C’est l’illustration même de l’adage qui veut que le chemin de l’enfer soit pavé de bonnes intentions.

          C’est là la principale différence entre les partis « marxiens », qui parlent en termes de classe, et les organisations gauchistes ou anarchistes qui parlent en termes individuels. Non, les patrons ne sont pas des vautours assoiffés du sang des ouvriers. Beaucoup sont des personnes fort décentes, convaincues que leur action a pour objet le bonheur de leurs employés, et que la plusvalue qu’ils extraient de leur travail n’est que la juste contrepartie de cette préoccupation.

          • Claustaire dit :

            Comme quoi, des producteurs, cela suppose du travail et de la compétence (laquelle peut supposer des examens), alors qu’aux consommateurs, il suffit d’accorder des crédits à la consommation (fût-ce par un endettement collectif). Au “Schlaraffenland”, patrie de l’individualisme consumériste, on n’a même plus à faire l’effort de grimper au mât de Cocagne : il suffit de tendre la main pour cueillir (ce que la publicité ou le désir mimétique sait si bien vous rendre désirable). Même si tout cela finira par : “pas de mains (de producteurs), pas de chocolat”

            • Descartes dit :

              @ Claustaire

              [Comme quoi, des producteurs, cela suppose du travail et de la compétence (laquelle peut supposer des examens), alors qu’aux consommateurs, il suffit d’accorder des crédits à la consommation (fût-ce par un endettement collectif).]

              Effectivement, le rôle de producteur est un rôle ACTIF, alors que le rôle du consommateur est un rôle PASSIF. Même si l’idéologie dominante nous présente l’image d’un « consommateur actif » attentif à mettre en concurrence ses fournisseurs, à choisir les meilleures options, le caractère passif demeure. Le « pouvoir de marché » du consommateur est celui de choisir entre des options proposés par d’autres en fonction de leurs intérêts, et non du sien. Mais la « concurrence libre et non faussée » implique de rejeter toute « cartellisation » de la consommation, ce qui réduit ce pouvoir à un acte individuel.

              En fait, on s’aperçoit que l’idéologie dominante du capitalisme avancé est celle de la passivité. On le voit dans tous les domaines : le consommateur plutôt que le producteur, la victime plutôt que le héros, la féminité plutôt que la virilité, la « société civile » plutôt que le politique, l’électeur plutôt que le militant. Le discours ambiant de la « haine de soi » encourage à rien faire de peur de faire le mal, d’imiter les autres plutôt que de suivre une voie originale. Je me dis qu’il ne doit pas être facile d’être jeune aujourd’hui…

              [Au “Schlaraffenland”, patrie de l’individualisme consumériste, on n’a même plus à faire l’effort de grimper au mât de Cocagne : il suffit de tendre la main pour cueillir (ce que la publicité ou le désir mimétique sait si bien vous rendre désirable).]

              L’évocation du « Schlaraffenland » est intéressante parce que dans ce pays imaginaire il ne peut y avoir que de « l’individualisme ». La solidarité entre les hommes, et les institutions politiques qui organisent cette solidarité a pour origine justement le fait que nous vivons non pas dans une nature généreuse qui nous assure l’abondance, mais dans une nature hostile à qui il faut arracher ce qui est nécessaire à notre survie. Si les hommes se sont regroupés et organisés, c’est pour faire face aux difficultés et aux périls de leur environnement, et non pas par grandeur d’âme. Une civilisation d’abondance absolue, où les individus pourraient se fournir de tout le nécessaire sans contrepartie, serait une civilisation sans société, d’individus isolés chacun dans sa « bulle ». Pourquoi payer le prix de la sociabilité quand tous vos besoins sont satisfaits automatiquement ?

              On le voit d’ailleurs bien dans la deuxième moitié du XXème siècle. L’abondance (relative mais réelle) conduit à l’affaiblissement progressif des liens sociaux, et tout particulièrement des institutions politiques.

          • Frank dit :

            Je suis d’accord avec le fait que le cadre de pensée marxiste est plus intéressant, plus proche sans doute des mécanismes réels, qu’une approche fondée sur un “machiavélisme collectif,” comme vous dites, qui ne résiste pas à l’analyse des faits. Sans l’approbation, ou tout du moins le désintérêt, des classes dominantes, rien n’aurait été possible. Cependant, je pense que l’affirmation selon laquelle
            [ Ceux qui ont réformé l’école après 1968 avaient les plus nobles intentions : il s’agissait de massifier l’éducation pour donner à tous une éducation de qualité, et cela dans tous les domaines. De former des citoyens conscients et moraux et d’ouvrir à tous l’accès aux plus hautes fonctions.]
            est naïve, ou en tout cas très incomplète. Elle ne résiste pas non plus à l’analyse des faits.
            Ce serait long de développer, mais je peux donner un (contre) exemple. Prenez la réforme de la lecture et l’introduction de la méthode globale. Imaginons qu’au départ on ait pu penser que cette méthode, d’apparence plus concrète, semblant permettre d’initier le processus de lecture effectif plus rapidement, puisse aider “le plus grand nombre” à apprendre plus facilement à bien lire. Alors, dans ce cas, on aurait tester la méthode scientifiquement, en gardant l’esprit ouvert. Après 2 ou 3 années de tests dans quelques écoles, la vérité serait apparue. Les arguments, forts, contre la méthode globale (qui étaient connus depuis le départ et sur lesquels je ne reviens pas ici), auraient été confirmés. La nocivité de la nouvelle méthode, démontrée de manière irréfutable et massive. Et on aurait abandonné cette piste. Est-ce ce qui a été fait ? Bien sûr que non. Ceci rend l’hypothèse de la bonne fois et du désir de bien faire dans l’intérêt général caduque.
            La vérité, c’est que le pouvoir dans l’ÉN est passée à une bande de bourdieusien que mon collègue Lafforgue appelle “les cinglés” (et ce n’est pas un mouvement d’humeur de sa part, c’est largement documenté). Pourquoi ces gens ont-ils pu prendre le pouvoir ? Je n’ai pas de réponse certaine. Ils faisaient partie du “camp du bien” et on a voulu les récompenser, certainement. Et l’indifférence de la classe politique (droite incluse, évidemment) pour les questions d’éducation a fait qu’on les a laissés prospérer jusqu’à aujourd’hui, y compris dans les universités. Plus qu’un plan machiavélique de destruction, c’est plutôt l’indifférence concomitante à l’abandon à une clique malfaisante qui est à l’origine du désastre.
            Bon, il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet…

            • Descartes dit :

              @ Frank

              [Cependant, je pense que l’affirmation selon laquelle « Ceux qui ont réformé l’école après 1968 avaient les plus nobles intentions : il s’agissait de massifier l’éducation pour donner à tous une éducation de qualité, et cela dans tous les domaines. De former des citoyens conscients et moraux et d’ouvrir à tous l’accès aux plus hautes fonctions. » est naïve, ou en tout cas très incomplète. Elle ne résiste pas non plus à l’analyse des faits. Ce serait long de développer, mais je peux donner un (contre) exemple.]

              Pensez-vous vraiment que ceux qui ont poussé ces réformes avaient comme intention – c’est-à-dire, se posaient explicitement comme objectif – d’abaisser la qualité de l’éducation ? Regardons le contre-exemple que vous proposez :

              [Prenez la réforme de la lecture et l’introduction de la méthode globale. Imaginons qu’au départ on ait pu penser que cette méthode, d’apparence plus concrète, semblant permettre d’initier le processus de lecture effectif plus rapidement, puisse aider “le plus grand nombre” à apprendre plus facilement à bien lire. Alors, dans ce cas, on aurait tester la méthode scientifiquement, en gardant l’esprit ouvert. Après 2 ou 3 années de tests dans quelques écoles, la vérité serait apparue. Les arguments, forts, contre la méthode globale (qui étaient connus depuis le départ et sur lesquels je ne reviens pas ici), auraient été confirmés. La nocivité de la nouvelle méthode, démontrée de manière irréfutable et massive. Et on aurait abandonné cette piste. Est-ce ce qui a été fait ? Bien sûr que non. Ceci rend l’hypothèse de la bonne fois et du désir de bien faire dans l’intérêt général caduque.]

              Sauf que, justement, on n’a pas évalué la méthode, ce qui a permis de maintenir intacte la croyance qu’elle était efficace, et d’attribuer les ratés à une mauvaise application de la méthode où à la résistance de « l’Etat profond ». Je pense que nous sommes d’accord, mais il y a une incompréhension sur ce que signifie « croire de bonne foi ». On peut « croire de bonne foi » que les remèdes homéopathiques sont efficaces, alors que les deux affirmations ont été empiriquement et théoriquement amplement réfutées. Mais il y a une différence entre celui qui vous donne un remède homéopathique en état personnellement convaincu que le remède est efficace, et celui qui vous le conseille en étant convaincu qu’il s’agit de l’eau colorée sans autre effet que celui d’un placebo. Ceux qui ont soutenu la méthode globale appartiennent à mon avis au premier cas : ils étaient convaincus de l’efficacité de la méthode, et ont refusé de prendre en compte toute réfutation de leur croyance.

              [La vérité, c’est que le pouvoir dans l’ÉN est passée à une bande de bourdieusien que mon collègue Lafforgue appelle “les cinglés” (et ce n’est pas un mouvement d’humeur de sa part, c’est largement documenté).]

              Je suis d’accord, même si je souffre un peu de voir Bourdieu mêlé à cette affaire. Quand on relit ses livres, il est bien plus nuancé dans ses conclusions que ses disciples. Mais il me semble incontestable que mai 1968 a pavé la voie des idées les plus absurdes et les plus irrationnelles en matière d’éducation. Quand on voit que certains personnages haut placés à l’EN invoquent les mânes d’Ivan Illich, qui fut l’un des ennemis idéologiques de l’institution scolaire…

              [Pourquoi ces gens ont-ils pu prendre le pouvoir ? Je n’ai pas de réponse certaine. Ils faisaient partie du “camp du bien” et on a voulu les récompenser, certainement. Et l’indifférence de la classe politique (droite incluse, évidemment) pour les questions d’éducation a fait qu’on les a laissés prospérer jusqu’à aujourd’hui, y compris dans les universités. Plus qu’un plan machiavélique de destruction, c’est plutôt l’indifférence concomitante à l’abandon à une clique malfaisante qui est à l’origine du désastre.]

              Je pense que cette évolution n’est qu’une manifestation d’une évolution générale de la société, du passage d’une société à forte croissance, où la promotion sociale était possible globalement, à une société à faible croissance où la promotion des uns ne peut se faire qu’au détriment des autres. Les instruments qui dans la phase antérieure avaient servi à organiser cette promotion – les institutions méritocratiques, pour faire vite – sont devenus obsolètes et même dangereux : ils auraient permis à « ceux d’en bas » de contester la position de « ceux d’en haut ». Les classes dominantes ont donc privilégié une idéologie du loisir, de la paresse, du victimisme. Mais ce n’est pas par machiavélisme. Ceux qui ont soutenu cette idéologie n’ont à aucun moment formalisé ce but. C’est la dialectique du système qui produit cette idéologie.

              [Bon, il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet]

              Eh oui, c’est une vaste question ! C’est le moment de relire Clouscard…

  4. Bob dit :

    @ Descartes
     
    Presque 400 pages de sabir technocratique, il fallait du courage. Admirons votre effort d’avoir lu un tel rapport.
     
    [On ne change pas une stratégie qui perd.]
     
    C’est, à mon avis, la phrase la plus dure à lire de votre synthèse.
    Car Draghi doit – devrait –  avoir la lucidité d’admettre qu’il faut arrêter d’aller dans le mur. Eh bien, non, on poursuit, comme si le constat qu’il dresse pourtant lui-même, implacable dites-vous, n’était pas criant et n’appelait pas au changement de cap, quasiment à 180 degrés. Les responsables du naufrage en cours sont conscients des raisons qui l’amènent mais ne les remettent pas en cause. C’est, in fine, désespérant. L’espoir est vain semble-t-il.
     
    On se demande alors : pourquoi un tel rapport (et le rendre publique) ? juste par masochisme ?
     
    [la souveraineté européenne]
     
    Je bondissais quand Macron appelait à renforcer à la fois la souveraineté française et européenne, puisque c’est l’une ou l’autre (si on admet l’existence de la dernière d’ailleurs).
    Pour moi, seule une nation peut prétendre à être souveraine, car il faut un “peuple” duquel tirer cette souveraineté, et le “peuple européen” en tant qu’entité politique n’existe pas. Non ?

    • Descartes dit :

      @ Bob

      [Presque 400 pages de sabir technocratique, il fallait du courage. Admirons votre effort d’avoir lu un tel rapport.]

      J’ai peu de mérite, vous savez… aujourd’hui, la moitié de mon boulot consiste à lire des rapports, et l’autre moitié à les écrire !

      [Car Draghi doit – devrait – avoir la lucidité d’admettre qu’il faut arrêter d’aller dans le mur. Eh bien, non, on poursuit, comme si le constat qu’il dresse pourtant lui-même, implacable dites-vous, n’était pas criant et n’appelait pas au changement de cap, quasiment à 180 degrés.]

      A la lecture du rapport, je me suis demandé si Draghi n’est pas arrivé à la même conclusion que moi, mais qu’en bon politique il a vu que son rapport n’avait la moindre chance d’être considéré s’il proposait des ruptures trop « radicales », et s’est donc autocensuré. Ce qui me conduit à ce questionnement est le décalage entre le caractère accablant du constat, et la relative modération des mesures proposées pour le corriger. Et à ce qu’on me dit la réception du rapport par Von der Leyen et son équipe a été glaciale, les remises en cause – très modérées – de Draghi étant jugées hérétiques.

      [On se demande alors : pourquoi un tel rapport (et le rendre publique) ? juste par masochisme ?]

      Commandé en grande pompe, il était difficile de le cacher ensuite sous le tapis. Quant à savoir pourquoi il a été commandé, il faudrait connaître en profondeur les jeux de pouvoir à Bruxelles. Mais vous noterez que ce rapport, on n’en parle plus guère. Il sera à mon avis vite remisé aux oubliettes.

      [« la souveraineté européenne » Je bondissais quand Macron appelait à renforcer à la fois la souveraineté française et européenne, puisque c’est l’une ou l’autre (si on admet l’existence de la dernière d’ailleurs).]

      Le terme « souveraineté » est très mal utilisé aujourd’hui. Quand Macron parle de « souveraineté européenne », c’est en fait d’autonomie stratégique dont il parle. La souveraineté, au sens stricte du terme, c’est-à-dire, la capacité de n’être soumis juridiquement à d’autre norme que celles qu’on fait soi-même, n’appartient « essentiellement » qu’à la nation.

  5. Alphonse dit :

    Bonsoir,
    Je lis votre blog depuis un bon moment déjà, pas toujours d’accord avec vous mais j’y apprends des choses intéressantes.
    Parce que la construction européenne a privilégié le rôle du consommateur et négligé celui du producteur.
    Là je suis totalement d’accord et je rajouterai que les politiques français de tous bords font exactement pareil, résultat ce ne sont plus des citoyens qui votent en pensant à l’avenir mais des consommateurs qui ne pensent qu’au présent.
    Cordialement

    • Descartes dit :

      @ Alphonse

      [Je lis votre blog depuis un bon moment déjà, pas toujours d’accord avec vous mais j’y apprends des choses intéressantes.]

      N’hésitez pas à intervenir, cela le rend encore plus intéressant !

      [« Parce que la construction européenne a privilégié le rôle du consommateur et négligé celui du producteur. » Là je suis totalement d’accord et je rajouterai que les politiques français de tous bords font exactement pareil, résultat ce ne sont plus des citoyens qui votent en pensant à l’avenir mais des consommateurs qui ne pensent qu’au présent.]

      Oui. Et c’est là une transformation profonde de la société. Le fait que nos services publics parlent de plus en plus de « client » et non « d’usager » n’est pas un hasard. Et ce n’est pas non plus un hasard si l’on se comporte devant les services publics – ceux qu’on qualifie « d’industriels et commerciaux », certes, mais aussi ceux qui échappent à la sphère concurrentielle, comme l’école ou la police – comme des véritables « clients ».

      Même chose sur le plan politique ou syndical : à la figure du militant, qui « produit » de la politique, a succédé le « citoyen-client », qui se contente de choisir entre les produits qu’on lui propose en rayon.

  6. René dit :

    Le problème est que la concurrence libre et non faussée est la base du traité constitutionnel européen. À l’époque, on ne pouvait pas forcément prévoir tous les dégâts que ferait ce dogme. J’y étais même plutôt favorable en ce temps où le libéralisme avait le vent en poupe. Mais une doctrine économique, quelle qu’elle soit, n’a rien à faire dans une constitution. Pour moi, une constitution doit tenir en une cinquantaine d’articles et une dizaine de pages qui régissent le rôle de chacun des pouvoirs, sûrement pas un texte de plusieurs centaines de pages qui pérennisent tout un tas de dispositions qui ne pourront plus être modifiées si elles s’avèrent mauvaises.
    On en est là. La constitution européenne a été adoptée au forceps, principalement en France, mais aussi aux Pays-Bas. Il est aujourd’hui politiquement impossible que les 28 pays se mettent d’accord sur un nouveau texte. Il faudra certainement attendre longtemps avant de pouvoir se débarrasser de ce texte nocif. Ça se fera probablement par la dislocation de la construction actuelle avec le départ de pays qui ne pourront plus en supporter les dégâts : en premier lieu la France et même l’Allemagne.

    • Descartes dit :

      @ René

      [Le problème est que la concurrence libre et non faussée est la base du traité constitutionnel européen.]

      Je ne vois pas très bien quel est le « traité constitutionnel » dont vous parlez. Le seul traité auquel on ait prétendu donner une valeur « constitutionnelle » a été rejeté par les Français en 2005, et si le traité de Lisbonne reprend en grande partie ses dispositions, il n’a pas la prétention d’avoir une valeur « constitutionnelle ». Pour le moment, on peut dire que la tentative de donner à l’Union européenne un texte qui s’imposerait par-dessus les constitutions des états membres a échoué.

      [À l’époque, on ne pouvait pas forcément prévoir tous les dégâts que ferait ce dogme. J’y étais même plutôt favorable en ce temps où le libéralisme avait le vent en poupe. Mais une doctrine économique, quelle qu’elle soit, n’a rien à faire dans une constitution. Pour moi, une constitution doit tenir en une cinquantaine d’articles et une dizaine de pages qui régissent le rôle de chacun des pouvoirs, sûrement pas un texte de plusieurs centaines de pages qui pérennisent tout un tas de dispositions qui ne pourront plus être modifiées si elles s’avèrent mauvaises.]

      C’est un grand débat. Classiquement, le texte constitutionnel avait deux fonctions : d’une part, organiser le fonctionnement des pouvoirs publics et délimiter leurs compétences, et d’autre part de protéger les droits individuels et collectifs considérés comme fondamentaux contre un empiétement éventuel par le pouvoir politique. Le problème c’est que l’idée de « droits fondamentaux » a évolué avec le temps, et qu’un certain nombre de droits « économiques » sont aujourd’hui admis – par exemple, le droit à la protection des « vieux travailleurs », pour utiliser la formule du préambule de la Constitution de 1946. Or, parler de droits économiques dans une constitution, cela revient à ériger un « modèle économique ».

      Maintenant, on peut se poser une question intéressante : lorsqu’on a voulu constitutionnaliser « le marché libre et non faussé », s’agit-il de protéger un « droit économique », ou plutôt d’organiser un nouveau pouvoir, celui du « marché », qui aurait la compétence exclusive de fixer les prix, de la même manière que le législatif a la compétence exclusive de faire la loi ?

      [On en est là. La constitution européenne a été adoptée au forceps, principalement en France, mais aussi aux Pays-Bas.]

      Désolé, mais vous faites erreur. Il n’y a pas de « constitution européenne ». Les textes européens, dans la hiérarchie des normes en France, ne sont que des traités, qui sont donc supérieurs aux lois, mais inférieurs à la constitution.

      [Il est aujourd’hui politiquement impossible que les 28 pays se mettent d’accord sur un nouveau texte. Il faudra certainement attendre longtemps avant de pouvoir se débarrasser de ce texte nocif. Ça se fera probablement par la dislocation de la construction actuelle avec le départ de pays qui ne pourront plus en supporter les dégâts : en premier lieu la France et même l’Allemagne.]

      Certainement. L’idée d’une convention élaborant un nouveau traité susceptible d’être ratifié par les 28 est un rêve. Il faudrait un extraordinaire alignement des planètes pour qu’un tel texte puisse être voté.

  7. maleyss dit :

    Quelques questions :
    1) Y a t’il des exceptions à vos constatations ? En d’autres termes pouvez-vous citer une grande réussite ou une grande innovation européenne (et même, pourquoi pas, française) dans les 40 ou 50 dernières années ? Je ne parle pas de réalisations dont l’impulsion avait été donnée au cours des “Trente Glorieuses” ?
    2) A qui profite le crime ? autrement dit, qui bénéficie des errements de la politique industrielle européenne ?
    3) Ne pensez-vous pas qu’il y a un fondement “philosophique” à cette politique qui a privilégié la consommation, autrement dit la jouissance, au dértiment de la production, autrement dit, l’effort ?

    • Descartes dit :

      @ maleyss

      [1) Y a t’il des exceptions à vos constatations ? En d’autres termes pouvez-vous citer une grande réussite ou une grande innovation européenne (et même, pourquoi pas, française) dans les 40 ou 50 dernières années ? Je ne parle pas de réalisations dont l’impulsion avait été donnée au cours des “Trente Glorieuses” ?]

      Bien sûr. Prenez par exemple le développement de la carte à puce. Ou le protocole hypertexte, développé au départ au CERN. Mais il est vrai que plus le temps passe, plus les grands projets et les grandes innovations se font ailleurs.

      [2) A qui profite le crime ? autrement dit, qui bénéficie des errements de la politique industrielle européenne ?]

      C’est une excellente question. Le principal bénéficiaire reste le capital financier, qui a pu à la fois investir là où les coûts de production étaient les plus faibles tout en vendant les produits là où le pouvoir d’achat était maintenu artificiellement à un niveau élevé par le biais de l’endettement. Le consommateur européen a aussi profité, puisque cela lui a donné accès à des biens à des prix qui n’auraient pas été les mêmes s’ils avaient été produits chez nous.

      La question évidente est celle de la soutenabilité d’un tel modèle, qui repose largement sur l’endettement. S’il faut se serrer la ceinture pour payer la dette – et donc cesser de subventionner le niveau de vie des européens – comment le capital arrivera a rentabiliser les investissements qu’il a réalisé dans les pays à bas salaires ? C’est là la contradiction fondamentale du capitalisme : pour augmenter les profits, il doit pousser les salaires vers le bas, mais pour pouvoir vendre il doit au contraire les pousser vers le haut – ou leur prêter de l’argent qu’ils ne rembourseront jamais, ce qui revient au même. C’est là la raison pour laquelle les prêteurs continuent à prêter, alors qu’il est de plus en plus évident que leurs créances ne seront pas remboursées.

      [3) Ne pensez-vous pas qu’il y a un fondement “philosophique” à cette politique qui a privilégié la consommation, autrement dit la jouissance, au détriment de la production, autrement dit, l’effort ?]

      Bien entendu. En bon marxien, je pense que le fondement « philosophique » est généré par la classe dominante pour justifier la poursuite de ses intérêts. Si on privilégie le consommateur plutôt que le producteur, c’est parce que le point faible du capitalisme se trouve là. Le capitaliste d’aujourd’hui n’est pas limité par sa capacité à produire – cela fait longtemps que nous ne sommes plus une économie de la pénurie – mais à écouler le trop-plein produit. On en arrive à des situations ubuesques où un pays comme la Chine prête massivement aux Etats-Unis pour leur permettre d’acheter ses produits, et cela malgré la constitution d’une masse de dette dont on ne voit pas comment elle pourrait être payée un jour en totalité. Mais les chinois ont très bien compris : s’ils arrêtent de prêter, la demande américaine s’effondre, et avec elle les commandes à l’industrie chinoise…

  8. cdg dit :

    Il aurait ete surprenant que Draghi reconnaisse qu il a failli. Vous en connaissez beaucoup qui ecrivent un livre ou un rapport qui dit que c est de leur faute ?
    Gamelin a ecrit un livre apres guerre pour se dedouaner de la defaite de 1940 et Khrouchtchev dans le fameux rapport sur les crimes de Staline a bien pris soin de ne pas detailler son role dans la repression stalinienne
    Sur le fond, je suis bien evidement en complet desaccord avec l auteur et ses propositions. Si on reprend les exemples qu il cite lui meme (google, apple et Huawei) aucun n a ete cree par l etat ou soutenu particulierement par lui ou une quelconque politique industrielle (sauf si on considere,comme le NFP, que de ne pas taper sur l entreprise est deja une faveur qu on lui fait ).
    Dans le detail:
    google : cree a destination du grand public pour faire de la recherche sur internet et vit de la publicite. Depuis google c est agrandi (cloud, android) mais le coeur de Alphabet c est toujours la pub. Ou est l intervention de l etat US ?
    apple : micro informatique dans les annees 70-80 (a une epoque ou les gens serieux pensaient qu un ordinateur n avait rien a faire chez un particulier et que ordinateur=gros systeme IBM). Ce qui a fait la fortune d Apple n est pas les ordinateurs mais les telephones portables (je vois pas ou, comment et pourquoi le gouvernement US aurait pu favoriser les iphone)
    Huawei : la c est plus complique car le fondateur de Huawei est bien evidement bien introduit dans le PCC (mais sans plus, c est loin d etre un membre de la noblesse rouge comme Xi par ex). Certains des premier produits Huawei etaient des copies de l equivalent d alcatel (j avais un ami chez alcatel qui me disaient qu ils s etaient meme pas donne la peine de changer legerement le circuit imprimé) car ils etaient assure de l impunite. Mais il est tres reducteur de penser que Huawei doit son succes uniquement l etat. Si copier le voisin etait la clé du succes, polytechnique serait peuple de cancres
    Si on regarde l industrie chinoise on constate que les conglomerats etatiques sont en general peu performant et que les succes (Huwei, Tecent, Beidou, BYD) sont lies a des capitalistes rouges.
    On peut meme esperer que la reprise en main par Xi va les plomber et reduire leur competitivite (c est deja le cas, Xi se mefiait de la tech qui etait associe a ses rivaux du PCC et a favorisé le BTP. ca a donne une belle bulle immobiliere avec des villes entieres completement vides)
    Quant a la constitution de “champions” l auteur devrait mediter ce qui se passe actuellement dans l automobile (ou ce qui c est passé dans l informatique). Les champions n ont pas ete capable de prendre le virage et se sont planté.
    Aux USA la seule entreprise qui fait des voitures electrique c est Tesla, pas un constructeur historique (les big 3). GM a tente d en faire et a arreté (https://fr.wikipedia.org/wiki/General_Motors_EV1). Ford et Chrysler n ont meme pas essayé. Par contre tous ont ete tres fort pour aller recuperer l argent du contribuable (par ex en 2008)
    Chez nous c est encore pire. Renault avait comme GM fait des voitures electrique mais ca n a pas interesse l ex PDG (Goshn) donc ils sont en retard. PSA/Stellantis etait a fond dans le diesel qui est un marche cree par une niche fiscale (le gas oil etait moins taxé)
    Maintenant ils pensent resoudre le probleme en revendant les voitures chinoise de leap motor. Autrement dit a terme Stellantis sera un simple assembleur/vendeur. En RFA c est guere mieux. VW voulait avoir sa plateforme informatique et a jete l eponge: ils vont recuperer une plateforme chinoise
    En chine, la marque dominante c est BYD. Une societe qui n est pas issue des differents joint venture que les constructeurs europeens/US ont ete force de faire avec des entreprises etatiques chinoises
    La meme chose c est produite il y a quelques annees avec l informatique.
    Teleportons nous au debut des annees 80. Le champion inconsteste de l informatique c est IBM, le second DEC et en france on a Bull. Tous vont rater le virage de la micro informatique (ironie de l histoire, ca a ete impulse par IBM) qui va couronner Microsoft (une petite PME a l epoque). Dans les annees 90 bis repetita, le champion de l epoque (Microsoft) loupe completement le virage internet qui va donner google ou facebook
    Pour la petite histoire il y avait a l epoque youtube et une societe francaise equivalente dailymotion. Un ministre en 2010 a decide que non, dailymotion de devait pas etre vendu et devait rester francais. Il sont donc ete rachete par Orange avec une succes qu on connait. Vous connaissez surement des youtuber mais connaissez vous des dailymotioner ?
    Vous imaginez un enarque financant une entreprise qui fait du materiel de jeu video, dont le chef n est pas enarque mais titulaire d un BTS obtenu dans la Creuse ?
    Pire il  n habite meme pas paris et son entreprise n a pas cree un seul emploi plus ou moins fictif pour notre enarchie.
    Notre brillant enarque, tel un Le Maire va lui expliquer qu il devrait deja le remercier de daigner le recevoir et qu evidement il ne va pas perdre son temps a lire un document auquel de toute facon il ne comprend rien (car les maths c est pas son truc)
    J ai ici adapte le portrait de Jensen Huang (https://fr.wikipedia.org/wiki/Jensen_Huang) diplome d un lycee d oregon et createur de NVIDIA. NVIDIA n aurait JAMAIS ete finance par un systeme etatique a la francaise
    Je finirai par une interrogation: pourquoi l europe qui etait un continent plutot en retard a depassé la chine (la chine avait decouvert l imprimerie avant nous, la boussole et la poudre viennent de chez eux et jusqu au 18eme ils etaient clairement devant economiquement parlant).
    La reponse est dans la concurrence : en chine il suffisait d aller voir l empereur ou plutot un des eunuques de son entourage pour avoir l oukase qui allait bien et mettre le geneur hors course. En europe c etait impossible. Si meme vous reussisiez a convaincre la couronne d angleterre ca n impliquait rien pour France. Il etait impossible de stopper une innovation et la concurrence faisait que le non investissement etait fatal. On a developpe la machine a vapeur, les armes a feu, les metiers a tisser … un jour les chinois sur de leur superiorite ont affronte la france et l angleterre. c est ce qu on appelle les guerres de l opium et ca  c est tres mal termine pour eux (c est un episode oublie chez nous mais bien connu chez eux)
     
    Pour aller plus loin sur le rapport draghi je vous conseille https://www.youtube.com/watch?v=6St_aW_2S24
    Comme c est en allemand je vous fait un resumé
    – pas de capital risque en europe : pas d investisseur qui sont capable de financer des entreprises pour les faire grossir (par ex google a eut besoin d enormement d argent au debut afin d avoir les serveurs qui vont bien. Si son algorythme aurait ete deploye sur trop peu de machine, les temps de reponses auraient ete miserable et la societe n aurait jamais eut le succes qu elle a connu )
    – les meilleures universites sont aux USA et les professeurs europeens vont y enseigner pour gagner 10 fois plus
    – trop de regulation (exemple de la video le RGPD)
     
    Pour les solutions de Draghi d apres la video :
    – reduire les regulations
    – reduire les taxes sur le capital risque (pas vraiment dans l air du temps vu notre etat panier percé ;-))
    – augmenter les depenses de formation (necessaire en france mais pas suffisant vu le fonctionnement de l EN)
    – faire que les ingenieurs restent en europe au lieu d aller aux USA (Sandrine Rousseau preconiserait de mieux payer les sorcieres. a mon avis ca a plus de chance d arriver car c est plus politiquement correct)
    – investissement massif (a mon avis inutile car c est comme mettre plus d eau dans un tuyau percé: il y aura pas plus de debit a l autre bout du tuyau: il faut commencer par colmater les fuites)
    – centralisation de la recherche pour eviter le saupoudrage et le lobbyisme (comme le dit la video de facon humoristique si vous laissez bruxelles decider des investissements vous aurez 100% sur du politiquement correct genre les routes pour les velos)
    – intensifier l investissement sur l energie renouvelable, nucleaire compris
    – developper les mines pour ne plus etre dependant de la chine pour les materiaux de base (pas un expert mais comment faire s il n y a pas de gisement chez nous). Daghi parle d achat groupé pour les materiaux (je suppose qu il pense au meme mecanisme que pour les vaccins covid)
    Pour financer tout ca les propositions de Draghi
    – endetter l europe au lieu des etats (au moment ou la video parle d etat pas responsable et surendette, passe une image du metro parisien meme s il ne cite pas la france)
    – baisser les impots en esperant que la courbe de Laffer marche (moins d impots fait plus de rentree fiscale)
    – inflation
    Pour finir la video critique le rapport en expliquant qu on veut le beurre et l argent du beurre par ex que l on veut former plus d ingenieurs mais pas en supprimant les subventions pour former des journalistes, qu on veut de l energie moins chere mais pas baisser les taxes sur le CO2, qu on veut une industrie a l americaine mais sans le modele social associé.
    L auteur de la video cite aussi l euroscepticisme et un vote sur l approfondissement du marche unique juste apres la parution du rapport: la france l italie et l espagne ont torpille la proposition. Autant dire qu une centralisation de la recherche n a aucune chance
    PS: pour le fun, la video cite le camarade Khrouchtchev en ce qui concerne ce qui est strategique 😉 (allez a 15 min)

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Il aurait ete surprenant que Draghi reconnaisse qu il a failli.]

      Mais a-t-il failli ? Si l’on lit le reste de votre message, on a l’impression que ce n’est pas le cas. Vous expliquez avec votre passion coutumière que des géants comme Google, Apple ou même Huawei se sont développés par eux-mêmes, qu’ils ne doivent rien à leurs Etats respectifs. De cette exorde on déduit que la politique industrielle et commerciale de l’UE ne devrait avoir aucun effet à l’heure de faire apparaître des champions européens de taille équivalente. Et pourtant, on ne voit rien venir… a quoi attribuez-vous cette différence ? Les Européens seraient génétiquement plus bêtes que les Américains ?

      Vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Soit l’action des états est essentielle dans le développement des « champions » en question, et alors on peut dire que l’UE a échoué, soit elle n’a pas d’effet et dans ce cas il faut aller chercher les causes du déclassement de l’UE ailleurs que dans la politique européenne.

      [Vous en connaissez beaucoup qui écrivent un livre ou un rapport qui dit que c’est de leur faute ?]

      Oui. Lénine a écrit pas mal de pages pour revenir sur ses propres erreurs. C’est lui d’ailleurs qui écrivit « ce qui est grave, ce n’est pas de commettre une erreur, mais de ne pas vouloir le reconnaître ». Mais il est vrai que c’était un homme tout à fait exceptionnel…

      [Khrouchtchev dans le fameux rapport sur les crimes de Staline a bien pris soin de ne pas détailler son rôle dans la répression stalinienne]

      Pas tout à fait, si l’on croit la fameuse anecdote : On est dans la salle du Palais des Congrès où Khrouchtchev vient de lire le fameux rapport dénonçant les crimes de Staline. Alors qu’il se rassoit à sa place, on lui fait passer un petit papier où il est écrit « mais vous, n’étiez vous vous-même secrétaire du Parti en Ukraine ? N’avez-vous pas porté avec enthousiasme les politiques que vous dénoncez aujourd’hui ? Pourquoi n’avez-vous rien fait, rien dit ? ». Khrouchtchev demande alors la parole, va a la tribune, et en brandissant le papier il crie « qui a écrit ce papier » ? Silence de mort. Et il répète : « qui-a-é-crit-ce-pa-pier » ? Silence absolu. Alors le nouveau secrétaire général lance « voilà ma réponse ». Et il se rassied à sa place.

      [Sur le fond, je suis bien évidement en complet désaccord avec l’auteur et ses propositions. Si on reprend les exemples qu’il cite lui-même (google, apple et Huawei) aucun n’a été créé par l’état ou soutenu particulièrement par lui ou une quelconque politique industrielle (sauf si on considère, comme le NFP, que de ne pas taper sur l’entreprise est déjà une faveur qu’on lui fait ).]

      Avant de manifester un désaccord « avec l’auteur et ses propositions », il est recommandé de les lire. Dans mon article, je n’ai nullement affirmé que Google, Apple ou Huawei aient « été créé par l’état ou soutenu particulièrement par lui ». Dans mon article, je cite ces entreprises deux fois. La première : « Avec un peu de mémoire, on trouve sans problème des exemples où la compétitivité, l’investissement et l’innovation sont le fait de monopoles de fait – pensez à Microsoft, à Apple, à Google – alors que la concurrence « libre et non faussée » a conduit au contraire à la fragmentation avec pour conséquence une stagnation de la productivité, de l’investissement, de l’innovation. ». La seconde : « Aux Etats-Unis ou en Chine, ce sont les marchés imparfaits qui permettent l’apparition de géants comme Google, Apple ou Huawei, et ces géants en position de quasi-monopole sont régulés non pas par des marchés, mais par l’Etat américain qui les menace de démantèlement chaque fois qu’ils dépassent la ligne rouge. »

      A aucun moment donc je ne dis que ces entreprises soient une création des états, ou qu’elles reçoivent du soutien de celui-ci. Je me contente d’analyser le mode de régulation. Contestez-vous que ces trois entreprises aient tout fait pour ne pas s’inscrire dans la logique de la « concurrence libre et non faussée », qu’ils aient utilisé toutes les barrières légales et extra-légales pour s’assurer des monopoles de fait sur les différents domaines qu’elles couvrent ? Pour Google et Apple, c’est une évidence, au point que l’entreprise a été condamnée en Europe et aux Etats-Unis pour pratiques anti-concurrentielles. Mais peut-être que les juges européens et américains ont adhéré au NFP ?

      Accessoirement, les trois entreprises en question ont reçu un soutien considérable de leurs états respectifs. Ce soutien est multiforme, et va du financement de programmes de recherche par des fonds publics, à des régimes fiscaux favorables, à la renonciation de leur appliquer les lois anti-trust, à la protection contre toute OPA étrangère, a la préférence dans les marchés publics, à l’utilisation des services d’espionnage… mais comme je l’ai dit plus haut, ce n’est pas la question ici.

      [Quant a la constitution de “champions” l’auteur devrait méditer ce qui se passe actuellement dans l’automobile (ou ce qui s’est passé dans l’informatique). Les champions n’ont pas été capable de prendre le virage et se sont planté.]

      De quels « champions » parlez-vous ? Je ne connais aucun « champion » automobile EUROPEEN. La politique européenne de la concurrence a obligé les industriels de l’automobile a chercher des alliances hors de l’Europe.

      [Aux USA la seule entreprise qui fait des voitures électriques est Tesla, pas un constructeur historique (les big 3).]

      Et alors ? Je ne comprends pas la portée de cet argument. Le fait qu’il existe des « champions » anciens n’implique pas qu’il ne puisse pas en surgir des nouveaux, ou que les anciens puissent faire faillite. Merci entre parenthèses de reconnaître que les voitures électriques aux Etats-Unis constituent un monopole… et tant pis pour la « concurrence libre et non faussée ».

      [Maintenant ils pensent résoudre le problème en revendant les voitures chinoise de leap motor. Autrement dit à terme Stellantis sera un simple assembleur/vendeur. En RFA c’est guère mieux. VW voulait avoir sa plateforme informatique et a jeté l’eponge: ils vont récupérer une plateforme chinoise.]

      Je suis curieux de connaître votre explication pour cette différence. Pourquoi à votre avis les industriels européens n’ont pas eu le succès d’un Steve Jobs ou d’un Elon Musk ? Pourquoi n’est pas apparu en Europe un Microsoft ou un Intel ? Vous m’avez expliqué que cela ne tient pas aux politiques publiques, puisque ces entreprises selon vous n’ont bénéficié d’aucun soutien, d’aucun appui de l’état américain. Alors, où se trouve le secret ? J’attends avec impatience votre réponse…

      [Pour la petite histoire il y avait à l’époque YouTube et une société française équivalente Dailymotion. Un ministre en 2010 a décidé que non, Dailymotion de devait pas être vendu et devait rester français. Ils sont donc été racheté par Orange avec une succès qu’on connait. Vous connaissez surement des youtubeur mais connaissez-vous des dailymotioner ?]

      Mais imaginons qu’ils eussent été vendus. Ce serait aujourd’hui une filiale de l’entreprise américaine Qualcomm – si tant est que celle-ci ne l’ait pas vendu à un autre opérateur, par exemple… à YouTube pour renforcer son monopole. A supposer même qu’elle se soit développée aussi bien que youtube, ce serait aujourd’hui un « champion » américain, et non européen, dont les choix stratégiques – notamment la localisation des activités – seraient guidés par les intérêts de son actionnaire américain. Quel intérêt pour nous ?

      [Vous imaginez un énarque finançant une entreprise qui fait du matériel de jeu vidéo, dont le chef n’est pas énarque mais titulaire d’un BTS obtenu dans la Creuse ?]

      Et pourquoi pas ? Mais vous m’avez expliqué plus haut que ce que font ou ne font pas les énarques n’a aucune importance, puisque les grands « champions » se développent sans le moindre soutien de la part de l’Etat. Alors, pas besoin d’énarques pour financer ces entreprises…

      [J’ai ici adapté le portrait de Jensen Huang (https://fr.wikipedia.org/wiki/Jensen_Huang) diplôme d’un lycée d’Oregon et créateur de NVIDIA.]

      Vous oubliez que, si l’on croit la page que vous-même citez, Huang est diplômé de la très prestigieuse université de Stanford. Un centralien, en somme, pour prolonger votre parallèle…

      [NVIDIA n aurait JAMAIS ete finance par un systeme etatique a la francaise]

      Mais vous m’avez convaincu que NVIDIA n’a JAMAIS été financé par le système étatique à l’américaine non plus, que l’Etat américain ne l’a jamais soutenu et qu’elle ne doit son développement qu’au jeu du marché. Alors, quelle différence avec la France ?

      [Je finirai par une interrogation : pourquoi l’Europe qui était un continent plutôt en retard a dépassé la chine (la chine avait découvert l’imprimerie avant nous, la boussole et la poudre viennent de chez eux et jusqu’au 18eme ils étaient clairement devant économiquement parlant). La réponse est dans la concurrence : en chine il suffisait d’aller voir l’empereur ou plutôt un des eunuques de son entourage pour avoir l’oukase qui allait bien et mettre le gêneur hors course. En Europe c’était impossible. Si même vous réussissiez à convaincre la couronne d’Angleterre ca n’impliquait rien pour France.]

      J’aime bien votre réécriture de l’histoire. A quelle époque, pensez-vous, ce miracle a eu lieu ? Je vous rappelle que les monopoles et privilèges ont survécu jusqu’à la fin du XVIIIème siècle en Europe, que le protectionnisme et la cartelisation était la norme jusqu’au XXème siècle. L’Europe qui a dépassé la Chine en termes de productivité est une Europe colbertiste et protectionniste.

      [Il etait impossible de stopper une innovation]

      Vous n’avez pas entendu parler des brevets ?

      [– pas de capital risque en europe : pas d’investisseur qui sont capable de financer des entreprises pour les faire grossir (par ex google a eut besoin d’énormément d’argent au début afin d’avoir les serveurs qui vont bien.]

      Oui, ça c’est un constat. Mais pourquoi est-il ainsi? Si l’investissement en capital risque est rentable, pourquoi les investisseurs – quelle que soit leur origine – ne se précipitent pas pour investir en Europe ? Et s’il n’est pas rentable, pourquoi l’ont-ils fait aux Etats-Unis ?

      Je vous propose mon explication : parce qu’aux Etats-Unis, une part important du « risque » est pris en charge par l’Etat, par le biais du financement des programmes de recherche ou des infrastructures, ou par des mesures de protection qui assurent à l’entreprise un marché. Alors que l’Europe persiste dans sa logique de « concurrence libre et non faussée » qui fait que si les choses vont bien les profits sont maigres, trop maigres pour couvrir le risque pris.

      J’attends votre explication…

      [– les meilleures universités sont aux USA et les professeurs européens vont y enseigner pour gagner 10 fois plus]

      Mais vous m’avez expliqué que des entreprises comme NVIDIA sont créés par des gens qui n’ont fait qu’un obscur lycée en Oregon. Et maintenant vous me dites qu’il faut passer par « les meilleures universités » pour les développer ? Faudrait savoir…

      [– trop de regulation (exemple de la video le RGPD)]

      Je vois mal quelles sont les régulations qui empêcheraient le développement d’un NVIDIA européen.

      [Pour les solutions de Draghi d apres la video :
      – reduire les regulations]

      Ils disent lesquelles ?

      [– reduire les taxes sur le capital risque (pas vraiment dans l air du temps vu notre etat panier percé ;-))]

      D’autant plus que l’on sait la mesure inefficace. Le capital-risque bénéficie déjà de conditions fiscales extraordinairement favorables. Non seulement il est imposé à taux réduit, mais vous pouvez imputer les pertes sur les gains. Toutes ces mesures, qui se sont échelonnées depuis les années 1990, n’ont rien changé au problème.

      [– augmenter les dépenses de formation (nécessaire en France mais pas suffisant vu le fonctionnement de l EN)]

      Si l’on s’inspire des Américains, il faudrait plutôt les réduire – et mettre des barrières à l’entrée de l’université pour réduire la proportion de gens qui ont un diplôme universitaire.

      [– faire que les ingenieurs restent en europe au lieu d aller aux USA (Sandrine Rousseau preconiserait de mieux payer les sorcieres. a mon avis ca a plus de chance d arriver car c est plus politiquement correct)]

      A moins de proposer quelque chose de concret, cela reste un vœu pieux. Comment faites-vous pour que « les ingénieurs restent en Europe » ? Il faudrait peut-être commencer par leur donner du travail. Parce qu’avec de moins en moins des chantiers, avec de moins en moins d’usines, avec de moins en moins de laboratoires, difficile pour un ingénieur français de rester en France, sauf à se consacrer au commerce ou à la finance…

      [– investissement massif (a mon avis inutile car c est comme mettre plus d eau dans un tuyau percé: il y aura pas plus de debit a l autre bout du tuyau: il faut commencer par colmater les fuites)]

      Je pense qu’il faut, oui, un investissement massif. Mais pas dans n’importe quoi. Et certainement pas dans le mirage des « technologies vertes ».

      [– centralisation de la recherche pour eviter le saupoudrage et le lobbyisme (comme le dit la video de facon humoristique si vous laissez bruxelles decider des investissements vous aurez 100% sur du politiquement correct genre les routes pour les velos)]

      Le pilotage de la recherche par Bruxelles – j’en sais quelque chose – est un désastre. Mais la question de savoir qui doit la piloter est loin d’être triviale. Au fond, on revient au problème de l’investissement : la question fondamentale est qu’il faut investir plus et donc consommer moins.

      [– intensifier l investissement sur l energie renouvelable, nucleaire compris]

      Oui.

      [– developper les mines pour ne plus etre dependant de la chine pour les materiaux de base (pas un expert mais comment faire s il n y a pas de gisement chez nous). Daghi parle d achat groupé pour les materiaux (je suppose qu il pense au meme mecanisme que pour les vaccins covid)]

      Encore une des inconsistances du rapport. Après avoir loué les bénéfices de la concurrence, il propose d’instaurer des monopoles d’achat pour pouvoir négocier les prix en position de force…

      [Pour financer tout ca les propositions de Draghi
      – endetter l europe au lieu des etats (au moment ou la video parle d etat pas responsable et surendette, passe une image du metro parisien meme s il ne cite pas la france)]

      Gambit évident pour rendre les Etats encore plus dépendants de Bruxelles…

      [– baisser les impots en esperant que la courbe de Laffer marche (moins d impots fait plus de rentree fiscale)]

      Et puis, même si elle ne marche pas les riches en auront profité, et c’est le but, non ?

      [– inflation]

      Ca, ça serait une révolution conceptuelle pour l’Europe.

      [Pour finir la video critique le rapport en expliquant qu on veut le beurre et l argent du beurre]

      Que voulez-vous, choisir, c’est se faire des ennemis.

      [PS: pour le fun, la video cite le camarade Khrouchtchev en ce qui concerne ce qui est strategique 😉 (allez a 15 min)]

      Désolé, mais ne je comprends pas l’allemand. Je devrais peut-être m’y mettre, en prévision du jour pas très lointain ou les allemands défileront sous l’arc de triomphe… après l’avoir acheté.

      • cdg dit :

         
        {Mais a-t-il [Draghi ] failli ? Si l’on lit le reste de votre message, on a l’impression que ce n’est pas le cas.}
        Ca dépend ce qu on appelle failli. Je peux pas me prononcer pour son rôle en Italie mais pour la BCE a mon avis le quoi qu il en coute a été une erreur partielle. Il a trop ouvert les vannes du credit et aurait du les refermer plus tot (meme si c est surtout lagarde qui est coupable). Pour le reste, la politique economique n est pas du ressort du chef de la BCE
        [Vous expliquez avec votre passion coutumière que des géants comme Google, Apple ou même Huawei se sont développés par eux-mêmes, qu’ils ne doivent rien à leurs Etats respectifs. De cette exorde on déduit que la politique industrielle et commerciale de l’UE ne devrait avoir aucun effet à l’heure de faire apparaître des champions européens de taille équivalente. Et pourtant, on ne voit rien venir… a quoi attribuez-vous cette différence ? Les Européens seraient génétiquement plus bêtes que les Américains ?]
        Non surtout que google ou Apple emploie pas mal d européens. Mais il y a une nuance entre dire que Apple ou google ne doit rien a la politique industrielle des USA et dire qu ils ne doivent rien aux USA. C est en partie dans le rapport de Draghi : moins de regulation, capital risque. Vous remarquerez que quasiment toutes les firmes high tech US viennent d un seul etat et meme d une seule region (San Francisco). Il y a probablement aussi l effet du capital humain avec toutes les universités. Attirer les tetes bien faites du monde entier ca aide
        Apres il faut pas desesperer, on est pas forcement battu (ce que vous semblez penser quand vous suggérez de nous retrancher derrières nos frontières car on coute trop cher et qu en cas de competition on va se faire laminer). Les USA ont aussi leurs problèmes. Citons par ex :

        La judiciarisation a outrance : c est quand meme le pays grâce auquel vous avez « attention chaud » quand vous achetez une tasse de cafe

        Le DIE (meme si la dessus ils semble revenir en arrière et que chez nous au contraire ca prend de l ampleur) : nommer des gens car ils sont femme/noir/gay n est pas la meilleure façon d avoir des competants

        Le cout de l education : c est tellement cher que des americains ne se forment pas. Pour l instant c est compensé par l importation de cerveaux du monde entier mais si ce flux s arrete que ce passe t il ?

        Comme vous evoquez les couts salariaux, l UE et la France est bien moins chère que les US. C est pas un critere majeur sinon google se serait installé en inde ou pour un californien vous pouvez avoir 10 indiens au moins

         
        [Soit l’action des états est essentielle dans le développement des « champions » en question, et alors on peut dire que l’UE a échoué, soit elle n’a pas d’effet et dans ce cas il faut aller chercher les causes du déclassement de l’UE ailleurs que dans la politique européenne.]
        Je pense que l UE est ici un bouc emissaire bien facile. Il n y a qu a voir la disparite des différents états de l UE et meme de la zone euro. Si par ex nous avons divisé par 2 la part de l industrie dans le PIB c est pas le cas des allemands ou meme des hollandais ou autrichiens.
        En 2000, l UE avait developpe une strategie pour devenir la zone la plus competitive du monde. C est clairement un echec. Mais est ce la faute de l UE si par ex les différents gouvernement sabrent dans la recherche pour financer le social ?
        [Avant de manifester un désaccord « avec l’auteur et ses propositions », il est recommandé de les lire. Dans mon article, je n’ai nullement affirmé que Google, Apple ou Huawei aient « été créé par l’état ou soutenu particulièrement par lui ». Dans mon article, je cite ces entreprises deux fois. La première : « Avec un peu de mémoire, on trouve sans problème des exemples où la compétitivité, l’investissement et l’innovation sont le fait de monopoles de fait – pensez à Microsoft, à Apple, à Google – alors que la concurrence « libre et non faussée » a conduit au contraire à la fragmentation avec pour conséquence une stagnation de la productivité, de l’investissement, de l’innovation. ».]
        Votre raisonnement est ici faux. La concurrence va au contraire servir d aiguillon. Prenons l exemple de google et de la recherche sur internet (ce qui est leur activite historique et leur principale source de profit). Google pourrait se reposer sur ces lauriers et juste encaisser. Mais ils savent très bien ce qui est arrive a altavista (dominant et elimine par google en quelques années). Se contenter d innover a minima est l assurance d etre vite remplacé
        Si google a un quasi monopole sur la recherche (90%), ce n est pas le cas d Apple qui a toujours été ultra minoritaire sur les ordinateurs et minoritaire sur les smartphones (Ils ont 30% de part de marché, google/android fait 70 %). Pourtant Apple ultra minoritaire sur les ordinateurs a investi et innové pour créer des baladeurs musicaux puis des telephones (s il n y avait pas de concurrence, on aurait toujours des nokia qui pourraient au mieux envoyer les MMS)
        [A aucun moment donc je ne dis que ces entreprises soient une création des états, ou qu’elles reçoivent du soutien de celui-ci. Je me contente d’analyser le mode de régulation. Contestez-vous que ces trois entreprises aient tout fait pour ne pas s’inscrire dans la logique de la « concurrence libre et non faussée », qu’ils aient utilisé toutes les barrières légales et extra-légales pour s’assurer des monopoles de fait sur les différents domaines qu’elles couvrent ?]
        Je suis pas naïf. Toute entreprise a tendance a chercher une position dominante voire un monople (pas la peine d aller aux USA, on a ca avec la grande distribution chez nous). C est pas nouveau non plus, IBM dans les années 70 a essayé d éliminer Amdahl
        Je suis d accord aussi avec vous sur le fait que les USA essaient tant bien que mal de réguler ces positions (Microsoft a fait l objet d un proces anti trust qui a fini en eau de boudin)
        Mais la question n est pas la. La question est de savoir pourquoi il n y a pas de google/apple en France ou meme en EU, pas de savoir si une entreprise qui est un geant mondial essaie d éliminer la concurrence
        [Accessoirement, les trois entreprises en question ont reçu un soutien considérable de leurs états respectifs. Ce soutien est multiforme, et va du financement de programmes de recherche par des fonds publics, à des régimes fiscaux favorables, à la renonciation de leur appliquer les lois anti-trust, à la protection contre toute OPA étrangère, a la préférence dans les marchés publics, à l’utilisation des services d’espionnage… ]
        Si on prend google ou apple j aimerai bien que vous detaillez un peu ou l etat US a finance des programmes de recherche de ces 2 societes ou carrément les aider via l espionnage (vu que google et apple sont plutot des leaders technologiquement parlant, quel interet d espionner des concurrents qui sont derriere vous ?). Pour les OPA c est un non sens, il n y a aucune societe capable de faire une OPA sur google ou apple (https://www.statista.com/statistics/263264/top-companies-in-the-world-by-market-capitalization/). Apple c est 7 fois plus de capitalisation que LVMH (la plus grosse francaise)
        A mon avis les Usa aident via l espionnage, la protection anti OPA surtout leur canards boiteux genre US Steel
        [De quels « champions » parlez-vous ? Je ne connais aucun « champion » automobile EUROPEEN.]
        VW pourrait prétendre au titre (VW c est aussi Audi, lamborghini, seat, porsche)
        [ La politique européenne de la concurrence a obligé les industriels de l’automobile a chercher des alliances hors de l’Europe.]
        Donc vous pensez que l UE aurait mieux fait de barrer la route aux importations auto non UE ce qui aurait mene a une chute des exportations hors de l UE et pour avoir un champion europeen, forcer renault, psa et VW a fusionner …
        A mon avis a aurait été une catastrophe (soit on aurait une une rationalisation drastique avec bien moins d usines, de centre de R&D vu qu on aurait eut moins de modeles, soit on aurait garde des strates inutiles pour faire plaisir aux gouvernements locaux et les prix se seraient envolés (2 usines qui tournent a 50 % de ses capacites produisent bien plus cher qu une usine a 100%)
        [ Je ne comprends pas la portée de cet argument. Le fait qu’il existe des « champions » anciens n’implique pas qu’il ne puisse pas en surgir des nouveaux, ou que les anciens puissent faire faillite. ]
        Votre champion « ancien » va tout faire pour couler le champion nouveau avant qu il soit trop gros. Surtout que l ancien a souvent bien plus l oreille de l exécutif et du législateur.
        Et si votre champion ancien est en difficulte, il va avoir tendance a faire appel au contribuable. Meme aux USA
        [Merci entre parenthèses de reconnaître que les voitures électriques aux Etats-Unis constituent un monopole… et tant pis pour la « concurrence libre et non faussée ».]
        Les voitures électriques sont un marche de niche. Il faut regarder le marche automobile en entier (essence/hybride/electrique). Sur une niche vous pouvez avoir un monopole sans que ca soit un probleme si le client peut arbitrer pour autre chose. Si votre boulanger est le seul a faire des croissants dans la ville et qu il est trop cher vous allez acheter des beignets dans le magasin d a cote. Idem avec apple qui a un monopole sur les iphone : vous achetez un samsung/android
        [Je suis curieux de connaître votre explication pour cette différence. Pourquoi à votre avis les industriels européens n’ont pas eu le succès d’un Steve Jobs ou d’un Elon Musk ? Pourquoi n’est pas apparu en Europe un Microsoft ou un Intel ? Vous m’avez expliqué que cela ne tient pas aux politiques publiques, puisque ces entreprises selon vous n’ont bénéficié d’aucun soutien, d’aucun appui de l’état américain. Alors, où se trouve le secret ? J’attends avec impatience votre réponse…]
        A mon avis il y a plusieurs raisons :

        Mentalite européenne. Un vaut mieux que 2 tu l auras. Aux US c est plutôt winner takes all

        Absence de capital risque (repris dans le rapport de Draghi). Je suis sur qu il y avait des entreprises européennes qui auraient pu devenir Intel ou MS mais comme elles ne pouvaient pas être financees elle se sont etiolees et ont finies soit rachetee soit ont fait faillite

        L UE c est pas un marche mais 25 avec chacun sa reglementation, sa langue … Les Usa c est pas monolitique non plus (par ex il y a des reglementation par etat pour les voitures) mais c est moins fragmente

        Manque d investissement. L UE c est souvent des entreprises matures dans des domaines qui bougent peu. Donc elles investissent peu car n en voit pas l interet. Donc peu de marché pour les start up qui pourraient grossir pour devenir le futur MS. Dans certains cas, cette myopie des grand groupes va leur couter cher (pensez a l e-commerce et carrefour/casino/auchan)

        Manque de consideration pour la technologie. Si on regarde les dirigeants francais, vous avez assez peu de gens avec un parcours technique. On a soit des science-po/ena soit des ecoles de commerce. En plus ces dirigeants sont souvent parachute au sommet de la societe ou ont fait carriere dans la finance/commercial. Ca a plusieurs consequences : ils connaisent mal la societe, donc preferent faire de la croissance externe plutot qu investir en interne (je rejoint votre pensee sur ce point). Pour eux, la R&D c est un cout qu il faut reduire et pas un investissement. Donc on va sous payer, delocaliser pour reduire les couts. Vous remarquerez qui ni google ni Apple ont leur R&D en inde alors qu un ingenieur californien coute 10 fois plus qu un indien (et quand je dis 10, je suis probablement en dessous de la verite)

        Attrait des USA. Musk etait sud africain, le patron de Nvidia venait de taiwan, le patron actuel de MS est indien. Un des fondateur de google etait d origine russe (ses parents ont fui l URSS). Une personne ambitieuse ne va pas choisir la France (ni meme l UE) pour s installer. Meme s il y a une partie liee au mythe du self made man et du pays des opportunites sans limite, il y a une partie reelle. Notre systeme social fait qu on attire des Leonarda, pas des Musk

        [A supposer même qu’elle (daily motion) se soit développée aussi bien que youtube, ce serait aujourd’hui un « champion » américain, et non européen, dont les choix stratégiques – notamment la localisation des activités – seraient guidés par les intérêts de son actionnaire américain. Quel intérêt pour nous ?]
        Deja d avoir des employes francais. Et ceux ci auraient developpe des competences qui auraient pu servir pour d autres entreprises ou simplement donné des contrats a d autres entreprises francaises
        Mais c est sur que si l interet d avoir daily motion c est juste de permettre au gouvernement francais de faire pression pour les lubies du moments (par ex ne pas faire concurrence aux TV et zayants-droits, diffuser uniquement des videos dans la ligne du parti …) on y arrivera jamais et ca n a de toute facon aucun interet
        {[Vous imaginez un énarque finançant une entreprise qui fait du matériel de jeu vidéo, dont le chef n’est pas énarque mais titulaire d’un BTS obtenu dans la Creuse ?]
        Et pourquoi pas ? Mais vous m’avez expliqué plus haut que ce que font ou ne font pas les énarques n’a aucune importance, puisque les grands « champions » se développent sans le moindre soutien de la part de l’Etat.}
        J etais la dans votre optique ou c est l etat qui decide qui financer et pourquoi faire. Mais franchement je serai curieux de voir un enarque s interesser a une societe qui fait de l electronique (meme si elle n est pas dans la creuse). J ai du mal a imaginer Le Maire ou Segolene essayer de comprendre pourquoi developer une architecture massivement parallele est une bone idee
        Avez vous suivi la saga du doliprane ? On a fait tout un foin pour une usine de conditionnement qui va etre vendue. Est ce qu un des genies du ministere s est rendu compte que cette usine ne fabrique pas le principe actif ? (aka elle fait juste le mettre dans des gelules et les gelules dans les boites)

        {Mais vous m’avez convaincu que NVIDIA n’a JAMAIS été financé par le système étatique à l’américaine non plus, que l’Etat américain ne l’a jamais soutenu et qu’elle ne doit son développement qu’au jeu du marché. Alors, quelle différence avec la France ?}
        Le capital risque. En France Nvidia n aurait pas trouve qui que ce soit pour financer sa croissance car le jeu video ca fait quand meme pas serieux et qu il y a tres peu de capital risque de toute facon
        {[Je finirai par une interrogation : pourquoi l’Europe qui était un continent plutôt en retard a dépassé la chine (la chine avait découvert l’imprimerie avant nous, la boussole et la poudre viennent de chez eux et jusqu’au 18eme ils étaient clairement devant économiquement parlant).]
        J’aime bien votre réécriture de l’histoire. A quelle époque, pensez-vous, ce miracle a eu lieu ? Je vous rappelle que les monopoles et privilèges ont survécu jusqu’à la fin du XVIIIème siècle en Europe, que le protectionnisme et la cartelisation était la norme jusqu’au XXème siècle. L’Europe qui a dépassé la Chine en termes de productivité est une Europe colbertiste et protectionniste. }
        On peut considerer que l europe a depassé la chine au debut du XIX. La date est evidement discutable mais il est clair qu ils etaient largue lors de la guerre de l opium et que jusqu au XVIII il y avait pas d ecart majeur. En ce qui concerne l europe du XIX, vous avez partiellement raison : il y avait des cartels et des ententes. Mais elles etaient dans chaque pays. Vous n aviez pas d entente au niveau europeen . Et le XIX sciecle a vu l essort du libre echangisme et des idees de Ricardo par ex (la GB etait le precurseur mais Napoleon III a fait passer un traite de libre echange)
        [Vous n’avez pas entendu parler des brevets ? ]
        Je parlait du XIX sciecle. Et meme maintenant la chine est le parfait exemple des limites des brevets (c est pas les seuls, meme en europe vous avez des changements subtils pour eviter un brevet. Par ex il y a 20 ans, des lecteurs de CD commencait a jouer -1 au lieu de 0 pour eviter un brevet. Invisible de l utilisateur, debile techniquement parlant mais necessaire pour eviter la dime)
        [Oui, ça c’est un constat. Mais pourquoi est-il ainsi? Si l’investissement en capital risque est rentable, pourquoi les investisseurs – quelle que soit leur origine – ne se précipitent pas pour investir en Europe ? Et s’il n’est pas rentable, pourquoi l’ont-ils fait aux Etats-Unis ?]
        D apres le rapport Draghi il y des raisons fiscales (je me base sur ce que dit la video que je vous ai mit en lien, je suis pas competant la dessus). Il y a d autres raisons plus structurelles : l absence de fond de pension car retraite par repartition, l aversion au risque plus forte chez nous (et le tropisme immobilier) ou simplement la mauvaise reputation des actions. Rappelez vous que Jospin etait tres fier ne ne jamais avoir possédé d actions. Si les europeens preferent mettre leur argent dans une assurance vie en euro, vous allez avoir du mal a avoir du capital risque

        [Je vous propose mon explication : parce qu’aux Etats-Unis, une part important du « risque » est pris en charge par l’Etat, par le biais du financement des programmes de recherche ou des infrastructures, ou par des mesures de protection qui assurent à l’entreprise un marché.]
        Le probleme c est que votre explication marche pour Boeing (qui est plutot un canard boiteux actuellement) mais pas pour Apple ou google. Comment l etat US va creer des protection pour la publicite en ligne (marche mondial) ou lancer un programme de recherche sur la publicite finance par le contribuable (les infrastructures c est totalement inutile car google a juste besoin de serveurs, pas de routes ou ponts).
        Je suis meme prêt a parier que l etat US a ete plutot un frein pour google car la publicite en ligne vampirisait la publicite des journaux et TV. Et que ceux ci avaient bien plus l oreille du gouvernement. Donc le gouvernement aurait ete poussé a mettre des barrieres a google plus qu a les aider (regardez chez nous les fameux droits voisins. Il serait etonnant qu il n y ait pas eut la meme chose aux USA. On en revient a ce que j ecrivais : l aide de l etat pour une societe c est juste d eviter de lui taper dessus)

        {Mais vous m’avez expliqué que des entreprises comme NVIDIA sont créés par des gens qui n’ont fait qu’un obscur lycée en Oregon. Et maintenant vous me dites qu’il faut passer par « les meilleures universités » pour les développer ? Faudrait savoir…}
        Il y a une difference entre créer et developper. Si certains comme le createur de Facebook n ont pas fini leur cursus universitaire, ses employés eux ont surement des diplomes eleves. Le plus interessant dans ce cas est probablement Musk. La personne est totalement incontrolable, admet publiquement consommer de la drogue mais emploie surement chez Space X que des gens qui sont son anti these

        {[Pour les solutions de Draghi d apres la video :– reduire les regulations]
        Ils disent lesquelles ?
        }
        La video cite le RGPD mais c est de bonne guerre car ils vivent de la pub. L autre exemple cite c est l IA ou l UE a déjà pondu une reglementation avant d avoir le moindre deploiement a grande echelle (chat gpt pour ecrire les devoirs scolaires c est pas un deploiement)
        [Non seulement il est imposé à taux réduit, mais vous pouvez imputer les pertes sur les gains.]
        Ca c est quand meme le minimun. Imaginez vous investissez dans 2 entreprises. L une fait faillite et l autre fait +100 %. Vous aviez 100, vous avez perdu 50 avec la premiere et la seconde vous fait gagner 50. Donc operation neutre.Si vous etes taxe sur les gains vous etes perdant (une taxe de 30% fait que vous recuperez 35 donc de 100 vous passez a 85. qui va investir dans de telles conditions ?)
        {[– augmenter les dépenses de formation (nécessaire en France mais pas suffisant vu le fonctionnement de l EN)]
        Si l’on s’inspire des Américains, il faudrait plutôt les réduire – et mettre des barrières à l’entrée de l’université pour réduire la proportion de gens qui ont un diplôme universitaire.}
        Les USA ont un systeme different (a mon avis un de leur probleme car des gens vont renoncer car trop cher) mais on peut pas dire qu ils investissent peu dans la formation. C est juste que c est les parents et les eleves qui paient et pas le contribuable
        En ce qui concerne la france je serai pour une barriere a l entree pour eviter que des gens n ayant pas le niveau y aillent. En ce qui concerne les formations usine a chomeur (sociologie ou STAPS) il faudrait aussi un numerus closus
        [la question fondamentale est qu’il faut investir plus et donc consommer moins.]
        Propos complement inaudible en france aujourd hui. Tout la classe politique parle de pouvoir d achat. Le paiement des pensions de retraites est le premier poste de depense financé par les prelevemnst obligatoires, les retraités ont un niveau de vie superieur aux actifs et l assemblee nationale hurle quand on parle de decaler de quelques mois leur augmentation de pensions (on parle meme pas d un gel comme le point d indice des fonctionnaires). Ah oui, les retraités c est 1/3 des lecteurs et 50 % de votants (j ai ete surpris de la proportion des votants, c etait dans un article du monde)
        {PS: pour le fun, la video cite le camarade Khrouchtchev en ce qui concerne ce qui est strategique (allez a 15 min)
        Désolé, mais ne je comprends pas l’allemand.}
        Khrouchtchev faisait de l humour en expliquant que l industrie du bouton est strategique. En resumé s il n y a pas de bouton, le pantalon du soldat tombe et il ne peut pas se servir de son fusil et se battre
         
         

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [« Mais a-t-il [Draghi ] failli ? Si l’on lit le reste de votre message, on a l’impression que ce n’est pas le cas. » Ça dépend ce qu’on appelle failli. Je ne peux pas me prononcer pour son rôle en Italie mais pour la BCE à mon avis le quoi qu’il en coute a été une erreur partielle. Il a trop ouvert les vannes du crédit et aurait dû les refermer plus tôt (même si c’est surtout Lagarde qui est coupable). Pour le reste, la politique économique n’est pas du ressort du chef de la BCE]

          Pardon, mais le « quoi qu’il en coute » (on parle ici du sauvetage de l’Euro lors de la crise grecque, et non de la crise du COVID, vu que Draghi a quitté la BCE en 2019) était la condition sine qua non pour rassurer les investisseurs effrayés par la possibilité d’un effondrement de l’Euro. Pensez-vous que sauver l’Euro fut « une erreur partielle » ?

          Quant à la « politique économique », je trouve curieux qu’on puisse traiter la politique économique, la politique budgétaire et la politique monétaire comme si c’était des domaines disjoints. La politique monétaire et la politique budgétaire – toutes deux soumises à la surveillance de la BCE – déterminent largement la politique économique.

          [Non surtout que google ou Apple emploie pas mal d européens. Mais il y a une nuance entre dire que Apple ou google ne doit rien a la politique industrielle des USA et dire qu’ils ne doivent rien aux USA.]

          Pourriez-vous m’expliquer cette « nuance » que vous voyez entre « ne rien devoir à la politique industrielle des USA » et « ne rien devoir aux USA » ?

          [C’est en partie dans le rapport de Draghi : moins de régulation, capital-risque.]

          « Moins de régulation », c’est la tarte à la crème. J’aimerais savoir quelles sont les « régulations » européennes qui empêchent le vieux continent de voir surgir un « champion » comme Apple, Google ou Microsoft. A part les « régulations » antitrust, qui ont pour but justement de permettre une concurrence « libre et non faussée », j’ai du mal à voir. Même chose pour le « capital-risque ». Nous sommes dans un régime de libre mouvement des capitaux. Si l’investissement en capital-risque était rentable en Europe, alors le capital-risque américain, indien, singapourien ou mexicain viendraient chez nous. Et si c’est plus rentable de l’investir aux USA ou en Inde, on peut créer tous les mécanismes de capital-risque européen qu’on voudra, le capital finira par se retrouver à Mumbai ou à Cupertino.

          [Vous remarquerez que quasiment toutes les firmes high tech US viennent d’un seul état et même d’une seule région (San Francisco).]

          C’est moins fort que vous ne le dites. Microsoft a été fondée à Albuquerque, et son siège est à Redmond, état de Washington. Amazon a son siège à Seattle dans le même état. Mais cette concentration n’est pas exclusive des Etats-Unis : en France aussi, la métropole grenobloise a connu dans les années 1960-80 une concentration d’industries de pointe : nucléaire, électronique, informatique. Il est évident que la création d’un pôle aux conditions de vie agréables qui permettent d’attirer une population jeune et bien formée avec un pouvoir d’achat élevé, où l’on concentre la matière grise dans des laboratoires publics et privés favorise le développement des firmes hi-tech. C’est la logique du projet Saclay, et ça ne marche pas trop mal.

          [Apres il faut pas désespérer, on est pas forcement battu (ce que vous semblez penser quand vous suggérez de nous retrancher derrières nos frontières car on coute trop cher et qu’en cas de compétition on va se faire laminer). Les USA ont aussi leurs problèmes.]

          Mais pas celui-là. Et ils ne l’ont pas précisément parce qu’ils font ce que je suggère : ils se retranchent derrière leurs frontières. Avec des dispositifs comme le « buy american act », les barrières protectionnistes sur certains produits, l’utilisation du système judiciaire pour tenir à distance les concurrents, la technique des sanctions, et ainsi de suite. Bien sur, il faut le faire intelligemment. Ce n’est pas la peine de protéger les chemisettes ou les slips.

          [La judiciarisation à outrance : c’est quand même le pays grâce auquel vous avez « attention chaud » quand vous achetez une tasse de café]

          Ce qui rend beaucoup plus difficile – et risqué – pour un opérateur étranger de vendre du café aux Etats-Unis. Un bon exemple de protectionnisme par dissuasion…

          [Le cout de l’éducation : c’est tellement cher que des américains ne se forment pas. Pour l’instant c’est compensé par l’importation de cerveaux du monde entier mais si ce flux s’arrête que ce passe-t-il ?]

          C’est là un modèle très rationnel dans une économie capitaliste. Pourquoi donner une formation universitaire à tout le monde, alors qu’on n’a besoin que de quelques centaines de milliers de « cerveaux » pour faire tourner le système ? Qui plus est, le coût des études garantit une reproduction des classes intermédiaires, qui du coup sont beaucoup plus détendues que les notres…

          [Comme vous évoquez les couts salariaux, l’UE et la France est bien moins chère que les US. Ce n’est pas un critère majeur sinon google se serait installé en inde ou pour un californien vous pouvez avoir 10 indiens au moins]

          Ah non… parce que ni Google, ni Microsoft, ni Apple, ni aucune entreprise américaine ne peut transférer à l’étranger des activités jugées « sensibles » ou « stratégiques » sans l’accord du gouvernement. Quand bien même ce serait son intérêt économique. Je connais bien le problème, j’ai eu à le traiter dans le domaine nucléaire, et je peux vous assurer que transférer un laboratoire ou un équipement classé « stratégique » en Europe c’est la croix et la bannière : il vous faut des autorisations à ne plus en finir, et des inspecteurs viennent régulièrement vérifier que les équipements sont sécurisés. Alors imaginez-vous ce que c’est si vous voulez aller en Inde ou en Chine…

          C’est pourquoi les géants américains transfèrent des activités de production, par exemple. Apple produit en extrême orient, tout comme Intel ou Qualcomm, par exemple, pour profiter des bas salaires. Mais la recherche, le développement et les productions « stratégiques » restent aux Etats-Unis.

          [« Soit l’action des états est essentielle dans le développement des « champions » en question, et alors on peut dire que l’UE a échoué, soit elle n’a pas d’effet et dans ce cas il faut aller chercher les causes du déclassement de l’UE ailleurs que dans la politique européenne. » Je pense que l’UE est ici un bouc émissaire bien facile. Il n’y a qu’à voir la disparité des différents états de l’UE et même de la zone euro.]

          Je ne vois pas où est la « disparité » en matière d’industries de pointe. Le retard par rapport aux Américains dans les domaines comme les semiconducteurs et uniforme sur toute l’Europe. Les disparités traduisent plus la gestion des industries du passé (sidérurgie, automobile, mécanique) que le développement des industries d’avenir.

          [En 2000, l’UE avait développé une stratégie pour devenir la zone la plus compétitive du monde. C’est clairement un échec. Mais est-ce la faute de l’UE si par ex les différents gouvernements sabrent dans la recherche pour financer le social ?]

          Quand il s’agit de faire le marché unique, d’assurer la libre circulation des capitaux et des marchandises, d’ouvrir à la concurrence les services publics et de dissoudre les monopoles publics intégrés, l’UE a toujours réussi à atteindre ses buts, quitte à passer sur le corps des « différents gouvernements ». Mais curieusement, elle n’arrive pas à les empêcher de « sabrer dans la recherche ». Etonnant, non ? Peut-être que si elle n’y arrive pas, c’est parce que ce n’est pas sa priorité…

          L’UE n’a jamais développé la moindre « stratégie pour devenir la zone la plus compétitive du monde ». L’UE avait développé un DISCOURS, et habillé ses marottes classiques – la « concurrence libre et non faussée », la privatisation ses services publics, l’uniformisation des systèmes éducatifs – pour nous faire croire que grâce à elles l’Europe serait plus « compétitive ».

          Le problème, c’est que les bonzes de Bruxelles sont aveuglés par leur dogmatisme, et ne comprennent pas que des dispositifs qui fonctionnent dans certains domaines sont catastrophiques dans d’autres. Vouloir la concurrence entre les boulangeries artisanales, ce n’est pas absurde parce qu’il n’y a pas de gains de taille. Mais vouloir atomiser le marché dans des domaines qui nécessitent au contraire une concentration des moyens conduit à des catastrophes, puisqu’on met en concurrence des acteurs dont aucun n’a la taille critique. Si on avait écouté Bruxelles, on aurait découpé le parc nucléaire en cinq ou six tranches, confiées à des opérateurs différents en concurrence. Alors que ce qui fait la rentabilité du parc, c’est précisément la mutualisation des coûts d’ingénierie et la standardisation.

          [« Avec un peu de mémoire, on trouve sans problème des exemples où la compétitivité, l’investissement et l’innovation sont le fait de monopoles de fait – pensez à Microsoft, à Apple, à Google – alors que la concurrence « libre et non faussée » a conduit au contraire à la fragmentation avec pour conséquence une stagnation de la productivité, de l’investissement, de l’innovation. » Votre raisonnement est ici faux. La concurrence va au contraire servir d’aiguillon. Prenons l’exemple de google et de la recherche sur internet (ce qui est leur activité historique et leur principale source de profit). Google pourrait se reposer sur ces lauriers et juste encaisser. Mais ils savent très bien ce qui est arrivé à AltaVista (dominant et éliminé par google en quelques années). Se contenter d’innover a minima est l’assurance d’être vite remplacé]

          Encore une fois, lisez attentivement mon raisonnement avant de le qualifier de « faux ». La question n’est pas de savoir si la concurrence est ou non un aiguillon. La question est de savoir quels sont les effets des CONDITIONS indispensables pour que cette concurrence soit possible. Le fait est que les entreprises les plus innovantes aujourd’hui sont des quasi-monopoles, qui dominent largement leurs marchés. On est loin de la vision libérale d’une « concurrence libre et non faussée », qui suppose un marché « atomique », ou aucun acteur ne peut faire les prix, et surtout qu’il n’y ait pas des barrières à l’entrée et à la sortie. Pour concurrencer Google aujourd’hui, il faut payer un droit d’entrée exorbitant, puisqu’il faudrait construire une infrastructure énorme avant de pouvoir offrir un service comparable au premier client. L’idée que si Google se « reposait sur ses lauriers » elle risquerait d’être « éliminée » par un concurrent est absurde. L’époque où un Géo Trouvetout pouvait inventer quelque chose de génial dans son garage et mettre à bas une entreprise établie est finie. Dans un secteur naissant, le marché est bien atomique, les barrières à l’entrée faibles, et il y a une véritable concurrence. Mais quand le secteur mûrit, dans les domaines où les économies d’échelle sont importantes, le processus de concentration produit des quasi-monopoles dont la domination devient incontestable. Google n’a même plus besoin de faire de la recherche, il lui suffit de regarder les recherches que font les autres et les racheter – quelquefois pour mettre en œuvre leurs innovations, quelquefois pour « stériliser » des innovations qui pourraient remettre en cause ses bénéfices.

          Si Google continue à innover, ce n’est pas grâce à l’aiguillon de la « concurrence », mais celui du profit. Ce que les libéraux oublient souvent, c’est que le but d’une entreprise n’est pas de gagner une quelconque course à l’innovation, mais de faire du profit. Or, comment fait une entreprise qui bénéficie d’un monopole pour augmenter ses profits ? Elle innove pour améliorer sa productivité, pour améliorer ses services – et pouvoir donc les facturer plus cher – ou pour en créer de nouveaux. La « baisse tendancielle du taux de profit » est un aiguillon bien plus efficace que la « concurrence ».

          Un exemple presque caricatural de cette question est Microsoft. A votre avis, quand l’entreprise remplace Windows 7 par la version 10, puis celle-ci par la version 11, le fait-elle sous la pression de la concurrence ? Quel concurrent apparaît à l’horizon qui pourrait détourner les clients de Microsoft de Windows 10 si on ne leur offrait pas la version 11 ? Aucun, bien entendu. Mais si Microsoft en restait à la version 10, une fois le marché saturé elle ne vendrait plus grande chose. Alors, on crée une nouvelle version – qui n’est « nouvelle » que dans l’habillage – et on utilise sa position de monopole pour l’imposer, en retirant le support à la version précédente… provoquant les protestations des usagers qui n’ont aucun intérêt à la manœuvre. Là, on voit un bon exemple où « l’innovation » est guidée non par la concurrence, mais par la recherche du profit dans une logique de monopole.

          [Si google a un quasi-monopole sur la recherche (90%), ce n’est pas le cas d’Apple qui a toujours été ultra minoritaire sur les ordinateurs et minoritaire sur les smartphones (Ils ont 30% de part de marché, google/android fait 70 %).]

          Ici, vous raisonnez comme si les smartphones et les ordinateurs étaient des produits substituables. Mais ce n’est pas le cas. Apple détient le monopole absolu sur les ordinateurs Mac ou sur les Iphones. Personne d’autre ne peut fabriquer ces objets, contrairement aux PC ou aux smartphones Android, qui peuvent être fabriqués par un grand nombre de sources. C’est un peu comme sur le marché du luxe. Vuitton détient un monopole sur son marché, qui est celui des produits Vuitton, et personne ne peut faire des sacs Vuitton.

          [« A aucun moment donc je ne dis que ces entreprises soient une création des états, ou qu’elles reçoivent du soutien de celui-ci. Je me contente d’analyser le mode de régulation. Contestez-vous que ces trois entreprises aient tout fait pour ne pas s’inscrire dans la logique de la « concurrence libre et non faussée », qu’ils aient utilisé toutes les barrières légales et extra-légales pour s’assurer des monopoles de fait sur les différents domaines qu’elles couvrent ? » Je ne suis pas naïf. Toute entreprise a tendance à chercher une position dominante voire un monople (pas la peine d’aller aux USA, on a ça avec la grande distribution chez nous).]

          Certes. Mais certaines entreprises y arrivent, et d’autres pas. Mon point est précisément que les « champions » américains y sont arrivés, et que cette position, loin d’être combattue par l’Etat américain, est protégée à condition de ne pas dépasser certaines limites négociées. Et que cette situation montre bien que la théorie libérale selon laquelle un marché « libre et non faussé » et atomique n’est pas favorable à l’innovation et au développement technologique.

          [Mais la question n’est pas là. La question est de savoir pourquoi il n’y a pas de google/apple en France ou même en EU, pas de savoir si une entreprise qui est un géant mondial essaie d’éliminer la concurrence]

          Mais les deux questions sont liées. Parce que si les « géants américains » essayent à éliminer la concurrence, alors que la politique de concurrence européenne empêche que se constituent des « géants européens » capables de leur résister, on comprend très bien pourquoi il n’y a pas de Google/Apple européen…

          [« Accessoirement, les trois entreprises en question ont reçu un soutien considérable de leurs états respectifs. Ce soutien est multiforme, et va du financement de programmes de recherche par des fonds publics, à des régimes fiscaux favorables, à la renonciation de leur appliquer les lois anti-trust, à la protection contre toute OPA étrangère, a la préférence dans les marchés publics, à l’utilisation des services d’espionnage… » Si on prend Google ou Apple j’aimerai bien que vous détaillez un peu ou l’état US a financé des programmes de recherche de ces 2 sociétés ou carrément les aider via l’espionnage (vu que google et Apple sont plutôt des leaders technologiquement parlant, quel intérêt d’espionner des concurrents qui sont derrière vous ?). Pour les OPA c’est un non-sens, il n’y a aucune société capable de faire une OPA sur Google ou Apple]

          D’abord, vous remarquerez mon usage du passé. Je n’ai pas écrit « reçoivent », j’ai écrit « ont reçu ». Car si Apple ou Google sont aujourd’hui des leaders sur leur domaine, si elles ne sont pas aujourd’hui en risque d’OPA, ça n’a pas été toujours le cas. Pour le financement, je vous remets aux nombreux programmes financés par le DOD et le DOE dont ces entreprises ont bénéficié, souvent à travers des laboratoires universitaires. J’en connais personnellement deux, mais je ne peux pas donner plus de détails ici. Pour ce qui concerne l’espionnage, n’est-ce pas vous qui m’expliquiez que c’était le risque d’être « remplacés » par une entreprise plus innovante – vous donniez comme exemple la chute d’Altavista – qui était l’aiguillon de la recherche chez Google ? Si maintenant vous me dites que ce risque n’existe pas, toute votre argumentation sur la concurrence s’effondre, et vous me donnez raison lorsque je dis que Google est un quasi-monopole…

          Maintenant sur le fond : quand je parle d’espionnage, ce n’est pas seulement à l’espionnage des recherches que je fais référence. Je pense aussi à la communication d’informations stratégiques qui permettent à l’entreprise de peser sur certaines décisions. Savoir ce qui se discute dans les ministères en matière de régulation, pouvoir anticiper des mesures de sécurité, peser sur les autorités en charge de la politique industrielle, cela peut se révéler très rentable…

          [Apple c’est 7 fois plus de capitalisation que LVMH (la plus grosse francaise)]

          So what ? Si ma mémoire ne me trompe pas, quand TotalFina lance son OPA sur ELF, sa capitalisation n’atteint pas la moitié de celle de sa victime…

          [A mon avis les Usa aident via l’espionnage, la protection anti OPA surtout leur canards boiteux genre US Steel]

          Vous vous trompez. La protection anti-OPA est activée dès qu’une entreprise jugée « stratégique » par le gouvernement américain est approchée par une entreprise étrangère. Si vous croyez qu’une entreprise chinoise peut acheter le port de Saint Francisco, ou que Huawei pourrait faire une OPA sur Cisco, vous vous fourrez le doigt dans l’œil. Framatome avait envisagé un moment de racheter les activités nucléaires de Westinghouse, ça a tourné court…

          [« De quels « champions » parlez-vous ? Je ne connais aucun « champion » automobile EUROPEEN. » VW pourrait prétendre au titre (VW c’est aussi Audi, lamborghini, seat, porsche)]

          Oui, c’est le seul qui reste… et qui est en grande difficulté.

          [« La politique européenne de la concurrence a obligé les industriels de l’automobile à chercher des alliances hors de l’Europe. » Donc vous pensez que l’UE aurait mieux fait de barrer la route aux importations auto non UE (…)]

          Je ne saisis pas le rapport. Je parlais ici des alliances capitalistiques, et non des questions de protectionnisme.

          [(…) ce qui aurait mené à une chute des exportations hors de l’UE]

          Une « chute » de combien ? Est-ce grave, docteur ?

          [et pour avoir un champion européen, forcer Renault, PSA et VW à fusionner …]

          Pourquoi « forcer » ? Cesser de les empêcher de fusionner, ce serait déjà pas mal…

          [A mon avis a aurait été une catastrophe (soit on aurait une rationalisation drastique avec bien moins d’usines, de centre de R&D vu qu’on aurait eu moins de modèles, soit on aurait garde des strates inutiles pour faire plaisir aux gouvernements locaux et les prix se seraient envolés (2 usines qui tournent à 50 % de ses capacités produisent bien plus cher qu’une usine a 100%)]

          En quoi le fait que la fusion se fasse avec un constructeur japonais plutôt qu’avec un constructeur Allemand fait une différence ?

          [« « Aux USA la seule entreprise qui fait des voitures électriques est Tesla, pas un constructeur historique (les big 3). » » « Je ne comprends pas la portée de cet argument. Le fait qu’il existe des « champions » anciens n’implique pas qu’il ne puisse pas en surgir des nouveaux, ou que les anciens puissent faire faillite. » Votre champion « ancien » va tout faire pour couler le champion nouveau avant qu il soit trop gros. Surtout que l’ancien a souvent bien plus l’oreille de l’exécutif et du législateur.]

          Mais justement, votre exemple concernant Tesla démontre exactement le contraire de ce que vous affirmez ici. Vous commencez par me dire qu’aux Etats-Unis un « nouveau champion » de la voiture électrique a surgi ex-nihilo, sans rien devoir aux « anciens champions », et dans la phrase suivante vous me dites que l’existence de « anciens champions » empêche l’apparition des « nouveaux ». Vous fournissez vous-même le contre-exemple à votre propre argument…

          [« Merci entre parenthèses de reconnaître que les voitures électriques aux Etats-Unis constituent un monopole… et tant pis pour la « concurrence libre et non faussée ». » Les voitures électriques sont un marché de niche. (…) Sur une niche vous pouvez avoir un monopole sans que ça soit un problème si le client peut arbitrer pour autre chose.]

          Attendez, attendez… plus haut, vous m’expliquiez que sans concurrence, il n’y a pas d’innovation. Et maintenant on découvre que le fait qu’il y ait monopole n’est pas « un problème » ? Pourquoi Tesla irait innover, puisqu’elle n’a rien à craindre d’un concurrent ?

          Ici réapparait le fameux dogme de la concurrence comme « aiguillon » de l’innovation. Un dogme qui suppose – comme je l’ai dit plus haut – que l’objectif de l’entrepreneur est de gagner une course, et non de maximiser son profit…

          [Si votre boulanger est le seul à faire des croissants dans la ville et qu’il est trop cher vous allez acheter des beignets dans le magasin d’a cote. Idem avec Apple qui a un monopole sur les iPhone : vous achetez un samsung/android]

          Non. La concurrence suppose que les produits soient interchangeables. Un beignet et un croissant sont-ils « interchangeables » ? Oui, jusqu’à un certain point. Un iPhone et un smartphone android sont-ils « interchangeables » ? C’est déjà plus discutable. La preuve est qu’on peut maintenir une différence de prix très importante sans que le consommateurs changent de crémerie… et cette différence de prix constitue une « rente », qui traduit l’imperfection du marché (ici, le monopole).

          [« Je suis curieux de connaître votre explication pour cette différence. Pourquoi à votre avis les industriels européens n’ont pas eu le succès d’un Steve Jobs ou d’un Elon Musk ? Pourquoi n’est pas apparu en Europe un Microsoft ou un Intel ? Vous m’avez expliqué que cela ne tient pas aux politiques publiques, puisque ces entreprises selon vous n’ont bénéficié d’aucun soutien, d’aucun appui de l’état américain. Alors, où se trouve le secret ? J’attends avec impatience votre réponse… »A mon avis il y a plusieurs raisons : (…)]

          Voyons ces raisons, une à une…

          [Mentalité européenne. Un tiens vaut mieux que 2 tu l’auras. Aux US c’est plutôt winner takes all]

          Mais d’où vient cette « mentalité » si différence. Parce qu’il ne vous aura pas échappé que les Américains qui font l’innovation sont, pour l’essentiel, des immigrants européens ou leurs descendants. Comment expliquez-vous que les Irlandais qui dans leur Irlande natale étaient si frileux aient perdu leurs inhibitions en traversant l’Atlantique ? Je pense qu’ici vous inversez les termes du raisonnement. C’est l’économie qui a fait les mentalités, et non l’inverse. Le fait de vivre dans un pays vide aux inépuisables a permis pendant longtemps de faire de tous les Américains des « winners ». Et dans ces conditions, la logique du « winner takes all » est bien plus facile à assumer. Nous avons eu d’ailleurs un phénomène semblable avec la génération des « boomers », élevés dans la croissance des « trente glorieuses ». Seulement, chez nous cela n’a pas tenu plus d’une génération…

          Mais surtout, j’aimerais que vous m’expliquiez en quoi cette mentalité est instrumentale dans l’apparition d’un Intel ou d’un Microsoft.

          [Absence de capital risque (repris dans le rapport de Draghi). Je suis sur qu’il y avait des entreprises européennes qui auraient pu devenir Intel ou MS mais comme elles ne pouvaient pas être financées elle se sont étiolées et ont finies soit rachetée soit ont fait faillite]

          Là encore, j’ai du mal à comprendre le raisonnement. Le marché des capitaux est internationalisé. Si investir dans un Intel ou un Microsoft européen était rentable, le « capital-risque » américain, brésilien ou japonais serait venu s’investir en Europe. A moins que vous pensiez que les capitalistes américains sont nationalistes, et préfèrent « un tiens » américain plutôt que « deux tu l’auras » européen ?

          [Manque d’investissement. L’UE c’est souvent des entreprises matures dans des domaines qui bougent peu. Donc elles investissent peu car n’en voit pas l’intérêt.]

          Là encore, vous balancez des affirmations sans les confronter aux faits. Pensez à EDF, entreprise qui travaille dans un secteur mature parmi les matures… et qui n’a pas hésité à se lancer dans un programme nucléaire massif – qui était une prise de risque non négligeable à l’époque. C’est là un contre-exemple à toute la théorie que vous avez exposé plus haut. Voici un monopole – non seulement de fait, mais de droit – qui intervient dans un secteur mature, avec un personnel qui a la sécurité de l’emploi… et qui pourtant est innovante et prend des risques. Comment ce contre-exemple rentre dans votre cadre théorique ?

          Vous tendez aussi à confondre les causes et les conséquences. Si l’UE « ce sont des entreprises matures dans des domaines qui bougent peu », c’est précisément parce que la politique industrielle de l’UE a tout faire pour empêcher l’apparition d’entreprises dans les nouveaux domaines. L’obsession de l’UE avec l’atomisation du marché a empêché les entreprises de changer d’échelle, et du coup d’avoir les moyens de suivre en matière d’investissements.

          [Manque de considération pour la technologie. Si on regarde les dirigeants français, vous avez assez peu de gens avec un parcours technique. On a soit des science-po/ena soit des ecoles de commerce.]

          Aujourd’hui, oui. Mais ce n’était pas le cas il y a quarante ans, quand tout ça a commencé. Au contraire : on trouvait beaucoup d’ingénieurs et de formations scientifiques parmi les dirigeants français, dans les entreprises et aussi dans les ministères, alors qu’aux Etats-Unis on trouvait beaucoup plus de financiers. Je ne connais aucun président américain de la deuxième moitié du vingtième siècle qui ait fait des études scientifiques, alors que nous en avons deux en France… Par ailleurs, j’ai du mal à voir ce « manque de considération » en Allemagne, et pourtant ils ont pris le même retard que nous, sinon plus.

          [En plus ces dirigeants sont souvent parachute au sommet de la société ou ont fait carrière dans la finance/commercial. Ça a plusieurs conséquences : ils connaissent mal la société, donc préfèrent faire de la croissance externe plutôt qu’investir en interne (je rejoins votre pensée sur ce point). Pour eux, la R&D c est un cout qu’il faut réduire et pas un investissement.]

          Je ne comprends pas votre raisonnement sur ce point. Tout ce que vous dites est peut-être vrai, mais je ne vois pas que ce soit très différent aux Etats-Unis. Une fois la génération des fondateurs – et de leurs successeurs directs – passée, on prend des gens à l’extérieur, souvent des financiers qui ne connaissent pas l’entreprise. Pensez à Boeing…

          [Donc on va sous payer, délocaliser pour réduire les couts. Vous remarquerez qui ni google ni Apple ont leur R&D en inde alors qu’un ingénieur californien coute 10 fois plus qu’un indien (et quand je dis 10, je suis probablement en dessous de la vérité)]

          C’est vrai, mais comme je l’ai dit plus haut, c’est pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le calcul de l’entreprise.

          [Attrait des USA. Musk était sud-africain, le patron de Nvidia venait de taiwan, le patron actuel de MS est indien. Un des fondateurs de google était d’origine russe (ses parents ont fui l’URSS). Une personne ambitieuse ne va pas choisir la France (ni même l’UE) pour s’installer. Même s il y a une partie liée au mythe du self made man et du pays des opportunités sans limite, il y a une partie réelle. Notre système social fait qu’on attire des Leonarda, pas des Musk]

          Ca, c’est une évidence : la richesse attire la richesse. Mais là où je ne vous suis plus, c’est dans cette idée que ce sont les personnalités qui font les entreprises. C’est là à mon sens le véritable mythe. Ce n’est pas le génie de Zuckerberg qui a fait Facebook, pas plus que ce n’est le génie de Gates qui a fait Microsoft.

          [« A supposer même qu’elle (daily motion) se soit développée aussi bien que youtube, ce serait aujourd’hui un « champion » américain, et non européen, dont les choix stratégiques – notamment la localisation des activités – seraient guidés par les intérêts de son actionnaire américain. Quel intérêt pour nous ? » Déjà d’avoir des employés français.]

          Qu’est-ce qui vous fait penser qu’un DailyMotion développé par Qualcomm aurait conservé des employés français, que les activités stratégiques n’auraient pas été déplacées aux Etats-Unis, et le reste en Inde ou en Malaisie ? A partir du moment où l’entreprise est contrôlée par un actionnaire américain, ce sont les intérêts de ces actionnaires qui priment.

          [« Vous imaginez un énarque finançant une entreprise qui fait du matériel de jeu vidéo, dont le chef n’est pas énarque mais titulaire d’un BTS obtenu dans la Creuse ? » Et pourquoi pas ? (…) J’étais là dans votre optique ou c’est l’état qui décide qui financer et pourquoi faire.]

          Mais même dans cette optique, je vous demande sur quoi vous vous fondez pour affirmer qu’un énarque ne financerait pas une entreprise qui fait du matériel de jeu vidéo, et dont le chef n’est pas énarque mais titulaire d’un BTS obtenu dans la creuse ». Connaissez-vous un cas qui justifie une telle affirmation ?

          [Mais franchement je serai curieux de voir un énarque s’intéresser à une société qui fait de l’électronique (même si elle n’est pas dans la creuse).]

          Je relève le gant. Je vous propose un certain Giscard d’Estaing, énarque et inspecteur des finances, et qui joua un rôle capital dans le développement du « plan téléphone » et de l’industrie française du semiconducteur…

          [Avez-vous suivi la saga du doliprane ? On a fait tout un foin pour une usine de conditionnement qui va être vendue. Est-ce qu’un des génies du ministère s’est rendu compte que cette usine ne fabrique pas le principe actif ? (aka elle fait juste le mettre dans des gelules et les gelules dans les boites)]

          Bien sur que oui. Ne prenez pas les hauts fonctionnaires pour des imbéciles : tout le monde a très bien compris que cette affaire a été montée en épingle pour faire de la « réindustrialisation potemkine ».

          [Le capital-risque. En France Nvidia n’aurait pas trouvé qui que ce soit pour financer sa croissance car le jeu vidéo ça ne fait quand même pas sérieux et qu’il y a très peu de capital risque de toute façon]

          Mais qu’est ce qui l’aurait empêché de se financer sur le marché mondial du capital risque ? Pourquoi un fond de capital-risque américain refuserait d’investir dans un Nvidia à la française, si la proposition était rentable ?

          [En ce qui concerne l europe du XIX, vous avez partiellement raison : il y avait des cartels et des ententes. Mais elles étaient dans chaque pays. Vous n’aviez pas d’entente au niveau européen.]

          Dans la mesure où chacun dominait son marché, le fait qu’il y ait ou non des ententes au niveau européen n’a guère d’importance. Votre théorie était que si l’Europe a dépassé la Chine, c’était grâce à la libre concurrence. Le fait est que l’Europe qui dépasse la Chine est cartellisée à l’intérieur de chaque état, et protectionniste à l’extérieur.

          [Et le XIX siècle a vu l’essor du libre échangisme et des idées de Ricardo par ex (la GB était le précurseur mais Napoléon III a fait passer un traite de libre échange)]

          L’essor idéologique, peut-être. Mais dans les faits, le libre-échange reste marginal. Il faudra attendre la fin de la première guerre mondiale pour que des progrès soient faits… vite effacés par la crise de 1929.

          [« Oui, ça c’est un constat. Mais pourquoi est-il ainsi ? Si l’investissement en capital risque est rentable, pourquoi les investisseurs – quelle que soit leur origine – ne se précipitent pas pour investir en Europe ? Et s’il n’est pas rentable, pourquoi l’ont-ils fait aux Etats-Unis ? » D’après le rapport Draghi il y des raisons fiscales (je me base sur ce que dit la video que je vous ai mit en lien, je suis pas competant la dessus).]

          A la lecture du rapport, cela ne saute pas aux yeux. La proposition de Draghi n’est pas d’ailleurs de toucher aux régimes fiscaux, mais de faire un « marché unique des capitaux ».

          [Il y a d autres raisons plus structurelles : l’absence de fond de pension car retraite par repartition, l aversion au risque plus forte chez nous (et le tropisme immobilier) ou simplement la mauvaise reputation des actions.]

          Vous ne répondez pas à ma question. Ce que je vous demandais, ce n’est pas pourquoi les européens n’investissaient pas en capital-risque, mais pourquoi les fonds de capital-risque extérieurs à l’UE n’investissaient pas eu Europe. Si l’investissement est rentable, je ne vois pas pourquoi ils bouderaient. Et s’il ne l’est pas, alors pourquoi demander aux européens d’investir à perte ?

          [Le probleme c est que votre explication marche pour Boeing (qui est plutot un canard boiteux actuellement) mais pas pour Apple ou google.]

          Je pourrais vous répondre que si ca marche pour Boeing, cela paye les salaires des gens qui ensuite achèteront des iPhones ou des Mac, qui utiliseront les services de Google. Mais ce n’est pas à cela que je faisais allusion :

          [Comment l’état US va créer des protections pour la publicité en ligne (marche mondial) ou lancer un programme de recherche sur la publicité finance par le contribuable (les infrastructures c est totalement inutile car google a juste besoin de serveurs, pas de routes ou ponts).]

          Ah bon ? Google n’a pas besoin d’infrastructures de fibre optique, de câbles sous-marins ?
          Mais revenons à la protection. Quand les autorités américaines décident de couper le sifflet à TikTok ou à Alibaba, cela profite à qui ? Quand il décide que la cryptographie « forte » est réservée aux téléphones portables fabriqués aux USA, qui en bénéficie ?

          [« Mais vous m’avez expliqué que des entreprises comme NVIDIA sont créés par des gens qui n’ont fait qu’un obscur lycée en Oregon. Et maintenant vous me dites qu’il faut passer par « les meilleures universités » pour les développer ? Faudrait savoir… » Il y a une différence entre créer et développer. Si certains comme le créateur de Facebook n’ont pas fini leur cursus universitaire, ses employés eux ont surement des diplômes élevés.]

          Ah… le mythe de l’homme providentiel…

          [« « Pour les solutions de Draghi d apres la video :– reduire les regulations » » « Ils disent lesquelles ? » La video cite le RGPD mais c est de bonne guerre car ils vivent de la pub. L autre exemple cite c est l IA ou l UE a déjà pondu une reglementation avant d avoir le moindre deploiement a grande echelle (chat gpt pour ecrire les devoirs scolaires c est pas un deploiement)]

          C’est là où vous voyez combien « réduire les régulations » est une sorte de réflexe pavlovien. Dès qu’on demande à lister précisément quelles sont les « régulations » qui posent problème, il n’y a plus personne. La réglementation sur l’IA n’est pas encore rentrée en application. Il est donc absurde de prétendre que le retard de l’UE sur ces sujets est lié à ces régulations.

          [« la question fondamentale est qu’il faut investir plus et donc consommer moins. » Propos complément inaudible en France aujourd’hui.]

          Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’un discours appelant à consommer moins pour investir plus dans les infrastructures, dans la production nationale, dans la santé, dans l’éducation est parfaitement audible. Le problème, c’est que ceux qui appellent à « consommer moins » ne parlent pas « d’investir plus ». Ils parlent de « payer la dette », de « réduire le déficit », au mieux, d’investir « dans la transition écologique » (autrement dit dans un puits sans fond qui n’apporte rien). C’est cela qui est « inaudible » pour les couches populaires. Quant aux classes intermédiaires – et ce sont eux qui contrôlent tous les porte-voix – leur parler de réduire la consommation c’est toucher au cœur de leur raison d’être.

          Au risque de me répéter: on peut demander aux Français de se serrer la ceinture, et on a vu dans le passé que ces appels étaient entendus. Mais à une condition: leur montrer que leur sacrifice sert à quelque chose. Exiger d’eux qu’ils consomment moins pour faire plaisir à Bruxelles en passant sous la barre du 3%, cela est, en effet “inaudible”.

  9. Jean François DELAHAIS dit :

    Merci pour ce billet. Puisque comme vous l’écrivez : « aucune version dans une langue civilisée n’est disponible ». Je ne l’ai pas lu car je me sentais incapable de traduire autant de pages. Les quelques 800 mots que j’utilisais autrefois, pour lire à peu près couramment les notices technique des composants électroniques qui me permettaient de concevoir des équipements innovants, ni suffiraient pas, d’autant que j’ai dû en oublier au moins la moitié.
    Satisfaction triste et même tragique dites vous : j’éprouve pour ma part le même sentiment.
    Fin 1992, j’ai présenté devant la délégation de l’Assemblée Nationale pour les Communautés européennes un rapport « sur la situation économique des Etats membres de la Communauté et les politiques de convergence, dans la perspective de l’Union économique et monétaire ». Ce rapport de 112 pages, dont le contenu était en cohérence avec mes prises de position contre le traité de Maastricht, n’a pas convaincu la plupart des députés de la délégation.Il n’a pas été adopté mais a néanmoins été publié.
    Dans sa contribution au débat, qui figure en annexe du rapport, M. Michel PEZET, Président de la Délégation. Indiquait notamment :
    « Le présent rapport d’information présenté par M. Jean François DELAHAIS, met l’accent sur les difficultés de la mise en place de l’Union Economique et Monétaire Européenne, dans le contexte du Traité de Maastricht, en raison principalement de la diversité économique des différents pays membres et des contraintes sur l’emploi et la production que font peser les critères de convergence retenus dans le Traité. »
    « Le Traité de Maastricht lui-même permet de définir la politique économique optimale, dans la période actuelle, aussi bien pour la conduite des politiques nationales que pour leur coordination au niveau européen. Il n’y a pas d’alternative économique possible à la définition, pour les agents économiques, d’orientations à long terme crédibles qui s’intègrent dans une stratégie à moyen terme et coordonnée de recherche de la stabilité, tout en procédant aux réformes de structure nécessaires au renforcement de l’efficacité globale de l’économie. »
    « Enfin, le Traité lui-même, s’il est assez maladroit dans l’affichage de critères quantitatifs dans les domaines budgétaires et monétaires, n’est évidemment pas figé et demeure largement soumis a la négociation aussi bien pour la conduite des politiques monétaires que pour la coordination des politiques économiques (III). »
    Si les principaux concepteurs du traité savaient parfaitement ce qu’ils faisaient et ont souvent procédé avec cynisme, je peux témoigner que ce n’était pas le cas de beaucoup de députés socialistes avec qui j’ai plus ou moins échangé à cette époque. Pour résumer leur position était la suivante : « Oui le traité n’est pas parfait mais il a le mérite d’exister et on pourra toujours l’améliorer dans le futur. L’essentiel c’est qu’il fera progresser la construction européenne. »

    • Descartes dit :

      @ Jean François DELAHAIS

      [Satisfaction triste et même tragique dites-vous : j’éprouve pour ma part le même sentiment.
      Fin 1992, j’ai présenté devant la délégation de l’Assemblée Nationale pour les Communautés européennes un rapport « sur la situation économique des Etats membres de la Communauté et les politiques de convergence, dans la perspective de l’Union économique et monétaire ». Ce rapport de 112 pages, dont le contenu était en cohérence avec mes prises de position contre le traité de Maastricht, n’a pas convaincu la plupart des députés de la délégation. Il n’a pas été adopté mais a néanmoins été publié.]

      Cela me dit quelque chose… je pense que pour le relire aujourd’hui, il faut se souvenir du contexte de l’époque. L’idée que les économies européennes devaient « converger » était presque un article de foi, et les « critères de convergence » étaient affichés comme devant pousser vers cette convergence. La formule de Pezet que vous citez est assez typique de cette pensée. La vision de l’époque était que les Français allaient cesser d’être Français, les Allemands d’être Allemands, les Italiens d’être Italiens, et ainsi de suite, pour devenir tous « Européens », avec les mêmes comportements économiques, les mêmes réflexes, les mêmes aspirations et les mêmes craintes.

      Cela revenait à nier l’histoire, à ignorer que les comportements économiques des acteurs sont liés à une Weltanschauung qui résume en fait l’expérience historique de chaque peuple, et qui plonge ses racines dans le très long terme. Le comportement économique des Italiens d’aujourd’hui est marqué par une tradition marchande déjà présente à la Renaissance, la vision qu’ont les Français de l’intervention de l’Etat est déjà perceptible dans l’administration de Louis XIV. Les objectifs de politique extérieure britannique vis-à-vis du continent n’ont pas significativement varié depuis l’époque élisabéthaine. Et la peur panique de l’inflation des Allemands n’est compréhensible qu’à la lumière des crises monétaires du Saint Empire et celle des années 1920.

      Cette rigidité des structures mentales explique en grande partie pourquoi le rêve de la « convergence » ne pouvait se réaliser. Sans compter avec le fait que sans « nation européenne », toutes les tentatives de mettre en place une « Europe des transferts » qui aurait pu compenser les handicaps géopolitiques de certains territoires était impossible. Les économies ont donc continué à diverger, mettant sous tension les carcans prévus pour les forcer à la convergence.

      [Si les principaux concepteurs du traité savaient parfaitement ce qu’ils faisaient et ont souvent procédé avec cynisme, je peux témoigner que ce n’était pas le cas de beaucoup de députés socialistes avec qui j’ai plus ou moins échangé à cette époque. Pour résumer leur position était la suivante : « Oui le traité n’est pas parfait mais il a le mérite d’exister et on pourra toujours l’améliorer dans le futur. L’essentiel c’est qu’il fera progresser la construction européenne. »]

      Je n’ai pas connu beaucoup de députés socialistes de cette époque, mais j’ai fréquenté beaucoup de militants, et je veux bien vous croire. Je suis convaincu par ailleurs que les cyniques sont toujours une minorité. Car le cynisme vous oblige à assumer devant vous-mêmes la responsabilité de ce que vous faites. Il est beaucoup plus confortable de s’auto-convaincre qu’on est en train de faire le bien, ce qui d’ailleurs vous permet plus tard de vous réfugier en prétendant avoir été trompé.

      Oui, je pense que les socialistes – militants comme dirigeants – se sont pour la plupart auto-convaincus que leur vote n’était pas irréversible, qu’ils seraient en mesure de corriger les défauts du traité, et que de toute façon la « construction européenne » était un bien en soi, qui justifiait la « casse ». C’était beaucoup plus confortable que de regarder la réalité en face. Parce que ne pas le croire les aurait obligés soit d’assumer devant eux-mêmes le choix d’enfermer la France dans un carcan. Alors qu’en se persuadant qu’ils votaient un « compromis de gauche » – pour reprendre la formule d’un sénateur socialiste devenu célèbre depuis – ils se persuadaient d’être du « bon » côté de l’histoire.

      De la même manière qu’ils se sont auto-convaincus dans les années 1960 qu’un vichyste et ami de vichystes, qu’un partisan proclamé de l’Algérie française, qui en tant que ministre avait fermé les yeux sur la torture et plus tard cultivé des accointances avec l’OAS, qu’un homme avec des liens troubles avec les services américains, qu’un homme qui avait été jusqu’à organiser un attentat contre lui-même pour se faire de la publicité était le candidat idéal pour « changer la vie », les socialistes se sont auto-convaincus que Maastricht était une avancée. Que voulez-vous, l’envie de croire est le moteur le plus puissant qu’on connaisse… surtout quand la croyance va dans le sens de ses propres intérêts de classe.

      Oui, le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Mais il conduit à l’enfer quand même. C’est pourquoi je ne suis pas d’accord d’exonérer les élus socialistes de leurs responsabilités dans la signature et la ratification du traité de Maastricht au motif qu’ils étaient persuadés de faire le bien. C’était leur fonction, c’était leur mission d’analyser la situation concrète avec sérieux et sans se laisser guider par leurs croyances. En un mot, de faire preuve de clairvoyance. On les a élus pour cela. Ils ont failli à leur mission, il est juste qu’ils en portent la responsabilité.

  10. Cording1 dit :

    Bizarre, bizarre, je vous ai donné à plusieurs reprises mon adresse internet mais je ne reçois pas d’avis de vos publications. Dommage.

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [Bizarre, bizarre, je vous ai donné à plusieurs reprises mon adresse internet mais je ne reçois pas d’avis de vos publications. Dommage.]

      On y travaille, on y travaille… mais ça a l’air plus compliqué que ça d’envoyer des messages depuis le blog. Je vous demande – comme à tous mes lecteurs – un peu de patience.

  11. Rogers dit :

    Bonjour mon René,  
    Ça fait plusieurs fois que j ecoute Montebourg. Je le trouve intéressant sur la reindustrialisation mais il ne parle pas de l euro. Est-ce que vous le suivez un peu?
    Cordialement 

    • Descartes dit :

      @ Rogers

      [Ça fait plusieurs fois que j ecoute Montebourg. Je le trouve intéressant sur la reindustrialisation mais il ne parle pas de l euro. Est-ce que vous le suivez un peu?]

      Oui, je le suis, je le suis… je l’ai même rencontré à l’occasion d’une table ronde et j’ai pu discuter avec lui. Je pense qu’il est toujours aussi conscient des dégâts de l’Euro, mais il a compris (comme la plupart des politiques souverainistes) qu’il est impossible de mettre sur la table la question de l’Euro aujourd’hui. Les Français sont tellement pessimistes, tellement tétanisés par l’idée que toutes sortes de dangers les menacent, tellement méfiants vis à vis non seulement des intentions des politiques – ce n’est pas tout à fait nouveau – mais surtout de leur compétence et de leur capacité à agir intelligemment – et ça, oui, c’est nouveau – que parler d’une sortie de l’Euro qui est, il faut bien le dire, un saut dans l’inconnu, c’est pratiquement impossible.

      Nos amis britanniques ont beaucoup de défauts, mais ont une qualité: une énorme confiance dans leur capacité collective à faire face, quelque soit la menace. C’est pourquoi il a été possible chez eux de débattre sur une sortie de l’UE – et de la faire voter. Nous, on est finalement des veaux, et il faut vraiment que la situation soit critique pour qu’un sursaut apparaisse.

      • Carloman dit :

        @ Descartes,
         
        Veuillez pardonner cette intervention, mais vous écrivez:
         
        [Les Français sont tellement pessimistes, tellement tétanisés par l’idée que toutes sortes de dangers les menacent, tellement méfiants vis à vis non seulement des intentions des politiques – ce n’est pas tout à fait nouveau – mais surtout de leur compétence et de leur capacité à agir intelligemment – et ça, oui, c’est nouveau –]
        Le pessimisme est sans doute mauvais conseiller… Mais il n’est pas totalement injustifié. Le déclassement de la France, désolé de le dire, commence à être une réalité, et à se faire sentir.
        Regardez sur la scène internationale: que ce soit dans le conflit russo-ukrainien ou dans celui du Proche-Orient, la France est inaudible, notre diplomatie est à la ramasse, notre président un guignol que personne ne prend au sérieux. Nous avons tous en tête de Villepin à l’ONU disant leur quatre vérités aux Américains en 2003. Que de siècles se sont écoulés depuis…
         
        Ensuite, il y a en effet pléthore de dangers qui “nous” menacent: la société est chaque jour de plus en plus divisée, fragmentée, agressive, “plurielle”, communautarisée, tentée par l’intégrisme (religieux, écolo ou sociétale), etc. Moi, je ne reconnais plus la France (et j’ai grandi dans les années 80-90, je n’ai pas vécu sous le Second Empire). J’emmène mes gosses à l’école, et je ne sais plus, vue la tête des gens que je croise, si je suis en France, au Maroc ou au Mali.
         
        Quant aux intentions des politiques… Je pense que personne ne se fait d’illusion. Chacun sait que l’ “intention des politiques” est de servir la soupe au bloc dominant pour que les milieux économiques et les cultureux puissent continuer leurs affaires peinards – avec l’argent de nos impôts par le biais de subventions et/ou d’exonérations (mais il faut bien aller chercher ailleurs l’argent manquant…). Il n’y a que pour le RN que subsiste un doute, et encore, rien ne dit qu’il ne décevrait pas à terme ses électeurs. Mais en admettant que ce ne soit pas le cas, les Français ont eu le choix: renverser la table en donnant une majorité au RN ou continuer la politique du chien crevé au fil de l’eau. Les gens ont choisi: agoniser plutôt que d’être “fasciste”.
         
        La compétence des politiques est nulle, tout le monde le voit: entre les guignols de LFI (Guirraud faisant le malin en citant un personnage des adaptations cinématogrophiques de Tolkien, mais ce type se rend-il compte qu’il est pitoyable… en plus il a l’air d’ignorer que Tolkien était un écrivain catholique et conservateur, et qu’il se réfère donc à l’oeuvre d’un “facho”) et les bras cassés de la macronie, il n’y a pas grand-monde capable de régler les problèmes.
         
        [C’est pourquoi il a été possible chez eux de débattre sur une sortie de l’UE – et de la faire voter.]
        Le Brexit était sans doute une bonne chose… Mais le fait est qu’il n’a rien réglé. Parce qu’une fois que les problèmes redeviennent “nos” problèmes, encore faut-il avoir les élites capables de les régler. Que ce soit sur l’immigration, sur la communautarisation, sur la désindustrialisation, sur la “crise d’unité” du Royaume-Uni, je n’ai pas l’impression – vous me contredirez peut-être – que les Britanniques aient réussi à obtenir des résultats probants. Je suis favorable à un Frexit, mais si c’est pour continuer la même politique que celle qu’on a aujourd’hui, à quoi bon?
         
        [Nous, on est finalement des veaux]
        Non. Simplement, les gens ont peur de perdre ce qu’ils ont. Certains hésitent – et on peut les comprendre – à se tourner vers des partis que les journalistes, les intellectuels, les artistes, les sportifs, bref tous les gens bien comme il faut, présentent du matin au soir comme les héritiers d’Adolf Hitler. Et puis surtout, surtout, le peuple français a dit “oui” au Traité de Maastricht. Ce péché originel nous damne pour les siècles des siècles… En attendant la venue du Sauveur qui chassera les marchands européistes du temple national français.

        • Descartes dit :

          @ Carloman

          [Veuillez pardonner cette intervention, mais vous écrivez:]

          Il n’y a rien à pardonner, cher ami. Vous êtes chez vous ici, et c’est toujours un plaisir de lire et commenter vos interventions.

          [« Les Français sont tellement pessimistes, tellement tétanisés par l’idée que toutes sortes de dangers les menacent, tellement méfiants vis à vis non seulement des intentions des politiques – ce n’est pas tout à fait nouveau – mais surtout de leur compétence et de leur capacité à agir intelligemment – et ça, oui, c’est nouveau » Le pessimisme est sans doute mauvais conseiller… Mais il n’est pas totalement injustifié. Le déclassement de la France, désolé de le dire, commence à être une réalité, et à se faire sentir.]

          A mon sens, le pessimise est toujours une erreur méthodologique. Parce qu’accepter que « c’est foutu », que « il n’y a plus rien à faire », c’est se condamner à ne rien faire. Ce pessimisme est une forme de prédiction auto-réalisatrice. « Je préfère l’optimisme de la volonté au pessimisme de la raison », disait Gramsci, et je tends à être d’accord avec lui.

          Bien entendu, le déclassement de la France (et de l’Europe en général) est une réalité. Mais il est important de se convaincre que ce déclassement est le résultat de choix, et non d’une fatalité. Parce que si c’est la fatalité, alors on arrête là puisqu’il n’y a rien à faire. Tandis que si c’est le résultat de choix, on peut réfléchir à la possibilité que d’autres choix donnent des résultats différents.

          [Regardez sur la scène internationale : que ce soit dans le conflit russo-ukrainien ou dans celui du Proche-Orient, la France est inaudible, notre diplomatie est à la ramasse, notre président un guignol que personne ne prend au sérieux. Nous avons tous en tête de Villepin à l’ONU disant leurs quatre vérités aux Américains en 2003. Que de siècles se sont écoulés depuis…]

          Pas tant que ça, en fait. Parce qu’il ne faudrait pas oublier que lorsque Villepin a dit « leurs quatre vérités » aux américains, avec le soutien plein et entier du président de la République de l’époque, il n’avait pas le soutien massif du bloc dominant. Tout au contraire : relisez les journaux de l’époque, et vous trouverez le discours de la « haine de soi ». On brocardait ce Villepin qui voulait se faire plus gros que le bœuf, on exigeait que la France participe « à la solidarité occidentale », on proclamait que l’Irak ne valait pas que la France prenne le risque d’être sanctionnée par les Américains. Quand on y pense, ce sont les mêmes élites qui ont soutenu Macron, qui l’ont critiqué lorsqu’il a fait mine de garder des canaux diplomatiques ouverts avec la Russie, et qui se félicitent aujourd’hui de son alignement total sur le système OTAN/UE.

          Si la France est aujourd’hui inaudible, c’est parce qu’elle ne parle pas. Cela fait longtemps que la France n’a pas défini clairement quelle est sa ligne en matière de politique internationale, quelle est la place qu’elle entend tenir. Pour être entendu en politique internationale, il faut être capable de tenir un discours cohérent et stable dans le temps. Les girouettes sont rapidement déconsidérées.

          [Ensuite, il y a en effet pléthore de dangers qui “nous” menacent: la société est chaque jour de plus en plus divisée, fragmentée, agressive, “plurielle”, communautarisée, tentée par l’intégrisme (religieux, écolo ou sociétale), etc. Moi, je ne reconnais plus la France (et j’ai grandi dans les années 80-90, je n’ai pas vécu sous le Second Empire). J’emmène mes gosses à l’école, et je ne sais plus, vue la tête des gens que je croise, si je suis en France, au Maroc ou au Mali.]

          Oui. Mais la réaction que j’aimerais devant tous ces dangers c’est de se retrousser les manches, d’exiger des politiques qu’ils prennent des mesures adaptées à l’urgence – et de les virer s’ils ne les prennent pas – et de soutenir ces mesures. Or, qu’est-ce qu’on observe ? On a peur de la violence que produit cette société « fragmentée, divisée, agressive, communautaire », mais on a aussi peur de prendre des mesures et on refuse de soutenir ceux qui les prennent. On reproche aux politiques d’avoir ignoré les problèmes, mais on continue à voter pour les mêmes.

          [Quant aux intentions des politiques… Je pense que personne ne se fait d’illusion. Chacun sait que l’ “intention des politiques” est de servir la soupe au bloc dominant pour que les milieux économiques et les cultureux puissent continuer leurs affaires peinards – avec l’argent de nos impôts par le biais de subventions et/ou d’exonérations (mais il faut bien aller chercher ailleurs l’argent manquant…). Il n’y a que pour le RN que subsiste un doute, et encore, rien ne dit qu’il ne décevrait pas à terme ses électeurs. Mais en admettant que ce ne soit pas le cas, les Français ont eu le choix: renverser la table en donnant une majorité au RN ou continuer la politique du chien crevé au fil de l’eau. Les gens ont choisi: agoniser plutôt que d’être “fasciste”.]

          Oui. C’est bien le problème dont je parlais plus haut. Les Français n’aiment pas leur pays tel qu’il est, mais n’ont pas assez de courage, et surtout pas assez de confiance en eux-mêmes, pour le changer. Ils sont mécontents des politiques « mainstream », mais continuent à voter pour eux. On est convaincu que l’UE nous étouffe, mais on a peur d’en sortir. On sait que l’Euro est un désastre, mais on n’ose même pas débattre d’une sortie. On a tellement peur de la guerre, qu’on choisit la honte, pour reprendre l’image churchilienne.

          [La compétence des politiques est nulle, tout le monde le voit: entre les guignols de LFI (Guirraud faisant le malin en citant un personnage des adaptations cinématogrophiques de Tolkien, mais ce type se rend-il compte qu’il est pitoyable… en plus il a l’air d’ignorer que Tolkien était un écrivain catholique et conservateur, et qu’il se réfère donc à l’oeuvre d’un “facho”) et les bras cassés de la macronie, il n’y a pas grand-monde capable de régler les problèmes.]

          Certes. Mais quand il y a eu des gens compétents, intelligents, avec une vision, les gens n’ont pas voté pour eux. Pourquoi ? Parce qu’ils proposent des changements, d’explorer des voies inconnues. Et l’inconnu fait peur. Si nos élites font la politique « du chien crevé au fil de l’eau », c’est parce que les citoyens sont finalement sur cette logique.

          [Le Brexit était sans doute une bonne chose… Mais le fait est qu’il n’a rien réglé. Parce qu’une fois que les problèmes redeviennent “nos” problèmes, encore faut-il avoir les élites capables de les régler. Que ce soit sur l’immigration, sur la communautarisation, sur la désindustrialisation, sur la “crise d’unité” du Royaume-Uni, je n’ai pas l’impression – vous me contredirez peut-être – que les Britanniques aient réussi à obtenir des résultats probants. Je suis favorable à un Frexit, mais si c’est pour continuer la même politique que celle qu’on a aujourd’hui, à quoi bon?]

          Les britanniques ont au moins gagné une chose : les problèmes sont discutés à Londres, sur la place publique, et non à Bruxelles dans les bureaux feutrés de la Commission. Cela ne suffit pas pour résoudre les problèmes, je vous l’accorde. Mais c’est un pas fondamental.

          [« Nous, on est finalement des veaux » Non. Simplement, les gens ont peur de perdre ce qu’ils ont. Certains hésitent – et on peut les comprendre – à se tourner vers des partis que les journalistes, les intellectuels, les artistes, les sportifs, bref tous les gens bien comme il faut, présentent du matin au soir comme les héritiers d’Adolf Hitler.]

          Admettons. Mais quand Séguin ou Chevènement se sont présentés, il ne s’est pas trouvé grand monde pour les soutenir. Et personne n’en avait fait des héritiers d’Adolf Hitler.

          Les gens ont peur de perdre ce qu’ils ont. C’est normal, c’est compréhensible. Mais ce que les gens ne réalisent pas, c’est que l’immobilisme ne leur garantit pas de pouvoir le garder. Ce n’est pas comme si on pouvait ignorer qu’autour de nous le monde change. Marc Bloch avait déjà évoqué la question dans « l’étrange défaite » : « La voiture à âne était peut-être un mode de transport bonhomme et charmant. Mais à refuser de lui substituer, là où cela est souhaitable, l’auto, nous finirions par nous voir enlever jusqu’à nos bourricots ». Si nous voulons garder « ce que nous avons », il est indispensable de prendre des mesures pour faire face à des nouvelles menaces. Et parce que pendant trente ans on a refusé de voir les problèmes, les mesures à prendre aujourd’hui sont nécessairement dures et douloureuses.

          [Et puis surtout, surtout, le peuple français a dit “oui” au Traité de Maastricht. Ce péché originel nous damne pour les siècles des siècles… En attendant la venue du Sauveur qui chassera les marchands européistes du temple national français.]

          Le peuple français avait aussi dit « oui » à Pétain. Ca n’a pas empêché son rétablissement, d’abord en 1945, puis en 1958. Je ne crois pas au « péché originel » en histoire.

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [On a tellement peur de la guerre, qu’on choisit la honte, pour reprendre l’image churchilienne.]
            A quoi faites-vous allusion ?

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [“On a tellement peur de la guerre, qu’on choisit la honte, pour reprendre l’image churchilienne.” A quoi faites-vous allusion ?]

              Vous connaissez probablement la formule “la France avait à choisir entre la honte et la guerre, elle a choisi la honte, elle aura la guerre” qu’on attribue (sous plusieurs formes différentes d’ailleurs) à Churchill, qui aurait envoyé cette pique à Neville Chamberlain à son retour de Munich, en 1938. Ce que je voulais dire, c’est qu’on peut comprendre que les gens aient peur de perdre ce qu’ils ont, et donc de choisir des changements radicaux. Mais il faut aussi comprendre que cette peur peut nous jouer de mauvais tours, et que in fine l’immobilisme face à un monde qui change peut nous faire perdre bien plus. L’adhésion nolens volens de nos concitoyens à la construction européenne a les mêmes ressorts que le pacifisme de la fin des années 1930, c’est à dire, la peur d’agir, la croyance naïve qu’il vaut mieux se soumettre que combattre.

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [On reproche aux politiques d’avoir ignoré les problèmes, mais on continue à voter pour les mêmes.]
            On ne peut pas tout à fait dire cela. Au 1er tour des élections européennes, le seul parti proposant de changer au moins un peu de cap – le RN – est arrivé en tête dans 92% des circonscriptions, score « africain » qu’on ne peut ignorer et qui dit bien que les Français veulent autre chose que la bouillie politique qui leur est servie depuis 30 ans. Que le « système » ait réussi à ce que rien ne change, c’est une imposture qui ne dit pas son nom. Je me demande combien de temps les Français accepteront encore d’être pris pour des veaux.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« On reproche aux politiques d’avoir ignoré les problèmes, mais on continue à voter pour les mêmes. » On ne peut pas tout à fait dire cela. Au 1er tour des élections européennes, le seul parti proposant de changer au moins un peu de cap – le RN – est arrivé en tête dans 92% des circonscriptions, score « africain » qu’on ne peut ignorer et qui dit bien que les Français veulent autre chose que la bouillie politique qui leur est servie depuis 30 ans.]

              Peut-être. Mais la question n’est pas ce que les Français « veulent », mais de ce que les Français sont prêts à faire (ou à faire faire par leurs représentants). Dire « je ne suis pas content », cela ne mange pas de pain. Et c’est pourquoi on peut se permettre de voter les partis qui représentent le rejet de ce qui se fait depuis cinquante ans dans une élection qui n’a guère d’enjeu dans les faits. Mais déduire de ce vote que les Français sont prêts à mettre en selle – et ce qui est plus important, à soutenir ensuite – un gouvernement qui changera radicalement le cap… c’est une autre histoire.

              Vous le voyez bien : le RN a été obligé de mettre de l’eau dans son vin par rapport à l’UE et à l’Euro. Je ne pense pas cette conversion sincère – si c’était le cas, on n’aurait pas des silences gênés chaque fois que la question est évoquée. C’est là toute l’ambigüité des Français, que De Gaulle dénonçait déjà quand il disait « le seul révolutionnaire, c’est moi ». Les Français veulent du changement… à condition qu’il ne perturbe pas leurs habitudes.

          • Carloman dit :

            @ Descartes,
             
            [A mon sens, le pessimise est toujours une erreur méthodologique.]
            Je ne dis pas le contraire. Ce que je dis, c’est qu’il y a des raisons objectives qui nourrissent ce pessimisme. A commencer par le fait que les gens sont de plus en plus seuls: les institutions qui “créaient du collectif” – je ne sais pas comment il faut dire – sont en pleine déliquescence, que ce soit l’Eglise, la famille, la communauté de village ou de quartier, le corps de métier, le syndicat et j’en passe. C’est bien de vouloir un individu émancipé, libre, débarrassé de la pression sociale et familiale… Mais le prix à payer, c’est la solitude. Une solitiude qui, au final, vous rend impuissant, car les grandes choses se font toujours à plusieurs. Alexandre n’aurait rien fait sans les Macédoniens de sa phalange, Napoléon ne serait pas allé bien loin sans la nation française. 
             
            C’est pour moi l’erreur fondamentale de la philosophie des Lumières, qui a mis le doigt dans l’engrenage qui mène à l’individualisme forcené et à la fragmentation de la société. Parce qu’il faut dire aux gens que, s’ils veulent appartenir à une collectivité quelle qu’elle soit, ils ne peuvent être totalement libres. Il appartient à la collectivité de définir des règles, de les imposer et de châtier ceux qui les enfreignent. Sécurité (dans un sens général, et pas seulement le fait de ne pas être agressé, mais plus globalement se sentir protégé par une communauté) ou liberté, il faut choisir. On ment aux gens quand on leur fait croire qu’ils pourront avoir les deux. A la rigueur, on peut expliquer qu’on essaie de tendre vers un équilibre qui donne un peu de marge de manoeuvre aux gens, rien de plus. 
             
            [c’est se condamner à ne rien faire.]
            Sans doute. Mais vous me concéderez je pense que tout le monde n’a pas à sa disposition les leviers nécessaires pour “faire quelque chose” de véritablement efficace. Je connais vos idées sur l’utilité des combats menés individuellement, mais je dois dire que ça ne me convainc pas. Les grandes batailles ne se gagnent pas avec seulement quelques individus de bonne volonté, dispersés, agissant chacun dans son coin. Je n’y crois pas. Il faut une structure qui coordonne les efforts des personnes disposées à en faire. La Résistance ne serait pas allée bien loin pendant la Guerre si chaque petit groupe s’était contenté de faire sa besogne de son côté. Il arrive un moment où il faut se concerter, sinon on n’arrive à rien.
             
            [Mais il est important de se convaincre que ce déclassement est le résultat de choix, et non d’une fatalité.]
            Ce n’est pas une question de fatalité. Le problème est que ces “choix” ont été effectués dans un cadre démocratique, ces choix sont collectifs. Je peux être en désaccord avec ces choix et le dire, mais ces choix m’obligent d’une certaine manière… Ou bien il me faut sortir du cadre démocratique. Que conseilleriez-vous à un nationaliste épris de souveraineté et de grandeur? De se soumettre à un verdict des urnes qui mène au démantèlement de la France, ou de mettre sur pied des corps francs et de tenter le tout pour le tout? Les patriotes ne pourront pas éternellement éluder cette question.
             
            [Tout au contraire : relisez les journaux de l’époque, et vous trouverez le discours de la « haine de soi ». On brocardait ce Villepin qui voulait se faire plus gros que le bœuf, on exigeait que la France participe « à la solidarité occidentale », on proclamait que l’Irak ne valait pas que la France prenne le risque d’être sanctionnée par les Américains.]
            Ce n’est pas faux. Mais une partie non-négligeable de l’opinion a soutenu Chirac et de Villepin. Et les gains en terme de prestige international ont été importants. Quinze ans après, Poutine admirait encore Chirac pour avoir osé tenir tête à l’Oncle Sam. Et il n’était sans doute pas le seul. Je n’ai jamais aimé Chirac, mais je pense qu’il avait une qualité: il ne doutait pas de sa légitimité à prendre certaines décisions, et il avait une relative confiance dans la force du pays.
             
            [Si la France est aujourd’hui inaudible, c’est parce qu’elle ne parle pas.]
            Si elle ne parle pas, c’est peut-être tout simplement qu’elle n’a rien à dire.
             
            [Cela fait longtemps que la France n’a pas défini clairement quelle est sa ligne en matière de politique internationale, quelle est la place qu’elle entend tenir.]
            Une place particulière dans le concert des nations, cela se construit progressivement, à partir d’une histoire. En quelques décennies, la France a perdu ce qu’elle avait mis des siècles à obtenir. Il ne faut pas tromper les gens: on ne pourra pas rebâtir si facilement une influence diplomatique digne de ce nom. D’autant qu’il faudrait redevenir une grande puissance militaire – en se dotant par exemple d’un deuxième porte-avions – et cela a un coût que notre situation économique nous permet difficilement d’envisager.
             
            [On a peur de la violence que produit cette société « fragmentée, divisée, agressive, communautaire », mais on a aussi peur de prendre des mesures et on refuse de soutenir ceux qui les prennent.]
            Ne sous-estimons pas le “chacun pour soi” qui règne dans ce pays, fruit de l’individualisme forcené que je dénonçais plus haut. Vous avez raison, les gens ont peur… mais chacun espère être en mesure d’échapper au chaos, les uns grâce à leur argent, d’autres en déménageant à la campagne, d’autres encore en s’intégrant à une communauté qu’ils croient capable de les protéger, etc.
             
            [Les Français n’aiment pas leur pays tel qu’il est, mais n’ont pas assez de courage, et surtout pas assez de confiance en eux-mêmes, pour le changer.]
            Je suis d’accord. Mais outre les Français eux-mêmes, qui ont leur part de responsabilité, il faut quand même reconnaître que le bloc dominant se livre à un matraquage idéologique permanent sur la médiocrité française, sur les pages sombres de son histoire, les crimes commis par ses dirigeants, ses généraux, et ainsi de suite. Lorsqu’un peuple est à ce point trahi par ses élites, il lui devient difficile au bout d’un moment d’avoir une image valorisante de lui-même. En toute franchise, il m’arrive moi-même d’être déstabilisé devant ce flot de haine anti-française – qui vise tout particulièrement les Français “de souche” – qui jamais ne se tarit. Et pourtant, je crois connaître un peu l’histoire de mon pays. Alors j’imagine pour ceux qui ont moins de connaissances. Vous citiez Gramsci. Peut-être qu’à la décharge des Français faut-il invoquer “l’hégémonie culturelle” du bloc dominant. Et comme la fragmentation de la société, liée à l’approfondissement du capitalisme, rend difficile la création d’une “contre-culture”, oeuvre nécessairement collective… 
             
            Pour le dire autrement, même s’ils le voulaient, les nationalistes ne pourraient pas créer une “contre-société” comme les communistes avaient réussi un temps à le faire.
             
            [Ils sont mécontents des politiques « mainstream », mais continuent à voter pour eux.]
            Pas tous tout de même. Le RN obtient 30-35 % des voix. On ne saurait accuser ces électeurs de “continuer à voter” pour les mêmes.
             
            [Si nos élites font la politique « du chien crevé au fil de l’eau », c’est parce que les citoyens sont finalement sur cette logique.]
            Si les citoyens sont sur cette logique, c’est aussi parce que le bloc dominant a travaillé avec soin à répéter qu’il n’y avait pas d’alternative. Rappelons les faits: en 2005, les Français ont eu le courage de dire “non” au Traité constitutionnel européen. Je sais bien que le Traité de Lisbonne n’est pas constitutionnel, mais de fait, on a eu l’impression que, passant outre le vote des Français, la construction européenne devait malgré tout se poursuivre. Or, je suis désolé, mais après le référendum de 2005, il aurait fallu remettre sur la table la question de la construction européenne dans son ensemble. Cela n’a pas été fait au nom du principe que “la construction européenne, c’est le sens de l’histoire”. Et on peut appliquer cela à d’autres domaines: l’immigration? “Ah bah oui, mais on est riche et vieillissant, les Africains seront 2 milliards à la fin du siècle, c’est inévitable qu’ils continuent à venir”. La place de la France dans le monde? “Ah bah la France est un petit pays, hein, qui pèse si peu face à la Chine, l’Inde, les Etats-Unis”. Et ce discours-là se décline en permanence dans les journaux, à la télévision, à la radio. Vous dites que ce n’est pas une fatalité. Vous avez raison, mais reconnaissez que le bloc dominant – jusque dans les programmes scolaires je puis en témoigner – fait ce qu’il faut pour convaincre le Français lambda que c’en est une… Et il manque une organisation puissante, structurée, pour diffuser un autre discours. On en revient à la fragmentation de la société. 
             
            [Mais quand Séguin ou Chevènement se sont présentés, il ne s’est pas trouvé grand monde pour les soutenir. Et personne n’en avait fait des héritiers d’Adolf Hitler.]
            Si vous saviez… Je me souviens qu’en 2002, lors de la candidature de Chevènement, une amie m’avait dit: “tu comprends, il parle d’autorité, pour moi il est de droite”. Et dans sa bouche, croyez-moi, “être de droite”, c’était pas loin d’être facho…
             
            [Et parce que pendant trente ans on a refusé de voir les problèmes, les mesures à prendre aujourd’hui sont nécessairement dures et douloureuses.]
            Il y a là un autre problème: êtes-vous sûr que, même parmi ceux qui pensent que des mesures “dures et douloureuses” s’imposent, il y a consensus sur lesdites mesures? 
            Prenons un exemple: vous et moi, au pouvoir, nous ne prendrions pas forcément les mêmes mesures. Vous commenceriez je suppose par des mesures d’ordre économique (mesures protectionnistes, nationalisations ou renationalisations de certaines entreprises, taxes sur le capital…), alors que moi je commencerais par des mesures sécuritaires et “identitaires” (interdiction de la double nationalité, suppression de l’accès à la nationalité française pour tout ressortissant d’un état ayant été colonie ou protectorat français, suppression de la plupart des exemptions aux poursuites pénales pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour d’étrangers irréguliers contenues dans l’article L823-9, limitation drastique des aides sociales pour les étrangers, etc) dont certaines ne seraient probablement pas à votre goût.
             
            Enfin, permettez-moi de vous dire que nos dirigeants s’apprêtent à prendre des mesures “dures et douloureuses”… mais pour certains seulement!
             
            [Le peuple français avait aussi dit « oui » à Pétain.]
            Je ne crois pas. Disons que Pétain a réussi quelques temps à se grimer en “Sauveur de la nation” justement… avant que l’imposture ne se révèle progressivement. Mais en 1940, le peuple français est surtout tétanisé par la défaite, ce qui ne lui a pas vraiment laissé la possibilité de donner un consentement “libre et éclairé” selon la formule à la mode. Je n’ai pas souvenir que Pétain ait été élu, ni même qu’il ait fait ratifier sa prise de pouvoir par quelque plébiscite que ce soit. 

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Je ne dis pas le contraire. Ce que je dis, c’est qu’il y a des raisons objectives qui nourrissent ce pessimisme.]

              Qu’il y ait des raisons objectives pour nourrir un pessimisme factuel, je suis d’accord. L’horizon qui se présente à nous, si rien ne change, n’a rien d’affriolant. Mais je comprends moins le pessimisme quant à nos capacités à agir. Non seulement le passé nous montre les immenses atouts de notre pays lorsqu’il a fallu rebondir, mais des faits récents – je pense aux jeux olympiques avec leur organisation impeccable – montrent que nous avons encore cette capacité collective. Alors, pourquoi ce pessimisme ?

              Je pense qu’il faut prendre conscience que le discours de la « haine de soi » est performatif. S’il est complaisamment relayé, c’est parce qu’il nous encourage à la passivité et organise donc notre impuissance collective. A force de répéter que nous ne sommes bons à rien, on finit par le croire, et parce que nous le croyons nous finissons par l’être.

              [A commencer par le fait que les gens sont de plus en plus seuls: les institutions qui “créaient du collectif” – je ne sais pas comment il faut dire – sont en pleine déliquescence, que ce soit l’Eglise, la famille, la communauté de village ou de quartier, le corps de métier, le syndicat et j’en passe. C’est bien de vouloir un individu émancipé, libre, débarrassé de la pression sociale et familiale… Mais le prix à payer, c’est la solitude. Une solitude qui, au final, vous rend impuissant, car les grandes choses se font toujours à plusieurs. Alexandre n’aurait rien fait sans les Macédoniens de sa phalange, Napoléon ne serait pas allé bien loin sans la nation française.]

              Je suis d’accord avec vous sur ce point. C’est pourquoi je me suis battu toute ma vie contre ceux qui tenaient un discours anti-institutionnel, qui répétaient bêtement la formule rousseauiste selon laquelle l’homme est bon et c’est la société qui le corrompt. Mais nous avons encore des anticorps puissants contre cette individualisation. Je reviens à l’organisation des jeux olympiques, qui restera je pense comme l’illustration de notre capacité à faire collectivement. Je pense que l’engouement que ces jeux on suscité montrent aussi que le balancier est en train de revenir, qu’après avoir goûté les excès de « l’individu-île », les individus eux-mêmes commencent à réaliser quel est le prix de ce splendide isolement. C’est peut-être maintenant le moment de créer de nouvelles institutions ou de ressusciter les anciennes pour accueillir le retour du balancier.

              [C’est pour moi l’erreur fondamentale de la philosophie des Lumières, qui a mis le doigt dans l’engrenage qui mène à l’individualisme forcené et à la fragmentation de la société. Parce qu’il faut dire aux gens que, s’ils veulent appartenir à une collectivité quelle qu’elle soit, ils ne peuvent être totalement libres. Il appartient à la collectivité de définir des règles, de les imposer et de châtier ceux qui les enfreignent.]

              Je ne suis pas du tout d’accord avec votre lecture des Lumières. La philosophie des Lumières parle d’individus libres dans leur tête, c’est-à-dire, débarrassés des préjugés – notamment religieux – et capables de penser rationnellement. L’objectif des Lumières n’était pas d’amener le règne de l’individu-roi, mais de substituer aux institutions fondées sur l’habitude ou la croyance des institutions fondées sur la Raison. Vous noterez d’ailleurs que les Lumières ont été un mouvement profondément « instituant », qui a laissé derrière une œuvre institutionnelle dont nous profitons encore aujourd’hui. Et même lorsqu’il s’agit des droits individuels, les révolutionnaires de 1789, pourtant imprégnés des Lumières, ont été très réticents à en faire des droits absolus. Il est d’ailleurs révélateur comment l’énoncé des droits dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen contient à chaque fois un « mais » qui les empêche de devenir absolus. Prenez par exemple la propriété : c’est « un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé » SAUF « lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Ou bien « la liberté consiste à pouvoir faire tout » SAUF « ce qui nuit à autrui ». On est loin de la vision d’un individu-roi.

              Je pense en fait que vous confondez ici l’héritage des Lumières avec celui du romantisme. C’est avec ce dernier qu’apparait l’image de l’individu-roi, qui doit se libérer de toute institution pour réaliser son plein potentiel.

              [Sécurité (dans un sens général, et pas seulement le fait de ne pas être agressé, mais plus globalement se sentir protégé par une communauté) ou liberté, il faut choisir. On ment aux gens quand on leur fait croire qu’ils pourront avoir les deux. A la rigueur, on peut expliquer qu’on essaie de tendre vers un équilibre qui donne un peu de marge de manœuvre aux gens, rien de plus.]

              Je suis d’accord. Mais vous êtes là dans la droite ligne de l’esprit des Lumières. C’est le romantisme, et non les Lumières, que vous rejetez…

              [Sans doute. Mais vous me concéderez je pense que tout le monde n’a pas à sa disposition les leviers nécessaires pour “faire quelque chose” de véritablement efficace. Je connais vos idées sur l’utilité des combats menés individuellement, mais je dois dire que ça ne me convainc pas. Les grandes batailles ne se gagnent pas avec seulement quelques individus de bonne volonté, dispersés, agissant chacun dans son coin. Je n’y crois pas. Il faut une structure qui coordonne les efforts des personnes disposées à en faire. La Résistance ne serait pas allée bien loin pendant la Guerre si chaque petit groupe s’était contenté de faire sa besogne de son côté. Il arrive un moment où il faut se concerter, sinon on n’arrive à rien.]

              Mais qu’est ce qui nous empêche de nous concerter ? C’est là un levier qui est à la disposition de chacun d’entre nous. Pourquoi ce que les groupes de résistants on fait entre 1940 et 1944, dans un contexte bien plus difficile, serait impossible aujourd’hui ?

              C’est pour cette raison que je rejette votre idée selon laquelle « nous n’avons pas les leviers pour faire quelque chose de véritablement efficace ». Si, nous avons ces leviers. Et nous ne les mobilisons pas pour diverses raisons : par paresse, par conformisme, par fatigue, parce que nous cédons au discours ambiant. Mais il faut arrêter de tenir le discours de l’impuissance : les leviers existent, et nous pourrions les utiliser.

              [Ce n’est pas une question de fatalité. Le problème est que ces “choix” ont été effectués dans un cadre démocratique, ces choix sont collectifs. Je peux être en désaccord avec ces choix et le dire, mais ces choix m’obligent d’une certaine manière… Ou bien il me faut sortir du cadre démocratique. Que conseilleriez-vous à un nationaliste épris de souveraineté et de grandeur ? De se soumettre à un verdict des urnes qui mène au démantèlement de la France, ou de mettre sur pied des corps francs et de tenter le tout pour le tout ? Les patriotes ne pourront pas éternellement éluder cette question.]

              Je ne proposerais ni l’un, ni l’autre. Les deux conduisent à mon sens à l’échec : se soumettre, c’est se résigner à ne plus peser sur les évènements, mettre sur pied des corps francs et tenter le tout pour le tout c’est affronter l’ensemble de nos concitoyens, qui de toute évidence ne veulent pas aujourd’hui une politique « de souveraineté et de grandeur », ou s’ils la veulent ne sont pas prêts à en payer le prix.

              Ce que je proposerais, c’est quelque chose de beaucoup moins exaltant : c’est de continuer un obscur combat quotidien, pied à pied, pour faire exister ces idées, les diffuser, les faire connaître et surtout de forger les instruments qui le jour de demain, lorsqu’une crise adviendra et que le rapport de forces sera favorable, permettront de se saisir de la situation. Cela ne vous convaincra pas, mais celui qui vous parle puise dans l’expérience de générations de militants qui ont consacré leur effort à l’avènement d’une révolution qu’ils n’espéraient pas vraiment voir advenir de leur vivant.

              [Ce n’est pas faux. Mais une partie non-négligeable de l’opinion a soutenu Chirac et de Villepin.]

              Oui. La partie la plus populaire, la plus éloignée des élites. Et ce n’est pas une coïncidence.

              [Et les gains en terme de prestige international ont été importants. Quinze ans après, Poutine admirait encore Chirac pour avoir osé tenir tête à l’Oncle Sam. Et il n’était sans doute pas le seul. Je n’ai jamais aimé Chirac, mais je pense qu’il avait une qualité : il ne doutait pas de sa légitimité à prendre certaines décisions, et il avait une relative confiance dans la force du pays.]

              Tout à fait d’accord. C’est cet esprit là qu’il s’agit de reconstruire.

              [« Si la France est aujourd’hui inaudible, c’est parce qu’elle ne parle pas. » Si elle ne parle pas, c’est peut-être tout simplement qu’elle n’a rien à dire.]

              En tout cas, le bloc dominant qui s’exprime en son nom n’a rien à dire, ou en tout cas, rien de différent de ce qu’on peut entendre à Washington ou à Bruxelles. C’est bien là le problème.

              [« Cela fait longtemps que la France n’a pas défini clairement quelle est sa ligne en matière de politique internationale, quelle est la place qu’elle entend tenir. » Une place particulière dans le concert des nations, cela se construit progressivement, à partir d’une histoire. En quelques décennies, la France a perdu ce qu’elle avait mis des siècles à obtenir. Il ne faut pas tromper les gens: on ne pourra pas rebâtir si facilement une influence diplomatique digne de ce nom.]

              Tout à fait d’accord. Là où je ne suis pas d’accord, c’est lorsqu’on glisse du « on ne pourra pas facilement » vers « on ne pourra pas ».

              [D’autant qu’il faudrait redevenir une grande puissance militaire – en se dotant par exemple d’un deuxième porte-avions – et cela a un coût que notre situation économique nous permet difficilement d’envisager.]

              Là encore, je ne suis pas d’accord. Notre « situation économique » a bon dos. On n’a pas de quoi se payer un deuxième porte-avions, mais on peut jeter des milliards dans la balance pour faire plaisir à tel ou tel lobby. Combien nous a couté la guerre en Ukraine ? Et qu’avons-nous gagné ?

              Bien sûr, on ne peut pas TOUT se payer. Il s’agit de faire des priorités. Et s’il me faut renoncer à mes RTT pour que la France retrouve sa grandeur, je suis volontaire.

              [Ne sous-estimons pas le “chacun pour soi” qui règne dans ce pays, fruit de l’individualisme forcené que je dénonçais plus haut. Vous avez raison, les gens ont peur… mais chacun espère être en mesure d’échapper au chaos, les uns grâce à leur argent, d’autres en déménageant à la campagne, d’autres encore en s’intégrant à une communauté qu’ils croient capable de les protéger, etc.]

              Vous me rappelez cette formule utilisée en 1938 qui caractérisait la politique « d’apaisement » comme le fait de jeter ses amis aux crocodiles en espérant être mangé en dernier…

              [Je suis d’accord. Mais outre les Français eux-mêmes, qui ont leur part de responsabilité, il faut quand même reconnaître que le bloc dominant se livre à un matraquage idéologique permanent sur la médiocrité française, sur les pages sombres de son histoire, les crimes commis par ses dirigeants, ses généraux, et ainsi de suite. Lorsqu’un peuple est à ce point trahi par ses élites, il lui devient difficile au bout d’un moment d’avoir une image valorisante de lui-même.]

              Tout à fait. Le discours de la « haine de soi » n’est pas qu’une simple opinion, c’est une arme de combat. Être fier de votre héritage vous conduit à avoir envie de le défendre. Détruire la conscience qu’un groupe peut avoir de sa propre histoire, et donc de sa propre force, c’est la meilleure manière de le rendre docile.

              [En toute franchise, il m’arrive moi-même d’être déstabilisé devant ce flot de haine anti-française – qui vise tout particulièrement les Français “de souche” – qui jamais ne se tarit. Et pourtant, je crois connaître un peu l’histoire de mon pays. Alors j’imagine pour ceux qui ont moins de connaissances.]

              Je dois dire qu’aujourd’hui, lorsque j’entends un discours de haine contre les « français de souche », je me sens visé, alors que je n’en suis pas un. Ce qui quelquefois donne des dialogues loufoques, lorsque mon interlocuteur connait mes origines et pense me faire plaisir en m’excluant sur le mode « mais je ne parle pas de vous, vous n’êtes pas d’ici ». Si je voulais être polémique, je dirais que je me suis vu contester plus souvent mon statut de « français » par des gentils gauchistes qui pensaient me faire plaisir en me traitant d’étranger que par des horribles xénophobes qui voulaient me pousser dehors.

              Ce flot de haine me dérange, m’énerve, me blesse… mais ne me « déstabilise » pas. Je ne doute pas que Napoléon ou Colbert soient des grands hommes, quelque soient leurs travers. Parce que même s’ils ne l’étaient pas, je pense qu’il est utile de le croire, que cela fait partie des fictions nécessaires.

              [Vous citiez Gramsci. Peut-être qu’à la décharge des Français faut-il invoquer “l’hégémonie culturelle” du bloc dominant. Et comme la fragmentation de la société, liée à l’approfondissement du capitalisme, rend difficile la création d’une “contre-culture”, oeuvre nécessairement collective…]

              Bien entendu. Ne pensez pas que ma critique renferme un quelconque rejet, que « j’en voudrais » aux Français de ces errements. Comme vous le savez, j’aime trop ce pays et ses gens pour cela. Plus qu’un sujet de colère, c’est pour moi un sujet de désolation. Mais je comprends parfaitement – comment pourrait-il autrement, étant marxiste – que les gens sont aussi déterminés par des rapports de force qui les dépassent.

              [Pour le dire autrement, même s’ils le voulaient, les nationalistes ne pourraient pas créer une “contre-société” comme les communistes avaient réussi un temps à le faire.]

              Bien entendu. Les communistes ont pu créer cette « contre-société » parce qu’ils bénéficiaient d’un rapport de forces entre les classes sociales relativement favorable. Ce système s’est délité lorsque le rapport de forces a changé. Aujourd’hui, et même si les choses bougent un peu, le rapport de forces reste radicalement défavorable aux classes qui auraient un intérêt à un retour de la nation…

              [« Ils sont mécontents des politiques « mainstream », mais continuent à voter pour eux. » Pas tous tout de même. Le RN obtient 30-35 % des voix. On ne saurait accuser ces électeurs de “continuer à voter” pour les mêmes.]

              Oui, mais 70% continuent à voter mainstream. Et je crains que si le RN veut arriver au pouvoir, il ne lui reste d’autre voie que de devenir « mainstream » lui-même. Pensez à la sourdine mise sur les questions comme l’Euro…

              [« Si nos élites font la politique « du chien crevé au fil de l’eau », c’est parce que les citoyens sont finalement sur cette logique. » Si les citoyens sont sur cette logique, c’est aussi parce que le bloc dominant a travaillé avec soin à répéter qu’il n’y avait pas d’alternative.]

              Bien entendu. Et plus encore : non seulement le bloc dominant a répété qu’il n’y avait pas d’alternative, il l’a montré dans les faits. Tout revient finalement au rapport de forces.

              [ Vous dites que ce n’est pas une fatalité. Vous avez raison, mais reconnaissez que le bloc dominant – jusque dans les programmes scolaires je puis en témoigner – fait ce qu’il faut pour convaincre le Français lambda que c’en est une… Et il manque une organisation puissante, structurée, pour diffuser un autre discours. On en revient à la fragmentation de la société.]

              Je vous l’accorde.

              [« Mais quand Séguin ou Chevènement se sont présentés, il ne s’est pas trouvé grand monde pour les soutenir. Et personne n’en avait fait des héritiers d’Adolf Hitler. » Si vous saviez… Je me souviens qu’en 2002, lors de la candidature de Chevènement, une amie m’avait dit: “tu comprends, il parle d’autorité, pour moi il est de droite”. Et dans sa bouche, croyez-moi, “être de droite”, c’était pas loin d’être facho…]

              Eh oui… quand on pense au scandale qu’il avait provoqué en qualifiant les jeunes des quartiers de « sauvageons ». A la lumière des derniers développements, je me demande ce que dirait votre amie aujourd’hui…

              [« Et parce que pendant trente ans on a refusé de voir les problèmes, les mesures à prendre aujourd’hui sont nécessairement dures et douloureuses. » Il y a là un autre problème: êtes-vous sûr que, même parmi ceux qui pensent que des mesures “dures et douloureuses” s’imposent, il y a consensus sur lesdites mesures ?]

              Un consensus global, probablement pas. Mais suffisamment pour en faire un programme.

              [Prenons un exemple : vous et moi, au pouvoir, nous ne prendrions pas forcément les mêmes mesures. Vous commenceriez je suppose par des mesures d’ordre économique (mesures protectionnistes, nationalisations ou renationalisations de certaines entreprises, taxes sur le capital…), alors que moi je commencerais par des mesures sécuritaires et “identitaires” (interdiction de la double nationalité, suppression de l’accès à la nationalité française pour tout ressortissant d’un état ayant été colonie ou protectorat français, suppression de la plupart des exemptions aux poursuites pénales pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour d’étrangers irréguliers contenues dans l’article L823-9, limitation drastique des aides sociales pour les étrangers, etc) dont certaines ne seraient probablement pas à votre goût.]

              Je ne crois pas que cela se pose dans ces termes. Quand vous dites « vous commenceriez par… » vous transformez une priorité de fond en une priorité temporelle. Oui, je pense que les mesures économiques ont une portée bien plus large et plus profonde que les mesures d’ordre sociétal, et en ce sens je les pense prioritaires. Mais cela n’implique nullement de renoncer aux unes pour implémenter les autres, et encore moins de les laisser « pour plus tard ».

              Maintenant, prenons les mesures que vous pensez « prioritaires ». Pourquoi pensez-vous qu’elles « ne seraient pas à mon goût » ? La suppression de la double nationalité ? J’ai défendu cette idée toute ma vie (et j’ai autant plus de mérite que j’en bénéficie, à mon corps défendant). Suppression des exemptions de poursuites ? Je suis d’accord, même si la liste peut être discutée. Limitation drastique des aides sociales pour les étrangers ? Je suis d’accord du moins après une période de carence, car le but est de pousser les étrangers à l’assimilation. Finalement, la seule qui « n’est pas de mon goût » est l’impossibilité pour un ressortissant d’une ancienne colonie de prendre la nationalité française, qui me semble relever d’une punition collective. Vous voyez, un programme minimum n’est pas impossible…

              [Enfin, permettez-moi de vous dire que nos dirigeants s’apprêtent à prendre des mesures “dures et douloureuses”… mais pour certains seulement!]

              Bonne remarque…

              [« Le peuple français avait aussi dit « oui » à Pétain. » Je ne crois pas. Disons que Pétain a réussi quelques temps à se grimer en “Sauveur de la nation” justement… avant que l’imposture ne se révèle progressivement.]

              Je pense que c’est beaucoup plus profond que ça. Il n’y a pas eu « d’imposture ». Pétain représentait une certaine France, cette « petite France » qui ne regarde que ce qui se passe dans son petit « pays », qui ne songe qu’à ses petits intérêts, qui regrette que le monde change. Cette France paysanne, conservatrice, traditionnaliste, méfiante de tout ce qui est nouveau et qui vient d’ailleurs. Cette France qui est ravie de laisser aux autres les grandes affaires du monde, pourvu qu’on lui laisse jouir de son bien en paix. C’est à cette « petite France » que l’immense majorité des Français ont adhéré en 1940.

              Si les Français se détournent progressivement de Pétain, c’est que le régime présidé par le Maréchal se montre incapable de protéger cette « petite France ». Les prélèvements de l’Allemagne deviennent pesants, et le STO sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Si l’Allemagne nazie s’était contentée de « neutraliser » la France et de l’intégrer au « nouvel ordre » européen sous sa direction, l’histoire serait toute autre…

            • Bob dit :

              @ Carloman
               
               
              [Lorsqu’un peuple est à ce point trahi par ses élites].
               
               
              Je suis en train de lire “Le grand abandon: Les élites françaises et l’islamisme” de Yves Mamou.
              Si vous ne l’avez pas lu, je pense que ce livre devrait vous intéresser ; si vous l’avez lu, qu’en avez-vous pensé ?

            • Carloman dit :

              @ Bob,
               
              [Si vous ne l’avez pas lu, je pense que ce livre devrait vous intéresser ; si vous l’avez lu, qu’en avez-vous pensé ?]
              Je ne l’ai pas lu, mais je note la référence, merci.

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            Merci pour cet éclairage. Ma question était trop imprécise. Oui, je connaissais la formule attribuée à Churchill ; je me demandais si vous aviez en tête une situation concrète.

        • Manchego dit :

          @ Carloman
          ***Moi, je ne reconnais plus la France (et j’ai grandi dans les années 80-90, je n’ai pas vécu sous le Second Empire). J’emmène mes gosses à l’école, et je ne sais plus, vue la tête des gens que je croise, si je suis en France, au Maroc ou au Mali.***
          Je comprend votre désarroi et votre tristesse, mais même avec “ces gens” le taux de fécondité était de 1,68 enfant par femme en 2023, donc en dessous du seuil de renouvellement des générations (et probablement qu’il aurait été encore plus bas sans “ces gens”).  https://www.insee.fr/fr/statistiques/7750004#:~:text=En%202023%2C%20678%20000%20b%C3%A9b%C3%A9s,apr%C3%A8s%201%2C79%20en%202022.
          Ce déclin démographique n’est-il pas plus inquiétant que la couleur du faciès de “ces gens” ?
          Je crois que oui, car un pays qui vieillit se sclérose, il s’arc-boute frileusement sur son épargne, il veut des retraites et des services publiques, mais tout çà ne peut pas fonctionner sans création de richesse, et donc sans un renouvellement des générations. Pour renouveler les générations, l’idéal serait que les françaises fassent des enfants, mais force est de constater que l’évolution des moeurs ne va pas en ce sens (et c’est vrai dans tous les pays développés). Le MEDEF a bien compris le problème, certes ils sont cyniques et tirent les salaires vers le bas via l’immigration, mais je crois qu’ils sont avant tout pragmatiques.
           

          • Descartes dit :

            @ Manchego

            [Je crois que oui, car un pays qui vieillit se sclérose, il s’arc-boute frileusement sur son épargne, il veut des retraites et des services publiques, mais tout çà ne peut pas fonctionner sans création de richesse, et donc sans un renouvellement des générations.]

            Je ne partage pas cette analyse. Je trouve d’ailleurs curieuse l’idée que le déclin démographique serait une catastrophe. Si on généralise ce raisonnement, si tous les pays visent une augmentation continue de la population, on arrivera nécessairement à un moment où la planète ne pourra plus soutenir tous ses habitants. A mon sens, le progrès s’accompagne entraîne nécessairement une baisse de la fécondité, avec une stabilisation ou un lent recul de la population globale. Il faut se préparer à ce bouleversement, qui n’a rien de tragique. La question de la durée de la vie active, en particulier, mériterait un véritable débat.

            Je m’insurge aussi sur l’idée, à mon avis fausse, que la jeunesse est symbole de dynamisme et que le vieillissement du pays entraîne nécessairement une sclérose. Si la fraîcheur de la jeunesse apporte quelque chose, l’expérience des aînés elle aussi a sa place.

            • Manchego dit :

              @ Descartes
              Je ne suis pas totalement en désaccord avec ce que vous dites, la population ne peut pas croitre sans limite, et bien sur l’expérience des ainés est une force qui doit être transmise aux nouvelles générations. Mais le déclin démographique aurait des conséquences économiques s’il s’avérait, comme on peut le craindre, trop brutal. A court terme on ferait des économies (il y aurait à priori moins de dépenses pour les crèches et l’éducation….), il pourrait même y avoir une hausse temporaire du niveau de vie si on est moins nombreux à se partager un gâteau dont la taille serait stabilisée par les progrès technologiques et l’automatisation,  mais à moyen terme la régression serait forte je crois et c’est tout notre mode de vie et notre système social qui seraient mis à l’épreuve. Par exemple, la retraite par répartition ne peut pas tenir avec un déséquilibre démographique (il ne peut pas y avoir plus de pensionnés que de cotisants), et même avec un système par capitalisation il faut impérativement des jeunes pour créer des richesses et assurer des services. Si les Chinois sont sortis de la politique de l’enfant unique c’est parce qu’ils ont vu qu’il n’est pas facile de fonctionner avec une population qui vieillit et se rétracte.
              Depuis que homo sapiens est sur terre, sa population n’a cessée de croitre et c’est sans doute une des raisons de sa survie et de son évolution. Mais comme vous le dites, cette croissance ne peut pas être infinie et peut-être arrivons nous à la limite ? Si oui, comment on s’adapte ? Dans le cadre actuel ou dans un autre système ?
               

            • Descartes dit :

              @ Manchego

              [Je ne suis pas totalement en désaccord avec ce que vous dites, la population ne peut pas croitre sans limite, et bien sur l’expérience des ainés est une force qui doit être transmise aux nouvelles générations. Mais le déclin démographique aurait des conséquences économiques s’il s’avérait, comme on peut le craindre, trop brutal.]

              Bien entendu. Il s’agit donc de le gérer, de le préparer, de faire en sorte qu’il soit très graduel pour pouvoir gérer correctement la pyramide des âges.

              [Par exemple, la retraite par répartition ne peut pas tenir avec un déséquilibre démographique (il ne peut pas y avoir plus de pensionnés que de cotisants), et même avec un système par capitalisation il faut impérativement des jeunes pour créer des richesses et assurer des services.]

              Qu’elle soit par répartition ou par capitalisation, le problème est le même : les biens dont les retraités jouissent doivent être produits par des actifs. Vous avez raison, il ne faut pas une décroissance démographique trop rapide, mais on a aussi d’autres leviers : la productivité et la durée de la période active…

              [Depuis que homo sapiens est sur terre, sa population n’a cessée de croitre et c’est sans doute une des raisons de sa survie et de son évolution. Mais comme vous le dites, cette croissance ne peut pas être infinie et peut-être arrivons nous à la limite ? Si oui, comment on s’adapte ? Dans le cadre actuel ou dans un autre système ?]

              Aujourd’hui, nous pouvons le gérer parce que nous ne sommes plus dans une économie de pénurie. Avec plusieurs millions de chômeurs, notre problème n’est pas le manque de bras…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              Je ne devrais pas intervenir… mais vous m’avez dit: “vous êtes ici chez vous”. Vous avez peut-être commis une erreur;)
               
              [Je ne partage pas cette analyse. Je trouve d’ailleurs curieuse l’idée que le déclin démographique serait une catastrophe. Si on généralise ce raisonnement, si tous les pays visent une augmentation continue de la population, on arrivera nécessairement à un moment où la planète ne pourra plus soutenir tous ses habitants. A mon sens, le progrès s’accompagne entraîne nécessairement une baisse de la fécondité, avec une stabilisation ou un lent recul de la population globale.]
              Je voudrais à ce sujet faire deux remarques:
              1) D’abord, “déclin démographique” et “stabilisation de la population”, ce n’est pas tout à fait la même chose. Oui à la stabilisation démographique parce que, comme vous le dites, la population humaine ne saurait croître ad aeternam dans un monde fini. Mais le déclin démographique, c’est-à-dire la baisse significative de la population, je dis non. Et pas tellement pour des raisons économiques et sociales, parce que je pense qu’en effet des adaptations sont possibles. Mais pour des raisons que je qualifierais de philosophiques: une société qui n’appelle plus d’enfants à la vie – ou qui en appelle trop peu – est une société qui, d’une certaine manière, tourne le dos à la belle idée de transmission. Parce que la transmission, ça passe aussi par transmettre la vie… Pour stabiliser une population et assurer le renouvellement des générations, il faut avoir un indice conjoncturel de fécondité (ICF) de 2,1 enfants/femme. Jusqu’à l’aube des années 2020, la France n’en était pas loin. Désormais, elle s’en éloigne, et ce n’est pas une bonne nouvelle. D’autant que, si la natalité française reste au-dessus de celle de beaucoup de pays européens, c’est de plus en plus du fait des femmes immigrées extra-européennes qui ont un ICF supérieure à celui des femmes non-immigrées ou issues de l’immigration européenne. Le différentiel n’est pas énorme, et tendanciellement, la fécondité des populations immigrées – toutes origines confondues – se rapproche de celle des natifs. Mais le temps que ça se fasse, les immigrés extra-européens contribuent, proportionnellement plus que les autres à la natalité française. Et dans bien des villes, ça se voit de plus en plus en regardant la population scolaire…
               
              2) Si l’ensemble de la planète suivait le processus à un rythme comparable, ça ne poserait guère de problème. Seulement ce n’est pas le cas: l’Afrique subsaharienne connaît une forte croissance démographique qui va se poursuivre pendant encore quelques décennies. Or l’Afrique, sans être aussi pauvre que certains le disent, est quand même nettement moins riche que l’Europe occidentale, et sans doute pour quelques temps encore. Et l’on voit se dessiner une double tentation: dans les pays d’Afrique, utiliser l’émigration comme une sorte de solution, d’exutoire, à la fois en “exportant” une partie de l’excédent démographique vers l’Europe, et en captant une part des revenus de ces émigrés; côté européen, notamment en France, on commence également à entendre la petite chanson sur “le besoin de main-d’oeuvre”, “l’immigration sans laquelle on ne pourra financer nos retraites”, etc. Un discours qui peu, a priori, paraître dicté par le bon sens, mais il n’en est rien: outre le fait que ce raisonnement mène droit à une pyramide de Ponzi (puisque, comme je l’ai dit, la fécondité des immigrés se rapproche avec le temps de celle des natifs), nous avons quelques millions de chômeurs d’une part, et d’autre part le recours à une main-d’oeuvre immigrée – souvent docile et bon marché – exempte d’investir dans la mécanisation ou robotisation de certaines tâches. 
               
              Par ailleurs, dans le monde arabe, on observe des remontées de natalité et d’ICF, comme en Algérie entre 2000 et 2020 (même si on peut invoquer un effet de rattrapage après la guerre civile qui avait entraîné une chute brutale de l’ICF). Cependant la fédondité semble diminuer à nouveau depuis 2020. L’Egypte et le Maroc ont connu des phénomènes comparables.
               
              Vous comprendrez dans ces conditions que, pour un petit-bourgeois provincial effrayé par le Grand Remplacement comme moi, le déclin démographique de la population française native et plus globalement de souche européenne n’est pas vraiment une perspective réjouissante, mais plutôt une source d’angoisse… D’autant que, l’idéologie décoloniale ou post-coloniale s’y mêlant, on voit poindre ici ou là l’idée d’une “revanche” des anciens colonisés qui viendraient à leur tour “rendre la monnaie” à l’ancien colonisateur. Belles perspectives de vivre ensemble!
               
              C’est d’ailleurs en partie pour enrayer cela que j’ai prôné dans un autre commentaire l’interdiction d’accéder à la nationalité française pour tout ressortissant d’une ancienne colonie ou d’un ancien protectorat français. Il ne s’agit nullement, dans mon esprit, d’une forme de “punition collective” ainsi que vous l’avez interprétée. Il s’agit en réalité du respect, bien réel, que j’éprouve – et que nous devrions tous éprouver – pour les peuples du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Et notamment du respect pour la décision qu’ont pris ces peuples, parfois en payant un prix fort lourd, pour accéder à l’indépendance. Comme vous le savez, je suis très attaché à la continuité historique des peuples et des nations. Je pense que les décisions prises par nos ancêtres en tant que citoyens nous obligent, tous. Les grands-parents des jeunes Africains d’aujourd’hui ont fait le choix de la liberté. Mais avec la liberté vient la responsabilité. Il ne devrait pas être possible aujourd’hui pour un Subsaharien ou pour un Maghrébin de venir chercher en France ce que son peuple n’a pas été capable de créer depuis l’indépendance… Une fois le divorce acté, la vie commune est impossible. Les peuples des colonies ont choisi de se séparer de la France, il faut qu’ils en assument les conséquences, collectivement et individuellement. Parce que, oui, les décisions collectives ont un impact sur la vie des individus.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Je ne devrais pas intervenir… mais vous m’avez dit: “vous êtes ici chez vous”. Vous avez peut-être commis une erreur;)]

              Certainement pas ! Cela fait des années que je vous encourage à intervenir, et pas une fois je ne l’ai regretté.

              [1) (…) Mais le déclin démographique, c’est-à-dire la baisse significative de la population, je dis non. Et pas tellement pour des raisons économiques et sociales, parce que je pense qu’en effet des adaptations sont possibles. Mais pour des raisons que je qualifierais de philosophiques : une société qui n’appelle plus d’enfants à la vie – ou qui en appelle trop peu – est une société qui, d’une certaine manière, tourne le dos à la belle idée de transmission.]

              Mais « peu » par rapport à quoi ? A partir de quel seuil diriez-vous qu’on rentre dans le « trop peu » ? Quelque soit le seuil que vous fixez, il n’y a pas de raison pour qu’il soit lié au seuil d’équilibre de la population. On peut envisager une baisse modérée de la population, qui nous ferait revenir en deux ou trois générations au niveau des années 1970, par exemple, sans que pour autant on « tourne le dos à la belle idée de transmission ». J’irai même plus loin : la baisse de la natalité permet d’envisager « la belle idée de transmission » non seulement du point de vue quantitatif, mais du point de vue qualitatif. Quand on a peu d’enfants, on peut faire en sorte de transmettre mieux.

              [Parce que la transmission, ça passe aussi par transmettre la vie…]

              Je ne suis pas en train de proposer une politique anti-nataliste. Je constate juste qu’une diminution lente de la population n’est pas en soi un problème. Il y a par contre une question là-dedans, et c’est le fait que la baisse de la natalité conduit à la multiplication des enfants uniques…

              [Pour stabiliser une population et assurer le renouvellement des générations, il faut avoir un indice conjoncturel de fécondité (ICF) de 2,1 enfants/femme. Jusqu’à l’aube des années 2020, la France n’en était pas loin. Désormais, elle s’en éloigne, et ce n’est pas une bonne nouvelle. D’autant que, si la natalité française reste au-dessus de celle de beaucoup de pays européens, c’est de plus en plus du fait des femmes immigrées extra-européennes qui ont un ICF supérieure à celui des femmes non-immigrées ou issues de l’immigration européenne. Le différentiel n’est pas énorme, et tendanciellement, la fécondité des populations immigrées – toutes origines confondues – se rapproche de celle des natifs. Mais le temps que ça se fasse, les immigrés extra-européens contribuent, proportionnellement plus que les autres à la natalité française. Et dans bien des villes, ça se voit de plus en plus en regardant la population scolaire…]

              Je vous accorde qu’il y a là un problème. Le problème ne se trouve pas tant dans le différentiel lui-même, mais dans le fait qu’avec une machine à assimiler en panne – ou même pratiquement démontée – on trouve là un facteur de fragmentation de la société.

              [2) Si l’ensemble de la planète suivait le processus à un rythme comparable, ça ne poserait guère de problème. Seulement ce n’est pas le cas : l’Afrique subsaharienne connaît une forte croissance démographique qui va se poursuivre pendant encore quelques décennies.]

              Oui, il y a des singularités démographiques à gérer. Mais l’infléchissement de la population est perceptible à l’échelle mondiale, et les démographes prévoient déjà une baisse de la population mondiale après un plateau qui est aujourd’hui presque atteint.

              [Or l’Afrique, sans être aussi pauvre que certains le disent, est quand même nettement moins riche que l’Europe occidentale, et sans doute pour quelques temps encore. Et l’on voit se dessiner une double tentation : dans les pays d’Afrique, utiliser l’émigration comme une sorte de solution, d’exutoire, à la fois en “exportant” une partie de l’excédent démographique vers l’Europe, et en captant une part des revenus de ces émigrés;]

              Si le décrochage économique de l’Europe se prolonge, cet « excédant » ira plutôt vers les Etats-Unis ou la Chine…

              [côté européen, notamment en France, on commence également à entendre la petite chanson sur “le besoin de main-d’oeuvre”, “l’immigration sans laquelle on ne pourra financer nos retraites”, etc.]

              Ca n’a rien de nouveau : le patronat chante cette chanson depuis les années 1960. Pour le capital, tout ce qui augmente « l’armée de réserve » des travailleurs est un bon investissement, parce que cela permet de pousser les salaires à la baisse et diviser les couches populaires. Importer des travailleurs acculturés, disposés à travailler à n’importe quel prix, c’est du pain bénit. Pourquoi se gêner, alors que les coûts sociaux attachés ne sont pas supportés par le capital, mais par la société toute entière ?

              [Un discours qui peu, a priori, paraître dicté par le bon sens, mais il n’en est rien: outre le fait que ce raisonnement mène droit à une pyramide de Ponzi]

              Tout à fait. Je suis d’ailleurs toujours étonné que les commentateurs médiatiques ne relèvent pas cet aspect.

              [nous avons quelques millions de chômeurs d’une part, et d’autre part le recours à une main-d’oeuvre immigrée – souvent docile et bon marché – exempte d’investir dans la mécanisation ou robotisation de certaines tâches.]

              Tout à fait. Et c’est d’ailleurs un élément qui explique la stagnation voire la baisse de la productivité du travail dans notre beau pays : la machine fait disparaître les postes de travail à faible productivité et augmente donc la productivité du travail. Quand il est moins cher de faire tisser à la main que d’installer un métier à tisser mécanique, la productivité ne peut pas augmenter…

              [Vous comprendrez dans ces conditions que, pour un petit-bourgeois provincial effrayé par le Grand Remplacement comme moi, le déclin démographique de la population française native et plus globalement de souche européenne n’est pas vraiment une perspective réjouissante, mais plutôt une source d’angoisse…]

              Je le comprends, et jusqu’à un certain point, je partage ce côté « sentimental » : la baisse de la démographie évoque des images d’un pays qui se dépeuple, de villages sans école… mais il faut savoir sortir de ces images pour regarder les faits : la baisse de la natalité est une donnée structurelle, et il faut la gérer. Si l’on veut garder nos écoles, c’est l’aménagement du territoire qui pourra le faire, et non une hypothétique hausse de la natalité.

              [C’est d’ailleurs en partie pour enrayer cela que j’ai prôné dans un autre commentaire l’interdiction d’accéder à la nationalité française pour tout ressortissant d’une ancienne colonie ou d’un ancien protectorat français. Il ne s’agit nullement, dans mon esprit, d’une forme de “punition collective” ainsi que vous l’avez interprétée. Il s’agit en réalité du respect, bien réel, que j’éprouve – et que nous devrions tous éprouver – pour les peuples du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Et notamment du respect pour la décision qu’ont pris ces peuples, parfois en payant un prix fort lourd, pour accéder à l’indépendance.]

              Mais si c’est là votre motivation, pourquoi faire une différence entre les ressortissants des anciennes colonies et protectorats français, et les ressortissants d’anciennes colonies britanniques, hollandaises, belges ou autres ? N’ont-ils pas, eux aussi, « pris la décision, parfois en payant un prix fort lourd, pour accéder à l’indépendance » ? Non, je persiste dans mon interprétation : vous en voulez aux ressortissants des anciennes colonies françaises de nous avoir rejeté, et c’est pour cette raison que vous proposez pour eux un traitement différentié. C’est bien une « punition collective »…

              [Comme vous le savez, je suis très attaché à la continuité historique des peuples et des nations. Je pense que les décisions prises par nos ancêtres en tant que citoyens nous obligent, tous. Les grands-parents des jeunes Africains d’aujourd’hui ont fait le choix de la liberté. Mais avec la liberté vient la responsabilité. Il ne devrait pas être possible aujourd’hui pour un Subsaharien ou pour un Maghrébin de venir chercher en France ce que son peuple n’a pas été capable de créer depuis l’indépendance…]

              Je pense que cette question devrait effectivement être soulevée dans le discours public. Cela permettrait de relativiser celui de la « culpabilité coloniale ». Après tout, si la France doit assumer collectivement les fautes et les injustices de la période 1930-1962, avec la même logique les Algériens devraient prendre leurs responsabilités pour les fautes et les injustices de la période qui va de 1962 à nos jours. Si trois générations après l’indépendance l’Algérie ne sait pas proposer à jeunesse un avenir dans son propre pays, ce n’est pas la faute de la France. Mais si ce discours doit être clairement affiché, si la question de l’échec des projets « décolonisateurs » doit être posée, je ne crois pas qu’elle doive aboutir à faire une distinction entre nos anciennes colonies et celles des autres.

  12. Frank dit :

    [C’est curieux, mais j’ai comme vous l’opportunité de voyager, et le retour me fait l’effet inverse. Un peu comme la formule de Talleyrand « quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console ». Je trouve à mon retour que même si on n’est pas au top, on a encore de beaux restes. Ce qui me désole, c’est justement qu’il s’agit de restes, qu’on vit sur des acquis qu’on est au mieux capables d’entretenir, au pire de regarder se dégrader sans rien faire.]
    L’explication est sans doute que votre environnement reste plus préservé que le mien. Ce que vous ressentez, je le ressentais moi-même il y a 20 ans; je voyais à l’époque les plus et les moins des différents systèmes. Par exemple, je m’étais prêté à rêver que l’on pourrait améliorer les choses en France en gardant ce qui était supérieur chez nous (tout particulièrement le système méritocratique) et en s’inspirant de ce qui pouvait être supérieur ailleurs. On a fait exactement le contraire (on a abandonné ce qui était supérieur chez nous et on a importé ce qui ne marchait pas ailleurs). Aujourd’hui, non, vraiment, l’écart est tel que je ne peux plus ressentir ce que vous ressentez, lorsque je reviens d’Asie ou d’Amérique. 
    Il ne s’agit pas seulement de la dégradation matérielle des choses; elle est prégnante et nous handicape, mais ce n’est pas l’essentiel. Je la vois d’ailleurs plus comme une conséquence que comme une cause. Le vrai désastre est l’évolution des mentalités et l’effondrement intellectuel. L’étincelle qui existait chez nous, le goût du travail très bien fait, du travail acharné, la passion, tout cela n’existe presque plus (ou plus du tout). Je le retrouve chez les jeunes coréens ou les jeunes chinois, je le retrouve encore dans certains endroits préservés aux USA, mais chez nous, ce n’est plus possible que dans quelques minuscules citadelles assiégées et affaiblies. L’écart moyen, réellement, est devenu absolument énorme.
    C’est précisément le tarissement de cette réserve de qualité dont vous parlez qui nourrit quotidiennement mon pessimisme. Vous semblez croire que notre longue histoire nous préserve; je ne vois pas pourquoi. Il est très facile et très rapide de détruire. Les blocs de granite sur lesquels nous nous reposons sont fissurés et ils peuvent disparaître, ce n’est pas nos 1500 ans d’existence (ou 2500?) qui nous sauverons.
    Ce qui me rend profondément triste, c’est que certains jeunes ressentent ce déclassement et la supercherie dont ils ont été victimes, mais quand ils s’en rendent compte, il est trop tard pour qu’un rattrapage soit possible.

    • Descartes dit :

      @ Frank

      [L’explication est sans doute que votre environnement reste plus préservé que le mien. Ce que vous ressentez, je le ressentais moi-même il y a 20 ans; je voyais à l’époque les plus et les moins des différents systèmes. (…) Aujourd’hui, non, vraiment, l’écart est tel que je ne peux plus ressentir ce que vous ressentez, lorsque je reviens d’Asie ou d’Amérique.]

      Le fait que nous puissions ressentir cela différemment montre à mon avis que la dégradation n’est pas uniforme, qu’elle touche certains secteurs de la société bien plus profondément que d’autres.

      [Le vrai désastre est l’évolution des mentalités et l’effondrement intellectuel. L’étincelle qui existait chez nous, le goût du travail très bien fait, du travail acharné, la passion, tout cela n’existe presque plus (ou plus du tout). Je le retrouve chez les jeunes coréens ou les jeunes chinois, je le retrouve encore dans certains endroits préservés aux USA, mais chez nous, ce n’est plus possible que dans quelques minuscules citadelles assiégées et affaiblies. L’écart moyen, réellement, est devenu absolument énorme.]

      Je vous suis sur ce point. J’insisterais même sur le mot « passion ». J’irais même jusqu’à dire que c’est une notion qui est devenue suspecte. Pour ne donner qu’un exemple, pensez à cette curieuse idée de rendre le congé parental obligatoire, comme si celui qui, passionné par son travail, refusait de le quitter pour rentrer dans sa famille, était une sorte de monstre. Je peux vous dire que je vois sur mon lieu de travail cette injonction permanente à prendre ses RTT, à quitter le travail une fois ses heures faites. J’ai toujours été passionné par mon travail – je me suis toujours débrouillé pour faire des travaux passionnants, ou peut-être j’ai la capacité de me passionner pour presque tout – et je n’ai jamais compté mes heures ou mes congés tout bêtement parce que j’avais plaisir à être au travail. Et depuis quelque temps je m’aperçois que cette attitude, loin d’être appréciée, devient une tare, qui vous faut l’injonction de « équilibrer la vie professionnelle et la vie familiale ». Paradoxalement, la passion n’est acceptable que si elle a trait au loisir. On a le droit socialement de se passionner pour le cinéma, pour tel ou tel sport, pour un chanteur. Mais la passion au travail devient suspecte – sauf si vous êtes chef d’entreprise.

      Cela tient aussi à mon avis à la question de la confiance en notre capacité collective. Ce qui me frappe chez les chinois ou chez les américains, c’est une vision volontariste du « ça va etre dur, mais on va y arriver ». Chez nous, on pratique systématiquement la « haine de soi », on s’autoconvainc que ça va rater. Et on est presque surpris quand ça marche – pensez aux jeux olympiques. Il est très difficile dans ces conditions de faire avancer un projet : comme on est persuadé de notre propre incapacité, personne n’ose s’engager, tout le monde veut être couvert, d’où des procédures de contrôle et d’autorisation même pour aller aux toilettes. Ce n’est pas que les gens soient incapables, mais on les a persuadé qu’ils le sont, et surtout, on punit gravement les échecs et on récompense chichement les réussites…

      [C’est précisément le tarissement de cette réserve de qualité dont vous parlez qui nourrit quotidiennement mon pessimisme. Vous semblez croire que notre longue histoire nous préserve; je ne vois pas pourquoi. Il est très facile et très rapide de détruire. Les blocs de granite sur lesquels nous nous reposons sont fissurés et ils peuvent disparaître, ce n’est pas nos 1500 ans d’existence (ou 2500?) qui nous sauveront.]

      Je pense que les peuples sont profondément marqués par une histoire longue, et que les habitudes, les réflexes, les défauts et les qualités formées au cours de cette histoire ne disparaissent pas d’un jour à l’autre. Même lorsqu’ils sont cachés par une idéologie dominante, ils restent présents à l’état de potentiel et peuvent être rappelés. Pensez à l’Allemagne de 1945, un pays virtuellement détruit, avec des frontières amputées, une population décimée – au sens propre comme au figuré. Une génération d’Allemands n’aura connu que la violence, d’abord avec les crises successives de la République de Weimar puis avec les affres du nazisme. Et il n’a fallu que deux décennies pour que l’Allemagne redevienne une puissance économique. Alors qu’il ne manque pas des pays dans le monde qui, en 1945, étaient dans une bien meilleure situation, et qui aujourd’hui sont en bas du tableau. Pourquoi ? Parce qu’il y a dans les peuples un capital d’habitudes, de valeurs, de structures anthropologiques qui s’est accumulé pendant des millénaires, et qui demeure même lorsque le support matériel est détruit.

      [Ce qui me rend profondément triste, c’est que certains jeunes ressentent ce déclassement et la supercherie dont ils ont été victimes, mais quand ils s’en rendent compte, il est trop tard pour qu’un rattrapage soit possible.]

      Et bien, si un militant peut faire quelque chose aujourd’hui, c’est bien d’aider à cette prise de conscience, et surtout au rattrapage, qui n’est jamais « impossible » même s’il devient de plus en plus difficile avec l’âge…

  13. Frank dit :

    [Pensez-vous vraiment que ceux qui ont poussé ces réformes avaient comme intention – c’est-à-dire, se posaient explicitement comme objectif – d’abaisser la qualité de l’éducation ?]
    Non, non, je vous l’ai dit, je ne crois pas à une planification machiavélique de l’ensemble. Je crois surtout à une indifférence du pouvoir qui a abandonné l’EN à une clique malfaisante. Quant aux objectifs de cette clique, ils n’étaient probablement pas d’abaisser la qualité de l’éducation, mais ils n’étaient pas non plus de travailler à son amélioration. Des idéologues totalement incompétents, en général des gens ne maîtrisant aucune discipline et n’ayant jamais enseigné, trop heureux de la soupe qu’on leur servait, sans plus.
    [Sauf que, justement, on n’a pas évalué la méthode, ce qui a permis de maintenir intacte la croyance qu’elle était efficace, et d’attribuer les ratés à une mauvaise application de la méthode où à la résistance de « l’Etat profond ».]
    Je ne suis pas du tout d’accord avec ce constat. Oui, on a évalué la méthode (il y a des tests nationaux qui sont faits régulièrement, et de plus, sur la durée, on a constaté l’effondrement des capacités de lecture y compris dans le secondaire etc.). Donc le fait que ça ne marche pas était connu, objectivement connu. De plus, l’argument habituel de la “mauvaise application” ou de la “résistance” ne tient vraiment pas du tout dans ce cas-là. L’implémentation de la méthode est très simple, elle ne demande pas de formation particulière pour les enseignants (ou uniquement quelque chose de très basique) et elle a été très largement appliquée, avec très peu de résistance (et les quelques îlots de résistance ont d’ailleurs toujours été facile à identifier, je vous laisse deviner comment…). 
    Donc non. Je ne pense pas être si sévère en général, mais je ne suis pas aussi indulgent que vous non plus, en tout cas sur ces sujets-là : on savait et on a laissé faire sur des décennies. 
    [Ceux qui ont soutenu la méthode globale appartiennent à mon avis au premier cas : ils étaient convaincus de l’efficacité de la méthode, et ont refusé de prendre en compte toute réfutation de leur croyance.]
    C’est exactement ce que j’ai dit : une clique de cinglés, ou de déments (c’est la définition d’Einstein de la démence : répéter sans cesse les mêmes actes en espérant que le résultat puisse changer); et l’indifférence du pouvoir qui a laissé faire.
    [Je suis d’accord, même si je souffre un peu de voir Bourdieu mêlé à cette affaire. Quand on relit ses livres, il est bien plus nuancé dans ses conclusions que ses disciples. ]
    C’est vrai pour ses écrits. Il me semble que c’est faux pour ses prises de positions publiques et, surtout, surtout, il n’a jamais mis le holà. Jamais je ne l’ai entendu dire qu’on interprétait mal ses écrits, qu’on faisait fausse route, qu’on courait à la catastrophe. Jamais il n’a écrit un “texte rectificatif” ou “explicatif” pour tenter d’arrêter le massacre, alors qu’il en aurait eu l’opportunité dans les années 80 et 90, quand la folie s’est définitivement mise en place. Au contraire. Personnellement, je ne lui trouve aucune circonstance atténuante.
    [Je pense que cette évolution n’est qu’une manifestation d’une évolution générale de la société, du passage d’une société à forte croissance, où la promotion sociale était possible globalement, à une société à faible croissance où la promotion des uns ne peut se faire qu’au détriment des autres. Les instruments qui dans la phase antérieure avaient servi à organiser cette promotion – les institutions méritocratiques, pour faire vite – sont devenus obsolètes et même dangereux : ils auraient permis à « ceux d’en bas » de contester la position de « ceux d’en haut ». Les classes dominantes ont donc privilégié une idéologie du loisir, de la paresse, du victimisme. Mais ce n’est pas par machiavélisme. Ceux qui ont soutenu cette idéologie n’ont à aucun moment formalisé ce but. C’est la dialectique du système qui produit cette idéologie.]
    Oui, je suis en grande partie d’accord avec cette analyse.

    • Descartes dit :

      @ Frank

      [Non, non, je vous l’ai dit, je ne crois pas à une planification machiavélique de l’ensemble. Je crois surtout à une indifférence du pouvoir qui a abandonné l’EN à une clique malfaisante. Quant aux objectifs de cette clique, ils n’étaient probablement pas d’abaisser la qualité de l’éducation, mais ils n’étaient pas non plus de travailler à son amélioration. Des idéologues totalement incompétents, en général des gens ne maîtrisant aucune discipline et n’ayant jamais enseigné, trop heureux de la soupe qu’on leur servait, sans plus.]

      Nous sommes d’accord avec une petite nuance : je pense que ces « malfaisants » avaient pour objectif proclamé d’améliorer l’école (sinon en termes de connaissances transmises, en prenant d’autres indicateurs comme la « créativité » ou « l’inclusivité ») et qu’ils étaient convaincus que leurs méthodes conduiraient à ce résultat. Ce qui ne les rend pas moins « malfaisants ». Le chemin de l’enfer…

      [« Sauf que, justement, on n’a pas évalué la méthode, ce qui a permis de maintenir intacte la croyance qu’elle était efficace, et d’attribuer les ratés à une mauvaise application de la méthode où à la résistance de « l’Etat profond ». » Je ne suis pas du tout d’accord avec ce constat. Oui, on a évalué la méthode (il y a des tests nationaux qui sont faits régulièrement, et de plus, sur la durée, on a constaté l’effondrement des capacités de lecture y compris dans le secondaire etc.). Donc le fait que ça ne marche pas était connu, objectivement connu.]

      Le problème est que les tests nationaux n’évaluent pas la méthode, mais constituent une évaluation globale de performance. La dégradation peut résulter d’un ensemble de facteurs. Pour évaluer la méthode, il faudrait comparer les résultats d’un échantillon représentatif appliquant la méthode à ceux d’un groupe témoin de même composition qui appliquerait la méthode classique. A ma connaissance, aucune évaluation de cette nature n’a été faite par l’EN.

      [De plus, l’argument habituel de la “mauvaise application” ou de la “résistance” ne tient vraiment pas du tout dans ce cas-là. L’implémentation de la méthode est très simple, elle ne demande pas de formation particulière pour les enseignants (ou uniquement quelque chose de très basique) et elle a été très largement appliquée, avec très peu de résistance (et les quelques îlots de résistance ont d’ailleurs toujours été facile à identifier, je vous laisse deviner comment…).]

      L’implémentation de la méthode n’est pas si simple que ça. En elle-même, la méthode est simple, par contre le diagnostic des situations particulières qui permettent de détecter des problèmes et d’adapter la méthode en conséquence nécessitent des connaissances en psychologie de l’intelligence que les enseignants n’ont en général pas. J’ai par ailleurs entendu très fréquemment dénoncer les « résistances » des enseignants – par inertie ou par opposition franche à la méthode comme une des causes de l’échec. Je ne sais pas si ces reproches sont fondés en fait ou pas, mais le fait qu’ils existent est suffisant pour mon argumentation.

      [Donc non. Je ne pense pas être si sévère en général, mais je ne suis pas aussi indulgent que vous non plus, en tout cas sur ces sujets-là : on savait et on a laissé faire sur des décennies.]

      C’était mon point : on SAVAIT, mais on ne CROYAIT pas. C’est l’un des innombrables exemples de la capacité d’un groupe social de s’auto-convaincre qu’il fait jour à minuit lorsque cette conviction est fonctionnelle à ses intérêts. Je donne toujours l’exemple du rapport des électeurs de gauche avec Mitterrand : on savait qui était Mitterrand, sa longue carrière politique était bien connue, la plupart de ses turpitudes avaient été largement publiées. Et pourtant, la gauche a voulu croire que c’était là l’homme qui allait « changer la vie ». Et vous trouvez encore des gens qui continuent à le croire, malgré l’expérience. Relisez les panégyriques écrits par Mélenchon pour les anniversaires du 10 mai 1981…

      [« Je suis d’accord, même si je souffre un peu de voir Bourdieu mêlé à cette affaire. Quand on relit ses livres, il est bien plus nuancé dans ses conclusions que ses disciples. » C’est vrai pour ses écrits. Il me semble que c’est faux pour ses prises de positions publiques et, surtout, surtout, il n’a jamais mis le holà. Jamais je ne l’ai entendu dire qu’on interprétait mal ses écrits, qu’on faisait fausse route, qu’on courait à la catastrophe.]

      Vanitas vanitatis… il a toujours été très difficile pour un intellectuel de dénoncer ceux qui lui jettent des fleurs, au motif qu’ils le lui jettent pour de mauvaises raisons. Bourdieu a timidement essayé de calmer ses partisans. Je me souviens d’un entretient où il mettait en garde contre l’interprétation hâtive de son discours sur la reproduction sociale, montrant que lui-même était un exemple vivant du fait que cette « reproduction » n’était pas une règle absolue. Mais vous avez raison, on peut lui reprocher cette timidité. « Le talent est un titre de responsabilité », comme disait mongénéral…

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