Que c’est bien les vacances ! Après une longue année de travail et de stress, quel plaisir de passer les journées à ne rien faire, à voir des amis, à discuter de tout et de rien, à lire des choses légères et sans rapport – quoique… – avec notre actualité…
Cette année, je m’étais concocté un cocktail de poésie – d’autant plus qu’un endroit solitaire se prête à la lecture à haute voix, indispensable pour la poésie – et d’histoire médiévale. Mais dans la maison des vacances je suis tombé sur le « C’était De Gaulle » d’Alain Peyrefitte et le « Pour rétablir la vérité » de Georges Pompidou, et je n’ai pas pu résister.
Quel choc, à cette lecture ! O tempora, o mores !
Je ne peux que recommander à mes lecteurs ces livres. Surtout à ceux qui ont moins de quarante ans. Ces livres leur révèleront un univers tellement différent de celui d’aujourd’hui qu’on en arrive à se demander si l’on est sur la même planète. On peut y voir ce qu’était la politique avant que la communication de masse dévore toute réflexion, que l’action politique ne devienne un simulacre, que les hommes politiques deviennent des comédiens.
On a du mal à imaginer aujourd’hui un ministre démissionnant parce qu’il ne partage pas la ligne politique du gouvernement – le dernier à le faire fut Chevènement, c’était au début des années 2000, et il n’a récolté que des railleries. On imagine encore moins un ministrable refuser un maroquin du fait qu’il n’est pas compétent sur le sujet correspondant. Quant à l’idée de ressusciter le « secret des conseils du roi » (1), qui y songerait aujourd’hui ?
Aujourd’hui, c’est le contraire. Le mot même de « secret » est devenu un gros mot. On vit dans la religion de la transparence, qui pollue totalement les processus de prise de décision publics. Sur le plan des principes, la chose paraît inattaquable : pour que le citoyen puisse juger de l’action de ses élus, il est normal qu’il ait accès à l’ensemble des documents qui ont préparé leurs décisions. C’est la logique des différents textes qui depuis la loi du 17 juillet 1978 ont progressivement élargi le droit des citoyens à accéder à l’ensemble des documents administratifs et en particulier à ceux qui sont préparatoires à la prise de décisions. Mais c’est aussi la logique qui a affaibli progressivement le devoir de réserve des administrations par le biais de la protection des sources des journalistes, des « lanceurs d’alerte » ou tout simplement d’un « devoir d’information du public ». On en trouve même pour proposer que les débats du conseil des ministres soient transmis en direct…
Le problème, c’est que cette transparence tue le débat interne, c’est-à-dire, celui qui a lieu entre ceux qui connaissent vraiment le sujet. Quel fonctionnaire, quel expert prendra en effet le risque d’exprimer une position qui s’écarte du politiquement correct s’il sait que la note qu’il adresse à son supérieur risque de se retrouver dans les mains d’une ONG ou dans les pages de « Médiapart », l’exposant à l’opprobre au mieux, à des sanctions au pire ? On se souvient du sort d’Eric Fournier, l’ambassadeur de France en Hongrie, et dont les télégrammes diplomatiques – où il exprimait franchement des analyses non politiquement correctes – se sont trouvés sur Médiapart provoquant son limogeage. Et encore dans ce cas il s’agissait de télégrammes couverts par le secret diplomatique, qui ne sortent que rarement des circuits du Quai d’Orsay. Car pour les documents administratifs préparatoires aux décisions ordinaires – c’est-à-dire, ne touchant pas la sécurité, la défense ou les rapports internationaux – des administrations, tout ou presque est communicable au public sur simple demande. La garantie que personne ne couchera par écrit rien d’excessivement polémique.
C’est là le paradoxe de la « transparence ». Vous croyez que la possibilité donnée au citoyen de se faire communiquer des documents administratifs améliore la connaissance qu’ont les citoyens des tenants et aboutissants des politiques publiques ? Vous vous trompez : la transparence ne fait que provoquer un déplacement. Ce qui autrefois s’exprimait dans des notes écrites et signées ou des réunions formelles dont les comptes rendus n’étaient jamais diffusés – et qui restaient ensuite dans les archives et permettaient à l’administration de garder une mémoire et d’établir éventuellement des responsabilités – se disent maintenant dans des conversations téléphoniques ou dans des réunions informelles dont il ne subsiste aucune trace. Le citoyen n’y gagne pas, et la rigueur administrative y perd.
Qui aujourd’hui reprendrait l’un des leitmotivs que mongénéral adressait à son porte-parole : « on parle toujours trop » ? Personne. Au contraire, le président reprochera plutôt aujourd’hui à tel ou tel ministre de ne pas parler assez, de ne pas passer assez fréquemment sur les médias. On ne demande même plus au politique de faire, tant qu’il est présent sur les médias pour annoncer. La parole a remplacé l’action. Et cela jusqu’au ridicule : on en arrive à publier des communiqués de presse pour informer le public que le ministre s’est réuni avec ses hauts fonctionnaires pour discuter tel ou tel sujet, ou qu’il compatit au malheur de telle ou telle personne (2).
Hier, le récit était un outil pour marquer le sens de l’action et souligner sa cohérence. Ce qui caractérise la politique aujourd’hui, c’est que le récit n’est plus un complément de l’action, mais se substitue à elle. La politique ne consiste plus à faire, mais à raconter ce qu’on fait – ou plutôt ce qu’on pourrait/devrait/aimerait faire. Le « bon » ministre, ce n’est plus un organisateur, capable d’entrainer ses troupes pour réaliser ses objectifs, mais un communicateur, capable de faire croire qu’ils ont été atteints. Napoléon disait au début du XIXème que la guerre était un art tout d’exécution. A l’aube du XXIème siècle, la politique est devenue un art tout de communication, au point qu’on prétend qu’un publicitaire peut faire gagner ou perdre une élection présidentielle.
Cette transformation a des conséquences inattendues et souvent cocasses sur la réflexion politique. Prenez par exemple les débats sur les réformes institutionnels, qu’ils proposent une rupture comme c’est le cas chez les partisans de la « VIème République », où une continuité comme dans le camp présidentiel. Dans les deux cas, la réflexion se concentre presque exclusivement sur le pouvoir législatif ou sur l’autorité judiciaire, c’est-à-dire, sur les institutions dont la fonction est plus de délibérer que de faire. La question de l’organisation du pouvoir exécutif – c’est-à-dire du pouvoir dont la fonction est d’organiser la mise en œuvre des décisions prises – n’intéresse personne. Comme si l’essentiel du politique se trouvait dans la création des décisions, et non dans leur exécution. Et il y a pire : lorsqu’on regarde la réflexion institutionnelle des différents réformateurs, on s’aperçoit que le but est de rendre la prise de décisions aussi difficile que possible, de multiplier les consultations, les délais, les voies de recours. Bref, pour ces gens-là l’important dans le char de l’Etat, c’est l’efficacité des freins plutôt que la puissance du moteur.
Les palinodies macroniennes sur la forêt amazonienne donne encore un aperçu de ce mode de fonctionnement, ce qu’on pourrait appeler « la diplomatie du tweeter ». Si le but était d’obtenir de Jair Bolsonaro un changement de politique, la bonne méthode aurait été d’abord d’en discuter avec lui, et en cas d’échec d’évoquer la question dans une enceinte où le Brésil est représenté. Macron choisit au contraire d’ouvrir une crise en évoquant le sujet dans une enceinte d’où le Brésil est absent. N’importe quel président du Brésil se déshonorerait en cédant à une pression étrangère aussi évidente, et je ne doute pas un instant que l’immense majorité des Brésiliens réagira en soutenant son président. Est-ce cela qu’on voulait ? Non, bien entendu. Ce qu’on voulait, c’était faire de la communication. L’important n’était pas de protéger la forêt amazonienne, mais de nimber Macron d’une image de protecteur intransigeant de l’environnement. D’autant plus intransigeant que cela lui donne un prétexte pour ne pas ratifier l’accord avec le Mercosur dont le lobby agricole ne voulait pas, et que cela ne lui coûte pas grande chose : on continuera à acheter le soja brésilien pour nos éleveurs, ce même soja cultivé sur les espaces déforestés, et tant pis pour les arbres.
Descartes
(1) Comme le rappelle Alain Peyrefitte, Louis XIV fit frapper une médaille « au secret des conseil du Roi » pour marquer l’importance du secret des délibérations dans ses conseils. De Gaulle avait repris cette logique : sous sa présidence, il était interdit aux ministres de prendre des notes pendant les débats du Conseil des ministres, seuls le porte-parole du gouvernement et le secrétaire général du gouvernement – un haut fonctionnaire tenu de par sa fonction à un devoir absolu de réserve – faisaient exception à cette règle.
(2) Dernier exemple, le communiqué d’Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, annonçant sa tristesse lors de le chavirage d’un bateau de plaisance qui a coûté la vie à plusieurs enfants. Rien n’empêche la ministre d’appeler au téléphone personnellement la famille des victimes ou de leur adresser un message de condoléances. Mais pourquoi diable faut-il qu’elle publie un communiqué de presse pour informer le peuple ébahi qu’elle est désolée, comme si compatir au malheur des autres faisait partie des fonctions politiques ?
@ Descartes
[“On peut y voir ce qu’était la politique avant que la communication de masse dévore toute réflexion, que l’action politique ne devienne un simulacre, que les hommes politiques deviennent des comédiens.”]
Pour ma part, j’ai tendance à penser qu’un grand homme politique se doit d’abord d’être un grand comédien. Peut-être est-ce subjectif, mais je trouve que le problème de nos hommes politiques actuels est surtout qu’ils sont d’épouvantables tocards, qui jouent atrocement faux. Lorsque Macron, Hollande ou Sarkozy parlent, je n’ai pas une seconde le sentiment qu’ils pensent vraiment ce qu’ils disent. C’est alors que je me dis, justement, qu’ils ne font que de la “communication”. Permettez-moi de vous signaler qu’en revanche, j’admire énormément Boris Johnson en tant qu’homme politique, en ce qu’il me paraît être, justement, un grand comédien, ce qui, de mon point de vue, revient au même.
Est-ce à dire que je me satisferais du pur spectacle de la politique, sans me soucier de l’action politique concrète ? Je vous dirais que cette dernière, surtout dans une démocratie moderne avec ses multiples contre-pouvoirs, exige des hommes politiques dotés de charisme, d’humour, de charme et d’éloquence, afin de pouvoir entraîner l’ensemble de la société dans une certaine direction. Autrement dit, le talent de comédien de l’homme politique me semble être la première condition de l’action politique concrète.
@ dsk
[Pour ma part, j’ai tendance à penser qu’un grand homme politique se doit d’abord d’être un grand comédien.]
Je suis d’accord. Ce qui me pose problème, ce n’est pas qu’il y ait une part de comédie dans la politique, c’est que la politique se réduise à la comédie. Quand la comédie sert à réunir des forces et à donner aux gens envie de faire, elle est utile. Quand elle sert de substitut à l’action, c’est un autre problème.
[Peut-être est-ce subjectif, mais je trouve que le problème de nos hommes politiques actuels est surtout qu’ils sont d’épouvantables tocards, qui jouent atrocement faux. Lorsque Macron, Hollande ou Sarkozy parlent, je n’ai pas une seconde le sentiment qu’ils pensent vraiment ce qu’ils disent.]
Les grands comédiens ne sont pas ceux qui improvisent leur propre pièce. Ce sont ceux qui mettent leur talent au service des grands textes. Le problème de nos politiques, c’est qu’ils improvisent leurs textes en fonction des réactions du public, tout simplement parce que leur comédie n’a qu’un but : faire plaisir au citoyen/électeur. Comment dans ces conditions pourrait-on croire qu’ils ont des convictions et qu’ils l’expriment ?
Cela étant dit, je ne mettrais pas dans le même pot Macron, Hollande et Sarkozy. Sarkozy est un homme qui a des convictions sur beaucoup de sujets, et lorsqu’il en parle il a les accents de sincérité et ne cherche pas à faire plaisir. C’est le cas sur des questions comme le nucléaire, l’immigration ou l’histoire de France. Cela lui a joué d’ailleurs des tours. Quant à Hollande, c’est l’exemple peut-être le plus pur de l’homme sans conviction, dont le seul horizon est la « synthèse » qui permet de contenter tout le monde. Macron, lui, ressemble plutôt à Sarkozy.
[C’est alors que je me dis, justement, qu’ils ne font que de la “communication”. Permettez-moi de vous signaler qu’en revanche, j’admire énormément Boris Johnson en tant qu’homme politique, en ce qu’il me paraît être, justement, un grand comédien, ce qui, de mon point de vue, revient au même.]
Faudra voir à l’usage. De Johnson, nous ne connaissons vu d’ici que ses positions sur le Brexit. Mais le monde ne se réduit pas à cela. On verra quelle sera son action quand il lui faudra piloter l’économie, l’éducation, le renouvellement des infrastructures, la santé, la défense…
[Est-ce à dire que je me satisferais du pur spectacle de la politique, sans me soucier de l’action politique concrète ? Je vous dirais que cette dernière, surtout dans une démocratie moderne avec ses multiples contre-pouvoirs, exige des hommes politiques dotés de charisme, d’humour, de charme et d’éloquence, afin de pouvoir entraîner l’ensemble de la société dans une certaine direction.]
Oui… mais quelle direction, précisément ? Le problème est justement que ces gens mettent un tel effort à cultiver leur charisme, leur humour, leur charme et leur éloquence qu’ils n’ont guère de temps de se demander ce qu’il faut en faire. Et fatalement, ils finissent par mettre toutes ces qualités au service de leur carrière, et d’elle seule.
[Autrement dit, le talent de comédien de l’homme politique me semble être la première condition de l’action politique concrète.]
Nécessaire, peut-être. Mais certainement pas suffisante.
C’est avec plaisir que j’ai lu votre texte. Merci cher Descartes. C’est une bouffée de lucidité sereine que vous nous proposez , une fois encore avec talent .🙂
Cependant une question émergé chez moi .
Êtes vous insensible aux efforts de Macron pour incarner sa fonction à notre époque post révolution iconique ?
M Sarkozy ne les a t il pas implicitement apprécié ?
@ Luc
[Êtes-vous insensible aux efforts de Macron pour incarner sa fonction à notre époque post révolution iconique ?]
J’avais beaucoup apprécié lorsqu’il avait exprimé sa volonté de revenir à une présidence « jupitérienne » qui me semblait revenir à la logique originelle des institutions de la Vème République, c’est-à-dire, un président qui préside et laisse le gouvernement gouverner. A l’époque il nous avait promis une parole présidentielle rare…
Le problème, c’est que Macron est incapable de se soumettre à une telle discipline. Persuadé – à juste titre à mon avis – d’être entouré de larves, il se sent obligé de tout faire lui-même, d’intervenir sur tous les sujets à tort et à travers. Et comme en plus il croit – à tort – à la magie de sa propre parole, il nous inflige d’interminables interventions mal préparées, mal fagotées, où il finit par dire un peu tout et son contraire. Souvenez-vous de ses marathons lors du « grand débat national », ou on l’a vu tenir le micro pendant des heures. On se croirait chez Fidel Castro.
Je ne pense pas que Macron « incarne » la fonction avec ce comportement, au contraire. Il révèle un narcissisme un peu puéril qui ne fait rien pour lui donner une stature.
[M Sarkozy ne les a-t-il pas implicitement apprécié ?]
Je n’en sais rien. Je ne m’intéresse pas particulièrement à l’opinion que Sarkozy peut avoir de Macron.
Bonjour,
Ce n’est pas nouveau et n’est ce pas ce qu’une majorité de Français demandent? La compassion, même feinte de leurs dirigeants.
Pour rappel : 1999, catastrophe de l’ Erika : Mme Voynet, Ministre de l’ aménagement du Territoire et de l’ Environnement “Au moment de la marée noire de l’Erika, Dominique Voynet se trouvait en vacances à La Réunion. Interrogée sur place pour savoir si elle comptait se rendre sur les lieux, elle commençait par déclarer que « cela ne servirait à rien », avant de se décider, tardivement, à interrompre ses congés pour aller apprécier personnellement l’état des côtes bretonnes. Par sa franchise, elle s’est faite lynchée dans le médias et par l’opinion publique .
@ les vues imprenables et PHP
[Ce n’est pas nouveau et n’est ce pas ce qu’une majorité de Français demandent? La compassion, même feinte de leurs dirigeants. Pour rappel : 1999, catastrophe de l’ Erika (…)]
La comparaison n’est pas bonne. En 1999, il ne s’agissait pas seulement de compatir avec les victimes de la catastrophe. On attendait de l’Etat des actes positifs pour contrôler la pollution et nettoyer les plages. Bien sûr, ce n’est pas le ministre en personne qui va mettre les bottes et prendre le Karcher pour nettoyer, mais ce sont des gens qui agissent en son nom et sous ses ordres, et la présence du ministre est donc importante pour marquer l’attention que l’Etat porte au problème et sa volonté de lui apporter des solutions. La décision du ministre de continuer ses vacances plutôt que d’encourager par sa présence l’action de l’Etat fut jugée, à juste titre, comme de la désinvolture.
Dans le cas de l’accident de voile qui a couté la vie à trois enfants, on n’attend aucune action de l’Etat. C’est un malheureux accident que l’Etat ne peut ni prévenir, ni réparer. La présence même symbolique du ministre n’a donc aucun sens. Est-ce que le ministre doit s’exprimer chaque fois qu’il y a un accident de la route ? Je ne crois pas que les Français en demandent tant.
@PHP
Pour ajouter à la réponse de Descartes, Voynet ne s’est pas contentée de dire quelque chose comme « ma présence sur place n’est pas nécessaire, les équipes du Ministère sont là pour ça et mon rôle est de piloter depuis Paris ». Elle a initialement renâclé à interrompre ses vacances (à la Réunion, tiens, pourtant le rôle des émissions anthropiques de CO2 dans le réchauffement climatique était connu à l’époque…), ce qui fait forcément mauvaise impression.
Bonjour,
Le lien de l’article de l’extrait cité : La faute de Dominique Voynet https://journals.openedition.org/mots/3453
Selon la NASA, le catastrophisme actuel à propos des incendies en Amazonie n’est pas justifié, ou est prématuré. Les incendies à cette période-ci de l’année ne sont pas inhabituels en raison de la chaleur et de la sécheresse. Seul le temps permettra de dire si 2019 est une année exceptionnelle ou dans les limites normales.
https://www.nasa.gov/image-feature/goddard/2019/wildfires-in-the-brazilian-rainforest-creating-cross-country-smoke
En attendant, cela permet Macron de faire son numéro.
@ xc
[En attendant, cela permet Macron de faire son numéro.]
Pas que Macron. Cela fait trente ans que le bloc dominant se cherche des “causes” pour donner un sens à son action et accessoirement détourner l’attention des politiques suivies. Ces causes ont changé avec le temps: on a eu l’antiracisme – souvenez-vous des concerts de masse de SOS-Racisme et de l’omniprésence de la petite main “touche pas à mon pote”. On a eu l’humanitaire, avec les ministres portant des sacs de riz, les concerts ou les “people” prétendaient “être le monde, être le peuple”. On a eu les “nouveaux pauvres” avec les restos du cœur. On a eu l’Europe, avec “l’auberge espagnole” et la propagande dans les écoles. Maintenant, c’est les lycéens dans la rue “contre le changement climatique”…
A chaque fois, c’est le même scénario: un problème devient LE problème pendant quelques mois ou quelques années, puis retourne à l’oubli pour être substitué, société de consommation oblige, par un autre. Il y a vingt ans, il était urgent d’agir contre la famine, au point qu’il fallait créer un nouveau droit international pour permettre “l’ingérence humanitaire”. Aujourd’hui, les pauvres peuvent crever la gueule ouverte, ils ont cessé d’être médiatiquement intéressants.
Une image plus parlante des départs de feux :
https://firms.modaps.eosdis.nasa.gov/map/#z:3;c:0.4,0.4;d:2019-08-24..2019-08-25;l:countries,firms_viirs,firms_modis_a,firms_modis_t
Tout à fait d’accord pour ne pas confondre le naufrage du pétrolier Erika qui a pollué un peu plus la mer et la terre parce que les normes de sécurité n’étaient pas à la hauteur des risques encourus (le sont-elles aujourd’hui?) par la communauté humaine vivant sur les lieux et l’accident tragique et ce tragique accident de navigation de plaisance, uniquement lié à l’inconscience (ou à la malchance) d’adultes qui ont mis en péril leur vie et celle d’enfants dont ils avaient la responsabilité.
La parole (et l’action!) ministérielle s’imposait alors pour l’Erika et il en va de même pour le silence pour l’accident de navigation. Mais peut-on demander aux membres de LREM de se taire alors que le babillage médiatique est l’activité publique qu’ils privilégient pour mieux masquer la prédation qu’ils encouragent depuis leur accession surprise au pouvoir avec moins de 1/5 des voix du corps électoral ?
@ Jean-Paul B.
[Mais peut-on demander aux membres de LREM de se taire alors que le babillage médiatique est l’activité publique qu’ils privilégient pour mieux masquer la prédation qu’ils encouragent depuis leur accession surprise au pouvoir avec moins de 1/5 des voix du corps électoral ?]
Ne tombons pas dans l’antimacronisme primaire. Le « babillage médiatique » est devenu le cœur de la politique bien avant l’avènement de Macron. Déjà sous Hollande, les ministres consacraient l’essentiel de leur temps à communiquer à tort et à travers, et le président était incapable de garder le silence trois jours de suite.
Je ne saurais recommander trop chaudement la lecture du Peyrefitte. Je l’avais détesté comme ministre de l’intérieur, j’ai découvert un autre homme en lisant ultérieurement l’écrivain.
Je ne connaissais pas le bouquin de Pompidou. Si j’en juge par la fiche wiki le Président doit d’abord écouter et ensuite décider, ce qui semble logique. Tandis que Macron décide d’abord (en général d’obéir à Bruxelles et Francfort) et fait semblant d’écouter ensuite.
@ VIO59
[Je ne saurais recommander trop chaudement la lecture du Peyrefitte. Je l’avais détesté comme ministre de l’intérieur, j’ai découvert un autre homme en lisant ultérieurement l’écrivain.]
Juste un détail : Peyrefitte a occupé de très nombreux postes ministériels, mais n’a jamais été ministre de l’intérieur. Je pense que vous confondez avec le ministère de la Justice, que Peyrefitte a occupé entre 1977 et 1981.
[Je ne connaissais pas le bouquin de Pompidou. Si j’en juge par la fiche wiki le Président doit d’abord écouter et ensuite décider, ce qui semble logique. Tandis que Macron décide d’abord (en général d’obéir à Bruxelles et Francfort) et fait semblant d’écouter ensuite.]
Macron est – comme tous les égo-politiciens – un joueur solitaire. En politique, il ne fait confiance à personne, ne peut se reposer sur personne. Or, lorsqu’on s’occupe de tout, il est difficile de prendre de la hauteur. Le G7 de Biarritz, avec son agenda chaotique, ses conférences de presse annoncées puis annulées, ses coq-à-l’âne permanents, en donne un bon exemple : Macron veut non seulement diriger l’orchestre, mais jouer tous les instruments. Mais pendant qu’il joue de la grosse caisse, il n’y a personne pour tenir le pupitre…
Il est vrai que la transparence a pour effet secondaire d eliminer les voix non politiquement correctes. Mais est ce que le secret est vraiment meilleur ?
Non seulement ca ne permet pas au citoyen de se faire une opinion pour juger de l action d un dirigeant (si celui commet une bourde, il pourra toujours dire que c est une operation geniale comme le justifie le document X …qui pas de bol est justement secret mais je vous jure que c est vrai)
Pire ca va encourager les theorie du complot. Nous sommes plus sous Louis XIV ou meme De Gaulle. Il y a deja des gens qui pensent que l homme n a pas marche sur la lune ! Alors si des decisions majeures sont prises sur la base de rapport secret, vous allez voir une partie non negligeable de la population dire que c est Bildenberg, Illuminati, Rotschild … qui a decidé
La solution serait peut etre deja de retablir la confiance entre dirigeants et administrés.
Tant que vous pensez que vous avez un president pret a raconter n importe quoi pour se faire elire et qui s assiera sur ces promesses une fois elu (voire fera le contraire) vous aurez aucune chance.
PS: tout a fait d accord sur le coup de com de Macron. L idee etait probablement moins de faire quelque chose pour l amazonie que d apparaitre ecolo (vu le scroe EELV aux dernieres elections) et de calmer les “purineurs” de sous prefectures de la FNSEA.
Une chose me choque pour tous ceux qui parlent de l amazonie. On veut proteger celle ci de toute intervention humaine (voire des feux qccidentels) mais aucun ne parle d indemniser le Bresil pour ca. Car ca represente un cout (la protection) et un manque a gagner (les ressources non exploités). Si on raisonne au niveau du pays, le Bresil n a aucun interet a proteger sa foret mais tout interet a la convertir en mines et plantations de soja !
Si l amazonie est un tresor mondial, il est logique que les autres pays (qui en profitent) passent a la caisse. Qui est pret a payer pour ca ? Aucun membre de EELV pourtant tout feux tout flamme n a souleve le sujet. Surement trop occupe a critiquer Bolsanoro le fascho ou lutter pour le droit des femmes seules d avoir un enfant aux frais de la securite sociale
@ cdg
[Il est vrai que la transparence a pour effet secondaire d’éliminer les voix non politiquement correctes. Mais est ce que le secret est vraiment meilleur ?]
Il ne s’agit pas seulement des voix « politiquement correctes ». La transparence fait disparaître chez les fonctionnaires toute expression contraire à la position de leur administration. Comment pouvez-vous écrire à votre ministre ou votre directeur ses quatre vérités si vous savez que votre notre sera diffusée au public ? Ecririez-vous à votre chef pour le prévenir qu’il a pris une position erronée ou illégale si vous saviez que votre avertissement sera rendu public ?
[Non seulement ça ne permet pas au citoyen de se faire une opinion pour juger de l’action d’un dirigeant (si celui commet une bourde, il pourra toujours dire que c’est une opération géniale comme le justifie le document X …qui pas de bol est justement secret mais je vous jure que c’est vrai)]
Mais pensez-vous que le libre accès aux documents administratifs permet au citoyen de juger l’action d’un dirigeant ? Vous rêvez. D’abord, parce que sachant que ses écrits sont susceptibles d’être rendus publics, qu’aucun fonctionnaire n’osera écrire quelque chose qui pourrait apparaître comme négatif vis-à-vis d’un dirigeant politique. Les fonctionnaires sont courageux, mais pas téméraires. Mais surtout, parce que si les citoyens étaient capables – et avaient envie – de lire des centaines de pages pour juger de l’action de leurs dirigeants, cela se saurait. En pratique, ce sont des organisations politiques qui se font communiquer les documents, et qui ensuite sélectionnent ceux qui vont dans leur sens ou qui permettent de compromettre leurs adversaires, éventuellement en les sortant de leur contexte.
[Pire ça va encourager les théories du complot.]
Ces cinquante dernières années, la transparence a fait d’énormes progrès. Pensez-vous que cela ait réduit l’influence des théories du complot ? Bien sûr que non. Il faut être très ingénu pour croire qu’on peut combattre les théories du complot en donnant au public plus d’information. Les théories du complot s’alimentent de l’envie de croire des gens. Les gens ont ENVIE de croire que leurs vies sont contrôlées par d’autres – ce qui entre autres choses les exonère de toute responsabilité. Et quand on a envie de croire, on croit quelle que soient les preuves contraires. Vous pouvez ouvrir les archives et les accès à tous les documents, on vous expliquera que les VRAIS documents, eux, ont été occultés.
[La solution serait peut-être déjà de rétablir la confiance entre dirigeants et administrés.]
Tout à fait. Mais ce n’est pas la transparence qui va vous aider, au contraire. Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre. Le secret est inséparable de la véritable action politique. La « transparence » est en fait une formidable hypocrisie : le secret existe toujours, seulement il se déplace. Si le Conseil des ministres est transmis en direct, alors on n’y discutera plus rien d’important, et les vraies décisions seront prises ailleurs. Un politique qui assume le secret me semble plus « fiable » qu’un politique qui prétend être « transparent » alors qu’il est évident pour tous qu’il ne l’est pas.
[Une chose me choque pour tous ceux qui parlent de l’Amazonie. On veut protéger celle-ci de toute intervention humaine (voire des feux accidentels) mais aucun ne parle d’indemniser le Brésil pour ça. Car ça représente un cout (la protection) et un manque à gagner (les ressources non exploités). Si on raisonne au niveau du pays, le Brésil n’a aucun intérêt a protéger sa foret mais tout intérêt a la convertir en mines et plantations de soja !]
Le Louvre fait partie du patrimoine de l’humanité, et personne ne nous paye pour ne pas le transformer en centre commercial, ce qui serait certainement beaucoup plus rentable. Si vous commencez à indemniser les gens pour toutes les mauvaises choses qu’ils pourraient faire à leur avantage et qu’ils ne font pas, vous ne vous en sortirez pas. Le Brésil a lui aussi intérêt à la préservation de l’équilibre climatique.
@Descartes
> Le Louvre fait partie du patrimoine de l’humanité, et personne ne nous paye pour ne pas le transformer en centre commercial, ce qui serait certainement beaucoup plus rentable. Si vous commencez à indemniser les gens pour toutes les mauvaises choses qu’ils pourraient faire à leur avantage et qu’ils ne font pas, vous ne vous en sortirez pas.
Oui, et puis, demander aux gens de payer pour vous abstenir d’adopter un comportement néfaste serait une pratique mafieuse. C’est d’ailleurs ce qu’avait fait Rafael Correa, qui s’était engagé à ne pas exploiter telle ressource minière de son pays à condition que les autres pays dédommagent l’Équateur… J’ai été étonné à l’époque que pas grand’monde « à gauche » (où on admirait beaucoup Correa) ne trouve cela choquant. Si Chirac avait demandé à la « communauté internationale » de payer pour l’arrêt de nos essais nucléaires dans le Pacifique, qu’aurait-on dit ?
Il est probable que ce type de tractations ait parfois lieu en privé, dans le secret des rencontres diplomatiques. Mais en faire la proposition publique était étonnant de cynisme.
@ Ian Brossage
[Il est probable que ce type de tractations ait parfois lieu en privé, dans le secret des rencontres diplomatiques. Mais en faire la proposition publique était étonnant de cynisme.]
Remarquez, c’est dans l’air du temps. Dès lors qu’on accepte qu’au fond tout dans ce bas monde est une question d’argent, que tout se vend et tout s’achète, pourquoi chercher à occulter ce fait derrière on ne sait quelles “convenances” d’un autre âge ? La transparence n’est elle pas l’alpha et l’oméga de nos sociétés modernes ?
Merci pour le billet.
Si ce n’est pas indiscret, pourriez-vous partager votre sélection de livres sur l’histoire médiévale ?
Au plaisir de vous lire.
@ Cadmoslao
[Si ce n’est pas indiscret, pourriez-vous partager votre sélection de livres sur l’histoire médiévale ?]
Je vous donne ma sélection, qui n’est pas forcément faite des meilleurs textes… je ne suis pas un expert, et j’ai pioché dans la bibliothèque la plus proche!
“La société féodale” (Marc Bloch): c’est un ouvrage très classique.
“Le moyen âge, une imposture” (Jacques Heers): panflet dénonçant les préjugés romantiques sur l’histoire médievale
“La France d’avant la France” (G. Buhrer-Thierry, Charles Mériaux, Joël Cornette): excellent ouvrage de vulgarisation
“Histoire de France” (Ernest Lavisse): un classique !
“L’imaginaire médieval” et “Un autre moyen-âge” (Le Goff): plutôt une histoire sociale
Sur la question de la confidentialité et de la transparence, une situation analogue s’est produite avec les lois Kouchner autorisant les patients à demander leurs dossiers médicaux. Les médecins ne marquent que le strict nécessaire et factuel. Est-ce réellement une régression ?
Ce qui est certain, c’est qu’à ses débuts, cela s’est traduit par l’ajout de post-it dans les dossiers médicaux, avec les informations implicitement non transmissibles, et des notes sur le dernier feuillet du carbone, etc.
Aujourd’hui, avec les dossiers informatiques, il y a une distinction claire qui est faite entre le dossier, qui est transmissible, et les informations complémentaires dans un onglet non transmissible.
On pourrait peut être s’en inspirer ailleurs : faire la distinction claire entre ce qui est transmissible et ce qui ne l’est pas, y compris dans le documents préparatoires à l’élaboration d’un projet de loi ? Dans le premier, les éléments factuels, dans le deuxième, les opinions, ou les éléments dont la transmission publique pourrait avoir des conséquences diplomatiques, etc.
A ceux qui critiqueraient l’existence d’un onglet “non transmissible” dans les dossiers médicaux : pensez vous qu’serait est normal qu’un patient puisse savoir, en demandant son dossier, quels sont ses proches qui seraient d’accord pour signer une demande d’hospitalisation à la demande d’un tiers ? C’est pourtant le genre d’information qui peut être utile dans un dossier médical…
@ Vincent
[Sur la question de la confidentialité et de la transparence, une situation analogue s’est produite avec les lois Kouchner autorisant les patients à demander leurs dossiers médicaux. Les médecins ne marquent que le strict nécessaire et factuel. Est-ce réellement une régression ?]
Oui, c’est une régression. Parce qu’auparavant, il y avait dans le dossier des éléments importants que le médecin pouvait communiquer à d’autres médecins – même si le malade n’y avait pas accès. Aujourd’hui, ces éléments ne figurent nulle part par écrit. Le patient n’est pas mieux informé, mais les médecins susceptibles de le soigner sont moins bien renseignés.
La relation avec le médecin est une relation de confiance. Soit vous avez confiance en lui – et alors vous lui permettez de garder par devers lui des informations dont il estime qu’il est inutile de vous communiquer parce qu’elles pourraient vous inquiéter inutilement voire vous induire en erreur – soit vous n’avez pas confiance et dans ce cas mieux vaut chanter de médecin. De toute façon, il est absurde d’imaginer que le patient est capable de juger du travail du médecin à la lecture de son dossier médical.
[Ce qui est certain, c’est qu’à ses débuts, cela s’est traduit par l’ajout de post-it dans les dossiers médicaux, avec les informations implicitement non transmissibles, et des notes sur le dernier feuillet du carbone, etc. Aujourd’hui, avec les dossiers informatiques, il y a une distinction claire qui est faite entre le dossier, qui est transmissible, et les informations complémentaires dans un onglet non transmissible.]
Dans la mesure où on accepte clairement qu’il existe des informations non transmissibles, auxquelles normalement seuls les professionnels de santé ont accès, et que le jugement de ce qui est ou non transmissible reste dans les mains des médecins, je ne vois pas de problème. Pourquoi ne pourrait-on pas étendre ce sage principe aux documents administratifs ?
[On pourrait peut être s’en inspirer ailleurs : faire la distinction claire entre ce qui est transmissible et ce qui ne l’est pas, y compris dans le documents préparatoires à l’élaboration d’un projet de loi ? Dans le premier, les éléments factuels, dans le deuxième, les opinions, ou les éléments dont la transmission publique pourrait avoir des conséquences diplomatiques, etc.]
Pourquoi pas, en effet. La difficulté est de savoir qui est juge de ce qui est ou non transmissible. Si le juge n’est pas l’auteur du document, alors ce dernier aura toujours la crainte que ce qu’il aura écrit en toute franchise puisse être divulgué sans son accord, et il expurgera soigneusement son document de tout élément pouvant lui faire du tort ou abréger sa carrière. Si l’on veut que les fonctionnaires puissent exprimer leur avis sans fard, il faut non seulement préserver un espace de document non communicables, mais rendre l’auteur du document seul juge de la communicabilité. Or, dans ce cas il y a fort à parier que fort peu de choses seraient communicables. Car celui qui rédige un document n’a aucun intérêt à le rendre accessible. Alors, à quoi bon prendre le risque ?
> La difficulté est de savoir qui est juge de ce qui est ou non
> transmissible. Si le juge n’est pas l’auteur du document,
> alors ce dernier aura toujours la crainte que ce qu’il aura
> écrit en toute franchise puisse être divulgué sans son accord,
> et il expurgera soigneusement son document de tout élément
> pouvant lui faire du tort ou abréger sa carrière.
M’est d’avis qu’il n’y a rien d’insurmontable. Si je comprends bien, les craintes des promoteurs de ces lois sont l’influence des lobbies.
On pourrait dire que les documents d’une provenance extérieure à l’administration sont publics, et que, pour les documents rédigés par des fonctionnaires, ce sont les rédacteurs qui décident ce qui peut être rendu public…
Je ne crois pas que les défenseurs de la transparence à tout prix aient particulièrement dans leur viseur les fonctionnaires anonymes…
@ Vincent
[M’est d’avis qu’il n’y a rien d’insurmontable. Si je comprends bien, les craintes des promoteurs de ces lois sont l’influence des lobbies. On pourrait dire que les documents d’une provenance extérieure à l’administration sont publics, et que, pour les documents rédigés par des fonctionnaires, ce sont les rédacteurs qui décident ce qui peut être rendu public…]
Le problème reste le même. Les administrations de contrôle ont des rapports permanents avec des opérateurs privés, qui déclarent toutes sortes d’incidents. Quelle sera la réaction d’un opérateur qui sait que sa déclaration est susceptible d’être transmise à qui la demandera ? Les administrations qui rédigent les textes réglementaires consultent aussi les acteurs privés pour recueillir leurs remarques, leurs suggestions, leurs propositions. Pensez-vous que ces opérateurs s’exprimeront avec la même liberté et l même franchise si chacun de leurs documents risquait d’être publiquement diffusé ?
Si l’on veut protéger l’administration des lobbyistes, ce qu’il faut c’est d’appliquer strictement le statut qui protège le fonctionnaire des pressions, et de mettre des limites étroites aux aller-retour entre le public et le privé qui permettent de récompenser les fonctionnaires “méritants” du point de vue du lobby mais aussi de placer à des hautes fonctions dans l’appareil de l’Etat des gens qui ont tout intérêt à aider leur lobbby d’origine, qui leur renverra l’ascenseur lors de leur retour dans le privé. Contrairement à ce que vous pensez, la transparence ne protège pas les administration de l’action des lobbyistes: un lobbyiste intelligent transmettra ses informations par écrit par “note blanche” sans en-tête ni signature identifiable, ou bien oralement dans un couloir.
On ne peut que constater que ceux-là même qui poussent à la transparence absolue sont les premiers à attaquer la fonction publique de carrière et chanter les bienfaits des aller-retour public-privé…
[Je ne crois pas que les défenseurs de la transparence à tout prix aient particulièrement dans leur viseur les fonctionnaires anonymes…]
Non, bien entendu. Ce que les défenseurs de la transparence à tout prix ont dans le viseur, ce sont les complots réels ou imaginaires que les documents rédigés par les fonctionnaires anonymes sont susceptibles de révéler ou d’accréditer. Ces gens là s’imaginent qu’il existe des notes montrant que les vaccins sont dangereux, que les ondes émises par Linky sont dangereuses ou que les centrales nucléaires sont vulnérables aux chutes d’avion. Et si on cherche bien, on trouvera des documents qui examinent des scénarios – y compris les plus invraisemblables – et qui sortis de leur contexte peuvent prouver n’importe quoi. Vous trouverez par exemple des notes EDF qui démontrent qu’un bâtiment réacteur serait éventré par la chute d’un avion, et peu importe qu’il s’agisse d’une note analysant une configuration technique qui n’est pas celle qui a été finalement retenue à la construction. Vous trouverez des notes qui vous diront que “l’innocuité de tel ou tel vaccin n’est pas démontrée” et conseillant de nouvelles études, et qui sera présentée comme preuve définitive alors qu’elle est antérieure aux essais cliniques qui ont répondu à la question en suspens. Les exemples sont innombrables.
Il est vrai que la glasnost n’a pas vraiment réussi au projet de Gorbatchev pour l’Union Soviétique…
Je sais bien qu’il y a d’autres raisons, ce n’est qu’une boutade.
Je trouve que ce mythe de la transparence rentre bien dans les rails de la pensée dominante : no border, no limit. Les frontières de la nation ne devraient plus avoir de raison d’être, dès lors quel modèle peut-on proposer aux immigrés pour favoriser leur intégration ? Je déborde volontairement du sujet, pourtant j’ai le sentiment d’y être.
Il est toujours difficile de passer du micro au macro, ce n’est pas forcément transposable, pourtant je me risque :
un enfant n’a pas besoin de connaître les processus de décision de ses parents, c’est même nocif pour lui, puisqu’il n’a pas les moyens cognitifs ni la maturation affective pour saisir les tenants de cette décision. Libre à son imaginaire de construire son roman, à sa mesure.
Un couple devient étouffant si les décisions de l’un ou de l’autre doivent toujours être justifiées. La confiance est un moteur qui permet le jardin secret.
Est-ce que la question de la confiance ne serait pas plus importante que celle de la transparence ?
Confiance envers ceux que nous avons élu.
Confiance en ceux qui passent des concours pour entrer dans la fonction publique.
Confiance dans les institutions.
Cependant, la confiance se mérite :
J’éprouve quelques difficultés à me sentir en démocratie depuis l’élection de Macron. L’élection en elle-même, sans revenir sur les méandres médiatico-judiciaires qui l’ont permise. La nomination de Moscovici à la Cour des Comptes, qui complète le verrouillage des institutions.
Le niveau culturel du personnel politique actuel ne m’incite pas à, sinon l’admiration, au moins l’estime.
Le verrouillage opéré sur les chaînes audio-visuelles du service public m’inquiètent quant à la transmission possible des savoirs et des principes de notre nation.
Je pense en effet que cette dynamique de confiance implique une culture de l’histoire de notre construction. Pour le citoyen comme pour ceux qui sont à son service.
C’est donc à mon sens à défaut de confiance, ce qui peut malheureusement se justifier, que l’acceptation d’une hiérarchie n’est plus possible. Je considère alors la transparence comme un cache-misère dont on ne mesure pas les conséquences, comme tu le décris si bien.
@ Paul
[Je trouve que ce mythe de la transparence rentre bien dans les rails de la pensée dominante : no border, no limit. Les frontières de la nation ne devraient plus avoir de raison d’être, dès lors quel modèle peut-on proposer aux immigrés pour favoriser leur intégration ? Je déborde volontairement du sujet, pourtant j’ai le sentiment d’y être.]
Je ne le crois pas. Il ne faut pas tout mélanger.
A mon avis, la question de la transparence n’a aucun rapport avec la question des frontières, c’est-à-dire, de la manière dont on gère les différences entre ceux qui appartiennent au groupe et ceux qui n’y appartiennent pas.
C’est sur une autre question que le mythe de la transparence est « dans les rails de la pensée dominante » : c’est la question de la toute-puissance individuelle. En d’autres termes, l’idée que toute limite à la puissance de l’individu est détestable. L’individu doit pouvoir tout faire, tout savoir, tout voir.
[un enfant n’a pas besoin de connaître les processus de décision de ses parents, c’est même nocif pour lui, puisqu’il n’a pas les moyens cognitifs ni la maturation affective pour saisir les tenants de cette décision. Libre à son imaginaire de construire son roman, à sa mesure.]
Tout à fait. Et c’est vrai aussi pour un adulte : l’idée d’un citoyen capable de juger des décisions des autres est un mythe. Rares sont les gens qui sont capables de juger d’une décision dès lors qu’elle se situe hors de leur(s) domaine(s) de spécialité. Et c’est logique : l’investissement permettant à CHAQUE citoyen d’avoir un avis éclairé sur CHAQUE décision serait énorme et ne se justifie pas économiquement.
[Un couple devient étouffant si les décisions de l’un ou de l’autre doivent toujours être justifiées. La confiance est un moteur qui permet le jardin secret. Est-ce que la question de la confiance ne serait pas plus importante que celle de la transparence ?
Confiance envers ceux que nous avons élu.
Confiance en ceux qui passent des concours pour entrer dans la fonction publique.
Confiance dans les institutions.]
Tout à fait d’accord. Il faut ici distinguer deux choses : la confiance dans la compétence de l’autre, et la confiance dans son attention envers nous. En France, on ne peut pas dire qu’il y ait une vraie méfiance vis-à-vis de la compétence des institutions et des fonctionnaires. Même si on fait des plaisanteries graveleuses sur les énarques ou les polytechniciens, il y a un consensus quasi unanime pour considérer que les ingénieurs de la SNCF savent construire des ponts qui ne tombent pas, que les ingénieurs EDF savent construire des centrales qui n’explosent pas, que les juges de nos tribunaux connaissent leurs codes, que les préfets savent maintenir l’ordre, que les trésoriers-payeurs savent prélever correctement l’impôt. On reprochera aux fonctionnaires plutôt leur méconnaissance des besoins des administrés que leur incompétence.
Le problème de la confiance touche beaucoup plus fortement le niveau politique, parce qu’il touche à la fois la compétence et l’attention aux besoins du pays. On reproche aux politiques non seulement leur méconnaissance et leur manque d’intérêt pour leurs concitoyens, mais aussi leur compétence en tant que politiques.
Comment restaurer la confiance ? Il faut toucher les deux questions à la fois. Pour ce qui concerne la compétence, les politiques doivent montrer qu’ils ont la capacité de bien s’entourer d’experts ayant la compétence qui leur manque, et de les écouter. Car on ne demande pas au ministre de l’Intérieur d’être un expert du maintien d’ordre, ou au ministre de la santé d’être un éminent chirurgien. Leur compétence de politiques est de savoir s’entourer et de repérer chez les experts les bonnes idées.
Pour ce qui concerne l’attention aux besoins de l’autre, c’est beaucoup plus complexe. Il faut être capable de donner un sens à l’action pour montrer qu’elle sous-tend une logique de service à la population. A mon sens, une des raisons de la méfiance actuelle est que la politique des gouvernements – celui-ci comme ses prédécesseurs – est faite d’une liste de mesurettes et de « réformes » dont on voit très mal le fil conducteur. Selon le climat électoral, on donne ici un coup de barre à droite, là un coup de barre à gauche. Un jour on embrasse la privatisation des services publics demandée par Bruxelles, le suivant on déclare qu’il est hors de question de privatiser l’hydroélectricité. Un jour on prétend qu’il faut favoriser les premiers de cordée parce que ce sont eux qui tirent le reste, le suivant on s’étale sur l’insupportable montée des inégalités. Un jour « mon ennemi c’est la finance », le suivant on lui verse des milliards. Comment persuader les électeurs que les choix sont guidés par le bien public alors qu’on fait en permanence des choix contradictoires qui poursuivent des buts eux-mêmes contradictoires ?
C’est mongénéral je crois qui disait qu’en politique le programme est moins important que la vision. Parce que l’action doit s’adapter nécessairement aux conditions du moment, et que sa cohérence disparaît s’il n’y a pas une vision pour la guider.
[Cependant, la confiance se mérite : J’éprouve quelques difficultés à me sentir en démocratie depuis l’élection de Macron. L’élection en elle-même, sans revenir sur les méandres médiatico-judiciaires qui l’ont permise. La nomination de Moscovici à la Cour des Comptes, qui complète le verrouillage des institutions.]
Parce que vous vous sentiez en démocratie du temps de Hollande ? On est passé d’un système qui laisse faire des bêtises à un régime qui les assume. Mais franchement je ne vois pas de raison de préférer l’un à l’autre. Quant à l’éventuelle nomination de Moscovici à la présidence de la Cour des comptes… ce ne serait qu’un pas de plus dans la politisation de la vénérable institution de la rue Cambon. Jusqu’en 1983, le poste était occupé invariablement par un haut fonctionnaire. C’est Mitterrand qui rompt avec cette tradition en nommant Chandernagor, un pur politique. Depuis lors, et à l’exception du mandat de François Logerot (2001-2004) elle a toujours été présidée par un politique. Et en contrecoup, la Cour est devenue bien plus politique, se permettant de juger non seulement l’exécution budgétaire et la gestion des deniers publics – ce qui est son rôle – mais aussi les politiques publiques en opportunité, ce qui n’est pas son affaire.
[Le niveau culturel du personnel politique actuel ne m’incite pas à, sinon l’admiration, au moins l’estime.]
Il n’y a vraiment pas de quoi. Le problème n’est pas tant que la déferlante LREM a porté aux responsabilités des gens qui non seulement n’ont aucune expérience politique et administrative. Après tout, c’est en maçonnant qu’on devient maçon. Le problème est que ces gens-là ont très peu d’expérience vitale, qu’ils sont issus des classes privilégiées, qu’ils ont été élevés dans du coton, et que n’ayant aucune expérience militante ils connaissent très mal le pays qu’ils sont censés diriger. Si vous ajoutez à cela une arrogance qui leur fait croire qu’il suffit d’appartenir à la « société civile » pour tout savoir, et qu’il est inutile de chercher à apprendre des autres, à s’entourer de gens qui savent et suivre leurs conseils…
C’est moins leur niveau que pose problème que leur inconscience. Quand Fiterman fut ministre des transports, il était pleinement conscient de son incompétence technique. C’est pourquoi il s’entoura de ce qui se fait de mieux dans la technocratie française, et qu’il fut un excellent ministre des transports. Le problème des politiciens LREM, c’est qu’ils ne sont pas conscients de leurs faiblesses. Ils sont totalement incapables de dire « je ne sais pas », et encore moins de consulter ceux qui savent. Notez bien que dans toutes les « consultations » et autres « débats » organisés depuis l’élection de Macron, le but est de recueillir l’opinion des citoyens. Pas de ceux qui connaissent les sujets en profondeur.
[Le verrouillage opéré sur les chaînes audio-visuelles du service public m’inquiète quant à la transmission possible des savoirs et des principes de notre nation. Je pense en effet que cette dynamique de confiance implique une culture de l’histoire de notre construction. Pour le citoyen comme pour ceux qui sont à son service.]
Etant donné la faible crédibilité que les gens prêtent aux chaînes de l’audiovisuel, je ne suis pas très inquiet. Le temps ou « vu à la télé » en faisait une vérité est depuis longtemps passé.
@Descartes
Peut-être ai-je une perception plus sombre que la tienne de l’évolution de notre société. Toujours est-il que je ne date pas cette évolution de Macron, et en ce sens je suis en accord avec toi. Macron n’est que le stade ultime d’une dégradation de la culture politique.
On a pris pour habitude d’opposer le sociétal et le social. Pour ma part, je dirai que la volonté de réforme sociétale, parce qu’elle va toujours dans le sens d’une déresponsabilisation et d’un égalitarisme, limite les possibilités de décisions politiques et sociales.
Je ne suis pas si sûr que toi que l’on conserve une confiance dans les ingénieurs ou les énarques. Les concours d’accès aux grandes écoles sont à présent souvent contournés par des admissions « sur dossier ». Certains concours d’entrée aux grandes écoles d’administration sont ouverts à la discrimination positive, dont on sait qu’elle permet à pas mal d’enfants des classes moyennes d’y accéder. (Brighelli a su avec ses collègues créer une classe prépa à Thiers à Marseille, recrutant des élèves méritants des quartiers Nord, mais avec une exigence de travail d’une classe prépa. Avec des succès. Mais on reste là dans une culture d’exigence.)
Je constate aussi dans le discours commun que les polytechniciens ou centraliens sont réduits à une caste privilégiée où seul le profit compterait. L’art de l’ingénierie serait dans ce même discours l’apanage de ceux qui seront passés par la voie de la formation professionnelle.
Ce discours anti-élites me semble bien préjudiciable à la confiance dans le savoir.
Je suis enclin à penser que le réformisme sociétal s’attaque sciemment à ce qui fait institution et donc à l’exercice de l’autorité, et à sa reconnaissance. Je parle aussi bien là de l’autorité que peut procurer le savoir que de la nécessaire hiérarchisation.
Je ne suis pas mécontent d’avoir pris ma retraite d’un métier que pourtant j’aime, car il devenait impossible de construire un projet d’établissement, fonction d’un savoir psychiatrique, qui convienne à l’Autorité Régionale de Santé, elle-même se soumettant au lobbying des familles, entre autres sur l’autisme, et aux clichés véhiculés sur cette pathologie. Ce n’est qu’un exemple, certes.
Là aussi, avec l’emprise de la pensée dominante sur l’administratif, le savoir médical ainsi que la confidentialité des décisions des cadres ne peuvent plus être.
Concernant ta précision quant à la toute-puissance de chacun, nous allons dans le même sens : cette toute-puissance ignore la limite de l’autre, et ignore de ce fait l’autre. Je ne pense pas qu’une société soit viable sans reconnaissance de l’altérité. Celle-ci se voit remplacée par un égalitarisme où tout le monde à droit à tout.
Un petit point sur les chaines publiques : France Inter reste la plus écoutée des radios, par exemple. Je viens de faire un trajet habituel d’une heure, zappant sur France Inter, France Info et France Culture. Bombardé des discours écologistes sur ces radios, pour finir sur l’émission scientifique de France Q, où ils parlaient du sexisme chez les scientifiques… Heureusement, j’avais le Requiem de Mozart en CD (pas celui livré au festival d’Aix cette année, hein?)
@ Paul
[On a pris pour habitude d’opposer le sociétal et le social. Pour ma part, je dirai que la volonté de réforme sociétale, parce qu’elle va toujours dans le sens d’une déresponsabilisation et d’un égalitarisme, limite les possibilités de décisions politiques et sociales.]
Les problèmes qu’on appelle « sociétaux », ce sont en fait les problèmes des classes intermédiaires. Les très riches ont le pouvoir de l’argent qui permet de s’affranchir des règles et se foutent donc de les changer, et les pauvres ont d’autres priorités que de savoir s’il faut utiliser l’écriture inclusive dans les documents officiels. La concentration du politique sur les problèmes sociétaux traduit la prise de pouvoir par les classes intermédiaires, qui font de LEURS problèmes LE problème.
Or, l’individualisme est consubstantiel aux membres des classes intermédiaires, dont il ne faut pas oublier que la promotion sociale s’inscrit dans un acte individuel et non collectif. C’est pourquoi les classes intermédiaires ont une profonde méfiance envers les institutions en général et l’Etat en particulier : ces institutions n’existent que pour mettre des limites à la toute-puissance des individus. C’est pourquoi la logique sociétale est parallèle à celle qui organise l’impuissance du politique.
[Je ne suis pas si sûr que toi que l’on conserve une confiance dans les ingénieurs ou les énarques.]
Les gens qui font des détours pour éviter les ponts ou qui déménagent pour s’éloigner des centrales nucléaires sont relativement rares. Preuve qu’on a une confiance raisonnable dans ceux – presque toujours des ingénieurs – qui les ont conçus, ceux qui les exploitent, ceux qui ont pour fonction de les contrôler. Quant aux énarques, pensez à la confiance dont bénéficient préfets et sous-préfets, dont une majorité sont des énarques…
[Les concours d’accès aux grandes écoles sont à présent souvent contournés par des admissions « sur dossier ». Certains concours d’entrée aux grandes écoles d’administration sont ouverts à la discrimination positive, dont on sait qu’elle permet à pas mal d’enfants des classes moyennes d’y accéder.]
Il ne faudrait pas trop exagérer le phénomène. Même si les voies d’accès parallèle se multiplient, elles restent relativement marginales dans l’ensemble et surtout dans les écoles du premier groupe. Et la discrimination positive est pratiquée clandestinement, tout simplement parce que dans l’état actuel de la législation elle est illégale.
[(Brighelli a su avec ses collègues créer une classe prépa à Thiers à Marseille, recrutant des élèves méritants des quartiers Nord, mais avec une exigence de travail d’une classe prépa. Avec des succès. Mais on reste là dans une culture d’exigence.)]
Comme vous le signalez, ce n’est pas là de la « discrimination positive ». C’est au contraire la vieille logique républicaine qui consiste à aider ceux qui ont des difficultés à arriver à la ligne de départ dans les mêmes conditions que les autres. Mais c’est à eux ensuite de gagner la course. Le principe de sélection au mérite est sauf.
[Je constate aussi dans le discours commun que les polytechniciens ou centraliens sont réduits à une caste privilégiée où seul le profit compterait. L’art de l’ingénierie serait dans ce même discours l’apanage de ceux qui seront passés par la voie de la formation professionnelle.]
Cela ne correspond pas du tout à mon expérience, au contraire. Un ami énarque me racontait comment il avait été accueilli par les gens dans le département où il avait fait son stage en préfecture. Les gens étaient plutôt admiratifs devant quelqu’un « qui a passé un concours très difficile » et il était reçu plus comme un exemple que comme un repoussoir. Cela doit dépendre bien entendu de la personnalité – car il y a des polytechniciens ou centraliens qui sont effectivement uniquement motivés par le fric – mais je pense que globalement, et surtout dans les couches populaires, il y a un respect pour ceux issus de la sélection au mérite au-delà de la gauloiserie de comptoir.
Le « discours commun » dont vous parlez, on le trouve en fait dans les classes intermédiaires, ou il est de bon ton de professer un mépris sans borne pour les « matheux » et autres « crânes d’œuf » (tout en rêvant d’envoyer ses enfants à Polytechnique ou à l’ENA, on n’est pas à une contradiction près). Je me demande au fond ces couches projettent sur les ingénieurs ou les hauts fonctionnaires leurs propres désirs d’argent et de pouvoir.
[Je ne suis pas mécontent d’avoir pris ma retraite d’un métier que pourtant j’aime, car il devenait impossible de construire un projet d’établissement, fonction d’un savoir psychiatrique, qui convienne à l’Autorité Régionale de Santé, elle-même se soumettant au lobbying des familles, entre autres sur l’autisme, et aux clichés véhiculés sur cette pathologie. Ce n’est qu’un exemple, certes. Là aussi, avec l’emprise de la pensée dominante sur l’administratif, le savoir médical ainsi que la confidentialité des décisions des cadres ne peuvent plus être.]
Un exemple très parlant. Comme on part du principe que la victime – réelle ou imaginaire – a toujours raison, il faut que la science ait tort dès lors qu’elle contredit le discours de celui qui se pose en victime. C’est vrai pour l’autisme, c’est vrai pour les électro-sensibles, c’est vrai pour les vaccins, c’est vrai pour les cancres, c’est vrai pour les « minorités ». Un éminent chercheur se fait défenestrer parce qu’il démontre à partir d’études historiques très sérieuses que la traite négrière fut l’affaire des Arabes bien avant et bien plus massivement que celle des Européens. Et on le défenestre non pas parce qu’il a dit quelque chose de faux, mais parce que la vérité n’arrange pas telle ou telle minorité « victime ».
[Un petit point sur les chaines publiques : France Inter reste la plus écoutée des radios, par exemple.]
Certes. Mais ce n’est pas parce qu’on est écouté qu’on est suivi. J’écoute moi-même France Inter le matin, tout simplement parce que je ne supporte pas le ton strident et la publicité à grands flots des radios privées. Mais je doute que France Inter exerce une grande influence sur mes opinions.
@Descartes, Paul
[Je ne suis pas mécontent d’avoir pris ma retraite d’un métier que pourtant j’aime, car
[[il devenait impossible de construire un projet d’établissement, fonction d’un savoir psychiatrique, qui convienne à l’Autorité Régionale de Santé, elle-même se soumettant au lobbying des familles, entre autres sur l’autisme, et aux clichés véhiculés sur cette pathologie.]]
[Un exemple très parlant. Comme on part du principe que la victime – réelle ou imaginaire – a toujours raison, il faut que la science ait tort dès lors qu’elle contredit le discours de celui qui se pose en victime. C’est vrai pour l’autisme, c’est vrai pour les électro-sensibles, c’est vrai pour les vaccins, c’est vrai pour les cancres, c’est vrai pour les « minorités ».]
Selon moi, c’est vrai pour les électro-sensibles, c’est vrai pour les vaccins, c’est vrai pour les cancres, c’est vrai pour les « minorités », mais c’est tout à fait l’inverse sur l’autisme.
Dans le cas de l’autisme, la pratique dans la plupart des centres était jusqu’à récemment exclusivement guidée par des pratiques psychanalitiques, qui, au nom de leurs principes, rejetaient le principe même de la méthode expérimentale. La psychiatrie était le dernier bastion où les pratiques initiées par Claude Bernard étaient encore récusées. Et il s’agissait d’une spécificité de la France (partagé, à ma connaissance, uniquement avec l’Argentine).
Depuis une dizaine d’années, en se basant sur les pratiques internationales et -justement- les méthodes s’appuyant sur les résultats des laboratoires scientifiques, les familles réclament une modification des prises en charge.
Autrement dit, justement, dans le cas de l’autisme, les demandes des familles rejoignent, pour l’essentiel, les conclusions des scientifiques et médecins universitaires.
Mon “pour l’essentiel” est justifié par le fait qu’il y a une demande des famille de “reconnaitre” l’autisme de leur proches, avec une “pression” sur les professionnels de santé, qui pourrait conduire à un surdiagnostic. Mais sur la prise en charge, il y a un réel accord entre l’immense majorité des associations de familles et les recommandations des spécialistes de formation scientifique (et pas psychanalytiques).
Si “Paul” est un psychiatre d’orientation psychanalytique, qui souhaite conserver cette orientation, je comprends qu’il ne soit pas mécontent de partir à la retraite, car il y a effectivement une évolution en cours dans ce domaine. Mais il me semble que celle ci n’a rien à voir avec les autres évolutions sociétales évoqués à côté.
Je vous invite à consulter le blog de Franck Ramus sur ces sujets ; un neuroscientifique qui cherche à vulgariser sur ces sujets.
@ Vincent
[Selon moi, c’est vrai pour les électro-sensibles, c’est vrai pour les vaccins, c’est vrai pour les cancres, c’est vrai pour les « minorités », mais c’est tout à fait l’inverse sur l’autisme.]
Je ne suis pas un expert du sujet, ni même un bon connaisseur. Je ne peux donc qu’exprimer une opinion que je me suis faite en discutant avec des amis qui travaillent sur le sujet. Je vous prie donc d’être indulgent avec moi…
[Dans le cas de l’autisme, la pratique dans la plupart des centres était jusqu’à récemment exclusivement guidée par des pratiques psychanalitiques, qui, au nom de leurs principes, rejetaient le principe même de la méthode expérimentale. La psychiatrie était le dernier bastion où les pratiques initiées par Claude Bernard étaient encore récusées. Et il s’agissait d’une spécificité de la France (partagé, à ma connaissance, uniquement avec l’Argentine).]
Mais avant de discuter de la prise en charge, il faudrait s’entendre sur ce qu’on appelle « autisme ». Ces dernières années, ce qu’on appelle « le spectre de l’autisme » (façon élégante de dire qu’on ne sait pas très bien de quoi on parle) s’est étendu à l’infini, pour englober des symptômes tellement divers – et contradictoires – qu’on peut se demander si « autisme » n’est pas défini comme « un truc qui ne tourne pas rond mais on ne sait pas très bien ce que c’est ».
Un ami me racontait combien la pression des parents fait qu’on diagnostique aujourd’hui comme « autisme » des pathologies qui il a pas si longtemps étaient classifiées comme oligophrénies. Il est socialement bien plus prestigieux d’avoir un enfant autiste que d’avoir un enfant idiot… dans ces conditions, les prises en charge sont là plus pour contenter les parents que pour guérir les enfants…
[Depuis une dizaine d’années, en se basant sur les pratiques internationales et -justement- les méthodes s’appuyant sur les résultats des laboratoires scientifiques, les familles réclament une modification des prises en charge. Autrement dit, justement, dans le cas de l’autisme, les demandes des familles rejoignent, pour l’essentiel, les conclusions des scientifiques et médecins universitaires.]
Comme les « conclusions » en question consistent à demander plus de moyens aux pouvoirs publics, cette coïncidence des opinions n’est guère convaincante… J’ajoute que c’est la même chose avec les « électrosensibles » : alors qu’il s’agit clairement d’une hystérie, on voit se multiplier dans les hôpitaux et cliniques privés les services qui prennent en charge cette pathologie inexistante. Là encore il y a consensus entre les patients et les professionnels. Normal : les thérapeutes savent détecter un filon.
[Mon “pour l’essentiel” est justifié par le fait qu’il y a une demande des famille de “reconnaitre” l’autisme de leur proches, avec une “pression” sur les professionnels de santé, qui pourrait conduire à un surdiagnostic. Mais sur la prise en charge, il y a un réel accord entre l’immense majorité des associations de familles et les recommandations des spécialistes de formation scientifique (et pas psychanalytiques).]
Je me trompe peut-être, mais je ne me souviens pas qu’il y ait beaucoup de travaux véritablement scientifiques qui aient abouti à de véritables recommandations en matière d’autisme. Pour les raisons qu’on a détaillées plus haut (pression sociale, mauvaise délimitation du sujet) il ne semble pas qu’on ait beaucoup avancé sur la compréhension des mécanismes de l’autisme. Aux excès de la psychanalyse – qui au moins à l’avantage d’être un produit de chez nous – on préfère aujourd’hui l’empirisme anglo-saxon. Je ne suis pas persuadé que les résultats soient radicalement différents.
Il ne faut pas non plus oublier que les approches psychanalytiques de l’autisme aboutissent souvent à remettre en cause le rôle de la mère… et donc à culpabiliser les parents. Pas étonnant dans ces conditions que les associations qui œuvrent dans ce domaine – et qui portent le discours des parents – soient hostiles à la psychanalyse…
Suite à ma précédente réponse, comme domaines où les opinions des patients vont à l’encontre du consensus scientifique, on aurait pu mentionner, outre l’électrosensibilité et les vaccins :
– la maladie de Lyme
– certaines prises en charges d’onco-pédiatrie (à Garches notamment),
– ce qu’on appelle les “hauts potentiels”, qui sont des enfants qui échouent à l’école, mais dont les parents veulent se convaincre qu’ils sont trop intelligents, et que c’est de la faute de l’école (est-ce cela que vous appeliez les “cancres” ?) (*)
Malheureusement, les prises en charges de l’autisme sont l’exception qui confirme la règle.
Vincent
(*) : même si ce phénomène existe, il n’a pas du tout l’ampleur que voudraient lui donner les associations de parents… Et surtout, la majorité des enfants réellement intelligents n’ont pas de problèmes, contrairement à ce que certains aimeraient faire croire.
Ne pourrait même pas t’on dire que la toute puissance de l’individu explique la faiblesse des partis politiques aujourd’hui ? Si l’individu sait tout et peut tout juger, a quoi bon un parti dont le but est la formation et l’explication de concepts divers et variés (disons du systèmes capitaliste a la politique en cours par le gouvernement, jusqu’à l’art Tibétain au musée) par des formations ou des journaux ? Dont le but est de porter un ensemble de voies dans une ligne cohérente et rassembleuse ?
Je trouve aussi que le mouvement des gilets jaunes souffre de cela. L’individualisme oblige le mouvement a rester dans la spontanéité (donnant une force incroyable a ceux qui tirent les ficelles sur les groupes Facebook… Tout est décidé dans l’ombre et personnes ne demande de la transparence paradoxalement) car ils sont incapable de trouver une ligne cohérente autre que la démission de Macron, et éventuellement le RIC (même si parfois je doute qu’ils savent de quoi ils parlent). Cela nécessiterait des compromis. En bref c’est voué a l’échec, même si le chaos pourrait permettre (mais je n’y crois pas) la chute d’un gouvernement. Au final c’est une belle bande de gauchiste… (Si je me rappelle bien tu avais parlé de Plenel qui se sent tout puissant a faire tomber des ministres)
@ yoann
[Ne pourrait-on dire que la toute-puissance de l’individu explique la faiblesse des partis politiques aujourd’hui ? Si l’individu sait tout et peut tout juger, a quoi bon un parti dont le but est la formation et l’explication de concepts divers et variés (disons du systèmes capitaliste a la politique en cours par le gouvernement, jusqu’à l’art Tibétain au musée) par des formations ou des journaux ? Dont le but est de porter un ensemble de voies dans une ligne cohérente et rassembleuse ?]
Je ne le crois pas. L’idéologie de la toute-puissance individuelle est l’alibi idéologique d’une transformation sociale beaucoup plus profonde, qui est la constitution d’un bloc dominant constitué de la bourgeoisie et des classes moyennes, et l’expulsion du champ politique des couches populaires. Les partis politiques étaient des institutions fonctionnelles dans un système ou les différents groupes sociaux s’affrontaient pour le partage de la valeur créée, mais avaient besoin les uns des autres. Dans ce contexte, les partis politiques représentaient les différents groupes sociaux et négociaient des équilibres en leur nom.
Aujourd’hui, le bloc dominant domine l’ensemble du champ politique. C’est pourquoi les partis politiques ont de plus en plus de mal à se distinguer, puisque tous représentent grosso mode les mêmes intérêts. A quoi bon dans ces conditions conserver une multiplicité de partis politiques qui s’affronteraient, alors qu’on peut parfaitement entre des gens de bonne compagnie gouverner ensemble ? C’est cette indifférenciation que matérialise le projet macronien ou des hommes et femmes de tous horizons politiques – mais toujours de la même classe sociale – gouvernent ensemble. Les partis politiques ont disparu parce qu’ils ne servent plus à rien.
Le seul qui conserve une logique politique à l’ancienne, c’est le RN, tout simplement parce qu’il reste le seul recours des couches populaires pour exercer une influence dans le champ politique…
[Je trouve aussi que le mouvement des gilets jaunes souffre de cela. L’individualisme oblige le mouvement a rester dans la spontanéité (donnant une force incroyable a ceux qui tirent les ficelles sur les groupes Facebook… ]
Je ne crois pas. J’ai exposé ici il y a quelques mois mon analyse du mouvement des Gilets Jaunes. Je n’ai rien à changer dans cette analyse. Je reste persuadé qu’il s’agit d’un mouvement EXPRESSIF, et non d’un mouvement politique. Ceux qui s’y sont engagés – je parle de ceux qui sont allés dans les ronds-points, et non ceux qui sont venus casser à Paris – voulaient exprimer une angoisse, une fatigue, une crainte pour l’avenir. Mais dès le départ ils ont été très clair sur le fait que leur mouvement était un appel aux politiques pour qu’ils agissent, et ne prétendait pas se substituer à eux. Les Gilets Jaunes ne disaient pas « voilà ce qu’il faut faire », ils disaient « nous ne savons pas ce qu’il faut faire, mais il faut que les gens compétents se penchent sur le problème et trouvent des solutions ».
Ce n’est pas de l’élitisme que de constater que les gens issus des couches populaires n’ont pas individuellement les capacités pour analyser la situation, trouver des solutions et gouverner l’Etat. Il n’y a aucune raison de penser que le fait de mettre ensemble des gens qui n’ont pas ces capacités les ferait apparaître comme par magie. Sans un Parti capable de former des leaders, d’élaborer un cadre d’analyse et à partir de là une vision d’avenir, les couches populaires sont impuissantes. Le problème, c’est que l’ensemble des partis est contrôlé par les classes intermédiaires, qui n’ont aucune envie de confier les manettes aux classes populaires…
Macron ce puceau des idée ( si ce n’est d’autre choses) un incompétent complet en échec scolaire ( ref juan branco) qui a sa revanche a prendre contre la vie…en plus de celle sans doute de ne pas pouvoir bander face a des fille (ça marche par contre contre les éponges asséchés)
@ Bob
[Macron ce puceau des idée ( si ce n’est d’autre choses) un incompétent complet en échec scolaire ( ref juan branco) qui a sa revanche a prendre contre la vie…en plus de celle sans doute de ne pas pouvoir bander face a des fille (ça marche par contre contre les éponges asséchés)]
Bon. Vous vous êtes soulagé. Et ensuite ? Si cela vous amuse, vous pouvez vous acheter une petite poupée à l’effigie de Macron et lui planter des épingles. Ou bien acheter un portrait de lui et jouer avec aux fléchettes. Mais à quoi ça sert ? En quoi le fait de traiter Macron de puceau, d’incompétent, de cancre, d’impuissant fait avancer le schmilblick ?
Sans vouloir vous offenser, les commentaires comme le votre reposent en fait sur une superstition: c’est la version moderne de la malédiction. On croit que parce qu’on a lancé une bordée d’injures, on a quelque part causé un mal à la personne concernée. Et accessoirement, cela permet de communier avec les membres de la collectivité qui partagent votre détestation. Mais en termes politiques, cela ne sert strictement à rien. Votre malédiction n’empêchera pas Macron de continuer à gouverner. Elle n’a aucun effet sur le réel. On peut même se demander si ce n’est pas un substitut: puisqu’on ne peut rien FAIRE, on se contente de DIRE…
@Descartes
> Votre malédiction n’empêchera pas Macron de continuer à gouverner. Elle n’a aucun effet sur le réel. On peut même se demander si ce n’est pas un substitut: puisqu’on ne peut rien FAIRE, on se contente de DIRE…
Et de rêver à voix haute. C’est la « gauche radicale » contemporaine qui a inventé cet étrange slogan « rêve générale ».
@ Ian Brossage
[Et de rêver à voix haute. C’est la « gauche radicale » contemporaine qui a inventé cet étrange slogan « rêve générale ».]
C’est le PCF – honte à lui – qui a été pionnier dans cette voie en parlant de « Rêvelution » lors du 34ème Congrès… en 2008. La « rêve générale » est venue un peu plus tard. L’irruption du « rêve » dans un parti censé adhérer au matérialisme historique est pour moi le meilleur indicateur du renoncement à agir sur la réalité.
Votre poste me rappelle que j’ai eu accès, au cours de séjours, à une bibliothèque composée d’ouvrages publiés principalement depuis les années 50 jusqu’aux années 2000, avec une concentration autour des années 70 et 80, ce qui m’a permis de lire, par exemple, la biographie d’Olivier Guichard expliquant comment il avait commencé au sein du mouvement gaulliste, aux ouvrages de Louis Pauwell contre l'”église du pessimisme” ainsi que d’une réfutation partielle de la part de Paul Sérant, à la série crée par Bernard Michal ou bien, pour passer à votre thème sur la transparence, au Cinquième cavalier de Frémy.
Dans ce livre, il y a un passage où les agents du FBI interrogent des policiers New-Yorkais sur des suspects dans une affaire de terrorisme nucléaire et demandent leurs dossiers; il se trouve que, à la suite de poursuites afin d’obtenir un accès, ces dossiers furent publiés après avoir été expurgés des éléments “délicats”, ces dit éléments étant gardés en réserve au cas-où. Il semble que cette pratique ait été plus répandue.
@ Jopari
[Votre poste me rappelle que j’ai eu accès, au cours de séjours, à une bibliothèque composée d’ouvrages publiés principalement depuis les années 50 jusqu’aux années 2000, avec une concentration autour des années 70 et 80, ce qui m’a permis de lire, par exemple, la biographie d’Olivier Guichard expliquant comment il avait commencé au sein du mouvement gaulliste, aux ouvrages de Louis Pauwels contre l’”église du pessimisme” ainsi que d’une réfutation partielle de la part de Paul Sérant, à la série crée par Bernard Michal ou bien, pour passer à votre thème sur la transparence, au Cinquième cavalier de Frémy.]
Quand j’étais plus jeune, mes copains se moquaient gentiment de ma passion pour les documents du passé. Mais je persiste et signe : la lecture de ce qui s’est écrit il y a cinquante ans éclaire le présent d’une lumière bien plus crue que la lecture de ce qui a été écrit il y a dix ans ou il y a un siècle. C’est d’autant vrai que les trente ans qui vont du début des années 1950 à la fin des années 1970 ont été en France un « âge d’or » de la pensée scientifique, historique, politique et administrative, grâce à la productivité exceptionnelle de la génération promue par la Libération.
Ce qui me frappe rétrospectivement en lisant ces textes, c’est le sérieux avec lequel ceux qui étaient à l’époque des jeunes hommes et femmes abordaient les problèmes du monde. Combien d’adolescents de seize ans seraient capables aujourd’hui d’écrire une lettre comme celle de Guy Moquet ? Combien seraient capables de PENSER comme lui ? Ceux qui à l’époque prenaient les décisions ne pensaient pas seulement à leur carrière : ils étaient très conscients que sur une décision politique peut se jouer la vie ou la mort des personnes et le destin du pays. C’est ce que j’appelle – pardon de me répéter – le sens du tragique en politique.
Pour moi, c’est le principal contraste. Même les plus carriéristes de la génération issue de la guerre avaient besoin de se voir comme des serviteurs du pays. Rares étaient ceux qui voyaient la politique comme un parcours professionnel comme un autre, une simple enfilade de postes ou l’on essaye d’aller le plus haut possible en épousant les idées de l’opinion, un jour à droite, un autre à gauche. J’ai beau détester Mitterrand, mais je dois lui accorder le fait d’être resté dans l’action fidèle à ses convictions : idéalisme européen, anticommunisme farouche, vision girondine du pays. C’est peut-être là le paradoxe qui explique la déception de certains de ses partisans qui, étant beaucoup plus jeunes, ont eu la faiblesse de croire que le Mitterrand de 1981 n’était pas celui de 1956.
[Dans ce livre, il y a un passage où les agents du FBI interrogent des policiers New-Yorkais sur des suspects dans une affaire de terrorisme nucléaire et demandent leurs dossiers; il se trouve que, à la suite de poursuites afin d’obtenir un accès, ces dossiers furent publiés après avoir été expurgés des éléments “délicats”, ces dit éléments étant gardés en réserve au cas-où. Il semble que cette pratique ait été plus répandue]
On oublie aujourd’hui ce que fut la guerre froide. On s’imagine que le s « fake news » ont été inventées avec les réseaux sociaux, mais c’est faux. Les réseaux en question n’ont fait que reprendre les pratiques qui furent celles de la grande presse lors de la chasse aux sorcières des années 1950 mais aussi du néo-maccarthysme des années 1980. Je suis toujours fasciné par la vitesse avec laquelle cette période a été oubliée. Qui se souvient qu’un invité cagoulé censé être un haut cadre du PCF avait été présenté par Christine Ockrent au journal de vingt heures pour présenter des « révélations fracassantes » sur le fonctionnement du Parti ?
Il ne faut pas croire que les « guerriers froids » étaient des purs cyniques. La plupart étaient eux-mêmes intoxiqués par leurs propres affirmations, croyant dur comme fer aux « complots communistes pour dominer le monde », à l’image du personnage de « Dr Folamour » persuadé que la fluoration de l’eau potable – grâce à laquelle les gens arrivent maintenant à la soixantaine avec toutes leurs dents – était le résultat d’un complot communiste pour affaiblir la jeunesse américaine. Et cette croyance leur donnait tous les droits, par exemple celui de refuser l’embauche des personnes étiquetées comme « communistes » dans la fonction publique (affaire Borrel), celui de créer des polices ou des milices parallèles pour débusquer et même assassiner les « rouges » (comme le Gladio en Italie ou le SAC en France), celui de soutenir les pires dictatures – de Pol Pot à Somoza – au nom de la défense du monde libre. Et c’était vrai à droite comme à gauche : on se souvient de Badiou défendant passionnément le régime de Pol Pot face à l’affreuse intervention vietnamieno-soviétique qui finit par le renverser dans son article « Kampuchéa Vaincra », ou Montand devenu le chantre de la philosophie reaganienne du « tricle down economics ». Il est fascinant de constater combien la mémoire de cette période est occulté, combien les acteurs de l’époque ont reçu une sorte d’amnistie plénière. On crache encore aujourd’hui sur Aragon au prétexte qu’il chanta les louanges de Staline, personne ne chahute Badiou en lui rappelant son attachement à Pol Pot…
Pol Pot a eu le soutien dea CIA. Pas Staline…
C’est beau la puissance du discours pour enlever le communisme aux gens. Et l’histoire de l’URSS.
Peut être vont ils comprendre qu’on nous a laisser un espace démocratique et social uniquement a cause de la peur des rouges et de l’URSS… Et que la chute de l’URSS est la plus grande catastrophe arrivé au prolétariat en France. Y compris chez certains au PCF…
[Quand j’étais plus jeune, mes copains se moquaient gentiment de ma passion pour les documents du passé. Mais je persiste et signe : la lecture de ce qui s’est écrit il y a cinquante ans éclaire le présent d’une lumière bien plus crue que la lecture de ce qui a été écrit il y a dix ans ou il y a un siècle. C’est d’autant vrai que les trente ans qui vont du début des années 1950 à la fin des années 1970 ont été en France un « âge d’or » de la pensée scientifique, historique, politique et administrative, grâce à la productivité exceptionnelle de la génération promue par la Libération.]
Aujourd’hui, il est encore plus facile d’accéder à de tels ouvrages, gratuitement ou non. La Bibliothèque nationale, Google Books et Wikisource, pour ne citer que les plateformes les plus connues, permettent d’accéder librement et plus facilement à des ouvrages libres de droits d’auteurs: par exemple, le livre d’Anatole Leroy-Beaulieu sur la Russie est maintenant disponible sur Wikisource, ainsi que plusieurs articles publiés dans la Revue des Deux Mondes.
Idem pour la presse: le Monde s’est mis à mettre en ligne certains de ses plus vieux articles, et d’autres journaux ont fait de mème.
Et je suis de votre avis, la lecture de documents anciens est bonne pour se rappeler que ‘le passé est un pays étranger” et à avoir plus de recul sur le monde: lire les réactions à un évènement de la part de contemporains est assez intéressant, ainsi que les évolutions d’institutions ou les différentes positions d’une personnalité au cours du temps. Parfois, c’est tout simplement la fascination pour une période.
@Descartes
> On crache encore aujourd’hui sur Aragon au prétexte qu’il chanta les louanges de Staline, personne ne chahute Badiou en lui rappelant son attachement à Pol Pot…
N’est-ce pas simplement parce que Badiou est un personnage sans importance, qui n’enthousiasme qu’un maigre fan-club ?
@ Ian Brossage
[N’est-ce pas simplement parce que Badiou est un personnage sans importance, qui n’enthousiasme qu’un maigre fan-club ?]
Non, je ne le crois pas. Si Badiou avait été un “stalinien”, il aurait été crucifié. Mais Badiou, lorsqu’il défendait Pol Pot face aux méchants Vietnamiens alliés des Soviétiques, était dans le plus parfait des conformismes. Dans le climat néomaccarthiste des années 1980, intellectuels et politiques communiaient dans la même logique. Il faut se souvenir que les puissances occidentales se sont mises d’accord pour que les Khmers Rouges représentant le régime déchu continuent à siéger aux Nations Unies en représentation du Cambodge, et de fermer la porte aux représentants du nouveau gouvernement mis en place par les Vietnamiens. Si l’on reproche à Badiou son “Kampuchéa Vaincra”, il faudrait se demander pourquoi à l’époque personne ne s’était insurgé contre cette publication. Et pour beaucoup de gens, ce serait une question fort gênante…
Bonsoir Descartes,
C’est la première fois que je publie sur votre blog. Tout d’abord, laissez-moi vous remercier et vous exprimer mon admiration pour la qualité de vos analyses ainsi que pour tout le travail que vous déployez. Cela fait plusieurs mois que je lis vos articles ainsi que les échanges qui s’ensuivent et c’est, chaque fois, un véritable régal pour l’intelligence. Pour tout dire je ne suis qu’un jeune étudiant d’à peine plus de vingt ans et, en ce qui concerne la chose publique, mon entourage immédiat me laisse un peu sans espoir… Quoiqu’il en soit, voir que certains abreuvent leur réflexion sur notre monde autrement que par le babil infernal auquel nous habituent BFMTV, Cdanslair et consorts, est toujours une grande source de réconfort ! Votre blog est pour ainsi dire un havre de paix et, malgré les mauvais temps (ou plutôt à cause d’eux), je ne puis que vous encourager à continuer de l’entretenir.
Le seul hic, puisqu’il en faut bien un, c’est que je suis d’accord avec presque tout ce que vous dites… ce qui ne favorise pas l’esprit de contradiction !
Comme sur le reste, donc, je ne puis que partager votre affliction sur le fait que la communication devienne une fin en soi et non plus un moyen au service de l’action. Pour rester dans l’actualité, l’exemple du G7 me semble, à cet égard, assez significatif. Il faut voir l’avalanche d’articles qui ont parus sur “Le Monde” ces derniers jours pour couvrir ce non-évènement et louer toutes les “réussites” de Macron. Réussites ne consistant, en réalité, que dans quelques vagues engagements, dont la plupart émanent de Trump – on s’étonne de voir les journalistes du Monde soudainement créditer sa parole – et dans des symboles qui tomberont tout aussi vite dans l’oubli (tribune commune avec Trump, invitation d’un obscur chef amazonien…). Ne parlons même pas de la taxe GAFA où la France, pour obtenir un compromis constituant un recul vis-à-vis de ce qu’elle a instauré à l’échelle nationale, procède à des concessions avant même qu’un accord n’entre en discussion ! Il n’en fallait pourtant pas plus pour que les eurolibéraux se pâment de la “stature internationale” de notre chef d’État.
Le plus significatif se trouve peut-être dans cette phrase qu’on lit au détour d’un article : “Le sommet montre ainsi que le G7, quoique toujours plus contesté, garde quelque utilité comme lieu de rencontre informel, où le dialogue est d’autant plus libre qu’il n’y a pas de véritables décisions à prendre.”
Je me trompe peut-être mais je trouve très étonnant qu’un si grand bruit soit fait de cette réunion informelle où, effectivement, aucune “véritable décision” n’a vocation à être prise… on s’interroge alors sur ce que Macron a bien pu “réussir”, si rien n’a été décidé. A moins, bien sûr, de croire que le coup de com’ constitue en soi une victoire politique.
Il est d’ailleurs remarquable que les journalistes, analystes et autres commentateurs de l’actualité, ne parlent plus de politique que du point de vue de ce qu’ils ont appris et de ce qui finalement les fait vivre : la communication. Le pire, c’est que j’ai l’impression que cette conception de la chose publique irrigue tout le reste de l’opinion. On entend quotidiennement des gens pour louer telle ou telle action politique au seul motif qu’elle représente un bon coup de com.
Par ailleurs, même au-delà de la politique, j’ai l’impression que notre société entière s’enfonce dans un amollissement général, comme si partout nous préférions remplacer l’action par le symbole, qui permet de donner un semblant de portée à sa pensée sans supporter le coût que représente une véritable action en termes de volonté et d’effort. On arrive nécessairement à ce que le symbole devienne une fin en soi et non plus le moyen d’un plan plus vaste. Cela me semble particulièrement vrai chez la gauche “sociétale” qui, à défaut d’avoir un réel projet de société à mettre en œuvre, s’ingénie à déployer un maximum de symboles pour rester dominante dans l’opinion publique. On a des tas d’exemples de symboles destinés à tenir lieu d’actions : mettre des noirs ou des asiatiques dans les films pour lutter contre le racisme, utiliser l’écriture inclusive pour favoriser l’égalité des sexes, imposer “les gestes du quotidien” pour sauver la planète… en sachant pertinemment qu’aucun changement crédible n’émane de ce genre d’initiative.
Tout cela finalement me semble être le résultat d’une “grande fatigue” presque nietzschéenne… et il ne serait peut-être pas vain, sans vouloir entrer dans une trop longue digression, d’en chercher une partie des causes dans la rupture morale de Mai 68. L’individu devenant roi, toute l’action ne peut reposer que sur lui. Or, une addition d’actions individuelles, si nombreuses soient-elles, ne suffit pas à réaliser l’intérêt général. Réduit à l’impuissance, l’individu (homme d’État ou simple citoyen) en est réduit à manier des symboles – à communiquer donc…
@ Advocare
[C’est la première fois que je publie sur votre blog. Tout d’abord, laissez-moi vous remercier et vous exprimer mon admiration pour la qualité de vos analyses ainsi que pour tout le travail que vous déployez (…). Votre blog est pour ainsi dire un havre de paix et, malgré les mauvais temps (ou plutôt à cause d’eux), je ne puis que vous encourager à continuer de l’entretenir.]
Merci beaucoup. Un auteur bénévole comme moi vit surtout des encouragements de ses lecteurs, et votre commentaire m’aide à continuer le travail. Le but de ce blog est de permettre un débat serein, encadré, où des idées opposées et « politiquement incorrectes » puissent s’exprimer dans un climat d’ouverture. Le meilleur encouragement que vous puissiez me donner… c’est de participer à ce débat !
[Le seul hic, puisqu’il en faut bien un, c’est que je suis d’accord avec presque tout ce que vous dites… ce qui ne favorise pas l’esprit de contradiction !]
Suis-je devenu si consensuel ? 😉
J’espère que non. Grattez un peu, cherchez dans le sens des mots, et vous trouverez nécessairement des différences. Si vous êtes d’accord sur tout, c’est vraisemblablement que nous ne donnons pas le même sens à certaines propositions !
[Pour rester dans l’actualité, l’exemple du G7 me semble, à cet égard, assez significatif. Il faut voir l’avalanche d’articles qui ont parus sur “Le Monde” ces derniers jours pour couvrir ce non-évènement et louer toutes les “réussites” de Macron.]
Tout à fait d’accord. Nos médias confondent allègrement la réussite médiatique de Macron – le fait que le chef de l’Etat est apparu sous un jour favorable et a totalement occupé l’espace médiatique – avec la réussite politique du sommet. En fait, si ce G7 a démontré quelque chose, c’est l’inutilité de cette structure. A chaque G7, on commence la préparation en se demandant de quoi on va bien pouvoir parler pendant trois jours, et à la fin les marottes médiatiques finissent par dicter l’ordre du jour. Si au lieu d’avoir des incendies au Brésil on avait eu un tsunami en Indonésie, le visage du sommet aurait été changé.
[Le pire, c’est que j’ai l’impression que cette conception de la chose publique irrigue tout le reste de l’opinion. On entend quotidiennement des gens pour louer telle ou telle action politique au seul motif qu’elle représente un bon coup de com.]
C’est vrai, et jusqu’à la caricature : ainsi, on louera un dirigeant pour sa gestion médiatique d’une catastrophe oubliant que c’est son incurie en tant que gouvernant a contribué à causer (eg. l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge). C’est visible aussi dans la culture de l’annonce : un ministre qui se déplace doit « annoncer » quelque chose de nouveau : une réforme, une subvention, une nomination, quelque chose. A chaque déplacement d’un ministre, ses équipes se grattent donc la tête jusqu’au sang pour trouver quelque chose à annoncer… quitte à recycler des annonces anciennes. Ainsi, par exemple, les 300 € d’augmentation annuelle pour les enseignants (cela représente une augmentation inférieure à l’inflation, mais passons) « annoncés » par Blanquer sont la simple application du protocole d’accord de 2016, qui avait déjà été « annoncée » par Vallaud-Belkacem. Et il n’est pas difficile de trouver des crédits « annoncés » plusieurs fois, chaque fois comme si c’était une nouveauté. Il est devenu impensable qu’un ministre se déplace non pas pour « annoncer » des choses nouvelles, mais pour vérifier sur le terrain que ses « annonces » anciennes ont bien été mises en œuvre. Et on comprend pourquoi : annoncer, c’est se mettre en valeur. Quand on décrit un projet, tout le monde est gentil, tout est beau. C’est dans la réalisation qu’on voit les problèmes, les insuffisances, les erreurs, les conflits. Mieux vaut laisser ça à quelqu’un d’autre… ou même y renoncer. Vous n’imaginez pas le nombre d’annonces qui ne sont suivies d’aucun effet pratique, qui se perdent dans les méandres administratifs à la satisfaction du ministre. Car il ne faut pas croire ces discours enflammés ou les ministres rejettent sur l’administration la faute de tout ce qu’ils n’ont pas fait. Non : dans beaucoup de cas le ministre est parfaitement conscient que son « annonce » ne sera suivie d’aucun effet, et il reprocherait amèrement à son administration de chercher à la mettre en œuvre…
Pensez par exemple à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Si les gouvernements successifs qui ont annoncé la fermeture avaient vraiment eu la volonté, elle serait déjà fermée. Il suffit de pousser sur un bouton, et la production s’arrête. Mais cet arrêt a un coût très important en termes de production perdue, et le politique n’a pas envie de le payer. Du coup il se valorise en annonçant – à répétition – la fermeture, tout en donnant aux administrations l’instruction de rester l’arme au pied tout en faisant semblant.
[Par ailleurs, même au-delà de la politique, j’ai l’impression que notre société entière s’enfonce dans un amollissement général, comme si partout nous préférions remplacer l’action par le symbole, qui permet de donner un semblant de portée à sa pensée sans supporter le coût que représente une véritable action en termes de volonté et d’effort. On arrive nécessairement à ce que le symbole devienne une fin en soi et non plus le moyen d’un plan plus vaste.]
Ce qu’il faut comprendre, c’est le pourquoi de ce changement. La République telle qu’elle s’est construite à la fin du XIXème siècle et s’est prolongée jusqu’aux années 1960 était fondée sur la hiérarchie de l’effort, de la discipline, de la volonté. Le besoin de remplacer les élites aristocratiques balayées par les révolutions successives par des élites républicaines a rendu nécessaire cette logique méritocratique. La volonté, la rigueur, l’étude, l’effort, la discipline ont donc été valorisés dans l’ensemble du corps social, depuis l’école primaire jusque dans les « grands corps » de la fonction publique. Le recrutement par concours dans les institutions qui forment les élites était la matérialisation de cette valorisation. Et cet état des choses était consensuel parce qu’il convenait à tout le monde : il permettait à la bourgeoisie de disposer d’une élite administrative et technique de très haute qualité, et donnait au prolétariat une voie non négligeable de promotion sociale.
Au tournant des années 1970, tout change. Les classes intermédiaires sont bien installées, et le ralentissement de la croissance après le rattrapage des « trente glorieuses » ne lui permet guère de s’étendre encore. Pour conserver sa position, il lui est indispensable d’empêcher que ceux venus d’en bas puissent – par le biais d’une promotion sociale fondée sur l’effort, le travail, la discipline –concurrencer ses propres enfants et donc mettre en cause sa reproduction comme classe. C’est là à mon avis la fonction de « l’amollissement » dont vous parlez. Il est la production idéologique d’une couche sociale craintive qui ne veut surtout pas de concurrents. Et c’est pourquoi la discipline, la rigueur, le travail, l’effort, tout ce qui permettait à certains membres des couches populaires de concurrencer les rejetons des classes intermédiaires, ont été voués aux Gémonies. Le citoyen capable de se battre est toujours une menace, le citoyen « mou » est inoffensif.
Si le symbole remplace l’action sur le réel, c’est parce que le but des classes intermédiaires, qui dominent le champ idéologique, c’est de « tout changer pour que rien ne change ».
[Tout cela finalement me semble être le résultat d’une “grande fatigue” presque nietzschéenne… et il ne serait peut-être pas vain, sans vouloir entrer dans une trop longue digression, d’en chercher une partie des causes dans la rupture morale de Mai 68.]
J’ai essayé de vous donner mon analyse sur ce point plus haut. La « rupture morale » dont vous parlez me semble plus un symptôme qu’une cause. La vrai moteur de ce changement – comme de tous les autres – doit à mon avis être recherché dans la transformation des conditions matérielles. Le problème n’est pas, à mon avis, une question de « fatigue nietzschéenne ». Ce sont les intérêts d’une classe devenue dominante et qui n’entend pas céder la place. Loin de traduire une langueur, c’est un activisme déguisé.
“Suis-je devenu si consensuel ? 😉”
Rassurez-vous : je suis généralement en désaccord avec tout le monde, ça vous laisse une certaine marge…
“Au tournant des années 1970, tout change. Les classes intermédiaires sont bien installées, et le ralentissement de la croissance après le rattrapage des « trente glorieuses » ne lui permet guère de s’étendre encore. Pour conserver sa position, il lui est indispensable d’empêcher que ceux venus d’en bas puissent – par le biais d’une promotion sociale fondée sur l’effort, le travail, la discipline –concurrencer ses propres enfants et donc mettre en cause sa reproduction comme classe. C’est là à mon avis la fonction de « l’amollissement » dont vous parlez.”
A cet égard, j’aimerais vous poser une question devenue récurrente au fil de la lecture de vos articles : finalement, comment définissez-vous cette fameuse “classe intermédiaire” qui, semble-t-il, fait l’objet de tout votre mépris ?
Je trouve de manière générale votre lecture matérialiste de l’Histoire très intéressante, mais j’ai l’impression que cette notion de “classe intermédiaire” prend parfois sous votre plume la forme d’un espèce de fourre-tout, certes bien pratique pour articuler vos raisonnements, mais dont on peine à voir les contours exacts. En tout cas, je n’ai jamais réussi à tirer une définition claire et précise de ce terme à partir de vos articles, et il me semble que vous compreniez ce terme différemment du sens qui lui est usuellement attribué. Par exemple, je ne crois pas que vous y incluiez les Gilets jaunes, dont on a pourtant dit qu’ils représentaient la classe moyenne effrayée par la perspective du déclassement…
@ Advocare
[A cet égard, j’aimerais vous poser une question devenue récurrente au fil de la lecture de vos articles : finalement, comment définissez-vous cette fameuse “classe intermédiaire” qui, semble-t-il, fait l’objet de tout votre mépris ?]
Pourquoi « mépris » ? Est-ce « mépriser » une classe que de dire qu’elle est devenue dominante, qu’elle défend ses intérêts ?
Votre question revient régulièrement sur ce blog, parce que les « classes intermédiaires » sont un concept qui m’est personnel. J’en ai donné plusieurs fois la définition dans différents articles ou commentaires sur ce blog. D’ailleurs, pendant un certain temps j’utilisais l’expression « classes moyennes », en la mettant entre guillemets puisque je ne donnais pas à cette expression le sens habituel, mais cela créait des confusions. A la demande d’un certain nombre de lecteurs, je me suis donc porté sur l’expression « classes intermédiaires ».
Que sont donc les « classes intermédiaires » ? Mon raisonnement revient à une idée marxienne de base, qui donne un rôle structurant à la position des individus dans le mode de production. Dans la description classique théorisée par David Ricardo, le travail est la seule source de valeur. A partir de là, on peut dans une société capitaliste distinguer deux classes (ce qui n’exclut pas l’existence d’autres groupes qui n’ont pas le statut de « classe ») : d’un côté ceux qui détiennent le capital, de l’autre ceux qui n’ont que leur force de travail. Les premiers achètent la force de travail des seconds à un prix inférieur à la valeur qu’elle produit, et empochent la différence : c’est la plusvalue. Ce processus, par lequel une partie de la valeur produite par le travail va au capital est désigné sous le nom d’exploitation. Vous noterez bien qu’il n’y a là aucune considération morale ou éthique : il s’agit d’une simple description du mode de production.
L’hypothèse de Marx est que les bourgeois (c’est-à-dire, ceux qui possèdent le capital) comme les prolétaires (vendeurs de leur force de travail) développent à partir de leur position partagée dans le mode de production une conscience d’appartenir à un groupe qui a des intérêts collectifs qui ne se confondent pas avec l’intérêt individuel. C’est ainsi qu’on résout le paradoxe de la grève : les travailleurs ont intérêt COLLECTIVEMENT à faire la grève, mais aucun d’entre eux n’a intérêt à la faire INDIVIDUELLEMENT. C’est cette structure qui différentie une « classe » de tout autre groupe social ;
Ma thèse est que le développement du capitalisme moderne a construit une troisième classe : celle des gens qui détiennent un capital IMMATERIEL important, qui leur permet d’échapper à la logique d’exploitation pour eux, sans pour autant leur permettre d’exploiter les autres. Ce capital immatériel est fait de connaissances et de compétences rares, de réseaux… Contrairement aux « classes moyennes » des sociologues, il ne s’agit donc pas d’un groupe caractérisé par son revenu, par son mode de vie, par ses usages sociaux. On pourrait les définir comme ce groupe qui tout en vendant sa force de travail échappe à l’exploitation du fait du pouvoir de négociation que lui donne son « capital immatériel ».
[Je trouve de manière générale votre lecture matérialiste de l’Histoire très intéressante, mais j’ai l’impression que cette notion de “classe intermédiaire” prend parfois sous votre plume la forme d’une espèce de fourre-tout, certes bien pratique pour articuler vos raisonnements, mais dont on peine à voir les contours exacts.]
Je n’ai pas les moyens – surtout en temps – pour faire l’étude systématique qui délimiterait clairement les « contours exacts » de cette catégorie. Tout au plus, on peut trouver des caractéristiques communes : on y trouve l’ensemble de ceux dont le revenu dépend de la vente d’une prestation qui suppose une importante accumulation préalable de connaissances, de compétences, de réseaux de connaissances qu’on peut mobiliser : professions médicales, avocats, enseignants, cadres techniques, hauts fonctionnaires, communiquants et publicitaires, politiques, spécialistes du marketing ou de la finance… mais il faut aussi inclure des ouvriers très spécialisés – soudeurs de qualification nucléaire ou aéronautique, opérateurs de centrale nucléaire…
[Par exemple, je ne crois pas que vous y incluiez les Gilets jaunes, dont on a pourtant dit qu’ils représentaient la classe moyenne effrayée par la perspective du déclassement…]
Je ne crois pas qu’on puisse parler au sujet des « gilets jaunes » d’un mouvement « de classe », au sens qu’il n’est pas guidé par les intérêts d’une classe particulière. C’est un mouvement de ce que Gilluy appelle « la France périphérique ». Il y a là-dedans des ouvriers, certes. Il y a aussi ce que Marx appelait du « lumpenprolétariat ». Mais on peut aussi trouver des paysans propriétaires de leurs terres, des commerçants propriétaires de leur commerce, des fonctionnaires de santé ou de l’enseignement qu’on peut rattacher aux classes intermédiares.
Le mouvement des « gilets jaunes » a pour origine la dégradation des conditions de vie des couches populaires, c’est-à-dire des ouvriers et des petits employés. Cette dégradation entraine mécaniquement la dégradation de la situation d’autres groupes : le commerçant dont les clients se font rares, l’enseignant qui doit composer avec des élèves de plus en plus déclassés… pour moi, le syncrétisme sociologique des « gilets jaunes » tient à cela : avec l’effondrement des conditions de vie des couches populaires, c’est toute une écosystème social qui se meurt.
@ Descartes
Félicitations pour votre esprit synthétique dans cette dernière réponse !
Pour les couches intermédiaire c’est celle dont Bourdieu dirait qu’elles ont le capital culturelle (pas nécessairement economique) ?
@ yoann
[Pour les couches intermédiaire c’est celle dont Bourdieu dirait qu’elles ont le capital culturelle (pas nécessairement economique) ?]
Je ne suis pas sûr que le “capital immatériel” dont je parle coïncide avec le “capital culturel” tel que l’entendait Bourdieu. Je ne crois pas que pour Bourdieu les compétences techniques et scientifiques fissent partie du “capital culturel” tel qu’il l’entendait.
@Descartes
Il faudra vraiment que je reprenne la lecture de la Distinction, un jour… Mais Bourdieu semble distinguer assez clairement capital scolaire et capital culturel. Cependant il ignorait peut-être, ou sous-estimait, la fraction non-scolaire de capital mobilisable professionnellement dont vous parlez.
« Pourquoi « mépris » ? Est-ce « mépriser » une classe que de dire qu’elle est devenue dominante, qu’elle défend ses intérêts ? »
Vous ne dites pas seulement qu’elle est dominante et qu’elle défend ses intérêts ; vous lui imputez la plupart des maux de notre société. Il y a certainement une part de justesse, mais j’ai parfois l’impression que cette classe intermédiaire fait figure de coupable utile…
En tout cas, je vous remercie pour le reste de votre réponse, qui est en effet éclairante.
Toutefois (est-ce dû à ma méconnaissance de l’analyse marxienne de l’Histoire ?) j’ai un peu de mal avec certains points de votre raisonnement.
Pour éviter de disperser la discussion, je vais me concentrer sur un seul point, qui me semble être le plus fondamental. Je m’interroge sur le concept même de cette « classe », et plus encore sur la volonté autonome que vous lui prêtez. Sur le papier, le raisonnement se tient : si j’ai bien compris, puisque les rapports de production déterminent les rapports sociaux, on peut identifier des classes sociales d’après la position de tel ou tel groupe au sein de ces rapports ; et puisque ces rapports sont d’ordre matériel, on peut attribuer à chaque classe un intérêt propre, lequel dépasse les intérêts individuels de chacun de ses membres. Le jeu de ces intérêts matériels et collectifs – la lutte des classes – serait donc le moteur de l’Histoire.
Or, il me semble que la réalité est un peu trop complexe pour être saisie par des raisonnements aussi mécaniques et abstraits. Vous expliquez vous-même identifier la classe intermédiaire à partir d’un dénominateur commun consistant dans la possession d’un fort patrimoine immatériel. Mais ce dénominateur commun me paraît beaucoup trop ténu pour constituer une « classe sociale » au sens marxien.
Comme vous l’avez dit, une classe se distingue des autres groupes sociaux parce qu’elle possède un intérêt collectif propre. Mais quand je regarde l’étendue des groupes sociaux qui se recoupent dans la définition que vous donnez de la « classe intermédiaire », j’ai du mal à voir quel « intérêt collectif » peut se dégager. Vous avez cité quelques exemples : un enseignant, un haut-fonctionnaire, un ouvrier qualifié, un publicitaire… Autant de couches professionnelles avec des intérêts nettement divergents, voire parfois contradictoires. Et surtout, aucun intérêt commun ne me paraît pouvoir dépasser ces divergences ou ces contradictions. En quoi, pour maintenir sa position socio-économique, le publicitaire aurait besoin d’être solidaire du fonctionnaire ou le médecin de l’avocat ? Cela explique à mon avis pourquoi vous ne parvenez pas à systématiser cette notion de classe intermédiaire.
En réalité, il me semble difficile de concevoir un véritable « activisme », une action consciente, collective et organisée de tous ces groupes pour maintenir leur statut. Cela relève presque du complotisme… D’ailleurs, il m’apparaît que ces groupes sociaux tendent plutôt à la promotion des valeurs méritocratiques dont nous parlions, parce qu’elles leur permettent bien souvent (et bien souvent à tort) de justifier leur propre position.
Je crois que la conception matérialiste de l’Histoire, qui est pertinente à certains égards – la plupart de vos raisonnements le démontrent –, a pourtant ses limites. Elle occulte la phrase admirable de Napoléon : « L’imagination gouverne le monde ». On ne peut pas expliquer tous les ressorts de l’activité humaine à partir des seuls rapports de production, d’autant que ces rapports eux-mêmes peuvent être déterminés à partir d’une multitude de facteurs extérieurs (culturel, géographique, psychologique, historique…), ou interagir avec eux. Or, vous semblez baser votre raisonnement exclusivement sur cette grille de lecture.
Pour en revenir à mon postulat de départ, je pense qu’il existe bien une fatigue morale qui frappe non seulement nos élites mais la société tout entière. Au lieu d’un « activisme » bien organisé en fonction d’intérêts collectifs clairement définis, on a plus l’impression d’une débandade généralisée où chacun essaye à sa propre échelle de sauver son bout du gâteau. Et cette fatigue n’est pas forcément une langueur, elle peut au contraire être une fuite en avant.
On peut parfaitement en trouver la cause dans nos conditions matérielles d’existence : la société moderne offre un tel confort à l’occidental moyen que celui-ci ne perçoit plus la nécessité de l’effort douloureux inhérent à toute grande action. Le tragique a disparu, pour le meilleur comme pour le pire, parce que la paix, l’hyperconsommation et le culte de la jouissance nous en a dispensé. La mort par exemple ne fait plus partie de notre quotidien et on ne peut que s’en réjouir, mais l’éloignement de la mort nous conduit aussi à perdre le sens de notre propre finitude. Or, Pascal écrivait que l’Homme n’est grand qu’en ce qu’il se connaît misérable. En tuant la conscience de notre propre finitude, la modernité semble avoir introduit chez nos élites un vide spirituel et une absence de culture (de haute culture, pas d’une culture faite de fiches de révision pour concours) couplés à une rage d’accéder ou de se maintenir au pouvoir par tout moyen. Un Benjamin Griveaux, qui confondait Marc Bloch et Charles Maurras, est le type même de cette élite dégénérée par l’individualisme.
Ne voyez pas dans mon discours une quelconque velléité de retour aux mœurs d’antan. Au contraire, je crois que l’individualisme mortifère est une menace pour le progrès de l’Homme. Les politiques menées depuis quarante ans tendent, comme on a pu le dire, à « maximiser les possibles des individus ». La libéralisation des mœurs et le consumérisme (entendu comme politique économique dont la finalité est en dernier ressort l’intérêt du consommateur) permettent, de fait, d’accroître la satisfaction des appétits individuels. Pourtant, cette tendance à la satisfaction de tous les individus, qui est censée favoriser le bonheur général, tend au contraire à une frustration croissante. J’en reviens à mon propos de départ : il n’y a pas de « classe sociale » à l’œuvre derrière cela, il n’y a qu’un jeu chaotique d’intérêts individuels en compétition, puisque boutés hors de toute structure collective. Or, ce jeu des intérêts individuels ne suffit pas à réaliser l’intérêt général. D’ailleurs, sans rentrer dans le détail, c’est ce que n’arrivent pas à comprendre les libéraux pour qui les Gilets jaunes seraient des « ingrats » et des « capricieux » qui se plaindraient malgré un niveau de vie relativement confortable.
Peut-être me direz vous que mon raisonnement – un peu brouillon je le reconnais – n’est pas si contradictoire au vôtre, et certainement se complètent-ils. Mais je ne crois pas qu’on puisse imputer cette crise morale et culturelle à l’action maîtrisée d’une classe sociale. Si l’on en croit Marx, l’Histoire entière est le produit de la lutte des classes ; il y a donc toujours eu des classes pour maintenir leur pouvoir et brider l’ascension de leurs concurrentes. Or, l’état de délabrement de notre société et de notre classe politique est un phénomène pour le moins inédit dans l’Histoire, du moins si on le met en rapport avec notre degré de maîtrise technique, de connaissance du monde et de notre propre histoire.
@ Advocare
[Comme vous l’avez dit, une classe se distingue des autres groupes sociaux parce qu’elle possède un intérêt collectif propre. Mais quand je regarde l’étendue des groupes sociaux qui se recoupent dans la définition que vous donnez de la « classe intermédiaire », j’ai du mal à voir quel « intérêt collectif » peut se dégager. Vous avez cité quelques exemples : un enseignant, un haut-fonctionnaire, un ouvrier qualifié, un publicitaire… Autant de couches professionnelles avec des intérêts nettement divergents, voire parfois contradictoires.]
Cela ne pose aucun problème. Prenez la bourgeoisie, dont la constitution en tant que « classe » est universellement admise par l’analyse marxienne et au-delà. On pourra dire que tous les bourgeois n’ont pas les mêmes intérêts, et que les intérêts de certains groupes sont contradictoires avec ceux des autres : ainsi par exemple les industriels de l’électricité se sont affronté violemment aux magnats du pétrole, ceux du chemin de fer à ceux de l’industrie automobile. Et pourtant, on trouve chez tous les bourgeois un intérêt commun : la constitution et la préservation du système dans lequel il est possible d’acheter le moins cher possible la force de travail. Quelques puissent être leurs conflits entre eux, vous ne trouverez pas beaucoup de bourgeois qui soient favorables au droit de grève ou à l’interdiction des licenciements, même pour gêner un concurrent.
[Et surtout, aucun intérêt commun ne me paraît pouvoir dépasser ces divergences ou ces contradictions. En quoi, pour maintenir sa position socio-économique, le publicitaire aurait besoin d’être solidaire du fonctionnaire ou le médecin de l’avocat ? Cela explique à mon avis pourquoi vous ne parvenez pas à systématiser cette notion de classe intermédiaire.]
Pourtant, il n’est pas difficile de trouver ces « intérêts communs ». Il suffit de regarder le réel, et de chercher les domaines ou toutes ces catégories prennent la même position dans le débat politique. Prenez par exemple le sujet de l’immigration : vous trouverez que ces couches sociales sont toutes favorables à une large ouverture en la matière. Normal : ce sont des couches sociales pour lesquelles l’immigré n’est pas un concurrent, alors que par sa présence il tend à faire baisser les salaires des couches les plus modestes et donc les prix des biens et services fabriqués en France… De même, ce sont les couches les plus favorables au libre-échange : ils occupent des postes qui ne sont pas délocalisables, et le libre-échange leur permet d’acheter des produits importés moins chers…
Mais surtout, ces couches partagent un intérêt fondamental : celui du maintien de l’ordre des choses actuels. Ils ont parfaitement conscience que toute « révolution » qui changerait profondément l’ordre des choses ne pourrait que dégrader leur situation. N’est-ce pas là un intérêt commun puissant ?
[En réalité, il me semble difficile de concevoir un véritable « activisme », une action consciente, collective et organisée de tous ces groupes pour maintenir leur statut. Cela relève presque du complotisme…]
Marx mettait déjà en garde contre une interprétation machiavélique de l’histoire. Les cyniques sont une toute petite minorité – en général marginalisée d’ailleurs. Lorsque les dominants défendent leurs intérêts, ils sont en général intimement persuadés d’œuvrer pour le bien de tous. C’est pourquoi il n’y a pas de « complot », tout au plus un « activisme pour le bien ». Il n’y a donc aucun « complot » ni même « coordination ». Elle n’est pas nécessaire : les membres d’une classe dominante tirent dans le même sens sans se concerter tout simplement parce qu’ils sont mus par les mêmes intérêts.
[D’ailleurs, il m’apparaît que ces groupes sociaux tendent plutôt à la promotion des valeurs méritocratiques dont nous parlions, parce qu’elles leur permettent bien souvent (et bien souvent à tort) de justifier leur propre position.]
Tout à fait : ces groupes tendent à promouvoir idéologiquement les valeurs méritocratiques qui sont à la source de leur légitimité. Mais ça, c’est au niveau du discours. Sur le plan pratique, ces groupes s’opposent farouchement à toute politique méritocratique susceptible de rebattre les cartes à chaque génération. Imaginez que demain on veuille rétablir la sélection à l’université. Quelles seront à votre avis les couches sociales qui exprimeront les protestations les plus fortes ?
[Je crois que la conception matérialiste de l’Histoire, qui est pertinente à certains égards – la plupart de vos raisonnements le démontrent –, a pourtant ses limites. Elle occulte la phrase admirable de Napoléon : « L’imagination gouverne le monde ».]
Ce n’est pas contradictoire. L’imagination, certes, gouverne le monde. Mais à votre avis, qu’est ce qui fait qu’on « imagine » certaines choses à certains moments, et pas à d’autres ? Pourquoi a-t-on pu « imaginer » le suffrage universel en 1848, et pas en l’an 1000 ? Et pourquoi les civilisations qui sont dans des stades de développement économique équivalent tendent à « imaginer » les mêmes choses ? Oui, « l’imagination gouverne le monde ». Mais ne peut-on dire que les rapports matériels « gouvernent l’imagination »…
[On ne peut pas expliquer tous les ressorts de l’activité humaine à partir des seuls rapports de production, d’autant que ces rapports eux-mêmes peuvent être déterminés à partir d’une multitude de facteurs extérieurs (culturel, géographique, psychologique, historique…), ou interagir avec eux. Or, vous semblez baser votre raisonnement exclusivement sur cette grille de lecture.]
Il y a bien entendu une dialectique entre les rapports de production et les facteurs auxquels vous faites mention. Je ne pense pas avoir contesté cela. Mais dans ces rapports, les facteurs matériels sont déterminants en dernière instance.
[Pour en revenir à mon postulat de départ, je pense qu’il existe bien une fatigue morale qui frappe non seulement nos élites mais la société tout entière. Au lieu d’un « activisme » bien organisé en fonction d’intérêts collectifs clairement définis, on a plus l’impression d’une débandade généralisée où chacun essaye à sa propre échelle de sauver son bout du gâteau. Et cette fatigue n’est pas forcément une langueur, elle peut au contraire être une fuite en avant.]
Je comprends ce que vous dites, mais j’avoue que je ne vois nulle part de « débandade ». Je vois au contraire la mise en œuvre depuis trente ans des politiques de destruction des institutions nationales, d’arasement des mécanismes de protection et de redistribution au détriment des couches populaires, de concentration des richesses matérielles et intellectuelles dans les mains d’un « bloc dominant » chaque fois plus réduit. Et cette mise en œuvre est systématique, cohérente, constante. C’était grosso modo la même sous Hollande et sous Macron, et aucune possibilité de changement ne pointe à l’horizon. Où voyez-vous une « débandade » ?
Ce que vous appelez « fatigue morale » est le résultat de la mise bas des masques. Pendant soixante-dix ans, la présence d’une alternative avait obligé le capitalisme à déguiser son action derrière le masque du bien commun. Et pour rendre crédible le déguisement, il lui avait fallu faire des concessions très importantes. Depuis que le rapport de forces s’est inversé, ce déguisement est devenu inutile. Le bloc dominant fait de moins en moins semblant. Et du coup, certaines tendres consciences sentent la morsure de la culpabilité…
[On peut parfaitement en trouver la cause dans nos conditions matérielles d’existence : la société moderne offre un tel confort à l’occidental moyen que celui-ci ne perçoit plus la nécessité de l’effort douloureux inhérent à toute grande action. Le tragique a disparu, pour le meilleur comme pour le pire, parce que la paix, l’hyperconsommation et le culte de la jouissance nous en a dispensé.]
Sur ce point, nous sommes d’accord. Pour moi, le retour du politique passe par le retour du tragique. Faut-il pour autant vouloir le retour de la guerre et de ses misères ? Je ne le crois pas. Le propre de l’homme, c’est sa capacité à symboliser. Le retour du tragique ne passe pas nécessairement par le retour REEL de la guerre, mais par son retour SYMBOLIQUE. C’est un peu cela le défi d’une société future. Vous noterez d’ailleurs que nos concitoyens sont un peu à la recherche de cette souffrance symbolique : on admire et on médiatise ceux qui s’imposent des épreuves « hors norme »…
[Pourtant, cette tendance à la satisfaction de tous les individus, qui est censée favoriser le bonheur général, tend au contraire à une frustration croissante. J’en reviens à mon propos de départ : il n’y a pas de « classe sociale » à l’œuvre derrière cela, il n’y a qu’un jeu chaotique d’intérêts individuels en compétition, puisque boutés hors de toute structure collective.]
Et pourtant, ce « jeu chaotique » est extraordinairement cohérent : on trouve les mêmes politiques « libérales-libertaires » ici, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Espagne, en Scandinavie… à votre avis, qu’est ce qui assure cette magnifique cohérence alors qu’il n’y aurait qu’un « jeu chaotique d’intérêts individuels » à l’œuvre ? Pourquoi les « individus » Hollande et Macron, Schroeder et Merkel finissent par faire les mêmes politiques ? Sauf à croire à une improbable coïncidence, il faut se rendre à l’évidence qu’un mécanisme collectif doit être à l’œuvre.
[Mais je ne crois pas qu’on puisse imputer cette crise morale et culturelle à l’action maîtrisée d’une classe sociale.]
Pourquoi « maîtrisée » ? Justement, ce qui caractérise les classes sociales, c’est le fait d’agir collectivement sans nécessairement avoir un organisme de direction centralisé.
[Si l’on en croit Marx, l’Histoire entière est le produit de la lutte des classes ; il y a donc toujours eu des classes pour maintenir leur pouvoir et brider l’ascension de leurs concurrentes.]
Non. Il peut parfaitement se produire des situations ou une classe sociale n’a plus la force de « maintenir son pouvoir ». La mondialisation des échanges, par exemple, a radicalement changé le rapport de forces dans les pays développés. Aujourd’hui, le prolétariat n’a pratiquement aucun poids sur les politiques publiques, et aucun moyen de défendre ses conquêtes.
@Descartes
« On pourra dire que tous les bourgeois n’ont pas les mêmes intérêts, et que les intérêts de certains groupes sont contradictoires avec ceux des autres : ainsi par exemple les industriels de l’électricité se sont affronté violemment aux magnats du pétrole, ceux du chemin de fer à ceux de l’industrie automobile. Et pourtant, on trouve chez tous les bourgeois un intérêt commun : la constitution et la préservation du système dans lequel il est possible d’acheter le moins cher possible la force de travail. Quelques puissent être leurs conflits entre eux, vous ne trouverez pas beaucoup de bourgeois qui soient favorables au droit de grève ou à l’interdiction des licenciements, même pour gêner un concurrent. »
Je ne trouve pas votre exemple très convaincant. Vous prenez le cas d’industriels agissant dans différents secteurs de l’industrie : il est évident que malgré leurs intérêts individuels contradictoires, ils ont le même intérêt quant aux règles du travail à appliquer. Or je ne retrouve pas cette évidence chez les classes intermédiaires dont vous parlez.
En fait, on peut exactement transposer votre exemple au cas des avocats, qui peuvent avoir des intérêts différents selon leur spécialité. Un avocat privatiste aura ainsi tout intérêt à ce que certains pans du droit public tombent dans le champ du droit privé, et vice-versa… Pourtant, il existe bien un intérêt collectif propre à tous les avocats, qui sera par exemple la valorisation du statut des professions libérales. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il existe une « classe sociale » composée d’avocats. De surcroît, on ne retrouve pas ce même mécanisme entre les groupes composant la classe intermédiaire. Il y a une distance entre le médecin et l’enseignant, le diplomate et le publicitaire qu’on ne retrouve pas entre le banquier et le chef d’entreprise. Votre exemple ne me semble donc pas démontrer grand-chose.
« Marx mettait déjà en garde contre une interprétation machiavélique de l’histoire. Les cyniques sont une toute petite minorité – en général marginalisée d’ailleurs. Lorsque les dominants défendent leurs intérêts, ils sont en général intimement persuadés d’œuvrer pour le bien de tous. C’est pourquoi il n’y a pas de « complot », tout au plus un « activisme pour le bien ». Il n’y a donc aucun « complot » ni même « coordination ». Elle n’est pas nécessaire : les membres d’une classe dominante tirent dans le même sens sans se concerter tout simplement parce qu’ils sont mus par les mêmes intérêts. »
C’est déjà plus convaincant comme vision des choses. Même si je reste sceptique sur le fait qu’on puisse attribuer l’état actuel des choses à l’activité d’une « classe » dont le dénominateur commun serait la possession d’un patrimoine immatériel, je comprends un peu mieux votre idée.
Le fait que les couches dominantes imposent des changements néfastes à la société en prétendant l’améliorer me paraît crédible, et plusieurs exemples convergent en ce sens. Le cas de la récente réforme du concours d’entrée à Sciences Po est illustratif. On supprime les épreuves traditionnelles au profit d’une sélection opérée uniquement sur dossier, et cela au nom de la « diversification des profils ». L’un des objectifs affichés est ainsi de casser « l’auto-censure » de certains élèves effrayés par le concours.
Mais parallèlement, et c’est là l’ironie, l’école s’engage à admettre au moins 15% de boursiers issus de lycées ayant signé une convention avec Sciences Po. On s’interroge alors : pourquoi l’école s’impose à elle-même un quota alors que la suppression du concours est censée favoriser à elle seule l’entrée des milieux modestes ? N’est-ce pas l’aveu que cette réforme entraînera le contraire des effets recherchés (ou affichés) ?
Autre paradoxe : le directeur de l’école affirme lui-même que les épreuves du concours sont devenues superflues, parce qu’elles ne feraient que confirmer ce que le dossier permet à lui seul de savoir. On s’interroge alors : si le concours est supprimé, est-ce pour permettre l’admission d’élèves aux origines sociales plus variées, ou est-ce simplement parce que le concours est un procédé « dépassé » qu’il faut abandonner pour coller au modèle anglosaxon ?
Je crois qu’au fond, les promoteurs de cette réforme, qui appartiennent évidemment aux couches favorisées, sont bien plus motivés par la seconde option que par la première. En se persuadant eux-mêmes de faire œuvre de bien commun, ils nourrissent en fait le phénomène contre lequel ils prétendent vouloir lutter. Parce qu’il ne faut pas s’y tromper : l’étudiant qui aura le « bon dossier » sera avant tout l’étudiant né dans la bonne famille, dont les parents connaissent les exigences de Sciences Po, le type de profil recherché, le parcours adéquat… bref, c’est l’institutionnalisation de la reproduction sociale. D’ailleurs les professeurs qui procèderont à la sélection favoriseront naturellement les candidats présentant les mêmes caractéristiques que ceux qui ont déjà été admis dans l’école. C’est finalement comme vous dites : il faut que tout change pour que rien ne change.
Pour l’anecdote, j’ai le souvenir d’avoir entendu un professeur expliquer le genre de « profil atypique » recherché par Sciences Po chez les candidats, et de citer le cas d’une élève qui était championne de clarinette, ou quelque chose comme ça. Je n’ai pas l’impression que beaucoup de prolos poussent leurs enfants à pratiquer ce genre d’activité… c’est pourtant ça qui est valorisé.
« Il y a bien entendu une dialectique entre les rapports de production et les facteurs auxquels vous faites mention. Je ne pense pas avoir contesté cela. Mais dans ces rapports, les facteurs matériels sont déterminants en dernière instance. »
Nous sommes d’accord, quoique certains facteurs « immatériels » jouent parfois plus sur le cours des choses que les facteurs matériels. Sans le traumatisme de la Shoah, Israël ne serait probablement jamais née. Par contre, ne me citez pas toutes les causes matérielles à l’origine de la Seconde guerre mondiale et de la disparité des communautés juives en Europe, j’ai bien compris votre point… !
« Pendant soixante-dix ans, la présence d’une alternative avait obligé le capitalisme à déguiser son action derrière le masque du bien commun. Et pour rendre crédible le déguisement, il lui avait fallu faire des concessions très importantes. Depuis que le rapport de forces s’est inversé, ce déguisement est devenu inutile. Le bloc dominant fait de moins en moins semblant. Et du coup, certaines tendres consciences sentent la morsure de la culpabilité… »
C’est très intéressant. Je crois que dans un autre article vous expliquiez comment ce renversement des rapports de force conduisait les couches défavorisées à l’impuissance politique. J’adhère totalement à ce raisonnement. Combien de fois ai-je entendu de petits bourgeois sans culture politique ni économique m’expliquer qu’il était « nécessaire », au nom de la compétitivité, de baisser l’impôt sur les riches tout en réduisant les dépenses sociales destinées aux plus pauvres. Je me demandais alors un système qui représente manifestement une régression par rapport aux précédentes décennies (notamment années 60) avait pu s’imposer comme une nécessité.
Aussi, pourriez-vous détailler un peu plus sur les causes de ce renversement du rapport des forces entre couches populaires et couches aisées ? Et surtout, comment peut-on agir pour rétablir un équilibre social ? J’ai l’impression que la mondialisation économique a entraîné une impuissance de l’échelon national pour résoudre cette équation. Après tout, comment lier de nouveau le sort d’une bourgeoisie qui peut vivre aussi bien en France qu’à l’autre bout du monde (voire mieux, regardez Singapour) et le sort d’un prolétariat dont la force de travail se trouve plus docile et à prix bradée dans certains pays en Asie ou ailleurs ?
« Le retour du tragique ne passe pas nécessairement par le retour REEL de la guerre, mais par son retour SYMBOLIQUE. »
C’est-à-dire ?
« Vous noterez d’ailleurs que nos concitoyens sont un peu à la recherche de cette souffrance symbolique : on admire et on médiatise ceux qui s’imposent des épreuves « hors norme »… »
Comme Greta Thunberg applaudie par la moitié du globe pour avoir traversé l’Atlantique en bateau à voile, ce qui soit dit en passant ne sert absolument à rien sinon à démontrer l’impossibilité d’un retour à ce moyen de transport ?
« Non. Il peut parfaitement se produire des situations ou une classe sociale n’a plus la force de « maintenir son pouvoir ». La mondialisation des échanges, par exemple, a radicalement changé le rapport de forces dans les pays développés. Aujourd’hui, le prolétariat n’a pratiquement aucun poids sur les politiques publiques, et aucun moyen de défendre ses conquêtes. »
Je n’ai jamais dit le contraire. J’ai simplement dit que l’activisme que vous prêtez aux « classes intermédiaires » a toujours existé, y compris chez d’autres classes, du moins si l’on en croit l’analyse de Marx. Or, comme je le disais, la situation actuelle ne supporte pas de comparaison dans l’Histoire. Il me paraît donc difficile de lier les deux, ou du moins d’expliquer notre situation seulement à partir de cette lecture.
@ Advocare
[Je ne trouve pas votre exemple très convaincant. Vous prenez le cas d’industriels agissant dans différents secteurs de l’industrie :]
J’ai choisi des exemples d’industriels agissant dans des secteurs différents parce que les conflits entre industriels agissant dans le même secteur me paraissaient triviaux. Pensez au combat sans merci que se livrent France Telecom, Free et Bouygues Télécom.
[il est évident que malgré leurs intérêts individuels contradictoires, ils ont le même intérêt quant aux règles du travail à appliquer. Or je ne retrouve pas cette évidence chez les classes intermédiaires dont vous parlez.]
Bien sûr que si : pensez par exemple à l’intérêt à bloquer l’ascenseur social pour empêcher les enfants des couches sociales inférieures de les concurrencer. Ou leur intérêt de voir les impôts directs – dont ils sont les principaux contributeurs – baisser. Ou bien leur intérêt à une ouverture totale des frontières qui leur permet de réduire le prix des biens qu’ils achètent…
[En fait, on peut exactement transposer votre exemple au cas des avocats, qui peuvent avoir des intérêts différents selon leur spécialité. Un avocat privatiste aura ainsi tout intérêt à ce que certains pans du droit public tombent dans le champ du droit privé, et vice-versa… Pourtant, il existe bien un intérêt collectif propre à tous les avocats, qui sera par exemple la valorisation du statut des professions libérales. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il existe une « classe sociale » composée d’avocats.]
Tout à fait. Tout groupe social partageant un intérêt ne constitue pas une « classe ». Pour cela il faut qu’ils partagent une position dans le mode de production. Or, il n’existe pas dans le mode de production capitaliste une position qui soit spécifique et particulière aux avocats. Les avocats ne sont qu’une partie des « classes intermédiaires » qui, elles, ont bien une position particulière et spécifique dans le mode de production : elles sont les détentrices d’un capital immatériel qui leur permet d’échapper à l’exploitation, mais pas d’exploiter directement les autres.
[De surcroît, on ne retrouve pas ce même mécanisme entre les groupes composant la classe intermédiaire. Il y a une distance entre le médecin et l’enseignant, le diplomate et le publicitaire qu’on ne retrouve pas entre le banquier et le chef d’entreprise. Votre exemple ne me semble donc pas démontrer grand-chose.]
Je ne comprends pas très bien cette idée de « distance ». Quelle est la « distance » qui existerait entre le médecin, l’enseignant, le diplomate et le publicitaire et qui n’existerait pas entre le capitaine d’industrie, le propriétaire d’une PME, le banquier et le rentier ?
[Je crois qu’au fond, les promoteurs de cette réforme, qui appartiennent évidemment aux couches favorisées, sont bien plus motivés par la seconde option que par la première.]
Je ne le crois pas que ces options décrivent la réalité. Je pense que le moteur de cette décision est à recherche dans la problématique de la reproduction. Les classes intermédiaires cherchent naturellement à se reproduire socialement, c’est-à-dire, à faire bénéficier à leurs enfants de la même position sociale qui était celle de leurs parents. Mais contrairement à la bourgeoisie, qui se reproduit en transmettant le capital par voie d’héritage, les classes intermédiaires doivent reconstruire le « capital immatériel » à chaque génération, puisque celui-ci ne se transmet pas mécaniquement. Assurer à leurs enfants l’accès aux meilleures formations est donc primordial. Le problème du concours, est précisément qu’il reste le moyen de sélection le plus égalitaire. Quand bien même les enfants des classes intermédiaires ont statistiquement plus de facilité à passer la barrière que les autres, au niveau individuel le recrutement par concours n’assure pas aux parents des classes intermédiaires que leur rejeton décrochera la timbale. Le recrutement sur dossier ou sur entretien permet par contre de faire jouer à fond non seulement le mimétisme social – les membres du jury seront plus facilement séduits par quelqu’un qui leur ressemble – mais aussi les réseaux de relations et de connaissances.
[Aussi, pourriez-vous détailler un peu plus sur les causes de ce renversement du rapport des forces entre couches populaires et couches aisées ? Et surtout, comment peut-on agir pour rétablir un équilibre social ?]
Les causes du renversement sont claires : elles sont liées au développement massif des moyens d’échange – matériels et immatériels – qui permettent de faire circuler la main d’œuvre, les biens et services, les capitaux à coût nul ou presque. Le processus avait déjà été décrit par Marx et Engels dans le « Manifeste » dès 1848 : le capitalisme tend à faire tomber toutes les barrières au commerce, à créer une économie-monde. La pax americana et la fin de la compétition coloniale ont ouvert de perspectives énormes. Cette libre circulation a rendu possible de mettre en concurrence les travailleurs de tous les pays. En 1950, l’industriel français avait besoin de travailleurs français, parce que les barrières douanières et le coût du transport ne lui permettait pas de produire au Bangladesh. Aujourd’hui, il n’a plus besoin de travailleurs français, parce qu’il peut installer son usine partout dans le monde et vendre en France sans que le transport ou les barrières douanières soient un obstacle. Et comment le travailleur peut-il créer un rapport de force qui lui soit favorable avec le capital si le capital n’a plus besoin de lui ? Les seuls travailleurs qu’on ne peut mettre en concurrence, sont ceux qui possèdent des compétences rares, qui travaillent dans des activités non délocalisables et non remplaçables par la main d’œuvre immigrée à bas coût. Si vous regardez de plus près, vous verrez que cela correspond assez bien aux classes intermédiaires telles que je les ai définies…
Comment rétablir un équilibre social ? Dans la société telle qu’elle est, je ne vois pas de possibilité. Nous ne vivons certainement pas un moment révolutionnaire, parce que les conditions – objectives et subjectives – ne sont pas remplies. La crise ne peut venir que de l’épuisement du modèle néolibéral du fait de ses propres contradictions. Et celles-ci sont nombreuses : par exemple, le modèle repose très largement sur des pays riches qui consomment à crédit les produits à bas prix des pays plus pauvres. Ce modèle crée nécessairement une dette abyssale et qui augmente année après année. Tout le monde sait que cette dette ne sera jamais payée, mais tout le monde fait semblant pendant que le système tourne. Mais tôt au tard, il y aura un accident…
[« Le retour du tragique ne passe pas nécessairement par le retour REEL de la guerre, mais par son retour SYMBOLIQUE. » C’est-à-dire ?]
C’est-à-dire que nous n’avons pas besoin de revenir à une « vraie » guerre. Nous devrions pouvoir créer des situations qui soumettent nos jeunes à des choix tragiques sur le plan symbolique, sans nécessairement qu’ils soient tragiques sur le plan réel. Prenez par exemple les choix d’orientation : on s’applique à dédramatiser ce choix, à multiplier les passerelles pour le rendre le moins significatifs possible. Je pense qu’il faudrait faire exactement le contraire : dramatiser ces choix, en faire des choix cruciaux même au-delà de leur signification réelle. On est aujourd’hui dans une logique d’évitement du stress, alors que c’est le contraire qu’il faudrait faire. On confond le « bon stress », celui qui nous pousse à nous dépasser, et le « mauvais stress », celui de l’impuissance.
[« Vous noterez d’ailleurs que nos concitoyens sont un peu à la recherche de cette souffrance symbolique : on admire et on médiatise ceux qui s’imposent des épreuves « hors norme »… » Comme Greta Thunberg applaudie par la moitié du globe pour avoir traversé l’Atlantique en bateau à voile, ce qui soit dit en passant ne sert absolument à rien sinon à démontrer l’impossibilité d’un retour à ce moyen de transport ?]
Je pensais plutôt à ces sportifs qui griment l’Alpe d’Huez sur un vélo à 25 km/h, ces alpinistes qui grimpent des parois à mains nues, ces rameurs qui traversent l’Atlantique… mais aussi à ces personnes âgées qui à 65 ans se lancent à passer les examens du bac. Franchement, le fait de traverser l’Atlantique dans un grand catamaran parfaitement équipé et disposant du confort moderne, franchement, ce n’est pas une bien grande épreuve…
Puisque vous demandez des sujets de désaccord…
> Au tournant des années 1970, tout change. Les classes intermédiaires sont
> bien installées, et le ralentissement de la croissance après le rattrapage des
> « trente glorieuses » ne lui permet guère de s’étendre encore. Pour conserver
> sa position, il lui est indispensable d’empêcher que ceux venus d’en bas puissent
> – par le biais d’une promotion sociale fondée sur l’effort, le travail, la discipline
> –concurrencer ses propres enfants et donc mettre en cause sa reproduction
> comme classe. C’est là à mon avis la fonction de « l’amollissement » dont vous
> parlez. Il est la production idéologique d’une couche sociale craintive qui ne
> veut surtout pas de concurrents. Et c’est pourquoi la discipline, la rigueur, le
> travail, l’effort, tout ce qui permettait à certains membres des couches populaires
> de concurrencer les rejetons des classes intermédiaires, ont été voués aux
> Gémonies. Le citoyen capable de se battre est toujours une menace, le citoyen
> « mou » est inoffensif.
Je pense que vous calquez après coup une interprétation qui a certes le mérite de bien rentrer dans votre cadre d’analyse, mais qui ne colle pas si bien aux faits :
Certes, il y a eu dans les années 1970 des évolutions en matière de pédagogie et d’éducation. Même si je n’étais pas né, ça me semble clair aujourd’hui qu’il s’agissait d’une période charnière. Quelles évolutions y a-t-il donc eu sur cette période :
1°) L’idée que chaque individu doit pouvoir s’épanouir librement, et que l’école ne doit pas fixer trop rigidement les cadres. C’est le début de l’idée que chacun construit son savoir, et que le prof ne doit qu’accompagner. Certes l’immense majorité des enseignants restait ancienne école, mais la modernité, les discours d’en haut, c’était ça ; et ça a progressivement diffusé dans l’éducation.
2°) La méthode globale en lecture, qui, selon moi, participe de la même philosophie, puisque chacun aura sa manière de déchiffrer, etc. Les deux objectifs étaient, simultanément : de faire en sorte que l’apprentissage de la lecture se fasse moins dans la douleur ; et de faire en sorte que les jeunes élèves lecteurs réussissent plus rapidement à se concentrer sur le sens de ce qu’ils lisent, plutôt que sur le déchiffrage. Cette méthode s’est avérée catastrophique, mais on ne peut pas dire qu’elle avait pour but d’empêcher les classes populaires de s’instruire.
3°) La réforme des “mathématiques modernes”, dont on parle beaucoup moins : il s’agissait de construire dès le primaire le calcul sur des bases abstraites qui sont celles des mathématiques au lycée ou dans le supérieur. En se disant qu’en formant tous les français à l’abstraction mathématique dès le plus jeune âge, on aurait une nation de forts en maths. Là aussi, échec, car -à ce que j’en ai entendu-, les 2/3 des élèves étaient largués. Tout a été totalement abandonné à la fin des années 1970, ce qui explique qu’on en parle plus. Mais là encore, on ne peut pas dire que l’objectif était de tuer l’ascenseur par l’école !
4°) Le collège unique, à partir du milieu des années 1970, qui visait précisément à faire en sorte de mener plus loin dans l’éducation les classes à priori les plus défavorisées. On y est toujours, et on sait aujourd’hui à quel point c’est un échec, et à quel point cela contribue à une ghettoïsation des quartiers (seuls des pauvres iront habiter dans un quartier dont le collège de secteur est nul, pour simplifier).
En bref, les 3 vrais changements des années 1970 (points 2, 3 et 4) n’allaient clairement pas dans le sens d’une baisse des exigences, du moins dans leur intention. Et sur le point n°1, qui a lui aussi eu des effets très négatifs, je pense que cela conception dérive tout simplement de la philosophie en vogue autour de 1968 : il n’y a que des individus.
Cela s’est manifesté tant au niveau des revendications sur l’IVG, que sur le divorce, que sur la “libéralisation sexuelle”, sur les doctrines économiques en vogue (retour en force des théories classiques), sur l’influence croissante de la psychanalyse (qui consiste à s’intéresser à soi), sur la pratique sportive pour rester jeune et en bonne santé (trouvé je sais plus où : “en 2000, 83 % des Français entre 15 et 75 ans déclaraient s’être adonnés à une activité physique et sportive, contre 28 % en 1967”), etc.
D’où vient cet individualisme ? Des classes intermédiaires, certainement. Mais peut on dire que cet individualisme était, même inconsciemment, destinée à miner l’école pour empêcher l’ascenseur social… J’en doute.
Si on me demandait, je dirais que cela vient de l’effondrement des structures établies : église accusée d’archaïsme, nations accusées de colonialisme et de guerres, communiste accusé des crimes de Staline, etc.
Du coup, dans la classe ouvrière, le syndicalisme a pu prendre la place de ces structures ; dans les classes intermédiaires, pour qui le syndicalisme n’a pas de sens, il n’y a pas eu tellement d’alternative permettant de recréer un sentiment d’appartenance, avec ce que cela implique de devoir moral vis à vis des autres. Ainsi, les alternatives qui avaient pignon sur rue ont été des mouvements plus ou moins gauchistes / anarchistes.
Au final, toute la société a été influencée par cet individualisme venu des classes moyennes, y compris le système scolaire. Ce qui a -in fine- fini par tuer un peu l’école française, dans l’intérêt de ces mêmes classes intermédiaires. Certes. Mais on ne peut pas -selon moi- retourner la causalité.
La meilleure preuve en est que les réformes qui ont été menées dans les années 70 dans l’EN (et particulièrement celles des maths modernes) visaient non pas à abaisser les exigences, mais soit à les augmenter, soit à les atteindre plus facilement, soit à les étendre à tout le monde.
Je vois déjà votre réponse : “ce sont les enfants des classes intermédiaires qui ont pu profiter de la réforme des maths modernes, car les parents pouvaient aider leurs enfants pour qu’ils soient dans le 1/3 des non largués”. Justement, non. On enseignait dès les primaire des choses auxquelles les parents, même avec un bon niveau d’études, ne comprenaient rien. Et c’est justement ce principal défaut qui a causé l’échec de la réforme, et une pression des parents d’élèves (des classes intermédiaires, comme toujours dans ce domaine) pour l’abandonner : En effet, s’ils ne peuvent pas s’assurer que leur rejeton réussira, c’est qu’il faut changer le programme… Et j’ai reçu des témoignages de ces classes plutôt aisées qui ont longtemps pesté contre cette réforme, “à cause de laquelle un tel n’a pas pu faire les études qu’il aurait du pouvoir faire”, etc.
PS : au passage, je ne sais pas si vous avez un avis sur la question, mais si oui, je serais curieux de le connaître sur la réforme des “mathématiques modernes”.
@ Vincent
[Je pense que vous calquez après coup une interprétation qui a certes le mérite de bien rentrer dans votre cadre d’analyse, mais qui ne colle pas si bien aux faits : (…) En bref, les 3 vrais changements des années 1970 (points 2, 3 et 4) n’allaient clairement pas dans le sens d’une baisse des exigences, du moins dans leur intention. Et sur le point n°1, qui a lui aussi eu des effets très négatifs, je pense que cela conception dérive tout simplement de la philosophie en vogue autour de 1968 : il n’y a que des individus.]
Au contraire, cela colle parfaitement aux faits. D’abord, il faut tenir compte du fait que la société est un gros pétrolier, qui ne peut pas faire demi-tour immédiatement. Même si mai 1968 peut être regardé comme un tournant, les soixante-huitards n’ont accédé aux positions de pouvoir que graduellement, et n’ont été capables de mettre en œuvre leurs politiques qu’à l’aube des années 1980. Les années 1970 restent un étrange mélange entre « le monde d’avant » (celui qui répondait aux idéaux de la génération de la Libération qui quittait lentement la scène) et « le monde d’après » des July, Cohn-Bendit et Mérieux.
Ensuite, vous noterez que dans le paragraphe auquel vous répondez je n’ai jamais parlé de « baisse des exigences ». Les « classes intermédiaires » ne font pas de la baisse des exigences un objectif en soi. Ils poussent à baisser les exigences seulement là où l’exigence permet aux rejetons des couches populaires de concurrencer leurs propres enfants. Prenez par exemple la « méthode globale » : je ne sais pas si elle est « plus exigeante » ou « moins exigeante » que la méthode syllabique. Mais on sait aujourd’hui une chose : elle est extrêmement discriminante entre les enfants qui arrivent de la maison avec le déchiffrement déjà appris – ce qui est très souvent le cas lorsque les parents sont de grands lecteurs – et les enfants chez qui on ne lit pas. Je ne sais pas si l’on peut dire que le « but » était d’empêcher les jeunes des couches populaires de s’instruire, mais il est incontestable que c’est l’effet obtenu : la « méthode globale » a accentué l’inégalité entre les enfants qui viennent à l’école avec un capital intellectuel et les autres.
Avec le collège unique, c’est un peu pareil : quelque soient les nobles intentions, il faut regarder quels ont été leurs effets. D’abord, ségrégation géographique aidant, le collège unique n’est pas si « unique » que ça. On n’enseigne pas les mêmes choses, ni de la même façon, dans un collège du VIIème arrondissement parisien et dans un collège de Grigny. Mais surtout, l’unicité du collège lui enlève son caractère sélectif. Il faut bien comprendre ce paradoxe apparent : plus un système est sélectif, et plus il permet la promotion sociale. La raison tient à ce que la promotion sociale au mérite fonctionne à partir de la volonté d’investissement de l’élève mais aussi de ses parents : si le collège est sélectif, alors réussir au collège vous donne un avantage dans la vie. Et le parent comme l’élève seront prêts à s’investir pour que l’enfant réussisse. Si la réussite au collège n’a plus de conséquence – puisqu’il n’y a plus de sélection entre filières, et le cancre comme le bon élève iront au même endroit – alors pourquoi investir ?
Pour ce qui concerne la révolution des « mathématiques modernes », la question est différente. On peut parler là d’une véritable « exigence », qui d’ailleurs mettait en danger les enfants des « classes intermédiaires ». Mais ce n’est pas vraiment une réforme des années 1970 : c’est une queue de réforme qui vient des années 1950 et 1960, et qui matérialisait dans l’enseignement le poids de l’école bourbakiste qui a dominé et domine l’enseignement universitaire. Elles furent combattues par les « classes intermédiaires » à partir du milieu des années 1970 est abandonnées au début des années 1980.
[D’où vient cet individualisme ? Des classes intermédiaires, certainement. Mais peut on dire que cet individualisme était, même inconsciemment, destinée à miner l’école pour empêcher l’ascenseur social… J’en doute.]
Cela dépend au sens que vous donnez au mot « destiné ». Je ne suis guère partisan des théories machiavéliques ou complotistes. Il n’y a pas de « Grand Directoire des Classes Intermédiaires » qui aurait comploté la destruction de l’école pour empêcher l’ascenseur social de fonctionner. Mais je crois profondément qu’une classe sociale fabrique une idéologie qui à son tour guide ses actions dans le sens qui convient à ses intérêts. L’enseignant « libertaire » n’avait certainement pas conscience du fait que la « liberté » contribue à perpétuer les inégalités. Il n’empêche que son action a eu cet effet.
D’ailleurs, j’aurais envie de vous poser une question. Si vous ne croyez pas à ce mécanisme, comment expliquez-vous la remarquable cohérence des actions de démontage de l’ascenseur social depuis trente ans ? Comment expliquer que les politiques publiques et les comportements privés aient été à ce point cohérents ?
[Si on me demandait, je dirais que cela vient de l’effondrement des structures établies : église accusée d’archaïsme, nations accusées de colonialisme et de guerres, communiste accusé des crimes de Staline, etc.]
En d’autres termes, si votre fille ne parle pas, c’est parce qu’elle est muette… Admettons que l’individualisme ait pour origine l’effondrement des institutions. Mais pourquoi ces institutions se sont effondrées ? Ne serait-ce pas parce qu’elles s’opposaient justement aux intérêts d’une certaine classe ?
[Du coup, dans la classe ouvrière, le syndicalisme a pu prendre la place de ces structures ; dans les classes intermédiaires, pour qui le syndicalisme n’a pas de sens, il n’y a pas eu tellement d’alternative permettant de recréer un sentiment d’appartenance, avec ce que cela implique de devoir moral vis à vis des autres. Ainsi, les alternatives qui avaient pignon sur rue ont été des mouvements plus ou moins gauchistes / anarchistes.]
Pourquoi dites-vous que « le syndicalisme n’a pas de sens » pour les classes intermédiaires ? Pensez à la profession enseignante, dont les syndicats sont particulièrement puissants… Non, chaque groupe se donne les moyens de lutte qui sont appropriés à sa situation. Il est clair que les directeurs de marketing ou les « traders » ne vont pas adhérer à un syndicat confédéré. Mais ils adhérent à des « associations professionnelles » et autres groupes du même genre qui sont parfaitement à même de faire valoir leurs revendications collectives.
Il ne faut pas croire que l’idéologie « individualiste » empêche les « classes intermédiaires » d’exprimer une forte solidarité de classe. Quand les « classes intermédiaires » étaient dominées, elles n’hésitaient pas à former associations et syndicats ou à adhérer à celles qui regroupaient d’autres couches dominées. Devenues partie du « bloc dominant », elles n’éprouvent aucun besoin aujourd’hui d’en constituer. A quoi bon, puisqu’elles dominent l’Etat, la presse, l’enseignement ? Mais dans ces institutions, elle font bloc très loin de la vision purement « individualiste »…
[Au final, toute la société a été influencée par cet individualisme venu des classes moyennes, y compris le système scolaire. Ce qui a -in fine- fini par tuer un peu l’école française, dans l’intérêt de ces mêmes classes intermédiaires. Certes. Mais on ne peut pas -selon moi- retourner la causalité.]
Vous voulez dire que la parfaite cohérence des politiques publiques dans la poursuite de ce résultat n’est qu’une pure coïncidence ?
[La meilleure preuve en est que les réformes qui ont été menées dans les années 70 dans l’EN (et particulièrement celles des maths modernes) visaient non pas à abaisser les exigences, mais soit à les augmenter, soit à les atteindre plus facilement, soit à les étendre à tout le monde.]
Je vous ai montré que cette « preuve » ne fonctionne pas. La question n’est pas tant « l’exigence », que les conséquences de cette exigence. Une exigence qui ne se traduit pas par une sélection est inopérante, parce que personne ne fera l’effort de satisfaire l’exigence s’il n’y a pas de récompense à la clé. Et la sélectivité des parcours en fonction de ces exigences a été réduite avec une remarquable cohérence depuis les années 1970 jusqu’à nos jours. Comment expliquez-vous cette cohérence ?
[Je vois déjà votre réponse : “ce sont les enfants des classes intermédiaires qui ont pu profiter de la réforme des maths modernes, car les parents pouvaient aider leurs enfants pour qu’ils soient dans le 1/3 des non largués”.]
Votre boule de cristal nécessite une sérieuse révision. Non, je ne dirais certainement pas ça. Les parents des classes intermédiaires étaient aussi largués que les autres, et c’est pourquoi ils ont combattu vigoureusement la réforme, qui n’a tenu l’assaut que quelques années. D’une certaine façon, l’enseignement des mathématiques modernes est un excellent contre-exemple : voilà une réforme qui mettait à égalité les parents des classes intermédiaires et ceux des classes populaires. Elle n’a pas tenu dix ans…
[PS : au passage, je ne sais pas si vous avez un avis sur la question, mais si oui, je serais curieux de le connaître sur la réforme des “mathématiques modernes”.]
Oui, j’en ai un, d’autant plus que j’ai bénéficié de cet enseignement et que je l’ai adoré ! Je me souviens du plaisir intellectuel que j’ai tiré de l’étude des structures (groupe, anneau, corps, idéal) et de la construction des ensembles numériques…
Comme toujours, il faut distinguer le fond de la réforme et son application. Sur le fond, je pense que c’était une idée magnifique. Sortir les mathématiques d’une pure logique de « résolution des problèmes » pour la présenter comme une construction logique ou chaque énoncé se prouve par un raisonnement logique assis in fine sur un ensemble d’axiomes non seulement mobilise chez les élèves la capacité d’abstraction, mais habitue à une exigence de rigueur qui servira ensuite dans n’importe quelle autre discipline. Le monde se porterait mieux si plus de gens savaient ce que « démontrer » veut dire.
Cela étant dit, la difficulté dans la didactique des mathématiques modernes est considérable. D’abord, on a commencé probablement trop tôt. Si je crois les Piagétiens, les structures qui permettent l’abstraction se développent vers les 11 ans. Si l’on tient compte de la variabilité de ce paramètre, il aurait fallu attendre les 12-13 ans pour commencer à travailler avec des objets abstraits. Ensuite, il y avait un problème de formation des enseignants. Si les agrégés, souvent formés dans les arcanes du bourbakisme, ont embrassé la réforme avec enthousiasme, ce n’est pas le cas général. Beaucoup d’enseignants ont fait de la résistance, enseignant le nouveau programme sans grand enthousiasme et surtout sans voir le sens qu’on pouvait donner à l’enseignement. Il aurait fallu étaler la réforme sur vingt ans, pour se donner le temps de former une génération de professeurs enthousiastes…
>> Je vois déjà votre réponse : “ce sont les enfants des classes
>> intermédiaires qui ont pu profiter de la réforme des maths
>> modernes, car les parents pouvaient aider leurs enfants
>> pour qu’ils soient dans le 1/3 des non largués”.]
> Votre boule de cristal nécessite une sérieuse révision.
Je me consolerai en constatant que vos arguments sont très exactement ceux que je vous opposais par avance, en anticipant (faussement) votre réaction.
Dont acte, effectivement, après recherches, il s’agit d’une réforme qui avait été lancé dans les années 50/60, et n’est donc pas opposable comme exemple du virage des années 1970, bien que la coïncidence soit frappante.
> Vous voulez dire que la parfaite cohérence des politiques
> publiques dans la poursuite de ce résultat n’est qu’une
> pure coïncidence ?
Je vais rerésumer la problématique, pour être certain qu’on parle bien de la même chose :
Ce sur quoi nous sommes d’accord :
– il y a eu une vague d’individualisme (autour de 1970 et après), qui vient essentiellement des classes intermédiaires, et qui a touché de très nombreux pans de la société ; l’école n’y a pas échappé. Il s’agissait d’un individualisme de gauche, qui cherchait à priori à promouvoir les pauvres et les exclus.
– en matière d’éducation, les modifications issues de ces valeurs individualistes, qui devaient offrir un meilleur niveau éducatif au plus grand nombre, ont été progressivement mises en œuvre pendant les années 1970 et 1980,
– les résultats n’étaient pas probants, et ont conduit à l’inverse de ce qui était recherché initialement, à savoir que les enfants des classes intermédiaires s’en sortaient mieux que les autres, sur fond d’abaissement général du niveau, et surtout d’augmentation des écarts de niveau entre les meilleurs et les moins bons.
Votre point de vue, là dessus, est que ces politiques, dont les effets étaient à l’opposé des buts qu’elles s’étaient fixées, ont pu se poursuivre parceque cela servait justement les intérêts des classes intermédiaires, en permettant à leurs enfants de sortir gagnants de la compétition scolaire.
Et c’est ce point que je mets en cause. Et du coup, vous me demandez, ce qui, selon moi, peut expliquer que des politiques qui ont si manifestement échoué, aient pu perdurer si longtemps.
Sommes nous bien d’accord sur les points de convergence et de divergence ?
A votre question, est ce une coincidence, je répondrais plutôt “oui”, en fait. Peut-être me traiterez vous de grand naïf. Mais je vous explique ci dessous pourquoi cette réponse ne me semble pas aberrante.
Explication n°1 : l’inertie dans l’éducation.
Il faut noter, comme vous l’avez fait, que la mise en pratique de ces changements ont eu lieu très progressivement, on va dire de 1975 à 1995. Mais peu importent les dates exactes.
Ensuite, il faut compter un retard d’une quinzaine d’années avant que les résultats ne soient observables ; cela signifie qu’on ne pouvait se rendre compte de rien avant 1990 au mieux, et que l’on pouvait sans contestation possible s’en rendre compte, pour peu qu’on fasse preuve de bonne foi, en 2010.
Du coup, ce simple décalage peut expliquer pourquoi les fondamentaux n’ont pas été modifiés si rapidement.
S’agissant de la méthode globale, en particulier, on a pu se rendre compte bien plus vite de ses effets, vu qu’on pouvait évaluer sa pertinence sans attendre 15 ans. Et dès les années 1980, elle a commencé à être contestée, remise en cause, puis abandonnée. Elle fournit donc un exemple d’une méthode éducative qui permettait -en quelque sorte- d’assurer aux classses intermédiaires le monopole de la lecture aisée, mais qui a quand même été rapidement abandonnée.
Explication n°2 : la préférence française pour les concepts et les grands principes (au détriment du pragmatisme)
Je ne pense pas avoir besoin de détailler, et je suis certain que vous en conviendrez avec moi.
“Les principes sont tout, les hommes ne sont rien ; périssent donc mille fois les hommes, périssent les générations, périssent les empires, pourvu que les principes survivent à tous les naufrages et à toutes les destructions.” (je ne sais plus quel socialiste français du XIXème)
Quand on parle de supprimer le collège unique, on entend répondre : “Comment ! Vous voulez interdire aux enfants des classes défavorisées d’étudier les mêmes choses que ceux des classes aisées !”. Cet argument est imparable dans un débat, sauf à avoir 5 minutes pour expliquer pourquoi, en fait, non seulement les enfants des classes défavorisées n’étudient pas aujourd’hui la même chose que ceux des classes aisées, mais qu’avec cette suppression, les bons élèves de zones défavorisées y auraient accès.
Et c’est comme ça sur tous les sujets. Même sur la méthode globale, après que son échec était patent, de nombreux de ses défenseurs pourfendaient la méthode syllabique, accusée de ne pas donner de sens, sans pouvoir montrer la moindre étude selon laquelle, en pratique (et pas seulement en théorie), la méthode globale permettrait d’en donner davantage.
Explication n°2bis : la difficulté à pouvoir tenir des argumentations un tout petit peu complexes.
Je ne sais pas si c’était pareil avant l’apparition de la télévision. Mais en tout cas, tout argumentation qui peut être expliquée en 15 secondes l’emporte sur une argumentation qui nécessite 5 min d’explications.
Cela contribue selon moi à expliquer le maintien du collège unique bien davantage que l’intérêt de la classe moyenne. On retrouve ce type de souci dans bien d’autres domaines, où les classes intermédiaires ne peuvent pas être accusées d’y avoir un intérêt :
– les subventions à l’éolien et au solaire
– le refus du nucléaire
– suite à la mort du petit Aylan, dire qu’il faut régulariser plus facilement ceux qui ont réussi à passer pour éviter à l’avenir ce genre de drame (alors qu’au contraire, cela augmentera l’appel d’air, et donc le nombre de tels drames)
– l’interdiction du glyphosate
etc.
Sur tous ces sujets, les classes intermédiaires n’ont rien à gagner, et pas plus que les classes inférieures. Mais des slogans tiennent lieu d’arguments, et emportent donc la décision.
Bref, selon moi, il n’est pas nécessaire de supposer que les classes intermédiaires ont massivement conscience de la nécessité de maintenir une école dysfonctionnelle. Ils peuvent très bien vouloir l’améliorer, et aboutir à l’inverse du résultat souhaiter, par paresse intellectuelle et argumentative.
« Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer »
@ Vincent
[Votre point de vue, là-dessus, est que ces politiques, dont les effets étaient à l’opposé des buts qu’elles s’étaient fixées, ont pu se poursuivre parce que cela servait justement les intérêts des classes intermédiaires, en permettant à leurs enfants de sortir gagnants de la compétition scolaire. Et c’est ce point que je mets en cause. Et du coup, vous me demandez, ce qui, selon moi, peut expliquer que des politiques qui ont si manifestement échoué, aient pu perdurer si longtemps.]
La question n’est pas seulement celle du « longtemps ». Non seulement ces politiques se sont maintenues dans la durée, mais elles ont été d’une remarquable cohérence globale. On retrouve en effet les mêmes idées – avec les mêmes conséquences néfastes – à l’école primaire, dans le secondaire, à l’Université, dans les politiques culturelles, à la télévision… comment expliquer une si remarquable cohérence au d’autant plus extraordinaire que ces politiques ont abouti systématiquement au résultat contraire à l’objectif affiché ?
[A votre question, est-ce une coïncidence, je répondrais plutôt “oui”, en fait. Peut-être me traiterez-vous de grand naïf. Mais je vous explique ci-dessous pourquoi cette réponse ne me semble pas aberrante.]
J’attends de lire l’explication. Mais vous avouerez qu’il faut la foi du charbonnier pour croire à une telle coïncidence, d’autant plus qu’elle est planétaire : on observe les mêmes mécanismes à l’œuvre aux Etats-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne…
[Explication n°1 : l’inertie dans l’éducation.
Il faut noter, comme vous l’avez fait, que la mise en pratique de ces changements ont eu lieu très progressivement, on va dire de 1975 à 1995. Mais peu importent les dates exactes.]
Pardon, pardon, les dates sont au contraire essentielles. Et non, les changements dont vous parlez ne se sont pas arrêtés en 1995. Ils continuent jusqu’à aujourd’hui, et la réforme du baccalauréat qui rentre en vigueur cette année en est un bon exemple. Je veux bien qu’on ait eu besoin de temps pour évaluer les effets désastreux des directions prises au début des années 1970. Mais ces résultats étaient bien visibles au début des années 1990. Vingt ans plus tard, on continue dans la même direction. Comment expliquez-vous cette persistance dans l’erreur, sauf à penser qu’il n’y a pas d’erreur, et que les résultats obtenus arrangent parfaitement les intérêts des classes dominantes ?
[S’agissant de la méthode globale, en particulier, on a pu se rendre compte bien plus vite de ses effets, vu qu’on pouvait évaluer sa pertinence sans attendre 15 ans. Et dès les années 1980, elle a commencé à être contestée, remise en cause, puis abandonnée. Elle fournit donc un exemple d’une méthode éducative qui permettait -en quelque sorte- d’assurer aux classes intermédiaires le monopole de la lecture aisée, mais qui a quand même été rapidement abandonnée.]
La méthode globale n’a jamais été vraiment appliquée, et cela du fait de la résistance des enseignants qui, en douce, ont continué à faire ce qu’ils savaient faire, à savoir, la méthode syllabique. C’était plus un symbole qu’autre chose. Personnellement, je n’en fais pas un exemple des « réformes » qui ont dégradé massivement l’éducation.
[Explication n°2 : la préférence française pour les concepts et les grands principes (au détriment du pragmatisme) Je ne pense pas avoir besoin de détailler, et je suis certain que vous en conviendrez avec moi.]
Je ne crois pas. Je pense que c’est une vieille légende qui tient plus de notre traditionnelle tendance à croire que l’herbe est plus verte de l’autre côté de la barrière que d’une réalité. Je remarque que lorsque ça va dans le sens des couches dominantes, les politiques peuvent faire preuve d’un remarquable pragmatisme : pensez par exemple aux cadeaux fiscaux et autres « niches » qui remettent en cause le principe sacré de l’égalité devant l’impôt, et qui croissent et se multiplient cependant allégrement. Les « principes » ne sont invoqués que quand il s’agit de défendre les intérêts des couches dominantes, et tout particulier des classes intermédiaires. Si le collège unique subsiste, c’est parce qu’il arrange les intérêts de ces couches. Les cris d’orfraie sur « l’égalité » qui serait mise en péril par son abolition ne sont qu’un prétexte.
[Explication n°2bis : la difficulté à pouvoir tenir des argumentations un tout petit peu complexes.
Je ne sais pas si c’était pareil avant l’apparition de la télévision. Mais en tout cas, tout argumentation qui peut être expliquée en 15 secondes l’emporte sur une argumentation qui nécessite 5 min d’explications.]
Il n’est pas plus facile de défendre rationnellement en cinq minutes la méthode globale que la méthode syllabique, et expliquer pourquoi le nucléaire fait partie de la solution au problème climatique n’est pas plus long que d’expliquer pourquoi le solaire ou l’éolien peuvent faire la même chose. Le problème n’est pas tant que certaines choses sont plus longues à expliquer que d’autres. La difficulté tient au fait que certaines choses n’ont pas besoin d’être expliquées, parce qu’elles ont le statut de l’évidence. Il est « évident » que le solaire ou l’éolien sont la solution, il est « évident » que la sélection favorise la discrimination sociale. Il est « évident » que les remèdes naturels sont meilleurs que les substances de synthèse. Il est « évident » que la nourriture artisanale est plus saine que l’industrielle. Alors qu’affirmer le contraire nécessite une démonstration – qui dépasse souvent le délai d’attention d’un téléspectateur moyen.
Et pourquoi certaines choses ont le statut « d’évidences » alors que d’autres ne l’ont pas ? Et bien, c’est là qu’intervient une idéologie dominante. C’est précisément l’idéologie dominante qui dispense certaines affirmations de démonstration. Et qui contrôle aujourd’hui l’idéologie dominante ?
[Bref, selon moi, il n’est pas nécessaire de supposer que les classes intermédiaires ont massivement conscience de la nécessité de maintenir une école dysfonctionnelle. Ils peuvent très bien vouloir l’améliorer, et aboutir à l’inverse du résultat souhaiter, par paresse intellectuelle et argumentative.]
Mais si leur vrai but était de l’améliorer, comment comprendre qu’ils se trompent TOUT LE TEMPS ET EN TOUT LIEU, et que lorsque cette erreur devient évidente ON CONTINUE DANS LA MEME DIRECTION ? Pourquoi, si leurs objectifs étaient d’améliorer l’école, les politiques voulues par les classes intermédiaires aboutissent PARTOUT ET TOUJOURS au résultat inverse ? Avouez que c’est une exceptionnelle malchance, n’est-ce pas ?
[« Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer »]
Je n’attribue rien à la « malveillance ». Le processus est bien plus complexe que cela. Les classes dominantes ne veulent ni le bien ni le mal, elles se contentent de défendre leurs intérêts. Et fabriquent en même temps une idéologie qui permet de justifier ces intérêts en les présentant comme l’intérêt général. C’est pourquoi les faits n’ont aucune prise sur ces politiques. Le collège unique est un « bien » parce qu’il va dans le sens des intérêts des classes intermédiaires. Et on continuera à prétendre idéologiquement qu’il est dans l’intérêt des couches populaires de le maintenir même lorsque l’expérience a largement démontré le contraire.
[Et fabriquent en même temps une idéologie qui permet de justifier ces intérêts en les présentant comme l’intérêt général.]
La base non ? On ne vas pas dire aux gens qu’ils vont perdre, quand bien même c’est ce qu’on leur prépare.
Pour le reste il y a peut être deux choses : une tentative vraie de bien faire, suivis de l’application des dogmes libéraux (toujours moins chère), qui lui a prit l’habillage du “bien faire”.
Quant aux gens ils sont soit largué par les questions de modèles scolaires (moi le premier), soit ils ne s’y intéressent pas, soit ils répètent ce qu’ils ont cru entendre des débats (“revenir aux fondamentaux”, “l’enseignement machin-chose-quasi-religieux c’est super”, etc).
@ Yoann
[« Et fabriquent en même temps une idéologie qui permet de justifier ces intérêts en les présentant comme l’intérêt général ». La base non ? On ne va pas dire aux gens qu’ils vont perdre, quand bien même c’est ce qu’on leur prépare.]
Je crois qu’on s’est mal compris. Il ne s’agit pas ici d’un simple discours mensonger, destiné à tromper les gens sur les vraies intentions de celui qui parle. Il s’agit d’une idéologie que les classes dominantes partagent. Autrement dit, lorsque Macron dit aux pauvres que sa politique va améliorer leur vie, il est intimement convaincu que c’est vrai. En ce sens, ce n’est pas un mensonge, simplement une inexactitude.
C’est cela qu’il faut comprendre à mon avis pour ne pas tomber dans une vision complotiste. Les vrais cyniques, ceux qui sont persuadés de faire le mal et le font quand même, sont relativement rares. La plupart des hommes politiques commencent par se convaincre eux-mêmes avant de chercher à convaincre les autres.
> Il s’agit d’une idéologie que les classes
> dominantes partagent. Autrement dit,
> lorsque Macron dit aux pauvres que
> sa politique va améliorer leur vie, il
> est intimement convaincu que c’est
> vrai. […]
> La plupart des hommes politiques
> commencent par se convaincre eux-
> mêmes avant de chercher à
> convaincre les autres.
Je suis totalement d’accord avec vous. Mais j’ai l’impression que vous n’êtes plus d’accord avec vous même, ou sinon j’ai du rater une subtilité.
Si les classes moyennes et leurs dirigeants sont convaincus qu’ils font ce qu’il faut pour permettre aux classes défavorisées de se hisser, comment expliquez vous (autrement que moi) que le résultat des politiques soit systématiquement inverse ?
En essayant honnêtement de comprendre, je vous recite :
“je crois profondément qu’une classe sociale fabrique une idéologie qui à son tour guide ses actions dans le sens qui convient à ses intérêts.”
Soit on doit considérer que l’ “idéologie” est douée d’une personnalité et d’une capacité de réflexion autonome, soit il faut comprendre que cette idéologie a été embrassée justement pour préserver les intérêts de la classe. Ce qui va en contradiction avec le fait que les membres des classes intermédiaires sont intimement persuadés que leur idéologie est favorable aux classe défavorisées…
@ Vincent
[Je suis totalement d’accord avec vous. Mais j’ai l’impression que vous n’êtes plus d’accord avec vous même, ou sinon j’ai dû rater une subtilité. Si les classes moyennes et leurs dirigeants sont convaincus qu’ils font ce qu’il faut pour permettre aux classes défavorisées de se hisser, comment expliquez-vous (autrement que moi) que le résultat des politiques soit systématiquement inverse ?]
N’avez-vous jamais entendu l’adage qui veut que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions ?
J’ai l’impression que la prémisse cachée dans votre raisonnement est que si les classes intermédiaires étaient persuadées de faire ce qu’il faut pour permettre les classes défavorisées de se hisser, la constatation que les résultats obtenus sont à l’opposé des objectifs affichés les conduirait à réviser leur position. Mais ce n’est pas le cas : loin de les conduire à changer de politique, cette constatation les conduit au contraire à conclure qu’ils ne sont pas allés assez loin. Un peu le raisonnement « si ça va mal, ce n’est pas parce qu’on a trop d’Europe mais pas assez d’Europe ». Si l’école se dégrade, ce n’est pas à cause des politiques « libertaires », mais parce qu’on n’est pas allés jusqu’au bout dans ce sens.
[Soit on doit considérer que l’ “idéologie” est douée d’une personnalité et d’une capacité de réflexion autonome, soit il faut comprendre que cette idéologie a été embrassée justement pour préserver les intérêts de la classe. Ce qui va en contradiction avec le fait que les membres des classes intermédiaires sont intimement persuadés que leur idéologie est favorable aux classe défavorisées…]
Pourquoi ? Il n’y a là aucune contradiction : je peux faire une politique qui va dans le sens de mes intérêts égoïstes, et me convaincre moi-même que je suis d’une parfaite générosité. Vous semblez penser qu’on en peut se persuader que de choses vraies…
> La difficulté tient au fait que certaines choses n’ont pas > besoin d’être expliquées, parce qu’elles ont le statut
> de l’évidence. (…) affirmer le contraire nécessite une
> démonstration – qui dépasse souvent le délai
> d’attention d’un téléspectateur moyen.
C’est exactement ce que je voulais dire. Quand l’explication ne peut pas tenir en une phrase de type slogan, on a tout faux.
Sur la méthode globale, l’explication donnée pas ses promoteurs et que : “elle se concentre sur le sens des mots plutôt que sur le déchiffrage, ce qui permet d’accéder plus vite au sens global”.
Ça tient bien en une phrase slogan, donc ça passe à la télé. Pour la méthode syllabique, il faut une vraie explication. On est donc bien dans le même cadre.
> Mais si leur vrai but était de l’améliorer, comment
> comprendre qu’ils se trompent TOUT LE TEMPS ET
> EN TOUT LIEU, et que lorsque cette erreur devient
> évidente ON CONTINUE DANS LA MEME DIRECTION ?
Pour la même raison que sur la politique pénale, que sur le nucléaire (et soit dit en passant, j’aimerais que vous m’expliquiez en quoi le nucléaire pose problème aux classes intermédiaires), etc.
Ce qui se passe, c’est qu’entre les slogans et l’argumentation raisonnée, cette dernière est aujourd’hui perdante. Et c’est cela qui explique qu’ils se trompent en tout temps en tout lieu (pour reprendre votre formule militaire). Je m’explique :
Schématiquement, il y a les choix suivants :
– rationnels et conformes à la morale des slogans : c’est fait depuis longtemps, et personne ne râle dessus. Du coup, ce pas un sujet politique, et personne n’a conscience de ces sujets (améliorer l’isolation thermique des logements neufs, encourager le transport fluvial, réduire les effectifs dans les zones d’éducation à problèmes…),
– rationnels et non conformes à la morale des slogans : ce sont les sujets dont nous parlons ici principalement, pour regretter qu’ils n’aient pas été faits.
– irrationnels et conformes à la morale des slogans : c’est l’inverse de la catégorie précédente ; ce sont aussi les sujets dont nous parlons ici, pour regretter leur mise en œuvre,
– irrationnels et non conformes à la morale des slogans : personne ne les envisage, et ce n’est donc pas un sujet politique, et du coup, personne ne donne de satisfecit aux politiques de ne pas avoir pris une telle décision.
Vous voyez où je veux en venir : les sujets qui peuvent faire l’objet de désaccords sont soit des sujets pour lesquels il y a opposition entre raison et slogan, soit des sujets sur lesquels la solution raisonnable n’est pas unique.
Tous les autres sujets ne sont pas discutés, et sont donc oubliés, occultés. Il y a donc un biais de sélection des mesures prises ces dernières décennies. Vous ne retenez que les mesures ayant fait l’objet de débat, qui sont justement celles où il y a une contradiction. Par exemple pas la limitation du nombre d’élèves dans les ZEP.
Si on suppose, comme je le fais, qu’il n’y a pas de volonté délibérée d’exclure les catégories populaires, et qu’en plus, la politique est guidée par les slogans, il est tout à fait logique que TOUTES les décisions ayant fait l’objet de débat ou de discussion, se soient soldées par un arbitrage contraire à la raison. Et que donc, toutes les mesures (sous-entendu : qui ont été discutées) aillent dans la mauvaise direction
Vous m’objecterez que, bien souvent, il n’y a pas qu’un seul choix rationnel. Mais il y a des situations où, quel que soit le coté par lequel on prend la chose, il y a une direction qui s’impose rationnellement. Sur beaucoup des sujets dont on discute (nucléaire, école, etc.), je suis convaincu qu’il n’y a pas en réalité de fondement idéologique aux désaccords, mais seulement un fondement méthodologique (cartésiens contre moralistes).
Sur le nucléaire, pour lequel je sais que nous sommes d’accord (même si je travaille dans les ENR), qu’on privilégie la réduction des émissions de CO2, le coût de l’électricité, le maintien de savoirs faire industriels en France, l’indépendance énergétique, où l’aspect “made in France”, dans tous les cas, c’est le nucléaire qui est l’énergie à privilégier. Je veux bien qu’il puisse y avoir des désaccords sur ce qui doit être priorisé, mais dans tous les cas, il n’y a pas 36 solutions raisonnables.
S’agissant de l’éducation pour moi, bien souvent, c’est la même chose, car je ne pense pas à un quelconque intentionnalité d’exclure les catégories populaires. C’est certes un avis indémontrable.
Autrement dit, soit votre interprétation est correcte, soit c’est la mienne, mais ces postulats sont indécidables sur la simple base d’échantillons, en raison du biais mentionné plus haut. Bref, vous ne m’avez pas convaincu cette fois ci. Mais je ne vous en veux pas 😉
@ Vincent
[C’est exactement ce que je voulais dire. Quand l’explication ne peut pas tenir en une phrase de type slogan, on a tout faux.]
Oui. Mais si certaines positions peuvent tenir dans un slogan et d’autres non, c’est parce que les premières disposent idéologiquement de ce statut d’évidence, et pas les secondes. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’est pas plus facile ou plus court de démontrer que « il faut se méfier de l’Etat » que « il faut faire confiance à l’Etat ». Si la première s’impose sur la seconde, ce n’est pas parce qu’elle serait plus facile à résumer dans une formule, mais parce que l’idéologie ambiante lui donne le statut d’une évidence.
[Sur la méthode globale, l’explication donnée pas ses promoteurs et que : “elle se concentre sur le sens des mots plutôt que sur le déchiffrage, ce qui permet d’accéder plus vite au sens global”.
Ça tient bien en une phrase slogan, donc ça passe à la télé. Pour la méthode syllabique, il faut une vraie explication. On est donc bien dans le même cadre.]
Non. On peut aussi mettre la méthode syllabique dans une formule : « elle donne la capacité à lire un mot inconnu, et permet donc un meilleur apprentissage des contenus nouveaux ». Si la première argumentation imprime plus que la seconde, c’est parce qu’elle est proche de l’idéologie dominante.
[Pour la même raison que sur la politique pénale, que sur le nucléaire (et soit dit en passant, j’aimerais que vous m’expliquiez en quoi le nucléaire pose problème aux classes intermédiaires), etc.]
Ok, mais en passant… 😉
Le nucléaire per se ne pose pas de problème aux classes intermédiaires. Mais le nucléaire n’est pas un choix banal : le nucléaire n’est possible que dans un certain type de société. Pour que le nucléaire soit sûr, il faut un Etat fort et centralisé, un opérateur public puissant, des institutions scientifiques et techniques solides, une planification à long terme. Un nucléaire sûr implique donner le pouvoir à une rationalité scientifique et technique, et donc à une sélection des cadres méritocratique dont les classes intermédiaires ne veulent pas. On voit des dilettantes dirigeant des entreprises de production éolienne ou solaire. On a du mal à imaginer un dilettante patron du parc nucléaire…
[Ce qui se passe, c’est qu’entre les slogans et l’argumentation raisonnée, cette dernière est aujourd’hui perdante.]
Pas nécessairement. L’argumentation raisonnée gagne lorsqu’elle va dans le sens de l’idéologie dominante. Seulement, à quoi bon fournir une argumentation raisonnée pour défendre une position alors que le biais idéologique en fait une « évidence ». Je crois que c’est comme cela qu’il faut comprendre la chose. Démontrer que le libre marché est un « bien » ne prend pas moins de temps et d’argumentation raisonnée que de démontrer que c’est un « mal ». Seulement, dans le premier cas le biais idéologique vous dispense de démonstration, et pas dans le second.
[Et c’est cela qui explique qu’ils se trompent en tout temps en tout lieu (pour reprendre votre formule militaire). Je m’explique :
[Vous voyez où je veux en venir : les sujets qui peuvent faire l’objet de désaccords sont soit des sujets pour lesquels il y a opposition entre raison et slogan, soit des sujets sur lesquels la solution raisonnable n’est pas unique.]
Vous parlez de « raison » comme s’il n’y avait qu’une seule. Mais la « raison » n’est pas unique. Comme disait le personnage de Renoir, « ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons ». La « raison » ne dicte pas nécessairement le même choix à chaque classe sociale, parce que chaque classe à ses propres intérêts. La « slogan » représente en général la position de l’idéologie dominante, et donc de la classe dominante. La « discussion » n’apparaît que lorsqu’il existe un groupe social suffisamment puissant pour imposer son intérêt – et donc sa « raison » dans l’espace public.
[Si on suppose, comme je le fais, qu’il n’y a pas de volonté délibérée d’exclure les catégories populaires, et qu’en plus, la politique est guidée par les slogans, il est tout à fait logique que TOUTES les décisions ayant fait l’objet de débat ou de discussion, se soient soldées par un arbitrage contraire à la raison. Et que donc, toutes les mesures (sous-entendu : qui ont été discutées) aillent dans la mauvaise direction]
Qu’appelez-vous une « volonté délibérée » ? Si chaque membre de la classe dominante fait tout son possible individuellement pour protéger l’avenir de ses enfants, et qu’à cet effet il fait ce qu’il faut pour empêcher les enfants des couches populaires de les concurrencer, le résultat sera l’arrêt de l’ascenseur social. Mais peut-on parler d’une « volonté délibérée d’exclure les catégories populaires »? Non, puisque chacun agit individuellement, sans concertation et donc sans délibération, et que le but n’est pas spécifiquement « d’exclure » qui que ce soit. Pourtant, l’effet sera le même que celui d’une action collective.
Il serait faux de dire que les arbitrages auxquels on aboutit sont « contraires à la raison ». Ils sont contraires à la « raison » des couches populaires, mais tout à fait conformes à la « raison » des couches dominantes. C’est cette merveilleuse coïncidence que votre logique n’arrive pas à expliquer…
[Vous m’objecterez que, bien souvent, il n’y a pas qu’un seul choix rationnel. Mais il y a des situations où, quel que soit le coté par lequel on prend la chose, il y a une direction qui s’impose rationnellement. Sur beaucoup des sujets dont on discute (nucléaire, école, etc.), je suis convaincu qu’il n’y a pas en réalité de fondement idéologique aux désaccords, mais seulement un fondement méthodologique (cartésiens contre moralistes).]
Certainement pas. Le fondement des désaccords est à trouver dans les intérêts des uns et des autres, et non dans une « méthodologie ».
[Sur le nucléaire, pour lequel je sais que nous sommes d’accord (même si je travaille dans les ENR), qu’on privilégie la réduction des émissions de CO2, le coût de l’électricité, le maintien de savoirs faire industriels en France, l’indépendance énergétique, où l’aspect “made in France”, dans tous les cas, c’est le nucléaire qui est l’énergie à privilégier.]
Certes. Mais si on veut un Etat évanescent, la décentralisation, des institutions faibles, la prééminence des choix individuels et une sélection qui ne soit pas méritocratique, alors le nucléaire n’est certainement pas une solution. Si nous sommes d’accord sur le nucléaire, ce n’est pas seulement parce que nous partageons un diagnostic factuel sur les qualités du nucléaire, mais parce que nous partageons une position sur le type de société que le nucléaire suppose.
[S’agissant de l’éducation pour moi, bien souvent, c’est la même chose, car je ne pense pas à un quelconque intentionnalité d’exclure les catégories populaires. C’est certes un avis indémontrable.]
Là encore, avouez que c’est le résultat auquel on aboutit. Et que par une très étrange coïncidence, TOUTES les réformes et mesures prises ces dernières années convergent vers ce but… l’utilisation du rasoir d’Occam me semble ici indispensable.
Je pense que vous sous-estimez le facteur “bonne conscience”. Il y a de forts restes de catholicisme en France, et qui sont d’autant plus revendicatifs et sûrs d’eux qu’ils se sont éloignés de la religion, et se considèrent comme dépositaires d’une morale naturelle et universelle. Un peu comme les catholiques qui se considéraient comme dépositaires de valeurs morales incontestables.
En gros, ce que certains appellent “le camp du bien”.
Et en vertu de cette nouvelle religion du bien il a automatiquement des associations qui viennent :
– nature / naturel = bien
– grosse industrie = pas bien
– créé par l’homme = à priori pas bien si c’est contre-nature, mais peut être bien si ça s’oppose à quelque chose d’encore moins naturel,
– décision prise d’en haut = pas bien
– davantage d’égalité entre les humains = bien (il y a débat pour savoir s’il faut l’étendre aux animaux)
– davantage de liberté individuelle = bien aussi ; et là, c’est une influence libérale qui vient de l’époque des lumières (pas du catholicisme)
– pardonner ceux qui ont offensé la société, quand ce sont des pauvres opprimés = bien
– compassion et soutien aux victimes, quand ce sont des pauvres qui ne l’ont pas mérité = bien
Etc.
Cela était déjà en germe avant les années 1970 ; mais c’était largement cadré par des structures comme l’Eglise. La disparition du cadre laisse la part belle aux raisonnements simplistes et aux approximations.
En gros, tout ce qui permet de se raccrocher simplement à une des branches évoquées ci dessus sera automatiquement étiqueté.
En ce sens, vous avez raison : on peut tout justifier par un slogan. Et ce slogan “passera” s’il se raccroche à une de ces valeurs.
Pour en revenir à l’objet du débat, je reformulerai ainsi :
Toutes les décisions ont été prises en vertu de ces systèmes de valeurs en vogue. Quand cela est allé le sens d’une inclusion des défavorisés (malheureusement pas souvent ; par ex les réductions d’effectifs en ZEP), on en parle pas. Quand cela est allé dans l’autre sens, vous jugez que l’idéologie cherche à exclure les défavorisés.
Je pense que l’idéologie qui guide ces décisions n’a strictement rien à voir avec une analyse de ses effets sur les classes défavorisées. Et que quand l’analyse est évidente (comme pour les réductions d’effectifs), le choix est bel et bien fait en faveur des défavorisés.
Du coup, oui, il y a une idéologie des classes intermédiaires, mais elle trouve ses sources très loin. Et je crois qu’on passe réellement à coté de la réalité en expliquant que l’exclusion des défavorisé est un but inavoué de ces politiques.
@ Vincent
[Je pense que vous sous-estimez le facteur “bonne conscience”.]
Mais… je ne le sous-estime pas. Mais ce que vous appelez « bonne conscience » est un élément de cette idéologie que les classes dominantes secrètent pour justifier des actions qui vont dans le sens de leurs intérêts. Le choix de ce qui est « bien » ou « pas bien » n’est pas aléatoire. Lorsque vous regardez bien, vous constatez que par une miraculeuse coïncidence, ce qui arrange les classes dominantes est toujours du côté du « bien »… vous le constatez d’ailleurs vous-même lorsque vous faites le lien entre le « bien » et les valeurs du catholicisme, tout en signalant que sur la question de la liberté individuelle, on fait exception à cette règle. Vous auriez pu signaler une autre exception pour ce qui concerne l’institution familiale. Pourquoi ces exceptions ? Pourquoi suit-on la matrice catholique sur les autres points et pas sur ceux-là ? Et bien… parce que sur ces points-là, l’intérêt du bloc dominant va dans le sens opposé !
[En ce sens, vous avez raison : on peut tout justifier par un slogan. Et ce slogan “passera” s’il se raccroche à une de ces valeurs.]
Reste à savoir ce qui préside au choix de ces « valeurs ». Un choix dont la cohérence exclut qu’il soit aléatoire. Ma position, est que ce choix est gouverné par les intérêts des classes dominantes.
[Je pense que l’idéologie qui guide ces décisions n’a strictement rien à voir avec une analyse de ses effets sur les classes défavorisées.]
Tout à fait d’accord. L’idéologie qui guide ces décisions ne prend nullement en cause les classes défavorisées. Elle est l’expression des intérêts des classes dominantes. Pour le dire autrement, l’objectif des classes dominantes est d’imposer leurs intérêts, pas de faire du mal aux autres.
[Et que quand l’analyse est évidente (comme pour les réductions d’effectifs), le choix est bel et bien fait en faveur des défavorisés.]
Il n’y a pas vraiment de « choix ». Les réductions des effectifs en primaire vont dans l’intérêt des plus défavorisés, certes, mais aussi dans l’intérêt du bloc dominant. Bourgeois et classes intermédiaires ont eux aussi besoin de travailleurs sachant lire et écrire. N’oubliez pas que c’est la bourgeoisie triomphante de la IIIème République qui a imposé l’école gratuite et obligatoire. Ce n’était pas là un choix entre l’intérêt des classes dominantes et des classes populaires : c’était une politique qui rejoignait les intérêts de tout le monde…
[Du coup, oui, il y a une idéologie des classes intermédiaires, mais elle trouve ses sources très loin. Et je crois qu’on passe réellement à coté de la réalité en expliquant que l’exclusion des défavorisé est un but inavoué de ces politiques.]
Je ne crois pas avoir jamais dit pareille chose. J’ai dit exactement le contraire : que je rejetais – en vrai matérialiste historique – la vision machiavélique de la politique. Le but des classes dominantes est de s’enrichir, pas d’appauvrir les autres. D’ailleurs, il y a eu des moments de l’histoire – je pense aux trente glorieuses – ou bourgeoisie et prolétariat français ont travaillé de concert et se sont enrichis en même temps et à peu près à la même vitesse. Aujourd’hui, l’enrichissement des classes dominantes a pour corollaire l’appauvrissement des classes populaires. Mais c’est une conséquence, pas un but (avoué ou inavoué). Contrairement à ce que pensent certains dans la gauche radicale, les bourgeois fumant havane et portant haut de forme ne se réveillent pas chaque matin en se demandant « comment je peux faire pour appauvrir les travailleurs ? ».
La question se pose à mon avis de manière totalement analogue sur la question des migrants.
Oui, les classes intermédiaires soutiennent largement l’accueil des migrants. Mais c’est uniquement pour se donner bonne conscience. Il n’y a pas -il suffit d’en discuter avec eux- derrière l’idée que ça leur permet d’avoir de la main d’oeuvre de service pour moins cher.
Pourtant, c’est bien le cas, et cela leur profite. Mais ce sont bien des valeurs morales avant tout qui guident le choix. Beaucoup de ces classes intermédiaires qui soutiennent les migrations, regrettent par ailleurs le manque d’efforts d’intégration de beaucoup, et n’ont pas les moyens de faire appel à des femmes de ménage ou autre.
Mais ils préfèrent subir les difficultés posées par des personnes qui ne veulent pas s’assimiler, plutôt que changer d’avis, et de se retrouver dans le camp du mal. Cela ferait trop de mal à leur égo.
@ Vincent
[La question se pose à mon avis de manière totalement analogue sur la question des migrants. Oui, les classes intermédiaires soutiennent largement l’accueil des migrants. Mais c’est uniquement pour se donner bonne conscience. Il n’y a pas -il suffit d’en discuter avec eux- derrière l’idée que ça leur permet d’avoir de la main d’œuvre de service pour moins cher.]
Et pas seulement « de service ». L’immigration tend mécaniquement à faire baisser les salaires des emplois les moins qualifiés, par le simple effet de la concurrence : l’immigration fait croitre l’offre de travail, et donc baisser le prix. A cela s’ajoute l’effet spécifique lié à la qualité de migrant : méconnaissance du droit du travail, besoin impératif d’un salaire pour rembourser des dettes ou entretenir la famille restée au pays.
[Pourtant, c’est bien le cas, et cela leur profite. Mais ce sont bien des valeurs morales avant tout qui guident le choix.]
Ne trouvez-vous pas curieux que les « valeurs morales » soient à tel point alignées sur des comportements qui vont dans le sens des intérêts de ceux qui les propagent ? Les « valeurs morales » n’ont rien de naturel. Elles font partie de l’idéologie, et sont donc construites à partir des besoins et des intérêts de chaque classe. Votre exemple illustre parfaitement mon propos : les gens ne sont pas, dans leur grande majorité, cyniques. Ils croient vraiment à ce qu’ils disent. Mais ce à quoi ils croient va presque toujours dans le sens de leurs intérêts. C’est la dialectique entre l’idéologie et les rapports matériels qui veut ça.
[Beaucoup de ces classes intermédiaires qui soutiennent les migrations, regrettent par ailleurs le manque d’efforts d’intégration de beaucoup, et n’ont pas les moyens de faire appel à des femmes de ménage ou autre.]
Mais achètent des produits bon marché dans des supermarchés dont les rayons sont achalandées et les caisses sont tenues par des gens mal payés, et qui de ce fait peuvent proposer des prix bas. Et si ces gens sont mal payés, c’est aussi parce qu’il y a une concurrence plus forte sur les emplois non qualifiés. Les effets économiques de l’immigration ne se manifestent pas seulement à travers la femme de ménage.
Steve Jobs était un inventeur génial. C’était aussi un parfait connard, un peu mégalo et n’ayant rien à foutre du jugement de ses pairs parce qu’il croyait en sa vision. Rare sont les gens comme lui.
La plupart des gens, et notamment les bureaucrates, employés dans les administrations, veulent se faire bien voir de leurs collègues et éviter les emmerdes. Et pour se faire bien voir, il faut éviter de froisserles associations les plus virulentes : écolos, pédagogistes, … . D’où ce conformisme (par exemple sur le collège unique, une absurdité criminelle dont l’infériorité par rapport au système de gymnasium + hauptschule allemand est flagrante).
A une époque, un slogan de vente “officieux” de IBM était “personne n’a jamais été viré pour avoir acheté IBM”.
Je ne souhaitais pas contredire votre affirmation que “Mais si leur vrai but était de l’améliorer, comment comprendre qu’ils se trompent TOUT LE TEMPS ET EN TOUT LIEU, et que lorsque cette erreur devient évidente ON CONTINUE DANS LA MEME DIRECTION “. Simplement la nuancer en disant que, pour la créature sociale qu’est l’homme, il vaut presque toujours mieux avoir tort avec la masse que raison tout seul. C’est ce phénomène qui crée un telle inertie, et une telle constance dans les décisions qui échouent.
@ Jordi
[Steve Jobs était un inventeur génial. C’était aussi un parfait connard, un peu mégalo et n’ayant rien à foutre du jugement de ses pairs parce qu’il croyait en sa vision. Rare sont les gens comme lui.]
Un inventeur génial ? Et quelle est la « géniale invention » de Jobs ? L’Apple I et II ont été conçus par Steve Wozniak, pas par Jobs. L’interface graphique fenêtrée et la souris, qui étaient les principales innovations du Lisa ont été pompées sur les développements de Xerox. Le Macintosh est développé par Jeff Raskin. Jobs a su saisir chez les autres les inventions qui pouvaient être des succès commerciaux et il a su aussi choisir ses collaborateurs. C’est certainement du talent. Mais « inventeur génial » ? Pas vraiment… tout au plus un « génie du marketing ».
[La plupart des gens, et notamment les bureaucrates, employés dans les administrations, veulent se faire bien voir de leurs collègues et éviter les emmerdes.]
Cliché, quand tu nous tiens… et je suppose que les gens employés par le privé ne cherchent qu’à faire de l’argent. C’est bien ça ?
[Je ne souhaitais pas contredire votre affirmation que “Mais si leur vrai but était de l’améliorer, comment comprendre qu’ils se trompent TOUT LE TEMPS ET EN TOUT LIEU, et que lorsque cette erreur devient évidente ON CONTINUE DANS LA MEME DIRECTION “. Simplement la nuancer en disant que, pour la créature sociale qu’est l’homme, il vaut presque toujours mieux avoir tort avec la masse que raison tout seul. C’est ce phénomène qui crée une telle inertie, et une telle constance dans les décisions qui échouent.]
Mais vous voyez bien que les faits contredisent votre théorie. Si elle était juste, les gouvernants des années 1980 auraient continué dans la ligne des « trente glorieuses », au lieu de défier l’opinion en procédant à des privatisations massives, en supprimant les statuts, en détruisant l’Etat providence. Or, c’est exactement le contraire qui est arrivé. Depuis presque un demi-siècle, les politiques préfèrent avoir tort avec les financiers plutôt qu’avoir raison avec la masse…
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Le système allemand est plus complexe. Déjà, traditionnellement, il y a la Realschule qui est intermédiaire entre les deux.
Je pense qu’il ne faut pas relancer ce sujet de comparaison des systèmes scolaires france / Allemagne. Vous retrouverez des discussions sur ce sujet dans les commentaires d’un article assez récent du blog (je dirais il y a 5 à 9 mois).
Sans aller aussi loin que vous ne le faites, je disais que je voyais quand même de réels avantages à ce système par rapport au collège unique. Mais j’ai -comme toujours- fait l’objet d’une contradiction, ferme mais constructive.
@ Vincent
[<>]
Pour l’amour du ciel N’UTILISEZ PAS LES SIGNES « <> » COMME MARQUE DE CITATION ! Comme ils ont une signification en HTML, le texte qui se trouve à l’intérieur disparaît à la transmission !
[Sans aller aussi loin que vous ne le faites, je disais que je voyais quand même de réels avantages à ce système par rapport au collège unique.]
Je ne suis pas contre le principe du « collège multiple » à l’Allemande. Ce qui me gêne dans ce genre de modèle, c’est la manière dont les étudiants sont orientés : si on laisse les étudiants choisir librement, vous aurez un effet de sélection sociale. Les enfants d’ouvrier choisiront les études qui conduisent à une professionnalisation rapide, les enfants de cadre supérieur les filières qui conduisent aux études universitaires longues.
En France, le « collège multiple » existait avant la réforme Haby de 1975. Mais l’effet était corrigé par l’existence d’un corps enseignant militant et une organisation scolaire qui poussait les enfants « doués » – c’est-à-dire, ceux qui bossaient, parce qu’en matière d’apprentissage il n’y a pas de miracle – vers les études longues indépendamment de leur origine sociale. Je ne suis pas persuadé que ce cadre puisse exister aujourd’hui. Et c’est pourquoi le retour du « collège multiple » acterait une forme supplémentaire de sélection sociale.
[l’effet était corrigé par l’existence d’un corps enseignant militant et une organisation scolaire qui poussait les enfants « doués » – c’est-à-dire, ceux qui bossaient, parce qu’en matière d’apprentissage il n’y a pas de miracle – vers les études longues indépendamment de leur origine sociale.]
Je suis moi convaincu que cela peut fonctionner. On voit par exemple des parents d’élèves parlant à peine français se faire convoquer par les profs de collège, parceque ces profs veulent absolument que leur enfant (en qui ils croient) puisse échapper au lycée dépotoir de leur secteur, et font pression pour permettre à ces élèves d’aller dans un meilleur lycée…
S’il y avait une vraie orientation en fonction du niveau, je pense vraiment que l’on peut faire confiance au corps enseignant pour pousser ceux qui le peuvent…
@ Vincent
[Je suis moi convaincu que cela peut fonctionner. On voit par exemple des parents d’élèves parlant à peine français se faire convoquer par les profs de collège, parce que ces profs veulent absolument que leur enfant (en qui ils croient) puisse échapper au lycée dépotoir de leur secteur, et font pression pour permettre à ces élèves d’aller dans un meilleur lycée…]
Ca existe certainement, mais si j’en crois à des amis enseignants, c’est de plus en plus rare. Beaucoup d’enseignants véhiculent au contraire consciemment ou inconsciemment le discours « quoi que vous fassiez, vous serez chômeurs de toute façon ». Ce qui ne fait que refléter l’approche « victimiste » de notre société, qui veut qu’on soit le jouet de forces qui nous dépassent. Ceux qui cultivent l’idée que le travail et la discipline payent sont de plus en plus rares.
[S’il y avait une vraie orientation en fonction du niveau, je pense vraiment que l’on peut faire confiance au corps enseignant pour pousser ceux qui le peuvent…]
Je suis très loin d’être convaincu. Et d’ailleurs, c’est une question d’intérêt : l’enfant d’origine modeste que vous poussez est un redoutable concurrent pour vos propres enfants…
En Allemagne, les orientations sont très fortement conditionnées ai mérite scolaire.
Des parents aisés peuvent aider à la marge (cours particuliers, motivation, …), mais à la marge seulement.
Parce que au final, la méritocratie scolaire est centrale, et le piston “aux marges”. L’inverse du collège unique Français.
@ Jordi
[En Allemagne, les orientations sont très fortement conditionnées au mérite scolaire.]
Je ne connais pas le système allemand assez pour avoir une opinion personnelle. Ce que me disent mes amis, c’est qu’il y a au contraire une très forte auto-sélection sociale, les enfants des classes populaires allant souvent poussés par leurs familles vers des formations techniques qui permettent une entrée rapide sur le marché du travail. Et le système éducatif ne fait rien pour contrer ce processus. Dans ces conditions, on peut effectivement se permettre de faire une sélection fondée sur le niveau scolaire, puisque la sélection sociale a été faite au préalable par une autre mécanique.
[Des parents aisés peuvent aider à la marge (cours particuliers, motivation, …), mais à la marge seulement.]
Mais quel est le poids du diplôme sur la carrière en Allemagne ? Parce que si cette importance est faible, les “parents aisés” n’ont pas à craindre l’échec scolaire du rejeton, qu’ils arriveront toujours à rattraper plus tard grâce à leurs moyens et à leurs réseaux.
Parce que au final, la méritocratie scolaire est centrale, et le piston “aux marges”. L’inverse du collège unique Français.
[c’est une question d’intérêt : l’enfant d’origine modeste que vous poussez est un redoutable concurrent pour vos propres enfants…]
Si on raisonne comme individu, comme le font les classes intermédiaires :
Vous avez comme enseignant la satisfaction d’avoir réussi à faire monter et réussir quelqu’un qui n’aurait pas pu le faire sans vous. C’est non négligeable.
Et face à cela, d’un point de vue égoiste, même si vous avez 4 ou 5 enfants, il y a très peu de chances qu’ils soient directement confronté à celui que vous avez poussé.
Donc à titre individuel, pour l’enseignant, au niveau de son ratio : “satisfaction professionnelle / satisfaction de la réussite de ses enfants”, la balance penche clairement vers la satisfaction professionnelle…
@ Vincent
[Si on raisonne comme individu, comme le font les classes intermédiaires : Vous avez comme enseignant la satisfaction d’avoir réussi à faire monter et réussir quelqu’un qui n’aurait pas pu le faire sans vous. C’est non négligeable. Et face à cela, d’un point de vue égoiste, même si vous avez 4 ou 5 enfants, il y a très peu de chances qu’ils soient directement confronté à celui que vous avez poussé.
Donc à titre individuel, pour l’enseignant, au niveau de son ratio : “satisfaction professionnelle / satisfaction de la réussite de ses enfants”, la balance penche clairement vers la satisfaction professionnelle…]
Cet exemple me permet d’illustrer le rôle d’une idéologie dominante. Si l’individu faisait une analyse rationnelle, il aboutirait certainement à la conclusion que vous indiquez – et d’ailleurs beaucoup d’enseignants se placent dans cette logique. Mais il y a aussi un intérêt collectif des enseignants qui se manifeste, lui, à travers une idéologie dominante. Beaucoup d’enseignants tiennent avec une parfaite bonne foi le langage du « ce n’est pas la peine de faire des efforts, vous finirez chômeurs quoi que vous fassiez ». Ce langage défaitiste n’est pas le résultat machiavélique d’une analyse rationnelle au niveau individuel, mais l’internalisation d’un discours dominant qui, sous l’apparence d’une critique des injustices de la société contribue à les perpétuer.
C’est pourquoi, contrairement à ce que vous proposez, j’ai du mal à « faire confiance aux enseignants » pour pousser les plus méritants de leurs élèves. Non pas parce qu’ils mettront de la mauvaise volonté ou chercheront au niveau individuel à protéger leurs enfants, mais parce qu’ils internalisent un discours dominant qui va dans le sens, collectivement, de leurs intérêts.
Bienvenue, même si je ne suis pas l’hôte du blog. Et surtout, félicitations pour votre maturité. Je ne crois pas que j’en avais tant à la vingtaine (j’approche de la quarantaine).
Sans vouloir naturellement être intrusif, je me demande dans quelle filière vous pouvez être…
Merci pour votre accueil !
“Sans vouloir naturellement être intrusif, je me demande dans quelle filière vous pouvez être…”
Comme mon pseudo le suggère subtilement, j’étudie le droit…
Je n’avais pas fait attention à votre pseudo, mais même sans cela, j’ai failli vous demander si vous faisiez du droit : vous mêlez en effet culture philosophique, rare chez les jeunes scientifiques, et rigueur du raisonnement, rare chez les littéraires…
Le C.E.A. vient d’annoncer que, dans une perspective de prix bas de l’uranium, “la perspective d’un développement industriel des réacteurs de 4ème génération n’est en effet plus envisagée avant la deuxième moitié de ce siècle”, concrètement abandonnant le projet du surgénérateur Astrid, après Superphénix en 1997. D’autres facteurs, tels que le coût du chantier, les retards de Flamanville ou le manque de soutiens gouvernementaux, sont également cités.
Il me semble que gouverner, c’est prévoir et se tenir prêt à l’éventualité d’une hausse des prix de l’uranium (bien qu ce soit un faible facteur dans le cout de l’énergie produite) ou une baisse de sa disponibilité (Colbert avait prévu le renouvellement des forets du royaumes pour plusieurs siècles de marine) ainsi que de la réutilisation du plutonium. Le manque de soutiens gouvernementaux semble être l’élément le plus important, les autres problèmes ne dépendant que de celui-ci: le coût du projet (5 et 10 milliards d’euros) est un investissement à long terme (sécurisation de l’approvisionnement en énergie et recréation d’un pole d’excellence technologique), bien moins cher que les 121 milliards d’euros d’engagement dans le domaine des énergies renouvelables, et les retards de Flamanville appellent à une action pour former des ouvriers spécialisés dans ce domaine et à ne plus perdre de savoir-faire nucléaire et plus largement industriel.
Pour le manque de volonté politique, qui à mené à faire vivoter ce projet jusqu’à son report en 2050, il s’agit de vaincre le court-termisme amenant à ne voir qu’aux prochaines échéances électorales.
@ Jopari
[Le C.E.A. vient d’annoncer que, dans une perspective de prix bas de l’uranium, “la perspective d’un développement industriel des réacteurs de 4ème génération n’est en effet plus envisagée avant la deuxième moitié de ce siècle”, concrètement abandonnant le projet du surgénérateur Astrid, après Superphénix en 1997. D’autres facteurs, tels que le coût du chantier, les retards de Flamanville ou le manque de soutiens gouvernementaux, sont également cités.]
Cela ne surprendra personne d’apprendre que la filière nucléaire n’a guère de soutien politique aujourd’hui. L’establishment politico-médiatique est bien content d’avoir un parc nucléaire magnifique qui assure les trois quarts de la production électrique à un prix défiant toute concurrence, mais traite le nucléaire comme si c’était une maladie honteuse. Il n’y a qu’à voir la discrétion avec laquelle nos politiques ont traité le démarrage des deux réacteurs EPR de Taishan, qui fonctionnent aujourd’hui à pleine puissance ce qui est tout de même une remarquable performance pour un premier démarrage.
On garde donc le nucléaire – quitte à jeter à la poubelle de temps en temps un ou deux réacteurs pour acheter les voix écologistes – mais on ne soutient aucune initiative d’avenir. Dessiner un nouveau réacteur pour préparer l’après-EPR ? Vous n’y pensez pas ! Développer les surgénérateurs ? Encore moins ! Quel politique aujourd’hui ira mettre de l’argent dans des recherches et des développements qui aboutiront avec de la chance dans dix ou vingt ans ? Pour que ce soit les autres qui coupent le ruban ?
Clairement, le prix de l’uranium et les réserves de cette matière rendent les réacteurs à neutrons rapides non compétitifs. Faut-il pour autant abandonner toute recherche dans le domaine et perdre l’avance technologique que nous avions acquis avec le programme Phénix et Superphénix ? Je ne le crois pas. D’une part, parce que les réacteurs à neutrons rapides ont des avantages considérables en termes de production de déchets mais aussi pour faire des sources de neutrons pour la recherche. Mais à la rigueur, si l’abandon d’Astrid était la conséquence d’une réflexion sur les filières à privilégier, si on décidait d’abandonner la filière sodium pour faire un réacteur haute température (l’une des nouvelles filières les plus intéressantes industriellement), pourquoi pas. Mais il est clair que l’abandon d’Astrid n’est pas le résultat d’un choix technique. On arrêtera Astrid, mais on arrêtera aussi les autres filières. Il n’y a dans les cartons du CEA aucun projet nouveau.
> Mais à la rigueur, si l’abandon d’Astrid était la conséquence d’une
> réflexion sur les filières à privilégier, si on décidait d’abandonner
> la filière sodium pour faire un réacteur haute température (l’une
> des nouvelles filières les plus intéressantes industriellement),
J’étais arrivé à la même conclusion en creusant un peu la question. Et d’ailleurs, les chinois, qui sont quand même de grands pragmatiques, et qui voient loin, ne s’y sont pas trompés… Ils finissent la construction, si je ne m’abuse, de leur premier prototype.
@ Vincent
[J’étais arrivé à la même conclusion en creusant un peu la question. Et d’ailleurs, les chinois, qui sont quand même de grands pragmatiques, et qui voient loin, ne s’y sont pas trompés… Ils finissent la construction, si je ne m’abuse, de leur premier prototype.]
Oui. Russes, chinois, indiens, tous disposent aujourd’hui de prototypes de réacteur à neutrons rapides… ce qui ne les empêche pas d’ailleurs de développer aussi des idées sur d’autres types de réacteurs. Je crois qu’on a oublié chez nous l’importance de ce travail de prototypage. Dans la recherche, nous explique-t-on aujourd’hui, il faut investir à coup sur. Il n’en manque pas des politiques ou des journalistes pour expliquer que les programmes comme Concorde, comme le Plan calcul ou les réacteurs à neutrons rapides sont des échecs parce qu’ils n’ont pas eu de postérité. C’est une grave erreur: les programmes scientifiques ont toujours une postérité, même si ce n’est pas celle qui avait été prévue. Concorde a permis de former des ingénieurs, de développer des technologies et des matériaux nouveaux qui ont rendu Airbus possible. Le plan calcul n’a pas permis à la France de fabriquer des ordinateurs, mais il a formé une génération de développeurs qui explique le dynamisme de l’industrie du logiciel français. Le programme Phénix et Superphénix a aussi permis au CEA le développement d’outils et de matériaux nouveaux qu’on trouve aujourd’hui sur les réacteurs EDF et sur l’EPR.
Les Américains et les Allemands, qu’on nous offre toujours en exemple, développent dans leurs labos en permanence des prototypes. Quelquefois, ce sont des machines complexes qui ne servent en apparence a rien (je pense par exemple au stellarator W7X) mais qui permettent de “tirer” des développements technologiques dans les matériaux, dans les techniques d’usinage, dans les méthodes de calcul. Ce qui semble un investissement à fonds perdus est en fait une subvention avec des effets de levier très importants à la recherche et au développement industriels. Croyez-vous qu’avant d’arrêter Astrid quelqu’un ait fait une étude des conséquences en termes d’effet de levier ? Bien sur que non, c’est “ça coûte cher et ça servira à rien sur le court terme”. A la trappe donc.
De plus en plus nous sommes dans une logique de pays dépendant. Pourquoi prendre la peine de développer alors qu’on pourra acheter les brevets – ou mieux encore, les produits fabriqués – lorsqu’ils seront matures sans prendre le risque du développement ? Déjà on entend des voix qui suggèrent qu’au lieu de construire des EPR, EDF ferait bien d’acheter des réacteurs russes, coréens ou pourquoi pas chinois “clé en main”…
[De plus en plus nous sommes dans une logique de pays dépendant. Pourquoi prendre la peine de développer alors qu’on pourra acheter les brevets – ou mieux encore, les produits fabriqués – lorsqu’ils seront matures sans prendre le risque du développement ? Déjà on entend des voix qui suggèrent qu’au lieu de construire des EPR, EDF ferait bien d’acheter des réacteurs russes, coréens ou pourquoi pas chinois “clé en main”…]
Devenir un pays dépendant vaut le coup si on accepte votre thèse d’une classe intermédiaire dont le leitmotiv serait carpe diem: l’argent mis dans l’innovation et dont l’utilité ne serait visible que dans le siècle prochain pourrait tellement mieux être utilisé maintenant dans ce qui intéresse ces dites classes. Il ne me semble pas que les élites latifundiaires d’Amérique latine aient beaucoup poussé à l’innovation mais plutôt aux dépenses somptuaires.
Pour les fonds nécessaires à importer ces produits que nous ne produirions plus (certains commentateurs, sous les articles du Monde consacrés au “scandale des pesticides”, se demandent pourquoi est-il utile de maintenir une production agricole en France, ou du moins une agriculture allant au-delà de l’extensif, alors que l’on pourrait importer ces mêmes produits à l’étranger – comme avec l’industrie, pourrait-on ajouter), des secteurs où les innovations nécessaires coutent moins chers, tels que la banque ou plus généralement les services, pourraient être développés.
@ Jopari
[Devenir un pays dépendant vaut le coup si on accepte votre thèse d’une classe intermédiaire dont le leitmotiv serait carpe diem: l’argent mis dans l’innovation et dont l’utilité ne serait visible que dans le siècle prochain pourrait tellement mieux être utilisé maintenant dans ce qui intéresse ces dites classes. Il ne me semble pas que les élites latifundiaires d’Amérique latine aient beaucoup poussé à l’innovation mais plutôt aux dépenses somptuaires.]
Tout à fait. L’indépendance a un sens pour ceux qui ont une « certaine idée » de ce que leur pays doit être et la volonté de réaliser cette idée. Pour ceux qui se contentent de subir les changements venus d’ailleurs, l’indépendance n’a pas grand sens. Cela étant dit, il faut être conscient que le monde ne fera de cadeaux à personne. Ceux qui se contenteront de subir s’appauvriront, parce qu’ils subiront des décisions qui seront prises en fonction d’intérêts qui ne sont pas les nôtres. Si nos « classes intermédiaires » peuvent se permettre de subir tout en conservant un haut niveau de vie, c’est parce qu’elles consomment un capital économique et politique bâti par les générations qui ont défendu chèrement leur indépendance. Une fois qu’on aura vendu tous les joyaux de famille, que nous nous retrouverons avec des infrastructures vieillissantes parce qu’on n’a pas pris le soin de les renouveler et que les prêteurs cesseront de financer notre niveau de vie à crédit, il faudra se serrer la ceinture…
[des secteurs où les innovations nécessaires coutent moins chers, tels que la banque ou plus généralement les services, pourraient être développés.]
Encore faudrait-il qu’on trouve quelqu’un pour les acheter. Qu’est ce qui vous fait penser que nos services resteront durablement compétitifs par rapport à ceux qu’on peut produire en Chine ?
Bonsoir @Descartes
Je ne sais pas si vous avez lu « Service la classe ouvrière – Sociabilités militantes au PCF » de Julian Mischi, et si oui, ce que vous en pensez. C’est un ouvrage très richement documenté (archives du PCF, mais aussi beaucoup d’entretiens menés par l’auteur avec des militants), qui présente l’intérêt de montrer la vie du PCF vue à la fois « d’en bas » (la constitution concrète des réseaux militants, les modalités d’engagement, etc.), en étudiant quatre bassins de population choisis pour leurs typologies différentes, mais aussi l’interaction de ces engagements de terrain avec les responsabilités hiérarchiques, principalement fédérales, notamment le rôle du système de formation et de sélection des dirigeants. L’étude concerne la période qui va des années 20 jusqu’aux années 70, et elle peint une image vraiment détaillée du PCF.
(il y a aussi un court dernier chapitre sur la désouvriérisation du PCF à propos des analyses duquel je serais curieux de connaître votre avis)
@ Ian Brossage
[Je ne sais pas si vous avez lu « Service la classe ouvrière – Sociabilités militantes au PCF » de Julian Mischi, et si oui, ce que vous en pensez.]
Je ne l’ai pas lu, mais il m’a été chaudement recommandé, et c’est dans ma pile “à lire”… tout comme “”Le communisme désarmé: le PCF et les classes populaires depuis 1970”
C’est un ouvrage très richement documenté (archives du PCF, mais aussi beaucoup d’entretiens menés par l’auteur avec des militants), qui présente l’intérêt de montrer la vie du PCF vue à la fois « d’en bas » (la constitution concrète des réseaux militants, les modalités d’engagement, etc.), en étudiant quatre bassins de population choisis pour leurs typologies différentes, mais aussi l’interaction de ces engagements de terrain avec les responsabilités hiérarchiques, principalement fédérales, notamment le rôle du système de formation et de sélection des dirigeants. L’étude concerne la période qui va des années 20 jusqu’aux années 70, et elle peint une image vraiment détaillée du PCF.
(il y a aussi un court dernier chapitre sur la désouvriérisation du PCF à propos des analyses duquel je serais curieux de connaître votre avis)
Re-bonsoir @Descartes
Encore un de vos sujets favoris : que pensez-vous de l’annonce de l’arrêt des recherches sur le réacteur Astrid ?
J’ai trouvé deux opinions deux différentes qui semblent très bien informées…
et
@ Ian Brossage
[Encore un de vos sujets favoris : que pensez-vous de l’annonce de l’arrêt des recherches sur le réacteur Astrid ?]
Je n’en suis pas surpris. En fait, on savait dans la communauté du nucléaire depuis des longs mois que le gouvernement cherchait un moyen d’arrêter le projet.
Je vois dans cet arrêt un pas de plus sur la voie de la transformation de la France en pays dépendant. Et pas seulement économiquement, mais aussi intellectuellement, ce qui est infiniment plus grave. On nous explique que les réacteurs à neutrons rapides, dans le contexte économique prévisible, ne seront pas compétitifs. C’est probablement vrai. Mais l’intérêt d’un grand appareil scientifique ne se mesure pas en termes de pure rentabilité financière, sans quoi on ne construirait pas de télescopes et on n’enverrait pas des sondes sur Saturne. Si on le fait, c’est parce que le développement de ces objets “tire” l’enseignement et l’industrie derrière eux. Ces programmes permettent de former des ingénieurs et des scientifiques, de développer des matériaux, des techniques, des savoir-faire qui seront ensuite indispensables dans d’autres programmes qui, eux, sont rentables en termes économiques et stratégiques.
On en arrive à un paradoxe tragique: la France, un des pays leaders dans le domaine nucléaire, a aujourd’hui moins d’installations nucléaires de recherche en fonctionnement qu’elle n’en avait à l’aube des années 1960. On avait investi massivement dans la recherche – y compris dans les recherches “non rentables” – alors que le pays était encore en pleine reconstruction. Et c’est vrai dans beaucoup d’autres domaines. Je crains que Guaino et son “grand emprunt” – qui donnera l’argent pour le programme “investissements d’avenir” – soit le dernier avatar de cette France-là. Et ce fut sous la présidence d’un certain Nicolas Sarkozy…
Bonjour Descartes
En premier lieu je tenais à vous informer que l’émission “Vive la crise” était rediffusée ce soir entre 21h et 23h sur LCP. Deux autres rediffusions auront lieu les 07/09 à 14h et 15/09 à 16h00
J’avoue que je n’interviens plus beaucoup, car la France me déçoit.
Elle me déçoit car je me rends compte qu’on peut vivre dans un pays où des gens hautement diplômés ont une culture scientifique au raz des pâquerettes. Ce qui permet aux marchands de peur de prospérer et de raconter des énormités.
Elle me déçoit car comme je le craignait LREM est bien un syndic de liquidation du pays : démantèlement d’ EDF pour faire plaisir à l’UE, vente des bijoux de famille aux copains (ADP et Française des jeux, etc)
Elle me déçoit car je suis dégoûté par les violences policières à l’encontre des gilets jaunes, de la doctrine de maintien de l’ordre qui devrait valoir aux hauts gradés de la police d’être démis de leurs fonction.
@ Trublion
[En premier lieu je tenais à vous informer que l’émission “Vive la crise” était rediffusée ce soir entre 21h et 23h sur LCP. Deux autres rediffusions auront lieu les 07/09 à 14h et 15/09 à 16h00]
Merci beaucoup, j’ai réussi à l’enregistrer. Je conseille d’ailleurs à tous mes lecteurs de la regarder : c’est une excellente illustration ce que fut le « tournant » pris par les socialistes en 1983 et le début de la longue déchéance des couches populaires.
[J’avoue que je n’interviens plus beaucoup, car la France me déçoit.]
Croyez que je le regrette. Il ne faut pas se laisser décourager ! C’est le moment de s’armer politiquement et idéologiquement, de lire et de débattre, pour être prêt le jour ou le vent changera !
[Elle me déçoit car je me rends compte qu’on peut vivre dans un pays où des gens hautement diplômés ont une culture scientifique au ras des pâquerettes. Ce qui permet aux marchands de peur de prospérer et de raconter des énormités.]
Dites-vous bien que c’est bien pire ailleurs ! Au moins chez nous vous ne trouvez pas encore trop de gens qui croient que la terre est plate et qu’un complot dirigé par le gouvernement cherche à cacher ce fait.
[Elle me déçoit car je suis dégoûté par les violences policières à l’encontre des gilets jaunes, de la doctrine de maintien de l’ordre qui devrait valoir aux hauts gradés de la police d’être démis de leurs fonction.]
Là, je suis moins définitif que vous. Il y a une montée générale de la violence, et on voit mal pourquoi elle épargnerait la police. Lorsque les gens ne respectent plus l’uniforme, l’uniforme cesse aussi de respecter les gens. Lorsque des manifestants s’autorisent à lancer des cocktails Molotov sur les forces de l’ordre, on ne peut s’étonner que les forces de l’ordre répondent brutalement, selon le principe qui veut qu’il vaut mieux être jugé par douze que porté par six. Vous me direz que la majorité des manifestants étaient non violents. Peut-être. Mais lorsque le CRS a quelqu’un devant lui, il ne peut savoir à quelle espèce de manifestant il a à faire.
Je suis personnellement très sévère quant à l’organisation des manifestations des « gilets jaunes ». La liberté de manifester n’est pas la liberté de tout casser. En particulier, le saccage de l’Arc de Triomphe est inacceptable.
Je n’aurai jamais le courage de regarder à nouveau “vive la crise” Après l’avoir vu à l’époque j’étais tellement dégoûté que je n’ai plus jamais pu revoir la bobine de Montand sans zapper illico. Un acteur et chanteur que j’aimais beaucoup est mort ce jour là.
Les réactions horrifiées après sa mort civile quand on a découvert qu’il était un sale type dans sa vie privée m’ont étonné. Le coup bas de “vive la crise” n’avait donc pas suffi à ouvrir les yeux ?
@ VIO59
[Je n’aurai jamais le courage de regarder à nouveau “vive la crise” Après l’avoir vu à l’époque j’étais tellement dégoûté que je n’ai plus jamais pu revoir la bobine de Montand sans zapper illico. Un acteur et chanteur que j’aimais beaucoup est mort ce jour là.]
Tout à fait. Il faut pourtant la regarder pour se convaincre que tous les discours sur la « trahison » de Mitterrand et du PS n’est qu’un discours d’autojustification à postériori. S’il pouvait y avoir des doutes en 1981, aucun doute n’était plus permis après 1983. Ceux qui en 1988 ont milité pour la réélection de Mitterrand ou ont voté pour lui ne pouvaient ignorer dans quel projet la France était embarquée. J’aimerais d’ailleurs beaucoup connaître la position de Mélenchon à ce sujet… avait-il regardé l’émission ? Avait-il compris ce qui s’annonçait ?
[Les réactions horrifiées après sa mort civile quand on a découvert qu’il était un sale type dans sa vie privée m’ont étonné. Le coup bas de “vive la crise” n’avait donc pas suffi à ouvrir les yeux ?]
Je me souviens d’un entretien qu’il avait donné au Nouvel Observateur alors que soufflaient les vents néo-maccarthystes des années 1980. A l’époque, il avait déclaré que son frère était « proche du parti socialiste », ce qui avait provoqué un démenti sanglant de l’intéressé, militant communiste de toujours. En fait, Montand n’était qu’un opportuniste : il a été « stalinien » à l’époque ou le poids du Parti et de son appareil culturel l’ai aidé dans sa carrière, et il est devenu anticommuniste furieux quand les « dissidents » ont été à la mode. C’était un sale type.
@ Descartes
[Dites-vous bien que c’est bien pire ailleurs ! Au moins chez nous vous ne trouvez pas encore trop de gens qui croient que la terre est plate et qu’un complot dirigé par le gouvernement cherche à cacher ce fait.]
Par contre, on est parmi les champions du monde dans la peur envers les vaccins :
https://ourworldindata.org/vaccination
“But in some countries – several former Soviet countries, France, and Japan – a substantial share of the population disagrees. In France 41% of the population does not consider vaccinations safe. In other countries the share that is of the same opinion is smaller than 10% (in Bangladesh only 0.2%).”
Je ne sais pas pourquoi en France particulièrement, mais cela m’attriste beaucoup…
@ BolchoKek
[Je ne sais pas pourquoi en France particulièrement, mais cela m’attriste beaucoup…]
Je pense que nous sommes victimes de notre succès. Grâce aux politiques vaccinales des années 1945-1990 les maladies infectieuses sont devenues si rares que l’utilité du vaccin a été oublié. La génération qui est adulte aujourd’hui a grandi dans un monde sans tuberculose, sans diphtérie, sans tétanos, sans poliomyélite. Je pense que ce n’est pas un hasard si le Bangladesh est donné en exemple: les bangladeshis ont encore bien présentes les conséquences des maladies infectieuses, et savent ce qu’ils doivent à la vaccination.
@ Descartes
[Je pense que nous sommes victimes de notre succès. Grâce aux politiques vaccinales des années 1945-1990 les maladies infectieuses sont devenues si rares que l’utilité du vaccin a été oublié.]
Je pense que cette explication est insuffisante. Oui, nous avons bénéficié de politiques vaccinales remarquables… Mais après la guerre, la plupart des pays d’Europe ont eu des politiques assez semblables et à peu près au même moment. La plupart des pays Européens tournent autour de 10-15% d’opinions défavorables quant à la vaccination, contre 41% pour la France. Je ne pense pas que les politiques du reste du continent fussent à ce point différentes de celles mises en place en France que l’on puisse expliquer une telle différence par ce seul argument.
@ BolchoKek
[Je pense que cette explication est insuffisante. Oui, nous avons bénéficié de politiques vaccinales remarquables… Mais après la guerre, la plupart des pays d’Europe ont eu des politiques assez semblables et à peu près au même moment.]
Pas tout à fait. Ainsi, si tous les pays ont organisé la vaccination, le niveau d’obligation est très variable. La France a toujours été le pays européen dont les obligations vaccinales sont les plus fortes, tant du point de vue de la précocité que de la régularité et du nombre de vaccins administrés. C’est aussi je crois – mais je n’ai pas retrouvé les chiffres – celui où les maladies infectieuses, notamment chez les enfants, ont reculé le plus vite.
Pour avoir fait… Beaucoup trop de manifestations de gilet jaune, je me dois d’apporter quelque enseignement du terrain.
La violence des gauchistes/groupuscule d’extrême droite sur les champs n’a été tolérée par les gilets jaunes que parce qu’ils avaient goutté a la répression policière avant (certes les manifestations n’étaient pas autorisé, mais c’est la force qui a primé dès le début). La majorité des gens n’auraient pas toléré le quart du dixième des violences faite début décembre s’ils n’avaient pas préalablement subit la répression.
Il y a clairement un changement dans la doctrine du maintien de l’ordre qui s’est opéré depuis Sarkozy. Sa tape plus, sa gaz des cortèges pourtant nassés… Autant le SO habituels des syndicats espèrent toujours sauver nos poumons en livrant les gauchistes à la police, autant les gilets jaunes n’avaient pas les moyens (et ils ont pu interpréter une parti de la violence policière comme dirigé contre eux et non contre des minorités de casses pieds).
On retrouve des arguments de gauchistes, toujours discutables, sur la violence ou la comparaison de la violence des manifestants contre celle de l’état ou du travail. Après tout au soir des premières violences le MEDEF se posait des questions sur le SMIC…
Et enfin pour connaitre de loin des gens qui jouent au black-bloc : une jeunesse désespérer que rien ne change, qui ne sait pas quoi faire. Au fond comme les GJ, privé de grève et privé de moyen de se faire entendre (les structures syndicales ne jouant plus ce rôle) se disent qu’en cassant tout ils seront écouté.
Bilan ? Incertain de mon côté. Je pense que Macron n’avait pas la police dans a poche, mais les violences des manifestants ont été un moyen de se les mettre dans la poche. C’est l’occasion de mesure sécuritaire, de tester de nouveaux jouets sur les manifestants. De faire passer des lois libérales soient disant en réponse aux GJ (heures supp). Et de profiter de la haine tenace du journalisme pour museler un peu plus les quelque uns (tel Péan, le Canard).
Au risque d’être contredit je trouve que les GJ sont un peu des gauchistes et un peu des “populistes” en même temps…
@ Yoann
[Pour avoir fait… Beaucoup trop de manifestations de gilet jaune, je me dois d’apporter quelque enseignement du terrain.]
En matière de manifestations, on ne fait jamais trop… 😉
[La violence des gauchistes/groupuscule d’extrême droite sur les champs n’a été tolérée par les gilets jaunes que parce qu’ils avaient goutté a la répression policière avant (certes les manifestations n’étaient pas autorisé, mais c’est la force qui a primé dès le début). La majorité des gens n’auraient pas toléré le quart du dixième des violences faite début décembre s’ils n’avaient pas préalablement subit la répression.]
Je n’en suis pas convaincu. La non-déclaration des manifestations, la volonté de les organiser dans les quartiers proches de l’Elysée traditionnellement interdits pour des raisons de sécurité et le blocage de la circulation me paraissent traduire dès le départ la volonté de se placer dans une logique de rapport de force. Par ailleurs, comme vous le notez vous-même, l’absence d’un SO et d’un organisateur identifié rend très difficile pour les services de police de séparer les casseurs et les manifestants « légitimes ».
Je vous invite à faire un petit exercice : mettez-vous dans la peau d’un commandant de compagnie de CRS. Vous avez devant vous une foule informe qui avance vers vous. Il y a là des pères et mères de famille avec leurs enfants, des jeunes, des adultes isolés ou en groupe. Certains sont cagoulés, d’autres pas. Certains lancent sur vos hommes des objets (canettes, boulons, pavés, cocktails molotov enflammés), d’autres se contentent de crier des slogans. Vous pouvez supposer que si vous les laissez passer, certains seront parfaitement pacifiques, d’autres casseront tout sur leur passage. Que faites-vous ? Vous avez une minute pour répondre.
Je pense que cette affaire illustre parfaitement le rôle des institutions dans la gestion de la violence. Quand les manifestations sont organisées par des institutions, il y a une négociation avec l’autorité qui permet de limiter la violence à un niveau jugé « acceptable ». Lorsqu’aucune institution ne canalise la protestation, c’est la peur qui s’installe des deux côtés. L’autorité a peur d’aller trop loin, les manifestations sentent toute réaction de l’autorité comme une agression, parce que personne ne sait plus très bien quelles sont les limites.
[On retrouve des arguments de gauchistes, toujours discutables, sur la violence ou la comparaison de la violence des manifestants contre celle de l’état ou du travail. Après tout au soir des premières violences le MEDEF se posait des questions sur le SMIC…]
A mon sens, c’est là la pire erreur du gouvernement. Ce qu’il n’a pas accordé aux protestataires pacifiques, elle l’a donné après les violences, justifiant l’idée que seule la violence paye.
[Et enfin pour connaitre de loin des gens qui jouent au black-bloc : une jeunesse désespérée que rien ne change, qui ne sait pas quoi faire.]
Mon œil. Il est parfaitement possible qu’il y ait parmi les manifestants violent des « jeunes désespérés ». Mais les « blacks blocks » – et j’en connais quelques-uns – sont le plus souvent des jeunes issus des « classes intermédiaires » et qui se donnent des frissons d’adrénaline en jouant à la révolution. Comme souvent, ce sont ceux qui ont le moins de raisons d’être « désespérés » qui se drapent derrière le « désespoir » des autres pour justifier leurs propres penchants. Vous le dites vous-même d’ailleurs, lorsque vous utilisez le mot « jouer » pour qualifier les « blacks blocks ». Leur violence est ludique, elle n’a rien à voir avec un « désespoir » quelconque.
[Au fond comme les GJ, privé de grève et privé de moyen de se faire entendre (les structures syndicales ne jouant plus ce rôle) se disent qu’en cassant tout ils seront écoutés.]
Encore faudrait-il avoir quelque chose à dire. Les GJ, eux, expriment un réel désespoir devant une situation où les classes populaires ont perdu toute influence dans la sphère politique. Mais qu’ont à dire les « blacks blocks » ? Vos « jeunes désespérés » seront tous notaires à 40 ans…
[Bilan ? Incertain de mon côté. Je pense que Macron n’avait pas la police dans a poche, mais les violences des manifestants ont été un moyen de se les mettre dans la poche. C’est l’occasion de mesures sécuritaire, de tester de nouveaux jouets sur les manifestants.]
Je doute que la cote de Macron soit très haute dans la police. Je vous surprends encore une fois avec une métaphore « ludique » pour parler de la violence. Plus haut vous parliez des « jeunes qui jouent aux black blocks », ici vous me dites que les policiers « testent de nouveaux jouets ». Désolé, mais connaissant le milieu policier, je peux vous assurer que pour eux la violence n’est nullement un jeu, et qu’ils seraient indignés qu’on puisse penser que les armes sont pour eux des « jouets » que les manifestations violentes leur donneraient l’opportunité « de tester ». Je peux vous assurer que recevoir un pavé sur la gueule ou être brûlé par un cocktail Molotov, cela n’amuse personne.
Certains manifestants, notamment les jeunes, s’imaginent que la vie est un jeu vidéo. Ils voient dans les manifestations l’opportunité de « jouer » à casser des vitrines ou à projeter des objets sur les forces de l’ordre – toutes choses qu’ils n’oseraient pas faire en temps normal – sans que cela porte à conséquence. Et ils sont tout scandalisés lorsqu’ils sont blessés, comme si ce n’était pas la conséquence logique du risque pris. Il est vrai que dans le jeu vidéo, une fois l’ordinateur éteint tout s’efface…
Pour les policiers, la manifestation n’est pas une sortie du samedi. C’est leur métier. Le manifestant qui lance le cocktail Molotov en fera un souvenir qu’il encadrera et qu’il racontera l’œil ému à ses petits-enfants. Mais pour le policier, recevoir le dit cocktail sur la gueule, c’est un accident de travail. Le manifestant choisit de prendre le risque, pas le policier.
[Au risque d’être contredit je trouve que les GJ sont un peu des gauchistes et un peu des “populistes” en même temps…]
Je ne pense pas qu’on puisse parler des GJ autrement que comme un mouvement d’expression. Il n’y a derrière aucun véritable projet politique.
Me revient en tête le texte de Pasolini suite à mai 68, où il disait qu’ils se sentait + proche des flics que des étudiants
https://www.lirelasuite-francoisbazin.fr/quand-pasolini-jugeait-les-nouveaux-revoltes/
Non seulement j’aime le style (en VO ça doit être très beau), mais en plus je trouve que ça reste très contemporain. Cette charge envers les bobos grotesques révoltés dans un état de droit et une société prospère est pleine d’acuité.
@ Bannette
[Non seulement j’aime le style (en VO ça doit être très beau), mais en plus je trouve que ça reste très contemporain. Cette charge envers les bobos grotesques révoltés dans un état de droit et une société prospère est pleine d’acuité.]
Remarquable. Et visionnaire!
[En matière de manifestations, on ne fait jamais trop… 😉]
Et ce mois-ci va être chargé !
[La non-déclaration des manifestations, la volonté de les organiser dans les quartiers proches de l’Elysée traditionnellement interdits pour des raisons de sécurité et le blocage de la circulation me paraissent traduire dès le départ la volonté de se placer dans une logique de rapport de force. ]
Tout à fait. Mais initialement pas dans une logique de violence (matériel) mais de blocage en journée (les gens rentrent chez eux le soir comme des grands, c’est pas des bourgeois citadin qui occupe une place près de chez eux a Republique par exemple).
[Vous avez une minute pour répondre.]
Il est évident que la police c’est retrouvé débordé et qu’il y a eu des dysfonctionnement en matière de communication (notamment le 1er décembre). Néanmoins les coups de matraque sur les mains de journalistes, ou les tirs de LBD dans la tête de dos comme à Bordeaux ce n’est ni justifié ni justifiable et encore moins pardonnable (lisez le Siné Mensuel de cet été, le bonhomme est devenu taré a cause des séquelles au cerveau… ). C’est autant de choses qui ne passe pas et elles sont tellement nombreuses… Surtout quand elles ont lieu alors qu’il n’y a pas de débordement au préalable !
Le problème vient en parti des doctrines de maintien de l’ordre (nasser les gens par exemple, sans sortie- sauf s’il y a des Gendarmes, ils sont sympa la dessus). De flics qui s’amusent a tirer sur les manifestants. De la présence de la BAC (sur Nantes ils sont juste la pour casser du manifestants… ). De provocations. De gazer des cortèges en entier (au lieu de cibler les 5 gugus qui foutent le bordel). Et des donneurs d’ordres en haut, qui savent très bien jouer leur carte pour avoir ce qu’ils veulent (manif tranquille, image de violence, etc).
Je vous invite a voir l’interview du camarade Alexandre Langlois sur Thinkerview concernant ces points. Quand sa vient de la police c’est peut être plus percutant.
Est-ce complotiste de penser que les autorité ont ordonnées aux forces de l’ordre de pratiquer une répression forte dès le début, dans le but de liguer les gilets jaunes contre les forces de l’ordre et inversement ?
[L’autorité a peur d’aller trop loin]
BAC et Police a part (qui ne sont pas formé pour ça… ), je me permets et tant si pour les copains GJ qui détestent que je dise ça de souligner le professionnalisme des CRS et des gendarmes.
[A mon sens, c’est là la pire erreur du gouvernement. Ce qu’il n’a pas accordé aux protestataires pacifiques, elle l’a donné après les violences, justifiant l’idée que seule la violence paye.]
En même temps… On a rien sans rien. La grève est moins violente (encore que) et efficace économiquement, mais privé de ce moyen il ne reste que la violence aux gens non ? Pas étonnant qu’ils laissent faire les BB…
[Leur violence est ludique, elle n’a rien à voir avec un « désespoir » quelconque.]
Oui je ne me fais pas d’illusion sur le fait que c’est un jeu. J’aurais du nuancer sur le désespoir, mais il concerne certains malgré tout.
[Désolé, mais connaissant le milieu policier, je peux vous assurer que pour eux la violence n’est nullement un jeu, et qu’ils seraient indignés qu’on puisse penser que les armes sont pour eux des « jouets » que les manifestations violentes leur donneraient l’opportunité « de tester ».]
Exemple : des membres de la BAC qui se marre en tirant au LBD sur des cibles qu’ils pointent du doigts eux même. Cible qui sont des manifestants en gilet jaune, qui ne font rien de mal. Ils disent <> quand ils font mouche. C’est pas un jeu ça ?
[ Et ils sont tout scandalisés lorsqu’ils sont blessés]
Sauf qu’ils ne sont pas (le jeu consiste a se cacher parmi les manifestants et sortir de la discrètement).
Par contre les blessés qui n’ont rien fait ?
C’est pas un jeu d’aller dans le gaz lacrymo donner des coups de matraque aux gens déboussolés ? J’ai de la chance d’avoir une gueule d’intello, j’ai juste eu le droit a des insultes. Pendant ce temps des gens ont trouvé refuge dans un resto dans lequel une grenade lacrymo a échoué, ils ont manqué d’être tué. Ce jour que je décris : 0,000 violences en amont.
Faut aller sur le terrain voir. Il y a encore 1 an j’aurais aussi dis que ça ne pouvait pas être un jeu pour les forces de l’ordre.. Mais le vécu me donne l’impression du contraire.
Quant aux cocktails molotov je n’en ai pas vu. Quelques pierres, du verres, oui. D’ailleurs la dessus je salue tout ceux qui vont en manif pour ne pas en avoir ramener… Ça cause tout le temps de ne pas être pacifique mais ils sont armé en face.
@ Yoann
[Tout à fait. Mais initialement pas dans une logique de violence (matériel) mais de blocage en journée (les gens rentrent chez eux le soir comme des grands, c’est pas des bourgeois citadin qui occupe une place près de chez eux a Republique par exemple).]
Le blocage de la circulation, la manifestation non déclarée dans un quartier sensible du point de vue de la sécurité oblige l’Etat à réagir. Et en l’absence d’un représentant avec qui négocier cette réaction, l’Etat peut difficilement faire autre chose qu’utiliser la violence légitime dont il est le détenteur. C’est ce que je vous disais plus bas : vous êtes policier, vous avez la foule devant vous qui essaye d’avancer. Qu’est-ce que vous faites ?
[« Vous avez une minute pour répondre. » Il est évident que la police c’est retrouvé débordé et qu’il y a eu des dysfonctionnements en matière de communication (notamment le 1er décembre). Néanmoins les coups de matraque sur les mains de journalistes, ou les tirs de LBD dans la tête de dos comme à Bordeaux ce n’est ni justifié ni justifiable et encore moins pardonnable.]
Je note que vous ne répondez pas à la question que je vous pose. Je vous demande ce que vous faites, vous me répondez ce que vous ne feriez pas. Quand vous donnez l’ordre d’utiliser les matraques, vous prenez le risque que quelqu’un se fasse taper sur les mains. Si vous donnez l’ordre de tirer au LBD, l’erreur ou l’accident sont toujours possibles. Alors, vous faites quoi ? Vous donnez l’ordre de ranger les matraques et les LBD et d’offrir des roses aux manifestants ?
[Le problème vient en parti des doctrines de maintien de l’ordre (nasser les gens par exemple, sans sortie- sauf s’il y a des Gendarmes, ils sont sympa la dessus). De flics qui s’amusent à tirer sur les manifestants. De la présence de la BAC (sur Nantes ils sont juste là pour casser du manifestants… ).]
Encore une fois, vous croyez vraiment que les policiers « s’amusent » lorsqu’ils font du maintien de l’ordre ? Que c’est un jeu pour eux ? Que des policiers qui ont vu des collègues se faire détruire se « vengent » en tirant sur les manifestants, c’est très possible. C’est inacceptable, mais pas irrationnel. Mais imaginer que les policiers « s’amusent » dans ce contexte ? Si vous pensez cela, vous ne connaissez pas les policiers.
[De provocations. De gazer des cortèges en entier (au lieu de cibler les 5 gugus qui foutent le bordel).]
Sauf qu’il est très difficile de gazer 5 personnes mobiles qui se promènent dans un cortège, d’autant plus qu’on ne sait pas s’ils ne sont que cinq, et quelle sera la réaction des autres. Chercher à manifester à deux pas de l’Elysée, c’est-à-dire dans un contexte où tout débordement peut avoir des conséquences politiques graves, c’est mettre les forces de l’ordre en difficulté. Faut pas se plaindre ensuite.
[Est-ce complotiste de penser que les autorité ont ordonnées aux forces de l’ordre de pratiquer une répression forte dès le début, dans le but de liguer les gilets jaunes contre les forces de l’ordre et inversement ?]
Aussi longtemps qu’on ne présente aucun élément qui accrédite une telle volonté, oui.
[BAC et Police a part (qui ne sont pas formé pour ça… ), je me permets et tant pis pour les copains GJ qui détestent que je dise ça de souligner le professionnalisme des CRS et des gendarmes.]
Normal. Les CRS et les gendarmes mobiles sont formés pour le maintien de l’ordre, ils font cela tout le temps et connaissent bien les dynamiques des manifestations. Mais lorsqu’on manifeste dans tout le pays tous les samedis et qu’on occupe les ronds-points en continu, les CRS et les moblots ne peuvent fournir assez d’effectifs. Et à ce moment-là, que feriez-vous si vous étiez préfet ? Vous mobilisez les ressources que vous avez : BAC, police, gendarmerie de proximité. Des gens qui ne sont pas aussi bien formés, qui ne connaissent pas les réactions d’une foule. Et cela augmente exponentiellement le risque d’une « bavure ». Mais encore une fois, si vous étiez préfet et confronté à cette situation, que faites-vous ?
[« A mon sens, c’est là la pire erreur du gouvernement. Ce qu’il n’a pas accordé aux protestataires pacifiques, elle l’a donné après les violences, justifiant l’idée que seule la violence paye. » En même temps… On a rien sans rien. La grève est moins violente (encore que) et efficace économiquement, mais privé de ce moyen il ne reste que la violence aux gens non ? Pas étonnant qu’ils laissent faire les BB…]
Une société civilisée est une société où il existe un consensus pour que les rapports de force puissent s’exprimer sans qu’il soit nécessaire d’arriver au sang. En 1968, le gouvernement n’a jamais perdu le contact avec les syndicats, ils ont évalué le rapport de force et compris qu’il fallait céder. A partir de là, ils ont négocié et satisfait les revendications avant qu’on en arrive à la violence. Et de leur côté, les syndicats ont contrôle les éléments les plus intransigeants pour éviter la confrontation violente. Et cela n’est qu’un exemple extrême. Jusqu’à il y a quelques années, lorsqu’une grève « dure » éclatait, le préfet convoquait patrons et salariés autour d’une table, évaluait le rapport de force, et faisait pression sur les uns et sur les autres pour aboutir à un accord. Et si le rapport de force était favorable aux salariés, le préfet refusait souvent l’intervention des forces de l’ordre demandé par l’employeur pour éviter une confrontation violente.
J’aurais tendance à dire que le problème aujourd’hui est que beaucoup de dirigeants n’ont pas d’anticipation. Ils ne cèdent que lorsqu’ils n’ont pas le choix, mais n’anticipent pas une telle situation. Et du coup, ils n’arrivent pas à faire des concessions avant d’arriver à une situation limite. Il est vrai que l’évaluation des rapports de force nécessite une culture politique et une expérience vitale que beaucoup d’élus n’ont pas.
[Désolé, mais connaissant le milieu policier, je peux vous assurer que pour eux la violence n’est nullement un jeu, et qu’ils seraient indignés qu’on puisse penser que les armes sont pour eux des « jouets » que les manifestations violentes leur donneraient l’opportunité « de tester ».]
[Exemple : des membres de la BAC qui se marre en tirant au LBD sur des cibles qu’ils pointent du doigts eux même. Cible qui sont des manifestants en gilet jaune, qui ne font rien de mal. Ils disent quand ils font mouche. C’est pas un jeu ça ?]
Pourrais-je savoir d’où vous tenez cet exemple ? Je veux bien qu’il y ait des sadiques dans la Police, il y en a partout. Il y a probablement aussi des « gilets jaunes » qui lancent des pavés sur les policiers et comptent les points. Mais je doute fort que dans un cas comme dans l’autre ce soit la généralité.
[C’est pas un jeu d’aller dans le gaz lacrymo donner des coups de matraque aux gens déboussolés ? J’ai de la chance d’avoir une gueule d’intello, j’ai juste eu le droit a des insultes. Pendant ce temps des gens ont trouvé refuge dans un resto dans lequel une grenade lacrymo a échoué, ils ont manqué d’être tué. Ce jour que je décris : 0,000 violences en amont.]
Je ne peux donner un avis sur une situation que je ne connais pas. Cela se passait ou ? C’était une manifestation déclarée ?
[Quant aux cocktails molotov je n’en ai pas vu.]
On n’était pas au même endroit, de toute évidence…
@Descartes
> Mais imaginer que les policiers « s’amusent » dans ce contexte ? Si vous pensez cela, vous ne connaissez pas les policiers.
Est-ce que vous ne seriez pas en train d’essentialiser « les policiers » ? Il paraît tout de même probable qu’il y ait des mentalités assez diverses au sein des effectifs de police, ceci d’autant plus qu’il y a des corps très variés au sein de la police. Il est évident, par exemple, que la BAC va importer dans les situations de maintien de l’ordre des comportements et des attitudes qui sont peut-être adaptés pour la lutte contre la délinquance violente, mais qui ne le sont pas face à des citoyens lors d’une manifestation politique (quels que soient les débordements).
> Pourrais-je savoir d’où vous tenez cet exemple ? Je veux bien qu’il y ait des sadiques dans la Police, il y en a partout.
La question n’est pas de savoir s’il y a des sadiques. Mais si les consignes, les modalités d’organisation et le contrôle disciplinaire tendent à empêcher les sadiques de donner libre cours à leurs passions, ou au contraire si on leur lâche la bride (de façon probablement intéressée, au moins en ce qui concerne l’autorité politique).
C’est un peu la même question que vous posez quant aux GJ et à leur (non-)organisation (délibérée ?) qui laisse libre cours à l’expression des minorités violentes. Mais je dirais que c’est une question plus pressante en ce qui concerne la police, puisque dans ce cas l’autorité hiérarchique existe bel et bien.
> Mais encore une fois, si vous étiez préfet et confronté à cette situation, que faites-vous ?
Du point de vue du citoyen confronté à ces agissements, la question n’est pas forcément très intéressante. Le préfet est l’exécutant des volontés de la puissance publique. Que le préfet soit contraint par des décisions de politique générale, cela déplace éventuellement le problème mais cela ne l’élimine pas.
@ Ian Brossage
[« Mais imaginer que les policiers « s’amusent » dans ce contexte ? Si vous pensez cela, vous ne connaissez pas les policiers ». Est-ce que vous ne seriez pas en train d’essentialiser « les policiers » ?]
Je ne vois pas en quoi. Dire que les mineurs de fond ne s’amusent pas lorsqu’ils descendent au fond de la mine n’essentialise en rien ce corps de métier.
[Il paraît tout de même probable qu’il y ait des mentalités assez diverses au sein des effectifs de police, ceci d’autant plus qu’il y a des corps très variés au sein de la police. Il est évident, par exemple, que la BAC va importer dans les situations de maintien de l’ordre des comportements et des attitudes qui sont peut-être adaptés pour la lutte contre la délinquance violente, mais qui ne le sont pas face à des citoyens lors d’une manifestation politique (quels que soient les débordements).]
Certainement. Mais le policier ne va pas réprimer comme on va au spectacle. Le manifestant choisit la date et l’heure, et s’il n’a pas envie d’y aller parce qu’il fait mauvais, parce qu’il s’est battu avec sa femme, parce qu’il préfère aller faire une course ou partir en week-end, il n’y va pas. Le policier, lui, va ou son chef lui dit d’aller et fait ce que son chef lui dit de faire. Et s’il ne veut pas y aller, c’est le même tarif. Les manifestants sont des amateurs de la manifestation, les policiers sont des professionnels du maintien de l’ordre. Le manifestant veut arriver à l’Elysée, le policier n’aspire qu’à rentrer chez lui sans trop de bobos. C’est pour cela qu’on ne peut pas transposer le côté « ludique » des manifestants et le plaquer sur les forces de l’ordre.
[La question n’est pas de savoir s’il y a des sadiques. Mais si les consignes, les modalités d’organisation et le contrôle disciplinaire tendent à empêcher les sadiques de donner libre cours à leurs passions, ou au contraire si on leur lâche la bride (de façon probablement intéressée, au moins en ce qui concerne l’autorité politique).]
Pensez-vous que ce soit vraiment le cas ? Etant donné le coût politique qu’implique chaque « bavure », je vois mal le gouvernement cherchant à les provoquer. Le gouvernement aurait certainement gagne bien plus si les manifestations s’étaient passées dans le calme et la bonne humeur. En agissant ainsi, il aurait montré son sang froid et sa capacité à contrôler les situations. Et puis, cela ne lui aurait pas coûté les 17 milliards lâchés le soir du saccage de l’Arc de Triomphe !
C’est une constante de l’histoire politique française : jamais la violence déchainée dans la rue n’a profité au gouvernement en place. C’est d’ailleurs pourquoi les « blacks blocks » agissent comme ils le font : ils savent l’effet désastreux qu’a sur l’opinion le spectacle d’un gouvernement incapable de prévenir les bris de vitrines et les saccages.
[« Mais encore une fois, si vous étiez préfet et confronté à cette situation, que faites-vous ? » Du point de vue du citoyen confronté à ces agissements, la question n’est pas forcément très intéressante. Le préfet est l’exécutant des volontés de la puissance publique.]
Le préfet n’est pas qu’une marionnette dont on tirerait les fils à Matignon. Au-delà des instructions qu’il reçoit du gouvernement, il est aussi le gardien de la loi et de l’ordre public. Si le gouvernement lui donne des objectifs, c’est lui qui décide du dispositif et donne les ordres. Il a le choix entre utiliser seulement les CRS et mobiles (au risque de manquer d’effectifs) ou de mobiliser l’ensemble des ressources policières (au risque de mettre des personnels non formés dans des situations critiques). La question est donc parfaitement pertinente : que feriez-vous à sa place ?
@Descartes
> Dire que les mineurs de fond ne s’amusent pas lorsqu’ils descendent au fond de la mine n’essentialise en rien ce corps de métier.
Si. Mais dans ce cas, l’essentialisation est à peu près justifiée car le travail à la mine est un calvaire qui ne peut guère se justifier que par le besoin de gagner sa croûte (rigoureusement cependant, il faudrait dire « la plupart des mineurs de fond ne s’amusent pas quand … »). La situation d’un policier n’est pas forcément très enviable matériellement (ce n’est tout de même pas le travail à la mine…), mais ce n’est pas uniquement le désir de gagner sa croûte qui commande l’engagement dans ce métier. D’autre part, il est probable qu’il y a une fraction de policiers (notamment dans des unités de type BAC) pour qui le frisson de l’intervention, de l’utilisation experte de la violence ou de la contrainte physique, de la confrontation, constitue une motivation réelle.
En niant cette possibilité, je pense effectivement que vous essentialisez les policiers en construisant un « policier type » à qui tous les policiers ressembleraient, en fonction de vos rencontres et de vos choix d’interprétation de ces rencontres.
> Etant donné le coût politique qu’implique chaque « bavure », je vois mal le gouvernement cherchant à les provoquer.
Ah bon ? J’avoue que j’ai du mal à voir de quel coût politique vous parlez…
Plus précisément, ce coût politique semble largement dépendre de deux facteur :
1) la capacité de mobilisation autour d’une bavure par ceux qui ont intérêt à la dénoncer
2) la dépendance du gouvernement à l’égard d’une frange de l’électorat qui est sensible à ces « bavures »
Sous Hollande, le cas Rémi Fraisse a correspondu à une maximisation de ces deux conditions avec des relais puissants sur le plan politique et médiatique qui ont martelé le message de la « bavure » (voire, pire de l’« assassinat politique »). Par ailleurs, Hollande était tributaire de la frange écolo et anti-autoritariste de son électorat et cela a donc eu un coût politique important.
Pour Macron, c’est plutôt l’inverse. D’une part, les multiples blessures, certaines très graves voire irréversibles (oeil arraché…) aux GJ concernent une population dont la capacité à faire valoir médiatiquement ses « martyrs » est quasiment nulle. D’autre part, Macron n’est nullement tributaire d’un électorat qui pourrait être sensible à ces thématiques : au contraire, il s’en fout.
Je vous signale que vous-même, il y a quelques mois, aviez fort justement remarqué qu’un gilet jaune qui s’était fait écraser sur un rond point par un automobiliste avait suscité fort peu de commisération dans les médias et le monde politique, au contraire de ce qui a pu se passer pour d’autres types de militants politiques dans des circonstances pourtant beaucoup plus troubles (cf. Remi Fraisse). Et maintenant vous affirmez que les blessures de GJ lors de manifestations auraient désormais un coût politique lourd ? Je ne comprends pas ce qui motive ce changement de position de votre part, alors que le traitement médiatique du mouvement n’est pas plus favorable.
> Et puis, cela ne lui aurait pas coûté les 17 milliards lâchés le soir du saccage de l’Arc de Triomphe !
Les 17 milliards, ce n’est pas lui qui les paie : je ne vois pas trop en quoi c’est un coût, sauf si cela a fait baisser sa popularité, ce qui n’est pas prouvé.
Sur le plan politique, tout cela ne semble pas avoir arrêté le train des réformes. En tout cas la réforme des retraites est en train de s’approcher…
Non, franchement, je ne vois pas quel « coût politique » supplémentaire Macron a payé du fait des blessures de GJ.
> C’est une constante de l’histoire politique française : jamais la violence déchainée dans la rue n’a profité au gouvernement en place.
Cela me paraît difficile à prouver. Il faudrait pouvoir comparer toutes choses égales par ailleurs deux situations : l’une où les violences ont lieu, l’autre où elles n’ont pas lieu.
En tout cas, je remarque que la présence de manifestants de plus en plus violents, mais aussi le comportement de plus en plus brutal des policiers eux-mêmes (quelle que soit la _raison_ de cette augmentation de brutalité), ne semble pas poser de problème de maintien au pouvoir pour les gouvernements successifs.
> C’est d’ailleurs pourquoi les « blacks blocks » agissent comme ils le font : ils savent l’effet désastreux qu’a sur l’opinion le spectacle d’un gouvernement incapable de prévenir les bris de vitrines et les saccages.
Vous m’étonnez vraiment… Franchement je pense que vous accordez aux black bloc une pensée stratégique qui n’existe nullement chez eux, qui sont là par pur désir cathartique et par fascination pour la violence politique. Et vous oubliez que le déchaînement des black block a surtout un effet désastreux pour les mouvements auxquels ils se mêlent, qui sont sempiternellement accusés de complicité ou de connivence avec les fauteurs de trouble (voire, d’en être la source).
Si les black bloc avaient une véritable pensée stratégique, ils commenceraient par faire le constat que les gouvernements ne vacillent jamais malgré les violences et dégradations, et que peut-être leur démarche est inefficace (et évidemment elle l’est totalement).
> La question est donc parfaitement pertinente : que feriez-vous à sa place ?
Elle est d’abord absurde, parce que je ne pourrais pas être à sa place sans avoir des connaissances que je n’ai pas actuellement. Mais le sous-entendu de cette question (qu’on ne puisse critiquer si on ne peut proposer une solution clé en main) est intellectuellement inacceptable et pratiquement désastreux. Si un plombier intervient chez moi et laisse des robinets qui fuient, je suis parfaitement autorisé à critiquer son travail même si je suis incapable de dire ce qu’il aurait fallu faire pour que les robinets ne fuient pas.
Je répète donc que cette question est peut-être pertinente pour le préfet et pour les services de l’État qui étudient les stratégies de maintien de l’ordre, elle ne l’est pas pour le citoyen qui dénonce ce qu’il considère (à tort ou à raison) comme des comportements inacceptables dans les situations de maintien de l’ordre.
@ Ian Brossage
[« Dire que les mineurs de fond ne s’amusent pas lorsqu’ils descendent au fond de la mine n’essentialise en rien ce corps de métier. » Si.]
Non. J’essentialiserais si je disais qu’ils ne s’amusent pas PARCE QU’ILS SONT MINEURS DE FOND, et que n’importe quel autre homme qui ne serait pas mineur de fond pourrait s’amuser dans une telle situation. Le fait que les mineurs de fond ne s’amusent pas en descendant dans la mine ne tient pas à l’essence du mineur de fond : c’est une situation dans laquelle PERSONNE ne s’amuserait. Mais le fait est que seuls les mineurs de fond la vivent. Et c’est la même chose pour la police. Je doute beaucoup que la situation de maintien de l’ordre « amuseraient » quiconque serait obligé de les vivre.
Je l’impression que vous utilisez le mot « essentialisation » dans un sens qui n’est pas celui utilisé par le commun des mortels. « Essentialiser », c’est attribuer une caractéristique à l’essence d’une personne, et non à son expérience, sa vie, son passé, ses choix. Dire que « les noirs sont comme ci ou comme ça » c’est essentialiser, parce que le fait d’être noir ne dépend nullement de l’expérience vitale, du passé ou des choix que fait l’individu. Mais dire « les délinquants vont en prison » n’est pas « essentialiser », parce que personne ne nait délinquant, que je sache. Etre noir est une caractéristique « essentielle », être délinquant non.
[La situation d’un policier n’est pas forcément très enviable matériellement (ce n’est tout de même pas le travail à la mine…),]
Par certains côtés, c’est pire. Quand vous travaillez à la mine, le charbon ne risque pas de venir à votre domicile menacer votre famille ou rayer votre voiture. Le travail du policier est certainement moins dur physiquement que celui du mineur, mais psychologiquement bien plus dur. Et vous n’avez même pas la considération sociale pour compenser.
[D’autre part, il est probable qu’il y a une fraction de policiers (notamment dans des unités de type BAC) pour qui le frisson de l’intervention, de l’utilisation experte de la violence ou de la contrainte physique, de la confrontation, constitue une motivation réelle.]
Vous avez une vision un peu trop cinématographique du métier de policier. Je me suis intéressé un peu à ce milieu, et je peux vous dire que vous faites erreur. Oui, il existe chez les jeunes policiers qui débutent dans le métier le côté « adrénaline » de la chose. Mais il ne faut pas oublier que cela devient très vite une routine. Oui, votre première arrestation d’un petit dealer est peut-être très excitante, la deuxième, la troisième, la dixième aussi… mais lorsque cela se répète avec la régularité d’un métronome, et que vous voyez le dealer que vous avez arrêté revenir dans son hall d’immeuble quelques jours plus tard pour recommencer la ronde, ça perd beaucoup de son charme. C’est d’ailleurs pourquoi lorsque vous parlez à des policiers de vingt-cinq ans vous trouvez pas mal d’enthousiasme, lorsque vous les retrouvez à quarante ils sont cassés et ne croient plus à rien.
[En niant cette possibilité, je pense effectivement que vous essentialisez les policiers en construisant un « policier type » à qui tous les policiers ressembleraient, en fonction de vos rencontres et de vos choix d’interprétation de ces rencontres.]
J’ai l’impression que vous confondez « essentialiser » et « généraliser ». Je veux bien admettre que toute généralisation est abusive, et que là où j’ai écrit « les policiers » j’aurais du écrire « l’immense majorité des policiers ». Mais je rejette toute « essentialisation ».
[« Etant donné le coût politique qu’implique chaque « bavure », je vois mal le gouvernement cherchant à les provoquer. » Ah bon ? J’avoue que j’ai du mal à voir de quel coût politique vous parlez…]
Vous vous souvenez de Malik Oussekine ? De Rémi Fraisse ?
[Plus précisément, ce coût politique semble largement dépendre de deux facteur :
1) la capacité de mobilisation autour d’une bavure par ceux qui ont intérêt à la dénoncer
2) la dépendance du gouvernement à l’égard d’une frange de l’électorat qui est sensible à ces « bavures »]
Vous oubliez un paramètre qui a aussi une grande importance : l’origine sociale de la victime de la bavure. Les classes intermédiaires ne pardonnent pas lorsque la victime est l’un de leurs rejetons. Elles sont beaucoup plus compréhensives lorsque la victime est un ouvrier gréviste. Les bavures lors des manifestations de « gilets jaunes » sont dangereuses pour le pouvoir précisément parce qu’il est difficile de savoir à priori quelle pourrait être la victime. Gare à vous si vous éborgnez un étudiant ou un journaliste…
[Pour Macron, c’est plutôt l’inverse. D’une part, les multiples blessures, certaines très graves voire irréversibles (oeil arraché…) aux GJ concernent une population dont la capacité à faire valoir médiatiquement ses « martyrs » est quasiment nulle. D’autre part, Macron n’est nullement tributaire d’un électorat qui pourrait être sensible à ces thématiques : au contraire, il s’en fout.]
Je ne le crois pas. L’électorat macroniste regroupe largement le centre-gauche et le centre-droit. Si le centre-droit tend à considérer que les manifestations sont illégitimes par essence et que les manifestants n’ont que ce qu’ils méritent, c’est beaucoup moins évident dans son électorat de centre-gauche. Ce n’est pas forcément perceptible aujourd’hui, mais je pense que la répétition d’affaires comme celle de Nantes usent lentement mais sûrement le potentiel électoral de LREM.
[Je vous signale que vous-même, il y a quelques mois, aviez fort justement remarqué qu’un gilet jaune qui s’était fait écraser sur un rond point par un automobiliste avait suscité fort peu de commisération dans les médias et le monde politique, au contraire de ce qui a pu se passer pour d’autres types de militants politiques dans des circonstances pourtant beaucoup plus troubles (cf. Remi Fraisse). Et maintenant vous affirmez que les blessures de GJ lors de manifestations auraient désormais un coût politique lourd ?]
Vous noterez tout de même que les gilets jaunes écrasés dans les ronds points ne l’ont pas été par les forces de l’ordre. Il ne me semble donc pas qu’on puisse les considérer dans une réflexion sur la violence policière.
[« Et puis, cela ne lui aurait pas coûté les 17 milliards lâchés le soir du saccage de l’Arc de Triomphe ! » Les 17 milliards, ce n’est pas lui qui les paie : je ne vois pas trop en quoi c’est un coût, sauf si cela a fait baisser sa popularité, ce qui n’est pas prouvé.]
C’est 17 milliards de moins à distribuer à ses amis.
[Sur le plan politique, tout cela ne semble pas avoir arrêté le train des réformes. En tout cas la réforme des retraites est en train de s’approcher…]
A voir. Il est clair que le gouvernement aujourd’hui n’a pas les mêmes marges de manœuvre qu’il avait il y a un an, et qu’il le sait. Il n’y a qu’à voir la prudence avec laquelle il s’engage dans la réforme des retraites. Dire que le mouvement des GJ n’a rien changé me paraît un peu exagéré.
[« C’est une constante de l’histoire politique française : jamais la violence déchainée dans la rue n’a profité au gouvernement en place. » Cela me paraît difficile à prouver. Il faudrait pouvoir comparer toutes choses égales par ailleurs deux situations : l’une où les violences ont lieu, l’autre où elles n’ont pas lieu.]
Vous savez bien que la méthode expérimentale n’est pas utilisable en histoire. La seule chose qu’on puisse dire, c’est que les gouvernements qui sont apparus trop faibles pour maintenir l’ordre public ont été rapidement rejetés par les Français.
[En tout cas, je remarque que la présence de manifestants de plus en plus violents, mais aussi le comportement de plus en plus brutal des policiers eux-mêmes (quelle que soit la _raison_ de cette augmentation de brutalité), ne semble pas poser de problème de maintien au pouvoir pour les gouvernements successifs.]
C’est logique : plus la violence des manifestants est grande, et plus la population est prête à accepter que le gouvernement ait recours à des mesures brutales pour protéger l’ordre public. Je pense qu’il ne faut jamais sous-estimer l’attachement de nos concitoyens à l’ordre – et donc à un Etat capable de le maintenir. Les Français peuvent pardonner beaucoup de choses à leurs dirigeants, mais ils ne leur pardonneront pas de laisser le chaos s’installer. La formule gaullienne « la contestation oui, la chienlit non » résume parfaitement la tradition française.
[« C’est d’ailleurs pourquoi les « blacks blocks » agissent comme ils le font : ils savent l’effet désastreux qu’a sur l’opinion le spectacle d’un gouvernement incapable de prévenir les bris de vitrines et les saccages. » Vous m’étonnez vraiment… Franchement je pense que vous accordez aux black bloc une pensée stratégique qui n’existe nullement chez eux, qui sont là par pur désir cathartique et par fascination pour la violence politique.]
Ce n’est pas contradictoire. Quelques soient les ressorts individuels de l’adhésion à cette forme d’action politique, il n’en demeure pas moins que les « black blocks » ont cherché à théoriser leur posture. On trouve facilement sur le net des théories politiques justifiant ce type d’action. Ce n’est pas comparable par exemple aux « émeutes » de 2005, ou l’on jouait à incendier des voitures dans une sorte d’émulation entre quartiers, sans aucune justification théorique ou politique.
[Et vous oubliez que le déchaînement des black blocks a surtout un effet désastreux pour les mouvements auxquels ils se mêlent, qui sont sempiternellement accusés de complicité ou de connivence avec les fauteurs de trouble (voire, d’en être la source).]
Désastreux dans certains milieux, certainement. Mais je ne peux que constater qu’il n’y a pas dans la « gauche radicale » ou dans le mouvement syndical un rejet général de cette forme d’action. Ce qui me laisse penser que le diagnostic que vous faites n’est pas universellement partagé. En tout cas, l’affaire des 17 milliards lâchés un soir de violence tend à accréditer à gauche l’idée que les « black blocks » ont plutôt un rôle positif… Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer le fait que pour des couches populaires privées de tout outil politique, la violence est une tentation toujours présente.
[Si les black bloc avaient une véritable pensée stratégique, ils commenceraient par faire le constat que les gouvernements ne vacillent jamais malgré les violences et dégradations, et que peut-être leur démarche est inefficace (et évidemment elle l’est totalement).]
Les 17 milliards lâchés en une soirée tendent à prouver le contraire. Aujourd’hui, les couches populaires n’ont que deux moyens de se faire entendre : voter « populiste » ou casser des vitrines. Ce sont les seules réactions qui font peur à la « confédération des raisonnables ».
[« La question est donc parfaitement pertinente : que feriez-vous à sa place ? » Elle est d’abord absurde, parce que je ne pourrais pas être à sa place sans avoir des connaissances que je n’ai pas actuellement. Mais le sous-entendu de cette question (qu’on ne puisse critiquer si on ne peut proposer une solution clé en main) est intellectuellement inacceptable et pratiquement désastreux.]
Vous vous méprenez sur mes intentions. Je ne vise nullement à obtenir comme réponse un point de vue d’expert. Quant au fait de critiquer sans pouvoir proposer non pas « une solution clé en main » mais au moins une réflexion sur comment on pourrait faire autrement, c’est là à mon avis l’attitude « intellectuellement inacceptable ». A quoi peut-il bien servir de critiquer le fait que le soleil se lève à l’Est ou que tous les hommes sont mortels, puisqu’il n’y a aucune alternative disponible ? Critiquer une façon d’agir n’a de sens que si l’on suppose qu’on peut faire autrement. Et la question que je vous ai posée vise précisément à amorcer cette réflexion : qu’elles sont les alternatives ?
[Si un plombier intervient chez moi et laisse des robinets qui fuient, je suis parfaitement autorisé à critiquer son travail même si je suis incapable de dire ce qu’il aurait fallu faire pour que les robinets ne fuient pas.]
La comparaison est inappropriée. Lorsqu’un plombier laisse les robinets qui fuient, vous SAVEZ qu’il existe une alternative – même si vous ne connaissez les détails techniques. Vous pouvez donc critiquer parce que vous savez qu’il est possible de faire autrement. Mais lorsque vous critiquez la politique de maintien de l’ordre du gouvernement, il n’est pas évident qu’il existe un moyen de faire mieux…
@Descartes
> Et vous n’avez même pas la considération sociale pour compenser.
Tous les sondages depuis quelques années (au moins depuis les attentats) montrent une très large sympathie de la population pour les forces de l’ordre (je vous laisse trouver sur Google, mais cela oscille selon les périodes entre 70% et 90% de confiance / d’opinions positives).
Bien sûr, cette sympathie n’existe guère chez certaines populations auxquelles les forces de l’ordre ont souvent affaire. Mais on ne peut pas dire que les policiers, gendarmes, etc. ne jouissent pas d’une bonne considération sociale.
> Vous vous souvenez de Malik Oussekine ? De Rémi Fraisse ?
Vous pouvez constater vous-même que je mentionnais Rémi Fraisse dans mon message, et que j’en faisais un élément de mon argumentation… donc je ne vois pas l’intérêt de cette question.
> Vous oubliez un paramètre qui a aussi une grande importance : l’origine sociale de la victime de la bavure.
Je n’ai pas oublié. Ce paramètre était inclus dans la « capacité de mobilisation » très différente selon les « martyrs ».
> Gare à vous si vous éborgnez un étudiant ou un journaliste…
C’est un bon point. Mais je vais le modérer ci-après :
1) je doute qu’un journaliste serait revêtu d’un gilet jaune.
2) il arrive en réalité que des journalistes subissent des violences dans les manifestations, mais tant que ce sont d’obscurs journalistes de terrain, on n’en entend finalement guère parler
3) quant aux étudiants, je doute qu’on en trouve beaucoup dans les manifs de GJ
Bref, il y a un risque, mais il est largement plus faible que face à une manifs d’écolos, de lycéens ou d’étudiants. Et surtout, il ne s’est *pas* matérialisé, donc il n’y a pas eu *pour l’instant* de coût politique important à ces blessures de manifestants.
> Vous noterez tout de même que les gilets jaunes écrasés dans les ronds points ne l’ont pas été par les forces de l’ordre. Il ne me semble donc pas qu’on puisse les considérer dans une réflexion sur la violence policière.
J’invoquais cet argument en réaction à votre affirmation selon laquelle les blessures infligées aux GJ avaient un lourd coût politique. Je vous montre que les médias et les classes moyennes se contrefichent d’un GJ *mort* sur un rond-point (écrasé par un automobiliste en colère ou apeuré), alors même que personne ne lançait des cocktails de Molotov sur qui que ce soit.
> C’est 17 milliards de moins à distribuer à ses amis.
À supposer qu’on ne puisse pas toucher au reste de l’équilibre budgétaire, oui. Par ailleurs, je trouve simpliste d’imaginer que le but de Macron soit de distribuer des billets à ses amis, là tout de suite (un peu comme s’il y avait un gang de voyous en chapeau haut de forme en train de voler dans les coffres de l’État). Son but est plutôt de modifier les structures de la société française (structures économiques, juridiques…) afin de garantir la domination durable de ses amis. Pour cela, il n’a pas besoin d’engager énormément de ressources de l’État, sauf pour apaiser la population tout en continuant la politique menée : et c’est *exactement* ce qu’il a fait avec les GJ. Ce genre de concession ponctuelle fait partie de la scénographie habituelle de la mise en oeuvre de réformes contestées, et il est même possible qu’ils avaient dans leurs tiroirs quelques mesures toutes prêtes au cas où.
> Ce n’est pas forcément perceptible aujourd’hui, mais je pense que la répétition d’affaires comme celle de Nantes usent lentement mais sûrement le potentiel électoral de LREM.
Vous pensez à la mort de Steve Caniço ? Peut-être… mais c’est une situation différente. Pas de GJ, pas de manifestation politique… Mais un « jeune » mort lors d’une intervention probablement mal dosée lors de la Fête de la Musique.
Bref, cet exemple rentre tout à fait dans le cadre de la comparaison que j’effectuais. Selon la personne / le groupe visé et les raisons de sa présence, les conséquences médiatiques d’une « bavure » peuvent être tout à fait différentes.
Mais même là, je doute que cela amoindrisse le potentiel électoral de premier tour de LREM. Celui-ci est probablement intact, à 22-24%, correspondant étroitement aux classes sociales qui bénéficient de sa politique.
La municipale à Paris va d’ailleurs être très intéressante de ce point de vue. À ce titre, je pense que certains qui s’esclaffent des âneries proférées par Villani (qui, certes, ne se grandit pas) risquent une certaine déconvenue lorsque les résultats tomberont.
> La seule chose qu’on puisse dire, c’est que les gouvernements qui sont apparus trop faibles pour maintenir l’ordre public ont été rapidement rejetés par les Français.
C’est une constante depuis quelques décennies que les gouvernements soient « rejetés », non ? Je ne sais pas si Emmanuel Macron s’imaginait sincèrement que sa politique rencontrerait une approbation massive. Mais il suffit qu’il contrôle suffisamment la situation pour continuer la politique menée… et de ce point de vue là, il ne semble pas y avoir de risque pour lui.
> il n’en demeure pas moins que les « black blocks » ont cherché à théoriser leur posture. On trouve facilement sur le net des théories politiques justifiant ce type d’action. Ce n’est pas comparable par exemple aux « émeutes » de 2005, ou l’on jouait à incendier des voitures dans une sorte d’émulation entre quartiers,
Je suis d’accord, mais quand votre théorie ne tient pas debout ou que vous ne cherchez à en tirer aucune conséquence sérieuse, on peut dire que cette théorie sert d’habillage discursif à une activité qui a en réalité d’autres motivations.
Parce que si vous allez par là, Mélenchon aussi a eu une posture théorique, et même plusieurs… mais on ne voit pas qu’il ait une pensée stratégique.
> Les 17 milliards lâchés en une soirée tendent à prouver le contraire. Aujourd’hui, les couches populaires n’ont que deux moyens de se faire entendre : voter « populiste » ou casser des vitrines. Ce sont les seules réactions qui font peur à la « confédération des raisonnables ».
Mais nous parlions de la (non-)stratégie des « black bloc », pas de la stratégie des GJ ou des couches populaires. Les couches populaires peuvent trouver quelque réconfort aux milliards lachés par Macron, pas les black bloc puisque leur objectif n’est pas d’obtenir des concessions socio-économiques mais de détruire le « système ». Les black bloc préféreraient certainement que le gouvernement s’entête puisqu’ils rêvent de l’insurrection générale qui viendrait tout balayer.
@ Ian Brossage
[« Et vous n’avez même pas la considération sociale pour compenser. » Tous les sondages depuis quelques années (au moins depuis les attentats) montrent une très large sympathie de la population pour les forces de l’ordre (je vous laisse trouver sur Google, mais cela oscille selon les périodes entre 70% et 90% de confiance / d’opinions positives).]
En d’autres termes, quand on leur crache dans la rue ou on leur jette des pierres, les policiers peuvent se consoler en pensant que devant un sondeur les gens répondent qu’ils ont une certaine sympathie pour la police ? J’ajoute qu’il ne faut pas confondre la considération qu’on peut avoir pour l’institution et celle qu’on peut avoir pour ses agents. Je ne peux que constater que dans la pratique les policiers sont bien seuls. Lorsqu’une « bavure » est dénoncée, ils sont présumés coupables et jetés en pâture à l’opinion, sans même qu’on fasse un minimum preuve de bienveillance en considérant les difficultés réelles de leur travail, et cela même lorsqu’ils sont disculpés par la Justice…
[Bien sûr, cette sympathie n’existe guère chez certaines populations auxquelles les forces de l’ordre ont souvent affaire.]
J’ignorais que les journalistes du « Monde » ou de « Libération » avaient si souvent à faire à la Police… 😉
[« Vous vous souvenez de Malik Oussekine ? De Rémi Fraisse ? » Vous pouvez constater vous-même que je mentionnais Rémi Fraisse dans mon message, et que j’en faisais un élément de mon argumentation… donc je ne vois pas l’intérêt de cette question.]
Vous pouvez constater vous-même que vous ne mentionnez PAS Malik Oussekine, la question reste donc pertinente.
[« Vous oubliez un paramètre qui a aussi une grande importance : l’origine sociale de la victime de la bavure. » Je n’ai pas oublié. Ce paramètre était inclus dans la « capacité de mobilisation » très différente selon les « martyrs ».]
Je ne sais pas ce que vous appelez « capacité de mobilisation ». Si Oussekine ou Fraisse ont fait du mal au gouvernement c’est moins à cause des « capacités de mobilisation » – au sens de la capacité à sortir les gens dans la rue – de leurs partisans, mais au fait que tous deux étaient des enfants des « classes intermédiaires », dont le pouvoir de nuisance médiatique et électoral est considérable.
[« Gare à vous si vous éborgnez un étudiant ou un journaliste… » C’est un bon point. Mais je vais le modérer ci-après : (…)]
Je ne partage pas votre vision, notamment en ce qui concerne les étudiants. Je pense qu’il ne devait pas avoir beaucoup d’étudiants sur les ronds-points, mais dans les manifestations – et notamment dans les grandes villes – c’était une autre histoire. A Paris on a vu pas mal d’étudiants dans les manifestations, et c’était le cas aussi à Toulouse si je crois des amis. Je ne saurais pas vous dire comment c’était ailleurs. Mais je vois mal les retraités casser des vitrines, incendier le mobilier urbain ou les voitures.
[Bref, il y a un risque, mais il est largement plus faible que face à une manifs d’écolos, de lycéens ou d’étudiants. Et surtout, il ne s’est *pas* matérialisé, donc il n’y a pas eu *pour l’instant* de coût politique important à ces blessures de manifestants.]
Certes. Mais le risque est toujours là. Je ne pense pas que le gouvernement ait pris ce risque le cœur léger. Quant aux policiers, et notamment à la hiérarchie policière, c’est un facteur de stress de plus, surtout si l’on tient en compte le fait qu’il a fallu mobiliser des fonctionnaires qui ne sont pas habitués au maintien de l’ordre…
[J’invoquais cet argument en réaction à votre affirmation selon laquelle les blessures infligées aux GJ avaient un lourd coût politique.]
J’ai eu tort de ne pas préciser que je parlais des blessures infligées par les forces de l’ordre. Je ne l’ai pas fait parce que cela me paraissait évident, mais il semble que cela ne soit pas évident pour tout le monde. Il est clair qu’un manifestant qui se fait écraser par un bus ou qui tombe d’une échelle ne représente pas un grand coût politique…
[« C’est 17 milliards de moins à distribuer à ses amis. » À supposer qu’on ne puisse pas toucher au reste de l’équilibre budgétaire, oui. Par ailleurs, je trouve simpliste d’imaginer que le but de Macron soit de distribuer des billets à ses amis, là tout de suite (un peu comme s’il y avait un gang de voyous en chapeau haut de forme en train de voler dans les coffres de l’État).]
Je ne crois pas avoir parlé de « billets à ses amis ». Je pensais plutôt à des réductions d’impôts pour son électorat, à des subventions aux patrons…
[Son but est plutôt de modifier les structures de la société française (structures économiques, juridiques…) afin de garantir la domination durable de ses amis.]
Aussi. Mais une réduction d’impôts par ci, une dispense de charges par-là, ça fait toujours plaisir. Je ne crois pas que la suppression de l’ISF soit un changement structurel…
[Vous pensez à la mort de Steve Caniço ? Peut-être… mais c’est une situation différente. Pas de GJ, pas de manifestation politique… Mais un « jeune » mort lors d’une intervention probablement mal dosée lors de la Fête de la Musique.]
Mais l’affaire n’est pas totalement déconnectée des GJ. Parce que les ressources policières ont été consommées au maximum et qu’il faut les reconstituer – et notamment consommer la masse de repos compensateurs – qu’on met à faire du maintien de l’ordre des gens qui ne sont pas bien formés pour.
[La municipale à Paris va d’ailleurs être très intéressante de ce point de vue. À ce titre, je pense que certains qui s’esclaffent des âneries proférées par Villani (qui, certes, ne se grandit pas) risquent une certaine déconvenue lorsque les résultats tomberont.]
En effet, on voit là s’affronter deux macronismes. D’un côté le candidat au parcours du jeune politicard socialiste classique reconverti dans le macronisme, de l’autre l’intello dandy venu de la société civile. Deux candidats qui appellent aux bobos pour des raisons très différentes…
[« La seule chose qu’on puisse dire, c’est que les gouvernements qui sont apparus trop faibles pour maintenir l’ordre public ont été rapidement rejetés par les Français. » C’est une constante depuis quelques décennies que les gouvernements soient « rejetés », non ? Je ne sais pas si Emmanuel Macron s’imaginait sincèrement que sa politique rencontrerait une approbation massive. Mais il suffit qu’il contrôle suffisamment la situation pour continuer la politique menée… et de ce point de vue là, il ne semble pas y avoir de risque pour lui.]
Il faut admettre qu’il a réussi à reprendre le contrôle de la situation. Avec le « grand débat », il a détourné les caméras de la rue, et le ministère de l’Intérieur a fini par trouver la martingale pour limiter la violence de rue. Il a aussi bénéficié du fait qu’il n’a devant lui aucune alternative sérieuse. Les GJ expriment une angoisse, un mécontentement, mais n’ont guère un projet politique qui puisse concurrencer le projet libéral-libertaire de Macron. A gauche on se complait dans la sodomisation des diptères : le PCF s’occupe en priorité de la chasse aux abus sexuels dans le Parti ; Mélenchon fait campagne sur sa nouvelle marotte, le « lawfare » ; et les socialistes n’arrivent pas à se choisir une ligne de conduite par rapport aux démons du passé. A droite chaque personnalité rêve d’égo-politique et se créée son petit micro-parti, et au RN on en est revenu au discours traditionnel de l’extrême droite réactionnaire. Dans ces conditions, il faudrait un cataclysme dans la rue pour que le gouvernement soit menacé, puisque personne n’a confiance dans les alternatives.
[Je suis d’accord, mais quand votre théorie ne tient pas debout ou que vous ne cherchez à en tirer aucune conséquence sérieuse, on peut dire que cette théorie sert d’habillage discursif à une activité qui a en réalité d’autres motivations.]
Vous avez lu « l’insurrection qui vient » ? Au-delà de l’exercice discursif, le texte dessine quand même une analyse de la société et théorise sa transformation. On peut considérer que les prémisses de départ du raisonnement sont fausses, ou que les auteurs ne retiennent que les faits qui les arrangent, mais je ne pense pas qu’on puisse simplement parler d’habillage. Et on ne peut pas dire non plus que les auteurs présumés de l’ouvrage n’aient pas cherché à tirer les conséquences de leur théorie.
[Parce que si vous allez par là, Mélenchon aussi a eu une posture théorique, et même plusieurs… mais on ne voit pas qu’il ait une pensée stratégique.]
On ne peut pas dire que Mélenchon soit un théoricien. Sa « posture théorique » est en fait un syncrétisme des différents auteurs desquels il s’est entiché puis abandonné successivement. Mais il n’y a pas vraiment un effort de donner à cet ensemble bancal une cohérence.
[Mais nous parlions de la (non-)stratégie des « black bloc », pas de la stratégie des GJ ou des couches populaires. Les couches populaires peuvent trouver quelque réconfort aux milliards lachés par Macron, pas les black bloc puisque leur objectif n’est pas d’obtenir des concessions socio-économiques mais de détruire le « système ».]
Mais cela peut expliquer pourquoi les GJ peuvent éprouver une certaine sympathie pour les « black blocks », et ne pas conclure que l’action de ces derniers porte atteinte à leur mouvement. Au contraire : certains GJ peuvent se dire que sans les « black blocks », ils n’auraient rien obtenu.
Quant aux « black blocks », leur théorie est que l’accumulation quantitative de petites actions finira par provoquer une modification qualitative du système. Ils peuvent donc être satisfaits d’un mouvement où, en faisant reculer le gouvernement, ils ont gagné la sympathie d’un large secteur de la population.
[Les black bloc préféreraient certainement que le gouvernement s’entête puisqu’ils rêvent de l’insurrection générale qui viendrait tout balayer.]
Il ne faut pas confondre les « black blocks » et les trotskystes… les “black blocks” sont “foquistes”. Ils ne voient pas de “grand soir”, mais au contraire des actions ponctuelles qui useront l’ennemi jusqu’à ce qu’il s’effondre sur lui même.
[Et en l’absence d’un représentant avec qui négocier cette réaction, l’Etat peut difficilement faire autre chose qu’utiliser la violence légitime dont il est le détenteur. ]
La violence légitime est-elle nécessaire, et si oui en quelle proportion ? On peut encadrer la manif, ne pas la nasser, ne pas provoquer. Même en l’absence de représentant on peut engager le dialogue. Avec rien d’autres que le savoir faire qu’ils ont ils savent disperser une foule sans aucune violence (déjà vu, notamment a l’approche des européennes).
Je maintiens ce que je dis : c’est une affaire de doctrine et d’ordres. Le but a été de casser du gilet jaune. C’est pas moi qui je dis, c’est un flic (qui va être dégagé de la fonction pour l’avoir trop ouvert).
[C’est ce que je vous disais plus bas : vous êtes policier, vous avez la foule devant vous qui essaye d’avancer. Qu’est-ce que vous faites ?]
Le cas hypothétiques ou la police laisse passer les manifestants et va chercher Macron a l’Elysée avec le peuple est une révolution…
Mais je sais ce que vous voulez me faire dire et au fond je m’inquiéterais s’ils le faisaient pas : j’obéis. Cependant, on peut émettre des réserves quand on est amené a blesser mortellement des gens qui n’ont rien demandé (donc je finis soit a rejoindre le camp des suicidés, soit a la place de Langlois, soit je me mets en arrêt maladie… Comme certains l’ont fait).
[Vous donnez l’ordre de ranger les matraques et les LBD et d’offrir des roses aux manifestants ?]
J’ai répondu a la question de ce que je ferais si j’étais à la place de a police. A vous de comprendre que si les manifestants ne sont plus sage en face c’est à cause des violences policières initiales. Il aurait fallu dès le début offrir des roses, en effet (dit dans un langage de policier : bouclier au pied, casque a la ceinture, lacrymo dans la poche, matraque dans le bouclier et LDB à la caserne).
Cette discussion me rappel un article de Frédérique Lordon qui se moquait des policiers qui ne font pas le rapprochement entre “tout le monde déteste la police” et les coups qu’ils ont porté plus tôt dans une foule pacifique… “La police m’a radicalisé” comme certains l’ont dit avec humour.
[Que des policiers qui ont vu des collègues se faire détruire se « vengent » en tirant sur les manifestants, c’est très possible.]
Les gendarmes ne jouent pas au tir-au-gilet-jaune. Les CRS non plus. Les policiers un peu, la BAC souvent. Venez voir par vous même.
Je dois en conclure que seul des membres de la BAC ont été prit a parti par la foule ? C’est pas les images que j’ai vu des deux manifs de décembres (c’était des gendarmes ou des policiers qui se sont retrouvé isolé a causes d’ordres défaillants).
[Vous mobilisez les ressources que vous avez : BAC, police, gendarmerie de proximité.]
Ni la BAC, ni la BRI, surtout après les premiers débordement. Même les CRS/Gendarmes s’en plaignent c’est dire…
[Mais encore une fois, si vous étiez préfet et confronté à cette situation, que faites-vous ?]
Demander a Macron de démissionner, parce que ça fait des mois que je lui dis que ça va péter et que la ça arrive ?
Sécuriser les manifestations, au lieu de les faire déborder ?
[J’aurais tendance à dire que le problème aujourd’hui est que beaucoup de dirigeants n’ont pas d’anticipation. Ils ne cèdent que lorsqu’ils n’ont pas le choix, mais n’anticipent pas une telle situation. Et du coup, ils n’arrivent pas à faire des concessions avant d’arriver à une situation limite. Il est vrai que l’évaluation des rapports de force nécessite une culture politique et une expérience vitale que beaucoup d’élus n’ont pas.]
C’est une autre explication a celle du complot. Je prends, même si je maintiens qu’un préfet peut s’arranger pour qu’une manif dégénère ou non…
[Pourrais-je savoir d’où vous tenez cet exemple ? ]
J’ai retrouvé une trace dans les inrocks (2018/12/13) ” video-fils-de-pute-dans-ta-gueule-quand-la-police-crie-de-joie-en-tirant-sur-les-gilets-jaunes ”
Mais c’est un exemple parmi tant d’autres… Un autre dont vous ne devez pas vous souvenir : le type à Bordeaux qui s’en prend un dans la tête, de dos, alors qu’il fuit la BAC, alors qu’il n’y a pas eu de casse et de violence, le tout filmé sous deux angles avec des dizaines de témoins… C’est quoi, une vengeance policière (on tolère ça maintenant ?) sur le premier venu, un acte de couardise, un amusement, une terrible bavure ? Le LBD ne tue pas c’est vrai, il casse les visages et détruits les neurones, il ruine des vies sans les prendre…
[Cela se passait ou ? C’était une manifestation déclarée ?]
Nantes. Déclaré non. Cela justifie la violence non disproportionné ?
[On n’était pas au même endroit, de toute évidence…]
Peut être pas. Pour être honnête il y a eu les violences policières des deux dates en décembre qui étaient presque justifié vu l’activité de certains groupuscules. De l’autre il y a les mêmes violences policières quand ces groupuscules ne sont pas la…
@ Yoann
[La violence légitime est-elle nécessaire, et si oui en quelle proportion ? On peut encadrer la manif, ne pas la nasser, ne pas provoquer.]
Je vois mal comment on fait pour « encadrer une manif » qui n’est pas déclarée, dont on ne connait pas le parcours – qui d’ailleurs peut changer à tout moment – et qui prétend se diriger vers des lieux (l’Elysée, l’Assemblée nationale) dont l’Etat ne peut tolérer l’envahissement. Là encore, j’aimerais savoir quelle aurait été votre stratégie de maintien de l’ordre, si vous aviez été le préfet de police.
[Même en l’absence de représentant on peut engager le dialogue.]
Je vois mal comment vous faites pour « engager le dialogue » avec une foule de quelques milliers de personnes alors qu’il n’y a aucun représentant désigné. Pourriez-vous développer ?
[Avec rien d’autres que le savoir-faire qu’ils ont ils savent disperser une foule sans aucune violence (déjà vu, notamment à l’approche des européennes).]
Pourriez-vous être plus précis ? Qui constituait la « foule » en question ? Combien de personnes la composaient ? Quel était le rapport numérique entre la foule et les forces de l’ordre ? Quelles étaient les circonstances ?
[Je maintiens ce que je dis : c’est une affaire de doctrine et d’ordres. Le but a été de casser du gilet jaune. Ce n’est pas moi qui je dis, c’est un flic (qui va être dégagé de la fonction pour l’avoir trop ouvert).]
Et pourquoi croire à ce flic-là plutôt qu’à d’autres qui disent le contraire ? Parce qu’il dit ce que vous pensez ? Non, dans ce genre d’affaire, mieux vaut avoir recours à ce bon vieux rasoir d’Occam. Vous dites que « le but a été de casser du gilet jaune ». Mais quel était l’intérêt du gouvernement dans cette affaire ? Pensez-vous que le gouvernement avait intérêt à ce qu’on voit des scènes de violence à Paris et ailleurs ? Ne pensez-vous pas que le gouvernement aurait marqué des points au contraire si l’on avait vu les gilets jaunes défiler de façon ordonnée, sans violences et sans confrontations ?
C’est cela qu’il faut se mettre dans la tête : la violence n’a pas servi les intérêts du gouvernement, bien au contraire. Elle a généré des polémiques, donné crédibilité aux allégations d’incompétence et de perte de contrôle, généré des abcès de fixation et des procédures administratives et judiciaires. L’intérêt du gouvernement, c’est que cela se passe bien parce qu’en dernière instance les citoyens jugent le gouvernement à sa capacité de maintenir l’ordre public. C’est pourquoi l’idée que le « but » du gouvernement était de provoquer des affrontements violents n’a ni queue ni tête.
[« C’est ce que je vous disais plus bas : vous êtes policier, vous avez la foule devant vous qui essaye d’avancer. Qu’est-ce que vous faites ? » Le cas hypothétiques ou la police laisse passer les manifestants et va chercher Macron a l’Elysée avec le peuple est une révolution…]
C’est ce que vous auriez fait si vous aviez été policier ? Réfléchissez avant de répondre…
Une révolution ? Non, tout au plus une révolte. Pour que ce soit une révolution, il faut un projet politique derrière. Et derrière les gilets jaunes il n’y a aucun projet politique. Ok, on va chercher Macron à l’Elysée… et quand on le trouve, on fait quoi ?
[Mais je sais ce que vous voulez me faire dire et au fond je m’inquiéterais s’ils le faisaient pas : j’obéis.]
Vous obéissez à quoi ? Personne ne vous a donné un ordre. Relisez ma question.
[« Vous donnez l’ordre de ranger les matraques et les LBD et d’offrir des roses aux manifestants ? » J’ai répondu a la question de ce que je ferais si j’étais à la place de a police. A vous de comprendre que si les manifestants ne sont plus sage en face c’est à cause des violences policières initiales.]
Vous voulez dire que si la police avait distribué des roses le premier jour, il n’y aurait pas eu de « black blocks » ? Que les manifestants auraient renoncé de leur propre chef de s’approcher de l’Elysée ? Vous croyez vraiment ça ?
[Il aurait fallu dès le début offrir des roses, en effet (dit dans un langage de policier : bouclier au pied, casque a la ceinture, lacrymo dans la poche, matraque dans le bouclier et LDB à la caserne).]
Et vous pensez que dans ces conditions les « black blocks » et autres petits voyous seraient restés sagement chez eux ? Et si ce n’était pas le cas, on fait quoi ? On retourne à la caserne chercher le LDB ?
[Cette discussion me rappel un article de Frédérique Lordon qui se moquait des policiers qui ne font pas le rapprochement entre “tout le monde déteste la police” et les coups qu’ils ont porté plus tôt dans une foule pacifique… “La police m’a radicalisé” comme certains l’ont dit avec humour.]
C’est l’argument classique de la déresponsabilisation. « Mademoiselle, c’est lui qui a commencé… ». On nous explique que si les voyous braquent c’est que la société les a maltraités. Que si des fous tuent au nom d’Allah des centaines d’innocents c’est parce que la société les a discriminés. Il est grand temps d’arrêter ce genre de discours. Non, les policiers n’ont pas « porté des coups à une foule pacifique ». Quand une « foule » se donne comme objectif d’envahir l’Élysée par la force du nombre, elle ne peut être considérée comme « pacifique ». Quand une foule utilise la force pour empêcher le passage sur une route, elle n’est pas « pacifique ».
Il faut arrêter de se raconter des histoires. La police est là pour faire appliquer les lois. Et celui qui s’oppose par la force – fut-ce la force tranquille du nombre – pour empêcher l’application des lois n’est pas « pacifique ». On peut discuter longuement de la légitimité de la violence dans certaines circonstances, mais on ne peut pas faire comme si elle n’existait pas.
[« Que des policiers qui ont vu des collègues se faire détruire se « vengent » en tirant sur les manifestants, c’est très possible. » Les gendarmes ne jouent pas au tir-au-gilet-jaune. Les CRS non plus. Les policiers un peu, la BAC souvent. Venez voir par vous même.]
J’ai vu. Les gendarmes mobiles et les CRS sont des professionnels du maintien de l’ordre, ils ont moins peur de la foule parce qu’ils connaissent mieux ses réactions et savent donc mieux doser la réponse. Mais la stratégie choisie par les « gilets jaunes » ne permettait pas aux autorités de se reposer exclusivement sur les gendarmes mobiles et sur les CRS. Ces unités n’ont pas assez d’effectifs pour encadrer simultanément des manifestations sur tout le territoire plus les occupations de péages routiers et de ronds-points. Il fallait choisir entre laisser une partie des points critiques dégarnies et livrés au pillage, ou faire appel aux effectifs de police et de gendarmerie non entrainés au maintien de l’ordre. Qu’auriez-vous fait à leur place ?
[« Mais encore une fois, si vous étiez préfet et confronté à cette situation, que faites-vous ? » Demander a Macron de démissionner, parce que ça fait des mois que je lui dis que ça va péter et que la ça arrive ?]
Supposons qu’il suit votre conseil. Et ensuite ?
[Sécuriser les manifestations, au lieu de les faire déborder ?]
Expliquez-moi comment vous « sécurisez une manifestation » qui n’est pas déclarée, qui n’a pas de parcours défini, et dont les participants insistent à aller dans un quartier qui leur est interdit.
[C’est une autre explication a celle du complot. Je prends, même si je maintiens qu’un préfet peut s’arranger pour qu’une manif dégénère ou non…]
Je crois que vous surestimez beaucoup les pouvoirs magiques du corps préfectoral.
[J’ai retrouvé une trace dans les inrocks (2018/12/13) ” video-fils-de-pute-dans-ta-gueule-quand-la-police-crie-de-joie-en-tirant-sur-les-gilets-jaunes ”]
Franchement, en visionnant la vidéo je ne suis pas très convaincu. D’abord, je ne perçois pas de « joie » particulière dans les cris. Mais surtout, comme les policiers sont pris de dos, il est impossible de savoir si ce sont eux qui crient.
[Mais c’est un exemple parmi tant d’autres… Un autre dont vous ne devez pas vous souvenir : le type à Bordeaux qui s’en prend un dans la tête, de dos, alors qu’il fuit la BAC, alors qu’il n’y a pas eu de casse et de violence, le tout filmé sous deux angles avec des dizaines de témoins… C’est quoi, une vengeance policière (on tolère ça maintenant ?) sur le premier venu, un acte de couardise, un amusement, une terrible bavure ? Le LBD ne tue pas c’est vrai, il casse les visages et détruits les neurones, il ruine des vies sans les prendre…]
C’est vrai… tandis que les cocktails Molotov ou les pavés sur la gueule, au contraire, ça rafraichit…
Non, je ne crois pas qu’il faille « tolérer la vengeance ». Mais on peut la comprendre, et juger en conséquence. J’ai eu l’opportunité une fois dans ma vie d’accompagner les CRS en intervention – non, je ne m’appelle pas Benalla – et je peux vous assurer que cela change l’optique. Parce que le soir, ces gens-là rentrent dans leur caserne avec pas mal de bleus, quand ils n’accompagnent pas l’un de leurs collègues blessé ou brûlé à l’hôpital. Alors, voyez-vous, je comprends qu’ils puissent avoir une vision des manifestants « pacifiques » un peu différente de la votre.
[« Cela se passait ou ? C’était une manifestation déclarée ? » Nantes. Déclaré non. Cela justifie la violence non disproportionné ?]
Cela justifie un certain niveau de violence, puisque les forces de l’ordre ne connaissent pas à priori la stratégie ni les objectifs des manifestants. Tout geste de leur part doit donc être regardé à priori comme dangereux.
[Peut être pas. Pour être honnête il y a eu les violences policières des deux dates en décembre qui étaient presque justifié vu l’activité de certains groupuscules. De l’autre il y a les mêmes violences policières quand ces groupuscules ne sont pas la…]
Oui mais… comment savoir à priori s’ils y sont ou s’ils y sont pas ? Vous savez, dans ma jeunesse j’ai travaillé dans le service d’ordre du PCF. A l’époque, on discutait avant les manifestations avec la préfecture de police, on avait avec les commandants des CRS une relation de confiance. Ils savaient que s’il y avait des « autonomes » (c’étaient les « blacks blocks » de l’époque) infiltrés dans la manifestation, le SO du PCF et de la CGT feraient le nécessaire pour les isoler en queue du cortège ou pour les pousser hors de la manifestation. Et du coup, les CRS étaient rassurés et on n’avait presque jamais des réactions intempestives. Lorsque vous avez devant vous une foule dont vous ne connaissez ni les intentions, ni les réactions, l’ambiance n’est pas tout à fait la même.
[Pourriez-vous développer ?]
Ça devient une blague dans notre pays mais… CF Allemagne ?
[Pourriez-vous être plus précis ? Qui constituait la « foule » en question ? Combien de personnes la composaient ? Quel était le rapport numérique entre la foule et les forces de l’ordre ? Quelles étaient les circonstances ?]
A peu de chose près la même que le samedi d’avant, dispersé dans le gaz (a force on se connait tous).
[Ok, on va chercher Macron à l’Elysée… et quand on le trouve, on fait quoi ?]
C’est évident qu’il manque un PCF fort et présent dans ce pays. C’est un des sujets que je tente d’aborder avec les gilets jaunes : l’échec des révolutions colorés. Sans projet politique et sans méthode rien. Et pas de projet politique sans structure et représentants…
Ceci dit le RIC me semble être une revendication fortement demandé.
[Vous voulez dire que si la police avait distribué des roses le premier jour, il n’y aurait pas eu de « black blocks » ? Que les manifestants auraient renoncé de leur propre chef de s’approcher de l’Elysée ? Vous croyez vraiment ça ?]
Plutôt que la foule n’aurait pas supporté l’activité des Black blocs.
[Et vous pensez que dans ces conditions les « black blocks » et autres petits voyous seraient restés sagement chez eux ? Et si ce n’était pas le cas, on fait quoi ? On retourne à la caserne chercher le LDB ?]
C’est rarement des gens du black bloc qui s’en prennent dans la poire pourtant…
Comment on faisait y’a 15 ans ?
[ On peut discuter longuement de la légitimité de la violence dans certaines circonstances, mais on ne peut pas faire comme si elle n’existait pas.]
Tout à fait. Mais la police a semer la haine de la police avec une réponse beaucoup trop élevée face a des gens qui n’avaient jamais proprement manifester de leur vie… Ils ont réussi en une journée a liguer la population contre eux…
[Supposons qu’il suit votre conseil. Et ensuite ?]
Les CRS et Gendarmes en manif, surtout pas la BAC et la BRI… Surtout que l’argument du nombre est risible, la BAC ne maintien pas l’ordre (sinon ils seraient en ligne avec un équipement bien différent).
[Expliquez-moi comment vous « sécurisez une manifestation » qui n’est pas déclarée, qui n’a pas de parcours défini, et dont les participants insistent à aller dans un quartier qui leur est interdit.]
Certainement pas en nassant une foule, la rendant prisonnière de la répression a l’aveugle contre des groupes de pseudo-rebelle.
Ils savent diriger une foule, c’est bête une foule : il avance la ou c’est ouvert…
[Je crois que vous surestimez beaucoup les pouvoirs magiques du corps préfectoral.]
Pas forcément. Une force de maintien de l’ordre en retrait, pas agressive, pas d’hélicoptère de la préfecture en survol, pas de casque, pas de LDB tendu vers la foule, pas de réponse sur toute la foule en cas d’agression de black bloc…
[D’abord, je ne perçois pas de « joie » particulière dans les cris]
Faut être sacrément tordu pour dire “A voter”…
[lors, voyez-vous, je comprends qu’ils puissent avoir une vision des manifestants « pacifiques » un peu différente de la votre.]
Pourtant le manifestant et le jeune rebelle ne sont pas la même personne…
[ comment savoir à priori s’ils y sont ou s’ils y sont pas ?]
Moi a la simple lecture de réseau sociaux publique je sais s’ils sont la ou pas… Le document de la préfecture indique que les forces de l’ordre sont au courant également.
Je pose une question ou deux plus larges : quelle stratégie pour les gilets jaunes ? (surtout depuis que Macron a plié devant la violence, confirmant que ça peut fonctionner)
Est-ce que c’est cohérent de parler sur ce blog de ce que pensent les ouvriers et employés a l’heure ou ceux la on changé d’avis sur la répression policière et même les black-blocs ?
Comment on stop Macron dans ses réformes, après avoir dit qu’il a achevé le dialogue sociale et les corps intermédiaires ?
Est-ce que toute les révolutions ne commencent-t-elles pas par des révoltes ? Quid malgré tout de la manif sauvage comme moyen de pression sur le gouvernement, a l’heure ou ni la massification pacifique ni la grève générale ne semblent possible ?
@ Yoann
[« Pourriez-vous être plus précis ? Qui constituait la « foule » en question ? Combien de personnes la composaient ? Quel était le rapport numérique entre la foule et les forces de l’ordre ? Quelles étaient les circonstances ? » A peu de chose près la même que le samedi d’avant, dispersé dans le gaz (a force on se connait tous).]
Vous ne répondez pas à la question…
[« Ok, on va chercher Macron à l’Elysée… et quand on le trouve, on fait quoi ? » C’est évident qu’il manque un PCF fort et présent dans ce pays.]
Vous noterez que lorsque le PCF était « fort et présent », il s’est mis en travers des gauchistes qui voulaient « aller chercher De Gaulle à l’Elysée ». Une révolution, ça ne peut pas se limiter à la prise du Palais d’Hiver. Il faut avoir une idée assez claire de ce qu’on fait ensuite. Si on ne l’a pas, ce n’est pas la peine d’y aller. Sans projet politique – et sans une organisation capable de le mettre en œuvre d’une façon cohérente – la violence se retourne toujours contre les plus fragiles.
[Ceci dit le RIC me semble être une revendication fortement demandé.]
Quand on sait ce qu’il faut faire, on le fait. Quand on ne sait pas, on se concentre sur la procédure. Demander la démocratie directe, pourquoi pas. Mais pour décider quoi, exactement ? Il ne faut pas céder à cette mythologie qui veut qu’en mettant ensemble beaucoup de gens qui n’y connaissent rien on va sortir, par on ne sait quelle magie, de sages décisions. Souvenez-vous de l’adage : « le QI d’une foule est la racine carrée du QI du plus bête de ses membres ». Le RIC des GJ, c’est comme la constituante chez Mélenchon : on ne sait pas pour décider quoi, mais il faut le faire.
[« Vous voulez dire que si la police avait distribué des roses le premier jour, il n’y aurait pas eu de « black blocks » ? Que les manifestants auraient renoncé de leur propre chef de s’approcher de l’Elysée ? Vous croyez vraiment ça ? » Plutôt que la foule n’aurait pas supporté l’activité des Black blocks.]
Vous voulez dire qu’elle les aurait laissé taper la police sans intervenir ?
[Comment on faisait y’a 15 ans ?]
Il y a quinze ans, les manifestations étaient encadrées par les services d’ordre des syndicats et des partis politiques, qui d’une part connaissaient bien les fauteurs de troubles, et d’autre part pouvaient se permettre de leur infliger un traitement qu’on ne tolérerait pas chez un fonctionnaire d’Etat…
[Tout à fait. Mais la police a semer la haine de la police avec une réponse beaucoup trop élevée face a des gens qui n’avaient jamais proprement manifester de leur vie… Ils ont réussi en une journée a liguer la population contre eux…]
Possible. Mais c’était quoi l’alternative ? Les laisser aller à l’Elysée ?
[Les CRS et Gendarmes en manif, surtout pas la BAC et la BRI… Surtout que l’argument du nombre est risible, la BAC ne maintien pas l’ordre (sinon ils seraient en ligne avec un équipement bien différent).]
Quand vous n’avez pas assez d’effectifs, vous faites avec ce que vous avez sous la main.
[« Expliquez-moi comment vous « sécurisez une manifestation » qui n’est pas déclarée, qui n’a pas de parcours défini, et dont les participants insistent à aller dans un quartier qui leur est interdit. » Certainement pas en nassant une foule, la rendant prisonnière de la répression a l’aveugle contre des groupes de pseudo-rebelle.]
Toujours la même chose : on vous demande ce qu’il faudrait faire, vous répondez ce qu’il ne faut pas faire…
[Ils savent diriger une foule, c’est bête une foule : il avance la ou c’est ouvert…]
Vous voulez dire que si on avait ouvert du côté opposé à l’Elysée, les gens seraient gentiment partis ? Vous croyez vraiment ça ?
[Pas forcément. Une force de maintien de l’ordre en retrait, pas agressive, pas d’hélicoptère de la préfecture en survol, pas de casque, pas de LDB tendu vers la foule, pas de réponse sur toute la foule en cas d’agression de black bloc…]
Vous pensez que dans ces conditions les gens auraient renoncé à pénétrer dans le périmètre interdit autour de l’Elysée et de Beauvau ? Encore une fois, vous le croyez vraiment ?
[« comment savoir à priori s’ils y sont ou s’ils y sont pas ? » Moi a la simple lecture de réseau sociaux publique je sais s’ils sont la ou pas… Le document de la préfecture indique que les forces de l’ordre sont au courant également.]
Quand vous les avez en face de vous en train de vous jeter des bouteilles, difficile de consulter les réseaux sociaux…
[Je pose une question ou deux plus larges : quelle stratégie pour les gilets jaunes ? (surtout depuis que Macron a plié devant la violence, confirmant que ça peut fonctionner)]
Ca a fonctionné parce que le gouvernement a pensé qu’en lâchant du lest, le niveau de violence baisserait – et les faits ont montré qu’ils avaient raison. Mais si la violence avait continué, le gouvernement aurait compris que céder ne servait à rien et il se serait raidi à nouveau. Difficile donc de conclure que la violence peut fonctionner en toute circonstance. Si la menace est mise à exécution que le gouvernement cède ou pas, elle ne sera plus efficace.
[Est-ce que c’est cohérent de parler sur ce blog de ce que pensent les ouvriers et employés a l’heure ou ceux-là ont changé d’avis sur la répression policière et même les black-blocs ?]
Comment savez-vous qu’ils ont « changé d’avis » ?
[Comment on stop Macron dans ses réformes, après avoir dit qu’il a achevé le dialogue sociale et les corps intermédiaires ?]
Tout est une question de rapport de forces. Et matériellement le rapport de forces est très défavorable aux couches populaires. Aujourd’hui, on voit mal comment elles pourraient arrêter les réformes libérales en cours, pas plus qu’elles n’ont pu arrêter celles des gouvernements précédents.
[Est-ce que toute les révolutions ne commencent-t-elles pas par des révoltes ?]
Je ne sais pas… mais ce que je sais, c’est que seule une infime proportion de révoltes finissent par des révolutions.
[Quid malgré tout de la manif sauvage comme moyen de pression sur le gouvernement, a l’heure ou ni la massification pacifique ni la grève générale ne semblent possible ?]
L’expérience semble montrer qu’elle permet d’obtenir des avantages conjoncturels, mais pas de gagner des combats structurels.
[Je conseille d’ailleurs à tous mes lecteurs de la regarder]
C’est réussir a vendre l’UE… Sauf que quand on voit le résultat, l’attendu n’est pas la.
Un exemple : l’UE refuse tout champion européen. Par contre nos entreprises Européennes se font toute concurrences et rachètent partout sur terre (par exemple dans l’auto). Sidérant…
Bonjour,
je vous signale ce texte sur le site du journal Atlantico qui traite de quelques uns de vos thèmes favoris, la méritocratie, l’ascenseur social, etc.
https://www.atlantico.fr/decryptage/3578250/le-capitalisme-pris-au-piege-de-la-meritocratie–alexandre-delaigue
@ Trublion
[Je vous signale ce texte sur le site du journal Atlantico qui traite de quelques-uns de vos thèmes favoris, la méritocratie, l’ascenseur social, etc.]
Sans vouloir vous offenser, je l’ai trouvé très mauvais. Typique du confusionnisme ambiant.
D’abord, il est rempli d’inexactitudes factuelles. Par exemple, l’auteur affirme que « Non seulement il est rempli d’inexactitudes factuelles. Par exemple, cette affirmation : « Aujourd’hui, ce sont ceux qui travaillent qui souvent sont les extrêmement riches : des dirigeants de grandes entreprises, des propriétaires gérant de très grandes entreprises (de Mark Zuckerberg à Bernard Arnault) ». D’abord, « ceux qui travaillent » ne sont pas « souvent » extrêmement riches : seule une minorité infime des travailleurs sont riches. La très grande majorité sont pauvres. Et puis, il reste beaucoup parmi les « extrêmement riches » qui ne travaillent pas. Bill Gates, pour ne donner qu’un exemple…
Ensuite, il y a une confusion absolue entre le mérite, le diplôme et le fait de gagner de l’argent. Voici par exemple l’une des questions posées : « Dans l’idéal méritocratique, quand on travaille beaucoup et bien, on a non seulement accès à un meilleur revenu mais aussi à un statut de pouvoir et à une gestion des hommes (dans l’entreprise ou en politique) ». La réponse est bien évidement non : les enseignants ou les chercheurs n’ont jamais été très bien rémunérés, et pourtant ils ont toujours occupé une bonne place dans la pyramide du mérite.
Un autre exemple : « des gens qui gagnent une très forte rémunération liée à leur emploi : les médecins par exemple, ou les propriétaires de concessions automobiles, etc. Ce sont donc généralement les très diplômés ». Les propriétaires de concessions automobiles font donc partie des « très diplômés » ?
En fait, l’interviewé raisonne la moitié du temps comme si nous vivions effectivement dans une méritocratie, et l’autre moitié comme si c’était une chose du passé…
Bonjour @Descartes
Un court article qui pourra vous intéresser… « A list of the top 50 recipients on the crowdfunding site Patreon shows an obsession with the ordinary. »
https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2019-08-29/patreon-s-top-50-list-values-the-ordinary-over-the-transcendent
@ Ian Brossage
[Un court article qui pourra vous intéresser… « A list of the top 50 recipients on the crowdfunding site Patreon shows an obsession with the ordinary. »]
L’article est très intéressant… mais j’ai une interprétation très différente de celle de l’auteur. Je pense en fait que cette « victoire du quotidien sur le transcendant » n’est en fait que la fin d’une anomalie. Pendant des siècles, le transcendant était réservé à une petite élite. Les citoyens grecs regardaient les tragédies de Sophocle ou d’Euripide pendant que les métèques et les esclaves, bien plus nombreux, bossaient. Dans l’Europe chrétienne, la messe était dite pour le seul bénéfice des aristocrates et des notables installés dans le chœur, le peuple regardant la chose de l’autre côté du jubé. La musique que nous appelons aujourd’hui « classique » était faite pour l’aristocratie et une bourgeoisie accommodée, et le livre était un accessoire rare en dehors de ces cercles.
La grande utopie des Lumières, c’était l’accès à la « grande culture » et donc à la transcendance pour tous. L’instruction publique, l’encyclopédie, le recrutement au mérite dans l’enseignement supérieur, tout allait dans ce sens. Les utopies socialistes du XXème siècle avaient elles aussi un fort volet de diffusion de la culture, et pas n’importe laquelle : de la « grande culture », de la culture classique.
C’est cette utopie qui s’effondre aujourd’hui : Le réseau des maisons de la culture végète, loin de leur vocation originale ; l’éducation n’a plus la vocation de donner à tous une culture classique, mais de développer des « compétences » monnayables sur le marché du travail. Il n’est pas utile pour un futur fonctionnaire d’avoir lu « La princesse de Clèves » ou pour un futur professeur « la guerre des Gaules » dans sa langue originale. Toutes ces richesses culturelles redeviennent le patrimoine exclusif d’une toute petite minorité privilégiée.
Essayons de voir le côté positif des choses, il y a tout de même trois chaines de science dans le top 50 et surtout l’excellent (je vous le recommande très chaudement si vous ne connaissez déjà) 3blue1brown. J’ai rarement vu quelqu’un enseigner aussi bien. La plupart ne sont pas d’un niveau très élevé et ne vous apprendront rien mais ne serait-ce que pour voir la manière ingénieuse dont il sait se servir sans ostentation et toujours à-propos des animations et amener petit à petit à la compréhension du sujet vous devriez, vous qui dites aimer enseigner, y jeter un œil.
@ Ruben
[Essayons de voir le côté positif des choses, il y a tout de même trois chaines de science dans le top 50 et surtout l’excellent (je vous le recommande très chaudement si vous ne connaissez déjà) 3blue1brown.]
Malgré ma répugnance pour les vidéos, j’ai regardé le site que vous avez recommandé… et je dois dire qu’il est très bien fait. C’est de la vulgarisation de très bon niveau, présentant les propriétés mathématiques d’une façon très ingénieuse. Le seul reproche que je lui ferais, c’est le fait que ce sont des mathématiques sans démonstration (c’est d’ailleurs clairement assumé, les vidéos listant les “questions techniques” non abordées). Mais il est vrai que cela rendrait l’explication beaucoup plus complexe.
Bonjour Descartes,
Je profite de ce commentaire pour vous demander votre avis sur la réforme Blanquer du lycée/baccalauréat.
Que pensez-vous de la spécialisation plus précoce? Du contrôle continu?
Pour ma part je pense que ça revient à décrédibiliser encore plus ce machin qu’est devenu le BAC. Je ne comprends même plus ce que son obtention vient sanctionner…
Pour les spécialisations, je crois que c’est davantage conçu pour le prof que pour les élèves. Le prof peut être gagnant, il aura les élèves intéressés par sa matière en cours. Toutefois c’est un recul pour les élèves, on réduit encore le socle commun, sa richesse, et l’ambition d’une génération plus cultivée…
@ Bruno
[Je profite de ce commentaire pour vous demander votre avis sur la réforme Blanquer du lycée/baccalauréat. Que pensez-vous de la spécialisation plus précoce? Du contrôle continu?]
J’ai une vision très négative de cette réforme, et cela pour plusieurs raisons.
D’abord, je me méfie des « parcours à la carte ». Une des choses qui fait la cohésion d’une société c’est aussi les expériences communes, c’est-à-dire, les expériences que nous avons partagé avec tous nos concitoyens y compris entre générations. Le fait de savoir les mêmes choses est un élément de cohésion. Or, le système des options fera que chacun aura un parcours singulier et individualisé dans le secondaire. Or, le bac et sa préparation est aujourd’hui l’une des rares expériences communes qui restent dans notre société.
Ensuite, je pense qu’il est plus important d’offrir aux élèves un parcours cohérent plutôt qu’un ensemble de matières déconnectées. Les choix d’options étant tous différents, on ne pourra plus penser les différentes matières comme complémentaires puisque l’enseignant aura devant lui une classe hétérogène : dans le cours de physique, certains feront l’option « mathématiques » et d’autres pas.
Enfin, le contrôle continu mettra les enseignants dans une position impossible. S’ils notent sévèrement, ils seront accusés de porter tort à leurs élèves. La pression pour sur-noter sera irrésistible. Et du coup, les notes ne reflèteront plus la réalité du niveau des élèves. C’est d’ailleurs déjà très largement le cas, puisque le ministère se considère obliger à annoncer chaque année des taux de réussite plus élevés, sans rapport avec le niveau réel des élèves.
[Pour ma part je pense que ça revient à décrédibiliser encore plus ce machin qu’est devenu le BAC. Je ne comprends même plus ce que son obtention vient sanctionner…]
De toute façon, avec un taux de réussite de 90% à la session normale, il n’a plus aucun sens.
[Pour les spécialisations, je crois que c’est davantage conçu pour le prof que pour les élèves. Le prof peut être gagnant, il aura les élèves intéressés par sa matière en cours. Toutefois c’est un recul pour les élèves, on réduit encore le socle commun, sa richesse, et l’ambition d’une génération plus cultivée…]
Je suis moins optimiste que vous. Les choix de « spécialisation » risquent d’être surtout opportunistes…
[dans le cours de physique, certains feront l’option « mathématiques » et d’autres pas]
Dans mon lycée, c’était le seul choix de spécialités qui n’était pas permis. Et je pense qu’il en est de même dans la majorité des cas: il paraît en effet très compliqué de faire de la physique ou de la chimie sans outils mathématiques. Cela n’enlève rien à la pertinence de l’argument: les séries permettaient de faire des renvois entre les matières et d’adapter les programmes. D’ailleurs, les profs de maths sont très embêtés aujourd’hui avec un public extrêmement hétérogène dans leur enseignement de spé (entre ceux qui ont reconstitué la filière S et ceux qui plafonnent à 10 mais savent l’importance de cet enseignement dans la sélection post-bac) et un programme au moins aussi difficile que celui de l’ancienne S d’après les dires des collègues.
[De toute façon, avec un taux de réussite de 90% à la session normale, il n’a plus aucun sens.]
J’avoue que je ne comprends pas très bien cette remarque, que l’on entend souvent. Que l’on trouve le bac “trop facile”, validant un niveau de compétences trop faible, je peux soutenir l’argument. Mais qu’on s’offusque d’un taux de réussite trop élevé… Serait-on satisfait que la moitié des élèves qui passent le bac échouent à l’examen? Je comprends bien l’argument qu’il y a derrière, mais dans l’absolu, on pourrait aussi se dire que si l’on a un taux de réussite élevé, c’est qu’on a bien préparé les élèves aux différentes épreuves. Bref, la question de la valeur du bac me semble moins lié au taux de réussite qu’au contenu des méthodes et des connaissances attendues le jour de l’examen (qui n’est pas un concours, rappelons-le).
@ matérialiste-patriote
[Dans mon lycée, c’était le seul choix de spécialités qui n’était pas permis.]
J’ignorais qu’on pouvait interdire certaines combinaisons de spécialités. Cela me semble très curieux : si on commence à dire que certains choix de spécialité imposent d’autres, on finit par reconstituer des « filières »…
[« De toute façon, avec un taux de réussite de 90% à la session normale, il n’a plus aucun sens. » J’avoue que je ne comprends pas très bien cette remarque, que l’on entend souvent. Que l’on trouve le bac “trop facile”, validant un niveau de compétences trop faible, je peux soutenir l’argument. Mais qu’on s’offusque d’un taux de réussite trop élevé…]
La question n’est pas de « s’offusquer ». La question est de savoir si cela a encore un sens. Le certificat d’études a disparu lorsque 90% de la population a dépassé ce niveau. A quoi bon tester des connaissances que tout le monde ou presque possède ? Si le niveau bac est atteint par plus de 90% de la population, est-il utile d’organiser un examen pour débusquer le moins de 10% restant ?
[Serait-on satisfait que la moitié des élèves qui passent le bac échouent à l’examen?]
Cela dépend de la fonction de l’examen. S’il s’agit d’une cérémonie de passage, alors on peut se permettre de faire réussir tout le monde. Mais si le but est de sélectionner, alors un examen qui « sélectionne » tout le monde est une pure perte de temps.
Imaginons par exemple que le pays ait besoin que 40% de sa jeunesse fasse des études universitaires. Dans ce cas, il faut un examen qui sélectionne le meilleur 40%. A quoi bon donner à 90% des élèves un passeport pour l’université alors que l’économie ne pourra pas ensuite absorber autant d’universitaires ? Si l’on suit ce raisonnement, si le niveau des élèves remontait – ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui – alors il faudrait remonter le niveau d’exigence !
[J’ignorais qu’on pouvait interdire certaines combinaisons de spécialités] Effectivement, si je me souviens bien, ce n’était pas interdit formellement, mais le proviseur déconseillait fortement les élèves de le faire. Quant à la reconstitution des filières, s’il y en a une qui se porte bien, c’est l’ancienne S, reconstituée par plus d’un tiers des élèves (triplette maths – physique – SVT ou SI).
[La question est de savoir si cela a encore un sens. Le certificat d’études a disparu lorsque 90% de la population a dépassé ce niveau. A quoi bon tester des connaissances que tout le monde ou presque possède ?]
Pour réduire les inégalités. L’existence d’un baccalauréat national oblige tous les établissements à travailler le même programme et les mêmes méthodes des épreuves, que l’on soit dans un chic lycée privé ou dans le 93. Sans ce cadre, les élèves les moins favorisés feraient en cours de “l’éducation à” (développement durable, critique des médias, projets citoyens et culturels…), tandis qu’en haut on continuerait à travailler la dissertation et les paradigmes théoriques (pour schématiser). Et dans le supérieur on saurait que les notes que l’on met dans les lycées populaires ne reflètent pas le niveau réel des élèves, ce qui augmenterait la ségrégation dans le recrutement. D’ailleurs, même avec un diplôme national, cela n’empêche pas les profs de bons lycées d’aller plus loin dans leurs cours, mais au moins ceux “du bas” ont un horizon auquel se raccrocher, et les établissements du supérieur savent que la notation des élèves a une base commune, qui est constituée par les attendus du bac.
[A quoi bon donner à 90% des élèves un passeport pour l’université alors que l’économie ne pourra pas ensuite absorber autant d’universitaires ?] Peut-être parce que l’école ne vise pas qu’à former des travailleurs, et que la culture générale et la capacité de raisonnement des élèves est supérieure quand on va jusqu’au bac que quand on arrête les cours après le collège?
@ matérialiste-patriote
[« La question est de savoir si cela a encore un sens. Le certificat d’études a disparu lorsque 90% de la population a dépassé ce niveau. A quoi bon tester des connaissances que tout le monde ou presque possède ? » Pour réduire les inégalités. L’existence d’un baccalauréat national oblige tous les établissements à travailler le même programme et les mêmes méthodes des épreuves, que l’on soit dans un chic lycée privé ou dans le 93.]
Malheureusement, ce n’est pas le cas. Bien sûr, il y a un programme minimal qui est celui exigé au bac. Mais ce programme est tellement minimal, qu’il laisse largement la place à des compléments dans les lycées chics, alors que dans le 93 les professeurs s’en tiennent au minimum pour ne pas mettre leurs élèves en difficulté. Je ne pense pas qu’un examen que plus de 90% des candidats passent – ce qui garantit pratiquement de l’avoir au deuxième coup – ait un effet stimulant ou régulateur sur les apprentissages.
[Sans ce cadre, les élèves les moins favorisés feraient en cours de “l’éducation à” (développement durable, critique des médias, projets citoyens et culturels…), tandis qu’en haut on continuerait à travailler la dissertation et les paradigmes théoriques (pour schématiser).]
C’est en pratique ce qui se passe : le programme obligatoire est de plus en plus du type « l’éducation à », et la dissertation ou les paradigmes théoriques sont donnés « hors programme » dans les lycées d’élite. L’épreuve de français est un excellent exemple : le commentaire composé – l’exercice le plus difficile formellement – a pratiquement disparu sauf dans les lycées d’élite.
[« A quoi bon donner à 90% des élèves un passeport pour l’université alors que l’économie ne pourra pas ensuite absorber autant d’universitaires ? »] Peut-être parce que l’école ne vise pas qu’à former des travailleurs, et que la culture générale et la capacité de raisonnement des élèves est supérieure quand on va jusqu’au bac que quand on arrête les cours après le collège?]
Mais justement, on peut « aller jusqu’au bac » et le rater. Un élève qui a le bac aujourd’hui sait moins de choses – ou pour être précis les sait moins bien – qu’un élève qui ratait le bac il y a un demi-siècle. Donner le bac à 90% de l’effectif ne fait pas monter le niveau, au contraire, parce que c’est l’exigence qui fait monter le niveau, et que pour aller à 90% on a baissé l’exigence. L’effet c’est surtout d’inonder l’enseignement supérieur de gens qu’il faut « mettre à niveau » et qui n’iront nulle part.
Bonjour,
il y a un phénomène récent que je trouve d’une bassesse inouïe.
C’est la tactique qui consiste à parler de déséquilibré pour les personnes commettant des actes terroristes.
Ainsi nous avons cette tâche de député dénommé Taché qui n’a rien trouvé de mieux que de proposer que tous les immigrés ou demandeurs d’asile fassent l’objet d’un examen psychiatrique. Une autre personne essayait de justifier ces gestes en expliquant que les demandeurs d’asile sont tellement mal accueilli qu’ils peteraient un plomb. La capacité de la gauche à faire l’autruche, à être dans le déni est effarante. Comme si nos adversaires n’étaient pas en mesure de repérer les personnes les plus faibles, les plus influençables pour ensuite les manipuler. Non cette gauche est juste obnubilée par l’extrême droit et répète son mantra pas d’amalgames.
Je pense qu’il va falloir que les français musulmans cessent d’être lâche et fassent le ménage parmi leurs coreligionnaires. ils ne suffit pas de répéter en boucle “c’est pas ça l’islam”
@ Trublion
[Il y a un phénomène récent que je trouve d’une bassesse inouïe. C’est la tactique qui consiste à parler de déséquilibré pour les personnes commettant des actes terroristes.]
Vous posez là un problème très complexe, celle de savoir qui est fou dans une société donnée. C’est un problème très complexe, parce que la folie est une construction sociale. Est fou celui qui s’éloigne de ce qu’une société donnée considère être la réalité.
Imaginons qu’un général déclarait aujourd’hui qu’il a vu avant la bataille s’ouvrir le ciel, qu’il a vu une croix frappée de la formule « in hoc signo vinces ». Vous considéreriez certainement que ce général a eu des hallucinations, qu’il a perdu le contact avec le réel, bref, qu’il est fou. Pourtant, au moyen-âge, de doctes personnages attribuaient cette histoire à Constantin, et personne ne songeait à considérer que l’empereur était fou. Dans la société de l’époque, voir des visions ou entendre des voix n’était pas un signe de folie, mais d’élection divine.
Maintenant, quelqu’un qui croit – qui croit vraiment, c’est-à-dire qui est prêt à mettre ses actes en conformité avec ses croyances – qu’en assassinant des infidèles gagne le paradis avec 72 houris à sa disposition pour l’éternité, ou qu’il entend des voix venues de dieu lui-même lui commandant de tuer, est-il fou ? Le déclarer sain d’esprit, c’est nier notre propre idée d’un être humain rationnel. En toute logique, il devrait être déclaré fou. Et enfermé à ce titre.
Au fond, la question qui se pose est celle de savoir si la personne peut-on non changer par un processus rationnel. Si elle peut changer, alors le procès pénal a un sens. Si elle ne peut changer, alors l’enfermement psychiatrique est la seule voie.
[Ainsi nous avons cette tâche de député dénommé Taché qui n’a rien trouvé de mieux que de proposer que tous les immigrés ou demandeurs d’asile fassent l’objet d’un examen psychiatrique.]
Dans le concours d’idioties que ce genre d’évènement génère, Tachet remporte la palme. Ok, supposons qu’on fasse un examen psychiatrique à tous les immigrés ou demandeurs d’asile. Que fait-on avec ceux qui ont une araignée dans le plafond ? On les renvoie chez eux ? On les enferme ?
[Une autre personne essayait de justifier ces gestes en expliquant que les demandeurs d’asile sont tellement mal accueillis qu’ils péteraient un plomb.]
Ça n’a ni queue ni tête. Le fait d’être « mal accueilli » ne suffit pas pour que le gens entendent des voix leur disant de tuer leurs semblables. Entre 1940 et 1945 les juifs d’Europe ont été terriblement maltraités, et le cas de juifs devenus fous et attaquant des allemands au hasard au couteau restent exceptionnels.
[Je pense qu’il va falloir que les français musulmans cessent d’être lâche et fassent le ménage parmi leurs coreligionnaires. ils ne suffit pas de répéter en boucle “c’est pas ça l’islam”]
Dans le cas présent, il n’y a aucune indication que l’attentat ait un rapport avec l’Islam. Les délires mystiques au cours desquels on tue des gens ne sont pas le monopole de l’Islam. On trouve les mêmes dans des sectes ou même les églises constituées. La différence, c’est que les fous chrétiens sont généralement suivis et enfermés avant le passage à l’acte. L’immigration fournit une population déracinée, séparée de son cadre normal et sans surveillance sociale.
@Trublion
> Je pense qu’il va falloir que les français musulmans cessent d’être lâche et fassent le ménage parmi leurs coreligionnaires. ils ne suffit pas de répéter en boucle “c’est pas ça l’islam”
Ce serait traiter les musulmans en communauté censée laver son linge sale en famille. Non, si d’aventure il y a du ménage à faire, c’est à la puissance publique de le faire.
@ Ian Brossage
[Ce serait traiter les musulmans en communauté censée laver son linge sale en famille. Non, si d’aventure il y a du ménage à faire, c’est à la puissance publique de le faire.]
Tout à fait d’accord. J’ai honte d’avoir laissé passer ce commentaire, moi qui suis d’habitude si vigilant sur ces questions. Effectivement, la République ne connait que des citoyens, pas des communautés. Un musulman n’est responsable de ce que font d’autres musulmans, pas plus qu’un chrétien n’est responsable de ce que font d’autres chrétiens. Il n’est responsable que de ses choix individuels. Et il n’a pas à faire la police dans sa communauté, cette fonction étant un monopole de la force publique.
Bonjour
Mon commentaire sur le besoin de faire le ménage en interne avait un sens très précis.
Il ne s’agit pas d’un travail de police.
Il s’agit de faire le tri dans les interprétations du Coran. Une religion qui n’a pas de clergé, où n’importe qui peut devenir imam, où il n’y a pas d’instance légitime pour excommunier, où il n’y a pas d’autorité légitime pour un aggiornamento c’est ça le problème.
Et je ne vois pas comment les institutions d’un état laïc pourraient venir se mêler de questions de théologie à moins de trouver une faille pour former des imams à Metz ou en Alsace.
@ Trublion
[Mon commentaire sur le besoin de faire le ménage en interne avait un sens très précis.
Il ne s’agit pas d’un travail de police. Il s’agit de faire le tri dans les interprétations du Coran.]
Je vois mal comment « les musulmans » pourraient « faire le tri dans les interprétations du Coran ». Chaque musulman adhère à l’interprétation qui l’arrange personnellement, et on voit mal comment on pourrait imposer une interprétation unique, sauf à créer une police de la pensée. Le fait qu’il y ait une autorité centrale ne changera pas grande chose : ceux qui se cherchent une justification trouveront toujours un gourou à suivre. Le concile Vatican n’a pas empêché Mgr Lefebvre et les siens de pratiquer un catholicisme rigoriste.
[Une religion qui n’a pas de clergé, où n’importe qui peut devenir imam, où il n’y a pas d’instance légitime pour excommunier, où il n’y a pas d’autorité légitime pour un aggiornamento c’est ça le problème.]
J’en doute. Les juifs se trouvent dans la même situation et ils ne posent pas le même problème.
Non, le véritable problème est que l’Islam ignore la séparation entre le domaine civil et le domaine religieux. Contrairement au catholicisme ou au judaïsme, qui tous deux ont eu à coexister en tant que dominés avec un pouvoir civil fort, celui de l’empire Romain, l’Islam s’est développé comme religion dominante. Il n’a pas donc été poussé à théoriser la séparation des autorités civiles et des autorités religieuses.
Bonjour Descartes
Nous avons souvent eu des échanges à ce sujet, et c’est un de nos points de désaccord.
J’obserce ce qui se passe à la chambre des communes du Royaume-Uni et le spectacle de ce Parlement me donne raison.
Comme pour le pitoyable spectacle de la trahison du vote des français en 2005, le parlementarisme démontre comme l’écrivait déjà Sieyes que ce n’est pas la démocratie et qu’avec les événements récents ce système est même l’ennemi de la démocratie.
@ Trublion
[Nous avons souvent eu des échanges à ce sujet, et c’est un de nos points de désaccord. J’obserce ce qui se passe à la chambre des communes du Royaume-Uni et le spectacle de ce Parlement me donne raison.]
Je ne comprends pas très bien quel est le point de désaccord auquel vous faites référence, et sur lequel le spectacle (lamentable) donné par la chambre des communes vous donnerait raison.
[Comme pour le pitoyable spectacle de la trahison du vote des français en 2005, le parlementarisme démontre comme l’écrivait déjà Sieyes que ce n’est pas la démocratie et qu’avec les événements récents ce système est même l’ennemi de la démocratie.]
La vision parlementaire de la démocratie suppose que les parlementaires soient des véritables représentants du peuple, c’est-à-dire, qu’ils aient le souci d’écouter leurs mandants et de défendre leurs intérêts dans l’enceinte parlementaire. Or, dans une société de classes, les parlementaires tendent à défendre les intérêts de la classe à laquelle ils appartiennent, et non celle du peuple, forcément divers, qu’ils sont censés représenter. Pour les pousser à jouer leur rôle de représentants, il faut un puissant appareil symbolique qui les tienne dans le droit chemin. C’est pourquoi les formes sont si importantes dans le fonctionnement du parlement. Le décorum parlementaire sert précisément à rappeler en permanence aux élus qu’ils ne font pas un métier banal. Et c’est pourquoi la gauche radicale poursuit un très mauvais combat lorsqu’elle se bat contre la cravate : en banalisant le travail parlementaire, on affaiblit l’appareil symbolique qui « tient » le système.
Ce qu’on voit en Grande Bretagne, c’est une situation limite ou la volonté du peuple – tel qu’il a été exprimé par le référendum – et les intérêts de la classe parlementaire sont en opposition frontale. La position de Johnson est claire : le peuple a voté pour sortir de l’UE, et il faut donc sortir. Et puisque l’UE n’accepte pas après de longues négociations que la sortie se fasse dans de bonnes conditions (ce dont le Parlement convient, puisqu’il a rejeté l’accord proposé par l’UE) il ne reste qu’à sortir sans accord. En proposant la dissolution d’un Parlement qui n’a pas réussi depuis des mois à se mettre d’accord sur les conditions de sortie de l’UE, la Boris Johnson est une position gaullienne : « si vous n’êtes pas d’accord avec moi, laissons le peuple trancher ». En refusant cette consultation, l’opposition pro-européenne montre sans ambiguïté son visage : ce n’est pas au peuple de décider, mais à ceux qui savent ce qui est bon pour lui.
« Je ne comprends pas très bien quel est le point de désaccord auquel vous faites référence, et sur lequel le spectacle (lamentable) donné par la chambre des communes vous donnerait raison. »
Le point de désaccord portait sur l’intérêt ou non de la démocratie directe, sur l’intérêt de conserver un Parlement qui est une relique du Moyen-Age époque où les notables Anglais cherchaient à contrôler le souverain d’origine étrangère.
@ Trublion
[Le point de désaccord portait sur l’intérêt ou non de la démocratie directe, sur l’intérêt de conserver un Parlement qui est une relique du Moyen-Age époque où les notables Anglais cherchaient à contrôler le souverain d’origine étrangère.]
Je vous trouve un peu sévère. La démocratie exige un espace de délibération, c’est-à-dire de débat et de prise de décision. Cet espace peut-il être l’ensemble des citoyens ? Je ne le crois pas. Pas pour des raisons techniques – à l’âge d’internet il serait certainement possible de transmettre aux gens les éléments de compréhension et les arguments des uns et des autres et les laisser exprimer leur vote. Mais pour des raisons de fond. Le représentant ne sert pas seulement à porter l’avis de ses concitoyens. Il a pour fonction de réfléchir à leur place, en y mettant le temps et les connaissances que ses mandants n’ont pas. Le représentant est là pour rendre possible ce qui est nécessaire, selon la formule de Richelieu.
La démocratie représentative associe ce qu’il y a de mieux dans l’idée de démocratie (« le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ») et dans l’idée d’aristocratie (« le gouvernement des meilleurs »). Cela suppose bien entendu que le peuple soit éduqué pour élire au gouvernement parmi « les meilleurs » ceux qu’il estime pouvoir le mieux défendre ses intérêts.
Bonjour,
en fait vous donnez vous-même toutes les raisons pour lesquelles le parlementarisme ne marche pas.
1/ “La vision parlementaire de la démocratie suppose que les parlementaires soient des véritables représentants du peuple, c’est-à-dire, qu’ils aient le souci d’écouter leurs mandants et de défendre leurs intérêts dans l’enceinte parlementaire”
Ce n’est plus le cas depuis 2007 en France, et depuis 2019 au Royaume-Uni.
2/ “Il a pour fonction de réfléchir à leur place, en y mettant le temps et les connaissances que ses mandants n’ont pas”
Sauf que beaucoup de texte ne sont que de la transposition de directives, sauf que c’est plus simple de se faire fournir un texte clé-en-main par le cabinet X qui travaille pour tel lobby. En gros les choses se passent ailleurs.
3/ “La démocratie représentative associe ce qu’il y a de mieux dans l’idée de démocratie (« le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ») et dans l’idée d’aristocratie (« le gouvernement des meilleurs »)”
=> Etes-vous vraiment sûr qu’on élit les meilleurs ? Sur quels critères peut-on définir qui sont les meilleurs ? Sur les questions d’énergie pensez-vous que les députés soient meilleurs que vous ? Ne pensez-vous pas que le corps électoral, pour ceux qui osent encore se déplacer, cherche à élire non pas les meilleurs mais ceux qui pensent comme eux et défendent leurs intérêts ?
@ Trublion
[en fait vous donnez vous-même toutes les raisons pour lesquelles le parlementarisme ne marche pas.]
Ne marche pas aujourd’hui, mais ce n’est pas une impossibilité structurelle.
[1/ “La vision parlementaire de la démocratie suppose que les parlementaires soient des véritables représentants du peuple, c’est-à-dire, qu’ils aient le souci d’écouter leurs mandants et de défendre leurs intérêts dans l’enceinte parlementaire” Ce n’est plus le cas depuis 2007 en France, et depuis 2019 au Royaume-Uni.]
Je ne pense pas qu’on puisse fixer des dates de cette façon. Ce n’est pas une rupture, mais une lente dégradation qui a commencé à la fin des années 1980, au fur et à mesure que la génération pour qui la politique était une passion était remplacée par celle dont la politique est un métier comme un autre. Un ancien patron à moi avait l’habitude de dire « pour faire ce métier, il faut aimer les gens ». Je trouve que parmi les « nouveaux élus », bien peu montrent un attachement véritable aux gens qu’ils représentent. Ils se placent plutôt dans une logique infantilisante de « on sait ce qui est bon pour eux, on va leur expliquer ».
[2/ “Il a pour fonction de réfléchir à leur place, en y mettant le temps et les connaissances que ses mandants n’ont pas” Sauf que beaucoup de texte ne sont que de la transposition de directives, sauf que c’est plus simple de se faire fournir un texte clé-en-main par le cabinet X qui travaille pour tel lobby. En gros les choses se passent ailleurs.]
Il ne faudrait pas exagérer. Le poids des directives est réel, mais elles laissent une marge importante d’interprétation et rien n’empêche de transposer intelligemment. Le problème est surtout que les députés ne font en général aucun travail de fond. Même s’ils lisent les textes qui leur sont présentés (et certains ne font même pas cet effort) ils ne se construisent pas une culture historique, politique et administrative suffisante pour saisir les tenants et les aboutissants d’un texte – surtout qu’au nom de la « revalorisation du Parlement » et de la méfiance envers l’administration les textes sont souvent d’une technicité qui empiète directement sur le domaine réglementaire. Pour avoir suivi le débat des textes qui concernent mon domaine, je peux vous dire qu’on voit passer des amendements dont la simple lecture montre que leur auteur ne sait pas de quoi il parle, ne connaît pas la législation existante et n’a pas compris le but du texte qu’il amende. En fait, le député moyen suit un logigramme simple : quand un texte arrive, il se pose la question : « est-ce que ce texte risque de me couter ou de m’avantager devant mes électeurs » ? Si la réponse est non, il passe au texte suivant.
Bien entendu, cet état d’esprit favorise les lobbyistes de tout poil, et surtout ceux qui ont un pouvoir de nuisance médiatique, c’est-à-dire les ONG. Contrairement à ce qu’on croit, les ONG ont au parlement bien plus de poids que les lobbies économiques. Il y a plus d’amendements rédigés par Greenpeace ou par Sortir du Nucléaire que ceux rédigés par EDF.
[3/ “La démocratie représentative associe ce qu’il y a de mieux dans l’idée de démocratie (« le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ») et dans l’idée d’aristocratie (« le gouvernement des meilleurs »)” Etes-vous vraiment sûr qu’on élit les meilleurs ?]
C’est du moins l’objectif, même si la réalité laisse beaucoup à désirer.
[Sur quels critères peut-on définir qui sont les meilleurs ?]
Ce sont les électeurs qui les définissent. Je crois que je ne me suis pas fait comprendre : lorsque je dis « on élit les meilleurs », je ne veux pas dire qu’il y aurait des « meilleurs » définis objectivement et qui seraient élus. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a chez les électeurs la volonté de se faire représenter par des gens qui sont « meilleurs » qu’eux-mêmes. Et de ce point de vue, on peut dire que le système fonctionne relativement. Car malgré les discours gauchistes, Mme Michu est très consciente qu’elle a intérêt à être représenté par quelqu’un plus savant, plus habile, plus rusé qu’elle.
[Ne pensez-vous pas que le corps électoral, pour ceux qui osent encore se déplacer, cherche à élire non pas les meilleurs mais ceux qui pensent comme eux et défendent leurs intérêts ?]
Je ne le crois pas, et c’est particulièrement fort dans l’électorat populaire. Si les gens voulaient être représentés par des gens qui pensent comme eux, ils seraient favorables au tirage au sort des députés, qui est la meilleure manière de fabriquer une chambre qui « ressemble » au peuple et pense comme lui, ou même de passer à la démocratie directe. Et pourtant, les gens rejettent ces deux options.
[ils seraient favorables au tirage au sort des députés]
C’est le meilleur moyen de s’assurer que les tirés aux sorts ne pensent pas comme nous justement. Voter c’est choisir, tirer au sort c’est le laisser à la chance.
Sans parler d’autres problématiques liés à ce mode de scrutin (qui on le sait encourage… Ceux qui peuvent s’absenter de leur travail sans risques, donc ceux déjà présent dans les assemblées… ), je suis surpris de voir cette idée revenir souvent en même temps que le RIC. Alors qu’elles sont fondamentalement opposé : un tiré au sort n’est redevable de rien, un élu est redevable devant le peuple qui l’a choisi.
Pour le reste une démocratie directe je l’imagine plus comme Aline Beziat : une transposition du centralisme démocratique à l’échelle d’un pays.
@ Yoann
[C’est le meilleur moyen de s’assurer que les tirés aux sorts ne pensent pas comme nous justement.]
Pas du tout. Si nous sommes 10% de la population à penser qu’il faut faire telle ou telle chose, le tirage au sort nous garantit d’avoir 10% de nos représentants qui pensent comme nous. Le tirage au sort assure que vos idées seront représentées dans l’assemblée avec le même poids que dans l’opinion.
[Sans parler d’autres problématiques liés à ce mode de scrutin (qui on le sait encourage… Ceux qui peuvent s’absenter de leur travail sans risques, donc ceux déjà présent dans les assemblées… ),]
Clairement, le système de tirage au sort ne fonctionne que si l’on tire au sort dans l’ensemble de la population (et non dans une liste de volontaires) et si les personnes tirées au sort sont obligées de siéger. Si vous vous faites intervenir le volontariat, il est clair que vous allez surreprésenter les classes intermédiaires et les retraités.
[Pour le reste une démocratie directe je l’imagine plus comme Aline Beziat : une transposition du centralisme démocratique à l’échelle d’un pays.]
Sauf que le « centralisme démocratique » a toujours été fondé sur le vote indirect !
@Descartes
Un autre élément m’a frappé. La loi qui vient d’être votée par les parlementaires britanniques de la Chambre des Communes ne ressemble pas à ce qu’on appelle chez nous une loi. C’est un texte qui ordonne au Premier Ministre d’aller porter une lettre précise, avant une date précise, aux autorités de l’UE (si j’ai bien compris, le texte même de la lettre est contenu littéralement dans cette « loi »). C’est donc bien plutôt un décret… Cela me paraît une violation étonnante du principe de séparation des pouvoirs : les parlementaires se prennent pour le PM (ils édictent un décret) et le PM pour un messager diplomatique à leur service.
Je ne vois pas comment ce genre de chose pourrait se produire dans un régime disposant de règles constitutionnelles couchées sur le papier et régissant clairement les domaines d’intervention des uns et des autres.
@ Ian Brossage
[Un autre élément m’a frappé. La loi qui vient d’être votée par les parlementaires britanniques de la Chambre des Communes ne ressemble pas à ce qu’on appelle chez nous une loi.]
Les deux régimes politiques sont très différents. Nous vivons en France sous le régime de séparation des pouvoirs : le pouvoir législatif – qui est celui de faire des règles générales et impersonnelles – réside dans le parlement, le pouvoir exécutif – qui est celui d’organiser la mise en œuvre de la loi par l’édiction d’actes réglementaires ou individuels – résidant dans le Premier ministre et, dans certains domaines, dans le président de la République. La Grande Bretagne vit sous le régime du Parlement souverain. Le Parlement détient donc tous les pouvoirs, le premier ministre ne dispose donc que d’une délégation limitée. Le Parlement peut donc ordonner au premier ministre de faire ou de s’abstenir, ce qui en France serait impossible du fait qu’elle viole la séparation des pouvoirs. Et pour compliquer les choses, le Parlement ne peut légiférer qu’à travers le roi (car le pouvoir réside « in the King, Lords and Commons », alors que la convention constitutionnelle oblige le roi à n’agir « que sous le conseil du premier ministre ».
Vous voyez que tout ça s’enchevêtre. La réponse à la question de savoir si le Premier ministre britannique est ou non obligé de suivre l’injonction du Parlement, s’il peut recommander à la Reine de ne pas accorder son assentiment au vote du Parlement, et si celle-ci suivrait son conseil n’est nullement évidente.
Le Parlement peut bien entendu renvoyer le premier ministre et mettre un autre à la place s’il n’est pas satisfait, mais dans l’état actuel des choses on voit mal comment un autre candidat pourrait emporter une majorité… et surtout, cela donnerait à Johnson la possibilité de dissoudre le Parlement sans son accord. Par ailleurs, Johnson pourrait obéir au Parlement et demander aux 27 un report avec des conditions telles que la demande aurait toutes les chances d’être rejetée (car la prolongation n’est nullement un droit). La partie n’est donc pas jouée.
[C’est un texte qui ordonne au Premier Ministre d’aller porter une lettre précise, avant une date précise, aux autorités de l’UE (si j’ai bien compris, le texte même de la lettre est contenu littéralement dans cette « loi »). C’est donc bien plutôt un décret… Cela me paraît une violation étonnante du principe de séparation des pouvoirs : les parlementaires se prennent pour le PM (ils édictent un décret) et le PM pour un messager diplomatique à leur service.]
Comme je l’ai expliqué plus haut, il n’y a pas en Grande Bretagne de « séparation des pouvoirs ». « Le roi en son Parlement », pour utiliser la formule consacrée, détient l’ensemble des pouvoirs : législatif, exécutif, judiciaire et même constituant.
[Je ne vois pas comment ce genre de chose pourrait se produire dans un régime disposant de règles constitutionnelles couchées sur le papier et régissant clairement les domaines d’intervention des uns et des autres.]
La question n’est pas celle d’une constitution écrite. Une constitution « conventionnelle » comme celle de la Grande Bretagne peut ou non prévoir la séparation des pouvoirs. La situation ne serait pas plus simple si les « conventions de la Constitution » étaient écrites. Le problème britannique est l’ambiguïté constitutionnelle sur le rôle du Premier ministre : est-il le chef de l’exécutif ou n’est-il que le délégué du Parlement ? Quelle est sa marge d’autonomie par rapport aux parlementaires ? Cette question se pose au moins depuis le XVIIIème siècle, l’évolution politique tendant à une séparation de pouvoirs de facto mais qui n’a jamais été franchement entérinée de jure. Peut-être que cette crise constitutionnelle aboutira à établir le rôle du PM comme chef de l’exécutif.
“Contrairement au catholicisme ou au judaïsme, qui tous deux ont eu à coexister en tant que dominés avec un pouvoir civil fort, celui de l’empire Romain, l’Islam s’est développé comme religion dominante. Il n’a pas donc été poussé à théoriser la séparation des autorités civiles et des autorités religieuses.”
Et bien il serait après 1400 ans plus que temps de faire cette séparation, ainsi que d’accepter le droit au blasphème, à l’apostasie, etc.
@ Trublion
[Et bien il serait après 1400 ans plus que temps de faire cette séparation, ainsi que d’accepter le droit au blasphème, à l’apostasie, etc.]
Je ne dis pas le contraire. Mais il y a mille ans de retard à rattraper.
Et depuis quand 1000 ans sont un créneau indispensable pour faire cette séparation ?
Les chinois qui sont +1M ont mis moins d’1/2 siècle pour passer de pays le + pauvre du monde à 2ème puissance mondiale et pour se moderniser.
Quand à la France, car c’est tout ce qui m’intéresse, c’est à nous d’IMPOSER l’allégeance et la loyauté au pays, ses lois et sa civilisation, avoir la même inflexibilité qu’on a eu hier avec les protestants (liberté religieuse contre allégeance au Roi de France, sinon révocation) et les juifs (cf questionnaire Crémieux).
Les vrais racistes sont les anti-racistes autoproclamés qui ont refusé cette inflexibilité envers les musulmans, car je pense qu’au fonds d’eux ils doivent se dire qu’ils n’en sont pas capables (i. e. contrairement aux protestants et aux juifs). Ceux qui postillonnent égalité mais ont refusé l’égalité de traitement (dans l’inflexibilité et l’exigence citées plus haut) envers d’autres nouveaux venus, et les ont maintenus dans cet entre-deux inconfortable pour tout le monde.
@ Bannette
[Et depuis quand 1000 ans sont un créneau indispensable pour faire cette séparation ?]
On peut changer les lois en quelques jours, mais changer les mentalités, cela prend très, très longtemps.
[Les chinois qui sont +1M ont mis moins d’1/2 siècle pour passer de pays le + pauvre du monde à 2ème puissance mondiale et pour se moderniser.]
A se moderniser techniquement, oui. Mais les mentalités ne changent que très lentement. Et n’oubliez pas que la Chine avait développé bien avant l’occident les structures mentales qui ont permis cette modernisation. En particulier, la séparation entre le religieux et le civil en Chine est très ancienne.
[Quant à la France, car c’est tout ce qui m’intéresse, c’est à nous d’IMPOSER l’allégeance et la loyauté au pays, ses lois et sa civilisation, avoir la même inflexibilité qu’on a eu hier avec les protestants (liberté religieuse contre allégeance au Roi de France, sinon révocation) et les juifs (cf questionnaire Crémieux).]
Je suis tout à fait d’accord. Ce que vous décrivez, c’est la logique assimilationniste. Je nuancerai tout de même un point : on ne peut pas « imposer » la loyauté ou l’allégeance, tout simplement parce qu’on ne gouverne pas les pensées des gens. Ce qu’on peut – et on devrait faire – c’est d’imposer l’allégeance et la loyauté aux règles du pays comme condition de la citoyenneté et de la résidence sur le territoire.
Il me semble sentir un léger frémissement de vos positions concernant “les musulmans” … Les individus sont ce qu’ils sont, dans le cadre où ils évoluent, mais leur attachements influent sur leur comportement. Parler des musulmans est insuffisant -en plus d’être limite ! – il faut évoquer l’islam car ce dogme est extrêmement prégnant. C’est une arme de guerre, de conquête, d’organisation totalitaire mais son contenu spirituel est plus que faiblard : comme le notait Salaheddine Mohsen le coran est le livre saint de l’ignorance bédouine. D’un coté le Livre, de l’autre la récitation ; un livre c’est écrit, intangible donc un fondement du débat, le moyen de garder trace, le “par cœur” au contraire efface la possibilité de l’échange, du contradictoire.
Il y aurait beaucoup à dire sur l’intégration des juifs mais nottons qu’a l’époque de Clermont Tonnerre ils représentaient en France 100 fois moins de personnes que les musulmans d’aujourd’hui ; quand aux protestants espérons au moins que nous pourrons éviter la Saint-Barthélémy.
@ Gerard Couvert
[Il me semble sentir un léger frémissement de vos positions concernant “les musulmans”…]
Comme vous le savez, je ne vois rien de déshonorant à changer d’avis en fonction de l’expérience et des idées nouvelles. Cependant, je vous avoue que je ne vois pas très bien sur quel sujet particulier mon positionnement aurait « frémi »…
[Les individus sont ce qu’ils sont, dans le cadre où ils évoluent, mais leurs attachements influent sur leur comportement. Parler des musulmans est insuffisant -en plus d’être limite ! – il faut évoquer l’islam car ce dogme est extrêmement prégnant.]
Ce n’est pas aussi simple. Les textes fondateurs de l’Islam sont, comme tout texte, soumis à interprétation et cette interprétation a d’ailleurs beaucoup varié au cours de l’histoire et la géographie. On ne peut donc pas parler d’un « dogme » pour l’Islam pas plus qu’on ne peut parler d’un « dogme » chrétien qui serait unique et immuable.
[C’est une arme de guerre, de conquête, d’organisation totalitaire mais son contenu spirituel est plus que faiblard : comme le notait Salaheddine Mohsen le coran est le livre saint de l’ignorance bédouine.]
Oui et non. L’information historique dont on dispose sur Mahomet est très fragmentaire et ne permet pas vraiment de se faire une idée de son niveau de culture. De plus, le texte du Coran tel qu’on le connait aujourd’hui n’a été stabilisé que plusieurs décennies après la mort du Prophète, et les travaux des historiens ont montré qu’il en existe plusieurs versions différentes. Ceux qui ont écrit le texte tel qu’on le connait aujourd’hui n’étaient probablement pas des « bédouins ignorants »…
Cela étant dit, il me semble excessif de dire qu’un livre qui a tout de même traversé un millénaire et demi d’histoire et qui commande encore aujourd’hui l’adhésion d’un milliard d’êtres humains puisse avoir un « contenu spirituel plus que faiblard ».
[D’un côté le Livre, de l’autre la récitation ; un livre c’est écrit, intangible donc un fondement du débat, le moyen de garder trace, le “par cœur” au contraire efface la possibilité de l’échange, du contradictoire.]
Vous oubliez un peu vite je trouve que c’est le lot commun de toutes les religions. Pendant des siècles le christianisme a lui aussi été une affaire de récitation de prières apprises par cœur par des croyants illettrés. Jusqu’au XXème siècle, les offices et les sacrements étaient prononcés dans une langue – le Latin – que seule une minorité de fidèles comprenaient et dont les formules étaient donc répétées mécaniquement. Le christianisme n’a pas plus que l’Islam encouragé le « contradictoire ». Ce n’est pas Torquemada qui me contredira.
Je continue à penser que la grande différence entre l’Islam et le judéo-christianisme tient aux relations de ce dernier avec le monde romain. Juifs et Chrétiens ont été obligés de théoriser les rapports de leur religion avec un Etat civil puissant qui, sans leur être particulièrement hostile, n’était pas prêt non plus à se laisser faire. L’Islam s’est constitué au contraire comme une religion dominante dans un paysage institutionnel vide.
[Il y aurait beaucoup à dire sur l’intégration des juifs mais notons qu’à l’époque de Clermont Tonnerre ils représentaient en France 100 fois moins de personnes que les musulmans d’aujourd’hui ; quand aux protestants espérons au moins que nous pourrons éviter la Saint-Barthélémy.]
A l’époque de Clermont-Tonnerre, c’est possible. Mais à l’époque de Crémieux, c’est déjà moins évident.
Vous savez que je ne rebondi que très rarement sur vos contre-arguments, mais je vais le faire ce soir, car il y a trop de dires éculés dans votre réponse.
“Ce n’est pas aussi simple. Les textes fondateurs de l’Islam sont, comme tout texte, soumis à interprétation et cette interprétation a d’ailleurs beaucoup varié au cours de l’histoire et la géographie. On ne peut donc pas parler d’un « dogme » pour l’Islam pas plus qu’on ne peut parler d’un « dogme » chrétien qui serait unique et immuable.”
Il n’y a pas des textes fondateurs mais un seul et unique : le coran. Le reste de la summa n’est qu’arguties et discussions sur la transmission de tel ou tel verset. Je serais preneur d’un exemple de variation connue ou de l’interprétation autres que les éléments évoqués plus haut, et que les “écoles” musulmanes auraient pris comme référence.
Je suis étonné qu’en dépit de votre intelligence, que nous apprécions tous, vous utilisiez la comparaison avec la chrétienté qui dans ce débat sur l’islam dénote un coté laïcard, voir GOF (vous savez les inventeurs de “l’andalousie heureuse” cf. la confession de Jean Daniel).
“L’information historique dont on dispose sur Mahomet est très fragmentaire et ne permet pas vraiment de se faire une idée de son niveau de culture.” Un peu quand même, une sorte de Gilbert Bourdin en plus sanguinaire.
” De plus, le texte du Coran tel qu’on le connait aujourd’hui n’a été stabilisé que plusieurs décennies après la mort du Prophète”
“du Prophète”, auriez-vous fait allégeance ? d’un prophète (sans majuscule) suffit, et encore faut-il croire aux prophéties.
” n’étaient probablement pas des « bédouins ignorants » ”
Certes, le texte actuel est plutôt du XIIeme siècle (selon notre calendrier), mais un certain nombre de choses semblent provenir d’un texte rédigé bien avant ; comme par exemple le terme “vin” puis “boissons fermentées” et non “boissons alcoolisées” alors que l’antiquité connait l’alcool et que les musulmans perfectionnent les procédés de distillation.
“il me semble excessif de dire qu’un livre qui a tout de même traversé un millénaire et demi d’histoire et qui commande encore aujourd’hui l’adhésion d’un milliard d’êtres humains puisse avoir un « contenu spirituel plus que faiblard ».”
C’est bien là que la tragédie prend sa source ; je vous renvoi à des dizaines de citations de tout ce que l’occident à produit comme penseurs ou artistes qui sont unanimes sur le peu de spiritualité propre de l’islam (et je vous en prie ne me parlez pas des Soufis, pré-ado j’ai passé des heures avec l’un d’entre eux). Le plus sévère et sans conteste Lévy Strauss que l’on peut difficilement ranger dans la catégorie “bas-de-plafond-raciste”.
“Pendant des siècles le christianisme a lui aussi été une affaire de récitation de prières apprises par cœur par des croyants illettrés”
Faux, peu de prières en rapport avec le nombre de sourates, et pas d’obligation de les apprendre par cœur dés l’enfance. Dans l’Empire Byzantin l’école “publique” romaine reste en place avec un taux d’alphabètes élevé. Illettrés peut être mais pas incultes, sculptures et fresques sont là. Dés l’invention de l’imprimerie la chrétienté s’alphabétise rapidement, je vous rappelle que le premier livre imprimé en arabe dans un pays musulman c’est dans le premier quart du XVIIIeme.
“Jusqu’au XXème siècle, les offices et les sacrements étaient prononcés dans une langue – le Latin – que seule une minorité de fidèles comprenaient et dont les formules étaient donc répétées mécaniquement”
Et alors . Tout le monde savaient ce que ces formules disaient et c’est le rituel qui prédominait (d’ailleurs il y a de plus en plus d’adeptes d’un retour au Latin liturgique.) C’est très différent du coran qui est un long texte mais n’est pas en soit un élément du rituel de prière.
“Le christianisme n’a pas plus que l’Islam encouragé le « contradictoire ». Ce n’est pas Torquemada qui me contredira.”
J’entends cette phrase des dizaines de fois par an ! Généralement ma réponse est virulente tant je range ces assertions dans la case “mensonges ou inculture”.
Le christianisme -je vous rappelle que ce n’est pas ma religion ni mon environnement culturel ou familial – n’est que “disputatio”, dés l’origine tout se discute, tout s’affirme avec méthode ; Augustin d’Hippone en fait même un devoir religieux, tout comme plus tard Ignace de Loyola. La Grèce et Rome sont passées par là, les bulles apostoliques, les encycliques, les conciles, ne sont rien d’autre que des actes contradictoires, révélant un débat de fond. Même l’Inquisition est un lieu contradictoire, où règne le droit (en fonction des cannons de l’époque) , le nombre de condamnations est faible, le nombre de condamnations à mort aussi, réduit par des exécutions pas systématiques.
Oser évoquer Torquenada est faire preuve d’un peu de mauvaise foi ou bien de méconnaissance de ce que fut l’Inquisition Hispanique. On peut ajouter que l’Inquisition et une institution qui n’a à juger que des chrétiens ou réputés tels, alors que tout musulman a le devoir de tuer l’apostat ou l’infidèle récalcitrant.
“Je continue à penser que la grande différence entre l’Islam et le judéo-christianisme tient aux relations de ce dernier avec le monde romain. Juifs et Chrétiens ont été obligés de théoriser les rapports de leur religion avec un Etat civil puissant qui, sans leur être particulièrement hostile, n’était pas prêt non plus à se laisser faire. L’Islam s’est constitué au contraire comme une religion dominante dans un paysage institutionnel vide.”
Sans aller jusqu’au “Civis romanum sum” de Paul de Tarse il faut noter que d’un point du vue du droit, et de nombre d’actes quotidiens les juifs et les chrétiens de l’antiquité sont romains, sujets ou citoyens selon les cas et citoyens à partir de 212. D’un point de vue philosophique je pense que les chrétiens sont au début la part des juifs acceptant l’universalité de l’Urb ; ensuite l’occident va modifier diverses attaches et se couper de la judaïté, Augustin, toujours lui, s’en fait l’écho, alors que Tertulien s’en réjoui. Pour finir le processus d’occidentalisation Constantin ne christianise pas l’Empire, mais romanise l’Église. Les juifs pour des raisons autant théologiques que politiques et sociales, vont cristalliser leur religion. Mahomet connait le monde romain périphérique, mais aussi la religion chrétienne et un peu plus le judaïsme puisque les tribus arabes sont fortement judaïsées ou christianisées. Si l’organisation politique de l’Arabie est tribale et peu développée il n’en n’est pas de même des premières terres conquises, pourtant il faut attendre presque un siècle pour qu’un semblant d’administration globale se mette en place. Nous sommes d’avis proche sur le constat, mais pourquoi ces régressions ?
Faut-il croire Ibn Khaldoun “Voyez tous les pays que les Arabes ont conquis depuis les siècles les plus reculés : la civilisation en a disparu, ainsi que la population le sol même paraît avoir changé de nature.”
“A l’époque de Clermont-Tonnerre, c’est possible. Mais à l’époque de Crémieux, c’est déjà moins évident.”
??? Même avec les 30/35 000 juifs d’Algérie on reste très loin des 7/9 % de musulmans d’aujourd’hui.
@ Gérard Couvert
[Vous savez que je ne rebondi que très rarement sur vos contre-arguments, mais je vais le faire ce soir, car il y a trop de dires éculés dans votre réponse.]
Oh… !
[Il n’y a pas des textes fondateurs mais un seul et unique : le coran. Le reste de la summa n’est qu’arguties et discussions sur la transmission de tel ou tel verset.]
Pas seulement. Il y a aussi les hadiths. D’une part les hadiths « sacrés », qui sont considérés comme rapportant la parole de dieu directement, et puis les autres, censés rapporter les paroles et les actes du Prophète.
[Je suis étonné qu’en dépit de votre intelligence, que nous apprécions tous, vous utilisiez la comparaison avec la chrétienté qui dans ce débat sur l’islam dénote un coté laïcard, voir GOF (vous savez les inventeurs de “l’andalousie heureuse” cf. la confession de Jean Daniel).]
Pas d’amalgames, je vous prie. La comparaison avec la chrétienté est assez naturelle : le Judaisme, le Christianisme et l’Islam sont trois branches du même arbre, celui des monothéismes abrahamiques. Toutes les trois acceptent avec des variations la cosmogonie décrite par la Torah hébraïque, tous trois se construisent autour d’un texte sacré révélé par Dieu à un ou plusieurs hommes, tous trois ont rejeté l’idolâtrie. La comparaison est donc assez naturelle. Ce qui les différentie, ce sont les conditions de leur développement historique. Le judaïsme est depuis la chute de Jérusalem une religion minoritaire, gérant un rapport difficile avec un Etat au mieux indifférent, au pire hostile. Le christianisme a une longue tradition de religion d’Etat construit dans le cadre de la romanité. L’Islam a été dès le départ la religion officielle d’une tribu conquérante.
[“L’information historique dont on dispose sur Mahomet est très fragmentaire et ne permet pas vraiment de se faire une idée de son niveau de culture.” Un peu quand même, une sorte de Gilbert Bourdin en plus sanguinaire.]
On n’en sait rien. Si la réalité du personnage est attestée, on n’a aucune information fiable sur ce que fut sa naissance son enfance ou son éducation.
[”De plus, le texte du Coran tel qu’on le connait aujourd’hui n’a été stabilisé que plusieurs décennies après la mort du Prophète” “du Prophète”, auriez-vous fait allégeance ? d’un prophète (sans majuscule) suffit, et encore faut-il croire aux prophéties.]
Dire « le roi soleil » à la place de « Louis XIV » ne fait pas de vous un partisan de l’absolutisme monarchique. Dire « le Prophète » plutôt que « Mahomet » n’est qu’une figure de style, rien de plus, pour éviter de répéter le même terme à tout bout de champ. La majuscule est obligatoire puisqu’on parle d’un prophète bien particulier et identifié, et non d’un prophète en général.
[C’est bien là que la tragédie prend sa source ; je vous renvoie à des dizaines de citations de tout ce que l’occident à produit comme penseurs ou artistes qui sont unanimes sur le peu de spiritualité propre de l’islam (et je vous en prie ne me parlez pas des Soufis, pré-ado j’ai passé des heures avec l’un d’entre eux). Le plus sévère et sans conteste Lévy Strauss que l’on peut difficilement ranger dans la catégorie “bas-de-plafond-raciste”.]
Malgré tous mes efforts, je n’ai pas réussi à retrouver une remarque de Lévy-Strauss sur la spiritualité des textes islamiques. L’éminent anthropologue (si vous me pardonnez la figure de style) avait beaucoup critiqué l’Islam dans « tristes tropiques » sur beaucoup de points, mais pas sur celui-là. D’une façon générale, je me méfie du concept de « spiritualité ». Je n’ai jamais trouvé beaucoup de hauteur spirituelle dans la répétition des mantras bouddhiques, et pourtant les bienpensants louent la spiritualité de charlatans comme Matthieu Ricard… la spiritualité, c’est surtout une question de mode.
[“Pendant des siècles le christianisme a lui aussi été une affaire de récitation de prières apprises par cœur par des croyants illettrés” Faux, peu de prières en rapport avec le nombre de sourates, et pas d’obligation de les apprendre par cœur dés l’enfance.]
Pardon, mais dans nos campagnes l’instruction religieuse commençait vers six ans et comprenait la récitation par cœur du « paternoster », de « l’ave maria » et du « credo » plus les réponses de la messe, et tout ça jusqu’aux années 1960 en latin (langue que peu de chrétiens parlaient. Dire qu’on ne faisait pas apprendre de mémoire depuis l’enfance… faut tout de même pas exagérer.
Il est par contre vrai de dire que le christianisme n’a jamais imposé une discipline de tous les instants telle qu’elle existe dans l’Islam – ou dans le judaïsme d’ailleurs. On ne fait pas apprendre par cœur des livres entiers, on ne dit pas ce qu’on peut ou pas manger, si on peut ou non allumer les lumières, etc. C’est là aussi l’empreinte de la romanité
[Dans l’Empire Byzantin l’école “publique” romaine reste en place avec un taux d’alphabètes élevé. Illettrés peut être mais pas incultes, sculptures et fresques sont là.]
Là encore, il faut remercier la romanité. L’héritage grégo-latin a permis une rupture radicale avec la tradition judaïque en encourageant la représentation artistique à caractère religieux. Mais si le monde byzantin reste relativement cultivé, l’église d’occident l’est beaucoup moins. Les lettrés sont rares parmi les catholiques en dehors des milieux cléricaux : même Charlemagne était illettré, c’est dire…
[Dès l’invention de l’imprimerie la chrétienté s’alphabétise rapidement, je vous rappelle que le premier livre imprimé en arabe dans un pays musulman c’est dans le premier quart du XVIIIeme.]
Là, vous faites erreur. Les arabes ont commencé à utiliser l’impression xylographique à partir du Xème siècle. Ils n’ont par contre pas adopté l’imprimerie à types mobiles : l’idée que la Parole est en elle-même sacré et a un pouvoir magique (une idée héritée là encore du judaïsme) implique qu’on ne peut utiliser le type mobile. Comment comprendre que la lettre qui aujourd’hui sert à écrire le nom de Yahve puisse demain servir dans la composition de mots que la morale réprouve ?
Paradoxalement, si l’imprimerie a type mobile était interdite en pays musulman, des livres profanes étaient imprimés en caractères arabes en Europe et exportés vers le monde musulman !
[“Jusqu’au XXème siècle, les offices et les sacrements étaient prononcés dans une langue – le Latin – que seule une minorité de fidèles comprenaient et dont les formules étaient donc répétées mécaniquement” Et alors.]
Et alors, cela montre que l’on apprenait dans le monde chrétien pas mal de choses par cœur. C’était là le point, non ?
[“Le christianisme n’a pas plus que l’Islam encouragé le « contradictoire ». Ce n’est pas Torquemada qui me contredira.” (…) Le christianisme -je vous rappelle que ce n’est pas ma religion ni mon environnement culturel ou familial – n’est que “disputatio”, dès l’origine tout se discute, tout s’affirme avec méthode ; Augustin d’Hippone en fait même un devoir religieux, tout comme plus tard Ignace de Loyola.]
A l’origine, certainement, et c’était encore le cas du temps de Saint Augustin. Mais plus le christianisme s’est rapproché du pouvoir, et plus la « disputatio » a été enfermée dans des marges étroites. Bien entendu, les débats n’ont jamais cessé, mais quand un débatteur posait des questions gênantes et n’avait pas derrière lui un « protecteur » puissant, il finissait sur le bûcher comme sorcier ou comme hérétique. Jan Hus, Giordano Bruno, Thomas Cranmer sont d’excellents exemples de ce qui arrivait quand la « disputatio » devenait un peu trop chaude.
Je vous rappelle aussi que la « disputatio » existe aussi chez les juifs et les musulmans, même s’il s’agit d’une disputation plus tournée vers l’aspect juridique que philosophique ou théologique. C’est là encore une fois que l’Islam se distingue du christianisme puisque la loi religieuse et la loi civile ne font qu’un, alors que le christianisme a hérité de ses rapports avec la romanité la séparation des deux ordres.
[La Grèce et Rome sont passées par là, les bulles apostoliques, les encycliques, les conciles, ne sont rien d’autre que des actes contradictoires, révélant un débat de fond. Même l’Inquisition est un lieu contradictoire, où règne le droit (en fonction des canons de l’époque), le nombre de condamnations est faible, le nombre de condamnations à mort aussi, réduit par des exécutions pas systématiques.]
Faudrait expliquer cela aux cathares, aux patarins et autres hérésies « de masse ». Pour les penseurs, la discipline religieuse – la menace d’excommunication, l’enfermement monacal – étaient suffisantes pour réduire les importuns au silence. Sauf bien entendu quand ils avaient de puissants protecteurs…
J’ajoute que le débat a existé aussi en terre d’Islam. Pensez à la formation des grandes écoles de pensée islamique, au schisme entre chiites et sunnites.
[Oser évoquer Torquemada est faire preuve d’un peu de mauvaise foi ou bien de méconnaissance de ce que fut l’Inquisition Hispanique. On peut ajouter que l’Inquisition et une institution qui n’a à juger que des chrétiens ou réputés tels, alors que tout musulman a le devoir de tuer l’apostat ou l’infidèle récalcitrant.]
Là encore, la ressemblance est frappante. Après le décret de l’Alhambra qui ordonne l’expulsion des juifs d’Espagne, l’Inquisition reçoit juridiction sur les juifs qui seraient restés malgré le décret, tout comme ceux dont la conversion n’est pas jugée suffisamment « sincère ». Beaucoup sont torturés et mis à mort. Cela rappelle singulièrement la position du Coran quant à l’apostasie, vous ne trouvez pas ?
[Sans aller jusqu’au “Civis romanum sum” de Paul de Tarse il faut noter que d’un point de vue du droit, et de nombre d’actes quotidiens les juifs et les chrétiens de l’antiquité sont romains, sujets ou citoyens selon les cas et citoyens à partir de 212.]
Oui et non. Jusqu’à la révolte de 73 AD la Palestine reste juridiquement un royaume autonome tributaire de l’empire romain et les juifs ont donc un statut personnel différent des romains, sont soumis à une législation différente appliquée par des tribunaux spécifiques (le Sanhedrin). Les juifs ne sont pas à strictement parler « romains », même s’ils sont pour beaucoup largement romanisés (je laisse de côté les communautés installées en Mésopotamie et en Perse, qui ont une histoire très différente). Après la révolte la Palestine deviendra une province, et les juifs deviendront sujets puis citoyens après la réforme de 212 AD.
[D’un point de vue philosophique je pense que les chrétiens sont au début la part des juifs acceptant l’universalité de l’Urb ; ensuite l’occident va modifier diverses attaches et se couper de la judaïté, Augustin, toujours lui, s’en fait l’écho, alors que Tertulien s’en réjouit.]
Je partage l’analyse. Certains juifs sont restés arcboutés sur une tradition ancienne, répétant les gestes et obéissant aux lois de leurs ancêtres, d’autres ont embrassé ce qu’on pourrait appeler la modernité romaine, ont voyagé, se sont mêlés de politique…
[Faut-il croire Ibn Khaldoun “Voyez tous les pays que les Arabes ont conquis depuis les siècles les plus reculés : la civilisation en a disparu, ainsi que la population le sol même paraît avoir changé de nature.”]
Cela dépend. Certaines conquêtes arabes ont abouti à des sociétés riches et cultivées. Ce fut le cas en Espagne : même si je ne partage pas la vision paradisiaque d’Al-Andalous qui est à la mode aujourd’hui, on ne peut contester la richesse des philosophes, des artistes, des artisans hispano-arabes. Ce fut le cas aussi en Perse. Ailleurs, c’est plus discutable : l’Egypte musulman n’a jamais eu le rayonnement culturel et scientifique de l’Egypte hellénistique.
[“A l’époque de Clermont-Tonnerre, c’est possible. Mais à l’époque de Crémieux, c’est déjà moins évident.” ??? Même avec les 30/35 000 juifs d’Algérie on reste très loin des 7/9 % de musulmans d’aujourd’hui.]
Je ne pense pas aux juifs d’Algérie mais l’arrivée en grand nombre au début du XXème siècle des juifs d’Europe centrale. Dans les années 1930, les juifs en France étaient plus d’un demi-million, qui plus est très concentrés dans certaines villes. Même s’ils n’étaient pas aussi nombreux que les musulmans aujourd’hui, on n’était plus dans un rapport de un à cent !
Je crois inutile de reprendre tous vos contre-arguments ce serait fastidieux pour les lecteurs, je me contenterais de quelques remarques à commencer par le fait que un demi-million c’est proche de 0,9% de la population ce qui fait encore 10 fois moins.
Globalement vous défendez une vision de l’islam héritée du PCF post-colonial et de la gauche progressiste, que des centaines d’apostat de ce dogme totalitaire, archaïque et liberticide nous disent ce qu’il est, ne change rien, vous ne démordez pas, en homme de gauche vous pensez que le réel doit plier.
Artistes musulmans en Andalousie … mouais : artisans souvent juifs ou chrétiens, recroquevillement puritain tous les 40 ans, ou tous les deux grands pogroms si vous préférez ce moyen de mesure, art de type mandala CM2 … quand aux philosophes -le ‘s’ serait presque de trop- il faut apprécier leur sort final, leur influence sur la société et les avancées incontestables qu’ils auraient apporté à la marche de l’Humanité. Pour la Perse, l’islam n’est pour rien dans son rayonnement, c’est exactement l’inverse, seulement cette brillante civilisation a résisté plus longtemps que celle de la romanité tardive des Wisigoths ; au fur et à mesure de l’islamisation (et de l’écrasement des Zoorastriens et des Juifs) la Perse sombre comme toute terre dominé par le coran. Je ne résiste pas à la citation de E. Renan, “Ôtons à l’islam la science indienne et l’Art Perse, il reste un bédouin, son chameau et son sabre”.
@ Gérard Couvert
[Je crois inutile de reprendre tous vos contre-arguments ce serait fastidieux pour les lecteurs, je me contenterais de quelques remarques à commencer par le fait que un demi-million c’est proche de 0,9% de la population ce qui fait encore 10 fois moins.]
De cent fois moins on est passé à dix fois moins. Un ordre de grandeur, cela devrait faire quelque différence, non ?
[Globalement vous défendez une vision de l’islam héritée du PCF post-colonial et de la gauche progressiste, que des centaines d’apostat de ce dogme totalitaire, archaïque et liberticide nous disent ce qu’il est, ne change rien, vous ne démordez pas, en homme de gauche vous pensez que le réel doit plier.]
S’il y a quelque chose qui me gonfle, c’est ce genre d’amalgames. Si ma vision était « héritée du PCF postcolonial et de la gauche progressiste », j’ai du mal à comprendre pourquoi elle m’a valu d’être voué aux gémonies par ceux qui se considèrent héritiers de cette vision. C’est ça le plus drôle : je me fais traiter de facho par la « gauche progressiste », et je me fais traiter de « gauche progressiste » par vous. Avouez qu’il est difficile de comprendre quelque chose.
J’exprime mon opinion, fondée sur l’observation et l’analyse que je peux faire du réel avec les éléments dont je dispose et le peu d’intelligence que mes parents m’ont donnée. Que vous ne soyez pas d’accord, c’est votre droit. Mais de grâce évitez moi des remarques qui font penser que vous vous considérez seul maître du « réel ». Je respecte votre vision, et c’est pourquoi je m’abstient d’user d’épithètes ou de faire des amalgames. Faites-moi l’amitié de respecter la mienne.
[Artistes musulmans en Andalousie … mouais : artisans souvent juifs ou chrétiens, recroquevillement puritain tous les 40 ans, ou tous les deux grands pogroms si vous préférez ce moyen de mesure, art de type mandala CM2… quand aux philosophes -le ‘s’ serait presque de trop- il faut apprécier leur sort final, leur influence sur la société et les avancées incontestables qu’ils auraient apporté à la marche de l’Humanité.]
Je ne considère pas que le superbe palais de l’Alhambra soit « de type mandala CM2 ». L’avez-vous visité ? Je pense que vous vous laissez aveugler par un sentiment de haine. La civilisation arabo musulmane eut son heure de gloire, produisant des travaux philosophiques, scientifiques, historiques, artistiques d’une grande qualité, produisant des œuvres d’art et de l’esprit qui, à l’époque, étaient parmi les plus avancées du monde. On peut discuter des facteurs qui ont fait que cette brillante civilisation s’est figée vers le XIIème siècle puis reculé vers une vision réactionnaire qui est la sienne aujourd’hui. Mais vouloir nier les faits rétroactivement, cela ne me semble pas très productif.
[Pour la Perse, l’islam n’est pour rien dans son rayonnement, c’est exactement l’inverse, seulement cette brillante civilisation a résisté plus longtemps que celle de la romanité tardive des Wisigoths ; au fur et à mesure de l’islamisation (et de l’écrasement des Zoorastriens et des Juifs) la Perse sombre comme toute terre dominé par le coran. Je ne résiste pas à la citation de E. Renan, “Ôtons à l’islam la science indienne et l’Art Perse, il reste un bédouin, son chameau et son sabre”.]
Ce n’est pas faux. Les foyers les plus brillants de la civilisation islamique sont souvent ceux ou les « bédouins » arabes ont pu assimiler un héritage, qu’il fut perse, romain, wisigothique ou juif. Il n’empêche que l’islamisation a donné à la Perse, qui était tombée dans une torpeur historique, un nouveau dynamisme pour produire des œuvres d’art de science et d’architecture exceptionnelles.
@ Descartes
[Je ne considère pas que le superbe palais de l’Alhambra soit « de type mandala CM2 ». L’avez-vous visité ? Je pense que vous vous laissez aveugler par un sentiment de haine. La civilisation arabo musulmane eut son heure de gloire, produisant des travaux philosophiques, scientifiques, historiques, artistiques d’une grande qualité, produisant des œuvres d’art et de l’esprit qui, à l’époque, étaient parmi les plus avancées du monde. ]
Tu le sais, je suis globalement d’accord avec toi sur le sujet… Mais parler de “civilisation arabo-musulmane” c’est à mon avis aller bien vite en besogne, puisqu’on se retrouve à comparer des choses qui n’ont rien à voir dans le temps et l’espace. Que dire si quelqu’un faisait des généralités du genre l'”Europe chrétienne était ci ou ça” ? Permets-moi de narrer une anecdote personnelle. J’ai entendu ce genre de généralisations de l’autre côté de la “frontière civilisationnelle” : deux amis à moi – un juif et un chrétien iraniens – se disputaient pour savoir si “l’Europe” était antisémite à la renaissance. L’un avait cité les persécutions des juifs en Espagne, l’autre les communautés juives florissantes en Pologne-Lituanie, presque au même moment. Chacun essayait de convaincre l’autre et qu’une réponse tranchée pouvait être donnée. Et ma remarque que ce qu’était “l’Europe chrétienne” était tellement divers et le concept historiquement tellement vague qu’il en devenait presque inepte a été reçu avec scepticisme…
[On peut discuter des facteurs qui ont fait que cette brillante civilisation s’est figée vers le XIIème siècle puis reculé vers une vision réactionnaire qui est la sienne aujourd’hui. Mais vouloir nier les faits rétroactivement, cela ne me semble pas très productif. ]
Les mongols y ont été pour beaucoup. Les estimations historiques récentes de l’ampleur de la destruction font froid dans le dos. Mais même malgré ça, dire que “la civilisation arabo-musulmane” a décliné est encore une fois faire une généralité grossière. L’âge d’or de l’Iran islamique est généralement considéré comme la période Safavide, entre le seizième et le dix-huitième siècle. Il faut dire qu’ils faisaient de très jolis “mandalas” à l’époque :
Cet “âge d’or” trouvera sa fin dans la quasi-destruction d’Ispahan par les Afghans, dont l’Iran ne se relèvera en fait jamais.
@ BolchoKek
[Tu le sais, je suis globalement d’accord avec toi sur le sujet… Mais parler de “civilisation arabo-musulmane” c’est à mon avis aller bien vite en besogne, puisqu’on se retrouve à comparer des choses qui n’ont rien à voir dans le temps et l’espace.]
J’ai dû me faire mal comprendre. Si j’ai parlé de « civilisation arabo-musulmane », c’est justement parce que tous les peuples islamisés ne sont pas « arabes ». Il n’y a donc pas une seule « civilisation islamique », mais plusieurs. Perses, moghols, ottomans ont été islamisés sans adopter les traits culturels des peuples arabes. La civilisation « arabo-musulmane » atteint son apogée autour du XIIème siècle, et décline ensuite.
[Que dire si quelqu’un faisait des généralités du genre l’”Europe chrétienne était ci ou ça” ?]
La comparaison est spécieuse, parce que l’Islam est à la fois une doctrine religieuse et une législation civile et politique. Ce fait donne une unité politique au monde musulman que le monde chrétien n’a jamais eu.
[Les mongols y ont été pour beaucoup. Les estimations historiques récentes de l’ampleur de la destruction font froid dans le dos. Mais même malgré ça, dire que “la civilisation arabo-musulmane” a décliné est encore une fois faire une généralité grossière. L’âge d’or de l’Iran islamique est généralement considéré comme la période Safavide, entre le seizième et le dix-huitième siècle.]
On se comprend mal : l’Iran ne fait pas partie du monde « arabo-musulman ». Les iraniens ne sont pas des « arabes », mais des perses. Leur culture n’est pas celle des bédouins de la péninsule arabique. La formule « arabo-musulman » visait justement à éviter la généralisation que vous me reprochez.
Bonjour
Il y a une assertion de certains marxistes qui me laisse perplexe : l’idée que ce sont les rapports de classes qui modifient la technique, comme si l’invention de l’automobile était le fruit des rapports de classes !
Pour ma part je pense que c’est l’état de la technologie qui modifie les rapports de classes.
@ Trublion
[Il y a une assertion de certains marxistes qui me laisse perplexe : l’idée que ce sont les rapports de classes qui modifient la technique, comme si l’invention de l’automobile était le fruit des rapports de classes !]
Il faut séparer deux choses : d’un côté l’invention, de l’autre ce qu’on en fait. Héron d’Alexandrie invente une machine à vapeur au Ier siècle de notre ère. Mais qu’est-ce que les hommes ont fait de cette invention ? Sur le moment, rien. Il faut attendre le XVIIIème siècle pour que la force motrice de la vapeur reçoive une application économique. Pourquoi cette distance ? Parce que le mode de production – inséparable du rapport de classe – du temps d’Héron d’Alexandrie n’avait pas besoin de la force motrice de la vapeur. Avec autant d’esclaves pour tourner la manivelle, quel intérêt d’investir pour développer une machine à vapeur ?
Par ailleurs, vous noterez que beaucoup d’inventions visent à résoudre un problème qui est effectivement posé. Or, les problèmes qui se posent à une société sont intimement liés au mode de production, et donc au rapport entre les classes. Pourquoi à votre avis aucune société précapitaliste n’a inventé la production à la chaîne ?
[Pour ma part je pense que c’est l’état de la technologie qui modifie les rapports de classes.]
Il y a une dialectique entre les deux. Les progrès technologiques modifient les rapports de classe, et à son tour les nouveaux rapports de classe permettent à des technologies d’être mises en œuvre.
“Pourquoi cette distance ? Parce que le mode de production – inséparable du rapport de classe – du temps d’Héron d’Alexandrie n’avait pas besoin de la force motrice de la vapeur”
Un peu simpliste. Pourquoi alors les romains ont-il utilisé les moulins à eau, parfois d’une façon industrielle comme à Barbegal ? Et et le soin apporté à la création de cheminement pour l’usage de la force des ânes. Vous oubliez aussi toutes les Lois qui ont tenté de limiter le nombre d’affranchissements d’esclaves.
Je me suis souvent posé la question d’inventions que les romains n’ont pas exploité, par exemple l’imprimerie : ils utilisent des caractères creux séparés pour marquer des produits, ils disposent d’encre et de supports adéquats, mais rien ! Alors qu’ils sont capables d’exploits techniques dans la verrerie.
Pour en revenir à la vapeur il y avait des problèmes métallurgiques à résoudre et aussi la capacité à usiner les paliers d’axe, on voit ces limites dans les pompes retrouvées.
Il y a une sorte de déclic, individuel ou collectif, dans l’émergence des inventions et un moment favorable (cf le découverte de l’aluminium), l’action politique est aussi parfois en cause, songeons à Napoléon n’aidant pas Fulton !
@ Gérard Couvert
[“Pourquoi cette distance ? Parce que le mode de production – inséparable du rapport de classe – du temps d’Héron d’Alexandrie n’avait pas besoin de la force motrice de la vapeur” Un peu simpliste. Pourquoi alors les romains ont-il utilisé les moulins à eau, parfois d’une façon industrielle comme à Barbegal ?]
Je vous accorde que j’ai été un peu vite dans l’exposé du raisonnement. Oui, les romains avaient besoin d’une force motrice. Mais pour moudre le grain, l’eau était bien plus économique que la vapeur (et cela est resté vrai jusqu’au XXème siècle…). Et pour les autres usages – par exemple, pomper l’eau des mines – les esclaves étaient eux aussi plus économiques. Il n’y avait donc pas de créneau pour la vapeur. Quand les esclaves sont devenus rares…
[Je me suis souvent posé la question d’inventions que les romains n’ont pas exploité, par exemple l’imprimerie : ils utilisent des caractères creux séparés pour marquer des produits, ils disposent d’encre et de supports adéquats, mais rien !]
D’abord, si les romains avaient le type mobile, ils n’avaient pas inventé l’autre élément qui a fait le succès de l’imprimerie à la Renaissance : le papier. Je crois qu’il vous faut abandonner la vision mécanique de l’invention comme source du succès. C’est l’inverse : c’est le besoin social qui fait le succès d’une invention, quelquefois bien des siècles après. L’imprimerie – dont les principes étaient connus dès l’époque romaine ou même avant – a connu le succès quand il y a eu une demande massive de livres imprimés à satisfaire, c’est-à-dire suffisamment de gens qui a) savaient lire, b) avaient des raisons de lire et c) étaient suffisamment riches pour se payer des livres. Et puisqu’il y avait un besoin, des géniaux ingénieurs ont cherché les moyens de le satisfaire, ont piqué le papier chez les chinois, le type mobile je ne sais ou…
[Il y a une sorte de déclic, individuel ou collectif, dans l’émergence des inventions et un moment favorable (cf le découverte de l’aluminium), l’action politique est aussi parfois en cause, songeons à Napoléon n’aidant pas Fulton !]
Comme disait Marx, les sociétés résolvent les problèmes qui se posent à elles. Quand les esclaves disparaissent et les serfs deviennent difficiles, alors on cherche des solutions pour faire le travail sans eux. Et quand on cherche, on trouve… même des choses dont le principe avait été inventé bien avant.
Les Chinois avaient inventé le caractère mobile bien avant les Européens.
Mais leurs caractères étaient fastidieux à produire, en bois ou en argile.
C’est l’invention par Gutenberg du caractère en fonte d’alliage de plomb qui a permis leur production à grande échelle.
Le plomb a perduré jusqu’à la linotype ; et n’a vraiment été remplacé qu’avec l’arrivée de la photocomposition, au dernier quart du XXe siècle.
Vous parlez des emplois perdus, cher camarade : quand j’ai commencé à travailler en PAO, j’ai presqu’immédiatement remplacé plusieurs travailleurs de l’imprimerie : photocompositrice, monteur, photograveur…
@ Gugus69
[Vous parlez des emplois perdus, cher camarade : quand j’ai commencé à travailler en PAO, j’ai presqu’immédiatement remplacé plusieurs travailleurs de l’imprimerie : photocompositrice, monteur, photograveur…]
Certainement. Et cela a permis de libérer de la main d’œuvre pour produire d’autres choses et donc d’augmenter la production totale, une réserve de productivité permettant de réduire le temps de travail, ou bien a créé des chômeurs. Le choix entre ces trois issues dépend de l’organisation économique et du rapport de forces…
Bonjour Descartes,
Merci pour ce nouvel article ! Je me retrouve tout à fait dans son contenu (commme souvent), alors mon commentaire sera hors-sujet.
Aujourd’hui Nathalie Loiseau a réenchéri un “tweet” de la Commision Européene au sujet de l’inflation. Je reproduis son tweet “Il y a les opinions et puis il y a les faits : oui, l’euro nous a protégés de l’inflation depuis 20 ans, n’en déplaise à ceux qui prétendent indûment le contraire”.
Ce commentaire fait écho au livre “Euro Tragedy: A drama in nine acts (Ashoka Mody)” que je lis actuellement. La position de l’auteur sur l’adhésion (de la France en particulier) à la monnaie unique, qui semble confortée en quelque sens par le message de Mme Loiseau, est que, je cite, “Put simply, Europe’s leaders were trying to find a solution to symptomes – inflation and currency crises – rather than to the underlying causes of these symptoms, the lack of dynamism in their economies”, ou encore “Once the franc disappeared into the miasma of a single currency, the need for humiliating devaluations would disappear. Thus, the French would not have to suffer continuous reminders of German economic superiority.”
Si je me fie à la présentation que l’auteur fait des raisons qui ont poussées la France vers la monnaie unique, l’idée était grossièrement de casser le thermomètre à défaut de réussir à baisser la température.
Est-ce selon vous la raison principale de notre entrée dans la monnaie commune ? Cela me semble invraisemblable, mais les explications alternatives, données par les acteurs de l’époque par exemple ne sont pas très convaincantes (convergence à venir des économies, empêcher les dévaluations compétitives) !
@ Cochennec
[Aujourd’hui Nathalie Loiseau a renchéri un “tweet” de la Commision Européene au sujet de l’inflation. Je reproduis son tweet “Il y a les opinions et puis il y a les faits : oui, l’euro nous a protégés de l’inflation depuis 20 ans, n’en déplaise à ceux qui prétendent indûment le contraire”.]
C’est parfaitement vrai. La question est de savoir si les avantages de cette protection valaient le prix qu’elle nous coûte. Un économiste racontait l’histoire suivante, que je trouve magnifique :
Savez-vous qu’elle est la première grande découverte de l’humanité ? C’est la découverte qu’on pouvait cuire les aliments. Cela s’est passé ainsi : un jour, un grand feu à détruit le village. Lorsque les habitants sont revenus pour évaluer les dégâts, ils ont perçu parmi les huttes carbonisés une odeur délicieuse. C’est que l’incendie avait brûlé la petite hutte on l’on logeait le cochon. Celui-ci était cuit et doré à point. Les habitants se sont partagés la viande et ont ainsi découvert qu’on pouvait cuire la viande.
Savez-vous qu’elle est la deuxième grande découverte de l’humanité ? C’est quand les villageois ont compris que pour cuire le cochon, on n’avait pas besoin d’incendier le village.
Oui, grâce à l’Euro nous avons une inflation proche de zéro depuis de longues années. Bien entendu, nous payons cette bénédiction par une désindustrialisation massive, par la baisse de l’investissement productif, par un endettement toujours croissant. Mais bon, faut bien incendier le village si l’on veut cuire le cochon, non ?
[Si je me fie à la présentation que l’auteur fait des raisons qui ont poussées la France vers la monnaie unique, l’idée était grossièrement de casser le thermomètre à défaut de réussir à baisser la température.]
Je ne partage pas le point de vue de l’auteur, et d’une façon générale je me méfie des explications « sentimentales » dans ce domaine. Imaginer qu’on ait fait une révolution monétaire simplement pour qu’on ne nous rappelle pas notre complexe d’infériorité par rapport à l’Allemagne, c’est regarder l’histoire par le petit bout de la lorgnette.
Les motivations pour adhérer à la monnaie unique sont beaucoup plus complexes. D’abord, il est faux à mon avis de croire qu’il y eut une seule raison. Le traité de Maastricht est né d’une confluence de groupes de pouvoir qui ont poussé à la monnaie unique pour des raisons très différentes et quelquefois contradictoires. Il y a les fédéralistes comme Delors, pour qui la création d’une monnaie unique allait provoquer la convergence des économies européennes et obliger rapidement les états à s’accorder sur une politique budgétaire unique, embryon d’un « état européen ». Il a les « politiques » comme Mitterrand qui voyaient dans la monnaie unique un moyen de lier les mains de l’Allemagne – en imaginant qu’une BCE ou l’Allemagne serait en minorité ferait une politique monétaire différente de celle de la Bundesbank – et l’ancrer l’Allemagne à l’Europe. Il y avait les « classes intermédiaires » qui dans le contexte d’une croissance faible avaient besoin d’une monnaie forte pour pouvoir financer leur niveau de vie par l’emprunt…
[Est-ce selon vous la raison principale de notre entrée dans la monnaie commune ? Cela me semble invraisemblable, mais les explications alternatives, données par les acteurs de l’époque par exemple ne sont pas très convaincantes (convergence à venir des économies, empêcher les dévaluations compétitives) !]
J’ai répondu à votre question ci-dessus. Clairement, la volonté d’empêcher les dévaluations compétitives n’entrait pas en ligne de compte : pourquoi les dirigeants français auraient voulu empêcher ce qui restait notre principal instrument pour équilibrer notre balance commerciale ? La convergence des économies, par contre, était bien un objectif des fédéralistes, qui voyaient dans cette convergence un préalable au transfert des politiques budgétaires au niveau européen. Mais il s’est trouvé même des gens dans la “gauche radicale” pour imaginer que cette convergence permettrait de créer “l’Europe sociale” en faisant converger les salaires et les régimes de protection. Relisez les discours de Mélenchon à l’époque, cela vaut le détour!