Un discours de politicaillerie générale

La pièce qui s’est jouée au parlement ces derniers jours fait irrésistiblement penser à la « journée des dupes » du 10 et 11 novembre 1630. A une différence près, qui change tout : la « journée des dupes » de 1630 s’acheva par la défaite de ceux qui, dans les mots de Louis XIII voulaient « que je chasse un ministre habile pour confier mon royaume à des ignorants, qui préfèrent leur intérêt à celui de l’État » (1). Celle de 2024 s’achève sur le résultat inverse : elle conforte l’Idiot du Béarn dans le rôle de premier ministre.

Pour être complet, il faut commencer par le discours de politique générale de notre premier ministre. Que dire de ce discours, sinon que sa longueur était inversement proportionnelle à son contenu ? Une heure et demie pendant laquelle François Bayrou a enfilé comme des perles les généralités et les fausses évidences, en se gardant bien de prendre le moindre engagement chiffré et daté. 

C’est que le premier ministre a adopté un positionnement bizarre. Alors qu’il est l’un des plus anciens soutiens d’Emmanuel Macron, qu’il a accompagné depuis le premier jour sa présidence, il parle aujourd’hui comme s’il avait passé ces sept dernières années dans un monastère coupé du monde. Il nous a joué une saynète qu’on pourrait intituler « Bayrou découvre ». Bayrou découvre que le duo Macron/Le Maire a laissé filer les déficits au point de mettre en danger le crédit de la France. Bayrou découvre que le pays croule sous la bureaucratie et les entreprises étouffent sous les procédures. Bayrou découvre que parcoursup est un désastre. Bayrou découvre que la réforme du bac se traduit par une orientation trop précoce. Bayrou découvre que l’hôpital va mal. Et il affirme qu’il va tout arranger. Ce qu’il omet de nous expliquer, c’est pourquoi toutes les bonnes résolutions qu’il nous expose aujourd’hui n’ont pas été mises en œuvre depuis 2017, alors que lui même et la plupart des membres de son gouvernement, dont il a vanté les grands mérites, étaient déjà aux affaires. Qu’est ce qui nous permet de croire que toutes ces belles choses que le macronisme n’a pas faites entre 2017 et 2022, alors que le bloc central avait une majorité écrasante à l’Assemblée et que le président avait encore un prestige intouché, il pourra les faire aujourd’hui avec un président démonétisé et une majorité instable ?

Prenons par exemple la question des « agences », dont le premier ministre a fustigé le nombre et l’action.  Depuis trente ans on a créé, c’est vrai, à tour de bras des « agences » de toutes sortes, et cela pour une raison simple : les néolibéraux voyaient dans cette logique, celle du démembrement de l’Etat, un double avantage. D’une part, ces « agences » apparaissaient plus agiles, plus souples, moins bureaucratiques que les administrations centrales honnies. D’autre part, ces entités étaient moins soumises à l’influence politique, et permettaient donc à tendre vers ce gouvernement des techniciens que le « cercle de la raison » à Paris comme à Bruxelles adore. Et finalement, et ce n’est pas le moins important, dans une « agence » on peut plus facilement placer des obligés sans passer par le recrutement au mérite et autres vieilleries d’un autre temps encore en vigueur dans les administrations centrales. On notera d’ailleurs que la multiplication des agences en France a pour parallèle la multiplication des agences européennes, là aussi résultat de l’idéologie néolibérale qui règne à la Commission. Et depuis 2017 la tendance n’a fait que s’accélérer, au point qu’on est passé du « un problème, une loi » de Sarkozy à « un problème, une agence » sous Macron. Chaque fois qu’un lobby crie, on lui promet un « observatoire ». Incendie de Notre-Dame ? On crée un établissement public. Cyclone a Mayotte ? Encore un établissement public de promis. Et voilà qu’arrive Bayrou, et c’est « haro sur les agences » qui, paraît-il, sont trop nombreuses et échappent à tout contrôle. Mais où était notre premier ministre ces dernières années, quand les macronistes en créaient à tour de bras ? Pourquoi n’a-t-il pas alerté, lui qui en tant que commissaire au plan en avait le devoir ?

En écoutant son discours, on croyait entendre un commentateur d’une chaîne d’information continue, vous savez, tous ces vieux politicards rangés qui, comme disait le philosophe, donnent de bons conseils pour se consoler de ne plus pouvoir donner de mauvais exemples. De sa place à la tribune, il distribuait les bons points et les mauvais, expliquant que ceci n’allait pas et que cela c’était pas bien, pour ensuite enchainer sur des « il faut, y’a qu’à » plus ou moins généraux. « Il faut débureaucratiser », nous dit-il. Qui pourrait être contre ? Qui songerait à manifester aujourd’hui en demandant plus de bureaucratie ? La question n’est pas de le dire, mais de préciser ce qu’on fait concrètement pour « débureaucratiser ». Peut-être créer l’agence de la débureaucratisation ?

Ce que ce discours a mis en évidence, c’est la différence entre Bayrou et Barnier. Barnier voulait gouverner, Bayrou ne cherche qu’à durer. Barnier avait expliqué ce qu’il ferait et a poussé la logique jusqu’au bout en affrontant la censure plutôt que de changer le cap qu’il s’était fixé. On peut être ou pas d’accord avec ses choix, mais on est obligé de respecter l’homme politique qui préfère prendre le risque de quitter le pouvoir plutôt que de renoncer à une mesure qu’il juge indispensable pour son pays. Bayrou s’est contenté de généralités dans lesquelles chacun peut mettre à peu près ce qu’il veut, se laissant toute liberté pour changer d’avis. Parce que pour lui, n’ayant de conviction sur rien, tout est négociable. Au point de se faire le chantre de la rigueur et de lâcher plus de 3 Md€ d’un bric-à-brac de concessions pour empêcher les socialistes de voter la motion de censure. Une motion qui, qui plus est, n’avait aucune chance d’aboutir. Mais il faut comprendre que Bayrou – comme l’essentiel de la classe politico-médiatique – ne pense qu’à la tactique. Il s’agissait d’enfoncer un coin entre les socialistes et le reste de NFP. Pour atteindre un tel objectif, 3 Md€ c’est donné. D’autant plus que c’est nous qui payons.

Reconnaissons tout de même une chose à Bayrou : son talent manœuvrier, qui lui a permis de faire une carrière – médiocre, certes, mais on ne peut tout avoir – sans avoir jamais eu une idée originale, sans jamais penser à rien qu’à lui-même. Dans un autre papier, je notais que Bayrou a bâti toute sa carrière sur une seule chose : son pouvoir de nuisance. Sa stratégie politique préférée, c’est le chantage. Il faut dire que les socialistes étaient devant un choix cornélien : rompre avec LFI, avec le risque d’un retour de bâton lors des municipales, ou bien déplaire à leur base – qui n’est pas si éloignée du macronisme – en apparaissant alimenter l’instabilité. Et c’est sur ce dernier point que François Bayrou a joué, en faisant donner la grosse artillerie médiatique. Côté direction socialiste, on voulait bien se faire violer… mais il fallait sauver la face. On a donc fixé des lignes rouges, pensant revenir ensuite vers les électeurs pour leur montrer que la négociation paye, et on a voulu croire que les paroles rassurantes du premier ministre équivalaient à une acceptation. Et qui sait, peut-être même que François Bayrou était prêt à leur accorder ce qu’ils demandaient.

Seulement voilà, le premier ministre doit aussi contenter sa droite, qui elle aussi doit montrer à ses électeurs qu’elle sert à quelque chose. Du coup, Wauquiez et Larcher ont sorti la Grosse Bertha, et François Bayrou a estimé qu’il était plus facile de rouler les socialistes dans la farine que la droite. Résultat : après avoir fait miroiter des concessions aux socialistes, il leur a refusé presque tout… et les socialistes désespérés de déplacer leurs lignes rouges avec l’espoir que cela finirait par payer. L’abrogation de la réforme des retraites est devenue suspension, puis la suspension dégradée en projet de loi discuté par le parlement… dans des conditions qui seront précisées peut-être, un jour, qui sait. Quant au premier ministre, il a réussi à obtenir ce qu’il voulait à un prix fort raisonnable, celui de concessions essentiellement négatives. C’est une vieille technique que tout politicien professionnel connaît : vous commencez par promettre de couper à votre interlocuteur les deux bras, ce qui vous permet ensuite de lui en couper un en présentant ça comme une concession. Prenons le cas des effectifs dans l’enseignement. Les socialistes se vantent d’avoir gagné une concession. En quoi consiste-t-elle ? Bayrou n’a pas accordé un enseignant de plus, il s’est contenté de renoncer aux suppressions de postes promises par son prédécesseur. De ce point de vue, Barnier aurait pu mieux faire les choses : si au lieu de promettre la suppression de 4.000 postes il avait promis de supprimer 8.000, Bayrou pourrait aujourd’hui se vanter d’avoir concédé le double… pour le même prix.

Certains commentateurs s’imaginaient que le retour de François Hollande à l’Assemblée n’était qu’une lubie de vieux monsieur qui s’ennuyait dans sa retraite. Rien ne saurait être plus faux. Hollande veut revenir au plus haut niveau et, pourquoi pas, viser à nouveau l’Elysée. Son retour aux affaires fait partie du recentrage du Parti socialiste. Après 2017, le départ des franges plus social-libérales dans le giron du macronisme avait déplacé le centre de gravité du Parti vers la gauche radicale. Avec le déclin du macronisme, ce secteur commence son retour au bercail, et cela provoque un déplacement du centre de gravité vers la droite. Ce n’est qu’une préfiguration de ce qui nous attend : un Parti socialiste revenu au delorisme après ses errements « gauchistes », et prêt à accueillir ses fils prodigues – pensez à Aurélien Rousseau, par exemple – pour faire du macronisme sans Macron. Que le PS hésite à censurer un gouvernement qui offre les places d’honneur à Lombard, Borne, Valls ou Rebsamen, tous anciens socialistes, n’est peut-être pas un hasard.

Toutes ces palinodies ont occupé tous les commentateurs. Dans nos étranges lucarnes, on ne parlait plus que ça. Les socialistes ont-ils trahi la gauche ? Le PS va-t-il rompre avec NFP ? Voteront-ils la censure ? Les dégâts faits par cet épisode sont-ils réparables ? 2027 se jouera-t-il à gauche ou au centre ? Et pendant qu’on discute ces questions, très intéressantes pour le microcosme mais qui finalement ne changeront rien à la vie des Français – parce que, croyez-moi, ce n’est pas 4000 postes de plus qui vont faire la différence pour nos enfants – le pays va à vau l’eau. Pendant que tout le monde se passionne pour le vote des socialistes, un amendement du gouvernement à la loi de finances, voté discrètement par le Sénat, sabre 530 millions d’euros des crédits du programme France 2030, c’est-à-dire, celui censé financer la modernisation de notre industrie et de notre recherche. On dépensera moins pour le financement des investissements stratégiques (-415 millions d’euros), le soutien de l’enseignement et de la recherche (-46 millions d’euros), la valorisation de la recherche (-36 millions d’euros) ou encore l’accélération de la modernisation des entreprises (-36 millions d’euros). Cette coupe absurde n’a fait l’objet que de commentaires en passant, comme si parler au peuple d’investissement, d’industrie, de recherche, c’était lui faire perdre son temps.

Le problème n’est pas seulement que nos élites politico-médiatiques ont perdu contact avec le peuple. Elles ont aussi, et c’est au moins aussi grave, perdu le contact avec les réalités économiques, sociales, géopolitiques. On se passionne pour ce qui est secondaire, et on laisse filer le principal. Autrefois, un programme de gouvernement, c’était le nucléaire, la défense, la recherche, l’industrie, l’éducation. Aujourd’hui, un engagement fort c’est le remboursement des fauteuils roulants et la réforme de parcoursup. Notre pays est sorti de l’histoire parce que nos élites ne s’intéressent qu’au portefeuille, et ne savent plus prendre de la hauteur. Bayrou est fier de présider un gouvernement fait d’élus locaux, alors qu’il nous faut des ministres qui soient ingénieurs, médecins, professeurs, diplomates. Qui, à votre avis, fait un meilleur ministre des affaires étrangères ? Le diplomate de carrière Dominique de Villepin, ou le conseiller régional Jean-Noël Barrot ?

Alors que le monde change autour de nous, tout tourne autour des impôts qu’on ne veut plus payer, de la retraite qu’on veut prendre au plus tôt. On est tout fiers d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution, mais on regarde nos usines fermer et notre éducation se dégrader comme les vaches regardent passer un train. Il en ressort une vision totalement malthusienne, qui donne pour acquis qu’il faut réduire les dépenses parce que les recettes ne peuvent que diminuer. Personne – sauf le RN, et personne à gauche ne semble voir le paradoxe – ne parle au fenestron de réindustrialisation. Personne – sauf le RN, là encore – ne parle d’une croissance qui permettrait, en augmentant la richesse produite, d’équilibrer les régimes sociaux sans augmenter les prélèvements. Car le secret de l’équilibre est là : il faut produire plus, et produire mieux. Notre décrochage – celui de l’Europe mais aussi celui de la France – par rapport aux autres puissances est d’abord un décrochage de la productivité, comme le souligne le rapport d’un Mario Draghi peu suspect d’antilibéralisme ou d’euroscepticisme.

Interpellant un officier qui réfléchissait sur une carte de France, De Gaulle lui avait conseillé de travailler plutôt sur un planisphère. Il est grand temps de suivre son conseil.

Descartes

(1) Pour ceux qui n’auraient pas l’épisode en tête, la « journée des dupes » met fin à l’affrontement entre le « parti dévot », qui représente les intérêts de la noblesse opposée à la centralisation de l’Etat royal et dont les leaders les plus en vue sont la reine-mère Marie de Médicis, le chancelier Michel de Marillac et le frère du roi et héritier du trône Gaston d’Orléans, et le parti du cardinal de Richelieu, qui représente la bourgeoisie naissante, la volonté centralisatrice de l’Etat et – on n’est jamais à un paradoxe près avec la figure de Richelieu – la liberté de culte à l’intérieur et l’entente en politique internationale avec les états protestants contre les puissances catholiques que sont l’Autriche et l’Espagne. Donné pour perdu au soir du 10 novembre 1630, le « parti dévot » pense l’avoir emporté. Mais le cardinal est confirmé par Louis XIII le 11 novembre, au grand désespoir des « dupés » : Marie de Médicis est confinée à Compiègne, d’où elle s’évade – évasion arrangée par le cardinal pour s’en débarrasser – pour s’exiler aux pays bas ; de Marillac emprisonné ; Gaston d’Orleans s’exile chez le duc de Lorraine.

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

39 réponses à Un discours de politicaillerie générale

  1. Sami dit :

    Comme d’hab, excellente analyse.Pour continuer sur la dernière phrase, lumineuse vision gaullienne :
    Les USA qui considèrent la Chine comme leur plus dangereux adversaire mais qu’ils ne peuvent mater militairement (tout simplement impossible), ont décidé (à priori) d’essayer de trouver avec elle, un consensus politique, un terrain d’entente économique. Signe qui ne trompe pas, Trump a même officiellement invité Xi (ils se sont carrément entretenus au téléphone) (Xi, étant occupé ailleurs, a envoyé son vice Président). TikTok a obtenu un répit. Trump va aussi essayer de trouver un modus vivendi avec la Russie (les plus sinistres plaisanteries – guerre artificielle en Ukraine – ne pouvant durer éternellement). Le Moyen Orient… comment dire … Trump considère que Gaza fera une belle Riviera (avec son gendre à la manœuvre immobilière) alors que la Syrie est matée et le reste du monde Arabe à plat ventre en mode cataleptique, etc etc… Ne parlons pas des BRICS, des lobbies militaro industriels en surchauffe, de l’énergie gazo-pétrolière plus cruciale que jamais, etc etc…Pendant donc que le monde se recompose massivement et brutalement (espérons que ça ne sera pas pour le pire), les grands pays de l’UE (et de l’Europe en général), se décomposent à vitesse V. L’Angleterre est en quasi déshérence, l’Allemagne privée du gaz Russe qui permettait à son industrie d’être une success-story, est en récession (les USA ont froidement coupé le gazoduc, et interdit méchamment tout rapprochement avec les Russes), et la France… vous venez de décrire dans le détail et parfaitement, la situation. Pour en rester donc à la France, oui, elle se mord le nombril, pendant que le monde change vite et fort (nous sommes, je pense, dans un carrefour historique), et malheur aux retardataires. C’est très facile de sombrer dans le puit du tiers-mondisme, mais il faut 1 ou 2 siècles, au mieux, pour remonter la pente (à part la Chine, mais la civilisation et la vision Chinoises sont exceptionnelles et fondamentalement différentes des autres).
    Pour en revenir à la France, le constat est terrible, et en apparence, désespéré. Qui, quoi, pour sauver le radeau de la Méduse ? Vous avez clairement démontré l’incroyable déchéance du personnel politique global.
    On dit souvent que c’est une illusion de penser à “l’homme providentiel” capable de sauver le Titanic à lui seul. C’est vrai en général. Mais pourtant, l’exception confirmant la règle, je perçois un, un unique, homme d’Etat Français capable aujourd’hui de cela : vous en avez parlé en tant que diplomate… Il s’agit de Villepin. Oui, un diplomate comme on n’en fait presque plus, mais aussi un homme d’Etat compétent, complet, passionné… Il est seul ? Il peut s’entourer comme vous le faites remarquer, de spécialistes : médecins, diplomates, ingénieurs, etc. Non pas pour “monter” un gouvernement technocratique, mais un gouvernement fait de compétences et de passion pour la vraie chose publique. Je suis certain que cela est possible. Et je ne vois pas d’autre choix…Bien sûr, cela relève un peu du rêve… Quelle Parlement aura-t-il en face de lui ? etc.
    Voilà… On fait le constat du désastre annoncé, on essaye de trouver une solution, au moins plausible… Mais c’est tellement difficile…

    • Descartes dit :

      @ sami

      [Les USA qui considèrent la Chine comme leur plus dangereux adversaire mais qu’ils ne peuvent mater militairement (tout simplement impossible), ont décidé (à priori) d’essayer de trouver avec elle, un consensus politique, un terrain d’entente économique.]

      C’est que les USA ont avec la chine un rapport qui est très différent avec celui qu’ils pouvaient avoir avec l’URSS du temps du monde bipolaire. Les USA voient dans la Chine un concurrent stratégique, mais en même temps ils en sont dépendants. Ils en sont dépendants parce que la Chine leur offre un atelier de production de masse à des prix bien plus intéressants que la production sur le sol américain – une opportunité que des grandes entreprises américaines comme Apple utilisent. Ils sont aussi dépendants parce que les excédents commerciaux chinois s’investissent en grande partie dans des titres de dette américaine. Sans les chinois, comment financer le déficit fiscal massif de l’état US ?

      C’est cette contradiction qui explique les ambigüités de la politique américaine, qui oscille entre l’agressivité menaçante et la tentation d’un « Yalta » négocié. Une des difficultés vient du fait que les Américains ont construit autour de la Chine une ceinture d’états américanisés (Japon, Corée, Taiwan…) censés la « contenir » du temps de la guerre froide. Un « Yalta » passe aujourd’hui par un abandon au moins partiel de ces états… d’où la sensibilité de la question taiwanaise. Une alternative est de laisser à la Chine les mains libres en Afrique (et peut-être demain en Europe)… et c’est un peu ce qu’on observe aujourd’hui.

      [Signe qui ne trompe pas, Trump a même officiellement invité Xi (ils se sont carrément entretenus au téléphone) (Xi, étant occupé ailleurs, a envoyé son vice Président). TikTok a obtenu un répit. Trump va aussi essayer de trouver un modus vivendi avec la Russie (les plus sinistres plaisanteries – guerre artificielle en Ukraine – ne pouvant durer éternellement).]

      Trump – et les gens qui l’entourent – sont d’abord des pragmatiques. On peut s’attendre à une approche bien plus « réaliste » et moins idéologique que celle d’un Obama ou d’un Biden. S’ils pensent qu’un partage du monde avec la Chine ou un accord avec la Russie est bon pour leurs affaires, et bien il y aura un Yalta avec l’un, un accord avec l’autre. Et au diable les grands principes.

      [Le Moyen Orient… comment dire … Trump considère que Gaza fera une belle Riviera (avec son gendre à la manœuvre immobilière) alors que la Syrie est matée et le reste du monde Arabe à plat ventre en mode cataleptique, etc etc…]

      De toute façon, je doute que Trump fasse pire que Biden. Biden faisait les gros yeux à Netanyahou là où Trump lui serrera la main, mais en pratique le résultat est le même parce que les démocrates ne sont pas crédibles. Et je vois mieux Trump tordre le bras aux israéliens que Biden, l’accord de cesser le feu de Gaza le montre. Le Moyen Orient est un problème sans solution, parce que ce que les Palestiniens veulent les Israéliens ne peuvent l’accepter et vice-versa, et que personne à l’extérieur n’a la volonté de leur imposer un arrangement. Quant au reste de la région, l’action des Américains et des Européen a abouti a parsemer la région « d’états faillis » : Irak, Syrie, Liban, Yémen… et bientôt si on continue comme ça, l’Iran.

      [Pendant donc que le monde se recompose massivement et brutalement (espérons que ça ne sera pas pour le pire), les grands pays de l’UE (et de l’Europe en général), se décomposent à vitesse V. L’Angleterre est en quasi déshérence, l’Allemagne privée du gaz Russe qui permettait à son industrie d’être une success-story, est en récession (les USA ont froidement coupé le gazoduc, et interdit méchamment tout rapprochement avec les Russes), et la France… vous venez de décrire dans le détail et parfaitement, la situation.]

      Tout à fait. Les convulsions du monde montrent la vérité du commentaire de Talleyrand : « on peut se faire un trône avec des baïonnettes, mais on ne peut pas s’asseoir dessus ». Par la ruse, la coercion et le fait accompli nos soi-disant élites ont réussi à construire ce monstre qu’est l’UE. Mais toutes les tentatives pour donner à cet ensemble disparate une profondeur qui dépasse celle d’une institution administrative on échoué. Dès lors qu’il s’agit d’autre chose que de réglementer la taille des concombres, qu’il s’agit d’arbitrer les questions vitales qui font la vie et la mort des nations, l’UE est à côté de la plaque. Parce que l’UE n’est pas une nation, parce qu’elle ne repose pas sur une solidarité inconditionnelle entre ses citoyens, l’UE ne peut mobiliser les énergies nécessaires pour faire face aux défis existentiels. Face à une menace, chaque état membre réagira en fonction de ses intérêts étroits d’abord. Imaginez-vous ce qu’aurait été la situation de la France en 1914 si devant l’attaque allemande chaque département avait réagi en fonction de ses propres intérêts…

      [Pour en rester donc à la France, oui, elle se mord le nombril, pendant que le monde change vite et fort (nous sommes, je pense, dans un carrefour historique), et malheur aux retardataires. C’est très facile de sombrer dans le puit du tiers-mondisme, mais il faut 1 ou 2 siècles, au mieux, pour remonter la pente (à part la Chine, mais la civilisation et la vision Chinoises sont exceptionnelles et fondamentalement différentes des autres).]

      N’exagérons rien. Un pays avec une histoire aussi riche que la notre peut remonter son retard sans avoir à attendre un ou deux siècles. Pour le moment, notre retard est d’abord industriel et institutionnel, pas intellectuel. Mais je vous accorde qu’il ne faudrait pas que la situation dure trop longtemps, sans quoi on risque d’entamer ce capital aussi.

      [Pour en revenir à la France, le constat est terrible, et en apparence, désespéré. Qui, quoi, pour sauver le radeau de la Méduse ? Vous avez clairement démontré l’incroyable déchéance du personnel politique global.]

      Mais cette déchéance n’est pas nécessairement le signe qu’on ne trouve plus en France des gens capables. C’est surtout que ces capacités ne vont plus à la politique, parce que depuis trente ans on organise l’impuissance du politique. Et avec l’impuissance vient l’irresponsabilité. Aujourd’hui, si vous voulez changer le monde, mieux vaut être un haut cadre de LVMH qu’un ministre de la culture, un dirigeant de SpaceX plutôt qu’un ministre de la recherche. Conséquence : les meilleurs vont travailler ailleurs, et seuls les incapables choisissent la politique. La plaisanterie qui vaut qu’avant on était gouvernés par des énarques et des polytechniciens, et qu’aujourd’hui on est gouverné par ceux qui ont raté leurs concours n’est pas infondée…

      Hier, gouverner c’était prévoir. Aujourd’hui, gouverner c’est procrastiner. On nous bombarde d’annonces qui ensuite se perdent dans les ordres et les contre-ordres. On a même inventé des techniques fort raffinées pour retarder les décisions. Pour ne donner qu’un exemple, la consultation – dont on nous vante le caractère démocratique – est devenue une machine à différer les solutions, en général sine die. Prenez la réforme des retraites : avant le vote de la loi, on avait déjà consulté les organisations syndicales et patronales. Depuis, ni les unes ni les autres n’ont changé d’avis. Alors, quelles sont les chances que le « conclave » réuni par le premier ministre aboutisse à une conclusion différente ? Mais en attendant, le premier ministre aura gagné six mois, le vote du budget sera passé, et il sera toujours temps d’annoncer ensuite que rien ne changera. Ou bien qu’il faut encore un round de consultations… qui permettra de gagner encore six mois. Et à long terme… on est tous morts, comme disait Keynes.

      C’est de cette spirale infernale qu’il faut sortir. Il faut redonner à la fonction politique sa noblesse, en lui donnant à la fois le vrai pouvoir et en exigeant de lui la vraie responsabilité. Celle de fixer les priorités, de fixer les objectifs et de dégager les moyens pour les atteindre, de choisir les gens compétents pour conduire les programmes… et de les laisser travailler en les protégeant des pressions et des lobbies. Dans notre pays, c’est ce qui marche le mieux. Le plan téléphone, le programme nucléaire, et plus récemment la restauration de Notre Dame et l’organisation des Jeux Olympiques en sont de bons exemples.

      [On dit souvent que c’est une illusion de penser à “l’homme providentiel” capable de sauver le Titanic à lui seul. C’est vrai en général.]

      C’est une question dialectique. Les « hommes providentiels » n’apparaissent pas au hasard. Ce sont les situations qui font les hommes providentiels. Chaque fois que notre pays a été dans une situation critique, chaque fois que les Français ont été prêts à « faire le boulot », on a réussi à dégoter un « homme providentiel » pour les conduire. Et je suis convaincu qu’il y a des hommes providentiels qui sommeillent parmi nous, et qui ne se révèlent pas tout simplement parce que le pays n’est pas prêt à les porter.

      [Mais pourtant, l’exception confirmant la règle, je perçois un, un unique, homme d’Etat Français capable aujourd’hui de cela : vous en avez parlé en tant que diplomate… Il s’agit de Villepin. Oui, un diplomate comme on n’en fait presque plus, mais aussi un homme d’Etat compétent, complet, passionné…]

      Oui, je veux bien reconnaître à Villepin les qualités d’un homme d’Etat. Seulement, il arrive à contretemps. Il est cultivé, passionné et a une rare hauteur de vue. Mais ce n’est pas ce que le pays demande aujourd’hui. Les Français – et notamment ceux qui détiennent le capital intellectuel du pays – sont obsédés par leurs RTT, leurs impôts, leur pouvoir d’achat et leurs retraites. Difficile dans ces conditions de leur parler de la grandeur de la France. En 1944, alors que les Français avaient toutes les raisons du monde de se soucier des questions de vie quotidienne, le CNR commençait son programme en se fixant comme objectif de « défendre l’indépendance politique et économique de la nation, rétablir la France dans sa puissance, dans sa grandeur et dans sa mission universelle ». Quel politicien oserait mettre en tête de son programme ce message aujourd’hui ?

      [Il est seul ? Il peut s’entourer comme vous le faites remarquer, de spécialistes : médecins, diplomates, ingénieurs, etc. Non pas pour “monter” un gouvernement technocratique, mais un gouvernement fait de compétences et de passion pour la vraie chose publique. Je suis certain que cela est possible. Et je ne vois pas d’autre choix…Bien sûr, cela relève un peu du rêve… Quelle Parlement aura-t-il en face de lui ? etc.]

      Et surtout, quel peuple il aura devant lui ? Je vous conseille de lire le discours prononcé par De Gaulle le 28 décembre 1958 pour annoncer le plan Rueff (vous trouverez la vidéo avec une transcription textuelle ici : https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00024/allocution-du-general-de-gaulle-premier-president-de-la-ve-republique.html). Qui aujourd’hui oserait tenir ce discours ? Personne. Non parce que nos politiciens ne sont pas courageux, mais parce qu’ils savent que la réception d’un tel discours serait très différente…

      [Voilà… On fait le constat du désastre annoncé, on essaye de trouver une solution, au moins plausible… Mais c’est tellement difficile…]

      Oui, c’est très difficile. Parce que la « solution » dépend de transformations structurelles sur lesquelles nous n’avons pas la main. Tout ce qu’on peut faire, c’est chacun dans nos activités professionnelles et dans nos engagements politiques et sociaux, de préserver et d’enrichir les instruments qui, le jour venu, permettront de saisir l’opportunité. Former des jeunes intellectuellement autonomes, leur montrer que le loisir et la paresse ne peuvent être le fondement d’une vie sociale, qu’on s’enrichit – matérielle et intellectuellement – en tant qu’être humain par le travail et l’effort. Et les jeunes sont parfaitement capables d’entendre ce discours : quand je les regarde de ma fenêtre sur leurs planches à roulettes essayer une figure dix, cent, mille fois jusqu’à atteindre la perfection – et en prenant pas mal de gnons au passage – je me dis qu’il y a là une énergie énorme qui n’attend que d’être canalisée…

      • maleyss dit :

        Je suis un peu surpris de votre opinion favorable sur Villepin, qui, à mon humble avis, n’a toujours été qu’un rigolo, un turlupin, aurait dit Chirac, etqui, pour aggraver les choses, va prendre ses ordres à Doha.

        • Descartes dit :

          @ maleyss

          [Je suis un peu surpris de votre opinion favorable sur Villepin, qui, à mon humble avis, n’a toujours été qu’un rigolo, un turlupin, aurait dit Chirac, etqui, pour aggraver les choses, va prendre ses ordres à Doha.]

          Pourquoi un rigolo ? Je trouve, au contraire, que c’est quelqu’un de très sérieux. Il est l’un des derniers ministres des affaires étrangères à avoir eu une véritable expérience diplomatique (il a été pendant 15 ans au Quai d’Orsay…). A ce poste, il a vraiment porté une position digne de De Gaulle, et il fallait pour la tenir un véritable courage, compte tenu de l’ambiance au Conseil de Sécurité et des menaces explicites ou voilées qu’il avait reçu. Son discours devant le Conseil est l’un des rares discours ministériels marquants de ces dernières trente années. Comme secrétaire général de l’Elysée, c’est lui qui, pour faire face à la paralysie du gouvernement Juppé, a recommandé une solution démocratiquement impeccable: l’appel au peuple par la voie de la dissolution. Et enfin, premier ministre, il a su sagement reculer sur le CPE quand il a constaté que le pays était contre. Si seulement Macron avait eu la même sagesse sur les retraites… Il faut aussi noter que c’est sous Villepin on a fait un effort pour financer une réindustrialisation (création de l’Agence pour l’innovation industrielle et l’Agence nationale pour la recherche).

          Alors, on peut dire beaucoup de choses sur le personnage. Mais il n’est certainement pas un turlupin ou un rigolo. Et il ne prend certainement pas ses ordres ailleurs.

          Après, je vous avoue que j’ai une certaine sympathie pour les politiciens qui ont une passion pour leur pays, et qui suivent cette passion au risque de se bruler les ailes. Des politiques pour qui la politique n’est pas simplement un plan de carrière. Et Villepin fait partie de ceux-là.

          • Cording1 dit :

            Villepin est tout de même un oligarque européiste. Certaines de ses analyses bien plus lucides que tant d’autres en matière de politique étrangère ne peuvent me satisfaire. Il reste tant d’autres sujets sur lesquels je serais probablement en fort désaccord.

            • Descartes dit :

              @ Cording1

              [Villepin est tout de même un oligarque européiste.]

              Pardon, mais je vous ai déjà demandé sur quoi vous appuyez ce jugement, et j’attends toujours une réponse…

              [Certaines de ses analyses bien plus lucides que tant d’autres en matière de politique étrangère ne peuvent me satisfaire. Il reste tant d’autres sujets sur lesquels je serais probablement en fort désaccord.]

              Moi aussi. Je n’ai jamais dit que j’étais d’accord avec la ligne que pourrait défendre de Villepin. Mais je trouve que c’est un personnage qui mérite le respect, autant pour la qualité de sa réflexion et de sa culture que les qualités de courage et d’intelligence dont il a fait preuve. Et elles ne sont pas nombreuses les personnalités dans ce cas. Essayez de faire une petite liste des politiciens devant qui vous feriez chapeau bas… vous verrez qu’il n’y en a pas beaucoup.

      • Vincent dit :

        “Pour le moment, notre retard est d’abord industriel et institutionnel, pas intellectuel.”

        Si seulement… Vous n’avez pas du faire passer d’entretiens de recrutement à des profils scientifiques depuis longtemps.
        J’ai fait 4 entretiens à de jeunes candidats pour des stages de fin d’études d’école d’ingénieurs, ces dernières semaines. Après m’être rendu compte que de jeunes collègues ne savaient pas faire de petits calculs de base, je me suis dit qu’il fallait le tester dès les entretiens d’embauche.
        J’ai voulu leur faire faire un petit exercice de trigo, avec un changement de repère, en les aidant…
        1ère question : 2 points A et B, de coordonnées (X_A, Y_A), et (X_B, Y_B) dans un repère orthonormée. Je demande l’angle du vecteur |AB| avec l’axe des abscisses. En leur laissant 2 minutes de réflexion. Résultat : 0 sur 4 qui sont capables de me sortir le résultat… (et encore, même s’ils s’étaient planté et m’avaient donné l’angle avec le mauvais axe, j’aurais été content…)
        Quant à la capacité de concentration et à la capacité de synthèse, c’est à l’avenant.
        Il y a une énorme différence entre ceux qui sont sortis d’école il y a encore 10 ans et ceux qui sortent maintenant…

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [“Pour le moment, notre retard est d’abord industriel et institutionnel, pas intellectuel.” Si seulement… Vous n’avez pas du faire passer d’entretiens de recrutement à des profils scientifiques depuis longtemps.]

          Ne croyez pas ça, le dernier ne date que d’un an… mais il est vrai que je recrute maintenant essentiellement des profils expérimentés… et qui sont donc sortis de l’enseignement il y a dix ans ou plus.

          [J’ai fait 4 entretiens à de jeunes candidats pour des stages de fin d’études d’école d’ingénieurs, ces dernières semaines. Après m’être rendu compte que de jeunes collègues ne savaient pas faire de petits calculs de base, je me suis dit qu’il fallait le tester dès les entretiens d’embauche.
          J’ai voulu leur faire faire un petit exercice de trigo, avec un changement de repère, en les aidant…
          1ère question : 2 points A et B, de coordonnées (X_A, Y_A), et (X_B, Y_B) dans un repère orthonormée. Je demande l’angle du vecteur |AB| avec l’axe des abscisses. En leur laissant 2 minutes de réflexion. Résultat : 0 sur 4 qui sont capables de me sortir le résultat… (et encore, même s’ils s’étaient planté et m’avaient donné l’angle avec le mauvais axe, j’aurais été content…)]

          Je suis intéressé par cette petite expérience. Comment ont-ils réagi à la question ? Ont-ils essayé de dessiner les points (si avec le dessin ils n’ont pas trouvé la solution, c’est grave en effet tellement elle est évidente). Mais il y a aussi peut-être une ambiguité dans votre énoncé : s’il est facile de donner la tangente de l’angle (et un peu plus compliqué de donner le sinus et le cosinus) donner l’angle lui-même est beaucoup plus compliqué ! Il se peut que vos candidats n’aient pas compris qu’il s’agissait d’un problème de trigonométrie, et aient chercher à calculer directement l’angle…

          [Quant à la capacité de concentration et à la capacité de synthèse, c’est à l’avenant. Il y a une énorme différence entre ceux qui sont sortis d’école il y a encore 10 ans et ceux qui sortent maintenant…

          Pour la capacité de concentration, c’est assez évident. C’est aussi le cas pour la tenacité : les plus jeunes générations se découragent beaucoup plus vite devant les difficultés, ont plus tendance à conclure rapidement que « ça ne marchera jamais », que « on n’y arrivera pas ». Curieusement, ils supportent moins bien que les plus anciens les frustrations, mais ont du mal à l’évacuer par l’effort, préférant plutôt la violence ou la recherche d’un bouc émissaire.

          Ce n’est pas seulement la faute à l’école – quoi qu’elle a sa part de responsabilité. Nous vivons dans une société de l’immédiat, bombardés d’articles à consommer vite, d’écrans qui nous abreuvent d’une communication instantanée qui s’autodétruit en permanence. Naguère, un film ou un livre pouvaient devenir des classiques, aujourd’hui c’est impossible : aucun ne vit assez longtemps pour atteindre ce statut, ils sont rapidement remplacés par d’autres et tombent dans l’oubli. Dans ces conditions, il n’est pas évident de se concentrer, de bâtir une connaissance qui a besoin d’un effort raisonnable mais continu et constant.

          Et ce n’est certainement pas la faute des jeunes. C’est trop facile de jouer les vieux cons sur le mode « les jeunes d’aujourd’hui… ». Au risque de me répéter, quand je vois de ma fenêtre, les adolescents s’entrainer sur leurs planches à roulettes, et répéter dix, cent, mille fois la même figure pour essayer d’atteindre la perfection, j’ai envie de pleurer en pensant aux ressources qu’on gâche…

      • FAUDOT joel dit :

        vous prétendez  que personne à gauche ne parle de politique industrielle et de réindustrialisation, ce qui m’étonne étant donnée votre attention pour ces questions. Mais meme affaibli le PCF a fait de ces questions le coeur de son projet politique, de meme que de la question de la formation, du nucléaire, de l’augmentation des budgets. Entre la duplicité du PS et les délire de la FI , il offre une perspective lucide et rationnelle.
         

        • Descartes dit :

          @ FAUDOT Joël

          [vous prétendez que personne à gauche ne parle de politique industrielle et de réindustrialisation, ce qui m’étonne étant donnée votre attention pour ces questions. Mais meme affaibli le PCF a fait de ces questions le cœur de son projet politique,]

          J’aimerais bien vous donner raison… mais les faits parlent d’eux-mêmes. Tiens, prenons par exemple le site du PCF. En page d’ouverture, on trouve le lien vers le document programmatique, les « 160 propositions ». Voici les propositions mises en exergue dans la page – et dont on suppose qu’elles sont considérées comme les plus importantes :

          « La semaine de travail à 32 heures »
          « La retraite à 60 ans à taux plein »
          « Augmentation du smic à 1500 € net par mois »
          « 850€ par mois pour tous les étudiants »
          « Repas à 1€ dans toutes les cantines scolaires »
          « Rétablissement et triplement de l’ISF »
          « Un mix énergétique nucléaire et renouvelable »
          « Recrutement de 500.000 fonctionnaires »

          Où voyez vous une référence à la politique industrielle, à des mesures relatives à la production ? A la rigueur, on peut rattacher à ce domaine la proposition sur le « mix énergétique », et encore. Toutes les autres sont des mesures de répartition. Et lorsqu’on rentre dans le détail du programme, on ne trouve qu’une seule mesure sur cette question, dont je vous laisse savourer la précision et le haut contenu en propositions concrètes :

          « 61 – Une loi d’orientation et de programmation sera déposée au Parlement dans le but de favoriser une nouvelle industrialisation du pays.

          Elle s’appuiera sur l’emploi, la formation et les capacités créatrices des femmes et des hommes de notre pays. Elle visera la maîtrise de nos choix technologiques et de la réponse à nos besoins, en coopération avec l’ensemble du monde. Elle visera le développement de l’économie circulaire, des circuits courts et des process industriels durables, ainsi que des coopérations industrielles nécessaires à l’échelle européenne et mondiale.
          Conjuguée à une planification démocratique et décentralisée, elle interviendra au terme d’un large processus d’élaboration partagée et de concertation impliquant tous les acteurs concernés ; l’objectif de ce processus sera de définir les grandes filières industrielles stratégiques, d’organiser et conditionner l’action de l’État, de décider de l’utilisation de l’argent public et de la mobilisation du pôle public bancaire.
          La loi d’orientation considérera également la commande publique, ainsi que les nouvelles relations entre donneurs d’ordre publics et fournisseurs industriels, comme des leviers de ce développement renouvelé. »

          Avec ça, et un ticket de métro, vous pouvez prendre le métro. Le contraste est flagrant : lorsqu’on parle de distribuer, on est capable de préciser à l’euro près, mais quand on parle de stratégie industrielle, on laissera « un large processus d’élaboration partagée et de concertation impliquant tous les acteurs concernés » – ici on a échappé aux « acteurs et actrices concernées » qui pullulent dans le reste du texte – pour élaborer une loi « qui sera déposée devant le Parlement », sans que l’on sache ce qui se passe ensuite. Quant à la « planification démocratique et décentralisée », on aimerait bien comprendre ce que cela veut dire. Et c’est là, sur 160 propositions, la SEULE que j’ai trouvée qui concerne la production. Toutes les autres sont orientés vers le citoyen-consommateur.

          [de meme que de la question de la formation, du nucléaire, de l’augmentation des budgets. Entre la duplicité du PS et les délire de la FI , il offre une perspective lucide et rationnelle.]

          Là encore, j’aimerais bien vous donner raison, mais je pense que vous faites erreur. Il y a encore au PCF des gens qui s’intéressent à ces questions – je pense par exemple l’équipe autour de la revue « progressistes ». Mais il faut noter que cette publication reste relativement confidentielle même à l’intérieur du PCF, et que ses principaux dirigeants n’en font pas vraiment la promotion. Il est vrai que le PCF reste constant sur son adhésion au nucléaire, mais pour ce qui concerne la formation, par exemple, elle n’est pas abordée sous l’angle des besoins pour la production, mais sous l’angle de l’emploi. Quant à « l’augmentation des budgets », je pense qu’on se trompe de problème.

  2. Carloman dit :

    [le frère du roi et héritier du trône Philippe d’Orléans, ]
    Euh… Gaston d’Orléans. Philippe d’Orléans, son neveu, est le frère de Louis XIV.

    • Descartes dit :

      @ Carloman

      [Euh… Gaston d’Orléans. Philippe d’Orléans, son neveu, est le frère de Louis XIV.]

      Merci de votre vigilance. Voilà ce qui arrive quand on fait confiance à sa mémoire plutôt qu’à Wikipédia…

  3. Bob dit :

    @ Descartes
     
    Cette analyse est implacable, et un peu déprimante je trouve…
     
    [ Peut-être créer l’agence de la débureaucratisation ?]
    … heureusement vous avez saupoudré avec cette touche d’humour qui m’a bien fait rire (même si c’est la seule du billet).

  4. Cording1 dit :

    Etant donné mon anti-macronisme viscéral depuis 2014 je n’ai pas perdu de temps à écouter le discours de politique générale de Bayrou, un vieux politicien médiocre ayant fait en 2017 le succès de Macron. Je savais qu’il n’y avait rien de bon à en attendre. Un long constat sans aucun remède sérieux.
    Bossuet disait fort justement  “Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes” Autrement dit il n’y a rien de bon à attendre de notre classe dirigeante politico-médiatique et son pseudo-cercle de la raison. Sa soumission à l’idéologie néolibérale sous alibi européen qu’elle feint de déplorer pour justifier son impuissance publique. Cette dernière est voulue par la dépolitisation de l’économie qui s’est traduit pas seulement en France, par la multiplication d’agences et/ou d’autorités dites indépendantes.
    Comme l’explique l’économiste hétérodoxe David Cayla mais en vain à l’usage d’une gauche qui ne veut pas ni l’entendre ni l’écouter le néolibéralisme vise à mettre l’Etat au service des entreprises privées pour leur assurer le bon fonctionnement d’un marché censé être régulé par une main invisible dont aucun économiste n’a prouvé l’existence. Il “prêche” dans le désert en effet c’est elle qui l’a mis en place sous alibi européen. 
    Quant à Villepin malgré une ou deux bonnes idées ( sur le Proche-Orient et le conflit russo-ukrainien ) il reste un oligarque néolibéral et européiste.
    La gauche dite radicale (surtout en paroles) ne propose finalement qu’un programme de type social-démocrate de redistribution des richesses sans évidement s’attaquer aux structures économiques actuelles comme c’était le cas bien avant elle.  Son expression politique, la FI, sous la férule de son caudillo,  exerce un chantage sur les autres formations de gauche pour les empêcher de rejouer une partition néolibérale et européiste qu’ils attendent de faire tels Hollande et consorts.

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [Etant donné mon anti-macronisme viscéral depuis 2014 je n’ai pas perdu de temps à écouter le discours de politique générale de Bayrou, un vieux politicien médiocre ayant fait en 2017 le succès de Macron. Je savais qu’il n’y avait rien de bon à en attendre. Un long constat sans aucun remède sérieux.]

      Je ne peux pas dire que j’attendais grande chose. Mais c’est toujours intéressant de voir comment un premier ministre qui arrive choisit ses formulations. Souvent, d’ailleurs, les discours trahissent la formation de leurs auteurs : Fabius parlait comme un techno, Borne c’était un mélange d’ingénieur et de préfet. Quand on écoute Macron, on comprend qu’il a raté sa véritable vocation sur les planches. Je dois dire que du point de vue formel, j’attendais d’un agrégé de lettres classiques quelque chose de plus travaillé.

      [Comme l’explique l’économiste hétérodoxe David Cayla mais en vain à l’usage d’une gauche qui ne veut pas ni l’entendre ni l’écouter le néolibéralisme vise à mettre l’Etat au service des entreprises privées pour leur assurer le bon fonctionnement d’un marché censé être régulé par une main invisible dont aucun économiste n’a prouvé l’existence.]

      Pardon, mais je ne peux laisser passer ça. La « main invisible du marché » existe, et son existence a été prouvée par Adam Smith dans un raisonnement tout à fait rigoureux. Le seul problème est que cette « main invisible » ne fonctionne pleinement que dans un certain nombre de marchés, parce que la condition de son bon fonctionnement est que la concurrence sur ce marché soit « pure et parfaite ». Je pense que les antilibéraux font souvent l’erreur symétrique de celle des libéraux : les uns pensent que le marché est TOUJOURS le régulateur le plus efficace, les autres soutiennent qu’il ne l’est JAMAIS. Les deux ont tort. Il y a des marchés sur lesquels la concurrence s’approche de l’état idéal d’une concurrence « pure et parfaite », et dans ce cas la « main invisible » fonctionne. Il y a d’autres qui sont par nature imparfaits, et dans ce cas la régulation par le marché peut conduire à des désastres.

      La capital cherche toujours à mettre toutes les institutions à son service. C’est là une évidence. Mais contrairement à ce que vous semblez penser, le capital ne cherche pas « le bon fonctionnement du marché ». Au contraire. Sur un marché « pur et parfait », les prix tendent vers les coûts de fabrication, ce qui veut dire que les marges tendent vers zéro. Ce sont les imperfections du marché qui permettent de dégager des marges, et c’est pourquoi le capital cherche à créer et à maintenir ces imperfections, en multipliant les couts d’entrée sur le marché, les asymétries d’information, les ententes et les monopoles. Certaines de ces barrières sont légales, d’autres illégales. Prenez par exemple le cas des brevets… cet instrument légal qui vise à créer un monopole temporaire.

      C’est là une des grandes contradictions de beaucoup de thuriféraires capitalistes du néolibéralisme, qui d’un côté proclament hautement les avantages de la concurrence « libre et non faussée », mais qui d’un autre côté font tout ce qu’ils peuvent pour « fausser » la dite concurrence.

      [Quant à Villepin malgré une ou deux bonnes idées (sur le Proche-Orient et le conflit russo-ukrainien) il reste un oligarque néolibéral et européiste.]

      Je ne sais pas sur quoi vous vous appuyez pour en faire un « néolibéral », et encore moins un « européiste ». Villepin ne s’est pas contenté d’avoir des idées, il les a mis en pratique. Et il fallait beaucoup de courage pour faire ce qu’il a fait lors de la crise irakienne… Je ne suis pas d’accord avec lui sur beaucoup de points, mais je pense que c’est l’un des rares dirigeants politiques d’aujourd’hui qui mérite le respect.

      [La gauche dite radicale (surtout en paroles) ne propose finalement qu’un programme de type social-démocrate de redistribution des richesses sans évidement s’attaquer aux structures économiques actuelles comme c’était le cas bien avant elle.]

      Oui. En fait, la gauche aujourd’hui s’intéresse essentiellement à la distribution des richesses, mais néglige complètement la manière dont ces richesses sont produites. Elle est parfaitement intégrée à une idéologie qui voit l’être humain comme consommateur avant de le voir comme producteur.

      [Son expression politique, la FI, sous la férule de son caudillo, exerce un chantage sur les autres formations de gauche pour les empêcher de rejouer une partition néolibérale et européiste qu’ils attendent de faire tels Hollande et consorts.]

      Néolibérale ? Peut-être. Mais LFI n’est pas moins « européiste » que le PS.

      • Cording1 dit :

        Désolé mais si le raisonnement d’Adam Smith est juste il me semble que la réalité a démontré le contraire. Si on pratique le laisser-faire on aboutit le plus souvent à la concentration dans tous les secteurs économiques. Dans le secteur bancaire il n’y a plus que 3 grandes banques systémiques dont la faillite est impossible : too big to fail. En 2008 il a bien fallu que l’Etat si honni intervienne massivement et sans contreparties pour sauver les banques toutes privées de leurs errements?
        Ce n’est pas un hasard s’il a fallu un grand mouvement socialiste puis communiste pour commencer à prendre en compte les dégâts sociaux du libéralisme. D’ailleurs il est significatif que vous ajoutiez les conditions nécessaires à son existence dans la réalité. Si Adam Smith voyait l’économie mondiale actuelle il ne s’y reconnaîtrait pas. De toutes les façons ce qui sévit depuis 1979 c’est un néolibéralisme impulsé par Ronald Reagan et Margaret Thatcher influencés par l’école de Chicago de Milton Friedman et la Société du Mont-Pelerin, l’école autrichienne de Fredrick Hayek et l’ordolibéralisme allemand de Willem Röpke et Walter Eucken. Tous les trois précédés par le colloque Walter Lippmann en 1938. 
        David Cayla ainsi que quelques économistes hétérodoxes démontrent que la théorie du ruissellement ainsi que les dérégulations de l’économie n’ont pas du tout les effets escomptés voire pire. Depuis que les théories ci-dessus énoncées ont été mises en pratique quasiment partout dans le monde et à toutes les forces politiques mais à des degrés divers le populisme ne cesse de progresser parce qu’il y a entre eux une relation étroite de cause à effet.  Ce qui est un des non-dits du discours économiquement correct.
        D’autre part l’essayiste américain David Graëber montrait dans un de ses derniers livres que le libéralisme économique n’allait pas de soi dans la mesure où l’on a assisté à la mise en place de pas mal d’autorités dites indépendantes pour réguler tel ou tel secteur économique. En fait les Politiques se sont désarmés volontairement pour laisser place à une économie de type libéral.  Je pense que les Politiques doivent reprendre le contrôle d’un système devenu fou. Je ne pense pas que Villepin entre dans ce cadre.

        • Descartes dit :

          @ Cording1

          [Désolé mais si le raisonnement d’Adam Smith est juste il me semble que la réalité a démontré le contraire. Si on pratique le laisser-faire on aboutit le plus souvent à la concentration dans tous les secteurs économiques.]

          Prenez par exemple les baraques à frites. C’est un domaine où la concurrence est proche d’une concurrence « pure et parfaite » : pas de barrières à l’entrée, pas d’asymétrie d’information, aucun acteur n’est suffisamment gros pour faire les prix. Où voyez-vous une « concentration » ?

          En fait, dans une concurrence « pure et parfaite », la concentration ne se produit que lorsque vous êtes dans un domaine où la rentabilité augmente avec la taille. Prenez le cas par exemple de la production d’électricité : en construisant un parc d’installations standardisées, vous pouvez amortir les coûts de conception et d’ingénierie, vous pouvez mutualiser la maintenance. Et plus votre parc est important, plus vous y gagnez. D’où l’effet de concentration qui ne s’arrête que lorsqu’un monopole s’établit. C’est ce qu’on appelle « monopoles naturels ».

          Mais dans la plupart des domaines, une fois qu’on a dépassé une certaine taille les rendements tendent à décroitre avec la taille. Prenez par exemple la restauration. Qui a envie d’aller passer sa soirée dans un restaurant-usine ?

          [Dans le secteur bancaire il n’y a plus que 3 grandes banques systémiques dont la faillite est impossible : too big to fail. En 2008 il a bien fallu que l’Etat si honni intervienne massivement et sans contreparties pour sauver les banques toutes privées de leurs errements ?]

          Tout à fait. Mais diriez-vous que le marché des services bancaires est un domaine où la concurrence est « pure et parfaite » ? Ce serait absurde : c’est l’un des marchés les plus imparfaits qui soient. Les barrières à l’entrée et à la sortie sont énormes, l’asymétrie d’information massive, l’intervention des régulateurs permanente.

          [Ce n’est pas un hasard s’il a fallu un grand mouvement socialiste puis communiste pour commencer à prendre en compte les dégâts sociaux du libéralisme.]

          Mais les « dégâts » en question sont liés d’abord à une généralisation abusive. Les libéraux tendent à penser que le raisonnement de Smith peut être généralisé à tous les domaines, alors qu’il ne fonctionne que dans des marchés « purs et parfaits », et que tous les marchés ne peuvent pas, quelque soient les efforts des régulateurs, amenés à fonctionner de cette façon.

          [David Cayla ainsi que quelques économistes hétérodoxes démontrent que la théorie du ruissellement ainsi que les dérégulations de l’économie n’ont pas du tout les effets escomptés voire pire.]

          Là, je suis d’accord. La théorie du ruissellement n’est pas en fait une véritable théorie, mais une pétition de principe fabriquée par les politiciens. Elle ne repose sur aucun raisonnement théorique, sur aucune preuve empirique. Quant aux dérégulations, elles rentrent souvent dans le type de généralisation que j’ai dénoncé plus haut. Et à l’illusion que si on y met les moyens, on arrive à transformer tout marché en marché « pur et parfait ». Le désastre de la libéralisation de l’électricité montre les limites de ce raisonnement.

          [Depuis que les théories ci-dessus énoncées ont été mises en pratique quasiment partout dans le monde et à toutes les forces politiques mais à des degrés divers le populisme ne cesse de progresser parce qu’il y a entre eux une relation étroite de cause à effet. Ce qui est un des non-dits du discours économiquement correct.]

          Je n’ai pas bien compris quelle est votre théorie sur les liens entre néolibéralisme et populisme. Pourriez-vous développer ?

          [D’autre part l’essayiste américain David Graëber montrait dans un de ses derniers livres que le libéralisme économique n’allait pas de soi dans la mesure où l’on a assisté à la mise en place de pas mal d’autorités dites indépendantes pour réguler tel ou tel secteur économique.]

          Mais ces « autorités dites indépendantes » sont censées réguler le marché, et non faire une politique économique. Leur fonction est d’organiser le marché de telle manière de s’approcher d’un marché « pur et parfait ». C’est par la dérégulation, par l’organisation de l’économie avec le marché pour seul régulateur, et non pas par la création des « autorités indépendantes », que le politique a renoncé à faire de la politique économique.

          [Je pense que les Politiques doivent reprendre le contrôle d’un système devenu fou. Je ne pense pas que Villepin entre dans ce cadre.]

          Je ne sais pas si de Villepin s’intéresse beaucoup aux questions économiques. Mais d’une manière générale, je le rangerais plutôt chez les volontaristes-interventionnistes, et non chez les partisans du « laisser faire, laisser passer ». Mais je suis un peu d’accord avec vous sur le fait que de Villepin se range dans la catégorie des « spécialistes ». Je voterais pour le nommer au Quai d’Orsay, mais je ne suis pas persuadé qu’il serait bon ailleurs…

          • Cording1 dit :

            Pour le lien entre populisme et néolibéralisme je m’inspire des travaux de l’économiste hétérodoxe David Cayla dans son livre éponyme. Il montre que les populations même peu diplômées ont bien compris contre les élites et classes plus diplômées que les politiques néolibérales leur étaient défavorable et que faute d’être écoutées et entendues elles votent pour des formations populistes dites d’extrême-droite par paresse et conformisme intellectuels de tant d’analystes et politiciens.
            Il essaie, en vain, d’éclairer la gauche sur les méfaits du néolibéralisme à combattre par elle tout en étant conscient que c’est la gauche sous Mitterrand qui l’a mis en place au lieu de tout socialisme démocratique il leur tient lieu de logiciel intangible.

            • Descartes dit :

              @ Cording1

              [Pour le lien entre populisme et néolibéralisme je m’inspire des travaux de l’économiste hétérodoxe David Cayla dans son livre éponyme. Il montre que les populations même peu diplômées ont bien compris contre les élites et classes plus diplômées que les politiques néolibérales leur étaient défavorable et que faute d’être écoutées et entendues elles votent pour des formations populistes dites d’extrême-droite par paresse et conformisme intellectuels de tant d’analystes et politiciens.]

              Ce phénomène est bien connu. Mais il ne constitue pas un lien entre les idéologies « populistes » et « néolibéralisme ». Tout au plus, elle permet d’expliquer pourquoi les partis et candidats populistes ont autant de succès. En fait, le « populisme » en tant qu’idéologie est aussi ancien que la démocratie. Aristote en parle déjà lorsqu’il analyse la corruption de la démocratie par la démagogie. Et souvent la ligne entre populisme et démagogie est difficile à établir…

              [Il essaie, en vain, d’éclairer la gauche sur les méfaits du néolibéralisme à combattre par elle tout en étant conscient que c’est la gauche sous Mitterrand qui l’a mis en place au lieu de tout socialisme démocratique il leur tient lieu de logiciel intangible.]

              Le problème avec ce discours est qu’il ne recherche pas une explication matérialiste des faits. Si la « gauche » a mis les politiques néolibérales en place, ce n’est pas parce qu’elle s’est trompée, ou parce qu’elle était insuffisamment éclairée. C’est parce que la « gauche » représentait des classes qui avaient tout intérêt à cette transformation. Chercher à éclairer la « gauche » sur les méfaits du néolibéralisme est donc un exercice stérile. Tant que la « gauche » représentera les intérêts des classes intermédiaires, et que celles-ci auront des intérêts convergents avec la bourgeoisie, ce sera « en vain » qu’on cherchera à « l’éclairer sur les méfaits du néolibéralisme »…

  5. Sami dit :

    (merci pour vos réponses, le débat ici est passionnant, enrichissant, tout ça… bref, ce qu’on attend vraiment de ce qu’on appelle “le débat démocratique” ! On continue !)

  6. Claustaire dit :

    Merci pour votre réquisitoire.
     
    Pour qui n’aurait pas vu jusqu’où peut aller l’agressivité ou la bassesse en politique, qu’on revoie cette courte vidéo (3′) opposant Bayrou et Cohn-Bendit :
     

     
    Sur le fond de notre situation politique et parlementaire, voici le petit commentaire que je vous soumets :
     
    Plutôt que de réclamer le “Tout ou Rien”, pour n’avoir finalement Rien du Tout mieux vaut, surtout entre démocrates se respectant un peu, se souvenir du “Mieux vaut un petit ‘Tiens’ tout de suite que deux Rien du Tout demain”.
    En outre, en démocratie, n’est-ce pas la position idéale que celle de la “charnière” ? Puisque c’est là que tout tourne, se ferme, s’ouvre, s’accepte ou se censure… 
    Evidemment, cela peut faire girouette, mais pour travailler, naviguer, gouverner, n’importe-t-il pas de savoir d’où soufflent les vents dominants ?
     
    Lors des dernières législatives s’est constitué un ‘Front national’ contre l’ED. C’est donc ce Front national anti ED qui est légitime voire requis par la République pour tenter de trouver moyen de gouverner tant soit peu le pays (qui autrement partirait à vau-l’eau).
     
    Or, dans une AN divisée en trois tiers inconciliables, nul tiers ne serait jamais légitime à lui tout seul. Macron s’étant totalement déconsidéré, seule l’AN peut et doit trouver les moyens de gouverner, en s’appuyant sur ses propres forces, et en attendant que le peuple puisse de nouveau faire entendre ses voix (car nous sommes un peuple encore plus pluriel que toute possible ‘gauche plurielle’).

    • Descartes dit :

      @ Claustaire

      [Pour qui n’aurait pas vu jusqu’où peut aller l’agressivité ou la bassesse en politique, qu’on revoie cette courte vidéo (3′) opposant Bayrou et Cohn-Bendit : (…)]

      Cet incident est peut-être celui qui illustre le mieux la personnalité de François Bayrou, son esprit de maître chanteur.

      [Plutôt que de réclamer le “Tout ou Rien”, pour n’avoir finalement Rien du Tout mieux vaut, surtout entre démocrates se respectant un peu, se souvenir du “Mieux vaut un petit ‘Tiens’ tout de suite que deux Rien du Tout demain”.]

      Possible. Mais « entre démocrates » il faut un minimum de clarté quant aux « tiens » qu’on est prêt à accepter pour renoncer au tout. Et de soumettre ces compromis aux électeurs en toute clarté. Quand on se fait élire en expliquant qu’aucune solution autre que l’abrogation de la loi sur les retraites n’est acceptable, on ne peut ensuite reculer les « lignes rouges » en permanence jusqu’à accepter de ne rien faire.

      [En outre, en démocratie, n’est-ce pas la position idéale que celle de la “charnière” ? Puisque c’est là que tout tourne, se ferme, s’ouvre, s’accepte ou se censure… Evidemment, cela peut faire girouette, mais pour travailler, naviguer, gouverner, n’importe-t-il pas de savoir d’où soufflent les vents dominants ?]

      Certainement. Mais une chose est de « savoir d’où soufflent les vents dominants », et une autre très différent est de se laisser porter par eux, quelque soit la direction vers laquelle ils soufflent. Les socialistes ont le même problème que LR : ils sont coincés entre le « bloc central » et les radicaux de leur camp. Il leur faut choisir entre se fondre dans ce « bloc central » et d’être subordonnés, ou bien de s’allier avec les radicaux et perdre leurs électeurs. Depuis 1958, la France a fonctionné sur un modèle « quadripartite » – la « bande des quatre » dénoncée par un Jean-Marie Le Pen ultra-minoritaire. Aux extrêmes, communistes et gaullistes, au centre un centre-droit bourgeois et un centre-gauche socialiste. Le problème, est qu’après 1981 on a pu voir le centre droit et le centre gauche se succéder au pouvoir en faisant les mêmes politiques. Ce qui nous ramène à la IV République, avec une « troisième force » coincée entre les deux extrêmes, toujours menacée d’une censure.

      [Lors des dernières législatives s’est constitué un ‘Front national’ contre l’ED. C’est donc ce Front national anti ED qui est légitime voire requis par la République pour tenter de trouver moyen de gouverner tant soit peu le pays (qui autrement partirait à vau-l’eau).]

      Pourquoi pas. Mais cela suppose que chacun cède quelque chose. Pour le moment, ce que propose Bayrou c’est de constituer une coalition qui va de la droite au parti socialiste, pour faire la politique… de la droite. Si le Parti socialiste s’embarque dans cette galère, il risque de laisser le peu de plumes qui lui restent.

      [Or, dans une AN divisée en trois tiers inconciliables, nul tiers ne serait jamais légitime à lui tout seul. Macron s’étant totalement déconsidéré, seule l’AN peut et doit trouver les moyens de gouverner, en s’appuyant sur ses propres forces, et en attendant que le peuple puisse de nouveau faire entendre ses voix (car nous sommes un peuple encore plus pluriel que toute possible ‘gauche plurielle’).]

      L’AN est un corps législatif. Il est donc exclu qu’elle puisse « trouver les moyens de gouverner ». On a vu ce que cela a donné sous la IVème République. Au risque de me répéter : en dernière instance, la République repose sur le peuple. C’est lui le souverain. C’est à lui que les gouvernants doivent s’adresser, c’est chez lui qu’ils doivent rechercher leur légitimité. Vous noterez que ni Barnier, ni Bayrou ne se sont adressés à la nation. Ni l’un ni l’autre n’ont songé à exposer leur programme de gouvernement devant le peuple, d’expliquer les difficultés et les sacrifices demandés, d’exposer pourquoi ils sont nécessaires pour préparer un avenir désirable. Je suis désolé de rappeler ce précédent, mais lorsque De Gaulle – qui n’est pas encore président élu au suffrage universel – expose le plan Rueff, il ne le fait pas devant le parlement, il le fait devant la nation.

  7. jean girard dit :

    personnellement  je verrai plutôt un homme    de la trempe de  Philippe de villiers  ,mais ce dernier c’est retire de la vie ^poliique
    Cela fit je vous conseille d écouter ses interventions  le vendredi soir a 19 h sur Cnews ( ou en replay) Quelle lucidité et quel parle vrai  et aussi quelle culture ce qui ajoute au plaisir de l’ écouter , avec des journalistes qui ne coupent pas la parole  !
    Son audience serait de 1 million d auditeurs en augmentation constante !

    • Descartes dit :

      @ jean girard

      [Personnellement je verrai plutôt un homme de la trempe de Philippe de villiers, mais ce dernier s’est retiré de la vie politique. Cela dit je vous conseille d’écouter ses interventions le vendredi soir a 19 h sur Cnews ( ou en replay). Quelle lucidité et quel parle vrai et aussi quelle culture ce qui ajoute au plaisir de l’écouter , avec des journalistes qui ne coupent pas la parole !]

      Je l’écoute quelquefois. Oui, il est cultivé et intelligent, même si je n’irais pas jusqu’à dire que c’est un « plaisir de l’écouter » : il a un débit trop lent et énervant. Le problème, c’est que ce n’est pas parce qu’on porte un diagnostic lucide qu’on a les bonnes solutions. Philippe de Villiers est un réactionnaire au sens le plus strict du terme. Pour lui, l’effondrement de la France commence avec les Lumières. Et sont projet se résume à retourner à l’époque bénie où noblesse et clergé tenaient le pays. Même s’il tente d’apparaître un peu plus moderne, même s’il affecte un gaullisme bon teint, le naturel revient souvent au galop… et je ne pense pas qu’on puisse remettre la France sur pied en revenant à Louis XIV.

      [Son audience serait de 1 million d’auditeurs en augmentation constante !]

      Oui. Mais c’est une audience de nostalgiques…

  8. Carloman dit :

    Bonjour Descartes,
     
    Je sais que vous n’aimez guère ce qui n’est pas écrit, mais je me permets de vous donner ce lien vers un entretien radiophonique diffusé ce matin sur France Culture, car je pense que cela peut (peut-être) nourrir votre réflexion sur le capitalisme:
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/mondialisation-vers-un-capitalisme-anti-liberal-2138740
     
    La distinction qu’Arnaud Orain opère entre capitalisme marchand (qui serait plus libéral) et capitalisme industriel (qui serait plus favorable au protectionnisme) me paraît intéressante. Et qu’un soutien de Trump, le milliardaire Peter Thiel, ait commis un ouvrage expliquant que la concurrence ne sert pas le capitalisme ne manque pas de sel.
    Qu’en pensez-vous?

    • Descartes dit :

      @ Carloman

      [La distinction qu’Arnaud Orain opère entre capitalisme marchand (qui serait plus libéral) et capitalisme industriel (qui serait plus favorable au protectionnisme) me paraît intéressante. Et qu’un soutien de Trump, le milliardaire Peter Thiel, ait commis un ouvrage expliquant que la concurrence ne sert pas le capitalisme ne manque pas de sel. Qu’en pensez-vous?]

      Cela dépend de ce que vous appelez « servir le capitalisme ». Le capitalisme est un pur mode de production. Comment un mode de production pourrait avoir des intérêts – ce que l’expression « servir le capitalisme » suppose ? Je pense qu’il y a une confusion entre « capitalisme » et « capitaliste ». La bourgeoisie – c’est-à-dire, la classe des « capitalistes » a des intérêts, le « capitalisme » n’en a pas.

      Maintenant sur le fond : que la concurrence ne sert pas l’intérêt du capitaliste, c’est une évidence. Sur un marché ou règne la concurrence « pure et parfaite » les prix tendent vers les coûts de production – autrement dit, les marges tendent vers zéro. Il est facile à comprendre pourquoi : imaginons un marché « pur et parfait » dont les marges ne sont pas nulles. Cela veut dire qu’un nouvel entrant a intérêt à venir sur le marché, puisque les marges sont positives et qu’il n’y a pas de barrière à l’entrée (c’est l’une des conditions d’un marché pur et parfait) et il y aura toujours un acteur prêt à rentrer (une autre condition…). Or, un nouvel entrant ne fera qu’augmenter l’offre, dont réduire le prix. Et cela continuera aussi longtemps que les marges sont positives. Si les marges ne tendent pas vers zéro dans la réalité, c’est parce que les marchés sont imparfaits. Et le capitaliste a tout intérêt à maintenir ces imperfections. C’est pourquoi Thiel arrive à la bonne conclusion – même si son raisonnement n’est pas tout à fait le même.

      Je pense que la distinction entre un capitalisme qui aurait recherché la concurrence et un autre qui serait plutôt protectionniste est artificielle. Les capitalistes sont pour la concurrence lorsqu’il s’agit de rentrer sur un marché qui leur était fermé, et contre la concurrence lorsqu’ils sont installés sur un marché et qu’il s’agit de barrer la route aux nouveaux entrants. C’est pourquoi les puissances capitalistes on fait tout pour ouvrir les marchés ailleurs et les fermer chez eux. Mais comme nous, européens, nous regardons le monde par notre bout de la lorgnette, nous avons l’illusion que la Grande Bretagne était devenue libre-échangiste parce qu’elle envoyait des canonnières ouvrir les marchés réticents…

      C’est une autre forme du paradoxe déjà signalé par Keynes lors de la discussion de la Charte de La Havane : tout le monde veut une balance commerciale excédentaire, oubliant que l’excédent de l’un fait forcément le déficit chez l’autre.

      J’ai trouvé particulièrement intéressantes les remarques sur la marine et l’importance de la culture maritime. J’y trouve les échos de nos débats sur les rapports entre la “grande France” et la “petite France”.

  9. P2R dit :

    Concernant la qualité du personnel politique actuel, je trouve que Bellamy sort assez remarquablement du lot. D’une part il a un discours structuré et rationnel, d’autre part il est un des rares politiciens qui tente avec ses moyens d’agir et de faire bouger les lignes (il s’est par opposé à la nomination de Rima Hassan au poste de coordinatrice à la sous-commission des droits de l’homme, ce qui lui a valu des menaces de mort à peine voilées, si je puis dire, de la part de cette dernière), ce qui dénote un certain courage. Lors de la campagne européenne j’avais écouté son débat contre Pascal Canfin, c’était remarquable d’efficacité, de rigueur et de courtoisie. Puisse-t’il finir ministre de l’éducation nationale, à minima, et tout ne sera peut-être pas perdu.

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [Concernant la qualité du personnel politique actuel, je trouve que Bellamy sort assez remarquablement du lot. D’une part il a un discours structuré et rationnel, d’autre part il est un des rares politiciens qui tente avec ses moyens d’agir et de faire bouger les lignes (il s’est par opposé à la nomination de Rima Hassan au poste de coordinatrice à la sous-commission des droits de l’homme, ce qui lui a valu des menaces de mort à peine voilées, si je puis dire, de la part de cette dernière), ce qui dénote un certain courage.]

      Franchement, je n’appelle pas « agir et faire bouger les lignes » les petites opérations de répartition de postes dans une assemblée qui ne sert à rien. C’est un petit jeu pour initiés qui ne change rien à la face du monde. Que Rima Hassan soit ou non « coordinatrice de la sous-commission des droits de l’homme » ne changera rien pour personne – en dehors de l’intéressée. La sous-commission en question ne sert en pratique qu’à produire des textes que personne – en dehors du microcosme – ne lit, et dont tout le monde – y compris dans le microcosme – s’en fout.

      Bellamy est un homme cultivé, il s’exprime bien, mais n’a rien d’un homme d’Etat. Je ne me souviens pas l’avoir entendu une seule fois exposer une idée originale, une analyse personnelle. Je ne sais pas que dans sa vie il ait pris une initiative utile ou courageuse.

      [Puisse-t’il finir ministre de l’éducation nationale, à minima, et tout ne sera peut-être pas perdu.]

      C’est quoi, ses idées sur l’éducation ?

      • P2R dit :

        @ Descartes
         
        [Je ne sais pas que dans sa vie il ait pris une initiative utile ou courageuse.]
         
        Il a été en tête de pont dans le lobbying pour l’inclusion du nucléaire dans la “taxonomie verte”, avec un succès certe relatif, mais il a quand même obtenu sa reconnaissance comme energie nécessaire aux objectifs de décarbonation.
         
        [C’est quoi, ses idées sur l’éducation ?]
        Il dénonce – depuis longtemps – une crise de la transmission, a cause de l’effondrement de l’autorité de l’institution scolaire, qui entraine une perte de repère des élèves, et il préconise de revenir aux savoirs fondamentaux, à la discipline et à l’exigence. C’est classique mais c’est déjà beaucoup. Et surtout contrairement à beaucoup d’autres, il en parle en personne éclairée, lui qui est un universitaire (normalien, agrégé de philo) et qui a enseigné en lycée.
        Il a commis un ouvrage sur la question en 2014: Les Déshérités ou l’urgence de transmettre.
         
         
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [« Je ne sais pas que dans sa vie il ait pris une initiative utile ou courageuse. » Il a été en tête de pont dans le lobbying pour l’inclusion du nucléaire dans la “taxonomie verte”, avec un succès certes relatif, mais il a quand même obtenu sa reconnaissance comme énergie nécessaire aux objectifs de décarbonation.]

          Bellamy fait partie des députés qui défendent l’énergie nucléaire, que ce soit en France ou dans les institutions européennes. Mais de là à dire que l’inclusion du nucléaire dans la « taxonomie verte » est à son initiative, il y a un pas qu’il est imprudent de franchir. Bellamy est fidèle à l’orientation traditionnelle de la droite gaulliste – et il le dit d’ailleurs lui-même, notant que seuls deux organisations politiques ont été constantes dans leur soutien au nucléaire depuis des décennies, la droite et… le parti communiste !

          Attention, ne voyez pas dans ma remarque une attaque a Bellamy. Je le trouve plutôt agréable comme personnage : toujours courtois dans le débat, toujours attentif au fond autant qu’à la forme, cultivé, il a plein de qualités. Mais il reste, je le crains, un poids léger. J’ai du mal à l’imaginer assumant le côté tragique du pouvoir. Il est vrai qu’on ne voit pas beaucoup, parmi ceux qui occupent la scène politique aujourd’hui, être capables d’assumer ce fardeau.

          [« C’est quoi, ses idées sur l’éducation ? » Il dénonce – depuis longtemps – une crise de la transmission, a cause de l’effondrement de l’autorité de l’institution scolaire, qui entraine une perte de repère des élèves, et il préconise de revenir aux savoirs fondamentaux, à la discipline et à l’exigence. C’est classique mais c’est déjà beaucoup.]

          Oui mais… comment ? Parce que si faire les bons constats c’est déjà pas mal, ce n’est pas ça « avoir des idées sur l’éducation ». Ce qu’on demande à un homme d’Etat, ce n’est pas de se contenter d’un constat, mais de porter un diagnostic sur les causes du problème et une voie réaliste vers sa solution. La question est comment on fait aujourd’hui, dans la société capitaliste avancée qu’est la notre, pour instaurer la discipline, l’exigence, pour transmettre les « savoirs fondamentaux » – et encore, il faudrait s’entendre sur ce qu’est un « savoir fondamental » aujourd’hui. Et sur ces sujets, je ne l’ai jamais entendu exprimer une idée. A sa décharge, je dois dire que personne ou presque ne le fait, ni dans le monde politique, ni même dans le monde universitaire. Je ne connais pas beaucoup de pédagogues aujourd’hui qui travaillent sur la question de la discipline ou l’exigence, deux mots tabous dans ce milieu.

          Si vous me permettez un aparté, dans l’idée de « revenir aux savoirs fondamentaux, à la discipline et à l’exigence », c’est le mot « revenir » qui me gêne. Ce « retour » est un fantasme. L’école n’existe pas indépendamment de la société qui l’entoure. Elle existe au contraire pour satisfaire les besoins des classes dominantes de la société en question – même si, quelquefois, les intérêts de la classe dominante et ceux des autres couches peuvent coïncider. Si l’école de la IIIème République reste un exemple et un sujet de nostalgie, c’est précisément parce qu’elle coïncide avec l’un de ces moments : la République bourgeoise enfin solidement installée avait besoin de travailleurs disciplinés et responsables. Elle avait besoin de travailleurs patriotes, susceptibles de se battre pour défendre leurs usines. Elle avait besoin de former une élite technique capable d’accompagner l’industrialisation du pays, d’une fonction publique capable de conduire la construction des infrastructures nécessaires au bon fonctionnement d’une économie capitaliste. Tout cela supposait de construire une école positiviste, patriote, transmettant des valeurs d’ordre et de discipline.

          Il est impossible de « revenir » à cette école parce qu’il est impossible de revenir aux conditions qui lui ont donné naissance. Une société dont les membres sont conçus d’abord comme des producteurs n’a pas les mêmes besoins et ne forme pas les mêmes citoyens que celle dont les membres sont conçus comme consommateurs. Que la gauche – qui prétend représenter l’avenir – mette en exergue la bataille de la répartition plutôt que la bataille de la production, qu’elle se soucie plus de la retraite que de l’éducation, qu’elle ait de l’avenir une vision catastrophiste et victimaire plutôt qu’une vision volontariste et conquérante, est de ce point de vue significatif. En 1936, la gauche chantait ceci :

          Ma blonde, entends-tu dans la ville
          Siffler les fabriques et les trains
          Allons au devant de la vie
          Allons au devant du matin

          Refrain :
          Debout ma blonde
          Chantons au vent
          Debout amie
          Il va vers le soleil levant
          Notre pays.

          Qui oserait aujourd’hui chanter cela ? Associer « le soleil levant » avec le sifflet « des fabriques et des trains » ? Personne. Bien sûr, l’école telle que nous l’avons connue il y a un demi-siècle se meurt de réformes idiotes, d’une dispersion des moyens vers des « enseignements » qui ne sont que du bourrage de crâne, de la disparition de l’exigence. Mais plus fondamentalement, elle se meurt parce que la société n’en a plus besoin. Nous vivons dans une société capitaliste qui a besoin d’un tout petit nombre de gens cérébrés, et qui peut parfaitement s’accommoder d’un grand nombre de gens juste capables de livrer une pizza. Pourquoi dans ces conditions entretenir une école de masse capable de transmettre des vraies connaissances ?

          • Abbé Béat dit :

            Bonjour,
            Deux commentaires:
             1)Je rajouterais un vers entre les deux premiers du refrain ci-dessus: “Chantons au vent”…pour la rime, et pour être fidèle au texte initial !
            J’aime beaucoup cette chanson, passée de mode. Elle est comparable pour moi avec “l’Hymne à la joie” de Beethoven: même simplicité, même message optimisme. Il faut dire que si elle n’est pas de Beethoven… elle est de Chostakovitch!…
            2)
            Je partage votre conclusion qui suit la chanson. Mais elle pose un problème majeur: dans sa gestation initiale, au 19 ème siècle, le capitalisme avait “inventé” son propre “fossoyeur”: le “prolétariat”, la “classe ouvrière”. Mais aujourd’hui, avec le capitalisme ultralibéral, financiarisé, où est son fossoyeur? La classe intermédiaire?…

            • Descartes dit :

              @ Abbé Béat

              [ 1)Je rajouterais un vers entre les deux premiers du refrain ci-dessus: “Chantons au vent”…pour la rime, et pour être fidèle au texte initial !]

              Vous avez raison, la ligne a sauté à la publication pour des raisons inexpliquées… j’ai corrigé le commentaire.

              [J’aime beaucoup cette chanson, passée de mode. Elle est comparable pour moi avec “l’Hymne à la joie” de Beethoven: même simplicité, même message optimisme. Il faut dire que si elle n’est pas de Beethoven… elle est de Chostakovitch!…]

              Je ne la comparerais pas à « l’hymne à la joie », qui est un texte qui n’a rien de « simple », rempli de références mystiques assez typiques du romantisme allemand (on peut consulter le poème original de Schiller en version française ici : https://fr.wikisource.org/wiki/Ode_%C3%A0_la_joie_de_Schiller). La chanson de Perret n’a rien de mystique, au contraire. Elle illustre une confiance très terre à terre…

              [2) Je partage votre conclusion qui suit la chanson. Mais elle pose un problème majeur: dans sa gestation initiale, au 19 ème siècle, le capitalisme avait “inventé” son propre “fossoyeur”: le “prolétariat”, la “classe ouvrière”. Mais aujourd’hui, avec le capitalisme ultralibéral, financiarisé, où est son fossoyeur? La classe intermédiaire?…]

              Le capitalisme n’a nullement « inventé son fossoyeur ». Si l’on suit Marx, le capitalisme – comme tous les modes de production avant lui – ne sera pas « enterré » par une classe en particulier, mais sera dépassé parce que ses propres contradictions en feront un obstacle à l’expansion des forces productives, autrement dit, parce qu’un mode de production plus efficient à l’heure de satisfaire les besoins humains verra le jour.

              Le prolétariat était et reste la classe qui peut porter cette transformation, tout simplement parce qu’étant la classe qui produit par son travail les biens et services, et étant spoliée d’une partie de cette production, il a intérêt à changer le système, alors que la bourgeoisie a au contraire intérêt à le maintenir. Et cela reste aussi vrai au XXIème siècle qu’il l’était au XIXème. Quant aux classes intermédiaires, après avoir eu des intérêts convergents avec les couches populaires jusqu’à la fin des années 1960, elle a aujourd’hui beaucoup plus d’affinités avec la bourgeoisie, et on la voit mal jouer les “fossoyeurs” d’un mode de production qui sert ses intérêts…

  10. marc.malesherbes dit :

     
    “Nous vivons dans une société capitaliste qui a besoin d’un tout petit nombre de gens cérébrés, et qui peut parfaitement s’accommoder d’un grand nombre de gens juste capables de livrer une pizza. Pourquoi dans ces conditions entretenir une école de masse capable de transmettre des vraies connaissances ?”

    pouvez-vous développer ? (Si on regarde les USA, la course à la technologie est importante dans le cadre de la concurrence capitalistique. Et aussi avec la Chine. ils forment et attirent des scientifiques du monde entier. Certes ils sont minoritaires en %, mais ne faut-il pas une base large pour avoir une élite de bonne qualité ? Ne faut-il pas développer au moins quelques institutions de formation efficaces ?)

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [“Nous vivons dans une société capitaliste qui a besoin d’un tout petit nombre de gens cérébrés, et qui peut parfaitement s’accommoder d’un grand nombre de gens juste capables de livrer une pizza. Pourquoi dans ces conditions entretenir une école de masse capable de transmettre des vraies connaissances ?” pouvez-vous développer ? (Si on regarde les USA, la course à la technologie est importante dans le cadre de la concurrence capitalistique. Et aussi avec la Chine. ils forment et attirent des scientifiques du monde entier. Certes ils sont minoritaires en %, mais ne faut-il pas une base large pour avoir une élite de bonne qualité ? Ne faut-il pas développer au moins quelques institutions de formation efficaces ?)]

      En fait, l’image d’une Amérique où la haute technologie est partout est largement fausse. Oui, il y a la Californie avec sa Silicon Valley, avec ses entreprises de haute technologie, avec ses universités de pointe. Mais à côté de cette concentration qui touche tout au plus quelques centaines de milliers, voire quelques millions d’Américains, il y a une énorme masse d’américains qui achève difficilement l’enseignement secondaire – dont la qualité est médiocre – et qui n’a pas les moyens d’aller à l’université. Une masse qui travaille dans des conditions précaires dans des emplois à très faible productivité. Je vais vous donner un exemple : dans les supermarchés américains, il n’est pas rare de voir des employés dont le travail est de vous aider à mettre vos courses dans votre cabas. C’est là un signe qui ne trompe pas : quand on voit des gens faire ce genre de travail, cela veut dire que la main d’œuvre est bon marché, et donc la productivité faible.

      Bien entendu, pour avoir une élite de bonne qualité il vaut mieux avoir une base plus large que la simple élite. Mais de là à financer un enseignement de masse…

      • Dell Conagher dit :

        J’ajoute que les USA fonctionnent d’autant mieux avec ces systèmes d’enseignement de médiocre qualité pour les masses qu’ils peuvent compter sur l’importation des élites intellectuelles du reste de la planète. Si l’on prend la Silicon Valley, rien moins que Microsoft, Google (Alphabet) et Tesla/X sont dirigés par des immigrés – mais c’est encore plus marquant dans les rôles non exécutifs, de recherche, etc. La masse américaine peut rester mal instruite, il reste l’Europe, l’Asie, l’Amérique du Sud, etc. pour irriguer le pays en travailleurs qualifiés si les élites américaines ne sont pas assez nombreuses.

        • Descartes dit :

          @ Dell Conagher

          [La masse américaine peut rester mal instruite, il reste l’Europe, l’Asie, l’Amérique du Sud, etc. pour irriguer le pays en travailleurs qualifiés si les élites américaines ne sont pas assez nombreuses.]

          Vrai… aussi longtemps que l’Europe, l’Asie, l’Amérique du Sud conservent les moyens de former ces travailleurs qualifiés. Or, on assiste à une dégradation générale des niveaux de formation, qui commencent à toucher y compris les formations les plus élitistes. En Europe, la désaffection pour les études scientifiques est générale…

  11. marc.malesherbes dit :

     
    que penser de l’article 4 du projet de loi de finances pour 2025 (concernant le prix de ente de l’électricité nucléaire) ?
    (si vous avez déjà traité le sujet, désolé je ne l’ai pas vu, m’indiquer à quel endroit)

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [que penser de l’article 4 du projet de loi de finances pour 2025 (concernant le prix de ente de l’électricité nucléaire) ?]

      Je trouve que cet article illustre parfaitement le refus de nos gouvernants d’assumer leurs politiques. En pratique, c’est une manière de taxer l’électricité sans le dire. Et accessoirement, de faire monter le tarif réglementé pour donner de l’air aux distributeurs “indépendants”. Pour comprendre ce dernier point, il faut comprendre comment le tarif réglementé est fixé. Celui-ci est fixé par référence aux coûts de production d’EDF. Introduire une taxation sur la production nucléaire, c’est donc augmenter les coûts de production d’EDF et donc le tarif réglementé. Or, pour concurrencer EDF, les fournisseurs dits “indépendants” doivent pouvoir proposer des tarifs inférieurs au tarif réglementé, sans quoi les clients ont tout intérêt à aller chez EDF. Jusqu’ici, l’ARENH leur permettait d’acheter de l’électricité nucléaire sous le cout de production d’EDF, et donc de se faire une marge. Avec la disparition de l’ARENH l’année prochaine, elles risquent de devoir acheter au prix du marché de gros, et adieu les marges…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *