Le retour de l’Etat et la fin des illusions

Au cas ou vous ne l’auriez pas remarqué, nous vivons une crise. Et comme d’habitude, une crise qui n’a rien à voir avec celle que les ténors du libéralisme nous prédisaient. Souvenez vous de la campagne “décliniste” dont “Le Monde” avait pris la tête il y a quelques mois, en offrant des tribunes à des têtes pensantes (si l’on ose dire) de la dimension d’Alain Minc ou de Baverez. Que nous disaient ces joyeux drilles ? Que “la France était en faillite”, que “personne n’avait plus confiance en l’Etat”. Pour peu, on voyait déjà les huissiers se présenter à l’Elysée pour saisir le peu qui restait de la Maison France. Alors, en qui fallait-il avoir confiance ? Mais, pardi, dans le monde merveilleux de la finance, peuplé de whizz-kids formés dans les meilleures Grandes Ecoles et à l’intelligence supérieure, qui fabricaient de la richesse rien qu’en achetant et vendant devant des écrans pleins de chiffres.

En quelques mois, changement complet de ton. Le super-mastère de Paris-Dauphine, qui drainait les meilleures intelligenes mathématiques pour les mettre au service de la finance est fermé. Minc et Baverez appellent les patrons à plus de retenue vis-à-vis des parachutes dorés et autres bonus et nous expliquent qu’il faut faire confiance à l’Etat pour réparer le désastre. Même la revue “The Economist”, dont la ligne libérale mais aussi l’honnêteté journalistique est bien connue , signale combien la perte de confiance dans tous les opérateurs économiques n’épargne qu’un d’eux: les Etats. Le papier commercial n’a pas la côté, nous dit son éditorialiste, pas plus que les biens réels (terrains, bâtiments). Non, ceux qui se défont de leurs actions et titres (du papier) le font pour se provisionner en monnaie… c’ext à dire, un autre papier. Mais un papier “tamponé” par l’Etat. On pourrait se demander comment se fait-il qu’un Etat qui selon Baverez et Minc était en faillite il y a peu peut inspirer une telle confiance. Etonnant, non ?

En fait, le nouveau discours ne devrait étonner personne. C’est tout simplement que les priorités ont changé: Il y a quelques mois, la classe sociale qui a Minc et Baverez pour porte-voix n’avait qu’un souci, affaiblir l’Etat. Car dans l’euphorie de la “bulle” financière, il fallait préparer l’opinion à la privatisation des derniers “bijoux de famille” (occasion, pour le capital privé, de juteuses plusvalues) et à la dégradation des services publics et de la Securité Sociale (une charge fiscale insupportable pour le patronat). Mais voilà que la bulle explose, et tout à coup les priorités de cette classe changent: il faut sauver les banques et les entreprises et limiter la conflictualité sociale. Et seul l’Etat, cet état “failli”, cet Etat décrié, a les épaules suffisament larges pour le faire. Alors, Minc et Baverez opèrent un virage de 180° de leur discours, et tout à coup l’Etat se trouve encensé… à condition qu’il fasse ce qu’on (c’est à dire Baverez et Minc) lui dit: file l’artiche et tais toi. Pas question que l’Etat intervienne dans la gestion des banques ou des entreprises (1). Mais il sera difficile de soutenir sur le long terme l’idée que le contribuable doit se contenter de services publics chancelants quand les choses vont bien pour que ses impôts servent à protéger les patrons qui font des mauvaises affaires quand ça va mal. Plus la crise sera longue, plus le citoyen-contribuable aura tendance à exiger que sa voix soit entendue. Après tout, il est logique que celui qui paye l’orchestre choisisse les morceaux.

C’est pourquoi la question de savoir si on est dans une crise courte ou si au contraire elle annonce une dépression durable n’est pas innocente. Si la crise est courte, parient les libéraux, il sera possible de la présenter comme un accident de parcours, et revenir rapidement au statu quo ante. Si la crise est longue, par contre, il sera difficile de revenir à la théorie de l’autorégulation des marchés et autres sornettes. Les états seront obligés à des interventions de plus en plus profondes dans la sphère économique, et donc de défaire une bonne partie de ce qui a été fait depuis les années 1980.  Après la crise de 1929 et la grande dépression, il fallut attendre un demi-siècle pour que les libéraux relèvent la tête, comme Hayek l’avait bien prédit.

Descartes

(1) On (toujours Baverez et Minc) a décrété en effet que “l’Etat ne sait pas diriger des entreprises”, même si l’expérience des soixante dernières années tend à montrer qu’il le fait plutôt mieux que le privé. Après tout, ce sont les banques privées qui seraient aujourd’hui en faillite si la main sécourable du contribuable ne leur donnait un peu d’air. La stratégie industrielle de GM a conduit l’entreprise à la faillite, et cela malgré une gestion totalement privée. A côté de ces désastres, des groupes publics comme AREVA ou EDF restent profitables malgré la crise… Comme quoi, la gestion privée n’est en rien une garantie de performance.

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